Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule 28 - Témoignages du 7 février 2013
OTTAWA, le jeudi 7 février 2013
Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui, à 8 h 5, afin d'examiner, pour en faire rapport, les efforts de recherche et d'innovation dans le secteur agricole (sujets : innovation dans le système agricole et agroalimentaire de la perspective des producteurs agricoles; et retombées des investissements fédéraux sur les acteurs de l'industrie d'un point de vue universitaire); et pour étudier l'ébauche d'un budget.
Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Sénateurs et témoins, bienvenue à la séance du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts. Je m'appelle Percy Mockler. Je suis sénateur du Nouveau-Brunswick et président du comité. Je demanderais tout d'abord à chaque sénateur de se présenter.
Le sénateur Mercer : Sénateur Terry Mercer, de Halifax.
[Français]
Le sénateur Robichaud : Bonjour. Fernand Robichaud, de St-Louis-de-Kent, au Nouveau-Brunswick.
[Traduction]
La sénatrice Callbeck : Sénatrice Callbeck, Île-du-Prince-Édouard.
La sénatrice Merchant : Pana Merchant, de la Saskatchewan.
La sénatrice Buth : JoAnne Buth, du Manitoba.
La sénatrice Eaton : Bienvenue. Nicole Eaton, Ontario.
[Français]
Le sénateur Maltais : Bienvenue. Ghislain Maltais, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Oh : Victor Oh. Je suis le nouveau sénateur de l'Ontario.
[Français]
Le sénateur Rivard : Sénateur Michel Rivard, des Laurentides au Québec.
Le président : Merci beaucoup, honorables sénateurs.
Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts poursuit son étude sur les efforts de recherche et d'innovation dans le secteur agricole.
[Traduction]
Nous accueillons aujourd'hui deux témoins. Au cours de la première heure, il sera question d'innovation dans le système agricole et agroalimentaire de la perspective des producteurs agricoles. Durant la deuxième heure, nous parlerons des retombées des investissements fédéraux sur les acteurs de l'industrie d'un point de vue universitaire.
Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts a été autorisé à examiner, pour en faire rapport, les efforts de recherche et d'innovation dans le secteur agricole. Le comité a été autorisé à examiner les efforts en matière de recherche et de développement, notamment en ce qui concerne le développement de nouveaux marchés domestiques et internationaux; le renforcement du développement durable de l'agriculture; et l'amélioration de la diversité et de la sécurité alimentaires.
M. William Zylmans est le propriétaire-exploitant de W & A Farms Inc. Je vous remercie d'avoir accepté notre invitation. Je vous invite maintenant à faire votre exposé. Les sénateurs vous poseront des questions par la suite.
William (Bill) Zylmans, propriétaire-exploitant, W & A Farms Inc. : Merci beaucoup. C'est un honneur et un plaisir pour moi d'être ici pour représenter W & A Farms. Ma femme et moi, les propriétaires, sommes vraiment fiers d'avoir la possibilité de nous adresser à vous. Je vais tout d'abord vous dire quelques mots au sujet de mon entreprise et de moi.
J'ai été agriculteur toute ma vie à Richmond, en Colombie-Britannique. Je cultive des pommes de terre de semence, des fraises, divers légumes, et cetera. Nous avons un marché agricole où nous vendons nos produits directement au public. Je fais le commerce des pommes de terre de semence, que je vends à des agriculteurs locaux, dans les Prairies et aux États-Unis, jusqu'à la frontière mexicaine. Je possède aussi un petit troupeau d'Aberdeen Angus pour la production de viande.
Je suis marié et j'ai deux enfants qui sont actuellement à l'université un dans l'Est du Canada, et l'autre, en Colombie-Britannique. Ils n'ont pas l'intention ni l'un ni l'autre, pour le moment, de continuer à faire marcher la ferme familiale. Je pense qu'ils essaient en fait de me tenir en otage pour avoir la ferme à meilleur prix lorsque j'aurai décidé de prendre ma retraite. Je ne pense pas qu'ils se rendent compte pour le moment que c'est parce que je les ai élevés pour qu'ils pensent par eux-mêmes; du moins, c'est ce que j'espère avoir réussi à faire.
La plus grande partie de l'innovation agricole a été obtenue par des tâtonnements, au début, qui ont fait place à des approches techniques et scientifiques plus récemment. On peut dire, de manière générale, que la plus grande partie de l'innovation adaptée ou apportée par les agriculteurs vise à diminuer les coûts de production et à augmenter la production de toute l'entreprise agricole dans l'intérêt de gains économiques ou, comme le diraient la plupart des agriculteurs, du profit.
Les premières transformations n'ont pas entraîné, pour la plupart, une innovation à grande échelle; elles ont plutôt consisté en de petites améliorations des procédés par l'agriculteur lui-même pour mieux travailler sa terre ou mieux concevoir son équipement. Du labourage manuel aux tracteurs actuels, les petites améliorations graduelles ont été la norme, quoiqu'il y ait eu plusieurs grands bonds, comme le passage du moteur à essence, et cetera, au moteur diesel utilisé aujourd'hui. Même s'il y a eu de grands bonds, comme l'intégration de GPS aux tracteurs pour une meilleure utilisation du travail, et par conséquent des économies, aujourd'hui, l'innovation à la ferme a presque toujours pour but, mais pas tout le temps, la réduction du coût de l'agriculture.
L'innovation peut prendre de nombreuses formes pour un agriculteur : il y a, premièrement, l'innovation dans les procédés agricoles — petites améliorations graduelles pour réduire les coûts, comme la production de nouvelles cultures, l'adaptation aux changements dans la population, la mentalité, le régime alimentaire, le marketing direct, et cetera; deuxièmement, l'innovation dans les procédés industriels — produits chimiques et procédés d'application chimique nouveaux et améliorés, plus économiques et plus respectueux de l'environnement; et troisièmement, la recherche gouvernementale, qui constitue une partie importante, comme celle effectuée dans les stations de recherche d'Agriculture et Agroalimentaire Canada, dont les comités de l'Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire et des groupes de travail sur les produits à usage limité, porte entre autres sur la protection des plantes, les nouvelles variétés, les produits chimiques et les organismes nuisibles pour aider les agriculteurs à acquérir des connaissances ou accroître les possibilités qui s'offrent et, avec un peu de chance, accroître et améliorer la production ou réduire leurs coûts.
La plupart des agriculteurs réagiront à l'évolution du marché, mais pourraient ne pas être eux-mêmes les véritables moteurs de l'innovation. Une modification des conditions du marché entraînera des réactions — une nouvelle approche, habituellement petite et graduelle, mais souvent presque considérée comme une approche novatrice. Par exemple, il est possible sur ma ferme de réaliser un cycle complet. Mes bœufs Angus se nourrissent de déchets provenant de la culture des légumes et des pommes de terre en plus de leur nourriture habituelle. Le fumier sert ensuite de matière nutritive pour l'enrichissement du sol servant aux cultures agricoles. Un autre exemple de cycle complet sur ma ferme est l'utilisation de déchets de cuisine en vue de la production de compost ensuite utilisé pour produire des aliments pour notre banque alimentaire locale dans le cadre d'une entente de partenariat.
On a aussi assisté récemment à de l'innovation dans les procédés industriels, comme du nouvel équipement et un meilleur rendement, sous la forme surtout de petits changements graduels plutôt que d'un changement radical, et elle s'est révélée avantageuse pour les agriculteurs. Par le passé, la recherche a entraîné des changements innovateurs graduels de même que des changements innovateurs radicaux. Même si certains peuvent être considérés comme graduels pour les chercheurs, ils peuvent être considérés comme radicaux par les agriculteurs. Par exemple, la recherche sur la pomme de terre se fait au niveau national au lieu de se faire au niveau des régions ou des provinces, ce qui offre à notre industrie, et par conséquent à mon exploitation, de bien meilleures possibilités de recherche. De plus, les essais de variétés de pommes de terre effectués dans différentes régions de la Colombie-Britannique et du Canada aident nos producteurs de pommes de terre à tirer parti des différences régionales, comme la structure des sols, les conditions du marché, les conditions météorologiques, les maladies locales, et cetera.
En Colombie-Britannique, notre industrie travaille très bien avec le programme Agriculture dans la classe. En tant que cofondateur du programme Spuds in Tubs, j'aide Agriculture dans la classe à renseigner les jeunes qui ne sont pas issus de familles d'agriculteurs sur les bienfaits des produits frais et la façon dont ils sont cultivés. Un autre exemple agricole, même s'il n'est pas propre à la pomme de terre, est celui de la transformation du colza en canola par modification de la structure de la plante en diminuant ou en éliminant l'acide érucique, ce qui permet de faire de l'huile de canola, un produit très pratique dans les foyers de partout dans le monde. Le canola est maintenant une culture importante pour nos agriculteurs des Prairies.
À l'heure actuelle, les agriculteurs font face à de nouveaux changements, attribuables principalement à des initiatives gouvernementales, en ce qui concerne l'aide, tant pour la gestion des risques que la recherche sur les plantes traditionnelles. Des changements à la réglementation ont été apportés en ce qui concerne les exigences relatives aux emballages, et les coûts du recyclage ont augmenté, ce qui pourrait être une source de possibilités pour nos secteurs. Les agriculteurs évalueront l'incidence de ces changements sur leurs activités. Il y a une norme que tous cherchent à atteindre, et c'est la rentabilité, qui semble souvent oubliée quand il est question aujourd'hui de « durabilité », un mot bien à la mode. Les agriculteurs ont constaté qu'il y a aujourd'hui moins de programmes d'aide entièrement financés du type Agri-relance, Agri-stabilité et Agri-investissement, et on s'attend à ce que cette tendance se poursuive. Une autre question importante de nos jours est le changement climatique mondial, dont il faudra évaluer l'incidence pour chacune des exploitations agricoles de notre province.
Cette liste n'est pas exhaustive, mais vous y trouverez des exemples, à l'échelle de la ferme, de la région et du pays, de petits changements graduels qui, à mon avis, peuvent être considérés comme innovateurs. Comme je l'ai mentionné, l'innovation vise surtout à réduire les coûts et à ajouter de la valeur aux entreprises agricoles. Je crois aussi que l'innovation se poursuivra au fil des ans en fonction des changements technologiques et de leur adaptation par nos futures générations d'agriculteurs.
La sénatrice Buth : Vos activités sont vraiment très diversifiées. Il est intéressant de voir la façon dont vous intégrez différents volets. Quelle est la partie la plus difficile?
M. Zylmans : Le plus grand enjeu auquel nous faisons face au quotidien, c'est celui de la main-d'œuvre, qui devient extrêmement difficile à maintenir. Le coût de la main-d'œuvre dépasse les bornes. Dans une exploitation dont les activités sont très diversifiées comme la nôtre, nous trouvons qu'il est vraiment difficile de soutenir la concurrence pour les différents volets, comme la production de légumes et de fraises et d'autres types de programmes.
La sénatrice Buth : Embauchez-vous des travailleurs immigrants temporaires?
M. Zylmans : Non, nous ne le faisons pas actuellement. Nous sommes situés près d'une grande population indienne. Nous avons pu faire appel à des entrepreneurs qui nous fournissent de la main-d'œuvre de façon régulière. Malheureusement, ces travailleurs commencent à vieillir un peu et il est difficile d'attirer des gens de la jeune génération dans le domaine de l'agriculture.
La sénatrice Buth : C'est intéressant.
Je remarque également que vous êtes membre du conseil de l'horticulture. Ce secteur participait à l'Initiative de grappes agro-scientifiques canadiennes. Avez-vous déjà joué un rôle quelconque dans ce programme? Pourriez-vous nous donner votre point de vue sur sa mise en œuvre?
M. Zylmans : Je collabore étroitement avec des services de recherche du secteur des pommes de terre à cet égard. Nous sommes en voie de rendre ce programme plus novateur et utilisable pour l'ensemble du secteur agricole au Canada. À l'heure actuelle, il n'est pas encore assez développé, mais au fil du temps, nous acquerrons beaucoup de connaissances et on y aura de plus en plus recours dans l'ensemble du Canada.
Dans le passé, nous avons découvert qu'un beaucoup trop grand nombre de gens de différentes provinces ne communiquent pas entre eux et qu'il y avait des répétitions. Le programme sur les grappes et les efforts qui ont été déployés pour encourager les gens à communiquer entre eux ont permis de réduire les répétitions.
La sénatrice Buth : Avant la séance, vous parliez de sortir les agriculteurs de leur exploitation et de les encourager à en apprendre davantage sur la chaîne de valeur dans son ensemble. Pouvez-vous nous en dire davantage à ce sujet?
M. Zylmans : J'ai parlé tout à l'heure de ma longue liste d'activités. Il est difficile de constater, lors d'une réunion, que les agriculteurs en général qui ont entre 48 ans et l'âge de la retraite ne sortent pas vraiment de leur ferme pour connaître les tendances de leurs marchés. Nous constatons que les plus vieilles générations, si je peux m'exprimer ainsi, se concentrent sur ce qu'ils ont fait dans le passé et sur leur situation actuelle, et ne sont pas en mesure de voir de l'innovation et de s'adapter aux changements. La plupart d'entre eux prennent leur retraite faute de trouver une meilleure façon de faire. Ils laissent tout tomber. En raison des nouvelles règles sur la salubrité des aliments, l'environnement et le recyclage, certains producteurs disent que la tâche est tout simplement trop lourde et que c'est terminé pour eux. Ils ont travaillé pendant 50 ans, ne continueront pas et décident donc simplement de tout laisser tomber. Leurs enfants ont quitté la ferme pour avoir une vie meilleure et poursuivre une meilleure carrière.
Comme je l'ai dit, parler de « rentabilité » dans le secteur agricole semble presque blasphématoire. Réintégrer la rentabilité dans le milieu est un moyen d'accroître l'innovation et d'attirer des jeunes vers l'agriculture. Parler de durabilité ne suffit plus. À mes débuts, lorsque j'ai repris les activités de mon père dans les années 1970, il y avait des bénéfices. À une certaine époque, on pouvait acheter quelque chose de nouveau. Cela ne se voit plus. Il est difficile d'attirer les jeunes, et les plus vieux commencent à être fatigués et ne veulent pas faire autre chose et voir ce qui se passe.
Pour ma part, je voyage énormément. Je conclus un grand nombre de contrats et je vends beaucoup sur la route. On revient à la maison avec de nouvelles idées, et je rêve parfois un peu trop, et ma femme me ramène sur terre, mais ce qui est important, c'est de le voir. Malheureusement, ce n'est pas ce qui se passe dans le milieu agricole. Les agriculteurs sont trop occupés à gagner leur vie. À la fin de leur journée, ils sont fatigués, épuisés et doivent se reposer.
Le sénateur Mercer : Monsieur Zylmans, je suis fort impressionné par votre exploitation. Combien d'acres avez- vous?
M. Zylmans : Un peu plus de 500 acres, à l'heure actuelle.
Le sénateur Mercer : Combien d'employés avez-vous?
M. Zylmans : J'ai sept employés à temps plein. Durant la saison des récoltes, et en été, nous avons jusqu'à 50 employés.
Le sénateur Mercer : C'est clair pour tout le monde qu'il s'agit d'une exploitation assez importante.
Je veux parler un peu de la main-d'œuvre, mais tout d'abord d'un sujet dont vous n'avez pas parlé en profondeur dans votre exposé, c'est-à-dire le rôle que vous jouez dans le milieu agricole à Richmond : vous êtes président du comité consultatif de l'agriculture de la ville de Richmond, président du comité consultatif de l'agriculture du Grand Vancouver et directeur du Delta Farmers' Institute. Il s'agit de centres urbains pour ceux d'entre nous qui ne vivent pas en Colombie- Britannique. Je suis impressionné par l'existence d'un comité consultatif de l'agriculture à Richmond et dans le Grand Vancouver. J'aimerais que vous m'en disiez davantage sur leurs activités et sur le fait qu'ils conçoivent l'agriculture de la même façon qu'ils conçoivent le développement urbain, à Richmond et à Vancouver.
M. Zylmans : Je trouve intéressant que vous me posiez cette question, car je suis probablement l'agriculteur le plus important qu'il reste à Richmond. De nos jours, bon nombre de gens sont retournés au jardinage et pensent à l'achat local et à la végétation, et nous devenons donc beaucoup plus consciencieux par rapport à nos produits agricoles et au territoire agricole que nous avons encore dans la région. Ainsi, afin que les conseillers municipaux, les maires et les employés municipaux comprennent bien ce qui se passe vraiment, ils ont besoin de l'expertise de personnes comme moi qui peuvent les ramener à la réalité et leur dire à quel point l'agriculture est un secteur important pour leur collectivité et à quel point il nous faut collaborer pour qu'il fonctionne, et les sensibiliser aux besoins agricoles dans cette région. Si l'on n'est pas prêt à répondre à ces besoins, il faut comprendre qu'il est impossible pour nous de mener nos activités là- bas.
Par conséquent, ce que cela veut vraiment dire, c'est que les villes doivent agir. Si elles veulent vraiment soutenir les agriculteurs, elles doivent répondre à leurs besoins.
Vancouver est une très grande ville, mais on trouve encore quelques petites fermes dans sa région métropolitaine. L'Université de la Colombie-Britannique avait l'une des plus grandes stations de recherche au pays, mais a presque totalement abandonné l'agriculture aujourd'hui. Il y a encore quelques programmes, mais rien de vraiment probant. Les autorités municipales s'adressent donc à des gens comme nous pour mieux comprendre ce dont les collectivités ont besoin. Nous les rencontrons régulièrement pour échanger sur nos besoins et désirs respectifs.
Vous avez sans doute entendu parler du grand vol de pommes de terre commis en août dernier dans notre région. C'est l'une de mes fermes qui en a été victime. En fin de compte, ce sont quelque 700 000 livres de pommes de terre qui nous ont été volées mais, comme toujours, il y a de bonnes choses qui ressortent de nos mésaventures. Nous avons en effet eu l'occasion de sensibiliser les gens à la notion de respect et à l'importance de l'agriculture. L'expérience a été très profitable à notre industrie qui a sans doute connu ses trois meilleures journées des 15 dernières années au Canada.
L'éducation est plus que jamais essentielle. Comme je le disais, nous essayons de mieux faire connaître l'agriculture aux enfants, mais nous devons aussi conscientiser nos dirigeants, car ils sont déconnectés de notre réalité.
Le sénateur Mercer : Cela m'amène à ma prochaine question concernant le programme Agriculture dans la classe. Pourriez-vous nous dire comment cela fonctionne et de quelle manière on intègre la communauté agricole au système d'éducation? Je vous demande en fait de poursuivre dans le sens de ce que vous êtes en train de nous dire.
M. Zylmans : Le programme Agriculture dans la classe relève du système d'éducation et est financé partiellement par le gouvernement provincial. Il y a environ neuf ans, la responsable, Lindsay Babineau, est venue me voir en se demandant qu'est-ce qu'on pouvait faire de neuf pour susciter l'intérêt des enfants en classe. Lorsque j'étais moi-même écolier, nous faisions pousser des haricots dans des serviettes de papier. Rien de très excitant. Elle m'a dit : « Vous êtes le gourou de la patate, M. Zylmans, qu'avez-vous à nous proposer? » Je lui ai proposé une nouvelle activité. Nous avons pris du compost, de la terre végétale, de l'engrais à libération contrôlée, des contenants de plastique et des semences de pomme de terre.
Les enfants mènent toute l'opération. Ils font germer les pommes de terre sur leur bureau, puis ils les plantent dans la terre à quatre pouces de profondeur. Ils les arrosent, les mesurent et les regardent pousser jusqu'au moment de la récolte. Bien évidemment, ils se comparent les uns aux autres tout au long du processus pour savoir laquelle des pommes de terre pousse le plus vite. Au moment de la récolte, ils font bouillir leurs pommes de terre nouvelles, qu'on appelle grelots, dans la cour de l'école.
En Colombie-Britannique, nous cultivons la Warba, une variété de pomme de terre grelot qui se retrouve sur les rayons aux environs de la fête des Mères. Croyez-le ou non, mais lorsque ce projet a été mis en œuvre à ma suggestion, les enfants venaient justement de goûter à des pommes de terre semblables à la même période de l'année. Je me suis alors dit que ce serait une bonne idée d'annoncer à la radio l'arrivée en magasin de pommes de terre toutes fraîches; on passe en quelque sorte par l'estomac des enfants pour accéder au portefeuille des parents.
Nous avons ainsi pu intégrer tout le cycle de production de la pomme de terre dans l'espace commercial au bénéfice de chacun.
Le sénateur Mercer : Vous êtes non seulement un bon agriculteur, mais aussi un bon vendeur.
Il y a quelque chose que je ne suis pas sûr d'avoir bien compris concernant vos travailleurs temporaires. Est-ce que vos travailleurs viennent d'Asie du Sud ou est-ce que ce sont des Autochtones?
M. Zylmans : Ils viennent d'Asie du Sud.
Le sénateur Mercer : Bon nombre d'entre eux sont donc de nouveaux Canadiens. Avez-vous dû avoir recours à des travailleurs étrangers temporaires jusqu'à maintenant?
M. Zylmans : Pas encore.
Le sénateur Mercer : Pensez-vous être sur le point d'être obligé de le faire?
M. Zylmans : On s'en approche chaque année. C'est justement la période où nous embauchons plusieurs nouveaux travailleurs pour le début de la saison, et c'est sans doute le moment le plus frustrant de l'année pour moi, car il est toujours difficile de trouver de la main-d'œuvre. Malheureusement, la situation est pire que jamais cette année. Nous nous approchons sans cesse du jour où il faudra nous tourner vers les travailleurs étrangers temporaires.
Le sénateur Mercer : Vous vous distinguez au sein de l'industrie avec votre commerce de pommes de terre de semence. Vous avez dit en exporter vers l'Alberta et les États-Unis, jusqu'à la frontière mexicaine. Je ne sais pas quelle unité de mesure vous utilisez, mais quel est le volume de vos exportations?
M. Zylmans : J'exporte environ les deux tiers de ma production. Bien évidemment, j'achète et je revends d'autres quantités parallèlement à cela. J'exportais même jusqu'au Mexique avant de renoncer à ce marché il y a une dizaine d'années en raison des formalités administratives qui devenaient trop longues et complexes. Je dirais que nos exportations vers les États-Unis atteignent environ 3 000 tonnes. J'en achète et j'en revends dans les Prairies quelques milliers de tonnes supplémentaires.
[Français]
Le sénateur Rivard : Je vous remercie de votre présentation, monsieur Zylmans. À la fin de votre mémoire, vous dites qu'on devrait évaluer l'incidence des changements climatiques sur nos régions, nos province, enfin le Canada au complet. Vous qui, en tant que producteur, êtes en première ligne, pouvez-vous nous exposer les incidences que vous avez constatées depuis les cinq dernières années? Quels ont été les changements et quelles conséquences ont-ils eu sur votre production?
[Traduction]
M. Zylmans : Pour ce qui est des pommes de terre, nous ne pouvons plus faire pousser les variétés dont la croissance exige plus de 120 jours. C'est en raison des changements climatiques que nous avons dû renoncer à ces variétés-là. Nous avons également constaté qu'il nous est impossible d'obtenir de bons résultats avec les légumes nécessitant du temps vraiment chaud. Il nous faut donc choisir avec soin les variétés de courge et de maïs que nous cultivons. Nous nous efforçons sans cesse de trouver des cultures à croissance plus rapide qui exigent moins d'unités thermiques.
Nous avons perdu une grande partie de notre industrie de la fraise. Nous ne sommes plus actifs dans le secteur de la transformation, notamment en raison des changements climatiques.
[Français]
Le sénateur Rivard : Notre pays s'apprête à signer un traité de libre-échange avec l'Union européenne. En tant qu'agriculteur, voyez-vous cela d'un bon œil ou craignez-vous au contraire que l'Europe nous envahisse, car ce que nous souhaitons d'une telle entente est qu'elle facilite le marché à nos producteurs? Quel est votre avis à ce sujet?
[Traduction]
Dans le secteur des légumes, je crois que nous allons nous retrouver perdants. Il est possible que l'entente soit avantageuse pour le secteur céréalier dans les Prairies. Quant aux pommes de terre, je ne pense pas qu'il y aura vraiment de changement. Nous sommes déjà de toute manière en concurrence avec les fruits et légumes frais importés de Chine. À certaines périodes de l'année, par exemple, le brocoli chinois arrive à Vancouver à un prix inférieur à nos coûts de production.
Je pense que des temps très difficiles s'annoncent pour nous, surtout sur la côte du Pacifique où les conditions météorologiques sont extrêmes et peuvent changer rapidement. Je ne peux y voir aucun avantage pour nous. En effet, même si nos récoltes peuvent être les mêmes, les règles du jeu sont bien différentes. Les coûts des intrants ne sont pas les mêmes dans les autres pays. C'est une situation qui nous pose déjà un problème considérable avec les produits importés des États-Unis. Les Américains utilisent des produits chimiques qui ne sont pas autorisés ici. Les coûts de leurs intrants sont inférieurs, notamment au chapitre de la main-d'œuvre. Si l'on parvenait à assurer des conditions équitables de part et d'autre, nous aurions peut-être une chance de survivre. Dans l'état actuel des choses, je crois toutefois que l'avenir est sombre pour notre agriculture.
La sénatrice Merchant : Vous allez parler aux jeunes dans les écoles et vous avez vous-mêmes des enfants. Êtes-vous optimiste ou pessimiste lorsque vous leur parlez de l'avenir de l'agriculture? Je crois vous avoir entendu dire que les jeunes sont à la recherche d'une vie meilleure à l'extérieur de la ferme. Est-ce bien le cas? Qu'entendez-vous par une vie meilleure? S'agit-il de faire plus d'argent? Vous dites qu'il faut parler de rentabilité. Comment vous y prenez-vous pour encourager les gens à demeurer en milieu rural et à faire de l'agriculture? Nous en avons besoin.
M. Zylmans : Vous avez parfaitement raison. Je passe beaucoup de temps à parler aux jeunes écoliers. C'est un exercice que je trouve à la fois émouvant et stimulant. J'ai fait partie d'un cercle 4-H pendant 11 ans avant d'en être l'animateur pendant 10 ans, ce qui m'a permis de bien observer l'évolution des choses. Les élèves de deuxième et de troisième années sont tout excités lorsqu'un agriculteur se présente avec ses bottes et son chapeau de cowboy. Ils constatent ensuite que la réalité est différente. Lorsque les enfants d'agriculteurs atteignent l'âge de 16, 17 ou 18 ans, ils trouvent que leurs parents travaillent beaucoup trop fort et qu'il y a des moyens plus faciles de gagner sa vie.
Nous avons cessé de parler des finances de notre ferme lors des repas à la maison, car les jeunes enfants arrivent difficilement à comprendre les difficultés que nous pouvons avoir à joindre les deux bouts. Leurs amis leur parlent de voyages en famille à Hawaï ou Disneyland pendant les mois d'été alors que nous, agriculteurs, devons rester à la maison et travailler.
Pour les jeunes d'aujourd'hui, l'agriculture n'est plus la passion qu'elle était lorsque j'ai moi-même quitté l'école. J'étais sans doute déjà un agriculteur davantage qu'un étudiant. L'école est toujours passée en second pour moi. Lorsque j'ai terminé mes études, je suis allé en agriculture. Deux de mes amis ont choisi la construction et quatre autres sont allés à l'université. Nous nous tirons tous très bien d'affaire. C'était surtout une question d'argent à l'époque; c'est encore plus le cas avec les jeunes d'aujourd'hui.
Lorsque je regarde qui participe à nos réunions, je constate que les jeunes ne s'intéressent plus à l'agriculture, et c'est surtout parce que la rentabilité n'est plus au rendez-vous. Les jeunes d'aujourd'hui sont beaucoup plus intelligents que nous l'étions. Ils souhaitent connaître le montant inscrit sur la ligne des résultats. Ils ne veulent pas travailler si fort pour si peu alors qu'ils peuvent trouver un emploi à cinq jours par semaine et faire ce qu'ils veulent de leurs week-ends.
Nous avons perdu la passion qui a déjà caractérisé l'agriculture. Aujourd'hui, nous essayons simplement de survivre au sein de l'industrie. Il est difficile de faire comprendre aux jeunes que l'agriculture ne se limite pas à un simple travail. Il est valorisant de travailler la terre et de voir pousser ce qu'on a planté avant de récolter les fruits de son labeur. Mais c'est quelque chose qu'il faut avoir en soi. Il faut aimer ce qu'on fait, comme dans n'importe quel autre travail.
Nous essayons de susciter un nouvel intérêt envers l'agriculture chez les jeunes, mais ce n'est pas chose facile.
La sénatrice Merchant : Il y a de jeunes adultes qui ont une vision idyllique de la vie à la ferme. J'en vois en Saskatchewan. Quelle est la principale difficulté à laquelle ils peuvent se heurter? Pour les jeunes qui ne peuvent prendre la relève de la ferme familiale, quel est le principal obstacle sur la voie de l'agriculture?
M. Zylmans : J'ai pu conseiller certains de ces jeunes qui ont travaillé avec moi à la ferme. Les considérations financières sont très problématiques de nos jours. Si un jeune d'un autre milieu veut débuter en agriculture, il lui faut énormément de capital. Il lui est à peu près impossible d'obtenir quelques millions de dollars d'une banque pour amorcer son projet. On lui demandera qui l'appuie dans sa démarche, qui peut se porter garant, quelles sont ses connaissances et comment il peut s'attendre à ce que cela fonctionne. Il faut être très convaincant pour vendre son projet dans un tel contexte. Il est très difficile pour quiconque de débuter en agriculture sans antécédents familiaux pour obtenir un coup de pouce au départ.
J'en ai vu certains qui ont travaillé très fort pour un agriculteur avant d'amorcer leur propre exploitation en utilisant l'équipement de leur patron. C'est ainsi qu'ils ont pu commencer. Ces cas sont toutefois peu fréquents.
La sénatrice Eaton : Monsieur Zylmans, j'aimerais simplement revenir à l'aspect commercial, car notre gouvernement s'intéresse vraiment beaucoup aux échanges internationaux. Vous avez indiqué qu'il est désavantageux pour nous de conclure un accord avec l'Union européenne. Pensez-vous la même chose du Partenariat transpacifique, par exemple, ou d'un éventuel accord avec la Corée et le Japon? Lors de négociations semblables, les parties n'essaient- elles pas de prévoir des règles équitables pour tous? Par exemple, en Europe, après les OGM, on a imposé des barrières non tarifaires pour notre miel. Nous pourrions certes également établir des critères quant à la traçabilité ou à l'absence de produits chimiques, n'est-ce pas? Croyez-vous que nos négociateurs commerciaux représentent bien nos intérêts?
M. Zylmans : J'estime que nous avons encore beaucoup de choses à régler entre nous pour arriver à bien comprendre ce dont nous avons vraiment besoin pour assurer l'application de règles équitables pour tous. Je ne pense pas que les négociateurs qui nous représentent actuellement connaissent suffisamment bien les besoins véritables de simples agriculteurs comme moi. Je demeure persuadé que nous serons défavorisés dans la plupart des secteurs de l'agriculture. Nous avons donc encore beaucoup de travail à faire pour nous mettre au diapason. S'il y a un aspect que je ne suis pas certain que nous pourrons régler, c'est celui de notre main-d'œuvre. Pour bien des produits agricoles, la main-d'œuvre est beaucoup trop coûteuse. C'est un exemple que je vous donne, mais...
La sénatrice Eaton : Désolée, mais j'aimerais en savoir plus long à ce sujet. Est-ce que notre main-d'œuvre est si dispendieuse en raison des avantages sociaux s'ajoutant aux salaires? Qu'est-ce qui fait que nous devons payer beaucoup plus cher pour nos travailleurs?
M. Zylmans : Comme le coût de la vie est élevé chez nous, nous devons verser à nos travailleurs des salaires en conséquence, sans quoi nous ne pourrions trouver personne pour nous aider sur nos fermes.
La sénatrice Eaton : Nos coûts de main-d'œuvre sont-ils beaucoup plus élevés que ceux des Américains, par exemple?
M. Zylmans : Oui.
La sénatrice Eaton : Est-ce parce que nous avons un salaire minimum et pas eux? Profitent-ils de généreuses subventions? Qu'est-ce qui explique la différence?
M. Zylmans : En Colombie-Britannique, le salaire minimum se situe actuellement à 10,25 $ l'heure. En toute franchise, ce n'est même pas suffisant pour subvenir à ses besoins au sein de notre économie, car le coût de la vie est très élevé chez nous. La même personne qui ferait le même travail à Lynden, dans l'État de Washington, ne gagnerait pas plus de 10 $ l'heure. Mon chauffeur de tracteur gagne 18,50 $ l'heure, alors que le leur ne touche que 9 $. Leur travail est pourtant le même. Ce sont les mêmes tracteurs et, pour le diésel, c'est à peu près la même chose des deux côtés de la frontière. Il n'y a qu'une vingtaine de kilomètres qui nous séparent.
Le sénateur Robichaud : Les travailleurs de l'autre côté de la frontière sont-ils des Américains ou des étrangers qu'on fait venir seulement pendant une certaine période?
M. Zylmans : Ça peut être l'un ou l'autre. Autre exemple, si je dois faire réparer un tracteur, les mécaniciens canadiens demandent actuellement 85 $ l'heure. Si je vais aux États-Unis, la réparation me coûtera 60 $ l'heure. Lorsqu'il y a parité du dollar, comme c'est le cas actuellement, où devrais-je aller pour le faire réparer? Ce n'est peut- être pas la chose à faire, mais mettez-vous un peu à ma place. C'est la réalité actuelle de l'agriculture.
La sénatrice Eaton : Oui, c'est justement le genre de choses que nous essayons de déterminer. Mieux informé que jamais, le consommateur semble de plus en plus intéressé par la traçabilité et des caractéristiques comme l'absence d'hormones ou de pesticides. Pensez-vous que ces éléments peuvent jouer à la table des négociations? Pourquoi importons-nous tous ces légumes de Chine s'ils sont bourrés de pesticides et de tous ces trucs? Si le consommateur canadien était au courant, il choisirait sans doute un produit local. Est-ce notre mise en marché qui est déficiente ou nos négociateurs qui ne font pas bien leur travail?
M. Zylmans : Ce n'est dû ni à une mauvaise mise en marché de notre part ni à vos talents de négociateurs. C'est attribuable au fait que les détaillants s'intéressent d'abord et avant tout à la rentabilité de leur commerce. Rendez-vous dans un magasin d'alimentation et regardez les laitues, les oignons ou les carottes. On indiquera simplement « Canada ou États-Unis » ou « Canada ou importé ». Pourquoi n'indique-t-on pas en grosses lettres que c'est un produit « canadien » et pourquoi ne fait-on pas davantage de promotion à cet égard?
La sénatrice Eaton : C'est ce que nous faisons en Ontario. Chaque été, nous avons une vaste campagne de promotion pour indiquer aux gens que le moment est venu d'acheter des fruits et des légumes ontariens.
M. Zylmans : Je suppose que la situation diffère d'une région à l'autre, car en Colombie-Britannique, c'est à peine si l'on voit quelques parasols avec l'écriteau : « C'est la saison — faites vos provisions. » Il y a une brève période où l'on indique que les produits locaux sont disponibles, mais c'est sur un carton à peine plus grand que celui sur lequel mon nom est inscrit ici. La plupart du temps, ce sera seulement « Canada ou États-Unis » ou « Canada ou importé », sans plus de précision. Vous ne savez pas vraiment d'où vient le produit que vous achetez. En général, les consommateurs sont un peu comme des moutons. Vous pouvez les diriger comme bon vous semble. Vous placez dans un coin un produit américain à 75 ¢, et plus loin, le produit local à 1 $. En tant que consommateur, lequel allez-vous choisir?
La sénatrice Eaton : Eh bien, si je peux savoir exactement d'où vient le produit canadien, c'est lui que je vais acheter.
M. Zylmans : C'est peut-être ce que vous allez faire, mais le grand public n'agit pas de la même manière. Lorsqu'ils répondent à un sondage dans le stationnement, les gens donnent toutes les bonnes réponses, mais une fois dans le magasin, ils vont toujours choisir le produit le moins cher, et pas nécessairement le meilleur pour la santé. Du côté américain de la frontière, on permet l'utilisation de produits chimiques qui ne sont pas autorisés au Canada et qui ne le seront jamais, car nous avons les normes les plus élevées au monde en matière de salubrité alimentaire.
La sénatrice Eaton : Très bien, mais alors pourquoi sommes-nous autorisés à importer ces légumes?
M. Zylmans : Ce sont les détaillants qui...
La sénatrice Eaton : Mais pourquoi les détaillants peuvent-ils le faire? D'autres pays ont imposé des interdictions à l'égard de produits canadiens comme les OGM ou le miel. Pourquoi ne pouvons-nous pas en faire autant?
M. Zylmans : Je suppose que différents enjeux commerciaux entrent en ligne de compte. Nous avons vécu la situation à plusieurs reprises avec les pommes de terre. Lorsque nous avons fait entrave à l'importation de certaines variétés en imposant ce que nous appelons un tarif léger, nous avons eu droit à de lourdes représailles des Américains au moment d'exporter nos produits. Nous avons besoin des Américains bien davantage qu'eux peuvent avoir besoin de nous, car notre production n'est pas échelonnée sur les 12 mois de l'année. Nous avons besoin des produits de la Californie, même si cet État vit actuellement une période de gel et que la laitue pommée, par exemple, est devenue introuvable. Comme nous sommes dépendants de certains de leurs produits, nous devons faire montre d'une grande prudence dans nos négociations frontalières. Nous sommes les défavorisés dans cette relation.
En été, les gens ont l'habitude de marchander, que ce soit pour les fèves, les pois ou les brocolis : « Monsieur Zylmans, je vous donne 9 $ pour la barquette à 10 $, et c'est tout. Sinon, je vais aller l'acheter ailleurs. C'est à prendre ou à laisser, monsieur Zylmans. » Qu'est-ce que je peux faire? C'est un produit périssable. Personne n'a les normes sévères que nous avons ici, au Canada : traçabilité, salubrité alimentaire, rien de tout cela. Cela n'a pas d'importance. Au bout du compte, c'est le prix qui dicte ce que vous allez acheter et ce que vous voulez vraiment.
La sénatrice Callbeck : Merci d'être ici et de nous avoir présenté votre mémoire. Vous cultivez beaucoup de produits sur votre ferme, en plus d'élever des bovins. Vous avez dit faire des ventes directes auprès des consommateurs. Est-ce que vous vendez tout ce que vous produisez directement aux consommateurs, sauf les pommes de terre de semence?
M. Zylmans : Je vends aussi des pommes de terre de semence à mes clients. Tous les produits que je cultive à la ferme sont vendus directement au public ou à des grossistes. Le bœuf est la dernière addition à ma gamme de produits. Autrefois, je vendais beaucoup de bovins de race. J'ai commencé à élever des bœufs Angus à l'âge de neuf ans, et j'ai vendu des génisses et des taureaux de race pure un peu partout dans l'Ouest canadien. Quand la maladie de la vache folle a frappé, l'industrie du bœuf s'est effondrée. Je pouvais arriver à l'encan avec une remorque pleine de bovins, pour repartir avec une facture.
L'équation mathématique n'était pas très viable, alors j'ai dû trouver une meilleure solution. Les taureaux qui valaient 5 000 $ ne se vendaient plus que 800 $, alors j'ai pensé offrir du bœuf naturel, puisque j'avais des fruits et des légumes frais en quantité. On ne pouvait pas parler de viande organique, mais naturelle, oui. C'est un de mes meilleurs vendeurs depuis que j'ai commencé à offrir ce produit, car il est commercialisé ainsi, et les consommateurs aiment cela. Il y a beaucoup de sensibilisation qui se fait à cet égard. On communique, on apprend, et les gens apprécient la qualité naturelle des produits. Ils aiment aussi les produits organiques, alors cela fonctionne très bien.
On constate cependant qu'il faut constamment offrir de nouveaux produits pour fidéliser le public. Un des principes auxquels je tiens est que je ne vends rien de ce que je n'ai pas cultivé. Si vous voulez des oranges ou des bananes, il faudra aller magasiner ailleurs. Je fais beaucoup de promotion pour les produits de saison, et je le fais bien et un peu partout. Voici ce que je vends et voici ce qui est offert. Les gens le savent et c'est une façon de sensibiliser la population également.
La sénatrice Callbeck : Quel pourcentage de vos ventes vont au marché de gros, approximativement?
M. Zylmans : Pour les fruits et les légumes frais, c'est probablement 60 p. 100.
La sénatrice Callbeck : En ce qui concerne les principaux défis rattachés à la vente directe, je sais que vous avez parlé de la main-d'œuvre, mais qu'en est-il du reste? Quels sont les principaux défis à cet égard?
M. Zylmans : Si je peux me permettre de le dire, je crois que c'est presque une sinécure par rapport à la vente en gros et à l'exportation, parce que c'est possible de vendre à prix réduit un produit qui est peut-être un peu meurtri, et tout le monde en sort gagnant. Je ne perds rien et le consommateur fait une bonne affaire. Si le chou-fleur est un peu jaune au lieu d'un blanc éclatant, cela ne les dérangera pas. Si j'offrais le même produit à un grossiste, il me crucifierait. Les consommateurs sont un bon groupe cible pour nous, et c'est une clientèle constante. Nous savons où aller les chercher. Le problème qui se pose avec le grand public de nos jours, en ce qui a trait au marketing direct, c'est que la jeune génération n'achète qu'en prévision de 24 heures environ. Nous sommes en affaires depuis 1952, et nous comptons encore beaucoup de familles et de gens qui achètent en quantités importantes parmi notre clientèle. Si vous voulez acheter une pomme de terre, une carotte et deux oignons, je ne pense pas que cela vaille la peine de faire 8 kilomètres de route pour venir chez nous.
On voit que la population change. De plus — et c'est probablement cela qui est le plus difficile pour nous en ce moment —, le profil démographique de Vancouver n'est plus le même. La population d'origine chinoise et japonaise influe grandement sur la demande, et nous ne cultivons pas encore beaucoup des légumes qu'elle a l'habitude de consommer au Canada. C'est un problème pour nous; certains des légumes les plus en demande exigent beaucoup de travail de notre part, car ce ne sont pas des produits que nous avons l'habitude de cultiver. C'est tout un défi de se lancer dans une nouvelle culture. Je pense que nous allons devoir nous tourner vers cela, particulièrement en Colombie- Britannique, car à Richmond seulement, 80 p. 100 de la population est asiatique.
La sénatrice Callbeck : Je voulais aussi vous parler de l'innovation. Vous dites dans votre mémoire que l'innovation peut trouver le chemin des agriculteurs de bien des façons. Comment les agriculteurs sont-ils mis au courant des recherches gouvernementales?
M. Zylmans : C'est par l'entremise des comités organisés. Je préside le comité de la pomme de terre et des légumes de notre région. Nous tenons des ateliers, des rencontres annuelles et des réunions régionales pour informer l'ensemble de la communauté agricole sur les recherches en cours. Ce n'est pas facile à vendre. Ce ne l'est pas autant qu'avant parce qu'il est beaucoup plus complexe de les rejoindre. Il y a un écart à combler entre les deux. Il y a les agriculteurs qui sont convaincus de faire ce qu'il faut et qui ne veulent pas qu'on change leur façon de faire. Puis il y a la nouvelle génération d'agriculteurs qui sont ouverts à l'idée et qui sont constamment sur leur ordinateur. Ils sont à l'affût de toutes les dernières technologies. Il y a donc un fossé à combler. La transition n'a pas encore été amorcée, et elle ne sera possible que si on assure une très bonne communication entre les nouveaux agriculteurs et les plus vieux.
Nous venons de lancer un plan national de recherche dans le cadre de Cultivons l'avenir 2.
Il y a environ un an, lors de mon passage à Ottawa pour une réunion, nous avons appris que des chercheurs de la Colombie-Britannique et de l'Île-du-Prince-Édouard travaillaient sur le même projet sans le savoir. Encore là, nous avons de jeunes chercheurs qui veulent repousser les limites, et la génération précédente de chercheurs qui sont tout à fait à l'aise avec ce qu'ils font déjà. Il faut veiller à ce qu'ils communiquent pour éviter les dédoublements et faire en sorte que l'argent des contribuables soit dépensé judicieusement. Pour le même projet, il ne faut pas dépenser pour deux.
La sénatrice Callbeck : Y a-t-il un processus en place pour que les chercheurs de l'Île-du-Prince-Édouard soient en contact avec les chercheurs de la Colombie-Britannique?
M. Zylmans : On y travaille en ce moment avec le Conseil canadien de l'horticulture. Nous avons réuni un groupe de recherche national et nous tentons d'élaborer des propositions en vue de travailler ensemble pour qu'on en ait réellement pour notre argent.
La sénatrice Callbeck : Une dernière chose. Je viens du pays de la pomme de terre, et j'aime votre projet « Spuds in Tubs ». Est-ce qu'il existe depuis longtemps?
M. Zylmans : Le projet existe depuis une dizaine d'années. Il y a maintenant un peu plus de 5 000 enfants de la Colombie-Britannique qui font pousser des pommes de terre dans les écoles. C'est probablement le projet le plus intéressant pour les enseignants et les élèves. Mme Lindsay Babineau m'a vendu l'idée devant une tasse de café, et nous avons conçu ce programme le temps de deux cafés, en une heure et demie environ. Cela fonctionne vraiment bien. Je pense que d'autres provinces ont aussi commencé à l'offrir. Le projet est financé par le gouvernement et l'industrie de la pomme de terre. J'ai expliqué aux représentants de l'industrie ce qu'ils en tireraient. Quand les enfants ont fini de faire pousser leurs pommes de terre, eh bien c'est un produit frais qu'on offre au marché. C'est très populaire et tout le monde veut faire partie du projet aujourd'hui.
La sénatrice Callbeck : C'est très important pour les élèves qui ne connaissent pas la vie à la ferme. Je vous en félicite.
M. Zylmans : Qui sait, peut-être que l'un d'eux pourrait devenir un très bon agriculteur plus tard, et c'est le but, n'est-ce pas?
La sénatrice Callbeck : Merci.
[Français]
Le sénateur Maltais : Bienvenue, monsieur Zylmans. Je suis très heureux de voir quelqu'un qui se met les mains dans la terre.
Nous avons entendu plusieurs témoins du domaine scientifique. On a fait le tour des universités et des centres de recherche, et notre travail n'est pas terminé. Ceux-ci nous disent comment les choses devraient être faites. Vous êtes sur le terrain et faites les choses, ce qui est tout à fait différent. Les gens comme vous sont indispensables au Canada.
J'aimerais vous rassurer sur un point. Lors d'une visite en Nouvelle-Écosse, nous avons eu la chance de visiter une entreprise avicole où on retrouvait le grand-père, le père et le petit-fils. C'était un bel exemple où on assurait la continuité.
Vous voulez le bien de vos enfants, de vos deux garçons. C'est ainsi qu'un père doit agir. Toutefois, sachez que vos deux garçons veulent aussi votre bien, et ils l'auront d'une façon ou l'autre.
Je suis épaté par la diversité de votre production. Hier, un scientifique renommé nous a indiqué que, dans l'Ouest, et possiblement en Colombie-Britannique, dans l'élevage bovin, certains mettaient un genre d'additif qui faisait durcir la viande. Il s'agissait de viande destinée aux Australiens et aux Néozélandais, qui ont la dent plus dure, alors que les Européens ne voulaient pas manger de cette viande.
Vous qui avez un petit élevage de bœuf Angus, leur donnez-vous cette vitamine pour que la viande soit dure au point de la vendre aux Australiens et aux Néo-Zélandais?
[Traduction]
M. Zylmans : Non. Je produis des légumes, des pommes de terre, des céréales et du foin purement naturels. Je nourris mon bétail de tout ce qui pousse sur ma ferme. Je ne donne rien qui vient de l'extérieur à mes bêtes, alors je sais exactement ce qu'elles mangent. Je suis fier de dire que la viande produite chez nous est suspendue pendant 28 jours, ce qui assure une salaison et une tendreté parfaites. Les gens ne veulent plus revenir à la viande d'épicerie après avoir essayé nos produits. Je n'ai jamais entendu un client dire qu'il préférait avoir de la viande plus coriace. J'ai l'impression qu'ils aiment les vieilles vaches laitières.
[Français]
Le sénateur Maltais : Nous avons entendu cela hier. Je n'y croyais pas non plus, mais ce sont quand même des scientifiques reconnus qui nous l'ont dit.
La relève agricole est très importante. Vous êtes un homme d'expérience qui a bâti votre ferme et l'a diversifiée. Vos enfants ou d'autres jeunes de votre ville, à Richmond, ne seraient-ils pas tentés de tirer avantage de toute votre expérience pour reprendre l'exploitation agricole un peu plus tard, quand vous déciderez de l'abandonner? Ils pourraient alors tirer avantage de votre expérience qui est un diplôme universitaire en soi pour, peut-être, la diversifier ou la rendre encore plus profitable avec les nouvelles méthodes. Ils pourraient faire cela en se basant sur toute l'expérience d'une vie que vous avez consacrée avec amour à la culture de la terre. Croyez-vous cela possible?
[Traduction]
M. Zylmans : Si j'y mets toujours autant de cœur, c'est surtout pour être encore en affaires quand mes enfants partiront pour poursuivre leurs études. Nous serons encore là pour un bon moment. J'ai vu des jeunes gens changer de carrière plusieurs fois avant de trouver leur voie, alors nous verrons ce qui va arriver.
J'ai vu cela aussi. Le grand-père, son fils et ses filles ont quitté la ferme, et ce sont maintenant les petits enfants qui prennent la relève, avec les conseils de leur grand-père. Si des jeunes sont intéressés à travailler à mes côtés ou sur ma ferme, je serais très heureux de les accueillir, mais ils doivent faire vite. Ce serait très bien. On aimerait que plus de programmes puissent offrir des possibilités de ce genre. Cela pourrait être utile.
En Europe, par exemple, le système d'éducation est très différent du nôtre. Mes racines sont en Hollande, et là-bas, les enfants sont appelés à choisir une carrière ou à faire une première incursion dans différents domaines dès la 9e année. On commence déjà à cet âge à les exposer à des carrières potentielles, que ce soit comme agriculteur, plombier, électricien, peu importe. Ils ont la possibilité d'acquérir des connaissances de base bien plus tôt que les enfants d'Amérique du Nord. Il y a bien des choses qu'on puisse faire pour changer l'enseignement à l'égard de l'agriculture. On pourrait inclure beaucoup plus de matière liée à l'agriculture. Comme je le disais tout à l'heure, l'Université de la Colombie-Britannique avait une importante faculté d'agriculture il y a des années, qui couvrait entre autres les domaines de la production laitière et de la production ovine. Cela n'existe plus aujourd'hui. Des collèges ont commencé à ramener l'agriculture dans leur programme. Une initiative de mentorat qui jumellerait des jeunes et des gens comme moi serait avantageuse pour tout le monde au bout du compte.
Ce qui rend le mentorat compliqué dans mon cas, c'est que ma ferme est située dans une réserve de terres agricoles. Le territoire agricole est beaucoup plus restreint qu'ailleurs et il en coûte beaucoup plus cher d'exploiter une ferme dans ces réserves. C'est idéal pour la vente directe, parce qu'il y a toute une ville à nos portes — Vancouver. Pour les activités agricoles intensives, c'est presque trop cher pour que qui que ce soit puisse se lancer en affaires.
[Français]
Le sénateur Maltais : Est-ce un problème en Colombie-Britannique que d'effectuer le transfert de votre propriété ou la vente de votre propriété, qui est en fait votre régime de retraite, à vos enfants, étant donné la taille de votre ferme?
[Traduction]
M. Zylmans : Je ne demanderais pas mieux que de pouvoir léguer ma ferme à mes enfants. Si ce n'est pas possible, et j'aimerais savoir si cela pourra se concrétiser au cours des cinq prochaines années, je n'abandonnerai pas ma ferme pour autant. Je devrais probablement réduire la taille de mon entreprise et transformer une de mes fermes en exploitation agricole d'agrément. Je ne crois pas que j'aurai du mal à prendre ma retraite si c'est ce que je souhaite. Cela risque d'être plus difficile pour moi que pour mon épouse, mais nous y verrons le temps venu.
Le sénateur Oh : Monsieur Zylmans, vous êtes un excellent agriculteur et un voyageur averti. Je pense que vous devriez envisager d'exporter vos produits en Chine, où le marché est énorme. Tous les produits qui arrivent du Canada sont les bienvenus en Chine, et nous entretenons de bonnes relations avec les Chinois. Je vais vous dire pourquoi.
Les compagnies aériennes transportent beaucoup de homards en Chine. Les soutes des avions en direction de la Chine sont pleines de homards et d'autres produits agricoles. Vous devriez être en mesure d'exporter vos produits en Chine, parce que les produits canadiens sont très aimés là-bas. Nous avons accès à un marché très important.
Je me rends en Chine fréquemment. Vous réussiriez là-bas. Nous avons de bonnes relations d'affaires avec la Chine pour ce qui est de l'achat de produits importés, particulièrement des produits alimentaires en provenance de la Chine, et c'est une question clé aujourd'hui. Le marché chinois est énorme.
Vous devez aussi composer avec une importante pénurie de main-d'œuvre. En Ontario, les producteurs de vin de la péninsule du Niagara font appel à beaucoup de travailleurs temporaires. Je ne sais pas si vous faites la même chose en Colombie-Britannique. C'est une solution que vous pourriez envisager pour remédier à la pénurie de main-d'œuvre.
Vous avez dit qu'une grande proportion de la population de Vancouver, en Colombie-Britannique, était asiatique. Vous êtes un bon agriculteur, alors vous devriez être en mesure de vous adapter pour répondre à la demande de cet important marché. Il y a 1,4 million de Sino-Canadiens à l'échelle du Canada. Les deux principaux marchés asiatiques se situent à Toronto et à Vancouver. Si vous pouviez vous concentrer sur ces deux marchés, vous devriez pouvoir tailler une place de choix à vos produits.
M. Zylmans : C'est intéressant que vous parliez de l'exportation de produits en Chine. Je suis en contact avec des gens là-bas pour tenter d'exporter des pommes de terre de semence. Il y a un marché important pour cela en Chine. Nous tentons de voir avec l'ACDI et l'AAC quelles sont les possibilités à cet égard. C'est un marché extrêmement vaste. J'adorerais pouvoir y offrir mes produits. Je travaille avec ces deux organisations en vue de concrétiser le projet.
J'ai également touché au marché de l'Indonésie par l'entremise d'Agriculture Canada. À l'heure actuelle, l'accord commercial pose quelques problèmes concernant les pommes de terre de semence.
Nous avons la possibilité de vendre des pommes de terre de semence de grande qualité et de premières générations à ces pays. Nous sommes près des ports. Nous devrions pouvoir pénétrer ce marché. Ce n'est qu'une question de temps, et parfois les rouages du gouvernement tournent moins rapidement que les miens. Nous aimerions beaucoup travailler là-dessus.
Pour ce qui est de la main-d'œuvre, en Colombie-Britannique, on peut compter sur de nombreux travailleurs venus du Mexique, des Philippines et d'ailleurs également. On constate un afflux important de travailleurs. Il y a environ 12 000 travailleurs temporaires qui arrivent d'un peu partout pour travailler en Colombie-Britannique. Il devrait y en avoir encore plus dans un avenir rapproché. Il est difficile pour certaines exploitations agricoles de garder les travailleurs si elles n'ont pas besoin de main-d'œuvre à temps plein pendant toute la durée de la période de huit mois. L'industrie des cultures de serre est florissante et a un grand besoin de main-d'œuvre. Les pépinières emploient beaucoup de travailleurs venus de l'extérieur, et cela fonctionne bien. Dans mon secteur, celui des grandes cultures maraîchères, c'est plus difficile, parce qu'une journée on aura besoin de cinq personnes, et le lendemain, il en faudra 50. À ce moment-ci, il est plus simple pour moi de faire affaire avec la main-d'œuvre locale.
Le président : Merci, monsieur Zylmans, d'avoir été des nôtres ce matin.
Mesdames et messieurs, nous recevons maintenant le Dr James Dosman, président distingué de la recherche, du Centre canadien de santé et sécurité en milieu agricole, à l'Université de la Saskatchewan.
Docteur Dosman, merci d'avoir accepté notre invitation. Nous avons bien reçu la présentation que vous avez transmise dans les deux langues officielles au greffier du comité. Nous vous en remercions. Je vous inviterais à nous présenter votre mémoire. Nous passerons ensuite aux questions. La parole est à vous.
Dr James Dosman, président distingué de la recherche, Université de la Saskatchewan : Merci, monsieur le président. Je suis très heureux d'être ici. Je vous suis très reconnaissant de m'avoir invité à m'adresser à vous. Je suis aussi très heureux de voir une sénatrice de la Saskatchewan parmi nous, la sénatrice Merchant. Si j'ai des ennuis, madame Merchant, je suis convaincu que vous allez pouvoir m'aider.
Je veux vous parler ce matin de l'aide dont nous avons grandement besoin pour soutenir un programme de recherche et développement sur la santé et sécurité en milieu agricole en Saskatchewan. Nous aimerions que ce programme soit financé dans le cadre de Cultivons l'avenir 2. Je vais vous parler brièvement de quelques-uns des problèmes avec lesquels nous sommes aux prises, puis je vous expliquerai en quoi consiste le programme et pourquoi il est si important d'avoir un programme de recherche et développement afin de mettre un frein au nombre grandissant de blessures et de décès chez les agriculteurs.
C'est pourquoi ma présentation s'intitule « Mettre fin à la guerre en milieu agricole ». Vous pourriez penser que c'est un discours quelque peu exagéré et alarmiste. À mon avis, cela ne l'est pas. En effet, les auteurs de cette guerre sont ceux qui continuent d'attendre les bras croisés. Je veux parler des fabricants, des fournisseurs, des organismes gouvernementaux et des producteurs eux-mêmes.
On dénote une présence marquée de blessures dévastatrices et de maladies liées au travail dans la main-d'œuvre agricole canadienne. À la page 3, on utilise les termes « incroyable » et « tués au combat ». Pouvez-vous croire qu'entre 1990 et 2008, 1 975 hommes, femmes et enfants ont perdu la vie en milieu agricole au Canada? Nous avons tous été attristés d'apprendre la mort des jeunes hommes et des jeunes femmes des Forces canadiennes en Afghanistan. Chaque vie compte. En tout, 158 membres des Forces canadiennes avaient été tués en Afghanistan au 31 décembre 2011; mais on ne nous a pas parlé du nombre de personnes tuées en milieu agricole au Canada. Sur les décès déplorés, il y avait 1 603 hommes et 117 femmes. Au cours de la même période, 248 enfants sont morts en milieu agricole au Canada. Personne ne veut voir cela arriver, encore moins les familles des victimes et les responsables des exploitations où les accidents se produisent.
Soit dit en passant, nous avons obtenu la permission des personnes concernées pour utiliser les photos et les images que vous voyez dans la présentation.
À la page 5, on énumère les causes de décès. Il y a eu 392 renversements de machine, 354 écrasements par une machine et 157 enchevêtrements. De plus, 123 décès étaient attribuables à des blessures causées par des animaux.
Pour reprendre l'analogie de la guerre en milieu agricole, de tous ceux blessés au combat au cours de la décennie pour laquelle nous détenons des données, soit de 1990 à 2000, un nombre effarant de 14 987 personnes ont été blessées assez grièvement pour être hospitalisées, et nombreuses sont celles qui en ont gardé des séquelles permanentes. Encore une fois, les hommes ont été les plus touchés, leur nombre s'élevant à 12 621, contre 517 pour les femmes et 1 849 pour les enfants. L'image que vous voyez ici, obtenue avec la permission de l'intéressé, est celle d'un agriculteur de la Saskatchewan qui a perdu son bras droit lors d'une prise de puissance mécanique.
Sur les 14 987 personnes blessées, 754 ont perdu un membre, 5 620 ont subi des fractures et 1 443 ont eu des blessures à la tête, qui ont dans bien des cas laissé des séquelles permanentes. On a estimé en 2003 que les coûts rattachés aux blessures étaient de 300 millions de dollars par année.
Le bilan accablant de décès et de blessures n'enlève rien aux autres problèmes de santé et de sécurité qu'on recense également en grand nombre, comme des entorses musculaires ou ligamentaires. Par exemple, dans l'industrie de la production porcine, les travailleurs souffrent d'entorses en raison de l'utilisation répétée de seringues. L'utilisation de produits chimiques entraîne des troubles neurologiques et reproductifs. L'exposition à la poussière et aux substances biologiques causent de l'asthme et des maladies respiratoires obstructives. Le bruit entraîne des problèmes de surdité. Les vibrations provoquent des blessures aux nerfs et aux tendons. Il y a des blessures liées aux installations, comme les chutes et les électrocutions, et un nombre effarant de blessures causées par les gros animaux.
Il y a des cas d'asphyxie dans les espaces clos. Par exemple, il y a deux ans, je crois, cinq travailleurs de l'industrie du champignon sont morts en Colombie-Britannique. Il y a les problèmes liés à la transmission des infections entre les animaux et les humains, et d'autres liés à la température, comme des AVC, des coups de soleil et des cas de cancer. Il est aussi question de la contamination de l'eau, et finalement, du stress et des problèmes familiaux.
Les mesures prises pour remédier à la situation ont été très peu efficaces. Le nombre de blessures mortelles n'a pratiquement pas bougé en 15 ans. En 1990, la population agricole du Canada était d'environ 870 000 personnes, et le taux de blessures était de 15 par tranche de 100 000. En 2005, c'est à peine si on avait enregistré une tendance à la baisse. La population agricole avait chuté à 692 837 personnes, mais le taux de blessures mortelles demeure pratiquement le même.
Je vais vous dire ce qui explique le phénomène, selon nous. Malgré les mesures de prévention prises au cours de ces 20 années, dont le Programme canadien sur la sécurité en milieu agricole lancé par notre centre et financé par Agriculture et Agroalimentaire Canada, aucun programme formel de recherche et développement n'a été mis en place pour appuyer les efforts de prévention. Nous demeurons convaincus qu'en l'absence d'un tel programme, il sera impossible de remédier adéquatement au problème.
Je vais vous expliquer en quoi consiste le Programme canadien de recherche appliquée sur la sécurité en milieu agricole, ce qu'on espère réaliser grâce à lui et pourquoi. Le Centre canadien de santé et sécurité en milieu agricole de l'Université de la Saskatchewan est le seul centre universitaire multidisciplinaire au Canada à être consacré à l'étude des enjeux en matière de santé et sécurité pour les travailleurs agricoles canadiens. Le centre est financé par la Fondation canadienne pour l'innovation et par le gouvernement de la Saskatchewan. Son ouverture, et celle du nouveau centre médical, le laboratoire national de l'hygiène industrielle en milieu agricole, est prévue pour le mois de mai de cette année, à l'Université de la Saskatchewan. De plus, le Centre canadien de santé et sécurité en milieu agricole peut compter sur la contribution de chercheurs des universités suivantes : Dalhousie, Laval, Kingston, Edmonton et Vancouver. Nous avons donc un groupe de chercheurs qui pourra s'attaquer à bon nombre de ces problèmes.
Le Programme canadien de recherche appliquée sur la sécurité en milieu agricole se veut un programme de portée nationale, axé sur les enjeux vitaux et mettant à profit nos forces actuelles. L'infrastructure est là pour mettre en place un programme national de recherche et développement sur la santé et sécurité en milieu agricole.
Le Programme canadien de recherche appliquée sur la sécurité en milieu agricole a déjà réussi à obtenir des appuis financiers. Des ententes ont été conclues avec neuf des dix provinces en vue du versement de fonds de contrepartie modestes pour financer des subventions de recherche et développement au niveau provincial.
Ces montants, comme vous le verrez dans les documents plus détaillés, se chiffrent à près de un demi-million de dollars par année, soit 467 000 $. De plus, entre les centres de recherche et le secteur privé, il y a la possibilité d'aller chercher un million de dollars par année, c'est-à-dire la moitié en nature et le reste en argent du secteur privé. Le Programme canadien de recherche appliquée sur la sécurité en milieu agricole aimerait conclure une entente de 1,7 million de dollars par année avec l'AAC, dans le cadre de Cultivons l'avenir 2, afin d'égaler les montants déjà consentis par les provinces, les centres de recherche et le secteur privé. Nous pensons que ce programme de recherche et développement a une portée suffisante pour apporter des solutions, mais pas au point d'être irréalisable.
Si vous allez à la page 14, vous verrez que jusqu'ici, il y a eu des efforts voués à la diffusion et à l'éducation à des fins de prévention. Nous croyons qu'un programme ciblé de recherche et développement faciliterait, de manière transparente, les efforts de dissémination et d'éducation à des fins de préventions à l'égard des différents types de blessures — poussières, infections et produits chimiques. En effet, pour avoir étudié la question pendant de nombreuses années, nous sommes convaincus que nous n'arriverons pas à déployer les mesures de prévention voulues sans une approche coordonnée de recherche et développement à l'échelle du Canada.
Honorables sénateurs, il y a lieu d'établir des comparaisons avec les cultures agricoles, par exemple. Où en seraient nos cultures agricoles aujourd'hui s'il n'y avait pas eu de programme continu de recherche et développement au cours des 50 dernières années? Il en va de même pour la santé et la sécurité en milieu agricole.
Pourquoi le Canada voudrait-il se lancer dans cette entreprise? La raison la plus importante se trouve au bas de l'échelle, mais je vais tout de même commencer par le haut. Ce programme ferait du Canada un chef de file dans le domaine. Il favoriserait la vitalité et la productivité de la main-d'œuvre agricole. Cela mènerait à l'élaboration de nouveaux produits et de nouveaux brevets. Il aiderait également le Canada à respecter les normes ISO d'exportation. Il contribuerait à l'essor du secteur agricole. Pour paraphraser le défunt Lorne Martin — que beaucoup d'entre vous avez sans doute connu au Manitoba, puisqu'il a été sous-ministre adjoint au ministère de l'Agriculture, de l'Alimentation et des Initiatives rurales —, c'est la chose à faire.
En terminant, je vous remercie de m'avoir permis de m'adresser à vous. Je vous serais très reconnaissant si vous pouviez envisager d'aborder le sujet de la santé et sécurité dans votre rapport.
Merci beaucoup, monsieur le président.
Le président : Docteur Dosman, merci beaucoup pour cette présentation très réfléchie. Il ne fait aucun doute que nous allons traiter de ce sujet dans notre rapport.
La sénatrice Merchant : Docteur Dosman, je suis ravie de vous voir. Merci pour votre présentation, qui était d'une limpidité parfaite — cela ne m'étonne pas —, et pour votre dévouement à l'égard de votre travail.
Dr Dosman : C'est un plaisir.
La sénatrice Merchant : Je sais que vous êtes dans le domaine depuis longtemps.
Vous nous dites, essentiellement, que nous devons entre autres sensibiliser les gens à la situation lamentable dans laquelle se trouvent les agriculteurs en ce qui a trait à la sécurité. Vous avez fait une comparaison avec les pertes de vie au sein de nos forces armées; les gens savent ce qui se passe là-bas. Les efforts de relations publiques des Forces sont efficaces, et c'est ce que vous voulez faire, c'est-à-dire éduquer la population grâce à ce centre universitaire, afin que les gens sachent ce qui se passe.
Cependant, les agriculteurs eux-mêmes sont plutôt têtus. Je sais que vous avez dit que la machinerie était à l'origine de bien des blessures, mais est-il difficile pour eux de changer leurs habitudes? Comment obliger les agriculteurs à faire ce que vous croyez bon pour eux? Ce sont des têtes fortes.
Dr Dosman : Madame Merchant, la question de la sécurité se divise en plusieurs catégories. Il y a la sécurité de l'équipement, de même que l'application d'un protocole de sécurité, et finalement, le comportement des travailleurs. On parle ici du comportement et des pratiques de travail des agriculteurs.
Comme vous le savez, deux choses sont à considérer. L'agriculture au Canada évolue tellement rapidement qu'il faut maintenant faire appel à de la main-d'œuvre temporaire, c'est-à-dire les travailleurs qui arrivent du Mexique tous les printemps et qui retournent chez eux une fois le travail terminé.
Les problèmes changent constamment. Vous serez peut-être surpris d'apprendre qu'en Saskatchewan, sur les 295 municipalités rurales, 210 nous versent maintenant de modestes cotisations annuelles pour inscrire, par l'entremise des conseils municipaux locaux, leurs familles d'agriculteurs au Réseau de santé et sécurité en milieu agricole. Si les conseils municipaux prennent la défense de leurs agriculteurs, c'est dire qu'on reconnaît l'existence de ce besoin.
Si on revient à la diapositive 14, on voit que le défaut du programme à ce jour est qu'il repose totalement sur la diffusion et l'éducation, et qu'il n'y a pas eu simultanément le développement d'équipements plus sécuritaires ou l'élaboration de méthodes plus sûres. Mais surtout, on déplore encore l'absence d'un programme d'hygiène professionnelle, comme il y en a dans les autres industries. Par exemple, dans une aciérie, il y a des protocoles de sécurité et des programmes d'hygiène professionnelle. Mais dans le secteur agricole, il n'y a pas eu la recherche et développement nécessaire pour mettre au point du matériel sécuritaire ou élaborer des programmes d'hygiène professionnelle. Nous pensons que le programme de recherche et développement pourrait aider à ce niveau et venir appuyer les efforts actuels de diffusion et d'éducation.
La sénatrice Merchant : À la diapositive 7, on parle des coûts estimés à 300 millions de dollars par année. J'imagine que cela inclut les frais médicaux et les coûts liés à la perte de production. Comment êtes-vous arrivés à ce chiffre?
Dr Dosman : Cette étude a été réalisée en 2003 par le professeur Locker, de l'Université Queen's, à Kingston, et cela comprenait tous les coûts. Les statistiques ont en fait été compilées pour l'Ontario, puis les résultats ont été extrapolés pour donner une idée de la situation au Canada. Il est toujours difficile d'établir de tels coûts, alors je serais le premier à admettre qu'il n'est pas nécessairement question des pertes de production. Toutefois, quand on parle de coûts humains, il y a des pertes de production qui y sont rattachées. Cela n'a pas été quantifié en détail.
La sénatrice Merchant : Pour ce qui est des enfants blessés, un point qui est particulièrement inquiétant, pourquoi y en a-t-il autant? De quels types de blessures les enfants sont-ils victimes?
Dr Dosman : C'est un aspect dévastateur du milieu agricole au Canada, comme vous pouvez le constater. Les statistiques sont absolument effarantes, et quand les enfants sont blessés, il s'agit généralement de blessures graves. Ce sont principalement des blessures qui se produisent sur la ferme; c'est un grave problème. Notre collègue de Kingston, le Dr William Pickett, s'est intéressé de près aux blessures chez les enfants. Nous avons un projet financé par les Instituts de recherche en santé du Canada qui porte sur les blessures subies par les enfants en Saskatchewan. Nous effectuons un suivi auprès de ces enfants. La situation est très problématique. Aucune famille n'est jamais vraiment la même après le décès d'un enfant.
La sénatrice Buth : Il est évident que vous travaillez dans ce domaine depuis très longtemps. Je suis curieuse de savoir d'où viennent les statistiques que vous utilisez et sur quoi vous vous basez pour établir des comparaisons avec les pertes de vie en Afghanistan. Avez-vous des données sur les décès et les blessures recensés dans d'autres milieux de travail dangereux, comme la foresterie, l'industrie minière, et cetera? En quoi le milieu agricole est-il différent de ces autres industries?
Dr Dosman : C'est une très bonne question. J'aurais très bien pu comparer l'agriculture à deux autres industries dangereuses : la foresterie et l'industrie minière. Les statistiques sont à peu près les mêmes pour ces trois industries, qui présentent toutes des chiffres aussi élevés.
Plusieurs éléments distinguent l'agriculture des autres, comme vous le savez. Il y a premièrement le nombre de personnes en cause et la désorganisation du lieu de travail. Et quand je parle de désorganisation, je ne fais pas référence aux installations agricoles en soi, mais plutôt au fait que l'agriculture n'est pas organisée de la même manière que les autres industries. Dans une mine, il peut y avoir un programme et des protocoles de sécurité, une infirmière en hygiène professionnelle, et ainsi de suite. Dans d'autres grandes industries, c'est l'industrie qui dirige les initiatives de sécurité. Avec plus de 200 000 installations agricoles au Canada, qui va diriger l'initiative de recherche et développement, par exemple? Aucune autre organisation n'est mieux placée qu'Agriculture et Agroalimentaire Canada pour assumer la responsabilité d'un modeste investissement, à tout le moins, dans la recherche et développement. Les statistiques sont semblables, mais les lieux de travail sont très différents. On le sait, le lieu de travail est aussi souvent le lieu de résidence. C'est une question extrêmement complexe qui repose autant sur les considérations culturelles que sur les pratiques de travail.
La sénatrice Buth : Quels liens avez-vous avec l'Association canadienne de sécurité agricole?
Dr Dosman : Nous l'avons fondée. En fait, en 1994, après deux années de travail, une mise de fonds de 200 000 $ et cinq réunions nationales, nous avons réussi à capter l'attention d'Agriculture et Agroalimentaire Canada (AAC), qui a commencé par fournir un million de dollars par année pour un programme de prévention. L'association, qui, à l'origine, s'appelait coalition canadienne pour la sécurité agricole et la santé rurale, était notre projet chéri. L'entente initiale, avec le ministère, au début de l'association, c'était qu'il y aurait toujours un volet de recherche-développement. Il a fallu une vingtaine d'années, mais nous avons finalement créé le Centre canadien de santé et sécurité en milieu agricole; un réseau pancanadien de recherche et de développement de capacités; et un nouveau laboratoire d'hygiène industrielle, qui sera inauguré en mai prochain. Il a fallu tout ce temps pour nous doter pleinement d'un programme efficace de recherche- développement. Nous recevons un excellent appui des provinces et du secteur privé, mais nous avons besoin de l'appui central d'Agriculture et Agroalimentaire Canada, qui donnera sa cohésion à un programme convenable de recherche- développement.
La sénatrice Buth : Vos chiffres varient peu entre 1999 et 2005. Cette stagnation de la sécurité sur l'exploitation agricole me semble inquiétante. Au début de votre exposé, je me demandais pourquoi nous avions besoin de recherche dans ce domaine. Cependant, il semble indiquer la nécessité de sensibiliser les gens et de diffuser les connaissances. Nous revenons aux observations de la sénatrice Merchant sur le grand entêtement des agriculteurs et l'évolution rapide de leurs conditions de travail journalières. Je pense, vu tout l'argent investi dans l'éducation et dans votre Association, que ces petits résultats me déçoivent.
Dr Dosman : Je n'irais pas jusqu'à dire qu'il n'y a pas eu de progrès. L'évolution si rapide de l'agriculture nous cache ce qui aurait pu se passer. Le programme national de sensibilisation et de diffusion des connaissances a été important, parce que nous ignorons comment nous aurions pu faire mieux. Comme on dit, c'est mieux que rien. C'est un programme important qui accroît la sensibilisation.
Cependant, dans d'autres secteurs, il a été montré que la sensibilisation et la diffusion des connaissances doivent s'appuyer sur la technologie et sur les principes de l'hygiène du travail. C'est pour cela, entre autres, que nous avons besoin de recherche-développement pour soutenir le programme. L'Association canadienne de sécurité agricole, d'après moi, est un programme extrêmement important, que nous devons favoriser et développer. Malheureusement, d'après nous, cela ne représente que le tiers de ce que nous avons besoin de faire aboutir.
La sénatrice Buth : À la page 14, vous exposez la recherche appliquée que vous effectuez sur les blessures, la mortalité, les infections et les produits chimiques. À quelle relation vous attendez-vous avec le secteur privé, comme les fabricants d'équipement, en ce qui concerne la prévention des blessures, et avec l'industrie de la défense des cultures, en ce qui concerne les substances chimiques? Il est bien évident que, en ce moment même, il se fait déjà beaucoup de recherche dans ces domaines.
Dr Dosman : Oui, bien sûr, et c'est une industrie complexe. Le secteur privé s'efforce de construire des machines meilleures et plus sûres. Cela dépasse les forces d'un seul acteur. Nous avons des lettres de neuf centres de recherche de partout au Canada, qui s'engagent à égaler le financement éventuel d'AAC par l'entremise du secteur privé. Plutôt que de contributions, je préfère parler d'investissements. Loin de faire concurrence aux centres de recherche pour le financement privé, le programme les encouragera et les appuiera.
Le sénateur Robichaud : À ma connaissance, mais j'ai raté une ou deux réunions, vous êtes les premiers témoins à parler de sécurité sur l'exploitation agricole. Vous dites qu'elle se compare à la sécurité en exploitation forestière et minière. Dans quelle mesure les associations d'agriculteurs cherchent-elles à faire la promotion de la sécurité en mobilisant les agriculteurs et d'autres acteurs? Mon petit tracteur était accompagné d'un mode d'emploi qui interdisait certains comportements. Les affiches sur la sécurité sont partout : « Évitez de soulever la pelle à une hauteur excessive pour ne pas faire basculer le tracteur ». Il y a une prise de force et d'autres dispositifs de ce genre. En ce qui concerne les substances chimiques, j'ai voulu me procurer du Roundup, mais en pure perte. L'utilisateur doit posséder un permis. Que se passe-t-il pour qu'il y ait tant d'accidents malgré tous les avertissements à écouter et toutes les précautions à prendre chaque fois qu'on utilise des machines ou des substances?
Dr Dosman : Voilà une observation très importante. Ça pourrait se rapporter aux deux sujets dont nous avons discuté avant. Il y a d'abord les méthodes de travail individuelles, puis l'existence de protocoles d'hygiène du travail.
En Saskatchewan, nous sommes très chanceux de pouvoir obtenir l'appui des associations. L'association des municipalités rurales de la province appuie notre programme de sécurité dans la province, le réseau d'hygiène et de sécurité agricoles, et 210 municipalités rurales sur 295 versent chaque année une somme modeste pour que le programme rejoigne 30 000 familles agricoles. Avec les autres associations, je pense que l'accueil est variable. Je pense qu'elles y adhèrent peu à peu. Toutefois, comme nous savons, les associations insistent habituellement sur la production. On peut certainement faire mieux et agir davantage.
Nous assistons à une évolution très rapide de la main-d'œuvre agricole. Dans la prochaine décennie, tout en nous intéressant encore davantage à l'exploitation agricole familiale, nous nous adresserons aussi aux employés à plein temps ou aux travailleurs agricoles itinérants et saisonniers. Nous nous heurterons alors à des problèmes de langue, de compréhension et d'instruction. Par exemple, en Colombie-Britannique, au moins cinq travailleurs itinérants ont été tués dans la collision d'une fourgonnette. Certains problèmes exigent des mesures à différents niveaux.
J'ignore si j'ai bien répondu à votre question, mais j'ai bien essayé.
Le sénateur Robichaud : Je pense qu'on devrait s'efforcer beaucoup plus d'amener les associations à organiser les réunions nécessaires où il serait question de sécurité.
Dr Dosman : Il est indéniable que plus le producteur, individuellement, se responsabilisera sur son exploitation et par l'entremise de ses associations, plus on réalisera de progrès. Cependant, ce n'est pas encore suffisant. Il faut que ça s'appuie sur la recherche-développement.
Le sénateur Robichaud : Oui. Je suis d'accord. Il faut de la recherche pour élaborer des protocoles ou de meilleurs modes d'emploi et aussi de meilleures méthodes pour informer les utilisateurs.
À la page 10, le taux passe de 15,5 pour 100 000, en 1990, à 13,6 en 2005, en ondulant. Qu'est-ce que vos efforts vous amènent à prévoir pour l'avenir? J'espère que vous prévoyez un taux nul, mais ce serait exagéré.
Dr Dosman : Notre seul objectif est d'abaisser le taux à zéro. C'est le seul objectif acceptable. C'est manquer de conscience que d'accepter la situation actuelle. Nous devons faire tous les efforts raisonnables pour abaisser le taux à zéro. D'ailleurs, je pense que le programme que nous proposons, à partir d'une demande de 1,7 million de dollars par année à AAC, est trop modeste. Nous aurions besoin de beaucoup plus, mais nous devons faire ce qui est possible. Dans le programme proposé, nous avons décrit ce qui serait suffisant pour changer quelque chose et ce qui serait suffisamment modeste pour être réalisable.
La sénatrice Eaton : Sans vouloir être simpliste, je dirais que les campagnes antitabac ou contre l'alcool au volant ont certainement ouvert les yeux dans la génération montante. Je suis convaincue que vous en êtes conscients. J'aurais tendance à croire que la réduction du nombre de blessures dans les familles d'agriculteurs est un enjeu important pour la Commission des accidents du travail.
Dr Dosman : En effet.
La sénatrice Eaton : Je suis sûre que, pour Santé Canada, c'est la même chose aussi. Dans ses campagnes contre le tabagisme et l'alcool au volant, elle a beaucoup compté sur les écoles, pour rejoindre les parents par les élèves. Avez- vous envisagé ou essayé certaines de ces solutions?
Dr Dosman : Oui, des programmes de prévention ont ciblé les enfants. Comme nous savons, les règlements sur l'alcool au volant ont certainement été efficaces, mais sans éliminer la mortalité et les blessures sur les routes. Il est sûr que la sensibilisation a fait reculer le tabagisme. Nous croyons fermement dans les efforts de la sensibilisation. En même temps, la recherche appliquée a encore un rôle dans les efforts de sensibilisation, parce que, souvent, il faut évaluer l'efficacité des programmes.
La sénatrice Eaton : J'en suis sûre. Je pense que, en fait, je cherche à savoir si des organismes comme la Commission des accidents du travail ou Santé Canada ont des programmes ou fait des campagnes sur la sécurité dans les exploitations agricoles.
Dr Dosman : Chaque province a sa commission des accidents du travail. Par exemple, en Colombie-Britannique, c'est le ministère du Travail qui appuie notre association. Bien sûr, dans nos accords pour financer le programme de recherche-développement, chaque province s'est engagée à faire obtenir par les chercheurs en hygiène et sécurité des fonds de contrepartie centraux. Au Québec, en Ontario et en Colombie-Britannique, c'est la direction des accidents du travail qui appuie ces initiatives. L'effort varie selon la province. Par exemple, en Saskatchewan, seulement 3 p. 100 des exploitations agricoles sont protégées par l'indemnisation des victimes d'accidents du travail, croyez-le ou non. Dans ces provinces, les règles sont locales. Les agriculteurs ne sont obligés d'adhérer que s'ils ont plus de neuf employés. Je fais peut-être erreur, mais c'est un certain chiffre. Encore une fois, l'une des explications de la difficulté du problème, c'est la complexité incroyable de l'agriculture au Canada, qui, bien sûr, est un reflet de la complexité incroyable du pays.
La sénatrice Eaton : Oui, et des chasses gardées, ce que nous savons tous.
La sénatrice Callbeck : Docteur Dosman, je tenais à vous poser quelques questions brèves sur votre exposé. À la page 6, vous parlez de blessés au combat de 1990 à 2000, tandis que pour les tués au combat, vos chiffres vont jusqu'en 2008. Pourquoi?
Dr Dosman : Quand nous avons mis sur pied le premier Programme canadien de sécurité et de santé en agriculture, avec le concours d'Agriculture Canada, nous disposions du financement permettant le dénombrement des blessures dans les hôpitaux. C'était le Programme canadien de surveillance des blessures en milieu agricole. À la mise sur pied du premier Programme canadien de sécurité et de santé en agriculture, nous étions prêts à profiter des occasions favorables qui existaient au pays. À l'Université Queen's, le Dr Brison a vu l'utilité de rassembler des statistiques sur les blessures traitées dans les hôpitaux. Pendant cette décennie, on a pu financer le dénombrement des blessés sur l'exploitation agricole qui avaient été hospitalisés. Malheureusement, le financement a cessé au cours de l'année en question, ce qui a tout de suite mis fin à notre effort de dénombrement.
On pourrait reprendre cette surveillance, grâce à un financement fourni par le programme de recherche appliquée sur la sécurité en agriculture.
La sénatrice Callbeck : À la page 10, vous dites que le taux de blessures mortelles a peu varié dans les 15 années qui ont précédé 2005. Le rapport de Surveillance des blessures dans le secteur agricole au Canada ne montre-t-il pas que ce nombre a diminué?
Dr Dosman : Oui, nous sommes au courant. Nous n'essayons certainement pas de cacher cette baisse apparente. Le problème, c'est que les données n'incluraient pas le Québec. Vous avez raison : il pourrait y avoir une légère baisse, qui devrait probablement être visible sur le graphique. Malgré tout, le problème reste très aigu.
La sénatrice Callbeck : À la page 13, vous parlez de neuf provinces sur 10. Laquelle ne fait pas partie du groupe?
Dr Dosman : Vous serez déçue. L'idée était de faire effectuer de la recherche-développement dans toutes les provinces. Même si j'ai visité la province qui n'y a pas participé, j'ignore pour quelle raison, c'était votre province natale.
La sénatrice Callbeck : En 2006, la Commission des accidents du travail, le Syndicat national des cultivateurs et la Fédération canadienne de l'agriculture ont mis un plan au point. Je pense qu'ils sont parvenus à réduire les blessures de 30 p. 100. Peut-être que l'Île-du-Prince-Édouard est le numéro un de la prévention.
Dr Dosman : Peut-être. Un gros effort a été fait, et cela pourrait commencer à paraître dans les statistiques, ce qui serait extraordinaire.
Le sénateur Robichaud : Vous avez dit que, en Saskatchewan, un très faible pourcentage d'exploitations agricoles participe au programme d'indemnisation des victimes d'accidents du travail.
Dr Dosman : En effet.
Le sénateur Robichaud : Qu'arrive-t-il aux blessés qui travaillent sur des exploitations agricoles qui ne participent pas au programme? Ce doit être très difficile pour eux.
Dr Dosman : Très souvent, ils sont abandonnés à leur sort. C'est souvent le propriétaire-exploitant qui subit les blessures.
Le sénateur Robichaud : Comment la situation se compare-t-elle à celle des autres provinces?
Dr Dosman : Je ne suis pas sûr. Dans d'autres provinces comme l'Ontario et la Colombie-Britannique, les lieux de travail sont très différents, car on compte plus d'employés en horticulture, et ainsi de suite. Ils tendent à participer au programme d'indemnisation, et les règlements de ces provinces sont différents.
La remarque est judicieuse. Je dois revoir les règlements de chaque province. Nos rapports avec le Québec, l'Ontario et la Colombie-Britannique se sont faits par l'entremise des commissions des accidents du travail, parce que ces provinces favorisent la prévention. Bien sûr, elles paient aussi leur écot.
Le président : Docteur Dosman, merci beaucoup. Nous vous ferons parvenir par le courrier quelques questions supplémentaires auxquelles nous aimerions que vous répondiez.
Dr Dosman : J'en serai très heureux. Je tiens à remercier les sénateurs de l'intérêt qu'ils ont manifesté et du sérieux de leurs questions.
Le président : Vos réponses aux questions que nous vous enverrons intéresseront sûrement la sénatrice Merchant.
Mesdames et messieurs, nous allons maintenant examiner notre projet supplémentaire de budget pour l'exercice 2012-2013. C'est pour financer une tournée d'enquête dans la province de Terre-Neuve-et-Labrador dans le cadre de notre étude sur l'innovation dans le secteur agricole. On vous a distribué une copie de ce projet de budget.
Y a-t-il des questions à ce sujet? À l'origine, on a prévu environ 85 000 $, qui comprenaient les frais de déplacement en classe affaires plutôt qu'économique. Êtes-vous d'accord pour choisir la classe économique au lieu de la classe affaires? Dans ce cas, le montant proposé s'établira à 44 786 $. La durée du déplacement est de deux heures à partir d'Ottawa. Êtes-vous d'accord pour la classe économique?
Des voix : Oui.
Le président : Y a-t-il des questions?
[Français]
Le sénateur Maltais : Je suis bien d'accord pour qu'on voyage en classe économique, mais ce qui m'intrigue c'est qu'on ne parle pas de la possible visite en Colombie-Britannique et en Ontario.
Le président : C'est une très bonne question. Selon le budget présent, la visite doit être effectuée avant le 31 mars 2012. La visite en Colombie-Britannique sera donc prévue dans le prochain budget 2013-2014 qui débutera le 1er avril 2013.
Le sénateur Maltais : Je suis d'accord avec vous et je pense que les dates devront être discutées.
La sénatrice Eaton : Ce sont les dates qui me concernent.
Le président : Les propositions de dates vont vous être envoyées à chacun par le greffier afin de nous permettre de finaliser le projet de visite à Terre-Neuve-et-Labrador.
Le sénateur Robichaud : Je propose que le montant de 46 486 $ soit soumis pour approbation au Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration concernant notre voyage dans le cadre de cette étude à Terre- Neuve-et-Labrador.
Le président : Merci. Cette motion est appuyée par le sénateur Maltais.
[Traduction]
Êtes-vous d'accord?
Des voix : D'accord.
Le président : Mesdames et messieurs, je vous remercie.
(La séance est levée.)