Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule 18 - Témoignages du 29 mai 2012
OTTAWA, le mardi 29 mai 2012
Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 18 h 8 afin d'examiner, pour en faire rapport, les efforts de recherche et d'innovation dans le secteur agricole (sujet : Importance et enjeux de la recherche et de l'innovation dans le développement du commerce international des produits agricoles et agroalimentaires).
Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, en raison de nos responsabilités parlementaires, nous commençons la séance avec un peu de retard. Soyez les bienvenus à cette séance du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts.
[Français]
Je souhaite également la bienvenue à nos deux témoins. Je me présente, mon nom est Percy Mockler, sénateur du Nouveau-Brunswick et président du comité.
[Traduction]
Je vais demander aux sénateurs de se présenter.
Le sénateur Campbell : Larry Campbell, de la Colombie-Britannique.
[Français]
Le sénateur Robichaud : Fernand Robichaud, Saint-Louis-de-Kent au Nouveau-Brunswick.
[Traduction]
Le sénateur Mahovlich : Frank Mahovlich, de Toronto, Ontario.
Le sénateur Plett : Don Plett, de Winnipeg, où je suis déménagé la semaine dernière; avant cela, j'étais à Landmark, au Manitoba.
Le sénateur Buth : JoAnne Buth, du Manitoba.
Le sénateur Duffy : Mike Duffy, de l'Île-du-Prince-Édouard.
Le sénateur Eaton : Nicole Eaton.
[Français]
Le sénateur Maltais : Ghislain Maltais, Québec.
Le sénateur Rivard : Michel Rivard, Québec.
[Traduction]
Le président : Merci à tous.
[Français]
D'abord, nous accueillons M. Bruno Larue, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en commerce international agroalimentaire de l'Université Laval. Merci, monsieur Larue, d'avoir accepté notre invitation.
[Traduction]
Nous accueillons également Mme Justine Hendricks, vice-présidente, Groupe de l'industrie légère et des ressources, Exportation et développement Canada.
Le greffier m'a informé que la première personne à prendre la parole sera M. Larue, suivi de Mme Hendricks. Après les exposés, les sénateurs pourront poser leurs questions.
[Français]
Cela dit, monsieur Larue, la parole est à vous.
[Traduction]
Bruno Larue, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en commerce international agroalimentaire, Université Laval : Je pense que nous avons décidé de faire passer l'âge avant la beauté. Je vais faire mon exposé en anglais, mais s'il y a des questions en français, je me ferai un plaisir d'y répondre en français.
D'abord, je vais vous parler un peu des exportations agroalimentaires canadiennes. Elles ont augmenté récemment, principalement en raison du cours élevé des produits de base. Il s'agit d'un changement important par rapport à ce que nous avons vu dans le passé. Entre les années 1900 et 2000, les prix des produits agricoles en dollars constants n'ont cessé de diminuer en raison des changements technologiques. Actuellement, les prix sont élevés; on s'attend à ce qu'ils le restent, étant donné la forte demande des marchés émergents et le boom de l'éthanol, entre autres.
Nous exportons la majorité de nos produits, soit 50,5 p. 100, aux États-Unis. Il y a ensuite le Japon, avec 9,2 p. 100 de nos exportations; l'Union européenne, 6,5 p. 100; la Chine, 6,3 p. 100; et le Mexique, 3,7 p. 100; puis cela diminue. Pour ce qui est de la répartition entre les provinces, la valeur des exportations de la Saskatchewan et de l'Ontario est de 10 milliards de dollars; celle de l'Alberta, 7,9 milliards; du Québec, 5,6 milliards; et le Manitoba et les autres provinces suivent. Le Canada est reconnu comme un exportateur de produits en vrac, mais nous exportons de plus en plus de produits intermédiaires et prêts à la consommation.
La force du dollar canadien est l'un des facteurs qui nuisent à nos résultats et limitent nos exportations vers les États-Unis. En outre, il nous faut diversifier nos marchés. Nos producteurs de porc exportent dans 143 pays.
Le fait que les droits sur les produits agricoles sont beaucoup plus élevés que les droits sur les produits non agricoles est un autre facteur. Par exemple, pour l'Inde, la moyenne des droits sur les produits agricoles est de 31,8 p. 100, alors que sur les produits non agricoles, elle est de 10,1 p. 100. C'est une différence énorme. C'est ainsi pour la plupart de nos partenaires commerciaux. Il y a de nombreux obstacles non tarifaires qui entravent le commerce. Bien sûr, cela pourrait s'améliorer lorsque les négociations multinationales actuelles du cycle de Doha seront terminées. Les choses ne bougent pas très rapidement.
En fait, la stratégie de négociation du Canada passe par les accords commerciaux régionaux. Nous sommes actuellement engagés dans des négociations sur un accord commercial avec l'Union européenne. Nous aimerions être partie prenante de l'Accord de partenariat transpacifique, mais évidemment, il y a des conditions à respecter pour participer à ces négociations. Nos partenaires commerciaux qui y participent veulent que nous éliminions nos politiques de gestion de l'offre; cela rend donc les choses un peu difficiles.
J'aimerais également mentionner, en terminant mon bref aperçu des marchés, que les politiques d'importation libérales sont également utiles. Par exemple, le chocolat est l'une des principales exportations du Québec, mais nous ne produisons pas de cacao. Les exportations de produits du chocolat en 2010 se chiffraient à 534 millions de dollars, ce qui représente plus de deux fois le montant des exportations de sirop d'érable. Il n'est pas nécessaire de produire le produit brut pour être un grand exportateur du produit final.
Il y a de nombreux programmes dont Mme Hendricks va vous parler plus en détail, comme Agri-marketing et la stratégie internationale de la marque Canada. Ce sont des initiatives fédérales qui aident l'industrie et le gouvernement à élaborer des stratégies visant à augmenter les exportations. De nombreux ministères y participent. Par exemple, lorsque nous avons eu des cas d'encéphalopathie spongiforme bovine, divers ministères sont parvenus ensemble à ramener la situation à la normale. Il a fallu du temps, mais aussi beaucoup de coordination.
Le gouvernement canadien aide également beaucoup à promouvoir nos intérêts en matière d'exportation dans le cadre de l'OMC et des accords commerciaux régionaux. Nous pouvons utiliser des mécanismes de règlement des différends lorsque nos exportateurs sont confrontés à des obstacles commerciaux injustes.
En ce qui concerne la recherche et la collecte de renseignements, le gouvernement canadien recueille des informations au sujet des marchés étrangers et les met à la disposition des exportateurs, ce qui est très utile, et il y a des missions commerciales. Mes recherches universitaires sont financées par le Programme des chaires de recherche du Canada. Il s'agit essentiellement d'une enveloppe de 1,4 million de dollars qui permet de payer mon salaire et une partie des coûts de mes recherches. Bien sûr, je reçois beaucoup de fonds d'autres sources également. Je coordonne aussi un réseau de recherche, l'un des cinq qui sont financés par Agriculture et Agroalimentaire Canada : le volet commerce est dirigé par le professeur Karl Meilke à l'Université de Guelph; le volet innovation est dirigé par le professeur Richard Gray, à l'Université de la Saskatchewan; le professeur Ellen Goddard, de l'Université de l'Alberta, s'occupe de la demande alimentaire; et le volet environnement est aussi à l'Université de l'Alberta.
Nous étudions les effets des diverses politiques commerciales du Canada et de nos partenaires étrangers et nous examinons les conséquences des accords commerciaux régionaux. Nous faisons surtout des articles scientifiques, mais nous préparons également des documents de politiques, que nous distribuons à l'industrie et au gouvernement. Nous examinons les effets de la libéralisation du commerce lorsque les pays décident de réduire unilatéralement leurs tarifs; les conséquences de la réglementation nationale sur le commerce, ce qui est très important; les enjeux tels que la volatilité des prix dans divers marchés et ses effets sur le commerce. Dans l'ensemble, nos recherches visent à favoriser le processus politique. Dans ce réseau, nous commandons des projets et travaillons en étroite collaboration avec les analystes d'Agriculture et Agroalimentaire Canada.
En bref, les marchés agricoles sont assez complexes. Les protections qui existent dans ces marchés sont comparables à celles du secteur manufacturier d'il y a 30 ou 40 ans, en ce sens que les tarifs sur les produits agricoles sont sensiblement plus élevés. Il y a beaucoup à faire en ce qui a trait à la libéralisation du commerce comparativement au secteur manufacturier. Beaucoup d'aspects rendent l'analyse des marchés agricoles plus complexe. Dans certains cas, le processus de production est très long; nous devons donc en tenir compte. Les prix attendus par les agriculteurs lorsqu'ils prennent les décisions liées à la production sont souvent bien différents des prix réalisés qu'ils obtiennent pour leurs produits. Par exemple, pour les producteurs de bovins de boucherie, il y a un délai de deux ans entre la naissance d'un veau et le moment où le bouvillon est prêt à être vendu. Il y a beaucoup d'incertitude en agriculture, et cela rend l'analyse de ces marchés très complexe.
Justine Hendricks, vice-présidente, Groupe de l'industrie légère et des ressources, Exportation et développement Canada : Bonsoir, mesdames et messieurs les membres du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts. Je tiens d'abord à vous remercier de me donner l'occasion de vous parler de l'innovation dans le secteur agricole actuel.
[Français]
Pour ma part, je vous propose de diviser mes prochains commentaires en trois sections, dont plus précisément deux grands sous-secteurs de l'agriculture : le secteur des grains, de l'équipement et du bétail, et celui du poisson et de l'aquaculture.
[Traduction]
Je vais structurer mes observations en fonction de thèmes généraux pour chaque sous-secteur, en présentant les lacunes et les obstacles lorsque nous en aurons l'occasion et en discutant de la façon dont Exportation et développement Canada perçoit son rôle. Commençons par parler des grains, de l'équipement agricole et du bétail.
Selon l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture, la production alimentaire mondiale doit augmenter de 60 p. 100 d'ici 2050 pour que nous puissions soutenir une population qui devrait dépasser les 9 milliards d'habitants. Compte tenu de la demande alimentaire croissante et de l'importance grandissante de la sécurité alimentaire, les gouvernements élaborent des politiques visant à permettre à leur pays de devenir autosuffisant sur le plan de l'approvisionnement en protéines et réduisent leurs besoins d'importations avant un resserrement de l'approvisionnement alimentaire mondial.
La plupart des meilleures terres agricoles arables dans le monde sont déjà utilisées. Par conséquent, une partie importante de la solution pour combler l'écart alimentaire à venir consiste à améliorer l'efficacité agricole dans les pays ayant beaucoup de terres agricoles arables qui ne sont pas exploitées ou qui sont sous-utilisées.
Quelles lacunes cela représente-t-il? À EDC, nous recevons souvent des demandes d'acheteurs étrangers du secteur agricole qui cherchent ce que nous appelons une solution clé en main dans laquelle un acheteur peut traiter avec une seule entreprise canadienne ou passer un contrat pour toutes les exigences d'un projet au lieu de traiter avec un grand nombre de fournisseurs canadiens. Par exemple, une entreprise agricole étrangère de taille moyenne pourrait chercher un fournisseur pour des grains, l'entreposage, du nouveau matériel d'arrosage, des semences ou de l'engrais, et des services de consultation et de formation.
[Français]
Quelles sont ces opportunités? Le Canada a une renommée mondiale en tant que producteur d'équipement agricole de très haute qualité. De plus, nous pouvons confirmer qu'un objectif essentiel de plusieurs marchés développés et émergents est d'améliorer la capacité de la production agricole. Ces données nous confirment qu'il y a et qu'il y aura continuellement d'importantes occasions pour les producteurs d'équipement agricole canadiens. Malgré le fait que pour ce qui est du bétail, les marchés internationaux peuvent être difficiles, nous avons une très forte renommée non seulement en production mais aussi pour ce qui est de la production génétique reliée au bétail, qui est à la fine pointe de la technologie.
Encore une fois, nous avons l'honneur d'être en tête de peloton pour ce qui est de la qualité. Cela nous permet de pouvoir offrir beaucoup aux marchés émergents surtout s'ils recherchent une capacité de production supérieure pour leur troupeau et la possibilité d'offrir des produits uniques à l'intérieur de leur propre marché. Le bétail canadien semble être à la hauteur de cette demande.
[Traduction]
Permettez-moi maintenant de vous parler du secteur des fruits de mer.
Comme l'a mentionné mon collègue, sur le plan des exportations générales, les exportateurs de fruits de mer canadiens sont encore très liés au marché américain, mais ils s'en éloignent de plus en plus pour se tourner vers d'autres régions, comme l'Asie, l'Europe et la Russie.
Il y a un autre aspect qui contribue à l'accroissement de la demande, et c'est l'amélioration des conditions dans les pays en développement. En conséquence, les gens demandent des fruits de mer pour améliorer leur alimentation. Par exemple, la Chine prévoit que sa classe moyenne va doubler au cours des 10 prochaines années, ce qui représente une augmentation de plus de 350 millions de personnes. Il est important de souligner que l'on observe un approvisionnement croissant en poissons provenant de l'aquaculture et des pays en développement, tandis que l'approvisionnement en poissons capturés dans les pays développés décline; l'aquaculture prend donc une place encore plus importante sur le marché international.
Quelle lacune avons-nous observée? C'est généralement en aquaculture. Étant donné que la demande continue d'augmenter, l'aquaculture représente le nouvel espoir pour combler cette lacune. Cela porte à croire que l'aquaculture deviendra l'approvisionnement de base, et plus seulement un complément à la pêche en eau libre. Malheureusement, le Canada n'est pas à l'avant-garde de l'innovation; à cause de la stricte réglementation canadienne, nous n'avons pas pu tirer profit de l'évolution de l'aquaculture.
[Français]
Quelles sont les occasions d'affaire? Comme pour l'équipement agricole et celui du bétail, le Canada se démarque par la qualité de son produit.
Nous voyons que la demande de poisson grandira suite aux changements démographiques dans les pays émergents et nous sommes très bien positionnés pour répondre à cette demande. Le produit canadien est non seulement de qualité supérieure mais son prix également est supérieur. Cependant, nous savons que beaucoup de gens des pays émergents sont prêts à payer ce prix supérieur pour avoir des produits de meilleure qualité.
[Traduction]
Quel est le rôle d'EDC dans ce domaine? Si nous tenons compte de l'aspect relatif aux grains et à l'équipement pour des marchés tels que la Russie et la CEI, par notre capacité à offrir des produits comme l'assurance comptes clients ainsi que le financement, nous pouvons aider les exportateurs à faire face aux difficultés auxquelles ils sont confrontés dans ces marchés. En ce qui concerne les fruits de mer, même si cela s'applique aussi à l'équipement agricole, nous offrons souvent de l'information commerciale, par l'entremise de nos opérations canadiennes ou de nos représentants à l'étranger. Nous faisons aussi beaucoup de jumelage, souvent de concert avec nos partenaires du MAECI et d'autres partenaires du marché. Par exemple, nous avons obtenu une excellente visibilité à la récente Exposition européenne des fruits de mer, à Bruxelles, et nous avons organisé plus de 25 rencontres de jumelage dans le but d'établir des relations entre les acheteurs étrangers et les fournisseurs canadiens. Quatre acheteurs se sont montrés intéressés, tous de l'Ukraine, un acheteur étranger ayant beaucoup d'intérêt pour les fruits de mer canadiens. Nous les avons mis en contact avec plus de 15 exportateurs canadiens. Une importante exposition de fruits de mer aura lieu en Chine en novembre, et nous prévoyons nous y rendre afin de soutenir l'industrie canadienne des fruits de mer.
J'aimerais conclure sur cette note et remercier les sénateurs de leur attention au cours des dernières minutes. Je suis à votre disposition pour répondre à toutes vos questions.
Le sénateur Eaton : Merci, monsieur Larue et madame Hendricks.
Le Canada s'efforce en ce moment de participer au partenariat transpacifique, qui englobe la Corée, le Japon et l'Inde et tout ce dont vous avez parlé, monsieur, de même que nos barrières non tarifaires. Nos commissions de commercialisation des œufs et des produits laitiers feront-elles l'objet de discrimination? Les pays seront-ils difficiles à convaincre? L'Inde, la Corée ou le Japon subventionnent-ils leurs producteurs? Quelle sera notre défense?
M. Larue : Dans le cas présent, ce qu'on ignore encore, ce sont les concessions que les Néo-zélandais et les Américains devront faire pour amener le Japon à négocier. Le Japon, tout comme le Mexique et le Canada, ne prend pas part aux pourparlers, même s'il a manifesté un intérêt à leur égard.
Pour être autorisé à participer aux pourparlers, le Canada doit s'engager à éliminer graduellement ses programmes de gestion de l'offre. Il reste à savoir si cette condition sine qua non continuera de tenir. Si d'importantes concessions sont faites pour amener le Japon à la table des négociations, le Canada aura également moins de mal à y participer, et il pourra probablement le faire sans consentir de compromis relatifs à la gestion de l'offre.
Lorsque nous avons commencé à négocier avec les Européens, ils demandaient également que nous supprimions nos programmes de gestion de l'offre. D'après ce que j'ai entendu, cela ne leur importe plus autant. Quand, vers le milieu des années 1980, nous avons commencé à négocier avec les États-Unis, les Américains voulaient que nous nous débarrassions de notre gestion de l'offre. Toutefois, pour accélérer la fin des négociations, ils ont laissé tomber. Il se peut que la même chose se produise cette fois encore.
Le sénateur Eaton : Les Américains subventionnent énormément leur industrie agricole, tout comme les Européens.
M. Larue : C'est exact. En fait, les Américains la subventionnent moins que nous. Les Européens ont grandement modifié leurs politiques. Leurs subventions dépassent toujours les nôtres, mais ils ont apporté d'importants changements à leur Politique agricole commune. Ils sont en train de supprimer leurs quotas. Comme ils ont apporté des changements, ils s'attendent à ce que nous fassions de même.
Le Canada est de plus en plus seul à défendre ces programmes sur la scène mondiale. Je pense qu'à l'heure actuelle, son principal allié à cet égard est le Japon, mais les Européens ne sont plus de la partie.
Le sénateur Buth : Vos observations à propos du Japon ont piqué ma curiosité. Quelles concessions le Japon devra-t- il faire relativement au riz ou à d'autres produits?
M. Larue : On a demandé au Japon de modifier sa politique agricole. L'Accord de partenariat transpacifique va beaucoup plus loin que l'agriculture. Par conséquent, il y a beaucoup de domaines qui font l'objet de désaccords, même entre les pays qui participent en ce moment aux négociations. Dans ce genre de processus, on exige que les partenaires commerciaux fassent de nombreuses concessions au début des négociations. Mais, ensuite, il est nécessaire de faire des compromis pour veiller à conclure l'accord dans un délai raisonnable. On exercera des pressions sur les organisateurs de cet accord afin qu'ils cèdent du terrain.
Ce qui est peut-être différent cette fois-ci, c'est que même le président des États-Unis a abordé la question de l'agriculture et des conditions imposées au Canada. Avant, le président ne parlait jamais d'agriculture.
Le sénateur Eaton : Quel effet ces accords commerciaux en cours de négociation auraient-ils sur les recherches menées à Laval et à Guelph, ou sur n'importe quel collège ou université qui pourrait offrir des cours ou des programmes sur la modification génétique? Des recherches sont-elles effectuées sur les céréales génétiquement modifiées?
M. Larue : On mène de nombreuses recherches dans ce domaine. Par exemple, des phytologues s'emploient en ce moment à développer des cultures.
Le sénateur Eaton : Les accords commerciaux auraient-ils une incidence sur cette recherche?
M. Larue : C'est possible. Les OGM sont encore très controversés. Au Canada, nous les utilisons plutôt fréquemment, à l'instar des Américains. Toutefois, les Européens sont moins sensibles à leurs avantages. Au Canada, par exemple, le blé n'est pas génétiquement modifié. Les producteurs de blé ont indiqué clairement qu'ils n'en voulaient pas, car cela nuirait à leurs exportations.
En ce qui nous concerne, si nous négocions un accord commercial et que le commerce des OGM s'en trouve restreint, par exemple, cela aura des répercussions sur nos recherches. Nous nous pencherons alors sur les conséquences que pourraient avoir de tels règlements, et nous tenterons de mesurer leur incidence.
Le sénateur Eaton : Vous attendez-vous à ce que des endroits comme l'Inde vous posent des problèmes? Les Indiens sont-ils aussi sensibles aux semences génétiquement modifiées que les Européens?
M. Larue : Oui. Les endroits comme l'Inde sont très protectionnistes. Comme je le disais, leurs tarifs s'élèvent à environ 30 p. 100, en moyenne. Donc, ils sont très élevés. Pour les pays comme l'Inde, nous devrons prendre en considération les règlements qu'ils nous imposent, parce qu'ils représentent d'énormes marchés.
Les négociations qui se déroulent en ce moment au sein de l'OMC sont problématiques en partie parce que des pays comme l'Inde souhaitent maintenir leur haut degré de protectionnisme dans le domaine de l'agriculture.
Le sénateur Campbell : Ma première question s'adresse à Mme Hendricks, et elle concerne l'aquaculture. Je trouve intéressant que vous considériez que, dans les années à venir, l'aquaculture deviendra une source principale d'aliments, et non un supplément ou un ajout. Vous avez dit qu'en ce qui concernait la technologie dans ce domaine, le Canada n'était pas parmi les innovateurs de premier plan, en raison de la réglementation.
Je me demande si vous pourriez m'éclairer quant à la voie que nous devrions suivre à cet égard. L'aquaculture est une grosse affaire en Colombie-Britannique. Un autre centre piscicole vient de fermer ses portes aujourd'hui parce qu'un virus infecte les saumons d'élevage. Que devons-nous faire pour parvenir au stade où l'aquaculture est durable et ne présente pas tous les inconvénients que nous observons en ce moment? Je ne suis pas contre l'aquaculture. Toutefois, les répercussions qu'elle a sur l'océan en Colombie-Britannique sont tellement dévastatrices que nous nous demandons ce que nous devrions faire.
Mme Hendricks : Je vais simplement clarifier mon argument. Lorsque j'ai indiqué que le Canada accusait du retard, je ne voulais pas dire que des recherches n'étaient pas entreprises. C'est simplement que certains des règlements actuellement en vigueur au Canada rendent la tâche difficile aux entreprises qui cherchent à innover davantage et à commercialiser certaines de leurs recherches.
Par exemple, il y a une entreprise de l'industrie de l'aquaculture qui semble avoir élaboré une technologie qui peut réduire la menace de maladie en purifiant l'eau. Nous suivons leurs recherches très attentivement. Ils ont des projets en cours en Chine ainsi qu'au Japon.
Je soutiens qu'une partie du défi consiste à être en mesure d'investir dans la recherche afin de remédier au plus grand risque. Compte tenu des ressources disponibles au Canada, non seulement en matière d'eau, mais aussi en matière de connaissances dans le domaine, nous pourrions être très bien placés pour résoudre ces problèmes.
Le sénateur Campbell : Dans des parcs clos, à l'intérieur des terres?
Mme Hendricks : Dans certains cas, oui. L'exemple auquel je fais allusion ne se trouve pas à l'intérieur des terres, mais en mer.
Le sénateur Campbell : Je me demande si M. Larue pourrait me communiquer les chiffres qu'il a mentionnés à propos des ventes aux différentes provinces.
Vous aviez des chiffres en main, et je n'ai pas eu le temps de tous les consigner. Ces chiffres m'intéressent.
M. Larue : En ce qui concerne les exportations agroalimentaires en 2011, celles de la Saskatchewan s'élevaient à 10,1 milliards de dollars, celles de l'Ontario à 9,9 milliards de dollars, celles de l'Alberta à 7,9 milliards de dollars et celles du Québec à 7,9 milliards de dollars. La prochaine province dont je me souviens est le Manitoba, qui ne figure pas dans la liste que j'ai ici, mais dont les exportations se chiffrent, je crois, à 4,9 milliards de dollars. Au total, toutes provinces confondues, les exportations s'élèvent à environ 40 milliards de dollars.
En outre, l'industrie de la transformation des aliments est actuellement le deuxième secteur en importance au Canada.
Le sénateur Plett : Je souhaite formuler une observation. Premièrement, je tiens à ce que le sénateur Campbell sache que la libéralisation des produits d'importation dont il a été question ne témoigne pas des actions du Parti libéral du Canada; cela a simplement rapport au type de produits, alors ne vous rengorgez pas, sénateur Campbell.
Agriculture et Agroalimentaire Canada a élaboré la stratégie de la marque Canada. Comment est-elle perçue à l'échelle internationale? Est-elle accueillie favorablement? J'ignore lequel d'entre vous aimerait répondre à cette question.
M. Larue : Je peux tenter d'y répondre. Comme Mme Hendricks l'a déclaré, le Canada a une très bonne réputation sur les marchés mondiaux. Elle remonte, par exemple, à l'époque où nous fournissions du cheddar à l'Angleterre, lequel était vendu au prix fort. Par conséquent, lorsque l'Angleterre a intégré l'Union européenne, cela a gâché un peu les choses pour nous.
C'est la même chose avec le blé. Une partie des recherches que j'ai menées dans le cadre de ma thèse de doctorat portaient sur la qualité du blé et le supplément que le Canada obtenait pour cette qualité, comparativement aux États- Unis. Si vous examinez le nombre de plaintes déposées par les acheteurs de blé étrangers que j'ai étudiées des années 1970 aux années 1980, vous constaterez que le blé canadien faisait l'objet de beaucoup moins de plaintes que le blé américain.
En ce qui concerne le porc, par exemple, nous avons été parmi les premiers à en fournir aux Japonais. Ce sont des acheteurs très difficiles, et nous avons été en mesure de pénétrer ces marchés parce que nous étions capables de faire ce qu'ils voulaient. Nous produisions du porc de haute qualité qui répondait à leurs exigences. Cela nous a obligés à organiser les chaînes d'approvisionnement et les abattoirs un peu différemment. Nous l'avons fait en premier et, maintenant, les États-Unis font de même.
Pour ce qui est de la qualité, d'autres pays produisent également du porc de haute qualité.
Le sénateur Plett : Ils essaient de nous rattraper?
M. Larue : Oui, mais il est difficile de continuer à les devancer. Il y a des limites aux innovations qu'on peut apporter. Les États-Unis courtisent de façon assidue le marché japonais. Taiwan, qui était son principal fournisseur de porc frais, a perdu sa place parce que ses porcs avaient contracté une maladie, alors les États-Unis ont proposé leurs produits avec beaucoup d'insistance. Ils avaient mis sur pied des programmes solides. Ce sont eux qui ont bénéficié de la plus grande part de marché, même si nous produisons du porc de haute et nous entretenons une relation avec les Japonais depuis longtemps.
Sur le plan de la qualité, notre image sur les marchés est excellente. Bien entendu, en liant étroitement le produit des entreprises au produit du pays, on prend aussi un risque. Si les produits d'une entreprise occasionnent des problèmes, d'autres entreprises pourraient en souffrir. Les exportateurs privés courent aussi un risque.
Mme Hendricks : Oui. Pour ajouter une autre perspective aux propos de M. Larue, j'ai eu le plaisir et l'honneur d'observer la marque Canada au cours de quelques foires commerciales. J'aimerais que le comité tienne compte d'un autre élément qui a aussi son importance, c'est-à-dire le fait d'offrir un soutien aux exportateurs. Lorsque vous arborez le drapeau canadien dans le monde réel, la qualité qui s'y rattache attire assurément l'attention. Vous aurez droit à une certaine affluence, si vous me permettez d'employer cette expression, parce que les gens recherchent la feuille d'érable.
L'autre élément que j'ai observé et dont j'ai certainement été témoin ces deux ou trois dernières années et auquel je n'avais pas pensé auparavant, c'est que lorsqu'on regroupe de telles entreprises — tout en reconnaissant qu'elles peuvent être en concurrence — on les aide à échanger, à partager leurs expériences. Vers la fin de l'an dernier, j'étais en Allemagne, où il y avait près de 50 entreprises canadiennes du secteur du matériel agricole. Puisque nous avions participé à réunir ces gens, des entreprises du Québec nous ont fait part de leurs commentaires. On nous remerciait surtout de les avoir aidés à entrer en contact avec certains des grands joueurs au Canada — et simplement d'en entendre parler — parce que cela avait une grande valeur pour eux pour la préparation de leur stratégie pour l'avenir, mais aussi en ce qui a trait au fait d'être inclus dans l'image de marque du Canada. Lorsque vous en faites la promotion et que vous mentionnez d'où vous venez, les gens savent d'entrée de jeu que vous offrez des produits d'une certaine qualité.
Un autre exemple serait qu'actuellement, nous discutons d'un fonds spécial au Brésil, qui est axé sur l'agriculture. Dans les discussions avec ces gens, je leur ai offert l'occasion de venir au Canada, de venir à Winnipeg, de rencontrer ce que j'appelle les suspects habituels pour qu'ils puissent avoir une idée de ce qu'ils offrent. On m'a répondu que ce n'était pas nécessaire, parce qu'on le savait déjà. C'est à la fois intéressant et plaisant, parce que cela permet de passer à une autre étape et on peut poursuivre le dialogue à un autre niveau, ce que j'ai hâte de faire dans mon secteur d'activité. C'est une autre possibilité.
Le sénateur Plett : Puisque nous avons peu de temps, je renonce à mon autre question, à moins qu'il y ait un deuxième tour.
[Français]
Le sénateur Robichaud : Madame Hendricks, lorsque vous avez accompagné une délégation de manufacturiers d'équipements canadiens en Allemagne, un groupe vous a remercié non pas d'être allés en Allemagne, mais d'avoir amené les Canadiens à mieux se connaître. Est-ce qu'il y a un sérieux besoin?
Mme Hendricks : C'est une excellente question. Selon moi, ce n'est pas tellement le besoin de se connaître, parce qu'ils se connaissent. C'est plutôt d'avoir un forum où ils peuvent se rencontrer.
Je crois que nous sommes tous à court de temps. Je ne parle pas seulement des exportateurs, mais de toute la population d'aujourd'hui. Quand, à l'occasion d'une des plus grandes foires internationales au monde, vous êtes capable de rassembler ces gens-là afin qu'ils puissent prendre une pause et dialoguer entre eux, on en reçoit d'énormes bénéfices. Je vous dirais que c'est davantage pour maximiser notre temps quand nous sommes à l'étranger en tant que délégation canadienne.
Le sénateur Robichaud : Vous le faites une fois sur les lieux et non avant?
Mme Hendricks : On le fait avant aussi, lors de la préparation. On fait des mises à jour sur les joueurs qui sont sur le marché. Il y a énormément d'échanges entre les différents ministères comme Agriculture et Agroalimentaire Canada, Affaires étrangères et Commerce international Canada, ainsi que d'autres associations. Quand on se prépare pour une foire internationale, on commence presqu'un an à l'avance. Il doit y avoir une préparation afin de s'assurer que la délégation mette son meilleur de l'avant. Une fois sur les lieux, on profite de l'occasion pour se rassembler et dialoguer. Les plus jeunes ont l'occasion de dialoguer avec ceux qui ont beaucoup d'expérience ou qui ont été les premiers à percer les marchés. C'est un dialogue qu'ils chérissent énormément.
Le sénateur Robichaud : Monsieur Larue, vous parlez de l'exportation de produits agricoles bruts ou transformés. Où voyez-vous une occasion d'augmenter la vente de produits qu'il serait possible de transformer plutôt que de les exporter à l'état brut?
M. Larue : Il y a des tendances lourdes à transformer davantage dans à peu près tous les secteurs. Je dirais que c'est à l'avantage du Canada qui possède une main-d'œuvre qualifiée. En termes climatiques, le Canada est souvent désavantagé. Mais sur le plan des matières premières, il est parfois plus simple d'importer les produits et de les transformer ici au Canada.
Le sénateur Robichaud : Je crois que vous parlez du chocolat.
M. Larue : Je dirais que dans la plupart des secteurs où on exporte déjà, il y a de bonnes possibilités d'exportation parce que la demande est très forte, surtout de la part de pays émergents comme l'Inde ou la Chine qui ont des populations immenses à nourrir, qui voient leur classe moyenne en train de se développer.
Ces gens veulent manger davantage de viande et davantage d'aliments de meilleure qualité. Cela crée énormément de besoins, mais en même temps il y a aussi la concurrence de pays émergents, de pays comme le Brésil qui est un compétiteur fantastique.
C'est un endroit où il reste un potentiel de terres à développer, tandis que dans la plupart des pays il y a une limite. Les augmentations de production vont venir de l'augmentation du rendement et ce qui est prédit en termes de croissance de rendement, c'est qu'elle sera plus faible à l'avenir qu'elle ne l'a été dans le passé. Mais un pays comme le Brésil, qui possède encore beaucoup de terres et de l'eau en grande quantité, a un fort potentiel agricole. Le Brésil est devenu le plus gros transformateur de viande au monde.
Le sénateur Robichaud : Je m'en voudrais de ne pas parler de la gestion de l'offre puisque vous en avez parlé. Vous êtes de l'Université Laval. Vous n'êtes pas sans savoir qu'il ne faut pas sacrifier la production laitière au Québec au profit d'un autre secteur. N'est-ce pas?
M. Larue : Par rapport à la production laitière, je crois que si on était pour progressivement éliminer ou transformer la gestion de l'offre, je crois que ce ne serait pas la fin de l'industrie, mais ce serait une industrie très différente. On produirait davantage de lait qu'on en produit présentement, mais il y aurait beaucoup moins de fermes.
Une étude américaine publiée récemment a démontré qu'une ferme de 1 000 ou 2 000 vaches peut encore faire des économies d'échelle et que son coût de production peut être quatre fois moindre que celui de petites fermes qu'on retrouve au Québec.
Le sénateur Robichaud : Ce serait le cas si le Québec suivait le modèle américain et faisait usage des hormones pour la production laitière. N'est-ce pas?
M. Larue : En fait, la somatotrophine bovine n'a pas été un gros succès technologique aux États-Unis. Beaucoup d'agriculteurs n'ont pas adopté cette méthode parce que ça créait plus de problèmes que ça en solutionnait. Les économies d'échelle ne proviennent pas de l'utilisation des hormones, mais de la gestion des troupeaux. Les agriculteurs peuvent se permettre d'avoir des équipements plus performants, tels les robots de traie.
Il y a des économies d'échelle qui se font avec la pratique de l'alimentation de précision. C'est là qu'est la différence. Je ne dis pas que le Québec et l'Ontario ont la topographie pour exploiter des fermes de 5 000 vaches, mais ces provinces pourraient certainement augmenter la taille moyenne de leurs troupeaux et bien s'en sortir.
Le sénateur Robichaud : Actuellement, c'est ce que font les producteurs parce qu'au Québec, les fermes se sont transformées.
M. Larue : C'est une très bonne question. En fait, les fermes n'ont pas pris beaucoup d'expansion, en partie à cause des problèmes du marché du quota qui fait l'objet d'un plafonnement.
Le prix du quota dans l'Ouest est au-dessus de 30 000 $. En Colombie-Britannique, il est beaucoup plus élevé qu'au Québec. Au Québec et en Ontario, il se transige très peu de quotas. C'est donc difficile pour les fermes de prendre de l'expansion.
Il y avait deux fermes au Québec, entre autres, qui avaient modernisé leurs équipements. Elles étaient sur le bord de la faillite parce qu'elles ne pouvaient pas avoir du quota. La fédération est intervenue et leur a donné du quota pour leur éviter la faillite. Il y a eu des problèmes avec des gens qui achetaient des fermes au complet pour s'approprier du quota et qui revendaient la ferme avec un peu moins de quota au premier propriétaire pour pouvoir passer à côté du plafond. C'est simplement pour vous exposer les problèmes d'expansion de l'industrie au Québec et en Ontario en ce moment.
Le sénateur Robichaud : Je reviendrai au deuxième tour, monsieur le président.
Le président : Le gouvernement du Canada a dit que la gestion de l'offre ne faisait pas partie des discussions.
M. Larue : C'est vrai.
[Traduction]
Le président : Si c'est le cas, je pense que nous pouvons en rester là.
[Français]
Le sénateur Rivard : À la lecture du document que vous nous avez fourni, on se rend compte qu'à l'exception des 27 pays de l'Unions européenne, les États-Unis est notre plus gros fournisseur de bétail et notre plus grand client dans le secteur de l'agroalimentaire.
Entre 1990 et aujourd'hui, la valeur de notre devise versus le dollar américain a fluctué entre 1,40 $ et 0,95 $. Comment fait-on pour demeurer concurrentiels? Par exemple, le fait que notre devise fluctuait de cinq sous par année, est-ce que cela faisait baisser le volume des ventes? Est-ce que la recherche et l'innovation nous ont permis de conserver notre part de marché?
M. Larue : L'innovation a certainement aidé, mais dans certains secteurs cela a amené des façons de faire et des structures salariales totalement différentes. Dans le secteur de l'abattage, par exemple au Québec, tous les transformateurs ont renégocié avec leurs employés des baisses de salaire très substantielles de l'ordre de 30 à 40 p. 100. Le passage d'un dollar canadien faible à un dollars canadien très fort a été très difficile.
Cela a provoqué un genre d'ajustement par rapport aux structures salariales que les Américains avaient fait une quinzaine d'années avant nous. Parce que dans les années 1970, le secteur de l'abattage aux États-Unis payait très bien mais par la suite, pour devenir plus compétitifs, ils ont commencé à engager des travailleurs immigrants. Ils ont complètement changé de modèle. Il était possible d'être concurrentiel lorsque le dollar était faible, mais quand le dollar s'est mis à prendre de la valeur, il a fallu faire des ajustements majeurs. Mais en même temps, les conflits de travail qu'il y a eu au Québec et en Ontario ont permis aux entreprises de moderniser leurs équipements. Les entreprises sont donc beaucoup plus efficaces qu'auparavant. Sur le plan de la productivité, il y a eu des gains substantiels. Les firmes se sont aperçues que si elles voulaient demeurer en affaire, elles devaient devenir plus productives. Les firmes ont vite compris que le dollar ne redescendrait pas au niveau qu'il était vers la fin des années 1990.
[Traduction]
Le sénateur Mahovlich : Il y a 10 ans environ, je siégeais au comité des pêches et nous avons visité beaucoup d'entreprises aquacoles. À l'époque, je crois que la Norvège était un chef de file mondial de l'aquaculture. J'aurais cru que le Canada aurait déjà rattrapé et dépassé les Norvégiens. Quel a été notre problème? Je dirais que nous avons un littoral beaucoup plus long que n'importe qui dans le monde.
Mme Hendricks : Je crois comprendre que certains règlements actuels qui s'appliquent aux entreprises aquacoles leur compliquent la tâche en ce qui a trait à la recherche qu'elles doivent faire pour assurer la viabilité de l'industrie. Nous avons parlé précédemment de certains des risques associés à l'aquaculture, qui a toujours eu cette mauvaise réputation selon laquelle les pertes sont plutôt importantes si les choses tournent mal.
En conséquence, ce qui a permis à la Norvège de devenir un chef de file dans ce domaine il y a plusieurs années et de le demeurer a été sa capacité d'appuyer cette recherche et d'y investir. L'industrie des pêcheries de la Norvège est reconnue à l'échelle mondiale. La Norvège y investit beaucoup, tant pour ce qui est des stocks que pour l'innovation.
Quand on examine la technologie nécessaire dans ce genre de sous-secteur, ce qui permet de se démarquer, c'est la capacité de démontrer la fiabilité de la technologie. Plus on peut le faire rapidement, plus on est en mesure d'avoir rapidement accès au marché.
Avons-nous mis en place un contexte économique ou du soutien pour les activités de ces entreprises? Habituellement, ce serait de petites entreprises qui investiraient dans ce domaine ou qui y consacreraient du temps, et parfois, elles manquent de temps.
Le sénateur Mahovlich : Lorsque vous parlez de soutien, parlez-vous de soutien public?
Mme Hendricks : Oui. Je ne parle pas de subventions, mais de la mise en place d'instances appropriées qui permettent aux entreprises d'avoir accès à diverses sources de financement ou de consacrer de temps à la recherche technologique.
J'aimerais revenir sur le commentaire que j'ai fait plus tôt au sujet du regroupement des entreprises. Souvent, lorsque des joueurs collaborent et se complètent avant de se présenter au monde, on constate que le fait d'avoir une solution clé en main semble gagner du terrain dans bien des secteurs de l'agriculture. La capacité de mettre en place un forum où les entreprises peuvent se réunir et s'entraider peut aussi leur être très utile et avantageux.
Le sénateur Campbell : En Colombie-Britannique, la plupart des fermes aquacoles appartiennent à des entreprises norvégiennes. Ma question est la suivante : si elles sont en mesure d'exercer leurs activités dans un tel climat, pourquoi ne pouvons-nous pas faire mieux? Pourquoi n'investissons-nous pas en aquaculture? En Colombie-Britannique, la grande majorité de ces entreprises appartient aux Norvégiens. Pourquoi les entreprises canadiennes ne peuvent-elles pas franchir la prochaine étape? Est-ce simplement lié au risque, ou est-ce le fait que le marché n'existe pas encore?
Mme Hendricks : Mon rôle n'est pas nécessairement de donner mon opinion sur l'aspect de la question qui est lié aux politiques. Je vais vous offrir des pistes de réflexion basées sur mes connaissances. Je peux certainement faire des recherches à ce sujet pour vous. Notre industrie est très peu tournée vers l'aquaculture. Il y a quelques joueurs importants au pays, dont certains connaissent un certain succès.
Cependant, en ce qui a trait à la capacité de ce genre d'entreprises d'obtenir des fonds et d'investir pour concurrencer directement les Norvégiens, les entreprises doivent déterminer s'il s'agit ou non de la voie de l'avenir. Nous avons des indications selon lesquelles ce serait le cas.
Récemment, j'ai assisté à une conférence à New York, et les perspectives d'avenir au sujet de l'aquaculture et de l'importance qu'elle aura à l'avenir sur la scène mondiale pour ce qui est de l'approvisionnement des marchés émergents, en particulier, sont assez bonnes. Nous avons considéré qu'il s'agissait là d'une occasion pour les Canadiens de dire qu'il faut y consacrer un peu plus de temps. Il est aussi important de reconnaître que nous avons une industrie traditionnelle très viable et que cette dynamique a aussi un rôle à jouer à cet égard.
M. Larue : J'aurais un autre point. En agriculture, l'investissement étranger direct est assez important. On parle principalement du commerce. Le fait que les Norvégiens sont très présents en agriculture n'est pas surprenant. Par exemple, dans l'industrie du fromage, Saputo est l'un des principaux fabricants de fromage au Canada et le deuxième plus important producteur de fromage mozzarella aux États-Unis. Saputo est aussi présente en Argentine. Cela s'explique par le fait qu'elle investit en recherche et développement.
La mozzarella est un fromage particulier. Un de mes collègues est titulaire d'une chaire de recherche au Canada sur la fabrication fromagère et il compare cela à un plastique de haute technologie, parce qu'on examine les propriétés du fromage à des températures extrêmes. Il dit que c'est très complexe et qu'il faut beaucoup d'argent pour se doter de la capacité nécessaire pour fabriquer ce genre de produit.
Le sénateur Mahovlich : Vous avez parlé du mode de production que le Québec utilise pour la production de chocolat. Importe-t-on le cacao pour ensuite exporter le produit fini?
M. Larue : Nous ne produisons pas de cacao. Nous l'importons, puis nous fabriquons des produits du chocolat. Nous en fabriquons beaucoup. Nous exportons plus de produits du chocolat que de produits dérivés du sirop d'érable.
Le sénateur Mahovlich : Les autres provinces font-elles la même chose?
M. Larue : Oui. Beaucoup d'entreprises en Ontario agissent ainsi; elles importent un produit, font des mélanges et exportent un produit fini. Une partie de l'industrie vinicole de l'Ontario a été créée ainsi. Lorsque nous avons négocié l'accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis, les gens croyaient que cela allait sonner le glas de cette industrie. Un moment donné, on a même réussi à obtenir une forme de compensation parce que les gens pensaient qu'elle allait disparaître. En somme, l'industrie a demandé un assouplissement de la réglementation relative à la définition d'un vin canadien, ce qui lui a permis d'importer des raisins de meilleure qualité qu'on a ensuite mélangés au raisin canadien de façon à fabriquer des produits de meilleure qualité. Maintenant, les vins canadiens sont très bons, ce qui est attribuable à cette réglementation plus souple.
[Français]
Le sénateur Maltais : Madame Hendricks, je voudrais revenir sur l'aquaculture. Je suis allé en Norvège, il y a 25 ans. Elle était déjà première dans ce domaine parce qu'elle prévoyait l'épuisement des stocks de poisson de fond tels le flétan, le turbo et autres. Au Canada, j'ai l'impression que la recherche en aquaculture est laissée pour compte. Si la Norvège élève le poisson avec la même eau que nous, soit l'Atlantique, et qu'elle soit capable de combattre les microbes, comment se fait-il qu'avec tous nos chercheurs, nous ne soyons pas capables d'élever une truite made in Canada?
Au supermarché, les truites congelées viennent du Japon, le drapeau du Soleil levant imprimé sur la queue de la truite. Comment se fait-il qu'au Canada on ait pris un tel retard et que personne n'ait dénoncé cela? On n'a pas beaucoup entendu parler les chercheurs en aquaculture. Notre pays est entouré d'océans : le Pacifique, l'Arctique, l'Atlantique, et, en plus, nous sommes un des pays où il y a le plus de lacs et de fleuves.
Comment se fait-il qu'avec toute cette recherche et tout cet argent nous sommes incapables d'élever une truite pour la mettre dans notre assiette? La question est posée.
Mme Hendricks : Honnêtement, je vais y répondre peut-être de façon un peu naïve, parce que je suis certaine qu'avec votre expérience et vos visites — vous avez eu l'occasion d'aller en Norvège — alors que moi, je n'ai pas encore eu le plaisir d'y aller. C'est en effet une industrie qui existe depuis plus de 25 ans, mais j'aimerais porter à votre attention que nous avons au Canada une industrie très viable sans l'aquaculture.
[Traduction]
Le sénateur Duffy : Madame Hendricks, vous avez parlé d'une augmentation de 60 p. 100 de la demande alimentaire. Était-ce vous qui l'avez mentionné, ou M. Larue?
Mme Hendricks : C'était moi.
Le sénateur Duffy : Pourriez-vous le répéter?
Mme Hendricks : Certainement. Le chiffre est celui de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture. La production alimentaire mondiale doit augmenter de 60 p. 100 d'ici 2050 pour que nous puissions soutenir une population qui devrait dépasser les 9 milliards d'habitants.
Le sénateur Duffy : Ce chiffre est renversant et cela nous indique qu'il y aura une demande continue pour les produits canadiens, les produits que nous pêchons et que nous cultivons au pays. Écouter votre témoignage d'aujourd'hui m'a rappelé que l'ensemble de notre économie — mais en particulier le secteur agricole — est une chose dynamique qui bouge et qui évolue.
Monsieur Larue, vous avez parlé du fromage cheddar et de nos exportations en Grande-Bretagne. Lorsque ce pays a rejoint les rangs du marché commun européen, les gens disaient que c'était la fin du monde. Nous n'avons pas abandonné; nous nous sommes regroupés, avons redoublé d'efforts et créé de nouveaux produits et de nouveaux marchés. Comme vous l'avez indiqué, notre industrie fromagère est florissante.
À l'Île-du-Prince Édouard, nous ne faisons pas l'élevage du saumon, mais de moules, un produit qui a été introduit il y a 40 ans, avec l'aide du ministère des Pêches. Les moules de l'Île-du-Prince Édouard représentent maintenant une importante source de revenus, une industrie de plusieurs millions de dollars. Et c'est sans compter ce que les McCain et les Irving ont fait au sein de l'industrie alimentaire. Le premier ministre a déclaré que nous ne permettrons pas aux agences de commercialisation de participer. Or, il me semble que votre message d'aujourd'hui en est un de croissance, d'expansion et de changements positifs pour l'avenir.
Mme Hendricks : J'abonderais dans le même sens et j'ajouterais qu'il faut continuer de se tenir au courant de ce qui est en demande à l'échelle mondiale. Pour que les exportateurs canadiens soient concurrentiels sur la scène internationale, ils doivent satisfaire à la demande. La clé du succès réside dans notre habileté à regrouper nos capacités de façon à pouvoir offrir ce qui est recherché sur le marché international. Nous avons certainement ce qu'il faut pour y parvenir, et nous voulons simplement nous assurer que nous sommes capables d'être aussi concurrentiels que les John Deere de ce monde, par exemple, ou que nous pourrons lutter à armes égales contre eux, parce que ce sont nos concurrents.
Le sénateur Duffy : Équipe Canada.
Monsieur Larue, lorsque vous parlez aux gens de l'industrie, trouvez-vous qu'ils sont optimistes par rapport à l'avenir?
M. Larue : Oui. En fait, c'est parce qu'on a été en mesure d'innover dans beaucoup de secteurs. Si vous allez à l'épicerie, dans l'allée des jus, là où il n'y avait autrefois que du jus d'orange et un peu de jus de pomme, vous trouverez aujourd'hui une multitude de jus aux propriétés nutraceutiques. Voilà un des domaines où les choses ont changé. Pour ce qui est des produits laitiers, on avait auparavant du lait, quelques variétés de fromages et la crème glacée. Maintenant, dans la section des fromages, il y a toutes sortes de fromages fins. Donc, l'industrie a fait beaucoup de progrès à cet égard. Quant aux variétés de yogourt, il y a beaucoup plus de choix qu'auparavant. Essentiellement, l'avenir de l'industrie est lié à la capacité d'innover et de créer de nouveaux produits. Nous avons une main-d'œuvre très qualifiée. Nous n'avons pas nécessairement les produits les moins coûteux. Cependant, je pense que nous pouvons connaître du succès, et c'est ce que me portent à croire les gens de l'industrie.
[Français]
Le sénateur Robichaud : Concernant les besoins alimentaires de la planète, on dit qu'on doit augmenter notre production. Mais est-ce qu'on tient compte, par exemple, de l'Inde où là ce n'est pas une question de production puisqu'ils peuvent produire autant de grains qu'ils en ont besoin. C'est plutôt une question d'infrastructures pour le transporter, n'est-ce pas? C'est un facteur dont il faut tenir compte lorsqu'on parle de production alimentaire, n'est-ce pas?
Mme Hendricks : Oui, certainement. Il y a aussi la capacité. Concernant les silos de grain, prenez l'exemple de l'Inde qui, je crois, perd environ 30 p. 100 de leur production par année; être en mesure donc de répondre à ce besoin pourrait définitivement avoir un impact sur le besoin de production. Mais qu'est-ce qui arrivera en premier? Est-ce que ce sera la poule ou l'œuf? Il faut donc s'attaquer aux deux problèmes afin de s'assurer d'être préparés de façon efficace.
Le président : Madame Hendricks, merci beaucoup.
[Traduction]
Sur ces propos, au nom du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts, j'aimerais remercier les témoins de nous avoir présenté leurs commentaires.
(La séance est levée.)