Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule 21 -Témoignages du 27 septembre 2012
OTTAWA, le jeudi 27 septembre 2012
Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui, à 8 h 5, pour étudier le projet de loi S-11, Loi concernant les produits alimentaires, et portant notamment sur leur inspection, leur salubrité, leur étiquetage, la publicité à leur égard, leur importation, leur exportation, leur commerce interprovincial, l'établissement de normes à leur égard, l'enregistrement de personnes exerçant certaines activités à leur égard, la délivrance de licences à ces personnes, l'établissement de normes relatives aux établissements où de telles activités sont exercées ainsi que l'agrément de tels établissements.
Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Mesdames et messieurs les sénateurs, monsieur le témoin, je vous souhaite la bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts. Je m'appelle Percy Mockler, je suis un sénateur du Nouveau-Brunswick et je préside le comité. Au bénéfice de notre témoin, j'aimerais maintenant que tous les sénateurs se présentent à tour de rôle, en commençant par ma gauche.
Le sénateur Peterson : Bob Peterson, de la Saskatchewan.
Le sénateur Merchant : Pana Merchant, de la Saskatchewan.
[Français]
Le sénateur Robichaud : Fernand Robichaud, Saint-Louis-de-Kent.
[Traduction]
Le sénateur Plett : Don Plett, du Manitoba.
Le sénateur Buth : JoAnne Buth, du Manitoba.
Le sénateur Eaton : Nicole Eaton, de l'Ontario.
[Français]
Le sénateur Maltais : Ghislain Maltais, Québec.
Le sénateur Rivard : Michel Rivard, Les Laurentides, Québec.
Le président : Merci. Nous étudions aujourd'hui le projet de loi S-11, Loi sur la salubrité des aliments au Canada.
[Traduction]
Le gouvernement du Canada a présenté au Parlement le projet de loi S-11, Loi sur la salubrité des aliments au Canada, pour renforcer notre système de salubrité des aliments et réduire les chevauchements pour les producteurs d'aliments d'un océan à l'autre. Le projet de loi donne à l'industrie des règles claires, cohérentes et directes en matière d'inspection et d'application de la loi. Les gens de l'industrie pourront ainsi mieux assumer leur responsabilité de garnir nos tablettes d'aliments salubres. Le projet de loi a été parrainé par le sénateur Plett.
Honorables sénateurs, nous accueillons ce matin notre premier témoin, M. Albert Chambers, directeur exécutif de la Coalition canadienne de la filière alimentaire pour la salubrité des aliments.
Monsieur Chambers, nous vous remercions d'avoir accepté notre invitation à venir nous faire part de vos réflexions et observations concernant le projet de loi S-11. Je vous invite maintenant à nous présenter votre exposé, après quoi vous pourrez répondre aux questions des sénateurs.
Albert Chambers, directeur exécutif, Coalition canadienne de la filière alimentaire pour la salubrité des aliments : Merci, monsieur le président et honorables sénateurs, d'avoir invité la Coalition canadienne de la filière alimentaire pour la salubrité des aliments à comparaître dans le cadre de votre étude sur le projet de loi S-11, Loi sur la salubrité des aliments au Canada. Je suis vraiment ravi d'être ici.
En 2012, votre comité célèbre une réalisation importante, à savoir son 40e anniversaire. Depuis que votre mandat a été dissocié de celui du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce en 1972, votre comité s'est distingué par son rôle actif et progressiste. Vos prédécesseurs et vous-mêmes avez droit à toutes nos félicitations.
Il y a longtemps qu'on attendait une mesure comme le projet de loi S-11 pour la modernisation des lois et des règlements fédéraux en matière de salubrité alimentaire au Canada. Avant de vous parler de ce projet de loi, j'aimerais toutefois prendre un instant pour vous présenter notre organisation.
La coalition a été fondée en décembre 2000 et constituée en société en 2007 pour parler d'une voix ferme au nom de tous les intervenants de la chaîne alimentaire dans les interactions avec le public et le gouvernement concernant la salubrité des aliments. Notre coalition regroupe aujourd'hui 38 organisations. De ce nombre, on compte 28 associations nationales et trois associations régionales ou provinciales qui sont membres à part entière. Nous avons également sept membres affiliés, soit des entreprises offrant des services de salubrité alimentaire à d'autres entreprises du secteur.
Nos associations membres représentent des entreprises à tous les maillons de la chaîne d'approvisionnement alimentaire : fourniture d'intrants, production primaire, transport, transformation, fabrication, distribution et importation, jusqu'à la mise en marché finale par les services d'exportation, de vente au détail et d'alimentation. Une liste de nos membres est jointe à mon mémoire.
Notre vision est simple. Le secteur canadien de l'agriculture, de l'aquaculture et de l'alimentation doit être réputé dans le monde entier pour la production et la vente d'aliments salubres. Notre mission consiste à faciliter, par le dialogue au sein de l'industrie alimentaire et avec tous les ordres de gouvernement, l'élaboration et la mise en œuvre d'une approche nationale concertée pour la salubrité des aliments afin d'établir notre crédibilité sur les marchés nationaux et internationaux.
Honorables sénateurs, depuis une dizaine d'années, bon nombre de nos partenaires commerciaux, pays développés comme en voie de développement, se sont donné de nouvelles stratégies en matière de salubrité alimentaire en modifiant en profondeur leurs lois et leurs règlements à ce chapitre. Notre mémoire dresse une liste partielle de ces pays.
Toutes ces initiatives sont fondées sur une approche englobant la totalité de la chaîne d'approvisionnement (de la ferme à la fourchette) et s'articulent autour de l'exigence fondamentale voulant que toutes les entreprises alimentaires mettent en œuvre des mesures de contrôle basées sur les principes de l'analyse des risques et de la maîtrise des points critiques (HACCP). Dans bien des cas, on va beaucoup plus loin. L'Australie et la Nouvelle-Zélande ont, par exemple, créé un mécanisme conjoint pour l'élaboration de normes alimentaires. En outre, le gouvernement fédéral australien et ceux des différents États ont établi un processus structuré pour l'harmonisation de leurs règlements sur la salubrité des aliments. Depuis 2002, nous faisons valoir que les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux du Canada devraient envisager sérieusement une approche semblable.
La nouvelle initiative mise de l'avant aux États-Unis est particulièrement importante du point de vue commercial. En vertu de leur loi sur la modernisation de la salubrité alimentaire adoptée en 2011, les États-Unis vont appliquer leurs exigences en la matière bien au-delà des frontières du pays. Des initiatives obligatoires touchant les mesures préventives, la défense des produits alimentaires, la traçabilité, l'enregistrement, les responsabilités des importateurs, l'agrément par un tiers, notamment, exercent désormais des pressions supplémentaires sur les entreprises alimentaires canadiennes exportant aux États-Unis ainsi que sur leurs fournisseurs canadiens. Ces changements auront des répercussions sur le marché canadien pendant de nombreuses années.
Honorables sénateurs, le projet de loi S-11 est une mesure importante. Il jette les bases d'une modernisation du cadre de salubrité alimentaire au Canada, un exercice trop longtemps attendu. Cependant, le projet de loi S-11 ne se limite pas à la salubrité des aliments. Une lecture attentive de son libellé nous révèle que sa portée est beaucoup plus vaste que son titre ne l'indique, si long soit-il. On pourrait dire qu'il s'agit en fait d'une loi fédérale sur la qualité et la salubrité des aliments. Ce n'est pas une critique; c'est une simple constatation.
Les mesures touchant l'inspection et l'application des règles sont au cœur du projet de loi S-11. En ce sens, il est très semblable à d'anciens projets de loi qui n'ont pas été adoptés par le Parlement. Le projet de loi S-11 regroupe et harmonise les pouvoirs d'inspection et d'application des règles prévus dans différentes lois en la matière et étend la portée du nouveau régime à l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement à la base du commerce interprovincial, des importations et des exportations. Les membres de la coalition y voient une mesure extrêmement bénéfique.
L'harmonisation devrait faciliter à la fois la formation et la mise en application par les vérificateurs et les inspecteurs gouvernementaux. Elle servira de base à l'initiative de modernisation de l'inspection de l'ACIA. Il faut espérer qu'elle procurera une plus grande cohérence et une meilleure supervision des activités dans tout le pays, comme dans chacune des installations.
Le projet de loi a aussi pour effet de créer de nouvelles infractions relativement à l'altération des aliments, aux menaces et à la communication de renseignements faux ou trompeurs. Il y a longtemps que cela aurait dû être fait.
Il est également prévu au paragraphe 51(1) du projet de loi que le gouverneur en conseil pourra, par règlement, prendre différentes mesures. Il s'agit dans la plupart des cas de dispositions extraites de lois existantes. Quelques-unes sont toutefois de toutes nouvelles mesures concernant la salubrité des aliments. Il pourra notamment prendre des règlements concernant, à l'alinéa g), les programmes de gestion et de contrôle de la qualité, les programmes de salubrité — en sachant bien dans ce contexte que l'on parle de salubrité des aliments —, les plans de contrôle préventif ou d'autres programmes ou plans semblables; l'agrément, alinéa s); la reconnaissance de systèmes, alinéa t); et la traçabilité, alinéa v). Ces dispositions comme bien d'autres soulèvent davantage de questions qu'elles n'apportent de réponses.
Comme je le disais en introduction, la coalition demande depuis 11 ans aux gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux d'établir une approche nationale coordonnée en matière de salubrité alimentaire pour nous assurer toute la crédibilité voulue sur les marchés nationaux et internationaux. Le projet de loi S-11 nous offre un solide cadre législatif pour un nouveau régime fédéral d'inspection et d'application des règles ainsi qu'une nouvelle trousse d'outils apparemment exhaustive pour la prise de règlements. La présentation du projet de loi aurait toutefois dû s'accompagner d'un énoncé clair quant à la façon dont ce cadre et cette trousse doivent être utilisés. Le gouvernement n'a pas défini une feuille de route ou une stratégie en la matière. C'est une lacune qui préoccupe beaucoup les membres de la coalition.
Nous nous sommes penchés sérieusement sur la forme que devrait prendre une stratégie semblable. En 2009, nous avons établi quatre grands principes et formulé différentes suggestions concernant l'approche à privilégier par le Canada. Voici ces principes que vous retrouverez dans notre mémoire écrit : 1) la salubrité alimentaire est une responsabilité partagée entre tous les maillons de la chaîne d'approvisionnement, les gouvernements et les consommateurs; 2) les différents ordres de gouvernement, l'industrie et les autres parties prenantes doivent préconiser une approche nationale coordonnée et en faciliter la mise en œuvre; 3) les initiatives de salubrité alimentaire mises en œuvre par l'industrie et le gouvernement doivent encourager l'application des principes d'analyse des risques et de maîtrise des points critiques (HACCP) par les entreprises tout au long de la chaîne d'approvisionnement; et 4) les entreprises alimentaires, les gouvernements et les autres parties prenantes doivent investir les ressources suffisantes pour la gestion proactive, le maintien à niveau et l'amélioration continue de leurs initiatives et systèmes individuels et collectifs aux fins de la salubrité alimentaire.
Comme vous pouvez le constater, nous considérons qu'il s'agit d'un enjeu commun exigeant la collaboration du gouvernement et de l'industrie.
En juin 2009, soit il y a trois ans, nous avons pu faire valoir nos idées devant le Sous-comité sur la salubrité des aliments de la Chambre des communes. Ce sous-comité a d'ailleurs repris dans son rapport notre recommandation en faveur d'une stratégie alimentaire nationale en indiquant que tous les ordres de gouvernement, l'industrie agroalimentaire et les autres parties prenantes devraient être conviés à participer à l'élaboration d'une stratégie de la sorte.
Nous étions aussi heureux que le sous-comité reprenne à son compte notre déclaration à l'effet que tous les Canadiens, sans égard à l'endroit où ils résident ou achètent leurs aliments, devraient avoir droit au même niveau d'assurance quant à leur salubrité grâce à l'application de normes communes fondées sur des attentes similaires.
Nous ne saurions trop insister sur l'importance d'élaborer une stratégie nationale de salubrité alimentaire maintenant que le Parlement est saisi du projet de loi S-11. Le gouvernement fédéral a récemment reconnu cette nécessité et accepté notre offre de collaborer à la production d'un document d'orientation. Depuis l'amorce de vos audiences en juin dernier, nous avons tenu plusieurs rencontres préliminaires avec des cadres et des fonctionnaires. Nous sommes en train de régler différentes questions de fond et espérons pouvoir offrir à l'industrie et au gouvernement les bases d'un document de consultation valable d'ici la fin de l'année.
Dans leur examen du projet de loi S-11, nos membres ont cerné différentes questions qui créent de l'incertitude ou de la confusion. D'autres témoins ont déjà soulevé plusieurs de ces questions devant votre comité, notamment lors de votre dernière séance de mardi soir. Cela concerne l'accès aux ordinateurs et aux données informatiques et la prise de photographies par les inspecteurs; la signification des exigences fondées sur les résultats et du rôle futur des outils actuels de l'agence dans ce nouveau processus; la contamination involontaire ou inévitable ne mettant pas en péril la santé humaine — un élément qui découle de suggestions formulées lors de vos audiences de juin dernier; les maillons de la chaîne alimentaire devant être visés par la loi et du moment choisi pour ce faire. C'est tout particulièrement le cas pour le secteur primaire qui est visé par la nouvelle définition de produit alimentaire. Il s'agit de savoir à quel moment la réglementation s'y appliquera. On se demande aussi quelle sera la portée du régime d'octroi de licences et d'enregistrement et comment il fonctionnera.
Il y a aussi des interrogations concernant l'interdiction d'importations actuellement permises aux fins de surtransformation pour utilisation au pays ou réexportation. Parmi les autres questions que nous avons nous-mêmes soulevées, on note le rôle futur des programmes de salubrité alimentaire à la ferme et à la sortie de la ferme qui ont été élaborés conjointement par l'industrie et le gouvernement au cours des deux dernières décennies, et l'harmonisation des nouvelles exigences avec les dispositions législatives et réglementaires des États-Unis.
Pour une partie de ces enjeux, nous avons recommandé des changements possibles. D'autres sont présentés sous forme de questions. Dans un cas comme dans l'autre, nous vous exhortons à les considérer sérieusement dans le cadre de vos audiences et de votre étude article par article.
Nous voulons souligner que l'industrie commence à obtenir de l'ACIA certaines réponses à ses questions. Comme vous le savez, l'agence a lancé un vaste processus de consultation sur plusieurs tableaux. Malheureusement, les réponses données ne sont pas toujours cohérentes. Nous en avons informé la haute direction de l'agence qui apportera sous peu, nous en sommes persuadés, les correctifs nécessaires.
En conclusion, la Coalition canadienne de la filière alimentaire pour la salubrité des aliments aimerait remercier le comité pour son invitation à lui présenter cet exposé. Nous voulons d'abord et avant tout que le Canada soit réputé dans le monde entier pour produire et vendre des aliments salubres. Pour que cette vision se concrétise, il faudra mettre en application les principes que nous préconisons. Il faudra pour ce faire que l'industrie et les gouvernements conjuguent leurs efforts en travaillant au sein de leurs sphères de responsabilité respectives. Pour que cet effort de collaboration porte fruit, nous avons besoin d'une stratégie nationale bien définie ainsi que des dispositions législatives et réglementaires nécessaires à sa mise en œuvre. À ce titre, le projet de loi S-11 nous procure une bonne base législative. Le dialogue que nous avons amorcé avec le gouvernement devrait nous mener à l'élaboration de la stratégie requise assortie d'une réglementation efficace. Il faudra ensuite accélérer le rythme pour accomplir le gros du travail, à savoir la mise en œuvre d'un régime moderne de salubrité alimentaire. Encore là, il faudra qu'industrie et gouvernement concertent leurs actions et investissent dans le processus.
En terminant, je tiens à vous rappeler au nom de tous nos membres que la coalition est à votre disposition si vous avez besoin de plus amples renseignements à la suite de la présente réunion.
Le sénateur Plett : Merci d'être venu nous présenter cet exposé ce matin. Nous vous sommes reconnaissants d'avoir pris le temps de venir nous rencontrer. Vous avez soulevé différentes questions et je vous inviterais, comme vous l'avez vous- même offert, à nous transmettre par l'entremise de notre greffier et de notre président toute autre recommandation que vous pourriez vouloir formuler à cet égard de telle sorte que nous puissions, comme vous l'avez indiqué, les prendre en considération lors de notre étude article par article du projet de loi pour nous assurer que vos interprétations des faits concordent avec celles de notre ministre. Nous vous en serions très reconnaissants.
Vous avez parlé brièvement de ce qui se fait ailleurs dans le monde. Croyez-vous que le projet de loi S-11 permet d'aligner nos façons de faire sur celles de bon nombre des autres pays, surtout parmi nos alliés? Sommes-nous en train d'adopter une approche conforme à la leur? Sommes-nous des précurseurs avec le projet de loi S-11 ou accusons-nous encore du retard?
M. Chambers : Selon notre analyse, cela nous amène en milieu de peloton pour ce qui est de la modernisation des programmes de salubrité alimentaire dans le monde. Les Européens ont été les premiers à agir en ce sens voilà près de 10 ans, et de nombreux pays leur ont emboîté le pas depuis. Les Américains sont passés à l'action au cours de la dernière année. Avec les mesures proposées, nous nous situons certes à peu près au même niveau, soit au cœur du peloton.
Le sénateur Plett : La loi proposée va regrouper les régimes d'inspection pour le poisson et les viandes. Tous les produits agricoles seront traités de la même manière. Nous savons que les systèmes d'inspection des aliments présentent, malgré leurs similitudes, de nombreuses distinctions et des caractéristiques spécifiques à chaque denrée alimentaire. Craignez-vous que le regroupement des dispositions de la Loi sur l'inspection du poisson, de la Loi sur l'inspection des viandes et de la Loi sur les produits agricoles du Canada dans le cadre du projet de loi S-11 puisse nuire à l'efficience de notre régime intégré d'inspection?
M. Chambers : Les membres de la coalition préconisent depuis un bon moment déjà une approche harmonisée au sein de la sphère de compétence fédérale, de même qu'entre le fédéral et les provinces. Compte tenu de l'orientation que le gouvernement semble vouloir prendre avec l'adoption du projet de loi, nous nous réjouissons vivement de l'effort de regroupement et d'harmonisation qui est proposé.
Le sénateur Peterson : Comme vous l'avez vous-même souligné, ce n'est pas la première fois que l'on essaie de faire adopter un projet de loi sur la salubrité alimentaire, mais je crois que nous nous rapprochons du but plus que jamais auparavant. C'est une situation très encourageante et fort réjouissante. Les dispositions en matière d'inspection représentent toujours l'un des volets importants de tout projet de loi de cet ordre. On peut bien se targuer de vouloir faire ceci ou cela, mais si on ne peut pas compter sur du financement et des inspecteurs de première ligne en quantité suffisante, on risque fort d'avoir des problèmes. Il y a notamment le fait que l'industrie fonctionnerait en régime d'autoréglementation. À mes yeux, toute loi sur la salubrité alimentaire devrait chercher à minimiser l'autoréglementation. On souhaite pouvoir déployer assez d'inspecteurs pour faire le travail. En considérant cet aspect du projet de loi, comment croyez-vous que ces deux éléments doivent se combiner pour régler la question du financement?
M. Chambers : Si vous permettez, je vais d'abord régler la question de la portée de la loi, puis je reviendrai à celle du financement. Le projet de loi propose de changer les modalités de surveillance de la salubrité des aliments par l'administration fédérale dans toutes les entreprises du secteur alimentaire qui, au Canada, font de l'importation, de l'exportation ou du commerce interprovincial. Actuellement, les lois régissant l'inspection des aliments touchent un sous-ensemble seulement de ce vaste secteur et de sa chaîne logistique. Manifestement, dans la mise en œuvre de cette nouvelle approche, le gouvernement ne peut pas affecter le même genre de ressources que celles qu'il a consacrées à la viande, au poisson et aux autres produits ni surveiller avec la même intensité qu'il ne l'a fait jusqu'ici, sous le régime des lois en vigueur, toutes les entreprises canadiennes du secteur. Ces entreprises étaient inspectées de temps à autre ou selon les besoins. Elles ne se trouvaient pas dans la catégorie soumise à des inspections intensives. Par sa portée et par son apport aux systèmes que nous examinons, la nouvelle loi exige une réaffectation des ressources. Nous sommes très bien disposés à l'égard de l'approche fondée sur le risque, que propose le gouvernement. Cela signifie — et nous sommes absolument pour — qu'il faudra de l'autoréglementation. Au Canada, nous avons consacré les 20 dernières années à mettre sur pied des programmes de salubrité des aliments qui relevaient de l'initiative de l'industrie. On en a mentionné plusieurs, l'autre soir, qui s'appliquaient aux agriculteurs, mais l'industrie et l'État se sont concertés sur des programmes pour les conditionneurs, les camionneurs, le commerce de détail, les distributeurs et l'eau embouteillée. Une large gamme d'initiatives de l'industrie s'ajoutent à celles qu'on applique dans les exploitations agricoles et elles sont susceptibles d'aboutir à des systèmes crédibles et impartiaux de certification. On demande aussi à nos entreprises de mettre en œuvre de nombreux programmes industriels qui nous viennent de partout dans le monde. Vous avez entendu parler des programmes d'Initiative mondiale sur la sécurité alimentaire (IMSA), notamment au cours de séances antérieures. Les audits confiés à des tiers, l'autoréglementation et le contrôle de l'État devront tous trouver la place qui leur revient dans ce nouveau système. Nous devons discuter rationnellement de leur agencement dans le nouveau régime.
Le sénateur Peterson : La question m'est venue d'un problème d'E. coli survenu dernièrement, comme vous le savez probablement, dans une usine de transformation des aliments de l'Alberta. Il y a tout lieu de croire que c'était parce qu'il manquait d'inspecteurs de première ligne qui auraient pu l'intercepter, parce que, en fait, ce sont les Américains, à la frontière, qui l'ont fait. En cette période d'austérité, ne risquons-nous pas de continuer de perdre cette ligne de défense et de voir ce genre d'incidents se multiplier parce que les ressources ne sont pas investies au bon endroit?
M. Chambers : Faute de renseignements, je ne peux pas m'étendre en détail sur cette situation. D'autres incidents comme celui-là, avec la même cause, risquent-ils de se produire? On a dit beaucoup de choses à ce sujet. Le risque existe. Les systèmes lâchent, les gens, les inspecteurs ne sont pas à la hauteur. Heureusement, personne parmi nous n'est parfait parce que, sinon, on n'aurait pas besoin de nous. Je n'en sais pas plus.
Il ne faut pas seulement se demander si le niveau actuel de ressources est nécessaire dans les secteurs que l'État surveille de près, mais aussi se demander comment nous allons nous occuper des établissements non agréés — l'industrie du camionnage, le conditionnement, tous ces autres secteurs que la loi ne vise pas et où nous n'avons pas appliqué la même méthode d'inspection journalière que dans les usines des secteurs du poisson, des viandes ou des produits laitiers. Nous devons discuter rationnellement et très franchement des modalités de mise en place d'un nouvel ensemble d'exigences, à l'aide de nouveaux outils, pour une surveillance du système qui sera crédible pour les consommateurs canadiens et étrangers. Il ne s'agit pas seulement de savoir si, aujourd'hui, nous disposons de suffisamment d'argent pour suffisamment d'inspecteurs dans les usines où ils se trouvent.
Le sénateur Peterson : N'empêche que les Canadiens s'y fient énormément. Ils s'inquiètent pour la salubrité des aliments. Ils sont obnubilés par ces deux choses. Ils essaient de trouver des explications à E. coli. C'est ce à quoi je veux en venir. C'est sur cela qu'il faut se concentrer. C'est ce que dit la loi.
M. Chambers : Je comprends votre inquiétude.
Le sénateur Buth : J'ai une question sur l'analyse des risques et la maîtrise des points critiques, l'HACCP. Pourriez- vous rapidement nous expliquer en quoi consistent ce programme ou les programmes qui s'en inspirent, puis établir un lien entre eux et les motifs de préoccupation que vous avez soulevés au sujet des règlements et de la reconnaissance des systèmes? Pensez-vous que les programmes d'HACCP de l'industrie seraient visés par cet article, en ce qui concerne la prise de règlements?
M. Chambers : Pour expliquer l'HACCP, il faudrait toute une conférence. Je serai bref.
Je pense qu'un témoin, mardi soir, a dit que cela venait du programme spatial ou quelque chose de ce genre. Essentiellement, la méthode d'assurance de la salubrité des aliments que la plupart des gouvernements de la planète ont reconnue exige du producteur une analyse des risques potentiels que posent le processus de transformation et le produit et qu'il élabore un ensemble de mesures d'intervention pour réduire au minimum ou même supprimer le risque d'incident qui diminuerait la salubrité de l'aliment. C'est ce qu'on appelle l'HACCP. Au début des années 1990, l'État fédéral y a consacré beaucoup de travaux. Le Canada était alors un chef de file mondial dans l'élaboration de méthodes d'application de ce concept, ce qu'il continue d'être. Dans le milieu des années 1990, nous avons commencé à transplanter le concept dans ce que nous appelions des programmes dirigés par l'industrie. L'autre soir, vous avez mentionné le Programme canadien de production de bœuf de qualité vérifiée et le programme Lait canadien de qualité. Il y en a une vingtaine de ce genre dans le secteur primaire et 13 ou 14 en aval des exploitations agricoles. Plutôt que de demander à chaque exploitant agricole, à chaque petit camionneur ou à chaque petit distributeur de se charger lui- même de l'analyse des risques, ce qui coûterait beaucoup, à cause des ressources et des compétences exigées, nous avons imaginé un système qui confiait ce travail aux associations de l'industrie, nous avons élaboré un modèle générique, produit un ensemble d'exigences et les avons fait connaître aux agriculteurs, aux camionneurs ou aux autres acteurs de la chaîne pour qu'ils les appliquent.
En 2001, nous avons lancé un processus entre l'industrie et les administrations publiques pour la reconnaissance de ces programmes. Onze ans plus tard, il n'a pas encore abouti. Il est complexe et il mobilise les administrations fédérale et provinciales — l'habituel, quoi! Cependant, l'industrie applique de 25 à 30 programmes. Des auditeurs vérifient sur place leur fonctionnement dans les exploitations agricoles, les entreprises de camionnage, les usines d'embouteillage de l'eau, les provenderies, et cetera. Ce sont des programmes dirigés par l'industrie.
Pour la première fois, le projet de loi donne au gouvernement le moyen de reconnaître officiellement ces programmes. C'est un déblocage. Cependant, il soulève des questions : quand nous disposerons d'un système pour reconnaître les programmes canadiens, si nous pouvons terminer ce travail, quelque part d'ici les quelques prochaines années, comment ferons-nous pour reconnaître les programmes étrangers? Comment reconnaîtrons-nous les programmes d'États étrangers? Ces outils très importants font partie de l'autoréglementation et ils sont très efficaces. Ils pourraient même être encore plus efficaces, mais nous devons les intégrer dans le système, puis chercher avec nos partenaires commerciaux, une manière d'y parvenir. Nous ne sommes pas le seul pays engagé dans cette voie. J'espère avoir répondu à votre question.
Le sénateur Buth : Vous avez mentionné plusieurs articles du projet de loi qui donneront au ministre le pouvoir de prendre des règlements et vous avez manifesté votre inquiétude au sujet de certaines expressions utilisées. Mais vous avez également dit que cela faisait partie du processus normal que franchit un projet de loi. Vous avez exposé les pouvoirs accordés au ministre pour prendre des règlements, puis vous avez dit que les règlements sont élaborés en consultation avec l'industrie. D'après votre expérience acquise auprès de l'ACIA ainsi qu'Agriculture et Agroalimentaire Canada dans l'élaboration de règlements, dites-nous ce que vous avez constaté à la faveur des consultations et si vous en avez tiré une certaine satisfaction.
M. Chambers : Je voudrais plutôt parler de ce qui se passe actuellement.
Le sénateur Buth : D'accord.
M. Chambers : Au fil du temps, les consultations varient en intensité. Cela dépend de la politique du gouvernement, de la direction de l'agence, des membres de la haute direction. Il y a des fluctuations. Inutile d'en dire davantage. Depuis le début de l'année, je pense que le climat est devenu plus propice aux consultations et qu'un nouveau dialogue très fructueux s'est engagé autour. Bien sûr, l'une des difficultés, actuellement, pour l'industrie, c'est que l'agence, au lieu de lancer une seule consultation sur la modernisation du concept de salubrité des aliments, a lancé une foule de consultations. À cause de cela, les messages que nous recevons sont parfois embrouillés, et nous constatons la nécessité de les accorder, du moins en ce qui concerne la salubrité des aliments, autour d'une déclaration stratégique centrale que l'industrie et le gouvernement peuvent reconnaître comme l'orientation à suivre. Cela me ramène à mon impression que ce système est bon.
Tous les pouvoirs semblent prévus, et la boîte à outils semble complète, mais nous devons examiner en détail la façon dont nous allons les présenter. Par exemple, que signifie vraiment l'expression « contrôle préventif »? Est-ce une liste de programmes préalablement exigés ou des systèmes sophistiqués de gestion de la salubrité des aliments? Le marché demande aux entreprises du secteur alimentaire, qu'ils soient producteurs laitiers, avec leur programme Lait canadien de qualité, ou transformateurs d'aliments de mettre en place ces systèmes sophistiqués. Est-ce que c'est ce que veut dire le gouvernement par « contrôle préventif »? Nous avons de petites difficultés comme ça à résoudre. Que signifie « traçabilité »? Bien sûr, deux parties du projet de loi en traitent. L'autre soir, vous discutiez de l'article portant sur la santé des animaux. Au paragraphe 51(1), toute une disposition était consacrée à la traçabilité qui, également, s'applique à tous les acteurs visés par la loi.
Nous avons des problèmes à résoudre. Nous nous trouvons maintenant dans une position très favorable, la première qu'il m'est donné de connaître personnellement, où le gouvernement est tout à fait mobilisé, alors que le projet de loi va de l'avant. Il comprend entièrement qu'il doit s'engager dans une réforme massive de la réglementation pour en rassembler les éléments dispersés dans plusieurs lois, comme le disait le sénateur Plett, en un seul règlement, peut-être deux, l'un sur la salubrité des aliments et l'autre sur leur qualité. Nous avons beaucoup de travail à abattre avec l'industrie. Les signaux que nous recevons sont excellents, mais, parfois, ils sont encore embrouillés.
Le sénateur Merchant : Bienvenue, monsieur Chambers. Je suis très heureuse de vous revoir après tant d'années.
Vous avez dit que le projet de loi rehaussait la réputation du Canada, celle de chef de file mondial en matière de salubrité des aliments. Beaucoup de pays européens, de gros marchés, particulièrement, comme l'Allemagne, sont inquiets — certains pourraient même dire obsédés — par les aliments génétiquement modifiés parce que, parfois, les produits canadiens ne satisfont pas aux normes européennes applicables.
J'ai trois questions : d'abord, est-ce que ces modifications touchent l'étiquetage des aliments génétiquement modifiés et leur inspection de manière à satisfaire aux normes européennes? Ensuite, devrions-nous, au Canada, déprécier les produits génétiquement modifiés en les identifiant comme tels? Enfin, on me dit que les rapports publiés sur les semences destinées à nourrir le monde sont mitigés, les semences telles que Roundup Ready, parce que leur utilisation prolongée serait nocive pour les sols et diminuerait la production. Pensez-vous que l'utilisation de ce genre de semences s'accompagne d'un petit risque, qu'il vaut la peine de prendre?
M. Chambers : À ce sujet, la position de la coalition est très claire. Nous avons avalisé l'approche que les gouvernements canadiens successifs ont adoptée face aux aliments nouveaux. Avant de mettre sur le marché canadien un aliment génétiquement modifié, un aliment nouveau ou un produit que l'on pourrait cultiver, et cetera, il faut les soumettre à une méthode rigoureuse et scientifique ainsi qu'à une série d'évaluations.
Nous appuyons cette manière de faire et nous croyons fermement qu'elle a très bien fonctionné pour les Canadiens. En outre, nous avons vu, ces dernières semaines, la réaction très rapide de Santé Canada aux inquiétudes exprimées. Le ministère s'est dit prêt à examiner les nouveaux faits scientifiques et à prendre des décisions fondées sur leur qualité.
Nous croyons que les Canadiens devraient avoir énormément confiance dans les outils mis en place pour évaluer et reconnaître les aliments nouveaux et confiance dans la volonté du gouvernement de réagir quand de nouveaux faits sont portés à sa connaissance. Qu'en sortira-t-il? Je ne suis pas en mesure de le dire. Je ne suis même pas en mesure d'évaluer le document qui est la cause de l'examen actuel. Notre position est la suivante : le système en place fonctionne bien et les événements actuels montrent d'autant plus que nous avons raison d'avoir confiance en lui.
[Français]
Le sénateur Rivard : Merci beaucoup, monsieur le président. Bienvenu, monsieur.
Je voudrais vous parler des amendes en cas d'infraction. Dans le projet de loi S-11, on introduit maintenant une peine maximale à la hauteur de 5 millions de dollars et même plus, selon la décision d'un juge, alors que dans la loi actuelle, qui n'est pas encore modifiée, il était prévu que ce soit 250 000 $, et dans les faits, il n'y a jamais eu d'amende supérieure à 100 000 $.
Est-ce que cette nouvelle mesure de peine maximale serait de nature à décourager qui que ce soit?
Croyez-vous nécessaire que de grandes entreprises susceptibles d'être condamnées à payer une amende de 5 millions de dollars souscrivent à une assurance responsabilité en cas d'un tel désastre?
Je ne suis pas expert en la matière, mais je crois qu'il existe une assurance responsabilité qu'on appelle aussi une assurance parapluie. Ma question est la suivante : est-ce que c'est utile et nécessaire de fixer des amendes à la hauteur d'un tel montant?
[Traduction]
M. Chambers : D'abord, si j'ai bien compris, les amendes sanctionnent des infractions commises sous le régime de la loi. Elles seraient réclamées par la Couronne pour les sanctionner. Je ne pense pas qu'il s'agisse d'actions civiles. Elles visent les infractions commises sous le régime de la loi.
Ensuite, dans mes discussions avec les membres de la coalition, ces trois ou quatre derniers mois, aucun n'a exprimé d'inquiétudes au sujet des nouvelles amendes prévues dans la loi. Ce que je viens de dire est susceptible de provoquer une avalanche de courriels de membres qui n'avaient pas songé à me parler de cette question, mais, d'après moi, l'industrie appuie la modification du régime.
[Français]
Le sénateur Rivard : On sait qu'il y a de plus en plus de documents électroniques et qu'il y a de plus en plus de « petits brillants » capables de modifier ou même de supprimer ces documents électroniques. Selon vous, est-ce que le fait qu'il y ait de plus en plus de documents électroniques peut représenter un problème? Est-ce que les membres de votre coalition ont pris les précautions nécessaires afin que personne ne puisse frauder à partir de documents électroniques?
[Traduction]
M. Chambers : Je ne suis pas un spécialiste des documents électroniques. Ils sont certainement beaucoup plus répandus qu'avant. Il me semble évident que, en même temps, des techniques criminalistiques ont été mises au point pour déceler ceux qu'on a trafiqués. Il arrive que des dossiers soient mal tenus. Les employés, les gestionnaires, les entreprises du secteur alimentaire n'accordent pas tous le même soin à leur classement, et cetera. Par le passé, nous avons eu des problèmes avec certains documents, et il y en aura à l'avenir.
Rien ne me permet de m'inquiéter d'un éventuel problème causé par les documents électroniques. Si une entreprise voulait tenir une espèce de double système de dossiers pour donner le change à l'inspecteur, elle pourrait le faire sur support papier comme sur support électronique. Cela signifie que les superviseurs de l'agence devront connaître les diverses astuces plus que par le passé, pas pour repérer les documents factices, mais pour relever les nouveaux défis que posent la surveillance et l'application des règlements. Ils devront souvent être auditeurs ou vérificateurs plutôt qu'inspecteurs. Ils ne seront plus en ligne pour vérifier l'apparence d'un poulet. Ils examineront des dossiers et vérifieront des modes opératoires, travail que certains d'entre eux n'ont jamais fait. La formation entraînera de nouvelles exigences et, au fil du temps, on aura besoin de nouvelles compétences.
Le sénateur Robichaud : Vous avez dit qu'il s'agissait d'un effort de l'ensemble de l'industrie, auquel l'agence était associée. Vous avez également parlé d'audits par des tiers. Pourriez-vous, s'il vous plaît, nous expliquer cela?
M. Chambers : C'est maintenant très répandu, dans l'industrie alimentaire, que de faire appel à un organisme de certification agréé pour faire effectuer un audit, par un tiers, d'un système de gestion de la salubrité d'un aliment. Dans ce cas, l'auditeur travaille pour une organisation indépendante à la fois du client, c'est-à-dire de la personne qui demande la réalisation de l'audit, et de l'audité, bien que, manifestement, il se présente un risque pour l'impartialité, vu que quelqu'un paie l'audit.
Dans la plupart des cas, les vérifications faites par un tiers sont maintenant menées par des organismes qui fonctionnent selon les normes de l'ISO et qui sont chapeautés par des organisations comme le Conseil canadien des normes et ses pendants à l'étranger. Ils doivent respecter des exigences et des règles très claires sur la conduite des vérifications et celles-ci doivent répondent à certains critères.
Il y a eu quelques problèmes par le passé. C'est une nouvelle industrie qui est en croissance, quand on songe à la salubrité des aliments. Il y a des problèmes que nous devons régler. Au cours des deux dernières années, on a travaillé à un certain nombre d'initiatives afin de savoir si les vérificateurs de la salubrité des aliments ont les connaissances et les aptitudes voulues, si on recherche les compétences qu'il faut chez ces vérificateurs. C'est la même question que j'ai posée à l'égard des agents qui travailleront pour cette agence dans ce nouvel environnement.
Nous devons définir, dans le nouvel environnement, ce que doivent être ces nouvelles exigences et trouver les personnes aptes à faire le travail, ce qui est tout un défi. Nous avons entrepris ce processus tant du point de vue de l'industrie que celui du gouvernement.
Les vérifications faites par un tiers apportent quelque chose qui n'est pas vraiment de l'autoréglementation; je ne vérifie pas mes propres activités, et ce n'est pas une vérification du gouvernement non plus. C'est un tiers qui fonctionne dans un système où l'on trouve des règles et des exigences strictes qui s'améliorent constamment.
Le sénateur Robichaud : Vous avez dit qu'il faudra de nouvelles exigences parce que vous aurez besoin de personnes qui vérifient les pratiques d'autres personnes. Comment concilier cela? Vous dites que vous travaillez là-dessus.
M. Chambers : C'est un défi, sénateur. La coalition a amorcé un dialogue en janvier, et l'agence ainsi que les gouvernements provinciaux ont participé à ce dialogue afin de définir l'approche canadienne à adopter relativement aux compétences et à la formation des vérificateurs de la salubrité des aliments. Sur la grande scène internationale, l'Organisation internationale de normalisation et d'autres organismes de normalisation internationale s'affairent à réviser certains aspects également. Je vais assister à une réunion à la fin d'octobre, au Japon, où un groupe de travail formé de représentants de nombreux pays tentera de déterminer si nos exigences actuelles sont suffisantes ou si nous devons les relever.
Dans le cadre de la Global Food Safety Initiative, on s'est penché sur les compétences que doivent avoir les vérificateurs pour l'exécution des plans qui ont été définis, ce qui demanderait certaines explications.
Aux États-Unis, un processus a été engagé pour que le gouvernement fédéral et les gouvernements des divers États adoptent une même approche à l'égard des compétences et de la formation de tous ceux qui effectuent des inspections et des vérifications dans le nouveau système que les Américains sont en train de créer par suite de la Food Safety Modernization Act.
Il y a tout un débat partout dans le monde dont le Canada peut profiter pour définir les compétences, les connaissances et les habilités que doit posséder une personne pour effectuer ces fonctions. Il nous faudra un certain temps pour mettre ce système en place, puis pour former les gens. Toutefois, c'est un problème qui concerne le gouvernement, l'industrie et les tierces parties. Plusieurs entreprises alimentaires ont des vérificateurs internes chargés de s'assurer du bon fonctionnement de leur système. Ce ne sont pas des vérificateurs financiers, mais plutôt des personnes qui se penchent sur les systèmes de gestion de la salubrité des aliments ou les systèmes de contrôle de la qualité.
Des améliorations sont faites partout, et il y a des défis à relever. Tant le gouvernement que l'industrie seront appelés à investir beaucoup dans ce domaine au cours des cinq ou six prochaines années.
Le sénateur Eaton : Je m'intéresse de près aux négociations de libre-échange que nous menons présentement avec la Corée, le Japon et les membres du partenariat transpacifique. Le projet de loi S-11 résistera-t-il à l'examen de la communauté internationale? Je pense à la Nouvelle-Zélande et à l'Australie. Lorsque ces pays regarderont de près la salubrité de nos aliments et nos normes de salubrité dans l'ensemble de la chaîne alimentaire, celles-ci vont-elles résister à cet examen ou bien allons-nous avoir des difficultés sur la scène internationale?
M. Chambers : Le projet de loi S-11 nous donne le cadre juridique et les outils de réglementation qui nous permettront de mettre en place un système qui résistera certainement à cet examen.
Nous devons faire les bons choix en cours de route. Nous avons les outils, et nous devons maintenant faire les bons choix quant à la façon de les utiliser.
Le sénateur Eaton : Lorsque vous parlez d'outils, s'agit-il des règlements que nous devons maintenant élaborer dans le cadre législatif?
M. Chambers : Oui.
Le sénateur Peterson : À votre avis, monsieur, le vérificateur général pourrait-il jouer le rôle de vérificateur externe?
M. Chambers : Je crois comprendre que le Parlement le considère comme un vérificateur externe. Je ne comprends pas votre question. C'est en comparaison avec quoi?
Le sénateur Peterson : Nous parlons des vérifications faites par un tiers. Si vous confiez la tâche à un service externe, quelles sont les qualifications requises? Comment fait-on cela? Qui devrait le faire? Vous vous enlisez. Le vérificateur général fait cela depuis des années à titre de haut fonctionnaire du Parlement, et les résultats des vérifications sont rendus publics.
Ce processus suscite beaucoup de préoccupations. On s'entend généralement pour dire qu'une certaine vérification doit être faite quelque part dans le système, à un certain moment, mais pas chaque année.
M. Chambers : Oui, je comprends maintenant.
Le sénateur Peterson : À mesure que nous avançons, je crois que ce mécanisme devrait être mis en place dans le cadre du projet de loi.
M. Chambers : Veuillez m'excuser, sénateur. J'essayais de voir comment je pouvais associer le vérificateur général au fait de confier à un tiers la vérification du système de gestion de la salubrité des aliments d'une entreprise. Nous en étions là et j'ai dû revenir en arrière. Je m'en excuse.
La coalition n'a pas adopté de position particulière quant au rôle du vérificateur général, à savoir s'il doit vérifier l'agence ou non, ce genre de question. Je ne suis pas en mesure de faire des commentaires à ce sujet.
Le sénateur Peterson : Vous avez pris position en appuyant une certaine vérification par un tiers. Vous l'avez dit tout à l'heure.
M. Chambers : Oui. Il faut faire une distinction entre ce que j'ai dit, d'une part, sur la façon dont le nouveau système fédéral trouvera un juste équilibre dans la supervision de la salubrité au sein des entreprises alimentaires et tout au long de la chaîne d'approvisionnement et, d'autre part, sur la façon dont le Parlement décidera de surveiller les agences et la performance du gouvernement en matière de surveillance de la salubrité des aliments.
Je parlais précisément de la première partie de l'équation, et non de la deuxième.
Le sénateur Peterson : Je parle de la surveillance du projet de loi à mesure qu'il progresse.
M. Chambers : Oui. Sénateur, d'après ce que nous comprenons des deux propositions que vous avez étudiées au printemps dernier et que le Sénateur Plett a soumises — nous n'avons pas encore vu le texte — mardi soir, la loi exigerait que le ministre effectue un examen tous les cinq ans. Si je comprends bien, ce serait un examen du contenu de la loi et des ressources qui auront été affectées à sa mise en œuvre, et la coalition serait très en faveur de cela.
Au début des discussions, nous étions certes encouragés du fait qu'on parlait d'intégrer dans le projet de loi un examen aux 10 ans. La tenue d'un tel examen aux cinq ans est très positive, même si on reconnaît que la période quinquennale commencerait lorsque le projet de loi entrerait en vigueur, ce qui ne sera pas avant deux ou trois ans de toute façon.
[Français]
Le sénateur Maltais : Bienvenue, monsieur Chambers. On dit à propos de la Food Safety Modernization Act que c'était la loi la plus radicale depuis 70 ans, aux États-Unis, au plan de la salubrité. Comment était-elle auparavant? Quelles étaient les mesures qui étaient comparables, entre le Canada et les États-Unis, avant cette loi?
[Traduction]
M. Chambers : Si je comprends bien votre question, monsieur le sénateur, avant l'adoption de la Food Safety Modernization Act aux États-Unis, nos systèmes étaient très semblables. Nous assurions une surveillance très intensive dans une partie limitée et importante de notre industrie alimentaire : l'inspection des poissons, l'inspection des viandes, l'inspection des volailles, les établissements laitiers, certains autres secteurs, et nous assurions une surveillance limitée — mais tout de même une surveillance — des autres parties de la chaîne d'approvisionnement et d'autres types d'entreprises alimentaires.
Ce que la Food Safety Modernization Act a fait aux États-Unis, c'est d'élargir la surveillance et d'augmenter l'intensité de l'approche. L'approche réactive, qui consistait à dire simplement : « Vous ne devez pas mettre sur le marché un produit alimentaire contaminé », a été abandonnée au profil d'une nouvelle approche qui dit : « Vous devez avoir en place des contrôles préventifs, une protection alimentaire, des mécanismes de traçabilité, et cetera ».
En 2011, les États-Unis ont modernisé leur approche à l'égard de la salubrité des aliments. Ce projet de loi nous permet de faire la même chose.
[Français]
Le sénateur Maltais : Concernant, à présent, les consommateurs canadiens, ceux-ci peuvent-ils être rassurés au sujet de tous les produits d'importation que l'on retrouve dans toutes les épiceries normales ou spécialisées, que ce soit des produits en boîte, en contenant de verre ou en pot? Est-ce que l'inspection de ces produits est bien faite et suffit à rassurer les consommateurs canadiens?
[Traduction]
M. Chambers : Sénateur, je crois que le ministre et les porte-parole de l'agence, lorsqu'ils ont comparu devant vous plus tôt cette année, ont indiqué que l'un des principaux objectifs de cette loi était de moderniser l'approche du Canada à l'égard des importations et de mettre en place un système qui permettrait de nous assurer davantage que les produits importés répondent aux normes canadiennes. Évidemment, la loi est aussi conçue pour accroître les normes canadiennes. Ces deux éléments contribueront à améliorer le système.
D'après ce que nous comprenons, on s'attend — et la coalition souscrit entièrement à cette idée — à avoir un système d'enregistrement des importateurs, comme on aura un système d'enregistrement ou de délivrance de permis pour toutes les entreprises chargées de veiller à la salubrité des aliments au Canada et qui s'occupent d'exportations interprovinciales et d'importations, si bien qu'on pourra savoir qui sont les importateurs. Nous aurons une meilleure garantie que les produits qui nous arrivent ont été produits selon les exigences canadiennes, ce qui comprendra les contrôles préventifs, et cetera. Je crois que nous aurons une meilleure garantie que tous les produits, canadiens et importés, répondent aux exigences canadiennes.
Le sénateur Robichaud : J'aimerais revenir à la question des vérifications faites par un tiers.
M. Chambers : Je suis prêt à revenir ici et à consacrer toute une séance à ce sujet.
Le sénateur Robichaud : Je suis certain que vous le feriez, et toute cette information nous serait utile. Vous avez fait valoir très clairement que cette vérification serait faite par une tierce partie. Ce tiers n'est pas impliqué dans les opérations ou la mise en place des contrôles qu'on décidera d'imposer.
Si le ministre effectue une vérification de l'ACIA, répond-il aux critères qui définissent une tierce partie?
M. Chambers : C'est une très bonne question, sénateur. Les membres de ma coalition ne m'ont pas fait part de leur position sur cette question précise.
Le sénateur Robichaud : Vous êtes un bon politicien.
M. Chambers : Sénateur, j'ai été bien formé. Mon premier emploi à Ottawa était au service d'un sénateur, et j'ai travaillé ensuite pour votre comité. J'ai observé beaucoup de professionnels qui faisaient un excellent travail.
Le président : Merci, monsieur Chambers. Je crois que vous avez répondu à la question du sénateur Robichaud. Je vais demander au sénateur Plett de conclure.
Le sénateur Plett : Compte tenu du temps dont je dispose, je vais être très bref et poser seulement deux questions. Le projet de loi S-11 ne touche que les inspections fédérales. Certains critiques disent que nous créons un système à deux vitesses en ayant un projet de loi fédéral et des inspections provinciales. Qu'en pense votre coalition? Êtes-vous du même avis?
M. Chambers : Nous sommes optimistes. Nous croyons que le Canada doit avoir des normes et des approches nationales sur une question aussi importante que la salubrité des aliments.
La raison d'être de la coalition elle-même était d'essayer de persuader tous les niveaux de gouvernement d'adopter une approche commune. Nous sommes encouragés de voir que le gouvernement fédéral prend les devants en présentant ce projet de loi, qu'il modernise ses lois et s'engage à actualiser les règlements qui relèvent de sa compétence. Toutefois, comme je l'ai dit dans ma déclaration, la coalition souhaiterait tout de même que les provinces, les territoires et le gouvernement fédéral discutent et conviennent d'une approche commune.
Pour certains segments de la chaîne alimentaire, il faudrait même s'intéresser aux défis qui se posent au niveau municipal. Les exigences en matière d'inspection et autres auxquelles doit se conformer une entreprise en restauration peuvent varier entre deux municipalités voisines. Cette situation crée des problèmes, non seulement entre le gouvernement fédéral et les provinces, mais aussi au sein des provinces elles-mêmes.
Nous croyons qu'une approche nationale serait l'idéal. De plus, nous avons passé 11 ans à essayer de persuader les gens de faire cela, alors nous prenons ce qui nous revient. Nous sommes ravis que le gouvernement fédéral ait adopté cette position et qu'il ait décidé de prendre les devants. D'autres tentatives ont échoué auparavant. Nous espérons que celle-ci aboutira.
Le sénateur Plett : Vous devrez vous attribuer un certain mérite lorsque le projet de loi S-11 sera adopté.
Le projet de loi S-11 comporte-t-il des dispositions suffisantes en matière de traçabilité?
M. Chambers : Cela nous ramène à une de mes questions précédentes. Je vis dans la région depuis presque 40 ans — cela fera 40 ans en janvier prochain. Les lois ont changé. Alors qu'elles donnaient beaucoup de détails sur le sens à donner aux dispositions, elles donnent maintenant au gouverneur en conseil le pouvoir de prendre des règlements relativement à des dispositions très générales.
Est-ce suffisant? Nous devons définir avec l'industrie et le gouvernement le sens que nous donnons à la traçabilité aujourd'hui et pour les 10 prochaines années au Canada. Qu'allons-nous en faire? Quelles normes allons-nous utiliser? Allons-nous nous inspirer des approches internationales? Avons-nous une nouvelle approche canadienne à mettre de l'avant?
Comme l'un des témoins précédents l'a dit, il y a beaucoup de détails qui restent à régler et nous devons y voir. Toutefois, le cadre est maintenant en place pour exiger que toutes les entreprises alimentaires assujetties à la loi se dotent d'un système de traçabilité. C'est très positif.
Le sénateur Plett : Merci beaucoup, monsieur.
Le président : Au nom du comité, monsieur Chambers, je vous remercie de nous avoir fait part de vos réflexions. Comme vous l'avez dit dans votre exposé, ce sont là des outils.
Honorables sénateurs, le comité entendra maintenant le deuxième groupe de témoins. Merci d'accepter notre invitation et de faire part de vos réflexions et de vos commentaires au comité.
Pour la deuxième partie de la séance, nous accueillons Bill Jeffery, coordonnateur national du Centre pour la science dans l'intérêt public, ainsi que Rick Holley, professeur en science de l'alimentation de l'Université du Manitoba.
Monsieur Jeffery, la parole est à vous.
Bill Jeffery, coordonnateur national, Centre pour la science dans l'intérêt public : Merci. Je suis le coordonnateur national du Centre pour la science dans l'intérêt public, un organisme sans but lucratif qui s'occupe de promouvoir la santé et se spécialise dans les questions de nutrition et de salubrité des aliments. Nous n'acceptons pas de financement de la part de l'industrie ou des gouvernements. Nous publions un bulletin de nouvelles que lisent près de 100 000 abonnés au Canada. Nous avons appris que cela équivaut à environ un ménage pour chaque pâté de maisons qui se trouve au Canada.
Le projet de loi à l'étude a pour titre Loi sur la salubrité des aliments au Canada, mais nous croyons qu'il aurait des incidences sur la nutrition. Je vais donc parler des coûts financiers et humains que comportent les maladies d'origine nutritionnelle.
Selon l'Organisation mondiale de la Santé, environ 20 p. 100 de tous les décès sont causés par des facteurs de risque liés à la nutrition. Au Canada, cela correspond à environ 48 000 décès par année. Divers économistes spécialisés dans les questions de santé en ont évalué le coût économique, qui varie de 7 milliards à 30 milliards de dollars par année.
Les coûts des soins de santé sont assumés en grande partie par les gouvernements provinciaux, mais le gouvernement fédéral a la capacité de réglementer l'approvisionnement alimentaire. Comme les sénateurs le savent, l'approvisionnement alimentaire provient en grande partie du marché international et du marché national et traverse les frontières internationales et provinciales. À bien des égards, les gouvernements provinciaux n'ont pas les ressources ni l'expertise scientifique suffisantes pour contrôler correctement ce système.
Il y a deux façons pour le gouvernement fédéral d'améliorer la santé publique. Ce n'est pas ce projet de loi qui va le faire, mais je tiens à attirer votre attention sur le fait que le gouvernement fédéral a omis de mettre en œuvre la Stratégie de réduction du sodium pour le Canada, qui est l'œuvre d'un groupe d'experts mandaté par la ministre de la Santé il y a deux ans. La stratégie proposait plusieurs mesures visant à faire en sorte que le sodium soit judicieusement utilisé par les fabricants d'aliments, et non sans compter, et qu'à tout le moins, les consommateurs disposent de renseignements objectifs sur les niveaux de sodium dans les aliments. Selon les estimations, le sodium dans la chaîne d'alimentation et le régime alimentaire des Canadiens est responsable de quelque 16 000 décès prématurés chaque année.
Dans le même ordre d'idées, selon les estimations mêmes de Santé Canada, le nombre de décès suite à une crise cardiaque et à un accident vasculaire cérébral attribués aux gras trans dans la chaîne d'alimentation pourrait dépasser 1 000 par année. Nous avons estimé que ce nombre était de 1 800 et pourtant, les recommandations du Groupe d'étude sur les graisses trans de prendre des règlements pour éliminer les gras trans synthétiques de la chaîne alimentaire ont été laissées de côté, et ce, malgré le fait que, selon les estimations de Santé Canada, cette mesure pourrait faire épargner à l'économie entre 250 et 450 millions de dollars par année.
Pour ce qui est de commentaires précis sur le projet de loi S-11, nous en avons 10. Je vais en faire un survol rapide.
Le premier indique que le statut futur des mesures de protection de la Loi sur les aliments et drogues et de la Loi sur l'Agence canadienne d'inspection des aliments devraient être rendues publiques. Un grand nombre des dispositions du projet de loi S-11 semblent imiter les protections qui se trouvent déjà plus particulièrement dans la Loi sur les aliments et drogues. Je pense qu'il serait utile pour le gouvernement de clarifier s'il compte ultimement abroger ces dispositions.
Le deuxième indique que le Parlement doit relever les amendes correspondantes dans la Loi sur les aliments et drogues et la Loi sur l'Agence canadienne d'inspection des aliments aux niveaux proposés dans le projet de loi S-11.
Le troisième indique qu'il faut un mécanisme d'intervention dans l'intérêt public au conseil d'arbitrage et au tribunal pour équilibrer les intérêts des entreprises d'une part, et les défenseurs de la santé publique et des consommateurs, d'autre part.
Le quatrième indique que la proposition d'incorporer par référence des normes peut permettre à des conflits d'intérêts d'influer sur l'élaboration de politiques et pourrait, dans le cas de l'incorporation de documents « avec leurs modifications successives », constituer une abdication complète de la surveillance gouvernementale.
Le cinquième indique que les efforts d'homologation à grande échelle envisagés par le projet de loi S-11 dans le cas des compagnies qui font le commerce interprovincial et international des aliments pourraient nécessiter de nombreuses ressources additionnelles. Si ces ressources ne sont pas disponibles à court terme, cela pourrait détourner les dirigeants de l'ACIA de leurs responsabilités importantes, c'est-à-dire surveiller la chaîne alimentaire.
Le sixième indique qu'une nouvelle défense fondée sur la diligence raisonnable qui est proposée dans le projet de loi pourrait mettre à l'abri des poursuites les fabricants d'aliments. D'après ce que je comprends, la loi aux États-Unis ne permet pas un tel mécanisme de défense. D'ailleurs, une proposition en ce sens au Royaume-Uni a été rejetée parce qu'on s'inquiétait que le mécanisme ne respecterait pas les normes de l'Union européenne.
Le septième indique que d'après notre expérience, l'Agence canadienne d'inspection des aliments diminue l'importance des renseignements nutritionnels sur les étiquettes des aliments en disant qu'il s'agit d'un problème de qualité plutôt que d'un problème de santé et de salubrité. C'est l'une des raisons qui expliquent pourquoi il y a eu si peu de poursuites pour des renseignements nutritionnels inexacts malgré les rapports obtenus de l'ACIA qui indiquent que les renseignements étaient erronés dans de nombreux cas.
Le huitième indique que l'incidence d'une augmentation des amendes maximales peut être mineure compte tenu de l'historique des très faibles amendes. Je crois comprendre qu'on a posé la question à ce sujet à certains témoins. Nous avons constaté au cours des deux ou trois dernières années qu'environ les deux tiers des amendes correspondaient à 1 p. 100 ou moins de l'amende maximale pour des infractions punissables par mise en accusation. En 2011, nous n'avons trouvé aucune amende qui dépassait 20 p. 100 de l'amende maximale, et l'amende moyenne était d'environ 5 p. 100. Il est intéressant de constater que l'amende moyenne par inspecteur se situait à un peu plus de 100 $ par année, ce qui me semble faible.
Le neuvième indique que pour évaluer l'incidence des mesures de salubrité des aliments sur la santé publique, il faudrait une meilleure surveillance et une surveillance plus transparente des éclosions de maladies et des décès d'origine alimentaire ainsi que des maladies graves provoquées par la nutrition et des maladies reliées à la salubrité des aliments.
Le dixième indique que des poursuivants privés ont besoin de mesures plus solides pour dissuader les comportements à risque des fabricants d'aliments. Si le gouvernement fédéral veut compter sur des parties privées comme des firmes de recours collectif pour appliquer les lois de protection des consommateurs, comme il l'a fait dans le cas de l'éclosion de listériose dans des installations de Maple Leaf qui a entraîné jusqu'à 23 décès de Canadiens et n'a donné lieu à aucune amende, la Loi sur les aliments et drogues et d'autres lois devraient à tout le moins être modifiées pour donner aux tribunaux tous les pouvoirs d'imposer des dommages-intérêts punitifs, de dommages-intérêts triples, l'abandon des profits ou d'autres mesures exceptionnelles pour mieux décourager les comportements dangereux, frauduleux et imprudents.
Rick Holley, professeur, Sciences de l'alimentation, Université du Manitoba : Merci de me donner l'occasion de m'adresser à votre comité aujourd'hui.
Je vais faire des observations précises relativement aux éléments du projet de loi qui, d'après moi, nécessitent une attention ou un peaufinement supplémentaire. Je parlerai ensuite des problèmes associés à la salubrité des aliments dont l'actuel projet de loi ne tient pas compte.
D'abord et avant tout, à mon avis, c'est une bonne idée de présenter ce projet de loi. Je pense que son titre est très trompeur et, de fait, si une telle inscription était apposée sur un produit alimentaire dans la mesure où le public est convaincu que le projet de loi le protégera contre des aliments contaminés, un produit alimentaire portant une étiquette trompeuse serait assujetti à un rappel immédiat.
En vertu des paragraphes 39(1) à (4) du projet de loi S-11, je pense que les pénalités proposées sont extrêmes et, comme l'a indiqué M. Jeffery il y a quelques instants, si vous jetez un coup d'œil aux pénalités actuelles, elles sont rarement infligées à leur maximum. Compte tenu du niveau des pénalités proposées dans le projet de loi, elles serviront en fait d'éléments dissuasifs à des poursuites, tout à fait l'opposé de ce que vous penseriez.
Les articles 46 et 47 traitent des problèmes associés à la communication de renseignements — renseignements privés, renseignements exclusifs de la part d'entreprises impliquées dans des affaires douteuses — et ces renseignements peuvent résulter de ce qui est écrit dans le projet de loi et qui est mis à la disposition de pays autres que le Canada. Je pense qu'il faut un énoncé pour contrôler ou qualifier cette permission. Je pense que la communication de certains renseignements est importante, mais je constate ou j'estime qu'il est nécessaire d'avoir un certain contrôle sur toute la question. Je sais que c'est dans le projet de loi en grande partie pour satisfaire à nos plus importants partenaires commerciaux, mais cela ne devrait pas être une excuse pour mettre en péril l'industrie canadienne.
L'article 47 contient des dispositions pour surveiller l'efficacité des rappels. C'est un problème à l'heure actuelle. Nous voulons tous que le gouvernement réagisse très rapidement lorsqu'il y a une éclosion et qu'il rappelle les aliments qui pourraient poser un problème, et l'ACIA surveillera l'efficacité du rappel. Aucun processus n'est en place pour surveiller l'efficacité des rappels. C'est une farce.
L'article 59 indique que le gouvernement n'accepte absolument aucune responsabilité. Les parties aux infractions, même si elles ne sont pas poursuivies, sont responsables. Cela comprend les membres des conseils d'administration qui n'ont pas été accusés d'une infraction, d'une part, et les personnes qui travaillent pour le gouvernement. Ces gens jouissent d'une immunité judiciaire totale pour agir de façon incompétente. À mon avis, ces règles du jeu ne sont pas équitables. À mon avis, le public ne voit sûrement pas la situation d'un bon œil.
Pour revenir à la question du titre du projet de loi, vous avez déjà abordé les problèmes associés à la double norme au Canada. Nous avons deux normes au Canada. Nous avons les normes fédérales, deux paliers d'inspection. Il s'agit d'un projet de loi sur l'inspection; à mon avis, ce n'est pas un projet de loi sur la salubrité globale des aliments. Ce n'est pas du tout comme la Food Safety and Modernization Act aux États-Unis. Cette loi est beaucoup plus proactive et met en place les exigences à l'endroit des entreprises dont la taille dépasse un certain niveau de se doter de programmes d'analyse des risques et de maîtrise des points critiques. Au Canada, nous n'avons pas l'exigence pour les établissements responsables de 50 p. 100 de la production qui relèvent de la compétence des gouvernements provinciaux. Le projet de loi ne rendra pas tous les aliments plus sécuritaires. Ne vous laissez pas tromper par le titre. Ce titre devrait faire référence à une inspection uniforme des aliments au niveau fédéral. Je ne sais pas quels mots employer pour mieux le décrire, mais je pense que vous devez absolument régler ce problème et ne pas donner au public la fausse impression qu'il s'agit d'un projet de loi qui le protégera contre les aliments contaminés, car ce n'est pas le cas.
Il y a des enjeux très importants au Canada qui sont associés à la salubrité des aliments et qui n'ont pas été abordés. Si le projet de loi est perçu par le gouvernement comme la réponse définitive au rapport Weatherill, alors je suis déçu, car il y a des problèmes associés à la surveillance des maladies d'origine alimentaire qui n'ont pas changé depuis 20 ans. Nous ne savons pas quels aliments causent le plus de maladies d'origine alimentaire, et nous ne savons pas quels organismes causent le plus de maladies d'origine alimentaire. Si vous ne savez pas cela, comment pouvez-vous mettre en place des mesures efficaces pour empêcher que cela se produise? Comment pouvez-vous surveiller votre rendement annuel d'une année à l'autre? Est-ce que les mécanismes que nous mettons en place ont pour effet de réduire la fréquence des maladies? Nous ne le savons pas. Nous empruntons les renseignements provenant des États-Unis et d'ailleurs pour planifier une approche efficace des problèmes associés à des maladies d'origine alimentaire. Ce n'est pas terriblement responsable, car lorsque nous examinons les données, nous savons que les gens dans différentes régions du Canada consomment des aliments différents. Les gens dans divers pays consomment des aliments différents. Il existe des bactéries différentes dans les aliments. Ils sont préparés de diverses façons.
Pour ce qui est du risque, eh bien, tout ce que nous faisons au Canada est fondé sur le risque, n'est-ce pas, une évaluation du risque fondée sur la science. Je me demande quelle est la science que l'on utilise, car nous n'avons pas les données pour prendre une décision significative vendredi cette semaine. D'ailleurs, mesdames et messieurs, c'est une véritable parodie.
Deux paliers d'inspection mis en application par trois ordres de gouvernement — fédéral, provincial et municipal —, voilà un problème qui n'a pas été réglé au Canada, et il est grandement temps qu'on le fasse. Les problèmes reliés aux différents jeux de règlements en matière d'inspection et à la formation des inspecteurs ne seront pas réglés parce qu'on regroupe les règlements en matière d'inspection de la viande et du poisson et de la Loi sur les produits agricoles au Canada. Absolument pas. Ils ne toucheront pas à quelque 50 p. 100 des aliments consommés par les Canadiens. Cette mesure est-elle responsable? Je sais qu'il s'agit d'une impasse constitutionnelle, et elle a été abordée par tous les gouvernements successifs, mais il est grandement temps que ce soit fait d'une façon plus intuitive.
Je pense que mon temps de parole est probablement écoulé. Les tests relatifs aux produits finis et la traçabilité sont vantés comme des mesures que le gouvernement peut prendre et qui sont significatives pour le public qui peut les comprendre, et des mesures sont prises. On ne devrait pas s'en servir comme excuses pour agir quand d'autres problèmes plus importants doivent être réglés.
Merci de votre temps.
Le président : Merci, monsieur.
Le sénateur Plett : Merci, messieurs. Ma première question s'adresse à M. Jeffery. Monsieur Holley, si vous voulez intervenir pour l'une ou l'autre de mes questions, n'hésitez pas, je serais heureux de savoir ce que vous en pensez. J'ai posé la question suivante à notre témoin précédent et je vais vous la poser également.
Pensez-vous que nous sommes au même niveau que d'autres pays, ou en avant ou en arrière? Comment nous comparerons-nous à d'autres pays une fois que le projet de loi S-11 sera promulgué, si vous pouviez nous dire ce que vous en pensez?
M. Jeffery : Je pense que M. Holley a probablement aussi quelque chose d'utile à nous communiquer à ce sujet, mais je dirai que l'objectif final devrait être d'obtenir des résultats. Dans la mesure où nous ne déclarons pas publiquement les éclosions alimentaires, nous ne faisons pas cette démonstration et nous ne savons pas, comme l'a dit M. Holley, quels aliments et quels pathogènes sont à l'origine de la plupart des maladies. Nous spéculons et nous utilisons les multiplicateurs de l'Organisation mondiale de la santé et d'autres études américaines dans le domaine de la nutrition à propos des gras trans et du sodium, mais tant que nous ne surveillons pas ces choses, il est imprudent de donner des estimations pour indiquer si nous sommes au même niveau que d'autres pays ou à quel endroit nous nous trouvons.
M. Holley : Lorsque vous prenez les critères utilisés par les économistes qui évaluent le rendement des systèmes de salubrité des aliments, le Canada est très bien coté, dans les quatre premiers à l'échelle internationale, et c'est au niveau de la technologie, de la réglementation et de la transparence. Toutes ces choses justifient la réputation que le Canada a acquise au fil des ans; il est très bien coté.
Pour répondre à votre question, lorsque le projet de loi deviendra loi, rien ne changera quant au niveau de rendement du système de salubrité des aliments. Pour ce qui est des importantes lacunes du système, des chevauchements et des contraintes, l'interface du gouvernement est un obstacle à la communication et à la collaboration entre le gouvernement fédéral, les provinces et les municipalités, et rien ne changera. S'il s'agissait de communications pour la radio et la télévision ou de transport aérien, domaines pour lesquels des lois uniformes sont appliquées au niveau fédéral, c'est une solution. La santé et la salubrité des aliments sont des responsabilités provinciales. Tant que ce problème n'est pas réglé, nous ne progresserons pas de façon significative pour améliorer le niveau de la salubrité des aliments au Canada.
Le projet de loi donnera certainement à l'Agence canadienne d'inspection des aliments l'occasion de normaliser ses inspections et ses programmes de formation et lui donnera une autre occasion de prioriser et d'évaluer les risques de même que les différents types de produits alimentaires qui relèvent de sa compétence. Malheureusement, à mon avis, c'est là tout le changement.
Le sénateur Plett : Monsieur Jeffery, je vous remercie de vos 10 recommandations très claires. Je pense qu'elles sont sûrement utiles. Lorsque je dis « claires », je n'en ai pas compris une seule de sorte qu'elles n'étaient peut-être pas assez claires.
Vous aviez deux recommandations à propos des amendes. La deuxième, je l'ai très bien comprise, et j'aimerais que vous nous en parliez un peu plus. Je pense que la première était votre deuxième ou troisième recommandation. J'aimerais que vous me l'expliquiez un peu plus, car je n'ai pas tout à fait saisi.
M. Jeffery : Ma compréhension du projet de loi S-11 est qu'il crée un nouveau régime d'amendes qui sont beaucoup plus élevées, et elles sont supervisées par le Conseil d'arbitrage, et non par les tribunaux. S'il est vrai que le gouvernement compte ne pas modifier la Loi sur les aliments et drogues et la Loi sur l'Agence canadienne d'inspection des aliments, qui sont administrées par les tribunaux, il devrait augmenter les amendes prévues dans ces deux lois et les porter aux mêmes niveaux, car si elles ne sont pas augmentées, elles demeureront à leurs faibles niveaux actuels.
Le sénateur Plett : À propos des amendes dans votre deuxième recommandation, j'ai une opinion à ce sujet. Je pense qu'habituellement les juges craignent peut-être de décerner les amendes maximales, et je pense que vous avez dit quelque chose au sujet de la plupart des amendes qui se trouvent à environ 20 p. 100 de l'amende maximale actuelle. Ce n'est peut-être pas ce que vous avez dit, mais quoi qu'il en soit, si l'amende est décuplée, ne pensez-vous pas que les juges hésiteraient peut-être un peu moins à infliger de plus grosses amendes, si c'est 20 p. 100, en infligeant 20 p. 100 de l'amende maximale, et les amendes augmenteraient de façon significative?
M. Jeffery : Pour qu'il n'y ait pas d'ambiguïté, sénateur, j'ai dit que la vaste majorité des amendes correspondaient à 1 p. 100 ou moins de l'amende maximale actuelle, et que l'amende la plus élevée que j'ai relevée était de 20 p. 100, en 2001, je pense.
Le sénateur Plett : Très bien. Désolé.
M. Jeffery : Je n'ai pas poussé mes investigations assez loin pour savoir si les responsables de l'ACIA demandaient des amendes beaucoup plus élevées et étaient déçus régulièrement par les juges. Je ne pense pas que ce soit le cas.
De fait, un autre problème est que l'on n'utilise pas très souvent les amendes. Je pense qu'il y a quelques années, il y a eu seulement 8 ou 10 amendes au cours de toute l'année. Comme je l'ai dit, en moyenne, c'est environ 100 $ par inspecteur par année. Par conséquent, ma question à l'intention du gouvernement, par votre intermédiaire, monsieur le président, est : s'attend-on à ce que les niveaux des amendes augmentent, à ce que les agences d'inspection des aliments les utiliseront de façon plus énergique et exigeront des amendes plus importantes? Ou va-t-on se contenter de continuer les tendances actuelles?
Le sénateur Plett : Je pense que nous espérons qu'elles seront imposées plus fréquemment et, à mon avis, c'est la raison pour laquelle, nous voulons les hausser. Néanmoins, si vous me le permettez, j'aimerais poser une dernière question dans le cadre de la première série d'interventions.
Monsieur Jeffery, dans vos recommandations, vous avez mentionné que l'enregistrement « pourrait requérir » des ressources supplémentaires. Toutefois, vous n'avez pas affirmé qu'il en requerrait. Disposez-vous de renseignements ou de statistiques indiquant qu'il pourrait nécessiter des ressources supplémentaires? Qu'est-ce qui vous fait croire que ce régime « pourrait requérir » des ressources supplémentaires?
M. Jeffery : Je ne sais pas dans quelle mesure cette information est déjà entre les mains de l'Agence canadienne d'inspection des aliments mais, comme nous l'avons tous appris avec le registre des armes à feu, il est difficile de prédire comment les choses se dérouleront. J'ignore si nous assisterions à un soulèvement de l'industrie alimentaire qui soutiendrait que ses membres ne devraient pas être forcés de s'enregistrer ou le résultat que cette entreprise aurait, mais ce régime pourrait être mis en place de manière plutôt efficace. Vous créez un site web, vous demandez à toutes les entreprises d'y afficher leurs renseignements et vous mettez au point une méthode d'un genre ou d'un autre pour les examiner.
S'il est nécessaire que des dizaines ou des centaines de représentants officiels de l'Agence canadienne d'inspection des aliments passent chaque semaine un certain temps à saisir des renseignements qu'on leur a postés, je conçois que ce processus pourrait être très long et très ardu, en particulier si ces compagnies hésitent à fournir des détails ou sont avares de renseignements.
Le sénateur Plett : Nous espérons et croyons assurément que cette initiative donnera de bien meilleurs résultats que le registre des armes à feu.
Le sénateur Peterson : Je vous remercie, messieurs, de vos exposés. L'avancement du projet de loi me rappelle les paroles de Salvador Dali, qui a déclaré ce qui suit : « Ne craignez pas d'atteindre la perfection, vous n'y arriverez jamais. » Nous faisons de notre mieux au sein du comité pour nous assurer que le projet de loi est judicieux.
Monsieur Jeffery, pendant votre exposé, vous mettiez énormément l'accent sur la nutrition et l'étiquetage. Au cours de l'été dernier, avez-vous eu l'occasion de rencontrer des représentants officiels du gouvernement relativement à ce projet de loi? Avez-vous rencontré des fonctionnaires de Santé Canada? Quel rôle pensez-vous qu'ils devraient jouer à cet égard? Devraient-ils participer davantage à son avancement, ou faut-il de nouveau les consulter séparément?
M. Jeffery : Habituellement, nous nous réunissons avec des employés de Santé Canada afin de discuter de tout un éventail d'enjeux. Nous ne les avons pas rencontrés au sujet de ce projet de loi. Je ne suis pas certain qu'on nous ait invités à le faire. Je sais que j'ai discuté de certaines des questions liées à ce projet de loi plusieurs mois avant qu'il soit présenté mais, étant donné qu'il a été présenté seulement en juin, nous n'avons pas eu l'occasion de nous réunir à son sujet.
Comme je l'ai déclaré, nous recommandons entre autres de faire appel au pouvoir du Sénat ou du gouvernement pour stipuler que la nutrition est une question de santé et de salubrité. Au cours de mes nombreux échanges avec les représentants de l'Agence canadienne d'inspection des aliments, j'ai été très étonné d'apprendre qu'ils considéraient la nutrition comme une question de qualité, et non une question de santé ou de salubrité. C'est pourquoi ils semblent lui accorder une très faible priorité en matière d'application de la loi. La preuve en est qu'au cours des trois dernières années, je pense qu'aucune entreprise n'a été poursuivie pour avoir étiqueté incorrectement des aliments, même si les propres enquêtes de l'Agence canadienne d'inspection des aliments ont révélé, dans certains cas, des erreurs généralisées.
Le sénateur Peterson : Croyez-vous que le projet de loi soit suffisamment transparent pour qu'au fur et à mesure qu'il progresse et que les problèmes sont discernés, il puisse être renforcé à cet égard?
M. Jeffery : J'agis de bonne foi en me présentant devant votre comité, et je présume qu'il y a des possibilités de renforcer le projet de loi. Si cela intéresse les membres du comité, je pourrais leur fournir le texte de loi nécessaire.
Le sénateur Peterson : Monsieur Holley, lorsque nous négocierons d'autres accords de libre-échange, les normes canadiennes risquent-elles d'être incompatibles avec celles des autres pays et cette incompatibilité risque-t-elle d'embrouiller l'application de la loi dans les années à venir?
M. Holley : Voilà une excellente question. Parmi les exemples de situations qui peuvent évoluer, on retrouve le rappel en cours de bœuf provenant de l'abattoir no 38 de XL, en Alberta, qui est contaminé par la bactérie E. coli 0157: H7. Il s'agit là d'un produit brut, mesdames et messieurs. Le bœuf a été rappelé parce qu'il est contaminé par une bactérie qui peut rendre les gens malades. Toutefois, mesdames et messieurs, si la contamination avait été découverte dans un abattoir provincial, le bœuf n'aurait pas été rappelé, parce que Santé Canada n'applique pas une politique de tolérance zéro comme le gouvernement américain. Les abattoirs soumis aux inspections fédérales respectent les normes américaines. Cependant, cet organisme ne s'attaque pas uniquement aux Américains; il rend également les Canadiens malades, n'est-ce pas?
Je ne préconise pas une politique de tolérance zéro en ce qui concerne la présence de la bactérie E. coli dans le bœuf haché. Je recommande plutôt de mieux éduquer les consommateurs, qui devraient faire cuire complètement leur bœuf haché afin de détruire cet organisme, un point c'est tout. On risque davantage de retrouver la bactérie E. coli 0157:H7 dans la viande inspectée par les autorités provinciales que dans celle inspectée par les autorités fédérales, parce que les abattoirs soumis aux inspections fédérales doivent satisfaire aux exigences du programme HACCP, lequel est recommandé à l'échelle provinciale. Voilà une situation où, en raison de l'accord de libre-échange que nous avons négocié avec les États-Unis deux normes coexistent de manière très flagrante et déroutante, en même temps, pour le grand public.
Oui, je crois assurément que ce genre d'accords internationaux, qui s'appliquent aux abattoirs fédéraux, mais non aux abattoirs provinciaux, pourraient entraîner des problèmes futurs.
Le sénateur Eaton : Monsieur Holley, nous avons entendu bon nombre de nos témoins déclarer que, si nous pouvions uniformiser les règlements fédéraux et provinciaux en matière de viande, cela faciliterait les choses parce que la viande pourrait franchir les frontières provinciales, et tous en bénéficieraient.
M. Holley : Ce ne serait pas avantageux pour tous. Cela aurait d'importantes répercussions sur le...
Le sénateur Eaton : Nous aurions peut-être un plus grand choix.
M. Holley : Du point de vue du consommateur, ce serait assurément le cas dans certaines régions. Toutefois, dans les régions reculées du Canada, le boucher local serait forcé de fermer ses portes, parce qu'il n'aurait pas les moyens de se conformer aux règlements, et ces enjeux économiques doivent également être pris en considération.
Le sénateur Eaton : Je n'en disconviens pas. Ce sujet est complexe.
Monsieur Jeffery, vous parlez d'adopter une stratégie en matière de sodium et de gras trans. Vous ne croyez pas que le fait de renseigner les Canadiens et de leur fournir des étiquettes adéquates suffit; vous pensez que ces aspects devraient être réglementés?
M. Jeffery : Plusieurs des recommandations du groupe de travail sur le sel, en particulier, visaient à documenter de meilleures façons de modifier le soi-disant apport quotidien en sodium afin qu'il corresponde à ce que recommandent actuellement les spécialistes de la santé publique, à clarifier l'information et à normaliser les portions. Il ne fait pas de doute que l'information est très déroutante pour les consommateurs.
Toutefois, la question des gras trans est certainement plus tranchée. Il s'agit de gras synthétiques qui ont gagné en popularité essentiellement au cours des années 1970. Ils ne présentent aucun avantage sur le plan de la santé. Ils sont synthétiques et ne font pas partie de notre alimentation depuis des milliers d'années. La mise en œuvre de règlements visant à les bannir présente de nombreux avantages tant sur le plan de la santé publique que sur le plan économique. La question du sodium est un peu plus difficile à régler.
Le sénateur Eaton : Parce qu'une même quantité de sel a différents effets sur différentes personnes?
M. Jeffery : Les recommandations des spécialistes de la santé publique varient légèrement en fonction de l'âge des gens, mais le fait est que pratiquement tous les Canadiens consomment beaucoup plus de sel que ce qui est recommandé.
Le sénateur Eaton : Je sais, mais nous ne vivons pas dans une nounoucratie. Je suppose que ce que je m'efforce de dire, c'est que nous devrions consacrer davantage de temps à l'éducation. Aucune réglementation n'empêchera le sénateur Mahovlich ou moi de saler nos tomates ou nos steaks comme des déments.
M. Jeffery : C'est vrai, sénateur, et c'est ainsi que les choses devraient se passer. Si vous souhaitez ajouter des tonnes de sel à votre nourriture, vous devriez être libre de le faire et, à mon avis, personne ne devrait intervenir pour vous en empêcher. Le problème, c'est qu'on vous présente souvent des aliments salés. Le sel est ajouté au préalable par les fabricants, et vous n'avez pas vraiment le choix, à moins d'examiner en profondeur les étiquettes.
Le sénateur Eaton : N'est-ce pas la direction que nous devrions prendre, ne devrions-nous pas apprendre aux gens à examiner les étiquettes et à ne pas manger autant d'aliments transformés?
M. Jeffery : Nous pensons que les gens devraient être en mesure de manger des aliments transformés. Toutefois, comme je l'ai dit, nous avons formulé quelques recommandations très précises à propos des changements qui devraient être apportés aux étiquettes. Ces recommandations ont été ignorées en grande partie. On s'attendait à ce que les entreprises les mettent en œuvre volontairement. En fait, bon nombre d'entreprises et d'associations industrielles participaient au groupe de travail sur le sel et s'étaient engagées à appuyer les recommandations. Toutefois, plus tard, il est devenu clair qu'ils n'allaient pas le faire. Ils ne nous fournissent pas volontiers les renseignements concernant la teneur en sel de leurs produits. Donc, cela ne se produisait pas volontairement. Seize mille personnes meurent prématurément chaque année, sénateur. Il s'agit donc d'un très grave problème de santé publique.
Le sénateur Eaton : Je n'en disconviens pas. Toutefois, je suppose que nous ne nous entendons pas sur la façon de prévenir ces décès. J'ai été consterné d'apprendre que le maire Bloomberg avait interdit les contenants de boissons gazeuses de 20 onces à New York.
Je pense que le contrôle des portions est la clé du problème. À mon avis, les portions consommées tuent davantage de gens que le sel ou les gras trans combinés. Pourquoi n'expliquons-nous pas aux gens comment contrôler leurs portions? Une personne n'a pas besoin de manger un hamburger de 12 onces; un hamburger de 4 onces suffit. Une personne n'est pas forcée de manger du pain blanc.
Je suppose que ce que je suis en train de vous dire, c'est que vous en êtes seulement aux premiers stades d'un long processus d'éducation, et je ne crois pas qu'il ait quoi que ce soit à voir avec la salubrité des aliments. Selon moi, c'est une question de choix.
M. Jeffery : Je suis d'accord avec vous. Je travaille à cette initiative depuis 15 ans. Par conséquent, j'imagine qu'il ne s'agit pas vraiment des premiers stades. J'ai passé de nombreuses années à regarder les gouvernements prendre très peu de mesures pour éduquer les gens et les entreprises prendre très peu de mesures pour reformuler leurs aliments afin d'éliminer le sodium.
Le sénateur Eaton : N'est-ce pas là où vous entrez en jeu en vue d'éduquer les gens?
M. Jeffery : Nous contribuons énormément à éduquer les gens. Comme je l'ai mentionné, 100 000 personnes sont abonnées à notre bulletin, mais cela représente seulement 1 p. 100 des ménages canadiens. D'autres organisations peuvent se consacrer à cette tâche. Toutefois, à mon sens, comprendre les gras trans n'est pas une question d'éducation. Ces derniers sont synthétiques et causent tout simplement un trop grand nombre de décès imputables à des crises cardiaques, soit 1 000 par année. Deux cent cinquante millions de dollars représentent un vrai fardeau pour les finances publiques. De même, le sodium constitue un problème beaucoup plus important sur le plan de la santé et de l'économie.
Le sénateur Merchant : Je vais aborder deux aspects du projet de loi. Premièrement, il compte des dispositions qui luttent contre les altérations, les tromperies, la fraude et les menaces relatives aux aliments. L'autre jour, j'ai entendu aux nouvelles un reportage concernant les États-Unis; sur une boîte de céréales, un fabricant prétendait qu'elles contenaient des morceaux de bleuet mais, apparemment, il s'agissait de colorants alimentaires. Certains des flocons ou des composantes étaient colorés comme des bleuets. Vous signale-t-on de nombreux cas de fraude et de tromperie de ce genre? Comment le projet de loi résout-il ce problème?
M. Jeffery : Nous publions à l'occasion des articles à ce sujet dans notre bulletin d'information. Il y avait un produit aux bleuets qui ne contenait que de la poudre de bleuets, mais il y avait beaucoup d'images de bleuets sur le devant de l'emballage. Cela a une incidence sur la santé parce que les nutritionnistes recommandent aux gens de consommer plus de fruits et de légumes; il s'agit d'une des façons de le faire, mais c'est un exemple d'un problème que l'Agence d'inspection des aliments considère comme un problème de qualité et, en conséquence, elle semble avoir décidé qu'elle n'imposerait pas de sanctions à qui que ce soit pour ce genre de choses. À mon avis, il s'agit d'une fraude de grande envergure et des mesures correctives devraient être prises. Les entreprises devraient savoir qu'il y a des sanctions plus importantes qu'un avertissement sévère de la part de l'organisme de réglementation et que leurs profits devront être restitués s'il est déterminé qu'elles ont trompé leurs clients. Cependant, ce n'est pas le cadre dans lequel nous travaillons.
Le sénateur Merchant : Deuxièmement, le projet de loi donne au ministre le pouvoir de communiquer des renseignements. Vous avez beaucoup parlé des amendes. Si le ministre obtient le pouvoir de communiquer des renseignements, cela a un effet bénéfique, à court terme, en ce qui a trait à la salubrité des aliments et la santé des Canadiens, mais cela entraîne des répercussions pour l'avenir parce que cela incitera certaines entreprises à ne pas révéler l'existence d'un problème. Supposons que la société Aliments Maple Leaf constate l'existence de problèmes dans une de ses usines. Actuellement, ses dirigeants pourraient essayer de travailler avec les inspecteurs pour corriger le problème, mais si le projet de loi accorde au ministre un pouvoir de communiquer des renseignements, cela aurait des répercussions, parce que les entreprises craindraient d'être poursuivies. Vous avez parlé d'amendes considérables. En fait, ces amendes ne sont pas si élevées lorsqu'on les compare au coût pour l'entreprise que représente un recours collectif, par exemple. Ce sont des amendes considérables.
Même si on n'y a pas recours, comme vous l'avez indiqué, une amende de 5 millions de dollars peut sembler vraiment très élevée, mais comparativement à ce qui peut se produire, si les entreprises disaient la vérité aux inspecteurs, elles auraient alors la crainte de voir leur chiffre d'affaires baisser, de voir leurs produits rester invendus et de faire l'objet d'importantes poursuites judiciaires. Je suis d'avis que ceci pourrait accorder au ministre un trop grand pouvoir en matière de communication des renseignements.
M. Jeffery : Sénateur, nous sommes des défenseurs de la transparence, mais je ne pense pas qu'à titre de gouvernement, on puisse s'en remettre à des avocats spécialisés dans les recours collectifs pour s'assurer d'avoir un approvisionnement en aliments sains et nutritifs. La vérité, c'est que les avocats spécialisés dans les recours collectifs et les plaignants font des calculs d'ordre économique complexes pour décider du recours collectif à intenter et pour lesquels les questions de causalité sont les plus simples et ont souvent déjà fait l'objet de mesures d'application par l'Agence canadienne d'inspection des aliments ou le commissaire de la concurrence. De plus, du point de vue de la santé publique, déterminer ce qui pourrait faire l'objet d'un recours collectif relève presque du hasard. Cela semble avoir été un facteur important dans le cas de l'éclosion de listériose qui a touché les Aliments Maple Leaf, mais on ne peut pas présumer qu'il en sera toujours ainsi.
M. Holley : Puis-je me permettre un commentaire?
Le sénateur Merchant : Je vous en prie.
Le président : Absolument.
M. Holley : Je pense que vous avez bien fait valoir votre point. Ma seule préoccupation par rapport à l'importance des amendes, c'est l'effet imprévu qui pourrait en découler, étant donné l'attitude actuelle envers l'application ou l'exécution d'amendes élevées et, comme l'a souligné M. Jeffery, le fait que l'histoire est on ne peut plus claire à ce sujet.
Ce qui est plus important par rapport à la communication par le ministre dont vous avez parlé, et je vous ai fait part de mes réserves à ce sujet plus tôt, c'est l'exigence — et je pense qu'il s'agit d'un aspect important du projet de loi —, selon laquelle l'entreprise elle-même est tenue de signaler, dès qu'elle en prend connaissance, toute situation qui pourrait avoir une incidence sur la salubrité des aliments, ce qui est simplement formidable. C'est le pendant canadien de l'exigence prévue dans la Food Safety Modernization Act des États-Unis. Il y a là une équivalence.
Le sénateur Mahovlich : Monsieur Holley, vous avez indiqué que le Canada occupe le quatrième rang mondial en ce qui a trait à la salubrité des aliments. Quel rang occupons-nous pour ce qui est de l'espérance de vie? Je prendrai bientôt ma retraite, et je me demandais où nous en sommes. J'ai entendu dire que dans le nord de la Russie, certaines personnes vivent bien au-delà de 100 ans. C'est là que la moyenne est la plus élevée, et c'est attribuable à une variété de raisins qu'ils consomment ou à leur alimentation.
M. Holley : Sénateur, je n'ai pas les compétences requises pour répondre à votre question, mais je pense que la moyenne d'âge est d'environ 80 ans chez les hommes et 82 ans chez les femmes. Je ne connais pas votre âge, mais vous avez de bons antécédents sur le plan de l'activité physique. Cela devrait être un avantage pour vos vieux jours.
Le sénateur Mahovlich : Je pense que oui. Il y a un lien avec mes genoux.
Monsieur Jeffery, vous avez dit que nous consommons trop de sodium. Je vais souvent magasiner avec ma famille et j'achète du soda sans sodium. Dites-vous que toutes les boissons gazeuses et le soda devraient être sans sodium, que vous voulez que le gouvernement adopte des mesures législatives pour exiger que toutes les boissons soient sans sodium?
M. Jeffery : Non, sénateur. Le rapport du Groupe de travail sur le sodium a établi des cibles pour certaines catégories d'aliments, et je ne suis même pas certain que le soda est un des produits visés. Certaines catégories d'aliments sont considérées comme d'importantes sources de sodium. Comme nous l'ont appris les rapports sur cette question, il y a des catégories d'aliments pour lesquels la quantité de sodium présente dans les aliments varie considérablement. Ce n'est pas toujours très clair sur les étiquettes, et encore moins dans les restaurants. Il est possible de fabriquer des éléments contenant un peu moins de sodium ou beaucoup moins de sodium.
Le sénateur Mahovlich : Cela modifie-t-il le goût?
M. Jeffery : Dans certains cas, les gens ne remarquent même pas une réduction de la quantité de sodium pouvant aller jusqu'à 25 p. 100. Cela varie selon les aliments. Pour d'autres types d'aliments, la différence est plus perceptible.
Les fabricants peuvent utiliser diverses techniques, comme le fait d'ajouter le sodium de façon à ce qu'il adhère à l'extérieur de l'aliment. Ensuite, vous pouvez le goûter, mais il n'y en a pas dans l'ensemble du produit, mais il n'en demeure pas moins qu'il a un goût salé. Cependant, le principal problème, c'est que dans des pays comme le Canada, on ajoute tellement de sodium aux aliments que les gens s'y habituent et développent un goût pour le sodium. Comme nous l'avons appris du Royaume-Uni, ce goût qui peut être modifié. Si l'on réduit graduellement la quantité de sodium, les gens en viennent alors à trouver les aliments salés désagréables au goût et cela est bénéfique pour la santé.
Pour ce qui est de la longévité, sénateur, comparativement à d'autres pays, les Canadiens ont une espérance de vie supérieure à la moyenne. Je pense que cela résulte en partie de notre système de soins de santé. Lorsque j'étudiais certaines de ces questions à l'échelle internationale, une des choses que j'ai trouvée surprenante, c'est qu'à l'échelle mondiale, de 20 à 25 p. 100 des décès sont liés à la nutrition. Le problème, c'est que dans les pays qui n'ont pas de système de soins de santé et où la population n'a pas accès aux médicaments antihypertenseurs et aux médicaments contre le cholestérol, les gens meurent beaucoup plus jeunes. À titre d'exemple, si vous avez le diabète et que vous n'avez pas les moyens de payer la dialyse, vous mourrez simplement dans la trentaine.
Le sénateur Robichaud : Monsieur Holley, vous remettez en question l'efficacité des rappels. Pourriez-vous nous en dire plus ce sujet, s'il vous plaît?
M. Holley : Certainement. Comprenez-moi bien, je vous prie. Lorsqu'il y a un rappel, il ne peut y avoir que deux types d'effets. Soit positif, soit négatif. Les rappels sont un élément important d'un programme proactif en matière de salubrité des aliments. Je n'ai absolument aucun doute à cet égard, et je vous prie de ne pas vous méprendre sur mon intention.
Lorsqu'on a recours aux rappels d'aliments, leur nombre est utilisé pour déterminer l'efficacité des programmes de surveillance en matière de salubrité des aliments. Je pense que c'est de la mauvaise foi. Les rappels d'aliments sont efficaces lorsqu'ils permettent le retrait d'aliments avant que les gens ne deviennent malades. Les rappels d'aliments ont lieu après coup, lorsque les gens sont malades. Au Canada, la plupart des activités liées à la salubrité des aliments où l'on adopte une approche réactive plutôt que proactive échoueront, à mon avis. Les rappels d'aliments sont importants lorsqu'ils permettent de prévenir les maladies.
M. Jeffery : Je voulais ajouter un bref commentaire à ce sujet. Il semble qu'une des dispositions qu'ajoutera le projet de loi S-11 permet aux entreprises de contester les décisions de l'Agence canadienne d'inspection des aliments d'ordonner un rappel obligatoire. À l'exception du recours aux tribunaux aux fins d'un contrôle judiciaire, je ne pense pas que ce pouvoir existait auparavant. Les comités des deux Chambres devraient faire preuve de circonspection en ce qui a trait à une situation où des mesures rapides peuvent être nécessaires pour sauver des vies et par rapport à la question de savoir si la mise en place de ce genre de mécanisme d'appel peut être néfaste sur le plan de la santé publique.
M. Holley : Pour compléter ma réponse à la question qui portait sur mes préoccupations par rapport aux rappels et au projet de loi, il y a une omission, c'est-à-dire qu'actuellement — et cela ne m'apparaît pas évident à la lecture du projet de loi —, rien n'indique qu'un mécanisme sera mis en place. Bon sang, je suppose que nous devrons attendre le règlement. Cependant, il n'y a aucun mécanisme servant à évaluer l'efficacité d'un rappel. Oui, on prévoit en effet que l'ACIA à la responsabilité de surveiller l'efficacité d'un appel, mais je mets l'ACIA au défi de me prouver qu'elle le fait.
Le président : Merci, monsieur.
En terminant, je vais maintenant donner la parole au parrain du projet de loi, le sénateur Plett.
Le sénateur Plett : Merci, monsieur le président. J'ai une question pour M. Holley.
J'ai reçu des messages contradictoires dans une de vos déclarations, puis dans la réponse que vous avez donnée à mon collègue, le sénateur Eaton. D'après votre témoignage, j'ai l'impression que vous avez dit — ce n'est peut-être pas le cas — que vous êtes d'avis qu'il ne faut qu'un niveau d'inspection, que vous pensiez que nous avions trop de niveaux d'inspection. Or, dans votre réponse au sénateur Eaton, vous avez dit que certaines des barrières interprovinciales qui sont en place sont bonnes parce que dans le Nord, certaines personnes auraient des problèmes si nous avions un seul niveau.
Pourriez-vous nous en dire un peu plus? Pensez-vous que nous devrions avoir un seul niveau d'inspection?
M. Holley : Oui et non.
Le sénateur Plett : Je vous remercie d'être si précis.
M. Holley : Dans un monde idéal, sénateur, il serait absolument formidable d'être en mesure de dire que nous avons des normes uniformes. Je pense que nous devrions travailler en ce sens. La réalité, c'est que la nature de notre pays ne nous permet pas de le faire facilement. Il y a sans doute eu une panoplie de discussions et de décisions pour essayer de régler ce problème. Je suis un ardent défenseur de chacune de ces initiatives, mais la réalité m'apparaît aussi on ne peut plus claire : il est possible que nous n'y arrivions jamais parce que dans notre société, il y a cette exigence pratique selon laquelle les petites entreprises doivent exister et qu'elles ont un rôle à jouer. Elles peuvent le faire aussi bien que les grandes entreprises, pourvu qu'elles aient des normes qui permettent d'atteindre le même résultat. Le règlement auquel elles seront assujetties sera différent parce que dans le cadre d'un plan HACCP régulier, il faut un vérificateur qui jouit d'une indépendance par rapport à l'exploitant de l'usine. Que fait-on s'il y a une personne dans l'entreprise? Voilà où réside la dichotomie dans ma prise de position. L'objectif est la salubrité des aliments.
Nous avons vraiment besoin de champions ou de plusieurs champions pour régler ce problème et les questions liées à l'obstacle constitutionnel et aussi, d'ailleurs, le problème de la communication intergouvernementale. On a laissé entendre que c'était chose faite, mais je ne vois rien qui le prouve. De toute évidence, le projet de loi ne réglera pas non plus le problème. Ce sont simplement des choses qui doivent faire partie intégrante d'un projet de loi dont l'intention est d'offrir aux Canadiens des aliments salubres. Peut-être s'agit-il d'un défi si important qu'il faille le remettre à plus tard, mais — ma foi — il nous faut un plan concret et nous n'en avons tout simplement pas.
Heureusement, il y a le vérificateur général. À l'exception des vérifications par des tiers, j'étais abasourdi des commentaires qui ont été faits plus tôt. Le vérificateur général joue un rôle essentiel pour ce qui est de l'évaluation du rendement d'un grand nombre d'organismes gouvernementaux au pays et il a toujours présenté des critiques à la fois cinglantes, importantes et constructives au sujet des opérations des systèmes d'assurance de la salubrité des aliments au Canada.
Le sénateur Plett : Monsieur Jeffery, votre avis à ce sujet est-il aussi tranché que celui de M. Holley?
M. Jeffery : Non; j'allais changer de sujet, sénateur. Je tenais à ajouter que nous vous ferons parvenir votre mémoire technique la semaine prochaine, probablement, ainsi que les complémentaires, notamment.
Le sénateur Plett : Dans ce cas, je n'ai pas d'autre question.
Le sénateur Robichaud : Pour revenir au dernier commentaire de M. Jeffery, nous entreprendrons l'étude article par article du projet de loi jeudi prochain, à cette heure-ci. Si vous envoyez quelque chose, nous vous prions de le faire au moment qui vous convient le mieux et aussi en fonction de l'étude du comité.
Le président : Sur ces propos, si vous souhaitez nous fournir d'autres renseignements, je vous prie de le faire par l'intermédiaire du greffier. Comme on vous l'a indiqué, l'étude article par article aura lieu jeudi prochain.
Cela dit, j'aimerais remercier les témoins. Nous sommes reconnaissants des renseignements que vous nous avez fournis ce matin.
(La séance est levée.)