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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international

Fascicule 8 - Témoignages du 1er mars 2012


OTTAWA, le jeudi 1er mars 2012

Le Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd'hui à 10 h 15 pour étudier, pour en faire rapport, la création d'une « charte du Commonwealth » tel que convenu par les chefs de gouvernement des pays du Commonwealth à la réunion tenue à Perth, en Australie, en octobre 2011, ainsi que les implications de cette charte pour le Canada.

Le sénateur A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

La présidente : Honorables sénateurs, nous sommes prêts à tenir notre première séance. Nous n'avons pas pu entendre nos témoins de la Société royale du Commonwealth-Canada; je crois qu'ils se sont trompés de date. Nous allons faire la lumière là-dessus, mais nous allons leur demander de nous fournir leur mémoire en temps voulu afin que nous puissions prendre connaissance de leur témoignage.

Nous allons maintenant passer au deuxième témoin. Aujourd'hui, nous procédons à l'étude de la création d'une charte du Commonwealth tel que convenu par les chefs de gouvernement des pays du Commonwealth à la réunion tenue à Perth, en Australie, en octobre 2011, ainsi que les implications de cette charte pour le Canada.

Pour notre séance, je suis ravie d'accueillir William A. Schabas, professeur de droit international à la Faculté de droit de l'Université du Middlesex, qui a accepté de comparaître devant le comité. Il était en ville, ce qui est chanceux pour nous; nous nous attendions à ce qu'il comparaisse par vidéoconférence, mais ainsi c'est beaucoup mieux. Je vous remercie, monsieur Schabas, de votre présence. Nous ne ferons pas de longues présentations, monsieur Schabas, afin d'avoir plus de temps pour dialoguer, mais le comité a pris connaissance de votre curriculum vitæ.

Aux fins du procès-verbal, je tiens à dire que vous avez participé activement au développement des droits de la personne au Canada et à l'échelle internationale; surtout pour ce qui est des structures de la Cour pénale internationale et du Tribunal spécial pour la Sierra Leone, où vous avez fait partie intégrante des processus. Vous avez une grande connaissance des instruments et des occasions pour lesquelles un consensus sur les valeurs et les enjeux essentiels dans des pays, des régions, et des organismes peut être utile.

Nous examinons la proposition d'une charte d'association comportant certains éléments relatifs aux droits de la personne, aux valeurs sociales et aux valeurs historiques du Commonwealth. Est-ce un outil utile? Quelle forme la charte pourrait-elle prendre pour être utile? Selon vous, quelles recommandations pourraient être formulées pour faire avancer le processus du Commonwealth et de l'étude que nous entreprenons au nom des Canadiens?

Monsieur Schabas, nous sommes ravis que vous soyez des nôtres et nous avons hâte d'entendre votre déclaration préliminaire. Ensuite, comme nous en avons l'habitude au comité, nous aurons des questions à vous poser.

William A. Schabas, professeur de droit international, Faculté de droit, Université du Middlesex, à titre personnel : Merci beaucoup, madame la présidente, de cette belle introduction. Je suis ravi que les choses soient tombées en place et de pouvoir assister en personne à Ottawa à la séance du comité sénatorial pour témoigner.

Comme vous l'avez dit, je suis, j'étudie les droits de la personne et les questions connexes, en plus de rédiger sur le sujet depuis de nombreuses années, et j'ai été professeur ici au Canada dans les années 1990. Évidemment, j'ai suivi la création de la Charte canadienne, également. J'ai toujours été fasciné par la dimension internationale des droits de la personne et de la relation du Canada avec les diverses institutions internationales.

Le Commonwealth a toujours constitué un cas particulier dans le domaine des droits de la personne. Le Commonwealth aurait dû être une tribune pour un débat particulièrement riche sur les droits de la personne et les questions connexes; toutefois, il semble toujours être empêché d'accomplir cette mission que nous aurions voulue.

C'est principalement à Genève, dans les institutions des Nations Unies, que vous connaissez très bien, que les questions liées aux droits de la personne ont été toujours soulevées. Nous avons aussi vu d'autres organismes qui, parallèlement au Commonwealth et la francophonie, ont tenté de composer avec les droits fondamentaux également, peut-être avec les mêmes difficultés auxquelles le Commonwealth a été confronté.

En 2010, j'ai fait un exposé auprès d'un organe du Commonwealth, les ministres principaux ou sous-ministres de la Justice, les professionnels principaux, sur les enjeux entourant la peine capitale, où le Commonwealth a pris un peu de retard, en fait, comparativement aux institutions internationales en général. On peut le voir lorsqu'il y a des votes, par exemple sur un moratoire sur la peine de mort à l'Assemblée générale lorsque le Commonwealth ne figure pas aussi bien que la moyenne des États du monde.

Il s'agit d'un mélange étrange. Lorsque j'étais là-bas il y a un an et demi, à Londres, la personne qui m'a suivi a dû faire valoir ses arguments. Ma tâche a en fait été facile sur la peine capitale, parce que je n'ai pas visé très haut et la plupart des ministres étaient d'accord avec moi, soit sur un moratoire modeste. Le pauvre type après moi tentait de les convaincre de réformer le droit criminel, en matière de sodomie et de relations homosexuelles. Il s'est trouvé face à un mur au Commonwealth, certains États insistant qu'il n'y avait pas lieu de réformer le droit pour qu'il corresponde à celui du Canada, qui, il me semble, a changé ses lois aux environs de 1968 dans ce domaine.

Dans le Commonwealth, dans certains domaines, il est très difficile de faire des progrès relativement à des enjeux contemporains classiques liés aux droits de la personne. L'élaboration d'un nouvel instrument, comme cette charte proposée, constitue un projet ambitieux.

Comme vous le savez, une ébauche préparée en Australie est circulée. Il semblerait que l'auteur soit Michael Kirby, un juge australien distingué, une personne qui a un profil international fabuleux et qui a fait de grandes contributions. L'ébauche comme telle est décevante dans un sens, le document aurait été plus inspirant, plus moderne et plus progressif si l'auteur y avait mis ses propres idées.

La version de l'ébauche que j'ai examinée renvoyait à divers instruments du Commonwealth. On dirait en fait qu'il s'agit davantage d'une codification de vieux documents adoptés par le Commonwealth. Il ne s'agit pas d'une tentative — on parle toujours de l'ébauche, évidemment — de faire quelque chose de créatif et de nouveau avec cet instrument. On prend les instruments existants et les normes existantes au sein du Commonwealth et on les réunit en un document plus volumineux. Je crois que c'est un exercice décevant si c'est tout ce qui en découle.

Il n'est peut-être pas sage d'aller de l'avant. On aurait pu penser que l'idée était inspirante à l'époque, mais l'exercice est peut-être tout simplement difficile parce qu'il est ardu au sein du Commonwealth de faire avancer des enjeux plus délicats concernant les droits de la personne. J'en ai mentionné deux. La peine capitale, pour laquelle vous n'obtiendrez pas un consensus au sein du Commonwealth, et la question de l'égalité entre les sexes ou ce qu'on appelle maintenant les enjeux GLBT. Je crois qu'il faut s'attendre à de grandes difficultés, comme c'est le cas pour d'autres questions. À mon avis, il serait contre-productif de produire un instrument qui ne fait que codifier les normes en place et qui n'offre rien de nouveau.

Je crois en fait qu'il s'agit du défi, et c'est peut-être à cet égard que nous pourrions contribuer aux efforts australiens sur la charte proposée, avec un peu d'apport canadien. J'aimerais proposer deux ou trois domaines auxquels nous pourrions consacrer un peu d'attention et voir s'il serait viable de présenter ces idées pour un tel instrument.

Ma première suggestion porte sur une idée à l'élaboration de laquelle le Canada a joué un rôle très important, et c'est la responsabilité de protéger. Cette idée découle de la Commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des États en 2001. Elle a maintenant évidemment été ratifiée dans une résolution de l'Assemblée générale qui a suivi le sommet des chefs d'État en 2005. Je suis certain que vous savez déjà tout cela, mais l'idée veut que tous les États, individuellement puis collectivement par l'intermédiaire d'institutions, y compris les Nations Unies, mais je crois aussi par l'intermédiaire du Commonwealth, ont l'obligation de protéger les populations vulnérables contre le génocide, les crimes contre l'humanité, les crimes de guerre et le nettoyage ethnique.

C'est une idée qui selon moi est assez bien acceptée, et il est dommage qu'elle ne figure pas à l'ébauche de la charte. Elle devrait y figurer. Si on cherchait à aller au-delà de la codification des prises de position antérieures du Commonwealth, il me semble évident que ces idées y ont leur place, et peut-être que si on pouvait donner une saveur canadienne et du Commonwealth à cette notion, ce serait très constructif.

Voilà ma première suggestion et la forme qu'elle pourrait prendre.

Ma seconde suggestion porte sur les droits des peuples autochtones et les droits des minorités, qui ne figurent pas dans l'ébauche de la charte. C'est un peu surprenant en fait, surtout qu'elle provient de l'Australie, que cette idée n'y soit pas vraiment expliquée. Je crois que c'est un domaine qui mérite d'être exploré. Encore une fois, je n'ai pas de libellé à vous proposer, mais je crois que les gens qui ont un peu de créativité pourraient se pencher sur le concept et trouver de bonnes façons de formuler le libellé. Il pourrait s'agir d'une autre contribution très utile.

Ce pourrait également être utile pour vérifier que la charte est équilibrée et qu'elle ne donne pas l'impression que d'anciens dominions du Commonwealth donnent des ordres à la majorité du Commonwealth, parce que dans ce domaine nous avons notre propre histoire difficile, tout comme l'Australie, évidemment, et la Nouvelle-Zélande.

Une dernière chose, qui est très importante pour la politique étrangère canadienne et à laquelle on a consacré beaucoup d'attention et d'énergie ces dernières années, c'est l'importance de la justice internationale et de la reddition de comptes. Toute une gamme de termes sont utilisés dans ce contexte — la Cour pénale internationale et d'autres tribunes de reddition de comptes relativement à des atrocités. Cette idée est de plus en plus centrale dans le domaine des droits de la personne et, plus généralement, dans le domaine de la politique étrangère. Je crois qu'il faudrait tenir compte de cet élément également, soit la reconnaissance de l'importance de cette activité.

Certaines propositions sont ressorties de ma réflexion plutôt sommaire du document. On tente d'être poétique et d'avoir un langage inspirant et ainsi de suite, et c'est bien, mais on pourrait peut-être faire plus. Peut-être pourrions- nous recruter un poète ou deux qui pourraient en fait pondre quelque chose de plus créatif, parce que les avocats et les juges ne sont pas de bons poètes, malheureusement, ou peut-être heureusement. On pourrait faire davantage à cet égard. Ce serait bien que le document soit inspirant. Ce serait dommage que ce document ne soit rédigé que pour la forme, affiché sur un site Web puis oublié.

On a l'occasion de faire quelque chose d'un peu mieux, et si on peut contribuer au processus, tant mieux.

La présidente : Je vous remercie. Hier, nous avons entendu notre collègue le sénateur Segal, qui faisait partie du Groupe de personnalités éminentes qui ont donné lieu à la recommandation de la charte, et il s'agissait de la première recommandation, de réunir tout ce qui touchait le Commonwealth au cas où il y aurait de nouveaux membres. Ce n'était pas mon interprétation du rapport. À mes yeux, il s'agissait davantage de ce que les membres voulaient dire à leur propos. J'examine les deux façons de voir l'utilité de la charte. D'un autre côté, si j'ai bien compris le Groupe de personnalités éminentes, par l'intermédiaire des chefs de gouvernement, maintenant des ministres des Affaires étrangères, la charte semble tenter d'en venir à un consensus sur la composition et la nécessité d'un Commonwealth.

D'un autre côté, la charte porte sur ce dont vous avez parlé, les droits de la personne. Ne serait-il pas préférable de compiler ou de recenser ce que signifie l'adhésion, la viabilité et la nécessité d'un Commonwealth d'abord, puis d'établir un processus sur la modernisation des droits de la personne et des valeurs sociales dans le cadre d'un instrument, d'un traité ou d'un consensus voire une politique moderne au sein du Commonwealth qui va au-delà des normes signées individuellement par les pays dans le cadre de l'ONU, chacun dans son domaine respectif? Par exemple, l'Union africaine a une Charte des droits qui est fondée sur la même déclaration. Le Canada a sa propre Charte des droits et est signataire d'autres chartes.

On réunit deux concepts qui présenteront une difficulté pour la Réunion des chefs de gouvernement des pays du Commonwealth et, ainsi, on pourrait proposer de séparer les deux; ou croyez-vous qu'on devrait mettre l'accent sur l'avenir et sur les droits? Vous semblez être un peu plus favorable à une charte tous azimuts qui examine notre passé.

M. Schabas : Je crains que ce soit un peu plus qu'un exercice bureaucratique qui vise à prendre les normes qui existent déjà et les principes qui sont déjà établis dans une série de documents pour les retravailler en fait. C'est toujours le défi que l'on doit relever lorsqu'on adopte des documents par consensus.

Il ne fait aucun doute qu'il s'agit de la seule façon acceptable, notamment, d'avoir un consensus. Toutefois, on veut aller de l'avant parce qu'un consensus n'est pas un concept statique non plus. Si on prend d'anciens documents et qu'on les retravaille et qu'on dit « nous sommes tous d'accord donc nous avons un consensus », on ne fait pas de progrès non plus. Je ne crois pas qu'il s'agit d'un résultat désirable.

Je suis intrigué par l'idée qu'il s'agisse d'un document qui établisse les critères de composition, ou quelque chose du genre, pour les nouveaux membres, parce que les nouveaux membres voient déjà ce que représente le Commonwealth. Le Commonwealth a toujours été une institution ambiguë pour ce qui est de ses rôles et de ses fonctions, lesquels ont changé et évolué au fil des années. Son attitude par rapport aux droits de la personne a changé également.

Lorsque j'ai fait l'étude sur la peine de mort l'année dernière, j'ai vu beaucoup de potentiel au sein du Commonwealth, mais un défi également. La difficulté ici est de savoir comment exploiter ce potentiel. Dans certains domaines, le Commonwealth et les États individuels se comportent mieux qu'ils ne s'expriment par rapport à certains de ces enjeux. Certaines déclarations dans le domaine des droits de la personne peuvent sembler dures dans un forum comme le Conseil des droits de l'homme ou celui de l'Assemblée générale des Nations Unies, mais c'est le contraire pour le comportement dans certains cas. Le comportement n'est pas aussi négatif et il ne correspond pas autant au discours. Voilà peut-être pourquoi il est important de faire avancer le discours afin qu'il corresponde au comportement de certains États. Il s'agit d'un processus simplement dynamique.

Je pense que ce devrait être un exercice dynamique. Je crains que cela ne soit trop statique étant donné la façon dont cela est conçu.

Le sénateur Downe : Vous avez dit qu'il y avait « beaucoup de potentiel ». Pourriez-vous élaborer? C'est encore tôt dans notre étude et dans mes lectures, mais j'ai tendance à partager votre préoccupation lorsque vous dites qu'il s'agit d'une sorte d'exercice bureaucratique pour tenter de justifier l'existence du Commonwealth et tenter d'atteindre ces objectifs qu'une foule d'autres institutions multinationales poursuivent déjà. Il n'y a vraiment rien de nouveau ici.

En ce qui concerne la primauté du droit, la promotion de la démocratie, et tout le reste, il y a des douzaines de groupes dans le monde qui font cela. Le Commonwealth jouait un rôle il y a 40 ou 50 ans et ils sont maintenant en train de tenter de transformer ce rôle en autre chose; en quoi consiste-t-il? Pourriez-vous élaborer davantage au sujet de ce potentiel que vous voyez?

M. Schabas : J'ai fait ressortir certaines questions — c'est-à-dire les trois thèmes qui à mon avis manquaient dans l'ébauche — et nous pourrions trouver des façons d'incorporer ces thèmes dans le libellé de la charte. Nous avons notre propre approche canadienne au sujet de ces questions où nous avons apporté une contribution, et au sein du Commonwealth nous avons eu l'occasion de le faire car nous avons peut-être plus d'influence au sein de ce groupe. Il s'agit d'un environnement privilégié pour le Canada et pour certaines de nos idées, par exemple, en ce qui a trait aux peuples autochtones, à la justice internationale et à la responsabilité de protéger. Nous pourrions faire bouger les choses à cet égard. Cependant, si nous faisons tout simplement le même travail qui est fait au sein des Nations Unies ou des organisations régionales, nous craignons que le résultat soit encore pire. Cela est toujours une préoccupation lorsque les gens reformulent, particulièrement dans le domaine des droits de la personne, mais sur des questions plus vastes également. Lorsque l'on reformule des déclarations, on finit par reculer plutôt qu'avancer.

Ce que nous voulons sans doute faire, c'est cibler des questions particulières, ne pas tenter d'avoir quoi que ce soit de global, car ça se fait ailleurs et cela ne devrait pas être l'objectif. Le concept de la responsabilité pour protéger comporte l'idée d'un engagement collectif à l'égard des droits de la personne qui va au-delà des frontières du pays pour travailler ensemble. Le Commonwealth permet de faire cela. C'est un bon environnement pour cette idée. Je pense que cela pourrait prospérer. Je ne m'attends pas à ce que nous fassions de progrès dans ce document sur les autres questions que j'ai mentionnées, les droits des gais et des lesbiennes ou la peine de mort. C'est trop difficile. Ce serait explosif et cela ferait sauter le projet. Il y a certaines questions, comme les peuples autochtones, où nous pourrions sans doute faire des progrès intéressants. Quoi qu'il en soit, il faudrait faire preuve de créativité et chercher une façon d'apporter quelque chose d'unique de sorte que dans cinq ans les gens disent : « En ce qui concerne ces droits, quelque chose d'important s'est produit lorsque le Commonwealth a adopté le document. » Cela aura une influence au-delà du Commonwealth également, sur le plan du développement progressif des droits et libertés, ce qui serait très bien.

Le sénateur Downe : Vous en savez de toute évidence beaucoup plus que bon nombre des membres du comité, dont moi-même, mais pouvez-vous nous donner des exemples d'initiatives du Commonwealth qui ont évolué au cours des dernières années et qui ont aidé ces pays?

Le modèle du consensus m'inquiète. J'accepte tout à fait votre argument lorsque vous dites que le Canada pour toute une série de raisons est un intervenant majeur au sein de ce groupe. Si nous avons besoin du consensus de la part de tous les pays membres, je crains cependant que le plus petit pays, le pays plus faible qui s'oppose à certaines de ces initiatives que nous pourrions entreprendre au Canada puisse arrêter le convoi tout entier, pour ainsi dire. Est-il préférable d'avoir des engagements individuels ou de tenter de faire quelque chose en groupe au sein du Commonwealth? Je ne pense pas que qui que ce soit s'oppose aux objectifs mais je me demande quels sont les résultats.

M. Schabas : Je ne sais pas si je peux vous donner un exemple de la façon dont cela fonctionne au sein du Commonwealth. J'ai regardé comment fonctionnait le processus du consensus dans d'autres contextes, par exemple aux Nations Unies, ou dans un développement connexe qui était l'adoption du Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Le résultat final, après quelques années de négociations, dépassait de loin toutes les attentes. Il s'agit d'un processus qui peut en fait donner des résultats très encourageants.

On craint toujours qu'un document ou une approche consensuelle nous ramène au plus petit dénominateur commun, mais en fait les résultats peuvent être assez dynamiques. Cela sortirait un peu de mon domaine de compétence que d'essayer d'expliquer comment faire cela; il vous faudrait demander à des diplomates qualifiés de vous l'expliquer. Tout ce que je sais c'est que l'on peut obtenir de tels résultats et que si les gens sont fermement engagés à l'égard du projet, il est possible de susciter un enthousiasme collectif.

En ce qui concerne le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, je pense que l'on craignait toujours qu'il y ait des gens qui tenteraient de saboter ce projet, mais au bout du compte, ce n'était pas le cas. Le consensus a fonctionné et s'est concrétisé. C'est ce qui s'est passé plus récemment avec les amendements qui ont été apportés au Statut de Rome en ce qui a trait au crime d'agression. La participation du Canada était très utile. Nous avons joué un rôle constructif qui a été stimulant, en travaillant en douce mais de façon très positive pour faire avancer le projet. Je pense que ce genre de formule pourrait fonctionner. Il est possible de sortir de ce qui semble être un processus décourageant, vicié, qui consiste à tenter d'en arriver à une entente par voie de consensus. Il en résulte des choses intéressantes, mais on a besoin des compétences des diplomates, ce qui va au-delà de mes compétences.

Le sénateur Wallin : Je dirais que d'un autre côté nous nous dirigeons peut-être dans la même direction que mon collègue le sénateur Downe. Hier nous avons dit qu'il n'y a aucune façon d'imposer légalement quelque forme de comportement ou d'activité que ce soit ou encore d'obliger les gens à se joindre ou encore à les expulser pour mauvais comportement car il serait trop compliqué de le faire. En un sens, nous parlons ici d'un énoncé de mission ou d'une série d'objectifs ou d'une charte, selon le cas. Expliquez-nous pourquoi nous n'avons pas besoin de cela, pour les points que mon collègue a soulevés. Ne pourrions-nous pas nous rencontrer de temps à autre en tant que membres d'autres organismes internationaux lorsque ces derniers se rencontrent pour une journée, si les pays du Commonwealth veulent se réunir? Je tente ici d'obtenir un cadre plus vaste. Dites-moi pourquoi cela ne devrait pas se faire.

M. Schabas : Bon nombre de ces idées que l'on retrouve dans la Charte peuvent être tout à fait abordées dans d'autres forums, particulièrement au sein des Nations Unies mais aussi au sein d'organisations régionales. Le Commonwealth est un organisme qui a été créé pour des raisons historiques et qui réunit des États qui par le passé partageaient des antécédents impériaux, mais cet organisme s'est maintenant quelque peu élargi pour accueillir des membres que l'on peut considérer comme des amis du Commonwealth mais qui ne font pas partie de cette tradition, notamment le Rwanda et le Mozambique, pour des raisons particulières. Le Commonwealth pourrait peut-être s'élargir de cette façon, et peut-être que l'on risque de se retrouver avec un trop grand nombre d'organisations et de réunions au cours desquelles on fait à peu près la même chose. Je pense que la décision qu'il faut prendre au sujet du Commonwealth est intéressante : faut-il inclure de nouveaux territoires ou doit-il rester essentiellement ce qu'il est et remplir les fonctions qu'il a toujours remplies par le passé. Je vois cela comme une opportunité, mais vous m'avez demandé de faire valoir des arguments contraires. Le travail va se faire même si le Commonwealth ne le fait pas.

Le sénateur Wallin : Une chose que le sénateur Segal a dite hier c'est que, peu importe jusqu'à quel point le libellé de la Charte peut être modéré, il imposera néanmoins certaines normes et certains comportements aux pays membres, et il faudra mettre en place une bureaucratie pour faire respecter ces règles d'une façon ou d'une autre, et bon nombre de ces pays n'en ont tout simplement pas les moyens. Tout cela est bien bon pour nous, nous avons le ministère des Affaires étrangères qui peut avoir une section qui s'occupe de cela, mais certains petits pays du Commonwealth pourraient avoir de difficultés à mettre en place une bureaucratie pour s'assurer que le comportement respecte les valeurs énoncées.

M. Schabas : Je suppose que ce genre de chose est imprévisible. Les conséquences sont imprévisibles. Il y a de nombreux exemples, et je suppose que si j'y réfléchissais, je pourrais vous en fournir toute une liste, une liste de tentatives pour préparer de nouveaux documents. Le Commonwealth a eu sa part. Les Nations Unies ont de nombreuses résolutions et de déclarations auxquelles personne n'accorde beaucoup d'attention. J'ai des étudiants qui rédigent des thèses de doctorat à ce sujet, mais en réalité personne ne lit ce genre de document. Une bonne partie de tout cela n'est en fait qu'un exercice. L'argument selon lequel ce serait un exercice qui ultimement sera un peu stérile, bureaucratique et inutile s'applique à trop de choses que nous faisons à l'échelle internationale. Il est à espérer que ce genre de choses puisse parfois attirer l'attention.

Plutôt au cours de cette semaine, dans le cadre d'un projet sur lequel je travaillais, je lisais les mémoires de Nelson Mandela intitulé Un long chemin vers la liberté. Il y parle de la façon dont la Charte de l'Atlantique a inspiré la liberté en Afrique du Sud, le mouvement antiapartheid, Charte qui a été adoptée en août 1941 sur un navire qui serait maintenant dans des eaux canadiennes mais qui à l'époque était à Terre-Neuve. Roosevelt et Churchill se sont rencontrés sur un navire. Il parle de la façon dont ce document les a inspirés pour créer le Congrès national africain — non pas pour le créer, mais pour le faire avancer. J'ai oublié exactement ce qu'il disait au sujet de ce qu'il a fait, mais il disait clairement que c'était là un document édifiant.

Il ne faut pas oublier qu'une charte du Commonwealth aura une importance que n'a aucun autre document adopté par le Commonwealth. Son simple titre, si on le garde lui donne une position très privilégiée, et cela pourrait provoquer des développements très intéressants. Les gens dans de nombreux États membres du Commonwealth pourraient la lire et dire : « Nous avons reçu notre mandat de ce document. »

Vous m'avez demandé d'être négatif, mais maintenant je penche du côté positif. Cela est imprévisible, mais l'effort vaut la peine d'être fait.

Le sénateur Wallin : Vous avez dit exactement ce que je voulais. Merci.

Le sénateur D. Smith : Je voulais faire quelques observations et obtenir votre réaction. Vous mettez l'accent sur la responsabilité de protéger, sur les droits des minorités et des Autochtones, et cela est très pertinent. Franchement, cela ne me dérangerait pas si nous n'avions que l'article 15 de notre propre Charte. J'ai été député il y a 30 ans et je me suis beaucoup intéressé à cette question particulièrement en ce qui concerne les handicaps physiques et mentaux. C'est peut- être une façon de penser qui remonte à l'ancien dominion.

Le troisième est peut-être un peu plus difficile, l'importance de la justice internationale pour les atrocités. Je suis d'accord avec vous. Nous avons discuté hier de quelques exemples. L'Afrique du Sud, et c'est tout à son honneur, s'était retirée sinon elle aurait été mise à la porte. Le Commonwealth n'a jamais fait quoi que ce soit à Idi Amin lorsqu'il a fait toutes ces choses terribles, même du cannibalisme.

Quoi qu'il en soit, je pensais entre autres qu'il y a là beaucoup de mots dans tout cela qui tombent en quelque sorte dans la catégorie de la platitude. Je ne sais pas si cela l'affaiblit. Je pense que ce qui est fondamental, c'est la démocratie de bonne foi, les droits des minorités et les droits de l'homme que fait respecter la primauté du droit. Franchement, je serais fort satisfait si c'était là les seuls éléments qu'on y retrouvait. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

L'autre chose que je voudrais dire, c'est que vous parliez des experts, mais si vous n'arrivez pas à dormir une de ces nuits, et que vous méditez, réfléchissez ou que vous êtes dans un état de transe ou de yoga et des mots vous viennent à l'esprit, ne vous gênez pas pour nous les envoyer. Nous pourrions les examiner. Nous avons une grande ouverture d'esprit. De toute évidence vous avez des compétences qui sont très pertinentes ici et vous dites que ces trois catégories sont pertinentes. Je ne sais pas si vous avez quelque chose à dire à la suite de ces observations que je viens de lancer, mais je vous invite à nous en faire part si vous en avez.

M. Schabas : De façon générale, je suis d'accord avec vous pour ce qui est des priorités. Vous semblez pencher en faveur d'un document beaucoup plus succinct que celui que les Australiens ont préparé, et c'est peut-être la façon de procéder ici.

Je travaille actuellement sur un projet de Déclaration universelle des droits de l'homme auquel on fait allusion dans le préambule du projet de charte. C'est un document auquel un Canadien, John Humphrey, a apporté une grande contribution. C'est un document merveilleux qui a été adopté à un moment spécial et dans un environnement spécial dans le monde en 1948 et il reste actuel et utile. Les Américains — Eleanor Roosevelt — ont toujours fait valoir qu'il était trop long. C'est un document de 1 700 mots et qui compte 30 articles. Selon les normes d'aujourd'hui, c'est un document qui est court. Cependant, ces documents ont tendance à être plutôt longs, en partie parce que nous avons de plus en plus d'ONG et de groupes d'intérêt et que tout le monde veut être inclus. Donc, une façon de faire avancer les choses serait peut-être de faire campagne pour avoir un document court et succinct dont tout le texte pourrait rentrer sur une seule page ou sur une petite carte que l'on pourrait mettre dans sa poche ou dans son portefeuille. Peut-être que les gens aimeraient cela. Il faudrait peut-être essayer d'être le plus concis possible.

Le sénateur D. Smith : Je résiste aux platitudes. Je ne les conteste pas, mais elles ne correspondent pas aux éléments fondamentaux qui à notre avis devraient faire partie des critères si on est membre du Commonwealth.

M. Schabas : C'est une idée très intéressante. S'il fallait le faire, on pourrait être beaucoup plus succinct qu'on ne l'est ici. Le problème c'est que les gens tentent d'être poétiques et rédigent ainsi de longs préambules qui contiennent de nombreux clichés.

Le sénateur Raine : Merci. Je trouve cela très intéressant. Je me demandais si vous pouviez nous parler davantage des chartes de la francophonie et de l'organisation des États américains. Tout d'abord, comment diffèrent-elles l'une de l'autre? Quelles sont les différences entre ces trois organisations? Comment une charte pourrait-elle établir ces différences? Deuxièmement, comment ces organisations élaborent-elles leurs chartes? Ces chartes sont-elles contraignantes sur le plan juridique?

M. Schabas : En droit international, une charte est habituellement réservée à un document constitutionnel pour une organisation, et ce n'est pas ce qui est proposé ici. Il s'agit plutôt d'une déclaration ou d'un manifeste. Le paradigme dans ce cas-ci serait la Charte des Nations Unies, bien sûr, qui ne dit pas en fait grand-chose au sujet du contenu des Nations Unies; c'est un instrument organisationnel. C'est comme une constitution. Elle ne comporte en fait que quelques dispositions au début qui parlent de l'objectif et des principes des Nations Unies. C'est à peu près la même chose pour la Charte de l'Organisation des États Américains. Ce sont là plutôt des documents constitutionnels d'une organisation.

Le terme lui-même peut être utilisé comme nous le choisissons. Au Canada, nous avons choisi le terme « Charte canadienne » pour désigner la partie de notre Constitution qui porte sur les droits fondamentaux. Nous n'étions pas forcés de choisir cette option; il y en avait de nombreuses autres.

Je ne sais pas pourquoi on devrait appeler ceci une charte. Ce n'est pas la même chose que bien d'autres chartes. On ne peut probablement pas vraiment la comparer aux chartes des autres organisations. Cela ressemble davantage à un genre de manifeste — un modèle sur lequel nous nous baserions pour établir les principes directeurs de l'organisation. Il pourrait ensuite être utilisé, par exemple, dans le cas d'un différend portant sur l'expulsion ou la suspension d'un membre. On pourrait se tourner vers ce modèle. La suspension ou l'expulsion reposerait sur une infraction grave aux principes de la charte.

J'ai mentionné l'exemple de la Charte de l'Atlantique, qui était un manifeste d'inspiration plutôt qu'un outil constitutionnel, de même que l'exemple de Nelson Mandela.

Le terme « charte » est précieux. Je pense que c'est l'une des préoccupations ici. Si on l'utilise pour un document plutôt banal, c'est presque un emploi abusif du mot. Cela laisse entrevoir quelque chose d'assez inspirant et important dans ce contexte, de sorte que vous ne voulez pas vous tromper au sujet de la façon dont il est utilisé.

La présidente : Monsieur Schabas, j'aimerais intervenir. Vous avez dit que le Commonwealth a toujours pris des décisions par consensus et qu'il s'agit d'une façon, non seulement pour le Commonwealth mais aussi pour les autres organisations, du point de vue historique, d'attirer des gens qui avaient des intérêts ou des valeurs en commun ou d'autres qui, peut-être, n'avaient pas d'opinion bien établie ou étaient d'opinion contraire. Pour que le Commonwealth continue de fonctionner, il ne s'agit pas d'établir toujours des consensus ni d'éviter d'agir, mais plutôt de constituer des coalitions des partenaires pour une même cause au sein du Commonwealth, qui travaillent à la satisfaction de besoins semblables.

Je pense au Commonwealth dans les petites îles. Si on prend Vanuatu, les Tonga et les Maldives — j'essaie de bien me rappeler de mes Commonwealths ici — ces pays peuvent souhaiter travailler à certaines questions et droits à un niveau différent, à une vitesse différente et de façon différente. Le Commonwealth a fait preuve d'une bonne créativité lorsqu'il a dit au Canada, à la Nouvelle-Zélande et à l'Inde : « Travaillez ensemble. » Bien sûr, ils ont réussi à établir un consensus, et tout s'est déroulé rondement.

Est-il temps d'agir de l'autre façon?

Je pense que vous avez dit que la Cour pénale internationale a été créée par les Nations Unies, au moyen du Traité de Rome, et le développement de tout cela a été intéressant. Un traité n'est pas exécutoire avant d'être ratifié, mais dans ce cas-ci, le consensus international a été établi de façon différente. Si on n'en fait pas partie, la norme nous concernera tout de même.

C'était une façon intéressante d'aborder l'avancement des droits de la personne. Je me demande si le Commonwealth a du mal, en raison de toute sa diversité, à faire avancer ses objectifs de façon différente, en abandonnant le modèle consensuel au profit d'un autre mécanisme ou outil.

M. Schabas : L'expérience dont j'ai parlé et qui remonte à un an et demi avec les principaux responsables juridiques du Commonwealth ainsi que les débats entourant la peine capitale et d'autres questions soulignent encore une fois clairement le fait qu'il est extrêmement difficile de faire avancer certaines questions au sein du Commonwealth; dans de tels cas, un consensus est hors de question.

Je ne pense pas que le fait d'accepter un document consensuel empêche de quelque façon que ce soit les avancés asymétriques — celles dont vous avez parlé — au sein de l'organisation, non plus. Je ne vois aucun obstacle au fait d'adopter les deux méthodes.

L'idée du consensus est un phénomène étrange — même les documents consensuels le sont — dans le domaine des relations internationales et du droit international. La Déclaration universelle des droits de l'homme, dont j'ai parlé, a été adoptée. Il y a eu un vote, et tous ses éléments ont été mis aux voix pendant sa création. C'est ainsi qu'on fonctionnait auparavant aux Nations Unies. Au bout du compte, le vote a été presque unanime. Je pense que l'Union soviétique, le Bloc soviétique, l'Afrique du Sud et l'Arabie saoudite ont fini par s'abstenir. Toutefois, le document a essentiellement été adopté à l'unanimité, plutôt que par consensus dans son sens le plus strict.

Je pense que les diplomates nous diront qu'un consensus est une façon très efficace de s'entendre sur un document de façon cohérente. Si on vote sur d'autres choses, on obtient des résultats bizarres et des dispositions qui sont incompatibles les unes avec les autres; on ne peut pas le prédire. On ne peut pas être certain du résultat, et on peut l'être avec un consensus.

J'imagine que vous remettez probablement en question l'idée de déterminer s'il est sage d'aller de l'avant avec ce projet.

Malgré tout, je ne vois pas comment cela pourrait être adopté d'une façon autre qu'un accord général. Je pense que cela va de soi.

Le sénateur Mahovlich : Merci. Je me demandais seulement ce que vous pensez de l'idée de nommer un poète officiel de la Reine. Par coïncidence, nous avons nommé un poète officiel pour l'année hier seulement. Et si nous l'abordions, que nous lui présentions cette charte, que nous lui demandions de la lire et qu'il puisse trouver en ses propres mots des façons d'inspirer les différents pays? Pensez-vous que ce serait une bonne idée?

M. Schabas : Sénateur Mahovlich, je pense qu'il vaudrait la peine de l'essayer pour voir ce qui se passerait. Ce qui arriverait ensuite, c'est que la première copie serait envoyée à une grande délégation de diplomates assis autour d'une table; ils essaieraient d'éliminer toute la poésie du merveilleux poème qui aurait été créé.

Je me préoccupe aussi du fait que le langage créatif pourrait avoir des résultats trop imprévisibles. Dans ce domaine, les gens savent toujours que d'un côté, on veut trouver de nouvelles formulations, pour abandonner les clichés et offrir l'inspiration. En même temps, les gens sont nerveux parce qu'une tournure de phrase qui peut paraître innocente aura des conséquences étranges.

Cela dit, je pense qu'on a la possibilité ici de créer quelque chose d'original, et c'est peut-être une façon de chercher à le faire. Je pense que c'est une belle idée. Je ne sais pas ce que seraient les résultats.

Le sénateur Mahovlich : Moi non plus, mais la plupart des poètes nous ont inspirés au cours des années.

M. Schabas : Certains l'ont fait.

Le sénateur Robichaud : Monsieur Schabbas, dans le résumé, nous pouvons lire que les chefs de gouvernement ont décidé qu'il était important de bâtir un Commonwealth plus fort, plus résilient et plus progressif qui sera davantage de son temps et qui tiendra compte de ses populations à l'avenir, parce que certains membres craignaient qu'il ne devienne désuet. On y mentionne aussi les valeurs fondamentales : la paix, la démocratie, la primauté du droit, les droits de la personne, l'égalité entre les sexes, le développement économique et la liberté d'expression.

Dans la charte proposée, pensez-vous que cela rendrait le Commonwealth plus pertinent?

M. Schabas : Sénateur Robichaud, je pense m'être exprimé au début de mon témoignage au sujet de la première version; je pense qu'elle ne constitue pas un pas en avant très important ni une contribution majeure, mais je pense qu'elle a tout de même le potentiel de le faire.

Sur la scène internationale, il y a certainement de la place pour des institutions comme le Commonwealth, qui peuvent faire des contributions utiles. Il y a des relations spéciales liées à l'histoire et des expériences communes qui pourraient être très positives.

Je ne rejetterai pas l'idée, mais je ne mettrais pas non plus de côté le fait que l'utilité ou l'intérêt du Commonwealth, à titre d'institution internationale, pourrait s'effriter. Cela pourrait se passer au cours des prochaines années, mais l'organisation a encore suffisamment d'énergie pour tenter de continuer d'avancer. À l'occasion, de nouveaux membres cherchent à se joindre à l'organisation et à la vision commune qui découle de la culture et des expériences partagées, et dans une certaine mesure de la langue commune, mais on pourrait l'exagérer, et il s'agit d'une organisation étrange.

Je constate que, dans les documents, l'organisation se targue de compter aujourd'hui plus de 2 milliards de personnes au sein du Commonwealth, je suppose, mais plus de la moitié de ces personnes sont en Inde, je pense. Peut- être devrions-nous simplement donner le contrôle à l'Inde, et nous nous y annexerons tous.

Il y a aussi l'étrangeté des dominions, soit le Canada, la Nouvelle-Zélande, l'Australie et ainsi de suite, ainsi que des petits pays qui sont encore sous-développés et qui ont d'autres problèmes semblables, de même que des régimes politiques qui ne se comparent pas aux démocraties modernes qui ont cours dans les anciens dominions développés du Commonwealth. Nous avons également cette étrange relation avec la mère patrie depuis les tout débuts. La mère patrie dirigeait auparavant tout à partir de Londres, et nous avons maintenant d'autres centres qui jouent des rôles très distincts, comme le Canada, l'Australie et d'autres pays.

Cette organisation existe, avec toutes ces possibilités d'agir autrement, mais je pense qu'elle n'a pas décidé si elle irait de l'avant ou devenir de plus en plus marginale et désuète avec le temps.

Le sénateur Robichaud : Si nous devions alors recommander la charte que nous avons devant nous et qui nous a été proposée par le Groupe de personnalités éminentes, sans faire de changements majeurs comme vous l'avez proposé, nous perdrions une possibilité, n'est-ce pas?

M. Schabas : Je pense que nous devons exploiter cette possibilité. Le Groupe de personnalités éminentes a recommandé la charte, mais je ne pense pas qu'il recommande la version de l'Australie. Je pense que nous pourrions appuyer l'idée de la charte, tout en exprimant des réserves à ce sujet si elle se limite à ce que l'on trouve en fait dans la version de l'Australie.

Je pense que vous trouverez les bons mots pour le dire parce que, comme je l'ai mentionné au tout début, l'auteur de la version de l'Australie est une personnalité éminente. Je veux accorder toute l'importance qu'il se doit à sa contribution et à ce qu'il pourrait faire.

Il serait très utile de trouver les bons mots pour indiquer que cette version est en fait seulement un point de départ et qu'elle est inadéquate, si c'est tout ce qu'elle est, ce serait une contribution inadéquate et ça ne vaudrait pas les efforts.

La présidente : L'une des difficultés au Commonwealth, c'est qu'à ses tout débuts, il était composé de l'Australie, de la Nouvelle-Zélande, du Canada, du Royaume-Uni et des autres pays; il y a une distance à l'assemblée parlementaire, où le sénateur Smith et moi avons travaillé pendant de nombreuses années et entre les chefs de gouvernement des démocraties émergentes venant de l'Afrique ainsi que les États insulaires, de même que des démocraties traditionnelles, plus anciennes.

Ne pourrait-il pas s'agir d'une bonne possibilité, peu importe si on parle de charte ou non, de discuter de l'égalité des nations, plutôt que de la dépendance qui existait, et de la question de savoir s'il y a encore cette distance et ses frictions? Dans d'autres pays, on se demande pourquoi c'est un Australien qui s'attribue le mérite d'avoir rédigé la charte. On se demande pourquoi l'auteur ne venait pas de l'un des autres pays, un État insulaire ou l'Afrique? Le sénateur Segal a souligné qu'il y avait un équilibre dans la composition du Groupe de personnalités éminentes.

Il y a des questions concernant l'égalité des nations qui imposent leurs anciennes valeurs aux nouvelles nations, et le message voulant qu'il existe des valeurs universelles ne ressort pas. Y a-t-il une possibilité d'inclure quelque chose au sujet des nouveaux États et de leur égalité, mais également de leurs responsabilités?

M. Schabas : Merci sénateur Andreychuk. Je pense que c'est une idée très intéressante. Peut-être qu'une façon d'aller de l'avant consisterait à exprimer l'idée voulant que nous pourrions demander des versions différentes. Je pense que personne n'a chargé l'Australie de rédiger cette version. S'il est vrai que nous apprécions sa contribution et ses efforts, je pense qu'on peut dire de façon tout à fait légitime que nous pourrions obtenir un résultat très différent. Si on parle de poésie, et si on réunit quatre poètes, ils ne se ressemblent pas; on obtiendrait quatre poèmes différents et des vers différents.

Le sénateur Mahovlich : Vous ne voulez pas d'un comité.

M. Schabas : Non, je sais. Je n'ai jamais entendu parler d'un poème écrit par un comité. Toutefois, si on avait une version de l'Afrique, une d'un État insulaire du Pacifique et une des Caraïbes, on pourrait obtenir des approches très créatives, et ce serait peut-être préférable. Cela constituerait un merveilleux symbole pour le Commonwealth, sans vouloir amoindrir la contribution de l'Australie, si la première version de la charte provenait en fait d'un coin imprévisible du Commonwealth. Je pense que cela aurait le potentiel d'être un résultat très attrayant.

La présidente : Professeur Schabas, vous avez fait exactement ce que je pensais. J'estime avoir été privilégiée puisque j'ai participé à un de vos ateliers ou séminaires. Vous nous avez fait traverser de nombreux domaines que nous avons étudiés, je pense. Vous nous en avez beaucoup donné en peu de temps. J'espère que nous serons en mesure d'honorer votre demande d'étudier la faisabilité de la charte du point de vue canadien, et nous aurons certainement votre vaste connaissance qui nous aidera.

Merci beaucoup.

M. Schabas : Merci.

(La séance est levée.)


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