Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule 8 - Témoignages du 8 décembre 2011 (séance de l'après-midi)
OTTAWA, le jeudi 8 décembre 2011
Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts, auquel a été renvoyé le projet de loi C-18, Loi réorganisant la Commission canadienne du blé et apportant des modifications corrélatives et connexes à certaines lois, se réunit aujourd'hui, à 13 h 46, pour étudier le projet de loi.
Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, nous entendrons maintenant notre troisième groupe.
[Français]
Aujourd'hui, en troisième heure, nous accueillons le président du Syndicat national des fermiers, M. Terry Boehm.
[Traduction]
Merci d'avoir accepté notre invitation.
Nous accueillons aussi le professeur Kenneth Rosaasen et le professeur Murray Fulton, de l'Université de la Saskatchewan.
Merci d'avoir accepté notre invitation et d'être ici. J'inviterais maintenant les témoins à présenter leurs exposés, qui seront suivis des questions des sénateurs.
Le premier exposé sera présenté par M. Boehm, le deuxième, par le professeur Fulton et le troisième, par le professeur Rosaasen.
Terry Boehm, président, Syndicat national des fermiers : Le Syndicat national des fermiers remercie le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts de lui donner l'occasion de présenter son point de vue sur le projet de loi C-18, Loi réorganisant la Commission canadienne du blé.
Le SNF est la seule organisation agricole nationale volontaire à adhésion directe du Canada. Les membres du SNF élaborent des politiques économiques et sociales visant à conserver à l'exploitation agricole familiale son statut d'unité de base au Canada pour la production d'aliments. Le SNF représente des agriculteurs de toutes les régions du Canada, surtout des producteurs de grains et d'oléagineux.
Les agriculteurs sont devenus très efficaces dans la culture des grains. Mais ils s'aperçoivent que leur gagne-pain et leur avenir dépendent beaucoup d'institutions et de structures qui s'efforcent de trouver un équilibre entre les énormes pouvoirs exercés par les grandes sociétés ferroviaires, les sociétés céréalières internationales et les fournisseurs intégrés d'intrants, comme le carburant, les engrais, les semences, les produits chimiques et les engins agricoles.
La CCB fait partie de ces institutions qui, grâce à leur pouvoir de commercialisation centralisée, apportent un peu d'équilibre dans l'équation, parce qu'elle agit uniquement dans l'intérêt des agriculteurs. Elle permet aussi aux agriculteurs d'obtenir sur le marché une prime sur le blé et l'orge en étant un négociant mondial capable d'exercer une discipline de marché et d'établir des prix différents sur les marchés internationaux et sur le marché national.
La discipline de marché est possible parce que, du fait qu'elle est seule à commercialiser le blé et l'orge de l'Ouest canadien, la commission ne fait pas baisser les prix des grains en vendant les grains de qualité tous en même temps lorsqu'il y a un excédent. Par exemple, les années où les Prairies produisent du blé de qualité à forte teneur en protéines, il serait très facile d'éroder les primes sur ces céréales en les vendant d'un seul coup, si la commercialisation se faisait rapidement sur tous les marchés ou sur un marché en particulier.
Lorsqu'on apporte des changements institutionnels ou réglementaires, si l'on ne tient pas compte de la raison pour laquelle les institutions ou les règlements existent et de leur influence sur le pouvoir des relations, les conséquences sont désastreuses. C'est ce que fera le projet de loi C-18 pour les agriculteurs, les citoyens et l'économie du pays. Les gagnants seront clairement les sociétés céréalières transnationales et les deux puissantes sociétés ferroviaires canadiennes.
La CCB et la structure de commercialisation à guichet unique ne sont pas sorties de nulle part. Elles sont le fruit d'une longue histoire d'agitation et d'expérience des agriculteurs aux mains des grandes sociétés céréalières et des grandes sociétés ferroviaires. L'agitation en faveur de la Commission du blé découle de l'expérience favorable des agriculteurs durant la Première Guerre mondiale avec les superviseurs des grains, puis la première Commission canadienne du blé de 1919 — qui a été démantelée en un an, après quoi les prix se sont effondrés et ont reculé de 400 p. 100 en 1921.
Les agriculteurs ont ensuite créé les coopératives de silos-élévateurs au milieu des années 1920, puis une agence de vente centrale afin de commercialiser leur grain. Cela a bien fonctionné jusqu'à ce que les bourses des grains refusent de faire affaire avec eux et leur permettent de protéger leurs grains en 1928. Les bourses des grains ont profité aux sociétés céréalières mais, pas aux agriculteurs et à leurs coopératives. L'effondrement économique de 1929 a aggravé la situation déjà difficile des agriculteurs.
En 1935, la CCB a été créée comme organisation de mise en commun volontaire, un peu comme le propose le projet de loi C-18. Elle a été déficitaire et a fait perdre beaucoup d'argent au gouvernement jusqu'à ce que le guichet unique soit créé en 1943. Les agriculteurs n'utilisaient les coopératives volontaires et la commission que lorsque les prix baissaient et considéraient les premiers prix comme des prix planchers.
Au Canada, d'innombrables commissions royales et études ont conclu qu'il n'est pas dans l'intérêt public de ne pas brider les principaux acteurs. La Loi sur les grains du Manitoba de 1900, la Loi sur les grains du Canada de 1912, la Convention du Nid-de-Corbeau, puis la Loi sur le transport du grain de l'Ouest ont toutes été adoptées pour équilibrer les intérêts des puissants acteurs économiques, l'intérêt public et les intérêts des agriculteurs.
Dans les années 1960, le juge MacPherson a recommandé dans son rapport sur le transport ferroviaire une réglementation afin d'imiter la concurrence lorsqu'il n'y en avait pas. Il avait compris que les deux sociétés ferroviaires avaient rendu les agriculteurs des expéditeurs captifs et qu'elles agissaient de manière concertée, au détriment des agriculteurs. Il avait compris que l'exercice pur du pouvoir économique n'allait pas dans l'intérêt public et devait être tempéré et dirigé pour le bien commun. Cela ne veut pas dire mettre fin à l'entreprise privée, mais plutôt l'obliger à être un joueur d'équipe dans l'économie au lieu d'agir seulement dans son intérêt. À ce jour, les sociétés ferroviaires ont toujours exercé des représailles contre ceux qui osent les contester. Seule la réglementation tempère leurs mesures représailles.
Au Canada, nous avons développé un système concerté en agriculture, la Commission canadienne des grains et la Commission canadienne du blé collaborant avec les anciennes coopératives de grains qui sont maintenant devenues de grandes sociétés transnationales et les chemins de fer, pour transporter, vendre et classer efficacement nos grains. Ce système nous permet d'obtenir des primes et permet à un réseau de transport sous contrainte de transporter de manière ordonnée nos récoltes jusqu'au point de vente. De toute évidence, sans la CCB et la mise en commun des prix, les grains n'iraient pas dans les silos de manière ordonnée durant l'année. Ils les inonderaient plutôt après la récolte ou à d'autres moments, lorsque les prix sont élevés, et ils arriveraient au compte-gouttes le reste du temps.
La coordination de la CCB n'est pas seulement avantageuse pour les grains qui relèvent d'elle mais aussi pour tous les grains, parce que le transport et l'espace dans les silos seraient autrement rationnés par des prix élevés ou plus élevés lorsque la demande est forte, ce qui accroîtrait les coûts pour les agriculteurs et réduirait leurs revenus. La vente par guichet unique et la mise en commun des prix à la CCB donnent à tous les agriculteurs un accès égal au marché et ne les obligent pas à rivaliser entre eux pour l'espace dans les silos, le transport, et cetera.
Les sociétés céréalières réalisent des profits grâce aux marges. Afin d'optimiser les profits, elles paient le prix le plus bas possible aux agriculteurs et vendent au prix le plus élevé possible, saisissant les débouchés à court terme. Elles se sont regroupées pour être plus puissantes. Ce sont des géants.
Comme l'a déclaré Ed Partridge en 1905, les géants peuvent rivaliser avec les géants, les pygmées avec les pygmées, mais jamais les pygmées avec les géants. C'est ce qui manque dans toutes les initiatives du gouvernement concernant la CCB; elles ne reconnaissent pas que les puissants acteurs empochent des revenus qui devraient être ceux des agriculteurs. Toutes les initiatives des dernières années en vue de déréglementer le marché et de laisser jouer les soi- disant forces du marché ont eu des résultats prévisibles. Malheureusement, les promesses de prospérité faites aux agriculteurs ne se sont pas matérialisées parce que chaque fois qu'il y a eu une consolidation, les coûts ont été répercutés sur les agriculteurs et, en règle générale, le revenu agricole a baissé et des exploitations agricoles ont disparu. C'était prévisible parce que des promesses ont été faites à partir de l'hypothèse erronée qu'un marché libre n'a pas besoin d'être réglementé ou que des institutions comme la CCB ont besoin d'un guichet unique établi par la loi pour pouvoir profiter aux agriculteurs et à l'ensemble de l'économie.
Je demande au Sénat de rejeter ce projet de loi dans son intégralité, pour le bien des agriculteurs et de l'ensemble du pays. C'est une mauvaise politique publique traitée de manière particulièrement odieuse par le ministre, qui encore hier a été réprimandé par les tribunaux pour avoir agi sans tenir compte de la primauté du droit. La plupart des agriculteurs sont en faveur du guichet unique et l'ont toujours été. La question du soi-disant libre choix en matière de commercialisation a été réglée il y a longtemps par le programme de vente directe des producteurs de la Commission canadienne du blé. Il n'y a aucun besoin ni aucune raison d'adopter le projet de loi. Les agriculteurs paient pour la CCB et la dirigent par l'entremise d'un conseil d'administration démocratique. La CCB profite aux agriculteurs. Qu'y a-t-il de mal à cela?
Murray Fulton, professeur, Université de la Saskatchewan : Merci de m'avoir invité à témoigner devant votre comité.
Les modifications proposées à la Commission canadienne du blé en vertu du projet de loi C-18 représentent un changement réglementaire fondamental où un décret administratif sera remplacé par des transactions sur le marché. Utiliser les signaux des prix du marché pour régir un système économique peut être très efficace. De fait, en ma qualité d'économiste, il m'arrive souvent dans mes classes de chanter les louanges des marchés comme moyen d'organiser l'approvisionnement en biens et services.
En même temps, comme d'autres économistes, je souligne que des conditions fondamentales doivent être réunies pour que les marchés fonctionnent correctement. Ainsi, il faut un nombre raisonnable d'acheteurs et de vendeurs sur le marché, et il ne doit pas y avoir un grand nombre de biens publics.
Dans le cas du système de manutention et de transport des grains, il existe de nombreuses preuves que ces conditions n'existent pas. L'industrie de la manutention des grains et l'industrie ferroviaire sont très concentrées et quelques grandes entreprises dominent l'industrie. De fait, la concentration élevée pose problème depuis les débuts du système à la fin des années 1800. De nos jours, cette forte concentration est reliée à des problèmes de niveau de service des chemins de fer et a poussé les agriculteurs à charger des wagons de producteurs pour éviter le système des silos, qui coûte plus cher.
Les agriculteurs et le système en général comptent aussi sur des biens publics essentiels — des biens qui, ces derniers temps, ont été fournis par la commission. Depuis 25 ans, la Commission canadienne du blé a joué un rôle clé dans le maintien de l'accès aux États-Unis en défendant avec succès le Canada dans les différends commerciaux. La CCB a également joué un rôle important pour s'assurer que des outils réglementaires comme le plafonnement des revenus et les exigences en matière de niveau de service sont en place et sont utilisés pour éviter des problèmes de concentration, en particulier dans l'industrie ferroviaire.
Avec l'élimination de la Commission canadienne du blé, les sociétés céréalières et les chemins de fer auront une grande latitude pour augmenter les prix.
Prenons d'abord les sociétés céréalières. Malgré les arguments en faveur d'une Commission canadienne du blé volontaire qui offrirait un libre choix en matière de commercialisation et stimulerait la concurrence, sans ses propres installations de manutention des grains dans les Prairies et dans les ports, une CCB volontaire n'est pas viable ou alors seulement viable sur une petite échelle. En l'absence d'une CCB forte et viable, les installations des wagons de producteurs n'auront plus de débouchés pour vendre les grains qu'elles transportent et ne seront donc plus en mesure de limiter le pouvoir des sociétés céréalières de majorer les frais de manutention.
Le pouvoir de commercialisation des chemins de fer est particulièrement préoccupant, parce que les sociétés ferroviaires contrôlent l'accès à la ressource essentielle pour transporter les grains jusqu'aux ports, où ces grains peuvent alors avoir une valeur beaucoup plus élevée.
Enfin, sans la Commission canadienne du blé, aucun acteur de l'industrie n'aura le désir et les moyens financiers de fournir les biens publics nécessaires pour maintenir l'accès au marché et éviter la concentration du marché.
Étant donné que les conditions pour un bon fonctionnement du marché ne sont pas réunies, la déréglementation complète du système de manutention et de transport des grains est, à mon avis, une mauvaise décision de politique. S'il est adopté, le projet de loi C-18 réduira probablement non seulement la taille du gâteau que doivent se partager les participants, mais aussi la part du gâteau qui reviendra aux agriculteurs.
Ceci dit, existe-t-il des options de politique ou des modifications qui amélioreraient la situation? La réponse est oui. Premièrement, peu importe ce qu'il adviendra du projet de loi C-18, il est important que les prix que doivent payer les agriculteurs pour amener les grains sur le marché soient transparents. Bref, nous aimerions que toute nouvelle loi, peu importe la forme qu'elle pourrait prendre, prévoie la collecte de données permettant de déterminer et de présenter continuellement les principaux prix — j'entends par là les prix au port, le prix dans le pays, le prix à la ferme, et la différence entre eux, ce qu'on appelle la base d'exportation. Le coût de cette mesure ne serait pas élevé et les avantages seraient importants, puisque cela assurerait l'honnêteté des acteurs et permettrait de déterminer dans quelle mesure les questions de pouvoir du marché nécessitent une attention réglementaire.
Deuxièmement, une autre solution de politique concernant la commercialisation mérite qu'on l'envisage sérieusement. Cette option enlèverait à la Commission canadienne du blé son rôle de vendeur unique de grains aux clients du Canada, des États-Unis et du Mexique, mais maintiendrait son rôle de vendeur unique de grains dans le reste du monde. En réalité, la Commission canadienne du blé deviendrait la Canpotex de l'industrie des grains.
Une telle option de politique permettrait aux agriculteurs de vendre leur blé et leur orge directement aux fabricants de pâtes, aux malteurs et aux minoteries en Amérique du Nord, ce qui permettrait aux forces du marché de guider l'activité économique et l'innovation. Cette option garantit également que la Commission canadienne du blé reste un acteur important dans l'industrie, un acteur capable d'exercer un pouvoir de contrepartie, en particulier par rapport aux chemins de fer et aux biens publics importants.
Cette option de politique comporte un compromis, un compromis qui doit se faire maintenant. Lorsque les modifications proposées à la Commission canadienne du blé auront été apportées, il sera impossible de ramener la Commission canadienne du blé dans le système de manutention et de transport des grains, mais le compromis que je propose ne se fera pas tant que les agriculteurs, l'industrie et le gouvernement penseront chacun de leur côté qu'il n'y a qu'une seule solution.
Le président : Merci, monsieur Fulton.
[Français]
Le président : Maintenant, on va reconnaître le professeur Rosaasen.
[Traduction]
Kenneth Rosaasen, professeur, Université de la Saskatchewan : Bon après-midi, sénateurs. J'apprécie cette possibilité d'être ici pour vous parler de cette loi extrêmement importante.
Le projet de loi C-18, qui propose d'éliminer le guichet unique, est appelé la « Loi sur le libre choix des producteurs de grains en matière de commercialisation » par le gouvernement Harper. Le libre choix en matière de commercialisation ne devrait pas dire que l'État est libre d'exproprier les biens des agriculteurs sans indemnisation. Quand le ministère des Transports acquiert un bien, il peut le faire par expropriation, mais habituellement, il y a une indemnisation prévue dans une entente ou établie par les tribunaux.
Dans sa forme actuelle, le projet de loi C-18 confisque des biens des agriculteurs en nationalisant la CCB, une organisation propriétaires de wagons de chemin de fer, de laquiers, de logiciels et d'un fonds de prévoyance, et il propose de le faire sans indemnisation. Il met à la porte les administrateurs élus par les agriculteurs et les remplace par cinq personnes nommées par le gouvernement, qui relèvent directement du ministre Ritz.
Le libre choix en matière de commercialisation ne signifie pas que le gouvernement est libre de bafouer le processus démocratique. Dans la livraison du 5 décembre de Maclean's, Andrew Coyne affirme que le Parlement est en train de mourir. Je le cite.
Limiter le débat à la Chambre des communes a permis au gouvernement Harper d'agir en tyran, même s'il n'a été élu que par 24,3 p. 100 des électeurs canadiens admissibles. Le Sask Party a obtenu 64 p. 100 des suffrages lors de la récente élection en Saskatchewan et a donc remporté une victoire écrasante. Dans le référendum de la Commission du blé, 62 p. 100 étaient en faveur du maintien du guichet unique pour le blé et certains affirment que cela ne compte pas. Respectons-nous les principes démocratiques au Canada, oui ou non?
Aussi récemment qu'en 2006, les agriculteurs du Québec ont créé une organisation collective de commercialisation du blé à guichet unique, et ils l'ont fait par un scrutin démocratique. Quand les commissions ont été supprimées en Ontario et en Australie, cela s'est fait à l'issue d'un vote démocratique des agriculteurs.
Les racines du premier ministre Harper sont dans le Parti réformiste, un parti qui attachait de l'importance à la responsabilité du Parlement envers les électeurs. Bâillonner le débat, faire appliquer la discipline de parti lors du vote et ne pas tenir de référendum sur l'avenir de la Commission du blé contreviennent gravement aux principes sur lesquels son parti se fondait.
Comment cette nouvelle organisation créée dans le projet de loi C-18 rend-elle des comptes? Pour moi, c'est une question embêtante. Le projet de loi affirme que la commission est une société, mais il prévoit aussi que : « La Commission n'est ni mandataire de Sa Majesté ni une société d'État au sens de la Loi sur la gestion des finances publiques, malgré la partie X de cette loi. Ses administrateurs et les membres de son personnel ne font pas partie de l'administration publique fédérale ».
À qui cette organisation bâtarde doit-elle rendre des comptes? Le vérificateur général examine les organismes gouvernementaux et a aussi examiné la CCB. Mais en affirmant qu'elle n'est pas mandataire du gouvernement ou de Sa Majesté, comment se fait la reddition des comptes? Je ne vois aucune mention des actionnaires. L'organisation rend des comptes uniquement au ministre Ritz et au gouverneur en conseil. Où est la représentation des agriculteurs et qui dirige cette nouvelle entité?
On compare souvent la Commission du blé avec le marché ouvert. Le marché canadien du canola n'est pas exemplaire, contrairement à ce que le ministre Ritz voudrait faire croire. Les transformateurs ont une marge de trituration pour le soja aux États-Unis, soit la valeur de l'huile et du tourteau comparée à la valeur de la semence. Là-bas, elle se situe la plupart du temps entre 30 et 90 cents le boisseau. Savez-vous quelle est la marge comparable au Canada? De 2 à 4 $ le boisseau au Canada. Le canola, à 12 $, a eu une bonne campagne, mais si la concurrence avait été raisonnable chez les transformateurs, on aurait peut-être pu obtenir 13 $.
La disparition du guichet unique de la CCB fait baisser les prix et entraîne des pertes immédiates de plus de 500 millions de dollars pour les agriculteurs et les collectivités des Prairies, et pour les Canadiens, d'après d'éminents économistes qui ont examiné les dossiers sur les ventes de la Commission du blé. Le prix de vente plus bas sera avantageux pour les consommateurs étrangers et il permettra aux oligopoles et au secteur de la manutention et du transport des grains des Prairies d'accroître ses marges. Ces oligopoles ont de nombreux actionnaires étrangers, qui en profiteront, tandis que les agriculteurs canadiens perdront au change.
Ce n'est pas seulement un enjeu pour les agriculteurs et pour les collectivités rurales; c'est un enjeu économique national. La valeur actualisée d'au moins 500 millions de dollars par année à l'avenir varie entre 8 et 10 milliards de dollars. C'est vous dire l'importance de cette décision.
La U.S. International Trade Commission, l'ITC, est venue ici et a mené une enquête sur le Canada. Quand ils ont examiné les dossiers des agriculteurs, ils ont conclu que les prix à la ferme du blé dur au Canada étaient plus élevés qu'aux États-Unis pendant 59 mois sur 60. En se fondant sur une anecdote d'un agriculteur, le ministre Ritz affirme que le prix au comptant aux États-Unis un jour donné dépasse le prix mis en commun pour une année, et cela constitue une preuve. La CCB obtient un prix plus élevé que le prix au comptant parce qu'elle évite les intermédiaires et vend aux utilisateurs finaux aux États-Unis. Les anecdotes ne devraient pas l'emporter sur l'analyse. Les Canadiens s'attendent à ce que les parlementaires prennent des décisions éclairées.
Étant donné la décision des tribunaux que le ministre Ritz a agi en violation de la loi, on a du temps pour faire une bonne analyse. Pendant qu'on procédera à un scrutin chez les agriculteurs, je suggérerais que la vérificatrice générale qui vient de prendre sa retraite soit priée de collaborer avec des économistes qui ont publié et ont été évalués par leurs pairs afin de déterminer les primes à la vente réalisées au moyen du guichet unique pour l'industrie des grains de l'Ouest. Je pense que le Sénat devrait demander cette étude. Vous avez le pouvoir de faire ce qu'il faut. Étant donné que c'est la plus importante modification apportée au commerce des grains depuis un demi-siècle, je pense qu'elle mérite une analyse approfondie. Vous êtes la Chambre du second regard, et vous pouvez être à la hauteur de cette tâche.
Le président : Merci, messieurs les témoins, pour vos exposés. Nous passerons maintenant aux questions.
Le sénateur Plett : Merci, messieurs. J'ai toute une liste de questions. Je sais que je ne pourrai pas toutes les poser, mais je vais tenter d'en poser quelques-unes.
Premièrement, est-ce que l'un d'entre vous est agriculteur?
M. Fulton : Pas moi. J'ai grandi sur une ferme, mais je ne suis pas agriculteur.
Le sénateur Plett : Merci, je comprends. Aux fins du compte rendu, M. Rosaasen et M. Boehm ont indiqué qu'ils le sont.
Je serais d'accord avec une grande partie de ce que vous avez déclaré ici aujourd'hui si je ne savais pas que nos agriculteurs au Canada sont des entrepreneurs; ils ont le sens des affaires. J'ai fait affaire avec les agriculteurs pendant 40 ans — des ventes et des achats — et je sais que ce sont de bons entrepreneurs.
Vous avez affirmé que le SNF est une organisation volontaire, qui fonctionne bien. Je crois dans les coopératives volontaires. La question que je vous pose, monsieur Boehm, est si le Syndicat national des fermiers est une organisation volontaire qui réussit, pourquoi une coopérative volontaire comme la Commission canadienne du blé volontaire — et, contrairement à ce qui a été dit tant de fois, nous ne voulons pas éliminer la Commission du blé; nous voulons que la Commission du blé reste comme une option — pourquoi les agriculteurs entrepreneurs ne pourraient-ils pas choisir où et comment ils vendent leurs produits, pourquoi pas directement aux fabricants de pâtes ou aux malteurs, et cetera, puisqu'ils auraient le choix de le faire? Pourquoi ne pourraient-ils pas gagner très bien leur vie, comme ils le font pour les autres cultures qui ne sont pas régies par la Commission du blé actuellement?
M. Boehm : Premièrement, le débat sur la Commission du blé — et j'en ai parlé à la fin de mon exposé — repose sur un faux raisonnement. Les agriculteurs, même avec les commissions des céréales, ont le choix de vendre directement. La commission a un programme de vente directe des producteurs. Les agriculteurs peuvent l'utiliser. Je l'ai fait moi- même pour vendre directement à un acheteur du Montana, par exemple.
Mais quand on est en affaires, on se rend compte que plus on contrôle le marché, plus on peut obtenir des prix élevés. La plupart des agriculteurs comprennent que la Commission du blé leur donne ce pouvoir sur le marché international et sur le marché intérieur, et qu'elle leur procure des primes.
Ils y voient des affaires pures parce qu'ils ont le sens des affaires. Ils voient que cette institution existe pour ces deux grains et ils estiment qu'elle effectue la meilleure commercialisation possible parce qu'elle a un guichet unique.
Si elle devient une coopérative volontaire, cet avantage se perd. La Commission du blé n'a pas d'actifs. Elle devrait faire affaire avec les sociétés transnationales qui sont très puissantes au pays pour avoir accès aux installations, aux grains et aux terminaux et pour effectuer la commercialisation. Il y aurait un coût et ce coût devrait être assumé par les agriculteurs.
Le sénateur Plett : Vous affirmez que ces organisations sont très puissantes et j'en conviens; mais vous faites abstraction du sens des affaires et de l'esprit entrepreneurial des agriculteurs ou du North West Terminal ou de toute autre coopérative. Les gens qui travaillent à la Commission canadienne du blé les connaissent encore par leur prénom.
J'ai appris que l'une des raisons pour lesquelles le Japon aime faire affaire avec la Commission canadienne du blé est qu'il obtient le meilleur prix. La commission vend au prix le plus bas, comparativement à toutes les grandes sociétés. Qu'en pensez-vous?
M. Boehm : Je suis perplexe, parce que j'avais l'impression que c'était exactement le contraire.
En outre, la raison pour laquelle de nombreux acheteurs aiment faire affaire avec la Commission canadienne du blé est qu'elle connaît bien le marché. Elle peut conclure des marchés à long terme avec les acheteurs internationaux, et l'approvisionnement est fiable.
Ils comprennent aussi que la Commission canadienne du blé, ainsi que la Commission canadienne des grains, et le système concerté qui existe actuellement assurent la qualité, l'uniformité et, en règle générale, des livraisons dans les délais. C'est l'avantage qui a été et qui est attribué aux agriculteurs.
Comme l'a indiqué M. Rosaasen, de nombreuses études économiques évaluées par des pairs ont toutes conclu que les agriculteurs s'en tirent mieux avec le guichet unique que s'ils commercialisaient eux-mêmes leurs produits. Je pense que les agriculteurs sont assez intelligents pour comprendre le pouvoir d'un guichet unique dans la commercialisation de leur blé et leur orge.
Le sénateur Plett : En ce qui concerne le référendum — faussé à mon avis — organisé par la Commission canadienne du blé, pourquoi n'a-t-on pas présenté aux agriculteurs ou aux producteurs le vrai choix qu'ils avaient?
La question était essentiellement : voulez-vous un guichet unique ou voulez-vous vous passer de la Commission canadienne du blé? C'était la question posée pour le blé et pour l'orge. Pourquoi ne pas avoir présenté aux agriculteurs la troisième option? Nous pensons que de nombreuses études et enquêtes concluent que si la troisième option avait été présentée, les agriculteurs auraient voté en forte majorité en sa faveur, mais elle ne leur a jamais été présentée. Savez- vous pourquoi?
M. Boehm : Il y a quelques années, un référendum sur l'orge a posé les trois questions et présenté les trois options. Nous prétendons qu'une organisation volontaire ne survivra pas très longtemps dans un marché double, mais ce style de question a néanmoins été posé, et ceux qui ont choisi le marché double et ceux qui étaient opposés à la commission ont été regroupés pour obtenir une majorité.
Les universitaires, les professeurs d'éthique ont conclu que ce n'était pas une façon convenable de structurer les questions. Par conséquent, les organisations agricoles et d'autres se sont réunis et, finalement, la question qui a été posée dans le référendum de la Commission canadienne du blé est le fruit d'une distillation de la question la plus claire possible ayant le lien le plus solide possible avec la réalité du marché.
Le sénateur Plett : Ils ne leur ont pas donné les options.
M. Boehm : Ce n'est pas une option.
M. Fulton : Je voudrais appuyer ce que vient de dire M. Boehm. Mon analyse, et j'ai analysé plutôt en profondeur les coopératives et les systèmes de mise en commun, est qu'on peut présenter la commercialisation sur un double marché comme une option, mais elle finit toujours par disparaître très rapidement. Cette option ne dure pas; elle n'est pas viable. On finit par se retrouver simplement dans un marché ouvert.
Il a été démontré assez clairement que c'est ce qui arrive.
Le sénateur Plett : S'il y a un deuxième tour, je m'inscris.
Le sénateur Peterson : Monsieur Fulton, vous avez évoqué brièvement la transparence des prix dans un marché ouvert. Vous avez parlé de prix à la ferme et au port. Pouvez-vous donner des précisions?
Il me semblait que dans un marché ouvert, une grande partie de la structure des prix serait cachée et ne serait pas accessible. Comment pensez-vous qu'il devrait fonctionner pour être transparent?
M. Fulton : Nous entrons dans certains des aspects techniques d'un marché ouvert s'il était créé. S'il y avait un marché à terme, par exemple, il y aurait un prix sur la côte Ouest — le marché de la côte Ouest est le plus gros marché pour les grains en provenance de l'Ouest canadien — et les agriculteurs sauraient quel prix ils obtiendraient au silo- élévateur et ils pourraient le comparer au prix à Vancouver, à Seattle ou dans d'autres ports. Ils pourraient ensuite calculer la différence entre le prix au silo-élévateur de leur région et le prix au port et déterminer la marge — le montant que prennent les sociétés céréalières, celui que prennent les chemins de fer, le montant pour le risque, et ainsi de suite — afin de transporter les grains jusqu'au port.
Ce sont des choses que nous devons savoir pour pouvoir déterminer si ces marchés fonctionnent efficacement ou pas. Il faut pouvoir faire des comparaisons avec les prix aux États-Unis. Les États-Unis ont un système de statistiques sur les prix qui collecte ce genre de données. Nous n'en avons pas au Canada. Nous ne pouvons pas obtenir cette information pour l'industrie du canola, par exemple.
Ce que je soutiens c'est que, quel que soit ce qu'il advient du projet de loi, il faut une loi qui nous donnerait le même genre d'information que celle que les Américains fournissent à leurs analystes des politiques, aux agriculteurs et à leur industrie, afin de pouvoir déterminer si le système fonctionne bien.
M. Rosaasen : Je suis d'accord avec ces observations et j'ajouterais qu'il est important de savoir quel est le point de livraison à terme. Par exemple, si l'on choisit Vancouver comme point de livraison, les prix à Vancouver correspondent au prix au port. Il est important aussi de savoir comment on définit le producteur ou le contrat. Quand je fais de la vulgarisation économique et que je leur donne des explications, la plupart des agriculteurs ne comprennent pas que le prix du canola qu'ils vendent — 500 $ la tonne ou 12 $ le boisseau — comprend un taux d'impuretés de 8 p. 100. C'est ce qui est indiqué. L'agriculteur qui a un taux d'impuretés de 2 p. 100 dans son grain soustrait 2 p. 100 du poids quand il vend son grain. Mais le prix sur lequel ils se fondent comprend un taux d'impuretés maximum de 12 p. 100. C'est ainsi qu'ils l'ont défini. Il masque les coûts réels. Même les agriculteurs et les étudiants sont tout à fait ahuris lorsqu'ils voient comment le prix est calculé. Il faut le faire correctement si l'on veut avoir un marché pour le blé et l'orge ou le blé dur à l'avenir. Je pense que c'est loin d'être le cas.
Le sénateur Peterson : Pensez-vous que les multinationales ou les grandes sociétés céréalières seraient disposées à le faire volontairement? Dites-vous qu'il faudrait adopter des mesures législatives?
M. Fulton : La transparence des prix dont je parle devrait faire l'objet de mesures législatives. Je ne pense pas que les sociétés céréalières sont incitées à fournir ce genre d'information.
Le sénateur Peterson : Vous avez parlé d'un compromis à la Commission canadienne du blé. La commission se retirerait du marché intérieur — les États-Unis et le Mexique — et s'occuperait de toutes les ventes à l'exportation. Si l'organisation volontaire sur le marché intérieur échouait, le guichet unique pour les exportations serait-il maintenu? Est-ce que cela éviterait une contestation à l'ALENA? Il pourrait y avoir une contestation. L'organisation survivrait- elle?
M. Fulton : Je proposais que la Commission du blé reste comme organisme obligatoire pour les ventes l'exportation, alors elle survivrait de toute façon. On pourrait ensuite demander si elle participerait aussi aux ventes sur le marché intérieur. Ce serait une question distincte. On peut supposer que, dans ce cas, il faudrait que ce soit volontaire, parce que tout le marché nord-américain serait grand ouvert.
M. Rosaasen : Je pense que si la Commission du blé fonctionnait de cette façon, on voudrait encore que les agriculteurs y participent et qu'il y ait des agriculteurs au conseil d'administration. On aurait ainsi confiance que la commission s'efforce d'optimiser le rendement pour les agriculteurs, le milieu agricole et le pays.
Le président : J'aimerais rappeler aux témoins d'adresser leurs commentaires au président, s'il vous plaît.
Le sénateur Tkachuk : Nous avons déjà eu une petite discussion sur la Commission canadienne du blé et sur qui en est propriétaire en réalité. Monsieur Rosaasen, vous avez parlé d'indemnisation des agriculteurs. Je comprends cela. L'actionnaire et le propriétaire de la Commission du blé, c'est le gouvernement du Canada, n'est-ce pas?
M. Rosaasen : La propriété a été transférée lorsque le ministre Goodale a réformé le mode de fonctionnement de la commission. Les agriculteurs y ont donc investi. Actuellement, c'est une organisation dirigée conjointement, l'État nommant certains administrateurs.
Le sénateur Tkachuk : La structure juridique n'est pas celle-là. La structure juridique est que la commission appartient au gouvernement du Canada; au peuple. Elle appartient au gouvernement du Canada. C'est lui qui est le principal actionnaire — le seul actionnaire.
M. Rosaasen : Non, certains actifs ont été achetés avec le produit des ventes des agriculteurs.
Le sénateur Tkachuk : Comment la propriété est-elle définie? Ces actifs n'appartiennent pas à la Commission du blé? Ils n'appartiennent pas au peuple du Canada?
M. Rosaasen : Ils appartiennent surtout aux agriculteurs du Canada.
Le sénateur Tkachuk : Que devrions-nous faire avec l'argent qui a été avancé? Le gouvernement du Canada a investi dans la Commission du blé au fil des années, un milliard de dollars environ.
M. Rosaasen : Il y a eu des investissements.
Le sénateur Tkachuk : Peut-être un peu plus.
M. Rosaasen : Il y a eu des garanties de paiement final et d'autres mesures qui ont profité au milieu agricole.
Le sénateur Tkachuk : C'est une somme importante. Comment organiser tout cela?
M. Rosaasen : Je ne suis pas certain de la réponse, mais je pense que les actifs des agriculteurs devraient être reconnus et qu'il devrait y avoir un processus de négociation au lieu d'affirmer simplement qu'ils n'existent plus.
Le sénateur Tkachuk : Quelle devrait être cette indemnisation?
M. Rosaasen : Je n'ai pas tenté de la déterminer. Je pense simplement que cela devrait faire partie de la discussion et des négociations.
Le sénateur Tkachuk : La Commission du blé aurait-elle dû faire de la publicité contre le gouvernement du Canada, son propriétaire, contre le projet de loi?
M. Rosaasen : Les administrateurs de la Commission du blé ont la responsabilité d'optimiser les revenus pour les producteurs. Étant donné que ces revenus ne seraient pas optimisés avec la disparition du guichet unique, je crois que les administrateurs avaient la responsabilité d'informer les gens des avantages obtenus, par un processus démocratique.
Le sénateur Tkachuk : Quarante pour cent des producteurs ne veulent pas faire partie de la Commission du blé.
M. Rosaasen : C'est ainsi que fonctionne la démocratie.
Le sénateur Tkachuk : Il n'y a pas de responsabilité fiduciaire pour eux ou pour le gouvernement du Canada. Ils fonctionnent comme ils l'entendent? J'essaie d'obtenir une réponse.
M. Rosaasen : Dans une démocratie, que j'aie voté ou non en faveur du premier ministre Wall, il reste mon premier ministre, tout comme les autres premiers ministres avant lui. Quand on vote dans une démocratie — que l'on soit du côté des gagnants ou des perdants — on accepte le résultat démocratique. C'est ce que devraient faire les agriculteurs. Voter. Le faire comme il faut. Je suis tout à fait disposé à accepter les résultats démocratiques. Je le fais dans tous les autres domaines.
Il y a des années, le premier ministre Devine m'a nommé au Natural Products Marketing Council. Quand nous avons voulu apporter des changements — et laisser les agriculteurs décider s'ils voulaient des prélèvements pour les légumineuses ou le canola — nous avons organisé un scrutin, donné des explications pour obtenir une décision éclairée et tenu un scrutin. Je crois en la démocratie. Je pense que les scrutins sont nécessaires.
Le sénateur Tkachuk : Vous avez mentionné la province de la Saskatchewan et les élections. Le gouvernement de la Saskatchewan actuellement — le Saskatchewan Party — appuie le projet de loi. Je vis en Saskatchewan. Si je me souviens bien de la campagne de publicité de la Commission du blé, elle a répété : « Appuyez la Commission du blé » pendant toute la campagne électorale. Il y a eu un gros battage publicitaire en Saskatchewan pour demander aux gens d'appuyer la Commission du blé, mais ce qu'ils voulaient dire en réalité, c'était « Votez NPD ». La population de la Saskatchewan a exprimé clairement son désaccord, tout comme les régions rurales de la Saskatchewan.
Les citoyens de la Saskatchewan se sont exprimés et les citoyens du Canada se sont exprimés en très grand nombre sur cette question — 64 p. 100.
M. Rosaasen : Dans une élection, on vote en fonction de plusieurs enjeux, pas d'un seul. Quand on fait ces choix, on tient compte d'une foule d'enjeux. Je dirais que le premier ministre Brad Wall est extrêmement populaire, et je pense que c'est extrêmement important dans les choix des électeurs. Il a pris la bonne décision dans le secteur de la potasse. Je pense que cela lui a apporté de nombreux suffrages et une grande loyauté, mais on vote sur bien des choses.
Le sénateur Tkachuk : Comme l'a fait le premier ministre du Canada.
Monsieur Boehm, combien y a-t-il de membres en règle du Syndicat national des fermiers dans les Prairies?
M. Boehm : Nous avons environ 5 500 membres dans tout le pays.
Le sénateur Tkachuk : Combien y en a-t-il dans les provinces des Prairies?
M. Boehm : Dans les provinces des Prairies, probablement la moitié.
Le sénateur Tkachuk : Combien? 2 500, 2 000, 1 200, 500?
M. Boehm : Nous en avons nettement plus que les ressources combinées de la Western Canadian Wheat Growers Association et des producteurs d'orge, et de loin, et nous ne sommes pas financés par Cargill pour redémarrer.
Le sénateur Tkachuk : J'ai posé une question simple. Vous représentez les agriculteurs. Combien d'agriculteurs représentez-vous dans ma province? Combien avez-vous de membres actuellement?
M. Boehm : En Saskatchewan, nous en avons de 900 à 1 000.
Le sénateur Tkachuk : Merci.
Le sénateur Peterson : On a affirmé que la Commission canadienne du blé dépensait de l'argent pour défendre ses intérêts et les intérêts de ses actionnaires. En même temps, le gouvernement du Canada a fait beaucoup de publicité dans la presse, à la radio et dans les journaux, avec un petit astérisque cependant pour préciser que c'était « sous réserve de l'approbation parlementaire ». Cette publicité a été payée par les contribuables. Je me demande quelle est la place de tout cela dans la discussion.
Le sénateur Mercer : Bon travail, sénateur Peterson.
Monsieur Rosaasen, vous nous avez présenté beaucoup de faits dans votre exposé. Les faits n'ont pas beaucoup de poids ici, ces temps-ci. Ce lieu n'est plus mené par les faits; il est mené par l'idéologie, et cetera.
J'aimerais vous interroger sur certains faits. Si le projet de loi reçoit la sanction royale, combien de personnes perdront leur emploi dans l'Ouest canadien, à votre avis?
M. Rosaasen : C'est une question difficile. Je n'ai pas effectué cette analyse. On pourrait affirmer qu'il y aura des pertes d'emplois directs à la Commission du blé. Certains se trouveront un autre emploi. Il pourrait y avoir des pertes d'emplois au port de Churchill, parce que je ne suis pas certain qu'il y ait des dispositions suffisantes pour protéger ces emplois.
La plus grosse perte sera la perte de revenu pour le secteur. Que représente un demi-milliard de dollars par année pour l'activité économique, les emplois et tout le reste? En outre, quand l'activité se déplace vers le sud, comme on dit, et qu'il faut un soutien du revenu, les contribuables doivent boucher certains trous. Quand les revenus agricoles deviendront largement insuffisants, les contribuables devront payer une partie du revenu de remplacement. Il est important d'effectuer l'analyse et de comprendre les faits avant de prendre cette décision de 8 à 10 milliards de dollars. L'analyse effectuée par le gouvernement est tout à fait insuffisante.
Le sénateur Mercer : Monsieur Rosaasen, vous avez évoqué le port de Churchill. Moi aussi, je m'inquiète du manque de protection du port de Churchill dans le projet de loi. Je ne vois pas comment il survivra lorsque les géants se mettront en branle. Ils vont vers l'ouest, à Vancouver. Le coût du transport a son importance.
Vous avez parlé du coût du transport à Vancouver. Sans la protection de la Commission du blé, comment un vendeur seul pourra-t-il transporter son grain à un prix raisonnable d'une région des Prairies vers Vancouver afin de l'expédier ailleurs?
M. Fulton : C'est une préoccupation importante. M. Bell en a parlé dans la séance précédente. Petit acteur des Prairies, il peut obtenir du grain, mais pour ce faire, il doit pouvoir offrir un prix concurrentiel. Il a peur de devoir offrir 15 $ la tonne de moins que ce que ses concurrents pourront offrir. Il craint que la seule façon de vendre son grain à Vancouver soit de passer par les installations de quelqu'un d'autre. Ils seraient payés pour cela, mais ils préféreraient sans doute manutentionner leur grain plutôt que le sien. Ils prendront une marge pour le manutentionner au lieu que ce soit lui qui garde cette marge. Je ne pense pas qu'ils inciteront beaucoup les petits acteurs à livrer du grain. Les installations de wagons des producteurs auront le même problème. Elles peuvent obtenir du grain assez facilement, mais elles n'auront probablement aucun endroit où le vendre.
M. Rosaasen : Je pense moi aussi qu'il y aura des problèmes. Il y aura des problèmes de congestion, parce que la Commission du blé peut synchroniser les ventes et la capacité de livraison. En Australie et dans la mer Noire, où tout le monde prend des décisions séparément, les concurrents se précipitent pour avoir accès au système et il y a une grande congestion. Dans la mer Noire, ils ont dû fermer le réseau ferroviaire pendant une semaine afin de livrer les commandes en retard, parce qu'il y avait trop de grains à transporter vers le port.
Si l'on change le système sans prévoir comment le gérer, les risques sont importants.
Le sénateur Mercer : Laissez-vous entendre que si le projet de loi reçoit la sanction royale, nous nous dirigerons vers une crise et ce sera le chaos?
M. Rosaasen : Je dirais qu'il y a un risque énorme que toutes sortes de choses ne se passent pas nécessairement comme nous pourrions l'espérer. Il pourrait y avoir une congestion. Il est impossible de savoir comment déterminer le prix. J'ai déjà déterminé le prix du canola pour l'an prochain. J'avais l'habitude de prévoir le prix du blé à la Commission du blé parce que je savais que j'aurais besoin de liquidités. Tout cela disparaîtra avec le projet de loi C-18.
Le sénateur Mercer : D'après l'étude réalisée par le comité des transports et des communications sur la conteneurisation, je sais que le port de Vancouver est l'un des plus gros goulets d'étranglement de l'expédition en Amérique du Nord. Il y a toujours cinq ou six navires en attente, voire davantage, et pas seulement des porte- conteneurs. Il y a des vraquiers, des navires céréaliers, des navires pour le transport de la potasse, et cetera. Nous n'avons pas résolu ce problème en ouvrant Prince Rupert.
Qu'en pensez-vous?
M. Boehm : Les activités de coordination de la Commission du blé dans ce système sous contrainte lui permettent de fonctionner parce que, grâce à la mise en commun des prix, les biens circulent et les agriculteurs ne se préoccupent pas du moment exact où ces biens arriveront sur le marché. C'est avantageux pour les grains de la commission mais aussi pour tous les autres grains. Ils coordonnent les livraisons.
Aux États-Unis, ils ont fortement investi dans leur système et ont donc une capacité portuaire beaucoup plus grande. Le système canadien a une capacité portuaire beaucoup plus faible. Il faut une certaine coordination pour transporter tous ces grains vers le port de manière pertinente et pas trop coûteuse.
Le sénateur Mercer : Malheureusement, la meilleure capacité, et celle qui est la moins utilisée, se trouve sur la mauvaise côte, beaucoup trop loin des grains, soit au port de Halifax.
Le sénateur Plett : Mon ami d'en face a lancé à nouveau la discussion au sujet du port de Churchill, ce qui m'inquiète toujours parce que je viens du Manitoba et c'est mon port. Nous ne subventionnons pas le port de Churchill, comme nous le faisons pour d'autres ports.
Les propriétaires du port de Churchill seront ici demain, et je leur ai parlé personnellement. J'ai parlé au propriétaire d'OmniTRAX, par l'entremise de son président canadien. Ils m'ont dit personnellement qu'ils sont disposés à travailler avec notre gouvernement et avec le plan que nous avons maintenant en place. Ils ont confiance qu'ils continueront à exister et à faire de l'argent au port de Churchill.
Avez-vous, messieurs, des renseignements que les propriétaires du port ne possèdent pas et qu'ils devraient connaître, juste au cas, comme l'ont laissé entendre tant de prophètes de malheur, et qui indiqueraient que le port fermera si le projet de loi est adopté?
M. Boehm : Le programme d'expédition de la Commission canadienne du blé n'a transporté que des grains de la commission, essentiellement vers le port de Churchill. Si la Commission canadienne du blé n'envoie pas des grains dans cette direction, il est fort peu probable que des volumes importants de grains transiteront dans le port de Churchill, compte tenu des intérêts de ceux qui resteront pour acheter les grains dans les Prairies. Les acheteurs de grains dans les Prairies possèdent leurs propres installations de manutention qu'ils veulent faire tourner au maximum, et les grains vont tous dans d'autres directions, comme Thunder Bay ou vers l'ouest, à Vancouver. Il est donc fort improbable que des volumes importants de quoi que ce soit passent par le port de Churchill si la commission n'y a pas un programme coordonné.
Le sénateur Plett : Ce n'était évidemment pas ma question, monsieur le président, mais ce n'est pas grave.
Le sénateur Eaton : Messieurs, vous avez employé des mots comme « peut-être », « probable » et « improbable ». Vous me rappelez un peu les météorologues assis autour d'une table qui tentent de deviner quel temps il fera l'hiver prochain. Il y a beaucoup de suppositions et d'hypothèses.
Le sénateur Mercer : Il fera froid.
Le sénateur Eaton : Nous n'en savons rien. Parfois, le temps est doux.
Le président : Une question, s'il vous plaît.
Le sénateur Eaton : Monsieur Boehm, vous avez indiqué que vous aviez vendu des grains directement. C'étaient des grains ou du blé destinés à des parcs d'engraissement?
M. Boehm : En ce qui concerne le programme de vente directe des producteurs, non; la réponse est non. J'ai vendu du blé dur aux États-Unis par l'entremise du programme de vente directe des producteurs de la Commission canadienne du blé. Essentiellement, je rachète des grains de la commission et si je pense pouvoir obtenir un prix plus élevé, cela ne me coûte rien et je peux...
Le sénateur Eaton : Mais vous avez dû le racheter de la commission?
M. Boehm : Ils ont simplifié le processus, alors cela me revenait très peu cher. Cela n'a vraiment pas été difficile. J'ai vendu un peu de mon blé dur biologique directement à une minoterie du Montana.
Le sénateur Eaton : Vous avez dû le racheter de la commission.
M. Boehm : Soyons clairs. J'ai fait cela parce que je pensais pouvoir obtenir un prix plus élevé, alors cela ne m'a rien coûté. Je devais pouvoir...
Le sénateur Eaton : Mais vous pourrez le faire directement sans passer par la commission.
M. Boehm : Cela ne m'a rien coûté parce que j'ai pu obtenir, ou tout au moins j'ai pensé que je pouvais obtenir, un prix plus élevé que celui de la commission pour ce blé dur. J'ai obtenu le plein prix pour ces grains, et je peux le faire dans le système de la commission.
Le sénateur Eaton : Vous avez tout de même dû le racheter. Payer la commission, le racheter et le vendre. À l'avenir, vous pourrez le faire directement.
Nous avons entendu de nombreux témoins donner de nombreuses réponses savantes, mais personne ne m'a expliqué de manière convaincante pourquoi, si je suis agriculteur, je ne peux pas simplement me retirer du système. Je n'ai aucun des avantages, mais j'assume tous les risques. Si je suis un agriculteur de l'Ouest canadien, pourquoi ne puis-je pas me retirer de votre système?
M. Boehm : Vous pouvez utiliser le programme de vente directe des producteurs.
Le sénateur Eaton : Non, je dois racheter le blé de la Commission du blé.
M. Boehm : C'est un retrait. Chaque chose a son coût.
Par contre, si les agriculteurs peuvent se retirer du système, il n'y a plus de guichet unique. Les agriculteurs deviennent les concurrents directs du guichet unique et le prix descend.
Le sénateur Eaton : Vous trois, et les trois autres avant vous de la Commission du blé, nous avez expliqué que le système est merveilleux, que les agriculteurs en profitent et que vous faites gagner des sous aux agriculteurs. Si vous êtes si bons et si merveilleux, pourquoi vous inquiétez-vous des agriculteurs qui se retireraient? Cela n'aura certainement aucune influence sur ce que vous pouvez faire. Vous êtes tellement bons que personne ne voudra se retirer.
M. Boehm : C'est une..
Le sénateur Eaton : Eh bien? Eh bien?
M. Boehm : ... question très...
Le sénateur Eaton : Si vous offrez un bon service...
M. Boehm : ... facile, en fait. Pardonnez-moi. Si vous pouvez vous retirer d'un programme de mise en marché qui procure essentiellement l'avantage d'un pouvoir monopolistique, il n'y a plus de monopole sur le marché. Par conséquent, l'avantage n'existe plus. C'est aussi simple que cela. Il n'y a pas...
Le sénateur Eaton : Ce n'est peut-être pas un avantage pour moi.
M. Boehm : Vous avez l'avantage dont jouit n'importe qui dans ce système, qui a été démontré à maintes reprises dans les études économiques.
Le sénateur Eaton : Ce que vous êtes en train de me dire, monsieur Boehm, c'est que votre choix, comme agriculteur, c'est de ne pas cultiver du blé. Si vous voulez être libre, cultivez du canola ou des légumineuses, pas du blé.
M. Boehm : Je cultive tout cela. Parlons de la liberté de pouvoir commercialiser le canola par l'entremise de la Commission du blé, si vous voulez parler de liberté.
Le président : Merci.
Avant de passer au prochain sénateur, c'est bon, sénateur Eaton?
Le sénateur Eaton : Oui. Merci.
Le président : Monsieur Fulton, vous indiquez que vous voulez intervenir.
M. Fulton : Merci.
La raison pour laquelle, dans le cas de la Commission canadienne du blé, il faut inclure tout le monde est bien connue — et nous l'avons tous vécu — c'est le problème du resquillage. Nous savons tous que cela arrive dans certains groupes particuliers, lorsque tout le monde a peur que les autres ne fassent pas leur juste part. Nous pouvons tous nous rappeler nos années d'université; nous faisions partie d'un groupe. Il y en avait toujours un qui ne faisait rien et qui ne travaillait pas, pourtant il avait la même note que tous les autres, mais il abaissait aussi la moyenne de tout le groupe. C'est la justification du guichet unique.
Le sénateur Mahovlich : Monsieur Boehm, vous nous avez raconté l'histoire de la Commission du blé. Ma foi, en 1929, il y avait toutes sortes de lacunes dans le système, et nous les avons comblées. Certaines d'entre elles n'existent plus. Est-ce que de nouvelles failles apparaîtront?
M. Boehm : Absolument. On étudie l'histoire pour comprendre...
Le sénateur Mahovlich : On ne peut aller nulle part sans elle.
M. Boehm : ... ce qui est arrivé et comment résoudre ces problèmes, comment les corriger et aller de l'avant. Les noms des acteurs ont peut-être changé, mais les forces en présence et les règles du jeu sont encore essentiellement les mêmes. Vous avez tout à fait raison.
Le sénateur Mahovlich : Nous sommes actuellement et plus que jamais dans un marché planétaire. J'entends dire que la Russie commence à se lancer dans le blé et améliore son blé, de sorte que la concurrence est plus vive. La Chine cherche probablement à exporter son blé parce qu'elle en produit tellement pour elle-même. La concurrence sera de plus en plus forte. Serons-nous touchés?
M. Boehm : Certainement. Toute la Russie a un énorme potentiel pour la culture des grains. Notre atout, pour le moment, c'est notre système de mise en marché, ainsi que l'assurance de fournir des grains de qualité et une livraison constante. Cela nous permet d'être concurrentiels et de le rester. Il y aura certainement des pressions concurrentielles de la part de ces acteurs internationaux. Le marché deviendra plus concurrentiel avec le temps.
En tant qu'agriculteur, je ne veux pas être livré à moi-même pour rivaliser avec des monstres. Je le fais pour le canola. Je cultive de la moutarde et toutes sortes d'autres cultures, et j'ai vécu personnellement les problèmes que présente la commercialisation de ces grains. J'ai dû lutter et faire appel à la Commission canadienne des grains pour obtenir un grade acceptable pour ces cultures. J'ai dû parfois menacer les acheteurs d'intenter des poursuites contre eux. Quand je livre ma moutarde, ils disent que c'est un grade échantillon. Je leur dis que ce ne l'est pas. J'ai le certificat de la Commission canadienne des grains. C'est vers ce système que nous pouvons nous diriger.
M. Rosaasen : Je ferai une observation. Si vous avez un contrat avec la Commission du blé et que vous présentez votre produit à une entreprise, Viterra, par exemple, qui affirme que ce n'est pas du numéro un mais du numéro trois, alors vous pouvez le proposer à P et H ou à une autre entreprise. Quand vous avez un contrat avec la Commission du blé, vous pouvez forcer ces entreprises à rivaliser entre elles. Quand vous avez un contrat pour le canola ou la moutarde, vous faites affaire avec une seule entreprise et votre seule option, c'est un appel à la Commission canadienne des grains. Votre pouvoir de négociation avec les silos-élévateurs est beaucoup plus grand dans le système du blé. C'est pour cette raison que ces organisations sont si ravies de la direction que prend la loi.
Le sénateur Mahovlich : J'ai joué dans la LNH et quand nous avions un problème, nous nous adressions à l'association des joueurs. Que fait un agriculteur? A-t-il une association? S'il a une plainte contre la Commission du blé, peut-il s'adresser à son association et régler le problème?
M. Boehm : La Commission du blé est certainement très sensible et s'efforce de régler les différends. Elle a été très sensible à toutes sortes de problèmes. Depuis la création de la Commission canadienne des grains en 1912, elle est le gendarme du commerce des grains, afin que les agriculteurs soient traités équitablement et obtiennent des grades équitables, des poids et des taux d'impuretés équitables pour leurs grains. Les agriculteurs s'adressent à elle. Mais ce mécanisme est menacé lui aussi à court terme. Tout cela fait partie du système concerté intégré qui a bien fonctionné pour l'économie canadienne, les citoyens canadiens et les agriculteurs de l'Ouest canadien.
Le sénateur Ogilvie : Si vous le permettez, j'aimerais explorer la question de la gouvernance, qui m'a troublé tout au long de ce processus, en particulier aujourd'hui. Si j'ai bien compris, le président actuel de la CCB a déclaré qu'en sa qualité de membre du conseil, il a une responsabilité envers ceux qui l'ont élu au conseil et non envers la commission ou les citoyens du Canada. Professeur Rosaasen, je vous ai entendu faire une remarque semblable.
J'aimerais utiliser un exemple et me tourner ensuite vers la loi actuelle sur la CCB et citer une disposition particulière. Cela me fait penser à une attitude des universités. La plupart des universités canadiennes ont beaucoup de mal avec leurs conseils d'administration, qui comprennent généralement des représentants des professeurs, des étudiants, des anciens, et ainsi de suite. Je parle en général et je ne pense à aucune université en particulier. La plupart des professeurs diront que, parce qu'ils sont élus par la faculté, ils ont une responsabilité envers la faculté, pas envers l'université ou le conseil. Évidemment, en droit canadien, ce n'est pas le cas. Le droit canadien qui régit les administrateurs prévoit très clairement qu'une fois élus au conseil, les administrateurs ont une responsabilité envers l'organisation et, s'il y a un problème secondaire concernant l'organisation, la responsabilité envers l'organisation l'emporte. Les universités doivent souvent demander à des gens de conseiller leurs conseils d'administration à cet égard.
J'ai examiné la Loi sur la CCB à plusieurs reprises. Aux fins de ma question, je renverrai à certaines dispositions. Je ne trouve aucune disposition de la LCCB indiquant que les administrateurs sont responsables envers les agriculteurs. J'ai plutôt constaté qu'il y a une responsabilité envers les citoyens du Canada, par l'entremise du ministre. Je vous donnerai des exemples généraux. L'article 3.05 prévoit :
e) les modalités suivant lesquelles le conseil peut recommander au ministre la révocation du président directeur général.
Le paragraphe 3.09(1) prévoit :
Le président directeur général est nommé par le gouverneur en conseil sur la recommandation du ministre. Il exerce ses fonctions à titre amovible pour la durée que fixe le gouverneur en conseil.
Le paragraphe 9(1) prévoit :
La Commission :
b) nomme, avec l'approbation du gouverneur en conseil [...]
c) présente au ministre, au début de chaque mois, un rapport [...]
e) présente au ministre, au plus tard le 31 mars — ou autre date fixée par le gouverneur en conseil —, un rapport [...]
Il y a de nombreux articles dans cette veine.
Évidemment, je peux me tromper; je n'ai pas la vérité absolue. Quand je lis la LCCB, il me semble très clair que la responsabilité du conseil d'administration et, par conséquent, de ses membres, est envers la commission, et que cette responsabilité se transmet au ministre et, finalement, à la Couronne. L'un de vous pourrait peut-être m'expliquer en quoi mon interprétation est fausse.
M. Rosaasen : Je ne dirais pas que votre interprétation est fausse. J'ai demandé comment s'effectue la reddition des comptes dans le projet de loi C-18. À la lecture du projet de loi, je n'ai pas trouvé. J'ai soulevé la question parce qu'elle me paraît très légitime. Vous avez tout à fait raison d'affirmer que la bonne gouvernance est une question extrêmement importante, mais je ne la vois pas dans le projet de loi. Je ne suis pas juriste, mais la question m'a paru suffisamment importante pour que je la porte à votre attention.
Le sénateur Ogilvie : Merci.
M. Fulton : J'aimerais répondre au sénateur Mahovlich. Les agriculteurs qui sont insatisfaits de quelque chose à la CCB peuvent s'adresser à l'un des administrateurs qui est agriculteur. Ces administrateurs sont un important moyen de communiquer les problèmes et les frustrations des agriculteurs concernant le système et de faire changer les choses à la commission.
J'ai vu la commission fonctionner depuis 30 ans. La modification du système de gouvernance en 1998, dont nous venons de parler, a rendu la commission beaucoup plus sensible à ce qui se passe dans les fermes et aux besoins du système de commercialisation. En tant qu'organisation de commercialisation efficace, je pense que la commission a été sauvée de la ruine en 1998. Il y avait plusieurs éléments, mais l'un d'eux était le fait que les agriculteurs ont fait élire des gens en qui ils avaient confiance au sein du conseil d'administration. Ces administrateurs pouvaient être virés si les agriculteurs pensaient qu'ils ne faisaient pas un bon travail; c'était important pour le fonctionnement de la commission.
Le sénateur Robichaud : La CCB compte 10 administrateurs élus et cinq nommés. Si j'étais élu par les agriculteurs, je sentirais une certaine responsabilité envers eux, sans négliger ma responsabilité envers le conseil proprement dit, ce qui servirait au mieux les intérêts des agriculteurs.
La nouvelle CCB proposée ne comprendra que des administrateurs nommés. Ils n'auront aucune responsabilité envers les agriculteurs. Ils devront rendre des comptes au ministre.
Préféreriez-vous que les administrateurs soient élus et nommés dans la même proportion qu'ils le sont actuellement?
M. Boehm : Certainement, il est utile de faire entrer la démocratie dans n'importe quel processus. D'après mon expérience, nous savons que la durée de vie de la commission volontaire envisagée dans le projet de loi C-18 sera très limitée et aura une valeur limitée pour les agriculteurs.
En ce qui concerne la gouvernance, la relation avec le ministre est discutable, dans la commission actuelle ou autrement, comme l'a fait remarquer le sénateur Ogilvie.
Au bout du compte, les administrateurs élus sont élus par les agriculteurs pour servir au mieux leurs intérêts qui, finalement, sont les intérêts du pays, du gouvernement et du ministre.
M. Fulton : Je pense qu'on s'est penché longuement sur la question de savoir si une Commission du blé volontaire serait viable ou fructueuse. L'une des raisons pour lesquelles je crois qu'elle ne le sera pas, c'est la structure de gouvernance qui serait mise en place conformément au projet de loi C-18.
Comme je l'ai déjà dit plus tôt, j'ai fait beaucoup de recherches sur les coopératives. Une constatation qui revient sans cesse est que les coopératives ne réussissent que si leurs conseils d'administration doivent rendre des comptes aux membres. Si les conseils ne sont pas responsables, ces organisations échouent, et elles disparaissent parce qu'il n'y a pas d'engagement des membres. Les membres n'ont pas confiance que l'organisation, la coopérative en l'occurrence, fonctionne dans l'intérêt des membres parce qu'ils n'ont aucun moyen de virer le groupe d'administrateurs s'il ne fait pas du bon travail.
Le sénateur Plett : Évidemment, monsieur Fulton, c'est exactement ce que veut faire le gouvernement dans cinq ans; il veut que la commission disparaisse.
Ma question s'adresse à M. Boehm. Je ne tenterai pas de savoir combien il y a de membres au Manitoba, étant donné le temps qu'il a fallu au sénateur Tkachuk pour savoir combien il y en a en Saskatchewan, mais je poserai cependant la question suivante. Il semble y en avoir de 900 à 1 000 en Saskatchewan. Ce sont des fermes ou des membres de la famille, par exemple, les épouses et les enfants? Une famille de 10, ce sont 10 membres du SNF, si la famille compte 10 personnes de plus de 14 ans?
M. Boehm : Non. Le nombre serait plus élevé si nous comptions de cette façon, encore que nous donnons droit de vote à partir de 14 ans. Le nombre serait plus élevé.
Le sénateur Plett : Ce sont de 900 à 1 000 fermes?
M. Boehm : Oui.
Le sénateur Plett : Le SNF permet apparemment aux agriculteurs urbains de devenir membres. Je ne sais pas trop ce qu'est un agriculteur urbain. Quelqu'un qui fait un potager?
M. Boehm : Quiconque produit des aliments. Nous avons très peu de membres de ce type, mais nous avons remarqué une tendance croissante à ce que les nouveaux venus dans l'agriculture, à l'échelle internationale et au pays soient des gens qui commencent à créer des potagers commerciaux dans les espaces urbains sous-utilisés. Parce que nous sommes une organisation qui élabore des politiques et qui s'intéresse aux politiques sur les aliments, nous avons pensé utile d'inclure des gens de ce milieu.
Le sénateur Plett : Certainement. Je suis sûr que c'est utile. J'ai un terrain d'un demi-acre et ma femme a un potager. Pourrait-elle devenir membre de votre organisation?
M. Boehm : Bonne question. Je pense que je sais où vous voulez en venir, au sujet de la taille des fermes. Il y a un mythe au sujet de la taille des fermes membres de la SNF. De très grandes exploitations lucratives, de toutes les régions du pays, sont membres de notre organisation.
Le sénateur Plett : Avez-vous quelques potagers commerciaux et quelques petits potagers?
M. Boehm : Oui, nous en avons.
Le sénateur Plett : De petites parcelles d'un demi-acre avec des potagers?
M. Boehm : Nous ne savons pas précisément ce que cultive chacun de nos membres, mais nous pensons que s'ils produisent des aliments et qu'ils les vendent et qu'ils participent au système alimentaire, ils peuvent avoir voix au chapitre.
Le sénateur Plett : Est-ce que ma femme pourrait devenir membre de votre organisation?
Le président : À l'ordre, s'il vous plaît. Sur ce, nous conclurons maintenant. J'ai été très indulgent dans le temps attribué au troisième groupe. Nous sommes tous d'accord, je crois.
Le sénateur Ogilvie a une question supplémentaire. Il sera suivi du sénateur Mahovlich, en conclusion.
Le sénateur Ogilvie : Je veux remercier le professeur Fulton d'avoir démontré ce que je voulais démontrer, soit que la coopérative est un excellent exemple d'organisation où les actionnaires propriétaires sont les membres de la coopérative et le conseil d'administration est entièrement responsable envers les actionnaires. C'est ce que je soutiens. Merci beaucoup.
Le sénateur Mahovlich : Je veux rappeler simplement qu'on déclare le gouvernement propriétaire de la Commission du blé. Les agriculteurs ne font pas partie du gouvernement? Ils ne paient pas d'impôts? Ce sont eux les propriétaires.
Le président : C'est une affirmation, sénateur Mahovlich.
Aux témoins, merci beaucoup d'avoir accepté notre invitation. Vous nous avez présenté votre expérience et vos points de vue et nous vous en remercions.
Honorables sénateurs, nous entendrons maintenant notre dernier groupe de témoins. Il comprend M. Brian Otto, président de la Western Canadian Barley Growers Association; et M. Kevin Bender, président de la Western Canadian Wheat Growers Association.
Au nom du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts, et compte tenu de notre mandat relatif au projet de loi C-18, merci d'avoir accepté notre invitation et d'être ici aujourd'hui.
On m'a informé que les témoins feront leurs exposés, en commençant par M. Otto, qui sera suivi de M. Bender.
Brian Otto, président, Western Canadian Barley Growers Association : Merci, messieurs les membres du comité, de me donner cette possibilité de vous parler de cet important projet de loi au nom de la Western Canadian Barley Growers Association.
Carolyn et moi-même exploitons une ferme au sud de Lethbridge en Alberta, dans une région très aride de la province. J'aimerais encourager le comité sénatorial à recommander d'adopter le projet de loi C-18 dès que possible. C'est très important pour l'industrie.
À propos des agriculteurs, j'aimerais parler de ce que j'appelle les vrais agriculteurs commerciaux. Ce sont les agriculteurs qui vivent de l'agriculture. Ils dépendent de l'agriculture. Ils en vivent. C'est à eux que je pense quand je parle des vrais agriculteurs commerciaux.
Le référendum dont il a été question aujourd'hui ne représente pas les vrais agriculteurs commerciaux. Un grand nombre d'agriculteurs retraités exploitent leur ferme et ne dépendent pas du revenu tiré de la ferme. Ce sont eux que désigne la Canadian Barley Growers Association quand elle parle des agriculteurs.
On a beaucoup parlé des agriculteurs et de la manière dont ils commercialisent leurs grains. Je veux m'inspirer de mon expérience pour expliquer pourquoi je crois dans le libre choix en matière de commercialisation. Je veux m'inspirer de ma propre expérience sur la ferme, en ce qui concerne la commercialisation du blé dur, et montrer comment le système actuel n'a pas fonctionné pour les producteurs de blé dur dans l'Ouest canadien.
Dans la campagne 2007-2008, le prix mondial du blé dur a atteint des sommets sans précédent. Les agriculteurs n'avaient jamais vu un tel prix dans toute leur carrière. Cette année-là, par l'entremise du système de commercialisation de la Commission canadienne du blé, nous n'avons pu livrer que 73 p. 100 de ce que nous avions produit. La Commission du blé nous a demandé de reporter 27 p. 100 de ce blé dur à l'année de commercialisation suivante.
D'une campagne à l'autre, le prix du blé dur a reculé de 136 $ la tonne et nous ne pouvions pas vendre. L'année suivante, on nous a permis de livrer seulement 52 p. 100 de notre blé dur par l'entremise du système de commercialisation de la Commission canadienne du blé. Cette année-là, le prix du blé dur a perdu 170 $ de plus la tonne, ce qui a coûté 67 000 $ à notre exploitation agricole. Il y a un grave effet sur la gestion des liquidités de n'importe quelle ferme. Toute la question tourne autour de la gestion des liquidités de l'exploitation agricole.
Les agriculteurs doivent pouvoir déterminer quand ils veulent livrer et quel sera le prix qu'ils obtiendront pour leurs cultures, afin de gérer les liquidités sur leur exploitation. Il faut relier les deux. On ne peut pas payer ses factures si on ne peut pas livrer les grains. C'est aussi simple que cela.
Je pratique l'agriculture depuis 37 ans. Dans l'exemple que je viens de décrire, ma femme et moi avons pu tenir le coup. J'ai parlé à de jeunes agriculteurs qui venaient de débuter dans l'industrie, et cette incapacité de livrer a provoqué de grandes difficultés pour eux. Ils doivent pouvoir livrer leurs grains pour pouvoir payer leurs factures.
C'est ce qui ne va pas avec le système de la Commission canadienne du blé. Elle ne contrôle pas les prix, elle contrôle notre capacité de livrer, et c'est là que tout s'écroule.
Je suis producteur d'orge; 20 p. 100 de la production de notre ferme est toujours consacrée à l'orge. Nous ciblons l'industrie de l'orge brassicole. C'est là que nous trouvons le meilleur prix. En mai dernier, Rahr Malting m'a demandé à quel moment nous commencerions à moissonner l'orge. Dans le Sud de l'Alberta, on peut commencer à moissonner beaucoup plus tôt que chez la plupart des producteurs d'orge. Je leur ai répondu que nous pouvions livrer à la mi-août. Ils voulaient conclure un marché avec moi parce qu'ils auraient besoin d'orge à ce moment-là. Ils commençaient à manquer d'orge. Ils savaient qu'ils n'auraient pas accès à d'autres sources d'orge. Ils risquaient de devoir fermer leur usine jusqu'à ce que l'orge soit moissonnée.
C'est un autre problème du système de la Commission du blé. Ils ne peuvent pas offrir des primes, des prix transparents et des contrats de livraison qui stimuleraient la production d'orge. Par transparence, j'entends la possibilité d'offrir aux producteurs un prix qui les incitera à cultiver de l'orge. Dans le système actuel, par le programme CashPlus, on peut donner au producteur une indication du prix qu'il pourra obtenir, mais le producteur n'est pas certain du prix qui sera payé. Il est très important de changer ce système.
Pour revenir au blé dur, Terry Boehm a parlé d'un programme de vente directe des producteurs. Il a affirmé qu'il a pu l'utiliser pour son blé dur. Il a trouvé un marché au Montana et a pu y effectuer une vente et il a eu un coût de rachat très bas de la commission, afin de pouvoir effectuer cette vente. Le mot clé qu'il a utilisé, c'est producteur « bio ». Les producteurs bios obtiennent un prix de rachat préférentiel de la commission.
N'étant pas producteur commercial bio, je n'obtiens pas ce prix de rachat préférentiel. Le rachat, si je veux vendre du blé dur au Montana, élimine tout avantage que je pourrais avoir. Ils demandent tellement cher que la prime disparaît. Le produit du rachat est déposé dans les comptes mis en commun et partagé avec tous les autres producteurs de l'Ouest canadien, même si c'est moi qui ai trouvé le marché. Je dois partager avec tous les autres ce que j'ai pu tirer de ce marché. Cela détruit toute envie de chercher des marchés.
En ce qui concerne la capacité de la Commission canadienne du blé de survivre dans un marché ouvert, des prophètes de malheur prédisent qu'elle ne le pourra pas. Je ne suis pas d'accord et je vais vous expliquer pourquoi.
L'Inland Terminal Association of Canada, qui était représentée ici aujourd'hui, cherche des occasions d'affaires. La Commission du blé a besoin de quelqu'un pour manutentionner ses grains. Elles sont faites l'une pour l'autre. La commission n'a pas besoin d'être propriétaire des installations. Elle peut conclure des ententes contractuelles avec l'Inland Terminal Association pour la manutention des grains. Elle trouve un acheteur et l'association s'occupe de la manutention. Cela fonctionnera.
L'autre élément clé est que les terminaux intérieurs ont déclaré qu'ils auraient du mal à financer l'achat de grains. Au cours des quatre ou cinq prochaines années, la Commission canadienne du blé bénéficiera des garanties du gouvernement pour appuyer ses ventes de grains. Il sera donc tout naturel pour elle de conclure une entente contractuelle avec les terminaux intérieurs pour la manutention des grains. Les terminaux ne font pas d'argent grâce à la vente des grains; elles en font grâce à la manutention. Toutes les sociétés céréalières du Canada font leur argent de cette façon. Elles n'aiment pas spéculer sur le marché pour faire de l'argent; elles s'enrichissent grâce au nettoyage et à la manutention. C'est leur secteur d'activité. La commission pourrait conclure ces ententes contractuelles.
On a aussi mentionné l'accès aux installations portuaires, aux installations à l'exportation. Les installations portuaires de Vancouver et Thunder Bay sont loin de tourner à pleine capacité actuellement. Quand quelqu'un me dit qu'il sera désavantagé dans ces ports, je réponds que je ne le crois pas, parce qu'ils chercheront des occasions d'affaires. Ils seront prêts à conclure des ententes contractuelles pour transporter les grains dans leurs installations portuaires. Je ne crois pas à cet argument. Je pense que c'est une tactique pour faire peur. En tant qu'agriculteur, j'entends ces tactiques alarmistes et je suis assez frustré. Ce n'est pas ainsi que je vois les affaires. Je suis un homme d'affaires comme tout le monde. Je rivaliserai avec le monde entier. Je le peux. Je sais que je le peux.
J'espère que personne n'écoutera les prophètes de malheur. Soyons positifs à propos de cette industrie. L'agriculteur de l'Ouest canadien est capable de survivre dans un marché ouvert.
Dans mon exposé, j'ai évoqué brièvement de l'établissement des prix. Dans notre ferme — et je le fais depuis longtemps — je n'attends pas au mois d'août, au moment de la moisson, pour déterminer le prix de ma récolte. Le prix de ma récolte commence à être déterminé dès maintenant. À la fin de mars ou en mai, le prix du tiers de ma récolte sera fixé. Pourquoi faire cela? C'est de la gestion des risques. C'est une saine pratique commerciale. J'ai un logiciel qui me dit quels seraient les coûts pour produire un boisseau de moutarde, un boisseau de blé dur, un boisseau de blé du printemps et d'orge, et qui me dira à quel prix je dois le vendre pour réaliser un bénéfice. Cela rend la tâche très facile, quand on connaît ce chiffre. Les occasions d'affaires existent bien avant que je commence à semer. Le prix du tiers de ma récolte est établi avant que je commence les semailles.
Au bout du compte, ce sera bien pour l'industrie. Les prix seront transparents pour les agriculteurs; ils ne seront pas masqués par les PDR de la Commission canadienne du blé. Nous connaîtrons le véritable prix mondial et les agriculteurs pourront prendre une décision en fonction de ce prix. Nous n'obtenons pas ces prix mondiaux actuellement. Nous ne les obtenons certainement pas sur le marché brassicole. Le marché de l'orge fourragère est faussé par les prix fixés par la Commission canadienne du blé. L'influence est énorme sur les prix de l'orge fourragère sur le marché intérieur.
Il y a eu des investissements de Rahr Malting et d'Alliance Grain Traders depuis deux mois. Ce n'est qu'une indication de ce qui arrivera dans notre industrie à mesure que nous avancerons dans un marché ouvert. ICE Futures offrira des contrats de blé du printemps, des contrats de blé dur et des contrats d'orge. Vous savez quoi? Le contrat relatif au blé dur suscite un grand intérêt dans le monde entier, parce que, nulle par ailleurs dans le monde, on peut atténuer le risque lié au blé dur. Ce sera le seul contrat à terme de blé dur dans son genre. Il y a aussi un grand intérêt pour les contrats de blé du printemps, parce que celui qui existe à Minneapolis ne fonctionne pas bien, alors tout le monde surveille comment ICE Futures établit ses contrats à terme. Il y a un grand intérêt.
Voilà ce que nous verrons dans un marché ouvert dans l'Ouest canadien. Ce sera bon pour l'agriculture de l'Ouest canadien et bon pour l'économie de l'Ouest canadien, mais surtout, ce sera bon pour l'ensemble du Canada. Merci, monsieur le président.
Le président : Merci, monsieur Otto.
Kevin Bender, président, Western Canadian Wheat Growers Association : Je remercie le comité de l'avoir invité à témoigner aujourd'hui. Depuis 42 ans, la Wheat Growers Association défend ardemment des marchés ouverts et concurrentiels, le libre-échange et l'innovation. Pour me présenter brièvement, je pratique l'agriculture assez au nord de chez Brian, et notre géographie est très différente. Il est dans la région aride et nous sommes dans la région humide. Nous perdons des récoltes parce qu'il y a trop d'eau et il en perd probablement parce qu'il en manque, alors notre situation est assez différente. J'exploite la ferme avec mon père et un de mes frères.
Notre association demande aujourd'hui au Sénat d'adopter ce projet de loi rapidement. Comme l'a expliqué M. Otto, l'adoption rapide de ce projet de loi permettra aux agriculteurs de conclure en début d'année les contrats que nous attendons depuis longtemps. Cela accroîtra la certitude dans l'ensemble du système et la confiance dans le marché.
Cela permettra aussi de réaliser des ventes à des clients qui, autrement, s'approvisionneraient chez des concurrents, et à la Commission canadienne du blé volontaire. Nous appuyons le libre choix en matière de commercialisation du blé et de l'orge pour plusieurs raisons, et je vais en décrire quelques-unes. D'abord et avant tout, nous croyons qu'il accroîtra les revenus à la ferme. Depuis quelques années, les agriculteurs sur le marché ouvert américain obtiennent un prix beaucoup plus élevé pour leurs grains que ce à quoi nous pouvons nous attendre dans le monopole de la Commission canadienne du blé.
Cependant, les avantages du libre choix en matière de commercialisation vont bien au-delà des prix. Les restrictions à la livraison et les délais de paiement dans un monopole imposent des frais d'entreposage et d'intérêts supplémentaires à nos fermes. M. Otto a donné l'exemple du blé dur et de la quantité qu'il a dû reporter. Cela influe sur nos liquidités et oblige de nombreux agriculteurs à vendre leur canola et leurs autres cultures beaucoup plus tôt que ce que demande le marché, ce qui, là aussi, a une incidence négative sur nos revenus.
Soit dit en passant, nous ne sommes pas dans une région qui produit du blé dur, mais mon père en a cultivé il y a quelques années, pour faire un essai, et nous avons obtenu le grade qu'aurait M. Otto. Je pense que nous avons obtenu du no 3. Mon père avait une petite superficie, et il a tenté d'utiliser les rouages établis à la Commission canadienne du blé, par l'entremise du programme de rachat. Il avait un acheteur de l'autre côté de la frontière, aux États-Unis. Nous sommes à environ cinq heures de la frontière, mais malgré le prix du transport, cela valait encore la peine. Le programme de rachat a éliminé tout le profit éventuel. Il aurait pu obtenir environ 50 p. 100 de plus en allant au sud de la frontière. Mais le programme de rachat faisait disparaître tout le profit, alors cela ne valait pas la peine. Le rachat existe, mais il est exorbitant,
Nous croyons qu'un marché ouvert accroîtra grandement les investissements et la transformation dans l'Ouest canadien. Alliance Grain Traders, une entreprise canadienne établie à Regina, a déjà annoncé la construction d'une usine de fabrication de pâtes alimentaires et de transformation des légumineuses, d'une valeur de 50 millions de dollars. C'est la première fois qu'on annonce une grande usine de pâtes dans les Prairies depuis des décennies. C'est la première étape pour réduire l'énorme déficit commercial du Canada dans le secteur des pâtes. Cela donnera aux agriculteurs canadiens un débouché local pour leur blé dur et aux consommateurs canadiens la possibilité d'acheter des aliments cultivés au pays, au lieu de les importer de l'étranger.
Nous croyons aussi qu'un marché ouvert stimulera grandement l'investissement privé dans la recherche sur le blé. Les agriculteurs des Prairies pourront avoir accès à des produits génétiques de meilleure qualité et auront plus de choix pour cultiver les variétés qui leur conviendront le mieux.
En résumé, nous croyons que la création d'un marché ouvert accroîtra considérablement les revenus agricoles et contribuera à une prospérité beaucoup plus grande dans les Prairies. Encore une fois, nous demandons à tous les sénateurs de s'assurer que ce projet de loi est adopté rapidement. Merci.
Le président : Merci, monsieur Bender.
Le sénateur Plett : Messieurs, merci d'être venus. C'est rafraîchissant d'entendre que les agriculteurs qui ont le sens des affaires dans l'Ouest canadien peuvent s'enrichir et commercialiser leur produit sur le marché ouvert. Je sais que c'est un combat de toute une vie pour vous deux. Très bientôt, tous les agriculteurs du Canada auront la liberté de choix et vendront leurs grains à qui ils le veulent. Il faut vous féliciter, vous personnellement et vos organisations, pour le travail que vous avez fait.
La Commission canadienne du blé régit quelques grains en vertu de la loi actuelle, mais depuis sa création, on n'a fait que retirer des grains du monopole. Par exemple, l'avoine a été retirée en 1989. Dans ma province, il y a maintenant une formidable entreprise appelée Can-Oat à Portage La Prairie, qui brasse de grosses affaires et emploie 125 personnes, parce que l'avoine ne relève plus de la Commission canadienne du blé.
Je crois comprendre que des agriculteurs au Manitoba ont lancé un processus afin d'inclure le canola dans la Commission canadienne du blé. Cette idée a été rejetée par une écrasante majorité. Pouvez-vous m'expliquer pourquoi les agriculteurs du Manitoba n'ont pas voulu que le canola en fasse partie, et pourquoi ils sont si heureux de pouvoir commercialiser leur canola sur le marché ouvert au lieu de faire affaire avec la Commission canadienne du blé?
M. Bender : À l'époque, j'étais administrateur à l'Alberta Canola Producers Commission, et Manitoba Canola nous a invités à assister à une réunion avec eux et avec la commission de la Saskatchewan et la Commission canadienne du blé pour examiner cette idée d'inclure le canola sous la Commission du blé. Nous avions eu un débat assez animé au sein de notre conseil sur cette question et ils m'ont envoyé, en compagnie de notre directeur général, à Winnipeg pour les rencontrer.
On nous a envoyés seulement pour les renseigner, parce qu'Alberta Canola croit en un marché ouvert. Cela fait partie de sa politique — un marché ouvert pour les ventes de canola des agriculteurs. Nous sommes allés à la réunion et je ne peux pas me prononcer sur le pourcentage de ceux qui étaient contre, mais je sais qu'il y avait une forte opposition à l'idée de relever de la Commission canadienne du blé.
Je sais qu'il y avait aussi une certaine opposition de la part de ceux qui appuient le monopole fort, parce qu'ils ne voulaient pas que cela menace le retrait du blé et de l'orge. Cela allait dans les deux sens, mais je pense qu'ils se sont aperçus que ce n'était pas la meilleure chose à faire à l'époque.
J'ai indiqué que si la Commission du blé était une organisation volontaire, ce qui arrivera bientôt, il fallait pouvoir accepter le canola sur une base volontaire. Je pense que certains agriculteurs aiment mettre leurs grains en commun, et si le blé et l'orge sont mis en commun, on devrait pouvoir le faire aussi pour le canola, tant que c'est volontaire.
Le sénateur Plett : C'était l'une des modifications proposées par le gouvernement, je crois, que d'autres produits puissent s'ajouter. Monsieur Otto, vous vouliez répondre vous aussi.
M. Otto : Je ne cultive pas de canola, parce que je cultive de la moutarde. On ne cultive pas les deux sur la même exploitation, sinon c'est un désastre. Si les deux cultures se mélangent, c'est un gros problème.
Je parlerai des cultures de spécialité. Pourquoi cultivons-nous du canola ou n'importe quelle autre culture de spécialité? En partie pour assurer une rotation des cultures; c'est bon pour la terre. Mais la principale raison, c'est pour les liquidités. Nous devons payer nos factures.
Comme j'y ai fait allusion à propos du problème du blé dur, ce n'est pas le seul grain mis en marché par la Commission du blé qui pose des problèmes de ce genre. Le blé du printemps en est un autre; le blé d'hiver aussi. Quand on ne peut pas livrer à la commission pour obtenir des liquidités, il faut cultiver ces autres cultures afin de pouvoir payer les factures.
On peut se demander ce qui arriverait si le canola était sous le monopole de la Commission canadienne du blé, que vous deviez payer vos factures, mais qu'il n'y avait pas de marché pour votre canola et que vous ne pouviez pas le livrer. Que feriez-vous? Vous ne pourriez pas le vendre pour obtenir des liquidités et payer vos factures. Toutes les fermes sont différentes. Les besoins de liquidités varient selon le moment de l'année. Par conséquent, les agriculteurs doivent pouvoir gérer leurs ventes en fonction des moments où ils ont besoin de liquidités.
Le sénateur Plett : Vous avez parlé du rachat.
Le président : Sénateur Plett, je veux céder la parole au sénateur Robichaud, qui invoque le Règlement, s'il vous plaît.
[Français]
Le sénateur Robichaud : Je vois que des feuilles sont distribuées à des sénateurs et se rendent jusqu'au président. Si cela se rend jusqu'au président, cela devrait faire le tour de la table, monsieur le président.
Le président : Merci, sénateur Robichaud. Est-ce qu'il y a d'autres commentaires sur le rappel au Règlement?
[Traduction]
Le sénateur Plett : Je ne sais pas à quel document vous faites allusion. Celui-ci, que le greffier a distribué?
Le président : Un membre du personnel a distribué un document. J'assume la responsabilité. Quand je l'ai vu, je lui ai demandé si la Chambre siégeait. Il m'a répondu que oui, la Chambre siégeait. Il avait un document en main et je l'ai pris. Le document a été distribué. Le membre du personnel fait partie du personnel du leader. Le sénateur Robichaud a demandé qu'on lui remette une copie de cette lettre si elle a été distribuée au président.
C'est ma responsabilité. Quand le membre du personnel est venu à la table, je lui ai demandé si la Chambre siégeait et en même temps, j'ai pris le document qu'il avait dans les mains. Le président remettra ce document au membre du personnel. Je lui demanderais d'approcher de la table, et je lui remettrai ce document parce qu'il ne s'agit pas d'un document qui devait être distribué au comité.
Le sénateur Tkachuk : Si vous en obtenez un, vous le distribuerez, en votre qualité de vice-président?
Le sénateur Mercer : Il n'occupe pas le fauteuil.
Le président : Sur ce, l'affaire est classée.
Le sénateur Plett : Monsieur Otto, vous avez évoqué le rachat. Il y avait effectivement un problème, comme l'a souligné M. Boehm au sujet de ses cultures — parce qu'il obtient un meilleur rachat.
Des agriculteurs m'ont dit que la Commission du blé agit parfois ainsi au milieu d'une transaction; vous envoyez une cargaison de blé ou de n'importe quel produit et vous devez le racheter. Ils trouvent ensuite qu'ils peuvent faire une meilleure affaire, alors ils font un rachat un peu plus élevé dans la deuxième moitié de la transaction que dans la première. Qu'en pensez-vous?
M. Otto : La rumeur circule que c'est ce qui arrive. Je serai franc avec vous; je vis à 20 milles du 49e parallèle, et il est arrivé que je puisse vendre mon blé d'hiver à la Harvest States Cooperative à Shelby, au Montana. Quand vous effectuez un rachat à la Commission canadienne du blé, la première chose à faire, c'est de dire à la commission où vous allez livrer votre produit, ce qui lui indique à quel silo-élévateur vous allez livrer, vous donnez le prix de la vente et, si le rachat ne coûte pas trop cher et que vous voyez un avantage économique, vous pouvez effectuer la vente directe du producteur et aller sur ce marché.
Cependant, je ne sais pas combien de vendeurs dans l'industrie des grains seraient disposés à dire à leur concurrent où ils vendent leurs grains et à quel prix. Pour l'agriculteur qui veut effectuer une vente directe de producteur, la commission devient alors un concurrent. Soudainement, vous lui donnez toute votre information commerciale.
Devinez ce qui se passe? La première chose que vous savez, vous êtes face à face avec la Commission canadienne du blé, qui veut vendre le même grain au même silo-élévateur à qui vous essayez de vendre votre grain, mais le prix n'est pas le même. Qui finit par obtenir la vente? La Commission du blé, parce qu'elle propose un prix juste un peu plus bas et qu'elle vous prend le marché. Cela arrive très souvent.
Le sénateur Plett : Qui se fait avoir?
Le port de Prince Rupert, je crois, est le plus proche des Prairies, pour l'expédition ferroviaire. J'entends dire qu'ils quémandent des grains, mais la Commission du blé croit qu'il faut expédier les grains à Vancouver, que les wagons de chemin de fer soient pleins ou non. Y a-t-il un fond de vérité dans tout cela?
M. Bender : Je ne le sais pas. Je sais que la vallée de la Paix en Alberta et en Colombie-Britannique — qui, si je ne m'abuse est une région agricole au moins aussi grande que tout le Manitoba, la région productrice de grains — serait plus proche de Prince Rupert. Je ne sais pas si c'est le cas partout. Je ne le sais pas. Je ne peux pas le dire avec certitude.
M. Otto : Prince Rupert pourrait être utilisé davantage. De fait, c'est probablement le port le moins utilisé sur la côte Ouest.
Évidemment, une partie du problème de Prince Rupert, c'est que la plupart des terminaux d'exportation sur la côte Ouest appartiennent à des entreprises différentes comme Pioneer, Viterra et Cargill, qui sont établies à Vancouver.
Naturellement, les sociétés céréalières souhaitent expédier leurs grains à partir de leur terminal. Comme je l'ai dit, les sociétés céréalières s'enrichissent grâce à la manutention des grains, pas en spéculant sur les prix dans l'industrie des grains.
Ce ne sera pas une sinécure pour Prince Rupert. J'en conviens. M. Bender a raison; ce serait tout naturel qu'une grande partie de la vallée de la Paix se tourne vers Prince Rupert, parce que c'est le port océanique le plus proche.
L'avantage de Prince Rupert par rapport à Vancouver, c'est que c'est un port en eau profonde. Vancouver n'a pas cet avantage. C'est difficile à Vancouver, quand les navires sont gros.
Le sénateur Peterson : Monsieur Otto, combien y a-t-il de membres dans votre association?
M. Otto : Nous en avons environ 250.
Le sénateur Peterson : Votre association est-elle financée entièrement par les membres?
M. Otto : Oui. C'est une organisation de producteurs, sans but lucratif.
Le sénateur Peterson : Vous avez déclaré qu'une année, vous n'avez pu livrer que 75 p. 100 de vos grains et une autre, seulement 52 p. 100. Pourquoi?
M. Otto : Je suis content que vous posiez cette question. Je peux y répondre.
On m'a invité à une réunion à l'automne 2008, après la fin de la campagne 2007-2008. Pour que tout le monde comprenne bien, la campagne pour les agriculteurs de l'Ouest canadien va du 1er août au 31 juillet de l'année suivante. C'est l'année pour les ventes. Je ne savais pas si tout le monde comprenait cela, alors j'ai cru bon de le clarifier.
L'année pour les ventes de la campagne 2007 était terminée et la Commission canadienne du blé a invité les organisations de producteurs à Saskatoon. J'étais avec Con Johnson. Je ne sais pas qui dans cette salle le connaît, mais c'est un producteur de blé dur du sud-ouest de la Saskatchewan. J'étais là et l'un des chefs de la division de la commercialisation des grains de la Commission canadienne du blé s'est levé et a fait un exposé. Il a déclaré que le Canada contrôlait un peu plus de 50 p. 100 du marché mondial du blé dur, et que la commission avait décidé de ne pas vendre tout notre blé dur sur le marché mondial, parce que cela ferait baisser les prix. Elle avait décidé de demander aux agriculteurs de retenir 27 p. 100 de leur blé dur.
Ce qu'il n'a pas dit et ce sur quoi nous nous interrogions, c'est pourquoi les agriculteurs canadiens garderaient du blé dur afin de faire monter les prix, tandis que tous nos concurrents pouvaient vendre tous leurs boisseaux sur le marché. C'est nous qui aurions dû vendre notre blé. Oui, le prix mondial du blé dur aurait peut-être baissé un peu, mais certainement pas de 130 $ la tonne.
Le sénateur Peterson : Juste.
Monsieur Bender, combien y a-t-il de membres dans votre organisation?
M. Bender : Je dirais environ 450. Le nombre a augmenté un peu récemment, mais c'est à peu près cela.
Le sénateur Peterson : L'association est entièrement financée par les membres?
M. Bender : Oui.
[Français]
Le sénateur Rivard : Merci, monsieur le président. Nous avons rencontré, tout au cours de la semaine, plusieurs témoins et j'ai remarqué que la plupart sont en faveur du statu quo et mettent en doute le fait que les prochains administrateurs seront nommés par le gouvernement et non par les utilisateurs.
Est-ce que le fait qu'ils soient nommés par le gouvernement fait en sorte que les administrateurs risquent d'être moins compétents?
Avant de nous faire entendre votre réponse, j'aimerais faire une comparaison. Regardez la composition des conseils d'administration des principales sociétés d'État, que ce soit la Banque du Canada, la BDC, la SCHL, la Société des postes. Si vous regardez les qualités de ces gens, vous avez des professionnels, des ingénieurs, des doctorats. En fait, ce sont tous des personnes qui ont de l'expérience dans des domaines qui s'apparentent beaucoup aux nominations. Je vais aller plus loin que cela. Regardez le Sénat. Nous sommes tous des gens qui ont été nommés par un gouvernement ou l'autre. Autour de cette table, on a le président, qui est un ex-ministre du Nouveau-Brunswick, et en face de moi, deux ex-ministres qui ont siégé pendant plusieurs années. Ce sont des gens qui ont été nommés. Sont-ils moins compétents parce qu'ils ont été nommés?
Êtes-vous inquiet que ce soit le gouvernement qui nomme les administrateurs?
[Traduction]
M. Otto : Je ne m'inquiète pas, parce que, comme dans toute entreprise, je veux des gens compétents au conseil d'administration, de bons gens d'affaires. D'après la Commission du blé, ils brassent des milliards de dollars par année, et pour faire cela, il faut des gens qui ont le sens des affaires.
Dans une autre veine, sur les cinq administrateurs nommés actuellement à la Commission canadienne du blé, deux sont agriculteurs. Ce sont de très bons hommes d'affaires. Cela démontre simplement qu'il n'est pas nécessaire d'être agriculteur pour diriger une organisation de commercialisation. C'est bien d'avoir de l'expérience, une certaine connaissance des règles du jeu, mais ce n'est certainement pas nécessaire et cela ne me dérange pas.
Si nous avons une Commission canadienne du blé volontaire, nous voudrons que les gens d'affaires les plus compétents siègent à son conseil d'administration. Sa survie dépendra de son plan d'affaires afin de soutenir la concurrence sur le marché ouvert. Il faut aussi des gens d'expérience pour cela.
Le sénateur Mercer : Messieurs, je suis fasciné. Le sénateur Peterson a posé ma première question sur le nombre de vos membres. Monsieur Otto, on vous a décoché des flèches concernant le récent référendum et vous avez affirmé que ce n'était pas très important. Mes collègues d'en face le prétendent depuis un certain temps.
À vous deux, vous représentez environ 700 membres. D'après mes notes, il y a eu 68 000 bulletins au référendum, mais certains soutiennent qu'il n'y a que 20 000 producteurs. Il me semble logique de dire que si ce problème existe et qu'un système est déjà en place en vertu de la loi existante, il faudrait s'asseoir et établir la liste des électeurs et déterminer qui a droit de vote. Entendons-nous sur ceux qui ont le droit de voter, puis votons.
Les agriculteurs de l'Ontario ont voté de ne pas vendre leur blé par l'entremise de la Commission du blé. Les agriculteurs du Québec ont décidé d'avoir un guichet unique. Il me semble que nous sommes dans un processus où, si la liste était nettoyée et que toutes les parties s'entendaient pour déterminer qui sont les électeurs admissibles, il y aurait une élection, on saurait que ce veulent les personnes visées et on irait de l'avant.
Le sénateur Tkachuk : Pouvons-nous demander que les questions soient séparées?
Le sénateur Peterson : Quelle est la question?
Le sénateur Mercer : Pourquoi ne pouvons-nous pas faire cela?
Le sénateur Peterson : Je savais que c'était là, quelque part.
Le sénateur Mercer : J'étais sûr que le sénateur Tkachuk voulait me poser une question.
Le président : Monsieur Bender ou monsieur Otto, voulez-vous répondre à la question du sénateur Mercer?
M. Bender : Merci. Vous avez soulevé des questions pertinentes au sujet des référendums. Je crois que Statistique Canada évalue qu'il y a 20 000 producteurs commerciaux de grains dans l'Ouest canadien. La Commission du blé affirme qu'il y a environ 50 000 détenteurs de carnets de livraison, pourtant 68 000 bulletins de vote ont été envoyés. Je comprends votre raisonnement sur l'établissement de la liste des électeurs, mais je ne pense pas que c'est ce qui arriverait. Je ne pense pas qu'il y aurait une entente. Nous avons essayé de le faire il y a quelques années pour les élections des administrateurs, afin de déterminer qui était un électeur admissible.
Nous avons soutenu que ce devait être les producteurs commerciaux de grains, les agriculteurs qui dépendent de la culture des grains pour gagner leur vie et comme source de revenu, pas les agriculteurs du dimanche, les agriculteurs retraités ou les propriétaires terriens. Nous avions du mal à accepter qu'ils votent. Nous n'avons pas pu nous entendre sur les règles de cette élection.
Il y a quatre ans, un référendum sur l'orge a montré que la vaste majorité des agriculteurs veulent un marché ouvert et double pour l'orge, pourtant la Commission du blé l'a rejeté parce qu'elle n'aimait pas la question.
Ce serait probablement ce qui se passerait à nouveau. Si nous procédons comme nous le voulons, ils penseront que ce n'est pas équitable. S'ils le font, nous penserons que ce n'est pas équitable. Je ne crois pas que nous pourrions nous entendre. Les enquêtes aléatoires menées par la Commission du blé révèlent que la majorité des agriculteurs veulent avoir le choix de vendre hors-commission.
Le sénateur Mercer : Si c'est ce que veulent les agriculteurs, je ne suis pas contre. Mais il n'y a pas eu de référendum que tout le monde reconnaît comme un référendum légitime, fondé sur une liste d'électeurs « légitime ».
M. Otto : En réponse à votre question, nous avons beaucoup de mal à nous entendre sur le référendum. Dans le dernier, que la commission continue de faire traîner en longueur — où 51 p. 100 des producteurs d'orge appuie le référendum — ce qu'ils ne disent pas c'est que la Commission canadienne du blé effectue environ 20 p. 100 de toutes les ventes d'orge dans l'Ouest canadien. Les seuls producteurs d'orge qui ont pu voter à ce référendum étaient ceux qui livraient à la Commission canadienne du blé. Autrement dit, 80 p. 100 de la production d'orge dans l'Ouest canadien n'a pas été prise en considération dans ce référendum. Ce n'est pas crédible.
Le sénateur Mercer : Je ne dis pas le contraire. J'ai passé une bonne partie de ma vie à organiser des élections. La première chose à faire, c'est de dresser une liste électorale exacte.
M. Otto : Nous sommes toujours allés à la commission depuis cinq ans pour essayer de faire purger la liste des électeurs. Dans mon cas, je me suis présenté à la dernière élection de la Commission du blé contre Stewart Wells. Il a obtenu 53 p. 100 des suffrages et j'en ai obtenu 47 p. 100. J'ai téléphoné à environ 1 100-1 200 producteurs dans ma région. Je leur ai parlé personnellement. J'y ai passé des heures. Ma femme a fait le compte; cela représentait deux semaines d'appels téléphoniques.
Quand je faisais ces appels, je trouvais des personnes décédées sur la liste, des gens qui ne pratiquaient plus l'agriculture, des gens qui n'avaient aucun intérêt dans l'agriculture, et ils recevaient un bulletin de vote. Certaines fermes recevaient sept ou huit bulletins. Ce n'est pas une liste valide. Ils refusent de purger la liste électorale.
De plus, dans une élection qui s'adresse aux agriculteurs, tous les agriculteurs devraient pouvoir voter, qu'ils livrent à la commission ou non. La commission influe sur le prix du produit, même quand on ne lui livre rien.
Le sénateur Mercer : Ma dernière question porte sur le transport. Évidemment, on a mentionné le port de Prince Rupert. C'est une ville desservie par une seule société ferroviaire. Il y a une ligne de chemin de fer. Halifax aussi est une ville desservie par une seule société ferroviaire, malheureusement.
Vous saviez que j'en viendrais là. J'y viens toujours.
Le problème cependant, c'est que Prince Rupert est une ville du CN et que les deux chemins de fer vont à Vancouver. Je ne comprends pas quand vous dites que l'attente à Vancouver ne dépend pas des installations. À mon avis, l'attente à Vancouver découle de la désorganisation et des nombreux arrêts de travail à Vancouver. Dans d'autres ports comme Halifax et Montréal, les arrêts de travail n'ont aucune commune mesure avec ceux de Vancouver.
M. Otto : Je voudrais invoquer le Règlement. Trois sociétés de chemin de fer se rendent à Vancouver.
Le président : Monsieur Otto, les témoins ne peuvent pas invoquer le Règlement.
M. Otto : Excusez-moi.
Le président : Je prends note de votre observation. Merci.
Le sénateur Robichaud : Vous ne pouviez pas invoquer le Règlement mais vous avez fait passer votre message. C'est habituellement ainsi que nous procédons.
[Français]
J'aimerais revenir sur un commentaire du sénateur Rivard, lorsqu'il parlait des gens qui sont nommés à la direction. Si j'ai donné l'impression que je mettais en doute la compétence de ces gens, ce n'était pas mon intention. Je questionnais plutôt leur représentativité du fait que j'aimerais voir quelqu'un qui représente chaque partie. C'est tout simplement ce que je voulais faire.
[Traduction]
S'il y avait eu un référendum, comme la loi actuelle l'exige, il aurait été organisé par le ministre. C'était sa responsabilité. Il aurait eu toute l'information et il aurait pu établir une liste électorale. Nous ne serions pas dans la situation actuelle, où un juge a rendu une décision. Nous ne devrions pas en être là.
Le sénateur Eaton : Je me demande si vous posez une question.
Le sénateur Robichaud : Je le ferai. Ma question est longue, sénateur Eaton.
Est-ce que cela n'aurait pas réglé le problème du référendum? Il aurait été organisé par le ministre. Ce n'était pas la responsabilité de la Commission du blé ni de personne d'autre. C'est ce que prévoit la loi. Alors, la question aurait été posée.
Si j'ai bien compris les témoins de la Commission canadienne du blé, ils auraient accepté les résultats. Je pense qu'elle aurait été liée par ces résultats. Ne pensez-vous pas que cela aurait été une meilleure idée?
M. Bender : Encore une fois, je reviens à mes observations précédentes. Je ne crois pas que la Commission du blé aurait accepté un référendum. C'est mon impression. Ce n'était pas ce qu'elle souhaitait. Je ne peux pas parler au nom du ministre, mais je crois personnellement qu'il a reconnu que la majorité des vrais agriculteurs commerciaux — encore une fois, d'après les enquêtes de la Commission du blé — veulent exercer un libre choix en matière de commercialisation. Au lieu de faire tout ce travail, de consacrer du temps et de l'argent à un référendum et pour éviter l'incertitude que ce processus aurait provoquée sur le marché, il a dit qu'il fallait agir rapidement. C'est mon opinion, parce que je crois qu'il savait que c'est ce que veulent la majorité des agriculteurs.
M. Otto : Je crois que tout aurait été beaucoup plus transparent si le ministre avait tenu un référendum. Je suis cependant d'accord avec M. Bender à ce sujet. La Commission du blé réalise des enquêtes depuis 12 ans. Il y a eu un signal des producteurs d'orge dans chacune de ces enquêtes — que les producteurs ont payées — indiquant clairement que les producteurs d'orge ne veulent pas du guichet unique. Ils n'ont jamais tenu compte des résultats de leurs enquêtes.
Nous avons tenu un référendum il y a quatre ans — organisé cette fois par le ministre Strahl — où les producteurs d'orge ont affirmé très catégoriquement qu'ils voulaient un marché double ou un marché ouvert. Ils ne voulaient pas du guichet unique. Le conseil d'administration n'en a pas tenu compte.
Je ne pense pas qu'un référendum organisé par le ministre aurait réglé ce problème. Ils s'y seraient encore opposés.
Le sénateur Robichaud : Ce n'est pas une question de s'opposer, c'est une question de respect des lois du pays. C'est ce que je veux faire valoir.
Le président : Avec l'indulgence de tous les sénateurs, le président cède la parole au sénateur Rivard, qui veut apporter un éclaircissement sur une déclaration antérieure.
[Français]
Le sénateur Rivard : Je voudrais revenir sur des propos que j'ai tenus tantôt. Je n'ai jamais fait allusion à l'opposition; j'ai parlé des témoins qui ont mis en doute la compétence des gens qui pourrait être nommés. Je voulais simplement préciser cela, sénateurs.
[Traduction]
Le sénateur Mahovlich : Y a-t-il des membres de votre région à la Commission du blé actuellement? Y a-t-il des membres de vos organisations?
M. Otto : Oui, nous en avions un. Jeff Nielsen était le président sortant de la Western Canadian Barley Growers Association. Il a démissionné il y a un mois.
Le sénateur Mahovlich : Lui avez-vous présenté des doléances?
M. Otto : Nous avons parlé à Jeff tant que nous avons pu; nous lui avons exprimé nos doléances et il les a présentées à la commission.
Le sénateur Mahovlich : Cela n'a pas aidé?
M. Otto : Non, cela n'a pas aidé.
Le président : Monsieur Bender, vous voulez intervenir?
M. Bender : Je ne sais pas avec certitude; je ne connais pas tous nos membres. Mais je sais que nous avons aussi parlé à Jeff Nielsen et à Henry Voss, les membres de l'Alberta. Nous leur présentons des idées et nos réactions. Je me fais l'écho de M. Otto.
Le sénateur Plett : J'ai une question supplémentaire reliée aux remarques du sénateur Robichaud. Si le ministre avait décidé — et je suis d'accord avec vous qu'il croyait que la majorité des agriculteurs voulaient ce que nous leur donnons — de tenir un référendum, ne pensez-vous pas — et encore une fois, comme vous l'avez déclaré, monsieur Bender, personne ne semble d'accord — que le nombre de bulletins envoyés par le ministre aurait probablement été autour de 20 000, pas 68 000?
M. Bender : Je conviens que cela aurait probablement été un nombre total de bulletins beaucoup plus représentatif.
M. Otto : Je crois que la liste qu'utilise la Commission du blé n'est pas une liste des vrais agriculteurs commerciaux dans l'Ouest canadien. Par contre, dans un référendum, il faut que tous les agriculteurs commerciaux de l'Ouest canadien aient un bulletin de vote. Un grand nombre de producteurs d'orge en Alberta refusent d'avoir un carnet de livraison. Ils ne veulent pas faire affaire avec la commission, mais ce sont des producteurs commerciaux et ils n'auraient pas de bulletin de vote dans le système actuel.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Bender et monsieur Otto. Nos meilleurs vœux des Fêtes à vous deux et à votre famille.
(La séance est levée.)