Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 17 - Annexe 1120-04-02-3.40/L1-s-1-,18 « 1 »
Décision de la présidence
Il s'agit d'un rappel au Règlement très inhabituel, soulevé à huis clos. Il renvoie à la recevabilité, en procédure, d'amendements dont le Comité n'a pas encore été officiellement saisi. Toutefois, la décision que je m'apprête à rendre renferme l'essentiel de la décision que je rendrais si un rappel au Règlement semblable était soulevé après la présentation d'amendements semblables durant l'examen article par article du projet de loi C-464. Il ne s'agit pas ici d'un commentaire sur le caractère souhaitable ou non de ces amendements.
Aux fins de cette décision, j'ai consulté le vice-président du comité, le sénateur Wallace. J'ai aussi consulté les greffiers au Bureau. J'ai examiné les discours faits à l'étape de la deuxième lecture au Sénat et la transcription des délibérations du comité, et j'ai lu les notes de service du personnel sur la réunion à huis clos de la semaine dernière. J'ai aussi reçu des conseils du légiste, et j'ai consulté des ouvrages de référence tels que la deuxième édition de La procédure et les usages de la Chambre des communes, le Beauchesne (6e édition) et Erskine May (23e édition). Avant de rendre ma décision, j'ai également lu des décisions de Présidents du Sénat.
En ce qui concerne le projet de loi C-464 et les amendements proposés, voici mes réflexions. Le projet de loi C-464 modifie l'alinéa 515 (10)b) du Code criminel qui dit que la mise en liberté sous caution peut être refusée lorsque la détention est nécessaire pour la protection ou la sécurité du public, notamment celle des victimes et des témoins de l'infraction. Le projet de loi modifierait le Code pour ajouter à cette courte liste les mots « ou celle des personnes âgées de moins de dix-huit ans ». Le projet de loi ne vise pas à modifier la loi mais à la clarifier, se voulant un « drapeau rouge » pour signaler au juge l'importance de tenir compte de la sécurité des personnes de moins de dix-huit ans.
Le premier amendement proposé par le sénateur Carignan modifierait un autre élément de l'article 515, soit l'alinéa 515(4)e.1), qui traite des autres conditions pouvant figurer dans l'ordonnance de mise en liberté. Aux termes de l'alinéa en vigueur, des conditions peuvent être indiquées dans l'ordonnance pour assurer la sécurité « des victimes ou des témoins de l'infraction ». Il n'est pas question du public, dans cette disposition. Le sénateur Carignan voudrait amender le projet de loi pour ajouter à cette liste courte et limitée « les personnes âgées de moins de dix-huit ans ». Par conséquent, cet amendement modifierait le fond de la loi.
Le deuxième amendement proposé par le sénateur Carignan modifierait une autre disposition du Code, l'alinéa 518(1)d.2), qui traite des preuves que le juge de paix doit prendre en considération lorsqu'il établit les conditions de la mise en liberté. Cet amendement ajouterait à cette disposition du Code des preuves relatives à la sécurité des « personnes âgées de moins de dix-huit ans ». Encore une fois, il s'agit d'une modification touchant le fond de la loi.
Sur le plan de la procédure, les ouvrages de référence sont unanimes : un amendement est irrecevable s'il ne concerne pas le projet de loi, s'il dépasse sa portée, s'il va à l'encontre du principe du projet de loi ou s'il altère ce principe.
Par ailleurs, j'ai consulté la décision rendue par le Président Kinsella le 9 décembre 2009. Voici ce qu'on pouvait y lire :
[...] tout amendement proposé en comité doit respecter le principe et la portée du projet de loi et être pertinent.
[...]
Comme le sénateur Comeau l'a souligné, normalement, un amendement ne devrait pas être proposé s'il vise à modifier une loi existante, sauf si le projet de loi à l'étude propose de modifier la loi en question. En outre, de façon générale, seuls les aspects de la loi initiale que vise déjà le projet de loi peuvent être modifiés. À la Chambre des communes, cela semble avoir été interprété de manière très stricte. En effet, un amendement qui ne respecte pas ces critères, même s'il est directement pertinent ou s'il vise à corriger une omission non intentionnelle, ne sera pas accepté.
Comme c'est souvent le cas et compte tenu de son approche particulière, le Sénat n'a pas été aussi strict à cet égard. Même s'il s'agit d'une situation plutôt rare, la pratique veut qu'une proposition d'amendement à un projet de loi modifiant une loi existante puisse porter sur des articles de la loi initiale qui ne sont pas modifiés par le projet de loi, à condition qu'il existe un lien étroit et direct entre un article du projet de loi et le changement à la loi initiale qui est visé par la proposition d'amendement.
Les amendements proposés sont-ils pertinents? Se rapportent-ils à la portée ou au principe du projet de loi C-464? Des arguments peuvent être présentés d'un côté comme de l'autre.
Comme le sénateur Banks, qui parraine le projet de loi au Sénat, l'a souligné au comité, les parrains ont jugé à- propos de procéder une étape à la fois. Dans le sommaire, il est indiqué que ce projet de loi s'applique uniquement aux prévenus sous garde. Sa portée est donc limitée. De plus, il sert uniquement à clarifier la loi, et non à en modifier la teneur. Cela, parce que les personnes âgées de moins de dix-huit ans sont déjà des membres du « public », donc déjà protégées par la loi en vigueur, tandis que les amendements proposés modifieraient le fond de la loi.
Cela dit, il est clair, surtout durant les débats en chambre, que les parrains et les autres sénateurs se préoccupaient surtout de la nécessité de tenir compte de la sécurité des personnes âgées de moins de dix-huit ans lorsque la mise en liberté est envisagée et de s'assurer que les juges disposent de tous les renseignements utiles.
Un autre indicateur de la portée du projet de loi C-464 est la teneur de ce projet de loi. Ce projet de loi vise les personnes de moins de dix-huit ans et fait ressortir la nécessité de veiller à leur protection lorsqu'il y a mise en liberté provisoire. Les deux amendements proposés abondent dans ce sens.
Un autre indicateur figure dans les premiers mots de l'article 518, qui se lisent comme suit : « Dans toutes procédures engagées en vertu de l'article 515 ». Autrement dit, l'article 518 est étroitement et directement lié à l'article 515; c'est simplement un prolongement de cet article.
Du point de vue du fond, si un juge est habilité à fixer des conditions pour assurer la sécurité d'une personne âgée de moins de dix-huit ans aux termes de l'alinéa 515(4)e.1), il est logique d'exiger qu'il prenne en considération les preuves pour assurer la sécurité d'une personne âgée de moins de dix-huit ans. Par conséquent, si le premier amendement proposé est autorisé, le deuxième devrait l'être également.
Un quatrième indicateur de la portée du projet de loi C-464 est la Loi modifiant le Code criminel (Victimes d'actes criminels), L.C. 1999, ch. 25. Cette loi a modifié chacune des dispositions du Code criminel visées par le projet de loi C- 464 et les amendements proposés : 515(4)e.1), 515(10)b), et 518(1)d.1). Ces dispositions ont été considérées ensemble dans une mesure législative antérieure, et il serait donc permis de croire qu'elles sont toutes du même ordre.
Le projet de loi C-464 vise les personnes âgées de moins de dix-huit ans et attire l'attention sur leur protection dans le contexte d'une mise en liberté provisoire. Les deux amendements proposés abondent dans ce sens.
Par conséquent, il est clair que des arguments convaincants peuvent être avancés d'un côté comme de l'autre. J'ai donc consulté des décisions des Présidents pour obtenir d'autres éclaircissements :
Le 2 avril 1998, voici ce que déclarait le Président Molgat :
[...] il faut présumer, jusqu'à preuve du contraire, que les choses sont conformes ou régulières. Cette supposition m'indique que la meilleure règle à suivre pour le Président est d'interpréter le règlement de manière à permettre le débat au Sénat, sauf s'il est manifeste que la question à débattre est inadmissible.
Le 24 février 2009, voici ce que déclarait le Président Kinsella :
[...] certains Présidents du Sénat ont préféré supposer que la question était recevable, à moins d'indication contraire ou jusqu'à preuve du contraire. Ce parti pris en faveur du débat, sauf lorsque la question est clairement irrecevable, est essentiel au maintien du rôle du Sénat en tant que chambre de discussion et de réflexion.
Le 3 juin 1999, voici ce que déclarait le Président Molgat :
Je ne pense pas que la pertinence des amendements soit mise en doute. Leur contenu ne donne nullement à penser qu'ils introduisent dans le projet de loi des dispositions superflues ou étrangères à ce dernier. La véritable question consiste à déterminer s'ils vont à l'encontre de son principe. Ont-ils pour effet d'altérer ce principe? À moins que ce ne soit le cas sans l'ombre d'un doute, je me dois en tant que Président de les admettre et de laisser le Sénat lui-même juger de leur bien-fondé.
[...]
Il ne m'appartient pas de décider si ce sont là des objectifs souhaitables. Il m'incombe d'évaluer si les amendements proposés dépassent la portée du projet de loi, s'ils vont nettement à l'encontre de son principe ou s'ils altèrent ce dernier sans l'ombre d'un doute. À mon avis, ce n'est pas le cas.
Le 13 juin 1996, voici ce que déclarait le Président Molgat :
Les arguments qui ont été présentés sont convaincants, certes, mais pas concluants.
[...]
[...] il est préférable que le Sénat lui-même, et non le Président, détermine si ces amendements doivent ou non être incorporés dans le projet de loi.
Après avoir examiné le projet de loi et les amendements proposés et soupesé les divers arguments, je déclare que les amendements proposés par le sénateur Carignan ne vont pas à l'encontre du principe du projet de loi. Ces amendements proposés sont recevables et peuvent être pris en considération par le comité.