Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international
Fascicule 14 - Témoignages du 3 octobre 2012
OTTAWA, le mercredi 3 octobre 2012
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international, auquel a été renvoyé le projet de loi S-10, Loi de mise en œuvre de la Convention sur les armes à sous-munitions, se réunit aujourd'hui, à 16 h 42, pour l'étudier le projet de loi.
Le sénateur A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Honorables sénateurs, le sénateur De Bané et le sénateur Finley viennent tout juste d'arriver, alors nous sommes au grand complet.
Avant que nous commencions nos délibérations, j'aimerais préciser que le photographe du Sénat a demandé la permission de prendre des photos de notre comité durant ses travaux.
Monsieur le ministre, vous arrivez ici la bonne journée, alors vous pourriez vous retrouver sur l'une des photos du Sénat. Si vous les voyez, sachez qu'elles sont conformes au Règlement du Sénat. J'ai vérifié, puisque je suis allergique aux photographes. Ils m'ont assurée que c'était conforme à notre règlement et qu'on faisait la même chose avec tous les comités.
Je tiens à remercier les honorables sénateurs de s'être libérés à 16 h 45.
Nous sommes le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international. Nous examinons aujourd'hui le projet de loi S-10, Loi de mise en œuvre de la Convention sur les armes à sous-munitions. Le premier témoin que nous accueillons dans le cadre de notre étude est l'honorable John Baird, C.P., député, ministre des Affaires étrangères et du Commerce international.
Je ne lirai pas de biographie. Notre processus ici veut que nous consacrions le plus de temps possible à votre déclaration préliminaire, monsieur le ministre, et que nous donnions la chance aux sénateurs de vous poser des questions. Vous êtes bien connu pour votre travail. Nous sommes ravis que vous remplissiez vos fonctions avec autant d'ardeur. Vous avez probablement parcouru une plus longue distance que d'autres ministres l'ont fait, et dans un très court laps de temps. Vous connaissez maintenant très bien votre portefeuille. Nous vous souhaitons la bienvenue. Nous allons continuer de travailler avec vous, puisque vous nous avez déjà renvoyé, pour étude, deux questions importantes pour les Canadiens, c'est-à-dire la question de la charte du Commonwealth et l'étude sur l'Iran.
Nous vous assurons que nos relations de travail sont bonnes et continueront de l'être. Nous vous savons gré de la confiance que vous témoignez au comité en travaillant avec lui.
Monsieur le ministre, vous êtes accompagné de quelques collaborateurs. Je vais vous laisser nous les présenter et faire votre déclaration préliminaire. Nous passerons ensuite à la période de questions. Bienvenue.
L'honorable John Baird, C.P., député, ministre des Affaires étrangères : Merci beaucoup.
Honorables sénateurs, c'est un privilège pour moi d'être ici. Je tiens à remercier tous les honorables sénateurs pour l'excellent travail qu'ils font en matière de politique étrangère et de commerce international. Ce travail est très apprécié par ceux d'entre nous qui siègent à l'autre endroit, par le gouvernement et par les Canadiens.
Le 25 avril, notre gouvernement a réitéré l'engagement pris par le Canada de réduire l'impact des conflits armés sur des civils innocents, en déposant un projet de loi pour la mise en œuvre de la Convention sur les armes à sous- munitions. Il s'agit d'une étape importante et nécessaire qui nous rapproche de la ratification de la convention. Le Canada est depuis longtemps un chef de file international pour ce qui est de protéger la population civile contre l'utilisation des armes conventionnelles qui tendent à frapper sans discrimination, puisque nous avons vu les conséquences désastreuses de cette utilisation.
Le Canada est fier de participer à l'effort international visant à éliminer les armes à sous-munitions, des armes que le Canada n'a jamais produites ni utilisées dans le cadre de ses opérations militaires même s'il en existe certaines quantités.
Notre gouvernement est fier d'avoir participé activement aux négociations de la Convention sur les armes à sous- munitions, et le Canada a été l'un des premiers pays à la signer en 2008. Il s'agit d'un traité international qui compte 111 pays signataires.
À notre avis, le traité final établit un équilibre délicat entre les considérations d'ordre humanitaire et le fait de permettre aux États parties de préserver leurs propres intérêts en matière de défense et de sécurité nationales. Ce traité ne marque pas la fin des efforts internationaux visant à interdire les armes à sous-munitions. Il nous permet plutôt de nous rapprocher de cet objectif. Les Canadiens peuvent être fiers de notre rôle à cet égard.
[Français]
Le projet de loi S-10, Loi de mise en œuvre de la Convention sur les armes à sous-munitions, permet de mettre en œuvre tous les engagements nécessitant l'adoption de mesures législatives au Canada et est conforme à l'engagement de nos principaux alliés, notamment l'Australie et le Royaume-Uni.
Bien que le projet de loi ne touche que les parties de la convention qui nécessitent l'adoption de mesures législatives internes, le Canada respectera toutes ses obligations grâce à diverses méthodes que j'aborderai plus loin.
[Traduction]
La convention implique un certain nombre d'obligations pour le Canada en tant que signataire. L'une d'entre elles exige que chaque État impose aux personnes qui relèvent de sa compétence les mêmes interdictions qui s'appliquent aux États parties eux-mêmes. C'est pourquoi le projet de loi S-10 établit une série d'interdictions et d'infractions criminelles ainsi que les définitions techniques nécessaires aux enquêtes et aux poursuites. Il contient des exclusions partielles à certaines interdictions, lorsqu'il s'agit d'une utilisation à des fins légitimes et autorisées, comme la recherche et la formation à des fins de défense, les transferts d'armes en vue de leur destruction et la collaboration entre des États parties et des États qui ne sont pas parties à la convention. Ces exceptions se reflètent aussi dans les infractions criminelles prévues par la loi.
Nous croyons qu'il est essentiel que nos militaires ne soient pas injustement accusés de conduite criminelle et qu'ils ne soient en aucune façon compromis dans l'exercice de leurs fonctions, lorsqu'ils font ce que nous leur demandons de faire dans l'intérêt de la sécurité et de la défense nationales.
À l'instar de la convention, la loi interdit l'utilisation, le développement, la fabrication, l'acquisition, la possession, le transfert à l'étranger, l'importation et l'exportation d'armes à sous-munitions et interdit à quiconque d'aider ou d'encourager une personne à commettre un acte interdit, de lui conseiller de le faire, de tenter de commettre un tel acte ou de comploter dans ce sens.
Certains termes précis de la loi peuvent différer du libellé de la convention elle-même. C'est simplement qu'il a fallu traduire le traité multilatéral dans le langage juridique canadien de manière à tenir compte de la Charte canadienne et des autres normes législatives, à des fins de clarté et de certitude pour les tribunaux canadiens. Par exemple, bien que la convention comporte une interdiction sur le stockage, l'expression « moins de » renvoie à la possession, un terme utilisé en droit criminel au Canada. Cette traduction est normale quand un traité doit être intégré aux lois d'un pays.
L'un des aspects les plus débattus et, je dois le reconnaître, les plus controversés de la convention a trait à l'article 21, qui permet spécifiquement aux États parties de s'engager dans une coopération et des opérations militaires avec des États qui ne sont pas parties sans manquer à leurs obligations. Au cours des négociations, il a été reconnu que les États n'allaient pas tous adhérer immédiatement à la convention et que les opérations militaires multilatérales étaient essentielles à la sécurité internationale. Ce n'était pas seulement la position du Canada, mais celle d'autres pays. L'article 21 devait être inclus pour que d'autres se rallient.
[Français]
Le projet de loi qui est devant vous comporte des exceptions qui permettront au Canada de prendre part à ces opérations militaires conjointes et coopérer avec des États non parties à la convention. Il fournit également aux membres des Forces canadiennes, et aux civils qui travaillent avec eux, l'assurance qu'ils ne seront pas tenus criminellement responsables des gestes et des choix des États non parties à la convention dans le cadre de leurs fonctions. Le projet de loi S-10 permet ainsi au Canada de continuer de collaborer avec ses alliés.
[Traduction]
Néanmoins, dans un contexte de collaboration militaire, la convention réitère que les États parties ne peuvent s'engager dans les activités spécifiées qui relèvent pleinement de leur contrôle. Le projet de loi S-10 élargit ce principe au droit canadien. Il sera interdit aux Forces canadiennes elles-mêmes d'utiliser des armes à sous-munitions dans le cadre de leurs opérations. Elles ne peuvent demander leur utilisation si le choix des munitions est sous leur contrôle exclusif, même dans le contexte d'une opération militaire conjointe. Ces exceptions ne s'appliquent que lorsque les Forces canadiennes coopèrent avec d'autres qui peuvent encore posséder et utiliser légalement des armes à sous- munitions. Ces actes ne relèvent pas du contrôle exclusif du Canada. Il pourrait s'agir, par exemple, d'un soldat ou d'un officier en détachement auprès d'une force militaire d'un État non partie. Ces exceptions sont conformes à la convention de même qu'au droit canadien. Les Canadiens ne sont pas tenus criminellement responsables des actes ou des décisions d'autres personnes.
Comme je l'ai déjà mentionné, le projet de loi S-10 ne fait que satisfaire aux exigences en matière de législation que nous impose la convention. Outre le projet de loi S-10, les Forces canadiennes, dans le cadre de leur politique, interdiront à leurs membres qui sont en détachement auprès des forces alliées d'utiliser eux-mêmes des armes à sous-munitions à des fins d'entraînement ou pour enseigner l'utilisation directe de ces armes. Les Forces canadiennes interdiront aussi, dans le cadre de leur politique, le transport des armes à sous-munitions à bord des véhicules canadiens.
Honorables sénateurs, même avant le dépôt de ce projet de loi, notre gouvernement a pris des mesures concrètes pour respecter ses engagements dans le cadre de la Convention sur les armes à sous-munitions.
Les Forces canadiennes ont entrepris de détruire toutes leurs armes à sous-munitions, et les dernières quantités qui leur restaient ont été retirées des stocks opérationnels et marquées en vue de leur destruction.
Nous faisons déjà activement la promotion de l'universalisation et de la mise en œuvre de la convention auprès de nos partenaires internationaux et nous continuerons de le faire.
Enfin, le Canada fait depuis toujours partie des principaux donateurs internationaux dont l'argent sert à atténuer l'impact des explosifs résiduels de la guerre, y compris des armes à sous-munitions. Toutes ces activités ont cours indépendamment du projet de loi que vous avez devant vous.
Notre gouvernement maintient son engagement envers les objectifs de la Convention sur les armes à sous-munitions et continuera de prendre les mesures nécessaires pour respecter ses obligations en vertu de la convention.
La loi visant l'interdiction des armes à sous-munitions nous permet de mettre en œuvre toutes nos obligations en matière de législation tout en maintenant notre capacité de mener des opérations et de collaborer avec nos plus proches alliés qui n'ont pas encore adhéré à la convention.
Je crois que le projet de loi S-10 établit un bon équilibre entre les considérations d'ordre humanitaire et la protection de nos militaires.
Cela étant dit, je serai ravi d'entendre vos commentaires et de répondre à vos questions.
La présidente : Merci beaucoup, monsieur le ministre.
Le sénateur Hubley : Merci beaucoup, madame la présidente, et merci de m'accueillir aujourd'hui au sein du comité. Je remercie également le ministre et ses représentants.
Vous avez expliqué clairement que la Convention sur les armes à sous-munitions peut réduire considérablement la souffrance humaine dans le monde entier. Comme l'a mentionné ma collègue, 98 p. 100 des victimes des bombes à dispersion sont des civils, et la plupart des blessures et des décès se produisent une fois le conflit terminé.
La convention vise à interdire l'utilisation des bombes à dispersion en tout temps. Le Canada adhère aux objectifs de cette convention. Il a été l'un des premiers pays à la signer, comme vous l'avez mentionné, et il l'a toujours appuyée fermement. Le temps est maintenant venu de ratifier la convention.
Cela dit, j'aimerais mentionner que le projet de loi S-10 fait une interprétation élargie de l'article 21 et permet aux Forces canadiennes de s'engager avec des bombes à dispersion, de commettre des actes qu'elles ne seraient jamais autorisées à commettre au pays ou dans le cadre d'une mission canadienne. Par exemple, l'alinéa 11b) du projet de loi permet à un commandant canadien de demander expressément aux forces armées des États-Unis ou d'un autre État qui n'est pas partie à la convention de larguer une bombe à dispersion.
Le ministre peut-il expliquer pourquoi l'article 11 et, plus particulièrement l'alinéa 11b), a été inclus dans le projet de loi et nous dire s'il croit que cet article est conforme à l'esprit de la convention et à son objectif, qui est d'interdire l'utilisation des armes à sous-munitions?
M. Baird : Évidemment, les Forces canadiennes n'ont jamais utilisé d'armes à sous-munitions. Nous ne le ferons jamais en vertu de cette convention. Un petit nombre de militaires canadiens sont en détachement ou participent à des entraînements avec quelques-uns de nos alliés, en particulier les États-Unis. Par exemple, trois commandants adjoints canadiens travaillent présentement aux États-Unis. Avant de devenir Chef d'état-major de la Défense, le général Natynczyk avait été commandant adjoint d'un groupe d'environ 60 000 militaires.
Évidemment, c'est tout un défi lorsque vous avez une interopérabilité et que certains de vos militaires sont détachés auprès d'autres forces qui n'acceptent pas les mêmes responsabilités que le Canada. C'était le cas, par exemple, en Yougoslavie, lorsque les Forces canadiennes étaient là-bas et que d'autres pays utilisaient des bombes à dispersion dans le cadre de la mission menée par l'OTAN. En Afghanistan, ces bombes ont été utilisées notamment par les Américains au début du conflit, et un peu moins de 100 Canadiens travaillaient aux côtés de ces troupes. Ce n'est pas possible, dans le cadre de nos règles d'engagement, de mettre les Forces canadiennes sous la menace d'enfreindre le Code criminel si ces bombes étaient utilisées.
Le sénateur Hubley : Je ne suis pas une experte militaire, mais je comprends que si le Canada présente ses conditions à sa participation à un conflit, comme vous l'avez mentionné, on saura très bien qu'il a signé la Convention sur les armes à sous-munitions. Ce sera ses conditions d'engagement, et il ne pourra pas participer à leur utilisation. Il ne pourra pas les utiliser. Ce sera une condition qui sera acceptée par les États-Unis et par les autres pays si, en fait, le Canada participe à une opération militaire conjointe.
M. Baird : Dans certains cas, les forces américaines font une faveur aux Forces canadiennes en permettant à un officier supérieur d'être commandant adjoint d'une force de 60 000 soldats. Si nous leur disions simplement : « Voici toutes les questions qui se posent par rapport aux décisions que le Canada a prises à l'égard de ses pouvoirs souverains », je ne suis pas certain qu'ils seraient prêts à suivre toutes nos règles si un membre des Forces canadiennes travaillait avec 60 000 militaires américains, ou si un soldat canadien avait participé à une mission conjointe, dans une zone de guerre, durant le conflit en Irak. Sous le gouvernement précédent, un petit nombre de militaires canadiens avaient été détachés auprès des forces américaines lors de la guerre en Irak. S'ils avaient été attaqués au sol, dans le désert, et avaient demandé un appui aérien pour les protéger et sauver leurs vies, ils n'auraient pas pu, dans ces circonstances, dire : « Excusez-moi; cet avion qui vient à mon secours, quel type de munitions va-t-il lancer? » Je ne voudrais pas que ce soldat se retrouve dans une position où il aurait à enfreindre le Code criminel du Canada. Nous parlons ici d'un très petit nombre de personnes. Comme je l'ai mentionné, une centaine de membres des Forces canadiennes seraient présentement détachés auprès des forces américaines, par exemple.
Le sénateur Hubley : Je pourrais mentionner le général à la retraite Bouchard, qui n'a jamais utilisé d'armes à sous- munitions. Je crois qu'il s'opposerait à leur utilisation dans toutes les circonstances. Il a pu diriger une mission conjointe sans jamais avoir ressenti la nécessité de les utiliser. Je crois qu'il y a peut-être des exemples de part et d'autre.
Je voulais aborder un autre sujet. Vous avez parlé de l'équilibre délicat et je comprends que c'est très important. Je suis certaine que la question a été vivement débattue à Oslo pour qu'on en arrive à la Convention sur les armes à sous- munitions. Je crois que j'invoquerais la clause sur l'interopérabilité qui est incluse. Le Canada était en faveur de cela et a travaillé dans ce sens. Nous prendrions l'article 21, je crois, qui est la clause sur l'interopérabilité.
La convention elle-même préconise l'équilibre entre la sécurité et l'humanitarisme; je suppose que ce serait les termes à utiliser. Voici ma question. Si nous examinons les dispositions du projet de loi S-10, surtout l'article 11, il est important de noter qu'on fait mention de presque toutes les exceptions imaginables, si bien qu'on finit par autoriser l'utilisation des armes à sous-munitions dans presque toutes les circonstances. Qu'en pensez-vous?
M. Baird : Le Canada, en tant que pays souverain, prend la décision de ne pas les utiliser. Par ailleurs, le Chef d'état- major de la Défense émettra une directive à cet effet.
Nous sommes membres de l'OTAN. Plusieurs pays membres de l'OTAN n'ont pas adhéré à la convention : les États-Unis, l'Estonie, la Grèce, la Lettonie, la Pologne, la Roumanie, la Slovaquie et la Turquie. Il y a quelques heures à peine, la Turquie s'est fait attaquer par les forces syriennes. Cinq citoyens turcs, dont un enfant de six ans, ont été tués il y a quelques heures, et 12 personnes ont été blessées. La Turquie n'a pas signé la convention. Bien entendu, dans le contexte de l'OTAN, le Canada demeurera un partenaire pour les huit pays non signataires. Nous espérons faire preuve de leadership, c'est-à-dire signer la convention, la ratifier et la mettre entièrement en œuvre. Nous osons espérer qu'un jour, le reste de ces pays envisageront de suivre notre exemple et celui des 110 autres pays.
Le sénateur Hubley : J'aimerais revenir au projet de loi S-10. Les interdictions sont énoncées à l'article 6, mais quand on passe à l'article 11, on lit ceci :
L'article 6 n'a pas pour effet d'interdire à la personne visée [...] dans le cadre de la coopération militaire ou d'opérations militaires combinées mettant en cause le Canada et un État non partie à la Convention...
Et voici le premier point :
de diriger ou d'autoriser des activités pouvant comporter l'utilisation, l'acquisition, la possession, l'importation ou l'exportation d'armes à sous-munitions, de sous-munitions explosives ou de petites bombes explosives par les forces armées de cet État, ou leur déplacement par ces dernières d'un État ou d'un territoire étranger à un autre avec l'intention de transférer le droit de propriété et le contrôle sur celles-ci;
On lit ensuite : « d'utiliser, d'acquérir ou de posséder [...] ». De nombreux passages à l'article 11 posent problème et suscitent des inquiétudes. Cette disposition semble diminuer la force de la convention.
Comme je l'ai peut-être mentionné dans ma première question, conformément à l'esprit de la convention, le but était d'interdire l'utilisation des armes à sous-munitions.
Je me demande si vous pourriez nous expliquer la nécessité d'avoir une portée si vaste. Nous n'avons jamais utilisé d'armes à sous-munitions, et voici que maintenant nous avons plein d'occasions ou de situations possibles. L'article 11 comporte une exception qui, semble-t-il, nous permettrait de les utiliser. C'est très inquiétant. Qu'en pensez-vous?
M. Baird : J'aimerais réfuter d'entrée de jeu l'argument selon lequel cette disposition diminue en quelque sorte la force de la convention et va, de quelque manière que ce soit, à l'encontre de celle-ci. On a toujours su très clairement, tant durant la négociation qu'à la signature, et maintenant à l'étape de la ratification, que la convention prévoyait cette exclusion. Ce n'est pas une surprise : cela fait partie de la convention. Cet article n'atténue pas la force de la convention parce qu'elle en fait partie intégrante.
Le Canada, à l'instar de bien d'autres pays, a accepté que cette disposition soit incluse dans la convention. À mon avis, cela permet à un plus grand nombre de pays d'adhérer à la convention. Soyons bien clairs : la convention porte sur des choses qui relèvent de notre contrôle exclusif, et ce ne serait pas le cas.
Le sénateur Hubley : Je comprends la nécessité d'avoir l'article d'interopérabilité. Cela reflète la réalité. Le Canada participera à des opérations combinées; il est donc important d'inclure une telle disposition. À mon avis, il y a pourtant lieu de craindre que le libellé crée en même temps une échappatoire, selon la façon dont on l'interprète.
En tout cas, c'est ainsi que je l'interprète : le nombre d'exceptions dépasse de loin l'intention de la convention.
M. Baird : Ne vous en déplaise, mais je ne suis pas d'accord. Je crois que cette exclusion était très claire, au fur et à mesure que la négociation de la convention avançait. Certains pays étaient d'accord, alors que d'autres ne l'étaient pas. Dans le domaine de la diplomatie, quand vient le temps de mobiliser 111 pays pour adhérer à une convention, il faut miser sur l'art du possible, plutôt que l'art de la perfection.
Aimerions-nous que l'ensemble des 193 pays membres de l'ONU adopte la convention pour que nous n'ayons pas besoin de cet article? Tout à fait. Espérons-nous que ce sera le cas un jour? Absolument. Mais d'ici là, nous devons être réalistes. Dans le cadre de notre coopération militaire actuelle, c'est-à-dire de nos obligations envers l'OTAN, une poignée de militaires, soit moins de 0,001 p. 100 des Forces canadiennes, sont détachés ou participent à des missions de formation avec des pays non parties à la convention. Vous dites que cela représente une échappatoire. Quant à moi, je pense que cela reflète la réalité : ce n'est pas tout le monde qui adopte une position progressiste comme le Canada dans ce dossier.
Le sénateur Hubley : Si c'est le cas, pourquoi alors un commandant canadien exigerait-il l'utilisation d'une arme à sous-munitions?
M. Baird : Il était un commandant adjoint, et c'est son commandant qui lui en avait donné l'ordre.
Le sénateur Hubley : Son commandant était de quelle nationalité?
M. Baird : Par exemple, il y a actuellement trois commandants adjoints canadiens qui travaillent avec les États-Unis. L'un d'eux est commandant adjoint du IIIe Corps à Fort Hood, au Texas. L'autre est commandant adjoint du Ve Corps déployé auprès de la FIAS, en Afghanistan. Le dernier est commandant adjoint à Fort Benning, en Géorgie. Si leurs commandants donnaient la consigne, c'est parce qu'ils sont des commandants adjoints. Nous n'utiliserions pas ces armes nous-mêmes. Ce serait les forces américaines.
Le sénateur Hubley : Le commandant aurait donc été un Américain; est-ce bien ce que vous dites?
M. Baird : Oui.
Le sénateur Hubley : Le commandant adjoint serait-il un Canadien?
M. Baird : Exactement.
Le sénateur Hubley : Sachant que le commandant adjoint n'aurait pas le droit d'utiliser ces armes aux termes de la Convention sur les armes à sous-munitions, le commandant ne s'abstiendrait-il pas de lui demander de le faire?
M. Baird : On ne demanderait pas au commandant adjoint, qui est canadien, de commettre une infraction criminelle. C'est pourquoi la convention et le projet de loi dont nous sommes saisis prévoient les exclusions.
Le sénateur Hubley : J'aurai d'autres questions au deuxième tour. Merci.
[Français]
Le sénateur Fortin-Duplessis : Certaines personnes sont d'avis que le projet de loi S-10 dilue ou affaiblit la Convention sur les armes à sous-munitions. Est-ce que vous partagez cet avis? Aussi, que pensez-vous des autres qui disent que le Canada a négocié un instrument qu'il n'est plus en mesure de soutenir?
M. Baird : Je crois que nous respectons la convention et que nous respectons nos obligations. Cela fait partie de la convention, c'est prévu dans les négociations. Dans certains cas, les partenariats et les autres initiatives travaillent en collaboration avec d'autres pays qui ne sont pas parties de la convention. Cela est contenu spécifiquement dans la convention.
[Traduction]
Si chaque pays était d'accord avec le Canada, nous serions en excellente posture. Bon nombre de pays, dont huit alliés de l'OTAN, n'ont pas adhéré à la convention. Évidemment, comme dans tout travail que nous avons fait avec l'OTAN, le Canada, en tant que gouvernement souverain, Parlement souverain et pays souverain, a pris des décisions quant aux mesures à prendre. Malheureusement, nous ne pouvons pas imposer toutes nos décisions aux autres pays.
Par exemple, le général Walt Natynczyk, que je considère comme l'un des grands dirigeants militaires de sa génération, a acquis une vaste expérience grâce à ses fonctions de commandant adjoint d'une force de 60 000 personnes. Cette expérience de leadership et cet entraînement, il n'aurait jamais pu les acquérir dans les Forces canadiennes avant de devenir chef d'état-major de la Défense. Il a pu profiter de cette occasion.
Je crois que les Forces canadiennes sont plus solides à cause de cela. C'est pourquoi la convention prévoit une disposition précise à cet égard. C'est pourquoi nous nous sommes battus avec de nombreux autres pays pour pouvoir l'inclure. Aurions-nous préféré ne pas l'avoir si ce n'était pas nécessaire? Absolument. Toutefois, nous sommes dans le domaine de l'art du possible; c'est ce que nous pouvons accomplir. Est-ce que j'espère qu'un jour, tous les pays adhéreront à la convention d'Ottawa sur les mines terrestres? Absolument. D'ici là, il faut s'en tenir à l'art du possible.
Je trouve qu'il serait plutôt présomptueux de la part du Canada de dire : « Nous envoyons une personne pour travailler avec ces 60 000 autres militaires, et voici une longue liste de choses que nous voulons vous imposer. » Tout ce que nous disons, c'est que les Canadiens n'utiliseront pas ces armes eux-mêmes. Cette décision sera prise par un autre gouvernement souverain, qui, malheureusement, n'est pas d'accord avec nous sur ce point. Peut-être qu'après les élections, le président Obama reverra sa position.
Une voix : À supposer qu'il soit encore président.
M. Baird : Il le sera pendant deux autres mois.
[Français]
Le sénateur Fortin-Duplessis : Si on se réfère au projet de loi, les interdictions, à l'article 6b) du projet de loi, comment être certain que des compagnies canadiennes ne fabriquent pas de ces armes à sous-munitions? Et si c'était le cas, quelle serait la pénalité prévue pour ces manquements à la loi?
[Traduction]
M. Baird : Bien entendu, en vertu du Code criminel, il incombe au gouvernement fédéral de s'en occuper. Je pourrais peut-être demander à l'un ou l'autre de mes fonctionnaires de parler des pouvoirs d'application précis.
John Eric MacBride, conseiller principal de la défense, Affaires étrangères et Commerce international Canada : Merci, monsieur le ministre. Selon moi, ce dont il est vraiment question ici, c'est de savoir si une entreprise canadienne peut produire une arme à sous-munitions; c'est clairement interdit dans le projet de loi. On ne peut pas le faire.
Est-ce bien ce que vous cherchiez à savoir, madame le sénateur?
Le sénateur Fortin-Duplessis : Oui.
M. Baird : Bien entendu, cette question relèverait du régime rigoureux dont nous disposons en matière de contrôle des exportations d'armes.
La présidente : Sans vouloir mettre des mots dans la bouche du sénateur Fortin-Duplessis, on voit clairement que le projet de loi interdit la fabrication d'armes à sous-munitions proprement dites. Ce qui pose problème, ce sont les pièces. D'où viennent-elles? Où les envoie-t-on? Dans quelle mesure peut-on surveiller les usines ou les entreprises qui pourraient fabriquer une pièce quelconque d'une arme à sous-munitions?
Le sénateur De Bané : Je crois que le sénateur voulait connaître la peine maximale dont la personne est passible.
La présidente : Oui, et je pense que M. Kessel va répondre.
[Français]
Le sénateur Fortin-Duplessis : Et quelles sont les pénalités qui pourraient être appliquées?
[Traduction]
Alan H. Kessel, jurisconsulte, Affaires étrangères et Commerce international Canada : Merci, madame la présidente. Si vous permettez...
M. Baird : Je peux répondre à la question. Il s'agit d'une infraction punissable par mise en accusation et passible d'une peine d'emprisonnement de cinq ans aux termes du Code criminel fédéral. Voilà ce que nous proposons dans le projet de loi.
M. Kessel : Cela figure à l'article 17.
[Français]
Le sénateur Fortin-Duplessis : Si je comprends bien, le Canada possède des armes à sous-munitions pour l'entraînement et elles devront être détruites par les États-Unis. De quelle façon se fera le transfert des armes qui iront aux États-Unis pour être détruites? Est-ce que le transfert va se faire par camion, par train, par avion? Parce qu'après la signature de la convention, le Canada dispose de huit ans pour détruire les armes à sous-munitions.
[Traduction]
M. Baird : Le Canada possède des stocks d'armes à sous-munitions, mais ne les utilise jamais. Leur destruction a déjà commencé, et on s'efforcerait de terminer le travail sous peu. Évidemment, nous n'avons pas besoin d'attendre l'adoption du projet de loi pour détruire ces terribles armes, et c'est pourquoi nous avons déjà commencé à les détruire. Les représentants du ministère de la Défense nationale seront ici demain, si j'ai bien compris, et vous pourrez leur demander quelles mesures ils proposent de prendre pour se débarrasser du reste.
Évidemment, nous devons les détruire. Il ne s'agit pas simplement de les transporter vers un autre pays. Nous ne voulons pas que ces armes soient utilisées. Les mettre entre les mains d'une autre partie irait certainement à l'encontre de l'esprit de la convention, même si nous n'étions pas tenus légalement de le faire jusqu'à ce que le Parlement adopte le projet de loi.
La présidente : J'ai une longue liste d'intervenants, et nous avons environ une demi-heure avec le ministre. Toutefois, les fonctionnaires seront ici plus longtemps et, au besoin, ils pourront revenir demain. Si vous avez d'autres questions techniques qui portent, selon vous, sur l'administration, réservez-les aux fonctionnaires; vous aurez ainsi plus de temps pour interroger le ministre sur des questions ardues liées à la politique et à la convention proprement dite.
Le sénateur Mockler a cédé la parole au sénateur Robichaud; vous êtes donc le prochain intervenant sur la liste, sénateur Robichaud.
[Français]
Le sénateur Robichaud : Ma question concerne l'article 8 du projet de loi, qui parle des exceptions, « destruction pour le compte des Forces canadiennes ou du ministère de la Défense nationale. » À la quatrième ligne, on dit que la Défense nationale...
[Traduction]
M. Baird : Parlez-vous de la convention ou du projet de loi?
Le sénateur Robichaud : Du projet de loi.
La présidente : Il y a le projet de loi et, en annexe, la convention. Vous parlez du paragraphe 8(1) du projet de loi S-10, et non pas de la convention et des articles qui s'y rattachent, n'est-ce pas?
Le sénateur Robichaud : C'est ce que je crois, mais je n'en suis pas sûr.
La présidente : Merci. C'était seulement à titre d'information.
[Français]
Le sénateur Robichaud : Dans le projet de loi, on peut lire ce qui suit :
Le ministre de la Défense nationale peut être exempté de l'application de l'article 6 aux conditions qu'il juge indiquées. Toute personne ou catégorie de personnes qui, aux fins de destruction pour le compte des Forces canadiennes ou du ministère de la Défense nationale, acquiert, possède, importe ou exporte des armes à sous- munitions.
Ma question est la suivante : pourquoi est-il fait mention de l'importation d'armes dans cet article? Je crois qu'il n'est pas question d'importation d'armes, surtout de ce type. N'est-ce pas?
[Traduction]
M. Baird : D'après ce que les fonctionnaires m'ont dit, il se peut qu'on offre une formation sur la façon de détruire ces armes. Les Forces canadiennes pourraient donc être obligées d'en importer quelques-unes en vue de pouvoir enseigner aux autres comment les détruire. Nous offrons beaucoup de soutien à des forces armées de plus petite taille.
M. Kessel : Comme nous le faisons dans le cas des mines terrestres, nous utilisons ces armes pour des exercices d'entraînement. Parfois, nous devons faire entrer au pays les nouveaux modèles qui ont été créés. Nous devons également élaborer des méthodologies pour contrer ces armes. Par exemple, même si nous ne les utilisons pas, nous pourrions être confrontés à ces armes lors d'un combat. Nous serions donc obligés, à l'occasion, de faire entrer au pays ces types d'armes précis. On ne voudrait quand même pas criminaliser les gens qui forment notre personnel, du fait qu'ils ont rapporté ces armes au Canada. L'article vise justement à éviter la criminalisation des gens qui assureront la formation et qui utiliseront ces armes en guise de mesures de prévention.
[Français]
Le sénateur Robichaud : Cet article dit « aux fins de destruction ». On ne parle pas d'entraînement.
[Traduction]
M. Kessel : Le fait est que la convention permet le déplacement des armes à sous-munitions vers d'autres pays à des fins de destruction. Il n'est pas improbable que nous détruisions des armes à sous-munitions dans l'avenir.
M. Baird : Par exemple, supposons qu'un des 111 pays soit un petit État qui a en sa possession des armes à sous- munitions, mais qui a adhéré à la convention et pris l'engagement de les détruire. Il pourrait arriver qu'une entreprise canadienne se spécialise dans l'importation de ces armes en provenance de pays tiers afin de les détruire ici, au Canada.
Le sénateur Robichaud : Ai-je bien compris, dans votre réponse au sénateur Fortin-Duplessis, que les armes à sous- munitions en notre possession seront transportées aux États-Unis pour y être détruites?
M. Baird : Cela pourrait être le cas dans l'avenir. Nous pourrions lancer une demande de propositions dans laquelle, par exemple, les Forces canadiennes pourraient signaler que nous souhaitons détruire une centaine d'armes à sous- munitions en notre possession; ensuite, une entreprise américaine pourrait gagner l'appel d'offres, auquel cas nous ne rendrions pas passible d'infraction criminelle le fait de transporter ces armes aux fins de destruction. Réciproquement, il pourrait y avoir une entreprise canadienne dont le travail consisterait à détruire ces armes pour le compte d'un petit pays qui n'a pas la capacité de les détruire; ainsi, les armes pourraient être importées au Canada pour qu'elles soient détruites.
Le sénateur Robichaud : Pourquoi se placerait-on dans une telle situation?
M. Baird : N'importe quel pays voudrait détruire ces armes. Elles sont si effrayantes et horribles. S'ils n'ont pas la capacité de les détruire eux-mêmes et que nous pouvons les aider à les détruire, cela devrait nous faire plaisir.
Le sénateur Robichaud : Je conviens qu'elles doivent être détruites, mais je ne sais pas si nous devrions permettre qu'elles soient importées au pays.
M. Baird : Si le pays X n'a pas la capacité de détruire ces armes, je préférerais qu'il trouve quelqu'un qui puisse les aider à les détruire.
Le sénateur Robichaud : Une dernière réflexion. Si nous avions l'expertise pour les détruire, ne les importons pas. Détruisons-les sur place, là où elles se trouvent.
M. Baird : Je ne suis pas un expert en destruction d'armes à sous-munitions.
Le sénateur Robichaud : Moi non plus; cela ne nous mènera donc nulle part.
M. Baird : Cela pourrait bien être une disposition mineure ou peu utilisée de la loi, mais elle permet de le faire.
Par exemple, pour ce qui est des stocks considérables d'armes chimiques en Libye ou en Syrie, nous voulons qu'ils soient détruits. Si nous pouvions les sortir du pays, où la situation est instable, et nous assurer qu'elles sont détruites comme il se doit, cela serait un très grand service à rendre à l'humanité, à mon avis. Lorsque les armes restent dans des régions instables du monde, cela est dérangeant, de toute évidence. Si tous les pays pouvaient les détruire sans problème, ce serait formidable. Cependant, je ne pense pas que c'est le monde dans lequel on vit.
Le sénateur Wallace : Comme vous le savez sans doute, l'article 5 de la convention prévoit une assistance aux victimes. En tant que signataire de la convention, une fois qu'elle aura été ratifiée, le Canada serait tenu de prendre des mesures précises en matière d'assistance aux victimes. L'une d'elles, si je comprends bien, serait de fournir de l'aide aux victimes dans des États qui ont utilisé ces munitions. J'aimerais savoir ce que vous pourriez nous dire à propos de la participation du Canada à une aide internationale de cette nature. Avons-nous aidé d'autres États et, si oui, dans quelle mesure?
M. MacBride : Nous avons certainement offert notre aide aux victimes touchées par tous les restes explosifs de guerre, pas seulement par les armes à sous-munitions. Nous le faisons dans le cadre de nos programmes, en fonction des ressources disponibles. Depuis des années, un élément du programme est consacré à l'aide aux victimes, et nous espérons pouvoir le maintenir à l'avenir.
Le sénateur Wallace : Pouvez-vous nous donner une idée du montant que le Canada s'est engagé à verser pour l'aide aux victimes?
M. MacBride : Au cours des 14 dernières années, nous avons consacré environ 390 millions de dollars aux restes explosifs de guerre, y compris les mines, les armes à sous-munitions et d'autres explosifs et munitions. Depuis 2006, nous avons dépensé 200 des 390 millions. Il est difficile de dire quelle somme a été consacrée à l'aide aux victimes. Dans certains cas, il y a de petits projets réservés expressément à l'aide aux victimes. Par exemple, l'ACDI a un programme d'aide pour les pays qui ont des besoins en matière de santé, et cela a un effet direct sur les victimes que l'on trouve dans ces pays. Il est presque impossible de déterminer le montant exact consacré à cette activité précise.
M. Baird : Si vous le permettez, sénateur, je dirais que c'est une très bonne question. Comme le Canada l'a fait dans le passé, une des priorités qui se maintiendra, à mon avis, c'est que la meilleure chose à faire pour aider les victimes est de prévenir qu'elles deviennent des victimes. C'est comme une maladie dont le traitement est très connu. Nous pouvons détruire ces restes explosifs de guerre avant qu'ils ne causent des dégâts. Comme le sénateur Hubley l'a indiqué plus tôt, 98 p. 100 des victimes sont touchées après le conflit, après l'arrêt des combats. Depuis 1999-2000, nous sommes constamment parmi les 10 premiers au monde au chapitre du financement de l'élimination des restes explosifs de guerre. Nous sommes souvent parmi les cinq premiers. Mon collègue du ministère a dit que depuis 2006, nous avons dépensé quelque 200 millions de dollars pour 250 projets menés partout dans le monde. Cela restera une priorité du gouvernement du Canada. Lorsque je parle des restes explosifs de guerre, cela comprend les armes à sous-munitions et les mines. Je suis très axé sur les résultats, et j'aimerais que nous puissions intervenir et détruire ces munitions afin d'éviter que des gens ne soient blessés ou deviennent des victimes, avant que quelqu'un ne meure ou ne perde un membre.
Le sénateur Wallace : Cela, c'est pour détruire ce qui existe actuellement. Encore une fois, selon ma compréhension du projet de loi, au Canada, cela empêcherait que ces munitions soient produites. Je crois aussi que cela s'applique aux composantes. Encore une fois concernant votre point, nous nous préoccupons des victimes et d'en réduire le nombre le plus possible.
M. Baird : Je peux vous dire que l'an dernier, nous avons dépensé 16,8 millions de dollars pour la destruction des restes explosifs de guerre. En 2010-2011, nous avons dépensé 30 millions; en 2009-2010, c'était 21,4 millions et en 2008- 2009, 46 millions. Cela varie, en fonction des projets. Il y en a plusieurs.
Plutôt que de tenir des conférences ou mener des études, je me concentre sur ce que nous pouvons faire pour éliminer ces armes avant qu'elles ne causent des blessures ou des décès. Lorsqu'on pense à ce qu'on peut faire pour nettoyer les champs, dans certaines parties du monde, pour les rendre productifs sur le plan de l'agriculture et sécuritaires pour les enfants, c'est important.
Le sénateur Wallace : Cela demande un engagement ferme, et c'est ce que nous faisons. Merci.
Le sénateur Finley : Une partie des questions que je voulais poser l'a été depuis que j'ai été ajouté à la liste. Grâce à cette mesure, le Canada franchit un pas important et montre encore une fois qu'il est un chef de file mondial en ce qui a trait à ce genre d'activités.
Monsieur le ministre, pourriez-vous nous donner un bref aperçu? Actuellement, 111 pays sont en voie d'adopter une loi à cet égard. Je suis conscient du fait que la Russie, la Chine et les États-Unis n'en sont pas encore signataires.
Parlez-moi des autres pays. Je ne connais pas le coût des armes à sous-munitions et je ne sais pas à quel point elles sont accessibles. À l'exception des trois pays dont on parle, quels autres pays n'ont pas adhéré? Actuellement, ont-ils beaucoup de ces munitions? Sont-ils susceptibles de les utiliser, ou s'agit-il d'équipements si perfectionnés qu'il est difficile de s'en procurer? Pourriez-vous m'éclairer à ce sujet?
M. Baird : Il y a les poids lourds sur le plan militaire : les États-Unis, la Chine et la Russie. Dans le monde, il y a aussi d'autres pays, comme la Syrie et l'Iran. Je vais vous laisser tirer vos propres conclusions sur les raisons pour lesquelles ces derniers pays ne voudraient pas se débarrasser de ces armes, étant donné qu'ils ont de grandes quantités d'armes chimiques.
Nous avons bon espoir d'accomplir de grandes choses en ayant 111 pays. Manifestement, je suis déçu par rapport à d'autres pays — dont certains sont des alliés du Canada — qui n'ont pas adhéré. J'espère que si, dans 111 pays, nous parvenons à arrêter la production et l'utilisation de ces armes ainsi que leur destruction, nous parviendrons à inciter d'autres pays à adhérer à l'avenir. Honnêtement, nous espérons que cela aura pour effet la stigmatisation de leur utilisation et que les États non parties les utiliseront moins.
Toutefois, c'est ce qui se produit dans le cas de presque toutes les conventions; la même chose s'est produite avec la convention sur les mines terrestres. Il y aura des pays qui ne signeront pas. Certains ont de bonnes raisons, et d'autres ont des intentions qui sont loin d'être bonnes.
Je ne peux pas parler du coût ou de l'accessibilité des armes. Des fonctionnaires du ministère de la Défense viendront témoigner et ils pourront vous donner un aperçu des raisons pour lesquelles certains pays ne voudront pas adhérer.
Il y a une valeur rattachée au leadership et au fait d'enrayer la prolifération, c'est-à-dire d'empêcher des pays de favoriser l'utilisation de ces armes. Par exemple, le Canada ne les a jamais utilisées, mais cela aura à tout le moins l'avantage d'empêcher les entreprises canadiennes d'en fabriquer et de les obliger à éliminer les stocks. Je pense que cela envoie un signal clair, et c'est le point de vue du Canada sur la question.
Le sénateur Finley : J'aimerais revenir sur ce que vous avez dit sur la fabrication de ce matériel. Actuellement, y a-t-il des entreprises canadiennes qui peuvent produire ces munitions?
M. Baird : Je ne le sais pas.
M. MacBride : Certaines entreprises canadiennes ont la capacité de produire ce genre de munition, mais aucune ne le fait et aucune ne l'a fait. Grâce à cette loi, il est certain qu'aucune ne voudra en produire.
Le sénateur Johnson : C'est exact.
Le sénateur Finley : Bien.
Le sénateur Johnson : Merci, monsieur le ministre, bienvenue au comité. Le gouvernement a réitéré sa position selon laquelle : « le projet de loi répond pleinement aux obligations humanitaires du Canada en vertu de la convention et veille à ce que rien n'empêche les Forces canadiennes de travailler avec nos alliés et de faire ce qu'on leur demande. » Après avoir étudié le projet de loi S-10, je suis plutôt d'accord. Pourriez-vous parler davantage de la réponse aux obligations humanitaires en ce qui a trait à la façon dont cela s'applique à la question des armes à sous-munitions?
M. Kessel : Si vous regardez ce que le Canada a fait pour établir une norme — l'établissement de normes en matière de droits de la personne, de droit humanitaire et nos efforts pour changer les mentalités dans le monde — cela fait partie d'un exercice continu, d'une évolution vers un monde où ce genre d'armes n'existe pas.
Le ministre a indiqué qu'en partie, notre intérêt n'est pas simplement de se diriger vers un monde dépourvu d'armes à sous-munitions ou de mines, mais d'être, dans un même temps, capables de réaliser le travail d'ordre humanitaire que nous faisons avec nos alliés, dont certains n'ont pas le même point de vue que nous.
L'équilibre dont a parlé le ministre, qui consiste à participer à des activités de maintien de la paix, des coalitions et, essentiellement, à transmettre les valeurs auxquelles le Canada croit, tout comme ses alliés, voilà le plus important.
La recherche d'équilibre du Canada consiste à déplacer les poteaux des buts. Le ministre a indiqué qu'il s'agit d'un progrès énorme comparativement à la situation antérieure. Est-ce l'avant-dernière étape? Ce ne l'est probablement pas, mais cela ne nous empêche pas de créer dès maintenant, grâce à cette mesure législative, une tête de pont puis de travailler avec nos alliés et nos amis pour faire progresser les choses davantage dans les années à venir. À un moment donné, il faut prendre position en ce sens, et c'est ce que le Canada fait avec cette mesure législative, tout comme 111 autres pays.
Le sénateur Johnson : Merci. Je pense que c'est là notre rôle, et je pense que c'est excellent.
Vous pourriez peut-être apporter des précisions sur un autre aspect. À l'instar d'autres sénateurs, mes questions ont été posées et on y a bien répondu. Beaucoup de critiques ou de gens qui ont fait des observations au sujet du projet de loi ont parlé de la vaste portée des exemptions relatives à l'interopérabilité prévues à l'article 11. Pourquoi sont-ils si préoccupés à ce sujet?
M. Baird : Ce sont des gens qui préconisent l'élimination de tout usage possible de ces armes terribles. Je pense qu'ils sont très motivés. Ils n'ont qu'à se préoccuper du seul aspect de l'élimination de l'arsenal et de l'utilisation des armes. Au gouvernement, nous devons penser à la réalité des Forces canadiennes et au fait que nous ne voulions pas criminaliser un membre des Forces canadiennes pour avoir participé à toute activité liée à l'interopérabilité, aux échanges, aux détachements ou à des initiatives de perfectionnement en leadership. C'est la réalité. Nous devons trouver un équilibre entre les deux.
Nous espérons qu'un jour, nous pourrons éliminer ces armes dans les 193 pays. Nous n'en sommes qu'à 111. Je pense que c'est un exploit remarquable; il y a cinq ans, la convention n'existait pas. Si nous pouvons obtenir la signature de 111 pays, c'est formidable.
Récemment, je suis allé à l'ONU, à New York. Nous avons eu une réunion avec les États parties du traité sur l'interdiction des essais nucléaires, le Traité d'interdiction complète des essais nucléaires. Cette année, par exemple, nous avons accueilli l'Indonésie, qui a maintenant ratifié le traité; nous avons donc un pays membre supplémentaire. L'an prochain, il est à espérer que nous en aurons plus. L'Indonésie est un pays important. Il s'agit de la troisième démocratie en importance au monde, et le pays musulman le plus important. C'est une réussite; nous avons relevé la barre. Nous espérons en avoir plus l'an prochain grâce à cela. Lorsqu'on obtient une ratification, que ce soit à Genève, au siège de l'ONU à New York ou de façon bilatérale, nous pouvons inciter encore plus de pays à le ratifier.
Nous devons constamment faire avancer les choses. Nous avons des objectifs clairement établis et nous ne sommes pas seuls; 110 autres pays sont à nos côtés.
Le sénateur Johnson : Excellent. Merci beaucoup, monsieur le ministre.
La présidente : Monsieur le ministre, certaines personnes parlent de tolérance zéro. Si nous n'étions absolument pas participants de quelque façon que ce soit, cela placerait certainement le Canada dans une situation où l'on pourrait dire que cela n'est pas notre problème et que nous avons fait tout notre possible. Cependant, si je comprends bien, votre argument, c'est que vous allez continuer à concilier le fait que nous n'avons rien à voir avec les armes à sous-munitions et que nous ne les utilisons pas tout en essayant de persuader les autres, y compris nos alliés, avec lesquels nous collaborons dans le théâtre des opérations, le maintien de la paix, et cetera, et qu'ils pourraient ne pas avoir signé la convention.
Essayez-vous d'établir un équilibre entre le fait de rester là, de poursuivre nos efforts en matière de sécurité tout en servant d'exemple pour démontrer que les armes à sous-munitions ne sont pas nécessaires et qu'il s'agit d'une meilleure hypothèse, et celui de quitter tout théâtre des opérations où l'on a un rôle conjoint en matière de sécurité et de responsabilités?
M. Baird : Je suppose que la réponse courte serait : oui. De toute évidence, nos alliés de l'OTAN ne sont pas tous d'accord avec nous sur ce point. Trois de nos alliés de l'OTAN ont des armes nucléaires. Le Canada est résolument contre le fait qu'un pays ait l'arme nucléaire.
En même temps, nous devons composer avec la réalité du monde dans lequel nous vivons. Dans le cas présent, si nous avions une tolérance zéro, nous n'obtiendrions probablement aucun résultat. Je pense que ce que nous avons, c'est la certitude que le Canada ne fera pas usage de ces armes, n'en achètera pas et qu'il éliminera son stock. C'est une belle réussite; que 110 autres pays s'engagent aussi à faire de même constitue une réussite encore plus grande. Il est à espérer que chaque année, nous réussirons à ajouter un ou deux pays, ou plus, et qu'un jour, il ne sera plus nécessaire pour quelque pays que ce soit de vouloir posséder et encore moins utiliser ce genre d'armes.
Le sénateur Hubley : Je vais tenter d'être brève, de résumer et de réfléchir à certaines des réponses et informations que vous nous avez données ce soir.
Je dois revenir sur la convention d'Ottawa, dont il a été question, la Convention sur les armes à sous-munitions et le rôle exceptionnel du Canada, assurément, dans la réussite de la convention d'Ottawa et du rôle que nous jouerons, espérons-le, par rapport aux armes à sous-munitions. Vous avez vous-même mentionné que les armes à sous-munitions sont tout à fait inadéquates; ce sont des armes qui frappent des gens innocents sans distinction. De plus, elles ne sont peut-être plus la solution en raison des nouvelles formes de guerres urbaines auxquelles nous pourrions participer de nos jours.
Pour beaucoup de ces raisons, je veux rappler que lorsque j'étudie la mesure législative, j'ai toujours le fort sentiment que les exceptions que l'on trouve à l'article 11 posent véritablement problème. Après l'article 6, l'article 11 est probablement le plus difficile à régler.
Je sais que l'Australie a de la difficulté à faire adopter son projet de loi, en raison de la façon dont les Australiens ont abordé l'article concernant l'interopérabilité. Je crois que le nôtre n'est probablement pas aussi fort que le leur. En ce qui concerne notre projet de loi, je n'aime pas dire que c'est le pire, mais je crois que cet article et son application violeront d'une certaine façon l'intégrité de la convention.
À mon avis, vous avez donné une réponse prudente, mais j'aimerais que vous réfléchissiez demain aux répercussions de ces articles, parce qu'ils élargissent tellement le projet de loi, que cela crée une brèche qui minera d'une certaine façon l'intégrité de ce que le Canada essaye actuellement de faire. Je crois que le Canada accomplit un excellent travail.
Je vais vous laisser sur ce dernier commentaire, monsieur le ministre, et je vous remercie énormément de votre exposé.
M. Baird : Je respecte vos opinions réfléchies sur la question.
Si nous pouvions dire à un pays comme les États-Unis — et les États-Unis sont nos plus proches amis et nos meilleurs alliés —, si nous pouvions dire au président Obama : « Avant que l'un de nos trois généraux canadiens accepte d'assumer les responsabilités de commandant adjoint, vous devez promettre de ne jamais, tant qu'ils seront là, utiliser d'armes à sous-munitions » et qu'il accepte, j'en serais ravi. Ce serait fantastique, mais je crois qu'il serait naïf de croire que nous pourrions avoir un Canadien en place qui dirigerait 60 000 troupes américaines et dire : « Vous adopterez les règles canadiennes à cet égard et à l'égard d'une variété d'autres enjeux. »
Le sénateur Hubley : Absolument. Je crois que vous devriez essayer.
M. Baird : Et si le président Obama répondait non?
Le sénateur Hubley : Il ne dira pas non.
M. Baird : Que se passera-t-il si le président Obama dit non aux armes à sous-munitions, alors que les États-Unis n'ont pas adhéré à la convention?
Le sénateur Hubley : Ils ne l'ont pas signée, mais nous parlons ici du Canada. En passant, nous ne nous lancerons pas dans un débat à ce sujet.
M. Baird : J'essaye de faire valoir un point. Si les États-Unis refusent notre demande, devrions-nous leur dire que nous ne voulons pas que nos leaders militaires reçoivent de l'expérience et de la formation qu'ils ne peuvent obtenir au Canada?
Le sénateur Hubley : Si un général américain venait au Canada...
La présidente : Sénateur Hubley, le sénateur Nolin aimerait maintenant poser une question.
Le sénateur Hubley : Oui, je pourrais revenir en arrière.
La présidente : Devrions-nous le lui permettre?
Le sénateur Hubley : Je crois bien. Absolument.
La présidente : Il s'est lui-même retiré de la liste, mais vous avez fait valoir votre point.
Le sénateur Hubley : Oui.
Le sénateur Nolin : Monsieur le ministre, le Canada a déjà imposé des conditions à ses alliés. Je ne crois pas que nous devrions commencer à agir de la sorte, parce que je pense que c'est une bonne chose d'avoir l'occasion d'installer un membre des Forces canadiennes au sein de la chaîne de commandement d'un pays allié.
Nous avons joué un rôle de chef de file concernant la Convention sur les mines antipersonnel il y a quelques années. Même si le projet de loi S-10 n'est pas parfait, la perfection n'est pas de ce monde, comme le ministre l'a rappelé. Nous devons donc composer avec les diverses réalités.
Pouvons-nous tracer un certain parallèle avec la Convention sur les mines antipersonnel, son évolution depuis que le Canada y a adhéré, et le rôle important que nous avons joué dans la promotion de la convention? Pouvons-nous tracer un tel parallèle?
M. Baird : À mon avis, nous voulons convaincre plus de pays d'adhérer à la convention. J'aurais souhaité que les États-Unis aient signé la Convention d'Ottawa sur les mines antipersonnel. J'ai cru comprendre qu'ils auraient accepté de le faire, s'il y avait eu une exception concernant la péninsule coréenne. Cette exception n'est jamais venue, et les États-Unis n'ont pas adhéré à cette convention. Il faut parfois faire des compromis.
Le sénateur Nolin : Dans la Convention sur les mines antipersonnel, nous avions aussi des exceptions. Nous devons cohabiter avec nos alliés.
M. Baird : Il y avait un membre des Forces canadiennes qui travaillait dans la zone coréenne démilitarisée, qui sépare la République populaire démocratique de Corée et la République de Corée, et les États-Unis et la République de Corée y ont des mines antipersonnel. Nous avons un Canadien qui y travaille. Nous n'avons pas renié notre engagement envers le peuple coréen, même s'il ne partage pas nos valeurs à cet égard.
Le sénateur Nolin : L'ont-ils tous permis?
M. Baird : Oui.
Le sénateur Nolin : Par conséquent, l'art du possible est vraiment un art. Nous essayons d'atteindre la perfection.
M. Baird : La politique est l'art du possible.
Le sénateur Nolin : Tout à fait.
M. Baird : Malheureusement, ce ne sont pas tous les pays qui partagent notre point de vue à ce sujet.
Le sénateur Nolin : Merci, monsieur le ministre.
La présidente : Monsieur le ministre, merci d'être venu et de nous avoir fait part honnêtement et ouvertement de vos opinions. Je crois que vous comprenez maintenant certaines des préoccupations que nous avons entendues d'autres témoins. Nous avons une liste de témoins, et nous essayerons d'entendre tout le monde avant de rendre notre décision.
La discussion a été utile. J'avais quelques questions, mais je crois que nous devrions plutôt laisser les militaires nous expliquer ce que nous entendons par des actions équilibrées. Je crois comprendre que ce n'est pas la seule chose que nous faisons en ce qui a trait à la convention. La partie concernant le Code criminel n'est qu'un élément, mais nous devons aussi examiner des politiques, des pratiques et la justice militaire. Nous allons aborder tout ce que nous faisons au sujet de la convention dans le but de voir si c'est l'art du possible, pour reprendre votre expression.
Merci, monsieur le ministre, de votre temps. Merci également aux gens qui vous accompagnaient.
Chers collègues, voulez-vous que les représentants restent? Nous avons jusqu'à 18 h 15 pour leur poser des questions sur des détails plus techniques.
Je demanderais aux représentants de prendre place à la table. Je crois que les sénateurs ont des questions.
Monsieur Kessel, monsieur MacBride, est-ce que d'autres se joindront à vous?
M. Kessel : Oui. Notre collègue, M. Ram.
La présidente : Nous avons jusqu'à 18 h 15, mais nous pouvons lever la séance plus tôt. Tout dépendra des questions que nous aurons pour les représentants. Je sais que nous avons déjà abordé certains détails techniques et que les représentants et le ministre y ont répondu.
Le sénateur Hubley : Merci de rester au comité. Ce ne sera pas long.
Nous avons beaucoup entendu parler de la possibilité de mettre des membres des Forces canadiennes dans des positions où ils risquent, par exemple, d'enfreindre la loi. J'aimerais avoir votre opinion sur un aspect. J'aimerais savoir si c'est possible d'inclure dans le projet de loi des renvois aux obligations positives établies à l'article 21, notamment d'encourager les États non parties à y adhérer, sans compromettre la capacité des Forces canadiennes de participer à des opérations avec des forces armées d'États non parties.
M. Kessel : Pour faire suite au commentaire du ministre, il y a divers aspects à propos de ce que le Canada fait lorsque nous participons à de telles négociations ou lorsque nous faisons la promotion des intérêts et des valeurs canadiennes en ce qui a trait, par exemple, à l'élimination d'un type d'armes, comme nous l'avons déjà fait auparavant. Nous le faisons non seulement pour convaincre les convertis, mais aussi pour collaborer avec les non-convertis. Voilà probablement la partie la plus difficile.
Lorsque nous négocions, comme vous pouvez vous en douter, nous devons composer avec 190 pays qui pensent savoir où ils devraient se situer et comment le tout devrait se terminer. En fin de compte, il faut arriver à un consensus, un peu au même titre qu'au Parlement. Dans un sens, ce que nous avons accompli est assez remarquable. Le ministre a clairement dit que nous n'avions vraiment rien avant la présente convention. Nous avons maintenant une convention qui établit une norme, et notre but est d'aller encore plus loin.
La politique canadienne en matière d'affaires étrangères voit notamment à la promotion de nos valeurs, telles qu'elles ont été définies par le Parlement, grâce à notre travail à tous. Nous ne croyons pas que ce soit l'aboutissement du processus. C'est à peine une étape. Nous devons convaincre un très grand nombre d'États d'adhérer à la convention et convaincre ceux qui se montrent les plus intransigeants que c'est dans leur intérêt, étant donné le nombre d'États parties, de délaisser leurs positions bien arrêtées.
Entretemps, nous avons, bien entendu, d'autres rôles et d'autres intérêts très importants, à savoir de veiller au maintien de la paix et de collaborer avec les autres nations à cet égard. Voilà où la question de l'équilibre entre en jeu. Nous n'abandonnons aucunement l'enjeu en question; cela fait partie d'un ensemble, et chaque nouvelle pièce nous permet de commencer à entrevoir le monde meilleur que nous pouvons créer.
Le sénateur Hubley : J'aurais seulement un commentaire à faire. Je suis un peu surprise d'apprendre que, lorsqu'un Canadien participe à une opération conjointe avec les États-Unis, par exemple, l'intégrité de ce Canadien, de cet officier, ne semble pas être respectée. Il s'agit d'une importante convention pour le Canada. En tant que militaire canadien, cet officier en est le reflet. Je ne sais pas si cela survient tout le temps. Même s'il est Canadien et que les 60 000 autres militaires sont plus nombreux, je ne crois pas que cela devrait l'empêcher de maintenir sa propre intégrité en tant que militaire canadien et de respecter ses obligations en vertu de la convention. Par contre, je crois que l'autre État partie devrait également le faire. Ce n'est qu'un commentaire; j'ai été quelque peu déçue par les commentaires du ministre. Je voulais le faire savoir.
M. Kessel : J'aimerais faire un commentaire. Ce ne serait pas le cas avec les autres États parties, parce qu'ils n'utiliseraient pas d'armes à sous-munitions. Nous parlons ici d'une opération au cours de laquelle le Canada collabore avec un État non partie. Au lieu de porter atteinte à l'intégrité du Canada, cela tient en fait compte du point de vue différent du Canada; la convention mentionne qu'il faut coopérer. Ensuite, par l'entremise du projet de loi, nous reconnaissons que nous ne sanctionnerons pas ou n'incriminerons pas les membres des Forces canadiennes qui posent de tels gestes.
Le sénateur Hubley : Non.
M. Kessel : En gros, voici ce que nous disons. Comment coopérer avec ceux qui ne partagent pas notre point de vue? Nous collaborons avec eux et nous essayons de les convaincre d'y adhérer.
Dans un tel cas, nous convenons que leur point de vue ne changera pas dans l'immédiat, mais en coopérant avec eux et en les y encourageant, nous espérons qu'ils adhéreront à la convention.
Le sénateur Hubley : Merci beaucoup.
[Français]
Le sénateur Fortin-Duplessis : L'association Handicap International faisait état d'au moins 166 institutions financières, de 15 pays, qui fournissent plus de 39 milliards de dollars US d'investissements et de services financiers à huit producteurs de bombes à sous-munitions. Ces faits sont exposés dans un rapport intitulé Worldwide Investments in Cluster Munitions : A Shared Responsibility, publié en mai 2011.
J'aimerais savoir quels sont les pays qui fabriquent des armes à sous-munitions, et quelles sont les principales entreprises qui fabriquent des armes à sous-munitions.
[Traduction]
M. Kessel : Je vais demander à mes collègues, qui semblent avoir un point de vue sur le sujet, de m'aider à répondre à la question. Monsieur Ram, vous pouvez donner un premier élément de réponse, puis vous pourrez compléter, monsieur MacBride.
Christopher Ram, avocat général, ministère de la Justice Canada : Je ne peux pas répondre à votre question au sujet des pays ou des entreprises qui fabriquent des armes à sous-munitions, mais la question complémentaire, qui a aussi été soulevée lorsque le ministre était là, concerne de manière générale les investissements, et je crois que d'autres témoins l'aborderont au fil des séances.
La convention ne demande pas que le Canada criminalise en soi les investissements. Elle exige de mettre un terme de manière générale à la fabrication, notamment, d'armes à sous-munitions. Dans le projet de loi, en ce qui concerne les investissements et les entreprises — et cela concerne également les entreprises qui fabriquent des pièces ou des composantes —, nous avons criminalisé la fabrication d'armes à sous-munitions. Nous avons inclus des renvois à des dispositions spéciales sur l'aide, l'encouragement et le conseil, soit les dispositions relatives à la responsabilité inchoative. Elles sont parallèles à celle du Code criminel, mais elles sont rédigées un peu différemment dans le projet de loi.
Par conséquent, si une personne fait un investissement, une transaction ou une activité de manière intentionnelle et consciente dans le but d'aider ou d'encourager, c'est un crime. Si quelqu'un investit dans une entreprise en sachant qu'elle fabrique des armes à sous-munitions et que cette personne le fait dans l'intention d'aider l'entreprise à en fabriquer, ce sera un acte criminel. Si cette personne ou cette entreprise le fait en sol canadien, elles sont assujetties aux lois canadiennes.
Le projet de loi est précisément rédigé pour s'assurer qu'une personne qui investit au Canada dans une entreprise qui se trouve à l'étranger, même si ce n'est pas un crime dans ce pays de fabriquer des armes à sous-munitions, commet au Canada l'infraction consommée d'aider et d'encourager, mais il faut qu'il y ait une intention d'aider et d'encourager, parce qu'il existe une vaste gamme d'actions qui peuvent ou non constituer des investissements. Si ce n'est pas assez clair, ce ne sera pas un acte criminel.
La présidente : Sénateur Fortin-Duplessis, la séance est télévisée. Vous utilisez le mot « investissement », et cela peut induire en erreur certaines personnes. Vous voulez dire que nous ne pouvons pas fabriquer, utiliser ou modifier. Une entreprise au Canada ne peut pas produire, utiliser de telles armes ou participer au processus. Elle pourrait être incriminée. Cependant, si une personne investit dans une entreprise par des transactions financières ou des fonds communs de placement internationaux et qu'elle n'est pas consciente que l'une de ces entreprises dans le monde pourrait participer à la fabrication d'armes à sous-munitions, elle ne sera pas incriminée au Canada, à moins de prouver qu'elle le savait. Ai-je bien compris?
M. Ram : Oui, madame la présidente. C'est exact. Nous avons 120 ans de jurisprudence pour nous aider à déterminer ce que nous entendons par aider et encourager en vertu du Code criminel. Cela permet aussi aux avocats des fonds communs, par exemple, d'expliquer à ses clients la nature de leurs investissements. La jurisprudence existe déjà. Au lieu de créer une nouvelle infraction qui pose problème, nous nous sommes servis de ce qui existait déjà dans le Code criminel.
Encore une fois, lorsque vous examinez le projet de loi, une grande partie de l'article 6 s'y trouve parce que, en procédant ainsi dans ce texte, on en fait une infraction consommée au Canada même si la fabrication en tant que telle ne constitue pas un crime dans un autre pays où elle a lieu.
[Français]
Le sénateur Fortin-Duplessis : Je voulais seulement savoir si vous étiez au courant ou si vous connaissiez les pays qui fabriquent les armes à sous-munitions. Ce n'était pas en rapport avec le Canada ni avec les compagnies que je posais la question, c'était juste pour savoir si vous connaissiez ces pays.
[Traduction]
M. MacBride : Nous connaissons bien le rapport produit par Pax Christi et Handicap International que vous avez cité. Nous savons qu'il y a un certain nombre de pays dans lesquels des entreprises produisent des armes à sous- munitions. Une part considérable de ce rapport s'attache à identifier les entreprises américaines qui produisent des munitions, alors il y en a beaucoup. Pour ce qui est des autres pays producteurs d'armes à sous-munitions, il y en a un nombre important. La plupart des pays qui possèdent des stocks importants d'armes à sous-munitions en produisent aussi, comme la Chine, la Russie et autres. Ils les produisent tout à fait légalement, car ils ne sont pas signataires de cette convention. Il y a des renseignements, surtout chez les ONG, au sujet des pays producteurs. Dans ce rapport, on identifie les entreprises qui les produisent.
La présidente : Je me préoccupe de la prévention et de la sensibilisation. Je suis au Sénat depuis un certain nombre d'années, et j'ai abordé la question des mines terrestres avant de devenir sénateur. Les mines ont été cernées très rapidement lorsque nous avons été témoins de certains conflits atroces qui faisaient rage dans le monde. « Armes à sous- munitions » est une expression dont nous avons pris connaissance plus récemment. En apprendrons-nous davantage à cet égard? Lorsque je parle aux gens, ils confondent souvent armes à sous-munitions et mines terrestres ou d'autres types d'armes de destruction qui se promènent d'un théâtre à l'autre dans le monde. À part les représentants des ONG qui témoigneront devant nous, peu de gens comprennent aussi bien le concept de l'arme à sous-munitions. Avons-nous l'obligation de transmettre les connaissances que nous avons des horribles conséquences des armes à sous-munitions par le travail, l'aide, le développement et les affaires étrangères pour que l'on comprenne bien leur atrocité? Cela n'est pas le cas dans bien des pays.
M. Kessel : Je vais me tourner vers mon collègue dans un instant, mais je pense, madame la présidente, que vous avez vraiment frappé dans le mille. C'est une question de sensibilisation. C'est une question de compréhension. C'est un genre de compréhension viscérale de la nature destructive de ces armes.
Les ONG ont fait un travail incroyable, et nous ne pourrions pas faire le nôtre sans eux. Nous travaillons en étroite collaboration avec elles dans bien des dossiers, dont le Comité international de la Croix-Rouge et ceux que vous avez mentionnés. Mon collègue Fergus Watt n'est pas ici. Il y était plus tôt. Nous travaillons avec ces gens qui sont les fantassins de la sensibilisation. Le gouvernement, de concert avec les ONG, doit le faire pour transmettre un point de vue en particulier.
Nous avons eu plus de chance avec la sensibilisation croissante dans le cadre de la campagne sur les mines terrestres parce que les gens sont à l'écoute de certaines choses. Ils sont à l'écoute de l'incidence que les autres armes peuvent avoir. Nous devrions être satisfaits de simplement voir que 111 pays ont déjà signé la convention et que 76 l'ont ratifiée. Devrions-nous être suffisants? Non. Est-ce que cela devrait nous donner de l'énergie? Absolument. Notre ministre a dit aujourd'hui qu'il s'attend à ce que nous rayonnions et menions le bal, et en ce qui me concerne, il s'agit là de directives.
Je demanderais à M. MacBride, qui a passé une grande partie de sa carrière avec nous à étudier ces deux sujets et qui a participé à bien des négociations, de vous donner une idée de la situation telle qu'il la voit.
M. MacBride : En 1997, nous avions des problèmes importants dans 45 p. 100 des pays du monde. Nous avons eu presque 30 000 victimes, survivants, chaque année des mines terrestres. Cela a commencé à soulever un tollé important. Cette convention n'a pas soulevé les passions dans la même mesure. Certainement pas au Canada, mais dans certains pays, c'est en quelque sorte une question très importante.
Nous devons prendre conscience du fait que oui, il faut sensibiliser le public, et nous estimons que le Canada a l'obligation de faire un travail d'universalisation de cette convention ainsi que de l'autre. Ce sont des questions qui sont toujours d'actualité. Cependant, cette convention est plus préventive que celle d'Ottawa l'était. Elle l'est davantage parce que le problème est moindre. Vous pourriez faire valoir que dans des pays comme le Laos et le Cambodge, les problèmes n'étaient pas moindres, mais pour ce qui est du nombre de pays et du nombre total de victimes, les chiffres étaient moins importants. Les principales entreprises qui ont lancé le processus d'Oslo souhaitaient régler ce problème dès le départ pour que nous n'ayons pas à faire un autre exercice de gestion de crise comme la convention d'Ottawa. C'est essentiellement la façon dont la question a été abordée.
La présidente : Merci, monsieur Kessel, monsieur MacBride et monsieur Ram.
Mesdames et messieurs les sénateurs, nous reprendrons notre étude demain. Nous accueillerons des témoins du ministère de la Défense nationale et le juge-avocat général pour pouvoir étudier l'aspect militaire du projet de loi. Je vous remercie de vos questions.
(La séance est levée.)