Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international
Fascicule 19 - Témoignages du 6 décembre 2012
OTTAWA, le jeudi 6 décembre 2012
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international, à qui a été renvoyé le projet de loi C-24, Loi portant mise en œuvre de l'Accord de libre-échange entre le Canada et la République du Panama, de l'Accord sur l'environnement entre le Canada et la République du Panama et de l'Accord de coopération dans le domaine du travail entre le Canada et la République du Panama, se réunit aujourd'hui, à 10 h 33 pour examiner le projet de loi.
Le sénateur A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Chers collègues, aujourd'hui, le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international poursuit son examen du projet de loi C-24, Loi portant mise en œuvre de l'Accord de libre-échange entre le Canada et la République du Panama, de l'Accord sur l'environnement entre le Canada et la République du Panama et de l'Accord de coopération dans le domaine du travail entre le Canada et la République du Panama, mieux connue sous le nom de Loi sur la croissance économique et la prospérité — Canada-Panama.
Je souhaite la bienvenue à Mme Brigitte Alepin et, par vidéoconférence, à M. Alain Deneault de la ville de Québec et à M. Ben Beachy, directeur de recherche pour Public Citizen's Global Trade Watch, qui se joint à nous à partir de la ville de Washington. Nous espérons que le tout fonctionnera bien, que tous les intervenants pourront nous entendre et que nous serons en mesure de bien communiquer avec les personnes en vidéoconférence à partir de deux endroits différents.
Nous entendrons les témoignages de chacun des invités. J'espère que vos discours d'ouverture seront les plus brefs possible afin que nous puissions passer aux questions. Je vous souhaite la bienvenue au comité et je vais commencer par céder la parole à Mme Alepin.
[Français]
Brigitte Alepin, à titre personnel : Honorables sénateurs et sénatrices, merci de l'invitation.
Vous posez la question très pertinente aujourd'hui, à savoir est-ce que le Canada devrait s'engager dans cette entente de libre-échange avec la République de Panama.
Je présume que si je suis ici aujourd'hui pour répondre à cette question, c'est que vous me demandez de répondre en tant qu'auteure des livres La crise fiscale qui vient, écrit en 2010, alors que les crises fiscales n'étaient pas sur le radar de la plupart des spécialistes, et aussi en tant qu'auteure du récent livre Bill Gates, pay your fair share of taxes just like we do.
Comme nous le constatons, le Canada est peut-être à l'aube de crise fiscale, et plusieurs pays sont déjà en crise fiscale. Si ces pays sont en crise et si le Canada est à risque, c'est pour une multitude de raisons. Les gens qui vont vous dire les raisons précises avec certitude parlent un peu à travers leur chapeau parce que tout cela est un phénomène nouveau et l'impôt est aussi un phénomène nouveau dans l'histoire de l'humanité. Nous faisons donc face à de nouvelles situations et devons imaginer de nouvelles solutions.
La politique actuelle du gouvernement Harper repose sur une approche strictement basée sur la compréhension des crises actuelles comme étant causées uniquement par un problème au niveau des dépenses publiques. Moi, je suis d'opinion — et les statistiques le démontrent —, en tant que spécialiste des politiques fiscales et fiscaliste depuis plusieurs années, que si le Canada est à l'aube de crise fiscale et si plusieurs pays sont déjà en crise fiscale, c'est aussi à cause de problèmes au niveau des revenus.
Ce problème est principalement causé par le fait que ce nouvel ordre mondial est combiné avec ce nouveau phénomène qu'est la monnaie électronique, et que ces deux derniers éléments sont également combinés avec l'apparition et la popularité grandissante des paradis fiscaux. Cela fait en sorte qu'il y a des fuites fiscales grandissantes dans les comptes publics. La dynamique que ces trois phénomènes créent, en même temps, permet une voie de service dans les systèmes d'imposition; sur cette voie de service, il est possible de ne pas être imposé ou d'être très sous-imposé. Et qui voit-on apparaître principalement sur cette voie de service? C'est la super richesse individuelle et corporative.
J'aimerais porter à votre attention trois statistiques canadiennes qui sont extrêmement importantes. Au Canada, les statistiques les plus récentes des particuliers, qui datent de 2009, démontrent que le taux d'imposition du top 1 p. 100 des contribuables canadiens, soient les 35 000 contribuables canadiens qui gagnaient un revenu moyen de 475 000 $ en 2009, étaient imposés au taux effectif de 14 p. 100 au fédéral, et non pas au taux de 24 p. 100 prescrit par la loi.
À titre comparatif, seulement cinq ans plus tôt, les mêmes statistiques du gouvernement canadien démontraient que le top 1 p. 100 des contribuables étaient imposés selon un taux d'imposition de 18,5 p. 100.
Au niveau corporatif, pour démontrer encore la sous-imposition grandissante de la super richesse corporative et personnelle, vous le savez tous, on a beaucoup parlé du fait que les taux d'imposition, depuis l'année 2000 au niveau des grandes sociétés, ont été réduits de moitié, passant de 30 p. 100 à 15 p. 100.
En ce qui a trait à la conséquence dans les statistiques fiscales, je vous invite cette fois-ci à observer une statistique de l'OCDE qui recense, encore une fois, les chiffres de 2009 : la portion qu'ont contribuée les corporations dans les finances publiques est passée de 12,5 p. 100 en 2000 à 10 p. 100 en 2009. Il s'agit d'une baisse de presque 25 p. 100 et qu'on soit pour ou contre l'impôt, qu'on soit de la gauche ou de la droite, les chiffres ne mentent pas.
Si le Canada était une multinationale avec une telle baisse de revenu en une seule décennie seulement, on pourrait dire que cette organisation est en difficultés financières. Alors, la Convention Panama-Canada, comment doit-on l'interpréter? Ce n'est qu'une miette qui permet la mise en place de toute cette structure permettant la détaxation de certains contribuables très bien nantis. Est-ce qu'en ne signant pas cette convention, vous allez stopper cette détaxation? Probablement que non.
Est-ce que vous avez de meilleures façons plus efficaces de contrer le problème des crises fiscales et de faire en sorte que cette minorité de contribuables réussisse à échapper au système fiscal, pas juste canadien mais international? Oui, probablement vous avez des façons plus efficaces de le faire. Mais si vous voulez faire un geste symbolique, si vous voulez faire un premier pas vers une direction où vous voulez agir sur la crise des finances publiques, vous en avez l'occasion en refusant la mise en place du projet de loi C-24.
[Traduction]
La présidente : Je cède maintenant la parole à M. Deneault. Je vous souhaite la bienvenue.
[Français]
Alain Deneault, à titre personnel : Honorables sénateurs, je suis Alain Deneault, enseignant au Département de sciences politiques de l'Université de Montréal et auteur du livre Off Shore : Paradis fiscaux et souveraineté criminelle publié en 2010 au Canada chez Écosociété, en France, chez La Fabrique, et aux États-Unis chez The New Press sous le titre Tax Havens and the Rule of Global Crime.
Les liens de complaisance qu'on observe ces dernières décennies entre le Canada et les paradis fiscaux ne pouvaient pas mieux se confirmer par l'Accord de libre-échange que le Canada a négocié et s'apprête à entériner avec le Panama. Le Panama passe, aux yeux des criminologues les plus sérieux d'Occident, pour un pays phare du blanchiment de fonds issus du narcotrafic dans le monde. Sa zone franche, son port franc et son secteur bancaire offshore en font une plaque tournante notoire tant des stupéfiants que des capitaux relatifs à leur commerce.
Patrick Meyzonnier, commissaire principal de la police à la Direction centrale de la police judiciaire de France, écrit du Panama, sur le ton de l'évidence, qu'il s'agit d'un État narcotrafiquant et blanchisseur d'une partie de l'argent sale de la planète. Il signale que par l'intermédiaire des cabinets d'avocats véreux, des sociétés anonymes ont une durée de vie de quelques heures et il ne faut également que quelques heures pour obtenir une nationalité.
La République du Panama pause en réalité trois problèmes : premièrement, la zone franche de Colon est la seconde plaque tournante de marchandises au monde après Hong-Kong, mais elle est surtout une aire de non-droit qui fait elle- même face à une zone colombienne sans lois ni police. Environ le tiers des échanges totaux du pays passe par son biais. Et le caractère criminel de l'économie à Colon est patent. On y converge notoirement pour y blanchir des capitaux dans le commerce de l'hôtellerie, dans des centres commerciaux factices ou par des loyers fictifs, la contrebande de l'or y est également très importante.
Marie-Christine Dupuis-Danon, qui fut conseillère en matière d'antiblanchiment à l'ONU contre la drogue et le crime de 2000 à 2003, présente, elle aussi, le Panama comme un pays clé de transition des stupéfiants entre les Caraïbes et l'Amérique du Nord. Elle attribue cet état de fait en grande partie à cette zone franche de Colon, qui agit comme un centre de blanchiment régional de premier ordre quand vient le temps d'intégrer les recettes du narcotrafic dans l'économie réelle. Elle précise qu'aucun droit de douane ne prévaut à Colon et le chiffre d'affaires en vigueur dans la zone franche a toujours été en croissance, atteignant 18,6 milliards de dollars en 2008. Premier point.
Le deuxième point, c'est que la zone franche de Colon avoisine trois ports de marchandises et terminaux de conteneurs. Or, le Panama gère le premier pavillon de complaisance au monde, plus de 8 000 navires sont enregistrés au pays. Ces ports francs permettent aux armateurs du monde de contourner toute réglementation digne de ce nom dans le secteur du transport maritime. Et c'est par le transport du secteur maritime que le Panama joue déjà un rôle charnière entre le sud et le nord dans le transport de stupéfiants. Les mafias mexico-colombiennes et jamaïcaines, qui sont très actives au Canada, font notamment transiter la cocaïne qu'elles y coulent par le Panama. C'est notamment le Service canadien de renseignements criminels du gouvernement du Canada lui-même, le SCRS, qui en fait état dans son rapport sur le crime organisé en 2010.
Troisièmement, la zone franche de Colon doit son succès à sa connexion avec un centre financier offshore. Le Panama héberge pas moins de 150 établissements financiers internationaux. On peut ouvrir une banque au Panama aussi facilement qu'une compagnie d'assurances. Le Panama permet aux différents industriels et financiers du monde d'ouvrir à distance des comptes anonymes, de créer des sociétés offshore, ainsi que de mettre sur pied des trusts et holdings qui permettent de mener des opérations de tout genre, seuls, dans l'anonymat le plus parfait. Le secret bancaire est de rigueur.
Et dans les cas des activités ailleurs considérées comme délictueuses, comme par exemple, au Canada, c'est donc l'impunité que le Panama garantit. Une société du Panama n'est pas non plus tenue d'avoir de siège social au pays, seulement un avocat résidant à Panama. 80 p. 100 de l'économie du Panama a cours dans ces différents secteurs offshore.
En conclusion, en signant un accord de libre-échange avec le Panama, le Canada intègre volontairement son territoire aux structures panaméennes qui favorisent le blanchiment de fonds criminels depuis le Panama. Les études de Marie-Christine Dupuis-Danon ou d'Alain Delpirou, Eduardo MacKenzie et il y en a d'autres, montrent que les accords de libre-échange favorisent le trafic de stupéfiants autant que le blanchiment d'argent. Les droits et les formes de contrôle diminuent, tandis que les volumes d'activités augmentent. Il devient donc plus facile de dissimuler aux autorités des activités délictueuses. Dans le cas de l'ALENA, par exemple, les convois routiers ont augmenté, tandis qu'on peut anticiper, dans le cas du Traité canado-panaméen, que des sociétés d'import-export, largement contrôlées par le crime organisé, se trouveront bientôt mises à contribution pour organiser, depuis Colon jusqu'à différents ports canadiens, le transport de stupéfiants.
Le projet de loi C-24 entérinant cet accord au Parlement canadien prévoit candidement, à mon sens, de favoriser, par l'accroissement des échanges commerciaux réciproques, le développement harmonieux des relations économiques entre le Canada et la République du Panama. On fait comme si les investisseurs concernés au Panama pratiquaient ce qu'on appelait jadis le doux commerce. Or, on peut se demander si l'harmonie tant vantée par le législateur canadien ne relève pas, en réalité, d'un fait de dissonance cognitive.
Par cet accord, le Canada se retrouve en réalité à favoriser tout ce qu'il prétend combattre par ailleurs, soit la corruption des élites politiques, la criminalité économique et financière, ainsi que le trafic de stupéfiants.
[Traduction]
La présidente : Merci. Monsieur Beachy, c'est votre tour.
Ben Beachy, directeur de recherche, Public Citizen's Global Trade Watch : Au nom de Public Citizen's Global Trade Watch, je vous remercie de l'invitation à témoigner au sujet du projet de loi C-24. Public Citizen est une organisation américaine nationale sans but lucratif qui défend les intérêts du public. Elle compte 150 000 membres et partisans qui se font les champions des intérêts du public auprès des trois niveaux du gouvernement fédéral américain. Nous avons mené des analyses approfondies sur l'Accord de libre-échange entre les États-Unis et le Panama, qui est entré en vigueur en octobre de cette année et qui est presque identique à l'Accord de libre-échange entre le Canada et le Panama.
J'ai deux points à soulever. D'abord, le Panama continue d'être largement reconnu comme un paradis fiscal, et l'accord ferait en sorte qu'il serait plus difficile pour le Canada d'avoir recours à des politiques pour réduire l'évasion fiscale des entreprises canadiennes ayant des comptes et des filiales au Panama.
Deuxièmement, les dispositions portant sur l'investissement invitent les investisseurs inscrits au Panama à défier directement les politiques d'intérêt public notamment en matière de santé et d'environnement, comme le font un plus grand nombre d'entreprises américaines dans le cadre de l'Accord de libre-échange nord-américain.
Pour ce qui est du premier point, le gouvernement panaméen a sciemment poursuivi une stratégie de paradis fiscal pendant des décennies. Il offre aux banques et aux sociétés étrangères un permis spécial extraterritorial leur permettant d'y faire des affaires. Non seulement ces sociétés ne paient pas d'impôt, mais comme l'OCDE l'a conclu dans son examen le plus récent sur la transparence fiscale du Panama, on leur permet de cacher de l'information concernant la propriété et la comptabilité. Un tel manque de transparence fait en sorte qu'il est plus facile pour les sociétés canadiennes et d'ailleurs de cacher les profits qu'elles génèrent dans leur pays d'origine dans des sociétés de façade extraterritoriales au Panama.
Par conséquent, on estime que le Panama compte maintenant plus de 400 000 sociétés qui y sont inscrites, y compris des filiales extraterritoriales, ce qui équivaut à une société pour neuf Panaméens.
Bien que le Canada négocie actuellement une entente d'échange d'information fiscale avec le Panama en vue de lutter contre l'évasion fiscale, l'Accord de libre-échange entre les États-Unis et le Panama qui sert de modèle comprend de graves failles, de sorte qu'il est peu probable qu'il y ait des changements aux pratiques d'évasion fiscale qui ont lieu depuis longtemps. Plutôt que d'exiger du Panama qu'il échange automatiquement de l'information avec les autorités américaines relativement aux fraudeurs fiscaux, le traité exige des autorités américaines qu'elles recueillent d'abord une grande quantité d'information sur les fraudeurs avant de demander de l'information du Panama, et ce, au cas par cas.
En outre, une importante échappatoire dans l'entente fiscale permet au Panama de contourner les nouvelles dispositions en matière de transparence fiscale si elles sont « contraires à la politique publique du Panama », un libellé assez curieux pour un pays dont une bonne partie des recettes est assurée grâce au strict respect du secret bancaire par rapport aux sociétés étrangères. En effet, depuis que l'entente fiscale est entrée en vigueur, il y a eu très peu de preuves de changement sur le terrain au Panama. En juin dernier, l'OCDE a rapporté que le Panama demeure parmi une poignée de pays dans le monde qui n'ont pas encore adopté un examen primaire de leurs mesures de transparence fiscale, à cause d'une non-conformité presque inégalée relativement à six des neuf vérifications réglementaires pour lutter contre l'évasion fiscale. Même les Îles Caïmans ne méritent pas cette triste distinction.
Dans ce contexte, l'Accord de libre-échange entre le Canada et le Panama ferait en sorte qu'il serait encore plus difficile pour les décideurs politiques canadiens de réduire l'évasion fiscale axée sur le Panama. Par exemple, si le Canada voulait réduire le nombre d'entreprises canadiennes qui transfèrent de l'argent à des filiales établies au Panama après avoir déterminé qu'il s'agissait de sociétés de façade mises sur pied pour l'évasion fiscale, la politique pourrait être contestée en violation de l'article 9.10 de l'accord qui stipule ceci : « Chacune des parties permet que les transferts se rapportant à un investissement visé soient effectués librement et sans délai vers son territoire et à partir de celui-ci. »
Les politiques relativement à l'évitement d'impôt pourraient également être contestées comme violation des dispositions de l'accord touchant sur l'expropriation indirecte ou le traitement national.
Qui contesterait ces dispositions? Le chapitre 9 de l'accord reprend le modèle de règlement des différends entre les investisseurs et l'État figurant au chapitre 11 de l'ALENA, qui accorde à une société ou à un investisseur étranger le statut de nation souveraine, lui donnant le pouvoir de mettre en œuvre à titre personnel une entente publique. Aux termes de ce chapitre, une filiale d'une société canadienne établie au Panama pour des raisons d'évasion fiscale pourrait contester directement les mesures de contrôle canadiennes contre l'évitement fiscal devant un tribunal étranger constitué de trois personnes et n'ayant aucun lien avec le système judiciaire canadien.
Même si l'article 9.15 semble éliminer cette possibilité en exigeant que les plaignants établis au Panama aient des « activités commerciales importantes » au Panama, plutôt que d'être de simples sociétés de façade, les poursuites antérieures entre un investisseur et un État ont déterminé qu'aussi peu que deux employés et qu'une trace documentaire suffisent pour justifier des activités commerciales importantes. Advenant que le tribunal juge en faveur de la société, les contribuables canadiens devraient compenser la société fraudeuse pour les mesures canadiennes de lutte contre l'évasion fiscale.
Les menaces au système d'investisseur-État ne sont pas hypothétiques. Aux termes de l'ALENA, de telles poursuites ont coûté au Canada des centaines de millions de dollars en frais d'avocat et en compensation à des entreprises américaines. Des investisseurs américains cherchent à obtenir à l'heure actuelle 5 milliards de dollars de compensation supplémentaire auprès des contribuables dans le cadre de poursuites investisseur-État menées contre le Canada.
Finalement, ce système investisseur-État représente des risques pour les mesures politiques ne se limitant pas à la lutte à l'évasion fiscale. Les politiques canadiennes qui ont été contestées avec succès et minées par les dispositions investisseur-État de l'ALENA portent sur des droits relatifs à l'eau, le financement de la recherche et du développement et le contrôle de matières toxiques.
Le nombre de poursuites investisseur-État intentées contre le Canada augmente. Le mois dernier seulement, trois sociétés américaines ont déposé une intention d'entamer trois nouvelles poursuites contre le Canada : la poursuite d'Eli Lilly contre une décision de la Cour fédérale canadienne de permettre la production d'un médicament générique contre la schizophrénie, la poursuite de Windstream Energy contre un moratoire décrété par l'Ontario sur des parcs éoliens extracôtiers et la poursuite de Lone Pine contre un moratoire décrété par le Québec sur la fracturation pour l'exploitation du gaz naturel.
L'entente entre le Canada et le Panama accorderait maintenant les privilèges excessifs consentis aux investisseurs dans le cadre de l'ALENA aux plus de 400 000 sociétés inscrites au Panama. Un accord commercial du XXIe siècle devrait corriger les erreurs commises aux termes de l'ALENA, au lieu de les renforcer.
Je vous remercie et je répondrai avec plaisir à vos questions.
[Français]
Le sénateur Fortin-Duplessis : J'aimerais dire à tous les trois que c'est un plaisir d'entendre vos mémoires. Je suis surprise de voir que vous êtes vraiment des antiaccords de libre-échange Canada-Panama. Je crois personnellement que lorsqu'on a mis en œuvre l'Accord de libre-échange avec les États-Unis, cela a été bénéfique autant pour les Canadiens que pour les Américains et notre économie.
Le Canada poursuit actuellement l'objectif d'ouvrir de nouveaux marchés au sein des Amériques, afin de créer des débouchés pour les entreprises et les travailleurs canadiens. Parce que dans une économie on a besoin d'entreprises; c'est ce qui permet ensuite aux travailleurs de trouver de l'emploi.
De quelle manière pouvons-nous atteindre cet objectif, tout en nous assurant de combattre le blanchiment d'argent et l'évasion fiscale?
M. Deneault : Une chose qui m'apparaît importante est de ne pas se laisser abuser par les termes classiques de l'économie politique. On parle d'un pays dans lequel l'économie repose à 80 p. 100 sur des activités de type offshore; 80 p. 100 de cette économie repose sur des opérations de blanchiment d'argent, de fonds issus du narcotrafic ou de forme orchestrée de fuites fiscales des pays du Nord vers ceux du Sud, ainsi de suite.
Si le Canada est aux abois dans sa recherche de marchés au point de pactiser avec un État symboliquement aussi problématique, le mot « investisseur » est mal choisi. Parce qu'un investissement dans l'économie réelle, c'est le fait de prendre des capitaux et de les investir dans des activités qui génèrent des biens et des services pour des communautés. Là, ce qu'on appelle « investissement » dans ce contexte, il s'agit strictement d'opérations de transferts de capitaux voués à contourner des contraintes en vigueur au Canada ou dans des États de droit en règle générale. Quand des investisseurs de Panama placent des capitaux au Canada, soit dans l'immobilier ou dans toutes sortes d'activités déjà établies, ce sera pour blanchir, le plus souvent, des fonds issus du narcotrafic. C'est à ces investisseurs que le Canada ouvre ses portes.
Inversement, quand des Canadiens vont « investir » — avec d'énormes guillemets — au Panama, ce ne sera pas pour générer une activité féconde et pertinente au Panama; ce sera pour contourner les lois fiscales canadiennes. C'est de cela qu'on parle.
Si le Sénat décide d'entériner cet accord, il faudrait au moins modifier les termes et cesser de parler d'investisseurs, mais parler de fraudeurs fiscaux et de narcotrafiquants, au moins, au saura sur quel sujet on vote.
[Traduction]
M. Beachy : De toute évidence, tout le monde voudrait stimuler les entreprises et créer de l'emploi. J'ai trois points brefs à soulever. D'abord, le Panama est un marché relativement petit. La population est l'équivalent de la région métropolitaine de Montréal. Que ce soit bon ou mauvais, l'augmentation des échanges commerciaux ne sera pas énorme.
Deuxièmement, cette augmentation sera bidirectionnelle. On pourrait observer une augmentation non seulement des exportations, mais aussi des importations. Aux États-Unis, nos accords de libre-échange semblables à celui entre le Panama et le Canada ont en fait entraîné une baisse des exportations vers certains pays, par exemple dans le cadre de l'Accord de libre-échange entre la Corée et les États-Unis. Depuis son adoption, les exportations vers la Corée en provenance des États-Unis ont baissé.
Entre-temps, dans la plupart des pays avec lesquels nous avons des accords commerciaux, nos déficits commerciaux ont augmenté. Il est important de tenir compte non seulement de la circulation des produits du Canada vers le Panama, mais aussi des produits panaméens exportés vers les États-Unis et de la délocalisation qu'on a déjà constatée aux termes de l'ALENA, si bien que ce dernier a déplacé l'assise manufacturière. La hausse des déficits représente un coût net relativement aux emplois plutôt qu'un gain net.
Enfin, même s'il y avait un petit gain net, il faudrait le pondérer par rapport aux divers coûts que nous avons soulevés tous les trois ce matin, puisque cela faciliterait davantage l'évasion fiscale en pleine crise financière tout en exposant une panoplie de politiques réglementaires canadiennes à des attaques investisseur-État devant des tribunaux privés.
[Français]
Le sénateur Fortin-Duplessis : Madame Alepin?
Mme Alepin : Le dernier élément de votre question était de savoir si on pouvait conserver la possibilité de faire du commerce avec les entreprises du Panama tout en évitant les désavantages, comme le blanchiment d'argent. Je vous dirais que non, ce n'est pas possible. Je pense que les témoignages du mois de novembre vous l'ont démontré, les retombées économiques, en tant que telles, de cet échange-là sont très peu significatives pour le Canada, quoiqu'on ne doive rien négliger, j'en suis consciente; on doit faire tout ce qu'on peut pour aider notre économie. Mais les désavantages que cette entente va amener pour les finances publiques canadiennes sont nettement plus significatifs que les avantages économiques.
Le sénateur Fortin-Duplessis : Ma deuxième question était : quelles mesures devrait-on négocier pour réduire l'évasion fiscale? J'imagine que vous ne voudrez pas y répondre, car on est en marche, on s'en va vers le vote de l'accord. Alors, avez-vous des suggestions à faire concernant cela? Quelles mesures devrait-on négocier?
Mme Alepin : Votre question c'est, en supplément de cet accord-là ou intégré à cet accord?
Le sénateur Fortin-Duplessis : Oui.
Mme Alepin : En fait, cet accord-là doit être analysé également avec les accords d'échange d'informations que le Canada signe avec différents pays présentement — vous êtes au courant des accords d'échange d'informations. Il faut aussi comprendre que ces accords d'échange d'informations sont interprétés aussi comme des conventions fiscales dans la Loi de l'impôt sur le revenu, et permettent aux entreprises canadiennes, maintenant, de ne pas payer d'impôt, ni au Canada ni dans ces pays, sur les revenus réalisés dans ces pays. Si, par exemple, le Canada signe bientôt un accord d'échange de renseignements fiscaux avec le Panama — et, comme vous le savez, c'est un autre document, à part de la convention de libre-échange, et c'est un accord qui est également en voie d'être passé présentement —, cela fait en sorte qu'il est tout à fait légal que tout ce qui est revenu qui, présentement, serait imposé pour les multinationales canadiennes, et qui sera dorénavant réalisé au Panama, lorsqu'il va être rapatrié au Canada, ne sera pas du tout imposé. Les lois fiscales sont comme cela maintenant.
À votre question, « qu'est-ce que on peut ajouter à cet accord pour empêcher l'évasion fiscale? », je répondrai que ce n'est pas juste cet accord qui est problématique, c'est aussi les accords d'échange d'informations négociés présentement avec le Panama. Il faut le voir dans un tout. Comment pourrait-on éviter cela? Il faudrait arrêter de signer des accords d'échange d'informations et changer la loi fiscale actuelle permettant que ces accords d'échange d'informations soient aussi interprétés comme des conventions fiscales avec les paradis fiscaux.
Votre question est très pertinente, mais il faut l'analyser dans un cadre global, et ce n'est pas juste en ne signant pas cette convention qu'on va stopper l'évasion fiscale avec le Panama. Il faut aussi regarder les accords d'échange d'informations.
[Traduction]
Le sénateur Finley : J'ai quelques questions à poser aux fins d'éclaircissement. J'ai peut-être mal compris le témoin de la ville de Québec. Il a indiqué, je crois, que 80 p. 100 de l'économie panaméenne repose sur le blanchiment d'argent. Est-ce bien ce que vous avez dit?
[Français]
M. Deneault : Non, j'ai dit que, selon un économiste, Michael Planck, qui d'ailleurs est quelqu'un qui est pour le libre marché — ce n'est pas un féroce critique de l'économie de marché — et qui le dit lui-même avec beaucoup de réserves, l'activité économique du Panama relève à 80 p. 100 de ses différentes activités offshore. Comme je l'ai relevé, il y a une zone franche qui est une plaque tournante de marchandises hors de tout contrôle; il y a un port franc qui immatricule un grand nombre de navires, notamment commerciaux, dans le monde, et qui permet donc à des armateurs de contourner toutes les lois sérieuses qui existent dans le monde en matière de transport maritime; et il y a l'activité bancaire. C'est cela que, comme Michael Planck le fait, je place sous l'expression « activités offshore ».
[Traduction]
Le sénateur Finley : Voilà une réponse bien longue à une déclaration toute simple que vous avez faite, et je mettrais quiconque au défi de consulter le procès-verbal et de lire ce qui a en fait été dit.
Je comprends que cela faisait partie de l'histoire du Panama, mais des témoins nous ont assuré que le Panama a fait de grands efforts à cet égard et je crois que l'OCDE a reconnu que la situation des paradis fiscaux au Panama s'améliore. La question que j'aimerais poser aux trois témoins, ou à toute personne qui souhaite y répondre à leur place, c'est ceci : dans l'ensemble, n'est-il pas préférable d'avoir un accord de libre-échange qui nous protégerait contre les paradis fiscaux éventuels? Qu'est-ce qui est plus important au bout du compte? Est-ce l'amélioration du problème des paradis fiscaux, amélioration reconnue universellement, ou bien les efforts continus du Canada pour l'obtention d'une économie vigoureuse et stable grâce notamment à des accords de libre-échange? Qu'est-ce qui est plus valable? Refuseriez-vous cet accord de libre-échange pour des questions d'impôt?
La présidente : Je pense que la question s'adresse aux trois, mais nous allons commencer par M. Deneault.
[Français]
M. Deneault : Je reviendrais sur la finesse des méthodes de blanchiment d'argent qui prévalent aujourd'hui dans le monde économique. Je pense qu'un parlementaire a comme principal souci la précaution. Bien sûr, on peut s'autopersuader, en lisant un document ici ou là, que tout va mieux, ou tend à aller vers le mieux, ou qu'on fait preuve de bonne volonté. J'observe souvent que le gouvernement canadien a, disons, une indulgence variable selon les régions et les États dans le monde. Il reste que, lorsqu'on s'intéresse techniquement à la question du blanchiment, on se rend compte que le blanchiment d'argent c'est déguiser en une opération licite une opération qui est illicite, voire criminelle.
Lorsqu'on lit des sociologues comme Favarel-Garrigues, Lascoumes, Godefroy, des gens ont fait du travail de terrain, sur la façon dont les banquiers doivent en principe connaître leur client et traquer les cas de fraudes eux- mêmes, car c'est à eux souvent qu'on confie la chose, aujourd'hui on se rend compte, d'un point de vue sociologique, que cela ne marche pas, ce n'est pas probant. Ce n'est pas un pays qui a une histoire relative au blanchiment d'argent tel que la sienne, qui peut en quelques années complètement modifier son économie du tout au tout. Cette économie-là est absolument gangrénée par l'activité offshore, et je pense que la mission d'un parlementaire aujourd'hui c'est de faire preuve de précaution par rapport à ces phénomènes.
[Traduction]
Le sénateur Finley : Vous vous attendez à ce que nous acceptions les opinions d'auteurs d'articles et de livres dont je n'ai jamais entendu parler — et je ne m'excuserai pas pour ces propos, étant donné que je ne peux lire qu'un nombre limité de livres chaque jour — et que nous fassions fi de l'évaluation de l'OCDE, une organisation internationale dont j'ai entendu parler, qui affirme que la situation au Panama s'améliore grandement en ce qui a trait aux paradis fiscaux et au blanchiment d'argent? Vous recourez aux mêmes citations qui m'ont amené à poser ma question précédente sur le fait que 80 p. 100 de l'économie survit grâce au blanchiment d'argent. Les causes que représentent ces sources me posent problème. J'aimerais que vous me nommiez un organisme mondialement connu qui corrobore vos arguments, si vous voyez ce que je veux dire. Les gens que vous avez cités ne me disent rien.
[Français]
M. Deneault : En ce qui concerne le premier point, je crois avoir exposé le fait de votre méprise. D'une part, ce n'était pas spécifiquement sur le blanchiment d'argent que je relevais la statistique du 80 p. 100. D'autre part, l'OCDE n'est pas exactement une bible pour comprendre ce qui passe sur le plan des activités extraterritoriales. D'ailleurs, je crois que ce serait plutôt à l'ONU d'avoir aujourd'hui pleine autorité en ce qui concerne la gestion de ce problème. C'est un autre enjeu dont je ne parlerai pas ici.
En marge de phrases très stéréotypées de l'OCDE, il y a des études qui sont volumineuses. Mon métier consiste à les lire et je vous dis que, du point de vue du blanchiment d'argent, ce qui est actuellement de rigueur, si on est un peu sage politiquement, c'est le principe de précaution. Non, on n'a pas d'accord de libre-échange ou de convention fiscale avec des États qui, notoirement, participent au blanchiment des fonds issus du narcotrafic. On ne le fait pas, c'est irrecevable.
[Traduction]
Le sénateur Finley : Vous employez le mot « notoirement », mais l'OCDE a retiré ces États de sa liste grise. Vous avez employé le mot « précaution ». Essayez-vous de me convaincre qu'à titre de sénateur, au cours des deux prochains jours, je devrais voter contre l'accord de libre-échange entre le Canada et le Panama en raison de simples allégations quant à une situation de paradis fiscaux qui va en s'améliorant? Devrais-je dire aux importateurs et aux exportateurs canadiens : « Ne concluez pas de contrats d'affaires avec le Panama parce que c'est trop dangereux. » C'est ce que je devrais dire, selon vous?
[Français]
M. Deneault : Je crois que vous m'avez bien compris.
[Traduction]
Le sénateur Finley : Je ne pense pas.
Mme Alepin : Je vais essayer de répondre à la question du sénateur Finley. Je ne signerais pas cet accord parce que je crois qu'il est illogique pour le Canada de signer une entente d'affaires avec un paradis fiscal.
Le sénateur Finley : Étiez-vous contre la signature de l'accord de libre-échange qui comprenait la Suisse?
Mme Alepin : Pardon?
Le sénateur Finley : Avant mon arrivée au Sénat, je crois que la Chambre avait discuté d'un accord de libre-échange avec la Suisse. Avez-vous comparu devant le comité à l'époque?
Mme Alepin : Je crois que, dans le cas du Panama, c'est le taux d'imposition des sociétés qui pose problème. J'essaie de peser mes mots, mais je crois que les entreprises n'y paient pratiquement pas d'impôt.
La Suisse n'est pas un paradis fiscal d'envergure; les entreprises y paient un peu d'impôt. À l'heure actuelle, le Canada signe des ententes fiscales et des accords de libre-échange avec des paradis fiscaux, ce qui, comme les statistiques le montrent, nuit aux finances publiques du Canada.
D'une part, votre question est excellente : à des fins économiques, devrions-nous conclure des ententes même avec les paradis fiscaux, ou devrions-nous plutôt être prudents et dire non, nous ne nous mêlerons pas aux paradis fiscaux?
Puisque nous nous retrouvons dans ces grandes crises et que nous cherchons à accumuler des recettes publiques, je crois que si nous adoptons cette mentalité, ce sera insultant pour les autres contribuables puisque ces ententes nous feront perdre des recettes publiques. Toutefois, comme je l'ai dit dans ma déclaration liminaire, nous reconnaissons que, même si nous ne signons pas cet accord, le problème ne s'évanouira pas puisque les sociétés multinationales auront toujours le loisir d'éviter de payer des impôts dans, je crois, 14 paradis fiscaux à l'heure actuelle.
Le sénateur Finley : J'aimerais vous poser une dernière question puisqu'au début de la rencontre, je n'ai pas compris ou entendu si vous comparaissez à titre individuel ou au nom d'une organisation. Je trouve étonnant que votre solution implicite au précipite financier soit de « trouver davantage de recettes » et donc de « mettre fin à tous les paradis fiscaux même si ce doit être fait au détriment du commerce. »
Mme Alepin : Dans ce cas, le commerce avec le Panama n'est pas considérable; nous n'en sortirions pas tellement perdants.
Le sénateur Finley : Il existe d'autres accords de libre-échange.
Mme Alepin : J'aimerais simplement vous dire que je suis comptable agréée. Il s'agit de mon premier diplôme. J'ai travaillé tout au long de ma vie avec des entreprises et je suis en faveur des affaires. Toutefois, je ne suis pas en faveur d'un accord de libre-échange avec un minuscule pays qui n'accroîtra pas beaucoup notre commerce et qui permettra aux contribuables canadiens de ne pas payer d'impôt. Cela représente énormément d'argent. Les recettes que nous perdrons seront beaucoup plus importantes que l'avantage que nous tirerons de cet accord.
Je crois que nous devons changer de mentalité parce que nous nous enfonçons dans d'énormes crises financières. J'ai rédigé The Looming Fiscal Crisis en 2010 alors qu'il n'y avait aucune crise financière. Je me suis dit que, mathématiquement, non seulement le Canada mais de nombreux autres pays dotés du même système fiscal s'engouffreraient dans une crise financière parce que la situation est en partie mathématique. Le système mondial actuel qui englobe les paradis fiscaux, le commerce, l'argent électronique et d'autres aspects nous fait perdre beaucoup de recettes, et nous devons régler ce problème immédiatement.
La présidente : Merci.
Le sénateur Wallace : Je serai concis.
Messieurs Deneault et Beachy, en vous écoutant — et, dans une certaine mesure en écoutant Mme Alepin —, j'ai eu l'impression que vos préoccupations ne se limitent pas au Panama et que vous n'êtes pas prêts à appuyer quelque accord de libre-échange que ce soit au Canada. J'aimerais savoir si vos préoccupations sont si vastes.
M. Beachy : Je peux vous répondre.
Je vous dirais que mes préoccupations ne se limitent pas au Panama mais n'englobent pas tous les accords commerciaux qu'on pourrait imaginer.
Les dispositions sur le règlement des différends entre les investisseurs et l'État qui se retrouvent dans l'entente sont les mêmes dispositions qui sont prévues dans l'ALENA et qui rendent le Canada vulnérable à des attaques continues, et ce, même si le Panama n'est plus un aussi grand paradis fiscal. J'aimerais ouvrir une parenthèse en disant que le Panama n'a toujours pas réussi la première étape d'examen de l'OCDE, qui consiste simplement à vérifier s'il existe un régime réglementaire pour mettre fin aux abus de paradis fiscaux. Ainsi, le pays est loin d'avoir réussi la deuxième phase qui consiste à vérifier que le régime est bel et bien mis en œuvre. J'hésiterais donc à parler de progrès.
Même s'il y avait des progrès, les dispositions de l'entente limiteraient les interdictions de transfert en cas d'abus futurs liés aux paradis fiscaux. Les dispositions liées au transfert dans l'entente ne permettraient pas au Canada de faire valoir un règlement interdisant aux sociétés canadiennes de faire de l'évasion fiscale en acheminant leur argent à des coquilles vides implantées au Panama.
C'est la disposition de l'investisseur-État qui importe, puisqu'elle permet à un investisseur privé de contester directement le gouvernement fédéral canadien en invoquant les dispositions de transfert ainsi que, comme je l'ai mentionné, toute une panoplie d'autres dispositions liées à la santé publique et à l'environnement.
La question n'est pas de se demander si on est en faveur du commerce avec le Panama. Je suis en faveur du commerce. Toutefois, je suis contre le modèle commercial qui met les investisseurs étrangers sur un pied d'égalité avec les gouvernements souverains et qui permet aux premiers de contester directement toutes sortes de politiques de réglementation qui seront jugées par des tribunaux privés n'appartenant pas à un système judiciaire national.
Fait intéressant, l'Australie a déclaré qu'à l'avenir, elle ne signerait pas d'accords commerciaux contenant la disposition sur le règlement des différends entre les investisseurs et l'État. Il est possible de conclure des ententes commerciales exemptes de ces dispositions assez excessives qui permettent à un investisseur de contester directement le gouvernement du Canada. D'ailleurs, l'Australie fait figure d'exemple, notamment dans le cadre du Partenariat transpacifique, puisque ce pays n'acceptera pas que ces dispositions s'y retrouvent. Le Canada pourrait faire de même et dire : « Nous ne sommes pas contre le commerce, mais bien en faveur du commerce; cependant, nous ne voulons pas assujettir le droit canadien aux dispositions prévues dans ces ententes pour ce qui est du règlement des différends entre les investisseurs et l'État. »
[Français]
M. Deneault : Je vous dirais que ma position n'a rien à voir avec une déclaration de principes idéologiques sur la question du libre-échange. Je me suis plus intéressé à ce que représentent le Panama et son économie comme telle. Si on veut parler d'autres accords de libre-échange, on le fera dans d'autres circonstances par rapport aux cas spécifiques.
Ce qui m'intéresse, c'est de voir ce que signifie signer un accord de libre-échange dans le contexte d'une économie du blanchiment de fonds du narcotrafic. Cela veut dire qu'il y a des stupéfiants qui passent par la zone franche de Colon, par les ports francs panaméens, qui sont importés au Canada par des sociétés d'import-export contrôlées par la mafia, c'est elle qui va écouler la marchandise au Canada et ensuite investir les fonds issus de ce trafic au Panama à nouveau. Tous les criminologues, des onusiens, qui travaillent dans de grands États de droit, nous disent que les accords de libre- échange favorisent le blanchiment d'argent et les opérations de narcotrafic, parce que sous couvert d'investissements formels licites et légaux, on fait passer des opérations économiques criminelles. Et quand on sait qu'un accord de libre- échange, avec si peu de précautions comme c'est en train de se faire, on ouvre les portes grandes ouvertes aux narcotrafiquants, on leur dit bienvenu. C'est le problème actuellement et il n'est pas d'ordre idéologique par rapport au libre-échange.
[Traduction]
Le sénateur Downe : M. Beachy pourrait-il nous parler de la première étape de l'OCDE à laquelle le Panama a échoué? Vous avez dit six sur neuf, alors que je croyais qu'il s'agissait de cinq sur neuf. Pourquoi le pays n'a-t-il pas satisfait à ces conditions? Refuse-t-il de le faire? Avez-vous des renseignements supplémentaires sur la raison pour laquelle le Panama n'a pas su franchir la première étape?
M. Beachy : Vous avez mentionné la divergence entre cinq et six conditions. Tout dépend de l'interprétation qu'on en fait. L'OCDE a déclaré que cinq des conditions n'avaient même pas été mises en place. La sixième est en place, mais pas dans la mesure exigée par l'OCDE.
Les premières dispositions portaient sur l'existence ou non de lois écrites sans aucun pouvoir réel ou sur l'existence ou non de lois écrites obligeant la divulgation de renseignements sur les propriétaires. Dans le cas de nombreuses sociétés de façade, il est impossible de savoir qui les détient puisque les sociétés n'ont pas l'obligation de divulguer cette information.
Si je me souviens bien, une des six lacunes décelées par l'OCDE était qu'une loi existait, mais que personne ne s'assurait que les sociétés divulguent les renseignements demandés. D'autre part, aucune peine n'était prévue en cas de manquement.
Pour ce qui est de l'inflexibilité du pays, je ne peux pas m'avancer puisque je devrais émettre des hypothèses sur les intentions du Panama. Comme je l'ai mentionné, le Panama a mené une stratégie intentionnelle de paradis fiscal pendant très longtemps puisqu'une grande part de son économie s'appuie sur la constitution en société et l'enregistrement de filiales d'entreprises de partout dans le monde. Cette situation a fait en sorte qu'il existe une société internationale pour neuf Panaméens.
Je ne peux pas me prononcer entièrement sur les intentions du Panama, mais le fait est qu'il est faux de dire que ce pays n'est plus un paradis fiscal. Si on se réfère au rapport de juin 2012 de l'OCDE et aux neuf conditions à remplir, on constate que le Panama est pratiquement le seul pays à ne pas avoir respecté cinq ou six de ces neuf conditions. Le Panama est un des seuls pays au monde qui a un aussi faible niveau de conformité.
La présidente : Merci à nos trois experts.
Monsieur Beachy, si je disposais de plus de temps, je vous poserais des questions sur vos commentaires voulant que les investisseurs ne doivent pas avoir les outils nécessaires pour contester des gouvernements. Je crois que, dans le domaine du droit international, la transparence et la remise en question des actions des gouvernements sont de mise. On crée de nouvelles méthodologies dans le but avoué de faire entendre des voix autres que celles des États souverains. Nous aurons peut-être l'occasion, à Washington ou ailleurs, de poursuivre la discussion, notamment sur l'ALENA.
Le sénateur Downe : Je crois qu'on devrait maintenant laisser le témoin réagir à votre intervention.
La présidente : J'invitais M. Beachy à poursuivre la discussion ultérieurement, mais si vous désirez la continuer tout de suite, ça me convient. Voudriez-vous répondre brièvement?
M. Beachy : Certainement. Tout d'abord, je ne suis pas d'accord avec l'idée que notre système juridique international devrait permettre à un investisseur privé de contester directement un État au même titre qu'un État peut contester un autre État. L'Organisation mondiale du commerce s'appuie sur l'idée que seuls les États peuvent faire des revendications auprès d'autres États, et je crois que le système est conçu ainsi pour de bonnes raisons. Ces ententes commerciales ne se limitent pas à l'Organisation mondiale du commerce et sont excessives puisqu'elles permettent à un investisseur privé de contester directement un gouvernement souverain.
En deuxième lieu, même si vous ne souscrivez pas à mon argument précédent, le processus en place pose problème. Il s'agit d'un tribunal privé composé de trois arbitres qui entendent les causes. Ces arbitres sont bien souvent des juges pour les causes, tout en agissant à titre d'avocats pour les mêmes sociétés qui contestent les politiques canadiennes. Ce genre de conflit d'intérêts est interdit dans la plupart des systèmes juridiques nationaux, mais est permis dans ce système international d'arbitrage sur les investissements.
L'idée voulant que ces trois arbitres soient responsables devant un électorat est, bien entendu, fausse. Ils ne le sont pas. Je crois que, même si on est en faveur d'élever un investisseur au rang d'un État souverain capable de contester un autre État souverain, la cause devrait être entendue par un tribunal responsable devant un électorat.
La présidente : Nous devrons poursuivre ce débat.
J'aimerais remercier M. Deneault, M. Beachy et Mme Alepin d'avoir partagé leurs opinions sur des questions générales ainsi que sur le projet de loi C-24.
Chers collègues, comme nous n'avons pas d'autres témoins, acceptez-vous que le comité passe à l'étude article par article du projet de loi C-24, qui porte sur la croissance économique et la prospérité Canada-Panama?
Des voix : D'accord.
La présidente : Avec votre permission, acceptez-vous que je regroupe les articles tels qu'ils apparaissent dans le tableau des dispositions ainsi que les annexes?
Des voix : D'accord.
La présidente : C'est adopté.
L'étude du titre est-elle reportée?
Des voix : D'accord.
La présidente : C'est adopté.
L'étude du premier article, qui contient le titre abrégé, est-elle reportée?
Des voix : D'accord.
La présidente : C'est adopté.
L'article 2 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Downe : Avec dissidence.
La présidente : C'est adopté avec dissidence.
L'article 3 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Downe : Avec dissidence.
La présidente : C'est adopté avec dissidence.
L'article 4 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Downe : Avec dissidence.
La présidente : C'est adopté avec dissidence.
L'article 5 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Downe : Avec dissidence.
La présidente : C'est adopté avec dissidence.
L'article 6 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Downe : Avec dissidence.
La présidente : Adopté avec dissidence.
L'article 7 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Downe : Avec dissidence.
La présidente : Adopté avec dissidence.
L'article 8 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Downe : Avec dissidence.
La présidente : Adopté avec dissidence.
L'article 9 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Downe : Avec dissidence.
La présidente : Adopté avec dissidence.
L'article 10 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Downe : Avec dissidence.
La présidente : Adopté avec dissidence.
L'article 11 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Downe : Avec dissidence.
La présidente : Adopté avec dissidence.
L'article 12 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Downe : Avec dissidence.
La présidente : C'est adopté avec dissidence.
L'article 13 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Downe : Avec dissidence.
La présidente : Adopté avec dissidence.
L'article 14 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Downe : Avec dissidence.
La présidente : Adopté avec dissidence.
L'article 15 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Downe : Avec dissidence.
La présidente : Adopté avec dissidence.
Les articles 16 à 22 sont-ils adoptés?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Downe : Avec dissidence.
La présidente : Adoptés avec dissidence.
Les articles 23 à 27 sont-ils adoptés?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Downe : Avec dissidence.
La présidence : Adoptés avec dissidence.
Les articles 28 et 29 sont-ils adoptés?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Downe : Avec dissidence.
La présidente : Adoptés avec dissidence.
Les articles 30 à 37 sont-ils adoptés?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Downe : Avec dissidence.
La présidente : Adoptés avec dissidence.
Les articles 38 à 49 sont-ils adoptés?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Downe : Avec dissidence.
La présidente : Adoptés avec dissidence.
L'article 50 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Downe : Avec dissidence.
La présidente : Adopté avec dissidence.
Les articles 51 à 54 sont-ils adoptés?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Downe : Avec dissidence.
La présidence : Adoptés avec dissidence.
Les articles 55 et 56 sont-ils adoptés?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Downe : Avec dissidence.
La présidente : Adoptés avec dissidence.
Les articles 57 à 59 sont-ils adoptés?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Downe : Avec dissidence.
La présidente : Adoptés avec dissidence.
L'article 60 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Downe : Avec dissidence.
La présidente : Adopté avec dissidence.
L'article 61 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Downe : Avec dissidence.
La présidente : Adopté avec dissidence.
L'article 62 est-il adopté?
Des voix : D'accord
Le sénateur Downe : Avec dissidence.
La présidente : Adopté avec dissidence.
L'article 63 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Downe : Avec dissidence.
La présidente : Adopté avec dissidence.
L'article 64 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Downe : Avec dissidence.
La présidente : Adopté avec dissidence.
L'article 65 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Downe : Avec dissidence.
La présidente : Adopté avec dissidence.
Les annexes 1 à 10 sont-elles adoptées?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Downe : Avec dissidence.
La présidente : Adoptées avec dissidence.
L'article 1, qui comprend le titre abrégé, est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Downe : Avec dissidence.
La présidente : Adopté avec dissidence.
Le titre est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Downe : Avec dissidence.
La présidente : Adopté avec dissidence.
Le projet de loi est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Downe : Avec dissidence.
La présidente : C'est adopté avec dissidence.
Est-il convenu que je renvoie ce projet de loi au Sénat?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Downe : Avec dissidence.
La présidente : Adopté avec dissidence.
Je remercie les fonctionnaires d'être venus au cas où nous aurions eu besoin de leur aide. Le projet de loi est adopté, alors nous allons passer à un autre sujet.
Nous allons reprendre notre étude sur la Turquie. On nous a dit que nous devrions la poursuivre et que le plus tôt serait le mieux. Ainsi, nous envisageons d'entendre des témoins en Turquie après la relâche. Il semblerait que ce serait à la fin février ou au début mars. Nous ne connaissons pas les dates. Toutefois, on nous a dit que le Bureau de régie interne va se pencher sur d'autres budgets la semaine prochaine. Nous vous avons remis un budget pour notre voyage en Turquie. Les deux seules destinations sont Ankara et Istanbul. Nous allons déterminer quand nous irons précisément, mais si nous n'avons que deux destinations, nous aurons amplement de temps pour des voyages internes et externes. Comme d'habitude, nous envisageons de faire voyager tous les sénateurs, en préparation des budgets, ainsi qu'un analyste et un greffier. Nous avons ajouté du financement pour la traduction, au besoin. Je vous demande votre permission pour remettre le budget que nous avons distribué au Comité de la régie interne. Si nous ne le lui remettons pas, nous ne pourrons pas envisager de voyager avant le prochain exercice financier.
On en fait la proposition. Voulez-vous en discuter?
[Français]
Le sénateur Robichaud : Est-ce que je comprends bien que le montant total de notre demande est de 211 600 $?
La présidente : Oui.
Le sénateur Robichaud : Merci.
[Traduction]
La présidente : Nous allons devoir faire valoir le budget. Si on le désire, le comité de direction pourra commencer immédiatement à déterminer les dates et les modalités du voyage. Nous vous tiendrons au courant. On m'a déjà demandé quand nous aimerons voyager, et cela dépendra du budget.
La présidente : Le budget est-il adopté?
Des voix : Oui.
La présidente : Nous allons renvoyer le projet de loi C-24 au Sénat cet après-midi; il fera l'objet d'une troisième lecture la semaine prochaine.
(La séance est levée.)