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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Finances nationales

Fascicule 16 - Témoignages du 7 juillet 2010 - Séance de l'après-midi


OTTAWA, le mercredi 7 juillet 2010

Le Comité permanent sénatorial des finances nationales se réunit aujourd'hui à 14 heures pour étudier le projet de loi C-9, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 4 mars 2010 et mettant en œuvre d'autres mesures (sujet : la partie 2).

Le sénateur Joseph A. Day (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, je déclare ouverte cette séance du Comité sénatorial permanent des finances nationales. C'est la 23e réunion du comité sur le thème du projet de loi C-9, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé en 2010, qui comporte 24 parties. Encore une réunion et nous en aurons tenu une pour chaque partie du projet de loi. Le comité a déjà entendu les témoignages de ministres, de fonctionnaires et d'intervenants externes qui s'intéressent à cette loi ou sont touchés par elle.

La semaine dernière, le comité étudiait la partie 2 du projet de loi, mais il lui reste encore à comprendre certains aspects des modifications apportées à la taxe sur les produits et services, la TPS. Comme nous n'avons pas eu l'occasion d'en discuter avec les fonctionnaires qui ont comparu ici, ils ont été invités à revenir pour nous aider à bien saisir toute la portée de ces modifications.

Au nom de mes honorables collègues, je souhaite donc de nouveau la bienvenue à Brian Ernewein, directeur général de la Direction de la politique de l'impôt au ministère des Finances. Vous vous étonnerez peut-être que nous soyons encore à traiter de ce projet de loi, alors que nous en avons discuté avec vous il y a déjà trois semaines. Notre étude tire à sa fin.

Nous accueillons aussi M. Lalith Kottachchi, chef, Législation, à la Division de la taxe de vente, Immeubles et institutions financières de la Direction de la politique de l'impôt. Je ne crois pas que nous vous ayons déjà rencontré, monsieur Kottachchi. Nous vous souhaitons la bienvenue.

Nous avons une heure, chers collègues. M. Ernewein parlera de quelques aspects autour desquels tournera notre débat sur l'article 55 à la partie 2 du projet de loi C-9.

Brian Ernewein, directeur général, Direction de la politique de l'impôt, ministère des Finances Canada : Je vous remercie, monsieur le président. C'est avec plaisir que nous expliquerons l'article 55 du projet de loi C-9 et répondrons aux questions des membres du comité. Nous avons lu la transcription des audiences de la semaine dernière et les documents qui nous ont été transmis, alors nous comprenons que le comité veuille tirer au clair certaines questions relativement à l'article 55.

Cet article, le comité le sait, comporte des modifications législatives proposées à la TPS et, le cas échéant, à la TVH. Il s'agit de la définition de « service financier ». Plus précisément, les modifications établissent clairement que les services de gestion des investissements, les services qui facilitent les services financiers et les services gestion de crédit ne sont pas des services financiers exonérés de la TPS.

Il importe de souligner que ces services ont toujours été censés être assujettis à la TPS, et c'est ainsi que les traitaient tant l'Agence du revenu du Canada, l'ARC, que la grande majorité des contribuables depuis l'instauration de la TPS en 1991. Les modifications législatives à l'article 55 ne visent qu'à éliminer le flou créé par les décisions défavorables des tribunaux, qui ont donné à « services financiers » une plus vaste définition que celle qu'on lui aurait voulue.

Comme l'a dit le ministre des Finances dans son communiqué du 26 mars, ces modifications visent à réitérer l'esprit initial de la politique de longue date et à rétablir la situation antérieure aux décisions des tribunaux. Le ministre a bien dit que les mesures ne visent absolument pas à imposer quelque nouvelle taxe.

Cela dit, le gouvernement savait que certains groupes du secteur financier s'inquiétaient de la portée des modifications proposées. Alors pour bien clarifier les choses, le ministère des Finances a publié la semaine dernière des notes explicatives révisées sur l'article 55. De plus, l'ARC a diffusé le 20 juin un avis 250 élargi, une espèce de bulletin d'interprétation de l'Agence du revenu du Canada qui fournit d'autres exemples de transactions qui seraient réputées ou non être des services financiers aux termes du projet de loi.

Nous estimons que les éclaircissements fournis dans les notes explicatives et l'avis qu'a diffusé l'ARC devraient pouvoir apaiser toutes les préoccupations qui ont pu être soulevées sur la portée des règles proposées ou leur portée jugée excessive.

J'aimerais également parler d'une autre question qui a été abordée la semaine dernière et dont le comité souhaiterait peut-être discuter, soit l'application des modifications proposées aux transactions antérieures au 14 décembre 2009, la date de l'annonce. Il convient de souligner que ces modifications s'appliqueraient uniquement aux transactions antérieures au 14 décembre pour lesquelles les fournisseurs de services avaient facturé la TPS ou la TVH. Elles ne visent pas les services antérieurs au 14 décembre 2009, pour lesquels les fournisseurs n'ont perçu ni l'une ni l'autre.

Pour ce qui est des changements rétroactifs, puisqu'il peut y avoir un effet rétroactif, le Comité permanent des comptes publics de la Chambre des communes avait recommandé en 1995 que le gouvernement élabore des lignes directrices relativement à l'application de mesures législatives rétroactives. En réponse à cette recommandation, le gouvernement avait établi une série de critères à prendre en compte quand on envisage des modifications qui pourraient être rétroactives.

Nous sommes d'avis qu'en confirmant que les transactions sont taxables alors que les contribuables les jugeaient déjà telles, l'article 55 respecte ces critères établis il y a 15 ans. Il confirme une politique de longue date, qui est bien comprise. Il correspond à ce que les contribuables et les administrateurs de l'impôt comprennent de la loi, et dont leurs actes témoignent. Il empêche des contribuables de tirer un gain fortuit de ce qu'un autre contribuable aura eu gain de cause en contestant la loi pour tenter de se faire rembourser des taxes. Cet article élimine un risque important pour le gouvernement; avant de prendre des mesures pour corriger la loi en décembre, il avait reçu l'équivalent d'au moins 100 millions de dollars en demandes de remboursement.

Le président : Combien?

M. Ernewein : D'après l'ARC, jusqu'au moment où nous avons agi, les demandes de remboursement de taxes payées par erreur ou en trop se chiffraient à plus de 100 millions de dollars.

Ces modifications corrigent une disposition ambiguë ou insuffisante, comme en atteste la décision du tribunal, et sont conformes à l'esprit de la loi.

J'ajouterais deux choses. Tout d'abord, si les décisions ne sont pas infirmées, cela pourrait avoir des répercussions fiscales négatives sur les fournisseurs de services. Il serait un peu long de vous l'expliquer en détail, mais je voulais que vous le sachiez. Nous pourrons vous en parler plus longuement si vous le souhaitez. Deuxièmement, il importe de souligner que les modifications proposées ne visent pas à recouvrer les taxes versées par ceux qui avaient déjà contesté la loi en cour et avaient obtenu pour leurs transactions particulières un jugement final selon lequel, en vertu de la loi en vigueur, ils n'avaient pas à payer de taxe.

J'espère avoir su vous faire comprendre un peu la portée et l'objet des modifications proposées. Mon collègue et moi répondrons volontiers à vos questions.

Le président : Merci beaucoup. Nous sommes heureux de vous voir. Nous vous avions exposé nos préoccupations et vous en avez fait un bref survol. Ce matin, nous vendions Énergie atomique Canada limitée et nous devons maintenant nous concentrer sur la TPS et les services financiers. Il va nous falloir un peu de concentration.

Pourriez-vous nous expliquer un peu les lignes directrices sur la rétroactivité qui sont en vigueur depuis déjà une quinzaine d'années, dans la loi sur l'impôt?

M. Ernewein : Certainement. Pour en faire un bref historique, je vous dirai qu'aux environs de 1993, le vérificateur général s'est intéressé aux mesures prises par le gouvernement relativement à certaines modifications fiscales, ou peut- être devrait-on dire « à l'absence de mesures ».

Il y a eu un cas concernant l'imposition des ressources, qui est du domaine public et qui met en cause Gulf Oil. Il s'agissait du calcul de la redevance ou de la déduction relative aux ressources en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu. Gulf Oil a eu gain de cause, et la décision lui a été favorable. D'autres compagnies pétrolières et gazières, voulant tirer parti de cette victoire, ont tenté de se faire rembourser les taxes qu'elles avaient versées. Le gouvernement a modifié la loi d'une façon plus ou moins prospective. Le Comité des comptes publics de la Chambre des communes s'inquiétait de ce que les changements n'étaient pas rétroactifs et a demandé au gouvernement, entre autres, de formuler des lignes directrices sur le moment de l'entrée en vigueur du changement rétroactif. Le Comité des comptes publics a remis son rapport en 1995, et le gouvernement y a répondu la même année.

Les lignes directrices du gouvernement faisaient d'abord ressortir le fait que les modifications rétroactives de resserrement — les modifications rétroactives d'allègement ne semblent pas tant poser de problèmes — ne devraient s'appliquer que de façon exceptionnelle ou générale. Cela dit, compte tenu des critères, facteurs ou lignes directrices qu'a publiés le gouvernement pour se guider, les modifications correspondent à une interprétation bien connue que fait l'administration fiscale de la loi depuis longtemps; elles reflètent une politique qui est claire, bien connue et bien comprise des contribuables; elles visent à empêcher certains contribuables d'en tirer des gains fortuits.

Je m'arrête un instant pour vous dire que nous vous transmettrons volontiers la documentation du Comité des comptes publics et la réponse du ministère. Nous ne les avons pas en mains aujourd'hui.

Le sénateur Murray : Pardonnez-moi, monsieur le président, mais le témoin lit sa déclaration. Je suppose qu'elle n'a pas été distribuée parce qu'elle n'est qu'en anglais. S'il veut bien en faire des photocopies, je pense que certains collègues et moi aimerions bien en avoir des exemplaires.

Le président : Si nous empruntons vos documents, est-ce que nous vous priverons de vos notes?

M. Ernewein : En fait, je donne peut-être l'impression de lire un document, mais ce ne sont que des notes. Je ne vois cependant pas de différence entre le fait de faire mes observations à haute voix et d'en remettre une copie aux membres du comité s'ils le souhaitent.

Le président : Ce serait utile. Pour vous, c'est votre quotidien, mais ce projet de loi nous fait passer du coq-à-l'âne. Il nous faut un moment pour arriver à nous concentrer sur l'évolution de la politique fiscale.

M. Ernewein : Pour terminer, il faut préserver la stabilité de l'assiette fiscale du gouvernement — il s'agit de recettes importantes — et corriger les dispositions ambiguës ou insuffisantes qui ne sont pas conformes à l'esprit de la loi.

Le président : Est-ce qu'il est question dans ces lignes directrices d'en demander l'interprétation à un tribunal?

M. Ernewein : Pas en ce qui concerne l'application. Le Parlement jouit du pouvoir suprême, sous réserve de contraintes constitutionnelles seulement, d'adopter des mesures législatives rétroactives s'il le juge nécessaire. Ce sont là des lignes directrices que le gouvernement souhaite étudier avant de proposer des modifications, mais l'application des lignes directrices en soi n'est pas contestable.

Le président : Je me posais la question, parce que selon l'une des lignes directrices, la politique doit être claire et sans ambiguïté. Le tribunal a donné une interprétation claire et non ambiguë à laquelle Revenu Canada n'avait pas songé. Le tribunal ne cherchait pas à créer une nouvelle loi, mais plutôt à interpréter le sens de la loi, et il se trouve que son interprétation est différente de celle des autorités fiscales.

M. Ernewein : C'est juste. Si nous avions déterminé que l'interprétation du tribunal réglait cette question, il n'y aurait jamais eu de discordance entre l'application ou l'administration antérieure des règles et le sens que donne le tribunal à la loi.

C'est un résumé de la réponse du gouvernement en 1995. Je crois toutefois utile de préciser que l'interprétation et la politique connues sont celles du gouvernement et de l'Agence du revenu du Canada. À ce propos, nous voulons porter à votre attention plusieurs déclarations faites dans nos notes explicatives ou par l'Agence du revenu du Canada dans ses interprétations ou décisions, qui confirment que ces transactions sont réputées taxables et qui signalent qu'à quelques exceptions récentes près il n'y a pas eu de contestation de la part des contribuables.

Comme je le disais plus tôt, je pense que ce qui ressort avant tout notamment de ce que le gouvernement et les contribuables ont compris à propos des règles, c'est que des demandes de remboursement se chiffrant à quelque 100 millions de dollars ont été reçues dans la foulée de la décision de la cour. Par conséquent, les contribuables payaient les taxes ou considéraient ces services comme étant taxables. Cela confirme que personne ne s'attendait à ce qu'ils ne soient pas taxables quand le tribunal a rendu sa décision.

Le sénateur Baker : Avez-vous payé ces 100 millions de dollars?

M. Ernewein : Non. L'annonce du 14 décembre 2009 était pour dire que des changements avaient été apportés afin qu'il soit clair que ce qui s'applique pour tout le monde désormais, c'est la politique et l'interprétation d'avant. Pour ce qui est de la rétroactivité, tout dépendra de ce que chacun aura fait. Nous gardons les taxes qui ont été payées, et si elles n'ont pas été payées — pour ceux qui interprétaient la loi autrement —, nous ne les exigerons pas.

Le président : Une règle était appliquée depuis 1991, que certains ont contestée. Le tribunal en a donné une interprétation, mais le ministre n'était pas d'accord. Le 14 décembre 2009, donc, l'annonce a été faite de modifications, d'une loi à venir, qui serait ainsi libellée. Une interprétation en a ensuite été donnée pour aider les contribuables à comprendre les nouvelles mesures en vigueur le 14 décembre.

C'est nettement un échec puisqu'il a fallu fournir des précisions et diffuser un avis par la suite. Il est clair que le contribuable a de la difficulté à comprendre ce que le gouvernement essaie de faire.

M. Ernewein : C'est un assez juste résumé de la situation. De fait, il y a deux problèmes. Le premier est simplement l'application rétroactive de la loi. Ensuite, il y a la question de savoir si les modifications visant à rétablir la situation ont été plus loin et ont relâché le filet fiscal. Cette question, le relâchement du filet fiscal, ne se pose pas, je pense, avant le 14 décembre. Si des contribuables ne s'attendaient pas à ce que la taxe s'applique à leurs transactions, ils ne la payaient pas. S'ils ne la payaient pas, il n'y a pas d'effet rétroactif.

Les préoccupations exprimées, d'après ce que nous avons entendu et ce que, je pense, vous avez entendu aussi, concernaient l'autre aspect, la trop vaste portée présumée des règles. De notre côté, nous ne pensons pas que la loi aille trop loin, mais certains sont de l'avis contraire.

Je dois ajouter en toute impartialité que l'on craignait aussi que l'avis, le bulletin d'interprétation qu'a diffusé l'Agence du revenu du Canada en février, donne à penser que la loi allait plus loin que ce que l'on recherchait. Le ministre des Finances a donc tout d'abord fait une déclaration en mars, précisant que la loi ne vise pas à imposer de nouvelles taxes. Ensuite, le ministère des Finances du Canada, en tant qu'auteur de la loi, et les rédacteurs des notes explicatives sur elle ont ajouté des précisions pour clarifier l'objet de la loi. L'Agence du revenu du Canada a aussi révisé son bulletin d'interprétation, son avis, en fournissant des exemples plus étoffés de l'application des règles afin de démontrer que ces règles ne s'appliquaient pas, en fait, à certains contribuables qu'on aurait pu penser y être assujettis — comme les courtiers en hypothèques, les agents d'assurances.

Le président : Plutôt que de diffuser deux interprétations et avis distincts, que pouvons-nous faire pour modifier la loi de manière à bien faire comprendre le but visé?

M. Ernewein : À notre avis, c'est déjà clair dans la loi elle-même et grâce à la mesure inusitée qu'a prise l'Agence du revenu du Canada de publier des avis ou interprétations sur la loi avant son adoption.

Le président : Nous avons entendu les témoignages de groupes représentant des professionnels. M. Jack Millar et son groupe, GST Leaders Forum, ont analysé le deuxième avis émis au lendemain de l'interprétation qu'a fournie Revenu Canada, et ils n'en étaient pas encore satisfaits. L'Association du Barreau canadien a déclaré qu'en dépit des modifications récentes, il y a encore des inquiétudes quant à l'interprétation pouvant être faite de la portée et de la rétroactivité.

M. Ernewein : Je n'ai vu la lettre de M. Millar que cet après-midi, moins de deux ou trois heures avant l'audience du comité.

Ce que je comprends de cet autre aspect, la portée de la loi, c'est qu'il semble admettre que l'interprétation que l'Agence du revenu du Canada et nous faisons de l'objet de la loi est juste. Il dit toutefois craindre que l'on puisse l'interpréter comme allant plus loin.

J'ai un peu de mal à comprendre. Si le législateur est d'avis que la loi s'applique comme nous estimons qu'elle le doit et si les contribuables y voient une conséquence raisonnable de la politique, je ne vois pas ce qu'il faut faire de plus.

Le président : Voici ce que je veux savoir, et je me résume : si nous voulons appuyer la démarche du ministre, vaut-il mieux à cette fin publier plusieurs bulletins d'interprétation qui n'ont pas force de loi ou modifier la loi de manière à préciser ce que recherche le ministre?

M. Ernewein : S'il fallait modifier la loi pour obtenir ce résultat et ce degré de clarté, je pense que nous y serions favorables. Nous ne pensons toutefois pas que ce soit nécessaire.

À propos des avis, comme je l'ai dit tout à l'heure, les exemples fournis dans l'Avis 250 qu'a diffusé l'Agence du revenu du Canada en février ont suscité des préoccupations. Il fallait donc, d'après nous, que l'avis révisé de l'ARC apaise ces préoccupations. Ce n'est donc pas exactement que deux avis ont été publiés; il n'y en a qu'un seul, le dernier, et il semble correspondre à ce que les contribuables comprennent de notre intention et à leur propre interprétation de la manière dont la loi doit raisonnablement s'appliquer.

Le président : J'ai ici la liste des sénateurs qui ont des questions à poser. Nous commencerons par l'ancien président du comité, le sénateur Murray.

Le sénateur Murray : Je n'ai pas dit que je voulais poser des questions. Je dirai seulement aux témoins : « Bien essayé! »

Le sénateur Baker : J'avouerai aux témoins que je compatis avec eux parce que c'est un sujet qui est très difficile à expliquer. C'est la loi de l'impôt, son interprétation par les fonctionnaires du ministère du Revenu, les contestations devant la Cour canadienne de l'impôt et les réexamens qui s'ensuivent à la Cour fédérale et à la Cour d'appel fédérale.

En passant, je ne veux jeter le blâme ni sur les politiciens ni sur les gouvernements. C'est ainsi que fonctionne le ministère du Revenu, et évidemment, le gouvernement peut prendre les décisions qu'il veut pour être équitable, mais je suppose alors qu'il doit s'efforcer d'être équitable pour tous. Quelqu'un qui regarde nos délibérations pourrait se poser des questions. Ce que les témoins ont dit, c'est que ceux qui n'ont pas payé la taxe n'auront pas à la payer, mais ceux qui l'ont payée ne pourront pas se la faire rembourser. C'est bien cela? Vous avez dit il y a un moment que, selon une règle appliquée depuis longtemps au ministère du Revenu, on ne peut pas justifier un appel en faisant valoir la victoire de quelqu'un d'autre devant un tribunal. N'est-ce pas?

M. Ernewein : Oui.

Le sénateur Baker : C'est la situation. Un tas de contribuables n'auront pas à payer la taxe rien que parce qu'ils ont refusé de la payer. N'est-ce pas?

M. Ernewein : J'ai bien dit que personne ne devrait pouvoir tirer un gain fortuit d'une décision du tribunal, mais je pense que les contribuables qui n'ont pas voulu payer la taxe avant que la cour rende sa décision ne s'appuyaient pas sur celle-ci; ils ont usé de leur propre jugement en refusant de payer la taxe.

Le sénateur Baker : Ce n'était pas que la décision d'un tribunal. La Cour d'appel fédérale a aussi statué et, comme la Cour de l'impôt, elle s'est fondée sur les directives du ministère du Revenu. Il ne s'agissait pas que d'un article de la loi sur l'impôt. Des jugements ont été rendus. Je ne les passerai pas tous en revue.

Peut-être quelqu'un d'autre pourra-t-il poser une question, puisque je n'en aurai probablement pas le temps et le président ne me le permettrait pas, mais après ce que j'ai entendu, je trouve assez troublante cette question de rétroactivité de la politique. Certaines dispositions, qui concernent ce dont vous parliez, remontent à des décisions rendues en 2005, il y a cinq ans, et une autre à 2007, et il y en a d'autres.

Quelqu'un qui réalise maintenant ce qui s'est passé a le droit, bien sûr, de demander une réévaluation de ses déclarations de revenus conformément aux règles en la matière, et le ministère du Revenu devra donc s'exécuter et peut-être même faire une deuxième réévaluation. N'est-ce pas?

M. Ernewein : Oui.

Le sénateur Baker : On ne peut donc pas se fonder sur la décision du tribunal; il faut trouver un autre moyen de justifier l'appel si on veut demander au directeur de l'Agence du revenu de notre région de procéder à une nouvelle évaluation des déclarations de revenu de ces années-là, n'est-ce pas?

M. Ernewein : Je ne suis pas sûr de comprendre votre question, mais je vais tenter d'y répondre.

Le sénateur Baker : Il y aura des gens qui voudront ainsi récupérer leur argent.

M. Ernewein : Les contribuables ont le droit de contester leur cotisation. Il existe à l'Agence du revenu du Canada un mécanisme d'appel d'un ou plusieurs niveaux, mais il est toujours fondé sur la loi adoptée par le Parlement. La question est de savoir si la loi devrait s'appliquer comme la plus grande partie de la population estimait qu'elle s'appliquait auparavant.

Au sujet de la rétroactivité, il y a trois choix : un, ne rien faire; deux, la taxe s'applique à tout le monde rétroactivement; ou trois, tout dépend de ce qu'ont fait les contribuables. Si, selon eux, la taxe devait être perçue et qu'ils l'ont facturée — et nous pensons qu'il y en a une petite minorité qui n'a pas perçu la taxe, auquel cas nous ne ferions rien —, c'est ce qui causerait le moins de problèmes.

L'argument que vous soutenez, je pense, va de l'une à l'autre extrême, c'est-à-dire que la loi ne s'applique pas du tout ou qu'elle s'applique à tout le monde, même si les fournisseurs ont mené leurs activités en partant du principe que leurs services n'étaient pas assujettis à la taxe.

Le sénateur Baker : Est-ce que la quatrième possibilité ne serait pas que la décision de la Cour d'appel et toutes celles de la Cour de l'impôt depuis 2007 étaient justes, et que maintenant vous corrigez — vous dites que vous précisez — ce qui existait déjà, mais en fait, vous seriez en train de modifier ce qui existait déjà pour aller à l'encontre des décisions des tribunaux? Un quatrième choix aurait pu être d'accorder un crédit aux contribuables pour la taxe versée qu'ils n'auraient pas dû payer. Cela aurait été l'autre possibilité.

Il y a deux niveaux d'appel à votre bureau régional de l'impôt, et il en existe un troisième auprès d'autres instances décisionnaires lorsqu'il y a des faits nouveaux. Après, c'est la Cour fédérale. Vous dites aux contribuables qui voudront se faire rembourser qu'ils peuvent interjeter appel auprès de la Cour fédérale du Canada. Vous attendez-vous à ce qu'ils soient nombreux, avec cette modification de la politique fiscale?

M. Ernewein : Nous ne nous attendons pas à ce que le changement de la loi soit contesté en cour, mais je reviens à ce que vous disiez et à mon commentaire à ce propos un peu plus tôt. Je pense que, si tout le monde devait avoir droit à un remboursement de la taxe, cela reviendrait à ce que le changement ne soit pas rétroactif. La seule conséquence, je suppose, est d'ordre pécuniaire, mais elle est d'importance.

Le sénateur Baker : La justice naturelle.

Le sénateur Ringuette : Je vous écoute et je trouve incroyable que vous exposiez le gouvernement du Canada à un recours collectif fondé sur la Constitution du Canada et a fortiori sur la Loi de l'impôt sur le revenu, relativement au traitement équitable des Canadiens. Vous prévoyez deux traitements différents pour les citoyens canadiens.

Remarquez, je ne suis pas avocate. Je ne parle que de mon point de vue de parlementaire, mais c'est bien ce à quoi vous exposez le gouvernement fédéral.

Vous estimez que les demandes de remboursement pourraient se chiffrer à quelque 100 millions de dollars. Combien en a- t-il coûté à votre ministère de se défendre contre les contribuables qui contestaient cette taxe? Combien a-t-il dépensé contre ces Canadiens?

M. Ernewein : En vérité, je ne le sais pas. Ce n'est pas le ministère des Finances du Canada qui s'en serait occupé, mais le ministère de la Justice de concert avec l'Agence du revenu du Canada. Ce n'aurait pas non plus été contre tous ces Canadiens.

Il se serait agi de quelques contribuables. Je pense que c'est du domaine public, mais ils n'étaient que trois ou quatre cas.

Le sénateur Ringuette : Des cas qui ont passé toutes les étapes de l'appel, à la Cour de l'impôt et à la Cour fédérale. Nous connaissons le prix des procès. Je trouve cela parfaitement absurde.

Vous êtes le directeur général de la politique fiscale. Combien de mesures concernant votre ministère ont été annoncées dans ce discours du budget, mais ne figurent pas dans ce projet de loi d'exécution du budget de 900 pages?

M. Ernewein : Je ne pourrais pas vous le dire exactement. Plusieurs n'y sont pas, mais il est prévu de les intégrer à un projet de loi fiscal cet automne. C'est peut-être la moitié, mais je ne sais pas au juste combien. Nous pourrions certainement vous transmettre ce renseignement ultérieurement.

Le sénateur Ringuette : Pourriez-vous le communiquer au greffier, je vous prie?

Je vais vous donner au moins deux exemples. À la page 94 du discours du budget, il y en a au moins deux — la réforme du contingent des versements pour les organismes de bienfaisance et les avis électroniques. Cela en fait donc au moins deux.

Puisque beaucoup de mesures ont été annoncées dans le discours du budget et ne figurent pas dans ce projet de loi — et c'est la situation de l'année dernière à la même époque qui se répète —, est-ce que vous préparez maintenant un deuxième projet de loi d'exécution du budget qui devrait être présenté à l'automne, lequel contiendrait toutes les mesures annoncées dans le discours du budget qui ne sont pas dans ce projet de loi-ci?

M. Ernewein : En ce qui concerne la taxe, il y a...

Le sénateur Ringuette : Non, ce que je demande, c'est si vous, en tant que directeur général de la Direction de la politique de l'impôt du ministère des Finances, travaillez à un deuxième projet de loi d'exécution du budget qui serait présenté à l'automne et contiendrait toutes les mesures qui ont été annoncées dans le discours du budget, mais qui ne sont pas dans le présent projet de loi de 900 pages.

M. Ernewein : Ce n'est pas par mauvaise volonté, mais je vous répondrai que mes responsabilités...

Le sénateur Ringuette : Il suffit de répondre par oui ou non.

M. Ernewein : Mes responsabilités se limitent à l'impôt, et c'est tout ce à quoi je peux répondre. Ce n'est pas une correction, mais la manière dont nous fonctionnons depuis bien des années — depuis que je suis au ministère en tout cas — consiste à tenter de formuler des lois fiscales ou du moins les éléments les plus complexes des mesures fiscales, sous forme d'avant-projets de loi, et ensuite à les présenter officiellement avec le budget de l'hiver. Généralement, donc, on présente des avant-projets de loi à peu près à cette époque-ci, puis le projet de loi fiscal est présenté officiellement à l'automne, après que nous avons reçu les commentaires.

Nous travaillons aux mesures fiscales qui ont été prévues au budget et qui ne sont pas dans le premier projet de loi. Ce premier projet de loi comporte les mesures fiscales qu'il était possible de réaliser et qui étaient nécessaires à ce moment-là.

Le sénateur Ringuette : L'année dernière, nous avons eu le problème du crédit d'impôt pour la rénovation domiciliaire, dont il avait été question dans le discours du budget, mais qui n'était pas dans le projet de loi budgétaire. À l'automne, un deuxième projet de loi budgétaire a été présenté sous votre direction, lequel établissait ce crédit d'impôt. Est-ce qu'un deuxième projet de loi budgétaire sera présenté pour proposer vos mesures fiscales? Si ce qui est annoncé dans le discours du budget n'est pas dans ce projet de loi-ci, le gouvernement peut encore les intégrer en automne à un deuxième projet de loi d'exécution du budget. Ce serait un véritable projet de loi fourre-tout. Il semble qu'il manque à ce projet loi-ci beaucoup de mesures, à en juger par le discours du budget.

M. Ernewein : Sur le plan fiscal, le tout suit le cours normal des choses. Nous préparons un projet de loi budgétaire ou des mesures fiscales dont les éléments les plus complexes sont soumis à une consultation, puis le tout est déposé à l'automne. Nous y travaillons effectivement.

Je peux vous parler de deux ou trois autres mesures. En plus de celles-ci, des changements sont prévus dans les règles relatives aux fiducies non résidentes, ce qui a été présenté auparavant. Plusieurs changements ont été proposés dans le budget, et il était question de procéder à une consultation à leur sujet et de présenter un avant-projet de loi avant d'aller plus loin. Il en est de même du régime proposé pour la déclaration de transactions abusives sur le plan fiscal — encore une fois, il est question de consultation.

Pour permettre la consultation sur le sujet, sur la proposition et l'avant-projet de loi, il ne fallait pas inclure ces mesures dans le premier projet de loi budgétaire. Elles feront partie d'une mesure législative qui serait présentée plus tard cette année avec, j'espère, toutes les autres mesures fiscales découlant du budget de 2010.

Le président : Merci, sénateur Ringuette. Votre temps est écoulé. Nous passons au suivant.

À titre d'éclaircissement, quand M. Millar a comparu, il a dit que l'annonce du 14 décembre 2009 n'a pas été précédée d'une consultation publique. Selon lui, il n'y a pas eu de consultation, et vous dites le contraire.

M. Ernewein : Non, la consultation dont je parlais concernait les fiducies non résidentes et la déclaration de transactions abusives sur le plan fiscal, dont il était question dans le budget. Il n'y a rien eu avant l'annonce des changements proposés, le 14 décembre. Ces changements ont été annoncés par un communiqué, et l'avant-projet de loi a suivi.

Le président : Vous confirmez donc qu'il n'y avait pas eu de discussion préalable.

M. Ernewein : Pas avant le 14 décembre, en effet.

Le président : Je vous remercie.

Le sénateur Mitchell : Pour revenir à la question du sénateur Baker, j'aimerais savoir pourquoi vous n'exigeriez pas les taxes qui auraient dû être payées. Est-ce à cause de la difficulté de la démarche ou parce que vous craignez d'être paralysés par la batterie d'avocats et de comptables des grandes compagnies?

M. Ernewein : Non, tout au contraire. On ne s'attendait pas vraiment à ce qu'il y ait un grand nombre de cas de taxes non perçues. Nous pensons que, la plupart du temps, les règles étaient observées à notre sens, et telles que l'ARC les appliquait. Si quelqu'un n'avait pas perçu de taxes et cela constituait un changement, c'était une prise de position correspondant à celle qu'avaient adoptée les contribuables qui avaient fait appel aux tribunaux. C'est ce que nous avons essayé de respecter dans les propositions.

Le sénateur Mitchell : Quel est selon vous le montant de la taxe qui aurait dû être perçue mais ne l'a pas été et ne le sera pas? En avez-vous une idée?

M. Ernewein : Pas vraiment, en fait. Je répète que nous savons que les demandes de remboursement reçues au moment où nous avons réagi dépassaient les 100 millions de dollars. Sauf erreur, la plupart des contribuables payaient les taxes. Si vous voulez connaître le montant pour ceux qui ne les payaient pas, il serait modeste en comparaison.

Le sénateur Mitchell : La demande de remboursement ne serait pas présentée par les personnes qui n'ont pas payé.

M. Ernewein : Non, elle serait présentée par ceux qui ont payé et qui, après avoir lu la décision des tribunaux, cherchent à se faire rembourser.

Le sénateur Mitchell : Vous l'utilisez comme un indicateur.

M. Ernewein : Oui. Si nous avons raison de dire que la plupart des personnes interprétaient la loi de la même façon que nous, alors ceux qui n'ont pas payé représenteraient une petite fraction de ce montant.

Le sénateur Mitchell : Pourvu que le montant de 100 millions de dollars soit représentatif de la majorité des personnes qui ont vraiment payé la taxe.

M. Ernewein : Oui. Peu importe le montant auquel s'élève, en chiffres absolus, la part de ceux qui ont payé, celle de ceux qui n'ont pas payé serait une infime partie du montant global, mais nous ne savons pas si les demandes de remboursement représentent tous ceux qui avaient payé et qui auraient droit à un remboursement en vertu de la décision du tribunal.

Le sénateur Mitchell : On parle probablement de millions de dollars?

M. Ernewein : Je ne pourrais pas dire.

Le sénateur Mitchell : D'énormes sommes.

Qu'en est-il de l'avenir? Je sais qu'il ne s'agit pas d'une situation où aucune taxe n'est exigée et puis, soudainement, tout le monde doit la payer, mais avez-vous une idée des revenus qui seront générés annuellement, à l'avenir, par une taxe de ce genre? Je cherche à savoir dans quelle mesure, exactement, le gouvernement a augmenté les taxes.

M. Ernewein : Je pense que notre réponse est : pas du tout. La réponse, c'est de replacer le système fiscal là où on pensait qu'il était, sans générer de revenus supplémentaires et sans engendrer de nouvelles dépenses.

Le sénateur Mitchell : Combien d'argent le gouvernement a-t-il perçu grâce à la caractéristique particulière de cette taxe?

M. Ernewein : À ma connaissance, nous n'avons pas ventilé ces données.

Lalith Kottachchi, chef, Législation, Division de la taxe de vente, Immeubles et institutions financières, Direction de la politique de l'impôt, ministère des Finances Canada : Nous n'avons pas la ventilation pour ce chiffre.

Le président : M. Millar nous a parlé de deux milliards de dollars par année.

M. Ernewein : Je crois que le chiffre de deux milliards de dollars est celui que les médias ont lancé au sujet de cette question montée en épingle, si je peux utiliser cette expression. Si la taxe s'appliquait aux différentes choses auxquelles nous ne pensions pas qu'elle s'appliquait, elle générerait cette somme.

Le président : Je suis d'accord : il est facile pour les médias de sauter sur un chiffre de deux milliards de dollars.

Le sénateur Mitchell : C'est incontestable.

Le sénateur Callbeck : Merci de votre explication. Il s'agit certainement d'une question qui porte à confusion. Si j'ai bien compris, les Canadiens qui ne voulaient pas payer des taxes pour ces services n'auront pas à la payer, et les Canadiens qui l'ont payée ne pourront pas être remboursés. On ne fait pas preuve d'équité envers les Canadiens.

Le sénateur Ringuette : Exactement.

M. Ernewein : Il s'agit de traitements différents en fonction d'actions différentes, c'est vrai.

Le sénateur Callbeck : À mon avis, c'est tout à fait illogique.

M. Ernewein : Je vais demander à mon collègue de parler du fait que la façon dont des changements de ce genre ont été faits n'est pas sans précédent.

M. Kottachchi : Je comprends votre réaction par rapport à cette situation, mais vous devez mettre les choses en contexte. La TPS est une taxe sur les transactions qui met en cause deux parties. Il y a un fournisseur qui demande, perçoit et envoie l'argent au gouvernement à titre de mandataire de la Couronne. Il s'agit de la responsabilité du fournisseur. Ensuite, il y a le contribuable qui paie la taxe, soit l'acheteur ou le bénéficiaire. Si nous choisissions de créer une exemption de taxe rétroactive, cela signifie que l'ARC devrait retourner auprès du fournisseur et dire : « Vous aviez droit au crédit de taxe sur les intrants parce que les transactions étaient imposables. Vous avez demandé et perçu des taxes. »

Aussi, du côté des intrants, nous accorderions des crédits de taxe sur les intrants aux fournisseurs, ce qui perturberait les activités et enverrait le mauvais message aux fournisseurs. Ceux-ci croiraient que, en leur qualité de mandataires de la Couronne, ils n'auraient peut-être pas à percevoir les taxes, parce que s'ils l'avaient fait, ils pourraient être touchés rétroactivement.

Nous devons considérer toutes les répercussions lorsque nous adoptons une mesure rétroactive. Vous pouvez très bien dire, d'entrée de jeu, qu'il y a deux mesures différentes et que c'est injuste. Les fournisseurs, qui agissent à titre de mandataires de la Couronne, perçoivent la taxe, parce qu'ils considèrent que le service est imposable. Les acheteurs paient la taxe en vertu d'une entente. Les fournisseurs ne peuvent d'aucune façon retourner auprès des acheteurs pour leur dire : « L'ARC a procédé à une évaluation de mes crédits de taxe sur les intrants. Je veux maintenant modifier notre entente sur les prix parce que je dois récupérer la taxe auprès de vous, le client. » Les fournisseurs ne disposent pas d'un mécanisme pour le faire de façon rétroactive.

Voilà ce qu'il faut considérer quand on étudie la possibilité d'avoir recours à ce genre d'ententes rétroactives qui prévoient que les choses ont été faites d'une certaine façon et qu'il devrait en demeurer ainsi.

Le sénateur Callbeck : Cela demeure toujours très injuste. Supposons que le sénateur Moore a payé 5 000 $ en taxes pour ces services et que je n'ai rien payé. Il ne peut pas être remboursé, et je n'ai pas à payer un traître sou. Il y a quelque chose qui ne fonctionne pas, ici.

Le sénateur Baker : C'est certain.

Le président : Sénateur Tkachuk, aimeriez-vous avoir des précisions?

Le sénateur Tkachuk : Oui. Autrement dit, si un magasin de Saskatoon ne percevait pas de taxe — un magasin Léon, par exemple — et que vous vouliez qu'il le fasse, vous devriez envoyer une lettre au magasin, qui devrait alors contacter les personnes à qui il a vendu le produit, exiger qu'elles paient la taxe, puis qu'il demande aussi tous les intrants qui y sont liés, n'est-ce pas? Est-ce bien ce que vous voulez dire, ou est-ce l'inverse?

M. Kottachchi : Voici comment fonctionne le système de la TPS : à tous les échelons de distribution, les fournisseurs — les vendeurs — réclament des crédits de taxe sur les intrants pour la TPS qu'ils paient sur leurs intrants, puis ils exigent paiement pour leur taxe en aval et perçoivent la taxe auprès des acheteurs. Dans le cas de l'exemple de Léon, l'entreprise réclamera des crédits de taxe sur les intrants et percevra la taxe auprès du client.

Si nous décidons de changer cette situation, de la renverser de façon rétroactive, cela signifie que le client peut obtenir le remboursement. Le gouvernement rembourse le client, puis il dit à Léon que les crédits de taxe sur les intrants qu'elle a demandés sont maintenant perdus et doivent être remboursés. Si le magasin Léon doit rembourser ses crédits de taxe sur les intrants, cela signifie qu'elle doit changer le prix, parce que le magasin doit recouvrer ses coûts. Actuellement, aucun mécanisme ne permet au magasin de retourner auprès du client parce qu'il s'agit d'une entente.

Le sénateur Tkachuk : C'est très clair. Merci.

Le sénateur Callbeck : Si ce magasin ne percevait pas la TPS, comme le suppose le sénateur, il serait passible de poursuites judiciaires, n'est-ce pas?

M. Kottachchi : Si le magasin ne percevait pas la TPS, cela signifie qu'il considère le produit comme exempté. Supposons que le magasin considère que cette transaction précise était exempte de taxe. Dans un tel cas, le magasin ne pourrait pas réclamer des crédits de taxe sur les intrants pour ses intrants — ordinateur, papier, ou quoi que ce soit d'autre — et ces coûts seront inclus dans le prix exigé au client.

Le sénateur Callbeck : Exact. Mais ce que je dis, c'est que si un magasin doit percevoir la TPS et qu'il ne le fait pas, il est poursuivi en justice. Il s'agit d'une infraction à la loi.

Nous pouvons continuer à en parler, mais je pense tout de même que c'est injuste parce que cette taxe ne s'applique pas de la même façon pour tout le monde.

M. Ernewein : Puis-je faire un commentaire, je vous prie? Je ne veux pas être irrévérencieux, mais je pense qu'il y a des choix difficiles à faire dans ce cas-ci. Pour régler votre problème, il y a deux solutions. L'une d'elles est de revenir en arrière et de faire en sorte que la taxe s'applique à tous, peu importe s'ils l'ont payée dans le passé ou non. Cette solution présente beaucoup d'effets perturbateurs, mais elle améliorerait le niveau d'équité dont vous parlez.

L'alternative consiste à ne pas appliquer la taxe à qui que ce soit pour le passé, ce qui réglerait aussi la question de l'équité, mais s'accompagnerait aussi d'un coût budgétaire élevé et de perturbations, puisqu'il s'agit d'une taxe sur les transactions.

Comme je l'ai dit, je ne sous-entends pas qu'un de ces points de vue est faux. Je dis simplement qu'il y a des choix difficiles à faire dans tout ceci. Nous aimerions savoir, pour pouvoir en tenir compte ultérieurement, si le comité recommande que nous soyons plus fermes ou non.

Le sénateur Callbeck : Vous avez mentionné que vous avez reçu des demandes de remboursement qui totalisent 100 millions de dollars. Quelqu'un a demandé si vous aviez payé ce montant, et vous avez dit non, mais en avez-vous payé une partie?

M. Ernewein : Le projet de loi qui est devant vous comporte une disposition relative aux jugements favorables, c'est- à-dire les décisions des tribunaux qui ont, en fin de compte, accordé à certains requérants le remboursement des taxes. Même si l'argent avait été remboursé au moment de l'annonce des décisions des tribunaux, les contribuables auraient toujours droit au jugement qui leur a été accordé.

Le sénateur Callbeck : En ce moment, ceux qui ont payé la taxe n'auront pas droit à un remboursement à moins qu'ils en fassent la demande à la Cour fédérale; est-ce bien ce que nous disons?

M. Ernewein : Ce que je dis, c'est qu'après l'annonce de la décision, cela n'aura aucune importance. Si les demandeurs ont reçu leur décision avant le 14 décembre, elle sera respectée. Ils auraient pu être soumis à la règle générale, parce que dans certains cas, ils auraient exigé la taxe à l'avance, puis ils auraient contesté leur évaluation et auraient reçu une décision du tribunal disant que la taxe n'était pas exigible. Même si nous avons longuement parlé du fait que la règle stipule que si on vous a exigé la taxe et que vous l'avez payée, vous en êtes responsable, cette règle ne s'appliquerait pas aux cas de gens qui sont allés devant les tribunaux avant l'annonce et qui ont eu gain de cause en cour.

Le sénateur Callbeck : Je veux clarifier une chose. Actuellement, ceux qui ont payé la taxe n'auraient pas droit à un remboursement, mais ils peuvent en faire la demande devant la Cour fédérale?

M. Ernewein : Non, en raison de la façon dont la loi est conçue, c'est-à-dire qu'elle prévoit accorder un répit seulement si vous avez reçu une décision du tribunal avant le 14 décembre.

Le sénateur Baker : Vous pouvez toujours interjeter appel, monsieur, mais vous pouvez toujours perdre votre cause.

M. Ernewein : Bien dit.

Le sénateur Moore : Merci, chers témoins, d'être ici. C'est de la bouillie pour les chats; je ne sais pas par où commencer.

Vous avez parlé de l'interprétation et de la définition. Je ne sais pas de quelle façon Monsieur Tout-le-Monde peut trouver la définition de « service financier ». Je lis l'article 55 du projet de loi, et il renvoie à d'autres articles. Il n'est indiqué nulle part, de façon claire, ce qu'est un « service financier ». Monsieur Ernewein, vous avez mentionné certaines choses au début de votre déclaration préliminaire au sujet des entreprises qui sont concernées. Pouvez-vous les nommer à nouveau? Elles ne sont pas énumérées ici.

M. Ernewein : Certainement. J'aimerais vous faire remarquer qu'il ne s'agit pas d'une définition complète de « service financier ». Il s'agit d'une modification à cette définition.

Le sénateur Moore : Je le sais. C'est écrit partout.

M. Ernewein : Le projet de loi modifie des parties précises. Donc, l'ensemble du texte n'est pas reproduit.

Le sénateur Moore : Il s'agit de savoir à quel endroit le contribuable qui paie pour tout ceci et qui paie votre salaire peut trouver la définition. Il doit engager un avocat ou un comptable fiscaliste pour examiner ce formulaire. C'est ridicule.

M. Ernewein : Il n'y a probablement pas beaucoup de simples contribuables qui ont à se soucier de l'application directe de ces règles.

En réponse à la question que vous avez posée plus tôt, j'ai dit que les modifications précisent que les services de gestion de placements, les services de gestion de crédit et les services qui facilitent les services financiers ne sont pas visés par la définition de « service financier ».

Le sénateur Moore : Et par conséquent?

Le président : Ils ne sont pas exemptés.

M. Ernewein : Et, par conséquent, ils sont taxables.

Le sénateur Moore : « Par conséquent, ils sont taxables » est une façon détournée de dire qu'ils sont responsables des taxes. Est-ce que cela signifie que les courtiers en valeurs mobilières devront maintenant percevoir la TPS et la verser au gouvernement?

M. Ernewein : Non, mais je vais peut-être demander à M. Kottachchi de répondre à cette question.

M. Kottachchi : Les frais de courtage seraient exemptés de TPS. La version augmentée de l'avis 250 de l'ARC, sortie peu après la révision des notes explicatives, a été publiée le 30 juin. J'ai un exemple qui parle des frais de courtage d'un courtier traditionnel.

Le sénateur Moore : Je vois une autre partie ici. En plus de la définition, on parle d'un « service de gestion des actifs ». Qu'en est-il de quelqu'un qui s'occupe de votre REER ou de votre compte d'épargne libre d'impôt? Ce courtier ou cette entreprise devront-ils maintenant payer des taxes?

M. Kottachchi : Les services de gestion des placements, qui comprennent les frais de gestion des fonds mutuels, les fonds distincts des fonds généraux des compagnies d'assurances et les frais de gestion des REER sont taxables depuis 1991. Il n'y a aucun changement à ce sujet; cette politique est maintenue.

Le sénateur Moore : Tous ces services sont taxables, mais certains n'ont pas payé les taxes?

M. Kottachchi : Non. Dans le cas des REER, nous croyons qu'ils ont payé les taxes.

Le sénateur Moore : Vous considérez qu'ils ont respecté la loi?

M. Kottachchi : Oui. Je veux apporter une précision. Ce n'est pas le particulier détenteur d'un REER qui paie la taxe, parce qu'elle n'est pas exigée des investisseurs. C'est la fiducie qui détient le compte qui paie la taxe.

Le sénateur Moore : Oui, je comprends.

M. Kottachchi : Si un service bancaire de gestion financière a la responsabilité de gérer ces fonds, il exige ensuite ces frais de la fiducie.

Le sénateur Moore : D'accord. Vous avez mentionné les documents qui ont été publiés pour clarifier cette situation. Je ne sais pas trop ce qu'ils ont donné. Dans un article intitulé « No GST hit for financial sector », publié le 26 mars dernier dans le Globe and Mail, le ministre des Finances lui-même a dit que les modifications proposées étaient mal formulées.

Dans une lettre au comité, M. Millar dit, au bas de la page 2 :

Deuxièmement, nous continuons de croire que la formulation nébuleuse du projet de loi ouvre la porte à des interprétations qui pourraient faire en sorte que davantage de services seraient exclus de la définition de « service financier » (et qui, par conséquent, seraient taxables) que ce que prévoyait le ministre des Finances quand il a donné l'assurance que ces modifications ne devraient pas créer de nouvelles taxes.

Vous l'avez peut-être vu, monsieur Ernewein. La lettre se poursuit et dit :

Prenons l'exemple 8 de la version révisée de l'avis 250, qui porte sur les activités d'intermédiation en matière d'émission de cartes de crédit, est identique en tous points à l'exemple 2 de l'ancien énoncé de politique sur la TPS/TVH p-239 de l'ARC. Cependant, tandis que cet ancien énoncé de politique conclut que le service en question est exempté, la version révisée de l'avis 250 conclut qu'il est taxable.

M. Millar dit qu'il y a d'autres exemples de disparités entre les énoncés de politique de l'ARC et du ministère des Finances du Canada. Qu'avez-vous à dire à ce sujet?

M. Ernewein : En un mot, il a raison de dire qu'il y a une disparité. Le projet de loi modifierait la conclusion de l'énoncé p-239.

Le sénateur Moore : La modifier comment? Terminez votre commentaire. La modifier de quelle façon?

M. Ernewein : Pour retirer la transaction de la catégorie des transactions exemptées et de la rendre taxable. Cependant, ce que M. Millar ne dit pas, c'est que cette modification à l'énoncé p-239 découle d'une des décisions du tribunal, et le communiqué de presse parle précisément de renverser certaines de ces décisions du tribunal. Tout cela fait en sorte que le résultat devrait être différent, et c'est le cas.

Le sénateur Moore : Y a-t-il d'autres exemples? M. Millar laisse entendre qu'il existe d'autres exemples. Avez-vous comparé sa lettre avec ces deux documents pour voir s'il y en a? J'ai essayé, mais je n'arrivais pas à suivre.

M. Kottachchi : Je reconnais que le GST Leaders Forum y est allé d'une affirmation en ce sens. Nous avons brièvement examiné la question. La lettre dit : « À notre avis, d'autres exemples contenus dans la version révisée de l'avis 250 semblent aussi être en conflit avec les anciens énoncés », mais je ne suis pas certain à quoi on fait allusion. Nous ne sommes pas au courant que de telles situations existent.

Le sénateur Moore : En ce qui concerne l'entrée en vigueur de cette mesure pour les services payés après le 14 décembre 2009, le sénateur Baker a posé une question au sujet de la rétroactivité. Jusqu'où dans le passé le ministère peut-il aller et jusqu'où a-t-il l'intention d'aller? Combien d'années? Est-ce un an? Est-ce jusqu'à 1991, quand la TPS a été mise en œuvre? Qu'avez-vous en tête?

M. Ernewein : Les dispositions du projet de loi relatives à son entrée en vigueur prévoient que cette mesure s'appliquera à compter de la date de création ou de mise en œuvre de la TPS, soit en 1991. Cependant, cela ne veut pas nécessairement dire que l'ARC doit modifier ou réévaluer les déclarations des contribuables.

Autrement dit, faire en sorte que la modification s'applique rétroactivement à partir de 1991 nous prémunit contre toute tentative de la part des contribuables d'invoquer n'importe laquelle des décisions du tribunal, pour quelque année que ce soit, pour réclamer un remboursement pour les cas où ils ont payé la taxe. Étant donné qu'il est proposé que la taxe s'appliquera à la période antérieure au 14 décembre — c'est-à-dire que si vous avez payé la taxe, vous êtes responsables du paiement de la taxe — l'ARC n'aura pas à faire de changements dans le cadre de la réévaluation des années antérieures.

Le sénateur Moore : En principe, en droit, la rétroactivité est répugnante et ne devrait pas se produire dans un pays fondé sur la primauté du droit. On ne peut pas changer les poteaux des buts de place après le coup d'envoi et que la partie est commencée. Je pense que c'est déplorable. La même chose s'est produite au Québec il y a quelques années dans le cas des autobus scolaires. C'est une loi épouvantable et elle ne devrait pas être adoptée. Je ne sais pas comment les contribuables pourront s'y retrouver dans leurs propres affaires s'ils doivent affronter de telles réévaluations. Je ne pense pas que quiconque autour de cette table, peu importe de quel côté il se trouve, pourrait tolérer une telle situation. Je ne pense pas que c'est acceptable.

Le président : Sénateur Banks, notre temps est écoulé, mais vous avez l'occasion de poser une question.

Le sénateur Banks : C'est à n'y rien comprendre, mais je vais retourner à l'exemple du sénateur Tkachuk, où le magasin Léon me vend un divan et n'exige pas que je paie la TPS. Si le magasin Léon me vend un divan 1 000 $ et n'exige pas que je paie la TPS, il doit alors diviser 1 000 $ par 105 et multiplier le résultat par 5 et vous envoyer la TPS, n'est-ce pas?

M. Ernewein : Selon cet exemple, oui, c'est assez évident. Même si le magasin annonce des articles exempts de TPS, cela n'exempte pas ces articles de la TPS. Le magasin Léon doit puiser dans ses réserves.

Le sénateur Banks : C'était ma question. Merci.

Le président : Je remercie M. Ernewein et M. Kottachchi d'être ici aujourd'hui. J'espère que nous sommes maintenant mieux informés. Nous connaissions les enjeux. Ce qui nous préoccupe, c'est que tant M. Millar — du GST Leaders Forum — que l'Association du Barreau canadien disent que le projet de loi n'est pas bien pensé et nous recommandent de ne pas l'adopter parce qu'il n'est pas clair. Cependant, vous défendez toujours votre point de vue, et nous devons donc trouver un équilibre; c'est notre travail.

Le sénateur Baker : Les témoins ont fait de l'excellent travail compte tenu de la complexité de la situation. Une politique qui s'applique rétroactivement est difficile à expliquer, et ils ont fait un travail remarquable.

Le président : Sur ce, je remercie les témoins d'être ici.

Au cours des dernières semaines, nous avons entendu les témoignages de ministres, de fonctionnaires des ministères et des parties intéressées. Pendant la majeure partie de ce temps-là, nous avons étudié séparément les différentes parties de ce projet de loi. Cependant, puisqu'il s'agit d'une de nos dernières séances, nous allons examiner le projet de loi de façon plus globale plutôt que d'en étudier des parties ou des articles précis.

Nous sommes heureux d'accueillir cet après-midi C.E.S. (Ned) Franks, professeur émérite au Département d'études politiques de l'Université Queen's. M. Franks connaît le comité, et je sais d'expérience que nous pouvons compter sur lui pour nous aider avec certaines de ces questions. Monsieur, allez-y, je vous prie.

C.E.S. (Ned) Franks, professeur émérite, Département d'études politiques, Université Queen's, à titre personnel : C'est un honneur d'être ici. J'ai promis de ne pas parler en détail d'une partie précise de ce projet de loi. D'après ce que j'ai vu dans les délibérations du comité, vous avez une énorme quantité de détails sur de nombreuses parties du projet de loi. Je vais examiner le projet de loi d'exécution du budget comme une mesure législative présentée au Parlement et parler de son incidence sur le système parlementaire.

Pour exprimer clairement et ouvertement mon point de vue d'entrée de jeu, je dois dire que je n'aime pas les projets de loi omnibus. J'éprouve beaucoup de sympathie pour un gouvernement qui les présente. Je considère que le projet de loi C- 9 est le pire des projets de loi omnibus, même si je n'affirmerais pas — si j'étais à la place du gouvernement — que je ne présenterais pas un tel projet de loi. C'est à cause de ce qui s'est passé au Parlement au cours des 10 dernières années. Je vais essayer de présenter au comité certains des problèmes du Parlement qui ont mené au dépôt d'un tel projet de loi.

Le sénateur Angus : Est-il en déclin?

Le président : Ne vous laissez pas distraire par ces commentaires. Je lui ferai savoir quand il aura le droit de poser des questions. Je m'excuse au nom de mon collègue. Poursuivez, je vous prie.

M. Franks : Les projets de loi d'exécution du budget font partie, tout comme la prorogation, des procédures parlementaires normales, utiles et même essentielles et, à l'instar de la prorogation, on peut en abuser. Les projets de loi d'exécution du budget ont profondément changé au cours des 16 dernières années — je n'ai pas reculé plus loin dans le temps —, peu importe le parti au pouvoir. Auparavant, il s'agissait de projets de loi relativement courts qui portaient sur des points mineurs contenus dans le discours du budget et qui nécessitaient des modifications aux lois existantes; maintenant, ce sont des projets de loi omnibus énormes qui vont bien au-delà de points mineurs contenus dans le budget et qui modifient de façon importante de nombreux aspects — sans rapport avec le budget — de l'administration et des politiques. Ils ont atteint une telle ampleur, qu'à mon avis, il s'agit d'abus.

Le titre du projet de loi C-9 est très révélateur. Il s'agit de la « Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 4 mars 2010 et mettant en œuvre d'autres mesures », et certaines des mesures qu'il contient ne sont pas des mesures budgétaires; ce sont d'autres mesures. Je commence à me demander ce qui se passe vraiment ici.

Permettez-moi de vous donner des statistiques. De 1995 à 2000 inclusivement, le projet de loi d'exécution du budget moyen comptait 12 pages. Je ne suis pas retourné plus loin en arrière, mais historiquement, la longueur était de 10 à 15 pages. Entre 2001 et 2007, la moyenne était de 139 pages. Je parle de cette période parce que c'est en 2001 que les projets de loi d'exécution du budget ont commencé à augmenter de volume, et deux gouvernements — un libéral et un conservateur — ont participé à cette augmentation.

Il y a eu un bond véritablement énorme au cours des deux dernières années. Le projet de loi comptait 580 pages l'an dernier et il en compte 883 cette année, pour une moyenne de 730 pages. Les projets de loi ont été complètement transformés au cours des 15 dernières années. Nous devons nous demander ce que cela suppose, pourquoi il en est ainsi et ce que nous allons faire à l'avenir.

Le projet de loi C-9, un amalgame de 883 pages de mesures législatives variées sans aucun lien entre elles, est le symptôme d'une maladie dont souffre notre système parlementaire. C'est une conséquence d'un Parlement dont le processus d'examen et d'adoption des lois est bien près d'être dysfonctionnel, et ce, depuis les 40 dernières années, voire davantage.

Dans sa forme actuelle, le projet de loi C-9 devrait représenter, en longueur, au moins la moitié des lois adoptées en 2010. Je peux vous donner les statistiques de 2009. Les projets de loi adoptés par le Parlement et qui ont reçu la sanction royale totalisaient 1 790 pages. Les lois d'exécution du budget totalisaient 580 pages, ou 32,4 p. 100. Les lois de crédits, qui ne sont pas vraiment sujettes à discussion, comptaient 280 pages, et les mesures législatives ordinaires, non financières, totalisaient 930 pages.

Si le budget est approuvé et que le nombre de projets de loi qui sont adoptés cette année est le même que l'an dernier, les 883 pages représenteraient presque 50 p. 100 du total des pages de texte de loi qui auront reçu la sanction royale en 2010. À mon avis, cela témoigne d'un déséquilibre entre la mesure législative et le reste des projets de loi présentés au Parlement.

Par ailleurs, le projet de loi C-9 ne correspond pas aux principes traditionnels de rédaction législative. On devrait toutefois reconnaître que ces principes ont souvent été violés ces dernières années, tandis que les gouvernements tentent de faire adopter leurs programmes législatifs au Parlement. À bien des égards, ces projets de loi omnibus d'exécution du budget paralysent le processus législatif. Ils rendent difficile pour le Parlement et la population de procéder à des études et à des examens minutieux. C'est la mauvaise marche à suivre, et la situation empire d'année en année.

Le projet de loi C-9, la loi d'exécution du budget actuellement à l'étude, est une réaction logique, quoique peu attrayante, des gouvernements successifs aux profonds changements qui se sont opérés au Parlement au cours des dernières décennies. Par exemple, le nombre de jours où le Parlement siège a diminué. Entre 1945 et 1968, le Parlement se réunissait environ 154 jours par année. De 1969 à 1973, il siégeait approximativement 163 jours par année. Les importantes diminutions ont été constatées entre 1994 et 1998, où les membres du Parlement siégeaient en moyenne 124 jours annuellement. Le nombre de jours de séance est passé à 115 au cours des cinq années suivantes et à 105, entre 2004 et 2008. L'an dernier, les membres ont siégé 130 jours. Je parle de la Chambre des communes, bien entendu. C'est même moins que ce que le calendrier indique. La moyenne était de 113 jours de séance par année pour la période de 2004 à 2009, ce qui représente une diminution par rapport aux quelque 150 jours auparavant.

Le Parlement adopte aussi maintenant un pourcentage moindre de projets de loi émanant du gouvernement. Au cours de la période où King et Saint-Laurent étaient au pouvoir, soit de 1945 à 1957, presque 95 p. 100 des projets de loi que le gouvernement a présentés ont reçu la sanction royale. Lorsque Diefenbaker était à la tête du pays, c'était 90 p. 100. Pearson, qui, il faut se rappeler, n'avait qu'un gouvernement minoritaire, a réussi à ce que 86 p. 100 des projets de loi d'initiative ministérielle soient adoptés. Trudeau en a fait adopter 68 p. 100 avant 1979 et 77 p. 100 après. Mulroney est parvenu à en faire adopter 83 p. 100, Chrétien, 69 p. 100, et seulement 45 p. 100 des projets de loi émanant du gouvernement Harper ont reçu la sanction royale.

Depuis plus de 50 ans, on enregistre une diminution continue du pourcentage de projets de loi émanant du gouvernement qui sont adoptés, et c'est une réalité que les gouvernements doivent accepter.

Le Parlement adopte également moins de projets de loi. Par exemple, le nombre moyen de sanctions royales par année à l'époque de King et de Saint-Laurent s'élevait à 67. Lorsque Diefenbaker était au pouvoir, c'était 59, et à l'époque où Pearson tenait les rênes du pays, c'était 52. Sous Chrétien, le nombre est passé à 38, et sous Harper, à 27. Là encore, le nombre de projets de loi d'initiative gouvernementale à avoir reçu la sanction royale a notablement diminué au fil des ans.

Si l'on se compare à la Grande-Bretagne, les Britanniques adoptent en moyenne 37 projets de loi par année. La Chambre des communes britannique siège en moyenne plus de 160 jours par année. Pour ce qui des heures de séance par année, la Chambre des communes britannique siège à peu près deux fois plus d'heures que la Chambre des communes canadienne.

Il y a d'autres différences fondamentales entre les systèmes qui ont une incidence sur ces facteurs, mais cela témoigne de ce qui se passe à notre Parlement car il y a 50 ans, notre Parlement siégeait presque autant d'heures que la Chambre des communes britannique.

Bien entendu, cette situation est en partie attribuable aux gouvernements minoritaires et à l'attitude et aux attentes des membres et des partis. Le Parlement a presque oublié le consensus, et bien trop souvent, à mon avis, la Chambre des communes est plus préoccupée par les batailles partisanes et les scandales que par son rôle d'assemblée législative nationale.

La réaction compréhensible à ces changements de la part d'un gouvernement désireux de faire adopter son programme législatif au Parlement, c'est de réduire la nécessité de passer par le Parlement pour l'adoption d'un projet de loi. Pour ce faire, il faut, premièrement, rendre les mesures législatives plus permissives et générales pour que le gouvernement ait moins besoin de recourir au Parlement et, deuxièmement, regrouper les mesures législatives pour que les projets de loi englobent davantage de dispositions, c'est-à-dire créer des projets de loi omnibus.

Les changements apportés aux lois d'exécution du budget au fil des ans montrent ces deux stratégies à l'œuvre. Le volume des projets de loi d'exécution du budget a augmenté considérablement. Ils renferment maintenant un grand nombre de sujets variés. Ils contiennent des dispositions qui donnent une plus grande latitude au gouvernement pour lui permettre de mener ses activités sans devoir s'en remettre au Parlement. À mes yeux, le plus intéressant, c'est la partie du projet de loi d'exécution du budget de 2007 qui visait à moderniser la méthode relative aux emprunts de la Couronne et qui supprimait l'obligation du gouvernement de s'adresser au Parlement pour effectuer des emprunts, ce qui monopolisait deux jours de débat par an, voire plus certaines années. Cette partie, si ma mémoire est bonne, est passée inaperçue au Sénat et à la Chambre et elle a été adoptée au Parlement. Par après, quelqu'un a dit, « Doux Seigneur! » Deux sénateurs s'en sont rendu compte. Personne à la Chambre des communes n'avait remarqué ce qui s'était passé. Ils ont dit, « Mon Dieu, nous perdons le contrôle des deniers publics ». C'est très bien, mais à mes yeux, il s'agit là d'un symptôme du défi auquel le Parlement est confronté lorsqu'il est saisi d'une mesure législative telle qu'un projet de loi d'exécution du budget de plus de 800 pages. Le Parlement doit faire très attention lorsqu'il étudie des projets de loi omnibus pour déterminer si nous en avons vraiment besoin et s'il y a une meilleure avenue. J'en resterai là à ce sujet.

Ces projets de loi se sont allongés et traitent de nombreux sujets. Ils comportent un autre avantage, et je crois que c'est bien, et je les ai examinés le plus attentivement possible. Pour un gouvernement, ils présentent également l'avantage d'être des questions de confiance, bien que certains des éléments qu'ils comportent ne le seraient nécessairement pas dans des circonstances normales. Le gouvernement peut affirmer qu'un projet de loi est une question de confiance et qu'il doit simplement être adopté.

Permettez-moi de conclure en vous livrant quelques réflexions sur les lois et sur ce qui fait qu'une mesure législative est bonne d'un point de vue technique, rédactionnel et parlementaire plutôt que du point de vue de son administration et de la façon dont les tribunaux la percevront, et cetera.

Les lois régissent les activités du gouvernement en établissant pour les citoyens et le gouvernement ce que ce dernier peut faire ou non. Lorsqu'elles sont adoptées, les lois du Parlement sont les documents de base qui empêchent que la démocratie se transforme en despotisme. Les lois sont si fondamentales et importantes pour notre système fondé sur la primauté du droit et la démocratie qu'elles doivent faire l'objet d'un examen minutieux et attentif de la part du Parlement et de la population.

Les principes de bonne rédaction législative supposent que les projets de loi devraient traiter d'un seul sujet ou thème et qu'ils devraient être présentés au Parlement dans un format qui permet de tenir un débat ciblé et une étude en comité du sujet ou du thème en question. Ils devraient permettre la tenue d'un débat cohérent et d'un examen d'une politique précise ou d'un ensemble de politiques connexes. Les projets de loi devraient être dans un format facilement assimilable pouvant être compris, analysé et discuté par les membres du Parlement, les comités parlementaires, la population et les groupes intéressés et touchés par ces mesures législatives.

Les projets de loi ne devraient pas obliger le Parlement à procéder à un vote sur un ensemble de politiques non reliées où le Parlement pourrait vouloir appuyer certaines de ces mesures, mais en rejeter d'autres.

À mon avis, les récentes lois d'exécution du budget violent ces principes.

Pour terminer, j'aimerais savoir pourquoi rien n'a été fait au sujet des lois d'exécution du budget avant aujourd'hui. Il me semble que nous avons une solution évidente. Le problème a évolué lentement. Il découle d'une progression insidieuse; les lois d'exécution du budget ont pris lentement de l'ampleur au cours des 15 dernières années au point où je pense que nous devons les examiner et nous demander si c'est vraiment la voie que nous voulons suivre en tant que démocratie parlementaire.

J'insiste sur le fait que ce n'est pas nécessairement un problème du Sénat. C'est principalement un problème de la Chambre des communes. Toutefois, je ne crois pas que notre Chambre des communes dispose d'un processus législatif qui répond vraiment aux exigences et aux attentes relativement à ce qu'un système parlementaire devrait accomplir.

Voilà qui conclut mes remarques liminaires.

Le président : Merci, monsieur Franks. Vous avez mentionné que l'une des stratégies consiste à ce que le gouvernement déclare une mesure législative être une question de confiance. Quelles seraient les répercussions, le cas échéant, de cette stratégie sur la manière dont le Sénat traiterait un projet de loi de ce genre?

M. Franks : Monsieur le président, votre question est insidieuse. D'un côté, le Sénat n'est pas habilité à retirer la confiance. De l'autre, la Chambre des communes a convenu il y a quelques années que si le Sénat n'approuvait pas un projet de loi avant une date donnée, cela serait considéré comme un manque de confiance. Vous êtes la seule chambre au monde habilitée à accorder la confiance tout en ne l'étant pas.

Le message que je veux vous transmettre, et je pense qu'il est exprimé implicitement dans mes remarques, c'est que vous, comme comité sénatorial, êtes libres de faire tout ce que vous voulez avec le projet de loi que vous avez sous les yeux, puis le Sénat devra prendre la décision de faire ce qu'il veut. S'il décide de le renvoyer à la Chambre des communes, il s'agit là, à mon avis, d'une motion de procédure, et non pas d'une motion de fonds, et il ne devrait pas faire l'objet d'un vote de confiance. La Chambre peut ensuite repenser ses excès législatifs.

Le président : Merci. J'étais intéressé à entendre vos commentaires à cet égard.

Le sénateur Runciman : Merci, monsieur, d'être des nôtres. C'est un sujet intéressant, même si notre approche aujourd'hui est un peu ironique étant donné que la raison pour laquelle nous avons prolongé les audiences, c'est justement pour étudier des parties précises du projet de loi, et bien entendu, ce n'est pas ce que nous faisons aujourd'hui. C'est un sujet intéressant, et le fonctionnement du Parlement à l'heure actuelle est une préoccupation que partagent bien des Canadiens.

Je suis certain que vous comprenez que plus de 50 p. 100 du projet de loi portait sur la question liée aux tarifs des douanes. Je crois que 52 p. 100 du projet de loi traitait de la question. Vous avez mentionné quelques statistiques concernant la difficulté de faire adopter des mesures législatives et les taux de succès en baisse — 86 p. 100 sous le gouvernement minoritaire Pearson et ce taux est passé à près de 50 p. 100 à l'heure actuelle, j'imagine, ou depuis 2009. Je crois savoir que c'était le chiffre dont vous parliez. Je pense que j'ai vu un article dans le Hill Times où vous vous êtes montré compatissant envers le gouvernement compte tenu des défis auxquels il doit faire face sur ce plan, mais vous n'avez toujours pas changé d'avis.

J'ai utilisé cet exemple auparavant, mais je pense qu'il est bon, compte tenu de la conversation que nous avons. Il a fallu un peu plus de deux ans pour que l'Accord de libre-échange Canada-Colombie soit approuvé au Parlement, et je pense qu'on a réussi à le faire approuver au Sénat en profitant d'un moment où l'un des partis de l'opposition était déstabilisé. Je n'arrive pas à me rappeler les détails. Toutefois, cela vous donne une idée des défis auxquels se heurte le gouvernement minoritaire pour gouverner avec une certaine efficacité. Jusqu'à il y a quelques semaines, avant l'ajournement du Parlement, on n'avait mis la dernière main à aucune loi à la Chambre des communes. Ce sont là de vrais défis auxquels le gouvernement doit faire face. La réalité politique, c'est que s'il veut réaliser des progrès et relever les défis auxquels le pays est confronté, le gouvernement doit examiner quelles sont les options qui sont disponibles.

En ce qui concerne le projet de loi, un de vos anciens collègues, Tom Courchene, que vous connaissez bien, j'en suis sûr, a rédigé un article pour Options politiques, où il a déclaré ce qui suit :

Lorsque les historiens économiques se pencheront sur le budget de 2010 du ministre des Finances, Jim Flaherty, il se peut bien que l'héritage créatif et impérissable qu'ils y verront, c'est que le budget a commencé enfin à combler les lacunes persistantes au chapitre de l'innovation et de la productivité au Canada.

Il a ensuite dit que le projet de loi d'exécution du budget dont nous discutons est si bien reçu qu'on n'en a pas fait grand cas. Dans l'ensemble, c'est la réaction des Canadiens.

Des personnes et des groupes ont témoigné devant nous pour exprimer des préoccupations au sujet de parties particulières, et vous et d'autres êtes inquiets du nombre de questions qui sont intégrées dans le projet de loi. Toutefois, vous avez parlé de gouverner de façon efficace, mais je ne sais pas trop comment vous pouvez y parvenir compte tenu du climat actuel qui règne à la Chambre des communes. Je partage votre préoccupation, et je ne sais pas trop comment on peut renverser la vapeur, autrement qu'en ayant un gouvernement majoritaire. Pour notre part, nous espérons que ce jour arrivera dans un avenir pas trop lointain.

Vous avez parlé des jours de séance parlementaire et d'un nombre réduit de projets de loi. En tant que moyens d'évaluation, je ne suis pas certain que les projets de loi constituent le meilleur outil pour mesurer l'efficacité. Le sénateur Baker et moi, et peut-être d'autres personnes dans la salle, avons agi en tant qu'élus. Le fait de prolonger les jours de séance ne permet pas nécessairement de mieux servir les intérêts d'une province ou du pays. Certains diraient qu'à plusieurs égards, c'est une bonne chose de présenter moins de projets de loi, selon le point de vue partisan du gouvernement du jour, j'imagine.

Ce sont des aspects auxquels vous pourriez vouloir réfléchir lorsque vous étudierez ces questions à l'avenir.

Le président : Voulez-vous qu'il intervienne sur vos observations, ou voulez-vous utiliser tout le temps mis à votre disposition pour faire des commentaires?

Le sénateur Runciman : Je vais répéter et appuyer ce que vous avez dit plus tôt concernant le fait que c'est un problème persistant. Un ministre des Finances a comparu devant ce comité. L'ancien sénateur Ferretti Barth lui a demandé si c'était vraiment une bonne idée de charger davantage le projet de loi en faisant toutes les modifications, et s'il était d'usage de procéder ainsi. Voici la réponse que le ministre des Finances lui a donnée concernant le projet de loi budgétaire :

Plutôt que de présenter un projet de loi pour chaque élément, nous les regroupons dans un projet de loi d'ensemble, parce que c'est la façon la plus efficace de proposer des choses au Parlement. Cependant, cela signifie qu'un large éventail d'éléments sont compris dans un même projet de loi.

C'est ce que l'ancien ministre des Finances, Ralph Goodale, a déclaré en 2005.

Le président : Vous pouvez intervenir sur n'importe laquelle de ces observations, si vous le voulez.

M. Franks : J'éprouve beaucoup de sympathie pour le gouvernement, et j'ai tenté de le préciser clairement dans mes observations. Ce que je n'aime pas, ce sont les conséquences qui découlent du fait que le gouvernement a dû traiter avec le Parlement au cours des 50 dernières années, par exemple, et se retrouver avec quelque chose comme le projet de loi C-9.

J'ai vu des projets de loi d'ensemble dans le passé. J'étais d'avis que certains d'entre eux étaient plutôt raisonnables, comme la Loi fédérale sur la responsabilité des conservateurs. C'était un projet de loi d'ensemble; il comptait environ cinq projets de loi, et il était logique de les regrouper. Cela me convient.

L'un des plus importants projets de loi qui a été présenté au Parlement, c'était celui qui modifiait l'impôt sur le revenu, en 1971 à peu près, après le rapport Carter. Il faisait plus de 400 pages. Je ne crois pas que le Parlement s'est occupé des détails, mais des raisons expliquent pourquoi il s'agit d'un projet de loi d'ensemble.

Ce qui m'embête, c'est que le projet de loi actuel est de la bouillie pour les chats, comme on dit. D'un côté, on aborde la question de la possibilité de vendre une partie d'EACL. Je crois que la Chambre des communes s'est déjà exprimée sur le sujet d'une façon ou d'une autre, mais maintenant, cette question est mêlée aux autres, et le tout fera l'objet d'un vote de confiance. Il y a les modifications à la Loi canadienne sur la protection de l'environnement. Je ne vais pas faire de commentaires sur leur bien-fondé, mais elles comportent des aspects qui changeront le rôle du gouvernement et du public pour ce qui est des questions environnementales.

Le projet de loi d'ensemble de l'an dernier contenait des mesures législatives au sujet des rivières navigables, qui n'ont pas suscité beaucoup de discussions. Je suis un canoéiste en eau vive; j'aime les rivières non navigables. Cela nuira-t-il à mes activités de canotage en eau vive dans l'avenir? Je serai bientôt trop vieux pour m'adonner à cette activité, mais qu'en est-il de mes enfants? Que leur arrivera-t-il?

Je crains qu'en regroupant autant d'éléments, on ne les distingue pas suffisamment pour mener de bonnes discussions.

D'un autre côté, je vois un très grand nombre d'opposants entêtés au Parlement. Je ne crois pas qu'on pourrait présenter un projet de loi au Parlement sans que personne ne s'y oppose, à part s'il comporte de saints objectifs.

Je crois que l'un des problèmes à la Chambre des communes, qui se pose moins au Sénat, c'est qu'on n'y fait pas de distinction entre les projets de loi pour lesquels il y a une divergence d'opinions politiques importante des deux côtés, ce qui devrait vraiment susciter beaucoup de discussions, et les projets de loi d'ordre administratif, que tout gouvernement présenterait, ou quelque chose qui va vraiment dans le même sens.

Par exemple, je crois que le premier projet de loi qui a reçu la sanction royale au cours de la session actuelle, c'est le projet de loi C-2 sur le libre-échange avec la Colombie. Il contient une multitude de tableaux et de listes à la fin. Je crois que n'importe quel gouvernement aurait pu le présenter sous la même forme et qu'il n'aurait pas été très litigieux. Je pense la même chose au sujet d'autres projets de loi.

Toutefois, je ne vois pas la Chambre des communes faire une distinction entre les projets de loi auxquels elle veut consacrer beaucoup de temps, et les autres. Cela montre que quelque chose ne va pas dans notre Parlement, que les partis ne connaissent peut-être pas leur position. Par conséquent, ils s'opposent à tout ce qui est proposé de l'autre côté.

Je vais m'arrêter ici.

Le sénateur Baker : J'ai deux ou trois questions brèves. Monsieur Franks, votre analyse portait sur l'adoption de projets de loi par les gouvernements au fil des ans. Pendant que vous faisiez votre analyse, j'ai pensé que le nombre de projets de loi adoptés correspond parfois à la norme qu'utilisent le public, les partis politiques et les commentateurs pour évaluer le succès d'un gouvernement. C'est la même chose pour ce qui est des administrations municipales et des gouvernements provinciaux.

Croyez-vous qu'un jour, un parti politique aura du succès en prônant une réduction du nombre de projets de loi que nous adoptons?

M. Franks : Nous n'en adoptons pas beaucoup si nous comparons notre législature à d'autres. Si je me souviens bien, l'assemblée législative de la France adopte quelque 600 projets de loi par année.

Le sénateur Tkachuk : Je n'aurais jamais pensé cela. Qui aurait pu le penser?

M. Franks : Nous ne faisons pas beaucoup de gaspillage comparé à la prodigalité de la France et de certains autres pays.

Au départ, il faut se demander à quoi servent les mesures législatives. Elles donnent tout d'abord des pouvoirs au gouvernement. Celles que vous examiniez plus tôt correspondent au pouvoir d'enlever de l'argent aux gens, qui est le pouvoir d'imposition. Lorsque le projet de loi sera adopté par le Parlement, peu importe la forme qu'il prendra, il sera soumis aux tribunaux, car il aura des répercussions sur bien des gens et des entreprises qui ont beaucoup d'argent et qui peuvent lancer des procédures judiciaires.

On demande un très grand nombre de modifications dans la Loi de l'impôt sur le revenu en raison de décisions des tribunaux. Si ma mémoire est bonne, il y a quelques années, le vérificateur général a fait rapport à cet égard et il a dit que des milliers de modifications à la Loi de l'impôt sur le revenu n'avaient pas été adoptées comme des modifications, mais qu'elles avaient été établies comme des ordres ou des directives de l'ARC. À mon avis, c'est le genre de mesures législatives que le Parlement devrait adopter, et rapidement.

Il me semble qu'il y a un problème lorsque des questions empiètent sur d'autres, comme la réforme du Sénat, ou lesdits projets de loi sur la criminalité pour lesquels l'opinion des partis diffère. Je m'attendrais à ce que le Parlement veuille y consacrer plus de temps.

Cependant, un Parlement qui ne peut pas modifier les lois qui concernent l'impôt sur le revenu simplement parce qu'il ne veut pas étudier ce grand nombre de mesures législatives semble se soustraire à ses responsabilités en tant que Parlement.

Le sénateur Baker : Le projet de loi actuel que nous sommes en train d'adopter fait intervenir un grand nombre de ministères. Si l'on devait poser une question à la Chambre des communes à propos d'un des aspects des modifications proposées, il faudrait la poser au ministre qui est concerné par la disposition.

À une certaine époque, le sort d'un ministre dépendait du rendement de son ministère; si le ministère commettait une erreur, le ministre était parfois forcé de démissionner. Ce n'est plus le cas aujourd'hui, car on ne s'attend pas à ce que les ministres soient au courant de tout ce qui se passe, en raison de la complexité des mesures législatives, et cetera.

Pensez-vous qu'il est malheureux, compte tenu de la façon dont évolue la démocratie parlementaire, qu'on ne s'attende pas à ce qu'un ministre sache exactement ce qui se passe dans son ministère, en raison de la multiplicité des mesures législatives?

M. Franks : Il faudrait tenir compte de bien des choses pour pouvoir répondre à une telle question. Sommes-nous vraiment en présence d'un gouvernement de premier ministre plutôt que d'un gouvernement ministériel? Qui répond aux questions à la Chambre des communes? Est-ce le ministre ou la personne dont la tâche consiste à répondre aux questions, peu importe le sujet sur lequel elles portent?

Le sénateur Baker : Vous devriez visiter le Sénat. Une personne répond à toutes les questions. Peu importe, continuez.

Le sénateur Duffy : Et elle le fait très bien.

Le sénateur Baker : Continuez, professeur.

M. Franks : Désolé, j'étais sans voix.

C'est une bonne question. J'avais l'habitude d'être emballé — et cela m'arrive encore, si j'y travaille — par le roulement rapide des sous-ministres. Au Canada, le sous-ministre moyen reste en poste trois ans et demi, ce qui veut dire qu'à certains moments, environ la moitié des sous-ministres sont restés en service durant moins d'un an et demi, environ.

Même si l'on accepte la parole de l'actuel greffier du Conseil privé, Wayne Wouters, il faut deux ans à un sous-ministre pour être entièrement maître de son portefeuille. Selon moi, il lui faut plutôt près de trois ans, ce qui est le point de vue de Gordon Robertson.

Prenez maintenant les ministres. J'ai fait un tableau qui porte sur le nombre de ministres qu'il y a eu en Chambre au cours des 20 dernières années, et en moyenne 11 ministres sont passés dans chaque ministère en 20 ans, et cela n'inclut pas les premiers ministres. Je suis peut-être très cynique, mais je crois qu'aucun ministre ne peut arriver à être à la hauteur en moins de deux ans dans un ministère, et les ministres occupent leur poste pendant moins de deux ans.

Le sénateur Baker : Oui.

M. Franks : Je crois qu'il faut examiner la question. Je ne sais pas de quelle façon on change le système. Je crois comprendre qu'en Grande-Bretagne, le roulement des ministres est à peu près semblable. La raison pour laquelle ils ont l'air aussi compétents pendant la période de questions, c'est que dans ce pays, toutes les questions sont écrites. On les met à leur disposition. Comme ils ont du personnel qui leur dit à quoi ressemble le Budget supplémentaire des dépenses et ce qu'ils devraient dire, les ministres se lèvent et ils ont l'air de savoir de quoi ils parlent. C'est seulement qu'ils peuvent lire très bien en public, à mon avis.

Le sénateur Baker : Bien sûr, habituellement, il y a un conseil des ministres trois jours par semaine, et une autre réunion a lieu juste avant. Il s'agit d'une réunion regroupant les sous-ministres et des représentants du Bureau du Conseil privé. On les appelle « le centre ». Quelqu'un n'a-t-il pas déjà écrit un livre ou une thèse sur le centre?

M. Franks : Je crois comprendre que vous avez invité mon ami Donald Savoie à comparaître et qu'il n'a pas pu le faire, mais je crois qu'il a écrit un livre dont le titre est Governing from the Centre. C'est un très bon livre, en fait.

Le sénateur Baker : Mais, ne porte-t-il pas sur « le centre »?

M. Franks : C'est très bon — sur le centre et la périphérie.

Le sénateur Baker : Mais ne porte-t-il pas sur « le » centre?

M. Franks : Le roi et les courtisans? De quel centre parlez-vous?

Le sénateur Baker : Les sous-ministres et le Bureau du Conseil privé. Je m'écarte peut-être du sujet, monsieur le président.

M. Franks : Non, non.

Le sénateur Baker : Oui, c'est le cas.

M. Franks : Je veux seulement dire quelque chose. En fouillant le site Web du Bureau du Conseil privé, j'ai tenté de savoir à quelle fréquence le Cabinet se réunit, mais je n'ai pas pu trouver cette information. Je dirais que ce serait positif que 35 personnes se réunissent trois fois par semaine. Un comité, c'est différent.

Le sénateur Baker : Il y a trois comités. C'est normal.

J'ai une dernière question.

Le président : Je croyais que votre question précédente était la dernière. En avez-vous une vraie maintenant?

Le sénateur Baker : Oui, une vraie. Monsieur Franks, vous parlez du nombre de projets de loi que nous sommes en train d'adopter. Le Code criminel compte une disposition que le sénateur Angus peut citer mot pour mot. On s'y réfère communément en disant que « nul n'est censé ignorer la loi ». En d'autres termes, on ne peut pas l'utiliser pour se défendre peu importe quelle disposition du Code criminel on viole.

En raison de la complexité et du grand nombre de lois que nous adoptons, pensez-vous que nous devrions peut-être abolir cette disposition et que l'ignorance à propos de toutes ces lois devrait peut-être servir d'excuse?

M. Franks : Absolument pas. Il suffit de réduire la longueur des lois d'exécution du budget; cette mesure contribuerait grandement à résoudre le problème.

Le sénateur Gerstein : Professeur Franks, bienvenue à notre comité. Je suis ravi de vous voir en personne et d'entendre vos observations. Vous êtes professeur à l'Université Queen's, une des meilleures universités du Canada. Je dois dire que je suis très fier quand je pense au fait que ma fille est diplômée de cette université et que ma mère a reçu un doctorat honorifique en droit.

Je vois que vous avez écrit plusieurs livres. Vous avez consacré une grande partie de votre vie à votre rôle d'universitaire et de commentateur. Combien de livres avez-vous écrits?

M. Franks : Il y a une collection de livres et de monographies. Un livre, comme mon livre sur le Parlement du Canada, est un ouvrage à couverture rigide. Une monographie est une étude quelconque qui est publiée. J'ai à mon actif 13 monographies et plus d'une centaine d'articles universitaires. Je ne compte pas les articles écrits dans les journaux.

Le sénateur Gerstein : Depuis combien de temps écrivez-vous sur le Parlement du Canada?

M. Franks : En fait, j'ai commencé à écrire sur l'Assemblée législative de la Saskatchewan. J'ai écrit mon premier article à ce sujet, je crois, en 1967; alors, on peut dire que c'est ainsi qu'a commencé ma carrière dans le domaine des publications universitaires.

Le sénateur Gerstein : La raison pour laquelle je vous pose la question, c'est parce que j'ai fait une analyse assez approfondie des médias et je n'arrive pas à trouver un seul article écrit par vous, avant l'arrivée au pouvoir de notre gouvernement actuel, au sujet des projets de loi omnibus. Je vais demander à certains de mes collègues des deux côtés de faire preuve d'indulgence parce que je vais passer en revue certaines des observations préliminaires que j'ai faites quand le projet de loi C-9 a été présenté au Sénat.

Mon analyse des médias a couvert les 250 dernières années. Cela remonte au roi George III. Le chapitre 29 de la British Act, adoptée la troisième année du règne du roi George III, portait sur le prix du pain, et cetera; il s'agissait d'un projet de loi omnibus — c'était il y a 250 ans, professeur. Il traitait de sujets comme les faillites, le statut juridique des testaments des papistes, les locataires protestants et l'établissement des démunis.

Nous passons ensuite à 1859, sous le gouvernement du vicomte Palmerston. Gladstone, le chancelier de l'Échiquier, avait eu du mal à faire adopter un projet de loi qui visait à abolir les droits de douane sur le papier. Par conséquent, l'année suivante, il a inclus la mesure dans un projet de loi omnibus d'exécution du budget.

Puis il y a le gouvernement d'Asquith en 1909. Que s'est-il passé alors? Le célèbre projet de loi financier, connu sous le nom de « budget du peuple », prévoyait des réformes sociales radicales qui ont posé les fondements de l'État providence. Et cela nous amène enfin, comme on l'a dit, aux récents gouvernements — libéral et conservateur.

Je dois avouer que j'ai été très impressionné hier. Le sénateur Banks a affirmé que, selon lui, le recours à des projets de loi omnibus est une erreur, que ce soit sous le gouvernement libéral ou le gouvernement conservateur. Je ne suis pas d'accord avec lui, mais je dois reconnaître qu'au moins, il est cohérent dans ses critiques. Il a fait valoir le même argument à maintes reprises.

Quoi qu'il en soit, je reviens à ma question : pour une raison ou pour une autre, je n'ai pas réussi à trouver une seule déclaration de votre part, durant votre longue carrière, sur les projets de loi omnibus avant l'arrivée au pouvoir de notre gouvernement. Je vous pose donc la question suivante : avez-vous quelque chose contre nous — même si vous avez dit éprouver de la sympathie pour le gouvernement? Comment expliquez-vous cela?

M. Franks : C'est un peu comme quand on tombe malade; on ne se sent pas bien pendant quelques jours, puis notre état s'aggrave et on finit pas se sentir vraiment mal au point de ne pas pouvoir se lever; alors, on va consulter un médecin et on se rend compte qu'on est très malade. Ce que je voulais dire dans ma description de la prolifération des projets de loi omnibus qui poussent comme des champignons...

Le sénateur Gerstein : Sur 250 ans.

M. Franks : Non, non. Je me suis contenté d'examiner une période de 15 ans, parce que je n'ai pas voulu remonter en arrière aussi loin que vous, monsieur.

J'ai découvert que les projets de loi omnibus comptaient, en moyenne, 12 pages à l'époque. C'est tout à fait acceptable. Ils peuvent être utilisés à des fins légitimes. Toutefois, j'ai trouvé que les récents projets de loi omnibus faisaient bien plus de 700 pages, et celui dont nous sommes saisis en fait 880.

J'utilise une règle de base quand j'examine des questions politiques. Si l'ordre de grandeur change, c'est-à-dire si la longueur est différente, alors il s'agit d'un changement profond du système. En l'occurrence, 800 pages, c'est presque deux ordres de grandeur de plus que 12 pages; voilà pourquoi, selon moi, nous assistons à un changement profond dans l'utilisation et le contenu de ces projets de loi. Je crois qu'il vaut la peine de les examiner.

En ce qui concerne l'histoire, sachez qu'il y a 250 ans, les projets de loi d'intérêt public, mis à part les projets de loi liés au budget, étaient choses assez rares. La principale fonction du Parlement se résumait à ce que nous appellerions maintenant des projets de loi d'intérêt privé. Ce n'est que vers la dernière moitié du XIXe siècle que les projets de loi d'intérêt public sont devenus plus importants que les projets de loi d'intérêt privé.

Certes, les lois d'exécution du budget existaient à l'époque — comme je l'ai dit, ils forment un élément nécessaire de notre gouvernement —, mais ils étaient relativement courts et rares, et ils faisaient partie intégrante du programme législatif d'un gouvernement durant une année donnée. Toutefois, nous vivons maintenant à une autre époque où nous avons une surabondance de projets de loi d'intérêt public. La législation fiscale, que vous avez étudiée plus tôt, touche chaque citoyen au Canada. C'est un aspect dont je ne tiendrai pas compte.

Quand je trouve un projet de loi d'exécution du budget qui vise à mettre en œuvre non seulement des mesures liées au budget mais aussi d'autres mesures, je me gratte la tête en me demandant où on veut en venir. Que veut dire tout ce cafouillis? Sommes-nous en train de jeter le bébé avec l'eau du bain? Voilà autant de questions à se poser, du moins à mon avis. Nous vivons aujourd'hui dans un contexte différent par rapport à il y a 20 ans en ce qui concerne les lois d'exécution du budget. Je crois que ce sujet mérite notre attention.

Le sénateur Gerstein : Professeur, je tiens à vous dire, une fois de plus, combien j'apprécie votre réponse. Sachez que je vous suis très reconnaissant de votre présence ici parmi nous. Nous en sommes tous ravis. Merci.

M. Franks : C'est pour moi un honneur .

Le sénateur Banks : Il est difficile de formuler une question précise, alors je vais commencer à parler, et on verra si une question se présente.

J'ai quelques observations à faire sur certains points qui ont été soulevés tout à l'heure. En ce qui concerne le regard rétrospectif que jette le professeur pour donner une vue d'ensemble de la situation, il ne nous sert pas à grand-chose de nous enfarger dans les fleurs du tapis et d'essayer de savoir qui a fait quoi et quand au cours des dernières années, mais je ne puis m'empêcher d'en parler. Le sénateur Runciman a fait allusion à une lettre. Je dois vous signaler une autre lettre, dans laquelle un sénateur conservateur de l'époque se plaignait du fait qu'un projet de loi omnibus contenait trop de pages, à savoir 56 pages, chose qu'il considérait tout à fait déplorable. En fait, cela s'est passé pendant que j'ai été ici, tout comme le projet de loi du ministre des Finances Goodale, dont nous nous sommes plaints amèrement en comité. La différence, c'était que tous les sujets traités dans ce soi-disant projet de loi omnibus — c'est ainsi que nous l'appelions à l'époque — avaient un lien ombilical avec le budget. Il y avait donc un lien, quoique fragile, avec le budget. C'est, à mon avis, ce qui fait défaut dans le cas du projet de loi C-9. Il y a des éléments dans le projet de loi C-9 qui n'ont rien à voir avec l'exécution du budget.

Toutefois, je crois que là où veut en venir le professeur, et je pense qu'il a été trop gentil pour le dire, c'est que c'est notre faute. C'est la faute du Parlement. Je crois que vous l'avez dit de façon indirecte, mais c'est la faute du Parlement. Nous avons abdiqué notre responsabilité. Je suis en train d'ennuyer mes collègues parce que je l'ai déjà dit. Ce n'est pas juste la faute de la Chambre des communes, mais c'est notre faute; c'est la faute du Sénat.

À l'époque où sir Clifford Sifton était ministre de l'Intérieur, il a fait remarquer que le Sénat n'avait pas pour tâche de s'opposer à la Chambre des communes ou de la tenir responsable; sa tâche était de dresser un rempart contre les excès du gouvernement, du Cabinet, toutes allégeances confondues. Telle était la tâche du Sénat. Je crois que c'est une tâche que nous avions l'habitude d'accomplir, mais le seul endroit où nous avons échoué, c'est dans ce genre de projets de loi.

J'ai eu l'honneur de siéger au comité sous la présidence du sénateur Murray, puis du sénateur Day, et ils nous ont tous deux réprimandés. Ils ont tous deux essayé de prendre des mesures pour régler les problèmes dont vous avez parlé, professeur Franks. Nous devons trouver un moyen d'éviter que ça se reproduise; après tout, s'il ne revient pas au Parlement ni au Sénat de tenir le gouvernement responsable de la dépense des deniers publics, alors nous n'accomplissons rien. Tel est le but du Parlement. C'est d'ailleurs ce qui s'est passé à Runnymede en 1215; c'était entièrement une question de perception et de dépense des fonds. En nous retirant de ce domaine, comme le sénateur Angus l'a dit, nous avons laissé péricliter les choses; c'est ce que nous avons fait. Nous avons laissé péricliter nos responsabilités.

Vous avez fait allusion, à plusieurs reprises, à la Chambre des communes, au fait qu'elle n'a pas fait son travail et aux difficultés auxquelles sont confrontés les gouvernements minoritaires, mais le Sénat est censé être un endroit différent.

Seriez-vous d'accord avec moi pour dire qu'au bout du compte, nous ne pouvons parler que de notre tâche ici, qui consiste à régler ce genre de questions en évitant la politique partisane et en prenant des mesures qui ne sont peut-être pas prises ou qui ne peuvent pas être prises dans l'autre endroit et qu'au fond, sir Clifford Sifton avait raison de dire que la situation inquiétante dans laquelle nous nous trouvons est de notre faute? À aucun moment n'avons-nous dit : « Ne répétez pas cela; ne nous renvoyez plus ce genre de choses. »

M. Franks : À vrai dire, j'aurais bien voulu qu'on mette un terme au projet de loi à la Chambre des commues, mais vous êtes notre cour de dernière instance, la Chambre de second examen objectif qui, comme je l'ai souvent dit, n'agit pas toujours de façon sereine et réfléchie, mais qui jette d'habitude un second regard. Vous êtes le filet de sécurité.

De mon point de vue, en tant que témoin qui comparaît devant des comités parlementaires, je prends les comités sénatoriaux très au sérieux parce que je trouve que les questions sont posées à la lumière des connaissances et de l'expérience, chose qui manque à la Chambre des communes. Il y a aussi la préséance des intérêts du pays sur ceux des partis. J'ai beaucoup d'estime pour le Sénat. Je crois l'avoir indiqué très clairement dans bon nombre de mes écrits. J'affirme souvent, avec fierté, que je suis probablement le seul politologue canadien — titre que je n'aime pas d'ailleurs — à avoir écrit davantage sur ce que fait le Sénat que sur la manière de le réformer.

Le sénateur Angus : Donnez-nous une liste.

M. Franks : Je dis à la plupart de mes collègues que la réforme du Sénat ressemble aux discussions qu'on tenait au Moyen-Âge sur le sexe des anges; on a beau donner une foule de réponses convaincantes, mais cela ne nous mène à rien, peu importe les réponses qu'on trouve.

Compte tenu de ses forces, et malgré toutes ses faiblesses, j'ai beaucoup d'estime pour le Sénat. J'espère que vous en arriverez à un consensus sur le projet de loi et que vous l'examineriez dans son ensemble, en tant que mesure législative, et non pas en fonction des dispositions particulières qui s'y trouvent. Rappelez-vous que je n'en ai pas parlé. La question, c'est tout simplement de savoir si nous devrions avoir une mesure législative qui prétend être une loi d'exécution du budget qui couvre un large éventail de sujets, dont certains ne sont pas liés au budget, et si on devrait régler le tout comme une question de confiance. De plus, sans vouloir offusquer votre comité ni le Comité des finances de la Chambre des communes, ces dispositions sont examinées par des comités qui s'occupent des finances plutôt que des secteurs particuliers comme l'environnement, et cetera.

Je dois admettre que je n'ai pas regardé comment le Sénat avait traité ce projet de loi, mais j'ai regardé ce qu'a fait la Chambre des communes, et le Comité des finances a passé 17 heures, 10 séances, à l'examiner. C'est beaucoup pour ce comité, et il a fait du bon travail dans ce contexte. Je suis certain que le Sénat a fait du bon travail également, mais ce n'est pas la même chose que d'avoir des gens qui ont de l'expérience dans chaque secteur qui examine chacun des projets de loi attentivement. Certains ont des répercussions politiques, comme les dispositions sur l'évaluation environnementale ou celles traitant d'Énergie atomique du Canada limitée, et un comité spécialisé pourrait faire un meilleur travail que les comités des finances.

Toutes ces préoccupations surgissent. Encore une fois, je souligne que je ne dis pas que tel aspect de ce projet de loi est bon ou mauvais en soi. Je dis que lorsqu'on les rassemble tous et qu'on les traite dans le cadre d'un seul projet de loi, cela crée un problème pour le Parlement et la population qui essaient de le comprendre. Voilà ce que je dis.

Le sénateur Tkachuk : Bienvenue, monsieur Franks. C'est une discussion intéressante jusqu'à maintenant.

Sénateur Banks, les excès d'une personne représentent des bons projets de loi pour une autre. Nous devenons tous religieux. Il me semble que les politiciens deviennent toujours religieux lorsqu'ils sont dans l'opposition. Je voulais vous le mentionner.

Le sénateur Banks : Et nous sommes en juillet.

Le sénateur Tkachuk : L'idée d'un projet de loi omnibus n'est pas nouvelle. Aidez-moi à comprendre, parce que je crois que le Comité des finances devrait se pencher sur les projets de loi omnibus en tant qu'instruments distincts, du point de vue théorique et de leur principe.

Vous n'aimez pas que ce soit un projet de loi omnibus, ou vous n'aimez pas que ce soit un projet de loi budgétaire qui soit un projet de loi omnibus?

M. Franks : Avant de répondre, permettez-moi de rendre hommage à la Saskatchewan. Il y a de nombreuses années, au début des années 1960, j'ai été greffier adjoint au Parlement là-bas. J'ai une dette énorme envers la Saskatchewan et beaucoup de respect pour cette province.

Le sénateur Tkachuk : C'est une province fantastique.

M. Franks : Oui. Et les collines sont rares dans certaines régions.

Pour répondre à votre question, c'est parce que c'est un projet de loi omnibus, mais aussi parce que c'est un projet de loi budgétaire. D'après ce que j'en comprends, et j'ai posé la question à de nombreuses personnes, c'est un vote de confiance parce que c'est une question budgétaire. Un projet de loi omnibus normal, qui ne serait pas automatiquement une question de confiance, pourrait être facilement divisé et personne ne s'enflammerait parce qu'il ne s'agit vraiment que d'une motion de procédure. C'est le vote de confiance qui me dérange.

C'est bien que les projets de loi de crédit suivant un discours sur le budget ou un discours du Trône soient des votes de confiance, mais lorsque l'on parle de projets de loi ordinaires, le gouvernement devrait dire s'il considère que les changements à la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale ou au statut d'EACL, par exemple, constituent des questions de confiance. Lorsque quelque chose devient une question de confiance, on accroît la partisanerie et on diminue les aspects « pan-parlementaires », si vous me passez l'expression.

Je crois que cela pose problème de rassembler tous ces aspects et de dire que c'est une loi d'exécution du budget.

Le sénateur Tkachuk : Est-ce une question de principe? Le gouvernement prépare le budget, et comme il est minoritaire, l'opposition peut le rejeter. L'opposition aurait pu rejeter ce budget.

L'opposition aurait pu diviser ce projet de loi omnibus. Elle aurait pu le faire en Chambre, mais les trois partis de l'opposition ont choisi de ne pas le faire.

Si c'était une question de principe, et qu'ils s'opposaient tellement à ce projet de loi, l'opposition aurait pu renverser le gouvernement et nous serions allés en élection et la population aurait pu trancher. Il me semble que d'utiliser des projets de loi omnibus constitue un moins grand abus de pouvoir en situation minoritaire qu'en situation majoritaire, parce qu'avec un gouvernement majoritaire, l'opposition n'a pas grand-chose à dire sur le traitement des projets de loi.

M. Franks : Il y a une tactique logique utilisée par les philosophes qui s'appelle réductio ab absurdum. Je vous ai dit que ce projet de loi omnibus, qui couvre un certain nombre de choses différentes — certaines incluses dans le budget et d'autres pas, je crois que nous sommes tous d'accord là-dessus — représentera probablement 50 p. 100 du nombre de pages de projets de loi adoptés par le Parlement cette année.

Alors pourquoi ne pas avoir deux projets de loi omnibus par année et le Parlement n'aurait pas à se réunir aussi souvent. On pourrait passer 10 jours sur un projet de loi et 10 sur l'autre, les adopter, et tout le monde pourrait retourner à la maison.

Le sénateur Tkachuk : Cela serait absurde.

M. Franks : Je vous avais averti.

Le sénateur Tkachuk : Ce n'est pas ce que le gouvernement fait. Soyons clairs, pendant cette législature, il y a eu un nombre assez important de projets de loi du gouvernement déposés au Sénat. Les avez-vous inclus dans votre 50 ou 40 p. 100? Ce sont des projets de loi du gouvernement adoptés par le Sénat et qui ont été envoyés à la Chambre des communes.

M. Franks : Je parlais de l'année civile 2009, qui n'a inclus qu'une seule session. Trois projets de loi gouvernementaux d'intérêt public au Sénat, les projets de loi S-2, S-3 et S-4 ont reçu la sanction royale. Le reste des projets de loi qui ont reçu la sanction royale provenaient de la Chambre des communes, les projets de loi C-2 jusqu'à C- 64. J'ai donc inclus le Sénat et la Chambre des communes.

Le sénateur Tkachuk : Vous n'avez pas inclus les projets de loi qui sont au Sénat et à la Chambre des communes, parce qu'il y a des projets de loi du Sénat qui traînent et qui n'ont pas encore reçu la sanction royale. La plupart ont été envoyés aux Communes, mais il en reste deux au Sénat. Les autres iront à la Chambre des communes et ils devraient être inclus dans le calcul, d'après moi.

M. Franks : Je parle de 2009, alors c'était une session entière. C'était la deuxième session de la quarantième législature.

Nous en sommes maintenant à la troisième session de la quarantième législature. Il y a un vrai problème, d'après moi, parce qu'il y a, comme vous le dites, un grand nombre de projets de loi adoptés par la Chambre des communes qui ont été envoyés au Sénat et qui n'ont pas encore dépassé l'étape de la troisième lecture mais ont au moins franchi celle de la deuxième.

J'ai tenu un compte des projets de loi qui ont reçu la sanction royale cette année jusqu'à maintenant, mais on ne connaîtra pas le total jusqu'à ce que le Sénat ajourne après la prochaine sanction royale.

Le sénateur Banks : Pour être clair, pendant la troisième session jusqu'à maintenant, le Sénat a adopté 16 projets de loi du gouvernement. Ils n'ont pas encore tous reçu la sanction royale.

Le sénateur Tkachuk : C'est exact.

Le sénateur Banks : Six étaient des projets de loi du Sénat et dix étaient des projets de loi déjà adoptés par la Chambre des communes qui ont été envoyés au Sénat et nous les avons maintenant adoptés. Cela fait 16 jusqu'à maintenant, qui n'ont pas tous reçu la sanction royale.

M. Franks : Il y en aura d'autres. L'an dernier, lorsque le Sénat a ajourné pour l'été, je crois qu'il y avait eu 24 projets de loi qui avaient reçu la sanction royale, mais je me trompe peut-être. Cela faisait un total de 24 sur 34 l'an dernier, je crois.

Le sénateur Tkachuk : Je veux revenir au projet de loi d'exécution du budget et à votre objection, pour que tout soit clair. Si un projet de loi omnibus pour l'exécution du budget est mauvais en principe, alors un projet de loi budgétaire ne devrait contenir que le budget et les amendements qui y sont liés, et rien d'autre; exact? Est-ce la quantité qui crée le problème? On peut avoir un projet de loi de 1 000 pages qui ne dit pas grand-chose. Nous avons 270 pages de tarifs et droits douaniers dont la liste aurait pu être annexée au projet de loi.

Où est le problème? Est-ce le principe exigeant que le Parlement fasse une étude attentive du projet de loi, ou le principe d'un projet de loi omnibus, ou le volume du projet de loi omnibus? C'est un tout autre problème, car le volume problématique est-il 200, 500 ou 1 500 pages?

M. Franks : Je ne veux pas donner de réponse catégorique, mais ce que je vous ai dit, c'est que ce projet de loi représente un nombre important de pages, la moitié des pages adoptées par le Parlement cette année.

Le sénateur Tkachuk : Et puis?

M. Franks : Eh bien, pourquoi ne pas prendre les autres et les combiner dans un seul projet de loi et n'avoir alors que deux projets de loi?

Il me semble que les questions concernant EACL et les évaluations environnementales sont suffisamment importantes pour faire l'objet de projets de loi distincts afin d'être étudiés par des comités experts plutôt qu'ici. Ce n'est pas noir ou blanc.

Le sénateur Tkachuk : Et qui en est le juge, monsieur Franks?

Le président : Il ne vous reste plus beaucoup de temps, sénateur Tkachuk. Aimeriez-vous conclure avec une dernière question?

M. Franks : Je vais répondre à la question sur qui peut en juger. Le gouvernement décide de la façon qu'il présentera un projet de loi, et le Parlement décide de ce qu'il veut faire avec lui. Le gouvernement propose; le Parlement dispose. Cependant, je dirais que les projets de loi omnibus ne sont pas mauvais en eux-mêmes. C'est comme l'alcool : Un verre, ça va, mais après 20 verres, ne conduisez pas.

Le sénateur Tkachuk : Le problème n'est pas le projet de loi omnibus donc. C'est le nombre de pages?

M. Franks : Non, c'est plus que le nombre de pages. C'est la diversité des sujets et le fait que certains ne faisaient pas partie du budget mais ont quand même été inclus dans le projet de loi. Certains sujets pourraient être très litigieux et ne reçoivent pas l'attention qu'ils devraient, selon moi.

Par le passé, on a vu que d'inclure toutes sortes de sujets dans un projet de loi omnibus comme celui-ci — et j'ai utilisé l'exemple des pouvoirs d'emprunt de la Couronne, et je suis certain que je pourrais en trouver d'autres — pour se retrouver avec un projet de loi si gros fait que les détails du projet de loi ne reçoivent pas l'attention qu'ils auraient reçue dans des projets de loi distincts.

Il y a une place pour les projets de loi omnibus, mais la question est de savoir s'il s'agit du type de projet de loi omnibus approprié pour notre Parlement actuellement, et je crois que non.

Le sénateur Mitchell : Merci, professeur Franks. J'ai été étudiant à la maîtrise du Département d'études politiques de l'Université Queen's en 1973, alors que vous y enseigniez. Je n'ai pas eu l'occasion de suivre votre cours. Après cet après-midi, je regrette de ne pas l'avoir fait.

Votre analyse de cette tendance à la baisse du volume de travail fait par le gouvernement m'a intrigué. Le gouvernement actuel a très peu produit de projets de loi. Le gouvernement a dit — comme l'a fait de façon agressive le sénateur Runciman il y a quelques instants — que c'est parce que c'est un gouvernement minoritaire qu'il n'arrive pas à mener les choses à terme. Le gouvernement utilise cette même explication pour justifier l'utilisation d'un projet de loi omnibus.

Cependant, les exemples passés de gouvernements minoritaires nous démontrent qu'ils peuvent abattre une lourde tâche. Je pense à Pearson, qui a mis en place le RPC, l'assurance-emploi, le régime d'assurance-maladie et le drapeau dans le cadre d'un gouvernement minoritaire.

Ce n'est pas nécessairement la situation minoritaire qui limite la capacité du gouvernement à faire adopter des lois. Il y a de nombreuses explications — comme la prorogation par exemple. Il y a eu des prorogations sans précédent qui ont interrompu le travail du gouvernement. Nous avons un gouvernement qui, je dirais, est incapable ou presque de faire des compromis, alors il est difficile de profiter de la collaboration de tous les partis sous le leadership que pourrait offrir un gouvernement minoritaire. Peut-être que le gouvernement déteste gouverner et ne sait pas quoi faire. Je pourrais facilement vous le démontrer de différentes façons.

Je veux poser cette question presque rhétorique : n'est-il pas vrai qu'il pourrait y avoir de nombreuses explications autres que la simple situation minoritaire du gouvernement pour expliquer pourquoi il est si improductif, et que nombre de ces explications seraient peu flatteuses pour le gouvernement.

Le président : Aimeriez-vous répondre à cela?

M. Franks : En ignorant la question.

Le président : Ça va. Tout le monde ignore le sujet principal. Professeur Franks, vous avez la parole.

M. Franks : Il y a de mes anciens étudiants à la Chambre des communes, y compris le président, mais je ne crois pas que l'un d'entre vous ait été l'un de mes étudiants. Je suis désolé; vous en auriez sûrement été de très bons.

Je ne vous ai pas donné toutes les statistiques, mais elles démontrent qu'il y a eu un déclin croissant depuis la période de King-St. Laurent de 1945 à 1957, alors que 95 p. 100 des projets de loi du gouvernement obtenaient la sanction royale, jusqu'à Chrétien, qui en était à 70 p. 100, et Martin, à moins de 60 p. 100 — mais sa période est presque trop courte pour en tenir compte — et jusqu'au premier ministre actuel, à 45 p. 100.

Comme vous l'avez dit, l'idéologie du gouvernement qui ne correspond pas à celle des partis de l'opposition constitue une partie du problème. Quant à Pearson, on pourrait dire qu'il avait un allié naturel dans le NPD, surtout pour les projets de loi ayant trait aux programmes sociaux. Cependant, il y a autre chose, parce que même les gouvernements majoritaires font adopter moins de leurs projets de loi. Je vous ai dit que Chrétien était à 69 p. 100 alors que King-St. Laurent était à 94 p. 100.

En Grande-Bretagne, presque 90 p. 100 des projets de loi du gouvernement sont adoptés. Si vous tenez compte des projets de loi déposés pendant une session et adoptés pendant la session suivante, on en arrive à près de 90 p. 100.

Je crois que ce qui se passe — et je serai non partisan — c'est que nous avons un Parlement où l'opposition suit le dictum de Lord Randolph Churchill — que la responsabilité de l'opposition est de s'opposer — à un point tel que cela limite le fonctionnement du Parlement. Si je devais blâmer quelqu'un, je débuterais avec l'opposition. L'opposition a la responsabilité de décider quelles sont les choses avec lesquelles elle est en désaccord et auxquelles elle veut s'opposer, et les choses avec lesquelles elle est d'accord.

Comme je l'ai mentionné, environ 80 p. 100 des projets de loi déposés à la Chambre des communes pourraient l'être par un parti ou l'autre. Presque toutes les réformes fiscales qui constituent une grande partie de ce projet de loi omnibus auraient dû être déposées par l'un ou l'autre des partis. J'ai déjà dit que la vérificatrice générale a souligné qu'il y a un énorme arriéré d'amendements nécessaires aux lois sur l'impôt qui ne sont pas mis en œuvre parce que le Parlement n'adopte pas de projets de loi.

Je pense que c'est une erreur collective du Parlement, et je blâme l'opposition. Le gouvernement doit alors trouver une façon de contourner le problème, et ces projets de loi d'exécution du budget en sont de bons exemples. Si on essayait de trouver une solution, je ne commencerais pas par dire que le gouvernement a une tête de cochon et que l'opposition est une tête de mule. Je dirais qu'il y a un problème, qu'il faut le cerner et qu'il faut se demander s'il vaut la peine de le résoudre, et s'il est suffisamment important pour qu'on doive le résoudre.

Je crois que nous avons atteint un point où le problème se trouve dans le processus législatif et nous devons l'examiner. J'ai essayé de dire aujourd'hui que cela a pris 50 ans pour en arriver là, et je n'aime pas la trajectoire que nous suivons.

Le sénateur Mitchell : Je pense qu'on pourrait également dire qu'il y a une différence fondamentale entre les valeurs d'aujourd'hui et d'hier, qui sont beaucoup plus à droite alors qu'elles étaient plus au centre ou à gauche. On pourrait dire cela.

M. Franks : C'est la première fois que je vois au Canada un gouvernement minoritaire qui n'a aucun allié naturel quelconque au Parlement. Souvent, c'est un problème que les gouvernements peuvent résoudre en concluant des alliances de convenance sur des questions ponctuelles. Mais je ne suis pas sûr que ce soit l'approche adoptée par ce gouvernement non plus.

La politique n'est pas affaire de philosophes; elle est affaire de politiciens, responsables de leur propre sort. Je trouve cette législature intéressante, quand je la regarde du dehors. Le processus législatif, par contre, me préoccupe. Je voulais vous dire pourquoi aujourd'hui.

Le président : Je rappelle aux honorables sénateurs qu'il nous reste six ou huit minutes et que nous traitons du projet de loi C-9.

Le sénateur Murray : Laissez-moi d'abord évoquer brièvement la convention sur la confiance. Pendant bien des années, quand le ministre des Finances faisait son discours le soir du budget, il déposait une motion pour que la Chambre se constitue en comité des voies et moyens. Et c'est à ce titre qu'on procédait au débat sur le budget. Plus récemment, quand le ministre se lève pour faire son discours, il propose que la Chambre approuve la politique budgétaire générale du gouvernement. C'est la motion qu'a déposée M. Flaherty, comme ses prédécesseurs. Et c'est la motion qui a été adoptée un peu plus tard. La question de confiance dans le budget a été résolue cette fois-ci. Si tel n'avait pas été le cas, nous serions en élection.

Ce que nous avons sous les yeux, avec le projet de loi C-9, est l'exécution du budget. Laissez-moi dire deux mots sur la question. Vous savez que M. Forsey a beaucoup écrit sur la façon dont la convention sur la confiance s'applique aux projets de loi budgétaires, fiscaux, et cetera. Il a été en mesure de montrer, en remontant jusqu'à l'époque de sir John A. Macdonald, mais pas jusqu'à celle du vicomte Palmerston, que des projets de loi budgétaires, fiscaux et autres avaient été amendés des centaines de fois, parfois rejetés, sans que cessent pour autant les activités du gouvernement et de la législature de l'époque.

Le gouvernement actuel — j'y arrive dans une minute — applique la convention sur la confiance à tout. On n'y peut rien. S'il y a une motion d'ajournement, le gouvernement va déclarer que c'est une question de confiance. La Chambre n'y peut rien, je crois.

Le problème que présente le projet de loi à l'étude, sénateur Tkachuk, n'est pas tant son volume — je suppose que cela constitue peut-être un problème —, mais le fait qu'y figurent tant de questions importantes et, soit dit entre parenthèses, quasiment sans rapport avec le budget ou l'une avec l'autre, comme la vente d'EACL, les questions environnementales, même les normes pour les prestations de pension, ce qui a trait aux banques et aux coopératives de crédit, et cetera — toutes choses assez importantes pour avoir été présentées dans des projets de loi individuels, pouvant faire l'objet d'un examen et d'un débat à ce titre. Regrouper tout cela dans un seul projet de loi et nous demander un seul vote d'approbation de principe ne rime absolument à rien. Il n'y a pas de principe dans le projet de loi, aucun.

Je comprends ce que vous dites quant à l'absence d'alliés naturels pour le gouvernement actuel, entre autres, et ce que disent d'autres personnes sur les difficultés des gouvernements minoritaires. J'en ai bien conscience. Toutefois, d'aussi loin que je me souvienne, aucun gouvernement n'a joui d'une opposition aussi complaisante que le gouvernement actuel. Peu importe la question, une fois que le gouvernement l'étiquette comme question de confiance, l'opposition s'incline systématiquement. C'est vrai à tout coup depuis 2006, date à laquelle le gouvernement actuel a d'abord été élu.

Je pense que le gouvernement s'est tiré dans le pied, avec ce projet de loi. Si, au lieu de constituer un projet de loi unique, les éléments avaient été déposés sous la forme de cinq ou six projets de loi distincts, il s'en serait suivi plusieurs choses. Premièrement, ces projets de loi auraient été envoyés au comité approprié, à des comités différents. Deuxièmement, si les députés siégeant dans ces comités avaient été le moins du monde éveillés, ils auraient identifié certaines des lacunes — pas nécessairement des questions hautement sujettes à controverse politique, mais des lacunes — qui ont été portées à notre attention, avec des conséquences imprévues, lors de notre étude détaillée du projet de loi ici, dans des dispositions où on n'en attendait pas. Il y avait des parties du projet de loi qui, selon moi, étaient dans le sac, pour employer un terme familier, faciles à adopter. On a quand même vu des gens se présenter soudain et identifier une lacune à laquelle le gouvernement actuel ou un gouvernement devra revenir pour y remédier lors d'une autre législature; c'est inévitable.

Quelles auraient été les conséquences? D'abord, il y aurait eu une meilleure étude de tous ces projets de loi figurant maintenant sous une couverture unique. On y aurait apporté des corrections avant qu'ils quittent la Chambre des communes. Ils auraient tous été adoptés, parce que M. Harper y aurait attaché la convention sur la confiance. Ils nous seraient parvenus ici et notre travail aurait été bien moins exigeant et bien moins détaillé. Je suis certain qu'à l'heure où on se parle, chacun des projets de loi aurait obtenu la Sanction royale. C'est comme cela que je vois les choses.

La pratique des projets de loi omnibus est une pratique contre laquelle le comité s'est élevé à plusieurs reprises, dans ses rapports, et cetera. La dernière fois, en 2009 — vous me corrigerez si je me trompe, monsieur le président — le comité a suggéré quatre options que le Sénat pourrait peut-être adopter s'il était confronté à une situation similaire. La première était de rejeter le projet de loi lors de la seconde lecture, pour outrage au Parlement; cela serait plutôt radical, mais possible; nous pourrions le faire. La seconde, sauf erreur, était de prendre l'initiative de scinder le projet de loi; le comité ne serait pas en mesure de le faire, mais le Sénat, si.

Une autre option était de rédiger l'ébauche d'une nouvelle règle pour la Chambre des communes; sans en connaître le libellé exact, ce serait une règle qui dirait que cela suffit et qu'on ne veut pas de projet de loi omnibus, ou quelque chose à cet effet.

Quelle était la quatrième option?

Le président : Je pense que votre troisième option était la quatrième. J'oublie quelle était la troisième.

Le sénateur Angus : C'était un consentement à adopter le projet de loi, à condition que soit effectuée une étude de ses divers éléments.

Le sénateur Murray : C'est ce qu'ils ont fait la dernière fois. C'est un commentaire du réviseur. C'est absolument inutile, sénateur. C'est ce qu'ils ont fait, mais cela n'a servi à rien, comme on a pu le constater.

Le sénateur Angus : Vous voulez dire que tous ces mois d'étude de la Loi sur la protection des eaux navigables n'ont servi à rien? Tout se retrouve maintenant dans le projet de loi que nous avons sous les yeux.

Le sénateur Murray : Une fois que c'est adopté, c'est adopté. La Sanction royale couvre une multitude de péchés.

M. Franks : Il y a eu un professeur d'Oxford qui a posé en examen la question suivante : ceci est-il une question? Il était professeur de philosophie. Ma réponse à vous est la suivante : ceci est-il une réponse? En d'autres termes, le comité et le Sénat peuvent se prévaloir d'une multitude d'options. Je prie pour que le Sénat étudie sérieusement la question; pas pour que vous adoptiez ou rejetiez simplement le projet de loi, mais pour que vous envisagiez les autres possibilités et exprimiez, une fois de plus, les préoccupations déjà exprimées l'an dernier.

Le président : Honorables sénateurs, M. Franks s'est engagé à nous consacrer une heure et demie de son temps. Il y a quatre sénateurs qui veulent faire une déclaration. Puis-je avoir l'assurance que ces déclarations seront brèves, succinctes et pertinentes?

Le sénateur Duffy : Je vais m'abstenir.

Le sénateur Neufeld : Je serai très bref. J'apprécie ce que vous avez dit et votre présence ici aujourd'hui. J'ai beaucoup de respect pour votre opinion, que j'écoute attentivement.

Selon moi, il existe un cordon ombilical menant à quasiment tout ce qui figure dans le projet de loi. Cela dépend, jusqu'à un certain point, de qui conçoit le cordon ombilical, sénateur Banks. Mais cela mène à quelque chose ayant trait à l'argent, aux budgets et au denier du contribuable.

Il est difficile pour un gouvernement conservateur de trouver un allié naturel dans une Chambre de libéraux, de conservateurs, de néo-démocrates et de séparatistes. Un gouvernement libéral a, quant à lui, un allié naturel dans le NPD; il s'agit un peu du même club-école. Seriez-vous d'accord pour dire qu'il est plus facile pour un gouvernement libéral de trouver un allié à la Chambre que pour les conservateurs?

M. Franks : Sénateur, je serais prudent en la matière, vu qu'il existe différents types de conservatisme. En Angleterre, par exemple, il existait une stratégie politique qualifiée de Butskellisme, combinaison de R.A. Butler du côté conservateur et de Hugh Gaitskell du côté travailliste. Il y avait des deux bords un élément commun de conservatisme traditionnel, avec un souci des traditions et de la défense de la société et du bien-être de tous ses membres. Il me semble que c'est Mme Thatcher qui a effectué le passage au conservatisme américain pur et dur. Depuis, l'Angleterre est revenue, autant que je puisse en juger, à une position plus proche de la tradition du Butskellisme.

Or, le conservatisme que j'observe au Canada maintenant rappelle plus celui de Margaret Thatcher que le Butskellisme. Dire que les conservateurs n'ont pas d'alliés naturels est rendre un mauvais service à la tradition conservatrice, ainsi qu'à la gamme d'opinions existant du côté de l'opposition, à la Chambre. Les faits montrent que, au bout du compte, ce gouvernement minoritaire à la Chambre des communes a duré plus longtemps que tout autre gouvernement minoritaire et a remporté des succès appréciables dans bien des domaines sur la plus grande partie de son programme.

Le président : Merci, monsieur Franks.

Le sénateur Angus : Nous venons d'avoir une bonne discussion universitaire sous la houlette de l'estimé politologue, M. Franks. Je pensais qu'il aurait été approprié de conclure avec la remarque du sénateur Banks disant que nous ne pouvions nous en prendre qu'à nous-mêmes.

C'est une pratique dont j'ai été témoin à mon arrivée au Sénat. Le sénateur John Stewart, de Nouvelle-Écosse, avait un beau bagage universitaire et une belle croyance dans les traditions du Parlement. Il y a 18 ans, il nous haranguait sur les projets de loi omnibus, pas seulement pour l'exécution du budget, mais dans tous les cas. C'est de notre faute. Je ne pense pas que le projet de loi C-9 sonne le début de l'abus du Parlement. Il y a quelque chose de pourri dans ce type de travail et nous pouvons y remédier; mais je ne pense pas qu'ici soit le moment ou l'endroit. Tant que l'on débattait d'idées, je ne demandais pas mieux que de participer au débat. À la fin, quand il est devenu partisan, j'ai laissé la parole au prochain intervenant. Merci, monsieur.

Le président : Sénateur Banks, souhaitiez-vous apporter un éclaircissement?

Le sénateur Banks : Non, cela va bien.

Le président : Honorables sénateurs, je remercie en votre nom le professeur Franks, qui a bien voulu nous faire part de ses opinions sur le projet de loi C-9, portant exécution de certaines dispositions du budget et mettant en œuvre d'autres mesures. C'est la terminologie figurant dans le projet de loi C-9. Elle est on ne peut plus appropriée à la discussion de cet après-midi. Nous nous faisons un plaisir à l'idée de pouvoir poursuivre, à une autre occasion, certaines des discussions plus abstraites entamées.

M. Franks : Merci, monsieur le président. C'est un honneur pour moi que d'avoir été invité.

(La séance est levée.)


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