Aller au contenu
AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international

Fascicule 6 - Témoignages du 9 février 2012


OTTAWA, le jeudi 9 février 2012

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd'hui, à 10 h 30, pour examiner, afin d'en faire rapport, la politique étrangère canadienne relative à l'Iran, ses implications et d'autres questions connexes.

Le sénateur A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du Commerce international examine aujourd'hui la politique étrangère canadienne relative à l'Iran, ses implications et d'autres questions connexes.

Avant de commencer, j'aimerais, au nom du comité, exprimer nos condoléances à la famille Dickson à la suite du décès du sénateur Fred Dickson. Nous le regrettons déjà. C'était un homme affable et un excellent sénateur, qui a apporté une grande contribution au Canada et au Sénat. Nous regrettons sa disparition et nous transmettons nos condoléances à sa famille.

Ce matin, le comité va examiner, comme je l'ai dit, la politique étrangère du Canada au sujet de l'Iran. Nous accueillons parmi nous, du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, Mme Barbara Martin, directrice générale pour le Moyen-Orient et le Maghreb, et Donald Sinclair, directeur général pour la sécurité internationale. Nos deux témoins sont accompagnés d'un grand nombre de collègues du ministère, qui sont là pour les aider, le cas échéant.

Nous vous avons donné un court préavis, et nous comprenons tout à fait que vous n'ayez pas pu venir hier puisque vous comparaissiez devant un comité de la Chambre des communes. Je vous remercie d'être ici aujourd'hui pour nous aider à poursuivre notre examen de tous les aspects de la politique étrangère du Canada vis-à-vis de l'Iran. Bienvenue parmi nous.

Barbara Martin, directrice générale, Direction générale du Moyen-Orient et du Maghreb, Affaires étrangères et Commerce international Canada: Merci. Madame la présidente, honorables sénateurs, je suis heureuse de m'adresser à vous aujourd'hui au sujet de la situation en Iran et de la réponse du Canada face à celle-ci.

Le premier ministre et le ministre des Affaires étrangères sont tous deux clairement d'avis que, de nos jours, l'Iran constitue la plus importante menace pour la sécurité régionale et internationale. Voilà pourquoi le Canada a été à l'avant-garde des efforts des nations en imposant des sanctions au régime iranien, en limitant nos relations diplomatiques avec l'Iran par le biais de notre Politique d'engagement contrôlé et en adoptant une position ferme aux Nations Unies pour condamner ses violations persistantes et systématiques des droits de la personne de ses propres citoyens. J'aborderai d'abord la question des droits de l'homme en Iran, ensuite, son rôle déstabilisateur dans la région et, enfin, ses activités nucléaires.

Bien que l'Iran soit signataire du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, il viole de manière flagrante les droits qui y sont enchâssés.

En Iran, la liberté religieuse n'est qu'un vœu pieux. Les minorités religieuses y sont victimes de discrimination. En effet, le traitement et la persécution des Bahâ'is en sont un exemple flagrant et extrême. Les leaders bahâ'is sont régulièrement emprisonnés sans raison, et leurs adeptes sont interdits d'accès à l'université uniquement en raison de leur confession. Les Juifs et les chrétiens, malgré les garanties constitutionnelles, ont un accès restreint à certains types d'emplois, et les poursuites pour apostasie (un musulman qui se convertit à une autre religion) sont toujours en vigueur.

La liberté d'expression est fortement restreinte. La presse est contrôlée, les journaux qui enfreignent les normes gouvernementales établies se voient contraints à fermer boutique et les rédacteurs et journalistes sont mis en prison. Les opposants au régime sont régulièrement emprisonnés, y compris les deux adversaires d'Ahmadinejad aux élections présidentielles de 2009, Mir Hussein Mousavi et Mehdi Karroubi, qui sont toujours détenus. Ces abus reflètent le fait que le système judiciaire sert l'intérêt du régime plutôt que celui de la justice.

Le nombre d'exécutions perpétrées en Iran a atteint cette année un niveau record. Nombre de détenus faisant face à une exécution se sont fait refuser ce que toute personne raisonnable considérerait comme une application régulière de la loi. Madame Sakineh Ashtiani, condamnée initialement à la lapidation pour adultère, risque aujourd'hui la pendaison, alors qu'un résident permanent canadien, Saeed Malekpour, attend son exécution après que des charges douteuses ont été portées contre lui. La liste des cas semblables continue de s'allonger, indéfiniment.

Un pays qui abuse de ses propres citoyens de la sorte, qui ne respecte pas les garanties de sa propre constitution et qui fait fi de ses engagements internationaux en matière de droits de la personne est un pays auquel on ne peut pas faire confiance et qui pose une menace pour nous tous. L'Iran doit rendre des comptes à la communauté internationale. Le Canada joue le rôle de leader dans le cadre des efforts déployés à l'échelle mondiale.

À l'automne dernier, pour la neuvième année d'affilée, le Canada a piloté les efforts internationaux à l'Assemblée générale des Nations Unies afin de jeter la lumière nécessaire sur le sombre dossier des droits de la personne en Iran, au moyen d'une résolution. C'est une résolution choquante quand on songe à la tragédie humaine qui se cache derrière les mots. Le fait qu'un total de 42 États aient coparrainé la résolution et que 89 pays l'aient appuyée témoigne de l'inquiétude que cette situationsuscite sur la scène internationale. Seuls 30 États ont voté contre. Cela représentait le plus grand soutien obtenu pour une résolution, depuis que le Canada a commencé à assumer ce rôle de leader en 2003, en plus de traduire le degré de la préoccupation internationale.

[Français]

L'Iran continue de représenter une menace pour ses voisins et une influence déstabilisatrice dans l'ensemble de la région et en particulier pour l'État d'Israël, que le guide suprême a qualifié, la semaine dernière, de cancer qu'on doit éliminer et qu'on éliminera.

Les activités nucléaires iraniennes constituent une menace à l'existence d'Israël. Or, ces activités ne sont pas les seules menaces que pose l'Iran. L'Iran soutient des organisations comme le Hamas et le Hezbollah, qui utilisent la violence pour s'opposer à la paix et à la coexistence avec Israël. Téhéran a ouvertement reconnu offrir de l'aide à ces groupes et s'est engagé à continuer de fournir un tel appui à quiconque pose des gestes à l'encontre d'Israël.

En outre, l'interférence de l'Iran au Liban, en Syrie, en Irak, dans la péninsule de l'Arabie et en Afghanistan menace la stabilité régionale. La relation entre l'Iran et l'Arabie saoudite n'est pas au beau fixe. Les forces Qods de l'Iran, forces d'élite chargées d'opérations spéciales, ont participé au présumé complot visant à assassiner l'ambassadeur saoudien aux États-Unis. L'Iran demeure un allié proche de la Syrie. Téhéran a fourni un soutien financier, politique et technique au régime d'Assad, malgré la violence perpétrée par le gouvernement syrien contre son propre peuple. De plus, les voisins régionaux de l'Iran sont également mis en danger par ses activités nucléaires et ces derniers craignent que l'Iran puisse modifier l'équilibre des forces régionales et représenter une menace à leur propre sécurité.

Les Iraniens auront des élections parlementaires en mars et il y a des tensions manifestes au sein du régime entre le président Ahmedinajad et le Guide suprême Ayatollah Khamenei. Il reste à voir ce que les élections à venir réserveront à l'avenir de l'Iran, mais les perspectives de réforme ou de changement important en Iran demeurent incertaines.

[Traduction]

D'autre part, les activités nucléaires iraniennes demeurent la plus grande préoccupation pour la communauté internationale, y compris le Canada. Six résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies ont invité l'Iran à suspendre l'enrichissement de matériau nucléaire et à dévoiler tous les détails de ses activités ainsi que les dimensions militaires possibles de celles-ci, mais l'Iran est demeuré intransigeant. Le groupe de nations appelé P5+1 (les 5 États membres permanents du Conseil de sécurité plus l'Allemagne) pratique depuis 2006 la méthode de la carotte et du bâton, c'est-à-dire le dialogue et les sanctions. Jusqu'à présent, l'Iran a refusé d'engager une discussion au sujet de son programme nucléaire. Bien qu'il soit question d'une autre ronde de négociations à l'échelle du P5+1, rares sont ceux qui s'attendent à une percée ou même à de légers progrès. Tant le guide suprême que le président Ahmadinejad ont déclaré catégoriquement que l'Iran ne reculera pas. Il s'agit là d'un des rares dossiers sur lesquels les élites conservatrices iraniennes s'entendent.

Le 8 novembre 2011, le dépôt d'un rapport de l'AIEA sur l'Iran a été un jalon important. Le rapport présente en détail les liens entre la recherche nucléaire iranienne et les programmes de mise au point de missiles. Cela ne prouve pas l'intention de l'Iran de produire des armes nucléaires. Cependant, les mesures prises dernièrement par l'Iran, y compris sa décision récente d'intensifier ses opérations d'enrichissement de l'uranium dans ses installations de Fordo, près de Qom, entretiennent les doutes quant aux objectifs du programme nucléaire iranien, que l'Iran affirme être pacifiques.

En janvier, l'Iran a annoncé le début de ses activités d'enrichissement de l'uranium à juste en-dessous de 20 p. 100, dans ses installations de Fordo. Vingt pour cent est le seuil de l'uranium fortement enrichi. À partir de ce niveau-là, il est beaucoup moins difficile de l'enrichir jusqu'à 90 p. 100 et d'obtenir ainsi du matériel nucléaire susceptible d'entrer dans la fabrication d'armes de destruction massive. Étant donné que les inspecteurs internationaux n'ont pas un accès complet aux sites nucléaires déclarés et non déclarés de l'Iran, on ne peut écarter l'éventualité que ce pays poursuive un programme d'armement nucléaire.

Le stock d'uranium dont dispose l'Iran doit être enrichi avant de pouvoir entrer dans la fabrication d'armes de destruction massive susceptibles d'être déployées. On estime que le stock d'uranium faiblement enrichi dont dispose l'Iran pourrait, après enrichissement, permettre la fabrication de quatre bombes.

Du 29 au 31 janvier dernier, l'Agence internationale de l'énergie atomique a envoyé une équipe en Iran pour discuter des principaux points de désaccord entre les deux parties. L'équipe comptait visiter le site d'enrichissement souterrain de Fordo, situé près de Qom, et interviewer des scientifiques participant au programme nucléaire iranien. Nous ignorons pour le moment les résultats de la visite, mais d'après certains médias, rien n'indique que l'Iran ait accepté de collaborer sur les questions importantes. L'équipe de l'AlEA planifie une autre visite à la fin de février.

Le Canada présidera le Conseil des gouverneurs de l'AEIA pendant un an, à partir de septembre 2012, et en profitera pour s'assurer que ce dossier demeure prioritaire. L'acquisition d'armes de destruction massive par l'Iran constituerait une menace grave pour la sécurité internationale et régionale, en plus de porter un coup dur au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires. Cela pourrait pousser d'autres pays à faire la même chose, c'est-à-dire à se procurer l'arme nucléaire.

En 2007, face à la détermination évidente de l'Iran de poursuivre ses ambitions nucléaires, le Canada a imposé des sanctions, conformément à des résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies. Le 22 juillet 2010, le Canada a imposé des sanctions unilatérales contre l'Iran en vertu de la Loi sur les mesures économiques spéciales. L'objectif de ces sanctions était d'empêcher l'Iran de se procurer des biens, des technologies et des services susceptibles de servir à ses activités nucléaires, et de faire pression sur l'Iran pour qu'il participe à des négociations sérieuses sur son programme nucléaire. Ces sanctions limitent l'exportation vers l'Iran d'un ensemble de biens susceptibles de servir à son programme nucléaire. On y énumère également un certain nombre d'individus et d'organismes qui ont appuyé le développement du programme nucléaire de l'Iran.

En novembre 2011, le gouvernement a renforcé ses sanctions unilatérales pour interdire presque toutes les transactions financières avec l'Iran, y compris celles qui font intervenir la Banque centrale, ainsi que l'exportation vers ce pays de tout bien utilisé dans l'industrie pétrolière, gazière et pétrochimique. Cette interdiction globale couvre tout le secteur iranien du pétrole brut.

Les sanctions du Canada contre l'Iran sont parmi les plus sévères du monde entier. L'administration et le Congrès américains ont eux aussi imposé des sanctions sévères contre l'Iran, interdisant notamment toute transaction financière avec ce pays. L'Union européenne a également imposé des sanctions contre l'importation de pétrole iranien par ses membres. Cette mesure est très importante, car les pays européens qui dépendent fortement du pétrole iranien devront donc trouver d'autres sources d'approvisionnement.

Les sanctions se font sentir en Iran. Les entreprises ont de la difficulté à faire des transactions commerciales avec des pays étrangers, et les investissements dans les secteurs clés, y compris l'industrie pétrolière, se raréfient. L'économie, déjà affaiblie par des décennies de mauvaise gestion et de corruption, doit faire face à une recrudescence de l'inflation et à une dépréciation de la devise, sur le marché non officiel tout au moins. Le régime nie depuis longtemps que les sanctions ont un impact, même si les difficultés économiques récentes sont manifestes.

Israël se montre de plus en plus inquiet face à l'éventualité, qui se rapproche dangereusement, que l'Iran soit capable de fabriquer l'arme nucléaire. Ses dirigeants insistent sur la nécessité d'empêcher une telle chose. Le président américain Barack Obama a affirmé que toutes les options sont encore envisageables. La pression est forte pour que la communauté internationale agisse de concert afin de convaincre le régime iranien par des moyens diplomatiques. L'effet des sanctions n'est jamais immédiat, mais des signes indiquent déjà qu'elles commencent à faire mal. Reste à déterminer si elles exerceront une pression suffisante pour forcer le régime à céder, à retourner à la table de négociations et à faire preuve d'une transparence totale au sujet de ses activités nucléaires.

Je suis disposée à répondre à vos questions.

La présidente : Monsieur Sinclair, avez-vous quelque chose à ajouter, ou pouvons-nous passer directement aux questions?

Donald Sinclair, directeur général, Direction générale de la sécurité internationale, Affaires étrangères et Commerce international Canada : Non, merci.

Le sénateur Finley : Ce que vous venez de nous dire est particulièrement désolant. J'ai fait partie d'un groupe de sénateurs qui ont organisé, au début de la semaine, une discussion sur les violations des droits de la personne en Iran. C'est absolument désolant.

Je comprends bien la raison d'être des sanctions, mais, au fur et à mesure que leurs effets vont commencer à se faire sentir et que l'Iran va se rapprocher de son objectif de fabriquer une arme de destruction massive, pensez-vous qu'il y ait un risque que le pays, se voyant acculé au pied du mur, accélère son programme nucléaire dans le but d'obliger les États à lever leurs sanctions? Est-ce une course où le gagnant est celui qui y sera parvenu le premier? Est-ce aussi simple que ça?

Mme Martin : Vous avez mis le doigt sur un certain nombre d'aspects qui multiplient les difficultés que nous avons pour convaincre l'Iran de cesser son programme nucléaire et de reprendre les négociations. Il est possible qu'au bout d'un certain temps, les sanctions touchent la population même du pays. Ce n'est pas le cas pour l'instant. Mais c'est certainement un facteur que nous surveillons de près.

Quant à savoir si l'Iran va se sentir acculé au pied du mur, je pense que la communauté internationale a offert à ce pays un grand nombre de portes de sortie. Le processus proposé par le P5+1, le dialogue ou des sanctions, est sur la table depuis plus de six ans mais l'Iran continue de refuser de participer à toute discussion que ce soit sur son programme nucléaire.

M. Sinclair voudra peut-être vous donner plus de détails.

M. Sinclair : Merci. Madame la présidente, honorables sénateurs, permettez-moi de vous saluer et de vous dire que je suis heureux de comparaître devant votre comité.

Le comportement actuel et futur du régime iranien est une question complexe. Comme l'a dit Mme Martin, l'objectif des sanctions est de signifier clairement le profond mécontentement de la communauté internationale face au refus de l'Iran d'appliquer les résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU et de l'Agence internationale de l'énergie atomique.

Il est vrai que les sanctions visent en quelque sorte à acculer l'Iran au pied du mur, car on espère que les tensions qu'elles vont provoquer à l'intérieur du pays vont obliger le régime à réfléchir sérieusement avant de poursuivre son programme d'acquisition de l'arme nucléaire. On espère que les dirigeants iraniens vont se montrer raisonnables et qu'ils vont accepter de tenir compte des aspirations de la communauté internationale en répondant aux questions fondamentales que celle-ci a à leur poser. Il se peut par contre, comme vous le laissez entendre, que les dirigeants iraniens campent sur leurs positions parce qu'ils ne voient aucune porte de sortie. C'est difficile de le prédire.

Le vrai problème, c'est que nous essayons d'influer sur le comportement d'un régime et que les armes dont nous disposons sont, il faut le dire, plutôt brutales. Les sanctions sont des armes brutales, et leurs effets ne sont pas immédiats.

Pour qu'elles soient efficaces, il faut que l'ensemble de la communauté internationale et les principaux partenaires commerciaux de l'Iran agissent de façon cohérente et concertée. Mais malgré ça, rien ne garantit que l'on réussira à modifier les objectifs que le régime s'est donnés. Il y a aussi toutes les machinations politiques internes dont nous ne saisissons probablement pas toute la signification. Comme l'a dit Mme Martin, l'option nucléaire semble être extrêmement populaire en Iran, car elle fédère les forces nationalistes autour d'un projet qui, pour nous, est absolument épouvantable mais qui, pour les Iraniens, semble être une source de grande fierté. C'est une situation très difficile.

Pour répondre à votre question, je dirai qu'il est impossible de prédire ce qui va se passer. Des sanctions ont déjà été imposées à d'autres pays — l'Afrique du Sud, entre autres — et elles ont généralement donné de bons résultats. Nous pensons donc que c'est ce qu'il fallait faire dans le cas de l'Iran, dans le but d'amener le régime à se montrer raisonnable.

Le sénateur Finley : Ça me rappelle fortement l'histoire que raconte Rudyard Kipling au sujet des mangoustes édentées qui encerclent un cobra doté d'une arme très puissante. D'après ce que j'ai pu lire ou entendre, les sanctions visent surtout à nuire au complexe militaire des Iraniens. L'ensemble de la population — et je ne dis pas que c'est ce qu'il faudrait faire, c'est simplement une observation — l'ensemble de la population, dis-je, n'en souffre pas. Il n'y aura pas de Printemps arabe économique parce que la population ne semble pas avoir de raison d'en vouloir, vu qu'elle n'est pas touchée par les sanctions dans ses activités quotidiennes. Je sais qu'il y a toute la question des droits de la personne, mais j'aimerais savoir si le Canada ou d'autres entités internationales envisagent de renforcer considérablement les sanctions?

Mme Martin : Il est beaucoup question de faire appliquer ces sanctions par un plus grand nombre de pays. Même la Chine a réduit son commerce avec l'Iran, alors qu'elle n'a pas appuyé ouvertement les résolutions des Nations Unies. Le dialogue se poursuit pour encourager d'autres pays à appliquer les sanctions. La décision prise par l'UE revêt une grande importance, car ces pays importent environ 18 p. 100 du pétrole iranien. D'ailleurs, la réaction du régime iranien montre bien que ce n'est pas du tout ce qu'il voulait. Il a menacé de bloquer le détroit d'Ormuz et de faire adopter par le Parlement iranien une loi interdisant l'exportation de pétrole vers l'UE.

L'Iran compte beaucoup sur ses revenus pétroliers pour son PIB; cette mesure aura donc un impact sur le régime. Reste à savoir si ce sera suffisant pour le faire changer de cap.

Quant à la population iranienne, il ne faut pas oublier qu'en 2009, après les élections présidentielles, elle est descendue dans la rue pour protester. Mais la répression a été sauvage. Le régime a depuis serré la vis et interdit l'organisation d'une opposition viable. Ceux qui manifestent prennent d'énormes risques. Les dissidents sont emprisonnés, la presse et les journalistes ne peuvent pas présenter des arguments contraires à la politique du régime. La situation en Iran est très difficile. Les prochaines élections parlementaires vont-elles entraîner de grands changements? Sans doute pas. Nous verrons bien quels en seront les résultats, mais c'est le régime qui détermine qui peut être candidat. C'est donc une situation très difficile.

Le sénateur Finley : Il y a toujours des façons de contourner les sanctions. Cela s'est déjà produit. Il y a dans le monde des experts en la matière. Récemment, j'ai lu que l'Iran payait certains produits en nature, plutôt qu'en devises, par exemple en les échangeant contre du pétrole et de l'or, si bien que ça ne passe pas dans les circuits économiques, et ce, malgré les sanctions. Est-ce bien le cas, et comment peut-on s'assurer que personne au Canada ne participe à des activités illégales visant à contourner les sanctions?

Mme Martin : Les sanctions que le Canada impose à l'Iran ont une valeur contraignante pour tous les résidents canadiens et tous les Canadiens qui résident à l'étranger. Toute personne qui viole ces sanctions est passible de poursuites judiciaires. Les cas relèvent de la GRC. Dès que nous entendons parler de violations possibles des sanctions, nous en informons la GRC qui se charge alors du dossier, qu'il s'agisse de résidents canadiens ou de Canadiens résidant à l'étranger.

La présidente : Le problème, c'est le non-respect des droits de la personne, et il faut espérer qu'un jour l'Iran aura un gouvernement qui respectera sa population, ainsi que tout le dossier nucléaire. À part les sanctions, de quels autres outils dispose la communauté internationale pour s'assurer que l'Iran se contente d'enrichir son uranium à des fins pacifiques, et qu'il ne fabrique pas l'arme nucléaire? La communauté internationale estime-t-elle qu'il n'y avait pas d'autres options possibles et que les sanctions étaient la seule chance de faire plier le régime? La diplomatie a-t-elle encore un rôle à jouer? L'Iran a quitté la table de négociation. Y a-t-il une autre solution? Par exemple, en Corée du Nord, il y avait toujours la possibilité de faire intervenir la Chine pour exercer des pressions. Dans le cas de l'Iran, cette pression pourrait venir de la Syrie. C'est un pays qui est en plein bouleversement, ce qui risque de déstabiliser l'Iran et de le pousser encore davantage sur une pente négative.

Je réfléchis à tout ça et je me demande si nous faisons le maximum. Avons-nous vraiment épuisé tous les autres recours pour pouvoir dire, comme les autres pays de la communauté internationale, que les sanctions sont la seule solution?

Mme Martin : Les sanctions ne sont pas la seule option diplomatique. Le but principal des sanctions, c'est bien sûr d'amener un régime à changer son comportement. Comme quelqu'un l'a fait remarquer tout à l'heure, si les sanctions ne sont pas rigoureusement observées, la pression est moins forte. C'est pour ça qu'on multiplie les efforts pour rallier d'autres pays afin d'accroître l'impact des sanctions.

Le Canada a pratiquement fait tout ce qu'il pouvait faire. Tout ce qui reste, ce sont des détails. Mais d'autres pays doivent encore faire leur part.

Quand vous parlez des pressions que pourraient exercer d'autres pays qui se considèrent comme des amis de l'Iran, la Syrie, notamment, mais la Syrie dépend beaucoup de l'Iran. Elle se trouve actuellement en pleine tourmente, et elle reçoit des armes et de l'argent de l'Iran. Dans quelle mesure l'Iran peut-il aujourd'hui compter sur la Syrie, qui a pour le moment d'autres chats à fouetter?

Il est intéressant de voir que le Hamas et le Hezbollah, les deux groupes terroristes qui ont reçu de l'argent et des armes de l'Iran pendant des années, ont tous les deux pris leurs distances. Le chef du Hezbollah a annoncé hier qu'il n'allait pas engager une confrontation avec Israël pour le moment, étant donné la situation entre Israël et l'Iran.

L'Iran est de plus en plus isolé, ce qui est l'un des objectifs poursuivis car c'est l'un des facteurs qui l'amèneront peut-être à céder. Mais ça aussi, ça prend du temps. Tout dépend de l'inquiétude que suscite le comportement du régime iranien. Les pays du Golfe sont très inquiets. Ils le disent de plus en plus ouvertement, comme on l'a vu avec les décisions prises par la Ligue arabe en Syrie. Ces pays affichent de plus en plus ouvertement leurs positions.

L'autre solution, c'est l'Agence internationale de l'énergie atomique, et c'est le domaine de M. Sinclair.

M. Sinclair : Puisqu'on parle de nucléaire, je pense qu'il est important que je dise quelques mots de l'Agence internationale de l'énergie atomique. Ses activités ne sont peut-être pas très bien connues des Canadiens. Ce qui est important, c'est que l'Agence internationale de l'énergie atomique a établi ce qu'elle appelle des garanties, qu'elle applique à tous les pays qui enrichissent de l'uranium à des fins pacifiques, notamment le Canada. Nous acceptons tous ces garanties — je veux dire tous ceux qui ont signé le Traité de non-prolifération nucléaire, qui est un traité fondamental en matière de sécurité internnationale. L'Iran, le Canada et la plupart des pays du monde ont signé ce traité qui les engage à déclarer l'existence de leurs installations nucléaires et à accepter que l'Agence internationale de l'énergie atomique en fasse l'inspection. Quelle est la mission des inspecteurs? Ils doivent s'assurer que la production d'uranium enrichi n'est pas détournée vers la fabrication d'armes nucléaires. C'est ça qu'ils sont chargés de vérifier.

En novembre 2011, le conseil des gouverneurs de l'Agence internationale de l'énergie atomique a publié un rapport accablant sur le non-respect par l'Iran de ses obligations vis-à-vis de l'agence. Je vous en recommande la lecture, si vous vous intéressez aux détails les plus glauques de l'enrichissement de l'uranium et aux raisons pour lesquelles l'agence soupçonne que le programme nucléaire iranien n'a pas que des objectifs pacifiques. L'agence conclut en disant que l'Iran s'est livré et continue de se livrer à plusieurs voire beaucoup d'activités susceptibles d'avoir des applications militaires. L'agence demande donc à l'Iran de répondre à certaines de ces questions.

L'Iran maintient qu'il a le droit de mettre au point de nouvelles technologies à des fins pacifiques. La communauté internationale ne le conteste pas, pas plus que les membres signataires du TNPN, mais il faut lire les questions détaillées que pose le rapport de l'AIEA, à savoir que, étant donné que l'ONU a demandé à l'Iran de cesser son programme d'enrichissement de l'uranium, ce pays n'a plus besoin d'uranium enrichi pour des utilisations pacifiques. Et s'il n'en a davantage besoin comme combustible, à quoi cela lui sert-il? À cela, l'Iran répond : « Nous avons le droit de produire de l'énergie nucléaire pour des utilisations pacifiques ». Ses dirigeants disent aussi qu'ils n'ont pas l'intention de fabriquer l'arme nucléaire. Soit vous acceptez cette réponse, soit vous ne l'acceptez pas.

Les membres de la communauté internationale sont extrêmement sceptiques, notamment en raison des activités iraniennes dans le domaine militaire, pour lesquelles les dirigeants ne donnent aucune explication. Par exemple : Pourquoi faites-vous cela? Pourquoi essayez-vous d'importer certains matériaux? Pourquoi essayez-vous de faire des simulations informatiques d'explosions nucléaires? Il y a toutes sortes de questions auxquelles l'Iran refuse de répondre, ce qui ne peut s'expliquer que par des applications militaires qui n'ont pas leur place dans un programme nucléaire pacifique.

Comme l'a dit Mme Martin, l'agence continue d'envoyer des inspecteurs en Iran, mais on peut se demander dans quelle mesure les Iraniens répondent aux questions que la communauté internationale leur adresse par l'intermédiaire de l'agence, et dans quelle mesure ils dévoilent la totalité de leurs activités nucléaires.

Les pays sont tenus de divulguer à l'Agence internationale de l'énergie atomique la totalité de leurs installations nucléaires. Nul n'a le droit de les dissimuler ou de ne pas les déclarer. Dans le passé, l'Iran n'a pas déclaré ses installations nucléaires. En fait, il est possible qu'il existe d'autres installations nucléaires dont nous ne savons rien. C'est tout à fait possible. Nous ne faisons absolument pas confiance à l'Iran, et nous avons de bonnes raisons, pour qu'il nous dévoile la totalité de ses installations et activités nucléaires.

Le rôle de l'AIEA consiste à continuer d'exercer des pressions sur l'Iran et de lui poser des questions, mais uniquement dans le domaine nucléaire. L'Agence ne s'occupe pas des droits de la personne et des autres problèmes de gouvernance.

Le sénateur Downe : Je suppose que les sanctions ont mis un terme à tous les échanges commerciaux entre nos deux pays, n'est-ce pas?

Mme Martin : Jusqu'en novembre 2011, le total des échanges entre les deux pays s'élevait à environ 118 millions de dollars. Ce chiffre va désormais être réduit à son plus strict minimum.

En effet, des échanges sont encore autorisés pour ce qui est de certains produits alimentaires, des articles humanitaires, et cetera. Certaines catégories de produits sont encore autorisées, mais c'est minime.

Le sénateur Downe : Pour en revenir à la question soulevée par le sénateur Finley au sujet des sanctions qui sont détournées, comment faites-vous pour vous assurer que les envois de produits alimentaires et d'articles autorisés ne dissimulent pas d'autres marchandises?

Mme Martin : Je suis malheureusement incapable de vous le dire aujourd'hui, mais je vous ferai parvenir une réponse plus tard. Ce sont les agences chargées du contrôle frontalier qui vérifient les cargaisons et les destinations, mais je n'en sais pas plus.

Le sénateur Downe : Je comprends que ce ne soit pas votre domaine, et j'attendrai donc votre réponse écrite.

Quel est le statut de notre ambassade dans ce pays?

Mme Martin : Notre ambassade est dirigée par un chargé d'affaires. Cela fait plusieurs années que nous n'y avons pas d'ambassadeur en titre. De la même façon, c'est un chargé d'affaires qui représente l'Iran au Canada. C'est ce que prévoit notre Politique d'engagement contrôlé. Nous avons un petit contingent d'employés canadiens dans notre ambassade, qui sont dirigés par le chargé d'affaires, dont le rôle consiste à faire des rapports politiques, à transmettre des messages au régime sur les sujets qui nous préoccupent et à rendre des services consulaires aux Canadiens qui se trouvent là-bas. Il y en a très peu qui n'ont pas la double nationalité, et le nombre de Canadiens immatriculés à l'ambassade est de quelques centaines, ce n'est pas grand-chose. C'est peut-être dû au fait que l'Iran ne reconnaît pas la double citoyenneté, d'où les précautions que doivent prendre les bi-nationaux.

Le sénateur Downe : Une personne qui a la double citoyenneté est considérée comme un citoyen iranien dès son arrivée à l'aéroport. J'aimerais avoir une idée de ce que font les Canadiens qui sont immatriculés à l'ambassade.

Mme Martin : Je ne peux pas vous répondre. Il se peut que ce soit des doubles nationaux qui ont décidé de se faire immatriculer à l'ambassade pour être tenus régulièrement informés de questions relatives à leur citoyenneté canadienne.

Le sénateur Downe : Envisage-t-on de fermer notre ambassade étant donné qu'il n'y a presque plus d'échanges commerciaux? Certes, il y a là-bas un petit nombre de Canadiens, mais je me demande ce qu'ils font étant donné qu'on ne peut plus faire de commerce dans la plupart des secteurs. Envisage-t-on de fermer notre ambassade?

Mme Martin : Nous ne faisons plus de promotion commerciale depuis pas mal d'années, conformément à notre Politique d'engagement contrôlé, laquelle a été révisée pour la dernière fois en 2007 mais qui était en vigueur avant cette date. Les Canadiens qui sont là-bas fournissent les services consulaires et les services d'immigration qui sont nécessaires, et préparent des rapports politiques sur ce que fait le régime iranien. Par rapport à nos autres ambassades, celle-ci est très petite, et nous n'envisageons pas de la fermer.

Le sénateur Downe : Je ne doute pas qu'elle soit très petite étant donné qu'il ne semble pas y avoir beaucoup à faire. Je me demande pourquoi nous ne demandons pas à l'ambassade d'un autre pays de dispenser à notre place les services requis, afin de signifier au régime iranien notre profond mécontentement au sujet des violations des droits de la personne et du traitement qu'il inflige à ses citoyens.

Mme Martin : Cela permettrait certes de lui signifier notre mécontentement, mais cela nous priverait d'un vecteur pour transmettre directement nos préoccupations au régime iranien. Cela nous priverait aussi du seul moyen de communication qui nous reste pour comprendre ce qui se passe en Iran, la dynamique politique à l'approche des élections, la situation économique et le statut des droits de la personne. Si vous n'avez personne sur place, vous êtes obligé de vous informer auprès de tiers.

Le sénateur Downe : Je ne voudrais pas insister inutilement, mais je ne vois pas quel genre d'informations nos représentants obtiennent qu'ils ne pourraient pas obtenir autrement. Comme vous l'avez dit dans votre déclaration liminaire, c'est une dictature qui exerce une répression incroyable sur sa population. Je suis sûr que personne n'ose venir en parler aux diplomates canadiens parce que ces derniers sont certainement surveillés. Celui qui oserait se rendre à l'ambassade serait immédiatement emprisonné à la sortie. Je ne vois donc pas quels renseignements nos diplomates obtiennent en restant là-bas qu'ils ne pourraient pas obtenir auprès d'autres sources.

Mme Martin : Nos diplomates réussissent à avoir des contacts tantôt avec des représentants du régime, tantôt avec des universitaires, tantôt avec d'autres personnes qui se livrent à diverses activités là-bas et qui nous donnent une perspective que nous ne pourrions franchement pas avoir si nous devions compter uniquement sur les médias. Nos diplomates sont très efficaces. Ils ne sont pas nombreux mais ils font ça très bien.

Le sénateur Downe : Si ce que vous nous avez dit aujourd'hui reflète l'opinion de l'ambassade, très franchement, je ne vois pas en quoi c'est différent de ce que j'ai lu dans le magazine TIME. Peut-être que vous ne pouvez pas nous en dire davantage et que ça doit rester à l'intérieur du Ministère, mais je ne vois pas en quoi le fait d'avoir des gens sur place nous permet d'avoir accès à des renseignements que nous ne pourrions pas avoir auprès d'autres sources, sans parler du message que cela enverrait aux dirigeants iraniens.

J'aimerais parler des sanctions. Nous avons appris il y a peu de temps que nous examinerions nos relations avec l'Iran, mais j'ai pris le temps d'étudier la question des sanctions, et il y a une chose que j'ai constatée : pratiquement dans les 24 heures qui ont suivi l'imposition de sanctions par les États-Unis, le Canada a décidé d'imposer les mêmes sanctions. En quoi les sanctions du Canada sont-elles uniques?

Mme Martin : En fait, le Canada envisageait de renforcer ses sanctions déjà avant la publication du rapport de l'AIEA. Nous avions des raisons de penser que ce rapport allait être important en ce qui concerne la situation en Iran. Nous avons donc essayé de voir comment nous pourrions passer au braquet supérieur, car nous avions déjà pris des sanctions unilatérales très lourdes.

Nous nous sommes entendus avec la Grande-Bretagne et les États-Unis pour annoncer des sanctions supplémentaires le même jour, soit le 21 novembre, donc il y a eu des tractations en coulisses pour y parvenir. À cette époque, les sanctions américaines étaient fondées sur une loi financière américaine. Je ne me souviens pas du nom exact. Ensuite, le Congrès américain a adopté une loi qui s'appliquait à toutes les transactions financières avec l'Iran, même les transactions extraterritoriales. Les États-Unis ont imposé cette sanction en décembre, soit après la décision de novembre.

Le Canada n'applique pas ses lois en dehors de son territoire, ce qui constitue une grande différence entre les sanctions canadiennes et les sanctions américaines. En revanche, l'effet des sanctions américaines, britanniques et canadiennes est très similaire.

Le sénateur Downe : Merci.

[Français]

Le sénateur Fortin-Duplessis : Bonjour et merci à vous deux, madame Martin et monsieur Sinclair, d'avoir accepté de comparaître devant notre comité et de nous informer en profondeur sur tout ce qui se passe autour de l'Iran.

L'implication de l'Iran dans des hostilités constituerait une menace directe pour la sécurité de la Russie, a estimé, vendredi, à Bruxelles, Dmitri Rogozine, vice- premier ministre et représentant spécial du président russe pour la coopération avec l'OTAN sur la défense antimissile. Il a déclaré ceci lors d'une conférence de presse, après quatre ans de travail à titre d'ambassadeur russe auprès de l'Alliance :

Si quelque chose arrive à l'Iran, s'il se trouve impliqué dans des hostilités, il s'agira d'une menace directe pour notre sécurité.

En même temps, l'ex-délégué permanent russe auprès de l'OTAN a souligné que chaque pays, y compris l'Iran, était en droit d'avoir tout le nécessaire pour vivre dans le confort et la sécurité.

Récemment, le général russe Leonid Ivashov a dit qu'une attaque contre l'Iran était une attaque indirecte contre la Russie.

Que pensez-vous de la situation de la Russie dans ce dossier? La Russie pourrait-elle entrer en conflit si jamais l'Iran était attaqué?

[Traduction]

M. Sinclair : Merci beaucoup.

Vous savez, il y a beaucoup de fanfaronnade, et les gens disent toutes sortes de choses au sujet des risques de conflit au Moyen-Orient, dont l'Iran pourrait être l'épicentre. Nous avons entendu toutes sortes de choses, ces derniers jours, au sujet d'Israël et des États-Unis, et les Russes ont aussi leur point de vue.

Il y a des Russes qui vivent et qui travaillent en Iran. La Russie et l'Iran ont une longue tradition historique, mais je ne vois vraiment pas comment des hostilités impliquant l'Iran — et Dieu nous en garde — peuvent être interprétées davantage comme une attaque indirecte contre la Russie que contre n'importe quel autre pays.

Je pense que les Russes ont affirmé clairement leur position en ce qui concerne la Syrie, ces derniers jours, et que la Syrie et l'Iran ont des affinités naturelles, comme Mme Martin l'a indiqué. Il est évident que les Russes s'intéressent de près à ce qui se passe sur le flanc sud-est de leur périmètre frontalier. Toutefois, ça ne veut pas dire, loin de là, qu'une attaque contre l'Iran serait interprétée comme une attaque contre la Russie.

[Français]

Le sénateur Fortin-Duplessis : Les coïncidences dans ces trois déclarations mettant en garde toute attaque contre l'Iran — je ne sais pas si c'est pour essayer de dissuader Israël ou d'autres pays de ne pas attaquer l'Iran — me semblent un peu étranges. Madame Martin, avez-vous une opinion à ce sujet?

[Traduction]

Mme Martin : En ce qui concerne les affaires internationales, on entend toutes sortes d'opinions individuelles, surtout à propos de la situation en Iran et de ce qui risque de se passer. Elles ne représentent pas nécessairement les opinions des gouvernements concernés, et il se peut que certains leur accordent une certaine crédibilité. Est-ce que c'est nécessairement ce que pense le gouvernement russe? Je pense que c'est la question qu'il faut se poser. Il y a toutes sortes de personnes qui donnent leur opinion personnelle sur la situation actuelle, et les médias s'empressent de s'en faire l'écho, ce qui ne fait qu'alimenter les débats et les conjectures et, parfois, crée de la confusion.

Le sénateur D. Smith : J'ai des amis iraniens depuis plus de quarante ans, ça remonte à l'époque du shah, et, récemment, certains sont devenus membres de l'Association démocratique iranienne ici, au Canada. Ils sont des centaines. Je m'intéresse de près à ce qu'ils font, et je suis bien informé des sanctions que le Canada a imposées, et que j'appuie entièrement, ainsi que des initiatives qu'il a prises en matière de droits de la personne. Avant de passer à autre chose, je tiens à dire que j'espère que l'UE fera preuve de fermeté et qu'elle n'hésitera pas à sévir. Les groupes de défense des droits de la personne réclament deux choses, en substance : la reconnaissance des droits de la personne et des progrès vers la démocratie.

Une des bonnes choses que j'ai faites, à plusieurs occasions, concerne un immense rassemblement annuel d'expatriés iraniens qui demandent plus de démocratie et la reconnaissance des droits de la personne. Certaines années, il y avait plus de 70 000 Iraniens présents à ce rassemblement, et vous y entendez des histoires à vous faire pleurer. Certains sénateurs nous en ont raconté aussi, il y a quelques jours. J'appuie entièrement leurs revendications.

Vous avez certainement entendu parler du Conseil national de la résistance iranienne et de l'Organisation des Moudjahidines du peuple iranien, l'OMPI. Quand l'Iran et l'Irak étaient en guerre, il y a une trentaine d'années, des prisonniers iraniens ont été détenus au camp Ashraf, en Irak. Mais c'est une autre histoire, et je ne vais pas m'embarquer là-dedans car ils sont encore 2 000 ou 3 000 dans ce camp. Les Américains sont toujours là, mais quand ils vont partir, ça va être un gros problème, c'est évident. Donc, tout cela remonte aux années 1980, mais pour des raisons qui m'échappent, l'OMPI est toujours sur la liste des groupes terroristes et personne n'en parle.

Quand on va là-bas, on voit toutes sortes de lords et de députés britanniques, et certains législateurs se font les champions de cette cause. On y voit aussi beaucoup de députés français et allemands, et l'an dernier, il y a eu des membres du Congrès américain. En Grande-Bretagne, après trois décisions judiciaires, ils ont finalement retiré cette organisation de la liste des groupes terroristes. C'était il y a quatre ans. En Europe, il y a eu quatre décisions judiciaires, et l'organisation a été retirée de la liste il y a trois ans. Je sais que vous n'êtes pas directement responsables, mais je n'arrive pas à comprendre pourquoi une organisation qui lutte pour les droits de la personne et la démocratie figure toujours sur cette liste au Canada. Pouvez-vous m'expliquer pourquoi? C'est vraiment bizarre.

Mme Martin : Au Canada, c'est le ministre de la Sécurité publique qui est responsable de la liste des groupes terroristes. Je ne peux guère parler du processus qui est suivi si ce n'est pour vous dire qu'il est très méticuleux. La liste est révisée à intervalles réguliers, et c'est à ce moment-là qu'on peut y apporter des changements compte tenu des circonstances.

Vous avez parlé du camp Ashraf. Les gens qui y sont détenus sont des membres de la MEK, qui est une organisation qui figure sur la liste canadienne parce qu'elle a participé à des activités terroristes il y a quelque temps. Le Canada encourage activement la conversion de ce camp à des fins pacifiques. De par sa constitution, le gouvernement irakien ne peut pas accepter qu'un camp situé sur son territoire abrite une organisation qu'il considère comme une organisation terroriste. Un processus de transition a été mis en place, qui consiste à déplacer les résidents vers un autre camp situé en Irak, avant de les réinstaller dans d'autres pays. Le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés participe à ce processus.

Le sénateur D. Smith : Je connais bien l'historique du camp Ashraf. C'est un vrai problème, dont nous entendrons certainement parler. Je vous conseille de demander à vos collègues de l'autre ministère de prendre connaissance des décisions qu'ont prises les tribunaux européens et britanniques. Si vous les lisez attentivement, vous verrez que la seule solution logique est de faire la même chose qu'eux. Je peux vous dire qu'un grand nombre d'Iraniens qui sont établis au Canada et qui luttent pour la démocratie et les droits de la personne sont vraiment offusqués que cette organisation figure toujours sur la liste. L'an dernier, des représentants du Congrès américain y sont allés en grand nombre. Pour ce qui est du Canada, j'ai eu l'occasion d'y aller avec des députés des différents partis. J'espère que vous saurez plaider cette cause auprès de ces fonctionnaires.

La présidente : Sénateur Smith, si vous voulez une réponse à votre question, nous pouvons soit convoquer des représentants de ce ministère, soit leur envoyer une lettre pour qu'ils nous fassent parvenir une réponse écrite.

Le sénateur D. Smith : J'aimerais bien qu'on leur envoie une lettre, et je vous en remercie.

La présidente : Nous le ferons. Je suis sûre que ce sera un échange informel entre les deux ministères.

[Français]

Le sénateur Nolin : Avant de poser ma première question, j'aimerais faire un petit commentaire sur l'ambassadeur Rogozine. Vous avez bien raison de, je ne dirais pas de le prendre avec des pincettes, mais il n'en reste pas moins que l'ambassadeur Rogozine est le porte-voix de M. Poutine et lorsqu'on veut avoir une opinion plus nuancée du gouvernement russe, le ministère des Affaires étrangères est normalement beaucoup plus adéquat, plus précis dans ses analyses. Il n'en reste pas moins que l'ambassadeur Rogozine a beaucoup d'importance et, dans les cercles de l'OTAN, on prend au sérieux cette déclaration, mais on sait que c'est le premier ministre qui parle, et non lui.

Premièrement, le fait que le Canada exerce ce leadership, je pense que c'est très valorisant pour les Canadiens. Ils sont très fiers de voir que le gouvernement du Canada prend une position ferme et importante. Ceci étant dit, je ne peux m'empêcher de penser que c'est bien beau de prendre le leadership, mais avant de le faire, vous avez certainement évalué les conséquences de l'escalade. Quelles sont ces conséquences? Qu'envisagez-vous? Le fait que le Canada prenne cette position de leadership sur le front des sanctions, selon vous, peut nous mener où?

[Traduction]

Mme Martin : C'est une excellente question. En effet, nous avons évalué les conséquences des différentes mesures que nous avons prises, et ce, à différents égards : La mesure sera-t-elle efficace? Risque-t-elle de nuire aux intérêts du Canada?

La décision qui a été prise signifie clairement que, quels que soient les risques pour d'autres intérêts canadiens, l'objectif le plus important, et de loin, est d'amener l'Iran à changer d'attitude. Un refus de l'Iran à cet égard aurait des conséquences bien pires. C'est la raison pour laquelle le Canada applique intégralement les sanctions décidées par l'ONU et impose des sanctions unilatérales. Cela a eu un impact sur nos échanges commerciaux, mais un impact sans doute moins fort que dans d'autres pays. Il n'en demeure pas moins que nos échanges avec ce pays sont aujourd'hui négligeables, même s'ils s'élèvent à 100 millions de dollars, quand on les compare à leur niveau antérieur.

Ces décisions ont donc des conséquences pour nous, mais le gouvernement a estimé que l'inaction aurait des conséquences encore plus graves.

Il est évident qu'à elles seules, les sanctions imposées par le Canada ne peuvent guère influer sur l'attitude de l'Iran, et c'est pour cela qu'il faut que nous agissions de façon concertée avec nos alliés et que nous les encouragions à renforcer leurs sanctions contre l'Iran, car c'est de cette façon qu'elles auront de l'effet.

M. Sinclair a parlé des sanctions qui ont été imposées à l'Afrique du Sud, dans le passé. C'est le Canada qui avait alors joué un rôle de chef de file et qui avait amené de plus en plus de pays à les imposer, si bien que les sanctions avaient fini par avoir un effet sur le gouvernement de ce pays et à aboutir à d'énormes changements très positifs.

S'agissant de l'Iran, nous pouvons seulement espérer que dans la situation actuelle, avec l'UE, notamment, et avec les États-Unis qui renforcent leurs sanctions, tout cela finira par avoir un effet important sur l'économie de ce pays et amènera ses dirigeants à modifier leur comportement.

[Français]

Le sénateur Nolin : Cela m'amène à ma deuxième question. Concernant ce changement d'attitude, j'essaie de comprendre quel serait un signal ayant pour conséquence de provoquer, de la part du gouvernement du Canada, une diminution de la pression à la confrontation?

Appelons un chat un chat; les gestes que nous posons, additionnés à ceux de nos partenaires internationaux, stimulent la provocation. Il y a une escalade.

Quel type de changement amènerait le gouvernement du Canada à réduire la pression?

Vous nous avez parlé de trois fronts : celui des droits de la personne, celui de la sécurité régionale et celui de la sécurité nucléaire.

Sur le front de la sécurité nucléaire, des témoins ayant comparu hier avaient des opinions contradictoires concernant le rapport de l'Agence internationale. J'ai émis l'hypothèse suivante, à savoir si le changement de leadership à la direction de l'agence pourrait avoir influencé le ton du rapport. Parce qu'il n'y a pas eu beaucoup de changements depuis de l'époque ElBaradei jusqu'à l'époque actuelle. Le changement de leadership aurait-il pu changer la facture du rapport?

M. Sinclair semble être expert en matière de tout ce qui touche l'Agence internationale sur l'énergie atomique, je l'invite donc à prendre part à la discussion.

Sur la question de la sécurité régionale, j'aimerais comprendre quels seraient les signaux qui pourraient provoquer cette réduction de la pression? Il reste la question des droits de la personne; est-ce là le cœur de l'influence de notre position?

[Traduction]

Mme Martin : Je vais commencer parce que je pense que ma réponse sera beaucoup plus courte que celle de M. Sinclair.

Elle sera plus courte parce que la menace nucléaire que pose l'Iran est ce qui nous préoccupe le plus en ce qui concerne ce pays. La dynamique de la sécurité régionale vient tout de suite après, mais elle est intégrée à la menace nucléaire. Nous nous inquiétons de ce que cette menace représente pour Israël, pour les autres pays de la région et pour la sécurité internationale, de façon générale. C'est aussi une menace pour le Canada. La dimension régionale en est un aspect.

La question des droits de la personne est une grave préoccupation, et nous allons continuer d'exercer des pressions, mais le signal que nous attendons est l'acceptation par l'Iran de s'engager dans des discussions transparentes avec la communauté internationale sur la nature exacte de son programme militaire.

M. Sinclair : S'agissant de l'AIEA, je suppose que chaque directeur général a sa propre façon de faire. Tout nouveau directeur d'une organisation donne le ton, c'est naturel et inévitable, mais, dans un certain sens, ce qui compte, c'est ce que dit l'AIEA avec son nouveau directeur général. En novembre, l'agence s'est dite très préoccupée par la possibilité que le programme nucléaire iranien comprenne des activités militaires, et elle a expliqué pourquoi elle en soupçonnait l'existence.

Pour répondre à la première partie de votre question, je dirai que le Conseil de sécurité de l'ONU a adopté des résolutions exigeant de l'Iran qu'il cesse ses activités d'enrichissement de l'uranium. Ce pourrait être un signal. Un autre signal serait que l'Iran accepte de participer au processus proposé par le P5+1. Un troisième signal serait que les autorités iraniennes répondent aux questions que l'AIEA leur a adressées au sujet d'activités militaires soupçonnées, et qu'elles démontrent que, comme elles le prétendent, il s'agit d'activités pacifiques.

Voilà donc un certain nombre de signaux, de réponses et d'obligations que la communauté internationale attend de l'Iran.

Le sénateur Johnson : Je remercie Mme Martin et M. Sinclair. Mes collègues ont couvert un grand nombre de questions.

J'aimerais signaler que le Comité des droits de la personne de la Chambre des communes a adopté, en décembre 2010, un rapport assorti de 24 recommandations relatives aux droits de la personne en Iran. L'une des principales consistait à inclure le Corps des gardiens de la Révolution islamique, le CGRI, dans la liste canadienne des organisations terroristes. Des témoins, hier, ont proposé des sanctions plus sévères. Selon eux, le Canada pourrait décider que le Corps des gardiens de la Révolution islamique est une entité terroriste, car c'est une mesure qu'il peut prendre unilatéralement, et cela aurait un impact sur la capacité du CGRI de se financer et d'entraîner des groupes terroristes comme le Hamas, le Hezbollah et Al-Qaïda à tuer et à massacrer les citoyens et à participer à des activités commerciales qui profitent financièrement au régime.

Qu'en pensez-vous?

Mme Martin : Les membres du CGRI sont bien sur notre liste pour ce qui est des sanctions imposées par le Canada. Les noms des principaux dirigeants de ce groupe qui ont participé au programme nucléaire y figurent.

Nous avons également inscrit sur cette liste certaines branches de la Garde révolutionnaire, notamment l'armée de l'air, qui comprend le Commandement aérien des missiles, l'unité de logistique et d'acquisition, le commandement des missiles, la marine et les Forces Qods. Nous nous sommes sérieusement demandé s'il fallait y inscrire la Garde révolutionnaire, mais nous avons jugé que, pour l'instant, nous risquerions de cibler indûment ceux qui sont enrôlés dans la Garde révolutionnaire. En effet, les membres de la Garde révolutionnaire ne sont pas tous directement associés à la répression ou aux activités nucléaires de l'Iran. Ce n'est pas une armée volontaire, ses membres sont conscrits. C'est la raison pour laquelle nous avons décidé de ne pas inscrire la Garde dans son intégralité.

Le sénateur Johnson : Avez-vous quelque chose à ajouter, monsieur Sinclair?

M. Sinclair : Non.

Le sénateur Johnson : J'en conclus que, dans une certaine mesure, vous avez donné suite à la recommandation du comité de la Chambre des communes?

Mme Martin : Oui.

Le sénateur Johnson : Le professeur Jones nous a dit qu'il était allé récemment en Israël et qu'il avait constaté, aux différentes réunions auxquelles il avait assisté, qu'un certain nombre de personnes proposaient un relâchement de la tension avec l'Iran, et je pense qu'elles ne parlaient pas seulement des sanctions. Avez-vous quelque chose à ajouter, de votre perspective et d'après les renseignements dont vous disposez?

Mme Martin : Pour ce qui est de la déclaration du professeur Jones, je ne suis pas sûre qu'on puisse parler de relâchement de la tension, car certains proposent au contraire une intervention militaire en Iran. Tout récemment, toutefois, un membre du bureau du président Netanyahu a transmis un communiqué à la presse indiquant que ce dernier avait demandé à tous ses proches collaborateurs de cesser d'en parler. Une fuite qui provient du bureau du président n'est pas accidentelle, donc c'est peut-être un signe que la rhétorique précède la politique.

[Français]

Le sénateur Robichaud : Pouvez-vous nous parler du rôle de la Chine par rapport aux sanctions? Est-ce qu'elle importe toujours du pétrole de l'Iran? Quel rôle les Chinois jouent-ils dans cette situation?

[Traduction]

Mme Martin : La Chine est un partenaire commercial important pour l'Iran, et les liens entre les deux pays sont nombreux. La Chine n'applique pas officiellement les sanctions décidées par l'ONU, mais ses échanges commerciaux avec l'Iran ont diminué. C'est important, et on peut s'en réjouir. Nous sommes nombreux, sur la scène internationale, à encourager la Chine à aller plus loin, car c'est un acteur important, mais le simple fait qu'elle ait déjà pris ces mesures est un signal important.

Le sénateur Robichaud : Essayons-nous de faire des pressions sur le gouvernement chinois pour le rallier à notre point de vue? Nous avons en ce moment une délégation en Chine, conduite par le premier ministre.

Mme Martin : Je n'ai pas reçu de rapports sur les discussions qu'a eues le premier ministre en Chine; nous en saurons davantage dans quelques jours. Mais bien entendu, nous avons demandé à notre ambassade à Pékin de présenter notre position au gouvernement chinois et de l'encourager à prendre des mesures en ce sens. Nous avons demandé à un grand nombre de nos ambassades de faire des démarches auprès de leur pays hôte afin de les encourager à appliquer, à l'instar du Canada, des sanctions unilatérales contre l'Iran.

Le sénateur Robichaud : Pour revenir à la question du sénateur Finley sur le détournement des sanctions, j'essaie de me mettre à la place de l'Iran et je me dis que, si je ne peux pas obtenir ce que je veux des pays qui imposent des sanctions, je peux peut-être l'obtenir de la Chine?

Mme Martin : Il y a toujours un risque de détournement. Par contre, avec les pressions qu'exercent sur l'Iran les sanctions imposées par l'Europe, les États-Unis, le Canada et d'autres pays, on commence à atteindre une masse critique, et l'effet commence à se faire sentir. Si l'Iran est incapable de vendre son pétrole à l'Europe, il va essayer de trouver d'autres marchés. Pour y parvenir, il va sans doute lui falloir baisser son prix, ce qui va avoir des répercussions sur ses revenus pétroliers. Nous faisons des démarches pour convaincre, par les voies diplomatiques, les pays susceptibles d'acheter du pétrole iranien de s'adresser à d'autres sources d'approvisionnement.

Le sénateur Robichaud : Quels sont les pays qui seraient susceptibles d'acheter du pétrole iranien?

Mme Martin : L'Iran a de nombreux clients pour son pétrole — notamment l'Inde, la Chine et d'autres pays asiatiques — et on essaie actuellement de les convaincre d'aller l'acheter ailleurs.

Les réserves de l'Iran sont les quatrièmes au monde pour ce qui est du pétrole, et les deuxièmes pour ce qui est du gaz naturel. Il est extrêmement difficile de changer le flux des échanges pétroliers sur les marchés internationaux, et de s'assurer en même temps que nos producteurs de pétrole pourront prendre la relève. Cela aura un impact sur les marchés internationaux et sur les prix également. Nous aimerions que ces changements provoquent le moins de perturbations économiques possibles au niveau mondial, surtout à une époque d'extrêmes difficultés économiques, tant en Europe qu'aux États-Unis et dans beaucoup d'autres pays. C'est un processus délicat.

Le sénateur Robichaud : Vous avez dit que « nous faisons des démarches pour convaincre »; cela signifie donc que nous ne les avons pas encore convaincus parce que cela risque de perturber le commerce mondial et, pendant ce temps, ces pays continuent peut-être d'acheter du pétrole iranien, n'est-ce pas?

Mme Martin : Nous faisons des démarches, mais il faut les faire autant auprès des fournisseurs que des consommateurs, afin de nous assurer que les approvisionnements qui ne proviendront pas de l'Iran pourront être assurés par d'autres pays.

La présidente : J'aimerais poser une question supplémentaire. M. Amano est le nouveau directeur général de l'Agence internationale de l'énergie atomique. Hier, l'un des témoins nous a dit que le ton des rapports avait changé, comme tout le processus d'ailleurs. M. Amano œuvre dans le domaine nucléaire depuis longtemps, et il a travaillé avec l'agence. Avez-vous constaté un changement radical, ou bien est-ce le résultat des inspections de novembre qui est le changement radical?

M. Sinclair : Je pense que c'est la seconde option. Comme je l'ai dit, M. Amano et M. ElBaradei sont deux personnes très différentes; ils ont chacun leur style personnel, c'est indéniable, mais c'est tout à fait normal qu'ils aient des styles différents.

Je suppose que vous voulez savoir si l'AIEA aurait publié le même rapport si elle avait conservé son ancien directeur général. Je ne peux pas vous le dire et j'ignore qui pourrait vous le dire.

En revanche, je suis d'accord avec vous quand vous dites que les déclarations de part et d'autre étaient de plus en plus enflammées en ce qui concerne les activités iraniennes d'enrichissement de l'uranium. La poursuite de ces activités, malgré les résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU, ne pouvait qu'amener l'Agence à produire un rapport aussi détaillé que celui qu'elle a rédigé, sur le ton qu'elle a choisi d'adopter. À mon avis, c'était tout à fait prévisible. Toutefois, cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de différence de style entre M. Amano et M. ElBaradei. En fait, tous ceux qui les ont vus au travail savent que ce sont deux personnes tout à fait différentes.

La présidente : Il nous reste suffisamment de temps pour donner la parole à un sénateur pour la deuxième ronde de questions.

Le sénateur Finley : Je vous remercie infiniment de vos observations. Il y a quelque chose qui me préoccupe, c'est peut-être parce que je suis un peu frileux. Vous avez parlé des sanctions que nous avons jadis imposées à l'Afrique du Sud, par exemple. Je ne pense pas que la situation était la même. Pour reprendre la métaphore que je faisais tout à l'heure, celle du cobra encerclé de mangoustes édentées qui lui enfoncent des aiguilles dans le corps, la situation que nous avons aujourd'hui est unique en ce sens que c'est l'existence même de pays voisins comme Israël qui est gravement menacée.

Il y a au moins 30 pays qui appuient l'Iran. En tout cas, ils ne se sont pas abstenus, ils ont voté contre la résolution de l'ONU. Dans la situation actuelle des choses, si l'Iran reste aussi provocateur et aussi belliqueux, je crains que certains des adeptes de la doctrine du début des années 1980 selon laquelle l'Iran devrait être réduit à la taille d'un UFO — vous vous souvenez de ces mots qu'on utilisait à propose de l'Iran — ne reviennent en force.

Y a-t-il encore quelque chose que le Canada ou d'autres pays qui essaient sincèrement de trouver une solution n'ont pas encore essayé? Y a-t-il une façon d'isoler encore davantage l'Iran du reste du monde? Je constate qu'on continue d'organiser des matchs de soccer avec eux, par exemple, et qu'on continue d'accepter leurs boxeurs dans les rings, entre autres. Y a-t-il des sanctions plus sévères qu'on pourrait leur imposer? Y a-t-il quelque chose qu'on pourrait faire pour mettre fin à ce cauchemar? Chaque jour qui passe, de plus en plus de gens — comme nous l'avons vu cette semaine — sont privés de leurs droits humains fondamentaux et sont torturés. Nous pourrions certainement faire quelque chose de plus. Qu'en pensez-vous?

Mme Martin : Je trouve votre métaphore du cobra et des mangoustes tout à fait intéressante. Vous dites que les mangoustes sont édentées, mais en fait, elles sont très malignes. Apparemment, le cobra n'a pas une vision bifocale. Face au cobra, la mangouste se comporte de la façon suivante.

Le sénateur Finley : Il va falloir que je fasse attention à mes métaphores.

Mme Martin : Elle observe attentivement les mouvements du cobra pendant que celui-ci essaie de focaliser sur elle, et soudain, elle se précipite sur le cou du cobra et le tue. C'est peut-être une formidable métaphore, qui illustre bien la patience dont nous avons besoin pour amener le régime iranien à modifier son comportement.

Quand vous dites que 30 États ont voté contre la résolution sur l'Iran, ils l'ont sans doute fait parce qu'ils ne veulent pas être la cible de la même résolution, c'est-à-dire que, par principe, ils ne veulent pas être condamnés par l'opinion internationale pour non-respect des droits de la personne chez eux.

Vous me demandez si nous pourrions faire davantage, comme annuler les compétitions sportives, mais je pense aux étudiants iraniens : il est important que nous puissions les accueillir chez nous car cela peut faire changer les perceptions en Iran. En effet, c'est une excellente occasion de montrer aux jeunes ce qu'est la vraie démocratie, ce que signifie le respect des droits de la personne, et comment fonctionnent les États occidentaux et les autres pays du monde. Les étudiants peuvent alors devenir porteurs de changement au sein de leur propre pays. Mais cela prend du temps et de la patience.

M. Sinclair : Je n'ai rien à ajouter à la métaphore de la mangouste.

Le sénateur Finley : Je tâcherai de choisir une autre métaphore la prochaine fois.

Le sénateur Nolin : La vraie question qu'il faut se poser est de savoir si elles sont vraiment édentées. Pensez-vous qu'elles le soient?

Mme Martin : Peut-on dire que les sanctions sont inefficaces ou s'agit-il simplement de se montrer patients? Le temps nous le dira. J'espère qu'elles se révèleront aussi efficaces que les mangoustes et qu'elles amèneront l'Iran à modifier son comportement.

[Français]

Le sénateur Robichaud : Croyez-vous que si l'Iran réussissait à développer un engin nucléaire, ils auraient aussi la capacité de le livrer et qu'ils seraient suicidaires au point de s'en servir? Cela voudrait dire détruire complètement les autres pays.

Je ne crois pas qu'ils pourraient être suicidaires à ce point; mais vous, qu'en pensez-vous?

[Traduction]

Mme Martin : J'espère que vous avez raison. Il y a des pays qui se sont dotés de l'arme nucléaire à des fins de dissuasion. En revanche, il est arrivé, à certaines époques, que les discours s'enflamment à tel point que l'on redoutait sérieusement une guerre nucléaire. En 2003, par exemple, les déclarations que s'échangeaient l'Inde et le Pakistan rendaient tout le monde extrêmement nerveux. À l'époque, nous avions réduit au minimum notre personnel diplomatique dans nos ambassades et nous avions déconseillé aux Canadiens de se rendre dans ces deux pays.

Je pense que les risques sont considérables, sans parler des horribles conséquences de l'utilisation de telles armes.

M. Sinclair est bien placé pour vous dire si l'Iran serait prêt à aller jusque-là.

M. Sinclair : Nous sommes convaincus que l'Iran cherche activement à se doter de l'arme nucléaire, et, parallèlement, nous savons que ce pays s'efforce d'améliorer la capacité de ses missiles. La combinaison de ces deux facteurs a de quoi accroître notre inquiétude de façon exponentielle. En effet, l'Iran a mis au point des missiles capables de couvrir tout le territoire d'Israël, par exemple, et d'atteindre la plupart des pays européens. Ce n'est pas un hasard si, face à la menace des missiles iraniens, l'OTAN a décidé de construire un système de défense antimissile extrêmement coûteux, dans le but de protéger le territoire européen de l'éventualité apocalyptique d'une attaque par des missiles iraniens. Il faut toujours prendre des mesures de défense bien avant que l'ennemi potentiel n'ait la capacité de vous attaquer. L'OTAN est déterminée à construire ce système de défense antimissile pour contrer les activités militaires de l'Iran.

L'Iran aura-t-il la capacité d'utiliser l'arme nucléaire? Il y a bien sûr un certain nombre de variables. Il faut qu'il réussisse d'abord à fabriquer l'arme nucléaire, qu'il la miniaturise pour pouvoir l'embarquer sur un missile et qu'il mette au point sa technologie d'assemblage de missiles. Comme on sait que le régime iranien travaille d'arrache-pied sur ces dossiers particuliers, force est de constater, malgré toutes les conséquences apocalyptiques d'une telle éventualité, que oui, l'Iran peut acquérir cette capacité. Il ne l'a pas encore, heureusement, mais il n'a donné aucun signe de changement de cap. Voilà où nous en sommes aujourd'hui.

Le sénateur Nolin : L'Iran sait bien que le moindre test nucléaire sera détecté par toutes les agences de surveillance. Le vecteur est donc l'élément clé de votre hypothèse.

Mme Martin : L'Iran a fait des tests nucléaires en décembre dernier.

Le sénateur Nolin : Certes, mais ce qui est déterminant, c'est de savoir quel type de missile pourrait atteindre Israël et même des pays plus éloignés, donc des missiles de moyenne portée.

M. Sinclair : Leur programme de missiles est très intense.

Le sénateur Nolin : C'est vrai.

Le sénateur Robichaud : Mais il faudrait vraiment être suicidaire pour s'embarquer dans cette voie. Vous avez parlé des préparatifs de l'OTAN, et en effet, l'OTAN ne va certainement pas attendre gentiment que les fusées lui passent au-dessus de la tête — tiens, celle-là se dirige vers l'Angleterre, celle-là vers la France. L'OTAN voudra sans doute non seulement les abattre mais aussi riposter.

Le sénateur Finley : Il suffit de quelques personnes suicidaires, il n'est pas nécessaire que toute la population le soit aussi.

Le sénateur Robichaud : C'est vrai, mais au bout d'un moment, c'est la raison qui l'emporte. Un témoin nous a dit hier que le Canada devrait collaborer avec des membres de l'opposition et leur fournir des moyens de communication afin qu'ils puissent informer leurs compatriotes. Comment pourrait-on faire cela?

Mme Martin : Si j'ai bien compris votre question, vous voulez savoir comment on pourrait permettre aux gens d'avoir accès à des moyens de communication avec l'étranger?

La présidente : Non, un témoin nous a dit hier que, pour avoir accès à des Iraniens susceptibles d'être plus rationnels que les dirigeants actuels de ce pays, le Canada devrait peut-être essayer d'établir des contacts avec l'opposition. « Collaborer avec des membres de l'opposition » signifie leur donner des informations, des outils, des conseils sur la façon de se faire connaître et d'accroître leur influence en Iran. Je résume, car les témoins en ont dit bien davantage.

Mme Martin : Nous aimerions beaucoup pouvoir aider l'opposition de toutes ces façons. Le mouvement des verts, qui était apparu au moment de la révolution de 2009, a été violemment réprimé et il n'est plus aussi actif qu'avant. Il ne faut pas oublier que chaque fois qu'on essaie de collaborer avec des membres de l'opposition, ces derniers deviennent immédiatement des cibles du régime. C'est donc difficile à faire pour l'instant, mais nous y réfléchissons quand même. De votre côté, si vous entendez parler, au cours de vos discussions, de moyens de le faire qui ne mettraient pas la vie des gens en danger, nous serions ravis d'en être informés.

La présidente : Merci. La dissuasion a souvent été notre arme principale dans nos politiques de défense. Nous préférons avoir les moyens d'encourager les gens à modifier leur comportement avant qu'ils n'aient la capacité de concrétiser leurs menaces. C'est la raison pour laquelle je vous ai posé la première question. Estimons-nous que les sanctions sont l'option la plus efficace ou, par désespoir, la seule possible? Comme il n'y a pas d'autre possibilité d'amener le régime iranien à changer de cap, nous nous rabattons sur l'agence de l'énergie atomique et sur les sanctions, mais nous n'avons pas d'autre moyen de dissuasion.

Mme Martin : Le groupe P5+1, qui a été mis sur pied par la communauté internationale, a pour mandat de faire avancer les choses. Ce groupe a adopté une approche sur deux fronts, et les sanctions en sont un. Il se dit prêt à rencontrer les Iraniens à tout moment pour discuter de leur programme nucléaire. Reste à voir si les Iraniens répondront à l'invitation. D'un autre côté, les sanctions se font de plus en plus sentir, et c'est peut-être ça qui amènera les Iraniens à participer au dialogue.

Le groupe P5+1 comprend la Chine et la Russie, qui sont deux acteurs très importants lorsqu'il s'agit d'entamer un vrai dialogue avec les Iraniens.

La présidente : Madame Martin et monsieur Sinclair, je vous remercie d'avoir accepté de comparaître malgré le court préavis, et d'avoir poursuivi avec nous le débat que nous avons commencé hier au sujet de la position du Canada. Comme vous avez pu le constater par nos questions, nous examinons toutes les options susceptibles d'aider notre gouvernement à persuader l'Iran ou tout au moins l'encourager à changer de cap, tant sur le plan des droits de la personne que sur celui de son programme nucléaire. Merci d'avoir comparu devant nous ce matin, et merci aussi à tous vos collaborateurs.

Sénateurs, nous allons lever la séance un peu plus tôt que d'habitude. Comme vous le savez, nos réunions durent généralement jusqu'à 12 h 30, mais avec les nouvelles règles, nous essayons de terminer un peu plus tôt afin que vous ayez le temps d'aller déjeuner. Je vous remercie de votre collaboration.

(La séance est levée.)


Haut de page