Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international
Fascicule 16 - Témoignages du 25 octobre 2012
OTTAWA, le jeudi 25 octobre 2012
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd'hui, à 10 h 30, pour examiner le projet de loi S-10 qui lui a été renvoyé, Loi de mise en œuvre de la Convention sur les armes à sous-munitions.
Le sénateur Percy E. Downe (vice-président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le vice-président : Honorables sénateurs, je déclare ouverte cette séance du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international, séance durant laquelle nous poursuivrons notre étude du projet de loi S-10, Loi de mise en œuvre de la Convention sur les armes à sous-munitions.
Je suis le vice-président du comité. Notre présidente, le sénateur Andreychuk, est absente, le premier ministre Harper lui ayant demandé de diriger la délégation canadienne sur les élections en Ukraine. Elle sera de retour la semaine prochaine. C'est un très grand honneur pour le sénateur Andreychuk qu'on lui ait confié ce rôle et nous apprécions grandement ses efforts en Ukraine, cette semaine.
Nous allons accueillir deux témoins qui ont des remarques liminaires. Je leur demanderai de se présenter brièvement et de nous indiquer qui ils représentent; il me semble qu'ils ont des exposés d'environ cinq minutes chacun.
Allan Poston, conseiller technique principal, Service de la lutte antimines de l'ONU, à titre personnel : Je m'appelle Allan Poston. Je suis le conseiller technique principal d'un programme de développement des Nations Unies au Sri Lanka. Avant cela, j'étais conseiller technique principal pour le PNUD au Liban.
En réalité, je n'ai pas préparé de remarques liminaires. J'ai l'impression qu'on m'avait uniquement demandé de répondre à certaines questions. Je n'ai aucune observation préliminaire.
Le vice-président : Il n'y a pas de problème. Nous aurons de nombreuses questions à vous poser dans quelques minutes. Je vais céder la parole au deuxième témoin qui, si j'ai bien compris, a des remarques introductives.
Virgil Wiebe, directeur de l'enseignement clinino-juridique, professeur de droit, Faculté de droit de l'Université St. Thomas, à titre individuel : Bonjour, monsieur le président. Merci beaucoup pour l'occasion que vous m'offrez de venir témoigner, aujourd'hui, devant votre comité. Avant de commencer, j'aimerais d'abord dire qu'en me préparant, hier soir, j'ai été attristé d'apprendre que M. Mohammed Ibrahim, superviseur du nettoyage de munitions de Norwegian People's Aid, au Liban, a été tué par une arme à sous-munitions, vendredi dernier, alors qu'il participait à des opérations de déblaiement. Il s'agit d'un triste rappel des problèmes auxquels nous sommes confrontés aujourd'hui, et qui vous interpellent ici, alors que vous cherchez à mettre en œuvre la Convention sur les armes à sous-munitions.
Je dois également préciser que je vais témoigner en grande partie à la demande de Jeff King, chargé de cours au Collège universitaire de London. M. King n'est pas disponible puisqu'il est en Chine. Le professeur King et d'autres universitaires canadiens ont rédigé une lettre ouverte qu'ils ont communiquée au comité et au gouvernement, la semaine passée. J'ai eu le privilège d'être le seul Américain à qui on a demandé de participer et de signer la lettre, ce qui m'a permis, en quelque sorte, d'être associé à ce contingent d'universitaires canadiens et d'être fier de servir mon pays de cette manière. Je ferai de mon mieux pour représenter l'esprit et la lettre de cette missive, mais je m'empresserai d'ajouter que je comparais ici à titre individuel, en ma capacité personnelle, surtout pour ce qui dépasse la portée de cette lettre ouverte.
J'aimerais vous donner quelques renseignements à mon sujet. Je suis professeur de droit, ici, à l'Université St. Thomas, à Minneapolis, au Minnesota, où j'enseigne et je pratique le droit depuis les 10 dernières années. Ici, je suis également codirecteur du Inter-professional Centre for Counselling in Legal Services et président du département d'éducation clinique. En plus de diriger notre clinique juridique pour l'immigration et les réfugiés, j'enseigne le droit de l'immigration. J'ai également enseigné des cours sur les réfugiés et le génocide, ainsi que les guerres et la paix pendant des périodes de terreur.
Depuis 1995, je suis expert-conseil en droit international au Comité central mennonite, où je me spécialise sur les questions relatives aux armes à sous-munitions. J'ai assisté à bien plus de réunions du traité sur la Convention sur certaines armes classiques que je ne m'en souviens et j'ai également suivi les négociations du traité d'Ottawa qui ont eu lieu dans les années 1990.
En 1995, à la demande du Comité central mennonite, j'ai demandé à un cabinet d'avocats de New York de rédiger un protocole interdisant l'utilisation d'armes à sous-munitions, ce qui fait près de deux décennies de cela.
Depuis 1999, je siège au conseil du Groupe consultatif de l'action antimines Amérique, dont je suis actuellement le trésorier. Avec nos partenaires MAG du Royaume-Uni, nous œuvrons pour sauver des vies contre les mines terrestres, les munitions non explosées et les autres armes qui restent dans les conflits.
En 2007, dans le cadre d'une délégation du Groupe consultatif de l'action antimines, j'ai visité des villes et villages du Liban ainsi que des fermes qui étaient truffés d'armes à sous-munitions non explosées qui dataient du conflit de 2006 et j'ai également vu des sites, depuis lesquels le Hezbollah lançait des roquettes à sous-munitions vers Israël.
En tant que membre du Comité central mennonite, j'ai contribué à la création de la Coalition contre les armes à sous-munitions, il y a près de 10 ans de cela. J'ai suivi de près le processus du traité d'Oslo. J'ai assisté à la conférence préparatoire à Vienne, en 2007, et à la séance finale des négociations, à Dublin, en 2008. Plus tard, en 2008, alors que j'étais en congé sabbatique, j'ai été chercheur à l'Institut des Nations Unies pour la recherche sur le désarmement et j'ai été l'auteur et le coauteur de nombreux articles et rapports sur la légalité des armes à sous-munitions, aussi bien avant qu'après la signature de la Convention sur les armes à sous-munitions.
En 2009 et en 2010, je me suis joint à une équipe d'universitaires et de diplomates, sous la direction de Gro Nystuen et de Stuart Maslen, pour préparer un commentaire sur la Convention sur les armes à sous-munitions publié par Oxford University Press.
Aujourd'hui, dans mon exposé, je ne vais pas aborder tout ce qui me préoccupe dans ce projet de loi. J'ai passé en revue la plupart des commentaires faits au cours des dernières semaines et je désire joindre ma voix à celles du Comité international de la Croix-Rouge, de Human Rights Watch et de la Coalition contre les armes à sous-munitions et autres qui ont soulevé de graves inquiétudes au sujet de l'article 11, en particulier. Je désire préciser plusieurs points mentionnés plus tôt dans les discussions et dans la lettre ouverte et ce, aussi bien d'un point de vue juridique que du point de vue des politiques.
Tout d'abord, je désire vous rappeler que l'article 21.3 de la convention autorise la coopération et les opérations militaires des États parties uniquement conformément au droit international — je voulais juste vous rappeler ce point. Dans la lettre ouverte, nous en arrivons à la conclusion que l'article 21.3 permet d'éclaircir les obligations générales énoncées à l'article 1. Il ne faut pas oublier que, peu importe que l'on interprète le terme « nonobstant » à l'article 21.3 comme créant une précision ou une exception, il autorise uniquement les opérations et les coopérations militaires, en vertu du droit international.
Comme le précise notre commentaire, l'article 21 ne peut pas être interprété comme dérogeant à toute autre obligation en vertu du droit international, y compris les dispositions pertinentes qui relèvent des droits de l'homme ou du droit humanitaire international.
Il convient de noter qu'il existe une réelle possibilité d'interdire l'utilisation des armes à sous-munitions en vertu du droit coutumier et international. La jurisprudence s'est développée à cet égard, aussi bien dans le domaine de la responsabilité des États que dans le domaine de la responsabilité pénale individuelle. En 2004, la Commission des réclamations entre l'Érythrée et l'Éthiopie a tenu l'Érythrée responsable des civils tués en Éthiopie, lors d'attaques avec des armes à sous-munitions, en 1998. De plus, en 2007, le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie a tenu pénalement responsable l'ancien président de la République serbe de Krajina pour les morts et les blessures causées par des tirs de roquettes d'armes à sous-munitions sur Zagreb, en 1995.
Mon deuxième point porte sur l'article 11 du projet de loi qui propose de très larges exceptions à l'article 1. Cela permet au personnel canadien de minimiser le caractère national de ses activités, au détriment du Canada et des États hôtes, des coalitions ou des organes internationaux. Si je comprends bien le terme « affectation », selon la terminologie militaire canadienne, il s'agit des assignations à l'extérieur du Canada « quand ce service ou cet entraînement doit procurer surtout un avantage aux Forces canadiennes ». Le ministre des Affaires étrangères, lors de ses commentaires du 4 octobre, a parlé, de manière éloquente, des avantages pour les commandants canadiens lorsqu'ils sont affectés comme commandants adjoints auprès d'unités américaines. Tel que je le comprends, le terme « détachement », selon la terminologie militaire canadienne, est utilisé « quand ce ne sont pas les Forces canadiennes qui tirent le plus grand avantage du service en question ». Cela doit vraisemblablement être utile pour l'hôte.
L'article 11 du projet de loi équivaut, à mon sens, à un article disant « je ne me sens pas moi-même aujourd'hui ». Cet article permettrait au personnel canadien, dans certaines situations, d'ordonner des attaques d'armes à sous- munitions, tout en commandant d'autres forces ou d'acquérir des armes à sous-munitions dans des situations de défensive, alors qu'elles n'ont pas le dernier mot sur le choix des armes à employer.
En tant que puissance moyenne, le Canada a joué un rôle de chef de file pour pousser les gouvernements et les armées du monde à ne plus utiliser d'armes d'emploi ou de frappe aveugle comme les mines terrestres et les armes à sous-munitions. Les Canadiens ont également été des pionniers dans la mise au point de principes dans les domaines de l'intervention humanitaire et de la responsabilité de protéger. Bien que j'aie mes réserves au sujet des interventions humanitaires, je trouve qu'il serait terriblement ironique que les Canadiens soient impliqués dans l'utilisation d'armes à sous-munitions dans le cadre d'opérations militaires humanitaires.
En tant qu'avocat spécialisé dans la protection des réfugiés et en tant que personne qui s'intéresse au dossier des armes à sous-munitions, je me souviens d'avoir représenté un Kosovar albanais qui avait fui la Serbie. Il m'a confié qu'il avait été encouragé lorsqu'il avait vu les avions à réaction de l'OTAN survoler la forêt dans laquelle il se cachait, avec d'autres personnes.
Toutefois, j'ai également entendu l'histoire d'un homme qui est devenu mon ami, au fil des ans. Cet homme était un agent de police serbe qui était chargé de déblayer les armes à sous-munitions larguées par l'OTAN — et il a fini par perdre ses bras dans ce processus. Ces deux personnes que j'ai rencontrées par le passé illustrent bien cette ironie.
L'art du possible, par opposition à l'art de la perfection, a été mentionné au cours de ces discussions. Je dois dire que le Canada, en faisant avancer ces enjeux, devient vraiment le Picasso de l'art du possible. J'espère qu'au lieu de laisser les valeurs canadiennes à la frontière, le Canada et son personnel vont continuer à être des chefs de file.
En tant qu'Américain, je dirais que, de ce côté de la frontière, nous avons besoin de votre sagesse et de vos valeurs et que vous poussiez pour les obligations énoncées à l'article 21.2 pour universaliser le traité.
Mon troisième point répète un point soulevé dans une lettre ouverte qui disait que l'alinéa 11(1)b) du projet de loi, à la lumière de l'histoire de la convention, et de par son objet et de son but, contrevient à la convention. Il soulève de graves inquiétudes face au manquement aux responsabilités, en vertu de la convention, car il propose d'interpréter le texte de l'alinéa 21.4d) comme s'il permettait aux Forces canadiennes de demander expressément l'utilisation d'armes de sous-munitions, dans le cas où le choix des munitions utilisées ne dépend pas exclusivement des Forces canadiennes. Nous rejetons une telle interprétation dans nos commentaires. La raison en est que les rédacteurs avaient probablement en tête des situations, où un État partie, peut-être par le biais d'un commandant de force ou d'une force multinationale, détient le contrôle exclusif du choix des armes à utiliser. Cette interprétation est appuyée par la mise en œuvre d'une loi par l'Irlande. En disant expressément que l'utilisation d'armes à sous-munitions dans ce genre de situations n'est pas envisageable, le texte de la convention n'autorise pas implicitement la situation inverse — à savoir qu'un État puisse tout simplement ordonner l'utilisation d'armes à sous-munitions tant qu'il n'a pas le contrôle exclusif de ces armes. Je suis convaincu qu'une telle position est en contravention directe avec l'objet et le but du traité, dans son ensemble.
Le commentaire indique que les rédacteurs de la disposition avaient fort probablement en tête des situations d'opérations militaires combinées, où les forces d'un État auraient pu demander de l'aide, par exemple sous la forme d'unités d'artillerie ou de bombardements aériens, d'unités qui appartiendraient à un État non partie, pour garantir l'objet d'une mission ou pour défendre leurs périmètres. Des sénateurs de tous les partis confondus ont pris note des inquiétudes soulevées pour les troupes canadiennes de premières lignes qui demandent l'appui protecteur à des États parties. Cependant, cela ne vient pas défendre la position voulant que ces troupes qui demandent le soutien doivent alors dire : « Nous aimerions des armes à sous-munitions », sans pour cela faire face à la responsabilité personnelle qui en découle.
Un de mes derniers points porte sur le fait que, dans ma compréhension limitée des choses — je dois souligner ma compréhension limitée — aussi bien du Code criminel que du Code de discipline militaire, on dit que pour qu'un militaire soit tenu responsable d'un point de vue pénal, il faut qu'il ait eu une intention requise et des connaissances particulières. Il faut aussi qu'il ait eu l'objectif requis d'enfreindre la loi. Il se pourrait que, par inadvertance ou de manière accidentelle, vous demandiez du soutien et que les personnes qui vous viennent en aide se servent d'armes à sous-munitions. Maintenant, si vous en faites une demande expresse, cela est tout à fait différent.
J'aimerais conclure en vous remerciant, une fois de plus, de m'avoir permis de venir vous faire part de mon avis sur la mise en œuvre de la convention, étant entendu que je ferai de mon mieux pour répondre à vos éventuelles questions.
Le vice-président : Merci beaucoup, monsieur Wiebe, pour votre exposé. J'ai dressé une liste de sénateurs qui désirent poser des questions. Les sénateurs pourraient-ils préciser à quel témoin ils adressent leur question? Si elles s'adressent aux deux, veuillez également le préciser.
Le sénateur Hubley : Bienvenue à tous les deux. Je vais poser ma première question à M. Poston, si vous le permettez. Bien que vous n'ayez pas eu d'exposé, je me demande si vous ne pourriez pas nous parler de votre expérience en ce qui a trait aux armes à sous-munitions. Et j'ajouterais une question à cela : quel est l'impact des armes à sous-munitions sur les civils?
M. Poston : Je vais remonter un peu plus en arrière, dans mon passé. J'ai été officier du génie dans les Forces canadiennes pendant 20 ans. Après ma retraire, je me suis joint au PNUD et j'ai déménagé au Liban, en janvier 2005.
Pendant l'été 2006, il y a eu le conflit entre le Liban et Israël. À l'issu de ce conflit, bien entendu, le Liban était truffé de milliers de sous-munitions non explosées. S'il y a une chose que le Liban était chanceux d'avoir, c'était un problème préexistant d'armes à sous-munitions et de mines. Si je dis que le Liban était chanceux, c'est parce que le gouvernement, avec l'aide de l'ONU, avait mis en place des structures pour essayer de mitiger l'impact de ces armes à sous-munitions. Parmi ces mesures, on peut citer une autorité nationale de lutte antimines pour organiser et coordonner le déminage. Ils étaient dotés d'une politique nationale, ils avaient des normes nationales et ils avaient également un organe chargé de gérer et d'appuyer les activités de déminage.
Je crois que le plus gros effet des armes à sous-munitions est dû au fait qu'elles empêchent d'accéder à de vastes étendues de terre dont les gens ont besoin pour leur subsistance. À mes yeux, même si une arme à sous-munitions non explosée, c'est-à-dire une pièce d'artillerie défectueuse, agit beaucoup comme une mine anti-personnel, la plus grande inquiétude pour les gens s'explique par le fait que ces zones truffées d'armes à sous-munitions ne sont pas balisées.
En outre, personne ne connaît vraiment l'étendue des zones où se trouvent toutes ces armes à sous-munitions non explosées. Lorsque les équipes de déminage se rendent sur le terrain, elles doivent continuer à nettoyer jusqu'au point où les autorités nationales disent : « Ça suffit; le gouvernement va désormais prendre le risque, mais il n'y a plus aucune arme à sous-munitions dans cette zone. » Le plus gros impact est le fait que les habitants sont privés, pendant des années, d'utiliser leurs terres pour leur subsistance.
Le sénateur Hubley : Diriez-vous que l'utilisation des armes à sous-munitions est à la hausse? Le recours aux armes à sous-munitions est-il à la hausse ou à la baisse?
M. Poston : Je n'ai pas vraiment de réponse à cette question. Je crois que l'Observatoire des mines et des armes à sous-munitions publie, dans son rapport, ce genre de renseignements sur l'utilisation au cours des dernières années. Je n'ai pas cette information avec moi.
Le sénateur Hubley : Pour ce qui est du succès de l'accord d'Ottawa sur les mines terrestres, nous avons reçu des témoins qui nous ont indiqué que le fait qu'il y ait un accord et une convention entraîne une stigmatisation qui semblerait indiquer que les pays ne s'en serviront pas, et je dirais donc qu'il semblerait que le simple fait d'avoir une convention en place interdisant l'utilisation des armes à sous-munitions semble avoir un effet positif. Pensez-vous aussi que cette stigmatisation est réelle?
M. Poston : Oui, tout à fait. Je crois que dans le rapport de l'Observatoire des mines terrestres, on y indique le nom des pays qui ont, au moins, imposé un moratoire sur le transfert de l'utilisation des armes à sous-munitions depuis la signature du traité d'Oslo. Ces pays sont des États non parties qui ont décidé de ne pas transférer, c'est-à-dire, à toute fin pratique, de ne pas vendre d'armes à sous-munitions. Je crois que cela est, en partie, dû à la stigmatisation reliée à ces armes.
Le sénateur Hubley : Contrairement à l'accord d'Oslo, l'accord d'Ottawa ne comportait pas d'article sur l'interopérabilité. Avez-vous des commentaires à ce sujet? Je crois que l'on peut dire que, selon les normes établies, l'accord d'Ottawa fut un succès. Il ne comporte pas de clause d'interopérabilité et, pourtant, cela n'a pas empêché les États de travailler ensemble. Pensez-vous que c'est ce qui pourrait se produire avec l'accord d'Oslo?
M. Poston : Je pense que tout est possible et je ne vois pas pourquoi l'interopérabilité devrait être affectée si les pays disent que les armes à sous-munitions font du mal et qu'on ne devrait pas les utiliser.
Le sénateur Hubley : Monsieur Wiebe, je vais vous renvoyer à votre lettre ouverte que nous avons tous reçue. Dans le premier paragraphe, vous exprimez vos inquiétudes en disant que l'article 11 du projet de loi S-10 « maintenant soumis au Sénat, fera en sorte, en fin de compte, que le Canada viole ses obligations internationales en vertu de la Convention sur les armes à sous-munitions (la Convention) ». Quelles seraient les ramifications pour un pays dont les lois contreviennent à l'esprit et à l'intention de la convention?
M. Wiebe : Je n'ai pas l'article pertinent de la Convention sur les armes à sous-munitions à portée de la main, mais cela permettrait à d'autres États de poser des questions au Canada et, peut-être, de lui demander de rendre des comptes. Je suis désolé de ne pas avoir cet article précis sous la main.
L'article 19 du traité indique que les réserves ne sont pas autorisées. Ce que ce projet de loi vient faire — du moins en apparence —, c'est se rapprocher lentement du point où le Canada va essayer de se tailler des réserves, même si on ne les appelle pas ainsi, exactement.
Le sénateur Segal : Mes questions s'adressent à M. Wiebe. J'aimerais revenir à l'objectif — qu'il a aimablement partagé avec nous — à l'alinéa 11(1)b) du projet de loi à l'étude devant le comité. Comme il le sait, quand les forces de défense du Canada participent soit à une opération combinée de l'ONU ou à une opération de l'OTAN — une force expéditionnaire, une mission de maintien de la paix, de rétablissement de la paix ou de stabilisation, selon les cas — avec tout le commandement expert et le personnel technique qui voyage avec nos forces, il y a en fait une équipe assez solide de juristes qui suit, de manière à répondre aux questions explicites du commandement, des officiers sur le théâtre des opérations et des autres, comme les capitaines de navires, les commandants d'unité, et cetera, au sujet des retombées juridiques des règles d'engagement et d'autres types de décisions tactiques qu'ils peuvent avoir à prendre sur une base quotidienne.
Je comprends qu'à l'alinéa 11(1)b), les rédacteurs aient abordé cette question en toute bonne foi, mais j'ai l'impression que si cela n'était pas dans la loi, on se trouverait à dire à un commandant canadien, sur le terrain — supposons qu'il se trouve dans une situation où les casques bleus canadiens et d'autres soient attaqués par des individus sans foi ni loi, ne respectant pas la Convention de Genève, pas plus que cette loi ou aucun autre traité — et que ce commandant doive demander du renfort à des pays alliés dont les militaires sont dans la même situation que lui. Bien que nous acceptions l'hypothèse voulant que ce projet de loi puisse empêcher les unités des forces armées canadiennes de déployer volontairement leurs propres armes à sous-munitions, car nous n'en aurions pas dans notre arsenal, la notion voulant que quelqu'un appelle des renforts dans des circonstances délicates, difficiles, où des vies humaines sont en danger — y compris des vies de civils sous notre protection — et que cette personne doive ensuite faire une mise en garde et dire que, bien entendu, il ne s'attend pas à ce qu'on vienne à sa rescousse dans l'heure qui suit si l'opération est assortie de la mise en œuvre de tel ou tel stock de munitions.
Vous ne vous dites pas que des militaires, étant du bon côté, pourraient se retrouver dans une situation difficile? Nous sommes, en partant, tous opposés à l'utilisation d'armes à sous-munitions et nous préférerions dans tous les cas ne jamais avoir à les utiliser, mais ne pensez-vous pas que le traité nous placerait dans cette situation impossible? Ça ne vous interpelle pas qu'un de nos commandants d'unité sur le terrain, ou commandant de n'importe quel pays signataire de ce traité, risque de se retrouver dans une situation où il ne pourrait pas appeler des renforts alliés, malgré les circonstances, pour lui permettre de s'acquitter des mandats que le Conseil de sécurité des Nations Unies, l'OTAN ou d'autres groupes pouvant agir en vertu d'un mandat d'appui ou de commandement international, sont susceptibles de confier à des unités internationales?
M. Wiebe : Je commencerais par dire que de telles situations ne risquent pas de se produire souvent.
Par exemple, je crois savoir que l'OTAN n'utilise plus d'armes à sous-munitions depuis des années. L'utilisation de ce type d'armes est en recul.
Par ailleurs, on a du mal à imaginer que les renforts en mesure d'intervenir ne pourraient déployer que ce genre de munitions. Si, dans l'exemple que vous donnez, la vie des civils placés sous la protection des Forces canadiennes est menacée, il faut savoir que ces munitions en soi constituent une menace pour les civils. Il serait donc contradictoire de les déployer pour protéger des civils.
Je reconnais que la situation que vous avez décrite serait particulièrement délicate, mais outre l'alinéa 11(1)b), le traité permet à un commandant se retrouvant dans de telles circonstances de réclamer de l'aide. Si, en pareilles circonstances, des armes à sous-munitions devaient être employées, le commandant ne pourrait être tenu responsable.
Le sénateur Wallace : Professeur Wiebe, j'ai l'impression que vos propos pourraient être classés en deux catégories, liées entre elles. La première est celle de la politique qui consisterait à déterminer si le Canada doit, d'une façon ou d'une autre, sous une forme ou une autre, prévoir l'utilisation d'armes à sous-munitions. Et puis, il y a, comme on semble l'indiquer dans le projet de loi S-10, la question de savoir si, dans certaines circonstances, le Canada pourrait employer de telles armes sous réserve que ce soit dans le respect de la convention.
Je songe à la façon dont vous interprétez la convention. Comme je n'ai pas suivi les débats — j'ai lu tout ce qui s'est dit au moment de sa rédaction — en voyant le texte, j'ai de la difficulté à faire coller votre interprétation à ce que j'ai compris de la convention.
Je songe en particulier au paragraphe 3 de l'article 21 qui, quant à moi, est très spécifique. Il précise : « Nonobstant les dispositions de l'article 1 »; c'est une disposition qui énonce les interdictions particulières en vertu de la convention relativement aux armes à sous-munitions. Donc, nonobstant les dispositions de l'article 1 qui imposent certaines interdictions, les États parties — dont ferait partie le Canada s'il devait adopter ce projet de loi :
[...] peuvent s'engager dans une coopération et des opérations militaires avec des États non parties à la présente Convention qui pourraient être engagés dans des activités interdites à un État partie.
Ainsi, un État partie pourrait prendre part à des activités qui lui sont normalement interdites. D'après ce que j'ai pu comprendre, ces activités sont énumérées à l'article 1.
J'ai de la difficulté à comprendre le libellé du paragraphe 3 qui énonce précisément les circonstances dans lesquelles un État partie pourrait être appelé à mener des opérations militaires conjointes ou combinées avec un État non signataire. À la façon dont je lis les choses, c'est ce que permet la convention.
Cela étant posé, comment l'article 11 du projet de loi S-10 peut-il ne pas être conforme à la convention? J'ai l'impression que ce qui vous divise fondamentalement — c'est du moins ce que je pense — c'est la convention elle- même, convention qui est trop large. Celle-ci crée ce qu'on pourrait appeler une réserve ou une exception que vous pourriez estimer trop généreuse. Mais voilà, elle est là.
On peut toujours essayer de savoir à quoi pensaient les rédacteurs de la convention à l'époque, mais il faut savoir que beaucoup de parties sont intervenues et que chacune a voulu faire valoir des points de vue différents au stade de la rédaction. Quand j'examine le libellé de la convention, j'ai de la difficulté à me convaincre — et peu importe que les politiques découlant du projet de loi S-10 soient bonnes ou mauvaises; contentons-nous d'accepter le projet de loi tel qu'il est — j'ai donc du mal à me convaincre que cette mesure législative est conforme à la convention. J'ai du mal avec le libellé de la convention et j'ai de la difficulté à conclure que les deux textes vont dans le même sens. Qu'avez-vous à dire à cela?
M. Wiebe : J'aurais deux, peut-être trois réponses à vous donner.
Premièrement, pour ce qui est du libellé de la convention, il faut savoir que celle-ci comporte six textes officiels. La convention a été négociée en anglais, en français et en espagnol. Permettez-moi de vous souligner quelques ambigüités soulevées par la version espagnole.
Au début du paragraphe 21.3 de la version espagnole, on peut lire : « Sin detrimento de lo previsto en el Artículo 1... » qu'on peut traduire de deux façons, je vous le concède. On peut lire : « Nonobstant les dispositions de l'article 1... ». Mais on pourrait également lire : « Sous toute réserve des dispositions de l'article 1... ». Donc, il peut y avoir différentes interprétations. En cas d'ambigüité quant à l'interprétation de textes officiels, il faut se référer à l'objet du traité.
L'objet du traité qui nous intéresse est l'impact de ces armes du point de vue humanitaire. Voilà pour ma première réponse.
Deuxièmement, il faut prendre l'article 21 en contexte, surtout au regard de l'article 21.2 :
Chaque État notifie aux gouvernements de tous les États non parties à la présente Convention mentionnés dans le paragraphe 3 du présent article ses obligations aux termes de la présente Convention...
Il existe donc une certaine tension introduite par l'article 21, mais je ne pense pas qu'il faille considérer que l'article 21.3 donne la possibilité de s'affranchir des responsabilités fondamentales fixées à l'article 1.
Le sénateur Wallace : Je suis d'accord avec vous. Il faut prendre en considération tout le contexte de la convention pour pouvoir en interpréter une disposition. Cela me semble tout à fait cohérent.
Je dirais que, si l'on veut comprendre le paragraphe 3 de l'article 21 en particulier, si l'on veut comprendre ce qui est envisagé quand on fait référence à un État partie et à sa capacité à entreprendre une coopération militaire et des opérations avec un État non-partie, ou des opérations interarmées multinationales, et si l'on veut comprendre la portée de cette coopération et de ces opérations, il faut se reporter au paragraphe 4. Celui-ci dit de façon très spécifique qu'un État partie n'est pas habilité à stocker ou à transférer lui-même des munitions et qu'il ne peut pas lui-même utiliser ou demander à utiliser un choix de munitions sous son contrôle exclusif.
Il me semble qu'en disant qu'il n'utilisera pas les armes à sous-munitions d'une façon qui soit contraire aux dispositions de la convention, les rédacteurs de la convention visaient le cas où un État partie a un contrôle total.
Cependant, si cet État n'a pas le contrôle exclusif, si ça n'est pas lui qui procède à l'utilisation, alors je crois que le paragraphe 4 stipule de façon très claire qu'un État partie y sera autorisé. Selon ma lecture, les opérations militaires interarmées ou multinationales pourraient faire appel à plusieurs États opérant ensemble, peut-être chacun dans sa propre fonction mais œuvrant ensemble de façon concertée.
Comme vous l'avez souligné, cette coopération pourrait également prendre la forme de détachements, à savoir que les officiers d'un pays seraient détachés afin d'assurer des fonctions de commandement auprès d'un pays allié. On peut, selon moi, imaginer différentes combinaisons pour définir ce qu'est une opération interarmées multinationale.
Cela dit, je crois que le paragraphe 4 de l'article 21 indique très clairement que, dans de telles circonstances, l'interdiction porte sur le cas où l'État partie lui-même stocke, utilise ou requiert l'autorisation d'utiliser de telles armes sous son contrôle exclusif, sans implication d'un quelconque autre allié. Que répondez-vous à cela?
M. Wiebe : Je dirais que le paragraphe 21.4 sert tout simplement à faciliter les choses à certains des pays engagés dans les négociations. Par bien des aspects, c'est une reproduction des dispositions du droit international tel qu'il existait avant le traité. S'agissant de la mise en cause de la responsabilité des États et du droit tel qu'il est en train de se constituer, je veux dire de la responsabilité des États lorsque des actes illicites sont commis, lorsque certaines forces sont détachées auprès d'une autre force, si la force détachée a un contrôle effectif et se livre à des actions considérées comme illégales, c'est l'État d'accueil de ces forces qui est considéré comme responsable et non pas celui qui a détaché les officiers.
À ce propos, il peut tout simplement s'agir d'une reprise de la règle concernant la responsabilité de l'État en droit international. Les choses se compliquent lorsqu'on en arrive à la responsabilité criminelle d'un individu, et c'est là qu'existent des exceptions qui, selon moi, vont au-delà du paragraphe 21(4) de l'article 11. J'ai donné un exemple, tant dans mon exposé que dans ma lettre ouverte, illustrant le fait que l'alinéa 11b) va trop loin dans l'interprétation de l'alinéa 21(4)d). Si vous regardez la loi d'application de l'Irlande, où existe une loi régissant la participation à des situations impliquant l'interopérabilité, le législateur irlandais se contente de reproduire pratiquement mot à mot l'alinéa 21(4)d). En d'autres termes, l'Irlande s'appuie sur l'article 21 pour dire que, dans certaines circonstances, ses forces seront détachées et assumeront une responsabilité et que s'ils ont un officier commandant en charge sur le terrain, celui-ci ne peut pas demander expressément le recours à des armes à sous-munitions. Il me semble donc que c'est forcer les choses que de dire que le paragraphe 21(4) permet le contraire, à savoir si je suis moi-même dans un bunker, je peux demander de façon spécifique des armes à sous-munitions.
Le sénateur Johnson : Je pense que vous pourriez et l'un et l'autre essayer de répondre à mes questions.
S'agissant de l'extraterritorialité, préféreriez-vous que le projet de loi S-10 suive les orientations de fond adoptées par le Royaume-Uni, l'Australie, la Nouvelle-Zélande ou l'Irlande?
M. Wiebe : Je vais m'efforcer de répondre. Lorsque des forces militaires ou d'autres personnels d'un État se déplacent à l'étranger, il est parfaitement acceptable que cet État leur confère les attributs de l'extraterritorialité, et je pense que ce serait une bonne chose.
Le sénateur Johnson : Monsieur Poston, souhaitez-vous ajouter quelque chose?
M. Poston : Non, je suis d'accord et n'ai rien à ajouter.
Le sénateur Johnson : Voici ma deuxième question : s'agissant des interdictions qui frappent les investissements ou les désinvestissements en matière d'armes à sous-munitions, préféreriez-vous que le projet de loi S-10 adopte un point de vue restrictif analogue à celui choisi par la Nouvelle-Zélande ou par l'Irlande?
M. Wiebe : Je crois que l'on peut comprendre les dispositions du traité comme disant que les investissements entrent dans la sphère d'interdiction d'aide à la mise au point et à la production d'armes à sous-munitions. Je pense que c'est tout à fait cohérent et que nombre de dispositions comprennent des interdictions en matière d'investissements.
Le sénateur Johnson : Monsieur Poston?
M. Poston : Ce n'est pas vraiment mon domaine de compétence.
Le sénateur Johnson : Il y a aussi, bien sûr, les questions liées à ce qui se passe dans les autres pays qui ont signé la convention.
[Français]
Le sénateur Nolin : Je ne sais pas si nos témoins comprennent le français ou s'ils ont accès à la traduction. Monsieur Wiebe, si je vous comprends bien, en faisant le parallèle que vous établissez entre la Convention d'Ottawa et la Convention sur les armes à sous-munitions, vous invoquez l'argument suivant : il n'y a pas dans le traité, dans la Convention d'Ottawa, d'articles similaires à l'article 21 que l'on retrouve dans la Convention sur les armes à sous- munitions. Ceci n'a pas empêché les États membres d'entretenir avec des États non membres, non parties je devrais dire, sur des opérations militaires ou entretenir de la coopération.
Alors pourquoi les États parties ont-ils décidé cette fois d'inclure un article 21 si ce n'est pas pour exercer chacun, dans leur sphère d'autonomie et de souveraineté, l'exercice des lois criminelles comme ils l'entendent? C'est ce que le gouvernement du Canada a décidé de faire en utilisant l'article 11. Qu'en pensez-vous?
[Traduction]
M. Wiebe : Nous pourrions remonter aux négociations de la convention et voir ce qui s'est passé depuis qu'elle a été signée.
Je crois que certains État ont exprimé des réserves en ce sens que, pour eux, il y avait une différence entre mines terrestres et armes à sous-munitions et que la plupart des pays possédaient des armes à sous-munitions dans leur arsenal. Donc, il a fallu davantage préciser cet aspect.
Au lendemain du traité, la tendance qui était déjà à une utilisation moindre des armes à sous-munitions, a semblé s'accélérer. Seuls des États voyous, comme la Libye, quand Gadhafi était encore au pouvoir, et la Syrie, ont effectivement utilisé ces munitions.
Depuis la signature du traité, d'autres États parties, ont adhéré aux principes établis par le traité d'Ottawa. Une majorité de ces États, à la faveur de la mise en œuvre de la Convention sur les armes à sous-munitions, a considéré qu'une « simple participation » au sein de forces multinationales ou internationales n'est pas interdite par le traité. Voilà le modèle qu'a repris la majorité des États parties au traité d'Ottawa.
[Français]
Le sénateur Nolin : Si je vous comprends bien, le temps et l'usage démontreront si le Canada avait raison d'utiliser ou de développer l'article 11 dans le projet de loi S-10. On ne peut pas préjuger — si on compare la Convention d'Ottawa — pourquoi les État agissent dans leur sphère de souveraineté en toute légalité. C'est leur façon d'interpréter un article comme l'article 21 qu'on retrouve dans la Convention sur les armes à sous-munitions. C'est l'usage et le temps qui feront la preuve que le Canada, tout en respectant sa volonté de faire disparaître ce type de munitions, se gardera une porte ouverte pour entretenir, en tout respect d'une convention internationale, des relations militaires avec des pays alliés.
[Traduction]
M. Wiebe : J'ai — et vous me pardonnerez l'expression — quelques réserves. J'ai trouvé très encourageantes les déclarations du ministre des Affaires étrangères et de la Défense, il y a quelques semaines, quand ils ont dit qu'ils n'avaient pas l'intention d'utiliser ces armes, qu'ils allaient simplement en réclamer l'usage sur un champ de bataille. Si tel est le cas, alors pourquoi les autoriser dans cette loi? Si la politique et les pratiques prévoient que ces armes à sous- munitions ne seront utilisées que dans de rares situations, alors pourquoi en autoriser l'usage dans cette loi?
[Français]
Le sénateur Nolin : Je reprends votre argument; vous nous dites : si je compare le traité d'Ottawa sur les mines antipersonnel et la Convention d'Oslo, dans un cas il n'y a pas d'article qui permette à des États membres et des États non parties d'avoir des relations militaires. Maintenant, nous avons un article comme cela.
Donc, les rédacteurs du projet de loi ont voulu, d'après moi, élaborer un éventail le plus complet possible de possibilités. C'est pour cela qu'on retrouve un paragraphe comme l'article 11(1)b). Ce n'est pas parce que le Canada veut aller à l'encontre du traité, c'est parce que le Canada interprète l'article 21(1) de la convention à sa façon et tente de prévoir un éventail de possibilités, afin de protéger de poursuites criminelles son personnel militaire.
Que pensez-vous de mon argument ou de ma lecture de votre opinion?
[Traduction]
M. Wiebe : Je crois que vous avez exactement décrit la position des rédacteurs du projet de loi. Mais, permettez-moi de ne pas être d'accord. Par exemple, l'alinéa 11(1)b) pousse l'interprétation du traité au-delà de l'esprit et de l'intention de celui-ci. On pourrait dire que, plutôt que de ménager une petite porte de sortie, cet alinéa se trouve à faire défoncer le plancher du traité.
Le sénateur Nolin : M. Wiebe et M. Poston peuvent nous aider à ce sujet. À la lecture de l'alinéa b), pour reprendre ce qu'a dit le ministre dans son témoignage, tout dépend de la nature du poste occupé par le militaire canadien, soit une affectation ou un détachement. Un militaire américain, selon le poste qu'il occupe, pourrait être en mesure de réclamer expressément l'emploi de certaines armes s'il occupe un poste de commandement. Vous n'êtes pas d'accord? C'est pour cela que les rédacteurs ont décidé de rédiger cette disposition de la sorte.
M. Wiebe : Par rapport au projet de loi S-10, je dirais que, dans ce genre de situation, l'alinéa 21(4)d) empêcherait le militaire de réclamer l'emploi d'armes à sous-munitions. Si l'opération relève de son contrôle exclusif et qu'il est le commandant de l'unité, il est précisé ici qu'il ne peut expressément réclamer l'emploi d'armes à sous-munitions. Si cela n'est pas possible en situation de commandement, je trouverais étrange qu'il puisse le faire quand il n'est pas commandant d'unité, et je ne pense pas qu'un militaire en première ligne puisse sauter sur le téléphone et dire : « Envoyez-moi des armes à sous-munitions parce que je me trouve dans telle ou telle situation; je sais que ce n'est pas à moi de décider ultimement, mais c'est ce que je veux. »
Le sénateur Nolin : Il faut cependant lire l'alinéa 21(4)d) jusqu'au bout. Regardez ce qu'il est dit à la fin.
expressément demander l'emploi de telles munitions dans les cas où le choix des munitions employées et sous son contrôle exclusif.
M. Wiebe : Je comprends bien et je n'ai peut-être pas été suffisamment clair. Je pourrai vous soumettre ça par écrit après le témoignage. Ce que je dis, c'est que ça n'implique pas automatiquement que l'inverse est autorisé.
Le vice-président : Il nous reste cinq minutes et trois sénateurs à entendre. Je leur demande d'être très brefs et j'espère que les témoins pourront l'être tout autant dans leurs réponses.
Le sénateur Hubley : Au vu du scénario qui nous a été présenté plus tôt, selon lequel un commandant d'unité sur le terrain peut être confronté à une situation dangereuse à cause de l'action de militaires d'un État non signataire de la convention, et qu'il y a eu emploi d'armes à sous-munitions, pourrait-on ajouter quelque chose dans notre amendement au projet de loi S-10 pour couvrir ce genre de situation? Il en a été question à plusieurs reprises et il semble que cela pose problème. Voyez-vous une façon de modifier le projet de loi S-10 afin d'expliciter ce cas de figure?
M. Wiebe : Une façon serait de reprendre la formulation « simple participation » pour englober l'article 11 dans sa totalité. Le gouvernement irlandais a apporté une précision dans la loi selon laquelle nul ne peut être poursuivi pour un acte ou une omission accidentel ou ayant un lien éloigné ou indirect avec l'acte de commission interdit par la loi et qui, dans d'autres circonstances, aurait pu être considéré comme un geste d'assistance. Ce serait une façon de faire. On ne ferait, à la façon dont je comprends les choses, que réaffirmer les trois piliers du droit pénal canadien, soit l'objet, l'intention et la connaissance.
Le sénateur Wallace : Le sénateur Nolin a, dans sa question, couvert essentiellement ce dont je voulais parler. Il s'agissait de ce que vous aviez dit à propos de l'alinéa 21(4)d). Cependant, monsieur Wiebe, j'ai cru comprendre que vous alliez nous remettre un texte précisant votre pensée à cet égard. Comme j'ai été interpelé par ce que vous avez dit tout à l'heure, j'ai hâte de recevoir ce document précisant vos pensées.
Le sénateur Segal : J'ai une brève question à poser à M. Poston qui voudra peut-être éviter d'y répondre. Je respecte le fait que vous ne soyez pas à l'aise de parler des rapports déposés au cours des deux ou trois dernières années à propos des armes à sous-munitions et des mines. Cependant, pourriez-vous nous dire, en vous fondant sur votre expérience récente acquise lors de votre affectation au Sri Lanka, s'il y a déjà eu déploiement d'armes à sous-munitions, soit par les insurgés, soit par les forces gouvernementales?
M. Poston : Pour l'instant, le gouvernement affirme qu'aucune arme à sous-munitions n'a été utilisée, et aucun rapport officiel ne fait état d'une telle utilisation.
Le vice-président : Au nom du comité, je remercie nos témoins pour leurs déclarations et pour avoir pris le temps de nous renseigner à partir de ce qu'ils savent du sujet.
Chers collègues, nous allons poursuivre la réunion du comité sur le projet de loi S-10, Loi de mise en œuvre de la Convention sur les armes à sous-munitions. J'invite les membres du groupe suivant à bien vouloir se présenter. Je crois comprendre que vous avez des déclarations à faire. Nous vous invitons à ne pas dépasser cinq minutes parce que, comme vous l'aurez remarqué, les sénateurs ont beaucoup de questions à poser et que nous aimerions réserver un maximum de temps pour les échanges.
M. Peachey s'est joint à nous par vidéoconférence et les autres témoins sont sur place. Commençons donc, et dans l'ordre que nos témoins décideront.
Marc Drolet, directeur général, Handicap International Canada : Bonjour. Je m'appelle Marc Drolet et je suis directeur général de Handicap International Canada. Je suis accompagné de Marion Libertucci, responsable du plaidoyer armes, venue spécialement de notre bureau de Paris pour cette occasion. Elle a été témoin à Dublin et à Oslo du processus menant à la convention. Elle fut également témoin du processus de sa ratification en France.
Corécipiendaire du prix Nobel de la paix, Handicap International est une organisation humanitaire indépendante qui célèbre cette année son 30e anniversaire. Notre organisation a également reçu le Prix humanitaire Conrad Hilton en 2011 pour la qualité de ses opérations sur le terrain. Handicap International est sur la ligne de front dans près de 60 pays — y compris Haïti, l'Afghanistan, le Sri Lanka, l'Iraq, la Sierra Leone, le Laos — et travaille aux côtés de personnes handicapées et vulnérables qui sont frappées par la pauvreté et l'exclusion, particulièrement dans les situations de conflit et de désastre.
Les armes à sous-munitions sont des armes meurtrières, difficilement contrôlables et peu fiables qui tuent et mutilent des gens bien longtemps après que le conflit ait cessé. Des estimations crédibles établissent le nombre des victimes directement attribuables aux armes à sous-munitions à plus de 50 000; la plupart d'entre elles sont des civils innocents. Il n'y a aucun contrôle sur la cible ultime de ces armes et, par conséquent, aucun moyen d'assurer une distinction entre les cibles militaires et civiles. Par conséquent, il n'est pas surprenant que des recherches récentes aient montré que plus de 90 p. 100 des victimes recensées sont des civils, et près de la moitié d'entre elles sont des enfants.
Nous sommes présents avec les victimes sur le terrain, afin de leur offrir un soutien pour gérer leur handicap, de tenter de faciliter leur réintégration sociale et de les aider à nettoyer les zones minées — une activité risquée, coûteuse en argent et en temps — et par conséquent, à Handicap International, c'est sur une base quotidienne que nous sommes témoins des ravages créés par l'usage de ces armes.
Je n'ai aucun doute que toutes les personnes réunies ici sont conscientes des conséquences physiques, psychologiques et économiques dévastatrices et à long terme des armes à sous-munitions. Je pense que nous sommes également tous d'accord sur l'importance cruciale de la Convention 2008 sur les armes à sous-munitions et, très certainement, de la nécessité pour le Canada de ratifier cette convention.
Handicap International félicite le gouvernement du Canada d'avoir lancé le processus actuel de ratification, tel que stipulé dans le projet de loi S-10. Handicap International est heureux de noter que plusieurs sections du projet de loi stipulent des interdictions claires et sans équivoque. Malgré cela, nous sommes préoccupés par certaines exemptions et omissions qui vont à l'encontre de l'intention même de la convention. Les exemptions tout particulièrement inquiétantes dans ce projet de loi sont celles concernant l'interopérabilité et l'absence de prohibitions concernant le financement et l'investissement.
En ce qui concerne l'interopérabilité, Handicap International comprend et respecte la volonté du gouvernement d'assurer que les Forces canadiennes puissent continuer à participer à des opérations militaires conjointes avec les alliés du Canada, dont certains ne sont pas signataires de la convention. Cette préoccupation légitime est d'ailleurs traitée de manière explicite dans la convention. L'inquiétude de Handicap International au sujet des exemptions stipulées dans le projet de loi porte sur le fait que celles-ci pourraient non seulement permettre aux Forces canadiennes de participer à des opérations militaires conjointes avec des alliés non signataires de la convention, mais qu'elles pourraient aussi permettre cette participation même si des armes à sous-munitions sont utilisées et même donner au personnel militaire canadien la latitude de demander ou d'ordonner expressément l'usage d'armes à sous-munitions.
Les exceptions contenues dans le projet de loi accordent aussi aux militaires des Forces canadiennes la permission explicite d'acquérir, de détenir et d'utiliser des armes à sous-munitions quand ils sont en situation d'affectation, d'échange ou de détachement.
Ces exceptions permettent aux Forces canadiennes de prêter assistance à une personne utilisant des armes à sous- munitions lors d'opérations combinées, tant que cette utilisation ne constitue pas une infraction pour la personne bénéficiant de cette assistance. Les partisans de cette approche invoquent l'article 21 de la convention pour réconcilier leur position avec le traité. Ce raisonnement néglige le fait que l'article 21, bien qu'il permette une coopération et des opérations militaires entre des États signataires et des États non signataires de la convention, comporte aussi des paragraphes qui imposent des obligations explicites aux États signataires de la convention de décourager activement l'usage d'armes à sous-munitions.
L'article 21 doit être interprété de manière à respecter et à refléter l'obligation stipulée dans l'article 1 de la convention de ne jamais, absolument jamais, aider quelqu'un à commettre un acte prohibé. Car enfin, comment la convention pourrait-elle à la fois exiger de décourager l'emploi d'armes à sous-munitions et, en même temps, faciliter leur usage?
La position de Handicap International sur cette question est basée non seulement sur l'opinion des experts mais également sur les instruments législatifs mis de l'avant par une trentaine de pays, incluant des alliés de l'OTAN tels que la France, la Norvège, le Portugal, la Hongrie et la Belgique, ainsi que d'autres pays tels la Nouvelle Zélande, le Mexique, la Suisse et la Suède.
Les cadres législatifs développés par ces pays ne donnent pas licence à leurs forces armées de se livrer à des activités interdites par la convention, démontrant ainsi que cette licence n'est pas du tout nécessaire pour permettre une participation efficace à des opérations militaires conjointes avec des États non signataires de la convention.
Un autre point problématique est que le projet de loi S-10 ne précise pas que la prohibition d'assistance s'applique aux investissements directs et indirects dans la production d'armes à sous-munitions et de leurs composantes. Plus de 25 pays, y compris le Royaume-Uni, l'Australie, la Nouvelle-Zélande, et la France ont adopté la position selon laquelle l'investissement dans la production d'armes à sous-munitions est une forme d'assistance prohibée par la convention. Le Canada devrait suivre leur exemple.
En conclusion, la Convention sur les armes à sous-munitions représente une étape historique dans le domaine du droit humanitaire international et elle est destinée avant tout à éviter les pertes de vies humaines parmi les populations civiles innocentes. Le projet de loi S-10 devrait être renforcé afin que le maximum soit fait pour promouvoir l'esprit et atteindre l'objectif de la convention d'Oslo. Certaines réserves peuvent être nécessaires, mais elles devraient avoir une portée limitée et certainement ne pas aller à l'encontre des objectifs mêmes de la convention. Tel qu'il est actuellement rédigé, ce projet de loi, paradoxalement, pourrait très bien contribuer à la poursuite de l'usage des armes à sous- munitions, plutôt qu'à leur élimination.
La bonne nouvelle est que, comme démontré par de nombreux autres pays, y compris certains des plus proches alliés du Canada, les exemptions et les omissions que nous avons signalées ne sont pas nécessaires pour parvenir à une législation réellement équilibrée qui permet à la fois la protection des civils innocents et, entre autres choses, la participation du Canada à des opérations militaires conjointes.
En terminant, Lynn Bradach devait témoigner aujourd'hui, avec nous. Malheureusement, elle n'a pas pu se déplacer. Elles est la mère d'un soldat américain, tué lors d'une opération de nettoyage en Iraq. Elle fait maintenant partie du groupe Ban Advocates, un projet mis sur pied par Handicap International afin de donner une voix aux diverses victimes directes ou indirectes de mines et bombes à sous-munitions, quel qu'ait été leur statut, simplement parce que les souffrances causées par ces armes sont ressenties par tous. Nous serions reconnaissants si le comité acceptait de permettre son témoignage lors d'une prochaine réunion.
Au nom de Handicap International Canada, je voudrais vous remercier de nous avoir fourni cette occasion aujourd'hui.
[Français]
Marion Libertucci, responsable du plaidoyer armes, Fédération Handicap International : Monsieur le président, c'est un honneur de pouvoir participer à cette séance d'aujourd'hui. Je suis responsable du plaidoyer armes pour le Réseau Handicap international, et membre du comité de direction de la Coalition contre les armes à sous-munitions. Avec mes collègues de la coalition, j'ai participé au lancement du processus d'Oslo, en 2007, aux négociations de la convention à Dublin, en mai 2008, puis, à sa signature par 94 États, dont le Canada, en décembre 2008.
Sur le terrain, auprès de nos équipes, j'ai eu l'occasion de constater à quel point la dépollution est un travail difficile et dangereux, et j'ai eu la chance de côtoyer les Ban Advocates, ces survivants ou familles de survivants d'accidents par sous- munitions, qui n'ont de cesse de témoigner de leurs expériences : Thoummy, du Laos qui a perdu sa main alors qu'il cherchait de la nourriture pour sa famille aux alentours de son village; Raed du Liban dont le fils a été tué par une sous-munition non explosée lors du pique-nique organisé pour ses cinq ans; la jeune Aynalem d'Éthiopie qui a perdu sa jambe lors du largage de sous-munitions sur son école, et tant d'autres. Tous ont appelé les États à interdire totalement ces armes aux effets dévastateurs sur les populations civiles. Cent onze États à ce jour les ont écoutés, dont le Canada, en signant la Convention d'Oslo.
Les États qui décident de rejoindre la convention en sont les gardiens de l'esprit et de la lettre. Son objectif est clairement indiqué dans le préambule : « faire définitivement cesser les souffrances et les pertes en vies humaines causées par l'utilisation des armes à sous-munitions. »
Ainsi, il est essentiel que les États parties fassent tout leur possible pour éviter de futures utilisations. L'article 21 de la convention ne dit pas autre chose. Et s'il reconnaît la possibilité pour un État partie de participer à des opérations militaires conjointes avec des États non signataire, il ne donne pas carte blanche aux militaires pour utiliser ou requérir l'utilisation d'armes à sous-munitions. C'est l'esprit dans lequel cet article avait été ajouté pendant les négociations à Dublin et c'est ce qu'ont rappelé une trentaine de pays à ce jour, dont plusieurs membres de l'OTAN. Cela ne les empêche absolument pas de participer depuis à des opérations conjointes avec des États non parties.
Ainsi permettez-moi de vous présenter l'approche choisie par la France : en 2009, le ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner a déclaré :
En ce qui concerne l'interopérabilité, nous ne pouvons évidemment pas promettre que nous ne nous défendrions pas aux cotés d'autres forces si nous étions attaqués et si nous devions mener bataille. En revanche, nous ferons tout pour ne pas nous engager aux cotés de pays qui accepteraient de se servir d'armes à sous- munitions et dont les pratiques seraient incompatibles avec cette convention.
Cela n'empêche pas la France de participer à des opérations conjointes avec des États non parties. Ainsi, lors de l'opération militaire multinationale en Libye en 2011, la France a eu le souci d'appliquer les obligations positives de l'article 21, en écrivant à tous les États non parties participant à l'opération pour rappeler ses obligations, notamment l'interdiction d'assistance, pour les décourager d'utiliser des armes à sous-munitions, et pour appeler ces États à rejoindre la convention. Nous estimons que cette application de l'article 21 est tout à fait en ligne avec l'esprit dans lequel il a été négocié, et ne compromet pas la participation des troupes d'un État partie à des opérations conjointes avec des États non parties.
Nous nous réjouissons que le Canada puisse bientôt devenir État partie, mais espérons que le projet de loi sera renforcé sur la question de l'interopérabilité pour éviter de créer un précédent dans la mise en œuvre de la convention qui serait préjudiciable au but poursuivi par l'ensemble des États parties.
[Traduction]
Titus Peachey, directeur, Sensibilisation à la paix, le Comité central mennonite (États-Unis) : Merci au Comité sénatorial des affaires étrangères et du commerce international de me donner l'occasion de m'exprimer devant lui.
Le Comité central mennonite est une œuvre de secours, de développement et d'instauration de la paix des églises mennonites au Canada et aux États-Unis. En plus de 35 ans, le CCM a acquis une expérience de terrain au contact des armes à sous-munitions, notamment en faisant de la sensibilisation, du déminage au Laos et de l'aide aux victimes ainsi que de la promotion de cette cause. Je suis maintenant le coordonnateur du programme de sensibilisation à la paix de CCM États-Unis, mais j'ai commencé à travailler pour le CCM en compagnie de mon épouse, au Laos, en 1980, tout de suite après la guerre.
Nous n'étions pas prêts à voir ce que nous avons vu quand nous sommes arrivés là-bas, car, comme nous allions l'apprendre plus tard, les États-Unis avaient largué 260 millions de bombes à fragmentation sur le Laos. Village après village, nous avons vu des survivants ayant été blessés par des éclats de bombes à fragmentation, nous avons aussi vu ces armes à sous-munitions dans les champs, les jardins et les cours d'écoles; il y en avait parfois des dizaines. Nous avons vu des paysans qui déplaçaient précautionneusement des armes à sous-munitions, à mains nues, pour les écarter des sentiers pratiqués par les villageois, et nous avons vu d'excellentes terres transformées en jachères parce que les habitants considéraient qu'elles étaient trop dangereuses pour les cultiver. Nous avons recueilli les récits de parents qui nous ont dit que des jeux d'enfants s'étaient transformés en tragédie quand leur progéniture avait découvert une bombe à fragmentation, ressemblant à la maquette que j'ai en main.
En 1981, mon épouse Linda est allée visiter une famille dans un village. La mère de cette famille de 11 enfants avait été tuée la veille, pendant qu'elle sarclait. Elle avait déclenché accidentellement une bombe à fragmentation enfouie dans le sol. Son mari m'a donné la lame de houe, que j'ai ici, en me disant : « Rapportez cette lame de houe en Amérique pour raconter notre histoire afin que d'autres, ailleurs dans le monde, n'aient pas à vivre la même tragédie. »
Ce qui est remarquable, c'est que cette simple demande montrait bien que ce paysan laotien avait saisi l'intention du traité international sur les armes à sous-munitions : la prévention. C'est pour cette raison que je transporte cette lame de houe avec moi depuis plus de 30 ans, que je raconte encore et encore le récit de cette famille dans toutes les églises et dans tous les bureaux de gouvernement où je vais, ainsi qu'à la société civile. Malheureusement, ce qui est arrivé à cette famille est arrivé à bien d'autres, pas uniquement au Laos, mais dans bien d'autres pays dans le monde.
Notre travail de promotion de la cause, au cours des 20 dernières années, a porté sur la prévention. J'ai représenté le CCM dans des réunions de la Convention sur les armes conventionnelles et je suis intervenu auprès du gouvernement américain pour réclamer l'interdiction des armes à sous-munitions, et cela dès 1994. Le CCM est également un membre fondateur de Mines Action Canada et de la Cluster Munitions Coalition.
L'une des choses que j'ai trouvées les plus utiles dans ma vie a été de participer à de nombreuses rencontres du processus d'Oslo lors desquelles a été rédigée et négociée la Convention sur les armes à sous-munitions. J'ai eu l'impression à cette occasion que le monde commençait à comprendre la requête de ce villageois laotien, en 1981, et de puiser un peu de foi dans ses propos.
La Convention sur les armes à sous-munitions interdit de façon absolue l'usage de toute arme répréhensible. L'une des caractéristiques remarquables de ce traité humanitaire, c'est qu'il a été conçu avec la participation et la contribution de résidents de régions touchées par ce phénomène, un peu partout dans le monde. Chaque fois qu'il y a eu des négociations et des débats à Oslo, à Vienne, à Lima ou à Dublin, des survivants de bombes à fragmentation ont été présents; certains avaient perdu des membres, d'autres la vue, mais tous sont venus témoigner, dans leurs propres mots et par leur simple présence sur la nécessité d'adopter un traité humanitaire fort qui devait permettre d'éviter la répétition des tragédies qu'ils avaient vécues.
Le CCM se réjouit que le Canada ait décidé de signer ce traité et il applaudit aux efforts actuels déployés pour la ratification de cette convention importante. J'estime que le projet de loi S-10, de même que toutes les mesures de ratification d'autres pays, devraient être adoptés suivant le même processus d'examen rigoureux que celui appliqué pour le traité international, c'est-à-dire en présence de personnes représentant les régions touchées qui ont déjà tant perdu.
À cet égard, je crains que, dans sa forme actuelle, le projet de loi S-10 risque de ne pas passer la barre pour deux raisons importantes : premièrement, il n'y est pas fait mention des nombreuses obligations positives des pays signataires de la Convention sur les armes à sous-munitions, comme la destruction des stocks, la prestation soutenue d'aide aux victimes et la promotion des normes établies par le traité auprès de pays non signataires. Si ces obligations positives étaient explicitement reprises dans le projet de loi, elles établiraient clairement un rôle contraignant en vertu duquel il serait certain que le Canada excellerait dans le respect de ses obligations découlant du traité. Deuxièmement, si on ne fait pas attention, les exemptions prévues à l'article 11 du projet de loi S-10 pourraient signifier, dans le meilleur des cas, que le Canada maintiendra le statu quo en pérennisant l'utilisation des armes à sous-munitions dans certaines circonstances et, dans le pire des cas, que l'armée canadienne pourrait directement contribuer à infliger davantage de souffrance humaine. Cette disposition risque d'affaiblir l'intention du traité qui est d'appliquer une interdiction complète. Si d'autres États suivent l'exemple du Canada et mettent en œuvre le traité de cette façon, ceux et celles qui cherchent simplement à nourrir leurs familles risquent de continuer à vivre les mêmes tragédies : les enfants continueront de déterrer des bombes à fragmentation plus modernes, mais tout aussi létales, comme celle-ci, le long des sentiers qui les conduisent à la maison; d'autres lopins de terre jugés trop dangereux seront laissés en jachères; de courageux démineurs dans le monde, comme celui dont M. Wiebe a parlé dans son témoignage, devront continuer de risquer leur vie pour redonner la terre aux résidents locaux, et des soldats, comme les 25 soldats américains tués par des armes à sous-munitions américaines durant la guerre du Golfe — comme c'est précisé dans ce rapport gouvernemental — continueront de courir le risque de tomber sur ce genre de munitions.
J'exhorte respectueusement le comité à veiller à ce que le Canada adopte une approche de principe en matière de mise en œuvre de la convention. Le Canada peut contribuer à faire en sorte que la communauté internationale empêche effectivement l'utilisation des armes à sous-munitions, plutôt que de contribuer à davantage de souffrance humaine. Le mémoire du CCM à propos de la convention précisera davantage ces préoccupations.
Lors de nos déplacements au Laos, dans les années 1980, ma conjointe et moi avons souvent été accueillis par des familles laotiennes. Ce n'est pas facile quand on est un simple citoyen américain d'être accueilli par une famille laotienne dans sa maison au toit de chaume et qu'on représente le gouvernement qui a largué la bombe ayant tué l'enfant ou la mère. J'espère qu'aucun Canadien n'aura jamais à s'asseoir au milieu d'une famille en deuil, dans un autre pays, en sachant que leur gouvernement a ordonné, réclamé ou autorisé l'utilisation d'armes à sous-munitions appartenant à un État non partie à la Convention des armes à sous-munitions.
Pour conclure, je tiens à vous dire que le citoyen américain que je suis est reconnaissant envers le Canada pour le leadership très affirmé dont il a fait preuve dans les efforts déployés en vue d'interdire les mines terrestres. J'ai participé à la cérémonie de signature du traité d'interdiction des mines terrestres en 1997 et j'ai été impressionné par l'incroyable capacité du Canada à constituer une coalition internationale très forte qui a permis de mettre un terme à la production, à l'utilisation, au stockage et au transfert de mines terrestres. Ce fut un des meilleurs exemples de leadership fondé sur des principes moraux dans un contexte où les intérêts politiques et les intérêts militaires s'opposent, non seulement au Canada, mais aussi dans le reste du monde. J'espère que le Canada adoptera ce projet de loi de ratification de la Convention sur les armes à sous-munitions qui soit digne de cet héritage positif.
Le vice-président : Merci.
Le sénateur D. Smith : J'aimerais remercier les trois témoins. Leurs interventions ont été extrêmement utiles.
Monsieur Peachey, votre expérience au Laos nous rappelle la nécessité de nous y prendre comme il faut dans la loi canadienne. Je tiens d'ailleurs à vous dire que la communauté mennonite du Canada et les principes dont elle s'inspire méritent mon plus grand respect.
Nous ne savons pas si le gouvernement est prêt à accepter des modifications ou pas, mais comme nous avons l'esprit ouvert de notre côté de l'allée, l'intuition me dit que nous devrions opter pour la simplicité, sans chercher à remanier le tout pour avoir un libellé absolument parfait. J'ai d'ailleurs déjà soulevé cet aspect auprès de nos témoins de la semaine dernière. Je peux vous donner deux exemples des solutions les plus simples proposées. Ainsi, M. Warren Allmand a fait valoir qu'il suffirait de supprimer l'article 11, ce qui placerait la question dans la même catégorie que les mines terrestres, et qu'il pourrait s'en accommoder puisqu'il n'y aurait pas d'exemption. Un autre témoin a rappelé que plusieurs pays avaient pris des mesures tout en précisant que son organisme privilégiait la formule adoptée par la Nouvelle-Zélande. La suppression de l'article 11 pourrait être une solution plus simple car, dans le cas de la Nouvelle- Zélande, il y aurait des pages et des pages à réécrire.
Je ne demande pas au témoin de me dire ce qui serait parfait, mais plutôt ce qui pourrait être acceptable. Si nous proposions par exemple de supprimer l'article 11 afin que le projet de loi s'inscrive dans la même catégorie que les mines terrestres ou encore, si nous proposions d'imiter l'exemple néo-zélandais, sous réserve de pouvoir compter sur l'approbation de l'autre côté, qu'est-ce qui ferait votre affaire?
M. Drolet : Handicap International Canada n'est évidemment pas un organisme à vocation juridique. Nous ne sommes pas là pour prodiguer des conseils ou formuler des avis juridiques.
Le sénateur D. Smith : Je suis avocat; je n'y peux rien.
M. Drolet : Je comprends, monsieur. Il ne nous appartient pas de décider s'il faut oui ou non supprimer ou modifier un article. La seule chose qui importe c'est de lui donner la force voulue.
Vous avez évoqué l'exemple de la Nouvelle-Zélande qui, à ce qu'il nous semble, a trouvé une bonne manière de s'y prendre et une solution plus facile. Nous devons néanmoins stigmatiser le recours aux armes à sous-munitions. En signant la convention, le gouvernement canadien a dit non à ces armes. Nous sommes d'accord et nous estimons que le Canada devrait adopter un projet de loi aussi vigoureux que possible. Ce n'est pas à nous de décider s'il faut modifier ou supprimer quelque chose.
M. Peachey : J'aimerais poursuivre vos propos dans la même veine. Je précise que je ne suis pas un expert en rédaction juridique. Pour moi, le critère essentiel se rapporte à la souffrance des gens qui ont subi l'effet meurtrier des armes à sous-munitions, comme je l'ai signalé dans mon témoignage. Il s'agit de connaître l'avis de gens comme Branislav Kapetanovic de Serbie, un militaire expert en neutralisation d'explosifs et de munitions qui a perdu ses deux mains et ses deux jambes lors de l'explosion d'une bombe à dispersion américaine. Il faut parler avec lui et avec des gens comme lui qui ont souffert à cause de ces armes, les regarder droit dans les yeux et leur annoncer que cette loi veillera à ce que ce genre de chose ne se reproduise plus.
Par ailleurs, le projet de loi doit être conforme à d'autres aspects de la convention. Comment peut-on prétendre promouvoir les dispositions de la convention alors que l'on autorise en même temps le recours aux armes à sous- munitions? C'est plutôt incohérent. Quel que soit le libellé, j'espère quant à moi qu'il fera preuve d'intégrité et qu'il viendra réaffirmer l'esprit de la convention.
Le sénateur Segal : Avant de poser ma question à Mme Libertucci, sachez que c'est tout à fait mon avis, et je tiens à ce qu'il en soit consigné ainsi dans le compte rendu. Nous pouvons affirmer à juste titre, monsieur Peachey, qu'il n'y a rien dans le projet de loi pour tolérer, autoriser, inciter ou encourager l'usage par les Forces canadiennes des armes à sous-munitions proscrites dans la convention qui nous occupe. Le projet de loi cherche néanmoins à protéger les Forces canadiennes dans le contexte d'opérations militaires conjointes où les forces d'un autre pays prendraient une décision non conforme à la convention, simplement parce qu'il pourrait s'agir d'un État non signataire. Il me semble qu'on ne saurait reprocher à un gouvernement de vouloir agir de la sorte, car il se doit de songer aux hommes et aux femmes en uniforme qu'il déploie dans des circonstances extrêmement dangereuses, souvent en mission humanitaire, et que le comité central y serait tout à fait favorable.
[Français]
Dans ce domaine, je pose la question à madame Libertucci au sujet de la citation que vous avez soulignée du ministre Kouchner, qui était à l'époque le ministre des Affaires étrangères. Si je comprends bien ce qu'il a dit, il a accepté le principe et le fait que la France sera tout à fait loyale au contenu de cet accord, mais il a dit qu'il faut garder le droit de la France de coopérer de temps en temps avec d'autres nations qui ne sont pas parties de l'accord.
Est-ce que je comprends bien la citation et la façon dont vous l'avez expliquée?
Mme Libertucci : Oui, c'est tout à fait cela. En fait, c'est la possibilité pour un État partie de participer à des opérations conjointes avec un État non partie. Mais tout en rappelant aux États non parties ses propres obligations, donc interdiction d'utiliser ou d'assister à l'utilisation, d'encourager les États non parties à ne pas utiliser et d'appeler les États non parties à rejoindre la convention.
Le sénateur Segal : Je vous remercie.
[Traduction]
Le sénateur Hubley : Monsieur Drolet, dans votre déclaration préliminaire, vous vous inquiétiez du fait que le projet de loi S-10 ne précise pas que la prohibition d'assistance s'applique aux investissements directs et indirects dans la production d'armes à sous-munitions et de leurs composantes. Pourriez-vous nous parler de cet aspect et de l'importance qu'il revêt? Si vous disposez de l'information, pourriez-vous nous dire dans quelle mesure le projet de loi canadien peut être comparé à la loi d'autres États au chapitre de l'investissement direct dans les armes à sous- munitions? Y a-t-il des États qui aient interdit le financement indirect de ces armes?
M. Drolet : Handicap International est d'avis que l'investissement dans la fabrication d'armes à sous-munitions ou de leurs composantes favorise le recours à cette industrie. Par conséquent, le gouvernement canadien devrait inclure une disposition explicite à ce sujet.
Simplement pour vous signaler quelques faits, il existe une ONG belge appelée FairFin qui produit un rapport intitulé Investissements mondiaux dans les armes à sous-munitions. En 2002, 137 institutions financières du monde avaient investi quelque 43 milliards de dollars US dans cette industrie, ce qui est énorme.
Quant à l'information sur le Canada, une quarantaine d'institutions canadiennes ont versé à ce genre d'organisations près de 100 millions de dollars en termes de financement direct.
Le sénateur Hubley : Les organisations auxquelles vous faites allusion, appartiennent-elles au secteur de la fabrication d'armes à sous-munitions? Est-ce là ce que vous voulez dire?
M. Drolet : Oui. Les fabricants sont directement financés.
Le sénateur Hubley : Est-il est du domaine public que ces fabricants produisent en fait des armes à sous-munitions?
M. Drolet : Oui, c'est un fait connu. C'est assez clair.
Le sénateur Hubley : Je vois. Je vous en remercie.
Madame Libertucci, je crois que vous avez dit dans votre déclaration préliminaire que l'article 21 de la convention est en fait satisfaisant et qu'il demeure en ligne avec l'esprit et la lettre de la convention. On dirait que vous nous lancez un défi afin que, dans tous les gestes que nous poserons en tant que gardiens de la convention, nous veillions à protéger l'essence de l'article 1, qui doit primer sur toute disposition subséquente, voire en déterminer le contenu.
Mme Libertucci : Oui. Lors des négociations à Dublin, l'article 21 a fini par être ajouté à la convention en réponse aux inquiétudes de divers pays dont le mien, la France, et le Canada également, qui déploraient le manque de précision à l'endroit de la participation des États parties à des opérations militaires conjointes. Il s'agissait simplement de veiller à ce qu'il soit toujours possible pour les pays de participer à de telles opérations avec des États non signataires.
Ce qui était extrêmement clair pendant les négociations et qui demeure tout aussi clair pour de nombreux pays, c'est que cela ne saurait être au détriment des obligations générales énoncées à l'article 1. Je tiens à répéter que l'article 1 dit que les États ne devraient jamais recourir à ces armes, quelles que soient les circonstances. C'est tout à fait clair, et cela ne veut pas dire qu'un État partie puisse invoquer l'article 21 pour les utiliser, ou qu'il puisse se rendre complice en aidant ou en encourageant autrui à le faire. Je crois qu'il est très intéressant de constater que d'aussi nombreux pays aient adopté cette position à bon escient, notamment pour les opérations militaires conjointes qui sont en cours. Nous ne croyons pas qu'il s'agisse d'un problème tellement énorme que les États parties et non-parties ne puissent arriver à une entente là-dessus.
Le sénateur Hubley : Monsieur Peachey, il n'y a pas beaucoup de gens parmi nous qui aient connu ce que vous avez vécu lors de vos visites au Laos où vous avez pu constater de vos propres yeux les ravages causés par ces armes. Je n'ai pas manqué de relever votre commentaire sur ce qui s'est passé à la convention à Oslo, où des victimes ont pu être présentes et participer aux travaux. Il en ressort que c'est une formule que nous devrions poursuivre lors de nos futurs travaux en vue de sanctionner la loi canadienne. Êtes-vous au courant du libellé de l'article 11 du projet de loi S-10, qui est la loi canadienne visant la mise en œuvre de la convention?
M. Peachey : Oui, un peu.
Le sénateur Hubley : Les divergences semblent surtout s'articuler autour de l'article 11. Diriez-vous que le projet de loi S-10 est fidèle aux principes qui sous-tendent notre approche à la convention, dont vous avez également touché un mot?
M. Peachey : Êtes-vous en train de parler du projet de loi S-10?
Le sénateur Hubley : Oui.
M. Peachey : L'ensemble du projet de loi ou l'article 11?
Le sénateur Hubley : L'article 11.
M. Peachey : Ce qui me dérange de l'article 11 c'est qu'il ne semble pas se préoccuper de la multitude de gens qui ont souffert des armes à sous-munitions partout dans le monde et qui étaient présents au cours des négociations. Handicap International, comme il a déjà été dit, a beaucoup contribué à faire en sorte que les gens soient présents en plus de les préparer à participer activement en décrivant leur situation et en faisant des suggestions sur la manière dont la convention pourrait toucher leur vie personnelle. Il me semble quant à moi que l'article 11 contrevient, contredit ou va à l'encontre des nombreux espoirs que les personnes qui ont survécu à un accident causé par une bombe à dispersion pourraient avoir car il continue à prévoir des exceptions et des circonstances où ce genre d'armes peuvent être utilisées.
Bien entendu, mon sentiment à moi c'est que la vie des soldats, qu'il s'agisse de soldats canadiens ou américains, est tout aussi importante et précieuse que celle des habitants des villages laotiens. Je crois que le message de la convention internationale c'est qu'il y a moyen de protéger toutes les vies sans avoir recours à des armes à sous-munitions. C'est la nouvelle norme à viser. C'est là que nous voulons en arriver. Ainsi, nous nous engageons à mener les opérations en renonçant aux armes à sous-munitions pour éviter de tuer les habitants des villages du Laos ou d'ailleurs, tout en trouvant un autre moyen de protéger nos soldats, dont la vie est toute aussi importante. Voilà ce que la convention internationale est en train de faire à mon avis, alors que l'article 11 ne fait rien pour le promouvoir.
Le sénateur Wallace : Merci à chacun de vous pour votre contribution ici aujourd'hui. Quand j'entends vos commentaires à l'égard du projet de loi S-10, il est indiscutable pour vous trois et, j'en suis persuadé, pour nous tous dans cette salle, que c'est l'objectif d'abolir les armes à sous-munitions que nous devons viser. Je pense qu'il n'y a aucune divergence d'opinion sur ce point-là. Vous avez exprimé vos inquiétudes à l'égard du projet de loi S-10 dans la mesure où il semble créer des exceptions. Cela dit, quand je parcours le texte, et surtout les paragraphes 3 et 4 de l'article 21, il est manifeste que la convention proprement dite crée des exceptions ou qualifications. Elle permet que le recours aux armes à sous-munitions se poursuive, du moins selon mon interprétation personnelle.
Compte tenu de chacune de vos opinions, avez-vous des objections, des inquiétudes ou des réserves à exprimer sur la convention proprement dite? Nous avons certes déjà entendu vos réflexions sur le projet de loi S-10, mais le fondement de ce projet de loi demeure la convention. Est-ce quelqu'un parmi vous aurait des problèmes ou des réserves à formuler à l'égard des qualifications ou exceptions incorporées à l'article 21 de la convention?
Mme Libertucci : En tant qu'ONG, nous aurions certainement pu nous passer de l'article 21. J'estime que les États l'ont négocié de bonne foi. Il y a une possibilité réelle de veiller à ce que l'article 21, ses paragraphes 3 et 4, et surtout le paragraphe 3, soient utilisés d'une manière conforme à l'objectif de la convention.
Une fois de plus, les pays qui ont participé aux négociations tenaient à s'assurer qu'ils seraient en mesure de travailler avec des États non signataires. Cet exemple a déjà été soulevé. Les États non signataires demandent de l'aide parce qu'ils sont sous le feu de l'artillerie ennemie et des armes à sous-munitions sont utilisées. Il s'agissait de veiller à ce que les militaires des États parties qui demandaient de l'aide ne soient pas poursuivis comme étant responsables du recours à ces armes.
Si nous nous contentons de cela, c'est parfait. Néanmoins, j'estime que l'article 21 devrait vraiment être compris comme quelque chose qui n'affaiblit pas la convention, mais qui la renforce plutôt avec les paragraphes 1 et 2. L'article cherche en fait à décourager le recours à ces armes et à travailler pour que ce principe devienne universel. Nous devrions l'adopter et nous charger de veiller à ce qu'il consolide la position des États parties.
Le sénateur Wallace : C'est sans doute un truisme, mais je suppose que vous serez tous d'accord pour affirmer que la convention en soi ne représente pas l'abolition des armes à sous-munitions. C'est évident. Elle autorise en fait que l'usage de ces armes se poursuive dans certaines circonstances. N'êtes-vous pas d'accord?
Mme Libertucci : Je suis désolée, mais je ne suis vraiment pas d'accord. La convention dit que les parties signataires ne devraient pas avoir recours à ces armes. C'est très clair d'un bout à l'autre de la convention. Ce qu'elle dit, c'est qu'il arrive qu'il y ait des pays non signataires parmi nos alliés et que nous devons faire tout notre possible pour qu'ils n'utilisent pas ces armes. Ainsi, les armes à sous-munitions peuvent être utilisées mais nous, nous ne participons pas à leur utilisation. C'est complètement différent.
M. Drolet : J'aimerais ajouter que nous en sommes au processus de ratification. Si nous pouvons améliorer les choses, c'est en effet ce que nous devons faire. Bien que nous ayons mentionné qu'il y a déjà beaucoup de bonnes choses là-dedans, dont des interdictions, il nous faut consolider trois aspects. Premièrement, ce que les Forces canadiennes ne feront jamais, quelles que soient les circonstances, c'est de demander directement l'usage d'armes à sous-munitions, ni d'aider ou d'encourager les autres à y avoir recours. Deuxièmement, le Canada devrait porter son attention sur les obligations positives qu'elle contient. Troisièmement, le Canada devrait décourager activement le recours à des armes à sous-munitions et veiller à le stigmatiser toujours davantage.
Nous allons peut-être un peu plus loin; il ne s'agit pas de commenter la convention proprement dite; il s'agit de savoir comment le Canada peut être à la hauteur du rôle qu'il lui incombe de jouer et renforce son projet de loi en y incorporant ces trois aspects.
Le sénateur Wallace : Désirez-vous faire part de toute inquiétude que vous pourriez avoir à l'égard de la convention proprement dite à l'égard de sa conformité aux principes que vous préconisez?
M. Drolet : Je n'ai pas assisté au processus et Mme Libertucci a déjà fait connaître son opinion là-dessus. Telle est notre position.
M. Peachey : Mon interprétation de la convention proprement dite — je l'ai parcourue il y a un moment déjà — c'est que la disposition visant le recours aux armes à sous-munitions se limite à un type très concret et très limité de ces armes, qui diffère vraiment assez de celles que nous avons utilisées par le passé. J'ai des réserves à l'égard de l'inclusion de cette disposition dans la convention, mais il s'agit d'armes différentes qui ne sont pas vraiment comparables, c'est-à- dire que les armes décrites et autorisées dans la convention ne sont pas comparables à celles que nous avons utilisées par le passé. Elles sont vraiment assez différentes en termes de nombre, de calibre, de poids et de toutes sortes de caractéristiques techniques.
Le sénateur Wallace : Monsieur Drolet, vous avez fait remarquer que le projet de loi S-10 ne contient pas d'interdiction explicite à l'égard des investissements directs ou indirects dans les armes à sous-munitions.
M. Drolet : Oui.
Le sénateur Wallace : Je suis sûr que vous êtes au courant de cela, mais je crois que l'article 6 du projet de loi énonce clairement qu'il est interdit d'encourager, d'inciter ou d'aider quiconque — ce qui est un langage assez général et je suis sûr qu'il englobe l'investissement — à utiliser, développer, acquérir ou posséder des armes à sous-munitions. Si je me souviens bien, quand le ministre a comparu devant nous, j'ai eu l'impression que lui ou ses collaborateurs ont dit que selon eux, l'article 6 interdisait l'investissement dans les armes à sous-munitions. Qu'en pensez-vous?
M. Drolet : Le Canada doit être plus précis dans son projet. Plus de 25 pays, dont l'Australie, la Nouvelle-Zélande, la France et le Royaume-Uni, ont adopté une position assez claire à ce sujet. Ils estiment que cela revient à aider et à soutenir la création et éventuellement, l'usage des armes à sous-munitions; par conséquent, cet aspect doit être très clairement énoncé — plus particulièrement dans la mesure où cela cause des investissements directs et indirects.
Le sénateur Wallace : Si je me souviens du témoignage du ministre, on a eu l'impression que le fait d'avoir un langage plus général dans ce contexte permettrait peut-être d'élargir le filet susceptible de capter les activités que le projet de loi cherche à interdire. Je n'ai pas eu l'impression qu'il ait été question du fait que l'investissement n'était pas visé dans le libellé.
M. Drolet : Je vais passer à Mme Libertucci, qui a assisté au processus de ratification et témoigné de l'effet que l'article sur l'investissement a causé en France ainsi que de la manière dont les banques ont en fait commencé à désinvestir, ce qui est vraiment utile.
Mme Libertucci : En France, nous avons eu des discussions sur la loi nationale, en affirmant qu'il fallait énoncer de manière explicite que les investissements étaient interdits. Le gouvernement a opté pour ne pas incorporer une telle disposition dans la loi et s'est contenté d'une déclaration claire indiquant que cet aspect était couvert par la convention.
Nous croyons que c'est bien car cela a donné un signal clair aux banques et aux institutions financières en France leur faisant savoir qu'elles seraient en situation illégale si elles finançaient des armes à sous-munitions. Cela dit, nous nous sommes fait dire par diverses personnes et par des banques qu'elles auraient préféré un cadre législatif clair car, à ce moment-là, tout le monde serait parfaitement au courant de ce que l'on doit faire ou ne pas faire.
En ce moment, nous reprenons le processus d'évaluation pour savoir s'il faut un projet de loi concret sur cet aspect. Au moment de la ratification en France, la question a été débattue et le gouvernement a affirmé que s'il constatait que la mesure s'avérait insuffisante, il s'arrangerait pour avoir une loi plus concrète et explicite. Je crois que nous avançons dans ce sens, alors il est beaucoup plus intelligent de le faire au départ dans la loi canadienne si tout le monde convient que cet aspect est couvert par la convention. Ainsi, ce serait clair pour tout le monde.
Le sénateur Johnson : Ma question s'adresse à vous tous et elle concerne les États-Unis, la Chine, la Russie, Israël, l'Égypte, l'Inde et le Pakistan, en rappelant qu'aucun de ces pays ne participe aux pourparlers ni ont signé la Convention sur les armes à sous-munitions. À ce que vous sachiez, qu'ont fait, le cas échéant, ces pays en dehors de la Convention sur les armes à sous-munitions pour répondre aux inquiétudes des États parties?
Mme Libertucci : Les États-Unis ont décidé d'imposer un moratoire sur l'exportation de la plupart de leurs armes à sous-munitions, ce qui reconnaît clairement la nature problématique de ces armes.
Il a été intéressant de relever que lorsque les forces de Gadhafi ont eu recours aux armes à sous-munitions en Libye, Hillary Clinton a condamné la mesure en affirmant qu'elle parlait pour la nature inhumaine du régime. C'était assez fort de voir cela.
J'avouerais sans ambages que tous les pays ne sont pas nécessairement de la partie. Il faut retenir cependant que de nombreux pays affirment qu'ils partagent les mêmes buts et objectifs de la convention, même s'ils ne peuvent en être signataires rapidement.
Ensuite, nous assistons également à un effet de stigmatisation qui fonctionne. Comme on l'a déjà dit, très peu de pays utilisent les armes à sous-munitions, dont la Libye et la Syrie, qui ne respectent pas le droit humanitaire international.
Il est très bon de constater que les pays songent aux conséquences de ces armes. Comme vous le savez ou du moins à ce que nous sachions, les États-Unis n'ont pas eu recours à des armes à sous-munitions depuis près de 10 ans. Nous croyons que cette stigmatisation exerce un effet sur d'autres pays, qui comprennent la nature dévastatrice de ces armes, tant pour la population civile mais aussi, comme M. Peachey l'a dit, pour les Forces armées. Ces armes sont un danger pour elles également.
Le sénateur Johnson : Quelqu'un aurait-il quelque chose à ajouter à cela?
M. Peachey : Je n'ai pas vraiment autre chose à ajouter à part ce qui a déjà été dit sur les États-Unis.
La même chose s'est passée avec la Convention sur les mines terrestres. Depuis la signature de cette convention, à ce que je sache, les États-Unis n'ont pas utilisé des mines terrestres, et j'espère qu'il en sera tout autant pour les armes à sous-munitions.
Le sénateur Johnson : Comme vous dites que seulement deux pays sont en train d'utiliser les armes à sous-munitions, même si d'autres pays ne sont pas signataires de la convention, un témoin m'a appris que les États-Unis vont probablement commencer les négociations et qu'ils signeront la convention en 2018. Est-ce une chose réaliste que nous entendons-là vis-à-vis de la synchronisation de notre étude? Avez-vous entendu d'autres pays affirmer quelque chose de la sorte?
Mme Libertucci : En fait, les États-Unis ont affirmé qu'ils mettront fin à l'utilisation des armes à sous-munitions qui affichent un taux d'échec de 1 p. 100, ce qui est le cas de la plupart de leurs armes à sous-munitions. Comme je l'ai déjà mentionné, il ont déjà imposé un moratoire sur le transfert de ces armes.
Il s'agit très certainement d'une arme dangereuse, et nous espérons ne plus assister à son utilisation à l'avenir.
Le sénateur Johnson : Il nous tarde qu'il en soit ainsi, en effet.
M. Drolet : Je crois que le mot clé à retenir est celui de « stigmatisation ». Une fois créée, cette stigmatisation est devenue indissociable des mines terrestres. Il nous faut en faire autant dans la mesure du possible. Si nous invitons d'autres pays à signer et à ratifier la convention, je crois que ce serait une bonne chose.
Le sénateur Johnson : Poursuivez vos travaux s'il en est ainsi. Merci.
Le vice-président : Nous aimerions remercier les témoins de leur participation aujourd'hui.
(La séance est levée.)