Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles
Fascicule 7 - Témoignages du 3 juin 2010
OTTAWA, le jeudi 3 juin 2010
Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd'hui, à 8 h 5, pour examiner l'état actuel et futur du secteur de l'énergie du Canada, y compris les énergies de remplacement (sujet : l'exploration et le forage pétroliers et gaziers au large des côtes du Canada : situation actuelle des activités/règles et règlements applicables.
Le sénateur W. David Angus (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Je déclare ouverte la présente séance du Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles. Je souhaite la bienvenue à M. Craig Stewart, qui témoignera devant nous ce matin. Je souhaite également la bienvenue aux personnes qui se trouvent dans la salle et à celles qui suivent nos débats sur la chaîne parlementaire CPAC ou sur Internet.
La présente réunion du comité, laquelle s'inscrit dans le cadre de l'étude que nous menons sur le secteur de l'énergie dans l'optique de l'élaboration d'un cadre stratégique pour une politique énergétique canadienne pour l'avenir, la présente séance, dis-je, revêt un caractère particulier en raison de l'épouvantable catastrophe qui a lieu dans le golfe du Mexique. Si je ne m'abuse, 45 jours se sont écoulés depuis ce terrible accident survenu sur la plate-forme Deepwater Horizon. La population canadienne est de plus en plus anxieuse quant à la situation au pays et à la possibilité qu'un tel désastre survienne prochainement au large de nos côtes. Nous avons décidé de tenir des audiences particulières simplement pour mener une enquête sur les faits afin d'éduquer et d'informer les Canadiens sur la question de savoir si des activités de forage et d'exploration sont en cours dans l'un ou plusieurs des océans qui entourent le Canada, à savoir l'océan Pacifique, l'océan Arctique et l'océan Atlantique. Le cas échéant, nous tenterons d'établir le nombre et l'ampleur des mécanismes de surveillance et de réglementation qui sont en place.
À ce jour, nous avons appris qu'il n'y avait actuellement aucune activité de forage en cours sur la côte Ouest ou dans l'océan Arctique. Il existe des projets visant ces régions. Cela dit, de nombreuses activités se déroulent sur la côte Est. Notre objectif consiste à déterminer ce qui se passe là-bas, et, nous l'espérons, de dissiper les craintes du public, lequel a indiqué, dans le cadre de sondages, qu'il souhaitait que l'on décrète immédiatement un moratoire sur toutes les activités d'exploration et de forage pétroliers et gaziers, activités qui représentent, dans les faits, une part importante de l'économie canadienne. Si un moratoire n'est pas nécessaire, nous devons savoir pourquoi, et nous assurer que la population canadienne comprenne ce qui se passe véritablement. C'est la raison pour laquelle nous sommes ici.
Ce matin, nous avons la chance de recevoir M. Craig Stewart, directeur du bureau d'Ottawa du Programme de l'Arctique du Fonds mondial pour la nature-Canada, connu sous le nom de WWF-Canada. Ce n'est pas la première fois que M. Stewart vient faire part de ses connaissances à un comité de la Chambre des communes qui se penche sur des questions liées au forage au large des côtes. Lui et moi avons également eu une discussion à ce sujet. M. Stewart est conscient de la portée de notre mandat, dans la mesure où il comprend que ce qui nous intéresse, c'est non pas de savoir ce que nous ferons si jamais un incident se produisait ou quelle politique nous devrions adopter, mais plutôt d'établir les faits de manière à ce que les gens puissent comprendre la situation actuelle et déterminer par eux-mêmes si les activités qui se déroulent sur la côte Est posent problème, étant donné que nous avons appris qu'aucune activité de forage n'était en cours à ce moment-ci sur la côte Ouest ou dans l'Arctique.
M. Stewart occupe son poste de directeur au sein du Fonds mondial pour la nature depuis février 2008. Il possède une expertise dans les secteurs de l'élaboration et de la mise en œuvre de politiques internationales et intérieures novatrices, de la sensibilisation stratégique axée sur les solutions, de l'analyse des affaires publiques, de la création de groupes d'intérêt par le truchement de partenariats, de la gestion de crise, de la rédaction et de la diffusion de politiques, de l'art oratoire et des activités d'interprétation, en plus d'être guide de montagnes. J'ignore, monsieur Stewart, si vous trouvez le temps de manger et de voir vos amis, mais je sais que l'organisation que vous représentez est très respectée et jouit d'une excellente réputation à l'échelle mondiale, que vous possédez une bonne connaissance des huit pays qui mènent régulièrement des activités d'exploration et de forage au large des côtes et que vous comprenez bien les régimes de réglementation applicables et les situations les plus récentes à ce chapitre.
Nous devons quitter la salle à 10 heures, et nous devons prévoir un certain temps pour l'examen de notre budget. Je viens de distribuer aux membres des documents pertinents — ainsi, nous serons en mesure de faire quelques progrès à cet égard, à compter de 9 h 45, si tout va bien.
Nous avons une heure et demie devant nous, ou un peu plus. Nous avons hâte d'entendre ce que vous avez à dire, monsieur Stewart. Après votre exposé, nous vous poserons des questions.
Craig Stewart, directeur, Programme de l'Arctique, WWF-Canada : Bonjour, honorables sénateurs, et merci beaucoup de m'avoir invité à vous présenter un exposé aujourd'hui.
Le Fonds mondial pour la nature travaille de façon active et constructive avec l'industrie pétrolière et gazière, depuis la mer de Barents, en Norvège, jusqu'à la mer de Timor, en Australie. Depuis des décennies, nous acquérons de l'expérience de travail auprès de gouvernements et d'entreprises partout dans le monde et, bien que nos opinions respectives puissent parfois être divergentes, nous avons néanmoins réalisé de grandes choses ensemble.
Nous avons besoin de pétrole, mais le pétrole se fait de plus en plus rare. Nous devons diminuer notre consommation de pétrole, mais l'élaboration des solutions de rechange exigera quelque temps. Ces simples faits cadrent le débat provoqué par la catastrophe qui perturbe actuellement le golfe du Mexique.
Non, du pétrole ne s'échappe pas de plates-formes de forage en mer dans les eaux canadiennes. Aucune calamité commandant une action immédiate ne menace actuellement notre pays. Aucune catastrophe n'a encore mis notre système de réglementation à l'épreuve ou exposé les défaillances de ce système comme ce fut le cas aux États-Unis et en Australie au cours de la dernière année. WWF a même récemment recommandé à l'Australie d'adopter certaines parties du Règlement sur le forage et la production de pétrole et de gaz au Canada modifié.
Pourtant, la proximité temporelle des catastrophes survenues dans le golfe du Mexique et dans la mer de Timor, des catastrophes qui se sont produites à quelques mois d'intervalle et dans deux des pays les plus industrialisés de la planète, devrait nous donner matière à réflexion. Le forage en mer est une activité complexe sur le plan technique, même en eau peu profonde. Des experts de l'industrie ont comparé le forage d'un puits d'une profondeur de sept kilomètres, à plus de un kilomètre sous la surface de l'eau, même en l'absence de glaces, d'orages ou de noirceur, à « marcher sur la corde raide ». Il y a une bonne raison pour laquelle les travailleurs sur les plates-formes de forage touchent une prime de risque.
Devons-nous attendre qu'une catastrophe survienne en eaux canadiennes avant de pallier aux lacunes évidentes de notre système? N'avons-nous pas été témoins d'assez de dommages pour maintenant adopter une attitude proactive? Tout comme moi, vous savez qu'il est rare qu'on puisse suffisamment canaliser la volonté et l'énergie politiques pour provoquer de véritables changements. Le moment présent y est pourtant très propice.
À l'instar de celui de plusieurs autres nations, notre cadre réglementaire repose sur des leçons apprises à la suite de l'explosion de la plate-forme Piper Alpha. L'accident est survenu en 1988 en pleine mer du Nord et a tué 167 personnes. Cependant, contrairement aux États-Unis, à la Norvège et au Groenland, nous ne réglementons pas les décisions concernant si ou où nous pouvons forer en mer. Même la réglementation canadienne qui dicte comment forer fait fi de certaines recommandations fondamentales formulées au terme de l'enquête sur l'accident de la plate-forme Piper Alpha, et c'est cela dont je voudrais vous parler aujourd'hui, dans une perspective nationale.
Je ne répéterai pas ici intégralement le témoignage que j'ai livré au Comité permanent des ressources naturelles de la Chambre des communes le 25 mai. Cette présentation est au dossier et vous en avez un exemplaire devant vous. Veuillez vous référer au tableau que je vous ai remis. Il s'agit d'un tableau qui compare le Canada avec la Norvège, les États-Unis et le Groenland et où sont décrits les règlements s'appliquant dans chacun de ces pays. Il est de couleur bleue.
Le président : Je vous souligne au passage, monsieur, que nous avons tous entendu l'annonce concernant les activités d'exploration et de forage envisagées au Groenland. Ainsi, si vous avez l'occasion de nous dire quoi que ce soit à propos des répercussions que pourraient avoir ces activités sur le Canada ou des risques qu'elles pourraient poser, nous vous en saurions gré.
M. Stewart : D'accord. Comme vous pouvez le voir sur le tableau, le Canada dispose d'un processus réglementaire en ce qui concerne la manière dont se déroulent les activités de forage — cela est indiqué par la ligne au bas du tableau. Cependant, pour ce qui est du tout début du processus, le Canada n'a aucun processus réglementaire en place pour autoriser ou refuser les activités de développement pétrolier et gazier dans l'Arctique. En conséquence, le gouvernement du Canada accorde des permis d'exploration et conclut des ententes d'une valeur de plusieurs millions de dollars, et qui peuvent même atteindre le milliard de dollars, avec des sociétés pétrolières et gazières avant que l'ONE n'intervienne pour réglementer les procédures de forage. Par conséquent, et contrairement à ce qui se fait aux États-Unis, nous accordons aux sociétés pétrolières et gazières de vastes autorisations sur de grands plans océaniques, y compris des zones écosensibles. Si une explosion menant au déversement d'hydrocarbures devait se produire, l'exploitant aurait peu de temps pour contenir le pétrole avant que l'écosystème ne subisse des dommages. En revanche, aux États-Unis, les zones écosensibles sont spécifiquement exclues de l'allocation des concessions. Le processus est beaucoup plus dirigé.
Voici quelques-unes des conséquences de cette lacune. Au Canada, nous délivrons à des exploitants des permis qui les autorisent à forer dans des zones écosensibles, que le ministère des Pêches et des Océans, le MPO, a indiquées en rose sur la carte 2, qui concerne l'Arctique. La concession allouée à British Petroleum chevauche la plate-forme de Beaufort, région biologiquement productive qui est fortement occupée par des baleines boréales — une espèce en péril — ainsi que des phoques annelés et divers oiseaux pélagiques durant la saison de forage. En fait, les concessions chevauchent les deux tiers des zones écosensibles répertoriées par le MPO.
Et ce ne sont pas uniquement des zones écosensibles qui sont touchées. La première aire marine protégée proposée dans la mer de Beaufort — un refuge de bélugas dont la publication dans la Gazette du Canada est toute récente — compte un puits de gaz en exploitation bien à l'intérieur de sa zone protégée et peut donc être traversée de pipelines.
Cette défaillance est bien connue de l'appareil bureaucratique fédéral, lequel a adopté une approche très novatrice et axée sur les solutions. Depuis au moins dix ans, au fil de partenariats innovateurs avec les Inuvialuits, le personnel d'Affaires indiennes et du Nord Canada, du ministère des Pêches et des Océans et d'autres ont mis au point une série de processus volontaires visant à renforcer notre gestion dans la mer de Beaufort. Je parlerai d'abord de la mer de Beaufort, et ensuite de la côte Est.
Le président : Nous avons cru comprendre qu'aucune activité de forage ne se déroulait là-bas. Ainsi, vous nous en parlerez simplement pour nous informer et nous éduquer à propos du processus réglementaire, n'est-ce pas?
M. Stewart : C'est exact. Aucune activité de forage n'a lieu en ce moment, mais des obligations contractuelles visant le forage entreront en vigueur à compter de 2014. Par conséquent, trois puits seront forés d'ici les cinq prochaines années. Il est important que les décisions prises à ce moment-ci aient une incidence sur la façon dont ces puits seront forés et sur l'ampleur de l'allocation des concessions. C'est la raison pour laquelle cela présente un intérêt.
Le sénateur Banks : J'examine la carte 2. On peut y lire « Attestation de découverte importante ». Pour qu'il y ait découverte, un puits doit avoir été foré.
M. Stewart : C'est exact. Des activités de forage ont eu lieu un peu partout dans la mer de Beaufort depuis les années 1970. Le forage dans cette zone ne date pas d'hier. Ces activités ont débuté dans les années 1970. Les plus récentes activités de forage en mer dans cette région ont été menées par Devon en 2005. Cette société était à la recherche de gaz — elle a plutôt trouvé du pétrole, et a cessé de forer. À ce moment-ci, aucune activité de forage en mer n'a lieu. Cependant, de telles activités se sont déroulées par le passé, et se dérouleront dans l'avenir.
Le sénateur Banks : Merci.
M. Stewart : Par exemple, en 2004, en raison des activités de forage antérieures et prévues dans la région, le Plan d'action stratégique et régional de la mer de Beaufort a été mis en place à la demande des Inuvialuits. Au terme d'un processus intensif de deux ans, on a accouché d'une série de recommandations concernant les effets cumulatifs du développement pétrolier et gazier, lesquelles étaient fondées sur les leçons tirées depuis plus de vingt ans en matière de forage en mer et près des côtes. Aucuns fonds n'ont été alloués à ces recommandations, et leur mise en oeuvre demeure problématique.
De la même manière, le MPO et les Inuvialuits ont mené conjointement le Partenariat pour la mer de Beaufort, auquel l'Association canadienne des producteurs pétroliers — l'ACPP —, WWF, les gouvernements des Territoires du Nord-Ouest et du Yukon ainsi que plusieurs ministères fédéraux ont participé. Ce partenariat a accouché, en juin 2009, d'un plan de cogestion de la mer de Beaufort. J'aimerais aborder certaines lacunes que j'ai identifiées dans la réglementation, mais un an plus tard, ce plan n'a toujours pas été financé ou autorisé.
Dans un autre cas, les bureaucrates ont récemment mis au point un processus nommé Programme d'évaluation environnementale régionale de Beaufort, qui serait analogue — voire supérieur — au processus mené par les autorités réglementaires américaines au large des côtes de l'Alaska. Les Inuvialuits l'ont appuyé, tout comme l'industrie, nous-mêmes et les ministères fédéraux. Cependant, dans son budget de 2010, le gouvernement a malheureusement éliminé ce programme.
Ce sont trois exemples éloquents de l'innovation dont ont fait preuve les bureaucrates fédéraux, les Inuvialuits et l'industrie pétrolière et gazière pour combler le vide réglementaire. Cependant, étant donné l'absence de réglementation, des problèmes perdurent, lesquels ont été signalés tant par nous que par l'industrie. Ces innovations n'aident pas les exploitants en mer à gérer les risques de leurs activités, puisque les processus sont volontaires et à caractère non contraignant. Ces innovations ne contribuent pas à gérer les conflits potentiels entre des organisations non gouvernementales de l'environnement — les ONGE — et l'industrie, puisque les ministères gouvernementaux peuvent faire fi des résultats. Elles ne sont pas financées parce que les ministères gouvernementaux ne sont pas tenus d'y accorder un statut prioritaire et peuvent les catégoriser comme étant « volontaires ». Sans financement, elles ne peuvent être mises en œuvre et finissent par être remplacées par un nouveau processus non contraignant ou volontaire, puisque, contrairement à ce qui se fait au Groenland, en Norvège et aux États-Unis, elles ne sont régies par aucune réglementation. Ce cycle d'inefficacités résulte d'une rupture du cadre réglementaire.
Maintenant, abordons la question de « comment forer », qui, je crois, intéressera encore davantage le comité. Comme j'ai mentionné précédemment, les règlements en vigueur partout dans le monde ont été modifiés à la suite de l'explosion de la plate-forme Piper Alpha dans la mer du Nord pour assurer la sécurité des activités de forage en mer. En plus des conclusions préliminaires rendues à la suite de l'explosion d'une plate-forme au large des côtes australiennes, trois principales conclusions se dessinent.
Lorsqu'un cadre réglementaire encourage des guerres intestines entre divers organismes, le manque de communication et de coordination qui s'ensuit peut avoir de graves conséquences. L'enquête menée sur l'explosion de la plate-forme Piper Alpha a permis de conclure que l'industrie pétrolière livre perpétuellement bataille aux règlements gouvernementaux. Au moment de l'accident, le manque de coordination entre les organismes de réglementation dispersés et l'intérêt du gouvernement à accélérer la production pétrolière ont contribué à de la négligence en regard des dispositifs et des procédures de sécurité à bord des plates-formes.
L'erreur d'entretien qui a mené à la catastrophe était le résultat de l'inexpérience, de procédures d'entretien inadéquates, de mécanismes d'apprentissage déficients au sein de la société pétrolière et de la fragmentation des organismes gouvernementaux traitant avec cette dernière. Si je mentionne cela, c'est que, au Canada, les activités pétrolières et gazières en mer sont gérées directement par l'Office national de l'énergie, deux offices des hydrocarbures extracôtiers et deux ministères fédéraux et plusieurs autres organismes qui sont parties au processus d'approbation. Comme vous pouvez vous l'imaginer, les directives données aux sociétés et les processus mis en place partout au pays ne sont pas cohérents, et peuvent parfois être incompatibles.
Deuxièmement, après l'accident touchant la plate-forme Piper Alpha, une recommandation formulée par Lord Cullen consistait à utiliser une structure modèle d'évaluation des risques pour évaluer différentes mesures de sécurité à la lumière de la probabilité et de la gravité de divers scénarios d'accident. Au Canada, 20 ans plus tard, nous n'avons toujours pas adopté d'approche réglementée — ou même formalisée — en matière de gestion des risques. Aux États-Unis, il existe tout un ensemble de procédures de gestion des risques et un véritable processus réglementaire permettant de mener des analyses afin d'établir la probabilité qu'un accident se produise et de déterminer les mesures à prendre pour diminuer cette probabilité au moment d'élaborer les lignes directrices en matière de sécurité.
Cette absence de cadre réglementaire concerne tant l'étape de la location des concessions que celle de l'approbation des activités de forage d'exploration. Un exemple flagrant de cela est le pire des scénarios envisagés par Chevron Corporation dans le cadre de son plan de forage dans le bassin Orphan, au large des côtes de Terre-Neuve. L'hypothèse la plus pessimiste décrite par cette société est celle d'une explosion et d'un déversement d'une durée de 10 jours. À la lumière de ce qui se passe actuellement dans le golfe, une telle hypothèse semble incroyablement optimiste.
Le président : Oui, vu ce que nous savons à présent.
M. Stewart : La troisième conclusion clé est la suivante : dans le cas des enquêtes menées sur les accidents impliquant la plate-forme Piper Alpha et la plate-forme dans la mer de Timor, des analystes ont fait valoir que les organismes de réglementation ont rarement accès à des experts indépendants pour évaluer les demandes d'exemption ou de déréglementation. Ces organismes doivent se fier uniquement à l'expertise des sociétés pétrolières et gazières elles-mêmes.
Au cours d'une séance précédente, vous avez reçu M. Ruelokke, président de l'Office Canada-Terre-Neuve-et-Labrador des hydrocarbures extracôtiers. Hier, il s'est adressé aux médias et il a confirmé que nous faisions confiance à l'industrie. La plupart des experts œuvrent au sein de l'industrie, et c'est à eux que nous faisons confiance.
Cependant — et il s'agit d'un fait important —, en avril 2009, cet office des hydrocarbures a supprimé de ses règlements l'exigence selon laquelle il fallait désigner et retenir à contrat des puits de secours. La proposition de l'ONE de supprimer les exigences relatives aux puits de secours dans l'Arctique a soulevé une vive controverse. Après que le premier ministre a indiqué que cela serait inacceptable, l'ONE a mis fin, le mois dernier, à l'annulation du processus d'examen. Cependant, l'Office Canada-Terre-Neuve-et-Labrador des hydrocarbures extracôtiers n'est pas revenu sur sa décision d'avril 2009.
Je ne saurais dire qui l'Office a consulté. Toutefois, en prenant une telle décision, il a soulevé d'importantes questions quant aux plans de secours en cas de déversement de pétrole dans le bassin Orphan. Chevron a affirmé, d'une façon optimiste, qu'il faudrait onze jours pour trouver, retenir à contrat et transporter un puits de secours depuis le golfe du Mexique, mais si le pire des scénarios envisagés par cette société dans le cadre de son plan de secours consiste en un déversement d'une durée de 10 jours, il y a quelque chose qui ne fonctionne pas.
En plus de tout cela, dans le passé, une étude environnementale exhaustive devait être menée avant que l'on puisse procéder à des travaux de forage en mer. Cependant, depuis 2005, seul un examen préalable est exigé. Cela semble tout à fait inadéquat pour une activité dont les conséquences potentielles se sont matérialisées il y a un mois dans le golfe du Mexique. De plus, les études approfondies menées par Environnement Canada au cours des années 1980 nous indiquent qu'en cas de déversement dans l'Arctique, la technologie actuelle ne nous permettrait pas de nettoyer les dégâts. Comme M. Ruelokke l'a bien expliqué, dans le golfe du Mexique, on prévoit être en mesure de nettoyer moins de 5 p. 100 du pétrole déversé dans l'Atlantique, vu l'importance de l'action des vagues et les difficultés posées par les activités de nettoyage dans l'Atlantique Nord.
Pour résumer, le régime de réglementation canadien est loin d'être parfait. Il a ses points forts — il y a des choses que nous faisons mieux que tout autre pays —, mais il a aussi ses points faibles. À l'heure actuelle, au Canada, deux puits sont exploités en eau profonde au large de la côte Est, et il est prévu d'en exploiter d'autres. Nous prévoyons creuser jusqu'à trois puits en eau profonde dans l'Arctique d'ici 2015. Les activités de forage en eau profonde sont les plus risquées et, bien qu'elles soient encore à l'état naissant, elles s'intensifient. De fait, Affaires indiennes et du Nord Canada, AINC, a lancé un appel d'offres en ce qui concerne la première concession entièrement en eau profonde dans la mer de Beaufort, où devra être foré un puits dans cinq ans.
À l'heure actuelle, le niveau d'activités demeure peu élevé. Nous disposons d'un délai de grâce pour régler les problèmes. Nous pouvons passer cette période à continuer de nier l'existence de lacunes et à dire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, ou nous pouvons profiter de cette période pour élaborer un processus d'examen national en bonne et due forme pour corriger les défaillances de la réglementation en ce qui concerne les questions de savoir si nous devons forer, où nous pouvons forer et comment nous devons le faire.
En d'autres termes, plus jamais un examen environnemental préalable ne pourra qualifier de négligeables les répercussions environnementales éventuelles du forage en mer. Ces répercussions sont très lourdes de conséquences.
Le président : Cela dépend de l'endroit où c'est fait.
M. Stewart : Oui, et cela dépend aussi du fait qu'il y ait un accident ou pas, mais l'on ne peut prédire un accident. S'il s'agit d'une zone écosensible, les impacts seront plus importants que si c'était ailleurs.
Le président : Si vous êtes à quelques milles au large de l'embouchure de la rivière Mississippi, c'est pas mal différent que d'être à plusieurs kilomètres dans l'Atlantique Nord, n'est-ce pas?
M. Stewart : C'est exact. Cependant, à moins que le gouvernement fédéral n'intervienne et règle ces lacunes, nous nous dirigeons tout droit vers un processus spécial litigieux. Cela finira par un gâchis. Le processus entraînera des retards, se révélera inadéquat pour gérer les risques du point de vue de l'industrie — nous voulons attirer les investissements dans notre pays — et échouera à protéger l'environnement et les moyens de subsistance des gens qui vivent dans les collectivités côtières des secteurs touchés.
À notre avis, la solution est de convoquer une commission d'enquête temporaire en bonne et due forme.
Les Canadiens ont besoin d'être rassurés que nos activités de forage en mer ne mettront pas en péril les moyens de subsistance des collectivités locales ni l'environnement. Cependant, cela ne peut prendre la forme d'une confiance aveugle envers nos organismes de réglementation ou l'industrie, ou de déclarations qui écartent tout risque d'un déversement de pétrole au Canada sous prétexte qu'on ne peut les prédire. Nous croyons que nos dirigeants doivent redoubler de vigilance face à cette nouvelle réalité dont nous sommes les témoins. Nous tenons à féliciter votre comité sénatorial d'avoir décidé de tenir ces audiences d'urgence et lui suggérons de formuler des recommandations sur la portée et le déroulement d'une telle enquête visant à corriger les lacunes de notre système de réglementation.
Le WWF a aussi félicité l'Office national de l'énergie d'avoir agi de manière proactive et d'avoir annoncé la tenue d'une enquête — nous ferions de même à l'égard du premier ministre de Terre-Neuve, qui a rapidement annoncé un examen des activités qui se déroulent dans sa province. Cependant, dans le cas de l'ONE, nous doutons que cette seule enquête puisse aborder les enjeux que j'ai mentionnés, et qui vont bien au-delà de sa compétence actuelle.
L'ONE se trouve placé dans une position qui pourrait se révéler intenable au moment où un contrat de forage d'un puits d'une valeur de 1,2 milliard de dollars est accordé au moyen d'un processus non réglementé, et ce, avant même le début de l'administration réglementaire de l'Office. L'ONE n'a pas compétence sur la totalité des eaux en mer. Enfin, l'ONE fait habituellement obstacle à l'octroi d'aide financière aux intervenants, dont l'effet serait de permettre à tous les participants de se retrouver sur un pied d'égalité; nous soutenons ardemment que les dirigeants des collectivités côtières et de l'Arctique doivent, de manière générale, obtenir tout le soutien qui leur permettra de participer à un tel examen. Si l'ONE n'est pas en mesure d'appuyer de telles demandes de participation, il faut adopter un autre modèle.
Le Canada doit se doter d'un ensemble cohérent de règlements qui protègent notre environnement, nos collectivités côtières ainsi que nos autres industries, et qui s'appliquent à l'octroi de concessions, à l'exploration et à l'exploitation de toutes nos zones côtières. Si l'Office national de l'énergie n'est pas en mesure d'orchestrer un tel processus inclusif à l'échelle nationale — et il est mandaté pour le faire en vertu de la Loi sur les enquêtes; il s'agit en fait de déterminer si l'Office peut inciter les autres à se joindre au processus —, alors il faut convoquer une commission d'enquête temporaire visant à relever les normes canadiennes en matière de surveillance de la gestion des ressources pétrolières et gazières extracôtières du Canada, et ce, au moins jusqu'au niveau fixé par le Conseil de l'Arctique en 2009.
Comme nous l'avons constaté, le processus réglementaire américain s'est révélé inadéquat pour empêcher un désastre considérable, et, dans l'ensemble, notre propre processus réglementaire ne vaut pas mieux.
Le président : Merci, monsieur Stewart. Nous allons passer à la période de questions, mais, tout d'abord, j'ai oublié de procéder à notre pratique habituelle, qui consiste à présenter les sénateurs. Je suis le sénateur David Angus, du Québec. Immédiatement à ma droite, voici nos chercheurs et membres de notre personnel de soutien de la Bibliothèque du Parlement, Sam Banks et Marc LeBlanc. À sa droite, voici le sénateur Fred Dickson de la Nouvelle-Écosse, le sénateur Richard Neufeld, de la Colombie-Britannique, le sénateur Bert Brown, de l'Alberta, le sénateur Judith Seidman, de Montréal et le sénateur Linda Frum, de l'Ontario.
À ma gauche, je crois que vous avez rencontré Mme Lynn Gordon, l'efficace greffière de notre comité. Immédiatement à sa gauche, voici le sénateur Tommy Banks, de l'Alberta, qui était mon prédécesseur à la présidence du comité. À sa gauche, voici le sénateur Dan Lang, du Yukon, et le sénateur Robert Peterson, de la Saskatchewan. Le sénateur qui est sorti pour un instant afin de participer à une réunion, mais qui reviendra parmi nous, est le sénateur Paul Massicotte, du Québec.
J'avais quelques questions préliminaires à poser, si vous le permettez, en l'absence de mon vice-président, le sénateur Grant Mitchell, de l'Alberta, qui ne se trouve pas parmi nous ce matin.
Tout d'abord, vous avez eu l'occasion de lire la transcription des deux témoins que nous avons accueillis il y a une semaine, et qui représentaient les deux organismes de réglementation de la côte Est, l'Office Canada-Terre-Neuve-et-Labrador des hydrocarbures extracôtiers et l'Office Canada-Nouvelle-Écosse des hydrocarbures extracôtiers. Vous avez mentionné M. Ruelokke; j'ignorais qu'il s'était adressé aux médias hier. Vous pourriez nous en dire un peu plus à ce sujet, où cela avait lieu et ce qu'il a dit.
Aussi, dans votre propre intérêt et celui de nos téléspectateurs, nous ne connaissons pas du tout le World Wildlife Fund, et je pense que ce serait bien si vous décriviez ce que fait votre organisme et pourquoi vous vous intéressez à ces questions. Certaines personnes vous connaissent un peu, parce que nous recevons de gentilles lettres pour des campagnes de financement, de jolis petits collants avec des oiseaux, du papier d'emballage et tout ce genre de choses, ce qui est très apprécié et qui, dans mon cas du moins, fonctionne. Cependant, je pense qu'il nous serait très utile de vous entendre décrire votre organisme et d'où vous tirez l'autorité de nous parler de ces choses.
Encore une fois, vous avez critiqué de manière assez sévère, si vous me permettez d'utiliser ce terme, l'ensemble du régime canadien, en décrivant les bureaucrates qui ont préparé un bon plan qui n'a pas été mis en œuvre. Dans de nombreux cas, vous avez utilisé le mot « volontaire » ou « non contraignant ». Vous avez également indiqué que le gouvernement actuel n'a pas pris les devants pour accorder un financement suffisant, ou encore qu'il l'a retiré. J'aimerais que vous nous le décriviez en contexte, afin de veiller à ce que nous comprenions comment cela pourrait mettre en péril le statu quo sur la côte Est.
Enfin, compte tenu du fait que vous semblez approuver notre processus de tenue d'audiences, nous aimerions entendre vos suggestions quant aux personnes que, à votre avis, il serait utile pour nous d'inviter à titre de témoins. En raison de la période dont nous disposons, nous éprouvons quelques difficultés à avoir des témoins issus de la bureaucratie qui, d'après ce que je comprends de votre témoignage, s'y connaissent très bien, ainsi que d'autres témoins. De nombreux ministères s'intéressent à cette question, et il semble y avoir un ordre prédéterminé relativement à celui qui dirige; l'un ne veut pas venir avant que l'autre ne se soit présenté, à tel point que nous ne savons plus où donner de la tête ici. Vous pourriez peut-être nous aider.
Je ne veux pas monopoliser la période de questions, mais ce sont là certaines de nos préoccupations. Si vous pouviez au moins tenter de répondre à la première partie, je passerais alors la parole à ma liste d'intervenants.
M. Stewart : Je vais tout d'abord vous donner quelques détails sur le World Wildlife Fund.
Le WWF, ou World Wildlife Fund, a été mis sur pied par la royauté européenne dans le milieu des années 1960. Il devait servir d'organisme complémentaire à l'Union internationale pour la conservation de la nature, l'UICN. La WWF compte des bureaux dans environ 95 pays partout autour du monde, emploie environ 5 000 personnes et son siège social est situé à Gland, en Suisse. Le WWF administre un programme international de conservation de l'Arctique et nous administrons également un programme international marin de conservation. Le programme de conservation de l'Arctique se trouve actuellement à Olso, en Norvège, mais nous allons déménager à Ottawa cet été. Nos bureaux situés en Suède, en Finlande, en Norvège, en Russie, aux États-Unis et au Canada travaillent ensemble.
L'un des enjeux clés sur lesquels nous travaillons ensemble est la gestion des ressources pétrolières et gazières en mer. Nous avons collaboré étroitement avec Statoil et le gouvernement de la Norvège pour exécuter une planification d'ensemble de la gestion des ressources pétrolières et gazières dans la mer de Barents. Nous sommes convaincus qu'il s'agit là d'une norme mondiale fondamentale, qu'ils ont fait un excellent travail. La surveillance qu'on trouve là-bas est la meilleure que nous ayons pu observer jusqu'ici.
Nous possédons de l'expérience de travail avec l'industrie et avec les gouvernements afin de mettre en place des cadres de gestion appropriés. Nous sommes également intervenus de manière active après le désastre de la mer de Timor. Après cet incident, WWF-Australie est intervenu de manière active et a fait appel à notre expertise internationale afin de préparer des observations à soumettre à la commission d'enquête qui s'est déroulée là-bas.
Le président : Le WWF-Australie, le WWF-Canada et le WWF-Norvège sont-ils tous des filiales de l'organisme international? Ils ne sont pas indépendants et différents, caractérisés par des mandats distincts; ils partagent un même but. Est-ce exact?
M. Stewart : Ils sont en quelque sorte indépendants. Chacun a son propre conseil d'administration, de sorte qu'il ne s'agit pas d'une structure hiérarchique directe qui relèverait d'un organisme international. Notre premier dirigeant relève d'un conseil d'administration canadien. Il ne relève pas d'un premier dirigeant international. Je dirais qu'il s'agit d'un réseau ou d'une fédération souple plutôt que d'une structure hiérarchique rigide.
Le financement provient surtout du secteur privé, pas nécessairement des gouvernements, ainsi que de citoyens.
Le président : Vous recevez effectivement du financement gouvernemental?
M. Stewart : Nous recevons effectivement du financement gouvernemental à certains endroits. Présentement, je ne crois pas que nous recevons du financement au Canada. Nous travaillons sur des projets précis en partenariat, mais ce n'est d'aucune façon une source de financement clé pour nous.
Nous nous intéressons à cet enjeu précis parce que nous croyons que notre quête de pétrole, en raison de la croissance de la demande et du fait que nous commençons à en manquer, nous amène nécessairement à repousser de plus en plus loin les frontières éloignées. Cela signifie que l'exploration pour les ressources pétrolières et gazières exerce des pressions dans les milieux sauvages auxquels nous nous intéressons, bien entendu, et ont des répercussions sur les habitants en milieu sauvage, ou qu'elle exerce des pressions dans des régions comme les zones extracôtières, qui sont peut-être d'importantes zones écosensibles, et nous voulons nous assurer que ces zones sont protégées à l'avenir.
Voilà ce qui constitue notre centre d'intérêt, et ce n'est pas qu'un intérêt canadien, il est international; en particulier, nous avons un programme de conservation de l'Arctique. Nous avons des bureaux partout au Canada, à Halifax, à St. John's, à Toronto — notre siège social se trouve à Toronto — à Ottawa, à Edmonton, à Prince Rupert et à Vancouver.
Le président : Voilà des activités assez importantes. Combien de personnes employez-vous?
M. Stewart : Au Canada, il y a 125 personnes employées.
Le président : Ils sont sur la liste de paye? C'est leur gagne-pain?
M. Stewart : Oui. Vous avez posé une question au sujet de M. Ruelokke.
Le président : Oui, puisqu'il vient tout juste de comparaître devant nous, et que nous ne savions pas qu'il tenait une conférence de presse.
M. Stewart : Il a tenu une conférence de presse et a dit qu'il était maintenant temps de parler aux médias parce qu'il vous avait présenté son témoignage et au comité parlementaire et qu'il avait terminé de présenter ses informations, et que les médias tentaient de lui parler depuis un petit bout de temps. Il a décrit des détails techniques fascinants selon lesquels, en dépit des efforts incroyables déployés, de la présence de plus de 1 000 bateaux et des kilomètres de barrières flottantes qui avaient été disposées pour nettoyer le pétrole, ils n'avaient réussi qu'à en nettoyer 5 p. 100. Il a affirmé que, dans l'Atlantique Nord, vous pouvez vous attendre à ce que ce soit beaucoup plus difficile. Il a dit que nous sommes en train d'étudier ce que seraient les effets. Dans les faits, comment les vagues disperseraient-elles le pétrole? L'impact serait-il négatif ou positif?
Je pense que ce qu'il cherchait à dire, c'est que, présentement, les vagues sont en train de disperser et d'étaler le pétrole encore plus loin des côtes, de sorte que l'impact ne sera peut-être pas si concentré. Cela soulève la question suivante : où ira ce pétrole? Finira-t-il sur la côte Atlantique ou en Nouvelle-Angleterre ou au Groenland? Le bassin Orphan, dans le cas dont il parlait, est situé entre le Labrador et le courant du golfe du Mexique, de sorte qu'il pourrait aller d'un côté ou de l'autre.
Le président : A-t-il tenu cette conférence de presse ici à Ottawa?
M. Stewart : Non, il l'a tenue à St. John's, je crois. Ce n'est qu'après coup que je l'ai entendu sur le fil de presse.
Pour l'essentiel, il a fait du bon travail en tenant des propos rassurants et a dit que nous nous tournons vers l'innovation. Les obturateurs de sécurité ne sont peut-être pas la seule et unique solution. Nous pourrions tenter de faire la promotion de l'innovation afin de passer à d'autres technologies. Il a également fait allusion à des mesures de surveillance supplémentaires dont l'Office allait faire l'annonce au cours des prochaines semaines. Ce sont tous des éléments qu'il a abordés.
L'élément sur lequel les médias l'ont questionné et qu'il n'a pas abordé, c'était la question du puits de secours. C'est une question constante. Si le besoin se faisait sentir, où trouverait-on un puits de secours? Où irait-on le chercher s'il en fallait un? Il se trouve dans une situation particulièrement difficile ici, tout comme Chevron. Ce puits est si profond qu'il n'y a que 50 autres plates-formes existantes dans le monde qui peuvent forer aussi profondément, et, comme vous pouvez l'imaginer, elles font l'objet d'une forte demande. S'il vous faut laisser un puits de secours inactif en attente, vous l'empêchez donc de forer ailleurs, ce qui devient très onéreux alors que la probabilité d'un accident est raisonnablement faible.
Il ne semble pas que l'Office ait repéré ou mis sous contrat un puits de secours en ce moment, mais il lorgne du côté des puits de secours dans le golfe du Mexique. Cela laisse grande ouverte la question de l'équilibre entre l'achat ou la location d'un puits de secours, en ignorant s'il y aura un accident, et si ce puits de secours servira à ce moment-là. Vous pourriez louer la plate-forme qui ferait le puits de secours; le contrat pourrait arriver à échéance ou la demande pourrait faire en sorte que cette plate-forme soit en train de forer ailleurs au moment où un accident aurait lieu. C'est difficile à prévoir.
Il faut trouver le moyen de mettre en place un bien meilleur processus pour forer des puits de secours, qui serait disponible à tous dans une région donnée et auquel on pourrait faire appel au besoin. À mon avis, c'est là l'une des pièces du casse-tête sur lesquelles nous devons travailler. Ils tentent de déterminer comment gérer cela en ce moment. L'an dernier, ils ont supprimé l'exigence selon laquelle il fallait déterminer le puits de secours parce que l'industrie leur avait assuré que ce ne serait pas nécessaire.
Le président : Vous avez bien couvert mes points. Cependant, après avoir étudié les témoignages que M. Pinks et M. Ruelokke nous ont donnés, êtes-vous en désaccord avec quoi que ce soit? Pouvez-vous soit nous rassurer, soit nous inquiéter en ce qui a trait à l'exactitude et au caractère complet de leur témoignage?
M. Stewart : Ce n'est pas tant que je suis en désaccord avec ce qui a été dit : je m'inquiète plutôt des choses qui ont été laissées de côté. Il y a la question du puits de secours. Il y a la question de la structure de ces offices des hydrocarbures extracôtiers : le problème fondamental, c'est que ce sont eux qui manipulent l'argent qui provient de l'octroi de concessions et qui assurent également la surveillance de l'industrie. Ce sont deux choses différentes.
Nous avons soutenu que le Canada est différent des États-Unis parce que c'est l'Office national de l'énergie qui assure la surveillance réglementaire, mais, dans les faits, AINC s'occupe de l'octroi des concessions et de tous les appels d'offres. Il y a là une séparation. C'était considéré comme un problème dans le cas du Minerals Management Service aux États-Unis, que le secrétaire de l'Intérieur Salazar a récemment divisé en trois parties différentes parce qu'il estimait que le fait qu'un seul organisme joue les deux rôles provoquait un conflit d'intérêts interne.
Hier, les médias ont posé la question suivante au président Ruelokke. La structure actuelle de son Office des hydrocarbures extracôtiers est-elle adéquate compte tenu de ce problème? Y a-t-il là un facteur l'incitant à se rapprocher plus que nécessaire de l'industrie, ou est-ce dans l'intérêt public? C'est une question qui a été soulevée. Il a répondu que l'Office estimait être en mesure de maintenir une cloison étanche entre ces deux enjeux en raison de la structure hiérarchique interne qui empêche ce genre de conflit d'intérêts. C'est ainsi qu'il a répondu à la question.
Le président : Y a-t-il un conflit ou des buts qui se contredisent entre nos compétences fédérales et provinciales? Je crois comprendre qu'il s'agit là de deux offices qui sont gérés, administrés et financés conjointement par la province et le gouvernement fédéral. Est-ce exact?
M. Stewart : Je ne peux parler de manière précise de la structure parce que je ne l'ai pas étudiée en détail. Cependant, la conclusion de l'enquête sur l'accident du Piper Alpha dans la mer du Nord était que les intérêts réglementaires divergents ont mené à de l'information conflictuelle; selon eux, le fait que l'industrie se retrouve avec de l'information conflictuelle est l'un des facteurs qui ont contribué à l'accident. En nous fondant sur cette conclusion, nous devons nous assurer que les choses sont parfaitement claires pour l'industrie et que nous ne nous retrouvions pas avec ces guerres de clochers entre les organismes ni avec de l'information ou des conseils conflictuels donnés aux industries.
Le président : Pour illustrer cette situation — et c'est là où je voulais en venir avec cette question — si notre ministre, par exemple, de Pêches et Océans, des Ressources naturelles ou de l'Environnement devait faire une déclaration en lien avec ces activités de forage de pétrole à Hibernia, dans le bassin Orphan et ainsi de suite, court-on le risque que Danny Williams se lève debout et affirme « Sortez de ma cour. Vous n'avez pas votre mot à dire; c'est à moi, le premier ministre, de prendre cette décision. » Je ne sais pas. Pourriez-vous nous le dire?
M. Stewart : Il est fort possible que cela se produise.
Le président : Je vous remercie de vos réponses préliminaires.
Le sénateur Banks : Merci de votre présence parmi nous, monsieur Stewart. D'après ce que je comprends de votre réponse à la question du président, s'il n'en tenait qu'à vous, dans un monde idéal, il y aurait un organisme autonome réglementaire ou de surveillance qui serait indépendant de qui que ce soit d'autre, et qui aurait des bureaux en Norvège, en Louisiane et ici. Est-ce exact?
M. Stewart : Non, je ne crois pas que ce soit possible. On se retrouverait avec un organisme réglementaire monstrueux. Je pense que cette division est importante afin de garantir l'absence de conflits d'intérêts internes. Il faut faire une séparation de la même manière que le Minerals Management Service a été divisé. Je pense qu'il faut que ce soit orchestré de manière très attentive, qu'il faut trouver le moyen de veiller à ce que ces organismes collaborent beaucoup mieux ensemble qu'ils ne le font à l'heure actuelle.
Je vais vous donner un exemple précis. Jetez un coup d'œil à la deuxième carte que je viens de vous remettre : d'une part, sur cette carte, le MPO identifie des zones écosensibles. Elles ne sont pas contraignantes, elles sont seulement identifiées. Si des zones marines protégées devaient être établies au cours de la prochaine décennie dans la mer de Beaufort, voilà où elles seraient probablement établies.
Par ailleurs, AINC est responsable de l'octroi de concessions. AINC est au courant de cette carte, mais n'y est pas lié, et ses représentants n'assurent pas nécessairement la coordination au moment de l'octroi des concessions. Ils ne coordonnent pas de manière aussi attentive. Il en découle certains conflits interministériels, en raison des décisions en matière d'octroi de concession rendues par un ministère, qui se font au détriment de zones écosensibles, mais qui n'ont pourtant pas été désignées comme telles par l'un ou l'autre des ministères.
Il s'ensuit que le conflit est alors transmis à l'industrie et aux groupes environnementaux plus tard dans le processus. Nous ne voulons pas les voir forer dans ces zones écosensibles, mais ils viennent tout juste de payer de fortes sommes d'argent pour obtenir le droit de le faire.
Le sénateur Banks : Ils sont tenus de le faire par l'entente, n'est-ce pas?
M. Stewart : Oui, ils sont tenus de le faire par leurs ententes. Voilà l'élément qu'il faut trouver le moyen de beaucoup mieux orchestrer et exécuter. Je n'ai pas de solution précise, mais, parce qu'il s'agit d'un problème qui va bien au-delà des compétences du seul Office national de l'énergie, nous avons besoin d'un processus beaucoup plus vaste que ce qui a été proposé jusqu'ici pour en arriver à cette fin et veiller à ce que tout fonctionne mieux.
Le sénateur Banks : Vous avez dit que l'ONE n'a pas la responsabilité de tout ceci. Est-ce en raison, par exemple, des deux offices maritimes que le président a mentionnés?
M. Stewart : Sur le plan géographique, oui. La question géographique se pose quand l'ONE est responsable de l'Arctique et, dans certains cas, d'une partie du Saint-Laurent. Puis, il y a les deux offices des hydrocarbures extracôtiers qui ont leur propre champ de compétence.
Le sénateur Banks : Y a-t-il un autre intervenant?
M. Stewart : Pas sur le plan géographique, parce qu'il y a un moratoire du côté du Pacifique en ce moment. Cependant, en ce qui a trait à la portée du processus, il y a une autre forme de division, alors que le début du processus est administré par AINC dans l'Arctique, et la fin du processus est administrée par l'ONE. Le processus est fragmenté, et s'est peut-être imposé afin d'éviter le conflit d'intérêts, mais il faut que ce soit beaucoup mieux orchestré, et, selon nous, réglementé du début à la fin.
Le sénateur Banks : Vous avez présenté la Norvège comme un exemple, à votre avis, de ce qui se fait de mieux en ce moment. Vous avez utilisé le mot « surveillance ». Notre communauté a souvent constaté — certains d'entre nous, du moins — qu'on peut avoir tous les règlements du monde écrits noir sur blanc, mais que s'ils ne sont pas appliqués ou que personne ne regarde ce qui se passe, ils ne servent à rien.
Je ne suis pas certain de ce que j'avance, mais je laisserais entendre que si l'on examinait les règlements qui s'appliqueraient à la Louisiane, sur papier, ils sont sans doute pas mal bons. Les Américains ne sont pas stupides. Ces règlements sont probablement tout aussi bons que ceux des Norvégiens. Je ne fais que deviner, mais vous opinez du bonnet.
Par conséquent, devons-nous présumer que la différence relève du degré de surveillance et d'examen intrusif, si c'est le terme utilisé, des activités?
M. Stewart : Oui. Je me dois de dire que le WWF est impliqué dans une poursuite judiciaire sur le versant nord de l'Alaska pour cette raison précise. Sur papier, leurs règlements sont solides, mais nous sommes convaincus qu'ils ont administré de manière très déficiente un processus particulier dans l'Arctique américain. Il est rare que nous nous retrouvions impliqués dans des poursuites judiciaires.
Le sénateur Banks : S'agit-il de forages extracôtiers?
M. Stewart : Ce sont des concessions extracôtières qui ont été octroyées à Shell. Vous avez peut-être entendu un peu parler dans les médias des concessions de Shell sur le versant Nord. Les représentants du gouvernement n'ont tout simplement pas fait leur travail. Ils n'ont pas effectivement mis en œuvre les règlements qu'ils avaient très bien rédigés. Quand ils ont mené leur évaluation environnementale, ils n'ont pas fait du très bon travail.
Il y a une différence entre le fait d'avoir une très bonne structure réglementaire efficace puis le fait de très bien la mettre en œuvre. Aux États-Unis, il semble que ce soit la partie mise en œuvre qui se soit effondrée. Au Canada, c'est davantage le cadre réglementaire lui-même dont nous affirmons qu'il doit être corrigé.
Le sénateur Banks : Dans vos commentaires, vous avez dit que, après l'accident de la plate-forme Piper Alpha, l'enquête a montré que « l'industrie pétrolière livre perpétuellement bataille aux règlements gouvernementaux ». Avant cela, vous avez dit que le Programme d'évaluation régionale d'évaluation environnementale de Beaufort serait analogue, voire supérieur au processus mené par les autorités réglementaires américaines. Les Inuvialuits l'ont appuyé, tout comme l'industrie, vous-même et les ministères fédéraux. Dans ce cas, à tout le moins, il semblerait que l'industrie ne se soit pas opposée aux règlements.
M. Stewart : Non. Il a raison pour cela, c'est que ce programme était très bien structuré et aurait échelonné le fardeau réglementaire pour l'industrie sur une certaine période.
Le sénateur Banks : Le mot « échelonner » est craint par les environnementalistes.
M. Stewart : Oui, mais dans ce cas, le processus comprend une évaluation environnementale de toute la région.
Le sénateur Banks : Étiez-vous en faveur de ce programme?
M. Stewart : Oui. Je l'appuyais parce qu'il permettait que tout soit fait d'un coup et réduisait les dédoublements. Au lieu que BP, Imperial Oil Limited, ConocoPhillips et toutes les autres entreprises aient à faire la même évaluation environnementale à plusieurs reprises pour chacune de leurs activités, cette évaluation serait faite une seule fois pour toute une région.
Cela nous fournirait un cadre pour l'évaluation des effets cumulatifs de chacune de ces activités. Ainsi, nous saurions que vous adoptez une approche plus globale ou écosystémique. Pour l'industrie, le fardeau serait réduit puisqu'elle n'aurait pas à évaluer chacun de ces processus. En fait, c'est une situation où tout le monde ressort gagnant, et de telles situations sont tout à fait possibles.
Le sénateur Banks : Il semblerait que ce processus aurait été à la fois efficace et efficient.
Le président : Vous, les représentants du Fonds mondial pour la nature, vous vous intéressez à la protection de l'environnement et de la nature sauvage, mais il faut également se préoccuper de la vie des gens, de leur sécurité et d'autres biens. Quand la plate-forme Deepwater Horizon a explosé, je crois que onze personnes ont perdu la vie, et que 28 autres ont été gravement blessées. Quand nous parlons d'apaiser les craintes des Canadiens relatives aux risque et aux dangers qui existent peut-être présentement en lien avec nos activités de forage en mer, nous nous intéressons également à cet aspect. Si vous pouvez ajouter quoi que ce soit à cet égard, cela nous intéresserait.
Le sénateur Peterson : Il y a un dicton qui dit que rien ne vaut une catastrophe pour faire prendre conscience de la réalité. Je crois que c'est le cas du golfe du Mexique en ce moment. Il s'agit d'une gaffe monumentale qui pourrait entraîner la faillite de British Petroleum, qui arrive troisième parmi les entreprises pétrolières les plus importantes au monde. En ce qui concerne la responsabilité juridique, l'assurance-responsabilité est passée de 75 000 millions de dollars à 10 milliards de dollars. Je pense que cela, en soi, aura amené les entreprises à être plus attentives. Sinon, elles n'auraient pas conservé leur permis. Il s'agit de quelque chose qu'il faut garder présent à l'esprit.
M. Stewart : Assurément.
Le sénateur Peterson : Ensuite, le forage dans l'Arctique se distingue nettement du forage dans la mer du Nord, dans le golfe du Mexique ou dans toute autre partie du monde. Je crois que l'établissement d'un modèle doit tenir compte de la manière dont nous réagirions en cas d'accident dans cette région. Si un tel accident avait lieu sous la glace, le scénario serait entièrement différent. Il faut donc en tenir compte.
En ce qui concerne les organismes de réglementation, il semble que le nombre d'organismes ayant un mot à dire dans ce domaine cause de la confusion. Ils font tous l'objet de pressions, et l'un ne sait pas ce que fait l'autre. J'ai été particulièrement surpris d'apprendre qu'AINC ferait des appels d'offres dans le Nord. A-t-il l'expertise nécessaire? C'est très étonnant. Je suis curieux de savoir ce que vous en pensez si vous pouvez aborder ces questions à mesure que nous progressons.
M. Stewart : Je tenterai de répondre à la question du président et à celle du sénateur Peterson en même temps. Le facteur clé le plus important en ce qui concerne le forage dans l'Arctique est l'élément humain. Les appareils de forage en mer profonde sont de véritables merveilles technologiques. Dès le départ, il s'agit d'un exercice à risque élevé. Pensez-y bien : l'objectif est d'atteindre un gisement de pétrole qui est situé à sept kilomètres de profondeur sous 1,5 à 2,5 kilomètres d'eau. Il faut essayer de forer pour y insérer une tige et éviter la pression interne qui en ressort.
Il s'agit d'une entreprise à haut risque. Grâce à des innovations incroyables, on a réussi à faire de cette activité à risque élevé une activité à risque très faible. Cependant, ce sont des humains qui sont responsables de ces activités. Comme nous le savons, l'erreur est humaine.
Dans nos interactions avec diverses entreprises — parce que, comme nous l'avons vu dans le golfe, il y avait des employés de Transocean, de BP, de Halliburton et d'organismes de réglementation — nous avons affaire à des gens d'un peu partout. Il y a beaucoup d'interactions, et tous ces gens relèvent de différentes personnes, ce qui peut causer de la confusion. Dans le cas de l'Arctique, il faut ajouter à cela le fait que le forage se fait dans des conditions difficiles. Il peut faire très froid, évidemment, et il y la glace.
J'ai entendu les histoires de gens qui ont travaillé à Kuluk Bay, pour Gulf Oil, dans les années 1980. Ils devaient sortir sur les banquises; la banquise se déplaçait autour de la plate-forme, et ils avaient le vertige. La situation semble irréelle, puis il peut faire noir et y avoir des tempêtes. Mettez tout cela ensemble et vous verrez comment il est possible qu'on oublie de prendre une mesure particulière à un moment précis, qu'on passe par-dessus une étape sur la liste ou qu'on oublie de dire à l'équipe qui nous suit qu'un capuchon de maintenance n'a pas été remis en place. Il est facile d'imaginer comment ce genre de choses peut arriver. Malgré les technologies les plus avancées et les régimes réglementaires de surveillance les plus rigoureux, il y aura toujours des accidents, et des gens en mourront. Du pétrole se déversera, et l'environnement en subira les conséquences.
Il n'y a aucun moyen de prévenir cela à 100 p. 100. On ne peut empêcher les navettes spatiales ou les avions de s'écraser. Il y aura toujours des accidents. Cependant, nous pouvons essayer de réduire les effets d'un tel accident sur la protection des humains — s'assurer qu'on a des mesures d'intervention d'urgence et que les gens peuvent quitter la plate-forme rapidement. Il est étonnant que seulement onze personnes aient perdu la vie dans le golfe, compte tenu de la violence de l'explosion et de la vitesse à laquelle la plate-forme a coulé.
Nous devons avoir des plans de préparation aux situations d'urgence et des plans de secours en place pour nous protéger de cet événement peu probable. Il ne faut pas tomber dans le piège et penser que cela ne nous arriverait jamais parce que, en fait, ce n'est pas vrai.
Le sénateur Peterson : À la lumière de cela, recommanderiez-vous un moratoire jusqu'à ce que les circonstances de l'accident dans le golfe du Mexique soient analysées, que l'on ait déterminé ce qui s'est passé et ce qui devrait être fait? L'assurance-responsabilité a fait un bond énorme.
M. Stewart : WWF-Canada n'a pas réclamé de moratoire jusqu'à maintenant. Nous avons décidé de laisser les communautés locales s'en charger. Les Inuvialuits ont réclamé une pause. Les dirigeants de tout le Nord et les premiers ministres des trois territoires ont demandé une interruption.
Le président : Partout ou seulement dans l'Arctique?
M. Stewart : Dans tout l'Arctique — leur intérêt est là.
Le président : Vous ne recommandez pas d'interruption sur la côte Est?
M. Stewart : Nous n'avons pas demandé d'interruption sur la côte Est. Nous croyons qu'il incombe aux communautés locales et à leurs représentants élus d'en décider. Jusqu'à maintenant, nous ne l'avons pas fait. Qu'il y ait interruption ou non, nous croyons qu'il est temps d'examiner attentivement notre cadre réglementaire; de réaliser un examen rigoureux de la situation et d'essayer de répondre à certaines de ces questions que j'ai soulevées, ainsi qu'à d'autres questions soulevées par d'autres.
Le sénateur Neufeld : Certains des points que vous soulignez sont très intéressants. J'aimerais revenir sur votre exposé et vous poser quelques questions à son sujet. À la page 2 au cinquième paragraphe, environ, vous parlez d'un refuge de bélugas qui vient de faire l'objet d'une publication dans la Gazette du Canada, ce qui veut dire qu'on arrive à l'étape de sa planification, et que sa création est imminente. Vous dites qu'il y a un puits de gaz en exploitation à cet endroit et que des pipelines pourraient donc traverser cette zone.
Le puits était là avant les plans pour le refuge — ou avant cette publication dans la Gazette du Canada, évidemment; est-ce exact?
M. Stewart : Le puits était là avant la publication dans la Gazette du Canada. Cependant, depuis le début des années 1980, cette zone est désignée à l'interne par les Inuvialuits; elle jouit de leur degré de protection le plus élevé. Cette protection existait; on ne fait que l'officialiser.
Le sénateur Neufeld : Je ne vous contredirai pas à ce sujet. Je reconnais qu'il y a divers types de zones. Je connais la côte Ouest. Il semble que tous les endroits importants qui devraient être protégés contiennent du gaz naturel et du pétrole. Dans ce cas, il y avait déjà un puits. Vous dites qu'on pourrait dévier les pipelines, ce qui est peut-être possible. Voulez-vous dire que ce puits devrait être déclassé? Pourquoi mentionnez-vous cela?
M. Stewart : Je soulève ce point parce que les concessions qui sont octroyées dès le début du processus couvrent de plus en plus toute la mer de Beaufort, y compris les zones écosensibles. Nous savons à l'avance où se trouvent ces zones écosensibles, qu'elles soient protégées officiellement ou non. Il s'agit d'emplacements possibles de zones de protection marine éventuelles. Même si ces zones n'ont pas encore été protégées officiellement, cela ne veut pas dire qu'elles ne sont pas importantes.
Le sénateur Neufeld : Ce n'est pas ce que j'ai voulu dire.
M. Stewart : Selon nous, on devrait accorder une considération spéciale à ces zones durant le processus d'octroi de concessions pour réduire les conflits et augmenter le niveau de certitude des exploitants du secteur des hydrocarbures. Les exploitants et les environnementalistes se livreront bataille sur les zones qu'ils considèrent comme importantes. Nous n'avons pas besoin de nous rendre jusque-là. Nous pouvons régler ce problème dès maintenant. Ces gisements sont énormes et peuvent probablement être forés en divers endroits à la surface. Le forage dirigé en mer se fait couramment. Il s'agit donc d'une possibilité. Tout le monde peur ressortir gagnant si nous savons dès le départ quelles zones sont importantes et si nous en tenons compte de manière appropriée. Si on met en place un régime qui permet cela, ça peut fonctionner.
Le sénateur Banks : En ce qui concerne la question que le sénateur Neufeld vous a posée, ai-je bien compris votre réponse? Avez-vous dit que ce problème pourrait, en partie, être réglé par des concessions plus petites et plus précises, comme aux États-Unis pour remplacer les grandes concessions que nous octroyons ici?
M. Stewart : C'est exact. C'est une solution possible. Il faudra travailler avec l'industrie pour déterminer où elle veut réaliser ses activités de forage, puis éviter les zones comme la plate-forme de Beaufort en désignant des zones tampons tout autour. On octroierait alors les concessions de manière à éviter ces zones.
Le sénateur Neufeld : Un peu plus bas sur la même page, vous dites que tout le monde appuyait un processus d'évaluation environnementale dans toute la région dans laquelle on prévoyait octroyer des concessions. J'ai déjà entendu parler de tels processus. Pouvez-vous me dire combien de temps une évaluation environnementale pour toute une région prendrait si l'on parle, par exemple, de 200 000 hectares de terres ou de fonds marins? À quel point un tel processus serait-il complexe?
L'industrie pourrait décider de creuser quatre ou cinq puits d'exploration, et elle pourrait faire une bonne découverte, mais il est également possible qu'elle ne trouve absolument rien, et elle s'en ira. Elle aura consacré beaucoup de temps, d'efforts et d'argent pour faire une évaluation environnementale de toutes les régions pour rien parce que personne n'y retournera pour essayer une deuxième fois; cela est vrai, à tout le moins, en ce qui concerne l'avenir rapproché parce que cette information est rendue publique après un certain nombre d'années.
Dans quelle mesure l'évaluation environnementale dont vous parlez est-elle rigoureuse? S'agit-il d'un examen vague ou d'un regard rapide, ou parlons-nous d'une analyse en profondeur? Selon mon expérience sur les côtes, c'était la même chose; je n'ai rien fait en mer. Les organismes environnementaux voulaient faire une évaluation environnementale approfondie d'une région côtière qui peut parfois atteindre des centaines de milliers d'hectares. Il y a des zones qu'ils n'évalueront pas. Ça devient redondant.
M. Stewart : Premièrement, je dirais que, si une entreprise prend un engagement en investissant 1,2 milliards de dollars sur les cinq prochaines années, c'est parce qu'elle est assez certaine de trouver quelque chose.
Le sénateur Neufeld : Elles ne sont pas toujours certaines.
M. Stewart : Elles ne sont pas toujours certaines, mais elles dépenseront cet argent quoi qu'il arrive. Nous parlons d'une fraction de cela. WWF et ConocoPhillips ont présenté un exposé conjoint à l'ONE sur ce sujet précis l'été dernier, et nous étions d'accord. Selon les estimations ConocoPhillips, une telle évaluation coûterait 30 millions de dollars et prendrait environ 18 mois à réaliser. Certains ont dit que c'était trop et ce ne serait pas aussi long. Ils ont dit qu'une évaluation environnementale régionale correcte de la mer de Beaufort coûterait environ 30 millions de dollars.
Le sénateur Neufeld : Une évaluation « régionale », selon ce qu'ils disaient à ce moment-là. Ils ne parlent pas de toute la mer de Beaufort.
M. Stewart : Il s'agit de la mer intérieure, et cela devait donc couvrir la mer de Beaufort intérieure jusqu'à la zone où nous croyons que des concessions seront octroyées dans un avenir prévisible.
En ce qui concerne les 30 millions de dollars, la TPS de 5 p. 100 sur un montant de 1,2 milliard de dollars à elle seule donne un total de 60 millions de dollars. C'est donc une somme négligeable, et en ce qui a trait au temps, nous avons entendu dire qu'ils ne feront pas de forage dans cette zone avant quatre ans. Cela ne causera donc pas de retards. En fait, le processus sera accéléré puisque, si les entreprises trouvent quelque chose durant leurs activités de forage, elles seront prêtes à aller de l'avant parce qu'une analyse exhaustive aura déjà été faite.
Dans le cas de la mer de Beaufort, la région fait l'objet d'études et est le lieu d'activités de forage depuis 30 ans. Nous avons donc pas mal d'information sur laquelle nous pouvons prendre appui. C'est la raison pour laquelle tout le monde a appuyé le programme. Nous avons dit que nous avons le temps de le faire maintenant et que nous devrions donc le faire de manière correcte. Nous croyons qu'il s'agit d'une proposition solide. Elle ne vient pas de nous. Ce sont des fonctionnaires qui l'ont formulée, avec l'aide de spécialistes.
Le sénateur Neufeld : Vous avez dit que le gouvernement a mis fin à cette initiative dans le budget de 2010. Pouvez-vous nous dire comment il a fait cela?
M. Stewart : Une présentation a été faite à l'avance au Cabinet, et tout le monde était d'accord pour y donner suite, mais le gouvernement n'a pas pu trouver l'argent nécessaire. Le gouvernement doit faire des choix quand vient le temps de déposer un budget, et il a décidé qu'il ne pouvait pas financer le programme et qu'il y avait des priorités plus importantes. À l'époque, les bureaucrates ont vu cela comme un refus absolu et ils ont décidé que le programme ne serait probablement jamais appuyé. Ils l'ont donc abandonné. À la lumière des incidents, peut-être le rétablira-t-on. J'espère que ce sera le cas.
Le sénateur Massicotte : Personne n'a pris de décision stratégique allant dans le sens d'un refus de l'évaluation. Ce que vous dites, c'est que, selon l'information dont vous disposez, les bureaucrates ont fait une présentation pour 30 millions de dollars. Je comprends. Dans le cadre du processus d'affectation, ils ont décidé de ne pas donner suite à la proposition à ce moment-là. Il n'y a donc pas eu de décision stratégique à cet égard. Il n'y avait tout simplement pas suffisamment d'argent.
M. Stewart : Ce n'était pas une priorité importante.
Le sénateur Massicotte : Savez-vous s'il s'agit d'un manque de fonds permanent, ou si ce problème se réglera dans six à neuf mois? Vous avez dit que le programme ne serait mis en œuvre que dans quatre ans de toute manière.
M. Stewart : Aucun financement n'a été accordé pour le programme. Par conséquent, les personnes responsables ont réagi en disant que ça ne se ferait pas. C'était le moment de le financer, et le gouvernement a décidé de ne pas affecter de fonds à cette initiative ou de ne pas la considérer comme une priorité. Les fonctionnaires ont donc considéré que le projet ne se ferait pas.
Le sénateur Massicotte : S'agit-il de votre interprétation ou de celle des fonctionnaires?
M. Stewart : Les deux.
Le sénateur Neufeld : Si j'ai bien compris le projet de loi C-9, dans le cadre du processus, l'ONE et l'industrie nucléaire doivent octroyer une aide financière aux intervenants. Pouvez-vous expliquer ce que vous voulez dire quand vous dites qu'elles n'octroient pas d'aide financière aux intervenants alors que le projet de loi C-9 — qui, nous l'espérons, sera adopté par le Sénat pour que nous puissions passer à autre chose — fournirait le cadre nécessaire à ce financement?
M. Stewart : Ce serait merveilleux. À l'heure actuelle, selon les conversations que j'ai eues avec l'avocat de l'ONE pour cette enquête, l'organisme ne croit pas qu'il y aura d'aide financière aux intervenants, dans le cadre de son mandat existant. Toutefois, si le projet de loi C-9 est adopté assez rapidement, ce financement pourrait être possible pour cet examen. Ce serait merveilleux.
Le sénateur Neufeld : En Colombie-Britannique, nous avons beaucoup interagi avec l'ONE, et, selon mon expérience, l'organisme fournit parfois une aide financière aux intervenants. Il ne le fait pas toujours, et parfois, les montants ne sont pas suffisants, mais les responsables de l'organisme prennent une décision et octroient un financement ou non. Est-ce que c'est juste?
M. Stewart : Je ne sais pas. Nous avons parlé au conseiller juridique. Il nous a dit qu'un précédent a été créé récemment et que l'organisme avait l'impression de devoir s'y conformer par souci de cohérence et qu'il ne le ferait donc probablement pas. Je ne peux pas vous donner de détail.
Dans nos recommandations, ce que vous dites, c'est que, si l'ONE peut régler ces problèmes, s'il peut élaborer un processus national et, puisqu'il a le pouvoir de le faire en vertu de la Loi sur les enquêtes, s'il peut élargir l'objet de ses enquêtes en s'assurant que les autres organismes de réglementation et les autres ministères qui devraient participer au processus le font, l'ONE peut diriger ce processus. Ce serait l'option la plus préférable. Cependant, si l'ONE ne peut pas faire cela, nous devrons trouver une autre option.
Le sénateur Neufeld : Une grande partie de ce que vous avez dit est prévu dans le projet de loi C-9, dans le cadre du transfert de ces responsabilités liées aux projets énergétiques vers un organisme unique, c'est-à-dire l'ONE.
Nous avons eu deux témoins; j'ai oublié le nom des offices qu'ils représentaient, mais ce sont les offices des hydrocarbures extracôtiers des Maritimes.
Le président : M. Ruelokke et M. Pinks.
Le sénateur Neufeld : L'un de ces messieurs nous a dit que, avec les règles qui sont en place au Canada pour le forage en mer, ce qui est advenu aux États-Unis ne pourrait jamais se passer ici. C'était un commentaire intéressant, mais je l'ai accepté de la part d'un spécialiste qui connaît les règles et tout le reste.
Le sénateur Banks a parlé des règles en vigueur aux États-Unis et au Canada, et nous avons posé ces questions. Elles sont semblables, mais il y a toujours des accidents. On peut coucher tout ce qu'on veut sur papier, mais personne n'est parfait; vous l'avez dit vous-même. Si vous étiez sur ce bateau, vous ne le verriez peut-être pas si quelque chose tournait mal dans la chaleur du jour. C'est inévitable même si l'on a beaucoup de règlements, et parfois, on en a trop, ce qui peut aussi causer de la confusion à l'égard du processus. Êtes-vous d'accord avec moi? Il doit y avoir des règlements standards.
M. Stewart : Oui.
Le sénateur Neufeld : Êtes-vous d'accord avec les gens dont je viens de parler, qui disent que ce genre d'accident ne pourrait pas arriver au Canada compte tenu de nos règles?
M. Stewart : Je m'oppose ouvertement à ce commentaire pour les raisons précises que vous avez mentionnées. Il y a toujours des accidents. Je suis d'accord avec vous quand vous dites que les règlements ne sont pas la seule solution; il faut également que ces règlements soient appliqués. Au bout du compte, ce sont les procédures suivies à bord du navire et les pratiques courantes dans les champs de pétrole pour garantir que les choses se font de manière appropriée qui comptent.
Le sénateur Neufeld : Quand les choses commencent à exploser sur une plate-forme de forage, on n'ira pas chercher le livre sur la tablette et l'ouvrir à la page 82 pour savoir quoi faire.
M. Stewart : Non.
Le sénateur Lang : J'ai beaucoup apprécié votre témoignage, monsieur Stewart, et ce que vous avez présenté. Cela donne un bon aperçu de l'industrie au sujet de laquelle vous en connaissez évidemment beaucoup.
Je voudrais clarifier, pour le compte rendu, ce que vous avez affirmé dans votre déclaration préliminaire. Je vous cite :
Nous avons besoin de pétrole, mais le pétrole se fait de plus en plus rare. Néanmoins, quelques solutions de rechange se présentent déjà à nous. Ces simples faits cadrent le débat provoqué par la catastrophe qui perturbe actuellement le golfe du Mexique.
J'en conclus donc, selon votre exposé, que votre organisation ne s'oppose pas au forage en mer, à condition que des règlements soient mis en place et respectés, et que l'on continue de déployer des efforts pour introduire de nouvelles innovations technologiques afin de prévenir les accidents comme celui qui a eu lieu tout récemment et ceux qui ont eu lieu dans un passé plus lointain.
M. Stewart : Le WWF ne s'oppose pas au forage en mer; il faut simplement que les choses se fassent correctement. Nous croyons que la solution ultime est le remplacement du pétrole par d'autres sources d'énergie. Nous avons des programmes en place pour cela, mais ce n'est pas une possibilité pour l'instant. Nous ne nous opposons pas au forage en mer.
Le sénateur Lang : Je voulais clarifier cela, pour le compte rendu. Nous avons parlé du processus réglementaire aux États-Unis et, dans votre exposé, vous parlez des règlements mis en place à l'échelle mondiale. Vous mentionnez la Norvège, le Groenland et l'Australie. J'aimerais savoir si la Norvège est la norme — et je présume qu'on y fait du forage en eau aussi profonde que ce qui se fait ici, dans l'Atlantique et à d'autres endroits — pourriez-vous nous dire comment les Norvégiens se distinguent du Canada, des États-Unis ou de l'Australie du point de vue de la surveillance et du processus réglementaire dans le cadre duquel son industrie réalise ses activités?
M. Stewart : Je vais souligner deux choses précises qui sont particulières à la Norvège. Premièrement, la Norvège a un processus de planification marine qui détermine où le forage pétrolier et gazier peut se faire, où ce sont les pêches qui l'emportent et où la conservation est la priorité. Elle a tracé toutes ces zones. Cela réduit les effets potentiels d'un accident sur les industries de la pêche, du pétrole et du gaz, et permet de réduire les conflits. C'est l'une des choses que fait la Norvège, et les États-Unis aussi s'apprêtent à le faire. Vous en entendrez probablement parler davantage au cours des prochaines semaines. Nous aussi, nous devrions étudier cette possibilité. Cela s'appelle la planification spatiale marine.
Deuxièmement, vous avez peut-être entendu parler de la réglementation axée sur les buts. L'industrie se fonde souvent sur cette approche pour dire : « Dites-nous quelle sorte de gâteau vous voulez, mais ne nous dites pas tous les ingrédients que nous devons utiliser ou comment faire le gâteau. Nous trouverons nous-mêmes des solutions. Dites-nous seulement ce que vous voulez comme résultat final. Il s'agit d'un équilibre entre la réglementation normative pour garantir la sécurité et la liberté d'innovation de l'industrie.
Au début des années 1990, la Norvège a adopté un régime entièrement axé sur les buts qui encourageait l'innovation. Toutefois, lorsque quelques incidents mineurs ont eu lieu, elle a compris qu'elle devait modifier son approche et permettre un équilibre entre les règlements normatifs et un cadre de travail qui encourageait l'innovation. C'est un exemple de la manière dont elle tire profit de ses expériences. Très rapidement, après avoir observé les événements à l'étranger et dans leur propre pays, les dirigeants se sont adaptés et ont réussi à trouver un équilibre qui, selon nous, fonctionne bien.
Le sénateur Lang : J'apprécie votre réponse. Le Canada devrait tenir compte de cela quand il réalisera son enquête. Je suis certain qu'on examinera la situation de la Norvège.
Je suis un Canadien qui ne sait pas grand-chose au sujet du forage en mer. Je sais seulement que nous en faisons et que nous semblons le faire assez bien, jusqu'à maintenant. Il y a toujours eu un certain niveau de confort, je pense, et nous croyions que la technologie était si avancée que nous pouvions le faire. Pourtant, dans la foulée de cette catastrophe, nous voyons qu'on prend des mesures pour régler ce problème auxquelles — sans vouloir offenser mon bon ami le sénateur Banks — nous aurions probablement pu penser, lui et moi, et cela me préoccupe. Des organisations comme le WWF, notre comité et d'autres doivent examiner rigoureusement la recherche et le développement ainsi que l'aspect technique de la chose afin que nous puissions rectifier les erreurs humaines, quand elles sont commises.
Évidemment, personne n'a vraiment porté attention à la chose. On a tout simplement dit qu'une option existait pour réagir à une catastrophe de cette nature. Cette option ne fonctionne évidemment pas très bien, voire pas du tout. Peut-être pourriez-vous commenter cela. La Norvège a-t-elle un autre processus en place pour réagir en cas de catastrophe?
M. Stewart : La Norvège est le chef de file en ce qui concerne le financement à cet égard, et sa préoccupation principale est le nettoyage d'eaux prises par les glaces en cas de déversement de pétrole. Elle n'a pas de solutions précises relatives au confinement et au nettoyage à l'heure actuelle, même si elle fait des recherches à ce sujet. Il semble que personne n'ait de solutions à ces problèmes jusqu'à aujourd'hui.
Vous avez raison quand vous dites que la clé sera l'innovation. Nous devons d'abord arrêter de dire qu'il n'y aura jamais d'accident parce que ce n'est pas vrai. Par conséquent, nous devons prendre ce problème au sérieux, ce qui sera probablement le cas maintenant, et affirmer que, si nous faisons du forage en mer, en tant que communauté internationale et en tant que pays, nous devons favoriser et promouvoir l'innovation en matière de techniques et de matériel d'urgence. Nous devons faire un bien meilleur travail de ce point de vue. Cependant, la Norvège n'a pas trouvé de panacée à cet égard.
Le sénateur Lang : Ce qui m'a impressionné dans votre exposé, c'est l'idée d'une enquête à délai fixe, qui permettrait de garantir qu'une telle enquête ne s'étirerait pas en longueur pour peu de résultats, voire aucun.
M. Stewart : L'enquête américaine doit se faire en six mois.
Le président : Certains de mes collègues ne sont peut-être pas au courant de ce qui suit. C'est tiré du Edmonton Journal :
Néanmoins, la Chambre des communes a approuvé mercredi, à une écrasante majorité, une motion du NPD pour l'examen des règlements sur le forage en mer. Cette motion a obtenu l'appui presque unanime de tous les partis.
Vous devez en être heureux, monsieur.
M. Stewart : La motion a reçu un appui unanime; 274 votes contre zéro. Nous en sommes très heureux. Cela va au-delà de ce que nous demandions. Il faut toutefois se demander si le gouvernement y donnera suite. Ce genre d'enquête est importante, mais il reste à voir si elle se fera.
Le sénateur Seidman : Merci beaucoup d'être ici ce matin. J'aimerais poursuivre dans la même voie que celle empruntée par le sénateur Lang parce que je trouve qu'il s'agit d'une question compliquée.
Ce matin, à la première page de l'un de nos journaux nationaux, j'ai lu qu'il était confirmé que BP faisait du forage à 1 500 mètres de profondeur, et que, au Canada, nous ferons des puits à 2 500 mètres de profondeur. Dans votre exposé d'aujourd'hui, vous avez dit :
De plus, les études approfondies menées par Environnement Canada au cours des armées 1980 nous indiquent qu'en cas de déversement dans l'Arctique, la technologie actuelle (qui n'a pas évolué depuis des décennies) ne nous permettrait pas de nettoyer les dégâts.
Il est clair que nous devrions être préoccupés par le fait que la technologie permettant de mettre fin à des explosions à un mille de profondeur n'a pas progressé à la même vitesse que la technologie permettant de forer des puits à cette profondeur. Qu'est-ce qui explique cela?
M. Stewart : Nous sommes d'avis que la position adoptée par les personnes concernées est que, par l'innovation, nous pouvons éviter complètement que des explosions aient lieu; en conséquence, il n'est pas nécessaire de s'inquiéter de ce qu'il adviendrait s'il y avait une explosion. Vous avez entendu cela dans le témoignage de M. Ruelokke. Il est de cet avis, en tant que président-directeur général d'un organisme de réglementation. Ces gens croient qu'un tel accident ne pourrait jamais avoir lieu au Canada.
Malheureusement, cette position est limitative parce qu'on ne pense pas aux mesures de sauvegarde qui doivent être mises en place. Selon un article récent paru dans Alaska Dispatch, les blocs obturateurs de puits sont contestés par l'industrie depuis 2002. Chevron, en particulier, qui est l'entreprise qui est en train de forer le puits très profond en question, croit que la technologie est défectueuse, et elle essaie de mettre au point une technologie complètement différente pour contenir un déversement, le cas échéant.
On doit encourager ce genre d'innovation, mais le fait que l'industrie elle-même a évidemment des doutes sur l'état actuel de la technologie devrait nous alarmer.
Plus particulièrement, des études réalisées par le Mineral Management Service en 2002 et en 2004 ont montré que les blocs obturateurs de puits ne peuvent pas couper et obturer de manière fiable les tuyaux d'acier et les lignes de soudure ultra-résistants. De plus, ils n'ont pas l'effet voulu quand des outils — comme des trépans — sont à l'intérieur des tuyaux. Les blocs eux-mêmes ne sont tout simplement pas assez solides pour obturer ces tuyaux ultra-résistants.
Ces études nous ont appris que nous avons besoin d'un mécanisme de sécurité de rechange. Ce n'est pas seulement celui dans le golfe qui a fait défaut; il est possible qu'une défaillance systémique existe.
Le sénateur Seidman : L'industrie consacre-t-elle une partie de ses profits à la R-D et à la mise au point d'innovations qui pourraient permettre de gérer les catastrophes qui vont sûrement advenir? Selon la loi de la moyenne, il va y avoir de telles catastrophes.
M. Stewart : Nous n'avons pas, au Canada, de fonds consacrés précisément à la R-D, même si des fonds du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie, le CRSNG, ont peut-être, à un certain moment, été utilisés à cette fin. C'est l'industrie qui est le partenaire qui dépense le plus pour ce type d'innovations. Vous touchez là à la question clé à poser à l'industrie : est-ce qu'elle dépense suffisamment et prend le risque au sérieux si son approche, c'est de penser qu'un tel accident ne peut jamais arriver?
Le sénateur Seidman : Je pense aux compagnies de tabac qui ont dû créer un fonds à partir de leurs profits pour la recherche et les soins de santé en raison du fardeau social et des risques associés au tabagisme. Compte tenu des risques et du fardeau social potentiel associés au forage en eau profonde, devrait-on envisager une certaine forme de fonds de R-D auquel l'industrie, et peut-être les gouvernements, cotiseraient?
La catastrophe dans le golfe se déplace maintenant vers les côtes de la Floride. Elle aura d'énormes répercussions sur l'économie, sur le secteur de l'emploi et sur la société en général.
M. Stewart : Je crois que c'est une excellente idée.
Le sénateur Brown : Je suis d'accord avec ce à quoi veulent en venir le sénateur Lang et le sénateur Seidman. Avant, quand nous n'avions pas de puits en eau profonde, Red Adair éteignait des incendies sur des puits de pétrole. Quand le gouvernement iraquien a décidé de mettre le feu à quelques centaines de puits de pétrole à la fin de la guerre, on a dit que l'incendie durerait des années, mais l'entreprise SafetyBOSS Inc., de Calgary, a réussi à les éteindre en quelques semaines.
Comme vous l'avez dit, c'est au sein de l'industrie en tant que telle que se trouve la meilleure expérience. Nous devrions réunir l'industrie et les ingénieurs métallurgistes pour qu'ils trouvent une façon de contenir tout accident, quels que soient les coûts, puisque, comme le révèlent vos études, ces coûts peuvent être bien supérieurs à tout ce que nous pouvons accepter.
Nous ne pouvons pas empêcher les explosions sur une plate-forme de forage à une distance de un mille au-dessus de l'endroit où se fait le forage, mais nous devons empêcher le pétrole de fuir. Il ne s'agit pas de nous demander si nous pouvons le faire. Nous devons le faire. La catastrophe qui a lieu dans le golfe est ridicule. Ce sera la plus grande catastrophe environnementale de tous les temps.
Il faut quelque chose pour empêcher n'importe quel type d'éruption. Je suis sûr que les gens qui construisent des sous-marins et des navires transportant du matériel nucléaire partout dans le monde et fonctionnant à l'énergie nucléaire, et qui n'ont jamais eu d'accident, possèdent plus de connaissances spécialisées que l'industrie pétrolière en ce qui concerne la prévention des explosions de matières soumises à une grande pression et à de la chaleur. Je ne pense pas que ce soit une mission impossible.
Il y a un vieil adage qui dit qu'il vaut mieux prévenir que guérir. Des gens comme vous, de même que les gouvernements, devraient exercer des pressions parce que ce n'est tout simplement pas acceptable.
M. Stewart : Merci. Votre message est passé.
Le sénateur Dickson : Monsieur Stewart, je vous ai entendu, je crois, en entrevue à CBC la fin de semaine dernière. L'entrevue m'a marqué. Je voulais rappeler au président à quel point vous pouviez être utile à la nature de notre enquête. Je sais que le président a déployé de grands efforts pour vous faire comparaître. Je suis plus impressionné que jamais auparavant par vos connaissances et votre exposé.
Nous avons abordé un aspect environnemental, comme vous l'avez fait, puisque c'est votre mandat. J'aimerais mettre l'accent sur la santé et la sécurité, plus particulièrement sur la sécurité du poisson. Je sais que la biomasse, au large des côtes de Terre-Neuve, est en croissance. On peut espérer en apprendre davantage à ce sujet bientôt grâce à Pêches et Océans Canada.
Quand je regarde les catastrophes des plates-formes Ocean Ranger et Piper Alpha, je m'inquiète beaucoup pour la sécurité. Il y a aussi eu la catastrophe de Westray, si on pense au secteur des mines.
À la page 3 de votre exposé, vous parlez de Piper Alpha, comme vous l'avez aussi fait dans votre entrevue à la CBC. Vous soulevez la question de l'absence d'une structure modèle d'évaluation des risques appropriée. Vous avez donné, pendant l'entrevue à la CBC, un exemple d'un modèle que nous avons élaboré. Le principal aspect qui n'était pas couvert par ce modèle, c'est la profondeur de l'eau. En d'autres termes, nous effectuons actuellement du forage dans des eaux très profondes, mais les modèles réalisés ont été faits dans des eaux beaucoup moins profondes. Voulez-vous nous en dire plus sur les modèles qui ont été réalisés?
M. Stewart : La plupart des connaissances dont nous disposons actuellement, surtout en ce qui concerne l'Arctique, sont tirées de travaux effectués dans les années 1970 et 1980, près des côtes, en eau peu profonde. La plate-forme continentale de la mer de Beaufort a une profondeur moyenne de seulement 30 mètres, ce qui fait qu'il s'agit de forage en eau peu profonde.
Les États-Unis ont procédé à une évaluation approfondie des risques associés aux répercussions des activités de forage au large des côtes. Selon un de leurs modèles probabilistes, il y a jusqu'à 40 p. 100 de risque qu'un déversement se produise dans la mer de Beaufort pendant la période au cours de laquelle il y aura du forage dans la région. Ils ont aussi établi la trajectoire d'un déversement de pétrole, l'importance éventuelle d'une catastrophe, ses répercussions, et une liste de ce dont le personnel d'intervention en cas d'urgence aura besoin pour limiter le plus possible les décès et évacuer les gens vers des hôpitaux le plus rapidement possible. Ce sont là des détails auxquels nous devons réfléchir longuement.
À l'heure actuelle, le Canada accorde des concessions en eau profonde qui permettent aux sociétés gazières et pétrolières de faire du forage dans des eaux assez profondes au cours des cinq prochaines années. Cependant, nous n'avons rien fait pour mettre à jour les modèles afin de connaître les répercussions sur l'environnement et sur la sécurité des personnes d'un forage à ces endroits. Est-ce que le risque d'accident est multiplié compte tenu du fait que nous nous éloignons de la banquise côtière pour aller vers la banquise permanente, qui se déplace? Le contexte d'exploitation et les problèmes d'ingénierie sont très différents quand on sort de la plate-forme continentale.
Ce que je veux dire, c'est que nous n'effectuons pas beaucoup d'évaluation des risques, voire nous n'en effectuons aucune. Nous devons adapter l'information dont nous disposons à ces nouveaux scénarios quand nous prenons des décisions qui forcent l'industrie à faire du forage là-bas.
Le sénateur Dickson : La Chambre des communes choisit l'approche selon laquelle la réglementation du forage en haute mer fera l'objet d'un examen. Je surveille ce que disent les journaux à propos de ce qui se passe aux États-Unis, et j'ai l'impression que, parfois, les hommes et les femmes politiques réagissent de façon exagérée pour bien paraître dans l'opinion publique.
Nous n'avons pas besoin de réagir de façon exagérée, dans la mesure où les sociétés pétrolières et les personnes qui prennent des risques en investissant dans ces sociétés n'auront pas un régime de réglementation équilibré au Canada. Cela me préoccupe, et cela préoccupe tous les Canadiens qui font partie de l'industrie gazière et pétrolière.
Je vais revenir à votre recommandation, selon laquelle la solution est de convoquer une commission d'enquête en bonne et due forme. D'abord, quelle serait la portée d'une telle commission d'enquête en bonne et due forme? Ensuite, d'après mon expérience à titre d'avocat, les examens réglementaires peuvent se poursuivre éternellement. Comment envisageriez-vous un examen réglementaire effectué par étapes et visant à offrir à l'industrie une garantie raisonnable que nous ne la forcerons pas à mettre fin à ses activités?
M. Stewart : Pour répondre à la deuxième question, je dirais que l'examen réglementaire doit être limité dans le temps. S'il se poursuit éternellement, il coûtera une fortune en frais juridiques. Je propose un délai de six mois. Si les États-Unis peuvent procéder à un examen réglementaire en six mois, nous devrions pouvoir en faire autant.
Au sujet de la portée de la commission d'enquête, il y a deux aspects à souligner. D'abord, un organisme de réglementation de la côte Est a apparemment éliminé, il y a un an, l'exigence concernant les puits de secours. Un autre organisme de réglementation, l'Office national de l'énergie, a vu son processus visant à mener un examen semblable être freiné pour une bonne raison. Cela entraîne des écarts sur le plan géographique. Nous estimons qu'il est dans l'intérêt public des Canadiens et de l'industrie d'avoir une réglementation uniforme à l'échelle du pays. Nous pensons donc qu'une commission d'enquête devrait avoir une portée nationale.
Ensuite, il y a des solutions pour le pays au sujet desquelles l'industrie et nous sommes d'accord. J'ai énuméré, dans notre exposé, de nombreuses tentatives qui ont été effectuées au cours des 10 dernières années. Elles sont toutefois tombées à l'eau parce qu'elles n'étaient pas réglementées. Quoi qu'il en soit, ce sont des solutions viables qui pourraient nous permettre d'obtenir un processus de réglementation plus judicieux sans accroître le fardeau général pour l'industrie.
L'enquête devrait avoir une portée assez large pour couvrir toutes les questions concernant la pertinence de forer, les raisons pour lesquelles nous le ferions, de même que l'endroit où le forage aurait lieu. À l'heure actuelle, on met simplement l'accent sur la façon de forer et on ne se préoccupe pas des deux autres questions. Il faut que l'enquête couvre les trois questions.
Le sénateur Dickson : Je peux comprendre que ce sont les questions qui doivent être couvertes, mais est-ce que l'enjeu fondamental n'est pas celui des puits de secours? Quelqu'un a éliminé l'exigence concernant les puits de secours dans certains secteurs de compétence. L'élaboration de modèles prendrait plus de six mois.
M. Stewart : Oui.
Le sénateur Dickson : De toutes les questions auxquelles devrait s'intéresser l'enquête, quelle est la question réglementaire la plus importante? En d'autres termes, est-il possible d'organiser l'enquête de façon, par exemple, à obtenir une décision sur la question la plus importante en moins de trois mois?
M. Stewart : Au Fonds mondial pour la nature, nos plus grandes préoccupations concernent ce qui précède le forage parce que c'est dans ce secteur que notre processus de réglementation est le plus faible. Les questions concernant la pertinence de forer et l'endroit où on le fera permettent d'établir le contexte pour tout ce qui suivra. Ce sont les aspects les plus importants sur lesquels l'enquête devrait mettre l'accent. Cependant, les collectivités locales pourraient se dire en désaccord et mentionner que, à leur avis, les puits de secours sont importants. Je peux seulement vous donner une réponse qui correspond à notre point de vue, et nous pensons qu'une enquête doit absolument porter sur ce qui vient au tout début du processus.
Le sénateur Frum : Je suis étonnée d'apprendre que tout ce qui limite la profondeur à laquelle une société pétrolière peut aller, c'est ses propres capacités technologiques. Le bassin Orphan s'enfonce à 8 300 pieds sous la surface du sol; est-ce que cela signifie que tout dépend entièrement du jugement de la société?
M. Stewart : C'est exact. D'un point de vue technologique, cette plate-forme peut permettre de forer à au plus 12 000 pieds de profondeur. Dans ce cas, le forage se situe à environ 8 700 pieds. Il y a bel et bien une limite technologique, mais elle n'est mentionnée nulle part dans la réglementation.
Le sénateur Frum : Vous avez posé, il y a quelques instants, une question de pure forme au sénateur Dickson, c'est-à-dire pourquoi nous n'examinons pas les facteurs de risque. Est-ce que le WWF a un avis ou une position concernant la sécurité relative du forage en eau peu profonde par rapport au forage en eau profonde?
M. Stewart : Nous pensons que plus vous vous éloignez des côtes, plus l'eau est profonde et plus vous allez dans un milieu isolé, plus il y a de risques. C'est pourquoi nous pensons qu'il faut renforcer notre surveillance réglementaire. Si nous voulons faire du forage dans ces régions, il faut être conscient du fait que les risques d'accident sont plus élevés. Nous devons donc accroître notre surveillance et nos activités d'évaluation des risques, ce que nous ne faisons pas.
Nous n'essayons pas d'empêcher le forage et nous ne disons pas qu'il ne faut jamais aller forer à cet endroit. Ce que nous disons, c'est que, si nous nous engageons à permettre à des sociétés d'aller faire du forage là-bas, il serait préférable que nous ayons prévu des solutions au préalable. L'inverse ne serait pas logique. C'est l'essentiel de notre point de vue.
Le sénateur Frum : N'avez-vous pas, pour l'instant, de point de vue sur une profondeur de forage en particulier?
M. Stewart : Non, nous n'en avons pas.
Le sénateur Frum : Pouvez-vous nous en dire plus sur ce qui se passe dans un secteur de compétence comme, par exemple, le Groenland? Récemment, le Groenland a accepté des soumissions pour du forage dans la baie de Baffin, près de l'entrée du détroit de Lancaster. C'est tout près de l'endroit où le Canada espère avoir une aire marine de conservation. Dans une situation internationale ou bilatérale comme celle-là, à quel point notre ministre de l'Environnement a-t-il de l'influence sur de telles décisions?
M. Stewart : Il en a très peu. J'aimerais aussi mentionner que le Groenland a agi très rapidement en ce qui concerne la concession pour l'île Disko, ce qui a alarmé tout le monde. Le processus a pris, en tout et pour tout, 18 mois; on a octroyé ces concessions, et le forage est sur le point de commencer. Cependant, pendant ce temps, les autorités ont réussi à procéder à une évaluation environnementale stratégique — une sorte d'évaluation environnementale régionale. Bien honnêtement, cette évaluation est beaucoup plus impressionnante que tout ce que nous avons pu faire et documenter au Canada. Ces gens ont réussi à accomplir quelque chose.
Je n'ai pas analysé en détail leur évaluation. Je ne sais pas si elle a donné de très bons résultats ou non, mais cette décision aura certainement des répercussions sur nous. La plate-forme sera située dans le courant du Labrador; il y a des icebergs en mouvement dans cette région. Un déversement de pétrole à partir de cette plate-forme se retrouverait dans les eaux canadiennes le long de la côte du Nord du Québec et, éventuellement, le long de la côte des Maritimes. De plus, si un déversement pouvait se produire à partir de la concession de Shell au large du versant nord de l'Alaska, le pétrole se retrouverait dans les eaux canadiennes compte tenu du sens du courant.
Il y a lieu de se préoccuper de l'harmonisation des exigences entre les pays puisque chaque pays fait courir des risques aux autres et que nous devrions tous nous soumettre à des normes semblables. Il y a eu une tentative à ce sujet. Le Conseil de l'Arctique a établi, à tout le moins pour l'Arctique, des lignes directrices pour la gestion du gaz et du pétrole. Elles ont été rendues publiques l'an dernier. Tous les pays se sont entendus au sujet de ces lignes directrices, par l'entremise d'un comité de travail. Elles représentent une référence internationale.
Peut-être que c'est de cela que nous avons besoin. Plutôt que de nous comparer à la Norvège ou aux États-Unis, nous avons peut-être besoin d'une référence internationale que nous devrions tous nous efforcer de respecter, comme celle mise de l'avant par le Conseil de l'Arctique. L'harmonisation est un enjeu très important.
Le président : N'y a-t-il pas quelque chose de semblable en vigueur? Nous entendons constamment parler de ce groupe de huit nations qui font du forage et qui se consultent de quatre à six fois par année en plus d'adopter une approche harmonisée de la réglementation. N'est-ce pas exact?
M. Stewart : C'est là une autre tentative. Je crois que ces motions se préoccupent surtout de la façon de forer — du volet technologique et de la façon dont le forage se fait. C'est ce que j'ai compris de leur orientation.
Il existe divers modèles de collaboration, et on devrait les encourager.
Le président : Le Canada est-il un membre actif de ce groupe? Ce groupe a-t-il un nom, comme le « Groupe des 8 »?
M. Stewart : Je l'ai entendu désigner par ce nom. Je ne pense pas que nous en faisions partie.
Le sénateur Dickson : Si on revient à la possibilité d'une enquête, vous avez dit qu'on pouvait, en six mois, déterminer la pertinence d'un forage, l'endroit où il a lieu et la façon dont il est effectué. J'ai réfléchi à cette remarque, surtout en raison des commentaires du président. Je pense à la situation du point de vue de la côte Est; nous effectuons du forage là-bas, et c'est très important pour ma province, et aussi, je sais, pour Terre-Neuve. Ma mère vient de Terre-Neuve, ce qui fait que je défends aussi cette province.
Mon impression, c'est que nous devrions d'abord et avant tout nous pencher sur la façon de forer. Ce que je veux, maintenant, c'est un rapport puisque je suis à peu près sûr de pouvoir en obtenir un sur la façon dont nous le ferons d'ici six mois si je fais les efforts requis. Ce ne serait pas un moratoire; nous irions de l'avant. Quelqu'un a pris une décision; maintenant elle est prise, alors nous devons aller de l'avant à moins que quelqu'un, dans un avenir proche et raisonnable, ne découvre quelque chose qui viendra changer la suite des événements.
Je crois que les conseils des provinces canadiennes de l'Atlantique font un excellent travail, et je crois qu'ils sont sincères, comme le sont aussi les gouvernements. Le gouvernement fédéral s'acquitte de ses responsabilités dans cette région.
J'aimerais obtenir des commentaires sur la possibilité que cette enquête se fasse par étapes. Nous pourrions nous rendre devant la Chambre des communes et recommander, par l'entremise du président, que l'enquête se fasse par étapes, si on devait décider d'aller de l'avant avec une enquête. La première étape porterait sur la façon de forer puisque les autres étapes peuvent s'étirer indéfiniment. Comme vous le savez, le Banc Georges, en Nouvelle-Écosse, fait actuellement l'objet d'un moratoire.
M. Stewart : Nous croyons que toutes les questions sont importantes. Quelle que soit la portée de l'enquête, il faut viser à répondre à toutes les questions dans un délai prescrit. Au bout du compte, les questions prendront la place qu'elles pourront prendre dans les délais prescrits. Nous disposons d'une énorme base de compétences; en six mois, nous pouvons régler les questions de la pertinence et du lieu du forage, de même que des méthodes de forage. Je crois que les solutions existent; des personnes y réfléchissent depuis longtemps. Il est toutefois possible de prévoir une enquête par étapes pour commencer par les méthodes de forage avant de poursuivre avec le reste.
Le président : J'aimerais mentionner quelque chose aux fins du compte rendu. J'ai parlé des huit nations; en fait, elles sont neuf. J'aimerais lire, aux fins du compte rendu, un extrait des notes d'information que nous a transmises la Bibliothèque du Parlement. C'est au no 11, à la page 3 du document qu'on nous a remis pour la présente étude :
L'International Regulators Forum (IRF) regroupe neuf organismes de réglementation en matière de santé et de sécurité dans le secteur pétrolier et gazier en mer et en amont. L'Office Canada-Terre-Neuve-et-Labrador des hydrocarbures extracôtiers et l'Office Canada-Nouvelle-Écosse des hydrocarbures extracôtiers font partie de ce groupe, mais pas l'Office national de l'énergie.
Nous allons poursuivre brièvement avec des questions, et nous mettrons fin à la séance télévisée.
Le sénateur Massicotte : Je ne suis pas un spécialiste de l'industrie. Parlez-moi, froidement, des risques et des conséquences d'un point de vue global. Quand vous lisez le rapport d'un avocat, quand on y évalue les risques, on vous donne, par exemple, une probabilité de 1 p. 100 pour telle chose, une probabilité de 0,1 p. 100 pour telle autre chose, puis on vous explique les conséquences. Je peux parler des sables bitumineux et de tout cela, mais quel est le risque d'un déversement de pétrole? Vous avez parlé plus tôt d'un risque de 40 p. 100. Cela semble très élevé. Cependant, ce pourcentage est probablement associé à une conséquence en particulier; une autre conséquence serait associée à un pourcentage de risque différent, je suppose.
Pouvez-vous situer ce risque en contexte pour moi? Si j'étais le premier ministre et que vous deviez me fournir un résumé d'un paragraphe, comment décririez-vous le risque et les conséquences connexes?
M. Stewart : Quand on effectue une analyse de risque, on présente divers scénarios. On précise qu'une explosion représenterait le pire scénario puisqu'il serait impossible de contenir le pétrole. Cependant, des déversements peuvent se produire à d'autres endroits, par exemple à cause d'une fuite ou d'un petit déversement accidentel à partir du côté d'un navire. Une révélation vient tout juste d'avoir lieu à propos d'un déversement de boue de forage, ce qui représente un problème, mais un problème moins grave qu'un déversement de pétrole. Les risques associés à divers scénarios font l'objet d'une évaluation, puis on évalue les répercussions possibles si un événement devait se produire.
Habituellement, quand on effectue la planification des mesures d'urgence, on s'appuie sur le pire des scénarios puisque cela permet d'élaborer la méthode d'intervention la plus complète.
Le sénateur Massicotte : Il s'agit d'un déversement.
M. Stewart : Une explosion et un déversement, comme on le voit actuellement dans le golfe du Mexique. C'est le pire des scénarios.
Le sénateur Massicotte : Quelle est la probabilité que ce scénario se produise dans les projets que nous envisageons?
M. Stewart : Cela varie d'une région à l'autre selon les conditions météorologiques et selon la mesure dans laquelle on en tient compte. Les spécialistes disposent de modèles complexes que je ne comprends pas en détail, mais la probabilité demeure très peu élevée.
Le sénateur Massicotte : Quel est le risque en ce qui concerne les projets que nous prévoyons dans la mer de Beaufort?
M. Stewart : Je ne connais pas les chiffres en particulier. Les probabilités allaient de 12 p. 100 pour un déversement très important à 40 p. 100 pour de très petits déversements. Je crois que c'était dans cette gamme.
Le sénateur Massicotte : Prenons le risque de 12 p. 100. C'est un risque difficile à accepter pour nous puisqu'il semble très élevé. Quelles seraient les conséquences d'un tel événement, puisque des erreurs auront lieu? C'est le propre de la nature humaine; c'est le point de départ. Quelles sont les conséquences sur le plan économique ou environnemental?
M. Stewart : Il ne se fait aucune pêche commerciale à proprement parler dans la mer de Beaufort, ce qui signifie que les répercussions économiques ne se feraient pas sentir. On parle plutôt de répercussions sur l'environnement et sur la qualité de vie des personnes qui y vivent.
Le sénateur Massicotte : Pouvez-vous m'en dire un peu plus? S'il y a trois personnes qui vivent là-bas, il va de soi que je me préoccupe grandement de leur sort, mais je suis quand même moins préoccupé que si un million de personnes y vivent.
M. Stewart : Il y a six collectivités inuvialuites autour de la mer de Beaufort dont le mode de vie dépend principalement de la chasse et de la pêche. Je ne sais pas combien la région compte d'habitants au total — probablement moins de 10 000. Si une explosion et un déversement importants devaient survenir, leur qualité de vie en serait certainement touchée.
Nous ne savons même pas si nous pouvons contenir un puits; dans une telle situation, il faudrait jusqu'à un an pour forer un puits de secours. On sait que le pétrole jaillirait sous la glace pendant toute une année. Nous ne serions pas capables de nettoyer tout ce pétrole. Maintenant, nous savons cela.
Nous nous retrouverions avec une énorme quantité de pétrole persistant dans un environnement recouvert de glace, ce qui aurait une incidence sur la chaîne alimentaire et sur les animaux qui sont au sommet de cette chaîne — les mammifères chassés par les collectivités de la région pour leur subsistance. Les conséquences d'un tel déversement de pétrole viendraient gravement bouleverser le mode de vie de ces collectivités.
Le sénateur Massicotte : Est-ce que quelqu'un a tenté d'expliquer cela?
Le président : Ce n'est pas le sujet de la présente audience. Il n'y a pas de forage dans l'Arctique à l'heure actuelle.
Le sénateur Massicotte : Je le sais bien.
Le président : Nous aborderons cette question une autre fois. Si nous voulons discuter de ce qui doit être fait dans l'avenir, l'enquête pourrait durer 20 mois. Nous avons quatre jours pour le faire, et nous nous concentrons uniquement sur ce qui se fait au large des côtes. Voulez-vous poser une question sur ce qui se fait à Terre-Neuve, où il y a du forage?
Le sénateur Massicotte : Vous pouvez faire le choix que vous voulez, mais, au bout du compte, quelqu'un prendra une décision et dira qu'un déversement de pétrole a des conséquences. Il faut reconnaître la réalité. Si vous regardez les sondages, vous constaterez que les Canadiens diront qu'ils veulent mettre fin au forage.
Le président : Il n'y a pas de forage là-bas. Il est arrêté.
Le sénateur Massicotte : Ils diront qu'ils veulent qu'on y mette fin pour toujours.
Le président : Ce sera le sujet d'une autre enquête. J'essaie de déterminer si les pratiques actuelles entraînent ou non des dangers.
Le sénateur Massicotte : Il n'y a pas de forage, donc, de toute évidence, il n'y a pas de danger.
Le président : C'est pourquoi je ne veux pas que vous alliez dans cette direction. Nous nous étions entendus, à titre de comité, pour ne pas aller dans cette direction.
Le sénateur Massicotte : Il n'y a pas de risque : il n'y a pas de forage.
M. Stewart : Pour revenir sur ce sujet, il n'y a pas de forage en cours. Cependant, nous nous sommes engagés au sujet d'activités de forage d'ici cinq ans. Il faut trouver la bonne façon de procéder.
Le sénateur Banks : Du forage commencera à être effectué d'ici cinq ans. Des sociétés sont prêtes à commencer à forer d'ici cinq ans.
M. Stewart : Il y aura du forage là-bas à partir de 2014. Imperial Oil a l'obligation contractuelle de commencer à forer d'ici 2012, mais, d'après ce que je comprends, elle obtiendra une prolongation. On s'attend à ce que le forage commence à l'été 2014.
Le président : Merci beaucoup. Monsieur Stewart, vous avez été formidable. Je pense que tous les sénateurs ont eu l'occasion de vous poser des questions. Vous avez donné des réponses très claires, et nous vous en sommes reconnaissants.
Je vais maintenant mettre fin à cette partie de la réunion. Nous allons poursuivre à huis clos pour discuter du budget, puis nous retournerons en séance publique pour l'adopter si vous le voulez bien.
(Le comité poursuit ses travaux à huis clos.)
(La séance publique reprend.)
Le président : Chers collègues, nous revenons en séance publique pour étudier le budget qui a été préparé et qui a fait l'objet de discussions. Je pense que vous l'avez tous devant vous. Sénateur Banks, je vous demande de proposer le budget, à condition que la recherche de faits sur le nucléaire soit effectuée par un plus grand nombre de sénateurs, soit 12 sénateurs, sans tenir compte des interprètes et autres personnes. Nous allons le modifier. Sinon, est-ce que vous proposez qu'il soit adopté tel que formulé?
Le sénateur Banks : Oui.
Le président : Le sénateur Lang appuie la proposition. Tous ceux qui sont pour?
Des voix : D'accord.
Le président : Il est convenu que je suis autorisé à aller rencontrer le Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration et à faire ce qui doit être fait?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Banks : Il faut aussi rappeler au Comité de la régie interne que son rôle est de servir le Sénat. C'est sa raison d'être.
Le sénateur Massicotte : Proposez-vous un amendement à votre résolution?
Le président : Il sait que je serai un fidèle messager.
Merci beaucoup. Nous allons suspendre la séance.
(La séance est suspendue.)
(La séance reprend.)
Le président : La séance publique reprend, et la parole est au sénateur Banks.
Le sénateur Banks : Je propose que, au nom du comité, vous entrepreniez l'élaboration et la présentation au Sénat d'une motion concernant les règlements qui régissent le forage au large des côtes du Canada, motion qui sera rédigée et écrite par vous en fonction de tout ce que nous avons entendu.
Le sénateur Dickson : Je suis tout à fait d'accord pour que vous soyez le seul à maîtriser le contenu de la motion, mais, s'il doit y avoir un examen de la réglementation, j'aimerais que vous envisagiez une approche par étapes. Comme je l'ai mentionné, nous ne voulons pas nuire au processus d'investissement ni à ce qui se passe actuellement sur la côte Est. Pendant la première étape, la Chambre des communes et tout responsable des examens devraient se pencher sur la façon dont le forage se fait. Sinon, nous nous retrouverons à parler d'environnement et, même si le témoin a dit que les discussions pouvaient se faire en six mois, je crois qu'elles dureraient au moins six ans parce que toutes les ONG d'un peu partout trouveront une raison d'empêcher le forage.
Le président : Nous sommes en séance publique, et j'ai entendu la motion. J'ai aussi entendu le sénateur Dickson et le sénateur Banks m'offrir leur aide pour élaborer la motion en ayant comme but qu'elle répète en grande partie ce qui a été fait à l'autre endroit, hier; est-ce exact?
Le sénateur Banks : C'est exact.
Le président : Chers collègues, êtes-vous d'accord?
Des voix : D'accord.
(La séance est levée.)