Aller au contenu
SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 18 - Témoignages du 3 février 2011


OTTAWA, le jeudi 3 février 2011

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 10 h 28, pour poursuivre son étude sur les enjeux sociaux d'actualité pour les grandes villes canadiennes. (sujet : La cohésion et l'inclusion sociale).

Le sénateur Art Eggleton (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

[Traduction]

Aujourd'hui, nous continuons notre étude sur l'inclusion sociale dans les villes canadiennes, en particulier l'intégration des immigrants. Nous accueillons deux groupes de témoins. Le premier groupe compte des fonctionnaires et le second, quatre représentants d'organismes communautaires.

Garnett Picot, analyste principal, Division de l'analyse sociale, Statistique Canada : Honorables sénateurs, je vais vous donner un aperçu de l'intégration économique des immigrants. La diapositive 2 présente les taux d'emploi et de chômage des années 2006 à 2010 chez les immigrants âgés de 25 à 64 ans.

Pour l'essentiel, les ratios emplois-population — la proportion de la population qui a un emploi — du côté des hommes, sont à peu près semblables chez les immigrants et chez les gens nés au Canada. Ce n'est pas le cas des femmes, dont le taux d'emploi est nettement plus faible.

L'autre élément important, c'est le taux de chômage. Il est plus élevé chez les immigrants, peu importe depuis combien de temps ils vivent au Canada, que chez les gens nés au pays. C'est vrai tant pour les hommes que pour les femmes. C'est ce qui constitue l'essentiel en ce qui concerne les taux d'emploi et de chômage.

Toutefois, le revenu des immigrants qui ont un emploi baisse constamment depuis 1980 environ. Par conséquent, leur taux de faible revenu augmente. C'est ce que montre la diapositive 3. Du côté gauche, la ligne verte sur le graphique représente le taux de faible revenu des immigrants nouvellement arrivés, soit ceux qui sont au Canada depuis moins de cinq ans, comparé à celui des gens nés au Canada. En 1980, le taux de faible revenu des nouveaux immigrants était environ 1,4 fois plus élevé que celui des gens nés au Canada.

En 1995, ce taux avait augmenté de façon constante et était 2,7 fois plus élevé que celui des gens nés au Canada. À la fin des années 1990, il y a eu une amélioration dont je vais parler dans quelques minutes, qui a été suivie d'une détérioration en 2005. Le taux de faible revenu se résume à une diminution chez les gens nés au Canada et à une augmentation chez les immigrants.

En 1980, le taux de faible revenu chez les gens nés au Canada était de 17,2 p. 100. En 2005, ce taux avait chuté à 13,3 p. 100 — il y a eu une amélioration du côté des gens nés au Canada, mais une détérioration du côté des immigrants. Chez les nouveaux immigrants qui sont au Canada depuis moins de cinq ans, le taux de faible revenu est passé de 24,6 p. 100 en 1980 à 36 p. 100 en 2005. Il y a eu une détérioration générale dans les résultats économiques.

La diapositive 4 présente les facteurs qui, selon les recherches, expliquent cette détérioration. Je vais parler de quatre facteurs. Tout d'abord, il y a le changement de pays sources. Tout le monde sait qu'au cours des années 1970 et 1980, le lieu de provenance des immigrants est passé de l'Europe à l'Afrique aux Caraïbes et à l'Asie principalement. Des problèmes de langue et de valeur perçue de l'expérience de travail et des études à l'étranger en ont découlé. Il est difficile d'évaluer séparément les effets, mais ils représentent ensemble probablement le tiers de la diminution des revenus entre 1980 et 2000.

Un autre facteur, c'est l'expérience de travail à l'étranger. Les recherches traitent beaucoup de cette question. En 1980, lorsqu'un immigrant qui avait 10 ou 15 ans d'expérience venait au Canada, son salaire était déterminé en fonction de cette expérience. Aujourd'hui, lorsqu'un immigrant vient au Canada, on ne tient pas compte de son expérience de travail. Les revenus ont baissé de façon spectaculaire, et c'est l'un des facteurs qui expliquent la diminution des revenus.

Depuis 2000, les facteurs qui expliquent cette détérioration ont en quelque sorte changé. Le facteur principal, c'est l'effondrement des TI qui est survenu au début des années 2000. À la fin des années 1990, il y a eu un boom des TI, et le Canada a réagi en faisant venir un grand nombre d'ingénieurs et de travailleurs dans ce secteur au pays. Le taux élevé d'immigration d'ingénieurs s'est maintenu au début des années 2000. En 2001, toutefois, il y a eu un effondrement des TI dont l'effet s'est fait sentir jusqu'en 2005. Les immigrants qui travaillaient dans le domaine ont été durement touchés au cours de cette période, car les revenus ont chuté considérablement, et c'est ce qui explique en grande partie la baisse.

Nous savons que les immigrants sont touchés de façon disproportionnée par les récessions. Au cours de la dernière récession, leur taux d'emploi a diminué et leur taux de chômage a augmenté plus que celui des Canadiens d'origine. Il en fut également de même au cours de la récession du début des années 1990.

La diapositive 5 montre qu'il n'y a pas que de mauvaises nouvelles. Les résultats se sont améliorés au cours de certaines périodes. À la fin des années 1990, le revenu des nouveaux immigrants a augmenté en raison des changements concernant le niveau d'études et les catégories. En raison des changements qui ont été effectués dans le système de sélection au début des années 1990, le niveau d'études des immigrants a augmenté sensiblement pendant la décennie qui a suivi. Par conséquent, leurs résultats économiques se sont améliorés dans l'ensemble. De plus, une proportion plus élevée venait de la catégorie « immigration économique » que de la catégorie « regroupement familial », ce qui a aussi influencé les résultats positivement. Nous avons observé un phénomène similaire en 2005 et en 2006 en raison des changements apportés aux règles de sélection et les revenus des travailleurs issus du Programme des travailleurs qualifiés ont permis l'amélioration des résultats. Il est important de souligner que les demandeurs principaux de la catégorie des travailleurs indépendants qualifiés continuent de présenter les meilleurs résultats économiques parmi les immigrants.

Passons à la diapositive 6. Nous avons parlé de l'intégration économique des immigrants, de la détérioration générale depuis les années 1980, ainsi que des résultats économiques et de l'amélioration au cours de certaines périodes. On pourrait toutefois examiner les perspectives à plus long terme de l'intégration économique et penser à la situation des enfants d'immigrants. Sur ce plan, le Canada fait plutôt bonne figure.

Nous allons examiner les résultats des enfants immigrants, qu'on appelle souvent la génération 1,5; ces enfants sont des immigrants de moins de 12 ans. Nous allons examiner la réelle deuxième génération d'enfants nés au pays d'immigrants. Les résultats des deux groupes sont très semblables. Le niveau d'études de ces enfants est bien supérieur à celui des enfants d'immigrants nés au Canada.

La diapositive 6 montre la proportion des 25 à 34 ans qui avaient un diplôme universitaire en 2006. En bas, à gauche, sous la colonne « Tous », 36 p. 100 des enfants d'immigrants avaient un diplôme universitaire. À droite, on indique que 24 p. 100 des enfants d'immigrants nés au Canada avaient un diplôme universitaire. Ce tableau montre également une énorme variation selon la région — le lieu d'origine des parents. Si les parents immigrants étaient d'origine chinoise, 62 p. 100 de leurs enfants ont obtenu un diplôme universitaire. S'ils venaient du Pakistan ou de l'Inde, 50 p. 100 ont obtenu un diplôme. S'ils venaient des Caraïbes, 28 p. 100 ont obtenu un diplôme. Dans la plupart des groupes, les taux d'obtention de diplôme universitaire étaient plus élevés que celui des enfants d'immigrants nés au Canada. Le niveau d'études des enfants est très élevé.

La diapositive 7 montre que grâce à leur niveau d'études élevé, ils s'en sortent bien sur le marché du travail. Les taux d'emploi sont égaux ou plus élevés et les taux de chômage sont égaux ou plus faibles chez les enfants d'immigrants que chez les enfants d'immigrants nés au Canada. Les enfants d'immigrants sont plus susceptibles d'obtenir des emplois de professionnels grâce à leur niveau d'études élevé, et leur revenu est de 6 à 10 p. 100 supérieur à celui des enfants d'immigrants nés au Canada.

Cette situation s'explique par ce qui se passe dans les familles moins instruites. Comparons deux familles : l'une née au Canada et l'autre, immigrante, dont les parents ont un niveau d'études élevé. Les enfants qui proviennent de ces familles auront à peu près le même niveau d'études. Si l'on prend les deux mêmes catégories de familles dont les parents ont un niveau d'études moins élevé, les enfants de la famille immigrante auront un niveau d'études plus élevé que les enfants de la famille née au Canada. C'est la vraie différence entre les deux catégories.

En résumé, si nous regardons la diapositive 8, la situation économique des immigrants s'est généralement détériorée depuis les années 1980. Les facteurs varient d'une période à l'autre, mais la question linguistique est probablement importante. D'après une étude, les différences entre la littératie en anglais et en français représentent environ les trois quarts des écarts de revenu entre les immigrants et les gens nés au Canada. La langue est un facteur très important.

Des améliorations ont été constatées à la fin des années 1990 et au milieu des années 2000, en raison des changements apportés au système de sélection et de la reprise économique. Dans une perspective à long terme, le Canada fait très bonne figure, surtout si on le compare aux pays européens et même aux États-Unis. Le niveau d'études est élevé et la situation sur le marché du travail est très bonne.

Le président : Merci beaucoup. Ce sont là de riches renseignements. Nous allons maintenant entendre Deborah Tunis, qui représente Citoyenneté et Immigration Canada.

[Français]

Deborah Tunis, directrice générale, Intégration, Citoyenneté et Immigration Canada : Monsieur le président, je suis très heureuse que le comité ait décidé de se pencher sur l'intégration des immigrants dans le contexte des villes. La plupart du temps, les nouveaux arrivants s'établissent dans les grandes villes après leur arrivée au Canada. Nos efforts pour aider les immigrants à s'établir et pour augmenter la capacité des villes, des communautés et du secteur privé à accueillir et à inclure les immigrants peuvent jouer un rôle important dans leur intégration.

[Traduction]

Premièrement, je veux vous donner une vue d'ensemble des interventions et des programmes que le gouvernement du Canada, les provinces et les territoires offrent aux nouveaux immigrants; deuxièmement, je veux parler un peu de la façon dont nous collaborons avec les provinces et les territoires à cet égard; et troisièmement, je veux parler des résultats obtenus, mais très brièvement, car M. Picot en a donné un bon aperçu.

Tout d'abord, pour ce qui est de nos programmes, hier, vous avez commencé à discuter de la différence entre l'établissement et l'intégration avec Ratna Omidvar. Nous considérons l'établissement comme la première étape vers l'intégration, et les programmes du gouvernement du Canada sont en grande partie axés sur les premières années de l'établissement des immigrants. Une fois que les gens décident de demander la citoyenneté canadienne, que nous considérons comme une étape importante vers l'intégration, nous continuons à suivre les nouveaux arrivants et les immigrants pour voir comment vont les choses, mais la plupart des programmes correspondent seulement à ce que la société offre.

En ce qui concerne le travail des services d'établissement, lorsque vous avez fait votre étude sur la pauvreté, vous avez souligné le rôle des organismes de services d'établissement. De la façon dont je vois les choses, les services d'établissement ont incroyablement changé en passant d'un petit secteur informel reposant en grande partie sur les organisations caritatives dans les années 1970, à un secteur actif, professionnel et fort de nos jours. Cette situation s'explique en partie par les investissements du gouvernement du Canada, des provinces et des territoires. Dans les années 1990, environ 25 millions de dollars étaient investis dans les services d'établissement. De nos jours, le gouvernement du Canada investit jusqu'à 850 millions de dollars dans ce secteur.

De plus, une vaste gamme d'autres acteurs ont montré leur intérêt, comme les municipalités. Dans le cadre de l'Accord Canada-Ontario sur l'immigration, nous avons signé un protocole d'entente distinct avec la ville de Toronto. Des partenariats locaux en matière d'immigration ont été créés en Ontario pour réunir les entreprises, les groupes communautaires, les municipalités, et cetera. Les établissements de services sociaux, les groupes confessionnels et les groupes culturels jouent certainement un rôle actif important.

Dans le cadre du programme d'établissement, près de 400 fournisseurs de services de partout au Canada sont financés grâce à 900 ententes de contribution pour fournir des programmes. C'est ce qui, en 2009-2010, a permis à environ 76 000 immigrants de recevoir une formation linguistique, souvent dans le cadre des Cours de langue pour les immigrants au Canada ou des Cours de langue de niveau avancé, à environ 137 000 immigrants de recevoir des services d'information et d'orientation et à environ 8 500 nouveaux arrivants de participer aux programmes d'établissement de liens communautaires.

Nous offrons des services à l'étranger, comme les initiatives Orientation canadienne à l'étranger et Bienvenue au Canada. La semaine prochaine, je crois que mon collègue viendra vous parler du Bureau d'orientation relatif aux titres de compétences étrangers et d'une partie du travail qu'on y effectue à l'étranger en collaboration avec l'ACCC, l'Association des collèges communautaires du Canada.

Une fois que les gens sont arrivés au Canada, nous tenons à ce qu'ils fassent des évaluations et qu'ils suivent une formation linguistique, car, comme M. Picot le dit, la langue est tellement essentielle pour obtenir de bons résultats économiques, mais également pour créer des liens avec la collectivité. Toutes les recherches que nous avons entreprises indiquent que la langue est l'élément le plus essentiel.

Nous offrons de plus en plus de programmes qui portent sur l'accès au marché du travail. Nous offrons les services de base, comme l'aide à la préparation du curriculum vitae, mais nous nous concentrons également sur l'acquisition de compétences générales liées, par exemple, à la préparation à une entrevue et aux différences entre le marché du travail canadien et d'autres marchés du travail dans le monde.

Pour que l'intégration soit un processus bidirectionnel, nous avons le volet Liens avec la collectivité, qui consiste à établir des liens entre les nouveaux arrivants et les Canadiens établis, et les activités qui sont menées dans les collectivités, comme le partenariat local en matière d'immigration, sont financées par ce volet

Je vais parler très brièvement des arrangements entre les paliers fédéral et provinciaux. Dans le cadre de l'Accord Canada-Québec, le gouvernement du Canada a accepté que le Québec soit pleinement responsable de l'établissement et de la sélection et qu'il fournisse des services aux réfugiés. Des provinces comme la Colombie-Britannique et le Manitoba sont censées, quant à elles, offrir des services comparables à ceux du gouvernement du Canada, tout en étant aussi responsables de leur conception et de leur prestation. En Alberta et en Ontario, il existe différentes formes de cogestion, et nous venons d'entamer la renégociation de l'Accord Canada-Ontario sur l'immigration.

Comme vous l'avez entendu, M. Picot a parlé de l'importance que joue l'éducation pour égaliser les chances de réussite des enfants d'immigrants de la deuxième génération. Les provinces et les territoires font des investissements considérables dans les systèmes de santé et d'éducation, le soutien aux services sociaux, la reconnaissance des titres de compétences étrangers, l'aide juridique et le développement d'entreprise.

Je ne parlerai pas beaucoup des résultats, car M. Picot vous en a donné un très bon aperçu. Lorsque nous regardons la situation des immigrants, nous constatons qu'ils ont un taux très élevé de naturalisation, le plus élevé au monde, et un niveau d'activités et d'engagement politiques comparable à ceux de la population née au Canada. Nous observons un niveau élevé d'activités bénévoles communautaires, un sentiment élevé d'appartenance, une satisfaction par rapport à leur vie au Canada et de bons résultats pour la seconde génération au Canada. Lorsqu'on demande à des immigrants qui se sont installés ici et qui connaissent maintenant le processus s'ils prendraient la même décision aujourd'hui, les trois quarts d'entre eux répondent par l'affirmative.

En ce qui a trait aux sujets de préoccupation, le comité s'est déjà penché sur les problèmes liés à la pauvreté. Le revenu et le taux d'emploi sont des sujets de préoccupation. Nous continuons à nous demander s'il y a des signes de résistance à l'intégration dans certaines parties du pays et si l'on peut intervenir comme on le fait dans le cadre des programmes jeunesse contre la radicalisation ou d'autres pratiques culturelles ou sociales.

M. Picot a parlé de l'évaluation récente du volet fédéral du Programme des travailleurs qualifiés, qui a montré que les immigrants sélectionnés dans le cadre de ce volet avaient de meilleurs résultats que d'autres qui avaient été sélectionnés avant la mise en ouvre du programme. Au cours de la dernière année, nous avons terminé les évaluations et une vérification de tous les aspects du Programme d'établissement : la formation linguistique, le programme d'accueil et d'autres services.

Ensuite, il est clair que l'un des grands changements qui se sont produits ces dernières années a consisté à tenter d'étendre les avantages de l'immigration partout au pays. Le sénateur Callbeck doit savoir que des provinces comme l'Île-du-Prince-Édouard qui, à une époque, n'accueillaient pas beaucoup d'immigrants, utilisent leurs programmes des candidats des provinces et d'autres programmes, et que tout le pays profite des avantages de l'immigration. Parmi les immigrants, encore 62 p. 100 s'installent à Montréal, à Toronto et à Vancouver, mais partout ailleurs au pays, les provinces sont de plus en plus actives dans leurs efforts d'attirer et de retenir de nouveaux arrivants chez eux.

Nous tentons de travailler avec nos partenaires provinciaux pour comprendre les résultats partout au Canada. Je serai ravie de répondre à vos questions à ce sujet.

Le président : Monsieur Picot, parmi les facteurs de détérioration économique que vous avez mentionnés, vous avez parlé de la langue, de l'expérience de travail à l'étranger et d'autres éléments. J'ai entendu dire que les titres de compétences seraient également du nombre, mais vous ne les avez pas mentionnés. Dans quelle mesure les titres de compétences constituent-ils un facteur?

En ce qui concerne le manque d'expérience de travail, on nous a dit que dans certains cas, les gens ont de la difficulté à trouver un emploi à cause des différences culturelles entre l'employeur et eux; une personne qui vient d'un milieu culturel similaire à celui de l'employeur a plus de chances d'obtenir l'emploi voulu, et c'est ce qui mène au racisme. Vous n'avez pas parlé de ces enjeux. Si vous examinez les raisons plus en profondeur, est-ce que ces autres facteurs surgissent?

Selon le Centre pour une réforme des politiques d'immigration, moins de 18 p. 100 des résidents permanents admis au Canada sont évalués en fonction de leurs compétences, de leur éducation et de leur maîtrise d'une des deux langues officielles. Étant donné que d'après les chiffres, environ 60 p. 100 des immigrants font partie de la catégorie « immigration économique », comment peut-on parler de 18 p. 100? C'est peut-être parce que les 60 p. 100 incluent les membres de la famille des gens qui viennent au Canada.

Ces chiffres sont-ils exacts, à votre avis? Que pensez-vous des autres facteurs?

M. Picot : Oui, ces chiffres sont exacts. Environ 17 ou 18 p. 100 sont évalués et les autres sont des membres de la famille. De plus, d'autres programmes sont inclus dans la catégorie « immigration économique », comme les programmes pour entrepreneurs et les programmes d'investissements. Ces chiffres sont bons.

Si les 18 p. 100 des demandeurs principaux qui sont évalués dans le cadre du système de sélection viennent ici et qu'ils ont un niveau d'études élevé, il est probable que leur famille ait un niveau d'études élevé également, car il y a une corrélation positive entre les niveaux d'études des conjoints. Bien que le système de sélection ne s'applique qu'aux 18 p. 100, je dirais que cela a des répercussions sur les caractéristiques des 60 p. 100.

Le président : Voulez-vous intervenir au sujet de mes autres questions?

M. Picot : Oui, en ce qui concerne les titres de compétences, je parlais surtout de la recherche qui explique la baisse des revenus entre 1980 et 2005. Il se trouve que les titres de compétences ne constituent pas un facteur majeur de cette baisse, car les problèmes qui y sont liés se seraient aggravés au cours de cette période. Il ne fait aucun doute que les problèmes liés aux titres de compétences sont réels, mais rien ne nous prouve qu'ils se soient aggravés au cours de la période. Les titres de compétences sont toujours importants, mais ils n'ont pas été soulevés dans la recherche en tant que facteur de la baisse des revenus.

Les titres de compétences ont probablement des répercussions directes sur 15 à 20 p. 100 des immigrants — ceux qui ont des compétences dans un domaine donné, comme la médecine, la comptabilité ou l'ingénierie. C'est loin d'être le cas de tous les immigrants, et c'est l'autre raison pour laquelle les titres de compétences ne sont pas soulevés dans la recherche.

Dans le milieu économique, peu de recherches traitent des différences culturelles. Nous savons qu'il y a une baisse de retombées économiques liée à l'expérience de travail à l'étranger. Toutefois, personne dans le milieu économique ne s'est beaucoup penché sur la question de savoir pourquoi il en est ainsi, notamment en ce qui concerne les différences culturelles. C'est pourquoi je n'en ai pas parlé.

Le président : Madame Tunis, vous avez parlé de l'importance du Programme d'établissement, dont le financement sera réduit, comme nous l'avons entendu. De quelle façon cela se répercutera-t-il sur la capacité d'intégrer des gens dans les collectivités de nos grandes villes, où la plupart d'entre eux choisissent de s'établir? Vous avez tous les deux parlé de l'importance de la langue. Que fait-on à cet égard? Vous avez dit que nous voulons faire suivre une formation linguistique aux gens. De toute évidence, dans le passé, notre façon de faire n'a pas fonctionné, car il semble que le problème prend de l'ampleur. Que faites-vous en matière de langue? J'ai une question au sujet des services d'orientation à l'étranger. Donne-t-on l'heure juste aux gens quant à leurs possibilités d'obtenir un emploi au Canada? Vont-ils se heurter au manque d'expérience de travail ou leur dit-on qu'avec un diplôme, tout se passera merveilleusement bien? Bon nombre d'entre eux qui viennent ici trouvent que tout ne se passe pas merveilleusement bien, car ils ne peuvent pas obtenir l'emploi qu'ils veulent. C'est une question à trois volets.

Mme Tunis : Il s'agit de trois questions importantes. En ce qui a trait aux réductions dans le financement du Programme d'établissement en Ontario, les fonds sont distribués partout au pays. Lors des négociations sur l'Accord Canada-Ontario sur l'immigration en 2005, l'Ontario accueillait sa plus grande proportion d'immigrants, soit 140 000 personnes. Ce chiffre a baissé à 106 000 immigrants, ce qui représente une baisse d'environ 25 p. 100, car les autres provinces sollicitent plus activement les immigrants. Il ne s'agit pas seulement des chiffres dans leur ensemble, mais également de la part que reçoit chaque province. Le ministre Kenney a pris la décision cet automne de distribuer les fonds partout au pays de manière à équilibrer la répartition des nouveaux arrivants dans l'ensemble du pays.

En ce qui a trait aux répercussions en Ontario, je crois vraiment qu'on offre un grand nombre de services d'établissement dans la province. Il y a une réorganisation et certains organismes ne recevront plus de financement, mais d'autres organismes qui n'en recevaient pas auparavant en recevront. Les employés des bureaux régionaux sont convaincus qu'ils peuvent atteindre les objectifs demandés. C'est une période de changements, et nous tentons de nous concentrer davantage sur les objectifs des programmes. Nous espérons que cela portera fruits.

Dans le cadre de l'Accord Canada-Ontario sur l'immigration, on s'est engagé à tenter de travailler de concert pour aligner les programmes de cours d'anglais et de français langue seconde offerts dans la province sur notre programme CLIC — ou Cours de langue pour les immigrants au Canada. Un projet pilote est lancé pour la mise en place d'un système unique coordonné d'examen et de référence linguistiques, et nous essayons d'implanter ces deux systèmes partout au pays. Nous avons fait une étude avec des provinces sur le nombre de personnes qui participent aux programmes d'anglais et de français langue seconde et le nombre de personnes qui participent au programme CLIC. Les chiffres sont considérables : on parle d'environ 250 000 personnes partout au pays. Beaucoup de travail a été fait. Nous avons évalué le programme CLIC afin de déterminer ce que nous pouvons améliorer dans les salles de classe. Nous savons que nous faisons du bon travail en ce qui a trait aux aptitudes à la lecture et à l'écriture, mais nous devons en faire davantage sur le plan des aptitudes à l'écoute et à l'expression orale. Nous mettons à l'essai un programme d'évaluations très axé sur des tâches que nous avons emprunté au Manitoba, en quelque sorte. Par exemple, il consiste à évaluer l'aptitude des gens à mener une discussion en anglais ou en français chez le médecin ou à avoir un entretien avec un enseignant. Le programme cible des tâches précises et détermine si les gens sont capables de les accomplir dans la langue visée.

En ce qui concerne les services d'orientation à l'étranger, différents éléments influencent les gens, y compris ce que disent leurs amis et leur famille. Nous offrons des programmes sur notre site web; l'Organisation internationale pour les migrations et d'autres fournisseurs de services offrent des programmes; et des consultants en immigration offrent des services. Il est certain que beaucoup de nouveaux arrivants nous disent clairement qu'ils auraient voulu qu'on leur donne vraiment l'heure juste sur certaines difficultés qui les attendaient au Canada, notamment celles liées à la reconnaissance des titres de compétences. Dans le cadre de son projet, l'Association des collèges communautaires du Canada, l'ACCC, tente d'évaluer les besoins précis et de donner l'heure juste aux nouveaux arrivants quant aux difficultés qui les attendent.

Le sénateur Ogilvie : Monsieur Picot, la diapositive 6 montre la proportion des gens de 25 à 35 ans qui sont diplômés. Je suppose que vous faites référence aux diplômes universitaires.

M. Picot : Oui.

Le sénateur Ogilvie : Avons-nous des statistiques sur les gens qui ont des certificats de compétence ou d'autres certificats qui seraient reconnus par la Commission de la fonction publique?

M. Picot : Oui.

Le sénateur Ogilvie : Diriez-vous que les pourcentages sont à peu près les mêmes ou, de mémoire, pensez-vous qu'il y a une différence importante?

M. Picot : C'est difficile pour moi de vous répondre de mémoire.

Le sénateur Ogilvie : Si vous ne voulez pas répondre à ma question maintenant, vous pouvez me faire parvenir la réponse plus tard.

M. Picot : Absolument.

Le sénateur Ogilvie : Si je vous ai bien compris, vous avez dit que les enfants d'immigrants nés au Canada, soit la troisième génération et plus, obtenaient à peu près les mêmes résultats que les Canadiens en général, mais je croyais vous avoir entendu dire que les enfants des immigrants à faible revenu réussissent mieux que les enfants des autres familles canadiennes à faible revenu. Vous ai-je bien compris?

M. Picot : Vous m'avez presque bien compris : il s'agit des enfants venant de familles dont le niveau d'études est moins élevé, dont les parents ont un niveau d'études moins élevé.

Le sénateur Ogilvie : Merci. J'ai entendu « éducation », mais j'ai dit « revenu ». J'ai donc bien compris la partie sur l'éducation.

M. Picot : Oui.

Le sénateur Ogilvie : Ma dernière question porte sur la diapositive 3. Si je comprends bien les chiffres de gauche, ce qu'on entend par 2,5 c'est que le groupe est 2,5 fois plus susceptible d'avoir un faible revenu, n'est-ce pas?

M. Picot : C'est exact.

Le sénateur Ogilvie : Par exemple, si une famille compte sept personnes, tient-on compte uniquement de celles qui ont un emploi, ou calcule-t-on la moyenne pour la famille?

M. Picot : Tous les membres de la famille sont pris en compte.

Le sénateur Ogilvie : S'il n'y a qu'un salaire dans la famille, divise-t-on le revenu net par sept?

M. Picot : Il s'agit du revenu familial et non d'un seul salaire. On utilise le revenu familial, et les données varient en fonction du nombre de membres que compte la famille.

Le sénateur Ogilvie : L'autre volet de ma question est lié à l'énorme bond qu'on a fait entre 1990 et 1995. Est-ce lié de quelque façon que ce soit au pays d'origine des immigrants?

M. Picot : Non, monsieur le sénateur, pas au cours de cette période. La plupart des changements de régions sources ont eu lieu concrètement dans les années 1970 et 1980. Elles n'ont pas changé beaucoup par la suite.

Le sénateur Ogilvie : Y a-t-il eu d'autres facteurs?

M. Picot : C'était en grande partie dû à la récession du début des années 1990 et au fait que les immigrants ont été plus durement touchés par cette récession.

Le sénateur Martin : Madame Tunis, que pensez-vous d'un projet pilote que mène l'organisme de Vancouver SUCCESS? L'organisme a lancé à Taipei et à Séoul l'Active Engagement and Integrated Project destiné aux futurs immigrants. À Séoul par exemple, il y a un groupe à qui l'on offre de l'orientation, de la formation et des ateliers sur la langue, la culture et divers sujets. Les participants reçoivent un diplôme, si on veut, de sorte que lorsqu'ils arrivent au Canada, ils ont le sentiment d'avoir des liens et forment une minicollectivité. Le projet semble fonctionner. D'après ce que j'ai entendu, c'est une réponse à la question du sénateur Eggleton au sujet des immigrants mieux préparés que s'ils entraient dans un pays sans s'y être préparés. C'est un projet pilote. Le connaissez-vous, et prévoyez-vous poursuivre ce type de projets?

Mme Tunis : L'idée de base de SUCCESS et de son Active Engagement and Integrated Project, c'est d'essayer d'établir des liens entre des nouveaux arrivants ou des arrivants potentiels et une collectivité du Canada. Le travail de cet organisme s'avère très prometteur. Nous avons financé SUCCESS au cours des trois dernières années et nous venons de nous engager à le financer en 2011-2012, et nous pourrons donc évaluer ce modèle par rapport au travail que nous faisons avec l'Organisation internationale pour les migrations dans d'autres pays, comme les Philippines, et à ce que fait l'ACCC. D'après mes premières observations, le projet s'avère très prometteur en ce qui a trait aux liens solides que SUCCESS semble être capable de forger en établissant la communication entre des fournisseurs de services d'établissement au Canada et en comprenant les besoins des nouveaux arrivants avant leur arrivée. À notre avis, c'est un grand projet.

Le sénateur Martin : Ils créent un pont avec des collectivités du Canada. Nous connaissons le projet, et je crois qu'il sera très efficace.

Il y a un autre projet pilote qui est en quelque sorte un programme de mentorat destiné aux entrepreneurs, dans lequel des investisseurs immigrants qui viennent au Canada sont jumelés à des gens d'affaires ou une entreprise au Canada pour une période d'un an par exemple. Au cours de cette période, ils travaillent avec un homme ou une femme d'affaires d'expérience pour comprendre les différences entre la façon de faire des affaires au Canada et dans le pays d'où ils viennent. Ce type de jumelage peut fonctionner. Avez-vous vu de tels programmes au Canada? Je sais que SUCCESS l'a fait, mais j'ai entendu parler d'autres programmes.

Mme Tunis : Je n'ai pas entendu parler de ce projet précis. Il semble ressembler à certains des projets que Ratna Omidvar et Elizabeth McIsaac mettent en ouvre avec des organismes et qui sont axés sur ce qu'ils peuvent faire avec les immigrants. Je n'ai pas entendu parler d'un programme axé sur les investisseurs. Je sais que Ratna Omidvar rencontre notre sous-ministre pour discuter des programmes de mentorat que Maytree veut proposer. Je serai heureuse de faire un suivi à ce sujet.

Le sénateur Martin : Il est vrai que, au cours des cinq premières années, beaucoup de gens d'affaires abandonnent et retournent dans leurs pays, car c'est très difficile pour eux de vivre au Canada. En plus de la résistance à l'intégration, il y a la résistance à l'inclusion; donc, d'un côté comme de l'autre, il s'agit de dire à tous que ce partenariat sera avantageux pour les deux parties.

Le sénateur Seidman : Monsieur Picot, je suis toujours concentré sur vos merveilleuses statistiques. J'essaie de comprendre la hausse des taux de faible revenu des immigrants. Je constate que pour les différentes périodes comprises entre l'immigration et le temps passé au Canada, il y a une tendance assez stable qui s'étire sur une très longue période. J'essaie de comprendre ce phénomène, en particulier le fait que pour les immigrants récents, ceux qui sont ici depuis cinq ans ou moins, les taux de faible revenu sont en augmentation constante. Comment dois-je interpréter ces données? Je ne comprends pas.

M. Picot : Si vous regardez à la page 10, c'est sur cette diapositive supplémentaire que vous trouverez l'explication. Ici, on tient compte du revenu plutôt que du taux de faible revenu. Habituellement, le faible revenu est calculé en fonction du revenu de la famille, qu'il se situe dans les faibles revenus ou non. Prenons la ligne orange, en haut. Il s'agit d'immigrants qui sont arrivés au Canada à la fin des années 1970. Vous pouvez constater qu'à leur arrivée, ils gagnaient environ 90 p. 100 du revenu des Canadiens nés au Canada. Plus ils restent longtemps au pays, plus leur situation s'améliore. En réalité, leur revenu augmente considérablement au fil des ans, ce qui fait baisser leur taux de faible revenu. C'est pourquoi il y a un si grand écart comparativement au taux de faible revenu des immigrants de la catégorie des zéro à cinq ans. Ce taux sera toujours plus élevé — et l'a toujours été — que pour les immigrants qui sont ici depuis 15 ou 20 ans. Leur succès sur le marché du travail s'améliore au fil du temps, comme l'indique ce graphique.

Le sénateur Seidman : Madame Tunis, vous avez dit que vous travaillez avec des partenaires des provinces et des territoires. Je présume que cela inclut aussi les municipalités, puisque, comme nous le savons, l'immigration a de multiples facettes. Pouvez-vous nous parler un peu des défis que cela représente?

Mme Tunis : Votre question porte-t-elle sur la manière dont nous arrivons à un consensus à la table fédérale- provinciale ou sur notre travail avec les municipalités?

Le sénateur Seidman : Donnez-nous un aperçu de votre travail avec les différents intervenants et des difficultés rencontrées.

Mme Tunis : Notre travail avec nos partenaires fédéraux et provinciaux est centré sur les méthodes à utiliser pour connaître les résultats de nos programmes. Nous convenons des indicateurs que nous voulons examiner pendant les étapes d'établissement et d'intégration et des méthodes employées pour mesurer les résultats.

Le Canada accueille des immigrants depuis des centaines d'années. Cela fait partie de notre tissu social. Nous avons adopté une démarche bidirectionnelle, et d'autres pays envient nos programmes d'intégration et d'établissement. Cependant, pour ce qui est d'une mesure réelle des résultats, nous n'avons pas toujours été aussi efficaces que nous aurions pu l'être. En quoi la participation à un cours de langue ou à un programme de mentorat peut-elle aider quelqu'un? Notre travail consiste à décider quels indicateurs utiliser et comment mesurer les résultats. En décembre 2010, nous avons rencontré les sous-ministres à l'occasion d'une conférence fédérale, provinciale et territoriale et nous avons conclu une entente sur le financement d'une étude nationale visant à nous donner une idée des méthodes que nous emploierons pour mesurer nos réalisations.

Pour ce qui est des municipalités, j'ai été invitée aux réunions de la Fédération canadienne des municipalités. Nous avons fait plus de progrès en Ontario grâce aux partenariats locaux et au protocole d'entente avec la ville de Toronto qui nous permet d'assister aux négociations et aux comités qui réunissent les décideurs fédéraux, provinciaux et municipaux. Au Québec, la table de concertation réunit les collectivités locales afin d'élaborer des stratégies. Au Québec, le système est quelque peu différent; il est centré sur la formation linguistique et d'autres choses.

Le sénateur Callbeck : Monsieur Picot, à la page 4, vous indiquez les facteurs de la détérioration économique. Vous avez dit que dans les années 1980, les immigrants arrivants étaient payés en fonction de leur expérience, ce qui n'est plus le cas. En réponse à une question, vous avez dit qu'il y a eu peu d'études à ce sujet. Pour quelle raison, à votre avis?

M. Picot : Ce sont seulement des réflexions, parce que je n'ai pas vu d'études à ce sujet. Je suis contenté de constater ce fait. Cela pourrait avoir rapport avec les différences entre les technologies utilisées dans certains domaines en Chine ou en Inde comparativement au Canada, même si cela est en train de changer, compte tenu de la croissance mondiale dans ce secteur. À part de cela, je ne suis pas certain, pour être honnête. Nous n'en savons pas beaucoup à ce sujet. Je n'ai pas beaucoup d'autres hypothèses.

Le sénateur Callbeck : Cela s'est-il produit graduellement?

M. Picot : Oui, cela s'est produit sur 20 ans, principalement dans les régions sources non traditionnelles, mais qui sont en voie de le devenir. Cela ne s'est pas produit chez les immigrants en provenance d'Europe. Nous voyons ce phénomène chez les immigrants en provenance de la Chine, de l'Inde et d'autres grands pays d'Asie.

Le sénateur Callbeck : Le quatrième point porte sur les immigrants touchés de façon disproportionnée par les crises économiques. Cela s'applique-t-il à tous les immigrants? Ceux qui sont ici depuis 20 ans seront-ils aussi touchés que les nouveaux arrivants?

M. Picot : Ils ne seront pas frappés aussi durement. Comme pour la plupart des résultats, il y a une amélioration en fonction du temps que l'immigrant a passé au Canada. Les personnes les plus touchées par la récession sont les nouveaux immigrants. J'essaie de me souvenir des chiffres, mais ils m'échappent. Je ne crois pas que l'on observe une telle chose chez les immigrants qui sont au Canada depuis plus de 20 ans. À ma connaissance, les résultats économiques des immigrants de cette catégorie sont semblables à ceux des Canadiens nés au Canada.

Le sénateur Callbeck : Madame Tunis, vous avez parlé de l'augmentation du financement par le gouvernement fédéral. Vous avez dit qu'il y a 400 organismes. Quels sont les critères d'attribution du financement? Est-il versé aux provinces, qui décident ensuite quels organismes offriront les services, ou est-ce le gouvernement fédéral qui traite directement avec ces organismes?

Mme Tunis : Au Québec, en Colombie-Britannique et au Manitoba, l'argent est versé à la province, qui va ensuite en appel d'offres pour décider de la répartition des fonds.

Dans les autres provinces et territoires, les bureaux régionaux travaillent en collaboration avec la province pour établir les priorités. Ils s'occupent des appels d'offres, et CIC gère les ententes de contribution avec les fournisseurs de services. Par exemple, CIC finance la PEI Association for Newcomers to Canada. D'autres fournisseurs de services de l'Île-du-Prince-Édouard reçoivent aussi du financement.

Le sénateur Cordy : Notre étude ne fait que commencer; ces renseignements nous sont donc très utiles.

Nous avons parlé d'intégration, d'inclusion ou d'exclusion, selon le cas. Madame Tunis, j'ai été surprise lorsque vous avez dit que les immigrants ont un taux de participation aux activités politiques comparables. Hier, dans son témoignage au comité, Mme Ratna Omidvar nous a dit que les immigrants sont souvent exclus des postes de décideurs. J'utilise l'expression « activité politique » non pas de façon partisane, mais dans le sens de représentant auprès d'un conseil communautaire ou d'autres formes d'activités politiques. Elle a dit que les immigrants s'y emploient activement parce que les conseils ne sont pas représentatifs des collectivités dans lesquelles les gens vivent et où les immigrants s'installent, surtout Toronto, Vancouver, Montréal, de même que des villes plus petites comme Halifax. Quels critères utilisez-vous pour déterminer que les taux de participation aux activités politiques sont comparables? J'ai trouvé votre commentaire plutôt surprenant.

Mme Tunis : Je parlais de la participation aux élections, qui est comparable. Pour ce qui est de la représentation à la Chambre des communes, au Sénat ou à l'échelle locale, beaucoup d'études indiquent que la représentation des immigrants n'est pas égale à leur pourcentage dans la population.

Le travail que fait Mme Omidvar au sein d'ALLIES, Assisting Local Leaders with Immigrant Employment Strategies, pour assurer la représentation des immigrants dans des conseils, est fantastique. La définition plus inclusive et probablement plus juste de « politique » que vous utilisez est beaucoup plus large que celle dont je parlais, qui est plus limitée.

Le sénateur Cordy : La vôtre concerne simplement le vote.

Mme Tunis : Oui, et c'est dans ce domaine que les résultats sont comparables.

Le sénateur Meredith : Monsieur Picot, relativement au pourcentage de 24 p. 100 pour les enfants d'immigrants nés au Canada que l'on peut voir à la diapositive no 6, pourquoi est-il si bas? Est-ce dû à un manque d'éducation postsecondaire en raison des frais de scolarité? Pourquoi ce pourcentage est-il plus bas que pour les enfants d'immigrants des Caraïbes ou des Philippines?

M. Picot : Je ne le qualifierais pas de bas. Comparativement aux autres pays, nous envoyons un pourcentage assez élevé de nos enfants à l'université.

Il y a un certain nombre de raisons qui expliquent cet écart. Le niveau de scolarité des parents immigrants est plus élevé que celui des parents nés au Canada. Dans l'ensemble, les immigrants ont un niveau de scolarité plus élevé que les Canadiens, et nous savons que si un parent détient un diplôme universitaire, la probabilité que son enfant fréquente l'université est plus élevée que si le parent n'en a pas. Le niveau de scolarité des parents immigrants est l'une des principales raisons.

Croyez-le ou non, l'endroit où on habite est aussi un facteur. Les gens qui habitent dans les grandes villes sont plus susceptibles d'avoir un niveau de scolarité plus élevé. Les immigrants ont tendance à être concentrés dans les trois plus grandes villes, ce qui fait aussi augmenter le niveau de scolarité.

Ensuite, il y a des différences entre les groupes de différentes régions sources. Nous n'avons pas de données à ce sujet, mais il est assez évident que certains groupes tels que les Chinois, les Indiens et les Pakistanais accordent plus d'importance à l'éducation que d'autres, et les chiffres reflètent cette réalité. Ce sont là les grandes différences.

Même après avoir tenu compte de tous ces facteurs — le niveau de scolarité, le lieu de résidence et le groupe ethnique —, on ne s'explique toujours pas l'écart entre le niveau de scolarité des enfants de parents nés au Canada et celui des enfants d'immigrants.

Le sénateur Meredith : Madame Tunis, je sais que CIC a construit de grands centres d'accueil. Nous parlons de répartition des ressources. Je connais celui de Mississauga. Hier, on nous a dit où s'installent les immigrants dans la région du 905 : Richmond Hill, Newmarket et Markham.

Comment décide-t-on de la répartition des ressources entre les 400 fournisseurs de services? J'ai des origines modestes. Nous assurons-nous que les immigrants reçoivent des services plutôt que de dépenser l'argent pour l'administration qui va de pair avec ces organismes? Quel est le processus décisionnel? Quel genre de suivi fait-on pour s'assurer de la prestation des services?

Mme Tunis : Dans le cadre de l'Accord Canada-Ontario sur l'immigration, l'Ontario a bénéficié d'une augmentation : l'investissement est passé d'environ 100 millions de dollars à 400 cette année. L'an prochain, ce sera 346 millions, ce qui représente tout de même le triple.

Il y a eu beaucoup d'innovation pendant cette période. C'est une bonne chose de regrouper les fournisseurs de services en un seul lieu, comme au centre d'accueil de Vaughan. Les immigrants peuvent y suivre des cours de langue, avoir accès à des programmes de soutien à l'emploi et à Connexions Communautaires.

Notre objectif, qui est de s'assurer que nous obtenons les résultats voulus pour les immigrants, explique en partie pourquoi certains organismes continuent de recevoir du financement et d'autres, non. Nous essayons d'établir clairement les objectifs. Nous voulons que les nouveaux arrivants acquièrent des capacités langagières et des compétences liées au marché du travail, qu'ils tissent des liens avec la communauté et qu'ils reçoivent les renseignements et les connaissances dont ils ont besoin.

Depuis quelques années, nous avons un système de cueillette de renseignements qu'on appelle iSMRP, Système de mesure pour la reddition des comptes concernant les programmes de contributions de l'immigration. Grâce à ce système, on suit les participants et on essaie de mesurer certains des résultats. Il y a eu un appel d'offres en juin dernier. Plus de 700 organismes ont présenté des soumissions valant plus de 700 millions de dollars; nous avons donc dû faire des choix. Nous avons évalué les organismes en fonction de leur dossier auprès du ministère, de l'efficacité avec laquelle ils y parviennent et des résultats qu'ils s'engagent à atteindre.

Le sénateur Meredith : Seulement pour ces centres d'accueil, les jeunes ne sont pas inclus, et je suis stupéfait de constater qu'on n'a rien prévu pour les jeunes immigrants. Je vous dis cela simplement à titre de renseignement.

Le sénateur Dyck : Merci de votre exposé. J'adore les chiffres. Je les regardais et je m'interrogeais sur le lien entre la race et le genre.

Vous avez une catégorie pour les Canadiens nés au Canada. Je me considère comme tel, mais je suis né de parents de races différentes. Mon père a immigré au Canada.

M. Picot : « Canadiens nés au Canada » signifie exactement ce que cela dit : il s'agit de toutes les personnes nées au Canada, peu importe leur origine ethnique.

Le sénateur Dyck : Je suis intrigué par vos données qui révèlent que les immigrants sont touchés de façon disproportionnée pendant les périodes de récession comme celle des années 1990. Merci d'avoir fourni ces données. Je vais en parler dans l'allocution que je prononcerai la semaine prochaine. J'ai maintenant des preuves concrètes.

Pouvez-vous séparer les données pour les membres de minorités visibles nés au Canada?

M. Picot : Oui.

Le sénateur Dyck : Ces données sont-elles disponibles?

M. Picot : Nous pouvons vous les fournir. Je n'ai pas les chiffres en tête.

Le sénateur Dyck : Pouvez-vous établir les différences entre les hommes et les femmes pour la catégorie que l'on trouve sur le graphique?

M. Picot : Oui.

Le sénateur Dyck : Selon mon expérience et les témoignages que j'ai entendus sur ce qui se passe en réalité, j'ai l'impression que les femmes et les minorités visibles, ou les immigrants qui ont des problèmes de vision ou même de l'ouïe sont doublement touchés.

M. Picot : Cela dépend de la récession. En réalité, beaucoup d'économistes parlent de la dernière récession comme d'une récession d'hommes parce que les industries les plus touchées sont celles qui ont tendance à employer des hommes. Si on compare les résultats entre les immigrants et les Canadiens nés au Canada, on observe un écart considérable pour les hommes, tandis que pour les femmes, il n'est pas aussi grand. Pendant la dernière récession, les femmes — immigrantes ou nées au Canada — n'ont pas été aussi durement touchées. Cela varie en fonction des caractéristiques de la récession.

Le sénateur Dyck : À la page 2, vous indiquez les taux de chômage des femmes et des hommes nés au Canada. Je suis surpris de voir que le taux de chômage des femmes est moins élevé.

M. Picot : Oui. L'explication est la même. Ces données sont pour la période de 2006 à 2010 et comprennent la récession. Les hommes sont durement touchés par la dernière récession, ce qui a fait grimper leur taux de chômage par rapport à celui des femmes.

Le sénateur Dyck : À la page 4, vous indiquez que l'immigration vient maintenant davantage d'Asie, des Caraïbes, et cetera, plutôt que d'Europe. Le peu de valeur que nous accordons à l'expérience de travail à l'étranger est-il attribuable au fait que nous n'avons pas assez de personnes aux échelons supérieurs qui connaissent les systèmes d'éducation, la culture ou le travail qui se fait en Asie ou dans les Caraïbes? Est-ce une question de racisme systémique ou d'obstacle structurel?

M. Picot : Je n'ai pas connaissance d'études portant sur ce point précis. Il est difficile pour les employeurs ou même pour les universités d'évaluer certaines des universités, par exemple, parce qu'on ne les connaît pas. C'est possible. Pour ma part, du moins, je ne sais pratiquement rien à ce sujet.

Le sénateur Dyck : Existe-t-il des programmes de formation qui prévoient l'envoi d'administrateurs ou de décideurs canadiens dans d'autres pays afin de leur donner des connaissances sur les établissements d'enseignement de ces pays? Je sais que certaines universités essaient de le faire. Elles envoient des gens dans une université chinoise pour avoir une bonne idée de ce qui s'y passe afin de mieux évaluer les diplômes et de le faire de façon plus équitable.

M. Picot : J'ai entendu beaucoup de propositions selon lesquelles il faut agir en ce sens. Je n'ai pas connaissance de tels programmes, mais cela ne veut pas dire qu'ils n'existent pas. Ce n'est pas mon domaine.

Mme Tunis : CIC ne fait pas cela. Toutefois, j'ai assisté à une activité du Conference Board du Canada la semaine dernière, dans le cadre de la Table ronde des dirigeants sur l'immigration, et j'ai entendu dire qu'Anne Golden avait amené un groupe de dirigeants d'entreprises en Inde pour connaître les pratiques commerciales utilisées dans d'autres parties du monde. Je sais que la chambre de commerce et le Conference Board du Canada essaient de travailler ensemble sur la question de l'expérience de travail.

Le sénateur Demers : Ceci est plutôt une remarque et, évidemment, je n'ai pas l'expérience du sénateur Meredith. Deux de nos meilleurs amis, à ma femme et moi, sont des immigrants, et deux de leurs enfants vont à l'université. Ils ont bien réussi.

Quand quelqu'un quitte un pays, c'est pour avoir une vie meilleure. Les gens amènent leur famille dans un nouveau pays dans l'espoir d'assurer un meilleur avenir à leurs enfants. Comme l'a indiqué le sénateur Martin, beaucoup de nos immigrants retournent dans leur pays d'origine.

Au Québec, nous avons beaucoup d'immigrants. Malheureusement, nous avons beaucoup de crimes très violents et des choses comme cela. Ils viennent ici, nous ouvrons la porte, et dans certains cas, on dit : « Prenez soin de vous, amusez-vous bien.» Ils ne peuvent pas y arriver seuls. Je vois des chiffres de 40 p. 100 à Toronto, 20 p. 100 à Vancouver et 10 p. 100 au Québec. Ils semblent très bien s'intégrer dans notre province, même si, fondamentalement, elle est francophone.

Beaucoup de personnes n'ont pas de possibilité d'emploi à moins d'être des cols blancs, qui semblent bien réussir. Ces personnes ont de l'espoir, et elles viennent ici pour se rendre compte que nous ne sommes pas là pour elles. Je parle de ces personnes, des êtres humains extraordinaires qui sont arrivés ici les mains vides et qui ont bâti tout ce qu'ils ont de leurs propres mains. Voilà le tableau d'ensemble, mais tout autour, ce n'est pas très joli. Est-ce logique? Vous ne le direz peut-être pas.

Mme Tunis : Une de nos préoccupations, c'est que les résultats économiques au Québec semblent plus bas que dans d'autres parties du pays. Il pourrait y avoir un lien avec son économie et son industrie. Lorsque je regarde les programmes du gouvernement du Québec, il ne fait aucun doute qu'ils sont formidables. Le Québec a d'excellents cours de langues et programmes d'intégration communautaire et toutes les choses de ce genre. Nous devons comprendre ce qui ne fonctionne pas. La province participe activement à la sélection des immigrants, elle essaie de choisir la crème de la crème, elle a le premier choix pour les réfugiés et le premier choix pour la sélection. Il reste du travail à faire. Nous espérons que le rapport du comité permettra d'éclaircir certains points.

Le sénateur Nancy Ruth : Madame Tunis, je viens de Toronto, et il y a eu beaucoup de commentaires au sujet des compressions. J'ai été heureuse d'apprendre que les compressions n'étaient que de 25 p. 100 en Ontario et que les chiffres sont plus élevés que ce que la presse nous laisse entendre.

À Toronto, on est quelque peu préoccupé par le fait que ces compressions seraient liées à la race et au genre. Dans votre réponse à la question posée par le sénateur Meredith, vous n'avez pas employé l'expression « économies d'échelle », mais vous avez plutôt parlé de laboratoires de langues conjoints, et cetera, ce qui m'a porté à croire que le South Asian Women's Centre a fait l'objet de compressions parce qu'il était trop petit pour pouvoir continuer. Beaucoup de centres de ce genre ont été supprimés. Les petits groupes ont-ils subi les compressions les plus importantes?

Si c'est une question d'économies d'échelle, les femmes ont souvent besoin d'apprendre d'elles-mêmes grâce à des méthodes particulièrement adaptées pour les femmes étudiantes, ce qui n'est pas le cas de la plupart des programmes d'études. Que fait le gouvernement fédéral pour remédier à cette lacune, s'il élimine les centres pour femmes?

Mme Tunis : Je vais essayer de répondre à votre question en trois parties. Il n'y avait certainement aucune intention de cibler des organismes ethnospécifiques, et les directives du cabinet de notre ministre étaient que lorsque les fonctionnaires examineraient la situation de ces organismes, il ne fallait pas agir ainsi.

Je suis consciente que je suis en présence de l'ancien maire de Toronto. Cette ville a été un pôle si important pour les immigrants au fil des ans, et on y trouve tant de fournisseurs de services. Lorsque nous examinons les tendances sur l'établissement des immigrants, on constate qu'ils s'établissent à l'extérieur du centre-ville. En conséquence, nous voulions que le financement suive les immigrants, parce que certaines parties du centre-ville de Toronto sont embourgeoisées et que les immigrants n'ont pas les moyens de s'y établir. Ils vivent dans d'autres parties de la ville; nous voulions donc équilibrer les choses.

Le député Gerard Kennedy m'a appelée pour me parler précisément du South Asian Women's Centre. Je ne donnerai pas de détails sur le financement de certains organismes en particulier; dans mon travail à Ottawa, je n'examine pas les choses aussi en détail de toute façon.

Les grandes améliorations des cinq dernières années en Ontario sont sans contredit le programme des cours de langue pour les personnes âgées, les programmes spéciaux pour les femmes et la prestation de services de garde d'enfants pour les participants au programme CLIC. Nous avons étendu cette mesure à tous nos programmes d'établissement parce qu'il a été conclu que la garde d'enfants était un obstacle important à la participation des femmes.

Comme l'a fait remarquer le sénateur Meredith, nous n'avons pas autant travaillé auprès des jeunes que nous aurions dû le faire pendant cette période, mais en Ontario, on a beaucoup innové pour offrir des cours aux femmes et aussi aux aînés.

Le sénateur Braley : Nous avons accueilli beaucoup d'immigrants dans nos ateliers pour outilleurs-ajusteurs et dans ce que vous avez à Hamilton, et ils font un travail fantastique. Cependant, au cours des 20 dernières années, ils ont fait venir des membres de leur famille ou des amis qui n'avaient pas un niveau de scolarité aussi élevé, mais qui pouvaient aider à améliorer la vie de famille. En tenez-vous compte de façon distincte lorsque vous présentez vos chiffres sur le niveau de scolarité et le revenu?

Il y a un écart important entre le revenu de 15 à 20 $ l'heure et le revenu des outilleurs-ajusteurs, qui est de 22 à 32 $ l'heure. Les immigrants qui sont arrivés il y a 30 ans ont fait venir des amis et des membres de leur famille qui n'avaient pas un niveau de scolarité aussi élevé. Les premiers immigrants étaient qualifiés, et ils ont fait venir leurs amis pour leur offrir un meilleur mode de vie.

M. Picot : Ces personnes sont incluses dans les statistiques. Lorsque nous parlons de l'augmentation du niveau de scolarité des immigrants, les chiffres que nous vous donnons incluent tous les immigrants, peu importe s'il s'agit d'immigrants venus ici dans la catégorie du regroupement familial.

Le sénateur Braley : Le chiffre est sans importance.

M. Picot : Ils sont inclus.

Le sénateur Braley : Pour la plupart, les Asiatiques que nous engageons aujourd'hui ont été envoyés dans nos universités, et nous les engageons à la fin de leurs études et ils présentent une demande de résidence permanente. Ils ont un niveau de scolarité beaucoup plus élevé.

M. Picot : Oui.

Le sénateur Braley : Ils ont une incidence sur les chiffres, et vous devez vraiment savoir ce que représentent les chiffres.

M. Picot : Nous ne nous sommes pas penchés sur la formation professionnelle, comme les outilleurs-ajusteurs, par exemple. Quelqu'un d'autre a posé cette question plus tôt, et nous l'étudierons. En matière de scolarité, la tendance est du côté des diplômés universitaires.

Le président : Merci beaucoup. Nous avons un peu dépassé le temps alloué, mais votre contribution au processus nous a été très utile. Monsieur Picot, madame Tunis, merci.

Chers collègues, nous allons accueillir le deuxième groupe de témoins. Notre premier témoin est Ben Henderson, qui est président du Comité permanent sur le développement socioéconomique de la Fédération canadienne des municipalités. M. Henderson est un conseiller de la ville d'Edmonton. Ensuite, nous entendrons Robert Vineberg, chercheur associé de la Fondation Canada Ouest, qui est une des principales sources d'observations sur les stratégies qui mène des études et publie des rapports non partisans sur d'importantes recherches en matière d'économie et de politique publique qui sont essentielles aux quatre provinces de l'Ouest et à tous les Canadiens. Ensuite, nous accueillons Martin Collacott, du Centre pour une réforme des politiques d'immigration. Cet organisme a été fondé récemment, en 2009. Il est issu des discussions d'un groupe de personnes de partout au pays préoccupées par la nécessité d'apporter des changements importants aux politiques d'immigration et de créer un organisme national pour faire la promotion de cette la réforme. Pour terminer, nous accueillerons David Harris, qui est avocat et directeur de INSIGNIS Strategic Research Inc. Il est l'ancien chef de la planification stratégique du Service canadien du renseignement de sécurité, le SCRS.

Ben Henderson, président, Comité permanent sur le développement socioéconomique, Fédération canadienne des municipalités : Merci de m'accueillir ici aujourd'hui. Je suis un conseiller de la ville d'Edmonton, mais je suis ici aujourd'hui à titre de président du Comité permanent sur le développement socioéconomique de la Fédération canadienne des municipalités. Pour ceux qui ne connaissent pas la FCM, nous regroupons près de 2 000 municipalités au Canada, ce qui représente 90 p. 100 de la population du pays.

La FCM est ici pour parler de la recherche menée par les municipalités sur les questions sociales liées aux villes et aux collectivités canadiennes, dans l'optique de l'intégration de l'immigration.

J'aimerais d'abord féliciter vote comité pour le travail d'analyse des problèmes que sont la pauvreté et le logement en général et d'avoir reconnu que les nouveaux arrivants au Canada sont surreprésentés dans nos cycles de la pauvreté. Créer une politique d'immigration juste n'a jamais été aussi essentiel pour les succès du Canada, des Canadiens et des collectivités dans lesquelles nous vivons. Étant donné que le groupe des personnes âgées augmente plus rapidement que les autres groupes d'âge et que le taux de natalité est stagnant, 100 p. 100 de la croissance de notre population active viendra des nouveaux immigrants à compter de cette année.

À juste titre, le gouvernement fédéral a mis l'accent sur la nécessité d'attirer et de retenir les immigrants afin d'assurer au Canada un avenir économique et culturel prospère. Toutefois, nous sommes devant vous aujourd'hui pour discuter des obstacles au succès que doivent affronter les immigrants, qui accusent un retard par rapport à leurs concitoyens nés au Canada.

Les études de la FCM sur les collectivités de partout au pays démontrent que contrairement aux générations d'immigrants précédentes, les nouveaux arrivants ne rattrapent pas leurs concitoyens nés au Canada dans les 10 années suivant leur arrivée. Leur revenu est plus bas et il leur faut plus de temps pour trouver un logement abordable et un emploi qui correspond à leurs compétences et à leur niveau de scolarité.

Pour ce qui est des ménages dont le revenu est plus bas que le niveau de faible revenu établi par Statistique Canada, en 2006, les ménages des nouveaux immigrants à faible revenu représentaient 43 p. 100 de l'ensemble des ménages des nouveaux immigrants, soit un taux trois fois plus élevé que les ménages non immigrants.

Ce qui devient évident, c'est qu'une gamme beaucoup plus étendue de services, autres que les services traditionnels comme les cours de langue et l'aide à l'emploi, est nécessaire pour assurer le succès à long terme de l'établissement et de l'intégration des immigrants. Un nombre très élevé d'immigrants a recours aux services municipaux comme le logement, les loisirs, les bibliothèques, la garde d'enfants et le transport en commun. Ces services jouent un rôle essentiel dans le processus d'établissement.

Dans un monde dans lequel les travailleurs talentueux sont très mobiles, les collectivités doivent aussi fournir une très bonne qualité de vie et un environnement accueillant. Les sondages auprès des nouveaux arrivants indiquent invariablement que la proximité de la famille et des amis, la possibilité d'acheter une maison et d'établir des communautés sont les priorités, ce qui place les services municipaux à l'avant-scène des besoins des immigrants. De plus, lorsque les immigrants ne réussissent pas, les services locaux comme les refuges et les banques alimentaires jouent un rôle primordial dans la satisfaction des besoins des nouveaux arrivants. La chambre de commerce de Toronto estime qu'au Canada, l'échec de l'intégration des immigrants dans l'économie entraîne une perte d'activité économique d'une valeur de 2,25 milliards de dollars.

Les municipalités, qui fournissent la majorité des services de première ligne dont les nouveaux Canadiens ont besoin pour connaître du succès, ont été écartées de l'élaboration des politiques sur l'immigration, de la conception des programmes et de la répartition des budgets. La majorité des municipalités n'ont ni le mandat ni le financement pour fournir des services d'appui à l'immigration. Les municipalités n'ont pas les ressources et les mesures fiscales nécessaires pour assumer ces nouvelles responsabilités si cruciales à leur réussite économique.

Tout d'abord, pour favoriser la réussite des nouveaux immigrants, les municipalités demandent une meilleure collaboration entre les trois ordres de gouvernement dans l'élaboration d'une stratégie d'établissement des immigrants. Elles demandent l'harmonisation des initiatives fédérales en matière de logement et de transport en commun avec les politiques fédérales sur l'immigration afin d'assurer la réussite des collectivités et d'éviter un retour aux années 1990, lorsque le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux ont atteint l'équilibre budgétaire en refilant les responsabilités et les coûts aux contribuables des municipalités.

Puisque notre avenir économique, social et culturel dépend de notre capacité d'attirer et de retenir les immigrants, nous devons assurer la participation des villes où ils s'établissent. Sans endroit convenable pour vivre, avoir accès à des services de garde d'enfants et à des moyens de transport abordables et fiables pour se rendre au travail et en revenir, sans collectivités prêtes à accepter ce qu'ils ont à offrir, les nouveaux arrivants continueront à accuser du retard et le Canada n'atteindra pas ses objectifs sociaux et économiques. Merci.

Robert Vineberg, chercheur associé, Fondation Canada Ouest : Monsieur le président, honorables sénateurs, merci beaucoup de me donner l'occasion de comparaître devant vous ce matin pour vous parler brièvement du contexte de la collaboration fédérale-provinciale dans le domaine de l'immigration.

[Français]

Bien que me présentation soit en anglais, il me fera plaisir de répondre à vos questions dans la langue officielle de votre choix.

[Traduction]

Il y a un siècle, les Canadiens étaient extrêmement préoccupés par la question de savoir si les « étranges » immigrants venus de Russie, de Galicie et d'Ukraine réussiraient un jour à s'intégrer. Les Canadiens étaient alors impatients de voir les immigrants devenir Canadiens, et ils le sont encore aujourd'hui. Mais à l'époque, tout comme aujourd'hui, l'intégration était un long processus nécessitant souvent des générations et nous, la population hôte, devons tenir compte de ce fait.

Une deuxième question qui peut sembler nouvelle, mais qui ne l'est pas, est la participation des gouvernements provinciaux dans le dossier de l'immigration. L'article 95 de la Constitution prévoit l'exercice concomitant des compétences en matière d'immigration. Comment ce droit constitutionnel a-t-il été exercé ces dernières années?

Dans les années 1960, le Québec a pris l'initiative dans la recherche d'un rôle pour les provinces. La Révolution tranquille avait mené à une ouverture à l'égard de l'immigration et le Québec a tenté de pousser le gouvernement fédéral à sélectionner davantage d'immigrants francophones, mais sans succès. L'appareil gouvernemental fédéral n'avait pas la capacité de répondre à cette requête.

Le Québec a donc créé en 1965 son propre service de l'immigration visant à promouvoir l'immigration francophone. Le résultat a été la première entente fédérale-provinciale moderne en matière d'immigration, en 1971. Cette entente permettait au Québec d'avoir des agents en poste à l'étranger pour conseiller les immigrants destinés au Québec. En 1975, cette entente a été modifiée, et les immigrants destinés au Québec devaient rencontrer un conseiller en immigration du Québec.

Pendant ce temps, le gouvernement fédéral a publié son livre vert en 1974. On y déclarait notamment ceci :

Il n'existe aucun obstacle constitutionnel à une collaboration plus active et plus large entre le gouvernement central et les gouvernements provinciaux, en vue de mieux adapter la politique en matière d'immigration aux besoins des provinces et des territoires.

Donc, quand la nouvelle Loi sur l'immigration de 1976 est entrée en vigueur deux ans plus tard, elle prévoyait que les provinces devaient être consultées quant au nombre d'immigrants et à leur établissement et prévoyait une autorisation législative pour les ententes fédérales-provinciales.

Le gouvernement fédéral a rapidement conclu une nouvelle entente avec le Québec, et des ententes initiales avec la Nouvelle-Écosse et la Saskatchewan, mais la seule qui était réellement substantielle était celle avec le Québec. Cette entente prévoyait, à partir de 1978, que le Québec devait donner son approbation pour l'établissement des immigrants indépendants, ce qui en faisait essentiellement une décision du Québec.

Les dispositions contenues dans l'entente conclue avec le Québec devaient être incluses dans l'Accord du lac Meech et dans celui de Charlottetown. Quand ces ententes ont échoué, une nouvelle entente Canada-Québec a été négociée en 1991. Celle-ci, toujours en vigueur, confirmait les pouvoirs du Québec en matière de sélection des immigrants indépendants et transférait les programmes d'établissement et le financement fédéral au Québec, avec des dispositions financières très généreuses.

Le succès du Québec a encouragé les autres provinces à présenter elles aussi des demandes. Les provinces des Prairies, notamment, avec à leur tête le Manitoba, étaient préoccupées par le fait que la sélection fédérale n'acheminait pas une juste part des immigrants vers l'Ouest.

Citoyenneté et Immigration Canada ne souhaitait pas se retrouver avec 10 équivalents de l'entente Canada-Québec, mais devait conserver une apparence de réceptivité. Par conséquent, le Programme des candidats des provinces a été élaboré. Il s'agissait au départ d'un projet pilote assorti d'un maximum annuel de 1 000 candidats qui permettrait aux gouvernements provinciaux de sélectionner certains immigrants en fonction des besoins du marché du travail régional plutôt que national.

Ce programme a donné le signal d'une nouvelle série d'ententes fédérales-provinciales, et la première nouvelle entente a été signée par le Manitoba en octobre 1996. Elle prévoyait des annexes pour le PCP ainsi que pour l'établissement, qui seraient conclues à une date ultérieure. Au cours des années suivantes, des ententes ont été conclues avec l'ensemble des provinces et des territoires pour le PCP, à l'exception du Nunavut.

À la même époque, CIC a proposé le réaménagement de l'établissement. Cette démarche découlait de l'examen des programmes au milieu des années 1990, et CIC a décidé que l'établissement pouvait tout aussi bien être exécuté par les provinces. Une somme de 62 millions de dollars a été ajoutée au budget de l'établissement à titre de mesure incitative, mais seuls le Manitoba et la Colombie-Britannique se sont montrés intéressés. Ces provinces ont conclu des ententes et ont entrepris la prestation de programmes d'établissement en 1999.

Mais alors que le financement de l'établissement au Québec continuait de croître, conformément aux dispositions de leur entente, dans toutes les autres provinces, il était gelé au niveau du milieu des années 1990. En 2003-2004, l'Ontario a pris les devants et a inclus l'établissement dans son argumentation sur le déséquilibre fiscal de plusieurs milliards de dollars.

La première entente bilatérale jamais conclue avec l'Ontario en matière d'immigration, en 2005, prévoyait donc une augmentation de presque un milliard de dollars en financement de l'établissement sur une période de cinq ans. L'Ontario était satisfait, mais non les autres provinces. L'Alberta et la Colombie-Britannique ont tenté d'obtenir une entente semblable; le ministre Oppal, de la Colombie-Britannique et le ministre des Affaires intergouvernementales de l'Alberta, Ed Stelmach, ont d'ailleurs défendu leur point de vue avec véhémence. Au cours des trois années suivantes, le budget d'établissement des autres provinces a aussi été augmenté, afin d'atteindre une certaine parité.

Il existe actuellement trois modèles de financement. Le financement accordé au Québec est versé sous forme de subvention et de manière continue; il a commencé avec 75 millions de dollars en 1991, et atteint maintenant 258 millions de dollars. Ces données ne tiennent pas compte de l'augmentation de l'immigration, qui est beaucoup moins élevée; il s'agit d'une formule calculée d'après l'augmentation du PIB à l'échelle nationale.

Conformément à l'Accord Canada-Ontario sur l'immigration (ACOI), le financement accordé à l'Ontario a été distinct, de 2006 à l'exercice financier actuel, et augmentait tous les ans. Dans toutes les autres provinces, le financement est assujetti au modèle d'affectation des fonds pour l'établissement, reposant sur une moyenne mobile sur trois ans du nombre d'immigrants reçus et ajusté pour tenir compte du nombre de réfugiés.

En décembre dernier, CIC a annoncé le financement destiné à l'établissement pour le prochain exercice financier, et avec la fin de l'engagement de financement quinquennal envers l'Ontario, comme l'a souligné plus tôt Deborah Tunis, la formule englobe maintenant toutes les provinces et tous les territoires, à l'exception du Québec. Par conséquent, le financement de l'Ontario a diminué de 44 millions de dollars en 2011-2012. Par contre, dans les Prairies, où l'immigration est passée d'environ 19 000 à 47 000 au cours des 10 dernières années, le financement s'est accru de 12 millions de dollars.

Monsieur le président, vous aviez demandé des précisions à propos des réductions dans le financement en général et ce n'est que spéculation de ma part, mais je pense qu'elles découlent de l'examen stratégique auquel CIC a été soumis en 2010. La plupart des ministères ont dû fournir à peu près 5 p. 100 de leur budget global. Je pense que c'est ce qui est arrivé aux 50 millions de dollars.

Le Canada a maintenant quatre modèles en ce qui a trait aux différentes dispositions sur l'établissement et ma description est un peu différente de celle de Mme Tunis. Tout d'abord, il y a eu le transfert des responsabilités au Québec, au Manitoba et à la Colombie-Britannique, l'établissement de la cogestion en Alberta, ce que j'appelle la consultation officielle en profondeur avec l'Ontario, et finalement l'exécution par le fédéral seulement pour toutes les autres provinces et les autres territoires.

En résumé, le gouvernement fédéral a adopté une approche de régionalisation et de transfert de responsabilités pour deux aspects importants de l'immigration, soit la sélection et l'établissement. Cette approche permet aux provinces d'adapter les programmes afin qu'ils conviennent mieux à leurs besoins. Il y a maintenant beaucoup plus de souplesse, mais moins d'uniformité.

L'histoire des relations fédérales-provinciales-territoriales a été marquée par la fluctuation depuis la Confédération. Toutefois, les provinces et les territoires sont des participants à part entière et sont reconnus comme des éléments permanents du système d'immigration du Canada. Un tel régime de consultation et de coopération n'est certainement pas facile à gérer, mais il est bien préférable pour les immigrants ainsi que pour le Canada lui-même.

À l'avenir, la difficulté consistera à conserver cette souplesse tout en maintenant l'intégrité du programme.

Le président : Merci beaucoup. Nous allons maintenant entendre Martin Collacott, du Centre pour une réforme des politiques d'immigration, mais laissez-moi d'abord rectifier mon oubli et mentionner qu'il est également chercheur principal à l'Institut Fraser.

Martin Collacott, porte-parole, Centre pour une réforme des politiques d'immigration : Honorables sénateurs, on m'a demandé de commenter l'intégration des immigrants, notamment leur intégration sociale. Je vais soulever certains problèmes, ou certains problèmes potentiels, parce que je pense que nous avons entendu parler de ce qui allait bien et des améliorations à apporter, mais je crois qu'il est important d'aborder la question sous tous ses aspects.

J'aimerais souligner que je pense, comme la plupart des Canadiens, que notre société est plus intéressante maintenant qu'à l'époque de ma jeunesse, et nous le devons à la diversité que les immigrants y ont insufflée. Je peux aussi dire que ma propre famille reflète cette diversité. En effet, mes parents ont immigré du Royaume-Uni et ma femme vient de l'Asie. De plus, son père vient de la Chine et sa mère du Vietnam et nous sommes heureux que nos enfants puissent parler vietnamien. La diversité, donc, a été une bonne chose jusqu'à un certain point, mais nous devons maintenant nous demander jusqu'où nous pouvons aller. Je veux préciser qu'au cours de ma carrière, j'ai travaillé pendant de nombreuses années pour le gouvernement de l'Ontario, en tant que conseiller en citoyenneté au ministère de l'Éducation, où je m'occupais des programmes pour les immigrants.

Je pense que nous devrions examiner attentivement certains problèmes potentiels. En effet, je ne crois pas que nous voulons qu'il nous arrive la même chose qu'en Europe, c'est-à-dire de penser que tout va bien pendant des années, pour finalement se rendre compte de l'existence de problèmes graves.

Examinons certains des aspects qui pourraient représenter un problème. Par exemple, il y a seulement quelques dizaines d'années, la population de villes comme Vancouver et Toronto était surtout composée de Blancs, quoique de nos jours, on dit plutôt minorité non visible. Je vais quand même utiliser « Blancs » pour simplifier.

Les projections de Statistique Canada publiées l'année dernière indiquent que la ville de Toronto, où 42 p. 100 de la population appartient à une minorité visible, verra cette proportion grimper à 62 p. 100 en 2030. À Vancouver, elle atteindra 59 p. 100. Il s'agit de changements assez spectaculaires et la question est de savoir à quel point ils peuvent se dérouler sans heurts. Par exemple, si une ville de la Chine ou de l'Inde avait une population à 99 p. 100 chinoise ou indienne et que quelques décennies plus tard, ces mêmes villes affichaient une population à 60 p. 100 non chinoise ou non indienne, composée de gens issus de différents milieux, je crois que vous réagiriez assez vivement. Jusqu'où peut-on aller?

À un certain moment dans ma carrière, j'ai travaillé pour l'ACDI pendant cinq ans dans le Nord de Bornéo. Le gouvernement indonésien avait alors décidé de réduire la population de certaines régions populeuses en déplaçant de nombreuses personnes vers la région de Kalimantan, dans le sud. Ces gens ressemblaient aux Autochtones de leur région d'accueil, ils parlaient tous indonésien, ils venaient tous du même pays, mais les habitants de la région ont fini par se sentir envahis; ils se sont révoltés et ont décapité 400 des nouveaux arrivants. Je ne pense pas que cela va se produire ici, mais il reste qu'un changement spectaculaire et trop rapide doit être suivi de plus près.

J'ai abordé le sujet dans un article publié par l'Institut Fraser en 2002. Le Vancouver Sun, dans un reportage sur l'article, a utilisé un titre qui laissait entendre que Vancouver pourrait devenir le théâtre d'émeutes raciales. Je n'ai jamais dit cela dans mon article, et le journal n'en parlait pas non plus dans le sien. Tout ce que j'ai fait, c'est de citer certains documents parlementaires et certains articles provenant des Affaires étrangères, mais il s'agit tout de même d'une question que nous devrions approfondir.

Garnett Picot, qui s'est adressé à vous plus tôt, n'a pas mentionné tous ses travaux; il a en effet un impressionnant bagage professionnel. Il a parlé de l'augmentation spectaculaire des groupes de minorités visibles dans nos plus grandes villes, qui sont passés de 6 en 1981 à 254 en 2001.

Je pense qu'il va sans dire qu'un nouvel arrivant possédant un bagage culturel et linguistique très différent se sentira plus à l'aise de s'installer dans un groupe qui partage sa langue, mais cela ralentira son intégration. Dans une étude publiée l'année dernière, Zheng Wu, professeur de sociologie à l'Université de Victoria, a découvert que plus il y a de gens partageant leur provenance ethnique dans leur quartier, plus les immigrants adultes vont prendre du temps avant de se sentir pleinement Canadiens. Il existe d'autres facteurs qui ralentissent l'intégration des immigrants, comme l'accès à la télévision par satellite, les appels interurbains abordables, Internet et la facilité de voyager dans le pays d'origine, tous des facteurs dont nous n'avions pas à nous occuper il y a un siècle.

Toutes sortes de répercussions s'ensuivent. Par ailleurs, Robert Putnam, un universitaire américain, a publié en 2007 un rapport dans lequel il a écrit ceci :

Dans les quartiers où se côtoyaient plusieurs ethnies, les résidents de toutes les races avaient tendance à se replier sur eux-mêmes. La confiance... est moindre, l'altruisme et la coopération communautaire plus rares, les amitiés moins fréquentes.

Il en a conclu que l'immigration et la diversité ethnique avaient tendance à diminuer la solidarité sociale et le capital social. Pourtant, Putnam appuie la diversité; lorsqu'il a mené son étude, il n'en a pas aimé les conclusions. Pendant plusieurs années, il a tenté de les infirmer, mais il n'y est pas parvenu. Il a donc dû les publier.

Il y a cependant des signes positifs. Par exemple, le taux de mariage entre personnes appartenant à différentes religions et à différentes ethnies est assez élevé. À Vancouver, ces mariages représentent jusqu'à 7 p. 100 de tous les mariages et cette proportion atteint 12.9 p. 100 chez les 20 à 29 ans. Un examen attentif révèle cependant des inégalités, puisque certains groupes se mélangent et se marient entre eux beaucoup plus que les autres. Je n'ai pas suffisamment de temps pour entrer dans les détails, mais je peux vous les donner si cela vous intéresse.

Cette immigration massive a un effet sur certains aspects liés à la sécurité nationale et je pense que M. Harris va peut-être en parler. Cela pourrait aussi engendrer des répercussions sur la politique étrangère. Je vais parler d'un groupe en particulier, non parce qu'il s'agit du seul exemple pertinent, mais parce qu'il s'agit du groupe qui grandit le plus rapidement. Vous avez peut-être vu, dans le National Post de mardi, un article selon lequel la population musulmane du Canada va tripler d'ici 2030, passant de moins de 100 000 représentants en 1981 à 2,7 millions en 2030, ce qui représentera 6,6 p. 100 de la population.

Je parle de « groupes musulmans », parce qu'il n'y en a pas qu'un seul. Les groupes musulmans du Canada comptent parmi les plus diversifiés dans un grand nombre de pays, ce qui favorise leur intégration. Notre situation est également plus enviable qu'en Europe, car un bon nombre de nos musulmans sont des immigrants indépendants très qualifiés qui sont plus aptes à intégrer la société canadienne que le sont beaucoup de ceux qui se sont établis en Europe.

Un sondage mené en 2007 révèle que 80 p. 100 des musulmans canadiens sont très satisfaits de leur vie au Canada et que seulement 17 p. 100 estiment que les Canadiens étaient hostiles envers leur religion. Mais il y aussi des différences importantes. Par exemple, il y avait une très grande différence dans leur attitude à l'égard des valeurs canadiennes en ce qui a trait au rôle et au statut de la femme au Canada. Aussi, seulement 12 p. 100 appuyaient les 18 de Toronto, c'est-à- dire le groupe de terroristes qui voulait décapiter le premier ministre et faire sauter les édifices du Parlement. Ils ne représentent qu'environ 100 000 personnes, mais leur croissance rapide pourrait transformer notre politique étrangère. En 1981, leur population n'équivalait qu'au tiers de celle de la communauté juive alors qu'en 2030, elle sera six fois et demie plus importante. Nous devrons peut-être commencer à modifier notre politique étrangère concernant le Moyen- Orient. Il est un peu tôt pour en parler, mais nous devons commencer à y penser.

Je voudrais mentionner une autre chose : certaines personnes affirment que même si nous avons ces problèmes d'intégration, nous devons nous y faire; apparemment, nous avons besoin des immigrants sur le plan économique ou démographique, car nous avons une population vieillissante et nous aurons besoin de plus de travailleurs pour payer l'impôt qui financera les programmes sociaux. Cependant, je crois que toutes ces suppositions sont extrêmement douteuses. Certains experts — et je suis sûr que nous obtiendrons des avis différents autour de cette table —, affirment que de toute façon, nous avons bel et bien besoin d'un grand nombre d'immigrants. Les données que j'ai étudiées révèlent que ce n'est pas le cas, que nous ne tirons aucun avantage d'une population plus nombreuse et qu'en fait, cela nous coûte très cher à cause de la pauvreté. Il y a aussi la question de la réussite des enfants d'immigrants; nous pourrions en discuter longtemps.

Tout se résume donc à cette question : devrions-nous examiner de plus près si l'accueil d'un plus grand nombre d'immigrants nous procure vraiment des avantages sur les plans économique et démographique? Pour ma part, j'en conclus que la réponse est non. La question ne me touche pas directement, mais certaines personnes sont particulièrement intéressées à une forte immigration pour une raison ou une autre. Je pense que nous devons penser aux problèmes potentiels liés à l'intégration sociale, tout en nous demandant si nous avons vraiment besoin de tant de gens et si nous devrions accueillir des cas qui peuvent se révéler assez problématiques.

J'aimerais que vous y réfléchissiez, car il s'agit de questions que nous devons nous poser. En effet, notre taux d'immigration par habitant est parmi les plus hauts du monde, ce qui provoque des changements spectaculaires dans les grandes villes. Ces changements pourraient éventuellement poser de graves problèmes, et je pense que nous devrions plutôt prévenir que guérir.

David Harris, directeur, INSIGNIS Strategic Research Inc. : Honorables sénateurs, il y a environ 10 ans, j'ai déclaré devant un sous-comité du Congrès américain que le Canada comptait 29 millions d'habitants; depuis, la population a augmenté en flèche, pour atteindre aujourd'hui presque 34 millions. Le Canada accueille plus d'immigrants par habitant que n'importe quel pays au monde, avec environ un quart de million par année. Le ministre de l'Immigration, Jason Kenney, était fier d'annoncer que nous avions récemment accueilli 519 000 nouveaux arrivants au cours d'une même année.

Il est impossible de parler de l'intégration des immigrants au Canada dans un contexte de sécurité nationale et publique sans prendre en compte le nombre considérable d'immigrants, de réfugiés et d'autres nouveaux arrivants que le pays accueille. On n'aurait peut-être pas à se soucier de la question sur une planète où règnent la paix et la prospérité, mais sur la Terre, et au Canada, les choses fonctionnent différemment. L'immigration massive telle qu'on la connaît au Canada peut entraîner des conséquences fâcheuses sur la sécurité et la stabilité du pays.

Les mouvements de population font partie intégrante d'un bon nombre de défis liés à la sécurité nationale. Le directeur du SCRS, Richard Fadden, a émis des inquiétudes au sujet des manouvres d'influence politique de la part de la Chine — des manouvres qui peuvent impliquer des expatriés ou d'autres individus, et affecter directement la souveraineté et l'indépendance de notre pays.

En ce qui a trait au terrorisme, la Cour d'appel de l'Ontario s'est récemment penchée sur les perspectives grandissantes de la violence dans une époque marquée par une peur omniprésente. En effet, l'Iran, qui met au point des armes nucléaires et peut compter sur des milliers de volontaires pour des missions suicides, se fait activement remarquer dans la ville où nous nous trouvons présentement, que ce soit en se faisant aider par ses expatriés ou en les persécutant.

Je me pencherai maintenant sur l'une des principales menaces : le terrorisme islamiste, et sa servante, l'islamisme ou islam radical. Cette question particulièrement instructive implique des risques de violence directe, mais aussi une idéologie qui, même sous une forme théoriquement non violente, est un défi à la cohésion sociale et aux droits constitutionnels.

Ces dernières années, des dizaines de milliers d'immigrants sont venus au Canada en provenance de pays à majorité musulmane. À une époque où l'islam radical est une menace, et où neuf musulmans canadiens sur 10 sont nés à l'étranger, on ne peut que s'interroger sur les attitudes que ceux-ci apportent de leur pays d'origine, surtout quand on songe que M. ben Laden a pris notre pays pour cible.

Lorsque les taux d'immigration étaient faibles, les tendances radicales d'un nouvel arrivant pouvaient plus facilement être noyées dans la masse libérale et pluraliste. Les arrivées massives d'aujourd'hui supposent un nombre croissant de concentrations ethniques ou d'enclaves qui, selon une étude du gouvernement canadien, sont passées de 6 en 1981 à 254 en 2002. Cela pourrait aussi supposer un isolement croissant — et quelquefois volontaire — des communautés et la remise en cause des espoirs d'intégration, surtout par rapport aux valeurs de la Charte.

Des sondages récents sur l'attitude des musulmans dans plusieurs pays où ils constituent la majorité ont été menés dans le cadre du Pew Research Center's Global Attitudes Project. On peut difficilement déduire, à partir des attitudes constatées dans un pays donné, celles des émigrés de ce pays. En effet, certains peuvent être partis, précisément parce que leurs attitudes n'étaient pas conformes à celles de la majorité, faisant ainsi d'eux de véritables réfugiés. Pensons aux chrétiens, aux juifs et aux musulmans modérés, qui pendant des années ont été persécutés dans les régimes d'apartheid islamiste répandus dans des pays musulmans. En dépit de ces considérations, les sondages laissent entendre pour le Canada des problèmes de sécurité, dès maintenant et pour l'avenir.

Alors que des centaines d'Égyptiens fuient les bouleversements de leur pays pour s'installer au Canada, songez au fait que 59 p. 100 des Égyptiens musulmans préfèrent voir les islamistes, ou musulmans radicaux, prendre le pouvoir, par rapport à 27 p. 100 qui privilégient les tenants du modernisme. Quatre-vingt quatre pour cent sont en faveur de la peine de mort pour les musulmans qui se sont convertis à une autre religion, fait inquiétant pour certains chrétiens coptes du Canada. Quatre-vingt deux pour cent veulent voir l'adultère sanctionné par la peine de mort et 77 p. 100 le vol sanctionné par le fouet ou l'amputation. Un musulman égyptien sur cinq sympathise avec notre ennemi Al-Qaïda. Songez maintenant qu'environ 20 000 résidents permanents sont venus d'Égypte au cours des 10 dernières années.

En Jordanie, au Pakistan et au Nigeria, les tenants de la peine de mort pour conversion sont respectivement de 86, 76 et 51 p. 100. Trente-quatre pour cent des Jordaniens et près de la moitié des musulmans du Nigeria sont en faveur d'Al-Qaïda. Quant au Hezbollah, l'ennemi de l'ouest créé par l'Iran, il a la faveur de 54 p. 100 des musulmans de Jordanie, 92 p. 100 des musulmans chiites du Liban et de 40 p. 100 des musulmans indonésiens. Seulement environ un tiers des musulmans du Pakistan voit d'un mauvais oil l'organisation terroriste islamique qui a frappé Mumbai en 2008.

Est-ce que l'extrémisme s'exporte bien? Selon un sondage réalisé par Environics en 2007, 12 p. 100 des musulmans canadiens pourraient justifier le type de complot fomenté par les 18 de Toronto et qui prévoyait de nombreuses victimes au Canada, l'invasion du Parlement et la décapitation du premier ministre. Autrement dit, entre 49 000 et 119 000 Canadiens pourraient aujourd'hui justifier une guerre contre leurs concitoyens. Peut-être que de telles attitudes expliquent le nombre croissant de cas de terrorisme.

Parallèlement, d'inquiétants groupes d'intérêt endoctrinent nos jeunes musulmans. Une grande organisation, l'Association musulmane du Canada, affirme haut et fort sur son site web son allégeance à la tradition de Hassan al- Banna et des Frères musulmans — la même organisation qui sème l'effroi en Égypte et ailleurs.

Cette situation est problématique. La devise des Frères musulmans est : « Allah est notre objectif, le Prophète notre chef, le Coran notre loi, le djihad notre mode de vie, et mourir au combat sur le chemin d'Allah notre plus grand espoir. » Selon le plan stratégique pris aux Frères musulmans en 1991 et touchant le Canada et les États-Unis :

Le processus d'installation — essentiellement la colonisation — est un « processus de civilisation djihadiste », avec tout ce que cela implique. L'Ikhwan (fraternité musulmane) doit comprendre que son travail en Amérique est une sorte de grand djihad visant l'élimination et la destruction de la civilisation occidentale de l'intérieur et le sabotage de sa misérable demeure...

Entre autres organisations, mentionnons aussi l'inquiétant Conseil canadien des relations américano-islamiques, le CAIR-CAN, chapitre de l'organisation coconspiratrice financée par les Saoudiens et qui n'a fait l'objet d'aucune condamnation. Le Conseil est connu pour ses idées non documentées, qu'il diffuse avec insistance et qui divisent l'opinion, selon lesquelles les musulmans font l'objet d'une persécution à grande échelle au Canada. Sous la gouverne de son premier président, M. Sheema Khan, le Conseil s'est associé à l'organisation mère américaine dans une campagne de procès en diffamation qu'il mènera en vain contre tous les tenants de la libre expression en vertu de la constitution. Il visait par là à réduire au silence les questions qu'il suscitait, ses origines et son programme. Soit dit en passant, cette réputation n'a pas empêché le Programme de sensibilisation communautaire de la GRC et quelques autres instances gouvernementales de conclure des ententes avec le Conseil, au grand embarras des autorités.

À propos de l'information selon laquelle le nombre de musulmans canadiens, qui est actuellement de 940 000, triplera d'ici 2030, un éminent musulman libéral a fait cette semaine la mise en garde suivante :

[...] Ce qui est différent des autres groupes d'immigrants, c'est qu'il y a chez les musulmans un sous-groupe, que j'appelle les islamistes, qui viennent ici avec l'intention de détruire le tissu social du pays... C'est très inhabituel pour un groupe d'immigrants et ce sera de plus un problème à l'avenir.

Parallèlement, le Congrès musulman canadien, qui est de tendance modérée, a soulevé il y a quelque mois d'autres questions de sécurité intérieure. Il s'est dit en effet « inquiet du fait que les islamistes avaient réussi à pénétrer les plus hauts niveaux de la bureaucratie d'Ottawa et de l'appareil politique de tous les partis ».

Il faut mettre en doute et évaluer l'exactitude d'affirmations aussi péremptoires. En attendant et vus la violence religieuse, les valeurs de la charia, les changements démographiques et autres considérations connexes, il est grand temps que les Canadiens posent ouvertement des questions sur la gestion des politiques en la matière et sur les risques d'échec de l'intégration.

Le président : Merci à vous tous pour vos exposés, qui sont certainement très variées.

M. Henderson, à propos de la question de collaboration que vous soulevez ici, et il s'agit d'une question de longue date pour la FCM, y a-t-il des exemples de collaboration réussie? Les nivaux de consultation sont-il différents d'une municipalité à l'autre?

M. Henderson : Le modèle qui semble bien fonctionner et est un bon pas dans la bonne direction — qui pourrait donc être utilement imité — est l'entente entre le Canada, l'Ontario et la ville de Toronto. En réalité, il y a déjà beaucoup de choses que font les municipalités, car elles sont prioritaires pour la collectivité, par exemple l'intégration la plus rapide et la plus efficace possible des immigrants afin qu'ils deviennent productifs. C'est ce que les municipalités veulent, c'est ce que les provinces veulent et ce que le gouvernement fédéral veut. Le fait d'être en mesure de collaborer pour s'assurer d'utiliser tous ces éléments de manière efficace et en convenant de leurs tenants et aboutissants est vraiment critique. C'est un modèle qui s'avère efficace.

Le président : Monsieur Collacott, vous avez dit que vous n'étiez pas impressionné par ceux qui prônent l'immigration pour que notre économie puisse continuer de progresser. C'est ce que font valoir par exemple certaines organisations et la Chambre de commerce de Toronto. Cela dit, il y a pas mal d'études selon lesquelles nous devons relever le défi d'une population vieillissante et du déclin de la population active. De votre côté, vous semblez prôner le ralentissement de l'immigration. Comment donc répondrez-vous aux besoins de la population active?

M. Collacott : Il ne fait aucun doute qu'il y a un défi démographique. Nous savons que la population âgée de plus de 65 ans va presque doubler dans les 30 prochaines années. Il faut s'en préoccuper.

Beaucoup d'excellentes analyses ont été menées, l'une des meilleures par l'Institut CD Howe, selon lesquelles l'immigration n'est tout simplement pas un moyen pratique de régler le problème. Selon l'institut, pour maintenir les mêmes proportions entre les gens âgés de moins de 65 ans et ceux âgés de plus de 65 ans, il faudrait que la population atteigne 164,5 millions d'habitants d'ici l'an 2050, soit dans 39 ans. Et pour ce faire, il faudrait accueillir 7 millions d'immigrants par an. Cela s'explique par le fait que l'immigration n'a pratiquement aucune incidence sur la proportion de gens âgés et de jeunes. Les immigrants vieillissent comme l'ensemble de la population canadienne et d'une génération à l'autre leur nombre d'enfants diminue.

Certes, l'augmentation de la population âgée pose un problème de financement, mais l'immigration n'offre pas de solution pratique à cet égard. Or, 90 p. 100 des Canadiens croient que nous avons besoin des immigrants parce que la population vieillit et qu'il nous faut des travailleurs. Cela n'est tout simplement pas vrai et a été documenté à maintes reprises.

Sur le site web du Centre pour une réforme des politiques d'immigration, vous trouverez un rapport de l'Institut C.D. Howe, qui offre une excellente analyse de la situation, mais je traite des mêmes questions dans mon article de 2002.

Vous avez l'air un peu sceptique, monsieur le président. La plupart des Canadiens le croient fermement et c'est absolument faux. Je dois donc être franc. Ce n'est pas une justification pour l'immigration.

Le président : M. Harris, proposez-vous de ne pas laisser les musulmans entrer au pays parce qu'ils pourraient être du nombre?

M. Harris : Nous devons en arriver à un nombre qui soit en accord avec la sécurité publique, ce qui implique la capacité du gouvernement et des services de sécurité de trier de façon efficace et significative les gens arrivant du monde entier.

Une partie du problème vient du fait que lorsqu'on parle de 519 000 nouveaux arrivants, on n'arrivera pas à nous convaincre qu'il est possible de les trier tous. C'est se tromper que de le croire.

Il n'est pas de bon augure que deux immenses groupes soient composés de gens qui préfèrent s'isoler, ce qui va complètement à l'encontre de nos valeurs fondamentales, dont celles de la Charte. Cela n'augure rien de bon dans le monde quelque peu dangereux dans lequel nous vivons aujourd'hui.

Le président : Je vous signale que dans le cas des 18 de Toronto, ainsi que dans d'autres pays, bien des terroristes étaient des nationaux, des gens nés dans le pays ou qui y avaient été élevés depuis l'enfance. Qu'en dites-vous?

M. Harris : Vous avez parfaitement raison. Dans ces cas-là, dont celui des 18 de Toronto, on constate une relation symbiotique entre certains de ceux qui viennent de chez nous et ceux qui sont nés à l'étranger ou en viennent.

Le fait que l'argent coule à flot en provenance du Golfe et d'autres pays vers divers établissements islamistes radicaux du Canada, vient énormément compliquer la situation. Je salue donc le travail du Congrès musulman canadien, composé de gens courageux, qui n'a eu de cesse, souvent face à une opposition considérable des intérêts islamistes, de faire valoir les arguments que je porte aujourd'hui à votre attention.

Le sénateur Meredith : Monsieur Harris, vous avez brossé un sombre tableau de la communauté musulmane en classant comme gens à problèmes presque tous leurs membres.

Lorsqu'on examine les rapports des derniers mois sur le terrorisme et le fait que nombre de ces attaques n'ont même pas été lancées par des musulmans, mais par d'autres groupes signalés comme musulmans et que ces rapports étaient diffusés par les médias, on ne peut qu'être troublé.

Mon expérience m'a amené à travailler avec la communauté des fidèles. Les chefs religieux modérés sont nombreux. Ils aiment ce pays, ils l'ont adopté et y ont fait d'immenses contributions. Je suis un peu surpris par votre rapport. Ce type de battage médiatique qui place le Canada sous tension me surprend.

Voulez-vous dire qu'il faut commencer à trier les seuls musulmans pour être sûr qu'ils ne présentent pas de risque sécuritaire? Nous reprochez-vous de ne pas le faire?

M. Harris : Tout d'abord, je crois avoir fait à maintes reprises dans ma déclaration allusions aux « musulmans modérés » qui constituent un nombre considérable de mes associés et de mes sources. Ces gens sont les héros de ce pays et se sont dressés contre un certain nombre de menaces, qui s'accentuent et s'élargissent en ce moment même. Je veux être clair. Ma déclaration est à la disposition du comité. Elle a été présentée et ne fait pas l'ombre d'un doute sur la teneur de ce que j'ai dit en substance.

Nous faisons face à une menace sérieuse. Nous devrons déceler le radicalisme, celui des nouveaux arrivants porteurs de valeurs précisément hostiles à la Charte canadienne et, en fait, à leurs futurs concitoyens. La situation est grave.

Vous me pardonnerez de m'élever contre l'accusation de battage médiatique. Nous avons évité presque héroïquement, pendant de nombreuses années, les dures réalités que nous connaissons aujourd'hui. Ces réalités mettent avant tout en danger les musulmans modérés.

Permettez-moi de vous donner un exemple qui remonte non pas à des semaines ou à des mois, mais à quelques jours. M. Tarek Fatah, distingué écrivain musulman et fondateur d'une organisation des droits des musulmans au pays s'est vu interdire, sur les conseils donnés par la police vendredi dernier, un débat avec un imam à la mosquée NAMF à Scarborough, en Ontario. Le motif invoqué est que la police ne pouvait pas garantir sa sécurité. Il y avait d'autres raisons entourant l'affaire et que je serais heureux de vous présenter.

Ce n'est peut-être pas directement pertinent à l'affaire, mais il y a quelques semaines Bibliothèque et Archives Canada a interdit le film Iranium en acceptant les représentations faites par l'estimée démocratie de l'Iran et dans l'éventualité qu'il y ait en ville des touristes de ce pays.

Une musulmane canadienne s'est vue interdire de prendre la parole à l'Université de Birmingham en Angleterre parce que la police ne pouvait pas garantir sa sécurité. Et ce ne sont pas les seuls cas qui, je crois, échappent à la connaissance même de nos législateurs et dirigeants politiques.

Les questions cruciales que vous avez soulevées, dont les efforts considérables déployés par les modérés de bonne foi, sont extrêmement intéressantes. À certains égards, il est regrettable de parler des « modérés » par rapport aux autres, mais il y a beaucoup de particuliers et de groupes qui se font passer comme tels — on les qualifie parfois de « faux modérés » — qui s'arrangent même sous ce couvert à se faire entendre par des comités parlementaires. Voilà ce que j'ai à dire.

Le sénateur Meredith : Vous avez parlé, et le président a déjà abordé la question avec vous, des niveaux d'immigration. Nous savons que les immigrants — je suis venu dans ce pays il y a 35 ans — font de grandes contributions à ce pays. Nous savons que lorsque les immigrants viennent ici — que ce soit du Sri Lanka, de l'Inde ou d'ailleurs — se sentent redevables et souhaitent apporter leur contribution aux plans culturel et économique. Dans la région du Grand Toronto, un Sri-lankais qui est ici depuis 20 ans donne aujourd'hui à manger aux pauvres. Il a envoyé ses deux filles à l'université et a contribué ainsi à la société canadienne.

À propos de votre position sur la question de savoir s'il faut restreindre l'immigration ou en surveiller les volumes, nous constatons une baisse de la démographie et le vieillissement de la population dans certaines de nos villes. Je comprends l'aspect sécurité. Je comprends que nous cherchions à savoir si les candidats à l'immigration vont contribuer à la société. Cependant, je crois que nous devons mettre en place les mécanismes qui leur fourniront les outils nécessaires pour réussir; d'où la nécessité de dégager des ressources et d'ouvrir des centres d'accueil pour qu'ils soient rapidement fonctionnels. Je pense en effet qu'ils apportent d'immenses contributions à ce pays.

À propos de votre commentaire sur la nécessité de gouverner, quels sont les volumes d'immigrants que nous devrions avoir pour que nos économies puissent continuer de se développer?

M. Collacott : La recherche montre que nous avons besoin d'immigrants, mais nous devons faire plus pour intégrer les Canadiens au marché du travail et pour les former.

Alan G. Green, professeur émérite d'économie à l'Université Queen's a déclaré à ce sujet : « Nous avons assez d'établissements d'enseignement pour répondre à nos besoins en main-d'ouvre qualifiée dans toutes les circonstances, à de rares exceptions près » et il ajoute : « faire venir des travailleurs de l'étranger ne doit pas se substituer à l'éducation de nos propres travailleurs. »

Je ne pense pas que nous ayons suffisamment cherché à savoir si nous en faisons assez pour les Canadiens, et par « Canadiens », j'entends les immigrants déjà installés ici. Nous voulons — je crois — que nos immigrants réussissent le mieux possible. Garnett Picot nous a dit, de façon assez claire, que beaucoup d'entre eux n'y arrivent pas. Certains de leurs enfants s'en sortent mieux. J'aurais voulu faire des commentaires sur cet intéressant sujet, mais je n'ai pas le temps.

Le fait est que les immigrants récents ne réussissent pas aussi bien que leurs prédécesseurs. On pense qu'ils coûtent très chers aux Canadiens — des dizaines de milliards par an — ce dont je parlerai sans doute un autre jour.

Ce qui est critique, c'est que nous devrions utiliser plus de Canadiens. Quand vous faites venir un grand nombre de travailleurs de l'étranger, vous découragez les Canadiens d'entrer sur le marché du travail. Nous devons trouver un meilleur équilibre entre le nombre d'immigrants dont nous avons besoin et les modes d'intégration de ceux qui sont déjà ici — les Canadiens et les résidents permanents.

Plutôt que d'augmenter la masse d'immigrants, nous devons faire plus pour faire en sorte que les gens qui sont déjà ici réussissent au plan économique et s'intègrent. Les chiffres réels ne sont pas de bon augure.

Le sénateur Dyck : Je vous remercie de vos exposés. Vous avez couvert de nombreux sujets importants et sensibles.

La première question que je me pose a trait à la nécessité de l'immigration pour avoir de la main-d'ouvre. M. Henderson affirme que 100 p. 100 de la main-d'ouvre à venir sera composée d'immigrants. M. Collacott fait valoir que nous n'avons pas besoin d'immigrants.

Je m'interroge aussi au sujet des Prairies, et en particulier de la Saskatchewan, d'où je viens. À eux deux, le Manitoba et la Saskatchewan comprennent un tiers de toute la population autochtone, qui, dans chacune de ces provinces, représente environ 15 p. 100 de la population.

Pensez-vous que nous devons nous concentrer sur cette population pour remédier aux pénuries de main-d'ouvre?

M. Henderson : Absolument, à mon avis. Je ne parlerai pas de la ville d'Edmonton, puisque l'un de nos agents qui se spécialise sur l'inclusion et la diversité viendra en parler la semaine prochaine. Et c'est précisément la question qui les intéresse. À Edmonton, nous ne faisons pas de différence.

Je dirais ceci à propos de la façon dont la ville voit les choses : nous sommes bien conscients du fait que pour croître et progresser économiquement, la ville a encore besoin de main-d'ouvre. Je vais encore prendre ma ville comme exemple : la pression provient en partie de la société de développement de la ville d'Edmonton, qui reconnaît que le manque de main-d'ouvre sera un gros problème pour la croissance. Je sais qu'il en va de même en Saskatchewan. La province a connu une croissance importante ces derniers temps et il y a trois ans, elle s'est retrouvée dans une vraie impasse. Et je ne pense pas que ce genre de situation va se régler.

Nous devons absolument développer et mieux utiliser notre main-d'ouvre. Nous devons mieux intégrer tous ceux qui sont sous-utilisés. Nous allons être à court de personnel qualifié, et si nous voulons la croissance dans l'un de ces domaines, elle devra venir de l'immigration. C'est ce que révèlent les chiffres.

M. Vineberg : Je voudrais faire un commentaire sur l'impact économique des niveaux d'immigration et les questions de sécurité que M. Harris a soulevées.

C'est le Conseil économique du Canada qui a probablement publié en 1991 la meilleure étude sur la portée économique de l'immigration, Le nouveau visage du Canada : incidence économique et sociale de l'immigration. On y affirme que l'immigration n'a pas eu d'incidence significative sur l'augmentation du PIB par habitant, mais une incidence très marginale. Il faut cependant tenir compte de deux autres facteurs. Si le Canada a l'un des PIB les plus élevés par habitant au monde, pourquoi l'immigration augmenterait-elle son niveau global? Fondamentalement, l'accroissement de l'immigration amortit le coût des infrastructures de ce vaste pays. L'arrivée des nouveaux immigrants ne nous force pas à construire des aéroports ou augmenter la taille du ministère de la Défense nationale. Mais lorsque ceux-ci s'établissent et commencent à payer des taxes, le coût global du gouvernement par habitant diminue. Il est logiquement avantageux que plus de gens financent les activités du gouvernement.

À propos des risques à la sécurité que pourraient poser les islamistes, je pense que le comité voudra peut-être entendre M. Fadden ou d'autres agents du SCRS qui nous parleraient des contrôles dont font l'objet les gens du Moyen-Orient.

Pendant la guerre froide, nous n'avions pas la capacité de trier efficacement les gens qui venaient de derrière le rideau de fer. Ainsi, très peu de candidats ont été admis au Canada parce qu'ils ne pouvaient pas obtenir d'habilitation de sécurité. Si nous avons de la difficulté à sélectionner des gens provenant de certains pays du Moyen-Orient en raison de l'intégrisme islamique, nous devrions peut-être envisager certaines restrictions en fonction des candidats et tenir compte de l'impossibilité de les évaluer correctement, plutôt que de refuser généralement l'entrée de certains groupes, ce qui équivaudrait à une discrimination et serait contraire à la Charte.

M. Collacott : Comme l'a souligné M. Henderson, le doublement de notre main-d'ouvre proviendra de l'immigration, et c'est vrai. Les taux sont aujourd'hui de l'ordre de 70 à 100 p. 100. Le fait est que la prospérité d'un pays ne dépend pas d'une main-d'ouvre sans cesse croissante, mais de bonnes politiques économiques et de niveaux élevés de productivité. C'est donc bien vrai, le doublement de notre main-d'ouvre proviendra de l'immigration, mais cela n'augmentera pas notre bien-être.

La productivité est une question intéressante parce que l'une des raisons pour lesquelles celle du Canada est à la traîne est que nous avons substitué par la main-d'ouvre les investissements en capitaux qui lui sont propices. Je suis heureux que M. Vineberg ait mentionné le rapport du Conseil économique du Canada. Certes, ce rapport date de 20 ans mais il reste d'actualité sur la quasi-totalité des questions.

À propos des infrastructures, nous avons eu besoin des immigrants pour construire les chemins de fer nationaux et nous avons besoin de gens pour les utiliser. Ce sont donc les chemins de fer qui ont le plus justifié l'immigration.

Les nouvelles infrastructures par contre, en particulier celles qui sont construites en périphérie des grandes villes, sont extrêmement coûteuses. À bien des égards, leurs coûts dépassent leurs avantages. Les nouvelles infrastructures sont utiles, et nous en avons besoin à cause des immigrants, mais elles sont coûteuses et ne nous font rien épargner.

Le président : Permettez-moi de souligner que le but de notre étude est l'inclusion sociale. Nous ne parlons pas strictement d'immigration, mais de la façon dont les gens s'intègrent dans la société et des moyens d'améliorer la cohésion et l'inclusion des nouveaux venus.

Le sénateur Callbeck : Monsieur Henderson, vous avez parlé des municipalités qu'on ne consulte pas à propos de la conception du programme et des politiques d'immigration. En réponse à une question du président, vous avez dit que, à votre avis l'Ontario avait un bon modèle. Pouvez-vous nous en parler?

M. Henderson : Ce que je comprends de ce modèle — et je suis désolé de n'en pas connaître tous les détails —, c'est qu'il s'agit d'un protocole d'entente entre Toronto, le gouvernement de l'Ontario et celui du Canada. Il prévoit le regroupement de tous les services associés à l'intégration afin que ces services soient utilisés efficacement, qu'ils s'imbriquent les uns dans les autres et qu'ils couvrent tous les besoins fondamentaux.

Toronto a eu manifestement à traiter de ces questions pendant de nombreuses années. Le principal avantage du protocole est qu'il a permis à tous les ordres de gouvernement d'examiner leurs mesures respectives et de les appliquer de manière cohérente et efficace, et en fonction des besoins.

C'est un modèle intéressant qui mérite d'être imité, mais je voudrais aussi souligner que chaque municipalité a ses propres préoccupations. Il convient notamment de collaborer avec elles pour traiter des particularités de leur situation et des mesures qui sont prises sur le terrain, et de veiller à ce que tous les intervenants, dont la province et le gouvernement — qui est l'intervenant de premier plan — puissent examiner ce qui ce fait pour atteindre l'objectif collectif auquel nous aspirons tous.

Le sénateur Callbeck : Depuis quand l'entente est-elle en vigueur?

M. Henderson : Elle est assez récente; elle remonte à cinq ans, je crois.

Le président : Je vous remercie beaucoup. On a répondu à la question du sénateur Martin. Vous nous avez donné beaucoup d'informations utiles. Nous poursuivrons la semaine prochaine notre étude sur l'inclusion sociale.

(La séance est levée.)


Haut de page