Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international
Fascicule 10 - Témoignages du 14 mars 2012
OTTAWA, le mercredi 14 mars 2012
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd'hui, à 16 h 17, afin d'étudier, pour en faire rapport, la création d'une « charte du Commonwealth », tel qu'il a été convenu par les chefs de gouvernement des pays du Commonwealth à la réunion tenue à Perth, en Australie, en octobre 2011, ainsi que les implications de cette charte pour le Canada.
Le sénateur A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.
La présidente : Honorables sénateurs, aujourd'hui, le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international poursuit son étude, en vue d'en faire rapport, de la création d'une « charte du Commonwealth », tel qu'il a été convenu par les chefs de gouvernement des pays du Commonwealth à la réunion tenue à Perth, en Australie, en octobre 2011, ainsi que des implications de cette charte pour le Canada.
Tout d'abord, je vous présente mes excuses pour ma voix. Il semble que le printemps ait débuté plus tôt, et la saison des allergies a durement éprouvé ma voix.
Je signale qu'à l'origine, l'avis indiquait qu'un certain M. Fawzi Ghosn devait comparaître cet après-midi, mais il a malheureusement eu un accident de voiture. Nous lui souhaitons un prompt rétablissement.
Nous avons donc eu de la chance de pouvoir parler à un représentant des jeunes. L'examen de la participation des jeunes et de leur point de vue sur le Commonwealth et cette idée de charte fait partie de notre mandat.
M. Adam Foote, représentant la Section jeunesse de la Société royale du Commonwealth, comparaît par vidéoconférence.
Monsieur Foote, avez-vous pu entendre tout ce que j'ai dit?
Adam Foote, membre, Section jeunesse de la Société royale du Commonwealth : Oui.
La présidente : Merci. Vous pouvez donner votre témoignage. Notre façon de procéder consiste habituellement à passer ensuite à des questions et réponses. J'espère que vous avez une déclaration préliminaire. Comme on vous l'a sans doute dit, vous disposez d'environ cinq minutes, après quoi nous passerons aux questions. Vous avez la parole.
M. Foote : Bonjour à tous. C'est un grand honneur pour moi d'avoir l'occasion de vous parler. Je suis un étudiant de deuxième année à l'Université Memorial, à Terre-Neuve, où j'étudie en sciences politiques et en histoire. Je comparais au nom de M. Fawzi Ghosn, qui est dans l'impossibilité d'être présent aujourd'hui. Je vais maintenant lire la déclaration liminaire écrite par M. Fawzi Ghosn et Alicia Swinamer, qui ont travaillé sans relâche à cette initiative.
Bonjour et merci. C'est un honneur pour moi d'être ici. À nouveau, je m'appelle Fawzi Ghosn et je suis un étudiant de quatrième année à l'Université Carleton, où j'étudie en sciences politiques et en droits de la personne. Je suis aussi un jeune membre de la section d'Ottawa de la Société royale du Commonwealth. Je représente ici le point de vue des jeunes sur le Commonwealth et la charte du Commonwealth proposée. J'aimerais vous donner quelques brefs renseignements sur moi et sur comment j'en suis venu à m'intéresser activement au Commonwealth. J'espère que cela vous donnera une meilleure idée de ce en quoi je représente les jeunes aujourd'hui.
Tout a débuté il y a six ans. Je suivais mon cours de géographie en 11e année et mon professeur a brièvement mentionné une conférence qui devait avoir lieu quelques mois plus tard. Cela ne paraissait pas très intéressant, mais j'ai décidé de poser ma candidature et j'ai été accepté comme délégué au 35e Forum national d'étudiants sur le Commonwealth. Cette conférence a déclenché une série d'événements qui m'a conduit jusqu'ici.
En 2010, je me suis retrouvé coprésident du 38e Forum national d'étudiants sur le Commonwealth, qui visait à réunir à Ottawa environ 80 élèves du secondaire provenant de toutes les régions du pays pour un forum d'une semaine qui comprenait un débat au Sénat, une réunion modèle des chefs de gouvernement du Commonwealth, une manifestation humanitaire et bien d'autres choses.
En septembre 2010, je suis allé à Kigali, au Rwanda, grâce au programme NKABOM de leadership chez les jeunes de la Société royale du Commonwealth, qui est axé sur le règlement des conflits et la consolidation de la paix. Nous étions 38 participants en provenance de 35 pays du Commonwealth.
En 2011, j'ai eu l'honneur de représenter la jeunesse canadienne au Forum jeunesse du Commonwealth, qui se tenait en même temps que la réunion des chefs de gouvernement des pays du Commonwealth à Perth, en Australie. Récemment, ma collègue Alicia Swinamer et moi avons fondé conjointement une conférence de deux jours ayant pour thème « MON Commonwealth », dont le but est d'inciter les étudiants de niveau collégial et universitaire ainsi que les jeunes professionnels à s'intéresser activement au Commonwealth. Cette conférence comprendra aussi des séances sur les recommandations du Groupe de personnalités éminentes. Grâce à mon propre engagement, j'en suis venu à bien connaître le point de vue des jeunes sur le Commonwealth. J'ai consulté des jeunes des quatre coins du Canada sur la charte du Commonwealth proposée et j'ai eu l'occasion d'avoir des rencontres informelles avec certains d'entre eux pour obtenir leurs commentaires. Ce que je vous présente aujourd'hui, c'est un point de vue sur le Commonwealth et sur la charte qui est basé sur mon expérience de travail avec des jeunes Canadiens au sein du Commonwealth et sur les consultations que j'ai effectuées récemment.
Dans mes consultations auprès des jeunes Canadiens, les discussions ont davantage porté sur le Commonwealth en général que sur la charte, car j'estime que la charte devrait représenter le Commonwealth et ses principes. Au sujet de la charte, il y avait un consensus général sur le fait que, si on croit vraiment que les jeunes représentent l'avenir du Commonwealth, comme la charte le mentionne, l'article portant sur les jeunes devrait occuper une place plus importante et ne pas être simplement une affirmation vague ou à caractère démographique. Il devrait décrire audacieusement le rôle que les jeunes doivent jouer dans l'avenir du Commonwealth. Les questions que je me posais, comme beaucoup d'autres jeunes, étaient les suivantes : Comment, exactement, la charte donne-t-elle aux jeunes un pouvoir d'action? Quel rôle les jeunes ont-ils à jouer dans le Commonwealth? Nous sommes l'avenir du Commonwealth; nous représentons 60 p. 100 de sa population et, comme l'indique la charte, nous devrions jouer un rôle dans la gouvernance, les institutions et les diverses tribunes du Commonwealth.
Comme nous le savons, le thème du Commonwealth, cette année, est l'établissement de liens entre les cultures. Dans son message à l'occasion du Jour du Commonwealth, Sa Majesté la reine Elizabeth II dit que nous vivons dans un monde technologique et que l'avantage de ce monde est qu'il offre un éventail de possibilités nous permettant de comprendre comment les autres vivent : nous pouvons voir et entendre des gens, et avoir un aperçu de l'expérience de gens qui vivent dans des collectivités et des circonstances très différentes des nôtres. Nous vivons dans un monde Facebook, un monde où il y a aujourd'hui plus de gens sur Facebook qu'il n'y en avait sur l'ensemble de la planète il y a 200 ans, et ces gens peuvent interagir en temps réel et échanger sur des idées, des valeurs et des solutions dans le monde entier. Les jeunes sont innovateurs et passionnés, et ils s'intéressent à bien d'autres choses que les simples « questions touchant les jeunes ». Nous ne voulons pas être mis à part et confinés aux seules « questions qui concernent les jeunes ». Le Groupe de personnalités éminentes avait pour mandat de recommander des moyens de réformer le Commonwealth et de le rendre plus pertinent dans la société d'aujourd'hui. Quel meilleur moyen de revigorer le Commonwealth peut-il y avoir que de donner des pouvoirs d'action aux jeunes? Comme l'indique le passage qui traite de la jeunesse dans le rapport du Groupe, les jeunes jouent un rôle actif sous de multiples formes dans la société; souvent, ils ont plus d'énergie, de créativité et d'idéalisme, et ils sont plus motivés à bâtir un avenir meilleur.
Étant donné que nous sommes jeunes, nous pouvons dire et faire des choses que les générations plus âgées ne peuvent pas dire ou faire. Cela nous permet de parler avec franchise, d'avoir de l'audace, et d'entrer dans des situations et de jeter des ponts là où d'autres ne peuvent pas ou ne veulent pas le faire. Bien des programmes sportifs internationaux montrent comment les jeunes peuvent éliminer des obstacles entre des pays en conflit. Dans le contexte du Commonwealth, quand j'ai participé à la conférence NKABOM au Rwanda, j'ai passé 14 jours avec 38 jeunes des quatre coins du Commonwealth, dont deux délégués de l'Inde et du Pakistan. Nous avons discuté et échangé sur nos expériences personnelles à l'égard des conflits et de la paix, sur les façons dont ces situations nous touchaient dans nos pays respectifs et sur les façons dont nous réagissons à ces problèmes.
Les jeunes estimaient, en ce qui concerne l'article 23 de la charte — selon lequel le silence du Commonwealth n'est pas une option —, que le Commonwealth devrait systématiquement prendre la parole et agir quand les valeurs des droits de la personne, de la bonne gouvernance, de la démocratie et de la primauté du droit ne sont pas respectées dans les pays membres. À ce propos, les jeunes estimaient que le Commonwealth devrait adopter une position plus ferme à l'égard du Sri Lanka et refuser d'y tenir la réunion de 2013 des chefs de gouvernement des pays du Commonwealth jusqu'à ce que ces problèmes soient corrigés.
En ce qui a trait à l'article 20 de la charte — sur le secrétaire général —, les jeunes s'accordaient à dire que le secrétaire général devrait jouer un rôle plus important en faisant la promotion des valeurs du Commonwealth, en exerçant un pouvoir discret et en étant le visage de l'organisation. C'est quand il avait un secrétaire général fort que le Commonwealth a été le plus fort. Le secrétaire général devrait unir les membres du Commonwealth et diriger les efforts visant à respecter les principes de l'organisation.
En ce qui concerne le paragraphe 25.2 — sur l'accroissement des liens —, les jeunes estimaient qu'ils peuvent en faire beaucoup plus en entrant en rapport avec des jeunes de toutes les régions du Canada et de l'ensemble du Commonwealth, en utilisant les technologies et en participant à des échanges. Ainsi, les jeunes sont en faveur d'un corps du Commonwealth tel qu'il a été recommandé par le Groupe de personnalités éminentes. Si je peux donner un bref exemple des possibilités et des avantages de ces liens, quand je participais au Forum jeunesse du Commonwealth en octobre dernier à Perth, j'ai rencontré une jeune femme qui travaille avec les jeunes à risque dans sa collectivité, pour lutter contre la consommation de drogue et prévenir la criminalité. Je vis dans la partie ouest d'Ottawa, dans une collectivité qui s'appelait auparavant Bayshore, mais qui a maintenant pour nom Accora Village. Il y a le Bayshore Youth Council qui œuvre auprès de la population de jeunes et nous faisons face aux mêmes problèmes que cette jeune femme. Le Forum jeunesse du Commonwealth nous a fourni une plate-forme nous permettant d'établir des liens entre deux collectivités qui, espérons-le, entameront un dialogue et échangeront sur leurs idées et leurs préoccupations.
Quelques points généraux : les jeunes estimaient que la charte était trop longue, qu'elle n'était pas inspirante et qu'ils ne voulaient pas ou ne pouvaient pas lire le document en entier sans passer rapidement sur certains articles. Ils s'accordaient aussi à dire que les Nations Unies sont mentionnées beaucoup trop souvent et que le Commonwealth semble presque s'excuser de ne pas être l'ONU. Le Commonwealth devrait avoir suffisamment confiance en ses propres ensembles de valeurs pour être une organisation solide et autonome, et ne pas faire abstraction du fait qu'il travaille avec d'autres organisations.
Au sujet du Commonwealth en général, les jeunes Canadiens estimaient, tout comme moi, que le rapport de la Société royale du Commonwealth sur le « Common quoi? » confirmait que peu de jeunes ont une bonne connaissance ou se soucient du Commonwealth. Cependant, tout comme moi, lorsqu'ils font l'expérience du Commonwealth et qu'ils en deviennent partie intégrante, bon nombre d'entre eux veulent soudain s'y investir. C'est pourquoi il faut accroître l'information et l'éducation sur le Commonwealth. Je vous donnerai un autre bref exemple. Tous les ans, les coprésidents du Forum national d'étudiants sur le Commonwealth ont à prendre des décisions difficiles sur les personnes à intégrer à l'équipe de planification. Habituellement, ils acceptent un maximum de 30 jeunes. Ils reçoivent presque autant de demandes de participation comme membres de l'équipe de planification que de demandes de participation comme délégués. C'est très révélateur! Cela nous montre que le Forum national d'étudiants sur le Commonwealth est un joyau caché et que lorsqu'on le découvre, il suscite de l'intérêt et de la passion, ce qui devient peu à peu plus difficile à trouver chez les jeunes d'aujourd'hui.
De plus, sur le plan de l'éducation, de la promotion et de l'image, les jeunes estiment que si plus de gens étaient informés sur le Commonwealth et ses décisions, comme la suspension d'un membre, l'organisation aurait plus de poids. Par exemple, le but d'une suspension est, en partie, d'embarrasser un pays, mais si le Commonwealth n'est pas perçu comme étant une organisation utile ou de premier plan, ses décisions n'ont pas autant d'influence. Dans ce monde où les ONG et les organisations internationales abondent, si le Commonwealth ne se réforme pas d'une façon qui le rendra unique et significatif dans la société d'aujourd'hui, il finira par devenir non pertinent. C'est pourquoi il est si important de faire participer les jeunes et de leur donner des pouvoirs d'action. Les thèmes des deux derniers Forums jeunesse du Commonwealth étaient « Investir dans les jeunes, soutenir le monde » en 2009 et « Notre Commonwealth, notre avenir » en 2011.
Le Commonwealth a des résonances chez les jeunes en raison de ses valeurs et de ses principes. Les jeunes sont attirés par les idées de démocratie, de droits de la personne, de primauté du droit, de gouvernement responsable, d'établissement d'un consensus et de découverte de solutions positives aux problèmes mondiaux. Nous voyons le Commonwealth comme une plate-forme pour le renforcement des capacités et la prévention, par opposition au simple fait d'être réactionnaire. Nous sommes conscients du rôle que le Groupe d'action ministériel du Commonwealth joue et nous estimons que ce rôle devrait être renforcé. Nous estimons aussi qu'il est précieux que le Commonwealth suspende et réadmette des pays selon qu'ils respectent ou non ses valeurs.
En conclusion, le Commonwealth et les jeunes ont beaucoup de choses en commun. Comme un jeune, le Commonwealth a beaucoup de potentiel. Il se réinvente et il franchit des phases comme la décolonisation, la lutte contre l'apartheid et les changements climatiques. En ce moment, tout comme les jeunes vivent des expériences et bâtissent leur identité, nous discutons de ce que le Commonwealth est et du rôle qu'il devrait jouer. Les jeunes ont des affinités avec le Commonwealth et avec ses valeurs, et ils veulent jouer un rôle plus important dans son façonnement et s'y investir davantage. À nouveau, les jeunes croient qu'il devrait y avoir une charte du Commonwealth, et que cette charte devrait énoncer avec clarté et concision les valeurs et les principes de l'organisation, et accorder une place plus importante aux jeunes et à leur rôle au sein du Commonwealth.
Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de vous parler aujourd'hui et, ce qui est encore plus important, d'avoir voulu vous renseigner sur le point de vue des jeunes. J'estime qu'il s'agit là d'une étape importante en soi, d'autant plus que le Canada, parce qu'il n'a pas de ministre de la Jeunesse, n'a aucun représentant canadien au sein du programme jeunesse du Commonwealth, et n'a donc aucune voix officielle dans le Commonwealth et notre région des Caraïbes. Je serai maintenant heureux de répondre à vos questions.
La présidente : Monsieur Foote, je vous remercie pour votre exposé. Nous éprouvons quelques difficultés techniques. Nous pouvons vous voir comme s'il s'agissait d'une photo de vous, mais nous vous entendons très bien et nous pouvons donc poursuivre.
Merci pour vos commentaires et certaines des observations sur le Groupe de personnalités éminentes en général. La question qu'on nous a demandé d'étudier est la charte proprement dite.
D'une part, vous avez dit qu'à la lecture, la charte ressemblait trop à celle de l'ONU et que le Commonwealth s'excusait presque de ne pas être l'ONU. D'autre part, vous avez dit qu'il devrait y avoir une charte qui énonce les valeurs et les principes du Commonwealth. À votre avis, quelles valeurs et quels principes devraient être énoncés, compte tenu du fait que vous voudriez que la charte soit plus courte? Je suis d'accord avec vous — un document d'une longueur convenable.
Quels devraient être ces valeurs et ces principes, de votre point de vue de jeune?
M. Foote : Fondamentalement, la démocratie, les droits de la personne, la primauté du droit et le gouvernement responsable, avec un accent particulier sur la création du consensus et l'élaboration de solutions positives aux problèmes mondiaux.
La chose sur laquelle nous étions tous d'accord, c'est que les jeunes n'occupent pas une place de premier plan dans la charte. Si les jeunes sont vraiment l'avenir de Commonwealth, nous devons y prendre une part active dès maintenant, parce qu'un jour, dans bien des années, c'est nous qui dirigerons le nouveau Commonwealth.
La présidente : Quand vous dites que bien des gens ne comprennent pas le Commonwealth, qu'est-ce qui rend le Commonwealth unique? Pourquoi l'appuyez-vous? Si vous étiez simplement en train de discuter avec un autre étudiant de votre université qui n'a pas vécu vos expériences, que lui diriez-vous pour expliquer pourquoi le Commonwealth vous importe? Pourquoi pas une autre organisation? Qu'est-ce qui est unique à propos du Commonwealth, à votre avis? Les valeurs et les principes que vous avez mentionnés sont excellents. Je crois que ce sont des valeurs canadiennes; ce sont des valeurs universelles. Toutefois, il y a d'autres organisations qui en font la promotion; assurément, les gouvernements le font.
Qu'est-ce qui vous enthousiasme au sujet du Commonwealth et que vous ne trouvez pas dans une autre organisation?
M. Foote : L'idée de la promotion du consensus par la réunion des chefs de gouvernement des pays du Commonwealth. C'est l'idée toute simple que si l'un d'entre nous n'est pas heureux, personne d'entre nous ne l'est. Cela peut paraître naïf et enfantin, mais dans notre monde qui progresse toujours plus vers la mondialisation, la collaboration semble être un plan d'intervention plus efficace. Je dis que l'idée du consensus est ce qui m'attire particulièrement dans le Commonwealth — et l'idée que des pays peuvent travailler ensemble et élaborer des solutions mutuellement avantageuses.
Le sénateur Wallin : Je vous remercie de nous avoir livré vos vues. Vous avez mis le doigt sur ce que la présidente voulait dire quand vous avez parlé de « Common quoi? » par opposition à « Commonwealth » et de l'attrait que vous avez décrit.
Ce à quoi nous essayons d'en venir, c'est pourquoi vous croyez que ce forum, encore un autre forum international — et, comme beaucoup de témoins nous l'ont dit, qui n'a pas de pouvoir de contrainte lui permettant d'imposer des sanctions face à la mauvaise conduite des pays membres — est nécessaire.
Mon deuxième point, que je me contenterai de lancer, c'est ceci : pour certains d'entre nous, qui sont ici depuis un peu plus longtemps que vous, le consensus est souvent synonyme d'impasse et non de résolution. Puis-je vous demander votre avis sur ces deux questions?
M. Foote : Dans un certain sens, je crois que le consensus peut conduire à une impasse. Toutefois, tant que la conversation reste ouverte et transparente, et qu'il y a des gens qui sont prêts à discuter pour mettre les choses au clair, le consensus peut conduire à une résolution.
Quelle était votre première question, déjà?
Le sénateur Wallin : Nous avons entendu beaucoup de témoignages sur l'établissement d'une charte pour cet organe — peu importe le contenu de la charte. Devrait-il y avoir dans cette charte des pouvoirs de contrainte, des moyens de sanctionner les pays membres dont la conduite ne respecte pas les valeurs et les idéaux dont vous parlez — la charte devrait-elle traiter de cette question?
M. Foote : Personnellement, je crois qu'elle devrait le faire. Récemment, les Maldives ont été suspendues parce qu'elles ne respectaient pas certaines valeurs du Commonwealth. Je crois que ce pouvoir devrait être inclus dans la charte.
Le sénateur Wallin : Comment, alors, la décision serait-elle prise, à votre avis? Il faut qu'il y ait une réunion où l'on se dit : « Le pays X ne respecte pas les valeurs », mais pourtant, vous voulez qu'il y ait un consensus. C'est exactement le problème que nous constatons à l'ONU et dans d'autres tribunes. Il y a soit des vetos, soit l'obligation d'un consensus, et il y a bien peu de gestes concrets qui peuvent être posés.
M. Foote : Oui. C'est un excellent argument. Comme vous le dites, si le pays X doit être suspendu, parviendra-t-on à un consensus? Je ne sais trop comment répondre à votre question.
Je vais demander à Alicia Swinamer est à Fawzi Ghosn de faire un suivi à ce sujet.
Le sénateur Wallin : Très bien.
La présidente : Je voudrais avoir quelques précisions sur votre structure. Vous représentez les jeunes du Commonwealth au Canada. Y a-t-il une structure officielle ou êtes-vous un groupe qui s'est simplement formé sous l'égide de la Société royale du Commonwealth?
M. Foote : À ma connaissance, il n'y a pas de groupe officiel. Nous sommes simplement un groupe de jeunes qui se passionnent pour le Commonwealth, pour ce qu'il représente et pour ses valeurs. À ce que je sache, il n'y a aucune organisation officielle autre que le Forum national d'étudiants sur le Commonwealth, qui informe les élèves du secondaire sur le Commonwealth et qui est parrainé par la section d'Ottawa de la Société royale.
La présidente : S'il n'y a pas d'autres questions — monsieur Foote, vous vous êtes admirablement acquitté de votre tâche en prenant part à ce débat au pied levé et en présentant le document de M. Fawzi Ghosn qui, malheureusement, a eu un accident.
Nous voulions obtenir votre point de vue et nous l'avons obtenu. En tant que jeune, vous nous l'avez très bien exposé. Vous nous l'avez décrit franchement et avec concision. Nous avons parfois des témoins qui mettent beaucoup de temps à aller au cœur des choses, mais vous avez répondu aux questions clés en nous fournissant les renseignements dont nous avions besoin de votre part, et nous vous remercions de nous avoir consacré ce temps.
M. Foote : Merci beaucoup.
La présidente : Sénateurs, notre prochain témoin comparaîtra par vidéoconférence depuis Sydney, en Australie, où il est maintenant environ 8 h 15 le jeudi 15 mars; c'est l'honorable Michael Kirby, ancien juge de la Haute Cour de l'Australie et membre du Groupe de personnalités éminentes. Selon un de nos collègues, M. Kirby est la personne qui en sait le plus sur les chartes et les droits il a pris part à la rédaction de la charte proposée.
Bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international, monsieur Kirby. Je vous présente mes excuses pour ma voix. Nous avons un printemps hâtif et les allergies ont commencé à se manifester. Nous espérons que nous n'entrons pas en communication avec vous à un moment inopportun, à 8 h 15, mais c'était la seule façon dont nous pouvions coordonner notre travail et terminer notre examen dans les délais voulus. Les sénateurs ont eu l'avantage de consulter un CV plus long; je l'ai donc abrégé afin que nous puissions consacrer plus de temps à vos commentaires, et à la période de questions et réponses.
La parole est à vous, monsieur Kirby, et je vous souhaite la bienvenue chez nous depuis Sydney.
L'honorable Michael Kirby, ancien juge de la Haute Cour de l'Australie et membre du Groupe de personnalités éminentes, à titre personnel : Je vous remercie d'avoir voulu recueillir mon témoignage. Il n'est pas tôt pour moi; à 8 h 15, ma journée est déjà à demi terminée. Je me présente devant vous afin d'être utile au comité. À l'instar de témoins précédents — car j'ai lu le compte rendu de certaines de vos audiences — je dirai tout d'abord quelques mots, puis je répondrai aux questions du comité.
Je ne peux pas voir le comité en ce moment; je vois seulement une partie de l'arrière de la salle de réunion du comité. Toutefois, si vous me voyez, je vais commencer.
Quand j'étais enfant, dans les années qui ont suivi immédiatement la guerre en Australie, je fréquentais l'école publique. À mon école publique, en 1949, tous les enfants ont reçu un exemplaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Cet instrument avait été adopté par l'Assemblée générale des Nations Unies en décembre 1948, comme nous le savons. C'est un éminent Australien qui en a officialisé l'adoption : M. H.V. Evatt, qui a par la suite dirigé le Labour Party, mais qui avait aussi été juge à la Haute Cour de l'Australie, comme je l'ai également été. Une fois que nous avons eu le texte en main, nos professeurs nous ont enseigné les valeurs qui étaient exprimées dans la Déclaration universelle des droits de l'homme et l'obligation que nous avions tous, comme membres du genre humain, de rechercher les valeurs communes que nous partagions pour faire en sorte que les terribles souffrances de la Seconde Guerre mondiale, qui étaient alors très présentes à notre mémoire, ne se reproduisent pas. J'ai pu saisir, à un très jeune âge, la valeur et l'efficacité que représentait à l'époque un instrument non justiciable, mais puissant, exprimant ce qui nous unissait en tant qu'êtres humains et définissant, dans ce cas précis, l'un des trois grands buts de l'Organisation des Nations Unies.
Par la suite, pendant les années 1980, j'ai été élu commissaire à la Commission internationale de juristes, à Genève, et j'ai eu le privilège de travailler avec un commissaire canadien à l'époque, John Humphrey. John Humphrey a été l'un des grands avocats de sa génération en droit international, et l'un des plus influents. Pendant nos temps morts, lors des réunions de la commission, John Humphrey me décrivait le travail qu'il avait effectué sous la direction d'Eleanor Roosevelt, durant les premières années de l'ONU, dans le contexte de l'élaboration de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Il me racontait comment il montait à bord de l'autobus à Lake Success, où se trouvaient alors l'Assemblée générale et le secrétaire de l'ONU, et il rédigeait les premiers jets de la Déclaration universelle des droits de l'homme.
Cela m'a transmis le puissant message, également enseigné par V.I. Lénine, que l'ennemi de l'action en ce monde est de ne rien faire et que la page est toujours blanche au début. J'ai ensuite été nommé membre du Groupe de personnalités éminentes; dès notre première réunion, le président du Groupe, Tun Abdulla Ahmad Badawi, ancien premier ministre de Malaisie, nous a demandé si nous devions nous doter d'une charte du Commonwealth. Je me suis donc mis à réfléchir à la teneur d'une telle charte. J'estimais qu'afin d'assurer l'adoption de la charte par les 54 pays membres du Commonwealth, il faudrait se baser sur les déclarations antérieures des chefs de gouvernement des pays du Commonwealth. Ces déclarations sont donc devenues le fondement du document que le comité étudie. J'ai pris l'initiative, comme John Humphrey l'avait fait, d'en jeter les premiers mots sur le papier. Ce ne seront pas les derniers mots, mais j'espère qu'ils aideront le comité et les comités analogues des parlements des autres pays du Commonwealth, ainsi que les fonctionnaires qui travailleront à ce projet, de telle sorte qu'en fin de compte, nous puissions faire au sein du Commonwealth ce qu'Eleanor Roosevelt et son comité, et John Humphrey, ont fait à l'ONU : réunir à l'intention des écoliers, des citoyens — de l'homme de la rue, comme quelqu'un l'a dit au cours d'une séance de votre comité — les valeurs du Commonwealth. Le document qui en résultera sera plus bref que le mien, mais mon document est présenté au comité, et au Commonwealth, comme point de départ.
La présidente : Monsieur Kirby, je crois que vous ne pouvez toujours pas nous voir; est-ce exact?
M. Kirby : Je ne peux pas vous voir, mais je vous entends très bien.
La présidente : Merci. Je demanderai aux sénateurs de s'identifier lorsqu'ils interviendront, afin que vous ayez une idée des personnes qui vous posent les questions. Je donnerai d'abord la parole au sénateur Wallin.
Le sénateur Wallin : Nous sommes enchantés que vous ne puissiez pas nous voir. Nous sommes les jeunes — dirons- nous, mais seulement dans notre propre tête.
Merci beaucoup. Vous nous avez dit que vos mots étaient parmi les premiers, mais qu'ils ne seraient probablement pas les derniers. Avec la perspective qu'apporte même un léger recul, que manque-t-il, à votre avis?
M. Kirby : D'abord, comme je l'ai dit, je crois que le document est trop long pour les fins que j'avais en tête. C'est-à- dire qu'il devrait pouvoir être utilisé pour l'instruction et l'information des citoyens. Je crois qu'il serait possible de commencer à résoudre ce problème en prenant la première ligne ou les premiers segments de phrase de chaque article et en les mettant bout à bout pour voir comment cela s'harmonise.
Quant aux éléments qui manquent, l'un de ceux qui m'intéressent et qui m'importent est de réagir, comme le Groupe de personnalités éminentes a tâché de le faire, aux problèmes particuliers des différences entre les sexes et de l'orientation sexuelle dans les pays du Commonwealth. Ce sont deux domaines dans lesquels bon nombre de ces pays n'ont pas un dossier sans taches.
Cela m'intéressait particulièrement de voir comment le Groupe de personnalités éminentes traiterait la question de l'orientation sexuelle, à cause de ma propre orientation homosexuelle. Je savais que, dans 41 des 54 pays membres du Commonwealth, les anciennes lois britanniques sur la sodomie sont toujours en vigueur. Dans un monde parfait, je crois qu'il serait bon qu'il y ait une disposition précise à ce sujet dans une éventuelle charte. Toutefois, nous devons respecter le rythme auquel le Commonwealth et ses pays membres avancent. Il y a, à l'article 11, l'expression « ou tout autre motif ». Ce passage a été inséré, tout comme il figure dans la Déclaration universelle, afin de permettre à la charte d'évoluer à mesure que le Commonwealth évoluera dans sa conception, en particulier, des questions des différences entre les sexes et de l'orientation sexuelle.
Le sénateur Wallin : Vous avez soulevé un point intéressant. Nous avons demandé la même chose à tous nos témoins, mais puisque vous êtes si étroitement lié à cette question, pourriez-vous nous expliquer pourquoi — car, comme vous l'avez exposé, ce sont des questions modernes complexes qui pourraient susciter des réactions religieuses et politiques de la part de certains pays membres — pourquoi vous estimez que le Commonwealth est l'organisation internationale cruciale au moyen de laquelle il convient de transformer ces attitudes et d'énoncer ces valeurs et ces systèmes? Nous avons tant d'organes internationaux. Pourquoi celui-ci?
M. Kirby : Cet organe, le Commonwealth des nations, se décrit comme un organe fondé sur des valeurs, qui prend les valeurs au sérieux et qui exclut de ses rangs les pays qui ne respectent pas ces valeurs. À cet égard, il est différent des autres organes. Le G-20 ne fait pas cela; le G-8 ne le fait pas; même l'ONU n'exclut pas de pays membres.
J'ai été représentant spécial au Cambodge et je peux vous dire que, pendant plus d'une décennie après la chute du régime de Pol Pot, les Khmers rouges ont siégé à l'ONU sous le nom de Kampuchéa démocratique. En un sens, le Commonwealth est un espoir pour le monde, comme organe qui regroupe le quart de l'humanité, qui aspire à des valeurs et qui dit être fondé sur des valeurs, et comme organe qui devrait être fidèle à ces valeurs. Il devrait les exprimer et il devrait disposer d'un mécanisme faisant en sorte que les pays membres soient fidèles aux valeurs, car sans ces valeurs, le Commonwealth n'a guère de raisons d'exister. C'est pourquoi la charte, en tant qu'instrument exprimant ces valeurs, est vraiment un document fondamental et constitue une recommandation fondamentale du Groupe de personnalités éminentes.
Le sénateur Wallin : Quelles sont les différences entre les valeurs exprimées, auxquelles bien des gens et bien des pays peuvent adhérer, et le militantisme, que, selon l'interprétation de certaines personnes, vos priorités pourraient sous- entendre?
M. Kirby : Le militantisme aux yeux de l'un est une valeur humaine essentielle aux yeux de l'autre. Je me souviens de l'époque où, en Australie, toute action visant à protéger les droits des femmes était qualifiée de militantisme. Je sais d'après ma propre expérience, ayant été témoin du cheminement de la loi et des attitudes sociales dans mon pays, que les changements ne se produisent pas du jour au lendemain, mais les changements peuvent être favorisés par des documents d'aspirations. C'était le rôle de la Déclaration universelle des droits de l'homme et ce l'est toujours, dans un monde imparfait.
Le militantisme en faveur des droits fondamentaux de la personne n'est pas quelque chose dont nous devrions avoir honte et au sein du Commonwealth, organe qui aspire à des valeurs et qui est fondé sur des valeurs, c'est quelque chose dont nous devrions être fiers et que nous devrions favoriser.
Le sénateur Wallin : Merci beaucoup pour cette réponse.
La présidente : Monsieur Kirby, vous dites que le document de l'ONU est un document d'aspirations. Il représente plus que cela, car après son adoption, la Déclaration universelle est devenue une condition d'adhésion à l'ONU. Il fallait accepter ces principes et la Déclaration, mais très rapidement, celle-ci a été suivie de deux instruments qui avaient davantage de pouvoirs de contrainte. Au fil des ans, il y a eu des documents concernant les degrés de conformité. Par exemple, il y a la Convention relative aux droits de l'enfant. La Cour pénale internationale en est issue. Il y a le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il y a le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Pour tous ces instruments, on s'est efforcé d'atteindre le stade de la mise en application. Est-ce là ce que vous avez en tête — si l'on commence par un document d'aspirations, il faut que le processus se poursuive et que cela soit suivi d'un document orienté vers l'action ou d'un document de mise en application? Sinon, les aspirations se transforment en désillusion.
M. Kirby : Je conviens qu'il y a toujours un danger dans les aspirations pures. C'est pourquoi le Groupe de personnalités éminentes a lancé l'idée de la création d'une charge de commissaire à la démocratie, à la primauté du droit et aux droits de la personne. Ce commissaire ferait fonction d'enquêteur chargé d'établir les faits; il irait sur le terrain, il ferait de l'éducation et de la sensibilisation, et il serait la courroie de transmission, même s'il n'avait aucun pouvoir coercitif, pour faire traduire en actes les aspirations de la charte.
Lors de la réunion des chefs de gouvernement des pays du Commonwealth, à Perth, l'idée d'un commissaire n'a pas immédiatement fait consensus, et j'ignore si on parviendra ou non à un consensus à ce sujet. Qu'une charte du Commonwealth puisse, à l'instar de la Déclaration universelle, en venir à inspirer un traité au sein du Commonwealth, n'est pas un rêve impossible, mais il faut d'abord établir un document qui exprime, au nom des peuples du Commonwealth, les valeurs auxquelles les membres du Commonwealth aspirent et adhèrent.
Jusqu'à présent, les valeurs du Commonwealth ont été exprimées par les chefs de gouvernement et ont été, en quelque sorte, transmises selon une approche descendante des chefs de gouvernement à la population, mais ce document servirait en définitive à proclamer que nous, les habitants des pays du Commonwealth qui composons le quart de l'humanité, adhérons à ces valeurs et que nous tenons nos gouvernements, nos assemblées législatives et nos instruments gouvernementaux comptables de leur mise en application.
La présidente : Je vais poursuivre à partir de cette idée, celle d'un document des peuples. Si nous étions dans les années 1970, j'imaginerais fort bien qu'un groupe de personnalités éminentes, puis les chefs d'État puissent établir un document et tenter de diffuser l'information qu'il contient afin de parvenir à un consensus quelconque entre les pays sur le fait que le document reflète véritablement leurs valeurs.
Aujourd'hui, il me semble que, partout où je vais dans le cadre de mes travaux sur la politique étrangère, il y a une réticence de la part des citoyens, qui disent : « Vous ne pouvez pas nous donner un document et dire qu'il parle pour nous. » Je donnerai comme exemple le document du NEPAD, le Nouveau Partenariat pour le développement de l'Afrique; les dirigeants se sont réunis et ont dit : « Nous n'écouterons plus les autres qui nous dictent comment développer nos pays de façon durable; nous allons énoncer des principes. » Les citoyens ont eu une réaction de réticence et ils ont répliqué : « Vous ne nous avez pas consultés. Il n'y a pas eu de référendum. » En fait, le rôle du parlement n'est même pas mentionné ici.
Comment pouvons-nous faire de cette charte une charte des peuples?
M. Kirby : Le processus auquel nous participons présentement, aujourd'hui, fait partie de ce processus global. Une possibilité qui, je crois, a été examinée à la réunion des chefs de gouvernement des pays du Commonwealth à Perth, serait que les chefs de gouvernement adoptent le document parce qu'il témoigne de bon nombre des valeurs qui ont été exprimées au cours des 30 dernières années à l'issue de leurs réunions , mais c'est exactement pour les raisons que vous mentionnez que l'idée a été rejetée et que le processus de consultation a été mis en place.
Si on adopte un point de vue pratique, on ne peut tout simplement pas demander à 2,1 milliards de gens de rédiger un document. Comme le disait V.I. Lénine, il faut d'abord avoir une feuille de papier et le document doit avoir un début. Si le processus de consultation est sérieux, respectueux et efficace, on peut espérer qu'il donnera naissance à un document qui témoignera à tout le moins des valeurs des peuples du Commonwealth.
Je félicite le gouvernement et le Sénat du Canada d'avoir chargé le comité d'examiner la question et, ainsi, de prendre indirectement le pouls de la société canadienne, avec toute sa diversité — aussi diversifiée que l'est la société australienne.
La présidente : Dans le cadre de mes travaux sur la politique étrangère, je passe beaucoup de temps en Afrique. Il y a là- bas une réticence de la part de gens qui disent que cette charte est un code des droits de la personne déguisé. Ce n'est pas un document sur les aspirations qui réunissent les pays du Commonwealth — et ils signalent la Déclaration de Harare — c'est en réalité un code sur les droits de la personne et donc quelque chose qu'on veut imposer.
Que cela soit juste ou non, comment pouvons-nous réfuter cela? En nous en tenant à nos valeurs? En faisant en sorte que le document demeure un énoncé d'aspirations, mais en énonçant également ce qui unit les pays du Commonwealth, car les valeurs énoncées dans les documents du Commonwealth jusqu'à présent se trouvent également dans les documents de l'OTAN et dans tous les autres documents régionaux?
Si ces valeurs sont importantes, et les gens disent qu'elles le sont, pourquoi agir par l'intermédiaire du Commonwealth? Pourquoi établir ce lien entre les pays par le truchement du Commonwealth, alors qu'il y a l'ONU et toutes ces autres organisations? Quelle est la valeur ajoutée du recours au Commonwealth?
M. Kirby : Cette question a été soulevée à Perth durant les discussions entre les chefs de gouvernement. Si je puis le dire, avec respect, c'est une question très juste. Toutefois, si un organe se dit sans cesse fondé sur des valeurs, il faut bien que quelqu'un tente d'exprimer ces valeurs. Malheureusement, c'est nous qui avons été chargés d'essayer de le faire.
Le fait est, je crois, que bon nombre de ces valeurs seront les mêmes que celles contenues dans d'autres instruments, parce que ce sont des valeurs universelles, et nous ne devrions pas avoir honte de tâcher de les exprimer au sein du Commonwealth.
La présidente : Je crois que d'un point de vue politique — nous sommes un comité sénatorial — on dira : « C'est bien, et nous devons saisir toutes les occasions possibles d'exprimer nos valeurs. »
Pour quelle raison les pays du Commonwealth voudraient-ils continuer à former un groupe? Comme vous l'affirmez dans votre rapport, il faut réformer le Commonwealth, sans quoi il deviendra non pertinent. Je parle sans ambages. Quel est l'argument péremptoire que nous pouvons exposer dans un rapport, ou dans un avis au ministre, pour affirmer que le Commonwealth est pertinent, qu'il dispose d'un outil ou qu'il a une caractéristique que ces autres organisations n'ont pas et qu'il est donc un moyen précieux de mettre de l'avant nos valeurs communes?
M. Kirby : Eh bien, le Commonwealth est composé de pays qui en font partie de leur plein gré. Ils ne sont pas obligés d'en rester membres. Ils peuvent quitter l'organisation, mais aucun ne veut le faire, en général. Le Zimbabwe l'a fait il y a un certain temps, parce qu'il risquait de ne pas être accepté par le Commonwealth.
C'est une organisation à participation volontaire et c'est une organisation unique en son genre. Elle réunit le quart de l'humanité. Ce qui est spécial à propos du Commonwealth, à mon avis, c'est qu'il ne fait pas qu'aspirer à ce que nous appelons les droits civils et politiques : il mène aussi une action ferme sur les questions de développement. J'ai pu constater, avant que bon nombre d'entre nous ne le fassent dans les pays occidentaux, qu'en l'absence d'une lutte universelle contre la pauvreté, les déclarations sur les droits universels de la personne ne sont souvent que des paroles. Il faut faire en sorte que l'ensemble de la communauté internationale lutte contre le fardeau de la pauvreté, qui est une sorte d'esclavage moderne que la plupart des gens ne font qu'accepter, comme c'était le cas de l'esclavage au XIXe siècle; en fin de compte, toutefois, le monde a réagi contre l'esclavage. Le monde, espérons-le, réagit et réagira contre la pauvreté et le Commonwealth est l'organisation unique qui regroupe des pays désireux d'en faire partie, qui ont des institutions communes, qui ont l'anglais, d'une façon générale, comme langue commune, qui aspirent à des valeurs communes, mais qui aspirent également à la fois au respect des droits universels de la personne et à une lutte efficace contre les problèmes du développement et de la pauvreté.
La présidente : Merci. Je vais maintenant donner la parole au sénateur Smith.
Le sénateur D. Smith : Aujourd'hui, notre premier témoin était l'étudiant d'université de Terre-Neuve qui, dès qu'il a mentionné les valeurs, s'est élancé à toute vitesse — la démocratie, la primauté du droit, et ainsi de suite. Cela lui a pris 15 secondes.
À propos des droits de la personne, les points que vous avez soulevés concernant les différences entre les sexes et l'orientation sexuelle sont des points valables.
En ce qui concerne la liberté de religion, c'est une question qui m'importe beaucoup. Je me demande si elle ne pourrait pas faire l'objet d'une certaine attention.
Une question qui est pertinente pour les Canadiens est celle des droits des minorités, et en particulier des Autochtones. Je sais qu'un droit à la protection a été énoncé. Je crois qu'il s'agissait de la déclaration de l'ONU de 2001 sur le droit de certaines minorités à la protection.
Avez-vous des commentaires à faire sur ces autres catégories? J'acquiesce à l'idée, que vous avez mentionnée plus tôt, de faire un peu d'élagage au début de certaines phrases, là où nous n'avons que faire des lieux communs et où nous devons aller au cœur des choses fondamentales qui nécessitent la formulation de valeurs.
M. Kirby : Je suis d'accord avec vous, on pourrait commencer tout simplement, pour ainsi dire, en supprimant les mots supplémentaires qui suivent le début. En général, l'idée se trouve dans le début et ce sont ensuite les détails et les exemples qui suivent. Ce serait un exercice utile de voir ce qui en ressort, si les éléments fondamentaux sont présents et si les idées essentielles sont communiquées.
J'attache moi aussi beaucoup d'importance à la liberté de religion. Un grand juge australien, le juge Lionel Murphy, avait coutume de dire que l'article 116 de notre Constitution garantit la liberté de religion et la liberté par rapport à la religion, ce qui avait selon lui tout autant d'importance, ainsi que la liberté de changer de religion, principe qui n'est pas respecté dans certaines parties du Commonwealth.
Il est affirmé à l'article 11 de la charte que nous nous opposons à toute forme de discrimination, qu'elle soit fondée sur la race, l'ethnie, les croyances religieuses, le sexe ou tout autre motif. Il est fait mention des croyances à l'article 11 et, je crois, ailleurs dans la charte. Je pense que la question des peuples autochtones, qui, bien sûr, est très importante pour nous en Australie, est mentionnée quelque part.
Le gouvernement de l'Australie a établi un document en prévision de la réunion des chefs de gouvernement des pays du Commonwealth; j'ignore si les membres du comité en ont pris connaissance. C'est un document qui indique la provenance de chacun des articles et il fournit l'historique de chacun des articles pour qu'on puisse constater que, s'il y a de la verbosité et des généralités, c'est parce que ce sont les formulations que le Commonwealth a utilisées dans le passé. Nous pourrions resserrer le texte en l'abrégeant, à mon avis. Si je reviens à ma propre expérience à propos de la Déclaration universelle, je crois parfois que les textes plus courts sont meilleurs, et je m'attends à ce que le document issu du processus aille dans ce sens.
On m'a demandé de rester en disponibilité au cas où mon aide serait requise par les participants à la réunion qui aura lieu à Londres en avril et qui aura pour objet l'examen du document. Si cela se produit, je vais certainement porter mon attention sur les questions du genre de celles que le sénateur vient de soulever, car elles ont toutes deux de l'importance pour moi et, je crois, pour le monde — la liberté de religion et les libertés des peuples autochtones qui, souvent, ont été trompés à l'époque de l'Empire britannique.
La présidente : La question qui semble être prédominante dans les pays qui forment le Commonwealth est l'égalité d'accès au commerce et aux investissements, et le développement économique semble être à l'avant-plan tout autant que les autres aspects. Il a été signalé, assurément, par bon nombre des pays que s'il n'y a pas de développement économique, de progrès et d'accès aux institutions internationales qui nous régissent, il sera impossible de faire progresser toutes les autres valeurs; ce sont des conditions préalables à la mise en application de ces valeurs. Quel est votre avis à ce sujet?
M. Kirby : Je suis entièrement d'accord, et cette idée est reflétée dans certaines des aspirations. Nous estimions que l'intensification du commerce, étant donné que nous avons en commun la langue anglaise et des institutions très semblables, engendrerait des gains économiques dans les échanges commerciaux entre les pays du Commonwealth. C'est un élément que lord Howe, le ministre du Royaume-Uni, a souligné à maintes reprises aux membres du comité. Il y a des indications, comme le mentionne le rapport du Groupe de personnalités éminentes, d'une croissance notable du commerce international entre les pays du Commonwealth; toutefois, il y a aussi d'autres indications qui laissent plutôt penser que les échanges se passent entre les pays les plus riches ou les plus développés du Commonwealth, plus l'Inde.
J'acquiesce tout à fait à l'observation du sénateur. Nous devons nous assurer, sans ressusciter le statut préférentiel de l'époque impériale, que les institutions et les lois des pays du Commonwealth facilitent et encouragent ce commerce. Ce sera le principal moyen de s'attaquer au problème de la pauvreté. Ce problème ne pourra pas être résolu uniquement au moyen des subventions des organismes d'aide; il sera résolu dans les pays en cause par des économies plus efficaces.
La présidente : Il y a un autre sujet sur lequel nous aimerions avoir votre avis : vous parlez des chefs d'État et des populations, mais le parlement est aussi, souvent, un élément clé de la promotion des valeurs des droits de la personne. Par conséquent, ne devrait-on pas mettre davantage l'accent sur le rôle des parlements dans les sociétés libres et démocratiques? Si le Commonwealth adhérait à cette idée, cela rendrait-il un grand service aux peuples qui font partie du Commonwealth?
M. Kirby : Nous le reconnaissons certainement. L'un des problèmes posés par les réunions des chefs de gouvernement et les déclarations convenues entre les chefs d'État est qu'en général, c'est le pouvoir exécutif qui parle et cela occulte l'une des institutions qui sont au cœur de l'existence du Commonwealth, c'est-à-dire l'assemblée législative démocratiquement élue.
Dans la section sur les valeurs du Commonwealth, à l'article 9, nous reconnaissons qu'il est important de maintenir l'intégrité des fonctions distinctives des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. C'était une façon de tenter d'exprimer dès le début de l'élaboration de cette charte que les fonctions distinctives du pouvoir législatif, placé en tête des trois pouvoirs, doivent être respectées et maintenues. J'acquiesce à ce qui a été dit.
D'autre part, ce document est constitué d'extrait de déclarations antérieures des chefs de gouvernement et les références au pouvoir législatif n'ont pas été très fortes dans le passé. Peut-être devraient-elles être renforcées dans le document qui sera issu du processus, mais il faudra qu'elles franchissent le cap de l'approbation des chefs de gouvernement.
La présidente : Si on ne parvient pas à élaborer une charte et à la soumettre aux populations, il semble qu'il serait utile à certains égards de soumettre cette charte à l'échelon parlementaire, là où il y a des opinions différentes — les membres de l'opposition. Je sais que beaucoup de pays d'Afrique se sont engagés dans un processus de renouvellement constitutionnel. Les citoyens du Kenya, par exemple, se sont vu présenter une Constitution qu'ils ont examinée pendant un certain temps et ils ont voté pour éviter de laisser à d'autres la responsabilité de reconnaître quelque chose en leur nom, ce qui aurait pu être un piège. Ne pourrait-on pas, au lieu de cela, laisser la consultation suivre son cours — non pas sous sa forme actuelle, mais lorsque la charte aura été parachevée, et déposer cette charte devant les parlements, et peut-être la faire approuver par eux?
M. Kirby : Je suppose qu'il s'agit d'une décision qui serait prise conformément aux pratiques et à la volonté de chacun des pays membres. Certains pays pourraient emprunter cette voie et d'autres pourraient procéder différemment. Bien sûr, je suis conscient du fait qu'une façon d'empêcher une action donnant suite au rapport du Groupe de personnalités éminentes serait d'instituer une commission royale d'enquête ou un autre mécanisme d'examen de la question, ou de reporter la prise de mesures. Aujourd'hui, en Australie, ce sont les ides de mars — on pourrait envisager de reporter tout cela aux calendes grecques.
Malheureusement, si nous ne prenons pas l'initiative, nous n'aurons pas beaucoup de temps. Le Commonwealth fait face à certains dangers et je crois, sans vouloir vous manquer de respect, que s'il devait disparaître, ce serait une grande tragédie pour l'humanité, car il n'y a pas beaucoup d'organes dont les membres ont autant de points communs, dont les membres veulent se regrouper et où les chefs de gouvernement se parlent directement les uns aux autres et pas seulement par l'entremise de leurs délégués. Le Commonwealth regroupe des pays, riches et pauvres, gros et petits, répartis sur tous les continents, qui représentent 2,1 milliards d'habitants. C'est un phénomène unique et nous devrions le doter de quelques institutions additionnelles pour le rendre plus conforme à sa nature d'organisation fondée sur des valeurs.
Le sénateur Wallin : Le sénateur Andreychuk a fait surgir une question dans sa dernière intervention, car si les populations ou les parlements des pays membres n'approuvent pas la charte, quelle est l'autorité morale de celle-ci? Dans un tel cas, le secrétariat pourra-t-il faire respecter les valeurs énoncées ou appliquer un pouvoir de contrainte — je déteste utiliser cette expression — si la charte ne bénéficie pas d'un soutien populaire ou politique ou si elle n'a pas été ratifiée?
M. Kirby : C'est toujours le problème qui se pose en droit international et dans les institutions internationales. La Déclaration universelle n'a pas été soumise à un référendum dans tous les pays membres de l'ONU, pas plus que le Pacte sur les droits économiques, sociaux et culturels, le Pacte sur les droits civils et politiques ou la Convention relative aux droits de l'enfant. Il faut faire confiance à ses propres institutions pour qu'elles examinent ces questions dans la sphère internationale et chaque pays procédera d'une façon légèrement différente.
J'applaudis et je rends hommage au sérieux avec lequel le Parlement du Canada, le Sénat du Canada, se penche sur cette question. J'espère que des processus semblables sont en cours dans les autres pays du Commonwealth. Je sais qu'il y en a eu un au Royaume-Uni. Personnellement, je me suis grandement efforcé de consulter le gouvernement et l'opposition ainsi que les principaux partis représentés au Parlement de l'Australie, en raison du respect que je porte à l'institution parlementaire et à notre façon de faire les choses en Australie. J'espère que cela se passe dans tous les pays du Commonwealth.
La présidente : Monsieur Kirby, le temps nous presse. Le Parlement a modifié ses règles et son horaire et nous devons mettre un terme à notre réunion un peu plus tôt pour satisfaire aux besoins du Parlement. C'est un défi constant, ici, au Canada.
Votre nom a été associé à la déclaration proposée et on a dit que vous êtes la source d'inspiration de ce document; et nous sommes très heureux que vous ayez pu nous consacrer un peu de temps malgré votre calendrier très chargé. Nous avons essayé de vous joindre dans plusieurs pays, pour enfin vous trouver à votre retour en Australie. Nous vous remercions de vos conseils et vos points de vue. Je dois dire que votre passion pour les droits de la personne et pour le travail que vous faites nous incite fortement à remplir notre engagement. Nous espérons le faire au sein de notre comité.
Personnellement, j'ai été enchantée que vous comparaissiez. C'est assurément la première fois que j'ai le plaisir de contre-interroger un ancien juge de la Haute Cour de l'Australie. Je crois qu'on ne m'a jamais accordé ce droit au Canada et c'était un autre défi que vous me posiez.
Je vous remercie beaucoup de votre participation. Nous espérons que des éléments de notre rapport et de notre avis à notre ministre des Affaires étrangères ainsi qu'à la communauté du Commonwealth, ici au Canada, auront des résonances pour vous.
Merci, monsieur Kirby.
M. Kirby : Merci, madame la présidente, et je rends hommage au peuple canadien, au Parlement du Canada et à la mémoire de John Humphrey, qui fut un très grand Canadien. Je crois que s'il avait été ici, il aurait dit les mêmes choses que moi.
La présidente : Et il aurait peut-être ajouté : « Attelez-vous à la tâche. »
Merci.
(La séance est levée.)