Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule 11 - Témoignages du 14 février 2012
OTTAWA, le mardi 14 février 2012
Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui, à 17 h 11, afin d'examiner, pour en faire rapport, les efforts de recherche et d'innovation dans le secteur agricole (sujet : l'innovation dans le système agricole et agroalimentaire de la perspective des producteurs agricoles).
Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Je vous souhaite à tous la bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts. Je remercie les témoins d'avoir accepté notre invitation.
Je suis le sénateur Percy Mockler, du Nouveau-Brunswick. J'invite maintenant mes collègues à se présenter, en commençant par ceux à ma gauche.
Le sénateur Mercer : Je suis le sénateur Terry Mercer, de la Nouvelle-Écosse.
[Français]
Le sénateur Robichaud : Fernand Robichaud, Saint-Louis-de-Kent, du Nouveau-Brunswick.
[Traduction]
Le sénateur Mahovlich : Je suis le sénateur Frank Mahovlich, de Toronto.
[Français]
Le sénateur Nolin : Pierre Claude Nolin, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Plett : Je suis le sénateur Don Plett, du Manitoba.
Le sénateur Buth : Je suis le sénateur JoAnne Buth, du Manitoba.
[Français]
Le sénateur Maltais : Ghislain Maltais, du Québec.
Le sénateur Rivard : Michel Rivard, les Laurentides, Québec.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, chers témoins, tel qu'indiqué dans l'ordre de renvoi, le comité poursuit son examen de la recherche et de l'innovation dans le secteur agricole, plus particulièrement de la conquête de nouveaux marchés à l'échelle nationale et internationale, de l'amélioration de la durabilité agricole et de l'amélioration de la diversité et de la sécurité alimentaires.
Au nom du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts, je remercie les témoins d'avoir accepté notre invitation et de bien vouloir communiquer leurs opinions, leurs visions et leurs recommandations aux membres du comité et aux Canadiens. Aujourd'hui, nous tenterons de mieux comprendre l'innovation dans le secteur agricole et agroalimentaire.
Honorables sénateurs, nous accueillons aujourd'hui M. Hanspeter Stutz, président du Domaine de Grand Pré, M. François Pouliot, président de La Face Cachée de la Pomme, M. Walter Schmoranz, président de Pelee Island Winery, Mme Josie Tyabji, directrice des Producteurs de l'Ouest et des relations avec l'industrie pour Vincor Canada, de même que M. Kevin Ker, associé de recherche et affilié professionnel du Cool Climate Oenology and Viticulture Institute de l'Université Brock.
Kevin W. Ker, associé de recherche et affilié professionnel, Cool Climate Oenology and Viticulture Institute, Université Brock : Je vous remercie de me donner la possibilité de faire partie de ce groupe de spécialistes du secteur vitivinicole. Puisque les autres spécialistes ont une plus grande expérience directe du marketing, mes observations seront surtout axées sur l'amélioration de la durabilité de l'industrie.
En présentant des exemples propres à l'Ontario, je mettrai en lumière certains efforts en ce moment déployés dans cette province, mais qui peuvent être adaptés à l'échelle du pays, et je présenterai quelques idées en ce qui concerne les besoins et les possibilités.
Je vais vous donner un aperçu du contexte économique de l'industrie de l'Ontario. Le chiffre d'affaires du secteur viticole de l'Ontario, à la production, totalisait 78 millions de dollars en 2001, et 96 p. 100 du raisin cultivé est transformé en vin. Ce secteur compte plus de 7 000 travailleurs, dont les salaires totalisent plus de 100 millions de dollars par année.
Sans vignes, il n'y a pas de vin. Pour être en mesure de produire du vin, il faut que la production viticole soit durable et qu'il y ait une croissance soutenue des ventes de vins produits à partir de produits viticoles canadiens.
Les rapports produits par la Canadian Vintners Association avant 1988 montrent que les ventes de raisin et de vin représentaient alors 49 p. 100 du marché intérieur. En 2001, elles ne représentaient plus que 32 p. 100 de ce marché. C'est un taux extrêmement bas, surtout quand on le compare à celui d'autres régions viticoles dont les vins représentent une plus grande part du marché intérieur. Ainsi, en Australie, les vins locaux occupent 90 p. 100 du marché, en Californie, 63 p. 100, et en Nouvelle-Zélande, 57 p. 100, et ces taux ne cessent de croître.
Pour assurer la durabilité et la croissance, il faut que l'industrie et le gouvernement fédéral, de même que les autres ordres de gouvernement, collaborent et interagissent activement. Il faut envisager la durabilité en fonction de trois aspects. Ainsi, le système doit être efficace, responsable sur le plan environnemental et viable sur le plan économique.
En Colombie-Britannique et en Ontario, les viticulteurs et les producteurs de vin ont établi des partenariats afin de créer des entités qui financeront la recherche. En Ontario, l'organisation Ontario Grape and Wine Research Inc. a été créée en 2007. Elle obtient des fonds pour la recherche en imposant des redevances aux viticulteurs et aux producteurs de vin, ce qui lui permet de disposer des sommes nécessaires pour la recherche et l'innovation. Elle utilise ces fonds pour avoir accès aux fonds du gouvernement et entreprendre de nombreux projets de recherche liés à la viticulture, à l'œnologie et au marketing.
L'Initiative de développement de produits agricoles innovateurs, menée par le gouvernement fédéral, est un exemple d'initiative de recherche dans le cadre de laquelle des universitaires ont établi un partenariat. Ainsi, un partenariat réunissant l'Université Brock, de même que l'institut de recherche, l'organisation Grape Growers of Ontario ainsi qu'Agriculture et Agroalimentaire Canada a pu financer un projet d'une durée de quatre ans, appelé Harvesting Innovation for Growth and Sustainability of the Canadian Grape and Wine Industry, qui vise à favoriser l'innovation en ce qui concerne les vendanges afin d'assurer la croissance et la durabilité de l'industrie viticole du Canada. Ce projet se terminera en 2013.
Grâce à ces fonds, on a pu embaucher des viticulteurs et des œnologues, à qui on a demandé d'effectuer des recherches et de diffuser des renseignements aux gens de l'industrie. Ce programme vise à optimiser la résistance des vignes au froid tout en assurant la qualité optimale des fruits, à offrir des services d'analyse, à recueillir des échantillons avant la récolte, à créer une base de données informatisée sur les alertes relatives aux vignes afin d'aider tous les viticulteurs à établir des stratégies de protection, de même qu'à offrir des ateliers aux viticulteurs de l'Ontario, du Québec et du Canada atlantique.
Dans le cadre de ce projet, un protocole d'entente a aussi été conclu entre le Cool Climate Institute de l'Université Brock et le Centre de recherches agroalimentaires du Pacifique situé à Summerland, en Colombie-Britannique.
D'autres institutions ont aussi été mises à contribution, soit le Vignoble de Brome-Missisquoi, au Québec, de même que le Collège d'agriculture de la Nouvelle-Écosse et l'Université Acadia, en Nouvelle-Écosse. Grâce à ces partenariats, on envisage de créer un réseau national de centres d'excellence pour le secteur vitivinicole.
Une deuxième initiative liée à l'Initiative de développement de produits agricoles innovateurs est l'initiative d'innovation, d'intégration et d'adaptation, qui vise à faire face aux changements climatiques qui touchent le secteur vitivinicole de l'Ontario. Cette initiative est elle aussi financée par le gouvernement, les viticulteurs, l'entité effectuant des recherches sur le vin, la Vintners Quality Alliance, ainsi que les producteurs de vin et les viticulteurs, individuellement. Parmi les établissements partenaires, on compte l'Université Brock, l'Université de Guelph, Environnement Canada et le Vineland Research and Innovation Centre.
Ce projet vise à agir de manière proactive en élaborant des approches qui ont pour but d'atténuer les répercussions des changements climatiques en se concentrant sur la signification des changements climatiques et leurs répercussions sur la viticulture. Comme nous le savons, pour produire du vin, il faut cultiver des raisins. Il faut donc étudier l'instabilité des régimes climatiques, la chaleur excessive, les très grands froids, la sécheresse et les précipitations excessives, leurs répercussions sur les régions viticoles et la résistance des vignes au froid. Quant aux œnologues, ils examinent les styles de vin. Comme nous avons un climat froid, ils doivent déterminer les répercussions du temps froid sur les fruits et la qualité du vin et ce qui peut être fait par les producteurs de vin pour trouver une solution à ce problème ou se débarrasser des saveurs indésirables qui peuvent découler des changements climatiques.
Il s'agit là de deux exemples de partenariats entre l'industrie et le gouvernement, qui permettent d'aborder des enjeux d'importance capitale susceptibles de mettre en jeu la durabilité du secteur vitivinicole au cours des prochaines années et des prochaines décennies.
Il faut également se pencher sur les besoins qui n'ont pas encore été comblés. Ainsi, il faut établir un programme national de certification des vignes grâce auquel les viticulteurs pourront protéger les vignes produites au pays et savoir qu'elles sont exemptes de virus, de parasites et d'autres agents pathogènes. On importe encore un très grand nombre de vignes. Cependant, chaque année, le nombre de fournisseurs européens acceptables diminue, car des maladies et d'autres parasites de quarantaine ont maintenant envahi les pépinières européennes, ce qui pose des risques et diminue la quantité de vignes disponibles au Canada.
Les vignes infectées ne doivent pas entrer au Canada, car il n'y a aucun remède. Si on importait des vignes infectées provenant de ces pépinières, on pourrait ravager des milliers d'acres de vignes productives. Un programme de certification des vins produits au Canada pourrait permettre d'éliminer cette menace et de fournir les vignes nécessaires.
Il faut également établir un réseau officiel de centres d'excellence à l'échelle du Canada, qui permettra d'établir des liens entre les institutions et les groupes d'intervenants de l'industrie de la Colombie-Britannique, de l'Ontario, du Québec et des provinces de l'Atlantique, ainsi que d'assurer la participation du gouvernement fédéral.
Le réseau de recherche pourrait améliorer le processus de collaboration, car il permettrait d'examiner les priorités nationales en ce qui concerne le renforcement de l'industrie vinicole du Canada, d'établir des projets de recherche bien définis et de coordonner les mesures visant à optimiser les activités et le soutien financier. Ce projet pourrait se concrétiser si le gouvernement fédéral finançait un système national.
Il faut aussi procéder à un examen des programmes actuels du gouvernement afin d'accroître la participation de tous les membres de l'industrie. Je pense par exemple au Fonds Agri-flexibilité. Ce programme fédéral doit élargir ses règles afin de permettre aux viticulteurs indépendants d'avoir accès au financement à coûts partagés. Uniquement en Ontario, plus de 125 viticulteurs ont voulu investir près de 12 millions de dollars afin d'avoir accès aux fonds correspondants, mais ils n'ont pas pu le faire, car les règles de ce programme font en sorte que le financement est uniquement accordé aux organisations.
On pourrait également apporter quelques modifications au programme Agri-marketing, qui vise entre autres à établir des stratégies internationales à long terme. Ses critères pourraient être élargis afin d'y intégrer des stratégies relatives au marché intérieur, dans le but d'améliorer ou de promouvoir les vins canadiens, faits entièrement au Canada, de même que les mélanges de vins internationaux et canadiens. Comme je l'ai mentionné, les vins produits au Canada n'occupent plus que 32 p. 100 du marché intérieur canadien, alors qu'en 1988, ils occupaient 48 p. 100 du marché.
Il n'y a pas que la recherche qui est importante. Il est aussi essentiel que les viticulteurs et les producteurs de vin adoptent et mettent en œuvre les résultats des recherches. On pourrait dire qu'il s'agit de mettre la recherche en pratique. Il faut développer davantage les programmes de diffusion de renseignements afin de motiver les producteurs de vin et les viticulteurs de toutes les régions du Canada à adopter ces résultats de recherche. Pour mener ces activités de diffusion, on pourrait se fonder sur des recherches terminées récemment, qui portaient sur la création d'un réseau d'apprentissage vitivinicole. Il s'agit d'un réseau unique qui n'est pas lié au système d'enseignement postsecondaire; il offre de la formation aux membres de l'industrie. En plus d'offrir des ateliers, des séminaires et des rencontres, le réseau d'apprentissage permet d'assurer le transfert des connaissances puisque des membres de l'industrie et des chercheurs élaborent et animent des programmes de formation. Les pratiques de la recherche appliquée et les connaissances collectives peuvent être transmises grâce à de la formation offerte par les pairs, à des séminaires en ligne et à d'autres types de formation. Nous ne devons pas perdre de vue que les idées ou les résultats de recherche ne demeurent que des idées ou des résultats tant qu'ils ne sont pas mis en application.
Nous devons nous assurer que ces résultats sont mis en pratique et mis en œuvre à l'échelle locale. Il reste encore des problèmes à aborder et des besoins à combler, mais par respect pour les membres du comité et les autres participants, je vais terminer mon intervention maintenant en disant qu'il s'agit d'une industrie très concurrentielle à l'échelle locale, nationale et internationale, mais qu'il y a quand même des avantages à travailler collectivement. Tous les secteurs de l'industrie doivent agir collectivement, qu'il s'agisse de la production viticole, de traitement ou du marketing, afin que nous puissions réellement être efficaces, responsables sur le plan environnemental et viables sur le plan économique.
Je remercie le comité de m'avoir écouté.
Josie Tyabji, directrice des producteurs de l'Ouest et des relations avec l'industrie, Vincor Canada : Je viens de la Colombie-Britannique. Je fais partie de l'industrie vinicole de la Colombie-Britannique depuis 27 ans, et j'étais là lorsque l'Accord de libre-échange est entré en vigueur, en 1988. À ce moment, nous occupions 48 p. 100 du marché. J'ai aussi connu l'époque des agences de commercialisation du raisin et j'ai vu beaucoup de changements se produire au cours des 27 dernières années en Colombie-Britannique.
Il y a une chose que bien des gens ne comprennent pas ou ne perçoivent pas en ce qui concerne notre industrie vinicole, et c'est le fait qu'il y a deux industries bien distinctes. Il y a celle des produits fondés à 100 p. 100 sur l'agriculture, qu'on appelle produits VQA, comme beaucoup de gens le savent déjà, et celle des vins d'assemblage embouteillés au Canada, qui sont essentiellement des vins importés et assemblés au Canada afin de nous aider à soutenir la concurrence dans ce secteur.
L'une de ces industries est fondée sur l'agriculture, tandis que l'autre est davantage fondée sur la fabrication. Ces deux industries créent des milliers d'emplois partout au Canada, dans toutes les provinces.
Il y a aussi une autre grande différence entre ces deux secteurs. Les produits canadiens fondés sur l'agriculture doivent être de première qualité et avoir une très grande valeur ajoutée pour être rentables et concurrentiels. Le coût de nos produits fondés sur l'agriculture est très élevé, et étant donné que nous sommes très limités en ce qui concerne la variété de produits que nous pouvons produire au Canada, nous devons être concurrentiels dans les segments de marché de choix en ce qui concerne les produits faits entièrement au Canada. C'est pour cette raison que nos programmes de qualité, par exemple la VQA, sont si importants. Les vins d'assemblage embouteillés au Canada sont plus concurrentiels dans le segment de marché des vins bas de gamme.
En Colombie-Britannique, nous fonctionnons de cette façon depuis l'entrée en vigueur de l'Accord de libre-échange, en 1988. Nous avons créé le programme de la VQA. Les viticulteurs de la Colombie-Britannique profitent en ce moment de très bons retours sur leurs ventes, et le nombre de producteurs de vin ne cesse d'augmenter. Il y a maintenant près de 200 vignobles dans quatre régions de la Colombie-Britannique. Notre prix moyen par tonne continue d'augmenter et est d'environ 2 200 $. Si vous parlez à des gens ailleurs au Canada, ils vous diront que c'est un très bon prix. Le prix de vente moyen d'une bouteille de vin est maintenant 17,50 $. Nos produits fondés à 100 p. 100 sur l'agriculture sont destinés aux segments de marché de choix.
Nous avons maintenant franchi une autre étape en ce qui concerne l'offre. Par le passé, nous avons axé nos efforts presque uniquement sur la Colombie-Britannique. Étant donné que c'est là que se trouvait l'offre, nous avons surtout axé nos efforts sur cette province. Nous sommes maintenant rendus au point où nous devons ouvrir notre marché au-delà des frontières de la Colombie-Britannique et commencer à chercher d'autres marchés de choix ailleurs au Canada et dans le monde. Vous constaterez que c'est ce que nous faisons pour les produits VQA. Les produits assemblés au Canada occupent 26 p. 100 du marché. Les produits VQA, eux, occupent 5,8 p. 100 du marché, et les produits d'importation, 68 p. 100, comme cela a déjà été mentionné. Au cours des dix dernières années, la part de marché des produits assemblés au Canada a diminué de 7 p. 100, et celle des importations a augmenté de 5,5 p. 100. Nous ne parvenons pas à maintenir notre part du marché au Canada.
Je vais vous parler de la contribution de l'industrie des vins canadiens à l'économie du pays. Comme vous le verrez, les vins VQA contribuent davantage à l'économie de Colombie-Britannique qu'à celle de l'Ontario. C'est parce que l'accent a été mis sur les marchés de choix, tandis que dans cette province, il s'agit d'un système de libre marché. Malgré des débuts légèrement plus modestes, essentiellement, les contributions économiques pour le Canada de l'industrie vinicole nationale sont environ 10 fois plus importantes que celles du vin étranger importé. Ainsi, les contributions de l'industrie nationale égalent 8,5 fois celles du vin importé. Au Canada, il est très important, du point de vue économique, d'appuyer les produits canadiens.
L'industrie de la Colombie-Britannique a élaboré une stratégie pour les produits agroalimentaires. Ainsi, l'accent doit être mis sur les produits de qualité. La recherche et le développement sont donc très importants. Le développement des marchés intérieurs et internationaux est une autre stratégie clé, et les programmes Cultivons l'avenir, auxquels participent les gouvernements fédéral et provinciaux, sont également un bon moyen d'élargir nos marchés. Il ne faut pas non plus oublier la concurrence. Notre industrie doit faire des économies et elle doit pouvoir compter sur des règlements qui lui permettront d'être concurrentielle. Lors de la dernière rencontre des intervenants du milieu agroalimentaire, nous avons entre autres mentionné qu'il arrive fréquemment que le Canada s'astreigne à respecter des normes beaucoup plus élevées que le reste du monde. Nous prenons donc des règlements qui empêchent nos produits d'être aussi concurrentiels que ceux qui sont vendus sur notre marché.
En ce qui concerne l'industrie des produits d'assemblage, nous devons continuer de favoriser l'innovation, les nouvelles technologies et les économies et voir à ce que les règlements visant les produits canadiens ne deviennent pas plus contraignants, ce qui ferait reculer encore davantage les fabricants de vin canadien par rapport aux importations.
On a mentionné certains domaines auxquels il faut porter une attention particulière afin de demeurer concurrentiels, et il est très difficile d'assurer la qualité dans l'industrie vinicole. Commençons par la culture des raisins. Même à cette étape, on peut faire différentes choses pour créer un produit de qualité. La plupart des viticulteurs ont cessé de cultiver des pommes ou d'autres produits, qu'ils ont remplacés par les raisins. Il faut suivre une formation exhaustive et se procurer beaucoup d'outils et d'équipement pour cultiver des raisins afin de s'assurer qu'il s'agira de produits de qualité qui assureront notre compétitivité sur les marchés internationaux.
Ceux qui se lancent dans la production du vin constatent qu'il s'agit d'une industrie qui nécessite beaucoup de capitaux. Les barriques, les cuves, les pompes antidéflagrantes et les presses sont des pièces d'équipement uniques à l'industrie vinicole et coûteux, mais pour qu'un producteur puisse offrir des produits de bonne qualité, il doit s'assurer de posséder tout l'équipement requis.
Il ne faut pas non plus oublier les laboratoires et les analyses techniques, qui sont tout aussi coûteux. Certains petits producteurs de vin ne possèdent pas l'équipement nécessaire pour s'assurer que leur produit est de bonne qualité. Après la vinification, il y a aussi l'assemblage et l'embouteillage. Il ne faut pas non plus oublier les ventes et le marketing ainsi que l'étiquetage. Il faut aussi vendre le produit sur le marché, tout en s'assurant d'avoir accès aux réseaux de distribution. C'est une industrie très complexe.
Ce n'est pas tout le monde qui est en mesure de planifier les activités. Il faut franchir plusieurs étapes avant d'assurer l'efficacité et l'efficience des activités. Il faut ensuite faire de la R-D afin de chercher constamment à améliorer la réponse aux besoins de l'industrie.
Il y a six ans, l'industrie a décidé de modifier la taxe d'accise, ce qui a surtout eu pour conséquence de modifier le rapport de force entre l'industrie des vins d'assemblage et l'industrie des vins VQA, laquelle occupe 5,8 p. 100 du marché, tandis que l'industrie du vin d'assemblage, elle, occupe 26 p. 100 du marché. Essentiellement, cette décision a fait en sorte qu'on a prélevé 10 millions de dollars dans les poches de l'industrie du vin d'assemblage. Nous proposons maintenant de réinvestir ces 10 millions de dollars dans l'ensemble de l'industrie, sous forme de fonds d'innovation. Que ce soit dans le cadre du Fonds Agri-flexibilité ou d'un autre programme, les intéressés pourront faire une demande de financement en fonction du volume de vin qu'ils produisent et utiliser ces fonds pour combler n'importe quels besoins, qu'ils soient liés à la culture, aux analyses en laboratoire, à la vinification, aux ventes ou au marketing, ce qui les aidera à assurer la croissance de leur entreprise. Les producteurs de vin pourront ainsi s'occuper de ce qui est le plus important pour eux, car quelle que soit la taille de leur entreprise, ils ont tous besoin d'une aide différente pour pouvoir assurer la croissance de celle-ci. Nous croyons que cela serait très avantageux pour eux.
De nombreux pays ont percé notre marché. La Nouvelle-Zélande, l'Australie et beaucoup d'autres pays bénéficient de subventions qui leur permettent de mener des campagnes de marketing. Lorsqu'ils viennent au Canada, il participent à des foires et vantent les mérites de leurs produits à tout un chacun, alors que nous, nous avons de la difficulté à obtenir les mêmes ressources pour pouvoir faire ce qu'eux font chez nous, car on constate qu'ils commencent réellement à l'emporter sur nous. Nos produits sont aussi bons ou meilleurs que ceux des autres pays, mais nous n'avons tout simplement pas les ressources nécessaires pour les promouvoir aussi intensément qu'eux, mais c'est ce que nous devons commencer à faire.
Je suis convaincue que vous avez tous entendu parler des obstacles au commerce intérieur au Canada, les obstacles interprovinciaux. Il a été très souvent question de cet enjeu dans les médias, et nous sommes d'avis que c'est une situation qui peut se régler assez facilement. Je sais qu'un projet de loi est en ce moment à l'étude à la Chambre. À notre avis, la meilleure approche à adopter dans ce cas serait un système d'exemptions personnelles, et les règlements de l'Agence canadienne d'inspection des aliments et d'autres règlements qu'on examine en ce moment, comme ceux qui portent sur le pays d'origine et d'autres caractéristiques, entre autres, peuvent vraiment menotter l'industrie des vins d'assemblage, et nous ne voulons pas que cela se produise. Nous voulons également continuer de protéger nos marques déposées, par exemple vin de glace et VQA, à l'échelle internationale. Ainsi, lorsque nous percerons d'autres marchés, les gens ne pourront pas copier nos produits. Il est déjà arrivé que d'autres pays tentent de copier nos vins de glace et de les vendre en tant que vins de glace canadiens.
Nous croyons qu'en créant un fonds d'innovation dans le cadre du Fonds Agri-flexibilité, en levant les obstacles au commerce intérieur et en conservant les règlements qui appuient l'industrie canadienne, nous pourrons contribuer à assurer la croissance de celle-ci. Merci.
Walter Schmoranz, président, Pelee Island Winery : Je vous remercie de me donner la possibilité de prendre la parole aujourd'hui. J'en suis très heureux. Je ne savais pas à quoi m'attendre. Chose certaine, je suis aussi bien préparé que ceux qui ont pris la parole avant moi.
M. Ker vous a renseignés sur la situation de notre industrie au Canada, plus particulièrement du point de vue de la recherche. Nous avons un centre de recherche fédéral et un centre de recherche provincial, et M. Ker a fini par comprendre que nous devons travailler en collaboration. Nous avons franchi les premières étapes, mais ce n'est pas terminé. Par le passé, les provinces effectuaient leur propre recherche. Il y avait très peu de liens entre les provinces et le gouvernement fédéral.
Je vais vous parler un peu de moi. Je suis arrivé au Canada en 1985 et je suis président de Pelee Island Winery depuis 1986. Nous avons commencé à cultiver des raisins en 1979. Nous cultivons à peu près 600 acres de vignes à l'île Pelée. C'est l'une des plus petites appellations de l'Ontario. J'ai cru bon d'indiquer sur la carte l'endroit où se situe le comté de Prince Edward, là où l'on trouve la plus petite appellation, par rapport à Ottawa. La péninsule du Niagara est sans aucun doute la plus importante appellation, mais il y a aussi l'île Pelée, la rive nord du Lac Érié et le sud-ouest de l'Ontario. Pour vous donner une idée, nous cultivons environ 15 000 acres de raisins en Ontario. À titre de comparaison, et je m'adresse ici au monsieur du Manitoba, c'est à peu près la quantité de grains que certains producteurs récoltent en un avant-midi dans sa province. Dans notre industrie, il nous faut vraiment beaucoup de temps et de travail pour récolter ce que l'on cultive sur ces 15 000 acres.
Si vous avez suivi l'actualité au cours de la dernière semaine, vous avez sans doute entendu parler du tragique accident qui a eu lieu près de Kitchener. Notre industrie, qui requiert énormément de main-d'œuvre, emploie chaque année près de 20 000 travailleurs étrangers, qui viennent gagner leur vie en Ontario. Ainsi, à mon vignoble, nous embauchons des travailleurs mexicains depuis plus de vingt ans, et nous accueillons maintenant la deuxième génération de travailleurs. C'est une industrie très différente de la plupart des autres industries agricoles avec lesquelles nous travaillons au Canada et en Ontario. Nous avons besoin de beaucoup plus de travailleurs par acre, même plus que dans les vergers. Le travail qu'ils doivent accomplir s'apparente au travail qui est effectué dans les serres, sauf que dans les vignobles, nous ne sommes pas protégés des éléments par du verre ou du plastique. C'est pour cette raison que j'ai cru bon de vous présenter certains problèmes propres au Canada.
Personnellement, je ne crois pas que notre industrie est moins efficace ou moins durable. Je crois que les investissements effectués au cours des 20 dernières années dans l'industrie vinicole du Canada et de l'Ontario nous ont permis d'être à la fine pointe de la technologie et d'atteindre les normes internationales, et parfois même de les surpasser. Au Canada, et plus particulièrement en Ontario, si je puis me permettre de le dire, nous devons composer avec des règles de base et des règlements propres à notre industrie vitivinicole.
Examinons, comme je l'ai dit, les données relatives au volume. L'annexe 2 porte sur le chardonnay, et elle présente la production de raisins de 1988 à 2010 en Ontario, et dans certains cas, les données sont cohérentes. Je dirais qu'il y a encore une tendance à la hausse. Dans d'autres cas, les données semblent complètement illogiques, mais c'est une situation typiquement canadienne. Si vous regardez les données relatives au millésime 1993 ou 1995, et je dirais même 2003, vous constaterez qu'il y a de très grands écarts de production. C'est à cause de nos hivers canadiens. Nous devons composer avec des changements climatiques très importants et nous sommes désavantagés par rapport à d'autres régions du monde qui produisent aussi des raisins. Pour revenir à nos 15 000 acres, à titre de comparaison, l'Allemagne, qui est le pays où je suis né, est l'un des plus petits producteurs de raisins d'Europe, et pourtant, il produit 250 000 acres. Prenons aussi, par exemple, l'une des plus petits régions viticoles des États-Unis, si ce n'est la plus petite : l'État de Washington. On y cultive quand même 18 000 à 19 000 acres.
Du point de vue de l'industrie vinicole mondiale, nous sommes ce qu'on pourrait appeler un petit producteur, mais je crois que c'est lié à notre population. Compte tenu de la quantité de vin qui est consommée dans notre province, nous sommes promis à un brillant avenir.
Les hivers canadiens sont, bien entendu, un problème propre au Canada, et ils peuvent être dévastateurs pour les producteurs de raisins de l'Ontario, mais ils ont quand même un avantage, car ils nous ont permis de produire du vin de glace, qui a fait notre renommée. Comme M. Ker a commencé à en parler, c'est là que l'innovation entre en jeu. D'importants travaux ont été réalisés, que ce soit à l'Université Brock ou au centre de Summerland. On y a effectué des recherches sur ce que l'industrie peut faire pour éviter certains de ces graves problèmes. Nous pourrions exposer de manière détaillée ces systèmes typiquement canadiens qui, je dirais, aident l'industrie vitivinicole, et je crois que c'est peut-être parce que j'ai grandi en Europe que j'ai ce point de vue en ce qui concerne les gens d'ici. Ce que le gouvernement provincial ou fédéral doit faire, c'est offrir une infrastructure qui permet aux entreprises de prospérer. Notre région, et l'île Pelée, sont situées au quarante-deuxième parallèle, donc, relativement au sud. Tout ça est peut- être lié aux changements climatiques, et il faudra peut-être s'y habituer. Oui, en général, il y a un réchauffement climatique, mais les fluctuations seront plus prononcées, et nous avons besoin de soutien pour nous adapter à cette situation. Ce qu'il nous faudrait, c'est de l'équipement approprié.
Dans cet ordre d'idées, j'aimerais parler des précipitations. Il est on ne peut plus clair qu'il y a eu des changements à cet égard au fil des ans. Si on examine les tendances, on constate qu'il n'y a pas eu de sécheresse comme dans l'Ouest. Nous ne sommes pas encore aux prises avec la sécheresse en Ontario, mais les tendances relatives aux précipitations sont tout à fait inhabituelles. Certains jours et certaines semaines, on peut recevoir jusqu'à 100 millimètres de précipitations en moins de 48 heures.
Encore une fois, ce qui nous aiderait, ce serait de disposer de l'infrastructure nécessaire, c'est-à-dire de l'équipement qui nous permettrait de procéder à une inversion de température, de se débarrasser de l'air froid en le repoussant, et de ramener l'air chaud. L'irrigation est aussi un aspect très important, d'autant plus lorsqu'il est question de cultures particulières comme le raisin, et je suis certain que tous les agriculteurs savent de quoi je parle. Il faut savoir quelles sont les subventions directes offertes par les gouvernements fédéral et provinciaux et s'assurer qu'elles demeurent en place et sont même prolongées.
Je suis désolé de le mentionner une fois de plus, mais puisque je suis né en Europe, je me permets de vous montrer très clairement ce qu'il en est des vins nationaux VQA, faits à 100 p. 100 de raisins cultivés en Ontario, en Colombie- Britannique et en Nouvelle-Écosse. Il est aussi question des vins d'assemblage, car c'est cela, l'industrie vinicole. Je me permets de vous remettre un document du Liquor Control Board of Ontario, ou LCBO. Comme nous le savons tous, c'est fort probablement le plus important acheteur d'alcool au monde.
Si vous me suivez, sur ce point exactement, j'ai pris la liberté de mettre les deux pages en évidence. Ce n'est pas très clair, mais la première est la page 828. Dans le coin supérieur gauche, vous y trouverez les vins rouges de table. À la page 829, dans le coin inférieur gauche, se trouve le total à droite. Pour vous embrouiller un peu plus, je vous renvoie aussi à la page 831, sur le vin rosé. Vous y trouverez le total en détail.
Le reste que vous voyez sur ces pages représente nos chers amis et compétiteurs qui vendent leurs produits dans notre système monopolistique, le système de la régie des alcools.
Je ne sais pas comment vous mettre le problème en perspective, mais si mon frère, en Allemagne, a l'idée formidable d'expédier vers la magnifique province de l'Ontario deux ou trois millions de litres de vin de table allemand qui seraient autrement écoulés sur le marché intérieur, le ministère de l'Agriculture de l'Allemagne l'entourera de ses bons soins et veillera à ce que chaque caisse de vin qui sortira de l'Union européenne et sera vendu en Ontario bénéficie d'une bonne subvention.
L'Espagne est un cas encore plus évident au cours des deux dernières années. Ce pays est l'un des producteurs européens de vin les plus importants, pour la superficie cultivée, et il est capable de consacrer des centaines de millions d'euros pour exporter et promouvoir ses produits hors de l'Union européenne.
Les gens qui ne travaillent pas quotidiennement dans cette industrie comme moi seront étonnés d'apprendre qu'il est beaucoup plus facile pour moi de vendre une caisse de vin au Michigan ou même en France que de la vendre à la régie des alcools du Manitoba, de Terre-Neuve ou, pire encore, de la Colombie-Britannique. Une telle situation est une aberration totale aux yeux d'une personne de l'extérieur.
Nous devons nous plier à une réglementation stricte. Nous faisons partie du secteur des boissons alcooliques. À ce que je sache, aucune autre industrie ne doit se soumettre à autant de vérifications provinciales et fédérales que nous. Cela est attribuable, comme nous le savons, aux taxes que nous générons pour les gouvernements provinciaux et fédéral.
Je pense que nous devons comprendre que nous sommes tout à fait capables de faire pousser de la vigne et de fabriquer du vin. Nous avons fait nos preuves au cours des 15 ou 20 dernières années à l'échelle internationale : nous sommes capables d'affronter la concurrence en Italie, à San Francisco et même à Bordeaux, s'il le faut. Mais sur notre propre marché intérieur, nous ne sommes pas capables.
Il est absolument merveilleux de voir qu'au cours des dernières années, la province de la Colombie-Britannique a réussi à ouvrir beaucoup de débouchés pour ses producteurs, même la superficie totale de ses vignobles est relativement petite. Nos vignobles totalisent 15 000 acres, tandis que ceux de la Colombie-Britannique totalisent peut-être 8 000 acres.
Mme Tyabji : Oui, 9 000.
M. Schmoranz : Ils ont plus de 200 vineries, ce qui illustre bien la belle réussite des secteurs vinicole et viticole en Colombie-Britannique. Nous en avons environ 180 en Ontario.
Pourquoi y a-t-il une telle différence? L'explication est assez simple. Le gouvernement de la Colombie-Britannique n'a ménagé aucun effort pour stimuler son industrie et a fourni beaucoup de débouchés aux producteurs. Nous n'avons qu'un seul débouché, et c'est mon magasin de vente au détail dans la belle municipalité de Kingsville, comté d'Essex. C'est le seul magasin de vente au détail où je peux écouler ma production vinicole. J'ai accès à plus de 600 magasins d'alcool, et c'est pourquoi j'en parle dès le début de mon introduction.
Nous devons affronter la concurrence directe de tous les producteurs européens. Je ne m'inquiète pas à propos des 180 vineries de l'Ontario, parce que la plupart d'entre eux n'ont pas la taille qu'il faut pour réaliser des économies d'échelle et n'oseront même pas vendre à un client d'une taille aussi imposante que la régie des alcools de l'Ontario. Pensez-y un peu. Si vous produisez 5 000 ou 10 000 caisses de vin, vous n'avez pas intérêt à les vendre à Walmart. Vous seriez heureux de vendre votre vin à un dépanneur du Québec ou à une petite boutique du centre-ville d'Halifax, mais, si vous êtes un producteur de l'Ontario, il n'y a pratiquement aucune chance que vous y arriviez.
La marge bénéficiaire passablement élevée, c'est évident. Elle revient en totalité à la province, et de bon droit. Toutefois, les subventions vont directement aux programmes qui nous font concurrence directement pour l'espace sur les étalages que nous revendiquons ardemment.
On ne pourrait pas, demain matin, décider d'ouvrir 600 magasins supplémentaires de la régie des alcools en invoquant ses bons résultats, pour qu'elle ait deux ou trois milles additionnels d'étalages. Ce ne serait pas une sinécure, et on le comprend aisément vu la nature monopolistique du système.
Je vous ai montré aussi le prix des raisins. C'est la matière première. Vous venez de nous annoncer que la Commission canadienne du blé disparaîtra peut-être comme on la connaît dans l'Ouest. En Ontario, nous avons encore une sorte de commission du blé, qui ressemble à un office de commercialisation, quoique ce ne sont pas exactement du pareil au même. Un vrai office de mise en marché gère l'offre et détermine qui a le droit de vendre la marchandise sur le marché intérieur.
Dans notre cas, personne ne gère l'offre en provenance du Chili, de l'Afrique du Sud ou de l'Espagne. Nous sommes à mi-chemin entre un monopole de la vente au détail et un office de commercialisation qui achèterait nos fruits. Je suis désolé de ne pas avoir apporté encore plus de données et je voudrais saisir l'occasion. KPMG vient tout juste de publier les résultats d'une nouvelle étude. Si vous le voulez bien, je me permettrai de vous envoyer ce rapport ultérieurement.
La recherche a une très grande importance pour nous. Nous avons besoin de tous les travaux de recherche qui puissent être réalisés et nous avons besoin d'aide, compte tenu en particulier des climats et microclimats uniques de notre pays. Je ne peux pas vous donner le nombre exact de degrés, mais si vous regardez sur une carte le comté de Prince Edward et l'île Pelée, vous verrez que, tout compte fait, la différence de température est facilement de l'ordre de la différence entre l'Alsace et le Sud-Ouest de la France, en altitude.
Nous avons des besoins particuliers. Des études spécifiques doivent être réalisées sur place, et les viticulteurs doivent être appuyés dans leur travail. Je ne m'inquiète pas tellement de la compétitivité et de la viabilité de la production de vin. Les vineries sont pour la plupart assez récentes. Elles sont plus modernes que les anciens systèmes coopératifs en France, en Hongrie et même dans certaines parties du Mexique, par exemple. Je ne suis pas inquiet pour les vineries, mais plutôt pour la viticulture elle-même, qui est la base. Des problèmes se posent concernant des facteurs élémentaires, comme le drainage, les déplacements d'air froid, l'accès à de la matière végétale dénuée de tout virus ou même l'accès rapide aux nouvelles variétés. Résoudre ces problèmes serait tout à fait utile, et les principaux intéressés en seraient des plus heureux.
L'industrie n'est qu'une goutte d'eau dans l'océan du secteur agricole, mais nous rapportons des sommes assez importantes au fisc. Je vous serais reconnaissant de bien vouloir faire entendre mon appel. Il nous serait extrêmement utile que vous puissiez œuvrer auprès des acteurs, de la Colombie-Britannique aux Territoires du Nord-Ouest en passant par Terre-Neuve, pour que nos produits ne soient plus considérés comme des importations en Nouvelle-Écosse ou en Saskatchewan.
Je suis désolé de ne pas avoir été mieux préparé, mais j'espère vous fournir davantage d'information plus tard. Merci beaucoup de m'avoir donné cette occasion.
Le président : Merci, monsieur Schmoranz. Vous vous êtes exprimé clairement.
[Français]
Nous allons maintenant écouter la présentation de M. Pouliot, président de La Face Cachée de la Pomme. Vous pourriez peut-être commencer par nous expliquer la provenance du nom de votre compagnie.
François Pouliot, président, La Face Cachée de la Pomme : Bonjour et merci de m'avoir invité. Je vais tenter de vous faire une bonne présentation malgré le court avis que j'ai reçu de comparaître à votre comité.
Je viens du Québec et je fais du vin, mais avec des pommes. C'est une toute autre sphère d'activités, mais quand même très similaire. La Face Cachée de la Pomme existe depuis 1994, année où j'ai voulu faire du vin. Je me suis alors dit que, comme au Québec le climat est encore très froid, peut-être pourrions-nous faire du vin de glace, mais sans raisins et essayer avec des pommes. De là est né le cidre de glace, de l'idée donc de vouloir faire du vin, mais avec des pommes.
La Face Cachée de la Pomme est un peu comme the dark side of the moon, le côté de la pomme qu'on n'avait jamais vu parce que ça n'avait jamais été fait auparavant.
Le cidre de glace a été inventé au Québec. C'est du vin de glace fait avec des pommes. Par contre, à la différence du vin de glace, il est nécessaire d'avoir des températures extérieures de -20 et -25 degrés celsius pour concentrer la pomme en sucre car la pomme est à moitié moins sucrée que le raisin. Mais à la fin, nous obtenons des valeurs similaires à celles du vin de glace produit avec des raisins. C'est donc issu du Québec où nous avons les deux : des pommes très savoureuses et des grands froids l'hiver.
Quand j'ai commencé en 1994, ce n'était qu'un petit hobby. En 2010, nous sommes maintenant plus de 50 producteurs au Québec fabriquant du cidre de glace. Le cidre de glace est l'alcool du terroir le plus vendu au Québec. À la SAQ, c'est 70 p. 100 des ventes de l'alcool du terroir. Il est vrai que l'alcool québécois représente seulement qu'à peine 1 p. 100 des ventes de la SAQ, mais c'est parti de zéro dollar en 2000 à 14 millions de dollars de vente aujourd'hui dans tout le réseau de la SAQ. Il s'agit d'une très bonne progression en peu de temps.
Nous avons aussi redonné ses lettres de noblesse au cidre. Jusqu'à il y a une quinzaine d'années, le cidre ou le vin de pomme était considéré un peu comme une boisson de deuxième classe. Aujourd'hui, le cidre de glace est reconnu un peu partout dans le monde et dans les foires et concours internationaux. Il y a quelques années, nous n'entrions dans aucune catégorie, mais nous avons ouvert des portes à plusieurs producteurs.
Il y même aujourd'hui des producteurs de cidre de glace en Ontario, en Nouvelle-Écosse et, je crois, en Colombie- Britannique. Ça commence à prendre forme. Même au restaurant El Bulli en Espagne, qui a été le meilleur restaurant au monde, notre cidre de glace Neige y a été servi. Le président Obama est venu au Canada après qu'il ait été élu et on lui a servi le cidre de glace Neige à Ottawa. L'été dernier, lors de leur visite au Canada, le prince William et la princesse Kate, de passage au Québec, se sont aussi vu servir du cidre de glace Neige. C'est donc vraiment devenu une fierté nationale chez nous.
On peut trouver du cidre de glace dans 50 pays. Évidemment, le gros des ventes est toujours au Québec. Nous jouissons maintenant d'une reconnaissance; une définition est enchâssée dans la loi au Québec, réglementée par le Québec et qui définit ce qu'est le cidre de glace. On trouve cette définition dans ma présentation.
Depuis deux ans, nous avons aussi déposé une reconnaissance d'appellation réservée. Au Québec, nous avons le CARTV : le Conseil des appellations réservées et des termes valorisants. Je pense que c'est une première en Amérique. Nous devrions obtenir la reconnaissance de l'appellation d'ici environ 18 mois et c'est un gros avantage. Beaucoup de chemin a été parcouru depuis environ 15 ans.
Nous avons maintenant formé une nouvelle association, qui représente seulement les producteurs de cidre de glace, puisqu'il s'agit d'une catégorie à part des autres produits fabriqués au Québec. Nous avons maintenant un grand besoin de développer et de faire reconnaître le produit à travers le monde. D'ici la fin de l'été prochain, nous aurons mis sur pied un plan de marketing et de développement pour les cinq prochaines années visant autant le Canada que le reste du monde.
Comme les autres témoins l'ont dit, c'est très difficile de vendre dans les autres provinces. Notre produit La Face Cachée de la Pomme est vendu dans 25 pays, dans 30 États aux États-Unis, en France, au Royaume-Uni, en Espagne et au Japon. Mais vendre dans le reste du Canada est très compliqué. Je ne sais pas pourquoi. Nous vendons un petit peu dans les autres provinces, mais c'est vraiment du saupoudrage et c'est très, très compliqué.
Et lorsqu'on arrive dans le reste du monde, nous sommes très petits pour se faire reconnaître par rapport à des associations comme celles pour le porto, le cognac et le xérès en Espagne, qui sont nos compétiteurs. Je crois que nous avons besoin d'aide pour développer autant le marché canadien que le marché international. Il y a un potentiel énorme à ce niveau.
L'autre raison pour laquelle nous avons vraiment besoin du gouvernement fédéral, c'est que le jour où nous aurons notre appellation réservée et reconnue, il faudra la protéger. Présentement, d'autres pays ont commencé à trouver notre produit intéressant et à nous imiter. Il y a de tels producteurs aux États-Unis au Vermont, au Wisconsin; des producteurs au Danemark, en Suède, en Suisse, en Allemagne. Et là, il y a un producteur en Espagne qui veut nous imiter, mais ils n'ont évidemment pas notre climat; ce n'est donc pas du vrai cidre de glace.
Bien qu'utilisant la pomme, nous aimerions aussi être considérés comme les producteurs de vin pour être en mesure de bénéficier de votre aide et de votre support pour nous défendre et faire respecter cette appellation au niveau international et au Canada.
J'aurais aimé vous donner davantage de pistes à savoir comment vous pourriez nous aider, mais j'ai manqué de temps dans mes recherches pour trouver des moyens. Ce sera le grand défi, une fois que nous aurons notre appellation que de nous faire aider pour la faire respecter dans le monde.
Quand je suis arrivé à Hemmingford, l'industrie de la pomme était vraiment en déclin. Le verger que j'ai acheté comptait à l'époque cinq hectares. Nous y avons planté 16 000 pommiers et nous cultivons présentement sur 50 hectares. Presque tous les vergers des voisins n'ont pas fait couper leurs pommiers et d'autres voisins commencent à replanter des pommes. C'est un bel essor pour l'économie locale.
Dans mon entreprise, nous comptons 22 employés, alors qu'en 2000 il n'y avait que ma femme et moi. En plus, des voisins ont commencé à faire comme nous. Cela génère donc une bonne économie régionale.
Nous avons aussi fait de la recherche pour trouver des pommiers. Au départ, nous croyions que toutes les pommes tombaient par terre. Maintenant, j'ai environ 10 000 pommiers de variétés de pommes qui restent dans les arbres. Voyez les photos ici et vous pourrez vous rendre compte qu'il ne s'agit pas de folklore. J'ai vraiment des parcelles de pommiers qui gardent leurs pommes. Nous avons terminé de récolter les pommes ce week-end, donc au début février, et les arbres étaient encore plein de pommes.
Nous avons travaillé avec des stations à Saint-Jean, et il y en a d'autres pour lesquelles c'est tout à fait par accident que j'ai découvert que les pommes restaient dans les arbres.
Donc c'est aussi appréciable d'avoir de l'aide pour faire de la recherche et des cultures. ela conclut ma présentation.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Pouliot. C'est très bien présenté, nous l'apprécions.
[Traduction]
Hanspeter Stutz, président, Domaine de Grand Pré : Merci de m'avoir invité à témoigner devant votre comité. En tant que représentant de l'une des plus nouvelles régions productrices de vin au Canada, je suis vraiment heureux d'avoir cette occasion. J'ai acheté une vinerie ou plutôt ce qui en restait, au début des années 1990. C'était le plus ancien établissement du genre dans la région de l'Atlantique. Nous possédions quatre vineries alors. Nous avons célébré l'ouverture officielle en 2000. Nous avons tout changé en Nouvelle-Écosse. À dire vrai, le vin était imbuvable auparavant. Douze ans plus tard, nous possédons 16 vineries.
Il n'est pas facile de parler de l'innovation en agriculture, de manière générale, sans connaître le but de votre comité. C'est un sujet très vaste pour un exposé de 10 minutes seulement.
Vous souhaitez entendre le point de vue des producteurs, mais il est très important d'inclure aussi celui des consommateurs dans votre démarche. J'imagine que les politiques et les stratégies agricoles canadiennes devraient garantir une production alimentaire adéquate et la viabilité des entreprises productrices. Elles devraient comprendre des mesures pour régler les problèmes de changements climatiques, de bilan hydrique et de biodiversité, pour ne nommer que ceux-là.
J'ai constaté que les consommateurs recherchent des produits de haute qualité, répondant à des normes élevées, mais que ces produits doivent être abordables pour l'ensemble des Canadiens. Les normes devraient comprendre l'origine géographique, l'usage d'ingrédients traditionnels et la transformation dans le but de favoriser les méthodes de culture organique. Grâce à de telles normes, les produits du Canada pourront être vendus et sur le marché intérieur, et sur les marchés étrangers.
Il serait souhaitable que les éventuelles mesures fédérales concernant l'innovation en agriculture ainsi que la transformation et la fabrication de produits alimentaires favorisent une hausse de la productivité ainsi qu'une réduction de certains effets néfastes sur l'environnement. Cependant, avant d'entreprendre une discussion en profondeur sur l'innovation, nous devons nous assurer que le consommateur et le producteur agricole poursuivent les mêmes objectifs. Nous devons nous assurer de l'adhésion des deux groupes.
À propos des consommateurs, nous avons besoin de savoir quelles perceptions et quelles attitudes sont prédominantes et quels domaines auraient le potentiel de susciter leur adhésion? À propos des agriculteurs, il faut se demander prioritairement quelles perceptions et quelles attitudes les incitent à adopter des innovations dans leur exploitation agricole. Quelle utilité ont les innovations pour éclairer les décisions et modifier les méthodes de travail, du point de vue de la gestion de l'exploitation? Quelles seront les conséquences des innovations pour l'industrie agricole canadienne dans son ensemble? Nous devons comprendre les interactions entre les consommateurs et les agriculteurs lorsque nous nous penchons sur la question de l'innovation dans le secteur agricole.
De mon point de vue, le principal facteur en cause est la compréhension et l'acceptation des innovations dans le secteur agricole. Il est important que les consommateurs accueillent favorablement les innovations. Pour eux, c'est une question de la plus haute importance. Les producteurs jouent donc un rôle vital dans la chaîne alimentaire et ont une grande responsabilité.
Est-ce une source de tensions? Les innovations susceptibles d'avoir des répercussions néfastes dans le domaine agricole concernent l'agriculture industrielle, notamment l'élevage intensif, l'utilisation de produits chimiques, les cultures génétiquement modifiées. Je pense que les gens s'intéressent peu à l'innovation dans le secteur agricole parce que les nouveautés et les techniques ne sont pas apparentes dans la consommation quotidienne de nourriture. L'innovation est un changement abstrait dont le consommateur n'est pas nécessairement conscient à moins que ce changement soit visible.
Les innovations d'ordre technique ne constituent pas la solution idéale parce qu'elles ne sont pas compatibles avec l'image que se font les consommateurs d'une agriculture « proche de la nature ». Voilà une réflexion très générale sur la vision et les comportements des consommateurs. Il existe une autre perception de l'innovation en agriculture, qui repose davantage sur le développement des produits ou sur la question de la valeur ajoutée. La question du développement des produits et de l'innovation fera toujours l'objet d'une très vaste discussion, mais tâchons d'envisager cette question avec une vue d'ensemble.
Lorsque je reçois des étudiants d'un collège communautaire dans ma vinerie, dans le cadre d'une visite guidée spéciale, je leur indique toujours que les deux problèmes les plus importants que le monde devra affronter au cours des 100 prochaines années sont le problème de l'eau et celui des terres agricoles. Les jeunes agriculteurs en sont-ils conscients? Selon moi, la formation dans le domaine agricole devrait être la priorité absolue. Lorsqu'on apprend par la pratique et qu'on s'en tient aux pratiques du passé, sans égard aux changements, la formation est insuffisante. C'est sur la formation que reposent la créativité et l'innovation dans le domaine agricole.
Il faut également se tenir au courant des derniers développements dans le domaine agricole et dans l'ensemble de la chaîne de production alimentaire. Les agriculteurs devraient pouvoir faire des voyages, visiter des expositions et des foires intéressantes, avoir la chance de vivre des expériences pratiques dans des régions intéressantes hors du Canada. Il devrait en être de même du personnel enseignant dans les collèges communautaires. La planète est petite, et nous devons savoir ce qui se passe un peu partout.
Par exemple, notre entreprise produit un produit de haut de gamme fabriqué à base de pommes. J'ai apporté récemment une bouteille en Suisse, et on m'a demandé là-bas quelle sorte de pommes j'utilisais. Nous utilisons des McIntosh et des Cortland. On a réagi en me disant que la plupart des producteurs suisses avaient éliminé les vergers de pommes McIntosh il y a des années, car les consommateurs ne voulaient plus de cette variété de pommes. En Nouvelle- Écosse, 50 p. 100 des pommiers actuels donnent des pommes McIntosh.
Nous devons encourager les agriculteurs à innover et à créer davantage, à découvrir les tendances. Nous devons les récompenser pour leurs innovations. Je le fais régulièrement pour nos entreprises, en Europe, aux États-Unis et dans d'autres pays.
Parallèlement aux innovations réalisées dans les exploitations agricoles, les centres de recherche des provinces devraient jouer un rôle important pour les agriculteurs. Ils pourraient constituer un instrument formidable pour aider les immigrants souhaitant implanter une production nouvelle et originale dans une région. Malheureusement, personne n'a encore eu cette idée. Il faut inciter les immigrants à prendre des initiatives susceptibles de donner de bons résultats et de constituer un bon apport à notre économie.
Une région agricole de la Nouvelle-Écosse a mis en vente 50 000 acres de terres agricoles inutilisées. Les prix demeurent raisonnables parce qu'il n'y a pas encore de pénurie. Il existe manifestement de belles occasions à saisir en Nouvelle-Écosse quand on connaît le prix des terres là-bas comparativement au prix ailleurs. Une acre de terre agricole en Nouvelle-Écosse coûte entre 2 500 et 4 000 $. La même superficie en Suisse atteint des prix vertigineux oscillant entre 30 000 et 50 000 $. Évidemment, nous pourrions cultiver de la vigne le long de la chaîne du mont Nord, sur une distance d'environ 50 kilomètres, mais nous serions rapidement obligés de résoudre le problème de l'écoulement de la production additionnelle de vin dans le bassin de population de la Nouvelle-Écosse, qui est d'environ 1 million d'habitants. Ce problème est causé par les barrières qui empêchent actuellement les producteurs de vendre leurs vins dans les autres provinces.
Il est plus facile pour notre vinerie d'expédier 20 caisses de vin à Pékin, en Allemagne, à Dubaï ou en Suisse que d'en expédier une seule dans la province voisine, le Nouveau-Brunswick. C'est certainement contre-productif pour l'atteinte de nos buts et objectifs communs. Nous sommes au XXIe siècle, et nous avons besoin d'un marché intérieur complètement ouvert pour les entreprises privées, qui doivent pouvoir vendre librement leurs produits aux commerces autorisés à vendre des alcools. Le Comité de l'agriculture devrait prendre le taureau par les cornes et changer la façon de faire actuelle, qui est vétuste. Nous sommes tous producteurs du même pays. Nous devons penser comme des Canadiens et sortir du carcan provincial.
Par ailleurs, nous devrions limiter l'importation des produits étrangers et nous concentrer sur la mise en marché des nôtres. Aucune région vinicole au monde n'a une politique comme la nôtre. Nous sommes la risée de beaucoup de pays producteurs de vin. Nous devions nous efforcer d'être de classe mondiale, mais avec nos politiques actuelles, qui limitent nos débouchés, ce n'est pas possible. Votre aide est nécessaire dans ce dossier. Les petites et moyennes vineries qui innovent n'ont aucune chance dans l'environnement actuel, et les grands joueurs du marché se moquent de nous. Le Canada a des règles archaïques en ce qui concerne l'importation du vin, la viticulture ainsi que la production et la commercialisation du vin. Les tracasseries administratives que nous subissons font le bonheur de nos concurrents étrangers. Elles doivent disparaître. L'industrie du vin au Canada s'est transformée et a le potentiel de continuer son évolution, mais nous devons changer les règles.
Permettez-moi de vous parler d'une autre question relative à l'innovation et aux consommateurs. Le Domaine de Grand Pré produit un cidre que les critiques gastronomiques et les connaisseurs en vin de partout au Canada considèrent comme le meilleur cidre jamais produit au pays. Il est fabriqué entièrement avec des pommes de la vallée d'Annapolis, où se trouve notre vinerie. Nous payons aux producteurs de pommes un prix équivalant à 100 ou 150 p. 100 du prix payé par un producteur local de jus appartenant à une société québécoise. Nous avons commencé à vendre nos produits dans les meilleures boutiques de produits gastronomiques en Europe, notamment dans la capitale allemande, Berlin. Nous avons fait deux fois une demande à la régie des alcools de l'Ontario pour qu'elle mette nos produits sur sa liste, et ces demandes ont été refusées les deux fois. La régie ne vend pas un seul produit de cette qualité. La plupart des produits qu'elle vend ont un taux d'alcool beaucoup plus élevé. Ils sont fabriqués à partir d'un concentré chinois, auquel on ajoute de l'eau. Le plus grand importateur est une société du Royaume-Uni qui vend ses produits aux États-Unis. À titre d'entrepreneur et d'industriel canadien d'origine suisse, je considère cette approche en matière de commercialisation comme certainement contraire à notre objectif à long terme de produire et de commercialiser des produits canadiens de la plus haute qualité.
En tant que représentant de notre industrie, je vous lance un appel en vous rappelant nos objectifs communs de renforcer la présence canadienne dans notre marché canadien. Le projet de loi visant à modifier les barrières nuisant au commerce interprovincial des alcools produits par le secteur privé au Canada est un bon début. Nous pourrions au moins être à armes égales avec nos concurrents. N'y avons-nous pas droit? J'espère que vous renforcerez l'industrie canadienne et que les produits étrangers passeront au second rang. Si le marché intérieur nous est ouvert, il y aura plus d'intérêt pour l'innovation dans notre pays.
Le président : Félicitations aux témoins. Nous enchaînons avec les questions des sénateurs.
Le sénateur Plett : Merci pour vos excellents exposés. Je pourrais sans doute vous poser des questions pendant 45 minutes, mais, compte tenu du temps que nous avons, je me limiterai à quelques-unes.
Premièrement, concernant le projet de loi C-311, vous nous avez tous dit que les barrières au commerce interprovincial constituaient un problème pour vous. Nous en avons discuté au Sénat auparavant. Nous avons entendu des témoins et discuté de cette question. Or, comme vous le dites, il existe dorénavant un projet de loi. Nous sommes passablement convaincus que ce dernier recueille des appuis substantiels.
Cette question des barrières au commerce interprovincial constitue-t-elle 50 p. 100 de vos problèmes ou 25 p. 100? Quelle sera l'importance du progrès que nous permettra de réaliser le projet de loi? Quelqu'un peut-il répondre à cette question?
Mme Tyabji : C'est à coup sûr une partie très importante de l'équation pour les petits producteurs, soit pour un grand nombre de vineries un peu partout au Canada. Pouvoir offrir directement leur vin ou leur cidre aux consommateurs, dans les commerces qui vendent des alcools n'importe où au Canada constituerait de nouveaux débouchés, en particulier pour les petits producteurs agricoles. Lorsqu'une entreprise est d'assez grande taille, elle a la possibilité de profiter des marchés étrangers, mais un tel projet de loi serait certainement utile pour les petits producteurs.
M. Pouliot : Il y a deux sortes de barrières. Nous ne pouvons pas offrir nos produits aux consommateurs de partout au Canada, et faire tomber cette barrière serait bénéfique pour les petites vineries. En outre, il est difficile, sinon impossible, de vendre nos produits aux régies des alcools des autres provinces, parce qu'elles considèrent nos produits comme du vin importé. Notre vin n'est pas considéré comme un produit du pays.
Le sénateur Plett : M'est-il possible quand même d'acheter une bouteille de Mission Hill en Ontario?
Mme Tyabji : Pas directement. Il vous faut passer par la régie des alcools de l'Ontario et en demander une caisse. Par exemple, si vous revenez du vignoble Mission Hill, dans la vallée de l'Okanagan, vous pourriez commander quatre bouteilles de chacun des trois produits qui proviennent de là-bas et que vous aimez. À moins qu'ils en aient déjà dans leurs magasins. Même si vous vouliez communiquer avec la vinerie et commander une caisse contenant une variété de ses produits, vous ne pourriez pas le faire actuellement.
M. Ker : Permettez-moi de vous expliquer. La possibilité d'acheter un vin étranger dépend de ce que la régie des alcools de l'Ontario veut bien mettre sur sa liste de produits à vendre. Or, la régie ne voudra pas vendre un produit si elle ne peut pas en acheter une quantité suffisante pour l'offrir dans tous ses magasins, ce qui signifie une grande quantité. Beaucoup de petits producteurs ne sont pas capables de produire de telles quantités de vin, ce qui fait que leurs produits ne peuvent pas être vendus sur les rayons de la régie des alcools de l'Ontario. En tant que consommateur, vous êtes chanceux si le vignoble Mission Hill est prêt à vendre le vin que vous désirez. Mais s'il y a un sauvignon blanc que vous aimez et que Mission Hill n'est pas capable d'en produire une quantité suffisante, la régie n'en vendra jamais, et ce vin ne sera pas disponible en Ontario. Vous vous demandez alors si vous pourriez acheter le vin directement. Or, ce n'est pas permis, ce qui fait que les deux issues sont bloquées actuellement. Les producteurs capables de produire en grande quantité verront leurs produits arriver sur les étalages. Sinon, comme on l'a dit, vous ne pouvez pas acheter un vin qui n'est pas produit en assez grande quantité pour satisfaire Walmart. En tant que consommateur, si vous n'êtes pas prêt à vous contenter de ce qu'offre Walmart, c'est tant pis pour vous.
Le sénateur Plett : Le projet de loi C-311 va-t-il assez loin?
Mme Tyabji : C'est un moyen important pour donner aux vineries l'accès aux marchés de l'ensemble du Canada.
M. Schmoranz : C'est un premier pas dans la bonne direction pour 180 vineries. Beaucoup d'entre elles sont capables de produire environ 5 000 à 10 000 caisses. Si elles pouvaient mettre directement sur les marchés 20 p. 100 de leur production, elles y trouveraient un énorme avantage. Ne perdons pas de vue que, dans le vaste pays qui est le nôtre, il n'est pas facile d'expédier une caisse de vin depuis Kingston, en Ontario, à destination de Thunder Bay. Le prix de vente sera considérablement plus élevé, mais c'est un excellent premier pas. La différence serait énorme, en particulier pour les vineries dont les produits sont destinés aux petites boutiques spécialisées.
M. Ker : Au cours de l'été, j'étais en Colombie-Britannique. Un touriste était parti de l'Alberta pour se rendre en Colombie-Britannique et voulait y acheter du vin. Mais à 40 degrés Celsius, on lui a déconseillé de mettre trois caisses de vin dans sa petite voiture pour les emporter chez lui, ce qui les aurait exposées à la chaleur. Aurait-il pu se faire livrer le vin chez lui? Non, parce qu'il habitait en Alberta. Pour cette vinerie, c'est une restriction sévère. Dans ce cas précis, elle n'a pu vendre les trois caisses de vin parce que l'acheteur potentiel ne pouvait pas se les faire livrer à cause de l'imposibilité de traverser une frontière provinciale.
Le sénateur Plett : Pourtant, quand je me suis rendu en Australie, j'ai fait expédier une caisse de vin chez moi.
M. Ker : Je reviens tout juste d'un voyage de trois semaines pour faire le tour de l'industrie vinicole australienne et j'aurais pu me faire expédier tout le vin que j'aurais voulu au Canada. Cependant, pour me faire livrer du vin depuis la Nouvelle-Écosse — où j'ai rencontré M. Stutz et d'autres producteurs —, c'est infernal.
M. Stutz : Il y a une autre dimension au problème. En Nouvelle-Écosse, nous savons que beaucoup de gens des Maritimes travaillent en Alberta et en Colombie-Britannique. Ils voudraient acheter le vin de leur province. La dimension touristique fait partie du problème, dans son ensemble, et non uniquement la question du vin lui-même.
Je crois qu'une petite vinerie vendrait ainsi 10 p. 100 de sa production. Or, un tel pourcentage vendu au détail correspond à une quantité importante pour une petite vinerie. Sur un total de 7 000 à 10 000 caisses, cela ferait 1 000 caisses vendues au prix du détail, auquel ne serait pas ajoutée la marge bénéficiaire délirante de la régie des alcools. C'est l'un des principaux éléments.
Vous le savez peut-être déjà, mais je vous précise que notre situation est formidable en Nouvelle-Écosse en raison du traitement qui nous est réservé par notre régie des alcools. Je connais des vineries en Ontario qui rêvent d'une situation pareille. La marge bénéficiaire était auparavant de 133 p. 100. Ils sont venus me voir dans ma vinerie et m'ont dit qu'ils voulaient vendre mon vin dans leurs magasins. Sur un prix de vente au détail de 14,50 $, il me serait revenu 4,90 $, à ce qu'ils me disaient. C'est la marge bénéficiaire normale. Je leur ai donc dit d'oublier mon vin. Devant leur air interloqué, je leur ai répété qu'ils n'auraient pas de vin Grand Pré pour leurs magasins, car il m'est impossible de produire un vin de haut de gamme pour 4,90 $.
Beaucoup de discussions ont suivi et, bien entendu, des études d'impact économique effectuées dans les secteurs agricole et touristique ont abouti à des conclusions très claires, dont la Chambre des communes a pris connaissance. C'est pourquoi, depuis le 1er janvier 2008, la marge bénéficiaire n'est plus que de 43 p. 100, ce qui fait qu'un vin vendu 14,50 $ dans un magasin me rapporte 8,50 $, c'est-à-dire un prix acceptable. C'est même très bien parce qu'ils s'occupent de tout. Je n'ai qu'à livrer mon produit dans un entrepôt. L'avantage de pouvoir vendre dans ces magasins est énorme, mais pas si la marge bénéficiaire est trop élevée. Son problème n'est pas seulement qu'il ne peut pas vendre ses produits dans les magasins d'alcool des autres provinces, mais aussi qu'on applique une marge bénéficiaire délirante aux produits canadiens.
Le sénateur Plett : Nous pourrions poursuivre indéfiniment la discussion sur cette question. Je voudrais poser une autre question dans le premier tour de table, et c'est peut-être tout le temps que j'aurai.
Vous demandez une subvention annuelle de 10 millions de dollars. Dans la liste de ce que vous offrez en échange, vous dites que vous créeriez 1 700 emplois à temps plein et que vous généreriez 80 millions de dollars en recettes fiscales fédérales et 230 millions de dollars en recettes fiscales provinciales, pour un total de 340 millions de dollars de retombées économiques dans une production à valeur ajoutée. Cette dernière somme engendre les recettes fédérales et provinciales. Demandez-vous des subventions aux provinces également? L'avantage économique pour les provinces me semble être beaucoup plus important que pour l'État fédéral, alors je tiens pour acquis que vous leur avez demandé la même somme.
M. Schmoranz : Vous venez de toucher un point fondamental. Je pense que nous devons tous admettre que c'est un dossier qui relève beaucoup plus des provinces que du fédéral. Cela ne fait aucun doute dans mon esprit. Vous pourriez néanmoins nous aider à ouvrir des portes, d'une manière ou d'une autre.
Le sénateur Plett : Nous serions heureux de faire valoir votre point de vue auprès des gouvernements provinciaux.
M. Schmoranz : En Ontario, ce qui est incroyable pour les gens de mon industrie, c'est que nous devons répondre à six ministères. Si vous êtes un producteur de grains, vous n'avez qu'à vous adresser au ministre de l'Agriculture pour que des mesures soient prises. Dans mon cas, en tant que viniculteur, je dois notamment m'adresser au ministre des Finances, qui est aussi, croyez-moi, très bien connu de la régie des alcools de l'Ontario. Nous nous trouvons constamment dans des situations difficiles.
Je pense qu'on a très bien expliqué que les marges bénéficiaires de 110 p. 100 pour les gens de l'extérieur reviennent pratiquement à leur demander de jouer leur argent au casino. Ce n'est pas inhabituel. Ne nous mettons pas la tête dans le sable.
Ce qui, en revanche, serait très inhabituel, ce serait qu'un viniculteur de l'État de Washington soit obligé de faire affaire avec le distributeur et détaillant, puis de vendre son produit avec une marge bénéficiaire plus élevée pour ce dernier s'il voulait le vendre dans l'État de la Californie, qui est plus peuplé et dont le marché est plus important. Tout producteur californien souhaitant vendre son vin à San Francisco n'a qu'à le mettre dans sa camionnette et à le déposer chez le détaillant.
Dans notre industrie, nous ne pouvons pas nous entendre avec un détaillant, même pas dans notre propre patelin, pour qu'il prenne une marge bénéficiaire raisonnable. Nos produits sont considérés comme des importations, et même pire. Simplement pour vous donner une idée du type de jeu que nous ne pouvons pas jouer, je pourrais vous nommer de jolis noms de sociétés espagnoles qui annoncent l'arrivée de deux nouveaux produits sur le marché ontarien en payant un demi-million de dollars pour s'assurer que ces produits sont bien en vue, partout dans les étalages de tout le réseau de la régie des alcools, pour les six prochaines semaines. Nous ne pouvons pas jouer ce jeu.
Je suis heureux d'entendre M. Stutz me dire quelle est la marge bénéficiaire dans sa province. J'adore les gens de la Colombie-Britannique. Non seulement leur régie des alcools obtient d'excellents résultats, mais les viticulteurs de cette province ont leurs propres magasins, où les établissements possédant un permis de vente d'alcool peuvent s'approvisionner et où on livre directement aux clients.
La Colombie-Britannique est pour nous un très bon point de comparaison, et il est intéressant de savoir ce que vaut un hectare ou une acre de terre agricole en Suisse. Si le prix est de 2 000 $ dans la vallée d'Annapolis, où se trouve son exploitation, s'il est de plus de 10 000 $ dans la péninsule du Niagara, mais encore de 3 000 $ ou peut-être 4 000 $ dans mon petit coin du sud-ouest ontarien, parce que les services en général manquent, le prix en Colombie-Britannique atteint, lui, pratiquement le niveau des prix en Suisse.
Mme Tyabji : Si je puis me permettre de répondre à la question à 10 millions de dollars, je vous dirais que la raison pour laquelle nous avons demandé cette somme au gouvernement fédéral est qu'il y a cinq ans, il a augmenté la taxe d'accise sur le vin de coupage. C'est ainsi que 10 millions de dollars ont été prélevés sur les ventes de notre industrie à destination des coffres fédéraux. Par conséquent, nous voudrions ravoir cette somme pour nous en servir dans le but de bâtir notre industrie.
Le sénateur Plett : Bonne chance à vous.
Le sénateur Mercer : Merci à tous d'être présents aujourd'hui. Je n'habite pas très loin de M. Stutz, à Grand Pré. Je me trouve un peu plus loin sur la route, au mont Uniacke.
Le sénateur Plett a quitté la salle, mais je n'ai pas entendu le mot « subvention ». J'ai compris qu'on souhaitait la création d'un fonds d'innovation de 10 millions de dollars. C'est plutôt ce que j'ai compris. Il n'a jamais été question d'une subvention ou de verser tout bonnement 10 millions de dollars aux viniculteurs du pays. Il s'agirait d'investir 10 millions de dollars dans le secteur vinicole des provinces productrices de vin. Nous voulons que ce soit clair.
Il me semble que nous devons faire entrer ce pays malgré lui dans le XXIe siècle en ce qui concerne le commerce interprovincial. Je pense que, bien que cette idée ait beaucoup de sens aux yeux des gens de l'industrie, nous devons nous attendre à nous heurter à un problème. Tôt ou tard, quelqu'un nous trouvera une objection, par exemple, qu'on préfère limiter le commerce interprovincial.
Il y a quelques années, notre comité a effectué une étude sur la production à valeur ajoutée, dans laquelle nous avons accordé beaucoup d'attention au secteur vinicole. Des gens de partout au pays ont très bien coopéré avec nous et sont venus nous parler de ce secteur. Il était question d'ajouter de la valeur aux produits dans tout le secteur agricole, mais particulièrement aux produits qui sortent des exploitations agricoles. Le secteur vinicole est bien connu pour sa production à valeur ajoutée, car vous vendez du vin et des raisins au détail, dans les restaurants ainsi que dans vos vineries, sous forme de produits promotionnels.
Quelle est la répartition de vos recettes entre les ventes de vin, les ventes de raisin et les autres ventes au détail en général, qu'il s'agisse de nourriture ou d'autres produits?
M. Schmoranz : Je n'ai pas l'étude de KPMG sous la main actuellement, mais je vous la ferai parvenir la semaine prochaine, c'est promis. Pour simplifier, disons que si le prix moyen en Colombie-Britannique est de 2 000 $ la tonne de raisins ou de 2 $ par kilogramme, le prix moyen en Ontario serait d'environ 1 $ ou 1,20 $ pour des raisins de classe 9 ou moins. Avec un kilogramme de raisins qui se vendrait 2 $, on peut fabriquer pour environ 3 $ de vin vendu en vrac. L'emballage est joli ainsi que les étiquettes. Si vous le vendez à des touristes, vous en obtiendrez peut-être 6 $. La régie des alcools ajoute une marge bénéficiaire qui varie entre 65 p. 100 dans notre province et 110 p. 100 ailleurs. Je pense qu'au Québec, elle est de près de 100 p. 100. C'est très courant. Voilà comment on tire profit de la valeur ajoutée.
Je suis heureux que vous ayez parlé de cette question. Je crois que cette étude est beaucoup plus claire à cet égard que les explications que je pourrais vous donner. Il faut s'ôter de l'esprit qu'il s'agit d'une bande de propriétaires tirés à quatre épingles de fastueuses vineries de château, en train de quémander des cadeaux en argent.
La région en bénéficie sur le plan touristique, et il y a une différence entre la culture commerciale à court terme et la culture à long terme, comme celle des raisins et des pommes. Le retour sur l'investissement dans un verger n'arrive pas comme une récolte de fèves de soya ou de maïs, après avoir ensemencé un champ. Un investissement assez important dans des vignes, qui peut atteindre 20 000 $ sans compter le prix de la terre, ne rapporte qu'au bout de 12 à 15 ans, dans le cas d'un bon producteur, et les ceps d'un vignoble ont une espérance de vie de 20 ou 22 ans dans notre climat rigoureux. Nous devons œuvrer à long terme, dans notre secteur. Notre approche consiste à travailler fort pour augmenter notre clientèle.
Dans quel autre secteur agricole est-il possible de voir les porcelets et la saucisse prête à consommer au même endroit? Nous cultivons la vigne, nous faisons le vin, nous lui apposons notre étiquette et nous le présentons au client. Très peu de producteurs agricoles participent aussi directement à toutes les étapes allant de la production de la matière première jusqu'à la commercialisation du produit fini. C'est un cas unique.
Il peut sembler pompeux de parler de « viticulture ». On y trouve le mot « culture ». Nous cultivons le paysage. Le paysage change de forme en raison de la culture de la vigne. Un champ pourrait être jaune une année parce qu'on y plante du tournesol, puis changer de couleur parce qu'on y fait pousser du blé. Cependant, avec la vigne, on change le paysage totalement.
Nous demandons des investissements à long terme. Nous voulons un drainage adéquat de nos vignobles. Nous avons parlé de choses simples, comme une forme ou une autre d'équipement pour pousser l'air froid. Nous avons besoin d'une infrastructure de base, et non du dernier gadget ou de la dernière innovation provenant du Japon. Nous avons besoin d'un solide investissement dans l'infrastructure. Pour une vinerie, il peut s'agir d'achats aussi simples que des cuves en acier inoxydable, bien que cela paraisse peu romantique, ou encore d'un système de traitement de base de l'eau. En tant que contribuables, nous ne rapportons pas seulement beaucoup aux provinces. Dans mon cas particulier, ma petite vinerie qui produit 400 000 caisses par année verse facilement 140 000 $ en taxes à la municipalité. Oui, nous utilisons les centres de traitement. Nous avons besoin d'argent pour l'infrastructure de base.
M. Stutz : Vous parlez de production à valeur ajoutée. On peut envisager la question sous l'angle des retombées économiques ou de la valeur ajoutée. Je vois deux autres façons de mieux produire, par rapport à ce que nous faisons actuellement. Pour revenir à la question des innovations de départ, permettez-moi de vous parler de ma visite dans un magasin Costco de la Nouvelle-Écosse. J'y ai trouvé une bouteille d'un litre de jus de pomme produit en Suisse. Qu'est- ce que nous fabriquons avec du jus de pomme suisse au Canada? Pour moi, c'est mauvais signe. L'industrie n'est pas capable de produire un jus de pomme de haut de gamme. C'est vraiment dommage. Voilà un exemple très simple. Dans un marché Costco, croyez-le ou non, on peut trouver du jus de pomme produit en Suisse et vendu dans une bouteille de verre. C'est mauvais signe. C'est mauvais pour l'industrie. C'est mauvais pour les producteurs de fruits et les entreprises de transformation. Que sommes-nous en train de faire?
Le sénateur Mercer : Je voudrais reprendre la discussion au sujet de la somme de 10 millions de dollars qui serait investie dans un fonds d'innovation pour développer la qualité des produits. Vous avez employé le terme « culture » tout à l'heure. J'aimerais que nous parlions de la vente au détail de vos produits un instant. Dans beaucoup de provinces, y compris la mienne, la vente des boissons alcooliques est administrée strictement par le gouvernement provincial, au moyen de sa régie des alcools. Cependant, dans d'autres provinces, la vente ne se fait pas dans un cadre aussi étroit. Il existe des magasins appartenant au secteur privé en Alberta et en Saskatchewan ainsi que de petites boutiques en Nouvelle-Écosse, mais il n'y en a pas beaucoup au Québec, je crois, ni en Colombie-Britannique.
Dans cette partie du débat, que préconisez-vous? Dans chaque province, lorsque l'économie traverse une période difficile, le gouvernement songe à vendre les actifs de la régie des alcools, parce qu'il se dit qu'il pourrait quand même collecter les taxes, mais qu'il n'aurait pas le problème de gérer les magasins d'alcools. Quel serait pour vous le meilleur endroit pour vendre vos produits? Serait-ce dans des magasins appartenant au secteur privé ou appartenant à l'État? Nous savons tous que la régie des alcools de l'Ontario est la grand-mère, c'est-à-dire la doyenne parmi toutes les régies.
M. Stutz : En fin de compte, ce sont les ventes au vignoble même qui nous rapportent le plus. Nous avions un magasin de vin à propriété privée auparavant en Nouvelle-Écosse, et il vendait des produits, mais pas en grande quantité. Il vendait beaucoup plus de vin importé que de vin canadien. Je serais enchanté qu'on vende un vin haut de gamme de l'île Pelée en Nouvelle-Écosse. Ce ne serait pas un concurrent pour moi. Néanmoins, il ne pourrait pas vendre un produit haut de gamme avec un système de marge bénéficiaire aussi élevée. On me dira : « Monsieur Hanspeter, nous pouvons ouvrir le marché, mais vous aurez de la concurrence. » Néanmoins, ce n'est pas la question. Il faut faire attention.
La qualité augmente ainsi dans chaque province, dans chaque région viticole. Grand Pré sera le prochain endroit à être désigné site du patrimoine mondial de l'UNESCO. Que pouvez-vous en conclure? Les gens qui viendront à Grand Pré voudront tous y acheter une bouteille de vin. Il faut travailler dans ce sens. Voilà qui est significatif. Je ne pense pas que les magasins de vin du secteur privé puissent avoir une importance pour nous. Leur marge bénéficiaire est la même que dans les magasins de la régie. Pour nous, c'est du pareil au même.
[Français]
M. Pouliot : Je peux juste parler pour le Québec, mais j'imagine que l'Ontario doit être assez similaire. C'est la SAQ qui a une grosse marge bénéficiaire par rapport à ce qui se fait ailleurs dans le monde; par contre, le réseau compte 405 magasins. Donc pour commercialiser un produit dans un réseau d'expérience, c'est vraiment génial. Quand un produit existe et qu'on peut avoir le volume pour le commercialiser dans un réseau de ce genre, c'est excellent. Je le vis d'ailleurs dans le monde. La plus grande chaîne aux États-Unis comprend 69 magasins en Californie, mais ils ne sont pas tous coordonnés pour faire de la promotion. Alors je crois que c'est bon. Évidemment, le haut taux de marge bénéficiaire constitue une grosse barrière.
Le sénateur Rivard : Ce fut extrêmement intéressant de vous entendre. Comme disaient les Romains, le temps fuit et il ne reste pas grand temps. Plusieurs autres collègues voudront sûrement poser des questions. On a parlé beaucoup de marketing puis de barrières tarifaires. On sait que le Canada négocie présentement ardemment avec l'Union européenne pour pouvoir faire de l'exportation. Jusqu'à maintenant, avez-vous été consulté par des négociateurs canadiens? On se souvient que lorsque le libre-échange a commencé avec les Américains, le gouvernement canadien avait nommé des gens qui devaient rencontrer des représentants de l'industrie manufacturière, qu'il s'agisse de l'industrie de l'automobile ou autres. Dans votre domaine, pas plus au Québec — au Québec, c'est un ancien premier ministre, Pierre-Marc Johnson, qui avait été nommé par le gouvernement provincial pour surveiller les intérêts commerciaux — y a-t-il eu plus de contacts?
Croyez-vous qu'il y aurait un marché intéressant en supposant que les barrières tarifaires puissent sauter? On pourrait découvrir un marché européen, même si la compétition est grande étant donné que l'Europe est un grand producteur de vin, spécialement dans le domaine du cidre de glace?
Monsieur Pouliot, pensez-vous qu'il y a un marché extraordinaire pour vous? Vous avez cité d'autres pays qui en produisent. Les marges de profit, malgré le transport, en valent-elles la peine?
M. Pouliot : C'est une très bonne question. Effectivement, nous croyons énormément à l'exportation, que ce soit au Canada ou ailleurs en Europe. Il y a un immense potentiel en Europe. Je m'y rends environ trois à quatre fois par année. La réponse y est excellente. Notre défi est d'en faire le marketing ainsi que de faire la promotion d'une nouvelle catégorie, parce que le cidre de glace, c'est de la pomme, et c'est nouveau, et on est dans le monde du vin.
Notre grand défi est de nous faire connaître. Nous avons réussi à percer le marché européen, mais j'espère que cela ne viendra pas nous fermer des portes. Nous n'avons pas été consultés, non.
Le sénateur Rivard : Est-ce que le cidre de glace a dépassé la production du cidre de pomme conventionnel?
M. Pouliot : Non, pas encore. Dans les années 1970, la fameuse période du cidre, la production est montée à environ cinq millions de litres de cidre vendus en 1975 et c'est descendu statistiquement à zéro en 1980.
Aujourd'hui on produit environ moins d'un million de litres, mais c'est en progression, à peu près, de 20 à 25 p. 100 par année depuis les six dernières années.
Le sénateur Rivard : Il est vrai que le marketing y est pour beaucoup. Vous avez parlé des années 1970; je me souviens que, lorsque le cidre de pomme a commencé, on était allé chercher Marc Laurendeau pour faire la publicité; ça a fait exploser le marché. Si vous faites la même chose pour le cidre de glace avec le bonhomme Carnaval, oubliez ça!
M. Pouliot : On est loin d'être à saturation. On a de l'espace pour le développement.
Le sénateur Rivard : Je vous souhaite la meilleure des chances. C'est un domaine qui, je crois, a beaucoup d'avenir au Québec. J'ai eu la chance d'y goûter, on s'habitue vite à ce produit.
[Traduction]
Le sénateur Mahovlich : Lorsque j'étais jeune, mon père faisait du vin avec des raisins de la Californie. Il en faisait trois ou quatre barils par année. Je ne sais pas si des familles font encore leur propre vin aujourd'hui. Cela représentait beaucoup de travail. Il nous fallait une presse. Des amis lui avaient fabriqué une presse et un broyeur. C'était très intéressant.
J'ai appris à boire du vin et je m'y suis beaucoup intéressé. Je suis allé dans la vallée de Napa, une année, et j'y ai découvert un bon vin. Lorsque je suis allé à New York, j'ai essayé d'en trouver. La régie des alcools de l'Ontario en avait, dans le temps. Ce viniculteur a remporté des prix. Il participait à des concours à Paris. Aujourd'hui, ce vin-là coûte 80 $ par bouteille.
Le Canada a-t-il déjà produit un vin qui a gagné de grands prix en Europe?
Mme Tyabji : Oui, nos produits ont remporté des titres de meilleur vin au monde. Le shiraz de Jackson-Triggs a remporté le titre de meilleur vin au monde en Australie notamment.
Le sénateur Mahovlich : Ma femme boit un shiraz australien, qui est probablement moins cher, du reste.
Mme Tyabji : Je sais que vous vous demandez pourquoi nous n'en faisons pas la promotion. Pourquoi nous ne le commercialisons pas en vantant ses qualités. Les ressources dont disposent les industries vinicoles des autres pays sont bien supérieures aux nôtres. Il n'y a aucune limite à ce que leur pays, leur gouvernement et leur industrie agricole sont prêts à investir pour conquérir le marché canadien. Nous n'avons tout simplement pas des ressources comparables qui nous permettraient de leur faire concurrence.
M. Pouliot : Lorsque les Australiens, les viniculteurs des côtes du Rhône et les producteurs de rosé en France viennent au Canada, ils disposent de gros budgets pour y faire la promotion de leurs vins. Ils ont aussi un budget comparable lorsqu'ils vont aux États-Unis. En France, Sopexa participe à la promotion des vins français hors de France.
Le sénateur Mahovlich : Nous n'en faisons pas assez pour promouvoir les vins canadiens.
Mme Tyabji : Exactement.
Le sénateur Mahovlich : Pourtant, nous avons des vins de qualité.
Mme Tyabji : Nous produisons des vins comptant parmi les meilleurs au monde. Ce sont des vins primés.
Le sénateur Mahovlich : Lorsque je suis en vacances aux États-Unis, je peux me procurer des vins de bonne qualité dans les épiceries. Je n'ai pas besoin de me rendre dans un magasin d'alcool. Pensez-vous que les gens voudraient que ce soit le cas au Canada? Un politicien pourrait-il remporter une élection en faisant une telle proposition?
M. Stutz : Vous pourriez remporter un prix avec une telle proposition.
Le sénateur Mahovlich : Il me reste seulement un an à siéger au Sénat. Je dois faire quelque chose.
M. Ker : Pour mettre les choses en perspective, disons que, pendant des années, il ne fut pas possible en Ontario d'acheter de l'alcool le dimanche. Les magasins de la régie des alcools ou les vendeurs de bière étaient fermés. Étonnamment, les vineries de l'Ontario se sont vu accorder des permis d'ouvrir le dimanche. Comme il fallait s'y attendre, la régie des alcools de l'Ontario observa une légère diminution de ses ventes et vit que les vineries réalisaient des ventes phénoménales. Aujourd'hui, les magasins sont ouverts le dimanche parce qu'on s'est rendu compte que les consommateurs souhaitent un meilleur accès.
Je crois que les consommateurs veulent un accès raisonnable aux produits, que ce soit en Ontario, en Colombie- Britannique ou ailleurs. J'espère que vous ne déciderez pas que ce doit être tout blanc ou tout noir, autrement dit seulement des magasins des régies ou seulement des magasins à propriété privée. Les études réalisées à l'université démontrent qu'il y a de la place pour les deux types de commerce. Il pourrait y avoir des magasins du secteur privé en même temps que des magasins du secteur public. Il s'agit de donner au consommateur un meilleur accès.
Il n'est pas question de prêcher la consommation d'alcool, mais bien de donner au consommateur la possibilité d'acheter de l'alcool quand il le souhaite. Les consommateurs de l'Ontario et de la Colombie-Britannique sont très fidèles. Si les Canadiens ont la possibilité d'acheter un produit canadien à un prix concurrentiel, ils l'achèteront, mais s'ils ne peuvent pas y avoir accès facilement, ils se rendront dans le commerce le plus près et achèteront autre chose.
Nous proposons d'examiner non seulement la taxation, mais aussi les modes d'accès aux produits canadiens que les gens voudraient acheter.
Pour continuer dans la même veine que vous, je vous dirais qu'en Ontario, on a créé des magasins satellites dans de petites municipalités. On n'y trouve pas la même variété de produits que dans les magasins normaux de la régie, mais les gens peuvent tout de même y acheter de la bière et du vin. Même la régie des alcools de l'Ontario a admis ainsi qu'elle devait améliorer l'accès.
À Niagara-on-the-Lake, qui accueille 2,5 millions de touristes par année, un grand problème dérange beaucoup l'industrie ontarienne. L'Association des viniculteurs ne peut pas y ouvrir un magasin de vin pour promouvoir et vendre des vins ontariens et canadiens. Elle n'a pas le droit dans la situation actuelle.
C'est un exemple qui nous permet de voir qu'on peut aller d'un extrême à l'autre. Nous devons nous rendre compte qu'il y a de la place pour les deux voies de distribution. Les petits producteurs en profiteraient. Certaines boutiques pourraient voir le jour et constituer un débouché pour les petits producteurs, qui n'auraient pas à leur fournir les volumes de vin demandés par la régie des alcools de l'Ontario. Ils ne seraient pas obligés de vendre leurs produits dans une petite section réservée aux millésimes achetés en petite quantité. Nous sommes capables de produire des vins de haut de gamme, mais beaucoup de vins canadiens sont vendus à prix abordable. N'oubliez pas de garder tout cela en perspective.
Une question portait sur la valeur ajoutée. La culture de la vigne et l'industrie vinicole rapportent à elles seules environ 600 millions de dollars par année directement et indirectement. C'est beaucoup plus que 78 millions de dollars, soit la somme que rapporteraient les raisins sans transformation. Nous versons des rémunérations totalisant 100 millions de dollars. Les personnes qui reçoivent cet argent paient des impôts. Toute augmentation du nombre d'emplois est souhaitable.
M. Stutz : Votre question va beaucoup plus loin. Les régies des alcools sont des vaches à lait pour les provinces. Je suis originaire de la Suisse, et, si le marché et l'économie se portent très bien là-bas, c'est que nous ne vivons pas une situation de monopole. Si les régies des alcools étaient privatisées dans toutes les provinces, je suis certain que le nombre de personnes bien formées pour vendre des boissons alcooliques doublerait. Je suis certain aussi que les provinces augmenteraient leurs recettes fiscales par rapport au système actuel.
L'Alberta s'en sort très bien avec un système plus libéral. Le contrôle se fait toujours, mais il se fait par un mécanisme. Idéalement, il faudrait enlever ce commerce des mains des provinces. Nous connaissons l'histoire de la prohibition. Le domaine devrait relever d'Ottawa et être de compétence fédérale.
Mme Tyabji : En Colombie-Britannique, nous avons une régie des alcools. Je suis d'accord avec vous pour dire que, du point de vue des fournisseurs, en particulier les petits, il est de loin préférable de pouvoir vendre les produits grâce à un grand réseau de distribution. Nous avons aussi des magasins d'alcool licenciés, mais la vente à ces magasins peut être un peu plus difficile à gérer pour les petits fournisseurs. Il existe donc deux voies de commercialisation. Après avoir examiné la question, la direction générale de la distribution des alcools de la Colombie-Britannique a déterminé que les deux voies avaient leurs avantages. Elle a jugé que les petits magasins pouvaient appartenir au secteur privé, mais elle a gardé pour la régie des alcools les gros magasins qui offrent une plus grande variété de produits et qui permettent aux petits fournisseurs d'avoir plus facilement accès au marché. C'est un système qui fonctionne assez bien.
[Français]
Le sénateur Nolin : Monsieur Pouliot, vous et votre épouse méritez nos félicitations pour, en moins de 20 ans, être parti d'une idée et l'avoir presque menée à bien.
M. Pouliot : Ce n'est pas fini!
Le sénateur Nolin : C'est pour cela que je dis « presque ». Vous avez parlé de cette association des producteurs de cidre de glace que vous avez mise sur pied avec vos collègues. Vous avez parlé d'un plan quinquennal et, dans une de vos réponses, vous avez parlé de l'importance, pour vous, de la recherche et de l'innovation. De toute façon, l'innovation est au cœur des raisons qui font que vous êtes ici; vous avez pris une idée et vous l'avez menée à terme.
Je voudrais savoir l'importance, dans votre plan quinquennal, de cet effort de recherche, et comment le gouvernement fédéral peut vous épauler dans ce plan.
M. Pouliot : C'est un plan quinquennal de commercialisation et de développement pour la catégorie du cidre de glace. Premièrement, il faut la faire connaître, tant ici, au Canada, qu'au Québec. Au Québec, on pense que tout le monde connaît cela, mais quand on interroge les consommateurs, on s'aperçoit que la moitié des gens ne le connaissent pas encore. En fait c'est prometteur parce qu'il y a beaucoup de potentiel. C'est un plan sur cinq ans pour développer la catégorie, autant au Canada que dans le monde.
Nous nous sommes réunis, les principaux producteurs, et nous avons engagé une firme de marketing assez réputée au Québec pour monter un plan avec nous. Nous l'aurons fini au milieu de l'été, ensuite il va falloir le mettre en application. Le meilleur exemple est que cela fait bientôt dix ans que je participe à la foire de Vinexpo, la foire mondiale du vin. Il y a quelques années, j'étais dans le pavillon canadien. Cette année j'étais tout seul avec un partenaire; un autre de mes confrères était seul avec un autre partenaire. Nous n'avons pas de masse critique. L'idée est donc de se regrouper pour avoir une masse critique et présenter les producteurs de cidre de glace du Québec, du Canada. À une certaine époque, le Canada avait une grande présence sur les foires internationales; aujourd'hui un peu moins. Je pense que c'est grandement dû au fait qu'on n'a pas d'aide. C'est pour cela qu'on s'est dit qu'on allait se prendre en main, se faire un plan et se mettre ensemble pour développer le marché, car évidemment, présentement, on travaille chacun de son côté.
Le sénateur Nolin : Quand vous dites que vous travaillez chacun votre côté, je présume que, pour votre part, vous devez avoir en tête de développer d'autres produits. J'essaie de vous amener sur le terrain de l'innovation et voir comment on peut avoir ce partenariat avec le gouvernement fédéral.
M. Pouliot : On développe d'autres produits, mais toujours autour du cidre de glace. C'est le produit qui a le potentiel à avoir une reconnaissance mondiale. Maintenant, nous avons élaboré un mousseux, premier liquoreux de méthode traditionnelle au monde.
Le sénateur Nolin : Quand vous élaborez un produit comme cela, vous investissez de l'argent, du temps, des efforts; je présume que vous et votre épouse êtes au cœur de ces efforts. Est-ce que c'est un point sur lequel l'État peut vous aider? Regardez ce qu'ils font dans le vin, il y a presque une université pour faire ça.
M. Pouliot : À ce niveau-là, oui, on a besoin d'aide, mais là n'est pas le gros de l'investissement pour nous, présentement.
Le sénateur Nolin : Si on regarde vos concurrents étrangers, eux semblent avoir de l'aide. Je ne parle pas tellement de vos concurrents dans le cidre de glace, mais de ceux qui font concurrence à votre produit sur la table du consommateur.
M. Pouliot : Ils ont énormément d'aide pour faire le développement de leur catégorie.
Le sénateur Nolin : Pouvez-vous en quelques minutes nous expliquer; s'agit-il d'aide à l'exportation, à la mise en marché?
M. Pouliot : Ils ont de l'aide pour l'exportation et pour la mise en marché. Prenez les vins du Rhône, quand ils viennent à la SAQ, ils sont vraiment soutenus par leur région ou par leur gouvernement.
Le sénateur Nolin : Comment est-ce que cela fonctionne? Le gouvernement étranger paie la SAQ directement?
M. Pouliot : Ils vont, par exemple, faire un programme d'un demi-million pour faire de la publicité dans les journaux. Chaque producteur travaille avec ses agences, mais ils ont un budget commun qui vient du pays pour aider à payer la publicité. Ce n'est pas chacun des producteurs qui paie pour faire la promotion des vins du Rhône.
Le sénateur Nolin : La conclusion de votre témoignage, si vous me permettez, est que c'est bien beau faire notre analyse en matière de recherche et d'innovation, mais il y a aussi la mise en marché.
M. Pouliot : Oui.
Le sénateur Nolin : L'État doit vous épauler dans la mise en marché, c'est le message que j'entends de tout le monde
M. Pouliot : C'est exact.
Le sénateur Nolin : Maintenant, au niveau de la relation que nous avons avec les provinces, vous comprendrez que nous sommes de tout cœur avec vous, mais nous vivons dans une fédération et nous allons devoir nous en remettre aux relations fédéral-provincial; nous allons quand même faire notre bout de chemin.
M. Pouliot : Au niveau international, pour ce qui est de la reconnaissance, de nous protéger et de nous défendre, c'est quand même du ressort du fédéral.
Le sénateur Nolin : Oui, mais il y a les barrières commerciales et les obstacles de commercialisation qui viennent de différentes agences provinciales de commercialisation. Ce n'est pas évident.
M. Pouliot : Non, ce n'est pas facile.
Le sénateur Robichaud : Je veux continuer avec ce que le sénateur Nolin disait. Je comprends que, ici, on veut parler d'innovation et de recherche, mais là n'est pas le problème pressant de l'industrie, n'est-ce pas? Vous en faites un peu, mais c'est surtout une question de marketing.
Lorsqu'on regarde la question du marketing, votre programme doit-il s'adresser seulement à la province où vous vivez parce que vous ne pouvez pas commercialiser dans les autres provinces? Est-ce que je comprends bien?
M. Pouliot : Non. Le jour où nous irons nous battre à l'international, il peut y avoir un producteur qui vient de la Nouvelle-Écosse, de l'Ontario; il n'y aura pas de problème. Au Canada, je pense que si le programme nous aide au Québec, il va aider ceux de l'Ontario, ceux de la Nouvelle-Écosse; on va tous bénéficier de la même aide.
Le sénateur Robichaud : Sur la question du commerce d'une province à l'autre, vous nous parliez tantôt de quelqu'un de la Colombie-Britannique qui voulait acheter trois caisses de vin et les transporter, mais c'était l'été et il faisait trop chaud. Même s'il avait été organisé pour les transporter, la loi ne le permet pas, n'est-ce pas?
M. Pouliot : Techniquement, non.
Le sénateur Robichaud : Même chose pour la Nouvelle-Écosse; il y a du très bon vin, mais si quelqu'un veut en transporter, il ne faut pas qu'il le dise!
M. Pouliot : Durant la grève à la SAQ, au Québec, en 2004, tout le monde allait acheter son vin à la LCBO, de l'autre côté; mais techniquement on n'avait pas le droit de revenir au Québec avec sa caisse de vin.
Le sénateur Robichaud : C'est là, en fait, ma question; si vous faites du marketing à l'échelle nationale, vos ventes sont quand même limitées à votre province, n'est-ce pas? C'est difficile.
M. Pouliot : Oui, c'est difficile.
[Traduction]
M. Stutz : Il faut savoir que nous bénéficions d'une aide fédérale pour la commercialisation, par l'intermédiaire de l'Agence de promotion économique du Canada atlantique. Vous connaissez cette agence. Nous avons aussi de l'aide de la province, par l'intermédiaire d'Entreprises Nouvelle-Écosse Inc. ou du ministère de l'Agriculture. Ils organisent des missions commerciales constituant une aide précieuse pour l'industrie.
Le sénateur Robichaud : Mais ce sont des missions à l'étranger.
M. Stutz : Bien sûr. Le problème au Canada est la marge bénéficiaire ajoutée par les provinces. C'est l'obstacle que nous rencontrons.
Le sénateur Robichaud : Les régies des alcools appliquent-elles la même marge aux vins canadiens qu'aux vins étrangers?
M. Stutz : Oui.
M. Schmoranz : Oui.
M. Schmoranz : À l'exception de quelques producteurs en Colombie-Britannique. Il y a toujours des exceptions à la règle.
M. Stutz : C'est une solution provinciale dans notre cas.
M. Schmoranz : Soit dit en passant, l'Ontario fait la même chose. Il y a un système de ristournes pour quelques milliers de caisses fournies par les membres de l'Association des viniculteurs de l'Ontario, jusqu'à concurrence d'un certain nombre. Nous disons que c'est une subvention.
Une voix : Un retour sur l'investissement.
M. Schmoranz : On constate ainsi que notre système de vente d'alcools est vraiment dingue. La première vinerie a vu le jour à l'île Pelée en 1865. Des producteurs y sont venus parce qu'il manquait de terres en Ohio, sur l'archipel Put-in- Bay, qui est réputé pour son sol calcaire et son climat tempéré. Ils se sont mis à cultiver de la vigne à l'île Pelée. C'est une belle histoire, très romantique. On trouve sur cette île un sol calcaire, l'accès aux Grands Lacs et beaucoup d'ensoleillement. On en tombe amoureux facilement. Il y avait aussi une autre raison, soyons francs, et c'était la possibilité de transporter le vin en passant par les lacs jusqu'à Montréal et Chicago. Lorsqu'on étudie l'histoire du comté d'Essex, on apprend qu'Hiram Walker n'a pas installé sa distillerie à Windsor parce qu'il s'y trouvait de l'eau de puits de grande qualité lui permettant de préparer un excellent whiskey. Il a installé sa distillerie dans cette ville parce qu'il pouvait livrer ses produits à partir de là jusqu'aux Antilles. Il n'est jamais allé plus loin que Toledo et Détroit, mais l'emplacement était très pratique. Notre pays est magnifique, avec toute son histoire, car toutes provinces partagent la même histoire concernant le commerce des alcools, qu'il s'agisse de la Saskatchewan ou du Québec. Permettez-moi de revenir à votre question initiale. Pensez-y : vous seriez capables de nous fournir, à nous tous, l'argent nécessaire pour exporter nos produits, par exemple pour vendre du cidre de glace en Europe. Il est insensé que nous n'ayons pas les moyens de vendre nos produits dans notre propre pays. Les autres pays arrivent au Canada les mains pleines. Compte tenu des économies d'échelle, les Espagnols arrivent à nous vendre une belle bouteille de vin 18 $. L'État espagnol ajoute une subvention de 24 $ par caisse vendue hors de l'Union européenne. Voilà qui est très difficile à expliquer. En Europe, il y a huit ou neuf ans, on pouvait rapporter sa voiture chez le concessionnaire et obtenir un rabais fantastique pour en acheter une nouvelle. Le même programme a été mis en œuvre pour l'agriculture. On pouvait acheter de l'équipement neuf avec un financement à prix d'aubaine en échange de l'ancien équipement, cuves, barils et réservoirs. Commençons par des choses simples.
Je suis désolé, mais je n'ai jamais réfléchi autant que M. Stutz à la formation de la prochaine génération d'agriculteurs. Près de 70 p. 100 des agriculteurs du pays approchent de l'âge de la retraite, alors il faut se demander comment nous arriverons à susciter de l'intérêt dans la génération montante pour la viniculture et la viticulture, de manière à ce qu'elle prenne la relève, car le nombre de producteurs baisse constamment. Comment les intéresser à ce domaine? En Allemagne, lorsqu'on termine l'école secondaire, on fait un apprentissage, on va au collège ou on va à l'université, et les études sont gratuites. Nous avons parlé des beaux paysages de la Bourgogne ou de certaines parties de l'Espagne. De graves problèmes de sécheresse sont apparus dans la Rioja, qui n'est pas dans la région du Penedès, mais parmi les grandes régions les plus productives. Si on trouve l'argent nécessaire, on financera avec plaisir l'irrigation. Je ne crois pas qu'un autre bloc dans le monde subventionne les produits agricoles plus généreusement que l'Europe. Nous manquons d'imagination. Nous pensons tous que Bordeaux est le paradis de la viniculture en France, mais si les viniculteurs en sont réduits à transformer leurs produits en carburant diesel pour la Suède et la Norvège, c'est qu'on éprouve des problèmes sur le marché. Si vous me dites que le gouvernement du Canada est disposé à conclure un accord de libre-échange pour les produits agricoles, je commence à m'inquiéter, c'est le moins qu'on puisse dire. J'espère qu'ils ont étudié soigneusement la question. Je suis très inquiet à ce sujet parce que, dans le sud-ouest de la France, cette bouteille d'eau, par exemple, coûterait plus cher qu'un vin rosé produit localement. Il ne faut pas se leurrer; notre système est inéquitable. Nous ne demandons pas la charité. Je pense que M. Stutz a bien décrit le cœur du problème. Nous ne pouvons pas réduire notre coût de production à 99 cents, et j'ai essayé de le démontrer au début. Nous subissons de dures intempéries qui causent des dégâts de temps à autre.
Notre industrie relativement petite a des retombées énormes, selon moi, sur les quelques provinces productrices. Ce sont des retombées beaucoup plus importantes — je regrette de devoir le dire — que celles de l'aviculture. Elles sont énormes, mais je pense que personne ne semble s'en rendre compte. Nous tournons en rond. J'adore les innovations, et je pense que nous n'avons plus l'argent que nous avons investi, car nous sommes partis de rien. L'année 1865 semble très loin dans le passé. Nous pourrions nommer, en moins de 15 minutes, probablement 100 grands crus qui ont 200 ou 300 ans, mais cela ne voudrait rien dire. Nos débuts dans cette industrie sont relativement récents. Nos produits sont assez concurrentiels, et nous disposons de technologies de pointe. Mais nous n'avons pas accès aux marchés intérieurs de notre propre pays. Personne ne semble le comprendre.
Le sénateur Buth : Merci beaucoup pour vos exposés. Les sénateurs Nolin et Robichaud ont résumé vos propos en disant que vous aviez comme priorités de résoudre les problèmes d'accès aux marchés des autres provinces, d'améliorer la commercialisation au pays et à l'étranger ainsi que de régler certains problèmes de production.
Monsieur Schmoranz, vous avez dit que l'industrie vinicole pourrait connaître une croissance fulgurante au Canada. Je serais curieuse de connaître son potentiel de croissance. Seriez-vous capable de l'évaluer et de me donner une idée de la taille de l'industrie si nous arrivions à résoudre les problèmes d'accès, les problèmes de commerce interprovincial et certains problèmes de commercialisation?
M. Schmoranz : Vous avez raison, et Mme Tyabji vous a donné l'exemple parfait au début. L'Europe n'est pas un bon point de comparaison, mais prenons le cas du Royaume-Uni, dont la production de vin est pratiquement inexistante. Cependant, l'accès à ce marché est possible. La Nouvelle-Zélande, le Canada, l'Australie, la France et l'Italie en ont chacun une part. Ils peuvent se faire concurrence les uns aux autres sur ce marché très accessible. Nous trouvons normal que 80 p. 100 des vins consommés en France soient produits dans ce pays et qu'il en soit de même pour les vins consommés en Espagne. C'est une question de culture. Un peu plus loin, en Allemagne, 50 p. 100 du vin est importé, ce qui ressemble beaucoup à la situation au Canada, mais les producteurs ont accès à ce marché. Il n'y a pas de frontières. Une coopérative française peut remplir un camion semi-remorque à destination de l'Allemagne, et y livrer du vin dans 25 magasins.
Le sénateur Buth : Il y aura des limites en matière de production notamment.
Mme Tyabji : Aux États-Unis, lorsqu'ils ont éliminé les frontières applicables au commerce des alcools, ils ont augmenté la part de marché, qui a atteint 2 p. 100. Dans ces tableaux, on constate que la part de l'ensemble du marché canadien détenue par l'Association des viniculteurs est actuellement de 5 p. 100. En théorie, il serait possible de doubler cette part de marché, ce qui serait très utile pour l'ensemble des vineries au Canada actuellement. Les régies des alcools ne s'en ressentiraient pas trop, car il s'agit d'une très petite part du marché des alcools, mais une telle mesure serait vraiment utile pour les vineries elle-même.
M. Stutz : J'ai une réponse à vous donner concernant les viticulteurs. Je pense que si nous avions un meilleur marché intérieur, plus ouvert, nos viticulteurs obtiendraient un meilleur prix par kilogramme de raisins. Le prix actuel n'est pas suffisant. C'est un facteur crucial, notamment en Nouvelle-Écosse, où se trouvent 100 viticulteurs. Certains sont en train de se rendre compte qu'il est vraiment difficile de réussir à engranger des profits à la fin de l'année. Dans une étude que nous avons réalisée, nous avons constaté qu'il fallait mettre 26 ans pour obtenir un retour sur l'investissement lorsqu'on commence un vignoble dans la situation qui était la nôtre. Pour moi, il est très clair que, si le marché intérieur était ouvert au Canada, les viticulteurs obtiendraient un meilleur prix.
M. Schmoranz : J'ai mal compris. Quel est le potentiel de croissance? Il est nettement limité. Je voulais vous montrer, à cet égard, les endroits où il fait assez chaud et où le nombre de jours sans gel est suffisant pour la culture de la vigne : la vallée d'Annapolis, quelques endroits au sud-est du Québec ainsi qu'en Colombie-Britannique. À 20 kilomètres au nord du lac Okanagan, la culture de la vigne n'est pas possible. Nous pourrions nous fixer comme objectif de fournir 50 p. 100 du vin consommé au pays. Si tel était le cas, pratiquement toutes les terres disponibles dans la péninsule du Niagara seraient utilisées, de même que celles de la vallée de l'Okanagan. Une bonne partie des terres de la vallée d'Annapolis serait consacrée à la culture de la vigne. Cela ne fait aucun doute dans mon esprit.
[Français]
Le sénateur Maltais : Je vais m'adresser à M. Pouliot. D'abord, j'aimerais féliciter l'ensemble des producteurs de vins canadiens, qui font d'excellents vins à la grandeur du pays. Outre les barrières commerciales, c'est sûr que ce n'est pas ce soir qu'on va régler le problème.
Le vin en vrac qui vient de l'Espagne, du Chili, par exemple, et qui est embouteillé à Montréal, est-ce qu'il est soumis aux mêmes contraintes des barrières des provinces?
M. Pouliot : Je dirais que oui, pour ce qui est du Québec. En fait, il y a deux marchés : il y a le monopole, la SAQ, les vins importés en vrac, embouteillés au Québec — il y a trois ou quatre embouteilleurs — et les vins vendus en épicerie qui ne peuvent être vendus qu'au Québec. Il y en a, je pense, qui le vendent en dehors du pays.
Le sénateur Maltais : Si on importait moins de vin en vrac, est-ce que cela forcerait les provinces à diminuer leur barrière tarifaire? Les Canadiens aimeraient avoir des produits canadiens. Le cidre en est un exemple. En 10 ans, vous avez gagné 50 p. 100 du marché au Québec.
M. Pouliot : Oui.
Le sénateur Maltais : Si on avait moins de vins étrangers importés, cela donnerait plus de place aux vins canadiens. On est loin du Manoir Saint-David.
M. Pouliot : Tout à fait. C'est une bonne question.
[Traduction]
Mme Tyabji : Il y a deux marchés très bien définis, soit celui des produits canadiens de haute gamme — qui occupent un certain créneau sur le marché — ainsi que celui des produits bon marché que nous importons en vrac et que nous pourrions concurrencer avec nos vins.
[Français]
Le sénateur Maltais : Je vous arrête. Tous les vins canadiens ne sont pas des produits de haute qualité. Il y a quand même des produits abordables à 15, 16 ou 17 $ la bouteille, alors que le vin en vrac nous arrive ici et on l'a à l'épicerie à 12 ou à 13 $. J'ai l'impression que vous compétitionnez avec vous-mêmes. J'aimerais que Mme Tyabji nous réponde à ce sujet.
[Traduction]
Mme Tyabji : Premièrement, au Canada, le marché est tellement considérable que nous produisons seulement 5 ou 6 p. 100 du vin consommé au total. Nous ne pourrions jamais produire assez de raisins au Canada pour répondre à 100 p. 100 de la demande. Mais la proportion de 26 p. 100 des raisins qui est transformée en vin au Canada pourrait être augmentée, ce qui créerait des emplois et nous permettrait de mieux concurrencer les vins importés.
M. Ker : Lors de mes voyages en Australie, j'ai pu constater qu'il se trouve une excellente région viticole dans ce pays, et qu'il s'y produit du vin en vrac. L'Australie produit environ 900 000 tonnes de raisins par année, ce qui est beaucoup plus que nous. Je viens de jeter un coup d'œil au prix, et il est de 16 $ la bouteille pour un vin ordinaire. Pour la vente en vrac, dans de petits barils, j'ai trouvé un vin australien qui coûte 12,50 $ pour 5 litres. Il est inutile d'essayer de concurrencer cette offre.
Le sénateur Plett : Je demanderai à M. Schmoranz de m'expliquer le graphique. Je sais que nous avons maintenant tous envie d'un verre de vin, alors mon autre question sera brève.
Vous écrivez dans votre demande de subvention de 10 millions de dollars — vous écrivez subvention noir sur blanc, alors je crois qu'il faut préciser cela. Il faut peut-être corriger cela, car c'est ce qui est écrit ici.
Donc, l'un des problèmes que vous y mentionnez, c'est que la réduction de 2 p. 100 de la TPS vous a été dommageable. Pouvez-vous expliquer en quoi une réduction de taxe de 2 p. 100 a pu être dommageable à l'industrie vinicole?
Mme Tyabji : Le problème, c'est que les importations ont elles aussi bénéficié d'une réduction. Il a fallu payer une taxe d'accise pour les vins d'assemblage, et le gouvernement a dit, en somme : « Vous avez la réduction de 2 p. 100 de la TPS » lorsque nous étions en pourparlers à ce sujet. Selon nous, cela n'a pas compensé la hausse de 21 p. 100 de la taxe d'accise.
Le sénateur Plett : La TPS de 2 p. 100 n'était pas négative? Je veux dire, tout le monde en a bénéficié.
Mme Tyabji : C'est exact. Absolument tout le monde en a bénéficié.
Le sénateur Plett : Merci. Peut-être nous entretiendrons-nous après.
[Français]
Le sénateur Robichaud : Justement sur cette question, vous dites : « Why is a national wine strategy necessary? » Les changements ont coûté 25 millions à l'industrie, n'est-ce pas? C'est ce que vous dites.
[Traduction]
Mme Tyabji : Je n'ai pas entendu. Pourriez-vous répéter la question?
Le sénateur Nolin : Les changements ont coûté 25 millions de dollars à l'industrie.
Mme Tyabji : Oui, dont 10 millions de dollars pour l'industrie du vin d'assemblage, c'est bien cela.
Le sénateur Robichaud : Dans le document sur le soutien de la croissance de l'industrie vinicole canadienne, on lit à la première puce que les incidences nettes de l'exemption de la taxe d'accise sur les vins 100 p. 100 canadiens, de la hausse de 21 p. 100 du droit d'accise et de la baisse de deux points de pourcentage de la TPS depuis 2006 se sont traduites par un avantage net annuel évalué à 25 millions de dollars pour les producteurs de vin étrangers au détriment des producteurs canadiens.
Mme Tyabji : Oui, parce que la taxe d'accise est un impôt uniforme. Au Canada, les produits sont surtout vendus selon des niveaux de prix donnés, et comme il s'agit d'un impôt uniforme, c'est facturé par litre et c'est figé. Les importations se vendent plus cher, mais la taxe imposée reste la même. Essentiellement, ça grugeait davantage notre marge simplement parce qu'il y a une répercussion directe sur le coût de revient. Si les produits nous coûtent 10 $ et qu'on ajoute les 21 p. 100 — disons 2 $ —, alors cela donne 12 $. Dans le cas des autres producteurs, si leurs produits se vendent 15 $ et qu'on ajoute 2 $, cela ne leur nuit pas autant. C'est ça, la différence entre les deux taxes.
Le sénateur Robichaud : Finalement, c'était profitable aux importateurs, au détriment des producteurs.
Mme Tyabji : C'est exactement cela.
Le président : Honorables sénateurs, en conclusion, les témoins ont été très informatifs, utiles et fort éclairants. Nous poursuivrons nos discussions. Je tiens à ce que vous sachiez que c'est la première fois que nous dépassons amplement le temps alloué pour une séance en après-midi.
Vous nous avez présenté votre vision, formulé vos recommandations et fourni matière à réflexion. Au nom du comité, je vous remercie de votre coopération et de vos présentations.
[Français]
Le sénateur Nolin : Avant de conclure la réunion, monsieur le président, je sais que M. Pouliot a été invité il y a très peu de temps à venir témoigner devant notre comité et cela a peut-être été le cas des autres témoins. Peut-être que vous pourriez les inviter à nous transmettre par écrit des informations qu'ils voudraient ajouter afin de parfaire leur recherche. Il serait à propos de permettre, entre autres à M. Pouliot, de raffiner sa recherche et de nous envoyer des notes supplémentaires pour qu'on puisse bénéficier de son expertise.
M. Pouliot : Je voulais moi-même poser la question parce que j'ai fini de préparer mon témoignage ce matin et j'aurais aimé pouvoir le compléter.
Le président : Merci beaucoup, sénateur Nolin. C'est noté.
[Traduction]
Si les témoins veulent faire d'autres observations ou formuler d'autres recommandations aux fins de la rédaction de notre rapport, ils seront les bienvenus. Nous accepterons tout document par l'entremise du greffier du comité.
Je constate que le vice-président désire formuler une observation avant que je ne lève la séance.
[Français]
Le sénateur Robichaud : J'aimerais faire un commentaire. Certains documents nous ont été présentés dans une seule des deux langues officielles. Je consentirais à ce qu'on les accepte s'ils sont disponibles en anglais comme en français plus tard.
Le président : C'est un bon point.
(La séance est levée.)