Délibérations du comité sénatorial permanent des
Finances nationales
Fascicule 30 - Témoignages du 23 mars 2011
OTTAWA, le mercredi 23 mars 2011
Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd'hui, à 18 h 48, pour étudier le Budget principal des dépenses pour l'exercice se terminant le 31 mars 2012.
Le sénateur Joseph A. Day (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Honorables sénateurs, nous allons continuer notre étude du Budget des dépenses pour l'année financière 2011-2012, dont notre comité a été saisi.
[Traduction]
Ce soir, nous avons le plaisir d'accueillir à nouveau Maria Barrados, présidente de la Commission de la fonction publique du Canada, qui a comparu régulièrement devant le comité durant son mandat de présidente. Comme les sénateurs le savent, elle a déposé hier un rapport spécial au Parlement intitulé Le mérite et l'impartialité politique en vertu de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique de 2003.
[Français]
Elle est accompagnée de M. Donald Lemaire, vice-président principal, Direction générale des politiques, et de M. Gaston Arseneault, avocat général principal et vice-président de la Direction générale des affaires juridiques.
[Traduction]
Je présume que c'est la dernière fois que Mme Barrados comparaîtra devant le comité, et probablement l'une des dernières fois qu'elle témoignera devant un comité parlementaire, puisqu'elle se retire au printemps.
Au nom du Comité sénatorial permanent des finances nationales, je tiens à vous dire à quel point nous avons aimé travailler avec vous. Nous espérons qu'une jeune femme comme vous, qui avez acquis tellement d'expérience non seulement durant votre mandat de présidente de la Commission de la fonction publique du Canada, mais aussi dans votre rôle antérieur au Bureau du vérificateur général, sera en mesure de mettre à profit cette expérience et ses compétences autrement partout dans le monde; je n'en doute aucunement. Merci beaucoup de votre présence.
La parole est maintenant à vous.
[Français]
Maria Barrados, présidente, Commission de la fonction publique du Canada : Merci beaucoup pour vos bons mots. Monsieur le président, je tiens avant tout à vous remercier, de même que tous les membres du comité, de nous avoir accordé cette occasion de vous rencontrer aujourd'hui.
C'est avec plaisir que je suis ici avec M. Donald Lemaire, vice-président principal, Direction générale des politiques, et M. Gaston Arseneault, vice-président, Direction générale des affaires juridiques, pour discuter de notre rapport spécial au Parlement sur le mérite et l'impartialité politique en vertu de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique de 2003, qui a été déposé au Parlement hier. Ce rapport fait état des vues de la commission qui approche la fin de son mandat. Nous espérons que le document fournira des données utiles en vue de l'examen législatif quinquennal prévu par la loi.
La Loi sur l'emploi dans la fonction publique (LEFP) a réaffirmé le mandat de la Commission de la fonction publique (CFP) en tant que gardienne du mérite et de l'impartialité politique à la fonction publique fédérale, inscrit dans la loi fédérale il y a plus de 100 ans. L'adoption de la loi, en novembre 2003, a clarifié le rôle de la commission. Nous avons mis en place un système de dotation fondé en grande partie sur la délégation des pouvoirs, ainsi que de la surveillance, du soutien et de l'encadrement approprié, pour lequel nous devons régulièrement faire rapport à ce comité.
Comme je l'ai noté lors de ma dernière comparution devant ce comité concernant notre Rapport annuel 2009-2010 au Parlement, les éléments essentiels de la loi ont maintenant été mis en œuvre. Des progrès importants ont été réalisés. Cependant, il est encore trop tôt, cinq ans après l'application complète de la LEFP, pour tirer des conclusions finales et définitives sur sa mise en œuvre. Nous estimons toutefois que la structure essentielle de la loi est bien assurée et résistera à l'épreuve du temps.
Notre rapport a mis l'accent sur trois questions principales qui, à notre avis, requièrent de l'attention, et nous proposons ici certaines recommandations pour les aborder.
Tout d'abord, il faut accroître l'efficacité des systèmes de dotation; ensuite, il faut améliorer la démarche visant la protection de l'impartialité politique de la fonction publique; enfin, il faut renforcer la gouvernance et le fonctionnement de la commission.
Un système de dotation efficace est l'élément clé d'une fonction publique professionnelle, moderne, qui fonctionne bien. Il y a cependant des possibilités importantes relativement à l'amélioration de l'efficience et de l'efficacité du système de dotation. Notre rapport en décrit quatre.
Premièrement, notre expérience des cinq dernières années a confirmé le besoin continu qu'il y ait des services centralisés en vue d'aider les administrateurs généraux et les gestionnaires à exercer leur rôle en vertu de la loi. Ces services, qui comprennent notre système de recrutement électronique, ainsi que plusieurs programmes de recrutement nationaux, peuvent favoriser de grandes économies et améliorations dans le système de dotation. Un système délégué doit être équilibré par des fonctions de soutien centralisé.
[Traduction]
Deuxièmement, il nous faut une planification plus intégrée et proactive nous permettant de mieux gérer non seulement l'ensemble de l'effectif permanent de la fonction publique, mais aussi l'effectif temporaire. Le recours aux employés nommés pour une période déterminée, aux employés occasionnels, aux consultants et aux travailleurs provenant de services d'aide temporaire doit faire partie de la planification.
Troisièmement, le système de recours présente certaines difficultés qui doivent être prises en considération. L'exigence de la loi selon laquelle il faut faire une double notification de chaque nomination est un fardeau administratif dans le cas de processus d'envergure. Nous avons également fait des recommandations pour traiter une lacune dans le système concernant les administrateurs généraux qui participent directement à des processus de nomination internes. En vertu de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, la LEFP, actuellement, la commission ne peut pas procéder à une enquête sur ces processus.
Quatrièmement, les efforts doivent se poursuivre pour améliorer l'analyse des données et la mesure des résultats.
J'aimerais maintenant aborder la question de l'impartialité politique de la fonction publique fédérale. Le mandat de la CFP de protéger de façon indépendante cette valeur essentielle est présenté clairement dans le préambule et dans la partie 7 de la LEFP, qui établit les obligations particulières de la commission concernant les activités politiques des fonctionnaires.
Il y a toujours des tensions entre l'impartialité politique d'une fonction publique et la nécessité pour celle-ci de répondre de manière efficace et loyale à la direction que donnent les élus. Des chercheurs ont fait état des pressions exercées pour politiser les bureaucraties. Bien que de telles pressions ne soient pas aussi fortes au Canada, il y a des questions qui se posent continuellement à ce sujet. Nous avons repéré des lacunes qui doivent être examinées en ce qui concerne les nominations faites par le gouverneur en conseil, les activités politiques des fonctionnaires et la relation entre la fonction publique et la sphère politique.
J'aimerais en dire un peu plus sur la question. Dans notre fonction publique professionnelle et non partisane, il est établi que les nominations sont indépendantes des ministres, et qu'elles doivent être fondées sur le mérite, politiquement impartiales et surveillées de manière indépendante. Le Bureau du Conseil privé a des processus en place en ce qui concerne les nominations par le gouverneur en conseil. Cependant, il n'y a aucune assurance indépendante que les nominations à des postes de direction sont fondées sur le mérite et qu'elles ne font l'objet d'aucune influence politique.
Nous recommandons que des mesures supplémentaires soient prises pour veiller à ce que les nominations externes — c'est-à-dire de l'extérieur de la fonction publique — d'administrateurs généraux, d'administrateurs généraux délégués, ainsi que de chefs et de membres d'organismes distincts et de conseils à la fonction publique centrale soient fondées sur le mérite, soient impartiales et soient assujetties à une surveillance indépendante. Cette surveillance pourrait relever d'une organisation comme la Commission des nominations publiques, qui est prévue dans la Loi fédérale sur la responsabilité de 2006. Une autre possibilité serait de l'ajouter aux responsabilités de la Commission de la fonction publique du Canada.
Nous avons décelé le besoin d'une plus grande sensibilisation des organisations et des personnes à l'égard de l'impartialité politique telle qu'elle est établie dans le préambule et la partie 7 de la loi. Le travail pour clarifier davantage cet aspect auprès des fonctionnaires doit se poursuivre au moyen de lignes directrices ou d'un règlement. Nous recommandons également qu'un changement législatif qui permettrait à la CFP de faire enquête sur toute plainte d'activité politique irrégulière d'un administrateur général soit apporté.
Ce point m'amène à la relation entre la fonction publique et la sphère politique, particulièrement en ce qui concerne le personnel ministériel. Il faut améliorer les directives visant les membres du personnel politique sur leur relation avec la fonction publique. À cette fin, nous recommandons l'adoption d'un code de conduite à l'intention des membres de cabinets de ministres pour leur donner une orientation claire quant à la relation entre le personnel ministériel et les fonctionnaires.
Des progrès ont été réalisés en ce qui concerne la gestion du mouvement d'anciens membres de cabinets de ministres vers la fonction publique, suivant les modifications à la Loi sur l'emploi dans la fonction publique de décembre 2006.
J'aimerais maintenant aborder la question du renforcement de la gouvernance et du fonctionnement de la Commission de la fonction publique du Canada. Au cours des cinq dernières années, la commission s'est réorientée avec succès afin de jouer un rôle de leadership dans la mise en œuvre de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique. Nous avons apporté des changements à la façon dont la commission fonctionne en vertu du cadre législatif et nous avons recommandé la prise de mesures supplémentaires pour améliorer notre capacité de remplir notre mandat.
La commission elle-même, qui était composée de commissaires à plein temps, est passée à des commissaires à temps partiel. Le texte législatif n'est pas allé assez loin cependant pour ce qui est de la modernisation de la gouvernance et du fonctionnement de la commission. Nous recommandons donc que la LEFP confirme le fonctionnement et la division des tâches actuels entre la présidence et les commissaires à temps partiel.
Nous recommandons également une série de modifications législatives visant à accroître la capacité de la commission. Il s'agirait notamment de fournir aux commissaires en exercice un rôle dans la nomination d'autres commissaires, d'utiliser un taux salarial fixe pour l'établissement du salaire du président et de permettre à la CFP de déposer directement ses rapports au Parlement.
D'autres propositions législatives qui enlèveraient des obstacles à nos opérations consisteraient à accorder à la commission le pouvoir de passer des contrats pour l'achat de biens et de services; lui permettre d'offrir ses services à d'autres administrations, par exemple des tests linguistiques aux provinces; et assurer la protection de nos vérificateurs et de nos enquêteurs, ainsi que de nos rapports de vérification et d'autres documents.
[Français]
Monsieur le président, la Commission de la fonction publique du Canada assure, depuis plus de 100 ans, la protection du mérite et de l'impartialité politique de la fonction publique. Nous pouvons être fiers de notre fonction publique actuelle. Nos observations et nos recommandations ont pour but d'aider à assurer la viabilité de la loi, de sorte que les Canadiens puissent continuer à jouir de la fonction publique professionnelle, fondée sur le mérite et non partisane dont ils ont besoin et à laquelle ils ont droit.
[Traduction]
En terminant, nous aimerions faire part de notre gratitude aux parlementaires, particulièrement aux membres du comité, pour l'intérêt soutenu qu'ils ont démontré à l'égard des questions que nous avons soulevées. Nous aimerions aussi remercier les administrateurs généraux pour leur engagement et leurs conseils. Et, par-dessus tout, j'aimerais remercier le personnel de la Commission de la fonction publique du Canada pour le dévouement et le soutien qu'ils ont apportés à l'exécution du travail de la commission.
Je vous remercie. Je répondrai avec plaisir à vos questions.
Le président : Merci beaucoup, madame Barrados, de la profondeur de votre rapport et de vos recommandations fermes.
Notre comité a participé au dossier sur les modifications à la Loi sur l'emploi dans la fonction publique et sur le concept de la délégation de pouvoirs de la Commission de la fonction publique aux divers ministères. Puis, nous avons joué un rôle de surveillance et, depuis les cinq dernières années, nous travaillons avec vous pour voir comment ce rôle fonctionne.
Fondamentalement, acceptez-vous et recommandez-vous le concept de la délégation de pouvoirs aux administrateurs généraux prévu dans la Loi sur l'emploi dans la fonction publique?
Mme Barrados : La modification législative dont vous parlez est la Loi sur la modernisation dans la fonction publique de 2003. La discussion tenue à l'époque, dans la même mesure que la loi même, a influé sur la direction que nous avons prise. La loi stipule que la Commission de la fonction publique peut déléguer. La discussion à l'époque portait sur la délégation complète, sur le fait de confier la gestion des ressources humaines aux administrateurs généraux et sur la surveillance par un organisme indépendant, à savoir la Commission de la fonction publique.
À la commission, nous avons déterminé que nous devrions déléguer tous les pouvoirs. Nous avons donc presque tout délégué, sauf deux tâches importantes que nous pourrions confier à d'autres.
La première concerne le fait que tout le monde doit afficher tous les emplois sur le site web emplois.gc.ca; ainsi, tous les Canadiens peuvent se rendre à un seul endroit pour consulter les avis. Les emplois peuvent aussi être affichés ailleurs; ils n'ont pas à se trouver uniquement sur ce site web. L'autre chose que nous n'avons pas déléguée, c'est le système relatif aux priorités. Nous ne voyions pas comment nous pouvions le confier à d'autres.
Je pense que nous avons le bon modèle. Mes remarques au sujet du fait qu'il n'est pas nécessaire d'apporter de grands changements structurels à la loi reflètent l'opinion et l'expérience de la commission, qui est d'avis que oui, nous avons le bon modèle; toutefois, après cinq ans, nous pensons que certaines choses devraient être corrigées.
Le président : Vous avez souligné ces choses dans votre rapport; nous aurons l'occasion de les examiner. Nous vous remercions de ces renseignements. Lorsque la loi a été adoptée, puis mise en œuvre, je me rappelle qu'il s'agissait d'un changement fondamental.
Mme Barrados : Oui. D'après notre expérience à ce jour, les structures sont en place. Les pouvoirs délégués aussi. Les administrateurs généraux savent qu'ils ont des responsabilités à assumer. La surveillance est là. Toutefois, nous ne sommes pas tout à fait certains que les valeurs se soient répandues. Les gens ont encore tendance à vouloir des listes et des procédures à suivre, plutôt qu'à prendre des décisions éclairées et fondées sur les valeurs. Or, je crois que le changement se fera avec le temps.
Le président : La modification législative visant à faire des administrateurs généraux ou des sous-ministres des administrateurs des comptes — terme dont tous ne s'entendent pas sur la définition — influe-t-elle sur la délégation de pouvoirs aux sous-ministres?
Mme Barrados : Non. À l'heure actuelle, essentiellement, la délégation de pouvoirs relatifs à la gestion financière est donnée par les ministres, et celle qui concerne la dotation en personnel et les promotions, par la Commission de la fonction publique. Ces pouvoirs proviennent de la Commission de la fonction publique. Les rapports sur les obligations et sur leur exécution sont présentés de façon indépendante au Parlement. Pour les obligations relatives à la gestion financière, ce sont les administrateurs des comptes qui présentent les rapports. Si nous étions plus avancés, nous pourrions nous attendre à ce qu'ils rendent aussi compte de leur exécution des obligations relatives à la gestion des ressources humaines. Toutefois, je n'ai vu aucune mesure en ce sens.
Personnellement, je ne m'oppose aucunement à ce qu'on fonctionne ainsi, puisque le rôle de la commission est de veiller au bon fonctionnement de la structure. Les administrateurs généraux peuvent présenter leurs rapports autrement, par un autre moyen, pourvu que la commission estime que la méthode assure le bon fonctionnement de la structure.
Le président : Merci de vos observations préliminaires.
Le sénateur Marshall : Je vous souhaite la bienvenue, madame Barrados, à vous et à vos collaborateurs.
Félicitations pour le rapport que vous avez publié hier. Je l'ai lu en entier; il est juste de la bonne longueur. Je l'ai trouvé intéressant, surtout la partie sur l'impartialité dans la fonction publique, particulièrement en ce qui touche les cadres supérieurs.
J'ai la chance d'avoir occupé des postes de cadres supérieurs au sein de la fonction publique de Terre-Neuve, et aussi des postes politiques. J'ai obtenu certains postes de direction à Terre-Neuve au moyen de concours, et d'autres étaient des nominations politiques.
J'ai l'impression de considérer la question sous l'angle opposé. Nous parlons de la partisanerie politique et de la tentative de l'éliminer, mais il faut également tenir compte du fait que la bureaucratie même est aussi de parti pris. Avant, nous appelions cela — j'ignore si c'est le bon terme — le népotisme bureaucratique. Avez-vous travaillé à cet aspect de la question, puisque nous parlons d'impartialité? Si c'est l'objectif, comment fait-on pour empêcher les autres partis pris de s'immiscer dans la structure si l'on adopte le principe du mérite? Je sais, d'après mes propres expériences, que ces partis pris existent.
Vous êtes-vous déjà penchés sur la question? Qu'avez-vous constaté? Avez-vous quelque chose à dire à ce sujet? J'ai constaté moi-même l'existence de ce parti pris; j'aimerais donc savoir ce que vous en pensez.
Mme Barrados : Nous nous sommes penchés sur la question. Nous avons cherché le terme approprié. Nous n'avons jamais employé l'expression « népotisme bureaucratique ». C'est joli. Nous avons déjà utilisé le terme « favoritisme bureaucratique », mais notre choix s'est arrêté sur « favoritisme » tout court parce que je veux faire attention à la façon dont j'emploie la terminologie et je parle des fonctionnaires.
Nous travaillons surtout dans le domaine de la dotation en personnel; nous vérifions la conformité aux règles et ce que nous appelons le respect des valeurs, c'est-à-dire le respect du concept selon lequel toutes les nominations doivent être faites de manière équitable.
Dans nos vérifications, nous abordons régulièrement la conformité, et il y a toujours une grande section dans laquelle nous rapportons un manque de documents. Comme vous le savez bien, ce manque peut vouloir dire deux choses : soit qu'il y a eu de la négligence, soit que la nomination n'a pas été faite de manière adéquate; dans ce cas, la meilleure façon de le cacher est en ne consignant rien au dossier.
Nous avons aussi des sections qui contiennent ce que nous considérons comme des indicateurs de favoritisme, et nous avons cerné un certain nombre de facteurs. Ces facteurs ont été établis à partir d'une étude sur le favoritisme que nous avons menée au début du mandat de la commission. À l'origine, nous parlions de « favoritisme bureaucratique », mais beaucoup ont désapprouvé l'emploi de cette expression, compte tenu de la loi et de ses termes. Nous employons donc maintenant simplement le terme « favoritisme », et nous continuons à nous occuper systématiquement de cette question.
Lorsque la vérification révèle un problème et que nous sentons qu'il y a eu favoritisme ou que nous trouvons des indicateurs de favoritisme, nous renvoyons le dossier à notre groupe d'enquête. Il s'agit d'un processus quasi judiciaire.
Ensuite, nous avons les pouvoirs nécessaires pour corriger les abus, ce qui peut comprendre renvoyer les gens de la fonction publique, et nous le faisons. Nous retirons les gens des postes. Nous avons déjà licencié des employés de la fonction publique.
Le sénateur Marshall : Avez-vous déjà publié un rapport à ce sujet?
Mme Barrados : Oui.
Le sénateur Marshall : Se trouve-t-il sur votre site web? J'ai lu un grand nombre de vos rapports, mais pas celui-là. De quand date-t-il?
Mme Barrados : De 2004, je crois.
Le sénateur Marshall : À votre avis, quelle est l'ampleur du problème?
Mme Barrados : Nous menons des sondages auprès des employés et nous leur demandons s'ils trouvent la structure équitable. Généralement, environ 30 p. 100 d'entre eux répondent que non, et nous avons posé la question de diverses façons. Si une personne participe au processus et obtient l'emploi, il est peu probable qu'elle en désapprouve. Le processus plaît moins à celles qui échouent.
Je crois que c'est un problème continu. Toutefois, grâce au travail accompli par les administrateurs et le greffier sur le plan des initiatives de renouvellement, dont je suis satisfaite, nombre des problèmes qui m'inquiétaient ont perdu de l'ampleur. Par exemple, le nombre de personnes qui intègrent directement la fonction publique a augmenté. Je suis très préoccupée par le fait que des personnes sont embauchées à titre d'employés occasionnels ou nommées pour une période déterminée et qu'elles franchissent ensuite les étapes. La dotation directe a augmenté. On dépend moins des postes dotés pour une période déterminée, mais on dépend toujours des postes occasionnels.
Ce qui m'inquiète, c'est que comme les choses se resserreront — il y a des resserrements et des compressions —, il y aura moins d'embauche et l'on reprendra de vieilles habitudes commodes, comme celle de faire affaire avec des gens qu'on connaît et de ne pas donner de possibilités aux autres Canadiens.
Dans le même ordre d'idées, l'une des questions que nous soulevons concerne la façon dont la loi est structurée par rapport aux processus internes. Si, au cours d'une vérification, nous découvrons une irrégularité dans le processus et nous pensons qu'il y a eu traitement préférentiel ou favoritisme, nous ne sommes pas autorisés à enquêter sur les processus internes. Le problème, c'est que nous avons le pouvoir de déléguer, et nous déléguons toute l'enquête. Nous ne pouvons pas en déléguer seulement une partie. Je dispose seulement de l'arme puissante de retirer la délégation, mais je ne veux pas faire cela. Sinon, j'entre dans un long processus de négociation, ce qui ne règle pas le problème. Nous demandons donc que des changements soient apportés sur ce plan.
Le sénateur Ringuette : Madame Barrados, je siégeais au comité avant que vous soyez nommée, et nous sommes passés d'une fonction publique au sein de laquelle seulement 23 p. 100 des ministères avaient des plans des ressources humaines à la situation actuelle; je pense que nous sommes rendus à environ 75 p. 100.
Mme Barrados : Des plans des ressources humaines satisfaisants.
Le sénateur Ringuette : Exactement. Avant, la plupart du temps, les gens ne pouvaient pas postuler à des emplois au sein de la fonction publique fédérale situés à plus de 50 kilomètres de chez eux — ce qui était restrictif et injuste pour tous les Canadiens, peu importe leur lieu de résidence —, alors qu'aujourd'hui, grâce à votre patience et à votre dévouement, nous avons écarté les obstacles géographiques et retiré de la Commission de la fonction publique les zones de sélection pour les emplois affichés. Maintenant, tout citoyen qualifié peut postuler aux emplois affichés.
Je sais également que vous appuyez fortement le programme de recrutement de diplômés, et je vous en remercie. Je vous suis reconnaissante des efforts que vous avez déployés pour faire avancer notre fonction publique. Aussi, j'ai lu votre rapport et j'espère que nous pourrons un jour donner suite à vos recommandations. Vous en avez présenté un grand nombre.
Il y a un examen de la loi, et j'espère que notre comité l'étudiera. Toutefois, dans le cas où la loi ne fasse pas l'objet d'un examen parlementaire, si vous et vos conseillers juridiques pouviez inclure le texte juridique des recommandations dans votre rapport, je serais heureuse de les présenter sous la forme d'un projet de loi d'initiative parlementaire pour lancer le processus.
Je m'inquiète aussi beaucoup de la situation actuelle dans la fonction publique. Vous avez souligné quelques-unes de mes préoccupations, dont l'une est la division politique, les nominations politiques possibles et vos inquiétudes à ce sujet. Au Canada atlantique, une personne politique très en vue a reçu une nomination très discutée à l'Agence de promotion économique du Canada atlantique, l'APECA.
Je ne veux pas donner de noms, mais j'aimerais savoir si vous pouvez enquêter sur un organisme comme l'APECA.
Mme Barrados : Merci de vos remarques. Par rapport à la zone nationale de sélection, je pense que vous pouvez vous attribuer une grande part du mérite de ce changement. Si ce n'avait été de votre persévérance, je ne sais pas si nous aurions tous procédé comme nous l'avons fait. Je vous en remercie.
En ce qui concerne l'examen législatif, la loi exige qu'on procède à un examen quinquennal. On l'a entrepris. Il relève du président du Conseil du Trésor. L'examen est dirigé par une sous-ministre compétente, Susan Cartwright. Nous collaborons de près — elle connaît donc mes préoccupations — et nous échangeons de la documentation. Nous avons la même vue d'ensemble de la loi; nous croyons toutes deux que son cadre général est bon et constitue un pas dans la bonne direction. Nous ne nous entendons peut-être pas sur le détail.
On prévoyait présenter les rapports au Parlement en même temps. Ainsi, lorsque le Parlement serait appelé à examiner les recommandations du gouvernement, il aurait aussi notre rapport.
Toutefois, on n'a pas réussi à bien s'organiser, et la commission devait publier son rapport avant la fin de son mandat. Le Parlement aura les deux rapports lorsque l'autre sera terminé. L'autre sera certainement présenté. Nous vous fournirons les renseignements que le comité cherche. Si l'examen donne une description plus détaillée, nous serons heureux de vous la transmettre.
En ce qui touche votre question sur l'APECA, nous avons reçu par écrit une série d'allégations précises d'un député. Selon notre procédure, les allégations que nous recevons sont envoyées à mon bureau, et je les renvoie à notre groupe d'enquête.
Ce groupe examine les allégations et détermine s'il y a matière à mener une enquête quasi judiciaire complète qui respecte les droits de tous. Je lui ai transmis la plainte. Il a terminé le travail préliminaire et a établi que les allégations justifient la tenue d'une enquête complète; on l'a donc entreprise.
Le sénateur Ringuette : Combien de temps prend une enquête approfondie?
Mme Barrados : Tout dépend de la disponibilité des gens et des questions soulevées. J'ai demandé que les enquêtes soient rapides, approfondies et minutieuses, à cause du caractère délicat de ces allégations. Les résultats de nos enquêtes font l'objet d'un examen judiciaire, donc nous sommes assujettis à des normes rigoureuses. Je ne pense pas qu'il soit possible de mener ces enquêtes en moins de trois ou quatre mois.
Le président : Nous serons appelés à voter à 20 h 5 sur une motion pour l'ajournement du débat en deuxième lecture du projet de loi C-393. Le sénateur Greene a proposé une motion d'ajournement. Un autobus nous attendra à 19 h 50 pour nous amener tous à la salle du Sénat. Nous allons tenter d'avancer et nous verrons jusqu'où nous pourrons aller. À 19 h 50, nous devrons soit lever la séance, soit la suspendre.
Je tiens à ce que tout le monde ait la possibilité de poser au moins une question.
Le sénateur Ringuette : J'ai lu le rapport qu'a publié ce mois-ci le Centre canadien de politiques alternatives, intitulé La fonction publique fantôme. Il est décourageant, et il confirme mes soupçons au sujet du recours aux services de personnes embauchées à contrat pour pourvoir les postes de la fonction publique fédérale.
Je vous lis le premier paragraphe :
Depuis 2005-2006, le coût lié à l'emploi de contractuels au gouvernement fédéral pour des services d'aide temporaire, de consultants en TI et de consultants en gestion a augmenté [de] presque 80 %, ce qui a coûté près de 5,5 milliards de dollars aux contribuables ces cinq dernières années. Malgré des budgets ministériels plafonnés, ces coûts continuent de se chiffrer à un milliard de dollars par année.
Une explication de ce paragraphe suit. Le recours aux services de personnel temporaire est concentré dans quatre ministères et 10 organismes.
La question que je veux poser est la suivante : avez-vous vu ce rapport? J'aimerais savoir ce que vous en pensez.
Mme Barrados : Je n'en ai pas fait un examen approfondi, mais je l'ai effectivement lu. Le rapport traite à la fois du personnel temporaire, un sujet sur lequel nous nous sommes déjà penchés, et du personnel contractuel. Il n'y a rien de mal à recourir à des entrepreneurs. En fait, l'embauche de personnel à contrat est un outil important, surtout quand on cherche à réduire la taille de la fonction publique. Nous ne voulons pas embaucher des gens pour ensuite devoir les mettre à pied.
Le rapport laisse entendre, cependant, qu'il y a violation des règles régissant la passation des marchés de services, parce que les entrepreneurs ne font pas du travail de nature contractuelle mais tiennent plutôt lieu d'employés.
Bien entendu, j'estime que les personnes dont les services sont retenus à contrat ne doivent pas faire fonction d'employés; la situation devient pour ainsi dire un problème de passation de marchés. Je compte demander à la prochaine commission de se pencher sur la question, parce que cette situation nous inquiète. Il serait bien délicat de demander si les contrats sont gérés avec toutes les précautions qui s'imposent.
Le sénateur Runciman : Tout d'abord, je vous souhaite la bienvenue.
Vous avez dit que les personnes nommées par le gouverneur en conseil ne font pas partie de la fonction publique; pourquoi vous êtes-vous intéressée à cette question?
Mme Barrados : Le gouverneur en conseil a fait plus de 3 000 nominations. Je n'ai pas parlé des 3 000 personnes nommées, mais du cas d'environ 400 personnes qui occupent des postes de direction dans la fonction publique.
La Commission de la fonction publique a pour mission de protéger l'impartialité de la fonction publique et de veiller à ce que les nominations se fassent au mérite. L'organisme, que l'on a voulu indépendant, s'attache à faire respecter ces principes depuis plus de cent ans
C'est ce que nous faisons pour tout le monde, à part les titulaires des postes les plus élevés. Je fonde mes arguments sur ce que nous avons vu dans les grands parlements britanniques qui ont dit : « Oui, nous voulons des instances comme la fonction publique, mais nous voulons aussi faire quelque chose au sujet des nominations publiques. »
Il n'est pas déraisonnable de dire que ces principes, qui nous sont chers et que nous souhaitons voir respecter dans la fonction publique, doivent s'appliquer aussi aux dirigeants de la fonction publique.
Je répète qu'il ne s'agit pas de l'intégralité des 3 000 nominations, mais de celles des titulaires de postes de direction dans la fonction publique.
Le sénateur Runciman : Parlez-vous aussi des dirigeants des organismes?
Mme Barrados : Seulement ceux qui dirigent des fonctionnaires.
Le sénateur Runciman : Est-ce que les sous-ministres en font partie?
Mme Barrados : Je parle des sous-ministres qui ne proviennent pas de la fonction publique, mais d'ailleurs.
Le sénateur Runciman : D'après ce que j'ai vu, je ne crois pas que la politique ait été en cause dans la nomination d'un secrétaire du Cabinet ni les gens de l'entourage d'un secrétaire du Cabinet. Il y a peut-être eu une nomination comme celles qui vous préoccupent, mais je ne pense pas que ce soit pratique courante. Je doute que cela se fasse à l'échelle fédérale. Je pense que le gouvernement lui-même veut avoir le personnel le plus compétent qui soit.
Je craignais que vous cherchiez à aller au-delà des nominations d'ordre général que fait le gouverneur en conseil. Si ce n'est pas le cas, j'en suis soulagé.
Vous avez dit que votre salaire est fixé par le gouverneur en conseil, et j'en déduis que, selon vous, cela expose votre poste à des influences politiques. Voulez-vous nous en dire davantage?
Mme Barrados : Non pas à des influences politiques, mais à des influences bureaucratiques. Quand je suis entrée en fonction, j'ai demandé et obtenu que mon salaire soit fixe, et qu'il ne soit lié à aucun facteur de rendement.
Par contre, les lois régissant un certain nombre d'autres organismes prévoient ce genre de choses, mais pas celle qui gouverne la Commission de la fonction publique et c'est tant mieux pour le chef de la commission.
Le sénateur Runciman : Vous suggérez que votre salaire soit comparable à celui des juges. Y a-t-il une raison à cela?
Mme Barrados : C'est ce que touchent la commissaire à l'information et le commissaire à la protection des renseignements personnels. Je pense que le salaire de la vérificatrice générale est comparable à celui d'un juge de la Cour suprême.
Le sénateur Murray : Ceux des députés et des sénateurs aussi, dans le passé.
Le sénateur Runciman : J'aimerais bien qu'ils le soient encore.
Je me fais l'écho des propos du sénateur Marshall au sujet du favoritisme bureaucratique, pour employer vos propres termes. Je vais jeter un œil sur votre rapport de 2004. J'ai constaté que le favoritisme bureaucratique a tendance à s'implanter de façon insidieuse. Quand on regarde ces postes de dirigeants ou d'autres, dont vous parlez, du moins ceux qui orbitent autour des représentants élus, il y a moyen de demander des comptes à leurs titulaires. Cette obligation de rendre des comptes s'estompe à mesure que le favoritisme bureaucratique prend de l'ampleur. Ce que je crains, c'est que ce favoritisme continue de croître.
Mme Barrados : Je n'aime pas trop le favoritisme bureaucratique.
Le sénateur Murray : Je ne suis lié à aucun parti politique, mais je crois fermement que les partis politiques ont un rôle vital à jouer dans notre démocratie parlementaire. En fait, à mon avis, il faudrait les revitaliser, pour qu'ils puissent avoir un plus grand rôle dans les politiques publiques, et pour que leurs membres aient la chance de pouvoir jouer un rôle modeste dans la gouvernance quand leur parti parvient à former un gouvernement.
Je déplore — et encore, c'est un euphémisme — et je suis quelque peu scandalisé que des éléments des médias ne voient pas dans la participation volontaire aux activités de partis politiques une marque d'esprit civique, mais qu'ils en pensent tout le contraire. Supposons qu'une personne qui a toutes les compétences voulues ait été nommée à un conseil d'administration, que ce soit par le gouvernement actuel ou tout autre de ses prédécesseurs. Si on se rend compte que cette personne joue un rôle dans son parti politique, certains éléments des médias ne manqueront pas de dire immédiatement que sa nomination est politique. Je trouve que c'est un point de vue malsain et contreproductif à bien des égards.
Je ne comprends pas la distinction que vous faites entre les 3 000 nominations et les 40 nominations de « dirigeants ». Nous n'entrerons pas dans ce sujet maintenant. Quand on parle de nominations fondées sur le mérite et dépourvues d'influences politiques ces critères ne s'excluent pas nécessairement et ils ne sont pas contradictoires non plus. Si une personne est par ailleurs qualifiée, sa participation au processus politique n'est à mon avis qu'une preuve d'esprit civique.
Quand je dis « par ailleurs qualifiée », je parle des titulaires de postes à temps partiel. Il n'est ni nécessaire ni conseillé de nommer des spécialistes à ces postes. Le conseil d'administration de la SRC, qui est surtout un conseil consultatif, n'a pas besoin d'être composé entièrement de gens du milieu de la radiodiffusion. De toute évidence, il faut tenir compte de facteurs comme la langue et la région. Les membres du conseil d'administration doivent avoir un intérêt pour les politiques publiques qui se rapportent à la radiodiffusion et à la culture; ils doivent avoir une certaine idée de la relation qu'entretiennent cette société d'État et le gouvernement; et, surtout, ils doivent être au courant de ce qui se passe dans leur région pour pouvoir transmettre cette information à la direction de la SRC et au gouvernement.
De même, il y a plusieurs membres à temps partiel à la Commission des libérations conditionnelles du Canada. Je ne pense pas qu'on nomme à ces postes des criminologues, des avocats, des sociologues, des psychiatres et d'autres experts. On suppose que la Commission des libérations conditionnelles en a dans son effectif à temps plein. Il faut, pour ces postes à temps partiel, des gens qui s'intéressent à la politique correctionnelle. Il importe toutefois surtout d'y nommer des gens qui sont solidement enracinés dans leur communauté et qui sont en mesure de communiquer à la haute direction de la commission et au gouvernement les avis qu'ils glanent dans tout le pays au sujet de nos politiques publiques.
Je ne voudrais pas lier les mains d'un premier ministre, ni empiéter indûment sur sa liberté de nommer des sous-ministres comme lui et ses collaborateurs le jugent bon. Je me souviens de trois personnes qui ont été nommées à des postes haut placés quand mon parti était au pouvoir. Frank Iacobucci avait quitté l'Université de Toronto pour devenir sous-ministre de la Justice. C'est un poste important. Stanley Hartt venait d'un cabinet d'avocats de Montréal quand il a été nommé sous-ministre des Finances. Norman Spector a quitté le gouvernement de la Colombie-Britannique pour devenir secrétaire du Cabinet pour les relations fédérales-provinciales. Je n'ai jamais entendu personne prétendre que le rendement de ces trois personnes ait été rien que moins que remarquable tout le temps où elles ont occupé leurs fonctions. Il ne me vient pas d'autres noms à l'esprit, mais il y a eu d'autres personnes, et elles ont eu un bon rendement.
Sans vouloir manquer de respect à la personne que le premier ministre Harper voulait y nommer, je n'ai jamais été un grand admirateur de la Commission des nominations publiques. Supposons que le premier ministre soit parvenu à faire accepter cette nomination : de qui cette personne relèverait-elle? Je sais à qui le premier ministre et son gouvernement doivent rendre des comptes. Le concept d'une Commission des nominations publiques ne m'a jamais séduit, et je n'aimerais pas beaucoup qu'une telle commission réduise la capacité du gouvernement de nommer des sous-ministres.
Enfin, monsieur le président...
Le président : Je suis heureux que vous ayez pu vous vider le cœur.
Le sénateur Murray : Ma vie publique prendra fin dans peu de temps, et il en va de même pour madame Barrados d'ailleurs. Nous pourrons suivre le débat à loisir une fois que nous serons à la retraite.
Le personnel ministériel devrait avoir le moins de rapports possible avec les fonctionnaires. Le rôle du personnel politique consiste à fournir des conseils politiques au ministre, à veiller à ce que tout se déroule sans accroc au cabinet du ministre, à gérer les relations du ministre avec le caucus, avec ses collègues du Cabinet, avec les médias et avec les électeurs, et aussi à faire en sorte que le ministre ait beaucoup de temps et d'occasions pour s'entretenir avec la haute fonction publique. Il y a une différence entre les « services consultatifs » et les « services hiérarchiques ». L'idée que le personnel ministériel doive terroriser la fonction publique, comme on l'entend parfois dire, n'a rien à voir avec tout ce que j'ai connu ou vécu, ou ce en quoi je crois. Il y a quelque chose qui cloche si un sous-ministre, un sous-ministre adjoint ou un haut fonctionnaire hésite à jeter à la porte de son bureau un employé politique qui essaie d'exercer certaines influences.
C'est une chose que de communiquer un message du ministre. Le sous-ministre peut dire : « Envoyez une note ou demandez au ministre de mettre cela sur papier. » Je ne comprends pas comment ces relations ont pu devenir aussi confuses. Il y a des problèmes quand des ministres et des sous-ministres permettent au personnel politique de faire ce qu'il fait parfois et de se comporter comme il le fait parfois.
Le président : Madame Barrados, avez-vous des commentaires à faire sur ces points?
Mme Barrados : Eh bien, il vaut mieux que j'en fasse. En ce qui concerne le personnel politique, il y a des tensions dans le système. Nous faisons une modeste recommandation : c'est-à-dire que nous commencions par élaborer un code de conduite. Cela permettrait un dialogue sur ce que nous espérons que ces gens fassent et sur ce que nous voulons qu'ils évitent de faire. Cela permettrait à la fonction publique de dire : « Ce n'est pas ce que vous êtes censés faire. » La situation est particulièrement problématique dans le secteur des communications. Nous nous efforçons d'encourager les gens à avoir ce dialogue et à créer un climat moins tendu.
Pour ce qui est des nominations, nous ne sommes probablement pas tout à fait d'accord. Je suis d'avis que la politique ne devrait pas mériter un emploi à quelqu'un ou l'en priver. La Cour suprême a rendu un jugement à cet égard en faveur des fonctionnaires dans l'arrêt Osborne c. Canada. Ils ont des droits politiques. Cependant, ils doivent les exercer de manière à préserver la nature non partisane de la fonction publique. Les gens ont des droits politiques et personne ne devrait être puni pour son activité politique ou parce qu'il veut prendre congé pour être actif politiquement, même s'il est fonctionnaire.
Je m'inquiète de la nature de la fonction publique et de son leadership. Je parle des fonctionnaires qui dirigent la fonction publique. Il y a un risque, mais il est bien inférieur à celui des sous-ministres que j'ai connus. À une certaine époque, la plupart des sous-ministres venaient de la fonction publique. Il n'y a pas de grand risque là. Cependant, il arrive aussi que la commission doive décider si une personne peut solliciter un mandat politique et ce qu'elle peut faire ou non. C'est totalement différent pour les hauts fonctionnaires. Cela n'a aucun sens. Cela ne tient pas la route à mes yeux.
S'il n'y avait pas de risque, je serais d'accord, mais je pense qu'il y en a. Les exigences de transparence et de garanties sont plus grandes, d'où les questions qui ont été soulevées au Parlement. Il n'y a personne qui dit vraiment oui, c'est juste, ni personne qui dit vraiment non, c'est injuste. C'est pourquoi je propose la création d'une organisation comme la commission des nominations publiques, qui pourrait administrer le processus ou intervenir après coup et mener enquête. Elle pourrait fonctionner comme nous, ici, ou comme ses pendants au Royaume-Uni et en Australie. C'est ce que je propose. Le Parlement devrait avoir une bonne discussion pour déterminer si c'est souhaitable et comment cette commission devrait fonctionner. Il y a beaucoup d'options. Ces deux options ne doivent pas nécessairement être les seules.
Le sénateur Callbeck : Madame Barrados, merci d'être parmi nous. Je présume que c'est votre dernière comparution ici, et nous l'apprécions.
J'aimerais vous interroger sur les mécanismes destinés à faire le pont avec les étudiants. Il est important d'intégrer des jeunes à la fonction publique à la fin de leurs études. Dites-moi exactement comment cette intégration s'effectue. D'après mes informations, il y a trois programmes différents qui permettent aux étudiants d'entrer dans la fonction publique temporairement pendant qu'ils terminent leurs études. Il y a le Programme fédéral d'expérience de travail étudiant, le PFETE, le Programme des adjoints de recherche (PAR) ainsi que les programmes de stages coopératifs. Ensuite, le Programme de transition permet à ces étudiants d'intégrer la fonction publique. J'aimerais savoir exactement comment ces programmes fonctionnent.
Mme Barrados : Il y a des processus annoncés et non annoncés en vertu de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique. La Commission de la fonction publique favorise toujours nettement le recours aux processus annoncés. Ces trois programmes, le PFETE, le PAR et les stages coop découlent de processus annoncés, donc tous les étudiants ont la chance de présenter leur candidature. Il y a beaucoup plus de demandes que de personnes embauchées. Nous avons diverses préoccupations dans l'administration de ces processus pour en assurer l'équité. Il y a des choses que nous avons dû améliorer. Nous avons fait une vérification à cet égard, et elle a permis de constater qu'il y avait des problèmes, que nous avons corrigés.
Quand un étudiant est retenu et qu'il est nommé dans le cadre de l'un de ces programmes, il devient admissible au programme de transition à l'intention des étudiants. La première étape est de réussir tout le processus de sélection. Cette admissibilité lui permet d'obtenir un emploi dans la fonction publique s'il a les qualifications requises. C'est considéré comme un processus concurrentiel annoncé, puisque ces personnes arrivent d'abord à la fonction publique par concours. Nous exigeons aussi une évaluation qui montre que les personnes répondent aux critères d'emploi.
Le sénateur Callbeck : Dans le cadre de ces programmes, si un étudiant a occupé un emploi temporaire pendant qu'il allait à l'université, puis qu'il se prévaut du programme de transition à l'intention des étudiants, est-ce qu'il doit se soumettre à des examens écrits comme les étudiants qui ne sont pas déjà dans le système comme employés temporaires?
Mme Barrados : Les candidats doivent terminer leurs études et satisfaire à une évaluation à la lumière de leur description de tâches. Ils doivent donc respecter l'énoncé des critères de mérite et répondre à toutes les autres exigences de l'emploi. Il doit y avoir une évaluation officielle. Nous cherchons à savoir si la personne répond aux exigences. S'il y a des exigences linguistiques liées au poste, la personne doit réussir des examens de langue. Si le poste requiert des habiletés d'écriture, nous exigeons des preuves que la personne a les connaissances écrites nécessaires. Si l'on exige du jugement, on peut appliquer un test de jugement utilisé à la commission ou évaluer le jugement de la personne en entrevue. Nous demandons des vérifications de référence. Nous exigeons une évaluation complète.
Le sénateur Callbeck : Ces étudiants ont-ils préséance sur les autres étudiants? J'ai entendu dire que les étudiants qui participent à ces programmes avant de se prévaloir du programme de transition à l'intention des étudiants sont plus susceptibles d'obtenir un poste parce qu'il est beaucoup plus facile pour eux que pour les autres étudiants qui n'ont pas eu la chance de participer à ces programmes de montrer qu'ils sont qualifiés.
Mme Barrados : Oui, c'est plus facile pour eux. Toutefois, ils ont dû réussir un processus concurrentiel pour obtenir ces emplois au départ.
Le sénateur Callbeck : Est-ce que j'ai le temps de poser une autre question?
Le président : Oui.
Le sénateur Callbeck : Dans la vérification sur le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien menée par la Commission de la fonction publique en 2010, il a été montré que pour 40 des 64 nominations vérifiées, il n'y avait pas de preuve de mérite. Dans 28 cas, la CFP n'a pas pu déterminer selon la documentation au dossier que toutes les qualifications voulues avaient été évaluées ou il n'y avait pas de lien clair entre les qualifications et l'évaluation. De plus, pour 12 nominations, il n'y avait absolument aucune évaluation documentée. Qu'est-ce qui arrive dans ces cas-là? Est-ce que ces 12 personnes conservent leur poste?
Mme Barrados : Quand nous menons des vérifications, nous demandons au ministère quelle est la documentation requise. Nous cherchons de la documentation et nous demandons au vérificateur de porter un jugement. Est-ce vraiment de la négligence ou est-ce qu'il y a d'autres problèmes concernant ces nominations?
Dans le cas du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, les exigences étaient très mal comprises, et le ministère ne tenait pas de dossiers complets. Dans les cas où nous avons l'impression que c'est plus que de la négligence, nous demandons au ministère de mener des examens plus approfondis, ce qui signifie que nous pouvons demander une réévaluation ou qu'une personne pourrait perdre son emploi. Je ne me rappelle pas combien de ces nominations ont fait l'objet d'une enquête, mais je pourrais faire parvenir l'information au comité.
Le président : Si vous le pouvez, ce serait apprécié.
Le sénateur Callbeck : Est-ce fréquent qu'une personne perde son emploi?
Mme Barrados : Cela arrive. Aux termes de la nouvelle loi, en raison des méthodes de délégation, si nous jugeons que la nomination était inadéquate, nous allons ordonner que la personne soit retirée de son poste ou qu'elle fasse l'objet d'une toute nouvelle évaluation. Les ministères ont tout de même le pouvoir de réaffecter la personne ailleurs.
Le sénateur Callbeck : Merci.
Le président : Il nous reste environ trois minutes, puis nous devrons clore la séance. Je vais demander au sénateur Ringuette, qui est la seule personne qui reste sur ma liste pour le deuxième tour, de poser sa question. Si vous pouvez y répondre dans le temps qu'il reste, tant mieux. Sinon, vous pourriez peut-être nous faire parvenir une réponse écrite à cette question aussi.
Le sénateur Ringuette : Merci. J'ai beaucoup de questions.
Voici ce qu'on peut lire dans le rapport intitulé La fonction publique fantôme :
En plus d'augmenter les coûts, le recours à la sous-traitance permet de contourner les exigences normales en matière d'embauche comme le bilinguisme et les considérations géographiques et méritocratiques. Il a aussi pour effet de réduire les connaissances institutionnelles, de réduire la marge de manœuvre et de multiplier les préoccupations liées à la protection des renseignements personnels.
J'aimerais savoir ce que vous pensez de cette affirmation. Je sais que c'est beaucoup vous demander en trois minutes.
Mme Barrados : Je ne sais pas trop sur quelles preuves se fonde cette affirmation du rapport. Comme je l'ai déjà dit, tout dépend de la forme de contrat : est-ce que le travail a été confié par contrat, est-ce qu'il y avait une relation contractuelle véritable pour une tâche particulière ou est-ce que le contractant faisait office de fonctionnaire. S'il a agi comme fonctionnaire, cela me pose problème, parce qu'il y a des risques à tous les niveaux. Quand il y a une véritable relation contractuelle, je ne pense pas que ce soit un problème.
Le sénateur Ringuette : Je suis d'accord avec vous. On craint de plus en plus que la dotation temporaire soit en train de créer une fonction publique parallèle et permette de contourner les règles en place. C'est ce qui m'inquiète par-dessus tout.
Le président : Madame Barrados, vous voudriez peut-être relire ce rapport ou demander à quelqu'un de votre groupe de le relire. Si vous souhaitez dire que vous n'êtes pas d'accord avec certaines des prémisses qu'on trouve ici, nous serions très heureux de le savoir.
Mme Barrados : C'est une bonne idée. Comme je l'ai dit, je me demande surtout sur quelles preuves réelles se fondent ces conclusions. Je vais demander à mon personnel d'y regarder de plus près, parce que j'ai seulement lu ce rapport rapidement.
Le président : C'est bien. C'était la fin de ma liste, heureusement, parce que nous devons être à la Chambre d'ici 15 minutes. L'autobus nous attend.
Au nom du Comité sénatorial permanent des finances nationales, je vous remercie sincèrement d'avoir été parmi nous, monsieur Lemaire et monsieur Arseneault. Vous avez de bons noms acadiens. Lemaire est probablement un bon nom québécois, en fait. Madame Barrados?
Mme Barrados : Portugais.
Le président : Nous remercions les représentants de la Commission de la fonction publique du Canada d'être venus s'entretenir avec nous, non seulement ce soir, mais en bien d'autres occasions, pour nous aider dans notre mandat, qui consiste à analyser comment la fonction publique et l'appareil gouvernemental fonctionnent. Nous vous souhaitons beaucoup de bonheur et de succès dans votre retraite, madame Barrados.
Mme Barrados : Merci beaucoup.
(La séance est levée.)