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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international

Fascicule 23 - Témoignages du 7 mars 2013


OTTAWA, le jeudi 7 mars 2013

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international, auquel a été renvoyé le projet de loi S-14, Loi modifiant la Loi sur la corruption d'agents publics étrangers, se réunit aujourd'hui, à 10 h 30 afin de procéder à l'étude article par article du projet de loi, et pour procéder à l'étude sur l'évolution de la situation économique et politique en Turquie, ainsi que l'influence qu'exerce ce pays sur l'échiquier régional et mondial, les implications sur les intérêts et les perspectives du Canada et d'autres questions connexes.

Le sénateur A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international poursuit aujourd'hui son étude sur l'évolution de la situation économique et politique en Turquie, ainsi que l'influence qu'exerce ce pays sur l'échiquier régional et mondial, les implications sur les intérêts et les perspectives du Canada et d'autres questions connexes.

Nous sommes très heureux d'accueillir, par vidéoconférence de Régina, en Saskatchewan, M. Murad Al-Katib, président et chef de la direction de l'Alliance Grain Traders. Je vis à Regina et je vois le résultat du travail de M. Al- Katib. Les représentants gouvernementaux, communautaires et du monde des affaires me parlent de lui. Je suis heureuse de l'accueillir aujourd'hui, et ce, pour deux raisons. D'abord, il pourra nous en apprendre beaucoup sur ce que c'est que de créer une petite entreprise à Regina, en Saskatchewan, et d'en faire une multinationale. Je me réjouis qu'il puisse nous parler de ses efforts en Turquie, car même si sa famille s'est établie au Canada, elle a toujours entretenu ses liens et ses racines avec son pays d'origine.

Monsieur Al-Katib, je suis enchantée de vous accueillir. Je vous souhaite la bienvenue au comité. Je sais que les membres auront beaucoup de questions à vous poser après votre exposé. Nous espérons pouvoir profiter de vos conseils avant notre visite en Turquie. Peut-être pourrez-vous nous signaler certains des problèmes auxquels nous devrions nous attaquer lors de cette visite.

Murad Al-Katib, président et chef de la direction, Alliance Grain Traders : Merci beaucoup, sénateur Andreychuk. Je suis ravi de pouvoir vous entretenir sur la Turquie. Je vais d'abord vous parler un peu de mon expérience et de mon entreprise et vous faire part de mon point de vue sur le commerce avec cet État. Je vais me concentrer sur les avantages économiques et les possibilités commerciales qu'offre la Turquie aux sociétés canadiennes et à l'économie canadienne dans son ensemble, puisque d'autres témoins ont déjà suffisamment parlé de son importance sur le plan géopolitique et stratégique, et de ses relations avec le Canada et le reste du monde.

Je suis un entrepreneur canadien d'origine turque ayant beaucoup voyagé dans la région, notamment en Turquie où j'ai des actifs importants. Cela me permet d'avoir un point de vue unique sur la question.

J'aimerais vous parler de ce marché émergent qui fait sa place sur la scène économique et diplomatique mondiale, grâce à un système bancaire rigoureux comparativement à d'autres pays de l'Eurasie, à une population jeune et éduquée, à un gouvernement stable, et à un contexte commercial propice à l'investissement et à la croissance.

Je suis né à Davidson, en Saskatchewan, de parents immigrants turcs qui m'ont encouragé à regarder le monde dans son ensemble et à comprendre comment les différentes cultures qui composent cette mosaïque complexe peuvent s'harmoniser. Notre famille s'est rendue en Turquie et dans d'autres pays afin d'y apprendre notre culture, notre langue et nos origines.

Mes parents m'ont aussi appris la notion du développement économique et les principes de l'entrepreneuriat. Ma mère a été maire de Davidson, en Saskatchewan, une petite collectivité de 1 200 habitants située au centre de la province et dont la zone commerciale compte 5 000 personnes. Elle a été élue pour huit mandats consécutifs en 24 ans, défaisant à chaque fois des candidats locaux. Il s'agit d'un exploit extraordinaire pour une immigrante venue au Canada en 1967 et qui ne parlait pas anglais.

Mon père, un médecin de famille formé en Angleterre, a immigré en Saskatchewan où il a pratiqué son métier pendant 48 ans. D'ailleurs, il pratique encore la médecine à temps plein malgré ses 75 ans.

Chez nous, lors des repas, la conversation tournait sur la façon de créer de l'emploi sur la rue principale de Davidson et l'impact que cela aurait sur la collectivité, mais toujours en gardant un œil sur le monde.

Après mes études à l'Université de la Saskatchewan, je me suis aventuré aux États-Unis pour y mener des études de cycles supérieurs. À l'époque, je n'avais aucune intention de revenir au Canada ou en Saskatchewan. Après avoir travaillé à l'ambassade canadienne à Washington, D.C., j'ai réalisé que le secteur des exportations en Saskatchewan ratait des occasions d'affaires avec des pays en développement et des marchés émergents.

J'ai fait parvenir une lettre non sollicitée sur le sujet au premier ministre provincial Ray Romanow et, à l'âge de 23 ans, j'ai été embauché et suis devenu un des employés fondateurs du Saskatchewan Trade Export Partnership, l'agence de promotion du commerce international de la Saskatchewan, et un des principaux spécialistes du gouvernement en matière de commerce international.

En 1999, dans le cadre de mes fonctions, je me suis rendu en Turquie pour y promouvoir, auprès de l'industrie de transformation, la production de légumineuses en Saskatchewan, plus précisément les lentilles, les pois chiches, les pois et les haricots. C'était tout indiqué pour moi, puisque je parlais déjà la langue et connaissais les coutumes locales. La Saskatchewan est devenue une des plus grandes exportatrices mondiales de lentilles et la majorité de sa production est exportée en vrac vers des usines de transformation turques où les lentilles roses sont pelées, puis, coupées en deux pour être consommées.

En plus des dizaines de millions de dollars qu'elle exporte en lentilles vers la Turquie, la Saskatchewan exporte également la valeur ajoutée du produit, soit des emplois créateurs de richesse et l'activité économique connexe. Comme j'aime passionnément la Saskatchewan, je ne voulais pas voir la lentille finir comme la graine de moutarde. Nous cultivons la graine de moutarde, puis nous l'exportons aux États-Unis et en France. Nous achetons ensuite le produit fini dans nos supermarchés. Je voulais que la valeur ajoutée des lentilles reste ici et que l'on exporte le produit traité directement de la Saskatchewan.

La Saskcan Pulse Trading a vu le jour en 2001 grâce à un solide partenariat avec le plus gros client du Canada en matière de lentilles, la société Arbel, un chef de file dans le traitement des légumineuses et de produits alimentaires en Turquie. La société convenait qu'il était logique d'exporter le produit traité directement de la Saskatchewan. D'ailleurs, notre slogan est « du producteur vers le monde », une philosophie que nous pratiquons tous les jours. Nos partenaires turcs ont joué un rôle important dans la réussite de l'entreprise, et ce, à plusieurs niveaux. Depuis des dizaines d'années, la Turquie est un chef de file mondial dans le traitement et l'exportation de légumineuses. Nos partenaires ont plus de 50 ans d'expérience dans le secteur et nous ont permis d'avoir accès à la technologie pour le traitement des lentilles à valeur ajoutée. Bien entendu, cela nous a aidés à mettre en place l'infrastructure nécessaire en Saskatchewan pour permettre au Canada de devenir rapidement un des principaux exportateurs mondiaux de légumineuses.

En 2000, juste avant que je fonde mon entreprise, le Canada était un petit joueur dans la production de lentilles. Aujourd'hui, il est un chef de file mondial dans le domaine et un exportateur important de toutes les légumineuses et cultures spécialisées. On se plaît à dire que la Saskatchewan n'est plus le grenier des Prairies, car avec près de six millions d'acres consacrées à la production de légumineuses en 2013, selon Statistiques Canada, la production des Prairies ne se limite pas aux céréales.

L'administration centrale de mon entreprise, Alliance Grain Traders, est située à Regina. En 2001, nous avions une usine à Regina. Aujourd'hui, nous avons 29 usines de transformation réparties sur cinq continents. La Turquie joue un rôle clé dans nos activités mondiales. Nous y exploitons neuf usines de transformation, y compris le plus grand domaine de production alimentaire au pays, à Mersin, une ville portuaire située dans le sud de la Turquie où l'on retrouve le principal port de mer agricole du pays. Notre investissement en Turquie s'élève à 150 millions de dollars. Nous exportons vers 108 pays des produits à valeur ajoutée, dont des pois, des lentilles, des haricots, du blé dur, des pâtes et du riz.

En vertu de notre partenariat avec la Turquie, le secteur des légumineuses contribue maintenant des milliards de dollars à l'économie de la Saskatchewan. Grâce aux marchés et aux clients que nous ont fournis nos partenaires turcs et aux matériaux bruts et aux fonds offerts par des intervenants canadiens, nous avons mis sur pied une importante multinationale de produits agroalimentaires et d'ingrédients alimentaires qui compte près de 1 000 employés. En 2012, nous avons exporté plus de 800 millions de dollars. D'autres entreprises dans d'autres secteurs pourraient elles aussi connaître un tel succès.

Cependant, je tiens à préciser que nous n'avons pas investi en Turquie en raison de mes origines turques. Nous l'avons fait, parce que c'était une décision logique. Comme je l'ai dit, la Turquie est propice au commerce.

Selon le rapport Perspectives de l'économie mondiale, du FMI, la Turquie est la dix-huitième économie mondiale en importance. Depuis 2002, son PIB a connu une croissance incroyable de 220 p. 100 et, toujours selon le FMI, en 2012, il était évalué à 783 milliards. Le pays dispose d'un système bancaire stable et est le principal centre financier de la région. C'est également un centre de production et de distribution alimentaires fournissant des produits alimentaires et agricoles aux marchés de la région.

La Turquie est dirigée par un gouvernement stable et démocratique dans une région plutôt instable. Selon la revue Forbes, en 2012, la Turquie venait au neuvième rang des pays comptant le plus de milliardaires avec 34, un rang devant le Canada. On y retrouve beaucoup de richesses et de possibilités économiques. La Turquie possède l'économie la plus prospère de l'Europe et l'une des plus prospères au monde. L'État compte 75 millions d'habitants, dont environ 50 p. 100 ont moins de 29 ans. La majorité de ceux-ci sont bien éduqués ayant étudié en Europe, en Amérique du Nord et dans des établissements d'enseignement de la région.

Le pays occupe un territoire considérable et dispose de beaucoup de ressources naturelles. Elle jouit d'une production agricole et possède des infrastructures de transport très importantes, avec un accès à la Méditerranée, à la mer Noire et à d'autres ports de mer.

La Turquie est stratégiquement bien située, tant sur le plan économique que sur le plan géopolitique, offrant un accès facile à une multitude de marchés, y compris l'Europe, l'Asie centrale, le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord. Le pays est un des membres fondateurs de l'OTAN et un allié de longue date du Canada, des États-Unis et d'autres pays aux vues similaires.

La République turque a une entente d'union douanière avec l'Union européenne — elle est candidate à l'adhésion à l'UE depuis une dizaine d'années — et a conclu de nombreux accords de libre-échange avec plusieurs pays, dans la région et ailleurs dans le monde.

L'État dispose d'une des meilleures entreprises de transport aérien d'Europe. Cela signifie qu'en moins de quatre heures, on peut se rendre d'Istanbul à Londres, à Paris, à Moscou ou à Dubai, et en moins de dix heures à New York, à Toronto, à Singapour ou à Cape Town.

Le monde est en train de redécouvrir que la Turquie est un carrefour commercial entre l'Europe et l'Asie. Le pays a toujours été un tremplin vers les marchés régionaux et l'est encore aujourd'hui. La Turquie a conclu des accords de libre-échange avec de nombreux pays, dont l'Albanie, la Bosnie-Herzégovine, le Chili, la Croatie, les pays membres de l'AELE — la Suisse, la Norvège, Islande et le Liechtenstein —, l'Égypte, la Géorgie, Israël, la Jordanie, la Macédoine, le Monténégro, le Maroc, la Palestine, la Serbie, la Syrie et la Tunisie. Comme vous pouvez le constater, le pays est ouvert au libre-échange et désire beaucoup participer à l'économie mondiale.

Selon le gouvernement turc, le PIB du pays pourrait atteindre 23 billions de dollars et l'État pourrait avoir un accès direct à 1,5 milliard de personnes, y compris en Europe, en Russie, au Moyen-Orient, en Afrique du Nord, en Asie centrale et au Caucase.

Pour revenir à mon expérience personnelle, nos partenaires turcs ont joué un rôle clé dans notre entreprise en démarrage en nous ouvrant la porte à des marchés régionaux et en nous aidant à développer ces marchés. Les sociétés turques sont actives dans la région depuis longtemps. On parle de générations. Par exemple, nous travaillons avec les petits-enfants... nous poursuivons les relations déjà établies dans les sociétés dont nous avons fait l'acquisition en Turquie. Aucun autre pays dans la région n'offre ce genre d'avantage, un tel accès aux différents marchés ou de telles relations.

De plus, étant donnée l'agitation civile qui règne dans la région avec, notamment, le printemps arabe, la crise actuelle en Syrie et l'instabilité en Irak, la Turquie offre un contexte commercial plus sécuritaire.

Encore une fois, nous négocions depuis longtemps avec certains des pays de cette région grâce à des programmes d'assistance, et y vendons et y distribuons des produits alimentaires. Cette région est très importante pour nous et notre présence et nos relations en Turquie facilitent les choses. D'autres sociétés dans d'autres secteurs pourraient également connaître un tel succès.

En tant que président du Conseil consultatif sur les petites et moyennes entreprises du ministère des Affaires étrangères, j'ai déjà souligné au Comité permanent du commerce international qu'il serait avantageux pour le Canada d'accroître ses échanges commerciaux avec des marchés stratégiquement et économiquement émergents, comme la Turquie.

Comme les membres du comité doivent le savoir, les discussions exploratoires entre le Canada et la Turquie sont déjà amorcées. En tant qu'entrepreneur faisant des affaires dans les deux pays concernés, je crois que ce genre de développements et d'accords est nécessaire et positif pour les deux pays afin de maintenir leur force économique et de profiter des occasions actuelles.

Statistiques Canada a publié des données sur le Canada et la Turquie et j'aimerais vous en faire part. En 2012, les échanges commerciaux entre les deux pays s'élevaient à près de 850 millions de dollars. La majorité des exportations provenaient du secteur minier et des secteurs connexes, ainsi que de l'agriculture, dont près de 10 p. 100 dans le secteur des légumineuses, y compris les lentilles, les haricots et les pois chiches exportés vers la Turquie, puis, vers les marchés régionaux.

Même si ce sont des résultats importants, il s'agit du deuxième plus bas total en cinq ans... 2011 fut la meilleure année au cours des quatre dernières en matière d'exportation. Les résultats de 2012 sont imputables en grande partie à une bonne récolte. Toutefois, nous croyons pouvoir exporter des centaines de millions de dollars de légumineuses chaque année tout en tentant de conquérir d'importants marchés régionaux.

Ces statistiques valent aussi pour la Saskatchewan, où les exportations vers la Turquie sont dominées par les légumineuses, qui représentent 78 p. 100 de l'ensemble des produits exportés par la province dans ce pays. Il s'agit encore ici du niveau le plus bas en raison de l'importance des cultures locales. Nous croyons toutefois que le potentiel d'exportation continuera de s'accroître et de se renforcer au rythme du développement des relations entre les deux pays, tant que les politiques économiques et étrangères des gouvernements seront en harmonie.

Le milieu agricole dans lequel notre entreprise évolue démontre qu'une société canadienne qui offre un produit ou un service dont un autre pays a besoin — la Turquie, dans ce cas-ci — peut réussir à favoriser les échanges commerciaux bilatéraux, le transfert de technologie, les investissements étrangers directs et le développement d'un marché régional. Par contre, l'aide des gouvernements est nécessaire pour préparer le terrain, supprimer les restrictions et lever les barrières, ainsi que pour rapprocher les pays et les entreprises.

La Turquie a toujours été un grand producteur de légumineuses pour sa consommation intérieure en raison de l'alimentation traditionnelle des Turques. Comme je l'ai dit plus tôt, une vaste région est desservie par cette production. La Turquie est perçue comme un pays exportateur de produits alimentaires d'origine agricole. Plus les partenariats se multiplieront, plus le Canada en profitera.

Le pays est attirant pour le milieu des affaires compte tenu de son système bancaire, de son équilibre social et des occasions de croissance économique, des raisons qui expliquent aussi pourquoi les entreprises turques au pays et à l'étranger le considèrent comme une destination privilégiée pour l'importation, la réexportation et la distribution. Puisque sa production de pois chiches a diminué au cours des trois ou quatre dernières années, la Turquie a commencé à en importer et continuera à le faire, ce qui renforce encore ses relations avec la Saskatchewan et le Canada.

De nouvelles occasions d'affaires pourraient également voir le jour. Par exemple, on a constaté en 2012 que l'exportation du blé dur canadien en Turquie ouvrait de nouvelles perspectives. En fait, la Turquie est le cinquième producteur de pâtes en importance au monde. Si je vous demandais le nom du plus grand exportateur de pâtes, vous seriez sûrement nombreux à me répondre l'Italie. Peu d'entre vous devineraient que la Turquie occupe le deuxième rang à ce chapitre.

Notre entreprise participe à la production et à la distribution de pâtes en Turquie par l'intermédiaire de la société Arbella Pasta, qui lui appartient. Notre marque est la plus exportée au pays et nos produits, qui se composent de blé dur canadien transformé en Turquie, sont exportés dans 83 pays aux quatre coins du monde.

Avant de répondre à vos questions, j'aimerais résumer mes propos. En Occident, la Turquie est perçue comme un pays exotique qui fait les choses très différemment. Même si c'était peut-être partiellement vrai à une certaine époque, la Turquie est aujourd'hui un pays moderne, semblable à l'Occident et avant-gardiste sur le plan des affaires et des investissements. Là-bas, l'expression « tigre d'Anatolie » désigne les entreprises et les entrepreneurs, des PME pour la plupart, qui ont connu une croissance impressionnante, ou bien qui ont tissé de solides relations d'affaires d'envergure mondiale. Elles sont les principales entreprises ciblées pour des partenariats canadiens et permettent au Canada d'attirer les investissements étrangers directs en ouvrant la porte des Amériques à ces « tigres d'Anatolie ». Voilà une excellente description du pays.

La Turquie est un bon endroit pour les affaires, et le Canada devrait s'y associer afin d'assurer croissance, occasions et prospérité à ses citoyens.

Je vais m'arrêter ici; je suis prêt à répondre à vos questions.

La présidente : Merci, monsieur Al-Katib. Vous contribuez assurément au rayonnement international de la Saskatchewan. Je suis sensible à votre point de vue sur le terrain.

[Français]

La sénatrice Fortin-Duplessis : Monsieur Al-Katib, votre présentation était très intéressante. Depuis que nos deux ministres respectifs ont signé un protocole d'entente sur l'agroalimentaire et l'agriculture en 2010, on peut voir qu'il y a eu un essor extraordinaire entre nos deux pays dans ces domaines. Même s'il y a eu une petite baisse à cause de la mauvaise température, il reste que c'est vraiment un domaine où des progrès ont été faits.

Avec votre expérience et le fait que vous retournez souvent en Turquie et que vous revenez au Canada, vous êtes certainement à même d'avoir observé toutes sortes de domaines et toutes sortes de choses lorsque vous vous rendez en Turquie.

Selon vous, quels sont les domaines où nos entreprises canadiennes, autres que les pâtes, pourraient créer des relations d'affaires en Turquie?

[Traduction]

M. Al-Katib : Voulez-vous que je réponde aux deux questions ou que je commence par la première?

[Français]

La sénatrice Fortin-Duplessis : De quelle façon pourrions-nous positionner nos entreprises canadiennes?

[Traduction]

M. Al-Katib : Merci beaucoup.

En examinant l'économie, on remarque que le secteur agricole est bel et bien en expansion. Les marchés émergents continuent de produire; c'est le cas non seulement de la Turquie, mais aussi de l'Inde et de la Chine. Dans les régions de grande consommation, on délaisse certains produits agricoles au profit de cultures différentes qui offrent de nouvelles occasions d'importation et d'exportation.

En Turquie, le marché des lentilles, des pois, des pois chiches et des haricots présente ce genre d'occasion. Ceux qui ne connaissent pas la taille de ce secteur pourraient penser qu'il s'agit d'un créneau, alors que la Saskatchewan exporte actuellement plus de 2 milliards de dollars par année de produits semblables. Il ne s'agit pas d'une niche commerciale qui ne pourrait jamais représenter 3 ou 4 milliards de dollars d'exportations. Grâce à sa position actuelle, la Turquie est selon nous le principal tremplin pour la distribution de produits agroalimentaires; le pays subvient aux besoins alimentaires de l'Irak et de la Syrie, et approvisionne abondamment les marchés de la Libye, du Soudan, de l'Égypte, de l'Algérie, de la Tunisie et du Maroc — il soutient l'ensemble de la consommation régionale. Tous ces pays sont les principaux importateurs des produits agricoles canadiens.

Nous aimerions que le Canada augmente sa production à valeur ajoutée et ses exportations dans différents pays de produits finis ou semi-finis et d'ingrédients, entre autres; c'est ce qui se passe dans notre secteur, et nous souhaitons que cela continue compte tenu de l'environnement favorable du Canada. On ne nous demande plus uniquement de fournir la matière première et de laisser la production de valeur ajoutée et la création de richesse à d'autres pays. Voilà ce qui se passe actuellement dans le secteur agricole.

Les occasions d'affaires qui se présentent en Turquie bénéficient d'un vaste marché de 75 millions de consommateurs dont les revenus sont croissants. Il suffit de visiter la Turquie pour constater qu'une part considérable du revenu disponible est consacrée à l'alimentation, puisqu'il s'agit d'un élément essentiel de la culture. Les Turques aiment consommer des aliments de qualité, ce qui constitue à nos yeux une excellente occasion d'affaires.

De façon plus générale, la Turquie représente un tremplin pour pénétrer ces marchés régionaux. Lorsque je parle à d'autres entreprises canadiennes des occasions d'affaires en Irak, en Syrie et en Libye, je leur conseille de choisir un endroit sûr dans la région — un pays dont les entreprises sont bien implantées et entretiennent des relations solides, et dont le secteur bancaire est stable et permet d'être payé pour son travail, puisque le recouvrement des créances est un volet important des affaires.

Nous estimons que la Turquie va continuer d'exercer une influence géopolitique, c'est-à-dire de convertir son influence politique en débouchés économiques. Nous voulons y prendre part et croyons qu'il s'agit là d'une belle occasion pour les Canadiens.

En ce qui concerne les domaines qui présentent de bonnes occasions d'affaires, je dirais que le secteur minier va continuer de se développer. La Turquie est désormais un marché de choix pour les sociétés minières. On y investit dans l'exploitation aurifère, entre autres. Aussi, de grandes dépenses en infrastructure sont prévues pour le développement du secteur pétrolier et gazier et de la production d'énergie électrique.

En Turquie, le secteur manufacturier solide, hautement spécialisé et axé sur la recherche constitue une autre occasion d'affaires. Nous croyons que le pays sera un partenaire majeur pour le Canada sur les plans scientifique et technologique. Ce secteur regorgeant de savoir-faire offre une possibilité de collaboration incroyable.

Quelle est la position du Canada? Il est important de souligner que nous avons bien souvent été une considération secondaire du gouvernement turc. Nous ne sommes pas nécessairement la cible de ses efforts de promotion et de ses réflexions générales. Cela dit, il y a eu plusieurs visites ministérielles au cours des 24 à 36 derniers mois; aussi, je me réjouis du voyage imminent de votre comité. De telles visites permettent de poursuivre le dialogue et de placer le Canada au premier plan des occasions à saisir en Turquie.

Après avoir discuté avec le ministre des Affaires étrangères turc Davutoglu et avec le ministre Eker, qui a une vision très avant-gardiste de l'agriculture, nous constatons que le pays accorde une importance grandissante à sa relation avec le Canada et semble prêt pour un certain engagement. Il est donc essentiel d'harmoniser nos objectifs avec les leurs en matière de politique et de faire le pont entre les entreprises.

Une bonne nouvelle, c'est l'arrivée en Turquie d'Exportation et développement Canada, qui a ouvert un bureau à Istanbul afin de continuer à soutenir les PME qui font des affaires là-bas. Nous constatons que l'organisme s'y intéresse de plus en plus. Il comprend très bien le secteur bancaire du pays et les possibilités qui s'y présentent.

Le sénateur Wallace : Monsieur Al-Katib, vous avez manifestement une grande expérience des affaires avec la Turquie. Vous avez eu beaucoup de succès, et je vous en félicite. Vous êtes très optimiste quant aux occasions d'affaires en Turquie et soutenez que c'est un très bon endroit pour faire des affaires.

Qu'ont en commun les activités commerciales en Turquie et aux États-Unis pour les PME canadiennes? Quelles différences majeures ces entreprises rencontreront-elles en Turquie? Pourraient-elles gêner leurs activités commerciales?

M. Al-Katib : Dans tout marché émergent, qu'il s'agisse d'une vente, d'un investissement ou d'un établissement permanent, les différences sont très complexes en ce qui a trait à la culture organisationnelle, à la réglementation gouvernementale, au système d'établissement et aux règles douanières. Il vaudrait mieux comparer notre situation en Turquie à celle d'autres superpuissances économiques qui gagnent en importance dans certains marchés émergents.

Pour ma part, je suis en train de construire une nouvelle usine en Chine, et une autre en Inde. Je viens d'ouvrir à Johannesburg, en Afrique du Sud, de même qu'en Russie. En comparaison, nous trouvons que le milieu des affaires turc est bien plus propice à l'investissement. Le cadre réglementaire est un peu plus clair là-bas. Ce qui m'attire surtout, c'est que le droit contractuel y est plus transparent que dans bien d'autres marchés émergents. Il est essentiel de pouvoir faire valoir ses droits contractuels judiciairement pour faire des affaires. En fait, le gouvernement reconnaît que les secteurs bancaire et financier doivent être en santé et respecter les droits des sociétés pour augmenter les chances de titrisation du côté des banques. Voilà ce que nous avons constaté en Turquie.

De grandes banques ont fait faillite en 2001. Les gouvernements ont dû se porter acquéreurs de bon nombre d'entre elles, après quoi ils ont complètement changé les règles relatives à l'investissement étranger direct dans le secteur financier, encouragé la venue de banques internationales et modifié considérablement leurs règles de capitalisation. Alors que les banques européennes peinaient pendant les crises économiques de 2008 et de 2011, les banques turques leur prêtaient de l'argent sur les marchés à un jour. Nous voyons d'un bon oeil les modifications apportées au secteur bancaire et au droit des sociétés.

Cela dit, dans tout marché émergent, nous recommandons encore une fois de nouer des partenariats solides avec des entreprises bien établies du secteur pour s'y retrouver dans les méandres du système réglementaire. Sur une échelle de facilité des affaires, la Turquie ne se situe encore qu'au milieu. La situation n'est certainement pas excellente en matière de corruption ou de transparence, mais nous constatons une amélioration.

Il faut aussi tenir compte de la région. Comparativement à l'Égypte, à l'Algérie, au Soudan, à la Syrie, à l'Irak ou à l'Iran, la Turquie est un joyau dans ce contexte très difficile.

Le sénateur Wallace : Merci, monsieur Al-Katib. C'est très utile.

Le sénateur D. Smith : Vous avez répondu au point que j'allais soulever. Quoi qu'il en soit, je vous félicite pour votre réussite. C'est très impressionnant.

M. Al-Katib : Merci beaucoup, monsieur le sénateur. Je vous en suis reconnaissant. Nous avons une grande équipe de gens compétents qui ont travaillé très fort.

Le sénateur Wells : Monsieur Al-Katib, je tiens moi aussi à vous féliciter et à vous remercier de vos commentaires jusqu'à maintenant.

Vos partenariats profitables, vos gros investissements et vos liens culturels ont porté leurs fruits. Un accord de libre- échange permettrait-il de structurer officiellement les règles ayant trait aux douanes ou aux tarifs, principalement? Quel avantage supplémentaire tireriez-vous d'un tel accord?

M. Al-Katib : Un accord économique et commercial global uniformiserait davantage les règles entourant les tarifs et l'accès au marché. D'ailleurs, cet accès est essentiel à toute relation commerciale durable. Lorsqu'un pays connaît une croissance rapide, il arrive que le pouvoir politique local prenne des décisions à court terme qui limitent l'accès au marché. Par exemple, la Turquie a déjà empêché les importations agricoles pendant certaines périodes de l'année, qui correspondent au cycle de production local, et ce, dans l'intérêt des agriculteurs locaux. Nous avons lancé un appel au ministre de l'Agriculture et à d'autres responsables pour qu'ils reconnaissent les possibilités locales découlant d'une relation étroite entre la Turquie et le Canada et de l'accès à des produits canadiens en Turquie. Nous pensons qu'un accord de libre-échange clarifiera ces règles. Nous pourrons ainsi être sur la même longueur d'onde que la Turquie, qui nous sert de tremplin. La certitude générale qui accompagne ce genre d'accord serait très avantageuse, selon nous.

De plus, la reconnaissance des liens économiques étroits ira dans les deux sens. J'ai beaucoup parlé de mon investissement en Turquie et du tremplin que le pays représente. De façon similaire, les entreprises turques qui investissent au Canada auront accès aux États-Unis, au Mexique et à tout notre programme commercial avec les Amériques.

Pour vendre notre salade à d'autres pays, nous pouvons leur dire que nous sommes un point d'accès transparent au marché des Amériques. Les entreprises turques ont l'impression que le Canada est préférable aux États-Unis. Dans bien des marchés émergents, on a le sentiment que le milieu des affaires des États-Unis est très complexe, qu'il pose un risque d'ingérence politique et gouvernementale et qu'il s'inscrit dans un cadre réglementaire loin d'être simple. Nous devons tirer parti de cette perception. C'est pourquoi j'apprécie le caractère officiel de l'accord, qui nous offrira un tremplin.

Par ailleurs, le ministre et le premier ministre m'ont demandé de devancer les tendances. C'est ce que nous faisons au sein du comité consultatif sur le renouvellement de la Stratégie commerciale mondiale auquel je siège. Dans ce genre de comité, nous sommes nombreux à vouloir absolument conserver notre avance plutôt que de suivre les autres. La priorité, c'est de s'attarder à la Stratégie commerciale mondiale et à la définition des pays BRICS. Lorsque c'est fait, bien des pays sont déjà rendus au deuxième but. Mais en ce qui concerne des pays comme la Turquie, l'Indonésie ou le Vietnam, qui présentent ce genre de nouvelle structure émergente, il faut pénétrer le marché, officialiser les relations commerciales et commencer à bâtir l'avenir.

La sénatrice Wallin : Je veux simplement obtenir un commentaire bref. Vous avez dit que les ententes globales et commerciales entre les pays sont importantes. Toutefois, vous avez insisté pour garder votre siège social en Saskatchewan, qui n'est pas facile d'accès même si vous voyagez beaucoup. Que pouvez-vous dire sur les relations entre les régions par rapport à celles entre les pays?

M. Al-Katib : Je soutiens fermement les ententes entre les régions aussi, madame la sénatrice. Mais compte tenu de la complexité de la Turquie ou des pays semblables, ce sont les ententes entre pays qui avantagent bel et bien les intérêts commerciaux, géopolitiques et sociaux, comme les droits de la personne et d'autres questions très importantes pour les Canadiens.

Les ententes entre régions aident les relations, mais nous soutenons fermement le programme national.

J'ai passé toute ma carrière au pays à développer l'économie pour le gouvernement et le secteur privé. Vous devez comprendre qu'aucun pays au monde n'est parfait du point de vue historique, son passé, son présent et son avenir. Compte tenu de la situation presque catastrophique dans les pays voisins, la Turquie présente une excellente occasion pour le Canada d'aider à façonner cette région qui sera importante pour nous sur les plans politique et économique.

La présidente : Monsieur Al-Katib, vous dépeignez le Canada et la Turquie sous un jour favorable. Quels obstacles devons-nous aplanir et prendre en compte dans nos recommandations au gouvernement? Nous avons dit que l'accord de libre-échange pouvait nous aider. D'après votre expérience, quelle est la difficulté qui perdure?

M. Al-Katib : Par le passé, nos intentions générales n'étaient pas tout à fait claires en ce qui a trait à la Turquie. Voulons-nous resserrer nos liens ou non? Depuis deux ou trois ans, nos efforts commencent à montrer clairement que nous avons un intérêt à long terme pour ce pays sur les plans économique, politique et social.

Imaginons qu'une petite entreprise a pris de l'expansion et a réalisé un investissement de 150 millions de dollars en Turquie. L'ambivalence de nos messages politiques successifs concernant certaines questions comme la reconnaissance du génocide arménien nous a beaucoup compliqué la tâche pour ce qui est du commerce. Même si les évènements historiques sont très importants, nous voulons mettre l'accent sur le programme économique. Nous applaudissons l'engagement actuel et la politique de dialogue du gouvernement sur bon nombre de questions économiques et politiques.

Le principe fondamental selon lequel le Canada veut déployer des efforts et fournir de l'aide pour que les occasions à saisir profitent aux deux parties constitue une de nos grandes réussites.

Les progrès concernant EDC nous paraissent aussi très positifs. Je répète que le point de vue du Canada sur la Turquie à titre de centre régional pour les finances et l'établissement d'EDC nous a aidés à mieux comprendre le secteur bancaire canadien dans la région. Les banques canadiennes comprennent maintenant beaucoup mieux qu'auparavant. Nous pensons que c'est aussi très positif.

Un des principaux obstacles ne concerne pas les relations entre le Canada et la Turquie. Le climat politique général dans les pays voisins complique beaucoup la tâche depuis quatre ou cinq ans. Cependant, la politique ferme et continue de la Turquie pour réduire au minimum les conflits avec les pays voisins et sa position de chef de file pour résoudre certaines crises très pénibles comme en Syrie renforcent beaucoup notre confiance et nous incitent à poursuivre le travail.

Le sénateur Duffy : Monsieur Al-Katib, merci d'être parmi nous. C'est une histoire très impressionnante.

Ma question porte peut-être plus sur notre pays que sur la Turquie. Vous avez parlé de la croissance des cultures de légumineuses en Saskatchewan. Ceux d'entre nous qui viennent de la campagne se préoccupent de la croissance de notre économie agricole et rurale. Quel est l'avantage des légumineuses par rapport aux céréales, et comment envisagez-vous la croissance des légumineuses pour votre entreprise et en général? Devons-nous cultiver les légumineuses ailleurs qu'en Saskatchewan?

M. Al-Katib : Excellente question. J'ai bien sûr concentré mes énergies sur la Saskatchewan en tant que principale région pour nos affaires, mais nous avons aussi des usines de transformation au Manitoba et en Alberta. Il y a aussi une concentration de haricots secs comestibles en Ontario et au Québec. Nous avons déjà une industrie nationale des légumineuses. La superficie totale de culture augmente rapidement surtout dans l'Ouest canadien, en raison des vastes terres que nous possédons.

L'avantage des légumineuses est simple. Lorsque j'ai grandi à Davidson, en Saskatchewan, une terre sur trois ou quatre était une jachère d'été. La terre noire nourrissait le sol de façon naturelle. Toutefois, nous avons adopté ce que nous appelons la culture continue à la fin des années 1990. Au lieu de laisser une jachère d'été, nous augmentons naturellement le taux d'azote dans le sol en cultivant des légumineuses.

Les légumineuses sont peut-être la source de protéines qui utilise le moins d'eau. Par exemple, il faut environ 43 gallons d'eau pour produire une livre de protéines de haricots, mais il faut 1 857 gallons d'eau pour une livre de protéines de bœuf.

Les légumineuses ont la plus faible empreinte carbone de toutes les cultures de l'ouest du Canada et des États du Nord. C'est une culture continue qui rétablit les niveaux d'azote dans le sol, qui n'exige pas beaucoup d'eau, qui n'est pas génétiquement modifiée et qui fournit beaucoup de protéines, de fibres et de nutriments.

Concernant la croissance, la superficie de terres qui servent à cultiver les légumineuses va augmenter considérablement dans les 10 ou 20 prochaines années. Ce secteur va générer des milliards de dollars et prendre beaucoup d'importance.

Nous pensons que les collectivités rurales présentent des occasions. Les entreprises comme la nôtre construisent des usines de transformation à valeur ajoutée au pays. Je répète que notre vision, c'est un producteur qui vend ses produits sans intermédiaires partout dans le monde. C'est une des premières idées que j'ai couchées sur papier en tant que jeune entrepreneur. Cette vision figure encore sur toutes mes cartes de visite et toutes mes brochures qui accompagnent les centaines de millions de dollars de produits que nous exportons partout dans le monde. C'est un profil de croissance très positif pour nous.

Cela dit, c'est encore l'accès au marché qui crée la richesse. Nous disons toujours aux agriculteurs que leur production ne doit pas reposer sur leur simple capacité, mais sur le besoin des clients qui vont leur payer un prix raisonnable et permettre à leurs familles de saisir des occasions. Il faut que les entreprises comme la nôtre créent de la richesse en transformant les marchandises en aliments et en ingrédients, au lieu d'exporter les marchandises telles quelles.

C'est l'approche que nous devons adopter pour l'agriculture, mais aussi pour le pétrole, le gaz et les ressources minières, des moteurs économiques importants pour l'Ouest et le Canada. Nous devons cesser d'exporter nos matières premières et commencer à exporter des produits à valeur ajoutée. Il nous faut une infrastructure de transport et des ports pour accéder aux marchés. À mon avis, c'est là-dessus que le gouvernement doit continuer de se concentrer.

Le sénateur Duffy : Merci et félicitations.

Le sénateur De Bané : Monsieur Al-Katib, j'admire votre travail. En tant que sénateur de l'est du Canada, je constate que les gens d'affaires se concentrent en général sur le marché le plus rapproché et le plus riche au monde, les États-Unis. J'aimerais que tous les gens d'affaires pensent comme vous que notre marché, c'est le monde.

Le Canada se classe 40e parmi les sources d'importation de la Turquie. Au total, 39 pays nous devancent. La Turquie se situe au 30e rang des marchés d'investissements du Canada.

Comment pouvons-nous aider les gens d'affaires à réaliser leur plein potentiel? Pourquoi occupons-nous le 40e rang parmi les sources d'importation en Turquie? Le secteur privé pense-t-il qu'il est plus facile de faire des affaires avec le pays le plus près, qui applique les mêmes lois commerciales et qui travaille de la même façon, au lieu d'aller en Asie, en Turquie, et cetera.? De quoi le secteur privé a-t-il besoin? Exportation et Développement Canada doit-il en faire plus? Au bout du compte, le milieu des affaires manque-t-il d'ambition? Quel est le problème? Pourquoi le Canada, un membre du G8, se classe-t-il derrière 39 autres pays en Turquie?

La présidente : Merci, monsieur le sénateur De Bané. J'ai accepté d'ajouter des intervenants, mais nous manquons de temps.

Je propose que la sénatrice Johnson pose sa question et que M. Al-Katib donne deux réponses.

La sénatrice Johnson : Comme mes collègues, je tiens à vous féliciter.

Je veux poser une question brève. Dans quelle mesure la tourmente économique en Europe nuit-elle aux entreprises canadiennes comme la vôtre et Legumex de Winnipeg?

M. Al-Katib : Cette question sur l'Europe s'inscrit dans la continuité de la question précédente. Si vous le permettez, je vais répondre aux deux en même temps.

Oui, nous concentrons surtout nos efforts aux États-Unis comme par le passé, car c'est un marché très important qui continue de dominer pour nos exportations. Je ne pense pas que nous devons changer d'approche. Les États-Unis vont rester un marché très important pour notre économie, en raison de sa proximité.

Pour sa part, le gouvernement doit comprendre que les marchés émergents représentent notre croissance à venir. Nous devons examiner les stratégies du commerce mondial et celles de notre gouvernement, du Service des délégués commerciaux et d'Exportation et Développement Canada et d'autres organismes de services pour profiter des possibilités qui vont se présenter dans les 10 prochaines années et planifier les 10 années suivantes.

Comme je le dis toujours, les sénateurs et les députés doivent comprendre que les Canadiens tournés vers l'avenir vont juger leur travail d'après ses retombées pour la population dans 20 ans, pas dans 20 jours, 20 semaines ou 20 mois. C'est très difficile pour vous, en tant que décideurs dans le cadre réglementaire, de prévoir quel sera le contexte dans 20 ans, mais c'est sans contredit la voie à suivre.

Pourquoi les entreprises canadiennes se classent-elles au 40e rang en Turquie? Je pense que nous accusons un peu de retard, mais tout n'est pas perdu. Nous avons l'occasion de nous reprendre.

Compte tenu des changements que la Turquie a apportés dans la région et de ses politiques gouvernementales depuis 10 ans, elle a mis en œuvre le cadre nécessaire à une croissance durable et continue. Il importe de mettre en priorité les pays développés, comme les États-Unis, et l'accord de libre-échange qui sera conclu avec l'Europe et qui constitue un grand progrès.

Mais il convient de savoir quels sont les huit autres pays prioritaires. C'est sujet à débat, mais je pense que la Turquie pourrait fort bien faire partie de nos 8 ou 10 autres priorités.

La mentalité change en partie à cause de la crise en Europe, des effets durables de la récession de 2008 aux États- Unis et des graves difficultés macroéconomiques provoquées par la crise européenne en 2011. Les données sont là pour le prouver.

Les entreprises et les pays dont les activités sont très diversifiées résistent bien mieux à la tempête économique que les autres. L'accent que nous avons mis sur les ressources en 2011-2012 a constitué une planche de salut pour le Canada. L'agriculture, les ressources minières et les hydrocarbures sont des industries axées sur les marchés émergents. Certains secteurs de notre économie sont naturellement diversifiés et étaient très actifs en temps de crise.

En raison de la crise en Europe, de ses effets sur le secteur privé au Canada et des crises successives de 2008 et de 2011, les dirigeants de PME semblent comprendre que nous devons avoir accès à certains marchés qui connaissent une forte croissance et agir avec prudence.

C'est pourquoi les gouvernements doivent selon moi passer des ententes de partenariat économique, des APIE et des conventions de double imposition pour que nous ayons une approche plus ciblée en matière de partenariat et que les PME participent à la prochaine vague de croissance. C'est un des principaux facteurs de succès pour nous.

Je ne pense pas que les dirigeants d'entreprises canadiennes sont paresseux. Je dirais qu'ils profitent des occasions qui se présentent et qu'ils sont conscients que les 10 prochaines années seront bien plus positives.

La présidente : Monsieur Al-Katib, merci d'avoir passé cette heure avec nous. Votre enthousiasme et votre approche positive expliquent pourquoi vos parents et vous connaissez autant de succès au Canada et à Davidson, en Saskatchewan. Vous défendez admirablement les PME et les diverses méthodes qu'elles peuvent appliquer selon les régions. Votre aide est extrêmement utile pour notre étude. Je suis sûre que vos expériences vont sous-tendre de nombreuses questions que nous allons poser aux autorités turques.

Nous vous souhaitons de continuer de remporter du succès. Je suis contente de savoir que vous allez siéger à un certain nombre de comités, parce qu'il convient de répéter à maintes reprises l'histoire du jeune entrepreneur d'une petite ville qui a lancé une petite entreprise. Merci.

M. Al-Katib : Merci.

La présidente : Chers collègues, nous passons au prochain point à l'ordre du jour, le projet de loi S-14, Loi modifiant la Loi sur la corruption d'agents publics étrangers. Nous avons entendu tous ceux qui ont demandé de témoigner, mais M. Denis Meunier soulève des questions dans la lettre qui vous a été remise. Nous avons demandé au ministère de répondre à certaines d'entre elles. Les représentants de l'Association du Barreau canadien ont témoigné devant nous hier et ont aussi émis certaines préoccupations et évoqué certaines questions. C'est pourquoi nous avons convenu d'inviter des représentants du ministère qui vont répondre aux questions soulevées. Nous passerons ensuite à l'étude article par article du projet de loi.

Nous avons avec nous Wendell Sanford, directeur, Direction du droit criminel, du droit de la sécurité et du droit diplomatique, ainsi que Marcus Davies et Maria Mascaro.

Le sénateur Downe : Vous avez sans aucun doute écouté hier le témoignage des représentants de l'Association du Barreau canadien ou lu la transcription. Avez-vous des remarques à faire au sujet de leur exposé?

Wendell Sanford, directeur, Direction du droit criminel, du droit de la sécurité et du droit diplomatique, Affaires étrangères et Commerce international Canada : Nous avons eu l'occasion, en effet, de lire la transcription ce matin. Ils ont soulevé essentiellement deux points, le premier concernant la durée des peines possibles et le deuxième concernant les paiements de facilitation, à savoir si une très petite somme pourrait entraîner une peine d'emprisonnement de 14 ans. Notre réponse dans les deux cas est qu'il s'agit de décisions qui relèvent de la poursuite. La probabilité qu'une personne se voie infliger une peine de 14 ans de prison pour avoir fait un paiement de facilitation de 20 $ est nulle. Cela n'arrivera pas.

Il n'y a eu à ce jour que cinq affaires, qui ont été tranchées par les tribunaux ou sont encore devant les tribunaux. Il importe de souligner que dans l'affaire Niko Resources Ltd., un véhicule de 190 000 $ a été offert. Même si la défense invoque un paiement de facilitation, un véhicule de 190 000 $ ne peut certainement pas être considéré comme tel. Nous sommes d'avis que les procureurs devront décider des chefs d'accusation et des preuves qu'ils utiliseront.

Le sénateur Downe : Lorsque vous êtes venu témoigner en compagnie du ministre des Affaires étrangères, le ministre Baird, je vous ai posé une question à laquelle vous n'avez pas pu répondre. Avez-vous consulté les représentants de l'Agence du revenu du Canada sur ce projet de loi? Si tel est le cas, que vous ont-ils conseillé?

M. Sanford : Nous leur avons parlé, mais, malheureusement, nous n'avons pas encore reçu leur réponse par écrit. Nous la recevrons en temps opportun.

Le sénateur Downe : Je suis désolé, mais je ne comprends pas très bien. Vous les avez consultés sur le projet de loi, mais vous n'avez pas encore reçu leur réponse?

M. Sanford : Nous n'avons pas reçu de réponse à la question que vous avez posée la semaine dernière.

Le sénateur Downe : Est-il exact de dire que le ministère des Affaires étrangères a consulté l'agence et qu'il a reçu sa réponse?

M. Sanford : Non, monsieur. On nous a dit qu'on nous reviendrait à ce sujet, et nous n'avons pas encore reçu de réponse.

Le sénateur Downe : Pour être clair, vous dites que vous avez consulté un autre ministère sur un projet de loi qui a été soumis au Parlement, et on vous a répondu qu'on vous reviendrait à ce sujet. Quand recevrez-vous la réponse? Après l'adoption du projet de loi? Leur point de vue n'est-il pas important?

M. Sanford : Oui, monsieur, c'est certainement le cas, mais nous n'avons pas encore reçu leur réponse.

Le sénateur Downe : C'est un ministère étonnant à différents points de vue.

Nous avons reçu les commentaires de l'ancien directeur général responsable des enquêtes criminelles à l'Agence du revenu du Canada. Je présume que vous les avez reçus aussi. La communication des renseignements est une question importante pour lui. Avez-vous vu le document?

Marcus Davies, agent juridique - Corruption, Criminalité transnationale organisée, Drogues, Direction du droit criminel, du droit de la sécurité et du droit diplomatique, Affaires étrangères et Commerce international Canada : Merci, monsieur le sénateur. J'aimerais aussi vous demander de me préciser, à propos de votre question précédente, ce que vous vouliez savoir au sujet du ministre Baird. Je ne comprends pas très bien de quoi il s'agit. Je peux aussi répondre à la question au sujet du document produit par Denis Meunier, qui s'est prononcé à titre de spécialiste en terrorisme et récupération de biens.

La question qui le préoccupe relève essentiellement de la Loi de l'impôt sur le revenu. Il ne s'agit pas d'une obligation de la convention de l'OCDE qui relève de l'ARC, car le principe de l'ARC en est un de déclaration volontaire. La Loi de l'impôt sur le revenu repose notamment sur le principe de la déclaration volontaire.

Lors des vérifications, lorsqu'ils tombent sur des preuves d'actes criminels, ils ne les déclarent pas aux organismes d'application de la loi. C'est une question de politique qui, d'après ce que l'on sait, fait l'objet d'un examen, et qui relève du ministère des Finances. Cela ne relève pas, en particulier, de la LCAPE. Cela relève de l'impôt sur le revenu.

Nous croyons savoir que le ministère des Finances a accepté de fournir une réponse à ce sujet et de s'occuper de la question. Comme on examine le tout, les mesures sont limitées pour l'instant. Je peux vous assurer, toutefois, que les responsables sont au courant du problème et aussi des recommandations.

La recommandation dont il est question n'est pas issue de la convention de l'OCDE sur la lutte contre la corruption dans les transactions commerciales internationales. Il s'agit d'une recommandation générale liée à la convention, mais ce n'est pas une obligation en vertu de celle-ci. Il s'agit d'une des recommandations du secrétariat touchant la mise en œuvre dans son ensemble.

Pourriez-vous nous rappeler votre question au sujet du ministre Baird et de l'ARC?

Le sénateur Downe : Nous avons déjà reçu la réponse. Lorsque le ministre a comparu, je lui ai demandé si le ministère avait consulté l'Agence du revenu du Canada. Les représentants du ministère devaient s'informer et nous revenir. Aujourd'hui, nous avons appris qu'ils ont consulté l'ARC, mais qu'ils n'ont pas encore reçu de réponse.

Le sénateur D. Smith : Ma question portait essentiellement sur la position de l'Association du barreau. Je me demandais si les membres avaient très peu participé à la prise de position de l'association, et si les expériences dont elle parle se produisent concrètement. Vous avez dit, et je suis tout à fait d'accord avec vous, que les chances de voir une peine de 14 ans d'emprisonnement pour un paiement de 20 $ sont nulles.

Je présume que vous avez reçu les commentaires du ministère, qui s'inquiétait plus ou moins des répercussions des changements. Est-il juste pour nous de présumer cela?

M. Sanford : Au sujet des paiements de facilitation?

Le sénateur D. Smith : Oui.

M. Sanford : C'est la raison pour laquelle cet aspect de la loi n'entrera pas en vigueur au moment de la sanction royale. Cela vise à donner le temps aux sociétés et au gouvernement de collaborer pour établir des procédures qui permettront de bien gérer le tout.

Le sénateur D. Smith : Avez-vous une idée du temps que cela prendra, en mois ou en années, pour mettre en place ces procédures? Je pense que notre engagement auprès de l'OCDE a été pris en 1998 ou 1999. Dans combien de temps croyez-vous que ces procédures pourront être mises en place?

M. Sanford : Il est difficile pour nous de nous prononcer, car il s'agira d'une décision du Cabinet.

La présidente : Les négociations avec les sociétés porteront notamment sur la mise en œuvre des mesures de facilitation afin qu'elles sachent ce qui est acceptable et ce qui ne l'est pas. Vous inspirerez-vous de celles mises en place par nos homologues au sein de l'OCDE? Il s'agit d'un enjeu mondial.

M. Sanford : Oui, bien sûr. J'ai apporté la liste des 40 pays de l'OCDE et des 36 d'entre eux qui n'ont pas de disposition autorisant les paiements de facilitation. Nous aurons de longues discussions avec eux. Nous aurons aussi, évidemment, des discussions avec les trois autres pays qui ont une disposition sur les paiements de facilitation, soit l'Australie, la Nouvelle-Zélande et les États-Unis, pour discuter de la façon de procéder.

La sénatrice Johnson : À ce sujet, comment le gouvernement définira-t-il un paiement de facilitation? De quoi s'agit- il et dans quelles circonstances?

M. Sanford : La loi actuelle contient une série de dispositions. Le fait est qu'il n'y a eu que trois affaires de jugées à ce jour et que la défense n'a jamais eu gain de cause au sujet des paiements de facilitation. Il n'y a pas encore de jurisprudence qui établit clairement ce qu'est un paiement de facilitation acceptable.

La sénatrice Johnson : On a beaucoup parlé aussi hier d'un traitement spécial pour les organismes d'aide humanitaire et de bienfaisance. Comment peut-on en tenir compte si on exige d'eux des paiements de facilitation pour fournir des soins urgents?

M. Sanford : Je pense qu'il s'agit encore là d'une question qui concerne la poursuite. Ce n'est pas à moi de décider, mais pensez-vous qu'un enquêteur, un procureur ou un tribunal réagirait négativement dans une situation humanitaire très difficile? Les chances sont très minces.

La sénatrice Johnson : Devrait-on leur accorder un traitement spécial? Je le recommanderais sans doute.

M. Sanford : Ils ne font pas partie de la loi à l'heure actuelle. Il n'y a pas de disposition particulière à cet égard.

La présidente : Je résiste à toutes mes manies d'avocate ici, mais la question qui se pose n'est pas à propos des organisations de bienfaisance, mais à propos de ceux qui ont l'intention d'offrir des pots de vin ou des paiements de facilitation. Comment éviter que les gens mal intentionnés utilisent les organisations de bienfaisance si les autres portes se ferment pour eux? Suis-je assez claire? En d'autres mots, ce que je crains... oui, l'envoi de denrées aux gens dans le besoin serait un exemple. Toutefois, si on commence à créer des exemptions, on sait vers quoi se tourneront les activités criminelles, et les organisations de bienfaisance deviendront encore plus vulnérables. J'ai lu la loi. Elle cible les activités mal intentionnées, pas les activités de bienfaisance.

M. Sanford : Vous avez été très claire. Comme vous l'avez mentionné hier, d'après ce que j'ai pu lire dans la transcription, nous voulons établir des normes élevées et lutter contre la corruption. Le meilleur moyen de lutter contre la corruption n'est pas de créer des exemptions que les criminels pourront utiliser, mais bien de se donner des normes très élevées et ensuite d'examiner les faits de manière sensée à la lumière des circonstances. Il faut toutefois qu'il y ait une norme élevée au départ, autrement, on s'engage sur une pente glissante.

La sénatrice Wallin : Voici mon dilemme : les membres du comité semblaient s'entendre hier pour dire que nous avions là un projet de loi important et qu'il fallait l'adopter le plus vite possible. Peut-on le faire? Pouvons-nous — et j'aimerais entendre les deux points de vue si vous avez une réponse — dire simplement que nous recommandons que des consultations pour clarifier cet élément clé aient lieu rapidement, et que nous voulons que le processus débute? Allons-y et demandons à quelqu'un de nous tenir au courant des progrès. Il semble toutefois que vous ayez besoin de la loi pour procéder.

M. Sanford : Oui.

[Français]

Le sénateur Robichaud : Une fois que ce projet de loi aura pris force de loi et que tous les gens concernés auront eu le temps d'en comprendre tous les articles, une personne qui travaille pour une compagnie qui fait affaire ailleurs qu'au Canada pourrait-elle finir avec un dossier criminel pour avoir donné 20 dollars pour expédier sa sortie du pays? Comme les exemples qu'on nous a donnés hier. Pourrait-il avoir un dossier criminel? On ne fait pas de distinction ici entre les petits paiements ou des paiements beaucoup plus considérables.

M. Sanford : C'est possible. Si c'est une question d'un procès contre un individu et si c'est très sérieux.

Le sénateur Robichaud : Que voulez-vous dire par « très sérieux »? Je comprends qu'il y a différentes sortes de paiements, mais on parle ici de petits paiements de 20 dollars, et si des accusations sont déposées, on ne fera pas la différence. Peut-être qu'il ne sera pas envoyé en prison pour 14 ans, mais il va se retrouver avec un dossier criminel, n'est-ce pas?

M. Sanford : Si c'est un procès très sérieux, prenons l'exemple d'une voiture de 200 000 dollars.

[Traduction]

Si la personne accusée est trouvée coupable, elle recevra une peine au criminel et aura un dossier criminel.

[Français]

Le sénateur Robichaud : Vous répondez indirectement à ma question. Je veux parler d'un petit paiement. Hier, on entendait que cela pouvait être 20, 30 ou 40 dollars. Je ne parle pas d'une voiture de 190 000 dollars.

[Traduction]

M. Sanford : La réponse courte à votre question est que la poursuite détenant un pouvoir discrétionnaire, il n'y aura pas d'accusations de porter contre une personne qui a accepté un paiement de 20 $. Cela n'arrivera pas, de la même manière qu'une personne ne sera pas arrêtée pour avoir conduit à 61 kilomètres à l'heure dans une zone de 60 kilomètres à l'heure. Si vous conduisez à 200 kilomètres à l'heure, vous le saurez.

Le sénateur Robichaud : C'est ce que je voulais entendre. Merci.

La présidente : Je vais vous poser une question juridique. Si une personne se trouve dans une situation où sa vie est menacée, pourra-t-elle invoquer la défense de nécessité si elle est poursuivie de façon frivole? Si sa vie est menacée et qu'elle décide de faire quelque chose pour sauver sa peau et que la poursuite ne voit pas les choses de cette façon, pourra-t-elle se défendre devant un tribunal en vertu de la common law?

M. Sanford : Oui.

La présidente : Il y a la défense de nécessité. Nous avons entendu quelques exemples de cas où la vie de la personne est menacée et se sent obligée d'agir ainsi, dans ce cas, il n'y aura pas d'accusations criminelles, n'est-ce pas?

M. Sanford : Il pourrait y en avoir, mais il n'y aura pas de condamnation si les arguments de la défense ont assez de poids. Il n'y aurait pas de dossier criminel dans ce cas.

La présidente : Parlons de la facilitation. Ce que je comprends, c'est qu'à l'heure actuelle, on veut conclure les meilleurs marchés possible et le plus rapidement possible afin de damer le pion à nos concurrents. Toutefois, on ne veut pas que cela serve d'excuse pour donner dans la corruption ou s'engager sur la pente glissante de la facilitation ou autre chose d'encore plus grave. Est-ce là où l'OCDE a fixé la limite?

M. Sanford : Oui. Nous interdisons strictement les paiements de facilitation. Nous voulons que les 40 pays de l'OCDE se regardent dans le blanc des yeux et se disent : « C'est la règle et nous convenons tous de la faire respecter ». Chacun doit décider s'il fixera cette limite et s'il la respectera. À ce jour, 36 pays ont accepté de le faire. Ce projet de loi permettra au Canada de joindre leur rang.

Le sénateur De Bané : Monsieur Sanford, vous nous avez bien dit qu'un paiement de facilitation de 25 $ pour faire étamper un visa de sortie dans un passeport pour quitter plus rapidement un pays ne serait pas permis, n'est-ce pas?

M. Sanford : Monsieur le sénateur, j'ai dit que c'était illégal, au même titre qu'il est illégal de conduire à 61 kilomètres à l'heure dans une zone de 60 kilomètres à l'heure. La question est de savoir si quelqu'un sera poursuivi pour avoir versé 20 $ pour obtenir un visa, et la réponse est que cela n'arrivera pas.

Le sénateur Baker : Cela n'arrivera pas?

M. Sanford : C'est exact.

Le sénateur Robichaud : Vous ne pouvez pas le garantir.

M. Sanford : Vous avez tout à fait raison, monsieur le sénateur, de dire que je ne peux pas le garantir. Je suis membre du barreau depuis 37 ans. Si j'étais procureur et qu'un agent de la GRC venait me voir et me disait que c'est à propos d'un paiement de « 20 $ », je lui répondrais que j'ai mieux à faire.

Le sénateur Robichaud : J'ai déjà reçu des contraventions pour avoir dépassé la limite de vitesse de 15 kilomètres à l'heure.

Le sénateur De Bané : Nous laissons au procureur de la Couronne le soin de décider, en fonction du bon sens, s'il est pertinent de porter des accusations.

M. Sanford : Oui.

Le sénateur De Bané : Je vois. Merci, monsieur Sanford.

La présidente : Y a-t-il d'autres questions? Les témoins peuvent-ils s'en aller? Ils peuvent demeurer avec nous au cas où nous ayons des questions. Merci.

Honorables sénateurs, sommes-nous prêts à entamer l'étude article par article?

Des voix : D'accord.

La présidente : Je reçois des messages. Je vais peut-être prendre les devants. Au moment où je déposerai le rapport au nom du comité, plutôt que de soumettre des observations, je pense que nous devrions signaler quelques points. Je sais que les consultations prendront un certain temps. Je me souviens de ce qui s'est passé dans le dossier des médicaments génériques : nous avons dû adopter la mesure et donner une marge de manœuvre au gouvernement, car il s'agit d'un enjeu international.

Toutefois, je crois que nous devrions signaler quelques points, et ils ont été très clairement mentionnés ici, afin qu'il soit du domaine public que les membres du comité attendent une réponse de l'ARC et sont soucieux de voir le Canada continuer de mener ses négociations pour parachever la disposition. Est-ce que cela vous irait?

Le sénateur Robichaud : Cela sera-t-il inscrit dans votre rapport lorsque vous ferez rapport du projet de loi?

La présidente : Je vais déposer le rapport et mentionner cela dans mes observations.

Le sénateur Robichaud : Mais cela ne fera pas partie du rapport; cela fera partie des observations qui suivront.

La présidente : Non, cela fera partie des observations formulées par le comité. Dites-moi si je me trompe, mais je pense que nous sommes pour une politique solide contre la corruption. C'est notre message, je crois. Personnellement, je pense que tout dollar qui va à la corruption est un dollar de moins pour le développement. Je pense que le comité veut envoyer un message clair.

Nous voulons toutefois que certaines questions administratives soient inscrites au compte rendu, sans pour autant donner l'impression que nous nous éloignons de ce principe. Il s'agit en quelque sorte d'une question non partisane à mes yeux. Ai-je raison?

La sénatrice Johnson : Oui.

La présidente : Si ce n'est pas le cas, corrigez-moi.

Le sénateur D. Smith : C'est ce que je pense.

La sénatrice Johnson : Oui, c'est bien cela, madame la présidente.

La présidente : Les membres du comité sont-ils d'accord pour procéder à l'étude article par article du projet de loi S- 14?

Des voix : D'accord.

La présidente : Êtes-vous d'accord pour que l'on reporte l'étude du titre?

Des voix : D'accord.

La présidente : Êtes-vous d'accord pour que l'on reporte l'étude de l'article 1, le titre abrégé?

Des voix : D'accord.

La présidente : L'article 2 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

La présidente : L'article 3 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

La présidente : L'article 4 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

La présidente : L'article 5 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

La présidente : L'article 6 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

La présidente : L'article 1, le titre abrégé, est-il adopté?

Des voix : D'accord.

La présidente : Le titre est-il adopté?

Des voix : D'accord.

La présidente : Le projet de loi est-il adopté?

Des voix : D'accord.

La présidente : Puis-je faire rapport du projet de loi au Sénat?

Des voix : D'accord.

La présidente : Je crois que nous pouvons déposer le rapport cet après-midi, et je vais en parler après la relâche. Je vais consulter le vice-président au sujet des observations que j'inclurai dans le rapport au nom du comité.

Le sénateur Downe : La semaine de notre retour — parfait.

La présidente : Merci, mesdames et messieurs les sénateurs. Comme d'habitude, nous sommes efficaces et nous terminons à l'avance. Vous pouvez même aller vous chercher quelque chose à manger. Le comité ne l'offre pas toutefois. Je ne suis pas généreuse. Merci.

(La séance est levée.)


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