Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international
Fascicule 17 - Témoignages du 9 mars 2011
OTTAWA, le mercredi 9 mars 2011
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd'hui, à 16 h 15, pour étudier les faits nouveaux en matière de politique et d'économie au Brésil et les répercussions sur les politiques et intérêts du Canada dans la région, et d'autres sujets connexes.
Le sénateur A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Honorables sénateurs, avant d'écouter nos témoins, je vous rappelle que notre ordre de renvoi général arrive à échéance le 31 mars. Si vous êtes d'accord, je n'ai qu'à présenter une motion à la Chambre pour le prolonger sans doute jusqu'au 31 décembre. Est-ce convenu?
Des voix : D'accord.
La présidente : Merci.
Nous poursuivons notre étude spéciale sur les faits nouveaux en matière de politique et d'économie au Brésil et les répercussions sur les politiques et intérêts du Canada dans la région, et d'autres sujets connexes. Il s'agit de la 12e séance que nous consacrons à cette étude.
Nous accueillons aujourd'hui le vice-président à la recherche et aux relations internationales à l'Université de Western Ontario, M. W.E. Hewitt, professeur de sociologie. M. Hewitt est actuellement directeur exécutif de la Revue canadienne des études latino-américaines et caraïbes et il fait autorité au Canada en ce qui concerne le Brésil.
Monsieur Hewitt, merci d'être venu nous faire profiter de vos connaissances. Nous commençons généralement par écouter les remarques préliminaires des témoins, puis nous passons aux questions des sénateurs. Soyez le bienvenu. Nous vous écoutons.
W.E. (Ted) Hewitt, vice-président (Recherche et relations internationales), Université de Western Ontario, à titre personnel : Merci, madame la présidente. Je suis heureux d'être ici aujourd'hui. J'ai suivi les travaux de votre comité au cours des derniers mois, et vous avez rencontré une liste impressionnante de spécialistes non seulement du Canada, mais aussi de l'étranger, et en particulier des États-Unis.
Vous avez mon curriculum vitae. Je ne sais pas si on vous l'a distribué. Il donne un aperçu de ma carrière et de mon rôle actuel. Je dirai, et je suis dans ce domaine depuis un bon moment déjà, que je suis l'un des rares spécialistes du Brésil au Canada à l'heure actuelle. Nous sommes une dizaine, peut-être huit, et les Brésiliens nous appellent souvent les brasilianistes, ou brasilianistas. J'ai aussi de la chance, à certains égards : en raison de mes responsabilités de vice- président à la recherche et aux relations internationales à l'Université de Western Ontario, je travaille dans un établissement canadien qui collabore plus étroitement que tout autre avec des établissements du Brésil dans le cadre de travaux de recherche, d'échanges d'étudiants diplômés et de programmes menant à deux diplômes, et ce, dans un large éventail de domaines : les neurosciences, le génie logiciel, les énergies de remplacement, la dentisterie, l'informatique de haut rendement, et cetera.
Personnellement, je m'intéresse au Brésil depuis près de 40 ans. C'est un pays que je connais très bien. J'y ai passé des années et j'ai passé des années à éduquer les Canadiens à son sujet. J'ai toujours eu d'excellentes relations avec les gouvernements brésiliens successifs et en particulier avec les diplomates brésiliens au Canada. Je suis l'un des rares Canadiens décorés par le gouvernement brésilien.
Ici, au Canada, le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, le MAECI, m'a demandé de siéger au Comité directeur de l'Accord Brésil-Canada sur la science et la technologie. Nous ne nous sommes pas encore réunis. J'ai récemment été invité à faire partie du Conseil des Partenariats internationaux en science et technologie du Canada, et je préside le Sous-comité de cette organisation pour le Brésil. J'ai eu l'honneur d'accompagner notre ex- gouverneure générale, Mme Jean, lors de son voyage historique au Brésil, en 2007.
Je vous dis tout cela non pas pour me mettre en valeur, mais pour vous montrer à quel point les gens comme moi, ceux qui connaissent à fond le pays, sont peu nombreux au Canada et aussi parce que je veux préparer le terrain avant de vous présenter un point de vue que, selon moi, beaucoup jugeront plutôt original sur la façon de resserrer nos liens avec le Brésil, un pays qui est — tous le reconnaîtront, je crois — une des principales économies émergentes du monde. Je lisais hier qu'il devrait bientôt se hisser au cinquième rang des économies mondiales.
Dans l'administration fédérale — et j'ai collaboré avec un certain nombre d'organismes dans ce dossier —, on manifeste certainement le désir de se rapprocher du Brésil, en particulier, et de certains autres pays du BRIC — les pays du BRIC étant le Brésil, la Russie, l'Inde et la Chine. Cela est très différent de ce que j'ai connu par le passé, disons il y a moins d'une décennie, quand très souvent les diplomates et les représentants de gouvernement considéraient le Brésil simplement comme l'un des 13 pays d'Amérique du Sud, malgré la suprématie du Brésil sur ce continent, sur les plans tant économique que démographique. Le véritable défi, selon moi, maintenant qu'une volonté de collaborer plus étroitement avec ce pays se dégage, consiste à définir la façon de procéder.
Je crois que même si le gouvernement — et pas seulement le gouvernement fédéral, les provinces aussi — désire maintenant resserrer les liens avec ce pays, toute une série d'idées préconçues continuent d'avoir cours sur la façon de procéder et sur le Brésil lui-même. Je m'explique.
Souvent les gens disent que le Brésil et le Canada ont beaucoup de points communs. Ce sont d'anciennes colonies. Ils entretiennent depuis longtemps des relations commerciales et d'investissement. Ce sont des sociétés multiculturelles. Les gens parlent de la croissance du Brésil, du développement de son économie et de l'expansion rapide de son marché de consommation. Ils ajoutent en outre immédiatement que cela signifie ou devrait signifier que le Canada a beaucoup à offrir au Brésil dans les domaines où nous excellons : les soins de santé, l'éducation, la technologie.
Au départ, et pour attirer l'attention des Brésiliens, on dira que le Canada et le Brésil doivent reconnaître et harmoniser les intérêts et les priorités qu'ils ont en commun. On parlera de sécurité et de maintien de la paix, de ce que nous pouvons faire ensemble dans le monde. On évoque de plus en plus des intérêts communs en matière de recherche et développement, surtout avec l'industrie, pour alimenter les collaborations mais aussi, à cet égard, la nécessité de s'y prendre de telle sorte que cela profite au maximum au Canada et serve principalement les intérêts canadiens.
Il n'y a pas vraiment d'hérésie dans tout cela, mais j'essaie de vous expliquer comment les gens expriment leurs sentiments ou leurs ambitions relativement à cette relation. Je crois toutefois, et je l'ai mentionné dans le cadre de conférences, de séminaires et d'ateliers, qu'en réalité, la relation Canada-Brésil, ou ce qu'elle pourrait être, est différente de cela. Ce sont de choses qu'il faut reconnaître si nous voulons progresser.
Premièrement, le Canada et le Brésil ont sans doute beaucoup moins en commun qu'on l'imagine, qu'il s'agisse de culture ou de langue, d'aspirations géopolitiques, certainement, et surtout de perspectives sur le multiculturalisme. Nous sommes deux pays totalement différents. De fait, le Brésil s'intéresse peu au Canada. Il est beaucoup plus tourné vers les États-Unis, l'Union européenne, ses voisins du Mercosur et, de plus en plus, l'Afrique et, récemment, l'Asie. Le fait que nous nous intéressons maintenant au Brésil ne signifie pas que cet intérêt sera réciproque. C'est une erreur courante.
On entend aussi souvent dire que le Canada a beaucoup à offrir ou à vendre au Brésil ou à partager avec lui. Cela est peut-être vrai, mais c'est le cas de bien d'autres pays qui sont déjà là-bas et qui travaillent pour établir et renforcer des liens.
Finalement, en matière de recherche et développement nous avons des similarités. Cette voie de collaboration est prometteuse, surtout si elle est axée sur l'industrie et vise ce que nous pourrions appeler les marchés tiers. Toutefois, dans ce processus, le Canada a très peu à offrir et ce que nous avons offert financièrement, en termes d'engagements et de reconnaissance des aspirations du Brésil, n'a pas éveillé beaucoup d'intérêt au Brésil. Les Brésiliens ne sont pas aussi impressionnés que nous pourrions l'espérer. De fait, on peut dire que c'est plutôt le contraire, si vous ajoutez à cela les irritants et les problèmes qui ont miné notre relation, en particulier à la toute fin du siècle dernier et au début de celui- ci.
Il y a des éléments positifs sur lesquels bâtir la relation, si nous sommes disposés à les reconnaître et à y travailler. Je pense notamment à mon propre domaine, les partenariats universitaires. Ils sont déjà établis dans ma propre université et dans divers autres établissements d'enseignement supérieur au Canada. Toutefois, il y a encore un énorme déséquilibre dans ce que les partenaires respectifs sont disposés à mettre sur la table pour appuyer ces initiatives. Notre accord sur la science et la technologie, je crois, représente 3 millions de dollars à l'appui de la collaboration Canada- Brésil avec les universités et l'industrie dans le domaine de la R. et D., 1,5 million de part et d'autre, et cela ne représente qu'une fraction de ce qui était offert pour les accords Canada-Inde ou Canada-Chine.
Il y a aussi des répercussions notables pour les échanges d'étudiants, la formation et les diplômes communs, la collaboration avec l'industrie dans les deux pays, les stages, la promotion d'une culture de collaboration et l'élargissement des perspectives économiques. Je crois qu'il y a tout un monde de programmes et de possibilités qui pourrait être élargi si nous décidions de les concrétiser de concert avec les Brésiliens, qui ont l'argent et l'intérêt pour le faire.
Quant à l'investissement — et c'est un point très important —, l'investissement canadien au Brésil s'élève actuellement à environ 11 milliards de dollars. Il a été robuste. On ne le reconnaît généralement pas au Brésil. On ne le reconnaît généralement pas au Canada, même si, et j'espère que ce chiffre est correct car je l'ai vu récemment, l'investissement canadien au Brésil est deux fois plus important que nos investissements combinés en Inde et en Chine. La plupart des Canadiens ne le croiraient pas, et ce ne sont certainement pas les médias qui pourraient les aider à en prendre conscience dans leurs reportages sur l'investissement canadien.
En sens inverse, la situation est la même. L'investissement brésilien au Canada a été multiplié par 20, ces dernières années, il est passé de 700 millions de dollars à plus de 15 milliards de dollars, et je crois bien que Vale Inco investira encore 10 milliards de dollars dans ses installations de Sudbury. Cela est sans précédent. Je le dis souvent. Je suis venu aujourd'hui à Ottawa à bord d'un Embraer 190. Nous avons roulé sur une piste qui était probablement faite de béton coulé par une société appelée St. Marys Cement, qui est la propriété d'une société brésilienne, Votorantim. Je bois de la bière Brahma au bar de mon quartier, j'utilise de l'argent canadien qui est fait avec le nickel produit par une société brésilienne. Chez moi, à London, en Ontario, nombre de ces entreprises mènent leurs opérations sans que même nos organisations de développement économique ou ceux qui cherchent à stimuler ce développement le sachent ou les reconnaissent.
Finalement, je dirai qu'il nous faut entamer un dialogue pour nous adapter sur le plan politique à la réalité brésilienne, moins parler des points que nous avons en commun avec le Brésil et mieux reconnaître les aspirations du Brésil en matière de leadership régional et mondial. C'est sans doute une hérésie aux yeux de bien des dirigeants canadiens et en ce qui concerne les aspirations diplomatiques du Canada, mais c'est la réalité, et d'autres pays ont su efficacement en tirer parti. Nous devons chercher les situations où tous sont gagnants plutôt que celles où le Canada peut avoir un avantage dans un contexte purement bilatéral. Nous mettons l'accent, comme disent les Brésiliens, sur les terceiros, les occasions offertes par les tierces parties. Nous élaborons ensemble un programme innovateur dans des secteurs comme les biocarburants, les nanosciences et la biotechnologie; nous collaborons avec les Brésiliens pour conquérir des tiers marchés ou mieux exploiter nos propres marchés.
Il faut aussi mettre l'accent sur la collaboration interpersonnelle à l'appui de la production de connaissance et de la mobilité du talent. Vous savez probablement que le Canada est déjà la destination de prédilection des étudiants brésiliens qui veulent apprendre l'anglais. Ils sont plus de 17 000 à venir au Canada chaque année à cette fin; puis ils rentrent chez eux. Qu'est-ce que nous faisons pour les ramener dans nos universités, pour qu'ils viennent parfaire leur éducation et nouer des liens avec les Canadiens? Qu'est-ce que nous faisons, vraiment, pour envoyer des étudiants canadiens au Brésil? C'est une occasion rêvée pour exécuter des programmes peu coûteux qui nous aideront à apprendre les uns des autres. Cela encourage les liens commerciaux, car ces étudiants trouvent ensuite du travail dans leur propre pays ou même au Brésil, et cela favorise la collaboration en R-D, qui peut devenir la base de collaborations scientifiques et industrielles très intéressantes.
Je m'arrête ici, parce que je veux répondre aux questions des membres du comité et approfondir la discussion.
[Français]
Le sénateur Fortin-Duplessis : Monsieur Hewitt, je tiens à vous féliciter pour avoir été décoré en sciences et technologie au Brésil. C'est un grand honneur pour vous et cela rejaillit sur tous les Canadiens.
Je suis emballée par le Brésil et je vois cela comme une belle occasion, mais je crois qu'il faut ramener les choses à leur proportion. Le premier des périls consiste à vanter les mérites d'une croissance hors pair et de minimiser le déséquilibre qui commence à surgir. On a l'inflation, le déficit budgétaire, le déficit courant, rien d'alarmant en soi, mais si on n'y prend pas garde dès maintenant, la dégradation continue des indicateurs pourrait finir par gâcher la fête. Pour l'instant, cette lente érosion ne compromet pas la performance de l'ensemble de l'économie encore tirée par une forte demande pour les matières premières brésiliennes. L'économie brésilienne n'est pas à l'abri d'un retour du bâton. La croissance chinoise prévue par Economist Intelligence Unit va être divisée par deux autour de 2020. Il est aussi prédit que l'Inde devrait également décliner légèrement.
Pouvez-vous nous dire, puisque vous êtes un expert, si le Brésil fait quelque chose pour diminuer sa dépendance à l'égard des matières premières?
[Traduction]
M. Hewitt : Je suis peut-être un spécialiste dans certains domaines, mais pas dans tous. Je devrais nuancer votre question ou du moins en poser une autre sur ce que vous entendez par « dépendance à l'égard des matières premières ». Les produits de base forment une grande partie de la balance commerciale entre le Brésil et le Canada. Toutefois, par le passé, le Brésil exportait surtout des produits finis vers le Canada et le Canada, des matières premières vers le Brésil. C'est pourquoi j'ai voyagé dans un Embraer 190 ce matin, et c'est la raison pour laquelle la présence industrielle est si importante au Canada, maintenant que l'investissement a commencé à circuler.
Le Brésil est un pays fortement industrialisé. Pendant des années, il a produit lui-même nombre des biens qu'il utilise. Le secteur de l'automobile a été l'un des premiers à se développer à cet égard. Le nombre d'automobiles produites chaque année n'a cessé de croître, et aujourd'hui presque tous les constructeurs d'automobiles du monde sont installés au Brésil. Ils voient les possibilités de croissance future qu'offre le commerce mondial — oui, le commerce mondial des produits, mais aussi le secteur des biens manufacturés et, finalement, la haute technologie. C'est pourquoi ils investissent dans la haute technologie, la technologie des carburants et la biotechnologie, y compris les sciences de la vie.
Je ne vois pas de dépendance à l'égard des matières premières. Je vois une économie qui mûrit et qui sera de plus en plus tributaire de sa consommation et de ses exportations de produits manufacturés et de haute technologie.
[Français]
Le sénateur Fortin-Duplessis : Vous avez dit dans votre présentation que nos deux pays ont moins en commun que l'on pourrait croire. Pensez-vous qu'il y a quand même des intérêts régionaux et mondiaux communs du Brésil et du Canada qui pourraient servir de fondement à une coopération accrue et à des liens plus étroits?
[Traduction]
M. Hewitt : Oui. Cette question a fait l'objet de bien des débats. Les Brésiliens s'intéressent depuis longtemps à la sécurité, en particulier la sécurité régionale. En ce qui a trait à la menace terroriste, le Brésil serait considéré et se considérerait certainement comme moins menacé que le Canada. Dans le monde, le Brésil s'intéresse à la sécurité, tout comme le fait le Canada dans diverses régions du monde pour protéger les intérêts canadiens. Je crois que c'est certainement un secteur de coopération.
Je ne pense pas que cela suffise à créer une relation solide et dynamique qui débouchera sur le type d'échanges universitaires, intellectuels, commerciaux et culturels que nous — ou certains d'entre nous — aimerions voir entre nos deux pays.
Le sénateur Segal : Je souhaite la bienvenue au témoin et je le remercie de prendre le temps de venir nous aider.
Je me fais l'avocat du diable. C'est dans la nature du Canada de chercher des relations constructives, chaleureuses, amicales et pacifiques avec presque tous les pays, et cela explique peut-être la naïveté intrinsèque dont nous faisons preuve, à l'occasion, dans notre façon d'aborder le monde. J'accepte d'emblée une bonne partie de votre propos, que les secteurs de coopération que nous avons en commun avec nos amis brésiliens ne sont peut-être pas aussi nets et évidents que certains veulent le croire. Je ne parle pas des échanges universitaires, de recherche et autres et de la stimulation des échanges d'étudiants pour que les leurs soient plus nombreux ici et les nôtres, là-bas. Tout cela est toujours bon.
Je vous propose une idée que vous pouvez démolir si elle est sans fondement réel. Nous sommes des concurrents naturels; nous sommes présents dans une série de secteurs du marché où il n'est pas dans notre intérêt qu'ils réussissent trop bien. Est-ce que nous voulons les voir continuer à réduire la pauvreté, une entreprise où ils ont connu de belles réussites — plus que nous? Certainement. Est-ce qu'ils ont un problème de pauvreté plus grave que le nôtre? C'est indéniable. Est-ce que nous pouvons apprendre du programme Bolsa Família et d'autres activités qu'ils mènent? Évidemment, nous aurions beaucoup à gagner si nous adoptions leurs pratiques exemplaires. Toutefois, il se peut que dans les secteurs de la technologie, de la fabrication et de l'exploitation minière, le marché détermine la relation. Les Canadiens sont au Brésil parce qu'ils ont des investissements commerciaux dans les minéraux et d'autres richesses. Les Brésiliens sont au Canada parce que le marché aéronautique est solide ou que les sociétés qu'ils possèdent constituent une large part de notre capacité d'exploitation des ressources et qu'ils améliorent le rendement de leur investissement, et c'est très bien. Une intervention gouvernementale serait peut-être mal venue dans cette relation.
Bien des gens disent que si vous regardez les politiques industrielles des grandes économies, et pas seulement celles du Canada, vous constaterez qu'on a généralement tendance à financer des perdants dans les circonscriptions des ministres. Certains gouvernements ont peut-être plus de succès que d'autres. En règle générale, nous ferions peut-être mieux de ne pas nous engager et plutôt appuyer votre approche : la recherche, les échanges d'étudiants, et cetera, et investir plus généreusement dans ces activités. Toutefois, pour ce qui est de la proposition de marché et d'une approche intégrée en matière de politique étrangère et de sécurité internationale, leur gouvernement est plutôt de centre-gauche, probablement plus que tout gouvernement qui pourrait être élu au Canada. Cela ne signifie pas qu'ils ne sont pas financièrement responsables, car ils ont fait preuve de prudence. Je le reconnais. Toutefois, leur opinion au sujet du Venezuela est différente de la nôtre. Leur perception du Moyen-Orient est différente de la nôtre. Nous perdrions peut- être beaucoup de temps à essayer de concilier ces positions, et cela est inutile pour eux comme pour nous.
Lorsqu'ils envoient des forces, comme ils l'ont fait pour jouer un rôle considérable à Haïti, cela manifeste leur engagement à l'égard de l'hémisphère. Lorsque nous pouvons collaborer avec eux, c'est logique, mais il y a des limites à ce que nous pouvons faire. Si je comprends bien votre témoignage, nous devrions choisir certains éléments et ne pas nous bercer d'illusions et penser que la relation en général aura des effets économiques miraculeux, parce qu'effectivement rien n'appuie cette hypothèse. Si je vais trop loin dans mon interprétation de vos propos, vous m'arrêtez.
M. Hewitt : Je suis parfaitement d'accord avec vous. J'ai l'esprit pratique. Évidemment, le Brésil et le Canada sont des concurrents. Nous avons tous entendu parler de l'âpre rivalité entre Embraer et Bombardier, mais le fait est qu'Embraer vend pas mal d'appareils au Canada aujourd'hui, et que Bombardier, si j'ai bien compris, non seulement vend des avions, mais réalisera en outre le prolongement du métro de São Paulo, un projet de 600 millions de dollars. Tout cela est très bien. C'est même excellent. Cela devrait vraiment nourrir la relation, et il faudrait laisser cela remplir cette fonction, trouver de nouvelles façons de collaborer et d'aider ces entreprises à croître, à survivre et à prospérer, pas seulement l'une dans la cour de l'autre, mais aussi, comme le disent mes amis brésiliens, dans la cour d'autres personnes.
Est-ce qu'il serait impensable que Bombardier collabore avec Embraer pour produire un avion à réaction qu'ils vendraient sur un tiers marché? Oui, probablement. Toutefois, il y a dans les deux pays de nombreuses petites entreprises qui pourraient collaborer en se fondant sur des travaux scientifiques solides réalisés par l'un ou l'autre des partenaires ou par les deux et en se fondant sur la technologie. C'est ce qu'il faudrait encourager.
L'un des arguments que j'ai présentés quand j'ai parlé de sensibilisation, c'est que les deux ont un niveau d'investissement important dans l'autre pays. Au Canada, et je veux bien peser mes mots, c'est quelque chose que non seulement nous ne reconnaissons pas, que nous ne recherchons pas — ce qui est intéressant —, mais, en outre, parfois nous le condamnons carrément, nous le dénigrons. Dans le cas des investissements de Vale dans Inco, et pour les bonnes raisons que nous connaissons, cette société a pu faire l'objet de critiques dans certains milieux, mais cela demeure un énorme investissement qui fournit des milliers d'emplois au Canada. Ce que les Brésiliens se disent, c'est « Eh bien, nous investissons dans votre pays, mais personne n'en dit rien de bon. De fait, nous entendons dire beaucoup de mal au sujet de grandes multinationales brésiliennes qui exploiteraient les gens, et cetera. »
En règle générale, au Canada, les articles des médias qui portent sur le Brésil sont plutôt négatifs, Dieu sait pourquoi. Ces pauvres enfants ont fait naufrage au large de la côte brésilienne et ils ont dû attendre 40 heures, mais ils ont été rescapés par des navires brésiliens. Il leur a fallu 40 heures pour arriver, mais les Brésiliens étaient là. Ils sont venus, et les enfants ont été sauvés. Tout l'article portait sur la longueur de leur attente. Oui, c'était terrible, long, angoissant, d'attendre ainsi en pleine mer.
Il y a aussi cet exemple d'une rencontre qui a eu lieu lors du sommet à Toronto. Deux photographies ont été prises du président Obama en compagnie des présidents brésilien, indien et chinois, si je me souviens bien. Dans les journaux canadiens, l'image a été recadrée pour ne montrer que le président Obama et le premier ministre Harper avec les présidents indien et chinois, mais juste à côté du président Obama se trouvait le président du Brésil, et quand elle a été publiée au Brésil cette photo montrait le président du Brésil. C'est un détail, mais c'est le genre de choses qu'ils remarquent. Ils se disent que le Canada est un grand pays qui offre de nombreuses possibilités. C'est un pays où ils voudraient bien venir, mais ils n'ont pas l'impression que nous voulons sérieusement parler de travailler ensemble avec eux et de nous faire mutuellement concurrence, bien sûr, mais aussi de collaborer et de bâtir nos économies dans l'intérêt de nos populations respectives.
C'est ce que je voulais vous dire aujourd'hui, au sujet de la façon dont les médias tendent à présenter notre relation, ce qu'ils ne font pratiquement jamais, et de la façon dont ils présentent le Brésil, qui est en général plutôt négative.
Le sénateur Segal : Je vous demande de mettre votre chapeau de spécialiste du Brésil, mais aussi votre chapeau d'administrateur de l'un des établissements d'enseignement les plus prestigieux au pays. Ce n'est peut-être pas l'Université de Guelph, ni l'Université Queen's, ni l'Université d'Ottawa, mais c'est quand même un établissement important. Excusez-moi, il fallait que je dise cela parce que la chancelière de Guelph est assise à la table.
M. Hewitt : Oui, évidemment.
Le sénateur Segal : Je n'avais pas le choix. Il y a la fondation Fulbright, qui veut faciliter les échanges d'étudiants diplômés entre les États-Unis et le Canada. Il y a la fondation du Commonwealth, qui administre un fonds de bourses d'études et qui est moins active mais qui a facilité les échanges d'étudiants diplômés. Nous faudrait-il une fondation pour le Brésil? Est-ce un instrument qui nous aiderait à multiplier les échanges d'étudiants entre le Brésil et le Canada? Selon vous, si le Canada proposait cela, assorti de fonds de contrepartie, et que certaines entreprises canadiennes voulaient aussi y participer, pensez-vous que cela serait bien accueilli au Brésil, d'après ce que vous savez de la situation et en supposant que tous les intervenants ont une part égale de préjugés?
M. Hewitt : J'ai participé à des négociations de cette nature, récemment. J'étais au Brésil en novembre, avec des collègues de l'Université de Toronto, principalement parce que jusqu'à maintenant, à l'exception d'un petit nombre d'organismes de recherche et de financement canadiens, on n'a pas réussi à négocier ce genre d'ententes avec nos homologues brésiliens. Je parle essentiellement des trois conseils, qui ont tenté de négocier des ententes avec leurs homologues brésiliens — le Conseil de recherches en sciences humaines, le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie et les Instituts de recherche en santé du Canada. Ils voulaient créer des programmes de recherche concertée et d'échanges d'étudiants. Jusqu'à maintenant, ils n'y sont pas parvenus — et ce n'est pas faute de bonne volonté ni d'efforts. Les Brésiliens manifestent une certaine frustration, malgré les efforts du personnel de ces agences. J'ai donc décidé de demander au gouvernement de l'Ontario de me permettre de négocier une entente avec l'organisme brésilien qui finance la mobilité des étudiants diplômés et l'éducation supérieure au Brésil. Le gouvernement de l'Ontario a accepté. J'ai négocié cette entente avec un financement modeste qui facilitera les échanges d'étudiants surtout entre des universités ontariennes et brésiliennes, pour commencer, dans les deux directions.
Récemment, alors que je terminais de travail, le MAECI a annoncé qu'il avait également conclu avec le même organisme une entente relativement à un programme national. Toutefois, ce programme compte sur un engagement ontarien et fédéral combiné d'au plus 250 000 $.
Le sénateur Segal : Par année?
M. Hewitt : Jusqu'à ce qu'il n'y ait plus d'argent.
Le sénateur Segal : Alors, c'est plafonné.
M. Hewitt : Ce n'est pas beaucoup, compte tenu des possibilités qu'offre un tel programme. Le programme ontarien a obtenu un engagement d'environ 50 000 $ du gouvernement ontarien, et les Brésiliens mettent 50 000 $. C'est peu, mais j'ai pensé qu'il valait mieux obtenir quelque chose et aller de l'avant. Ces mesures sont bonnes, elles sont positives.
Pour terminer mon histoire, je suis allé au Brésil et j'ai rencontré les dirigeants d'un organisme de financement de la recherche dans l'État du São Paulo. Ils gèrent un fonds de 400 millions de dollars. Ce montant représente 1 p. 100 du budget de l'État. L'État de São Paulo a une population légèrement inférieure à celle du Canada. Si c'était un pays, il serait la sixième compétence au monde dans le domaine scientifique, en ce qui a trait à la production de recherche dans les universités et les instituts. Nous avons participé à la première rencontre au nom de l'Université de Toronto et de l'Université de Western Ontario et nous leur avons demandé : « Voulez-vous négocier une entente entre nos deux universités et votre agence pour financer la recherche concertée? » Ils ont répondu : « Certainement. Nous avons essayé de négocier avec des agences au Canada, mais il faut beaucoup de temps. Nous allons conclure une entente avec vos deux universités. » Ils nous ont demandé : « Où voulez-vous commencer? Nous allons signer aujourd'hui. Nous sommes prêts à engager un million de dollars. » J'ai leur ai répondu : « Nous parlons de l'Université de Western Ontario et de l'Université de Toronto. Commençons avec 100 000 $. Chacune va investir 50 000 $. Si vous pouvez mettre 100 000 $, c'est réglé. » Nous signerons cela dans deux semaines, au Brésil. Le programme sera offert uniquement aux chercheurs brésiliens de l'État de São Paulo et des universités de Toronto et de Western Ontario.
Outre les Partenariats internationaux en science et technologie Canada, au conseil desquels je siège à titre de président du sous-comité du Brésil, ce sera le deuxième programme de financement de la recherche entre universités. Ce que je dis, c'est que nous ne faisons pas beaucoup de progrès pour créer le type de programmes dont nous parlons, et les Brésiliens ont beaucoup plus à offrir que nous.
Le sénateur Segal : Si le secteur privé y contribuait, est-ce que cela serait acceptable?
M. Hewitt : Oui. J'ai rencontré Arvind Gupta, président-directeur général et directeur scientifique de MITACS, qui finance des échanges d'étudiants diplômés et de premier cycle avec l'Inde ainsi que des stages dans l'industrie. Nous parlons d'entrer sur le marché brésilien de l'éducation pour encourager les étudiants à venir au Canada étudier dans les universités canadiennes et travailler comme stagiaires dans des entreprises canadiennes. Toutefois, nous voulons qu'il y ait aussi une circulation d'étudiants dans l'autre direction. C'est un début, c'est modeste.
Le sénateur Finley : Merci d'être venu et de nous avoir présenté un exposé si intéressant au sujet d'un pays fort spectaculaire.
Vous avez dit être venu à bord d'un Embraer 190. Avez-vous déjà volé à bord d'un appareil Bombardier au Brésil?
M. Hewitt : Non, pas encore.
Le sénateur Finley : Le métro, c'est bien joli, mais ces 600 millions de dollars constituent essentiellement une dépense unique, alors que les aéronefs il faut les remplacer constamment. Air Canada possède 60 Embraer 190 dans sa flotte. Bombardier n'a pas réussi à s'imposer sur le marché de l'Amérique latine, où le Brésil est un important concurrent.
Pourriez-vous nous parler de la situation de l'industrie pharmaceutique brésilienne? Est-ce qu'elle se développe? J'imagine qu'elle est assez importante, compte tenu de la taille de la population et de la pauvreté et des conditions de vie. Quelle est la taille de l'industrie pharmaceutique?
M. Hewitt : Je ne peux pas vous proposer une opinion d'expert. J'y reviendrai dans un instant, après avoir répondu à votre commentaire précédent. Je n'ai pas voyagé à bord d'un avion Bombardier au Brésil. Si c'est à cause des politiques gouvernementales ou d'autres restrictions qui touchent la façon dont ces ventes sont réalisées, alors c'est déplorable. Évidemment, c'est un problème brésilien qu'il faut régler. Ces ventes devraient être fondées sur la qualité du produit et sur le prix. C'est la façon de procéder; et je ne voudrais certainement pas qu'il en aille autrement.
Quant aux produits pharmaceutiques, je n'ai pas de données à vous offrir. N'oubliez pas que lorsque le Brésil a dû lutter contre une épidémie de VIH-sida qui risquait d'être considérable, il a décidé d'abroger ou de suspendre les restrictions internationales sur la production de médicaments génériques pour répondre aux besoins du marché, pour ses propres raisons. A posteriori, cette mesure a été perçue comme l'un des principaux facteurs qui ont permis d'empêcher une importante éclosion de VIH-sida au Brésil.
Selon moi, nombre des grands producteurs du monde sont présents au Brésil, mais l'industrie des produits génériques y est très solide, en partie à la suite de cette politique. Je ne peux rien vous dire de plus.
Le sénateur Finley : Je m'intéresse à la question parce qu'au Québec, par exemple, deux des grandes industries sont l'aérospatiale et les produits pharmaceutiques. La valeur ajoutée pour une heure-personne de productivité dans ces deux secteurs est l'une des plus élevées : de 90 à 150 $. Par exemple, quand vous montez une automobile, une heure de travail ajoute environ 6 $ à sa valeur, c'est le prix d'un hamburger. C'est le genre d'occasion qu'on voudrait que le Canada trouve dans des marchés comme la Chine, l'Inde et même la Russie, pour tout dire. De fait, Bombardier suscite un intérêt considérable dans certains de ces pays.
Pensez-vous qu'il serait bon que la recherche et les échanges étudiants aient essentiellement pour effet au Canada d'aider à prévenir la concurrence dans deux de nos secteurs où la valeur ajoutée est la plus forte, soit l'aérospatiale et les produits pharmaceutiques, particulièrement dans un marché aussi concentré que le Brésil? Est-ce que ce serait une stratégie valable?
M. Hewitt : Oui; et je vais vous dire pourquoi. Vous ne savez jamais d'où la compétition viendra dans ces deux secteurs, pour le Canada. Si nous pensons que nous pouvons produire au Canada tout le savoir-faire, tout le talent et toutes les connaissances nécessaires pour préserver notre compétitivité, si nous pensons que nous pourrons toujours conserver notre position, nous nous trompons.
Le sénateur Finley : Ce n'est pas ce que je disais. Je regarde la question du point de vue de l'homme d'affaires, pas du politicien. Nous avons tous certains actifs, des ressources, que ce soit au Québec ou ailleurs au Canada, la société ABC ou une campagne politique. Il faut aller pêcher là où il y a du poisson. Si vous étiez vraiment très terre-à-terre à ce sujet, comment classeriez-vous les occasions au Brésil par rapport à celles de la Chine, de la Russie et de l'Inde?
M. Hewitt : Pourrions-nous être plus précis? Parlons-nous d'investissements ou de rendement escompté?
Le sénateur Finley : Je parle des perspectives commerciales, c'est l'objet de notre étude, que les échanges se fassent sous forme d'investissements, d'activités productives de recherche et développement, de commerce manufacturier, de marchandises ou autres. J'essaie de mieux comprendre les perspectives des investisseurs éventuels, pour que la pêche rapporte le plus.
M. Hewitt : Oublions les restrictions gouvernementales, notamment les coûts imposés par le Brésil, dont vous avez entendu parler, et les pratiques que nous pourrions déplorer en matière de protectionnisme ou de financement des exportations. C'est sans doute dans le domaine des pratiques commerciales et de l'accueil réservé aux entreprises que le Brésil et le Canada ont sans doute le plus en commun. D'après ce que j'ai vu et entendu de la part de personnes qui font des affaires là-bas, il est plus facile de travailler sur un marché que vous comprenez intuitivement et qui, malgré toutes ses différences culturelles, est plus semblable à ce que nous avons ici que ne le serait le marché dans un pays comme la Chine ou l'Inde, où il y a encore d'importants obstacles linguistiques et autres.
C'est mon opinion. Elle n'est certainement pas universelle. Au bout du compte, je ne sais pas si vous voulez établir un classement ou simplement savoir que le fait d'ignorer ce qui pourrait devenir l'une des cinq principales économies du monde comporte des dangers. Si le Canada n'y va pas, quelqu'un d'autre ira. Pendant que nous discutons, ils débarquent. J'ai de la difficulté à trouver des places pour le Brésil, parce que les avions sont pleins.
Le sénateur Finley : À la dernière séance, nous avons parlé du fait qu'Air Canada avait un vol par jour. Quel est le seuil auquel un deuxième vol quotidien, peut-être de Montréal à Rio de Janeiro ou à São Paulo, s'imposerait? Il semble qu'aucune ligne aérienne brésilienne ne vienne au Canada.
M. Hewitt : Il y avait deux compagnies aériennes brésiliennes qui venaient au Canada : Varig Airlines, dans les années 1980, et TAM, avec quelques vols, mais ce trajet a été éliminé. Vous pouvez maintenant faire la correspondance avec TAM pour aller au Brésil en passant par Orlando, en Floride, ou par d'autres villes américaines.
Le sénateur Finley : Je n'essaie pas d'écarter le Brésil. J'essaie de mieux comprendre. Lorsque nous rédigeons un rapport, nous devons tenir compte de ce que nous avons dit dans d'autres rapports. Un jour, quelqu'un quelque part devra décider de la distribution des ressources, déterminera si nous devons investir moins dans un plus large éventail. Nous devons être terre-à-terre aussi quand il s'agit de compétition, très précisément de production à forte valeur ajoutée.
Je veux couvrir plus d'un aspect, si on me le permet. Tout le monde en a parlé, mais pas vous. Excusez-moi d'avoir manqué les premières minutes de votre exposé. C'est le sujet des visas. Les témoins qui vous ont précédé ont presque tous mentionné que notre système de traitement des visas était pratiquement archaïque en comparaison de celui de nos concurrents éventuels, dont les Américains. Qu'en pensez-vous? Est-ce une question importante à vos yeux?
M. Hewitt : Certainement. Dans le cas du Canada et du Brésil, il n'y a pas eu de visa pendant des années. Jusqu'à la fin des années 1970 ou au début des années 1980, sans doute, je pouvais aller au Brésil sans visa. C'était très facile. Maintenant, il m'en coûte environ 90 $. C'est simplement parce que le Canada a imposé un visa aux Brésiliens. Si je me souviens bien, c'était pour stopper le flot d'immigrants illégaux et de demandeurs du statut de réfugié qui venaient du Brésil. C'est une mesure courante, mais elle constitue un sérieux obstacle. J'aimerais que le gouvernement révise cela, particulièrement compte tenu des niveaux d'emploi au Brésil et de la qualité de la vie et, certainement, des niveaux de revenu qui augmentent, parce que cela aurait un effet positif.
Pour en atténuer l'effet, les Brésiliens, eux, accordent des visas de longue durée. J'ai un visa de cinq ans. Je peux donc voyager comme il me plaît. Eux, ils ont toujours soutenu que c'était une mesure réciproque et qu'ils étaient disposés à l'éliminer. Je crois que cela serait intéressant.
J'aimerais ajouter quelque chose à votre commentaire précédent sur le secteur de la haute technologie, les produits pharmaceutiques et Bombardier. Il y a beaucoup de BlackBerry au Brésil. BlackBerry vient d'annoncer un énorme investissement. La société construit une usine là-bas. Au Brésil, si on compare avec l'Inde et la Chine, les gens connaissent bien la technologie et ils l'adoptent rapidement. Regardez toutes les statistiques au sujet de Facebook et de Twitter, le nombre d'abonnés du Brésil est énorme. Ils sont dans les cinq premiers, partout.
Nous ne pouvons pas regarder ces marchés dans leur ensemble. Nous devons décider où nous voulons avoir un avantage, où nous voulons aller et ce que nous voulons y vendre. C'est un excellent exemple de la façon dont nous pourrions mieux profiter de l'accès à ce marché dans un autre secteur technologique, mis à part les aéronefs, et c'est depuis toujours une pomme de discorde, je le reconnais.
[Français]
Le sénateur Nolin : Monsieur Hewitt, c'est un plaisir de vous avoir comme témoin. J'ai été intrigué par votre réponse à propos des médias. Je voudrais explorer cela avec vous un peu. Est-ce que vous avez été témoin du traitement que les médias brésiliens font de ce qui se passe au Canada?
[Traduction]
M. Hewitt : Je ne dis pas que l'un est meilleur que l'autre. Selon moi, les médias brésiliens ont tendance à ignorer le Canada. En règle générale, il n'y a pas beaucoup de reportages sur le Canada dans les journaux ou les médias brésiliens. Je ne dis pas qu'ils sont négatifs. Ils ont été négatifs par le passé, surtout lorsque les relations étaient tendues, c'est-à-dire pendant le conflit Bombardier-Embraer et la crise du bœuf, mais je dirais que la couverture de ce qui se passe au Canada est mince au Brésil.
[Français]
Le sénateur Nolin : Compte tenu de tous les efforts que les gouvernements canadiens successifs investissent dans la construction de leurs rapports commerciaux avec les autres, croyez-vous que les gouvernements ou le gouvernement en poste devraient porter une attention particulière à ce que j'appellerais l'éducation des médias?
[Traduction]
M. Hewitt : C'est un élément. On envoie un signal, malgré tout ce qu'on investit, ce qu'on peut faire autrement et la diplomatie de haut niveau. Le simple fait d'indiquer que c'est une relation importante, qu'il y a de belles occasions à saisir dans cette relation, de reconnaître qu'en effet, nous sommes des concurrents dans divers secteurs mais aussi que nous pourrions beaucoup faire ensemble, cela aiderait à signaler qu'il faut peut-être explorer la relation et l'asseoir sur quelque chose d'autre que des aspects qui peuvent sembler négatifs à l'occasion, ou plus sensationnels que d'habitude.
Je vous donne un autre exemple, si vous voulez, d'un reportage récemment publié dans l'un des grands journaux canadiens, avec une photo du carnaval. La légende disait quelque chose sur le fait que les Brésiliens ne seront pas prêts pour les Jeux olympiques. Franchement, pourquoi avoir choisi cette légende? Cette attitude est omniprésente. Cela dit, au Brésil, vous ne verrez rien au sujet du carnaval d'hiver à Québec. On n'en dirait rien du tout.
[Français]
Le sénateur Nolin : Les gouvernements sont composés principalement de politiciens et le rapport entre les politiciens et les médias ne sont pas toujours harmonieux. Vous ne craignez pas que les médias soit dubitatifs face à une approche éducative gouvernementale à leur endroit?
[Traduction]
M. Hewitt : Je comprends, et je crois qu'il s'agit surtout d'envoyer des signaux, comme l'ont fait les gouvernements successifs, sur l'importance de marchés donnés. Il peut y avoir des missions commerciales, des visites de haut niveau ou des consultations et l'annonce d'efforts concertés plutôt qu'une approche plus proactive, éducative, qui j'en conviens aurait probablement des effets mitigés ou même négatifs.
Le sénateur Mahovlich : Il y a 30 ou 40 ans, le savoir-faire du Canada touchait l'exploitation minière, et nous exploitions plusieurs mines au Brésil. Est-ce que notre réputation était bonne, là-bas?
M. Hewitt : Je ne peux me fonder que sur ma propre expérience. J'ai voyagé dans de nombreuses régions du Brésil où l'exploitation minière est intensive encore aujourd'hui.
Le sénateur Mahovlich : Est-ce que nous sommes encore présents là-bas? Est-ce que vous parlez de Brascan?
M. Hewitt : Je le crois. Je ne peux pas vous donner d'information sur les intérêts qui sont là-bas et ce qu'ils y font, mais je lis à l'occasion dans les journaux des choses sur les compagnies minières canadiennes au Brésil. Pendant des années, Alcan était un gros joueur au Brésil. Moi qui ai visité de nombreuses villes et villages où Alcan menait des activités et qui ai parlé aux cadres et aux gens qui travaillaient pour Alcan, je peux vous dire que selon moi personne n'avait de commentaires négatifs à faire au sujet de l'investissement canadien. De fait, l'investissement canadien est souvent une source de fierté au Brésil.
Vous avez parlé de Brascan, une société que je connais bien et qui s'appelle maintenant Brookfield. Les Brésiliens vous diront s'ils savent quelque chose du Canada, que les Canadiens ont construit le réseau d'électricité à Rio et à São Paulo par l'entremise d'une société appelée Brazilian Traction, Light and Power Company, qui a été rebaptisée Light depuis cette époque. Ces services publics ont ensuite été vendus à des sociétés d'État à Rio et à São Paulo, mais ce sont des Canadiens qui ont mis au point la technologie innovatrice qui a permis d'inverser le courant d'une des grandes rivières de São Paulo et de produire une électricité qui a été distribuée dans toute la ville et dans la région. Les Brésiliens le savent.
Les intérêts de Brascan ont évolué, et il vaudrait mieux convoquer un témoin de Brascan ou des personnes qui, je le sais, pourraient vouloir parler de l'historique. Je pense entre autres au professeur Orde Morton. Il a travaillé à Brascan pendant des années, il est maintenant à la retraite. Il vous dira comment l'entreprise a évolué. Mais si je comprends bien, la société s'intéresse surtout à l'immobilier au Brésil, aux centres commerciaux et, je crois, à quelques installations d'hydroélectricité à petite échelle. Brascan a toujours eu bonne réputation, d'après moi. De nombreuses personnes connaissent le rôle que le Canada a joué au Brésil au début du XXe siècle.
Le sénateur Mahovlich : Je viens de Toronto. Vous avez dit que les Brésiliens se souciaient peu de vendre le Brésil aux Canadiens. Pourtant, autrefois, Toronto organisait une fois l'an un bal brésilien. Y avez-vous déjà assisté?
M. Hewitt : Oui.
Le sénateur Mahovlich : Selon moi, ils essayaient de nous vendre le Brésil.
M. Hewitt : Ils le font maintenant. Le bal était une activité de bienfaisance organisée par un expatrié brésilien. Un deuxième bal a aussi été organisé pendant des années à Harbour Castle, et aujourd'hui il y a des foires commerciales, des manifestations, des festivals du film et, bientôt, une activité commerciale pour présenter les vins brésiliens. Ils veulent faire concurrence aux Argentins et aux Chiliens. Ils essaient de nous vendre leur pays, c'est certain, mais je ne peux pas parler de ce que nous faisons au Brésil. Par contre, je peux vous dire qu'il y a une chambre de commerce Brésil-Canada très dynamique à Toronto et à São Paulo.
Le sénateur Mahovlich : Est-ce que Toronto a une importante population brésilienne?
M. Hewitt : Je crois qu'il y a environ 15 000 Brésiliens au sein d'une communauté portugaise beaucoup plus importante, qui compte probablement environ 100 000 membres.
Le sénateur Mahovlich : Nous avons des étudiants qui viennent du Brésil, de l'Inde et de la Chine. Il y en a environ 10 000 qui viennent de l'Inde. De nombreux étudiants indiens et chinois restent ici à la fin de leurs études, peut-être 25 p. 100. Vous avez dit que les étudiants brésiliens rentraient au Brésil.
M. Hewitt : Les étudiants viennent au Canada surtout pour apprendre l'anglais, et le Canada est devenu une destination de choix pour l'apprentissage de l'anglais.
Le sénateur Mahovlich : Ils apprennent l'anglais, et c'est tout.
M. Hewitt : En règle générale, ils viennent au secondaire ou après. Ce que je disais, c'est que s'ils sont ici, pourquoi n'essayerions-nous pas de les recruter dans les universités canadiennes? Nous pourrions recruter du talent au Brésil. Eux vont bien essayer de recruter les Canadiens. Nous sommes dans un marché mondial, et les gens travaillent là où il le faut; ils vont là où ils doivent aller. Il faut y penser et chercher dans le monde des talents au niveau des études supérieures si nous voulons que les gens restent au Canada et nous aident à développer nos entreprises.
Oui, nous pourrions faire plus, comme le mentionnait le sénateur Segal, pour que certains de ces étudiants doués viennent et demeurent ici.
Le sénateur Mahovlich : Est-ce qu'ils savent patiner?
M. Hewitt : Je sais que certains Brésiliens jouent au hockey de rue, mais ils sont peu nombreux. Ce qu'il faut demander, c'est s'ils jouent au soccer.
Le sénateur Downe : Vous avez dit qu'il y avait 15 000 Canadiens d'origine brésilienne à Toronto. Savez-vous quels sont les chiffres pour le Canada? Nous avons une importante population de Canadiens d'origine chinoise, c'est la plus importante minorité visible depuis au moins 10 ans. Un grand nombre de personnes sont venues d'Inde au Canada. Connaissez-vous les chiffres?
M. Hewitt : Vous me demandez pour l'ensemble du pays? À vue de nez, je dirais que si Toronto accueille l'essentiel des immigrants, et c'est probablement vrai, en particulier en provenance de cette partie du monde, ils sont peut-être 20 000, mais c'est une estimation grossière. Je ne connais aucune communauté importante à l'extérieur de Toronto, et je le saurais. Il y en a un petit nombre à Montréal, mais je ne crois pas qu'il y en ait beaucoup à Vancouver. Chez moi, à London, il n'est pas rare d'entendre parler le portugais au supermarché, parce qu'ils viennent avec les équipes de gestion travailler à la St. Marys Cement. Je n'ai pas mentionné Labatt, dont ils sont propriétaires, à l'intérieur d'un important consortium belge. Il est courant d'entendre parler le portugais.
Le sénateur Downe : J'imagine qu'il y a une communauté portugaise qui vient du Portugal et une autre qui vient du Brésil. Elles se considèrent comme distinctes, n'est-ce pas?
M. Hewitt : Oui. Ce sont des cousins.
Le sénateur Downe : Ils ont la même langue dans différents pays.
M. Hewitt : Oui.
Le sénateur Downe : Parlons un peu des médias. Quelles sont les activités menées pour produire une couverture positive du Canada au Brésil? Vous avez parlé d'un voyage de l'ancienne gouverneure générale.
M. Hewitt : Oui.
Le sénateur Downe : Quelle couverture ce voyage a-t-il produite pour le Canada au Brésil?
M. Hewitt : Curieusement, cela a été fort bien couvert, et pour une bonne raison : la délégation était présentée principalement comme une délégation culturelle. Nombre de Canadiens qui y sont allés connaissaient très peu le Brésil, et beaucoup étaient jeunes. Ils ont eu d'excellents rapports avec leurs homologues brésiliens. L'ancienne gouverneure générale est une personne très ouverte. Lorsque nous avons visité la ville de Salvador, nous avons vu Olodum, un groupe de percussion rendu célèbre par Paul Simon. Il prend les enfants des rues et il leur enseigne à jouer des percussions. Nous sommes allés à une soirée et, au grand désarroi de la GRC, la gouverneure générale s'est mêlée à la foule. C'était amusant de les regarder tous se déhancher, mais elle a eu beaucoup de plaisir. Les médias ont aimé le fait que les Canadiens semblaient bien s'amuser et apprécier la culture brésilienne. Nous avons eu des rencontres au sujet du cinéma et de l'art moderne et classique, et cela semblait trouver un écho. Partout, la couverture médiatique a été relativement bonne.
Le sénateur Downe : Je partage les préoccupations exprimées par d'autres aujourd'hui et lors d'autres audiences en ce qui concerne le peu d'intérêts que nous avons en commun. Nous n'avons pas la même culture ni la même langue. Nous avons une très petite population de ce pays chez nous. Le gouvernement n'a que des ressources limitées à allouer aux ententes commerciales. Il faut se demander où nous devrions faire porter notre attention. Vous avez expliqué l'importance du Brésil, aujourd'hui et pour l'avenir. Dans votre déclaration, je crois que vous avez dit que c'était la cinquième économie au monde.
Je reviendrai sur le thème de la concurrence. Vu la montée dans l'économie mondiale, le G8 ne peut pas survivre dans sa forme actuelle parce que le Brésil n'en est pas membre. Le Brésil pourrait s'approprier une partie de l'espace occupé par le Canada dans les milieux diplomatiques et militaires internationaux. Nous avons vu l'aide importante qu'il a fournie à Haïti. En matière commerciale, il s'intéressera aux marchés que nous avons dans d'autres pays.
M. Hewitt : C'est vrai.
Le sénateur Downe : Je veux préciser votre opinion. Je ne veux pas vous faire dire ce que vous n'avez pas dit, mais je crois que vous avez affirmé que dans certains secteurs nous devrions foncer, mais en choisissant nos cibles parce qu'il serait impossible de couvrir ce pays de la même façon que nous le faisons ailleurs, par exemple en Inde ou en Chine. Nous n'y aurions pas l'éventail des possibilités que nous avons dans ces autres pays.
M. Hewitt : Oui. Ce ne sont pas les pays qui comptent, mais les marchés ou les niches que vous choisissez dans tous ces pays. C'est peut-être la question la plus pertinente. Si nous pensons que la Chine et l'Inde ne sont pas nos concurrents, nous nous berçons d'illusions. Voilà l'idée : pouvons-nous arriver dans ces pays assez tôt pour conclure des alliances dans des secteurs stratégiques, malgré notre position compétitive, puis poursuivre ensemble d'autres marchés? J'entends souvent les Brésiliens en parler : si vous voulez nous intéresser, faites-nous concurrence, et nous verrons d'où vient le vent; peut-être que nous pourrons collaborer et poursuivre d'autres cibles. C'est un argument convaincant. Si nous attendons, c'est nous qu'ils poursuivront.
Le sénateur Downe : Vous êtes un spécialiste du Brésil. Savez-vous ce que les autres pays d'Amérique du Sud pensent de la montée du Brésil? Est-ce qu'ils y voient une menace? Est-ce qu'ils veulent se rapprocher du Brésil? Est-ce qu'ils veulent chercher d'autres alliances? Est-ce que le Canada aura plus d'occasions au Chili et en Argentine parce que ces pays voudraient renforcer leurs liens avec d'autres pays plutôt que de travailler avec le Brésil?
M. Hewitt : Je ne pense pas qu'on puisse douter que le Brésil occupe en Amérique du Sud une position semblable à celle des États-Unis en Amérique du Nord, certainement dans l'hémisphère. Après les États-Unis, pour ce qui est des pays auxquels on s'intéresse, le Brésil est en bonne position dans la liste si vous êtes au sud du Rio Grande, au Mexique. Par contre, le Brésil offre d'immenses possibilités au Chili et à l'Argentine. C'est en partie pour cette raison que les pays d'Amérique du Sud se tournent vers le Mercosur, quoique le Chili n'en soit peut-être pas membre, ils y voient une occasion de pénétrer le marché de la consommation dans la région. Le Brésil a la même perspective, mais vers l'extérieur. Maintenant, il y a cinq, six ou sept pays avec lesquels il peut certainement s'entendre.
Le Brésil joue aussi le rôle d'intermédiaire impartial dans la région. Nous l'avons vu dans les conflits. Cela est généralement apprécié. Je ne pense pas qu'il y ait de méfiance, d'animosité entre les pays de la région.
J'ai lu des passages des transcriptions. Est-ce que le Canada devrait s'engager dans le Mercosur? Personnellement, je crois que quand on parle des organisations multilatérales qui ont des avantages à offrir, nous ferions mieux de chercher à créer des alliances bilatérales solides. Le fait est que si vous êtes au Brésil, vous êtes dans le Mercosur, tout comme si vous voulez vendre aux États-Unis, vous vendez aussi au Canada. C'est ainsi qu'ils se positionneront, comme le feraient d'autres pays. Personnellement, je préfère le bilatéralisme, si c'est un mot, au multilatéralisme.
Le sénateur Downe : Je voulais vous demander quelque chose dont vous avez parlé, au sujet de l'industrie aérienne et de sa croissance au Brésil. Compte tenu de son voisinage, le Brésil envisage sans doute d'accroître sa puissance militaire au cours des 20 ou 25 prochaines années. Qu'est-ce que vous savez à ce sujet?
M. Hewitt : Je ne le pense pas. Sur le plan géopolitique, le Brésil s'inquiète de ses frontières tout comme nous nous soucions de notre souveraineté dans l'Arctique. Il y a aussi la question de sécurité liée au trafic des stupéfiants qui entre en compte. Les Brésiliens s'inquiètent des régions frontalières, mais je n'ai rien entendu à ce sujet. Ils maintiendront leur armée et ils l'équiperont et s'ils le peuvent ils produiront eux-mêmes une bonne partie de leur équipement, ou alors en collaboration avec d'autres pays. Aermacchi, en Italie, a collaboré avec Embraer pour produire un avion-école militaire. Est-ce que nous n'aurions pas pu le faire? Nous ne l'avons pas fait, pour une foule de bonnes raisons.
Le sénateur Downe : Un témoin précédent a mentionné une transaction avec la France pour X avions militaires, mais une grande partie de ce marché portait sur un transfert de technologie. On soupçonnait que cela pouvait indiquer des projets d'expansion militaire. Vous n'avez pas entendu parler de cela?
M. Hewitt : Je ne le crois pas. Le Brésil exploite des centrales nucléaires depuis des années, et personne n'a jamais dit, du moins depuis une vingtaine d'années, que cela constituait une menace pour quiconque.
La présidente : Je ne pense pas qu'il était question d'expansion de l'armée, mais plutôt d'expansion de la capacité militaire, pour vendre dans la région.
M. Hewitt : Peut-être, oui.
La présidente : Ils voulaient la technologie, pour pouvoir être les premiers à l'offrir dans la région.
M. Hewitt : Cela serait logique, de fait, mais je ne peux pas dire si c'est véritablement le cas.
La présidente : Quant à savoir si nous devons songer au Brésil et si c'est une terre de possibilités, j'ai eu l'occasion de voler à bord d'aéronefs de Bombardier en Uruguay. L'équipement de nouvelle génération de Bombardier m'a étonnée, et je serais ravie si nous pouvions avoir cet appareil ici, au Canada. Les avions à réaction de nouvelle génération sont utilisés en Uruguay. Bombardier a remporté le contrat, et l'Uruguay est voisin du Brésil, il fait partie du Mercosur. Évidemment, Bombardier a les métros.
Devrions-nous adopter une toute nouvelle stratégie? Je me demandais si c'était ce que vous sous-entendiez quand vous avez dit qu'il fallait faire des affaires, que nous ne devrions pas nous demander si ce sont des concurrents, mais plutôt chercher de nouvelles façons, sur le plan politique, de travailler au Brésil et de nouvelles façons de travailler avec le Brésil. Nous avons entendu dire que Bombardier pourrait collaborer avec Embraer pour cibler d'autres marchés. Est-ce que nous tournons en fond, devrions-nous envisager de nouvelles façons de faire des affaires dans le monde? Est- ce que c'est ce que vous dites?
M. Hewitt : C'est ce que je dis. Il nous faut une nouvelle approche, parce que l'approche actuelle est inefficace. Nous ne pourrons pas conclure d'alliance au Brésil, trouver de nouvelles collaborations ni saisir d'occasions si nous faisons simplement valoir ce que nous avons en commun et si nous essayons de vendre ce que nous avons comme avantage canadien aux Brésiliens. Ils ne seront pas intéressés. Ils l'ont déjà indiqué. Ils voudraient collaborer pour renforcer des atouts existants dans les deux pays, produire des technologies, des services et des avantages qui pourront être vendus dans les deux pays ou à des tiers, au profit de nos deux pays. C'est ainsi que je vois les choses.
La présidente : Ils veulent faire des affaires avec nous, mais autrement?
M. Hewitt : Exactement. La rhétorique du passé a échoué, et la diplomatie traditionnelle aussi. Je peux vous dire que j'ai assisté à trop de réunions avec des représentants des gouvernements canadien et brésilien et avec d'autres, y compris des universitaires et des représentants d'industries, où on répétait toujours les mêmes choses. Au bout du compte, les Brésiliens rentrent chez eux et les Canadiens aussi, et il ne se passe rien, selon moi.
La présidente : Une des nouvelles approches, au Canada, consiste à mettre l'accent sur les possibilités commerciales entre les provinces et des pays étrangers. Le Canada sert de facilitateur pour la Saskatchewan ou l'Ontario, et cetera. Devrions-nous envisager de nouvelles façons de travailler avec les États au Brésil? On nous parle de São Paulo et de Rio, mais il y a d'autres États qui offrent des possibilités qui ne sont pas encore au même niveau que celles de Rio ou de São Paulo. Certains commencent à conclure des affaires. Vaudrait-il mieux chercher de nouvelles avenues au Brésil, en raison de la taille du pays? Essentiellement, ce sont des pays à l'intérieur d'un pays, m'a dit quelqu'un, plutôt que des États qui forment un pays.
M. Hewitt : Oui. Le Québec entretient depuis longtemps une relation particulière avec le Brésil, mais pas avec des États précis, selon moi. Il y a probablement plus d'étudiants brésiliens au Québec et d'étudiants québécois au Brésil que partout ailleurs au Canada. Dans une large mesure, cette association porte sur la culture — la littérature, le cinéma, les arts. J'ai assisté il y a trois ans à une réunion de l'Association des étudiants canadiens au Brésil. Il y avait 300 universitaires de toute l'Amérique du Sud, dont 100 venaient du Brésil. Parmi eux, je dirais qu'environ les deux tiers ou les trois quarts avaient effectué la majeure partie de leur recherche ou de leurs travaux sur des thèmes qui, s'ils touchaient le Canada, se rapportaient au Québec. Le Québec a certainement réussi à nouer des liens solides, de diverses façons.
Ce serait une question qui relève des provinces. L'Ontario, par exemple, devrait engager le dialogue avec l'État de São Paulo et chercher un avantage particulier, économique ou universitaire ou pour favoriser la mobilité étudiante. L'Ontario, si j'ai bien compris suite à des conversations avec des hauts fonctionnaires, n'est pas encore prêt.
Le sénateur Di Nino : Vous avez parlé du Québec comme destination attrayante pour les étudiants ou l'éducation.
M. Hewitt : Et les universitaires.
Le sénateur Di Nino : Vous avez dit, au début, qu'ils venaient au Canada pour apprendre l'anglais. Est-ce que c'est ce qu'ils font au Québec? Est-ce qu'ils apprennent l'anglais ou est-ce que c'est différent?
M. Hewitt : La relation avec le Québec est historique et se situe surtout au niveau des chercheurs, des professeurs, des artistes et, sans doute, des étudiants diplômés. La vague d'étudiants est récente. Ils viennent en grand nombre pour apprendre l'anglais, mais ils vont évidemment dans le Sud-Ouest ontarien. Je le sais parce que je les vois chaque été dans l'Ouest, à Vancouver.
Le sénateur Di Nino : Au Québec, ils étudient autre chose que la langue?
M. Hewitt : Oui.
Le sénateur De Bané : Monsieur Hewitt, vous êtes sociologue de formation?
M. Hewitt : En effet.
Le sénateur De Bané : J'aimerais poser une question au sociologue. Nous verrons si vous avez la même réaction que moi.
Comme vous le savez, en Amérique latine pour l'installation d'un nouveau président il y a une particularité. Ils invitent tous les pays des Amériques, le Canada envoie toujours un ministre à l'installation d'un président dans les Amériques. Les seuls pays invités sont les pays d'Amérique, et le Canada se rend à l'invitation. Toutefois, quand le Canada installe un dignitaire, nous ne les invitons jamais.
Vous qui êtes sociologue, comment pensez-vous qu'ils interprètent notre comportement?
M. Hewitt : Cela nous ramène à ce que j'ai dit précédemment sur la façon de créer un climat plus amical. Le gouvernement devrait rendre la politesse et songer à envoyer un premier ministre en poste pour l'installation du président brésilien. Le président brésilien précédent était en place depuis huit ans. Si je me souviens bien, il n'a jamais fait de visite officielle au Canada, mais je crois qu'il est passé par Vancouver brièvement pour une raison quelconque.
Le sénateur De Bané : Le président Cardoso est venu au Canada.
M. Hewitt : Le président Cardoso a visité mon université, mais je ne pense pas que le président Lula soit jamais venu ici.
Le sénateur De Bané : Nous acceptons leurs invitations, mais nous envoyons un simple ministre, pas le premier ministre. Toutefois, quand nous installons un nouveau premier ministre, nous ne les invitons pas. Je trouve cela scandaleux. Je suis heureux d'en parler avec un sociologue. Je formule cette recommandation au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international depuis des années. Il est scandaleux d'accepter leurs invitations, mais de juger qu'ils ne sont pas dignes des nôtres. C'est absolument scandaleux. C'est peut-être pour cela que lorsqu'ils pensent au Nord, ils pensent aux États-Unis et croient que le Canada fait partie de l'Angleterre. J'ai souvent entendu cela. Pour eux, le Canada, le Royaume-Uni et la monarchie, c'est du pareil au même. Est-ce que j'ai raison?
M. Hewitt : En partie. Je vais vous laisser continuer à faire des suggestions.
Le sénateur De Bané : J'aimerais que vous fassiez un commentaire.
M. Hewitt : Le Canada s'est engagé plus directement dans les Amériques. Je suis allé à l'OEA, l'Organisation des États américains. Le Canada y est beaucoup plus présent que par le passé. Nous sommes mieux connus dans la région. Nous travaillons sur divers fronts, bilatéraux et multilatéraux. Nous pourrions peut-être y songer quand il s'agit de rendre les politesses.
Je ne suis pas spécialiste de la sociopolitique et certainement pas politicologue. Toutefois, j'ai relevé une différence entre le Canada et les États-Unis quand notre délégation est arrivée à Brasília avec l'ancienne gouverneure générale. Nous sommes arrivés à bord de l'Airbus des forces armées. Il était peint en gris et on pouvait lire le mot Canada sur ce fond gris, à condition de ne pas porter de lunettes de soleil. À l'aéroport de Brasília, nous avons vu non pas un, ni deux, mais bien trois avions à réaction sur le tarmac, avec l'inscription « President of the United States of America ». Le président n'était pas là, mais des hauts fonctionnaires étaient arrivés. J'ai demandé ce qu'ils faisaient là-bas, et on m'a répondu qu'ils étaient là pour négocier un accord commercial. Tout ce qui se passait au Brésil a été éclipsé par cette activité particulière. Je dois dire que les États-Unis, pour diverses raisons, accordent une attention particulière au Brésil et à l'Amérique du Sud et ils agissent avec une sorte de déférence et de compréhension que le Canada n'a pas encore manifestées ou qu'il ne manifestera pas pour diverses raisons. Je peux vous affirmer qu'on le remarque, au Brésil.
Le sénateur De Bané : C'est bien vrai. Monsieur Hewitt, le Brésil compte 200 millions d'habitants, et ils seront 400 dans une trentaine d'années. Est-ce que le Brésil a des mécanismes protectionnistes ou est-ce qu'il commence à s'ouvrir?
M. Hewitt : Au départ, le Brésil a traversé une période de protectionnisme, de substitution des importations, un peu comme le Canada l'a fait après la Seconde Guerre mondiale. Je ne peux parler au nom du gouvernement brésilien, de la Banque centrale ni autrement, mais cela est moins marqué aujourd'hui. Le flux des importations augmente, et cela pourrait être une source d'inquiétude pour le gouvernement, au sujet de la balance commerciale, tout comme cela le serait pour le Canada. Je le remarque beaucoup moins aujourd'hui qu'il y a 20 ans.
Le sénateur De Bané : Je pose ma dernière question par simple curiosité. À titre de vice-président à la recherche et aux relations internationales, combien de mois par année passez-vous à l'étranger?
M. Hewitt : Je voyage tous les mois.
Le sénateur De Bané : Vous allez sur tous les continents?
M. Hewitt : Oui.
Le sénateur De Bané : Eh bien!
M. Hewitt : Et encore plus souvent à Ottawa.
Le sénateur De Bané : Pourriez-vous nous dire ce que font les autres pays? Qu'est-ce que vous diriez au Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international?
M. Hewitt : Je dirais que si vous regardez comment le secteur universitaire s'y prend pour établir des relations internationales, ce que nous faisons pour diverses raisons et pas seulement pour attirer des étudiants doués, mais aussi pour produire de la recherche en collaboration parce que nous ne pouvons plus tout faire chez nous et établir des relations avec des entreprises, nous ne ciblons plus uniquement les pays; nous ciblons des régions à l'intérieur des pays, pour essayer de profiter de la présence d'universités. Lorsque je vais en Inde, je ne vais pas partout en Inde. Je choisis quelques établissements dans une région donnée de l'Inde où je crois avoir un avantage concurrentiel et où j'établirai des relations aussi solides que possible. Nous faisons la même chose en Chine, à Hong Kong et au Brésil. Si on me le demandait — et on ne me l'a jamais demandé —, je dirais au gouvernement du Canada de faire précisément ce que j'ai dit un peu plus tôt : premièrement, réfléchissez de façon innovatrice et apprenez à apprécier et à mieux comprendre la mentalité de votre cible et la façon de la mobiliser. Deuxièmement, ciblez dans un pays des secteurs, des segments, des aspects et des occasions qui donnent un avantage au Canada et, si vous le pouvez, qui font que tous y gagnent.
Le sénateur De Bané : Merci beaucoup.
Le sénateur Downe : Excellent conseil.
Le sénateur D. Smith : Où allez-vous en Inde et quelles sont vos cibles?
M. Hewitt : Vous me demandez de révéler mon avantage concurrentiel. C'est du domaine public; je le sais. J'ai probablement dit des choses que je n'aurais pas dû dire, mais je peux vous dire que nous ciblons les meilleurs instituts de technologie indiens, en particulier ceux que de nombreuses universités évitent pour diverses raisons, entre autres pour des motifs liés à la logistique ou au transport, ou par simple négligence. C'est notre approche stratégique. Nous ciblons les meilleures écoles, mais pas celles que tous les autres ciblent. Je ne tirerais pas d'avantages de cela.
Le sénateur D. Smith : Est-ce que c'est à Hyderabad que nous sommes allés?
M. Hewitt : Pas à Hyderabad. Nous pourrions en parler en privé, j'en suis certain.
La présidente : Je ne pense pas que nous ayons le temps de faire le tour des États indiens. Est-ce que cette réponse vous satisfait, sénateur Smith? Vous pourriez peut-être en parler officieusement plus tard.
M. Hewitt : Je vais vous donner mon adresse électronique.
Le sénateur Mahovlich : D'où viennent les meilleurs étudiants?
M. Hewitt : Dans le monde?
Le sénateur Mahovlich : Oui.
M. Hewitt : C'est une bonne question. Autrefois, je vous aurais dit d'Allemagne, de France ou de Scandinavie. Aujourd'hui, il y a d'excellentes écoles et des étudiants brillants même dans les économies émergentes. Ils sortent de très bons programmes. Je crois que toutes les universités et tous les pays qui ne cherchent pas dans tous les meilleurs endroits risquent de perdre du terrain. Si vous me demandez où nous regardons aujourd'hui et où nous trouvons les meilleurs étudiants, je vous répondrai que c'est en Inde. Environ un pour cent des candidats sont acceptés dans les instituts de technologie indiens. Ces étudiants deviennent instantanément et automatiquement la crème de la crème dans ce pays, alors vous les voulez. Il y a aussi la Chine, dans les meilleurs établissements, et le Brésil, dans cinq ou six établissements, et évidemment les marchés traditionnels aux États-Unis et en Europe. De plus en plus, nous nous tournons vers Singapour et la Corée du Sud. Il faut chercher ces établissements partout. Ce n'est plus une question d'aller dans un seul endroit du monde. Tout le monde va dans ces endroits. Le talent est partout. Il est mobile, il se déplace. Les frontières n'ont plus aucune importance. Le Canada doit compétitionner dans ce contexte. C'est une vérité fondamentale.
[Français]
Le sénateur Fortin-Duplessis : Ma question touche plus la politique et j'aimerais avoir votre opinion. L'énorme prédominance du Brésil en Amérique du Sud en fait, certes, une puissance incontournable et incontestée. Une large proportion de pays dans le monde accepte toujours les invitations du Brésil. Ils rejoignent les sommets et les organisations que le Brésil met sur pied. Sa médiation est presque toujours la bienvenue. Ces pays l'acceptent volontiers. On admet sans ambages que plusieurs de ces initiatives, entre autres, ont vraiment contribué à désamorcer les conflits entre la Colombie et ses voisins.
Selon vous, pourquoi les pays importants de la région n'appuient-ils pas les revendications du Brésil sur un siège permanent au Conseil de sécurité de l'ONU? En outre, ces initiatives de faire élire ses représentants à la tête d'organisations internationales sont presque systématiquement sabotées par ses voisins? Avez-vous été en mesure d'observer ce qui se passe?
[Traduction]
M. Hewitt : J'insisterais probablement plus sur la première partie de la question en ce qui concerne le Brésil et le soutien qu'il reçoit ou non de ses voisins et je me contenterais de dire que les pays qui montent, particulièrement s'ils sont voisins, pourraient avoir une position quelque peu compétitive. Dans la région, on s'inquiétera de la prédominance du Brésil et de ses aspirations, et cela pourrait influer sur les résultats. Pour le reste, et en ce qui a trait précisément au Conseil de sécurité, je ne peux vraiment pas m'avancer.
[Français]
Le sénateur Fortin-Duplessis : Peut-être que vous auriez pu avoir observé quelque chose.
Le sénateur Nolin : Monsieur Hewitt, ma question suit celle de ma collègue. Dans Le Monde Diplomatique, je présume que vous ne lisez pas le français, mais dans l'édition de mars, on titre Alliance insolite. On fait référence au fait que le BRIC est maintenant devenu le BRICS parce que l'Afrique du Sud s'y est joint. Je n'essaie pas de comprendre pourquoi elle est insolite. Mais un Canadien qui s'informe sur le Brésil découvre que, pour les Français, il s'agit là d'une alliance insolite. Croyez-vous que le Canada est à même d'apprécier les subtilités de la multilatéralité Sud-Sud? En ce qui concerne toutes ces alliances entre les pays du Sud — cela rejoint les préoccupations de ma collègue — et vous venez d'y faire référence dans le choix des meilleurs étudiants, croyez-vous que les Canadiens sont à même de saisir ces subtilités alors que nous sommes plus futés dans ce que nous appelons le monde occidental, mais qui est principalement le monde du Nord occidental?
[Traduction]
M. Hewitt : Je le pense. Le Canada est membre du Commonwealth, et nombre des membres du Commonwealth font très certainement partie de l'hémisphère sud. C'est évident, et la même chose vaut pour les pays de la Francophonie.
Pour répondre à votre question, non, ou du moins probablement pas. Même si nous avons de nombreuses personnes qui comprennent non seulement la dynamique du Sud, mais aussi le rôle du Canada à cet égard — et je suis l'une d'elles —, je crois qu'en règle générale et sur le plan politique, à ce niveau, cela est mal compris. C'est une des choses qu'il nous faut comprendre. Comme je l'ai dit, si nous voulons nous engager au Brésil, nous devons comprendre les aspirations des Brésiliens. Pourquoi le Brésil s'intéresse-t-il à l'Afrique? L'Afrique est une priorité du Brésil à l'heure actuelle. Pourquoi? En partie, parce qu'il y a tout un héritage de liens entre l'Afrique et le Brésil. De nombreux pays africains parlent le portugais. L'Afrique progresse rapidement dans le monde, aujourd'hui, en matière de qualité de vie, d'industrialisation et d'adoption de la technologie. Allez-y, vous verrez. La stratégie brésilienne — et c'était aussi celle de la Chine pendant quelque temps, et ça l'est peut-être encore — est que si vous arrivez à pénétrer ce marché maintenant, à créer des alliances, à établir des liens et à cultiver la confiance, ces marchés vous seront acquis, ils seront avec vous, ils seront vos alliés en permanence à l'avenir. Nous devons comprendre cela, comme nous devons comprendre pourquoi le Brésil courtise la Chine et l'Inde et pourquoi il regarde la Russie, si c'est bien ce qu'il fait.
Il est indéniable que nous avons la capacité analytique voulue, au Canada, nous en avons énormément. Toutefois, je ne pense pas qu'il y ait une véritable appréciation de cela au niveau politique, disons.
[Français]
Le sénateur Nolin : Si je comprends bien, pour apprécier à sa juste valeur l'importance de la relation du Canada avec le Brésil, nous allons devoir tenter de comprendre l'importance pour le Brésil de sa relation avec ces pays du Sud.
[Traduction]
M. Hewitt : Cela vaudrait mieux que de se contenter d'attendre... que le Canada, le gouvernement, le pays attende de savoir si le Brésil aimerait travailler avec nous.
Le sénateur Nolin : Évidemment. C'est exactement ce que je dis.
M. Hewitt : Nous devons être proactifs et mieux comprendre où ils vont et pourquoi, et peut-être aussi pourquoi nous pourrions y aller avec eux. Cela nous ramène à nouveau à la nécessité vitale de repenser notre façon d'aborder des pays comme le Brésil.
La présidente : C'est peut-être évident, mais si nous devons examiner les aspirations du Brésil, nous devrons aussi connaître celles des autres pays d'Amérique du Sud et savoir si elles sont en harmonie avec celles du Brésil ou s'il y aura une réaction. Des pays ont reculé devant certains dirigeants en Afrique par le passé. Les choses sont en train de changer. L'Afrique du Sud s'est imposée; le Nigeria est à l'avant-plan; l'Égypte s'efforce — et je ne parle pas des difficultés actuelles en Égypte, je parle seulement de la situation depuis cinq ou 10 ans — de retrouver son influence passée. Les allégeances évoluent sans cesse. Vous dites que nous n'avons pas étudié cela au Canada.
M. Hewitt : Certains l'ont fait. C'est indéniable. Comme je l'ai dit, nous avons une capacité analytique. Il s'agit maintenant de savoir si nous allons les écouter et ce que nous retiendrons dans nos politiques, ce que nous mettrons en œuvre par l'entremise de nos ministères, en particulier Affaires étrangères et Commerce international, et du gouvernement du Canada. Nous, les universitaires, nous le voyons constamment. Nous voyons les politiques gouvernementales et nous lisons les journaux, et souvent nous nous demandons pourquoi une attitude ou une mesure donnée a été adoptée et pourquoi personne ne nous écoute, alors que nous avons passé des années à essayer de comprendre ces choses.
Le sénateur Nolin : Cela nous ramène à l'attitude que mon collègue le sénateur De Bané mentionnait : une ignorance profonde.
La présidente : Notre étude pourrait peut-être se pencher sur les raisons pour lesquelles les politiques ne reflètent pas cette information.
M. Hewitt : Si vous ne faites rien de plus que cela, ce serait déjà beaucoup. Je vous appuierais certainement.
Le sénateur Nolin : Nous allons essayer de faire au moins cela.
La présidente : La présidente s'est permis de poser une question. Maintenant, le vice-président veut en poser une, et je dois accéder à sa demande.
Le sénateur Downe : Selon vous, le Brésil est-il prêt à assumer, veut-il assumer ou se verrait-il assumer un rôle dominant dans la région? Par exemple, si j'ai bien compris, quand il y a des problèmes en Amérique du Sud les États- Unis interviennent et les résultats sont souvent malheureux, je pense par exemple au Chili et, dans une moindre mesure, au Brésil. Est-ce que le Brésil verrait reculer d'autres pays? Par exemple, si l'Argentine éprouvait des problèmes financiers ou autres, est-ce que le Brésil serait le pays logique pour régler ces difficultés, ou dirait-il encore : « Ce n'est pas vraiment notre problème, nous faisons autre chose »? Comment cela fonctionnerait-il?
M. Hewitt : Je crois que ce serait la première hypothèse. Je ne peux pas parler pour le gouvernement brésilien, mais dans le contexte du Mercosur, oui, il aurait énormément intérêt à intervenir. Est-ce que les États-Unis seraient intéressés? Oui, bien sûr. Dans les dossiers qui intéressent l'Amérique du Sud, les États-Unis discutent presque toujours avec le Brésil, c'est naturel. C'est ce que je pense. Je ne parle pas pour ces gouvernements, mais c'est ce que j'ai pu observer par le passé.
La présidente : Merci, monsieur Hewitt. Votre témoignage était très intéressant. Quand nous avons commencé, je me sentais un peu pessimiste. Je me demandais pourquoi nous avions lancé cette étude, mais vous terminez sur une note qui nous indique que nous avons beaucoup d'éléments à examiner au sujet de la politique étrangère, sur le plan stratégique, quand nous parlons de commerce international. Nous devons peut-être mettre nos vieilles idées au rancart et utiliser de nouveaux modèles. Peut-être que notre étude aura cet effet. Votre contribution nous a été utile.
Merci, honorables sénateurs, merci monsieur Hewitt. La séance est levée.
(La séance est levée.)