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VETE

Sous-comité des anciens combattants

 

Délibérations du Sous-comité des Anciens combattants

Fascicule 5 - Témoignages du 16 juin 2010


OTTAWA, le mercredi 16 juin 2010

Le Sous-comité des anciens combattants du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui à 12 h 6 pour étudier les services et les prestations fournis aux membres des Forces canadiennes, aux anciens combattants, aux membres et anciens membres de la Gendarmerie royale du Canada et à leurs familles. (sujet : la mise en oeuvre de la nouvelle Charte des anciens combattants).

Le sénateur Tommy Banks (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : La séance est ouverte. Il s'agit d'une réunion du Sous-comité des anciens combattants, qui est un sous- comité du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense. Nous recevons aujourd'hui le sénateur Lucie Pépin, à ma gauche complètement; à côté d'elle, le sénateur Roméo Dallaire que vous connaissez très certainement avec à sa droite le distingué sénateur Michael Meighen, mon distingué prédécesseur dans ce fauteuil, que le major Henwood, en particulier, connaît bien.

À ma gauche se trouve notre greffier, Kevin Pittman. À ma droite, est assis notre précieux interprète du jargon militaire, le général Cox. À sa droite, le sénateur Joseph Day, diplômé du CMR, membre du comité permanent, et lui aussi ancien président du sous-comité. Je suis donc entouré d'anciens présidents, ce qui est une très bonne chose.

Le sous-comité se penche sur l'efficacité de la nouvelle Charte des anciens combattants et étudie les services et prestations fournis aux membres des Forces canadiennes et aux anciens combattants en vertu de cette charte, de même qu'aux membres de la Gendarmerie royale du Canada et à leurs familles.

Nos invités aujourd'hui sont deux distingués officiers, le major (retraité), Bruce Henwood, président du Groupe consultatif sur les besoins spéciaux, le GCBS, officier que le comité connaît très bien, et le major Mark Campbell, responsable des soins aux anciens combattants, régiment Princess Patricia's Canadian Light Infantry, deux bataillons qui, je crois, se trouvent à Edmonton. À Edmonton, ma ville de résidence, nous sommes fiers de ceux qui font partie de ce prestigieux régiment, dont les liens avec notre ville remontent à loin.

Je voudrais tout d'abord souligner, mesdames et messieurs les sénateurs, qu'à sa création, la toute première musique régimentaire de la Princess Patricia's Canadian Light Infantry était la fanfare de la police de la Ville d'Edmonton, dont les membres se sont portés volontaires comme un seul homme pour devenir ce jour-là la musique régimentaire de la Princess Patricia's Canadian Light Infantry, il y a très longtemps, bien avant ma naissance.

Messieurs, je crois que vous avez des choses à nous dire. Je demanderais au major Henwood de commencer. Monsieur, vous avez la parole.

Major (retraité) Bruce Henwood, président, Groupe consultatif sur les besoins spéciaux (GCBS), Anciens Combattants Canada, à titre personnel : Honorables sénateurs, distingués invités, mesdames et messieurs, bonjour.

Je vous remercie de votre présentation. Je le confirme, je suis le président du Groupe consultatif sur les besoins spéciaux, à Anciens Combattants Canada. Le sigle du groupe est GCBS. Je ne sais pas si c'est vraiment à propos.

Le GCBS a été constitué en août 2005, en prévision de la mise en oeuvre de la nouvelle Charte des anciens combattants. Son mandat, qui est demeuré inchangé depuis sa création, est de définir, pour le compte d'Anciens Combattants Canada, les carences et les problèmes que comporte la nouvelle Charte des anciens combattants relativement aux anciens combattants qui ont été grièvement blessés et à leurs familles. Le GCBS se compose de cinq anciens combattants, tous invalides, et de cinq professionnels de la santé de domaines différents. À ce jour, le GCBS a produit quatre rapports. Le cinquième est en cours de rédaction. Ils ont tous fait ressortir des carences et des lacunes nombreuses dans la nouvelle Charte des anciens combattants.

D'autres témoins, y compris des hauts fonctionnaires d'Anciens Combattants Canada, vous ont expliqué le concept de la nouvelle Charte des anciens combattants. Vous avez donc appris qu'elle est passée d'une charte axée sur la gestion de l'invalidité à une charte axée sur le mieux-être et la réinsertion, sans toutefois tenir compte des anciens combattants qui ont été grièvement blessés et qui ont une invalidité permanente, susceptible de s'aggraver avec le temps.

Vous avez maintes fois entendu parler des familles. Aujourd'hui, je voudrais vous entretenir de deux questions : premièrement, le passage de la gestion de l'invalidité à la gestion de la réinsertion et deuxièmement, les familles. Mes propos se concentreront sur le petit groupe d'anciens combattants grièvement blessés car, selon moi, ce sont eux qui sont les grands oubliés de la nouvelle Charte des anciens combattants et de ses conséquences involontaires.

Il faut examiner et remettre en question le slogan souvent répété selon lequel un ancien combattant est un ancien combattant, lorsqu'il s'agit de la sécurité financière pendant toute la vie des anciens combattants qui ont une invalidité grave. Ce n'est clairement pas le cas au Canada, car il y a deux classes d'anciens combattants : les anciens combattants traditionnels et les nouveaux anciens combattants. La différence fondamentale entre les deux est que le Canada prend soin des premiers à partir du moment où ils sont blessés jusqu'à leur décès, pour ensuite continuer d'aider les familles. Dans la nouvelle Charte des anciens combattants et le passage vers la réinsertion, on a oublié que la sécurité financière des anciens combattants qui ont une invalidité grave est réduite à néant, et que ces derniers, en raison de leurs blessures, n'ont aucun espoir de réinsertion telle que Anciens Combattants Canada l'envisage. Ça ne fonctionne pas.

Ce que les différents témoignages ne vous ont pas expliqué — et je les ai tous examinés —, c'est la différence entre un ancien combattant traditionnel et un nouvel ancien combattant, lorsqu'il s'agit de la sécurité financière. On vous a présenté certains des nouveaux éléments essentiels de la nouvelle Charte des anciens combattants qui fonctionnent très bien pour la majorité d'entre eux, mais pas pour ceux qui ont été grièvement blessés et qui doivent au quotidien faire face aux défis liés à ces blessures qui ont changé leur vie, mis fin à leur carrière et à leur qualité de vie.

Ce que l'on ne vous a pas dit, c'est que les familles des nouveaux anciens combattants qui sont grièvement blessés ne touchent plus la prestation pour conjoint ou conjointe, ne touchent plus l'allocation pour enfants, ne reçoivent plus l'allocation pour soins ni l'allocation d'incapacité exceptionnelle. Les deux dernières peuvent augmenter, selon la détérioration de l'état de santé et de la qualité de vie de l'ancien combattant au fil du temps. Les deux premières servent à aider directement les familles. Ces quatre allocations sont attribuées à vie. Elles sont non imposables, indexées et versées tous les mois. Elles donnent aux anciens combattants traditionnels une sécurité financière pendant toute leur vie.

Je ne le dirai qu'une seule fois, mais avec toute la véhémence dont je suis capable : dans la nouvelle Charte des anciens combattants, elles n'existent plus — elles ont disparu.

On les a remplacées par une allocation d'incapacité permanente pour laquelle les critères d'admissibilité sont si restrictifs que parmi les 140 nouveaux anciens combattants ou plus, seulement 10 se qualifient à ce jour. Il y a l'indemnité pour perte de revenus, que le ministre d'Anciens Combattants Canada a lui-même présentée de façon incorrecte dans un témoignage comme une pension d'invalidité. Ce n'en est pas une. Elle est plafonnée à 75 p. 100 du revenu avant la blessure. C'est injuste. Le major Campbell nous en dira plus sur le sujet.

Ces deux indemnités sont imposables. De plus, l'indemnité pour perte de revenus cesse d'être versée à 65 ans. À cet âge, l'ancien combattant recevra la dénommée prestation de retraite supplémentaire, qui ne représente que 2 p. 100 du revenu qu'il avait lorsqu'il touchait l'indemnité pour perte de revenus à 65 ans, ce qui ne permet aucune croissance ni aucun investissement au fil du temps.

Il y a aussi la très critiquée indemnité d'invalidité, accordée une seule fois, sans tenir compte de la famille ni de la détérioration de l'état de santé avec le temps.

Je vous rappelle que je parle des besoins spéciaux de personnes qui ont une invalidité grave — des hommes et des femmes qui sont touchés pour le reste de leur vie. Je peux en parler, parce que je suis l'un d'eux, tout comme le major Campbell.

La nouvelle Charte des anciens combattants prévoit des programmes de réadaptation professionnelle et de placement. Cependant, à mon avis, la réadaptation professionnelle peut ne pas être une option pour les anciens combattants qui sont grièvement blessés. Je doute aussi qu'un programme de placement leur permettra d'obtenir un revenu équivalant à celui qu'ils touchaient avant d'être blessés. Ça fait 15 ans que je vis cette situation.

Bien sûr, Anciens Combattants Canada vous dira que certains de ces programmes reviennent aux conjoints et aux conjointes des anciens combattants qui ne peuvent pas y participer; vous l'avez sûrement entendu. Or, je prétends que si un ancien combattant ne peut pas participer, sa conjointe ne le pourra probablement pas non plus, parce qu'elle devra lui prodiguer des soins.

Vous entendrez dire que la nouvelle Charte des anciens combattants propose d'autres programmes qui offrent des avantages et des services aux nouveaux anciens combattants, mais beaucoup d'entre eux existaient déjà pour les anciens combattants traditionnels. Alors, qu'y a-t-il de neuf? Pour les nouveaux anciens combattants qui ont une invalidité grave, la nouvelle Charte des anciens combattants constitue un recul qui leur nuit énormément ainsi qu'à leurs familles, pour le reste de leurs jours.

Lorsqu'il s'agit des anciens combattants qui ont subi de graves blessures, celles-ci leur ont imposé — si je puis m'exprimer ainsi — des défis à perpétuité qu'Anciens Combattants Canada peut contribuer à atténuer, mais ne pourra jamais éliminer. Anciens Combattants Canada devrait se faire le champion des grands invalides. Il devrait supprimer l'obstacle de l'insécurité financière auquel se heurtent nos nouveaux anciens combattants afin que les défis à perpétuité ne se doublent pas de problèmes de viabilité financière ou d'une qualité de vie médiocre pour les anciens combattants et leurs familles.

Je demande au Canada — je l'implore — de traiter ses nouveaux anciens combattants qui sont lourdement handicapés...

Le président : ... et leurs familles comme il a traité les générations d'anciens combattants traditionnels et leurs familles, c'est-à-dire avec générosité, en leur offrant stabilité et sécurité.

Maj Henwood : Merci, sénateur.

Le président : Merci, major.

Major, avant de passer la parole au major Campbell — et j'espère que nous sommes d'accord sur l'opportunité d'entendre le témoignage du major Campbell avant de poser les questions —, lorsque le comité dont vous êtes le président et qui est composé de cinq anciens combattants et de cinq professionnels de la santé présente son rapport à Anciens Combattants Canada, quelle réaction obtient-il? Je crois vous avoir entendu dire qu'il y a eu quatre rapports. Que pensez-vous de la réaction suscitée par ces rapports qui, j'imagine, traduisent certaines de ces opinions?

Maj Henwood : Tout à fait. Nous sommes un comité consultatif. Anciens Combattants Canada nous a fait part de ses commentaires de vive voix. Il a convenu que beaucoup de nos recommandations sont bonnes. Cependant, au cours des cinq dernières années, il y a eu peu de mouvement ou de changement, voire aucun.

Le sénateur Meighen : Puis-je tirer une question au clair? Major Henwood, comparaissez-vous aujourd'hui en votre nom, au nom du GCBS ou au nom des anciens combattants invalides en général?

Maj Henwood : Je dirais les trois. Je crois que l'expérience a fait de moi un ancien combattant bien renseigné.

Le sénateur Meighen : Je peux certainement en témoigner, mais représentez-vous le GCBS aussi?

Maj Henwood : Je dirais que oui.

Le sénateur Meighen : Merci. Savez-vous, même vaguement, combien d'anciens combattants lourdement handicapés sont concernés? Je songe aux nouveaux anciens combattants, pas aux anciens combattants de longue date, ceux de la guerre de Corée et de la Deuxième Guerre mondiale — les anciens combattants comme le major Campbell.

Maj Henwood : Il est difficile de donner des chiffres précis, mais nous estimons qu'ils sont environ 200.

Le sénateur Meighen : C'est bien après la guerre de Corée? Nous parlons de la Bosnie, entre autres.

Maj Henwood : Ces chiffres datent d'après avril 2006.

Le président : Autrement dit, est-ce que ce sont les personnes qui sont visées par la nouvelle Charte des anciens combattants?

Maj Henwood : C'est exact.

Le président : Chers collègues, deux autres sénateurs se sont joints à nous — le vice-président du comité, le sénateur Fabian Manning, et le sénateur Plett qui, je crois, remplace le sénateur Wallin.

Le sénateur Plett : Oui.

Le président : Avant de passer la parole au major Campbell, je voudrais ajouter que mes collègues m'ont peut-être entendu mentionner une annonce faite à Edmonton il y a environ trois semaines au sujet de la création de Valour Place. C'est en quelque sorte une réplique de Fisher House, que certains d'entre nous ont déjà vue. Major Campbell, lors de cet événement, vous avez prononcé des paroles très inspirantes. Je tiens à vous en remercier. C'était magnifique. Major, la parole est à vous.

Major Mark Campbell, responsable des soins aux anciens combattants, Régiment Princess Patricia's Canadian Light Infantry, à titre personnel : Bonjour honorables sénateurs. J'ai le privilège plutôt discutable d'être le plus vieux ancien combattant handicapé en service dans les Forces canadiennes. Conséquence, de nombreux jeunes soldats que j'ai rencontrés à toutes sortes d'activités associées aux programmes de réinsertion, entre autres, se sont tournés vers moi, homme d'expérience, pour représenter leurs préoccupations.

Ce que je vais vous dire aujourd'hui résume tout ce que m'ont raconté les jeunes soldats handicapés en service, ainsi que ce que je comprends de la nouvelle Charte des anciens combattants telle qu'elle s'appliquera à moi quand je remiserai enfin mon uniforme.

Tout comme le major Henwood, j'affirme avec force que la nouvelle Charte des anciens combattants désavantage beaucoup financièrement nos anciens combattants les plus vulnérables, qui ont les plus lourds handicaps et qui sont le plus dans le besoin. Environ 20 p. 100 des nouveaux anciens combattants sont à tel point invalides qu'une transition vers une carrière rémunératrice et intéressante dans le civil est impensable.

Je vais vous expliquer pourquoi. La nouvelle Charte des anciens combattants étant axée sur la transition vers une carrière rémunératrice et intéressante dans le civil, les anciens combattants les plus lourdement handicapés ne peuvent pas bénéficier des programmes bonifiés. Parallèlement, l'aide financière sur laquelle ils peuvent compter est réduite de 30 p. 100.

L'allocation pour perte de revenus, comme l'a dit le major Henwood, se monte à 75 p. 100 du salaire d'un soldat au moment où il est libéré des Forces canadiennes. C'est un problème. Pourquoi les anciens combattants qui ont fait le sacrifice de leurs membres au service du Canada doivent-ils subir une réduction de 25 p. 100 de leur revenu annuel familial? C'est très étrange.

Le président : Ce montant est-il indexé?

Maj Campbell : Il est indexé, d'après ce que je comprends, au taux d'inflation, au coût de la vie. Il ne tient cependant pas compte des éventuelles promotions ou augmentations de salaire auxquelles les anciens combattants auraient pu prétendre.

En plus d'infliger aux soldats qui quittent les Forces en raison de leur invalidité une réduction de 25 p. 100 du revenu annuel familial, le système présente une autre faille : celle de la discrimination. En effet, ce pourcentage est retiré du salaire lié au rang que l'on occupe au moment où on est libéré des Forces canadiennes pour raisons médicales. Pour un major de longue date comme moi-même, 75 p. 100, ça équivaut à 75 000 $. Pour un caporal, c'est environ 37 000 $. Comment peut-on faire vivre une famille avec 37 000 $ pour le reste de ses jours parce qu'on ne peut pas faire carrière dans le civil en raison d'une invalidité?

De plus, quelqu'un comme moi a cotisé pendant 25 ans à sa pension. Ce montant a été déduit de mon salaire. Mais il est récupéré dans les 75 p. 100. Ce sera donc encore plus difficile pour moi de gagner plus de 75 000 $ par an pendant le reste de ma vie pour faire vivre ma famille, ce qui représente 25 p. 100 de réduction de mon revenu annuel. Un caporal ne peut pas faire vivre sa famille avec 37 000 $ par année. Pour un simple soldat, c'est encore moins que ça. Je vous dirais même que c'est près du seuil médian de pauvreté.

Voilà ce que nous ferons à nos soldats. Pour l'instant, la grande majorité des quelques centaines de soldats qui sont lourdement handicapés et dont il est question aujourd'hui font comme moi. Ils sont encore en uniforme, parce qu'ils ne peuvent pas se permettre de quitter les Forces. Nous sommes condamnés à porter l'uniforme.

Dans certains cas, y compris le mien, il est difficile d'évoluer dans le milieu militaire. Chaque fois que j'enfile mon uniforme, une parcelle de moi se meurt, parce qu'il me rappelle ce que j'ai perdu et ce que je ne peux plus faire. Quand je me rends au travail à la base, et que je vois de jeunes soldats courir et faire toutes les choses que font les soldats et que je faisais moi-même, dans ma tête, mon handicap s'amplifie. Sur le plan psychologique, cette situation est nocive pour de nombreux soldats qui continuent de servir. Pourtant, ils n'ont pas le choix. À partir du moment où ils quittent l'uniforme, ils perdent 25 p. 100 du revenu annuel familial. C'est une situation difficile.

D'un document à un autre, le ministère des Affaires des anciens combattants change son discours sur la raison pour laquelle ce paiement forfaitaire unique d'un maximum de 250 000 $ est versé. J'ai entendu dire que c'était un dédommagement pour la perte de membres, ou encore un dédommagement pour souffrances physiques et morales, et j'ai également lu qu'il servirait maintenant à aider à répondre aux besoins financiers immédiats du soldat blessé.

Croyez-moi, mes 250 000 $ ont fondu comme neige au soleil. J'ai dû acheter une minifourgonnette toute neuve de 32 000 $ parce qu'on n'acceptait de modifier qu'un véhicule neuf. De plus, ma maison a été jugée inapte à être rénovée pour qu'elle soit accessible en fauteuil roulant, alors j'ai dû la vendre et faire construire une nouvelle maison à accès facile. L'argent s'est immédiatement envolé.

Quel que soit le nom qu'on lui donne et la raison pour laquelle il est versé, ce montant de 250 000 $ compense-t-il la perte de nos jambes et la perte de qualité de vie de notre famille? C'est la vie de toute la famille qui est perturbée, pas seulement celle du soldat. Tout est chamboulé. Ma femme vit deux fois plus de stress. Je suis incapable de changer ne serait-ce qu'une ampoule électrique dans la maison. Voilà la situation que nous devons vivre.

Je souffre de douleurs du membre fantôme à l'état chronique deux ou trois nuits par semaine, pendant lesquelles je suis incapable de dormir. Le montant de 250 000 $ constitue-t-il un dédommagement adéquat pour ça et pour une vie entière de souffrances physiques et morales? Pour moi, la réponse est non.

Je veux également dire qu'un maximum de 250 000 $ prévu pour la perte de deux membres, ou l'équivalent pour la perte de la vue, est complètement inadéquat. Qu'arrive-t-il à ce soldat que je connais, un jeune caporal de la réserve de Sudbury, qui a perdu non seulement les deux jambes mais aussi un bras? Il n'a pas reçu de dédommagement supplémentaire pour la perte de son bras. Une fois atteint le maximum de 250 000 $, ça y est. La moitié des blessures que j'ai subies, y compris la perte d'un testicule et la perte des relations intimes avec celle qui est mon épouse depuis 25 ans, ne me valent aucun dédommagement. Elles ne sont pas prises en compte parce que j'ai atteint le maximum avec la perte des deux jambes. La rupture du tympan de l'oreille droite et la perte de l'ouïe ne donnent lieu à aucun dédommagement, pas le moindre.

À mon avis, il faudrait en revenir à un régime de dédommagement en fonction du type de blessure. Il faudrait prévoir une sorte de montant forfaitaire versé d'avance pour faire face aux premiers frais pour ensuite passer à un régime de versement de prestations mensuelles tel que celui dont le major Henwood a parlé, pour subvenir aux besoins de la famille et ainsi de suite. Le soldat et sa famille bénéficieraient ainsi d'un niveau de vie raisonnable et de la sécurité financière à long terme qui est actuellement absente de la nouvelle Charte des anciens combattants.

Le dernier point que j'aimerais soulever est celui du logement à accès facile. J'ai dû faire construire une maison qui ne présentait aucun obstacle à mes déplacements. J'avais à peine les ressources financières requises et j'ai dû puiser à même mon seul et unique héritage pour y arriver, j'ai dû assumer deux hypothèques, le grand jeu, quoi. C'est extrêmement difficile. C'est impossible pour un caporal.

Le caporal dont je vous ai parlé, qui vivra le reste de sa vie avec un bras en moins dans un fauteuil roulant électrique, a vécu à l'hôtel à Sudbury pendant deux ans. Le gouvernement rembourse ce genre de dépenses, parce que le soldat était incapable de se permettre de faire construire une maison facile d'accès. Ce caporal qui a perdu un bras est à la recherche active d'un organisme de bienfaisance qui lui viendra en aide pour la construction d'une maison facile d'accès. Pourquoi un soldat qui a sacrifié trois de ses membres au service du Canada doit-il compter sur un organisme de bienfaisance pour avoir un endroit où lui et sa famille peuvent vivre?

C'est odieux et je pense que le public canadien serait indigné s'il savait tout ce dont le major Henwood et moi-même avons parlé aujourd'hui. Des gens parcourent le pays pour dire que la nouvelle Charte des anciens combattants est une bonne affaire. Ce n'est pas vrai; elle représente un recul et nous devons en revenir au régime d'avant, et sans délai. Nous ne pouvons discuter de cette question jusqu'à la fin des temps.

Le quatrième rapport du major Henwood a été déposé en janvier 2009. Pas une seule recommandation n'a eu de suite. Le Groupe consultatif sur la nouvelle Charte des anciens combattants a déposé à la fin de l'année dernière un rapport de 58 pages comptant 299 ecommandations. Pas une seule n'a été mise en oeuvre.

Il faut bouger, parce que le temps file pour nous, les soldats emprisonnés dans leur uniforme. Nous serons tôt ou tard forcés de quitter l'uniforme en vertu d'une libération pour motifs médicaux. Il est vrai que la plupart d'entre nous sommes logés pour deux ou trois ans, le temps de réorganiser notre vie, mais le compte à rebours est commencé depuis 2006 pour le premier contingent de nouveaux anciens combattants et le temps commence à manquer. Il faut agir tout de suite. Il faut mettre un terme à cette étude qui n'a pas de fin et passer aux actes. Même s'il ne s'agit que d'en revenir au régime de la Loi sur les pensions, il faut le faire, et dès maintenant, sinon on verra de jeunes soldats amputés tendre un gobelet pour mendier, assis au coin d'une rue dans les grands centres urbains. Je vais m'arrêter ici. Merci beaucoup.

Le président : Voilà de bien sombres perspectives, major, qui répugnent, j'en suis sûr, tous les gens présents dans cette salle.

Le distingué sénateur Nolin vient de se joindre à nous. Il possède une vaste expérience acquise, par exemple, auprès de l'OTAN et il a également suivi les travaux de ce comité et il les connaît bien.

La première question sera posée par le sénateur Meighen.

Le sénateur Meighen : Merci, monsieur le président. Comme vous avez dit, voilà un témoignage qui dérange, mais nous vous remercions beaucoup tous les deux d'être venus le présenter ici.

Si je comprends bien, et ça n'a pas de quoi surprendre, ce que vous préconisez d'abord et avant tout pour ceux qui souffrent d'un handicap grave qui les met dans l'impossibilité de bénéficier d'une réintégration dans la population active — ce qui est un élément central, si on en croit les témoignages que nous entendons, de la nouvelle Charte des anciens combattants —, c'est de repenser le niveau et le type de dédommagement et de couverture à accorder aux anciens combattants gravement blessés. Est-ce que je résume bien l'essentiel de votre message?

Maj Campbell : Tout à fait, sénateur. Nous devons en revenir au moins là où on en était.

Le sénateur Meighen : Croyez-vous qu'il sera difficile de définir la notion d'ancien combattant souffrant d'un handicap grave? Ce n'est pas une question piège; j'espère seulement que ce ne sera pas le cas. Est-ce que c'est quelqu'un qui a perdu un membre ou un oeil?

Maj Campbell : Je le définirais comme quelqu'un qui ne peut profiter pleinement de toutes les possibilités que le ministère des Anciens Combattants offrira aux termes de la nouvelle Charte des anciens combattants. Une personne devrait bénéficier du programme de réadaptation professionnelle avec une forte probabilité d'obtenir un emploi rémunérateur, ce que le ministère des Anciens Combattants définit comme étant 66,66 p. 100 du salaire d'avant la libération, c'est-à-dire 66 000 $ par année dans mon cas. Si la réadaptation professionnelle ne me donne pas cette possibilité, mes chances d'obtenir un emploi rémunérateur sont proches de zéro. Je tomberais alors sous le coup de la compensation pour perte de revenus, ce qui entraînerait une perte de 25 p. 100 du revenu annuel de ma famille.

Le président : Une brève question; je veux être sûr de bien comprendre l'aspect arithmétique du problème, parce que vous avez mentionné plus tôt une récupération.

Si demain après-midi, major Campbell, vous obtenez un emploi payé 50 000 $, est-ce que les prestations auxquelles vous pourriez avoir droit plafonneraient ce montant à 75 000 $ et c'est tout?

Maj Campbell : Exactement, sénateur.

Le président : Il n'y a donc aucun avantage pour vous à avoir un emploi.

Maj Campbell : D'après ce que je peux voir, les premiers 25 000 $ ne coûtent rien. J'ai ma pension de service militaire, que le ministère des Anciens Combattants inclut dans le maximum de 75 p. 100 qu'il paie au titre de la compensation pour perte de revenus. Donc, pour la première tranche de 25 000 $ en sus de ma pension de service militaire de 50 000 $, je travaille pratiquement pour rien.

Le président : Exact.

Le sénateur Meighen : Et si votre emploi est rémunéré au taux de 100 000 $?

Maj Campbell : Dans ce cas, je gagnerais 150 000 $.

Maj Henwood : L'allocation pour perte de revenus est alors interrompue.

Maj Campbell : On ne touche aucune allocation pour perte de revenus.

Maj Henwood : Vous aurez toutefois droit à votre pension des Forces canadiennes.

Le président : Et bien sûr, un caporal blessé lors de la première rotation ne toucherait aucune pension.

Maj Campbell : Exact, c'est précisément le cas, monsieur le président. C'est un problème important. De plus, il est très improbable qu'un caporal puisse avoir les qualifications requises pour bénéficier du programme de priorité d'embauchage dont le ministère des Anciens Combattants est si fier et qui ne semble pas très bien fonctionner. C'est une promesse creuse pour l'immense majorité des jeunes soldats qui ont notamment été forcés de quitter l'armée en vertu d'une libération pour motifs médicaux alors qu'ils étaient invalides, parce qu'ils ne remplissent pas les conditions de scolarité ou de bilinguisme. C'est une promesse creuse, ça ne veut rien dire.

Le président : Merci. Je m'excuse de vous avoir interrompu, sénateur.

Le sénateur Meighen : C'était une clarification très importante.

Nous avons entendu un témoignage et je crois que nous avons tous été impressionnés par les difficultés que rencontre un caporal à sa première rotation, pour reprendre le cas dont le président parlait. Un pourcentage de 75 p. 100 de son salaire ne suffit pas pour subvenir à ses besoins. On ne peut pas savoir, mais ce caporal serait peut-être devenu Chef d'état-major de la Défense 30 ans plus tard. Ou encore, il serait peut-être resté caporal dans 30 ans. On ne peut pas savoir.

Avez-vous pensé à une solution possible? Faudrait-il fixer un plancher ou un plafond ou un montant minimum?

Maj Campbell : Je vois où vous voulez en venir, président. Il faut changer d'optique et traiter tout le monde de la même manière. Si vous avez perdu vos deux jambes, vous avez perdu vos deux jambes. Pourquoi est-ce que j'obtiens 75 000 $ par année alors qu'un caporal qui a perdu ses deux jambes touche 35 000 $? Voilà ce que je veux dire quand j'affirme que l'allocation pour perte de revenus est discriminatoire quand elle est fondée sur le grade. Il nous faut délaisser ce modèle pour en revenir à un modèle de dédommagement basé sur le type de blessure.

Le président : Je dois souligner que le major Henwood est l'illustration de ce que nous avons essayé de régler, sous votre distinguée présidence. C'est précisément le problème dont le major Henwood parle.

Le sénateur Meighen : Son grade le prive du droit d'obtenir le montant maximum.

Maj Henwood : Vous avez bonne mémoire.

Le sénateur Meighen : Notre fierté est peut-être déplacée. Vous avez fait tout le travail, mais nous éprouvons une certaine fierté à la pensée que, à titre de participants, nous avons contribué à corriger cette iniquité; il est possible qu'il y en ait une autre en l'occurrence.

Est-ce que je pourrais continuer un moment sur la question du montant forfaitaire? J'ai deux dernières questions à poser. Au sujet du montant forfaitaire, et indépendamment de l'état de l'ancien combattant, nous avons entendu des critiques basées sur le fait que, dans le cas d'un jeune soldat, je crois, c'est difficile à gérer. Le soldat peut dépenser son argent d'une manière qu'une personne de mon âge pourrait trouver un peu frivole — acheter une voiture sport, par exemple. On ne peut pas dicter aux gens ce qu'ils doivent faire de leur argent quel que soit le montant en cause. Comment peut-on faire pour aider les gens qui se trouvent dans une telle situation, selon la Charte ou autrement, à agir avec sagesse en pensant à l'avenir?

Maj Campbell : Le ministère des Anciens Combattants accorde actuellement jusqu'à 500 $ en services de consultation financière.

Le sénateur Meighen : On n'est toutefois pas tenu de s'en prévaloir ou de le réclamer.

Maj Campbell : Non, effectivement. Je ne sais pas si c'est convenable de forcer les gens à se prévaloir de ces services; c'est une proposition difficile. J'ai vu exactement ce dont vous parlez, monsieur le sénateur. J'ai vu des jeunes soldats amputés d'un membre qui possédaient une camionnette neuve. Actuellement, cet argent n'est versé qu'une seule fois. C'est un règlement unique, mais si on donne de l'argent à quelqu'un, on ne peut pas forcément lui dire comment le dépenser à moins de retenir les fonds jusqu'à ce que la personne ait prouvé que, premièrement, il servira à l'acquisition d'un véhicule transformé qui leur donnera de la mobilité et de l'indépendance et, deuxièmement, qui sera éventuellement combiné à une subvention d'aide à la construction d'une nouvelle résidence.

Maj Henwood : Le Groupe consultatif sur les besoins spéciaux a proposé plusieurs solutions à Anciens Combattants sur la façon de gérer l'indemnité d'invalidité. On pourrait opter pour une formule hybride. On pourrait établir une rente viagère échelonnée dans le temps ou, au lieu d'une somme forfaitaire, revenir à une pension mensuelle. Un pensionné admissible à une pleine pension recevrait aujourd'hui d'Anciens Combattants un montant d'environ 2 000 $ par mois à vie.

Le sénateur Dallaire : Et ce serait non imposable.

Maj Henwood : Ce serait non imposable. Supposons qu'un ancien combattant reçoit un montant approximatif de 24 000 $ par année et qu'il vit 50 ans; il jouit d'une sécurité financière bien meilleure que s'il avait reçu un montant forfaitaire unique de 250 000 $ ou de 276 000 $.

Si cet ancien combattant voulait acheter une camionnette, il pourrait obtenir un prêt à 500 $ par mois échelonné sur 10 ans. Il achète sa camionnette, mais il bénéficie toujours de cette stabilité parce qu'il a un solde sur lequel il peut compter.

Anciens Combattants peut vous parler d'indemnités imposables et non imposables ou de programmes et de prestations économiques et non économiques.

Au bout du compte, vous devez avoir quelque chose de tangible. La sécurité que procure un versement mensuel est importante, que ce soit pour le paiement d'une hypothèque, le paiement d'un véhicule ou un investissement relatif à la retraite. Actuellement, il n'y a rien.

Le sénateur Meighen : Messieurs, vous êtes ici tous les deux pour discuter d'un sujet que vous connaissez très bien, c'est-à-dire la situation des anciens combattants atteints d'une invalidité grave. Avez-vous des commentaires à formuler concernant la nouvelle Charte des anciens combattants en ce qui a trait aux anciens combattants qui ont été blessés légèrement? L'objectif d'ACC, selon ce que vous en comprenez, est-il de favoriser la réintégration dans la société de ces anciens combattants qui n'ont pas été gravement blessés et d'exécuter les programmes qu'il a adoptés en vertu de la nouvelle Charte des anciens combattants? C'est logique dans ce cas.

Maj Campbell : Les améliorations qui ont été apportées, dans bien des cas à des services existants, sont, pour la plupart, un pas dans la bonne direction. Cependant, la sécurité financière que procure l'ancienne Loi sur les pensions aux personnes atteintes d'une invalidité même partielle est, elle aussi, un instrument indispensable pour assurer la transition vers la vie civile.

Le problème actuellement, c'est que, comme je l'ai dit, nous sommes des centaines à être condamnés à porter l'uniforme, à faire face à un dilemme. Nous sommes tous toujours en service, et nous n'avons pas pu constater si les programmes améliorés d'ACC sont utiles. Je peux vous dire que le système relatif à la priorité d'embauche est tout à fait inapplicable pour la plupart des jeunes anciens combattants. C'est une offre creuse; elle ne signifie rien.

Il est trop tôt pour dire si les services que le ministère a améliorés ont du sens, mais je crois que les efforts visant la réintégration du soldat blessé dans la société...

Le sénateur Meighen : Ou du soldat qui n'a pas été blessé.

Maj Campbell : Ou du soldat qui n'a pas été blessé, absolument. C'est tout à fait logique, mais c'est à propos du 20 p. 100 qu'ACC a vraiment raté le bateau.

Le sénateur Meighen : Je ne peux résister, monsieur le président. Je vous ai induit en erreur quand je vous ai dit que c'était ma dernière question. Quand le major Campbell a dit qu'ils étaient « condamnés à porter l'uniforme », cela va dans les deux sens. Je me souviens que, au tout début des travaux du comité, nous avons entendu des plaintes à l'égard du fait que, dès que les soldats étaient blessés et qu'ils ne pouvaient plus faire leur part, ils devaient quitter les forces. Cela ne plaisait à personne. Le général Hillier a pris le dossier en main et, maintenant, on dirait qu'on s'efforce de garder les gens parce que la plupart des soldats, des marins et du personnel de l'aviation aiment les Forces canadiennes et veulent rester.

Votre situation est différente. Je comprends pourquoi vous dites que vous êtes « condamnés à porter l'uniforme », mais n'est-ce pas là une amélioration, pour vos collègues qui n'ont pas été blessés ou qui l'ont été légèrement, de pouvoir rester dans les Forces même si leur rendement n'est plus le même?

Maj Campbell : Oui et non. À mon avis, c'est un peu comme si on envoyait la saleté sous le tapis. Tôt ou tard, nous allons avoir un problème parce que les gens qui ont été blessés en situation non opérationnelle — autrement dit, quelqu'un qui aurait reçu une palette sur le pied au Canada et qui n'a pas été blessé en service spécial — continuent de se faire flanquer dehors régulièrement. Les seules personnes que l'on retient plus ou moins à l'encontre de la réglementation permanente pour l'universalité du service sont celles qui ont été blessées en service à l'étranger. Tôt ou tard, quelqu'un au Canada va contester la validité de cette pratique.

Le général Hillier a fait une promesse, que le général Natynczyk a maintenue. J'ai personnellement informé le général Natynczyk de ce que sont, à mon avis, les lacunes de la nouvelle Charte des anciens combattants. Il m'a presque dit que la raison pour laquelle il permet à tous les soldats blessés dans le cadre d'opérations de rester au sein des forces aussi longtemps qu'ils le veulent, c'est purement à cause du problème relatif à la nouvelle Charte des anciens combattants. Il veut les aider à conserver leur revenu existant.

Le sénateur Meighen : Merci.

Le sénateur Manning : Je tiens à remercier nos témoins pour leurs magnifiques exposés. J'aimerais parler de la rémunération.

Major Campbell, vous avez dit que vous receviez 75 000 $, dont 50 000 $ constituaient votre pension, et puis il y a le montant de 25 000 $. Sans la pension, quelle serait votre situation?

Maj Campbell : Si je n'avais pas de pension, techniquement, au titre de l'allocation pour perte de revenus, on me verserait le montant de 75 000 $ au complet.

Le sénateur Manning : Ce montant équivaut à 75 p. 100 de votre salaire quand vous étiez blessé; est-ce exact?

Maj Campbell : C'est exact. J'avais un salaire d'environ 100 000 $ par année.

Le sénateur Manning : Je m'inquiète davantage pour le jeune soldat. Je n'essaie pas de vous enlever quoi que ce soit; j'essaie simplement d'avoir un chiffre. Certains des chiffres que vous nous donnez me préoccupent parce que vous dites qu'un soldat, par exemple, reçoit 75 p. 100 de son salaire et que sa pension serait minime.

Maj Campbell : C'est exactement cela.

Le sénateur Manning : Quel est le salaire d'un soldat?

Maj Campbell : Je ne suis pas certain du salaire que gagne un soldat. Un caporal gagne à peu près 50 000 $. Alors, pour l'utiliser comme exemple, 75 p. 100 de son salaire représente 37 500 $. Comme il n'a pas de pension parce qu'il est militaire depuis quatre ou cinq ans seulement, Anciens Combattants lui verse le montant de 37 500 $ au complet, mais ce n'est pas suffisant pour subvenir aux besoins d'une famille jusqu'à la fin de ses jours.

Le président : Combien de temps faut-il pour être admissible à la pension?

Maj Campbell : Dix ans lorsqu'il s'agit d'une libération pour des raisons médicales.

Le sénateur Manning : Êtes-vous en mesure de nous donner une idée de la façon dont le modèle d'indemnisation pour les blessures se rapporte à ce que vous recevez aujourd'hui? Si vous perdiez une jambe, vous seriez indemnisé pour avoir perdu cette jambe. Il y a un montant associé à cette perte, et il y a un montant associé à la perte de deux jambes ainsi qu'à la perte de deux jambes et d'un bras.

Maj Campbell : Le montant versé pour la perte de tout un membre est de 125 000 $; pour deux membres, c'est un montant de 250 000 $. Il s'agit du maximum actuel pour le montant forfaitaire unique. Si vous perdez un troisième membre, vous ne pouvez pas recevoir un montant forfaitaire plus élevé au titre du modèle d'indemnisation.

Le président : Le maximum s'élève en fait à 276 000 $.

Le sénateur Manning : Comment peut-on comparer le modèle actuel avec le modèle précédent?

Maj Henwood : Anciens Combattants utilise une grille pour déterminer le pourcentage. La perte d'un seul membre constitue 50 p. 100 de la perte de plusieurs membres, et la perte de deux membres ou plus équivaut à 100 p. 100. Le ministère a calculé en dollars et en cents à combien se chiffrait la proportion de 100 p. 100. En gros, 100 p. 100 équivaut à environ 2 000 $ par mois. On parle ici de multiples handicaps mineurs ou de handicaps graves, mais le plafond est de 100 p. 100.

Par ailleurs, pour les anciens combattants du temps de guerre, qui sont visés par la Loi sur les pensions, Anciens Combattants versait des allocations qui permettaient de répondre aux besoins des personnes dont la santé se détériorait au fil du temps ou qui subissaient des blessures secondaires liées à leurs blessures principales, et c'est ce qu'on appelait l'allocation d'incapacité exceptionnelle. Cette allocation entrait en jeu à environ 90 p. 100 sur l'échelle de 100 p. 100 et constituait un complément.

Le montant était calculé en fonction de la blessure. On ne tenait pas compte du grade. C'est un montant fixe que l'on ajuste chaque année. Si on a évalué que vous aviez droit à 50 p. 100 pour la perte d'une jambe et que votre dos vous lâche, vous pouvez subir une nouvelle évaluation et votre appréciation du droit à pension risque d'augmenter à 75 p. 100 au fil du temps. Par contre, le plafond serait de 100 p. 100.

Le président : Je veux simplement m'assurer que nous comprenons bien ce dont il est question.

Les pourcentages auxquels vous faites allusion sont calculés en fonction d'un montant nominal, non pas d'un salaire. Est-ce exact? La proportion de 100 p. 100 équivaut à environ 2 000 $ par mois.

Maj Henwood : C'est exact.

Le président : Il ne s'agit pas de pourcentages du salaire.

Maj Henwood : Cela n'a rien à voir avec les salaires.

Le sénateur Dallaire : Si vous me permettez d'intervenir, c'est inexact. Le montant était calculé en fonction du salaire d'un soldat pendant la Deuxième Guerre mondiale. Il a été augmenté au fil des ans pour tenir compte, entre autres, du niveau de vie. C'est la raison pour laquelle il s'élève à un montant maximal non imposable de 2 000 $ par mois. Selon votre niveau d'imposition, vous pouvez le calculer. Si vous êtes à un niveau d'imposition de 50 p. 100, cela équivaut à 4 000 $. C'était la base du processus du 100 p. 100. Si vous aviez une femme et deux enfants, on pouvait ajouter quelques centaines de dollars ici et là. Le maximum que vous pouviez recevoir était de 3 000 $ à vie, et c'était non imposable.

Si vous êtes dans cette fourchette et que vous avez en plus une pension, vous pourriez être imposé, par exemple, à 50 p. 100 à cause du montant total. Ce montant de 2 000 $ pourrait valoir 4 000 $, ce qui équivaut à 48 000 $ par année. En cinq ans, vous avez presque atteint le montant de 250 000 $, et vous recevez 48 000 $ par année jusqu'à la fin de vos jours.

Ce que je veux dire, c'est que toute cette manipulation de chiffres, y compris l'estimation de la pension et la proportion de 75 p. 100, est tout à fait mécanique et a été établie par le personnel et le ministère. On est loin de la base conceptuelle sur laquelle repose la nouvelle Charte des anciens combattants. À mon avis, le personnel a manoeuvré en élaborant la législation et a traficoté sa mise en oeuvre d'une façon qui va à l'encontre des principes fondamentaux sur lesquels repose la nouvelle charte.

La situation décrite relativement aux personnes qui ont été gravement blessées est aussi pire que celle des personnes qui n'ont pas été gravement blessées. En plus, l'ancienne charte permettait aussi le Programme pour l'autonomie des anciens combattants. Ce programme prévoyait toutes sortes d'avantages pour la famille, y compris la tonte de gazon et d'autres aspects importants.

Pardonnez-moi mon intervention, mais je voulais appuyer le fait indéniable que la grande partie de ce que nous avons actuellement est très loin de la base conceptuelle de la Charte. Nous devons le dénoncer.

Le président : Le général Cox est en train de préparer un document à notre intention pour la semaine prochaine. Nous allons examiner les promesses qui ont été faites en 2004 en ce qui a trait à la nouvelle Charte des anciens combattants et à ses perspectives d'évolution.

Le sénateur Manning : Je remercie le sénateur Dallaire pour son intervention. Il a davantage d'expérience que moi à cet égard.

De votre déclaration préliminaire — pour aller au coeur de ce que le sénateur Dallaire a soulevé —, vous avez dit que la nouvelle Charte des anciens combattants causait des difficultés importantes aux anciens combattants récemment libérés. Ce ne sont peut-être pas les mots exacts que vous avez employés, mais c'était du même ordre. On penserait que ce qui est nouveau et novateur constitue une amélioration. Je suis triste d'apprendre, par le biais de votre exposé, que ce n'est pas le cas.

J'espère que vous avez des suggestions à nous faire. La notion d'indemnisation fondée sur le salaire me préoccupe. Il y a quelques semaines, nous avons reçu un jeune homme — j'oublie son grade. Il était âgé de 22 ans, et il avait la possibilité de prendre du galon dans les Forces. Il a été blessé il y a deux ans et demi, à l'âge de 19 ans. Avez-vous des idées ou des suggestions à l'égard de la façon dont nous devrions aborder le concept de l'indemnisation en fonction du salaire?

Le sénateur Dallaire a parlé de l'ancien système qui aurait été fondé sur le salaire d'un soldat pendant la Deuxième Guerre mondiale. À mon avis, il doit y avoir quelque chose pour orienter le processus décisionnel.

Maj Henwood : Des études ont été réalisées, et les études, malheureusement, prennent beaucoup de temps. Anciens Combattants a proposé le montant de 250 000 $ en s'inspirant du principe du paiement d'assurance, des travaux des commissions des accidents du travail et d'analyses des systèmes d'autres pays.

Si, dans le cas des anciens combattants traditionnels, la Loi sur les pensions s'appuyait à l'origine sur un salaire mensuel, c'est peut-être la voie qu'il faudrait suivre. Débarrassez-vous de ce paiement forfaitaire et établissez un niveau de référence. Personne ne sera content du niveau qui sera établi, quel qu'il soit, mais ce montant ne devrait pas être moins élevé que ce que reçoivent les anciens combattants traditionnels; vous pouvez donc partir de là.

Je ne suis pas en train de suggérer que ce niveau de référence soit établi en fonction du salaire d'un soldat de la Deuxième Guerre mondiale ou d'un soldat qui a combattu en Afghanistan en 2010. Il faut partir d'un montant qui permettra à la personne de conserver un niveau et une qualité de vie raisonnables, et qui répondra aux attentes réalistes de leur famille. Ces personnes devraient être en mesure de payer les traitements d'orthodontie de leurs enfants, de prendre des vacances et de profiter d'une retraite paisible. Actuellement, ces anciens combattants sont condamnés à l'échec.

Quel que soit le montant établi, il doit s'agir d'une rente viagère mensuelle. Ce sera une amélioration par rapport au montant forfaitaire en mode « tiré et oublié » qui est versé actuellement.

Le sénateur Manning : Pensez-vous qu'il vous sera possible de soumettre vos préoccupations à Anciens Combattants?

Maj Campbell : J'ai dressé la liste de mes principales préoccupations à l'aide de ma gestionnaire de cas. On lui a demandé de préparer une note d'information à l'intention du ministre Blackburn après que j'eus envoyé un courriel au premier ministre pour solliciter un entretien. Ils se sont finalement montrés intéressés à entendre mes préoccupations.

Maj Henwood : En tant qu'ancien combattant à la retraite, je collabore depuis cinq ans avec le Groupe consultatif ad hoc sur les besoins spéciaux afin de formuler des conseils et des suggestions à l'intention d'Anciens Combattants. Ils ne cessent de recevoir de l'information et d'entendre encore et toujours la même chose, mais ils n'apportent pas forcément de modifications ou d'ajustements.

Il est peut-être difficile d'apporter des changements, étant donné la manière dont la nouvelle Charte des anciens combattants a été élaborée. Il faudrait passer par le Conseil du Trésor, et toutes ces questions financières doivent être examinées. Pour être honnête, les anciens combattants ne veulent pas connaître les problèmes qui touchent la mécanique du gouvernement; tout ce qu'ils veulent, c'est savoir qu'ils ne demeureront pas sans ressources.

Le sénateur Manning : Je pense que vous avez parlé plus tôt des paiements forfaitaires versés par les autres pays. Des témoins nous ont dit qu'il n'y a pas toujours de comparaison possible. Il faut tenir compte du fait que les prestations canadiennes qui s'ajoutent à ce paiement n'existent pas nécessairement ailleurs, même si les versements forfaitaires y sont plus élevés. Certains pays versent peut-être un paiement forfaitaire de 500 000 $, mais après cela, les gens doivent pratiquement se débrouiller seuls. En vous appuyant sur votre expérience, que diriez-vous de cette comparaison?

Maj Henwood : Je ne peux pas parler des autres pays, parce qu'il existe une panoplie de prestations diverses. Anciens Combattants soutient — non pas que je veuille les citer — qu'on ne peut pas comparer des pommes avec des oranges. Contrairement aux États-Unis, nous avons un système de soins de santé public. Nous ne devrions pas chercher à recopier certains aspects des régimes des autres pays — ceux qui correspondent le mieux à nos exigences budgétaires ou autres —, mais à concevoir un modèle pour le Canada, un modèle correspondant à notre mode et à notre qualité de vie, un modèle qui aurait été conçu par nous et pour nous.

Le président : Chers collègues, je dois à nouveau vous rappeler le temps ridiculement limité dont nous disposons pour étudier ce sujet important et vous demander de garder vos questions et vos réponses les plus brèves possible parce que nous devons terminer à 13 h 20.

Le sénateur Pépin : Je vous ai écoutés tous les deux en pensant à vos familles — vos épouses et vos enfants. Selon ce que vous dites, il n'y a pas beaucoup d'argent pour vos familles. Si vous revenez avec un handicap physique, quelqu'un doit rester avec vous à la maison; cette personne ne peut travailler à l'extérieur. Quelles sont les principales difficultés rencontrées par la famille à votre retour?

Maj Campbell : Je peux vous en nommer plusieurs. La dynamique familiale change fondamentalement et de manière irréversible. Comme je l'ai dit — et ce n'était pas une métaphore —, je ne peux pas changer une ampoule, utiliser un marteau et faire tout ce que font normalement les hommes à la maison. Je dois essayer de trouver d'autres manières de réduire le poids qui pèse sur les épaules de mon épouse, notamment en préparant les repas, mais c'est extrêmement difficile. Tout prend davantage de temps. Tout devient plus difficile quand on n'a pas de jambes.

Je veux insister sur ce point, que j'ai mentionné plus tôt. Il n'y a eu aucun dédommagement, selon moi, pour la perte de la qualité de vie de ma famille, aucune indemnisation permanente qui me permette d'amener mes enfants à une partie de baseball parce que je ne peux plus jouer avec eux. Il n'y a rien eu de cela. En raison de la nature particulière de mes blessures — celles pour lesquelles je n'ai pas été indemnisé, comme la perte de l'un de mes testicules et les cicatrices qui zèbrent mes parties génitales —, je n'ai plus de relations intimes avec la femme qui partage ma vie depuis 25 ans. Notre dynamique familiale a donc changé de façon radicale.

Est-il juste pour ma femme que je sois allé à la guerre et j'y aie été victime d'une explosion? Non, mais ce sont des choses qui arrivent dans la vie, et je crois que le Canada a une dette envers les gens qui sont blessés alors qu'ils agissent en son nom.

Nous tenons de beaux discours, mais les actes ne suivent pas les paroles en ce qui a trait à la nouvelle Charte des anciens combattants, et ce sont les familles qui en souffrent. Tout le monde regarde le soldat et se dit : « Pauvre homme, il a perdu ses jambes. » Je peux vous dire, madame le sénateur, que les difficultés rencontrées pendant mon entraînement, la douleur chronique, la diminution de ma qualité de vie — tout cela me semble dérisoire comparé à ce que vit ma famille. Mon garçon, qui était premier de classe, a échoué à presque tous ses cours au premier cycle du secondaire. J'ai dû engager un professeur particulier, pour lequel je n'ai reçu aucune indemnisation — l'argent venait de mes poches. Une incapacité entraîne toutes sortes de dépenses pour lesquelles il n'y a aucune indemnisation. Mon invalidité me coûte très cher.

Le sénateur Pépin : Je sais que des services de soutien sont offerts aux conjoints des militaires sur la base, mais existe- t-il un centre de services spéciaux pour les familles des blessés?

Maj Campbell : Je peux vous dire que ma femme, mes deux enfants et moi voyons régulièrement des spécialistes en santé mentale. Voilà le type de conséquences que cela a eu sur ma famille; elle s'est retrouvée sens dessus dessous et, sans vouloir faire de jeu de mots, elle ne retombera jamais sur ses pieds. J'ai perdu mes jambes. Or, j'avais prévu suivre une formation professionnelle pour apprendre un métier du bâtiment après ma carrière militaire. J'en parlais depuis des années. C'est maintenant impossible. Mes plans sont tombés à l'eau. Je n'ai maintenant aucune idée de ce à quoi ressemblera mon avenir.

Le sénateur Pépin : Il serait possible de faire quelque chose pour les familles.

Maj Campbell : Il y a aussi du stress, beaucoup de stress.

Le major Henwood : L'indemnité d'invalidité prévue par la nouvelle Charte des anciens combattants est un montant forfaitaire versé d'un coup, comme nous en avons discuté, mais ça ne tient pas compte de la famille. Les soldats reçoivent un montant X — 276 000 $ s'il s'agit d'une invalidité grave —, qu'ils soient mariés ou non. Il n'y a pas d'indemnité d'invalidité pour les familles. L'indemnité d'invalidité ne tient pas compte de la souffrance et de la douleur de la famille, puisque les soldats mariés reçoivent le même montant que les soldats célibataires. J'ai dit dans ma déclaration préliminaire que la famille était presque un accessoire — elle a été ajoutée après coup. Pour les gens frappés d'une invalidité grave, la famille est essentielle. Il suffit de regarder le nombre de ruptures. Je remercie Dieu de m'avoir donné ma femme. Elle m'a dit qu'elle avait été capable de retomber en amour avec le même homme — parce que je ne suis plus le même qu'auparavant. Nous avons sauvé notre mariage, mais tout le monde n'a pas cette chance.

Ce serait fantastique s'il existait un soutien financier à l'intention des familles. Le quatrième rapport du Groupe consultatif sur les besoins spéciaux, que vous n'avez probablement jamais vu parce qu'il ne vous a pas été présenté, porte sur la famille — il y est question d'une indemnité d'invalidité pour les familles et d'une allocation pour les blessures graves qui dépasse les 100 p. 100. La liste continue ainsi et aborde même la question des aidants naturels. On considère qu'il incombe aux épouses de dispenser les soins, mais elles ne reçoivent aucune formation ni aucune forme de rémunération. On s'attend tout simplement à ce qu'elles assument ce rôle.

Le sénateur Pépin : Merci beaucoup.

Le sénateur Dallaire : Après avoir siégé à ce comité pendant un certain temps et l'avoir encouragé, du temps de l'ancien président, à réaliser une étude sur la nouvelle Charte des anciens combattants, je tiens à informer le président que je suis convaincu que ce comité ne sera jamais en mesure de produire un rapport approfondi sur la Charte parce qu'il manque de temps. Nous n'obtiendrons pas toute l'information nécessaire pour effectuer cet examen, dussions- nous continuer notre travail pendant l'année à venir.

Je veux préciser que je continue de correspondre avec les deux chefs de parti afin de faire de ce comité un comité à part entière. À l'automne, je commencerai à faire comprendre aux gens à l'extérieur de cette enceinte que le Sous- comité des anciens combattants est traité avec moins d'égards que les autres comités, tel que celui sur les langues officielles. J'estime important de déclarer publiquement que je suis un ancien combattant et que j'ai aussi été blessé.

Deuxièmement, lorsque nous avons commencé ce travail en 1997 — sous la direction de Peter Neary, qui a déposé le rapport —, il y avait très peu de soldats grièvement blessés. Dix avaient été tués, mais les blessés graves étaient peu nombreux. Vous étiez l'un d'eux, major Henwood, et vous avez été un pionnier. Il y en avait plus, mais les soldats qui ne gardaient que des séquelles psychologiques ne faisaient même pas partie de l'équation, ce qui nous empêchait d'estimer leur nombre.

Je constate maintenant que la charte a été rédigée davantage à l'intention des blessés légers que des blessés graves. Vous avez soulevé cette lacune importante, qui n'a pas été révélée à ce moment, même si vous travailliez d'arrache-pied. Il y a d'importantes lacunes à combler pour répondre aux besoins des blessés graves — qu'il s'agisse de blessures physiques ou psychologiques.

Anciens Combattants est en train d'effectuer un examen approfondi de la charte qui devrait durer un an. Ils nous ont remis une copie de cet examen, qui semble complet. Ils ont commencé il y a six mois. Est-ce que vous, votre organisation, le Groupe consultatif sur les besoins spéciaux ou les anciens combattants avez été invités à participer à cette étude?

Maj Henwood : Notre contribution s'est limitée aux rapports que nous avons produits, alors je ne savais pas qu'il y avait un projet de charte révisée. On continue d'entendre que les modifications apportées à la charte se feront à l'intérieur de l'enveloppe budgétaire d'Anciens Combattants. Ils vont essayer de repousser les limites pour accroître le service dans certains secteurs. Il s'agit de modifications mineures et progressives, et ils ne touchent même pas à l'indemnité d'invalidité. Or, nous avons besoin de changements importants.

Le sénateur Dallaire : Lorsque la charte a été adoptée, le gouvernement précédent n'a imposé aucune restriction budgétaire. Ces restrictions ont commencé à apparaître lors de la mise en oeuvre de la charte par le gouvernement actuel en avril 2006. Dans les Forces, il n'y a aucune limite en ce qui a trait au personnel. Ils fournissent de l'argent pour différents programmes, notamment pour garder au sein des Forces les gens qui ont été blessés, mais ils ont accaparé ces fonds aux dépens d'autres enveloppes. Les dépenses liées aux ressources humaines sont passées de 52 à 62 p. 100 en raison de ces besoins. Anciens Combattants semble avoir établi un plafond totalement artificiel qui doit être revu.

En ce qui concerne votre comité, nous avons appris par la bande il y a deux ou trois semaines que les différents comités consultatifs fusionneraient. Êtes-vous au courant de cela?

Maj Henwood : J'ai participé à ces discussions.

Le sénateur Dallaire : Quel est le but de cette fusion?

Maj Henwood : Je ne suis pas au courant de tout, mais les quatre groupes consultatifs existants relèveront d'un conseil — le Conseil consultatif des Anciens Combattants. Ce conseil comportera quatre ou cinq comités, selon les besoins du moment, qui effectueront différentes tâches. Ce changement vise à éviter les répétitions au sein du ministère. Au lieu de devoir informer quatre groupes consultatifs sur le même sujet, ils n'auront qu'à informer le conseil.

Le sénateur Dallaire : Sauf que le conseil s'occupera également des anciens combattants de longue date. Vous commencez à mélanger vieux et nouveaux anciens combattants et à combiner deux régimes distincts. Le conseil pourra s'approcher des politiciens.

À qui votre comité présente-t-il son rapport? Est-ce au ministre, au sous-ministre ou à un sous-ministre adjoint? Qui est le responsable?

Maj Henwood : Son nom est Darragh Mogan; il est directeur général.

Le sénateur Dallaire : C'est peut-être un EX-2 ou un EX-3. Lorsque l'amiral Murray était en poste, ces rapports étaient à tout le moins soumis au sous-ministre, parfois même au ministre. Les contributions au système ont été déclassées.

En dernier lieu, j'aimerais dire que la transition vers un montant mensuel, comme vous le proposez, va à l'encontre de l'argument fondamental soulevé dès le départ; à la base, on cherchait à éviter que les gens deviennent dépendants de ce montant, de sorte qu'ils veuillent réintégrer la population active. Toutefois, ce montant est un besoin essentiel pour les blessés graves.

Maj Henwood : Oui.

Le sénateur Dallaire : Il faut prévoir ce besoin, en plus des 250 000 $.

Si nous arrivons à un montant inférieur à 66 000 $, mais supérieur à celui que reçoit le soldat — excluant la pension et libre d'impôt —, pensez-vous qu'il conviendrait d'éliminer l'indemnité initiale de 250 000 $ ou 300 000 $ susceptible d'aider une personne à faire construire sa première maison et peut-être à acheter une voiture?

Maj Campbell : Je sais que l'opinion du major Henwood diffère quelque peu de la mienne à ce propos, mais selon moi, on ne devrait faire ni l'un ni l'autre. Je crois qu'on peut marier certains éléments pour les frais initiaux valables, étant donné que les gens ont besoin d'argent dès l'instant où ils deviennent invalides. Lorsqu'une personne se trouve en situation de « destruction mobilité », comme on dit, elle doit se procurer une fourgonnette. En l'absence de fonds de départ, cette situation devient un fardeau financier pour la famille.

Je suis tout à fait convaincu, monsieur, qu'il faut viser juste. Je serais prêt à renoncer à 75 000 $ garantis par année pour bénéficier de l'ancien régime. En vertu de l'ancien régime, je toucherais environ 50 000 $ par année en prestations de maladie, comparativement aux 4 700 $ par mois, libres d'impôt, dont bénéficie Paul Franklin. Je toucherais donc 50 000 $ par année en prestations de maladie, en plus de ma pension de service militaire de 50 000 $, dont on ne retranche rien. J'en serais de nouveau à 100 p. 100. Je bénéficierais du régime de pension auquel j'ai cotisé.

Le sénateur Dallaire : Le MDN s'attarde-t-il également à la situation des réservistes ou sont-ils encore tenus à l'écart à bien des égards?

Maj Campbell : Je pense qu'on s'occupe beaucoup mieux des réservistes qu'avant, tout particulièrement grâce au modèle de l'unité interarmées de soutien au personnel, dont la mise en oeuvre quelque peu précaire se poursuit auprès des cinq centres régionaux, et grâce aux centres intégrés de soutien du personnel, qui relèvent des unités. Il y a un CISP à Calgary. Il n'y a pas de véritable présence de la force régulière à Calgary, mais on y trouve plusieurs unités de réserve qui ont vu une forte proportion de leurs membres être déployés. La situation est la même du côté du régiment à Edmonton, dont les installations se situent à côté de l'UISP.

Les militaires en service déploient des efforts valables et concertés pour veiller sur les réservistes qui ont subi des blessures pendant un déploiement à l'étranger.

Le sénateur Day : Je me joins aux autres membres du comité pour remercier le major Henwood et le major Campbell pour ce qu'ils ont fait et pour ce qu'ils continuent de faire pour les Forces armées canadiennes, le Canada et les anciens combattants — blessés ou non —, qui cherchent à s'assurer que leurs confrères et consoeurs reçoivent l'aide dont ils et elles ont besoin. Vous devez tous deux trouver difficile de faire ces déclarations concernant la nouvelle Charte des anciens combattants devant le sous-comité. Le ministère des Anciens Combattants nous dit qu'il s'agit de la voie à suivre. Il voit la chose d'un bon oeil. Toutefois, nous avons également entendu les témoignages de certaines personnes blessées au combat. Le caporal-chef Franklin a pris la parole pendant sa transition. Son témoignage à l'égard du nouveau régime et les commentaires du major Henwood à propos du nouveau programme nous ont permis de comparer un peu la situation.

Major Henwood, quelqu'un a-t-il déjà cherché à établir où vous en seriez si vous portiez encore l'uniforme ou si vous aviez subi vos blessures récemment, tandis que le nouveau programme était en vigueur? Du point de vue de votre mode de vie, comment ces deux situations se compareraient-elles?

Maj Henwood : Nous avons demandé à ce qu'une comparaison soit faite entre la Loi sur les pensions et la nouvelle Charte des anciens combattants, pour les cinq anciens combattants invalides siégeant au GCBS. Le ministère des Anciens Combattants nous avait proposé de le faire, avant de retirer son offre.

Le sénateur Day : Cette information nous serait utile. Le caporal-chef Franklin nous a dit qu'il serait sans ressources au bout de cinq ans en vertu du nouveau programme.

Vous avez également soulevé le point comme quoi ce programme est conçu pour la période de transition. La nouvelle Charte des anciens combattants est conçue pour la transition et la réintégration. Voilà l'idée. Les personnes qui n'arrivent pas à faire la transition puis à réintégrer la population active sont celles qui ont subi des blessures graves, comme vous l'avez dit. A-t-on conseillé au ministère des Anciens Combattants d'envisager de faire appel à deux programmes ou deux volets? Vous avez dit, pour les personnes qui pourront réintégrer la population active, que la nouvelle Charte des anciens combattants comportait certaines caractéristiques qui rachetaient ses défauts; toutefois, qu'en est-il des autres qui ne le pourront pas?

Maj Henwood : Voilà justement le problème.

Le sénateur Day : Le ministère des Anciens Combattants a-t-il été informé des mesures que vous souhaitez voir appliquées?

Maj Henwood : S'il en est informé, il ne nous en a pas fait part. Nous n'avons pas recommandé l'adoption d'une nouvelle Charte des anciens combattants à deux volets. On nous a fortement conseillé d'arrêter de parler de l'indemnité d'invalidité.

Le sénateur Day : Major Campbell, la question de la famille est extrêmement importante. Vous vous êtes montré très franc et ouvert et nous vous en remercions. Le ministère des Anciens Combattants nous dit que les soldats recevront 250 000 $ et qu'ils auront, s'ils font les bons placements, suffisamment d'argent pour payer les soins orthodontiques de leurs enfants et ainsi de suite. Entendez-vous des choses semblables de votre côté?

Maj Campbell : J'ai entendu dire que les bénéficiaires sont censés pouvoir investir cet argent puis vivre des fruits de ces placements. Si j'avais investi l'indemnité qui m'a été versée lorsque j'ai été blessé, j'en aurais perdu la moitié dans l'effondrement du marché boursier deux semaines plus tard. Comment peut-on dire aux soldats de vivre des fruits d'un système instable qui repose sur le marché boursier? Ces soldats pourraient tout perdre du jour au lendemain. De plus, il n'est pas possible d'investir cet argent parce que les gens en ont besoin immédiatement, ou bien pour construire une maison, ou bien pour acheter une nouvelle fourgonnette. La désignation des 250 000 $ comme outil d'investissement n'est qu'illusoire. Cette possibilité n'existe pas, un point c'est tout.

Le sénateur Nolin : Ma question a été posée par le sénateur Pépin. Lorsque vous avez répondu au sénateur Pépin, vous avez parlé d'un document en circulation auquel nous n'avons pas accès. Quel est ce document?

Maj Henwood : Vous n'avez probablement pas vu les quatre rapports soumis par le GCBS au ministère des Anciens Combattants.

Le sénateur Nolin : J'aimerais les voir.

Maj Henwood : Je suis prêt à vous laisser une copie du quatrième rapport. Quatre rapports ont été rédigés et les trois premiers n'étaient pas aussi concis que le dernier.

Le sénateur Nolin : Pouvez-vous nous transmettre ce qui, à votre avis, pourrait nous intéresser?

Le président : Le général Cox nous a fourni une liste et un résumé de ces rapports ainsi que de nombreux autres documents, qui sont entre les mains du greffier et qui vous seront distribués cet après-midi.

Le sénateur Day : Les rapports et les études semblent si nombreux. N'est-il pas temps d'agir dans ce dossier? Les soldats qui reviennent d'Afghanistan sont embourbés dans cette situation. Il est temps de porter cette question à l'attention du public.

Le président : Nous tenterons de le faire rapidement, dès que nous aurons bien cerné l'enjeu, ce que le présent processus nous aidera à faire. Nous aurons peut-être à appeler le général Dallaire à comparaître comme témoin.

Compte tenu de l'heure, il est temps d'ajourner la séance. Toutefois, si vous le voulez bien, je cède la parole au vice- président.

Le sénateur Day : Je propose de ne pas tenir compte de l'heure.

Le sénateur Manning : Je veux m'assurer que ces quatre rapports nous seront transmis.

Le président : Le sénateur Day propose de ne pas tenir compte de l'heure. Êtes-vous d'accord?

Le sénateur Manning : J'aurais des réserves à exprimer à cet égard. Nous devons être en Chambre. Nous avons déjà eu cette discussion. Je ne pense pas qu'il convienne de débattre maintenant de cette question. Nous devons respecter les règles qui ont été établies.

Le président : Messieurs, je pense que vous comprenez que toutes les personnes ici présentes savent qu'elles ont une obligation de diligence à votre endroit et à l'endroit de vos confrères et consoeurs. Nous tenterons de voir à cette question, dans la mesure où nous le pourrons. Au nom de tous les membres du comité, je tiens à vous exprimer notre reconnaissance et à vous remercier d'être venus ici aujourd'hui. Je tiens à m'excuser pour l'absurdité de cette situation, c'est-à-dire pour le peu de temps qui nous est accordé pour traiter de cette question. Merci beaucoup.

(La séance est levée.)


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