Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones
Fascicule 21 - Témoignages du 22 mars 2011
OTTAWA, le mardi 22 mars 2011
Le Comité sénatorial permanent des affaires autochtones se réunit aujourd'hui, à 9 h 37, pour étudier les responsabilités constitutionnelles, conventionnelles, politiques et juridiques du gouvernement fédéral à l'égard des Premières nations, des Inuits et des Métis, et d'autres questions générales relatives aux peuples autochtones du Canada (sujet : questions concernant l'éducation des Premières nations).
Le sénateur Lillian Eva Dyck (vice-présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La vice-présidente : J'aimerais souhaiter la bienvenue à tous les honorables sénateurs et ainsi qu'à tous ceux qui suivent les débats du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones sur le web ou sur CPAC. Je m'appelle Lillian Dyck. Je viens de la Saskatchewan et je suis la vice-présidente du comité. Notre président, le sénateur St. Germain, était dans l'incapacité de venir ce matin, alors c'est moi qui vais assumer la présidence du comité aujourd'hui.
Pour ceux d'entre vous qui suivent nos délibérations depuis deux mois, sachez que nous allons revenir à notre étude sur l'éducation pour quelques semaines. Nous avons étudié le projet de loi S-11, Loi concernant la salubrité de l'eau potable sur les terres des Premières Nations. À titre indicatif, le projet de loi S-11 a été retiré pour quelques semaines pour donner la possibilité aux représentants du ministère et de l'Assemblée des Premières Nations de s'entendre sur les amendements à y apporter. On a mis en commun les amendements proposés par le ministère et les sénateurs, et le ministère devrait très bientôt, d'ici une semaine ou deux, tenir une séance d'information à l'intention des sénateurs.
Le comité a pour mandat d'examiner les lois et les questions relatives aux peuples autochtones du Canada. Dans le cadre de ce mandat, le comité a entrepris une étude sur les stratégies possibles de réforme de l'enseignement primaire et secondaire dans les Premières nations en vue d'améliorer les résultats scolaires. L'étude porte notamment sur les ententes tripartites sur l'éducation, les structures de gouvernance et de prestation des services et les cadres législatifs possibles.
Ce matin, nous recevons un témoin, M. Isaac, de la Première nation de Walpole Island, qui est responsable de l'éducation. Avant de lui céder la parole, j'aimerais présenter les membres du comité. À ma gauche, nous avons le sénateur Jacques Demers, du Québec, et à ma droite, il y a le sénateur Larry Campbell, de la Colombie-Britannique, et le sénateur Sandra Lovelace Nicholas, du Nouveau-Brunswick.
Chers collègues, joignez-vous à moi pour souhaiter la bienvenue à notre témoin de Walpole Island, M. Isaac. Je crois savoir que vous gérez le portefeuille de l'éducation au sein de votre conseil. Je vous invite à présenter votre exposé, après quoi nous enchaînerons avec une période de questions. Je vous prierais d'être bref et de vous en tenir à l'essentiel.
E. Rex Isaac, conseiller de bande, Portefeuille : Éducation, Première nation de Walpole Island : Boozhoo, bonjour, honorables sénateurs. Je vais tâcher d'être bref et j'espère vous donner des informations utiles. Je suis honoré de pouvoir prendre la parole devant vous aujourd'hui. Je suis membre du conseil de la Première nation de Bkejwanong, aussi connue sous le nom de Walpole Island no 46.
On m'a demandé d'aborder trois thèmes. Je vais commencer par vous parler des structures de gouvernance et de prestation des services. Si je comprends bien, chaque direction du gouvernement doit offrir des services en vertu de son mandat. Si c'est vrai pour le ministère des Affaires indiennes et du Nord Canadien, dans ce cas, est-ce que son mandat vise les intérêts et l'enrichissement des Premières nations et de leurs membres? Quand je vois la pauvreté extrême, le chômage et les problèmes sociaux catastrophiques, c'est difficile à croire.
Deuxièmement, je vais parler des ententes tripartites sur l'éducation. Les Premières nations sont préoccupées par le fait que le gouvernement fédéral se dégage de ses responsabilités en vertu de l'article 35 de la Constitution canadienne.
Troisièmement, il faut se pencher sur les cadres législatifs possibles. Nous devons en faire le point central si nous voulons établir une base solide sur laquelle reposera l'enseignement primaire et secondaire des membres de nos Premières nations.
Si je puis me permettre, je vais affirmer ou réaffirmer les rôles et les responsabilités du gouvernement fédéral. Sauf le respect que je vous dois, les traités ont été conclus entre la Couronne et les Premières nations, et non pas avec les OPT, en l'occurrence, les gouvernements respectifs du Canada. Cela dit, toute modification aux traités ne peut être effectuée que par les signataires, c'est-à-dire Sa Majesté et les Premières nations.
Je me rends compte que le gouvernement essaie de trouver un modèle qui profite à toutes les parties concernées, d'un bout à l'autre du pays, mais il y a peu de chances que cela fonctionne. Chaque nation a sa propre langue, sa propre culture et ses propres objectifs et indicateurs de réussite en ce qui a trait à l'éducation. Je suis convaincu que nous pouvons réussir à offrir un enseignement de qualité aux Premières nations. Cependant, le processus doit respecter les particularités de chaque Première nation qui est unique. Chacune des nations doit être prise en compte dans le processus de réforme. Même les meilleurs processus sont voués à l'échec si les Premières nations ne participent pas à leur élaboration. La langue, la culture, les traditions et les droits de chaque Première nation doivent être respectés.
J'aimerais prendre un moment pour faire un parallèle avec le Québec. Je crois savoir que la province du Québec n'est pas signataire de la Constitution de 1982. N'empêche, les droits des Québécois sont pleinement protégés en vertu de la Constitution canadienne et de la Charte canadienne des droits et libertés. Les Canadiens francophones jouissent également du respect de leur langue, de leur histoire et de leur culture. Maintenant, à l'approche du 200e anniversaire de la guerre de 1812, je dois rappeler au comité que si ce n'est que pour les efforts de vos alliés des Premières nations dans cette guerre et d'autres, nous pouvons tenir ces discussions ou ces délibérations avec un autre gouvernement, peut-être le gouvernement français ou même le gouvernement américain.
Ce gouvernement a fait des concessions à un groupe contre qui il était en guerre, tandis que les alliés qui ont appuyé ses efforts ont été laissés pour compte. Je suis certain que si les Premières nations avaient reçu le même traitement que nos frères et sœurs francophones du Québec, nous aurions beaucoup moins de problèmes aujourd'hui, et les premiers habitants de ces terres qui forment aujourd'hui le Canada pourraient prospérer.
La vice-présidente : Votre exposé était très concis et explicite. À titre de présidente, je vais ouvrir le bal en vous posant une ou deux questions.
Monsieur Isaac, vous avez indiqué que si le gouvernement accordait le même traitement aux Premières nations qu'aux Canadiens francophones, beaucoup de problèmes seraient ainsi réglés. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet? À quels accommodements pensez-vous exactement?
M. Isaac : L'un des principaux problèmes auxquels les Premières nations sont confrontées est, sans contredit, le manque de ressources pour offrir l'enseignement que leurs membres méritent. Les francophones, non seulement au Québec, mais aussi dans l'ensemble du pays, reçoivent les ressources dont ils ont besoin. C'est la même chose pour les étudiants anglophones. Je crois que le diplôme d'études secondaires de l'Ontario exige que les étudiants apprennent une deuxième langue. Ce que je veux dire, c'est que les francophones, du Québec et d'ailleurs au Canada, disposent des ressources nécessaires pour enrichir leur culture. Ce n'est qu'une partie du problème.
Comme je l'ai mentionné plus tôt, il y a diverses nations au sein de la population des Premières nations. Si le gouvernement offrait les mêmes accommodements et ressources pour permettre à nos étudiants d'exceller autant que les étudiants francophones et anglophones, nous nous porterions beaucoup mieux.
La vice-présidente : Voyez-vous la nécessité d'intégrer la langue et la culture, entre autres, aux programmes d'enseignement primaire et secondaire?
M. Isaac : Absolument. Comme beaucoup d'entre vous le savez, une nation se définit par cinq critères, et la langue et la culture en font partie. Quand je me promène dans les rues d'Ottawa ou de Toronto, je regarde autour de moi et j'essaie de voir à quoi ressemble un Canadien. Il y a tellement de diversité au sein de la population canadienne. Il n'y a pas de stéréotype — on ne peut pas avoir d'image en tête lorsqu'on pense à un Canadien. Il s'agit d'un mélange de différents groupes ethniques et origines.
Par contre, comme je l'ai dit plus tôt, les francophones se définissent clairement par leur langue. Les gens sont fiers de dire qu'ils sont des Canadiens francophones. Il en va de même pour les différentes Premières nations. Les Autochtones se définissent clairement comme tels et s'affirment fièrement en tant que membres des Premières nations. Qu'ils se considèrent ou non comme des citoyens canadiens, c'est une autre question. Or, j'estime que leur langue et leur culture doivent être au cœur de leur identité.
Le sénateur Campbell : D'après ce que nous disent les différents témoins, le fait qu'il y ait trois administrations qui interviennent à différents niveaux relativement à l'enseignement des Premières nations semble poser problème. Tout d'abord, il y a le gouvernement fédéral qui a une responsabilité légale à l'égard de l'enseignement primaire et secondaire. Ensuite, la gestion quotidienne du système d'éducation revient à la Première nation, et ce, sans oublier la province qui a compétence en matière d'éducation. Je constate que près de 40 p. 100 des étudiants des Premières nations fréquentent des écoles en dehors des réserves.
Comment pouvons-nous concilier ces trois différentes structures de gouvernance de façon à ce que les étudiants des Premières nations puissent avoir accès à un enseignement de qualité équivalent à ceux dont jouissent les autres étudiants au Canada?
M. Isaac : La responsabilité des Premières nations à l'égard des programmes d'enseignement s'inscrit dans les objectifs de la province en matière d'éducation. Cependant, les Premières nations établissent des normes plus élevées que celles prévues par la province. Il incombe au gouvernement fédéral de nous fournir les ressources nécessaires pour assurer un enseignement de qualité à nos étudiants. Il n'y a pas de service de deuxième ou de troisième niveau lorsqu'il s'agit de l'enseignement des Premières nations. Toutefois, il y en a au niveau provincial. En ce qui concerne les ressources, nos étudiants manquent de beaucoup de choses, comme des programmes de musique et d'éducation spécialisée. Nos ressources sont limitées et cela fait en sorte qu'il est extrêmement difficile d'offrir à nos étudiants l'enseignement qu'ils méritent.
Ma Première nation est parvenue à une entente et a signé un contrat avec le très honorable Paul Martin. Son groupe a mis sur pied un programme d'enseignement au sein des Premières nations de Walpole Island et de Kettle et Stoney Point afin qu'il y ait un plus grand nombre de gens qui savent lire, écrire et compter. Avant même l'arrivée de M. Martin à Walpole Island, d'après les résultats des examens que nous avons fait passer dans diverses régions, nous avions déjà constaté des progrès, grâce au personnel dévoué et au dévouement de la communauté envers nos étudiants. Nous avons même surpassé les niveaux d'autres écoles financées par le gouvernement fédéral, comme la bande des Six Nations et d'autres Premières nations, et ceux des écoles financées par le gouvernement provincial. En même temps, nous avons contracté plus d'un million de dollars de dettes, mais nous estimons que c'est le prix à payer pour offrir à nos étudiants les ressources pédagogiques dont ils ont besoin.
On dit que d'ici 10 ans, le Canada fera face à une grave pénurie de main-d'œuvre dans tous les secteurs de l'économie. Les membres des Premières nations peuvent remédier à la situation. Si nous investissons dès maintenant, nous pourrions atténuer, voire éliminer le problème. J'entends constamment dire que nous devrions accueillir davantage d'immigrants pour combler différents besoins. Pourquoi faire venir des immigrants quand nous avons déjà ces gens ici qui pourront contribuer à l'avenir du pays? Mes trois enfants vont à l'école en ce moment, et j'aimerais qu'ils puissent un jour occuper ces postes et peut-être même ces sièges. Mais, pour ce faire, encore faut-il qu'ils aient accès à un enseignement de qualité. Ils y ont droit, non seulement en vertu de la Constitution, mais aussi de la Charte. Le fait que nos étudiants aient accès à deux fois moins de ressources que les étudiants non autochtones est clairement une violation de leurs droits prévus dans la Charte.
Le sénateur Lovelace Nicholas : Visiblement, la Charte ne s'applique pas aux Premières nations lorsqu'il est question d'éducation. À votre avis, l'adoption d'une mesure législative pourrait-elle permettre d'améliorer le système d'éducation des Premières nations?
M. Isaac : Absolument. Un processus établi dans la loi sera déterminant. Nous ne pouvons pas continuer ainsi parce que cela n'est pas efficace.
On m'a dit que 30 p. 100 des Premières nations sont gérées par une tierce partie et qu'il y a deux fois plus de gens qui vivent dans des conditions de pauvreté extrême. Par conséquent, il est temps de commencer à investir.
Le sénateur Lovelace Nicholas : Pensez-vous que la mesure législative pourrait avoir une incidence sur toutes les Premières nations?
M. Isaac : Oui, pourvu qu'elle tienne compte de toutes les Premières nations. Si les gouvernements ne sont pas au courant de la situation à laquelle les Premières nations sont confrontées, ils ne pourront pas trouver de solutions. Je ne connais pas toutes les Premières nations et leurs besoins particuliers. Cependant, le très honorable Paul Martin s'est libéré de son horaire pour venir à Walpole Island. Il a visité notre école et notre communauté pour observer la dynamique sociale. Il a fait la même chose au sein de la communauté de Kettle et Stony Point. Il a injecté des fonds, par l'intermédiaire de sa fondation, afin de créer un modèle d'enseignement qui profitera à toutes les Premières nations. Au cours de la première année, AINC a offert à notre Première nation d'acheter les droits de ce modèle au montant de 125 000 $ par année pour cinq ans. Nous n'en sommes qu'au stade préliminaire.
Nous élaborons ce modèle à l'aide d'excellents enseignants qui sont sous-payés et dépourvus de ressources. Je suis préoccupé par le fait que nos enseignants ne bénéficient pas d'avantages. Les enseignants non autochtones qui arrivent de l'extérieur des réserves touchent un vaste éventail d'avantages. Serons-nous en mesure de garder nos professeurs si ailleurs on offre le même programme à un salaire plus élevé? C'est une autre préoccupation.
Le sénateur Lovelace Nicholas : Quelle est l'ampleur et la cause de l'écart qui existe entre l'enseignement offert aux étudiants issus des Premières nations et les autres?
M. Isaac : Essentiellement, cet écart s'explique par la formule de financement adoptée par les bandes. Cette formule a été créée il y a environ 15 ans. Le problème principal demeure la limite de financement de 2 p. 100 selon laquelle le financement pour l'éducation des Premières nations ne peut augmenter que de 2 p. 100 par année. Le taux d'inflation est de loin supérieur à cette limite de 2 p. 100 et, multiplié par 15 années, cela a pour effet de creuser davantage l'écart. Le gouvernement pourrait-il offrir les mêmes services et normes de qualité aux Canadiens pendant 15 ans encore avec une limite de financement de 2 p. 100? Pourtant, c'est ce à quoi on s'attend de nous. Ce n'est qu'une partie du problème.
Il y a trois ans, on m'a dit qu'on avait imposé un plafond à l'éducation spécialisée. Il ne s'agit pas d'une limite de financement de 2 p. 100, mais bien d'un plafond. En Ontario, le nombre d'enfants ayant des besoins particuliers représentent environ 10 p. 100. Chez les Premières nations, on parle de 30 p. 100. Pourtant, nous ne recevons pas plus d'argent. Si nous avons un étudiant qui a des besoins spéciaux très particuliers, nous avons deux options : soit nous l'envoyons en dehors de la réserve, loin de ses proches, de son chez-soi et des gens qui l'aiment et qui l'appuient, soit nous consacrons la majeure partie de notre budget à l'éducation de cet enfant au détriment de tous les autres.
Le sénateur Lovelace Nicholas : On le priverait également de sa culture.
M. Isaac : Tout à fait.
Le sénateur Stewart Olsen : Vous avez dit que vos écoles fonctionnent maintenant et que vous avez observé des progrès. Qu'est-ce qui vous permettrait d'aller de l'avant? Avez-vous considéré les accords tripartites? Avez-vous un tel accord en place?
Notre école se porte très bien. Grâce à l'Initiative d'éducation autochtone Martin et la Coalition autochtone pour l'éducation, nous recevons des services de deuxième niveau à un coût minime. On parle d'environ 70 000 $ par année. Ces petites contributions nous aident; toutefois, afin d'améliorer les résultats, ces deux ou trois dernières années, notre Première nation a contracté des dettes de l'ordre de 1 million de dollars. Nous ne pouvons pas nous le permettre. Nous avons des ressources limitées. Cependant, nous estimons que nos étudiants sont ce qu'il y a de plus précieux, et c'est la raison pour laquelle nous éprouvons actuellement des difficultés financières. Nos enfants méritent cette éducation. Nous espérons que ce sont eux qui régleront ces problèmes à l'avenir.
Le sénateur Stewart Olsen : Dans votre exposé, vous avez dit que vous aimeriez que les élèves des Premières nations puissent profiter des emplois qui seront bientôt disponibles partout au pays. Est-ce que le programme qui est offert dans les écoles des Premières nations a été conçu en fonction de ces emplois? Est-ce que notre comité devrait aussi se pencher sur cet aspect?
M. Isaac : Notre programme respecte les normes de l'Ontario. Cependant, nous surpassons ces normes dans les domaines des langues, de la culture et de la musique. Nous avons dépassé les normes en ce qui a trait à d'autres types de service non essentiels comme l'économie familiale, par exemple. Nous organisons aussi des cercles de discussion, comme aujourd'hui, au sein desquels les jeunes peuvent s'exprimer et en apprendre sur différents sujets. D'autres initiatives offrent des programmes d'administration des affaires et de gestion des finances. Les élèves ne se rendent souvent pas compte de tout ce qu'ils font. Toutefois, nos professeurs enseignent très bien tout ce que ces enfants ont besoin de savoir pour devenir des adultes prospères. Ils s'amusent tout en en apprenant.
Les inquiétudes à l'égard des ententes tripartites se rapportent aux traités. Le gouvernement fédéral doit assumer la responsabilité des traités. Nous n'avons aucune objection à rehausser les normes au niveau provincial. Nous le faisons déjà. Or, je ne veux pas qu'en vertu d'une entente, le gouvernement fédéral refile à la province la responsabilité de la prestation des services aux Premières nations. C'est ce qui m'inquiète relativement aux ententes tripartites.
Le sénateur Demers : Je vous remercie de vous battre pour vos enfants; je trouve que c'est important.
Que prévoyez-vous faire d'ici à 2015? Nous parlons des professeurs et du manque d'argent. Avez-vous un plan précis à présenter au gouvernement pour les cinq prochaines années? En ce moment, il n'est pas trop tard — en fait, il n'est jamais trop tard. La situation a été difficile et je comprends.
Avez-vous un plan qui fait état de votre situation actuelle et des mesures qui s'imposent pour assurer un bon fonctionnement de votre système d'éducation? Mais surtout, avez-vous un plan destiné aux enseignants? Nous savons que sans enseignant, on ne va nulle part.
Vous avez parlé de dettes s'élevant à plus d'un million de dollars. Avez-vous un plan quinquennal en place? Est-ce que vous vous êtes arrêtés pour dire : « C'est ce dont nous avons besoin pour nous assurer que nos enfants — et même les plus vieux — aient accès à un enseignement adéquat qui leur permettra, tôt ou tard, de décrocher un bon emploi? »
M. Isaac : Oui. Il y a deux ans, nous avons demandé à une tierce partie indépendante et impartiale de réaliser une étude. Pour la deuxième année maintenant, nous donnons suite aux 63 recommandations qui ont été formulées dans le cadre de cette étude. Encore une fois, nous avons dû puiser à même notre budget pour mettre en œuvre ce plan quinquennal. Nous travaillons à l'atteinte de ces objectifs.
Dans notre région, nous recevons 4 800 $ par étudiant pour offrir les mêmes services qui sont offerts aux étudiants de l'Ontario. Les écoles à l'extérieur des réserves — de l'autre côté du pont pour nous — reçoivent près de 9 600 $ par étudiant. Si nous pouvions toucher une telle somme, non seulement nous ne serions plus endettés ou en difficulté financière, mais nous aurions aussi beaucoup plus à offrir à nos étudiants.
Nous avons besoin de soutien, que ce soit pour l'acquisition de tableaux électroniques dits « intelligents » dans les classes ou d'autres outils, et ce, sans parler de la capacité de garder nos enseignants et de leur offrir un salaire comparable pour l'excellent travail qu'ils font, d'assurer une supervision et d'avoir les avantages des plus hauts niveaux de gestion pour élaborer des programmes qui tiennent compte non seulement des normes canadiennes et ontariennes, mais aussi des normes de la culture anishinabe. C'est ce dont nous avons besoin.
Ces fonds supplémentaires nous seraient donc très utiles. Nous sommes toujours en train de faire des calculs pour savoir quel aspect nous allons sacrifier pour en améliorer un autre. Cela ne devrait pas être notre priorité. Notre priorité devrait être de répondre aux besoins quotidiens de nos étudiants afin qu'ils puissent réussir dans la vie.
Le sénateur Raine : La Première nation de Walpole Island fait-elle partie d'un plus grand groupe linguistique? Est- elle Anishinabe? Au sein de la population anishinabe, partagez-vous des services de deuxième et de troisième niveau? Peut-être pas actuellement, mais avez-vous l'intention de le faire?
M. Isaac : C'est très intéressant. Personnellement, je considère que ce serait une bonne chose. Ma réponse se rapporte également à l'une des questions du sénateur Demers. Pour l'instant, nous menons une initiative dont l'un des objectifs est d'établir une école d'immersion d'ici les cinq prochaines années. Si je ne trompe pas, on a récemment ouvert une école d'immersion française au Manitoba. Quoi qu'il en soit, c'était en dehors du Québec. Nous envisageons la possibilité d'avoir une école d'immersion afin que nos étudiants puissent parler couramment notre langue.
La nation Anishinabe comprend les Odawas, les Potawatomis et les Ojibwas. Nous aimerions travailler avec ce groupe. En fait, nous avons établi des partenariats avec des grands groupes au sein de notre région, et nous aimerions d'ailleurs les élargir.
Cependant, comme les francophones le savent probablement, il y a des variantes d'un dialecte à l'autre. Par exemple, le français canadien est différent du français européen, et il en va de même pour l'ojibwa dans le sud et le nord de la région. On note des petites ressemblances. Nous arrivons tout de même à nous comprendre, mais chaque dialecte est différent.
C'est la raison pour laquelle j'ai dit qu'il est impossible d'adopter une approche universelle qui répond aux besoins de toutes les Premières nations. Chacune d'entre elles a ses particularités. Toutefois, il y a certains éléments très importants qui se chevauchent et qui pourraient s'appliquer à un plus grand groupe de nations.
Il y a plusieurs nations. En ce qui me concerne, je suis issu de la nation anishnabe. Tout près, il y a la Confédération iroquoise, qui regroupe plusieurs Premières nations. Je ne vois aucun inconvénient à ce que nous collaborions, et je pense même que cela serait avantageux de le faire dans certaines régions.
Le sénateur Raine : Combien de membres des Premières nations parlent l'anishnabe ou souhaitent parler l'ojibwa au total? On parle ici de nombreuses Premières nations, alors je ne suis pas certaine que vous ayez cette information. Je ne cherche qu'un chiffre approximatif.
M. Isaac : Je peux difficilement vous donner des chiffres.
Le sénateur Raine : Serait-ce autour de 20 000?
M. Isaac : Je dirais beaucoup plus que ça.
Le sénateur Raine : Dans ce cas, 50 000?
M. Isaac : Je dirais probablement des centaines de milliers. La nation anishnabe s'étend de la frontière de la nation iroquoise, qui se trouve un peu à l'ouest d'ici, en passant par le Manitoba et la région du Wisconsin, jusque dans la vallée de l'Ohio au sud, en remontant vers le nord, là où habitent les Cris et les Inuits. Cela couvre un très vaste territoire. Et je ne parlais que du territoire traditionnel. J'ai de la famille et des amis qui habitent partout au Canada et aux États-Unis, et Buffy Sainte Marie vit à Hawaï. Nous sommes présents partout.
Le sénateur Raine : Y a-t-il un lien qui unit tous ces gens, en ce sens qu'ils parlent tous l'ojibwa et partagent les mêmes racines culturelles?
M. Isaac : Absolument.
Le sénateur Raine : Je sais qu'il s'agit de l'un des plus importants groupes linguistiques en Amérique du Nord, avec les Cris. Je sais qu'il y en a d'autres également à l'ouest. Toutefois, à mon sens, il est inacceptable qu'on ne fasse rien pour préserver la culture et la langue et pour trouver des outils qui pourraient être utilisés par tous les dialectes. Par exemple, un livre rédigé en ojibwa pourrait être lu par différents dialectes.
La langue écrite est-elle différente?
M. Isaac : À l'origine, notre langue n'était pas une langue écrite. Elle l'est devenue au cours du dernier siècle. Je n'ai que 40 ans, alors je ne peux me prononcer que sur cette période.
Même en étant écrite, cette langue a beaucoup évolué. On l'écrivait comme on la prononçait, de manière phonétique. On lui a ensuite donné une structure. On a commencé à doubler les voyelles, par exemple, et c'est ainsi que la langue écrite a pris forme. Cela s'est fait récemment, probablement au cours des 20 à 40 dernières années. Elle devient de plus en plus uniforme. Il est difficile de prendre une langue orale pour en faire soudainement une langue écrite. Nous nous fondons sur les traditions orales.
Nos aînés, qui maîtrisent très bien la langue, peuvent nous aider, mais chaque jour qui passe, nous perdons un autre aîné et toute son histoire. Nous ne pouvons plus attendre; il faut agir maintenant.
Le sénateur Raine : Je ne savais pas que la langue écrite était aussi récente. N'empêche que dans de nombreuses langues, on peut prononcer les lettres un peu différemment, mais si on écrit une langue au son, on peut se retrouver avec cinq versions de ce qui était une langue semblable.
M. Isaac : Oui, c'est pourquoi j'ai dit que la langue écrite devenait de plus en plus uniforme. Cependant, avec la langue orale traditionnelle, comme je l'ai mentionné, on retrouve différents dialectes au nord et au sud. Certains mots peuvent même signifier le contraire. D'autres mots se ressemblent, mais il y a des particularités propres à chaque langue qui fait en sorte que chaque région est unique.
Le sénateur Dallaire : Je vous parle en anglais, mais ce n'est pas ma langue maternelle; je crois savoir que c'est la même chose pour vous, n'est-ce pas?
M. Isaac : C'est exact, l'ojibwa est ma langue maternelle.
Le sénateur Dallaire : Après de longs processus juridiques, la langue française a été reconnue officiellement, et les Canadiens francophones ainsi que les Québécois sont maintenant considérés comme une nation à part entière. Nous avons fait d'énormes compromis dans les autres provinces où le nombre de Canadiens francophones le justifiait, en dehors du Québec, et nous l'avons inscrit dans la loi.
Ma famille habite toujours une terre de l'île d'Orléans, depuis son arrivée en 1666. Cela fait déjà un bon moment. Par contre, il a fallu attendre jusqu' en 1968, soit 300 ans plus tard, avant qu'on ne mette les deux langues sur un pied d'égalité.
Au sein du système d'éducation actuel, personne ne m'a jamais initié, moi, mes enfants ou mes prédécesseurs, à une langue autochtone. Êtes-vous d'accord?
M. Isaac : Si vous me le dites, oui, je suis d'accord.
Le sénateur Dallaire : Avez-vous déjà vu un gouvernement provincial intégrer un programme d'apprentissage culturel ou linguistique à son système d'éducation? On y enseigne l'espagnol et l'allemand. Savez-vous si on y enseigne une langue autochtone?
M. Isaac : Quand j'étais jeune, nous n'avons pas cette option. Cependant, dans notre région, récemment — je ne sais pas exactement à quel moment le Lambton Kent District School Board l'a exigé — à l'école secondaire du district de Wallaceburg, il faut apprendre une deuxième langue pour obtenir son diplôme d'études secondaires de l'Ontario. On a le choix entre le français et l'ojibwa, et à cette école en particulier, on apprend la langue du début jusqu'à l'obtention de son diplôme. Il s'agit d'une école dans un vaste système que je ne connais pas.
Le sénateur Dallaire : Jacques Cartier est arrivé ici en 1534; il n'a donc fallu que six siècles pour qu'une école en arrive à cela. Nous faisons des progrès.
Si je ne m'abuse, les données démographiques révèlent que les peuples autochtones représentent la population qui connaît la croissance la plus rapide au pays.
M. Isaac : C'est ce qu'on m'a dit.
Le sénateur Dallaire : Vous avez dit que les peuples et les jeunes Autochtones sont ceux qui souffrent le plus de problèmes sociaux, et ce, de manière disproportionnée par rapport aux enfants des communautés non autochtones. Est-ce exact?
M. Isaac : Malheureusement, je crois que vous avez raison.
Le sénateur Dallaire : Le MAINC a-t-il mis en place des politiques visant spécifiquement à faire face à cette importante croissance de la population? Le ministère a-t-il envisagé la mise en œuvre de programmes sociaux à l'intention des jeunes ou ajusté les infrastructures du système d'éducation dont il est responsable en vous fournissant des ressources? Avez-vous vu des politiques ou une analyse quelconque à cet effet?
À l'instar de toutes les autres provinces qui connaissent un changement démographique majeur, au Québec, par exemple, le fait qu'il y a de moins en moins de jeunes a nécessité des transferts de fonds, la fermeture d'écoles et l'ajustement de programmes d'éducation spécialisée et ainsi de suite. Le ministère a-t-il établi des politiques pour répondre à ces nouveaux besoins?
M. Isaac : Pas à ma connaissance. Par contre, les revenus que notre bande a générés — si minimes soient-ils — nous ont permis de mettre sur pied un programme destiné à régler les questions concernant les jeunes. Nous avons embauché du personnel, nous avons créé le Bkjewanong Youth Facility, et ce programme, comme je l'ai dit, est financé à même son budget. Nous investissons environ 100 000 $ par année pour nos jeunes de neuf à 17 ans afin qu'ils puissent s'occuper et en retirer quelque chose de positif.
Le sénateur Dallaire : Il incombe au gouvernement fédéral, plus précisément au MAINC, de vous fournir ces ressources, de reconnaître vos besoins accrus et de réagir en conséquence. Or, cette question dépasse complètement son champ de compétence puisque l'éducation et les mesures connexes relèvent du pallier provincial. On se retrouve donc avec une foule de gens qui n'ont aucune formation ni expérience dans ces domaines et qui ne s'occupent pas de ces questions, mais qui sont censés vous fournir cette capacité. Et, à ce qu'il paraît, les résultats laissent à désirer.
Qu'en est-il des 40 p. 100 d'élèves qui fréquentent des écoles situées en dehors des réserves? Il y a une école primaire francophone baptisée en mon nom à Winnipeg. On avait ressenti le besoin d'établir une telle école dans la région à cause de la base militaire. On a donc créé une école francophone qui offre également un programme d'immersion aux élèves anglophones.
Quel est l'impact des 40 p. 100 d'élèves en dehors des réserves sur le système d'éducation local en ce qui concerne l'infrastructure, les programmes et les langues?
M. Isaac : Je ne suis pas sûr d'avoir bien saisi votre question, mais oui, nous avons une grande population d'environ 40 p. 100 pour ce qui est de notre Première nation. Cela varie d'une Première nation à l'autre. C'est lié, en grande partie, aux problèmes de logement, mais c'est là une autre paire de manches.
Il y a donc des élèves autochtones qui fréquentent des écoles en dehors des réserves, mais notre gouvernement n'a pas compétence sur les citoyens autochtones qui vivent en milieu urbain.
Cependant, lorsque ces jeunes souhaitent renouer avec leur culture, leur langue et tout le reste, ils rentrent chez eux. C'est dans leur collectivité qu'ils acquièrent ces connaissances. Pour autant que je sache, il n'existe aucune ressource pour répondre aux besoins et aux demandes des élèves autochtones qui fréquentent des écoles situées à l'extérieur de la compétence des Premières nations.
Le sénateur Dallaire : Le gouvernement fédéral s'occupe de l'éducation dans les réserves, mais pas en dehors des réserves. Le gouvernement provincial, pour sa part, n'assume pas nécessairement la responsabilité d'appuyer la culture et les langues autochtones, malgré une population importante de Premières nations dans un arrondissement scolaire donné.
M. Isaac : C'est ce que je crois comprendre.
Le sénateur Dallaire : Le palier provincial ne répond pas nécessairement à vos besoins, même s'il répond à ceux des Canadiens français.
M. Isaac : En effet.
Le sénateur Dallaire : C'est intéressant. La province ne s'occupe pas de vos besoins.
M. Isaac : Non.
Le sénateur Dallaire : Pourquoi? Est-ce parce qu'il incombe au gouvernement fédéral de le faire?
M. Isaac : Il m'est difficile de répondre à la question parce que ce n'est pas mon domaine. Je ne veux pas me perdre en conjectures; je préfère entendre ce que les représentants provinciaux ont à dire là-dessus.
Le sénateur Dallaire : L'éducation relève de la province. En effet, la province fait payer des impôts aux gens et envoie de l'argent aux conseils scolaires. Ces derniers gèrent l'argent, et il y a toujours des lacunes. Quoi qu'il en soit, il existe un lien très direct. Les conseils scolaires rendent compte au ministère provincial, qui leur dit quoi faire. Le ministère gère le contenu, la priorité en matière de ressources, et cetera.
Dans votre cas, c'est le gouvernement fédéral qui est censé vous fournir des ressources. Par contre, les fonctionnaires fédéraux n'ont aucune expérience de l'administration des écoles ou des systèmes d'éducation, parce que l'éducation ne relève pas de la compétence fédérale. Le gouvernement provincial établit des normes, et vous voulez établir les vôtres. Toutefois, ni le gouvernement provincial ni vous n'avez une responsabilité directe pour ce qui est de l'obtention des fonds. Les fonds sont accordés par le gouvernement fédéral, mais ils ne correspondent pas nécessairement au niveau provincial ou à vos besoins précis. Est-ce exact?
M. Isaac : Oui.
Le sénateur Dallaire : Ne trouvez-vous pas que c'est un peu insensé? Je n'essaie pas de vous mettre sur la sellette. D'après vous, devrions-nous établir une mesure législative pour démêler cette question?
M. Isaac : Oui. Nous en avons certainement besoin. J'admire beaucoup le modèle québécois et le respect qu'on accorde aux Canadiens français. Le gouvernement a dit qu'il y a trop de langues et trop de Premières nations, si bien qu'il ne peut pas répondre aux besoins de chacune d'entre elles. Bon d'accord, mais peut-être qu'il pourrait commencer par se concentrer sur les grandes bandes autochtones, comme les Anishinabes, les Iroquois et les Cris. Des gens partout au Canada reconnaissent et appuient ces langues et ces cultures.
Le sénateur Dallaire : Vous venez d'évoquer le Québec. Le Québec permet aux anglophones d'avoir accès à une éducation en anglais. Réciproquement, dans la plupart des provinces, les francophones ont droit à une éducation en français. Or, dans votre cas, il n'y pas assez de fonds, ni à l'échelle provinciale, pour répondre aux besoins des 40 p. 100 d'élèves autochtones en dehors des réserves, ni à l'échelle fédérale, pour répondre aux besoins de ceux vivant dans des réserves. Est-ce exact?
M. Isaac : Oui.
Le sénateur Brazeau : Bonjour, et merci pour votre déclaration. Vous avez démontré que l'éducation est une priorité importante. Il faut la respecter, et personne ne peut affirmer le contraire.
Vous avez parlé de Paul Martin, et je ne peux m'empêcher d'ajouter quelque chose là-dessus. Je suis heureux que M. Martin ait créé une fondation pour l'éducation des élèves autochtones et que son travail bénéficie à votre collectivité. Toutefois, il est plutôt ironique que M. Martin, à titre de ministre des Finances en 1997, ait imposé le plafond de 2 p. 100 sur l'éducation. Voilà, il fallait que je le dise. Vous m'avez ouvert la voie.
Tous les témoins qui ont comparu devant le comité pour parler de l'éducation ont mentionné le manque de ressources, et c'est important. Toutefois, si on regarde les états financiers vérifiés de nombreuses collectivités des Premières nations, on observe que bon nombre d'entre elles enregistrent un excédent budgétaire dans l'éducation. Autrement dit, elles ne dépensent pas tout le financement en matière d'éducation qu'on leur accorde en une année.
Les ressources sont importantes et elles sont nécessaires, mais que dites-vous aux Premières nations qui ne dépensent pas tous les fonds qu'elles reçoivent pour l'éducation? Malgré l'excédent dans leurs états financiers vérifiés, elles continuent de demander au gouvernement plus de fonds pour l'éducation.
De nombreuses collectivités des Premières nations ont un besoin criant de ressources supplémentaires pour répondre à leurs besoins en éducation, alors que d'autres ne consacrent pas de l'argent à l'éducation. Elles pourraient le dépenser à d'autres fins. Cette situation nuit aux collectivités qui ont grand besoin d'argent pour l'éducation.
M. Isaac : Sénateur Brazeau, j'avais hâte d'entendre vos commentaires. Je vois que vous faites déjà de la publicité pour une éventuelle campagne électorale contre les libéraux.
Le manque de ressources pose certes un problème, et il est vrai que certaines Premières nations enregistrent des excédents. Tout revient à la question de la gestion, pas nécessairement à l'échelle des Premières nations, mais bien au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien.
Vous êtes sans doute tous au courant des structures de votre bureaucratie. Il y a des bureaux régionaux partout au pays. Lorsque je m'entretiens avec divers gestionnaires sur des questions d'infrastructure, je me fais poser des questions comme : « Pourquoi n'utilisez-vous pas Internet à haute vitesse? Pourquoi ne louez-vous pas un édifice? Pourquoi ne faites-vous pas ci ou ça? »
Un jour, j'ai demandé à l'un d'entre eux si lui ou ses collègues avaient déjà visité une collectivité des Premières nations, et il m'a répondu que non. Ces gens sont pourtant chargés d'offrir les services nécessaires aux Premières nations.
Le gouvernement doit au moins exiger que tous les employés du ministère des Affaires indiennes soient au courant de la logistique, de la structure sociale et de la dynamique des Premières nations dans la région où ils offrent des services. Comment peut-on parler de quelque chose qu'on n'a jamais vu? Il faut attribuer une part de responsabilité aux gestionnaires qui sont censés défendre les intérêts des Autochtones.
La Première nation dont je fais partie compte plus de 4 400 membres et enregistre des déficits tous les ans, alors que d'autres Premières nations qui ont peut-être, disons, 80 membres affichent des excédents dans leur budget de l'éducation. Il y a moyen de régler ces disparités.
Je sais que les chefs de l'Ontario essaient de remédier à la situation. Ils cherchent un moyen pour que les petites collectivités des Premières nations qui enregistrent des excédents puissent acheminer de l'argent aux grandes collectivités autochtones aux prises avec d'énormes déficits.
Ce transfert devrait être effectué par le ministère qui s'est vu confier cette responsabilité. Les gestionnaires doivent se rendre aux collectivités des Premières nations afin de comprendre les enjeux et la dynamique.
C'est ainsi que nous viendrons à bout de la gestion irresponsable. On ne peut pas tout mettre sur le dos des Premières nations. Nous invitons les gestionnaires à venir nous rendre visite n'importe quand. Venez à Walpole Island et voyez comment fonctionne notre dynamique sociale. Le très honorable Paul Martin a pris le temps, malgré son horaire très chargé, de passer une journée à Walpole Island.
Le sénateur Brazeau : Vous avez parlé de la responsabilité des gestionnaires du MAINC et du ministère. Une fois que le ministère verse des fonds à l'éducation, n'incombe-t-il pas toujours au MAINC d'assurer la prestation des services éducatifs et de surveiller comment ces fonds sont dépensés dans la réserve? Et qu'en est-il de la responsabilité des Premières nations? Les dirigeants des Premières nations réclament plus de pouvoirs relativement à leurs affaires internes. C'est bien beau. Mais, à un moment donné, la Première nation doit assumer une part de responsabilité afin de s'assurer que l'argent qu'elle reçoit pour l'éducation est dépensé dans l'intérêt de ses élèves. Je ne vois pas comment on peut dire que c'est la faute du MAINC, puisque c'est la Première nation qui dépense ses fonds. Les collectivités des Premières nations doivent consacrer cet argent à l'éducation. Si elles ne le font pas, à qui la responsabilité?
M. Isaac : Notre Première nation a accumulé un déficit de 1 million de dollars sur une période de deux ou trois ans. Nous ne sommes pas une de ces Premières nations qui affichent un excédent. Alors, je ne peux pas parler en leur nom. Par contre, je peux parler des responsabilités de la gestion. Le sénateur Demers aurait-il été un bon directeur ou entraîneur d'une équipe de hockey s'il n'avait jamais mis les pieds sur une patinoire? Supposons que tout ce qu'il faisait, c'était d'accorder du financement et de dire aux membres de l'équipe : « Bon, maintenant, à vous de gagner la coupe Stantley. », mais qu'en cas de défaite, il réagissait en disant : « Que s'est-il passé? Je vous ai donné ce dont vous aviez besoin. » Je fais cette analogie pour parler des déficits dans nos régions. S'il y a des excédents dans d'autres régions, les gestionnaires chargés de surveiller les régions devraient transférer les montants excédentaires qu'enregistrent ces régions, surtout si c'est sur une base régulière. Dans notre cas, nous accusons régulièrement des déficits et nous souhaitons en venir à bout. Il s'agit d'un simple exercice de gestion qui consiste à prendre les excédents et à les déplacer là où il y a des déficits pour essayer d'établir un équilibre.
Notre financement représente environ la moitié de l'équivalent provincial. Mais nous sommes quand même tenus de fournir des services éducatifs de la même qualité et selon les mêmes normes. J'entends les conservateurs parler d'excédents et de mauvaise gestion des fonds des Premières nations. Or, ce n'est pas le cas. Rares sont les collectivités des Premières nations qui ressemblent à des villes comme Toronto ou Ottawa. En fait, la plupart des membres des Premières nations vivent sous le seuil de la pauvreté; ils vivent dans des ghettos. Nous avons un taux de chômage de près de 50 p. 100, un pourcentage élevé d'assistés sociaux et des taux de suicide élevés. Bref, on trouve probablement tous les indicateurs sociaux négatifs, à leur niveau le plus élevé, dans chacune des collectivités des Premières nations. Il y a bien une raison à cela, et il incombe au gouvernement de trouver la réponse. Si les gestionnaires se rendaient dans les collectivités des Premières nations, peut-être qu'ils auraient une meilleure idée de la façon de régler les problèmes et d'améliorer la situation.
Le sénateur Brazeau : Ce ne sont pas juste les conservateurs qui parlent d'excédents et de mauvaise gestion. Les contribuables du Canada veulent avoir la certitude que l'argent qu'ils paient sous forme d'impôts procure des avantages réels aux élèves autochtones. C'est un sujet qui préoccupe les Canadiens.
Si vous croyez qu'on devrait transférer le financement excédentaire de certaines collectivités autochtones vers celles qui ont besoin de ressources, allez-vous vraiment trouver un directeur d'école ou un chef des Premières nations qui serait disposé à renoncer à son surplus?
M. Isaac : Conformément à l'esprit et à l'intention de nos traités et en collaboration avec nos partenaires non autochtones, on a insisté sur un point bien précis : le partage. À ma connaissance, nous participons à un partage des recettes provenant de l'exploitation des ressources. C'est sans oublier l'obligation de consultation et d'accommodement. En tant que membres des Premières nations, nous devrions avoir un certain droit aux ressources du pays. Le hic, c'est que les ressources n'ont pas été distribuées équitablement. Voilà pourquoi nous vivons dans la pauvreté, alors que d'autres s'enrichissent.
Je n'essaie pas de critiquer les conservateurs. Je reconnais l'importance de certaines des mesures qu'ils ont prises. Toutefois, à mon avis, la responsabilité revient aux gestionnaires — tant à l'échelle fédérale, c'est-à-dire le MAINC, qu'à l'échelle provinciale. Peu importe le pallier, il faut régler la question le plus rapidement possible.
Le sénateur Brazeau : N'oubliez jamais que ce sont les libéraux qui ont créé la Loi sur les Indiens et que ce sont les conservateurs qui défendent les intérêts des Autochtones.
Le sénateur Patterson : J'aimerais revenir à une question posée par le sénateur Stewart Olsen. Il est répugnant de voir les iniquités qui existent entre les enseignants financés par les bandes et ceux financés à l'échelle provinciale. Le comité et le ministère examinent avec grand intérêt les accords tripartites. En 2008, le ministère a créé le Programme des partenariats en éducation afin d'amener les provinces et les Premières nations à conclure des accords de partenariat.
Vous avez parlé de votre crainte que les accords tripartites soient une occasion pour le gouvernement fédéral de refiler aux provinces ses obligations solennelles prises dans le cadre des traités. Manifestement, l'accord tripartite comme tel pourrait régler de telles préoccupations. Les Premières nations partout au pays viennent à bout de ce problème. Il y a des dispositions de non-dérogation à toute épreuve. L'accord pourrait donc être conclu sans porter atteinte aux droits fondamentaux issus des traités, droits qui sont protégés en vertu de l'article 35. Je vais me faire l'avocat du diable et vous poser la question suivante : si telle est la voie vers laquelle nous nous dirigeons, n'y a-t-il pas lieu de surmonter cet obstacle tout en respectant les droits conférés par les traités?
M. Isaac : Comme mes aïeux me l'ont appris, tout est possible. Je n'ai pas le pouvoir de signer un accord au nom de ma Première nation ni au nom des autres Premières nations du Canada. Toutefois, je tiens à exprimer clairement la préoccupation dont m'ont fait part bon nombre des membres du conseil des Premières nations et des chefs partout au Canada. Ce qui compte pour moi, c'est de faire passer ce message. Nous voulons savoir que notre voix se fait entendre.
Je serais heureux de passer en revue un accord éventuel ou d'envisager une négociation. Comme je l'ai dit, on devrait consulter les Premières nations et obtenir leur consentement, de sorte qu'on aboutisse à un accord qui respecte leurs champs de compétence. Dans mon domaine de compétence, je sais ce que j'accepterais et ce que je n'accepterais pas dans un accord. Voilà pourquoi je suis ici aujourd'hui : pour parvenir à une entente. Je vous ai fait part de mes préoccupations relativement aux accords tripartites, mais, si on peut régler ces craintes et si l'accord proprement dit ne présente aucun problème du point de vue juridique, nous serons disposés à y jeter un coup d'œil.
Mon autre recommandation serait d'inclure les Premières nations dans le processus en vue de régler ces questions. À l'heure actuelle, le processus nous est imposé. On ne consulte pas les Premières nations quand vient le temps de trouver des solutions dans le secteur de l'éducation ou dans d'autres domaines. Comme je l'ai dit, conformément à l'esprit et à l'intention des traités, on doit tout partager, qu'il s'agisse des connaissances, des ressources ou des personnes. Il faut inclure les Premières nations dans le processus, au lieu de leur imposer des lois en disant : « Voilà la nouvelle loi; lisez- la, apprenez-la et respectez-la. » Ainsi, il y aurait une plus grande participation de la part des Autochtones, qui se sentiraient respectés. Dans la situation actuelle, le partage n'est pas mutuel, mais unilatéral. Tout le monde réagirait ainsi dans une relation à sens unique. Une fois qu'on en viendra à un partage réel et à l'inclusion des Premières nations dans le processus, la réticence fera place à une confiance accrue entre les parties concernées. Nous pourrions tous profiter du processus.
Le sénateur Patterson : Je suis d'accord : il faut un partenariat réel qui soit axé sur le respect mutuel.
Vous avez parlé des mesures législatives. Je me demande si vous avez réfléchi aux dispositions sur l'éducation dans la Loi sur les Indiens qui, comme vous le savez probablement, datent de 1927 et portent sur l'école buissonnière et la fréquentation scolaire. Il va de soi que ces dispositions sont désuètes.
Un des mandats du comité est de déterminer quoi faire avec les dispositions de la Loi sur les Indiens concernant l'éducation, dispositions qui ont évidemment besoin d'être examinées et modernisées. Je sais que vous venez de nous prévenir des lois qu'on vous impose, mais avez-vous songé aux nouvelles dispositions en matière d'éducation qu'on pourrait inclure dans la Loi sur les Indiens, si le comité recommandait de moderniser la loi? Que devrait-on y ajouter?
M. Isaac : Lorsqu'on a bâti le Canada, on a divisé les responsabilités entre les provinces et le gouvernement fédéral. La terre, par exemple, relève des provinces. Si le gouvernement fédéral avait su, à l'époque, que la terre allait procurer toutes ces ressources et ces recettes, il aurait peut-être voulu consolider sa mainmise, au lieu de tout donner aux provinces.
Le sénateur Patterson : Il a gardé sa mainmise dans le Nord.
M. Isaac : Quoi qu'il en soit, on doit regarder la date à laquelle ces accords ont été élaborés et tenir compte de la mentalité et des principales préoccupations de l'époque. Alors, dans cette optique, il est vrai que n'importe quelle politique ou loi doit être révisée de temps en temps.
La Loi sur les Indiens est un vieux document qui est nettement dépassé. Elle n'est pas conforme aux droits de la personne en général ni à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Elle n'est pas conforme à bien d'autres conventions. On parle beaucoup de la possibilité d'abolir la Loi sur les Indiens et on se demande par quoi on pourrait la remplacer. Là encore, j'aimerais voir une collaboration entre les gouvernements des Premières nations et le gouvernement du Canada. Il y a plusieurs dispositions qu'on pourrait inclure dans le volet éducation de la Loi sur les Indiens. Comme vous l'avez dit, rien dans la loi ne porte précisément sur l'éducation, mis à part quelques dispositions sur l'école buissonnière et la fréquentation scolaire.
En comparaison, si on regarde la Loi sur l'éducation de l'Ontario, on constate que c'est un document assez volumineux et détaillé. C'est probablement plus long que la Loi sur les Indiens dans son intégralité.
Si on parvenait à trouver les dispositions nécessaires en matière d'éducation et qu'on les ajoutait à la Loi sur les Indiens, on devrait assurer leur caractère inclusif. On ne peut pas limiter la loi à tout simplement quelques idées qui remontent à une époque lointaine parce que la situation a tellement évolué depuis et que la portée des questions est maintenant beaucoup plus vaste.
La vice-présidente : Monsieur Isaac, vous avez parlé de l'écart du financement entre un élève qui vit dans la réserve et un élève qui fréquente une école hors-réserve, soit un financement respectif de 4 800 $ par rapport à 9 600 $. Lors de nos audiences dans les Maritimes, des témoins nous ont dit que si un élève de leur réserve fréquentait une école hors- réserve, la facture s'élevait à 9 600 $, et les bandes devaient payer la différence. Est-ce la même situation dans votre bande? Si vous avez un élève qui fréquente une école hors-réserve, votre bande doit-elle payer des frais de scolarité plus élevés, et cela contribue-t-il à votre déficit dans le financement de l'éducation?
M. Isaac : Nous avons une école primaire qui offre des cours jusqu'en 8e année. Après la 8e année, nos étudiants fréquentent une école secondaire aux termes d'une entente sur les frais de scolarité avec les écoles secondaires. Cela me dépasse vraiment. Nous n'avons pas assez de fonds pour offrir le programme au niveau primaire, mais quand les élèves vont à l'école secondaire, les frais de scolarité triplent presque, parce que l'éducation secondaire coûte plus cher que l'éducation primaire. Le MAINC ne se pose pas de question et, peu importe le montant fixé, on le paie.
La vice-présidente : On le paie?
Le sénateur Raine : C'est pour les écoles hors-réserve?
M. Isaac : Pour les écoles secondaires. En vertu de la Loi sur les Indiens, lorsque des élèves vivent dans des réserves et fréquentent une école catholique hors-réserve, nous devons assurer le financement. Nous payons pour ces élèves. Par contre, nous ne payons pas pour les autres écoles hors-réserve où les parents choisissent d'envoyer leurs enfants.
La vice-présidente : Votre formule de financement est donc différente.
M. Isaac : C'est conforme à la Loi sur les Indiens.
Le sénateur Stewart Olsen : Je félicite la présidence d'avoir convoqué un seul témoin aujourd'hui pour qu'il ait plus de temps à répondre aux questions.
Au début, je pensais que notre rapport devait inclure des recommandations destinées, d'une part, aux Premières nations en milieu urbain et, d'autre part, aux Premières nations en milieu rural. D'après ce que vous avez dit, supposons que les trois parties en venaient à négocier un accord tripartite sur un programme scolaire de base et que le MAINC prenait ensuite des mesures pour fournir un programme culturel, qui serait négocié avec chaque bande pour que ce soit plus facile à gérer, au lieu d'appliquer une solution mur à mur. Je doute qu'il soit facile de négocier et d'inclure l'aspect culturel dans le tout.
Toutefois, nous pourrions essayer de conclure un accord tripartite sur un programme scolaire de base qui serait le même pour tout le monde dans la province, puisqu'il y a des cours de base que tous les élèves doivent suivre. Ensuite, il y aurait un aspect culturel, comme la langue, l'histoire ou un cours spécial qui conviendrait mieux à certaines Premières nations qu'à d'autres.
Pensez-vous qu'une telle approche refléterait mieux les besoins des Premières nations que ce qu'on envisage de faire, c'est-à-dire négocier un accord mur à mur qui ferait entrer tout le monde dans le même moule?
M. Isaac : Je respecte votre point de vue et je vous suis reconnaissant de préconiser la négociation. Encore une fois, il m'est difficile de me prononcer sans avoir vu la documentation, mais à mon avis, nous nous dirigeons dans la bonne voie. Je pense que vous êtes à l'écoute des gens et que les Canadiens sont très chanceux de vous avoir ici. J'aime cette approche et cette idée.
Comme l'a dit le sénateur Patterson, tout est possible. Plus on inclut les Premières nations, mieux c'est. Comme vous dites, nous ne pouvons pas adopter une approche pancanadienne. J'aime vraiment ces idées.
Le sénateur Raine : Il est bon d'avoir un peu plus de temps que d'habitude.
Notre comité s'est rendu dans les Maritimes et en Saskatchewan. Bien entendu, la situation diffère d'une région à l'autre, mais il y a un fil conducteur. Je songe entre autres à la quantité de rapports et de paperasserie qui circulent entre l'administration d'un système scolaire dans une réserve et le MAINC. Recevez-vous une rétroaction pour vous aider dans le cadre de votre planification, ou avez-vous l'impression de présenter des rapports qui finissent par dormir sur les tablettes?
M. Isaac : Oui, je dois admettre que nous avons cette impression. Nous envoyons parfois des rapports qui montent presque jusqu'au plafond sur différentes questions, et pas seulement sur l'éducation; en vertu des ententes globales de financement, ou les EGF, nous devons rendre compte de chaque dollar dépensé par la bande. Nous produisons de nombreux rapports. Nous sommes d'ailleurs en plein processus de préparation de rapports, puisque la fin de l'exercice financier arrive à grands pas; nous devrons donc présenter tous ces rapports, effectuer toutes les vérifications requises et mettre en place des freins et contrepoids. Cela prend beaucoup de temps — temps que nous aurions autrement consacré à la prestation des services.
Nos ressources financières et humaines sont limitées. Nous ne disposons pas de personnel de soutien pour préparer tous ces rapports et maintenir la cadence. Nos employés font des heures supplémentaires pour remplir l'exigence des ententes globales de financement. En même temps, ils accomplissent leurs tâches principales et offrent des services. Il s'agit là d'un gros problème.
D'autres personnes l'ont déclaré plus d'une fois : une fois que ces rapports volumineux se retrouvent sur les tables du Sénat ou de la Chambre des communes, ils ne font qu'aboutir à une note d'information.
Le sénateur Raine : Je ne pense même pas que nous en recevions une.
M. Isaac : On se demande tout le temps combien de ces rapports finissent par se retrouver entre les mains des personnes auxquelles ils sont destinés.
Le sénateur Raine : Pour autant que je sache, l'exercice financier ne correspond pas à l'année scolaire; il est donc encore plus difficile d'assurer une gestion logique de la prestation des services éducatifs.
M. Isaac : En effet. Nous nous en sommes plutôt bien sortis dans le passé parce que nous examinons l'année scolaire, même si nous devons tenir compte des dépenses engagées durant l'exercice financier. C'est juste une question de freins et de contrepoids. Comme je l'ai dit, nous avons des professionnels qui gèrent ces domaines et qui s'occupent des fonds pour s'assurer qu'il n'y a pas d'interruption de service et que tout est là.
Nous avons enregistré un déficit assez important pour pouvoir être à la hauteur des normes élevées que nous nous sommes fixées. Si nous avions des ressources suffisantes pour entreprendre les initiatives voulues dans l'intérêt de nos élèves méritent —, nous ne serions pas aux prises avec ces problèmes.
Le sénateur Raine : Quand vous dites avoir un déficit, utilisez-vous vos recettes de sources propres? D'où viennent vos recettes?
M. Isaac : Comme vous le savez, le pays a été frappé par une récession, et les Premières nations n'ont pas été épargnées. Les recettes de sources propres de Walpole Island proviennent, en gros, de deux secteurs. Il y a d'abord le secteur de la chasse et de la pêche, plus précisément des clubs qui attirent dans la région des gens qui ont de l'argent pour faire des expéditions de chasse ou de pêche. Nous tirons une partie de nos recettes de cette source. L'autre partie provient des activités d'une ferme locale assez prospère qui existe depuis 20 ans et qui s'étend sur environ 600 acres ou plus.
Voilà donc les sources de nos recettes, mais elles ne procurent probablement que 1 million de dollars par année. Ce n'est pas beaucoup. Quand on a un déficit de 1 million de dollars en éducation seulement sur deux ans, cela gruge une bonne part de nos recettes.
Le sénateur Raine : Je vous félicite d'investir dans l'avenir.
Nous avons vu les difficultés qui existent partout au pays. Nous avons également vu des exemples qui montrent comment les Premières nations ont leurs propres besoins en matière de rapports, pour ce qui est de suivre leurs élèves tout au long du système. Toutefois, cela ne correspond pas nécessairement aux exigences du MAINC. Par conséquent, vous devez utiliser deux systèmes de suivi différents. Ce serait bien si on pouvait trouver une solution à ce problème.
M. Isaac : En effet. Dans sa sagesse infinie, le MAINC vient de changer ses exigences en matière de rapports, et tous nos employés ont dû suivre une formation pour répondre à ces nouvelles exigences, qui sont plus strictes et qui nécessitent plus de paperasse et plus de temps. Nous devons consacrer temps et argent pour satisfaire aux besoins du MAINC ou pour s'occuper des éléments que le MAINC nous impose. À défaut de quoi, le MAINC mettra fin à notre financement. Nous sommes entièrement conformes aux ententes globales de financement. Ce serait bien si on respectait aussi nos besoins.
Le sénateur Raine : Vous avez dit tout à l'heure que les enseignants qui sont membres des Premières nations ne reçoivent pas d'avantages sociaux. Par contre, un enseignant non autochtone qui vient de l'extérieur pour enseigner dans la réserve touche un salaire ainsi que des avantages sociaux. Comment cela se fait-il?
M. Isaac : Je suppose que c'est à cause de la loi. Ce n'est que depuis environ 10 ans que les Premières nations ont le droit de cotiser au Régime de pensions du Canada.
Notre école existe depuis près de 50 ans. Nous n'avons reçu aucune augmentation financière. Pensez à ce qu'il en coûte pour payer un seul salaire. Nous accusons un déficit déjà sur le plan des salaires, sans parler des avantages sociaux.
La loi stipule que nous devons offrir des avantages sociaux aux Canadiens non autochtones. Cela ne fait aucun doute. Toutefois, c'est à la discrétion de la Première nation d'offrir des avantages sociaux aux enseignants qui sont membres des Premières nations. À l'époque, il y a eu un vote là-dessus. C'était tout ou rien. Les gens devaient décider s'ils voulaient investir dans leur avenir et leur retraite ou s'ils voulaient toucher plus d'argent sur leurs chèques de paye. Beaucoup de personnes, y compris les membres du syndicat pour lequel je travaille, ont malheureusement opté pour le deuxième choix.
À l'heure actuelle, nous envisageons d'examiner la situation. Cependant tout est question d'argent. Soit que nous allons alourdir notre déficit pour payer les avantages sociaux de ces enseignants, soit que nous allons demander plus de ressources pour répondre à ce besoin.
Le sénateur Raine : Ce n'est pas facile.
Le sénateur Dallaire : La modification apportée au système de rapports est un des résultats directs du projet de loi C- 2. Vous n'êtes pas les seuls; tout le monde au sein du gouvernement fédéral est assujetti à la Loi fédérale sur la responsabilité. On gaspille ainsi une énorme quantité d'arbres et d'encre.
Les formalités administratives auxquelles vous êtes assujettis me rappellent la façon dont l'ACDI collabore avec les pays en développement et gère les projets sur le terrain. Il faut rédiger une thèse de maîtrise chaque fois qu'on veut obtenir un quelconque support. Je me demande si l'ACDI et le MAINC partagent la même philosophie à l'égard des règles. Je ne sais pas laquelle de ces deux organisations le fait avec le plus de succès.
Vous avez dit que des gens qui n'avaient jamais visité une réserve étaient mal placés pour prendre des décisions à leur sujet. Je me réfère au personnel du MAINC. Vous avez utilisé le sénateur Demers comme exemple. Il serait intéressant pour le comité de visiter les gens qui travaillent au MAINC dans le secteur de l'éducation et de leur parler plutôt que d'obtenir toutes nos nouvelles auprès des DG, des SMA et des SM. Pourquoi ne nous adressons-nous pas à eux? Cela leur remonterait peut-être le moral. Cela remonterait peut-être le nôtre si nous parlions aux gens qui sont chargés de prendre de telles décisions.
Nous venons de mener un important exercice par rapport à une mesure législative sur l'eau. Le MAINC avait l'impression qu'il était absolument nécessaire que nous répondions aux besoins des Premières nations et que nous gérions les fonds et les projets visant à les approvisionner en eau potable. Je pense que la vérificatrice générale l'a fait, mais le processus n'en est pas nécessairement plus efficace pour autant.
Le secteur de l'éducation ne dispose d'aucune mesure législative qui lui permet de couvrir la somme. Il n'a certainement pas le pouvoir législatif de confier au MAINC le mandat d'établir des règlements, d'assurer les niveaux de financement nécessaires ou de répondre aux besoins, par exemple, en matière d'infrastructure, afin de mettre en œuvre un système d'éducation aussi complexe que celui que nous avons créé au sein de ce régime fédéral-provincial archaïque.
Devrions-nous recommander l'élaboration d'une mesure législative détaillée qui assujettirait le ministère à des règlements et lui donnerait le pouvoir d'obtenir les fonds nécessaires pour répondre à vos besoins?
M. Isaac : Je suis d'accord avec ce que je crois entendre. Il y a trois ans, nous avons exercé des pressions sur notre député local. Il a informé...
Le sénateur Dallaire : Vous n'êtes pas censé avoir un député. Vous appartenez à une nation distincte.
M. Isaac : Oui, mais nous sommes...
Le sénateur Dallaire : Quoi qu'il en soit, il y en a un à l'échelle locale.
M. Isaac : Lorsque nous exercions des pressions sur lui pour obtenir des fonds, il a déclaré que le gouvernement avait investi une certaine somme — j'oublie le montant exact — dans l'éducation. Toutefois, cet argent n'est jamais parvenu à la Première nation. À l'époque où nous lui parlions, nous n'étions pas en mesure de lui expliquer ce qui était advenu de cet argent.
Il nous a dit : « Nous venons d'investir tout cet argent dans l'éducation. Où est-il passé? » Quelque temps après, nous avons mené une enquête, et nous avons découvert que le MAINC l'avait utilisé pour accroître son appareil bureaucratique. J'aimerais que le gouvernement prenne ses responsabilités et surveille ses divers ministères afin de découvrir où ces fonds sont dépensés.
Ils passent des coffres de l'État à d'autres poches. Il serait normal que vous vérifiiez où ils sont allés exactement. Je suis ici aujourd'hui pour vous dire que ces fonds ne nous parviennent pas, à nous, les Premières nations, les élèves, les enseignants et les membres du personnel, qui en avons besoin.
Si cela pouvait se produire, ce serait merveilleux. Peut-être que l'argent investi pourrait être utilisé à meilleur escient. Peut-être que le financement est adéquat. Cependant, je ne sais pas où ces dollars sont dépensés. Dieu sait que nous rendons pleinement compte des dollars que nous recevons.
Le sénateur Dallaire : Combien d'élèves de la maternelle à la 12e année sont sous votre responsabilité?
M. Isaac : Nous venons de mettre sur pied une prématernelle à temps plein, conformément aux directives de la province. Malheureusement, nous n'avons pas les moyens d'embaucher des éducateurs de la petite enfance, comme la province l'exige également. Dans ma Première nation, il y a environ 400 élèves, de la prématernelle à la 12e année.
Le sénateur Dallaire : À quand remonte la dernière fois où vous avez fait construire une nouvelle installation scolaire dans votre région, comme un gymnase ou une piscine?
M. Isaac : Je pense que notre école a été construite en 1954 ou 1957. Elle est restée essentiellement la même à l'exception de quelques adjonctions. J'ignore quand la plus récente adjonction a été...
Le sénateur Dallaire : Vous avez répondu à la question.
M. Isaac : C'était il y a longtemps.
Le sénateur Lovelace Nicholas : La formule utilisée pour allouer des fonds à une Première nation, comme votre collectivité de 4 000 membres, est-elle identique à celle employée à l'échelle canadienne?
M. Isaac : Notre collectivité compte plus de 4 000 membres.
Le sénateur Lovelace Nicholas : La mienne en compte 2 500. La formule arrive-t-elle à la même somme?
M. Isaac : À ma connaissance, oui. Je ne sais pas qui a élaboré ces formules ou comment elles ont été élaborées.
Le sénateur Lovelace Nicholas : Faites une hypothèse.
M. Isaac : Il existe certains seuils, mais, en raison de la nouvelle mesure législative découlant de l'affaire McIvor, nous avons hâte que notre population atteigne 5 000 habitants. Lorsque nous aurons atteint ce seuil, nous recevrons des fonds supplémentaires. C'est fondé sur une échelle, tout comme l'éducation.
Je ne connais pas les chiffres exacts, mais supposons que votre école compte 100 à 200 élèves. Votre financement est identique que vous instruisiez 100 élèves ou 199 élèves. Il est beaucoup plus facile de répondre aux besoins de 100 élèves avec cet argent qu'à ceux de 199 élèves.
J'aimerais bien savoir qui a élaboré ces formules de financement et comprendre la logique qui les sous-tend, mais j'aimerais surtout qu'elles soient révisées.
Le sénateur Lovelace Nicholas : Nous avons entendu parler du plafond de 2 p. 100. Certaines personnes affirment qu'il n'y a aucun plafond, mais vous dites qu'il y en a un. Si ce plafond était éliminé, cela aiderait les Premières nations à financer leur éducation et à gérer les nouveaux membres qui arrivent en raison de l'affaire McIvor. Cette mesure viendrait-elle en aide aux Premières nations?
M. Isaac : Même sans l'affaire McIvor, l'élimination de ce plafond aiderait énormément notre Première nation, notre effectif étudiant actuel et les membres de notre personnel.
Ce plafond a été instauré il y a 15 à 17 ans. Il nous empêche de suivre le rythme de l'inflation, du coût de la vie, du coût des infrastructures, du coût des fournitures et de toutes les autres choses qui augmentent. Il nous est simplement impossible de progresser au même rythme.
La vice-présidente : Je remercie tous les sénateurs de leurs questions, et je remercie notre témoin, M. Isaac. Vous avez répondu à toutes nos questions aujourd'hui, dont quelques-unes qui étaient d'un grand intérêt. Comme le sénateur Stewart Olsen l'a dit, vous êtes notre seul témoin, et vous avez admirablement répondu à bon nombre de nos questions. En tant qu'ancienne professeure et administratrice d'université, j'affirme que vous avez réussi votre doctorat en défense orale avec brio.
(La séance est levée.)