Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones
Fascicule 1 - Témoignages du 28 septembre 2011
OTTAWA, le mercredi 28 septembre 2011
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui, à 18 h 47, pour étudier les responsabilités constitutionnelles, conventionnelles, politiques et juridiques du gouvernement fédéral à l'égard des Premières nations, des Inuits et des Métis, et d'autres questions générales relatives aux peuples autochtones du Canada (sujet : questions concernant l'éducation des Premières nations).
Le sénateur Gerry St. Germain (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : J'aimerais souhaiter la bienvenue à tous les honorables sénateurs ainsi qu'à tous ceux qui suivent les débats du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones sur le web ou sur CPAC.
Je suis le sénateur St. Germain, de la Colombie-Britannique, et j'ai l'honneur de présider ce comité. Le comité a pour mandat d'examiner les lois et les questions relatives aux peuples autochtones du Canada d'une manière générale. Dans le cadre de ce mandat, le comité a entrepris une étude sur les stratégies possibles de réforme de l'enseignement primaire et secondaire dans les Premières nations, en vue d'améliorer les résultats scolaires. L'étude porte notamment sur les ententes tripartites sur l'éducation, les structures de gouvernance et de prestation des services et les cadres législatifs possibles.
Je vous présente maintenant les membres du comité qui sont ici ce soir. Je commence à ma droite avec le sénateur Ataullahjan, de l'Ontario; le sénateur Raine, de la Colombie-Britannique; le sénateur Patterson, du Nunavut; le sénateur Demers, du Québec; et le sénateur Lang, du Yukon.
Nous accueillons aujourd'hui Eleanor Bernard, directrice exécutive de Mi'kmaw Kina'matnewey, qui est accompagnée de John Jerome Paul, directeur des Services de programmes et de John Donnelly, négociateur. De l'Union of Ontario Indians — nation Anishinabek, nous recevons Murray Maracle, directeur de l'éducation; et du Conseil des premières nations du Yukon, nous accueillons le grand chef Ruth Massie.
Comme nous en sommes aux dernières étapes de notre étude, nous avons de nombreuses questions à vous poser. Je vous prie donc d'être aussi concis que possible dans vos remarques préliminaires afin que les sénateurs puissent pleinement tirer parti du bassin d'expérience dont vous nous faites profiter aujourd'hui.
Madame Bernard, nous écoutons votre exposé.
Eleanor Bernard, administrative, Mi'kmaw Kina'matnewey : Merci d'avoir invité Mi'kmaw Kina'matnewey à prendre la parole encore une fois devant votre comité. Comme notre organisation existe depuis 1998, il y a bien des expériences dont nous souhaitons vous faire bénéficier. Après vous avoir expliqué dans un premier temps le fonctionnement de notre système d'éducation dans un contexte d'autonomie gouvernementale et d'ententes avec la province pour la prestation des services et l'éducation, nous vous présenterons quelques suggestions d'améliorations pour l'ensemble des collectivités autochtones. Notre exposé porte principalement sur l'éducation primaire et secondaire.
Onze Premières nations micmaques de la Nouvelle-Écosse assument la responsabilité de l'éducation par l'entremise de Mi'kmaw Kina'matnewey. Deux tiers des élèves fréquentent les écoles situées dans les réserves, et l'autre tiers se retrouve dans les écoles provinciales. Notre entente avec la province de la Nouvelle-Écosse nous permet, en outre, de négocier pour obtenir des programmes et des services au bénéfice des élèves micmacs vivant à l'extérieur des réserves. Nous estimons que Mi'kmaw Kina'matnewey a démontré à bien des égards qu'il est possible d'assurer une prestation efficace des services en établissant une relation moderne avec le gouvernement provincial. Nos taux de diplomation ont augmenté sans cesse au cours des 13 dernières années. Je vous dirais, par exemple, que l'on a recensé à Eskasoni 53 diplômés du secondaire en 2010, comparativement à 4 seulement en 1998. L'an dernier, le taux de diplomation a atteint 72 p. 100.
Nous avons développé des programmes de récupération pour les étudiants à risque et des programmes d'immersion ont été mis en oeuvre avec succès dans nos écoles. Selon une étude à long terme menée par l'Université McGill, les élèves de ces classes d'immersion s'adaptent rapidement au programme régulier et obtiennent de meilleurs résultats aux tests d'alphabétisation menés en sixième année. En coopération avec le ministère de l'Éducation de la Nouvelle-Écosse, nous avons institué un régime général d'évaluation des taux d'alphabétisation et de numératie pour toutes les écoles situées dans les réserves. Nous avons établi des facteurs d'identification que nous partageons avec la province, ce qui nous permet de suivre les élèves tout au long de leur cheminement académique. Nous avons négocié une entente moderne avec la province de la Nouvelle-Écosse pour nos élèves fréquentant les écoles provinciales. Cette entente, qui en est à sa cinquième année, est fondée d'abord et avant tout sur la réussite scolaire. La Nouvelle-Écosse assume sa part de responsabilité pour le rendement des élèves dans les écoles provinciales et s'engage à concevoir des programmes pour satisfaire aux besoins en apprentissage des élèves micmacs.
Il y a encore beaucoup à faire. La langue micmaque est en péril. Il est important de protéger notre langue qui fait partie intégrante de la culture micmaque. Les élèves qui maîtrisent bien leur langue prennent confiance en eux-mêmes et en leur communauté. Dans certaines de nos communautés, la langue a été perdue. Au cours des années à venir, nous avons l'intention de consacrer des ressources considérables à la conception d'ouvrages et de matériel d'apprentissage de la langue micmaque, à la formation d'enseignants en langue micmaque, et à la mise en ligne de programmes de formation linguistique. Des écoles relevant de Mi'kmaw Kina'matnewey sont assujetties au régime provincial d'évaluation des compétences en alphabétisation et en numératie. Nous ne serons pas satisfaits tant que nos résultats ne seront pas, tout au moins, à la hauteur des moyennes provinciales.
Bon nombre de nos élèves ne sont pas bien préparés à se débrouiller au sein de la société micmaque et du Canada dans son ensemble. Ces jeunes risquent de devenir des fardeaux qui, toute leur vie durant, draineront les ressources communautaires et provinciales. Les investissements dans les programmes d'éducation alternative, les activités récréatives, les programmes de récupération et le mentorat peuvent avoir un impact sur la réussite scolaire. Mi'kmaw Kina'matnewey exerce une compétence qui est reconnue à la fois par les gouvernements fédéral et provincial. Cependant, nous ne croyons pas que cette reconnaissance se concrétise véritablement au jour le jour. Quelques changements pourraient être apportés pour faciliter grandement la tâche de Mi'kmaw Kina'matnewey en nous permettant de porter toute notre attention à l'éducation des jeunes, plutôt qu'à l'administration des programmes.
Il serait bon de simplifier le processus de renouvellement du financement. Même si nous existons depuis 13 ans déjà, il nous a fallu trois longues années pour négocier une nouvelle entente financière avec le Canada. La signature tardive de l'entente au cours du présent exercice financier a coßté plus de 1,1 million de dollars à Mi'kmaw Kina'matnewey. De fait, même si l'entente a été approuvée par le Conseil du Trésor à sa réunion du 22 septembre, on nous a informés que les nouveaux fonds prévus ne seront pas disponibles avant décembre, dans le meilleur des cas. Nous avons pourtant un dossier financier impeccable : 12 années sans déficit, des vérifications en bonne et due forme et une prestation efficace des programmes. Nous avons construit deux grandes écoles en respectant les échéanciers et les budgets. Voilà maintenant trois ans que la Première nation de Wagmatcook est prête à construire sa nouvelle école. Les ressources nécessaires sont prévues dans la nouvelle entente, mais il a fallu trois ans pour la signer. C'est un projet qui se serait bien inscrit dans le Programme d'infrastructure fédéral.
Il faudrait par ailleurs que les communautés autonomes soient prises en compte relativement aux nouvelles initiatives, aux investissements et aux frais de fonctionnement et entretien des installations. Il est arrivé trop souvent dans le passé que de nouveaux programmes soient conçus sans égard à la relation unique qui existe entre le Canada et Mi'kmaw Kina'matnewey. Nous ne voulons pas être traités comme une bande au sens de la Loi sur les Indiens. On a notamment mis en oeuvre des programmes d'éducation spécialisée, de soutien aux étudiants des Premières nations et de partenariat en éducation sans tenir compte de notre existence ou du libellé des ententes financières que nous avions conclues. Nos liens en matière d'éducation ont été tissés avec la province de la Nouvelle-Écosse; nos relations financières ont été établies avec le Canada. Ce dernier doit reconnaître que Mi'kmaw Kina'matnewey administre ses écoles en fonction des normes et des programmes d'étude provinciaux. Cette relation professionnelle en matière d'éducation ne nous lie pas à Affaires indiennes Canada. Il faudrait que le cycle de planification de l'éducation soit bien compris. Nous attendons toujours une réponse concernant notre financement annuel dans le cadre du Programme de partenariat en éducation. L'année scolaire est déjà en cours.
Il faut que notre compétence soit reconnue et respectée. Nous continuerons à assumer nos responsabilités financières à l'endroit du Canada. Nous allons poursuivre notre travail avec les fonctionnaires fédéraux en nous assurant qu'ils disposent des renseignements à jour et pertinents dont ils ont besoin. Nous nous efforçons sans cesse d'éviter de fournir des informations ou des documents redondants ou non pertinents.
Au risque de passer outre les recommandations de la Commission royale de même que les nombreuses études et initiatives touchant l'éducation des Autochtones, nous vous proposons deux suggestions bien simples. Nous croyons vraiment, avec preuve à l'appui, que l'exercice des pouvoirs en matière d'éducation fait nettement une différence. Il conviendrait donc de simplifier le transfert de ces pouvoirs. Nous savons que de nombreux groupes de différentes régions du pays négocient en ce sens depuis des dizaines d'années sans conclusion à l'horizon. Il faut établir certains modèles susceptibles d'être appliqués au Canada. Le Canada se doit d'énoncer clairement ce qu'il est disposé à faire. Trop souvent, les négociations s'amorcent de façon très ouverte avant que le Canada ne fixe ses limites et ses conditions, au fil de pourparlers qui s'éternisent au sujet des ententes touchant les revenus autonomes, des clauses visant la propriété intellectuelle et des exigences en matière de présentation de rapports sur le programme, des points qui sont hélas soulevés bien des années après l'amorce du processus.
Le président : Je vais maintenant aller du côté du Nord-Ouest canadien pour demander au grand chef Massie de bien vouloir nous présenter son exposé.
Ruth Massie, grand chef, Conseil des Premières nations du Yukon : Bonsoir. Shaw Nithan. Je vous remercie, mesdames et messieurs les sénateurs, de m'avoir invitée à venir vous parler aujourd'hui d'un sujet très important pour tous les Canadiens, qu'ils soient parents ou enfants : l'éducation.
Je suis ici en ma qualité de grand chef du Conseil des Premières nations du Yukon et de membre du Conseil des Ta'an Kwach'an. Je souhaite vous entretenir de la nécessité d'améliorer le système éducatif fréquenté par les élèves des Premières nations du Yukon. Dans ce territoire, on retrouve 14 Premières nations, dont 11 qui ont signé des accords sur les revendications territoriales et sur l'autonomie gouvernementale. Nous voudrions exprimer notre gratitude à toutes les personnes qui ont aidé nos élèves, qui ont déployé des efforts dans ce sens et qui travaillent sans relâche pour créer un système éducatif adapté aux besoins de nos enfants. L'éducation de notre peuple est une partie intégrante de nos traditions et du lien qui nous unit avec notre Terre; comme le disent nos aînés, « Tout le Yukon est notre école; c'est dans ce milieu que nous avons tout appris. » Cette citation est tirée de notre document Together Today for our Children Tomorrow.
Dans le contexte actuel, le système éducatif (dont l'enseignement primaire et secondaire) a changé considérablement pour les élèves des Premières nations. Nous sommes passés d'une approche holistique et traditionnelle (enseignement de nos langues, de nos pratiques culturelles et de l'importance d'apprendre de la communauté, des aînés et des membres de la famille) à un système où nos enfants fréquentent des écoles publiques qui sont gérées par le gouvernement.
En vertu de l'entente générale fédérale-provinciale de 1964 sur les droits de scolarité, le gouvernement fédéral a transféré la gestion de l'éducation au gouvernement territorial sans confier quelque responsabilité que ce soit aux Premières nations. L'objectif principal de l'entente consistait à offrir « des possibilités de s'instruire et une scolarité semblables » à tous les élèves. Elle décrivait la politique d'éducation conjointe selon laquelle le gouvernement du Yukon allait assurer l'éducation des Indiens inscrits du territoire. Relativement peu d'études ont permis de déterminer si cet objectif a été réalisé ou non dans les écoles du Yukon. Une étude sur la réforme de l'éducation a été menée en 2007. Au Yukon, il n'existe pas d'écoles de réserve gérées par les Premières nations, comme c'est souvent le cas dans d'autres sphères de compétence, et tous les élèves de ce territoire fréquentent donc des écoles publiques où la culture, la langue, l'éthique et les valeurs des Premières nations sont transmises par le programme scolaire.
Nos enfants ont le droit de recevoir une éducation qui leur fournit tous les outils dont ils ont besoin pour réussir et c'est ce que nous avons demandé. Des élèves qui réussissent, qui ont confiance en eux-mêmes, qui sont imprégnés de leur culture et qui contribuent de manière positive à leurs communautés et à la société canadienne sont essentiels pour assurer l'avenir des Premières nations du Yukon. Notre bien-être culturel, économique et social futur dépend de la satisfaction des besoins éducatifs de chaque génération, ce qui n'est pas le cas actuellement. Nombreux sont les élèves qui ne terminent pas leurs études, et notre faible taux d'alphabétisation constitue une barrière ou un problème.
Pour voir comment les Premières nations du Yukon pourraient apporter des modifications au système éducatif actuel, on peut se référer au document de 1973 intitulé Together Today for our Children Tomorrow et au rapport Kwiya de 1987, qui suggèrent des mesures pour améliorer l'éducation de nos enfants. Les recommandations formulées dans ces deux documents sont encore valables aujourd'hui, 40 ans plus tard. Ce n'est qu'en changeant les structures de gouvernance, les politiques et les lois et qu'en établissant de vrais partenariats qu'on pourra réellement corriger les lacunes de nos élèves.
Publié en 1987, le rapport Kwiya contenait quatre recommandations visant à régler de nombreux problèmes liés à l'éducation des Premières nations qui perdurent encore aujourd'hui : la reconnaissance officielle de l'égalité des chances en matière d'éducation pour la population yukonnaise; la reconnaissance officielle de la culture des Premières nations au sein de la société yukonnaise; la reconnaissance du besoin immédiat de créer une commission sur l'éducation des Indiens afin de défendre les intérêts des Premières nations; et la nécessité pour le gouvernement du Yukon, en consultation avec les Premières nations, de mettre en ouvre des réformes législatives, administratives et structurales précises touchant le système éducatif du territoire.
Nos aînés ont indiqué ce qui suit dans le document Together Today for our Children Tomorrow :
À moins que les changements soient effectués par les peuples autochtones eux-mêmes, ils donneront les mêmes résultats; un taux de décrochage de 100 p. 100... Cette situation s'explique essentiellement par un programme inadapté, l'aliénation des élèves autochtones, la nécessité de recruter plus d'enseignants membres des Premières nations dans les écoles, des manuels scolaires qui ne reflètent pas les approches traditionnelles en matière d'environnement, les langues parlées dans toutes les écoles et enfin la non-participation des communautés dans la mise en oeuvre de ces programmes.
Dans bien des cas, il n'existe pas actuellement de systèmes de soutien appropriés pour les élèves des Premières nations. Ce ne sont pas toutes les écoles qui ont les programmes culturels ou des contacts avec les Premières nations du Yukon qui les aident à établir un environnement interculturel positif pour tous les élèves. Ceux-ci devraient se sentir à l'aise, compétents et confiants dans leur milieu d'apprentissage, mais ce n'est pas le cas pour bon nombre d'entre eux. Un autre type d'école a vu le jour à Whitehorse, en l'occurrence le centre d'apprentissage individuel où le taux de réussite des élèves des Premières nations a atteint 90 p. 100. Nous devons nous demander pourquoi ces élèves ont choisi le centre d'apprentissage et pourquoi ils y réussissent. Pourquoi n'ont-ils pas choisi l'école publique commune?
Nous avons recensé quelques facteurs qui jouent un rôle dans le choix des élèves : le milieu scolaire répond aux besoins des élèves (sur les plans culturel, social, scolaire et personnel); l'école est gérée par des employés membres des Premières nations et des employés n'appartenant pas à ces nations, et l'apprentissage des élèves s'appuie sur des méthodes pratiques; les programmes expérientiels et culturels font partie des activités quotidiennes. Puisque le taux de réussite est si élevé au centre d'apprentissage individuel, il faut se demander pourquoi un tel modèle n'a pas été intégré aux 28 écoles publiques du Yukon.
Lorsqu'on examine de plus près notre système éducatif, avant même que les élèves ne passent au niveau secondaire, on se rend compte qu'il y a de nombreux facteurs, et ce, dès la maternelle, qui empêchent les élèves d'atteindre leur plein potentiel. Certaines communautés ont mis en place un programme d'aide préscolaire aux Autochtones qui les prépare à entrer dans le système scolaire public. Le programme met fortement l'accent sur l'alphabétisation, la culture et la langue.
Comme le Yukon est surtout composé de communautés rurales (dont certaines ont des écoles où plus de 85 p. 100 des élèves sont membres des Premières nations), les programmes culturels en milieu scolaire deviennent une nécessité. Bon nombre de ces élèves, qui déménagent en milieu urbain pour terminer leurs études réalisent qu'ils sont très en retard sur le plan des études comparativement à d'autres. Cette situation est extrêmement décourageante pour les élèves, car elle crée en eux des sentiments d'angoisse et d'inconfort lorsqu'ils sont en classe. Ce sont tous là des facteurs qui ont empêché bon nombre d'élèves des Premières nations du Yukon de réaliser leur plein potentiel. Beaucoup d'entre eux se sentent vaincus avant même de commencer.
Les Premières nations du Yukon ont exprimé clairement leur vison en matière d'éducation au fil des ans. Elles ont participé à de nombreuses discussions avec le ministère de l'Éducation du territoire sur la réussite des élèves et les changements qu'il faut apporter pour atteindre ce but.
Dans le rapport final de 2007 sur la réforme de l'éducation au Yukon, on a d'ailleurs formulé pas moins de 207 recommandations concernant le système éducatif, mais aucune d'elles n'est appliquée aujourd'hui. Le rapport donne un aperçu des principaux changements recommandés dans les structures de gouvernance, la législation et les politiques.
En ce qui a trait à la structure de gouvernance actuelle, nous avons établi, avec la collaboration et le soutien du gouvernement du Yukon, une commission sur l'éducation des Premières nations du Yukon, qui constitue un pas vers la cogestion de l'enseignement dans les territoires. Nous continuerons à collaborer avec le ministère de l'Éducation du Yukon pour mettre en place des mécanismes visant à faire progresser l'éducation de nos concitoyens. Le partage de la responsabilité de la prestation des programmes scolaires a toujours été le modèle que nous avons privilégié, car nous pensons qu'il est plus avantageux pour nos élèves.
Les Premières nations du Yukon aimeraient conclure un accord tripartite avec le gouvernement du territoire et le Canada. Toutefois, à moins que toutes les parties puissent jouer un rôle réel, le vrai sens de ce partenariat sera perdu. Chaque partie doit assumer une responsabilité et déployer des efforts pour aspirer au succès.
Nos enfants sont l'avenir de ce pays. Les Premières nations du Yukon pensent que la collaboration avec le ministère pour élaborer des modèles de gouvernance conjointe et partager les ressources actuelles et futures permettra à nos enfants de recevoir la meilleure éducation possible.
Après 40 ans de discussions, nos gouvernements ont finalement accepté de collaborer pour mettre en oeuvre les recommandations en suspens et permettre à tous les élèves qui fréquentent nos écoles publiques d'obtenir de meilleurs résultats.
Avant de clore, j'aimerais mentionner les divers documents supplémentaires que nous avons fournis pour appuyer vos recherches et votre étude.
Le sénateur Lang vient de remettre la documentation du Conseil des Premières nations du Yukon, dont Together Today for our Children Tomorrow, notre premier document sur le règlement des revendications territoriales. Il y a aussi le rapport de 2007 sur la réforme de l'éducation au Yukon, le rapport 2009-2010 de la vérificatrice générale sur le ministère de l'Éducation du Yukon et le document de 1997 Understanding Land Claims and Self Government agreements et une carte du Yukon en langue autochtone.
Nous sommes honorés de comparaître devant le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones et nous attendons avec impatience les retombées positives sur le parcours scolaire futur de nos élèves.
La documentation comprend les réponses aux questions que vous nous avez envoyées.
Le président : Merci, grand chef.
Chers collègues, puisque les documents ne sont malheureusement qu'en anglais, nous ne pouvons pas vous les remettre en tant que tel, parce qu'ils doivent être dans les deux langues officielles. Je parlerai donc au sénateur Lang et nous allons peut-être faire traduire les documents. Je vous présente mes excuses, mais je n'y peux rien.
Dernier témoin mais non le moindre, assis entre les deux dames, M. Murray Maracle, directeur de l'Éducation, Union of Ontario Indians — Nation Anishinabek.
Murray Maracle, directeur de l'éducation, Union of Ontario Indians — Nation Anishinabek : Merci; on peut dire que je suis une épine entre deux roses.
Je remercie le comité sénatorial du temps accordé pour parler des questions qui portent sur l'éducation autochtone, qui me tient à coeur. Je travaille dans le domaine depuis 30 ans. Notre organisation, l'Union of Ontario Indians — Nation Anishinabek, représente 40 des 133 Premières nations de l'Ontario. J'ai amené bon nombre de rapports d'experts qui contiennent d'excellentes recommandations pour améliorer les résultats en éducation des Premières nations au Canada. Je ne vous apprendrai rien de nouveau, de différent ou d'innovateur par rapport à ce qui se trouve dans ces rapports, produits par des enseignants autochtones à partir de notre point de vue, grâce à des mesures conjointes du gouvernement, des Premières nations et de la vérificatrice générale. Tout ce qu'il faut savoir figure dans ces rapports.
Il est troublant de constater que, malgré tout les preuves documentées, et ce, à fort prix, nous cherchons encore les solutions. Nous espérons encore trouver la solution magique qui va régler le problème, mais cette solution n'existe pas. Comme le dit Michael Mendelson dans un des rapports que j'ai sous la main, le système scolaire ne respecte pas les engagements pris envers les Autochtones du Canada. C'est une tragédie; le rapport présente les données d'Affaires autochtones et Développement du Nord Canada qui montrent qu'environ 33 p. 100 des apprenants autochtones obtiennent un diplôme, moins que la moitié du taux de réussite dans le reste de la population. Par ailleurs, voici une statistique du rapport qui me dérange chaque fois que j'y songe : 41 p. 100 du budget général de l'éducation pour nos jeunes sont transférés à la province, surtout dans des ententes sur les frais de scolarité. Qui demande des comptes au gouvernement provincial sur le succès — ou plutôt l'insuccès — de nos jeunes?
Ces 15 dernières années, le vérificateur général a toujours critiqué le gouvernement fédéral concernant la gestion de l'éducation autochtone et il a fait certaines recommandations pour améliorer les choses. Jusqu'ici, qu'est-ce qui a changé?
Comment pouvons-nous changer la relation entre le gouvernement fédéral et les Premières nations pour commencer d'appliquer certaines recommandations? Nous n'avons jamais été des collaborateurs égaux dans les solutions. Nous donnons notre opinion sur les programmes élaborés, mais on dirait qu'elle n'est jamais prise au sérieux. Nous avons beaucoup à offrir pour élaborer des solutions, mais il faut changer notre relation. Nous devons participer aux discussions de haut niveau avec ceux qui produisent les documents du Cabinet et les présentations au Conseil du Trésor et, si nécessaire, avec ceux qui préparent les projets de loi. Nous avons les effectifs qualifiés pour le faire.
On continue de me dire pourquoi cela ne peut pas se produire, mais personne ne me dit comment y arriver.
J'aimerais parler de l'approche panautochtone uniforme adoptée par le gouvernement. C'est impensable qu'une solution ou qu'une mesure convienne à tous les segments, si distincts, de la population autochtone. Nous avons des différences géographiques très importantes, des communautés urbaines à celles isolées où il faut se rendre par avion, des communautés riches en ressources à celles très pauvres, des grandes communautés à celles très petites et des communautés qui ont accès aux ressources humaines à celles qui n'en ont aucun.
Nous devons travailler à une politique qui permet à ces communautés de tenir compte de leurs différences, au lieu de la politique d'exclusion que nous avons maintenant et qui nous concerne au quotidien.
J'aimerais mentionner un projet entrepris en décembre 2010. Nous avons réuni des universitaires autochtones pour discuter et réfléchir sur l'éducation autochtone. Les membres du comité sont : Mme Rose-Alma McDonald, Mohawk; Mme Pam Toulouse, Ojibway, professeure, Département des sciences de l'éducation, Université Laurentienne; Mme Emily Faries, Crie, professeure, Études amérindiennes, Université Laurentienne, Sudbury; M. Barry Montour, Mohawk, directeur de l'enseignement, Commission scolaire mohawk d'Akawesasne; M. Bruce Stonefish, directeur, Coalition autochtone pour l'éducation, Ontario; Mme Pam Palmater, Micmac, professeure agrégée et présidente de la Chaire sur la gouvernance autochtone, Université Ryerson; M. Duncan MacLellan, professeur agrégé, Département des politiques et de l'administration, Université Ryerson; M. Scott Clark, professeur agrégé, Département de justice pénale et de criminologie, Université Ryerson; et M. Ted Dunlop, Département des soins aux enfants et aux jeunes, Université Ryerson.
L'objectif était de fournir une orientation stratégique et des idées innovatrices sur la façon dont les gouvernements des Premières nations peuvent régler les questions actuelles en éducation, y compris les études postsecondaires. L'activité était clairement apolitique et elle n'était ni financée ni coordonnée par le fédéral ou les gouvernements provinciaux.
Le groupe de réflexion a indiqué que, dans les 40 dernières années, bien des recherches et des études ont été menées et bon nombre de rapports ont été produits sur l'éducation des Premières nations, mais très peu de mesures de suivi ont été prises. Il a aussi souligné le contexte problématique de l'éducation des Premières nations, en ce qui a trait aux internats, aux lois et aux politiques discriminatoires et au contrôle exercé par le gouvernement. Ces choses ont donné lieu à des traumatismes physiques, sociaux et culturels et elles sont directement liées à l'écart considérable entre les niveaux de réussite en éducation des Premières nations et ceux des autres Canadiens. Il a aussi été reconnu que l'éducation est non seulement essentielle pour renforcer les pouvoirs des communautés, mais qu'elle est aussi une étape nécessaire pour bâtir notre nation.
Les discussions ont porté sur quatre grands thèmes, dont le contexte actuel, une vision stratégique, un plan d'action et la façon d'évaluer adéquatement nos succès.
Grâce aux discussions éclairées de nos propres universitaires autochtones et de nos partenaires en éducation, le groupe a mis l'accent sur deux problèmes graves qui nuit aux succès de l'éducation autochtone. D'abord, nous devons exercer notre droit inhérent à l'autodétermination et faire valoir nos compétences pour ce qui est de notre avenir, un facteur clé en éducation. Ensuite, nous devons nous occuper de l'inégalité dans le financement de l'éducation, alors que s'applique un plafond discriminatoire de 2 p. 100. On s'attend à ce que nous obtenions autant de succès en dépit de ressources moindres. Le temps est venu d'arrêter la marginalisation de nos étudiants, de prendre ses responsabilités et de mettre en oeuvre certaines recommandations présentées dans les rapports. Nous n'avons plus besoin d'autres rapports ou d'autres recommandations; il faut prendre des mesures.
Merci de votre temps.
Le président : Merci, monsieur. Nous allons maintenant passer aux questions.
J'ai une question pour commencer. Grand chef Massie, pourriez-vous nous rappeler le succès que connaissent les diplômés du centre d'apprentissage individuel dont vous avez parlé?
Mme Massie : Certains étudiants de l'école parallèle viennent des communautés rurales et ils apprennent à distance grâce à leurs ordinateurs en plus d'assister aux cours en classe. Environ 90 p. 100 des étudiants inscrits vont obtenir le diplôme, parce qu'ils reçoivent directement de l'aide et un soutien constant au quotidien.
Le président : Est-ce en raison d'un meilleur ratio d'étudiants par enseignant ou avez-vous pu analyser pourquoi le taux de succès est bien supérieur?
Mme Massie : Dans le programme, les étudiants suivent leur propre parcours. Certains apprenants sont un peu plus rapides, tandis que d'autres le sont un peu moins, et cetera, mais ils profitent d'une attention constante au jour le jour. Les programmes changent et ils sont très pertinents concernant les traditions. Je pense que ce n'est qu'une question de point de vue. Par ailleurs, certains enseignants sont autochtones, un facteur important. C'est pourquoi les étudiants qui éprouvent des difficultés ou qui ont un problème s'expriment. À l'école publique, ils deviennent frustrés et ils n'y retournent plus.
Les orienteurs encouragent beaucoup les gens à s'inscrire au centre. Bien des étudiants disent qu'on les ignorait à l'école publique; c'est ce qui les frustre et les fait décrocher.
Le président : Certains de vos étudiants font-ils des études postsecondaires et vont-ils à l'université, partout au pays?
Mme Massie : La plupart, oui.
Le président : Ont-ils ce qu'il faut pour réussir à un tel niveau?
Mme Massie : Oui. Après avoir été au centre d'apprentissage, les étudiants doivent suivre une préparation aux études postsecondaires pour confirmer leurs compétences et ce genre de choses. C'est un programme de trois ans et la plupart des étudiants font environ un demi-trimestre avant de passer à leur champ d'études.
Le sénateur Lang : Puis-je en savoir plus sur le succès du programme dont le grand chef a parlé? Il pourrait être examiné partout au pays. La population étudiante est composée en grande partie de décrocheurs venant du réseau d'écoles publiques, qui ont choisi eux-mêmes de reprendre les études. C'est en fait une initiative d'un ministre de l'éducation membre des Premières nations, qui a examiné avec les gens du ministère comment sauver les jeunes et les réinsérer dans le système d'éducation.
Le programme remporte un vif succès et la plupart des étudiants réussissent tôt ou tard la 12e année. Il ne s'adresse pas seulement aux Premières nations, mais à tous ceux qui ont des difficultés à l'école. Je pense qu'au bout du compte, nous sommes arrivés à aider les jeunes à retourner étudier au centre d'apprentissage avant de passer à autre chose. Le grand chef a indiqué très clairement que le gouvernement du Yukon, les Premières nations et les autres habitants, surtout dans les petites collectivités, collaborent très étroitement. Ces gens remportent de nombreux succès dont nous pourrions parler.
Le sénateur Meredith : Grand chef, j'aimerais aussi parler de l'école parallèle. Qu'avez-vous fait pour intégrer au système public certaines des pratiques exemplaires de cette école? Les commissions scolaires ont-elles montré une volonté d'appliquer quelque chose de semblable pour augmenter les taux de diplomation dans les écoles publiques?
Mme Massie : Certaines écoles ont des projets pilotes un peu semblables. Comme le sénateur Lang l'a dit, le centre d'apprentissage n'est pas seulement pour les Premières nations, mais pour tous les décrocheurs. C'est un encouragement pour reprendre son parcours scolaire.
Concernant l'école secondaire, non seulement nous avons des projets pilotes, mais des comités consultatifs autochtones travaillent directement au ministère de l'Éducation. Ces comités élaborent un plan d'action conjoint avec notre commission scolaire autochtone, maintenant fonctionnelle, qui profite de l'appui du gouvernement du Yukon. Nous travaillons à l'élaboration et à la mise sur pied de tels comités depuis deux ou trois ans et ils commencent à peine à collaborer.
Toutes les idées des intervenants concordent et notre collaboration fonctionne plutôt bien maintenant. Nous sommes rendus à la deuxième étape de nos projets et de la collaboration entre les comités dans nos partenariats éducatifs avec le gouvernement du Yukon. Nous avons un plan d'action dans lequel nous avons un rôle à jouer.
Le gouvernement et les Premières nations du Yukon ont proposé un protocole d'entente tripartite au gouvernement du Canada, mais il vient de nous dire qu'il voulait être facilitateur au lieu de recevoir des responsabilités dans une entente tripartite. Nous examinons maintenant la possibilité d'une entente bilatérale pour discuter ensemble avec le gouvernement fédéral.
Voilà où nous en sommes dans le processus. Cependant, un projet pilote dans une école ne vient que de commencer et nous n'avons obtenu aucun résultat pour l'heure. Tout le monde semble très excité à ce chapitre, mais l'année scolaire ne vient que de commencer.
Le sénateur Meredith : Avez-vous examiné les ressources de formation des enseignants visant à les sortir du système public ou à les sensibiliser à la culture, au langage et à ce genre de choses pour qu'ils soient bel et bien en mesure d'avoir une influence sur les étudiants?
Mme Massie : Parlez-vous de retirer les enseignants des écoles?
Le sénateur Meredith : Je parle de les former.
Mme Massie : Grâce au ministère de l'Éducation, nos écoles publiques offrent des programmes en langues autochtones à toutes les communautés. Nous disposons aussi d'un programme sur les traditions, qui consiste à employer les pratiques culturelles au quotidien dans certaines communautés rurales.
Le sénateur Meredith : Madame Bernard, souhaitez-vous ajouter quelque chose?
Mme Bernard : Je signale que les initiatives de l'organisation Mi'kmaw Kina'matnewey comportent des partenariats avec les universités et nous veillons à ce que les programmes soient offerts dans les communautés. Par exemple, un programme de certificat pour les enseignants en immersion dans les écoles d'Eskasoni et de Mi'kmaw Kina'matnewey vient de se terminer. Ce programme a connu un franc succès, tout comme celui donné dans la communauté qui a permis à au moins 15 étudiants d'obtenir un baccalauréat en éducation. Nous cherchons à mettre en oeuvre un autre programme.
Les programmes donnés dans les communautés ont remporté du succès. Les universités viennent à la communauté.
Le sénateur Raine : J'ai une autre question pour le grand chef Massie. Vous avez dit que seulement certaines écoles avaient un programme d'aide préscolaire aux Autochtones. Pourquoi certaines écoles ne disposent-elles pas d'un tel programme?
Mme Massie : Certaines communautés sont très petites et n'ont qu'un minimum d'élèves à envoyer dans le programme, tandis que certains programmes manquent d'élèves. À Whitehorse, une seule des deux Premières nations a le programme d'aide préscolaire aux Autochtones, mais il est plus important et l'autre Première nation est invitée à y participer, parce que la population n'est pas suffisante pour que deux programmes soient offerts. Il est inutile d'offrir deux programmes si tous les élèves sont situés dans la même région centrale.
Nos communautés sans programme sont également très éloignées les unes des autres.
Le sénateur Raine : Avez-vous examiné l'éducation donnée à la petite enfance par les parents? Souvent, ils entrent en contact avec le système de santé pendant la grossesse ou pour l'accouchement. C'est peut-être le bon moment pour faire participer les mères, dans les petites communautés jouissant d'un appui à distance, afin de faire prendre tôt aux enfants un bon départ.
Mme Massie : Notre programme d'apprentissage au foyer est très utilisé. Certains apprenants bénéficient de l'éducation à distance à la maison même. Il s'agit, dans certains cas, d'élèves du secondaire qui ne veulent pas faire le saut dans une grande ville et qui s'adaptent mal à l'éloignement de leurs familles. Ils peuvent bénéficier de l'apprentissage à distance grâce à l'ordinateur. Dans la population générale du Yukon, et non seulement chez ses Autochtones, on se sert beaucoup de programmes d'apprentissage à la maison. Beaucoup d'habitants de nos régions rurales vivent au milieu de nulle part. L'ordinateur leur permet de se brancher et de s'instruire de cette façon. C'est avantageux.
Le sénateur Raine : Votre description de la situation au Yukon m'amène à vous demander pourquoi vous recherchez la participation fédérale. Partout ailleurs au pays, on semble très désireux de se débrouiller soi-même, grâce à l'autonomie. Vous possédez déjà en grande partie cette autonomie. Qu'attendez-vous de la participation fédérale dans un accord tripartite?
Mme Massie : Ce serait l'appui financier de votre système. Le gouvernement du territoire est un agent de la Couronne, et les ressources vont directement à lui. En éducation, nous avons l'impression de ne pas en avoir pour notre argent. Beaucoup va à l'administration alors qu'il devrait être dirigé vers l'éducation et l'établissement de programmes.
Dans notre ministère de l'Éducation, je pense que l'administration a préséance sur la prestation de services.
M. Maracle : En Ontario, nous vivons une situation exceptionnelle. Le gouvernement a créé la prématernelle à plein temps, qui accueille les enfants dès l'âge de quatre ans. Beaucoup de nos collectivités sans école devront y envoyer les enfants de quatre ans, la clientèle de leurs programmes Bon départ et de leurs garderies. Les programmes de nos communautés sont culturellement et linguistiquement enrichis. Les initiatives du gouvernement peuvent parfois empiéter sur nos compétences et déclencher une rivalité qui fait que l'on s'arrache les élèves. À l'extérieur de nos communautés, la population diminue, et on essaie de maintenir ouvertes les écoles. Nos communautés croissent à un rythme rapide, et nous essayons d'accueillir autant de jeunes que possible. Parfois, ces décisions peuvent se prendre sans beaucoup de consultations, et elles privent ces jeunes de l'initiation solide que nous tenons à leur inculquer.
Le président : Monsieur Maracle, croyez-vous en un accord tripartite? Croyez-vous que la collaboration avec le gouvernement fédéral, la province et les Premières nations est réalisable?
M. Maracle : Non, absolument pas.
Le président : Pourquoi?
M. Maracle : Dans un accord tripartite, nous devons d'abord comprendre que nous avons la compétence en matière d'éducation. Nous conclurons un accord bilatéral avec le gouvernement fédéral et un avec la province. La responsabilité fédérale est l'obtention de ressources, et, dans ce cas, nous pouvons conclure des accords bilatéraux. Nous pouvons conclure des accords bilatéraux avec la province sur le niveau et les normes de scolarisation. Je ne pense pas que l'on puisse mêler les deux.
Le sénateur Demers : Merci de vos exposés intéressants. Vous les avez soigneusement préparés. L'année dernière, en compagnie du sénateur Lang, je suis allé au Yukon, à Whitehorse notamment. Il m'a fait visiter l'endroit, et les jeunes Autochtones des deux sexes que j'ai rencontrés m'ont laissé une impression extrêmement favorable. Ils étaient beaux et polis. Le problème est le décrochage. Avez-vous un plan à cet égard? Les problèmes guettent les jeunes décrocheurs de 14 ou 15 ans. Il y a la drogue, les grossesses à 12, 13 ou 14 ans, malheureusement. Avez-vous prévu quelque chose à ce sujet? Comment récupérer ces jeunes? Dites-vous simplement que c'est partie remise? Comment est-ce que cela fonctionne? Les échos que je reçois sont alarmants. Comment ramenez-vous ces enfants au bercail? Les abandonnez-vous à leur sort?
Mme Massie : Je pense que c'est là que se trouve l'origine du centre d'apprentissage. Quelques enseignants s'intéressaient beaucoup aux décrocheurs. L'un d'eux a pris contact avec eux. Au Yukon, tout le monde se connaît et se voit chaque jour à l'épicerie ou au magasin du coin. Il leur parlait. Puis il est allé au ministère de l'Éducation, parce qu'il était enseignant. Avant de venir à Whitehorse, il vivait dans une communauté rurale où il était chargé d'aider les élèves, avant et après l'école, en tant que membre de la communauté. C'est ainsi que ça a commencé.
Pour les Premières nations du Yukon, toutes nos écoles avaient des coordonnateurs de liaison pour combler cette lacune, et ils ont aussi prêté leur concours. Cela a permis de nouer aujourd'hui notre partenariat de travail. Cela s'est fait graduellement, mais, en fin de compte, nous collaborons enfin.
Le sénateur Patterson : J'aimerais interroger Mme Bernard et ses collègues de Mi'kmaw.
J'ai été tout à fait scandalisé au sujet de vos accords de financement. Si j'ai bien compris, l'argent pour le présent exercice ne vous est parvenu que tout récemment, en septembre.
Mme Bernard : Oui.
Le sénateur Patterson : Vous avez dß attendre trois ans pour conclure l'accord pour construire des écoles que vous avez fini par construire à temps, en dépensant moins que prévu et vous n'aviez pas de dossier de déficit.
Mme Bernard : C'était avant. Dans les années précédentes, nous avons construit d'autres écoles, mais, tous les cinq ans, nous renégocions un nouvel accord de financement. Pour le dernier accord, il a fallu trois ans.
Le sénateur Patterson : Que se passe-t-il? Quel est le problème? Pouvez-vous m'expliquer? Il me semble que vous vous étiez préparés.
Mme Bernard : John Donnelly vous expliquera.
John Jerome Paul, directeur des services de programmes, Mi'kmaw Kina'matnewey : Il a même fallu encore plus de temps. Nous avons donné un préavis de deux ans avant la fin de l'accord, puis il a fallu trois ans, ensuite, pour conclure le nouvel accord. Cinq ans en tout.
Le sénateur Patterson : Pourquoi?
John Donnelly, négociateur, Mi'kmaw Kina'matnewey : Allez savoir! Je peux vous dire que, en novembre 2008, nous avons présenté au gouvernement fédéral un projet d'accord que nous étions prêts à négocier. Ce n'était pas un accord inédit; c'était la reconduction d'un accord de financement. Il n'a pas été signé avant le 22 septembre, date de son approbation. Avant, il y a eu les élections, au printemps. Nous espérions qu'il serait signé au début d'avril. Nous avons obtenu un financement provisoire entre avril et septembre. Ce n'était pas comme si Mi'kmaw Kina'matnewey n'avait pas d'argent.
Cependant, comme l'accord avait alors six mois, ayant été signé tard au cours de l'exercice, une partie des nouveaux fonds que nous avons négociés ont été diminués en proportion. Nous avons perdu 1,1 million de dollars, que nous escomptions si nous avions signé l'accord le 1er avril. Le gouvernement fédéral n'était pas prêt à inclure ce montant. Ils ont diminué proportionnellement les fonds jusqu'à la date de la signature de l'accord.
En outre, à cause des deux années de retard, nous avons perdu tout l'argent correspondant à la période, plus de deux millions, l'année dernière. Nous ne parlons même pas des pertes que nous avons essuyées.
M. Paul : Ni de l'année précédente.
M. Donnelly : Ni de l'autre année avant. Mais, cette année, cela a été difficile pour l'organisation, bien qu'elle n'ait pas fauté — d'accord, il y a eu élections, et cetera — le financement a été diminué d'une certaine fraction et elle a dß ravaler le 1,1 million qu'elle s'attendait d'obtenir et rajuster les plans.
Le sénateur Meredith : Une partie de l'argent a-t-elle été affectée à la dotation en personnel ou le tout est-il uniquement allé à la reconstruction des écoles?
Mme Bernard : Une partie était destinée au financement de l'éducation élémentaire et secondaire pour le fonctionnement des écoles. Le montant comprenait également des immobilisations. Une partie était destinée au financement de l'éducation postsecondaire.
Le sénateur Meredith : On pourrait concevoir que l'apprentissage des élèves en a souffert, à cause d'un nombre d'inscriptions inférieur, du fait de ce qui est arrivé.
Mme Bernard : Dans certains programmes, oui.
Le sénateur Patterson : J'essaie encore de comprendre, sans faire pression sur vous. Vous ne semblez pas la cause du problème, mais pouvez-vous comprendre ce qui se passait?
Mme Bernard : Le négociateur fédéral n'avait pas de mandat.
Le sénateur Patterson : On ne répond pas à vos appels? Que vous raconte-t-on? Vous avez bien dß insister. D'après vous, quel est le problème que, à l'évidence, il faut corriger?
M. Donnelly : Du moment que nous avons commencé à négocier, il a fallu un an et demi au négociateur fédéral pour recevoir le mandat de négocier avec nous. Quand les vraies négociations ont commencé, les choses sont allées assez vite, jusqu'à ce que les négociateurs fédéraux commencent à ajouter de nouvelles clauses dans l'accord financier.
Il faut noter que l'organisme MK existe depuis 1998, qu'il a bonne réputation, que le taux de diplomation est élevé, qu'il a beaucoup de succès et que le système compte beaucoup d'enseignants autochtones. Cependant, l'année dernière, le gouvernement fédéral a décidé de compter pour la première fois dans l'accord les revenus autonomes. Autrement dit, il fallait que les Premières nations soient préparées à partager les ressources qu'elles possédaient déjà pour faire fonctionner le système. Cela n'avait jamais fait partie d'un accord auparavant.
Les chefs de la Nouvelle-Écosse négocient un accord intégral d'autonomie gouvernementale. Ils ont averti le gouvernement fédéral qu'ils étaient prêts à en parler pour l'obtention de l'autonomie complète. Pourquoi devions-nous commencer à en parler pendant les négociations sur l'éducation qui était en train de se dérouler? Aucune flexibilité n'était alors possible.
Finalement, nous avons décidé de parler de revenus autonomes, de signer l'accord et de nous engager à négocier tout accord sur les revenus autonomes à l'intérieur d'une période de trois ans. C'était un véritable problème, notamment du fait de sa survenue pendant la deuxième année des négociations sur le nouvel accord de financement.
M. Paul : Dans un souci de clarté, nous avons également proposé, avant cet exposé, de présenter les résultats de contrôles qui chiffraient les demandes. Nos communautés utilisent déjà leurs revenus autonomes pour le financement complémentaire des secteurs postsecondaire, élémentaire et un certain nombre d'autres domaines. Nos contrôles montreraient qu'elles injectaient ces montants. Cette utilisation des revenus autonomes est en réalité un plan de financement du déficit. Le gouvernement dit vouloir garder un montant équivalent et que nous devons combler la différence, mais cette idée ne plait pas aux chefs.
Le sénateur Patterson : Ma question concerne ce que M. Maracle a appelé l'autodétermination. Nous avons entendu le témoignage de Michael Mendelson, qui est un conseiller bien connu en matière d'éducation, et nous envisageons une réforme législative qui, si nous voulons nous attaquer au problème de l'éducation dont nous parlons ce soir, devrait permettre aux autorités régionales des Première nations dans le domaine de l'éducation à créer des structures de gouvernance qui seraient comme des commissions scolaires dans les systèmes provinciaux, ayant à la fois des fonctions de prestation de services et de contrôle.
J'aimerais demander à M. Maracle et, peut-être, aux autres témoins, s'ils souhaitent répondre, de nous dire quelle serait une façon d'améliorer l'autodétermination? Les modèles de commission scolaire sont bien connus dans les provinces. Ce modèle fonctionnerait-il avec les Premières nations?
M. Maracle : Je pense que les Premières nations ont déjà dépassé ce modèle. En Ontario, mon organisme négocie un accord sur l'éducation comme mes frères et soeurs ici présents. Nous négocions depuis douze ans. À l'intérieur de ces négociations, nous avons déjà conçu, pour ces 40 communautés, une façon de grouper et d'utiliser ces systèmes d'éducation ou, si vous y tenez, ce système de gouvernance. L'autre association ontarienne qui négocie actuellement est celle du Traité 9, et elle fait le même effort. Elle se dotera de ce type agrégé de gouvernance, qu'elle intégrera dans son accord d'autonomie. Elle représente 49 Premières nations. Une bonne partie de l'Ontario a donc franchi ce pas, et nous approchons d'elle.
Si les négociations pouvaient s'accélérer un peu, ce serait tant mieux pour nous, nous qui, comme je l'ai dit, négocions depuis 12 ans. Nous avons déjà conçu un réseau de commissions scolaires pour les 40 communautés que nous représentons.
M. Paul : Au début de la mise en place de Mi'kmaw Kina'matnewey dans nos communautés, nous avons examiné divers modèles de gouvernance dans notre document sur Oak Island, que l'on peut consulter sur le Web. Chacune de nos communautés utilise divers modèles. Certaines utilisent une gouvernance du type commission scolaire, d'autres de type administrateur. Au stade d'évolution où elles se trouvent actuellement, il faut les autoriser à élaborer un modèle qui leur est adapté, pour lesquels elles possèdent les ressources humaines pour les diriger, et ainsi de suite.
Le sénateur Meredith : Monsieur Maracle, vous avez dit ne pas croire en un accord tripartite. Quel serait, d'après vous, la meilleure solution, en ce qui concerne le financement? Je sais que les défis sont énormes et je dois féliciter vos communautés pour les progrès qu'elles accomplissent, malgré les retards et malgré les conséquences de ces retards pour les jeunes. Tous les sénateurs ici présents sont scandalisés par tout le temps qu'il a fallu à vos systèmes d'éducation pour démarrer et fonctionner à plein régime. Je dois vous féliciter.
J'ai toujours dit que les jeunes ne sont pas seulement notre avenir, mais aussi notre présent. Actuellement, ils affrontent des difficultés, et les frustrations que leur fait éprouver le système scolaire les autorisent à décrocher et à démissionner. Votre communauté a déploré des suicides, et cetera. C'est un sujet, lorsque des jeunes sont en cause, qui me tient à coeur.
Je vous pose la question directement. Quelles sont les deux premières choses que nous, les sénateurs, pourrions faire bouger pour vous, en ce qui concerne les difficultés que vous affrontez maintenant? Quelles sont les deux premières choses sur lesquelles nous, le comité, pouvons mobiliser le gouvernement fédéral? Encore une fois, il s'agit de sauver des vies et de procurer une éducation de qualité aux élèves.
M. Maracle : Deux choses sont sans cesse revenues sur le tapis pendant nos réunions et même dans beaucoup de rapports que nous avons lus ici. Il y a d'abord le financement. Il y a un problème de financement. Nous sommes financés moins généreusement que nos homologues, et on exige de nous le même degré de réussite; c'est ce contre quoi nous nous battons. La mesure est faussée.
Vient ensuite notre domaine de compétence. C'est là que des choses se produisent. C'est là que le succès est au rendez-vous. Quand nous exerçons nos compétences, cela nous permet ensuite de conclure des accords. C'est la raison pourquoi notre organisme ne cherche pas à conclure d'accords tripartites; il préfère les accords bilatéraux. Nous conclurons un accord sur l'éducation et les normes pour les détenteurs de compétences dans la province, et nous conclurons des accords avec le gouvernement fédéral pour le financement.
Nous devons comprendre que la majorité des fonctionnaires du ministère des Affaires indiennes qui s'occupent d'éducation ne sont pas éducateurs. Parfois, quand nous leur parlons d'éducation, ils ne nous comprennent pas. Quand, d'autre part, nous parlons de normes d'éducation, de programmes scolaires, et cetera, avec les fonctionnaires de la province, eux savent exactement de quoi nous parlons.
Je pense que nous avons essayé de régler des problèmes d'éducation avec des personnes qui n'y connaissent rien, des fournisseurs de fonds qui, parfois, n'excellent pas dans ce domaine.
Mme Bernard : Deux des choses les plus importantes auxquelles tient l'organisation Mi'kmaw Kina'matnewey seraient le respect de nos compétences et la conclusion rapide d'accords financiers; c'est très coßteux pour nous quand il faut trois ans pour s'entendre. Cela signifie que certaines de nos communautés ne pourront pas assurer les programmes que nous aurions pu mettre sur pied si nous avions disposé du financement voulu.
Le sénateur Raine : C'est très intéressant. Nous étudions la question depuis quelque temps, et ce que vous dites n'est pas nouveau; on voit le fil conducteur.
Il y a des ententes tripartites ou bilatérales. J'aimerais beaucoup que vous nous disiez de qui relèverait, dans un modèle de gouvernance, l'autorité scolaire que vous mettriez en place pour gérer les écoles dans vos collectivités — relèverait-elle des gouvernements, des Premières nations membres, des parents ou des étudiants? De quelle façon cette autorité rendrait-elle des comptes dans ce réseau scolaire?
M. Paul : Les tout premiers intervenants et les intervenants les plus importants dans un réseau scolaire sont les parents. Les parents nous confient leurs enfants et les placent sous notre protection. Ils nous confient le cerveau de leurs enfants. Nous devons fournir à ces enfants une école sßre et un environnement sans danger et positif, dans lequel ils peuvent apprendre et développer leur plein potentiel et, à cet égard, nous avons des comptes à rendre aux parents.
Pour obtenir la participation des parents, nous avons mis en place un portail d'information où ils peuvent obtenir des renseignements sur la situation de leurs enfants à l'école. Si un élève est absent, le système réagit immédiatement et les parents reçoivent un appel téléphonique.
Les gens parlent des taux de diplomation, et l'une des choses dont nous sommes les plus fiers dans notre organisation, concernant toutes nos collectivités, est la progression normale des élèves. En effet, nous constatons qu'environ 95 p. 100 des élèves sont à un an ou à moins d'un an du niveau d'études approprié pour leur âge. Ce résultat est extraordinaire.
Notre taux de maintien aux études a augmenté. L'autonomie gouvernementale nous permet d'obtenir la participation des élèves, des parents et de la collectivité. Nous parlons de qualité de vie. Lorsque ces élèves termineront leurs études et qu'ils se chercheront un emploi, ils en trouveront un.
L'une des choses les plus utiles que nous avons faites a été d'élaborer un manuel scolaire. Nous avons diplômé, je crois, neuf enseignants lorsque nous avons commencé. Quand nous avons su que nous allions avoir ce projet, nous avons monté un programme pour les enseignants. Avec nos neufs enseignants, nous comptons maintenant neuf familles dont au moins un des deux parents détient un emploi rémunérateur. La qualité de vie s'est améliorée. Nous avons maintenant, dans cette école, des concierges qui proviennent de la collectivité. La qualité de vie s'est énormément améliorée là-bas. Des progrès semblables ont été réalisés ailleurs.
Grâce aux arrangements que nous avons pris avec l'université St. Francis Xavier et d'autres universités, nous avons diplômé environ 85 enseignants depuis 1995. Là encore, la qualité de vie a progressé. Nous avons diplômé des étudiants dans les secteurs des sciences, de l'éducation, des soins infirmiers, et cetera. Nous avons fait un excellent travail.
L'ONU a effectué une étude en 2004 dans laquelle elle a examiné le niveau de vie de tous les Indiens vivant sur des réserves au Canada à l'époque; nous avons été classés au 50e rang dans le monde. C'est comme Haïti. Au moins, la qualité de vie s'améliore maintenant.
Il faut que les Premières nations aient le pouvoir et la chance de prendre part au rêve canadien. Nous voulons notre part. Nous ne voulons pas vivre dans la pauvreté. Actuellement, nous avons plus de 400 étudiants en Nouvelle-Écosse qui pourraient aller à l'université, ils ont les notes pour cela, mais ils n'ont pas l'argent. Cette situation alimente le cycle de la pauvreté, car elle condamne ces étudiants, leurs enfants et leurs familles élargies à rester pauvres. Voilà ce dont nous parlons lorsqu'il s'agit d'éducation et de ce qu'elle offre aux gens. Nous voulons offrir ce rêve aux membres de nos collectivités.
Le sénateur Raine : Les autres ont-ils des choses à dire sur ceux à qui ces organisations scolaires devraient rendre des comptes?
M. Maracle : Nous avons eu de la difficulté à expliquer que notre façon de penser diffère de celle des autres. Alors que les autres pensent de façon très linéaire, nous procédons de façon très circulaire. Qui rend des comptes à qui? Nous rendons d'abord des comptes aux étudiants; c'est notre toute première priorité. Nous rendons ensuite des comptes aux parents et à la famille, suivent la collectivité et les gens qui s'occupent de cette collectivité. Notre mode de reddition de comptes concerne l'ensemble du cycle de vie, il n'est pas linéaire.
Cette façon de rendre des comptes fonctionne beaucoup mieux pour nous parce que nous sommes tenus responsables des normes appliquées, de la sécurité des écoles et de la diplomation des élèves. Nous avons des comptes à rendre pour toutes les sphères et facettes de l'éducation, comme cela devrait être. Il est parfois très difficile d'expliquer ce concept à des personnes qui ne pensent pas comme nous. Pour eux, notre système est bancal, mais il ne l'est pas. Il est probablement plus proche de la vraie gouvernance que le système linéaire que nous avons maintenant. Nous savons que nous éprouvons des difficultés avec les systèmes linéaires de gouvernance.
Le président : Il y a une autre question que j'aimerais poser : la plupart de vous avez...
Le sénateur Meredith : Excusez-moi, monsieur le président, le grand chef...
Le président : Excusez-moi, voulez-vous formuler un commentaire?
Mme Massie : Très brièvement, je veux simplement dire que je suis totalement d'accord avec la description qu'a donnée M. Maracle de la façon dont nous rendons des comptes. Au Yukon, nous ne disposons pas d'écoles pour les Premières nations. Tous les jeunes vont à l'école publique, mais nous nous occupons quand même tous de l'éducation. L'autonomie gouvernementale que nous avons nous permet d'exercer un pouvoir en éducation. Nous avons commencé à exercer ce pouvoir, en partenariat avec le gouvernement du Yukon. Nous ne voulons pas prendre complètement en charge l'éducation de nos jeunes; toutefois, nous voulons y participer pour améliorer les résultats et, de fait, les résultats de tous les élèves sont à la hausse.
Le Yukon est un territoire bien peu peuplé. Il n'y a donc pas de raison pour que nous ne puissions pas travailler ensemble à améliorer le niveau d'éducation et le cheminement de chacun.
Le président : Merci, monsieur le sénateur Meredith.
Le sénateur Ataullahjan : Vous mettez l'accent sur des solutions au niveau local, c'est la collectivité qui dirige et qui décide pour elle-même. Quel rôle voyez-vous pour les gouvernements provincial et fédéral dans cela? La collectivité s'en remet-elle au gouvernement fédéral pour fournir le financement et au gouvernement provincial pour établir les normes en éducation?
M. Maracle : Excusez-moi, je n'ai pas entendu votre question.
Le sénateur Ataullahjan : Vous mettez l'accent sur des solutions au niveau local, c'est la collectivité qui dirige et qui décide pour elle-même. Quel rôle les gouvernements provincial et fédéral doivent-ils jouer dans cela? La collectivité devrait-elle s'en remettre au gouvernement fédéral pour fournir le financement et aux gouvernements provinciaux pour établir les normes? Ces intervenants travaillent-ils tous ensemble? Qu'attendez-vous des gouvernements provinciaux et du gouvernement fédéral?
M. Maracle : Je crois que les choses devraient être comme vous le dites. De notre point de vue, le gouvernement fédéral est celui qui fournit les fonds; il en a la responsabilité en raison des droits convenus dans les traités et de la Constitution. Je ne veux pas m'engager dans une discussion à ce sujet, mais j'estime que le gouvernement fédéral a cette responsabilité.
Nous vivons tous dans des provinces ou des territoires différents, et nous devons tous appliquer les normes en vigueur là où nous habitons, qui peuvent être bien différentes d'une place à l'autre. Nous traiterions avec la province pour cela.
Nous avons eu des négociations très fructueuses avec la province concernant les normes à appliquer. Les responsables provinciaux examinent nos normes maintenant pour s'assurer qu'elles peuvent être en harmonie avec les normes provinciales. Nous avons de belles réussites à notre actif; nous avons notamment négocié de nouvelles attestations d'étude pour les enseignants qui ont suivi des cours sur la culture autochtone.
Je crois que c'était la meilleure façon de procéder et que cela fonctionne bien dans notre région.
Le sénateur Meredith : Vous avez parlé des gouvernements et du fait que vous représentez 40 bandes en Ontario. Pour l'ensemble du pays — je ne fais qu'examiner la chose d'un point de vue holistique — vous parlez de vous rassembler et du fait que l'éducation des jeunes dans vos collectivités constitue la priorité numéro un pour toutes vos collectivités.
Les bandes mettent-elles en commun leurs pratiques exemplaires? Concernant ce qui se passe au Yukon et les bons résultats que vous obtenez, madame Bernard, avec les Micmacs en Nouvelle-Écosse, les bandes font-elles connaître aux autres leurs pratiques exemplaires ou est-ce que tout reste segmenté entre les régions et les administrations en place?
Mme Bernard : Oui, nous mettons beaucoup de choses en commun. Chaque fois qu'on nous demande de parler de ce qui a bien fonctionné dans nos programmes, nous sommes plus que désireux de le faire. En fait, nous nous rendrons en Colombie-Britannique la semaine prochaine, et nous sommes déjà allés au Manitoba.
Nous préparons beaucoup de documents de recherche qui font état des mesures que nous avons prises qui ont donné de bons résultats et de certains travaux que nous avons faits — ce qui correspond à nos pratiques exemplaires. Nous ne demandons rien de mieux que de les faire connaître aux autres n'importe quand. Naturellement, nous parlons toujours aux autres d'autres programmes.
Le sénateur Meredith : Vous fait-il la vie dure?
Mme Bernard : Toujours, mais là encore, c'est mutuel. Je lui fais toujours la vie dure également. Nous parlons toujours avec d'autres personnes de partout au pays qui ont des expériences semblables. Nous apprenons d'eux et ils apprennent de nous.
Le sénateur Meredith : Excellent.
M. Maracle : Pour ce qui est des pratiques exemplaires, nous retenons plus d'attention au niveau national. Mme Bernard et moi, nous nous connaissons depuis déjà un certain temps. Nous avons travaillé sur des projets uniques et spéciaux.
J'aimerais parler d'un projet que nous avons tendance à oublier. Quelqu'un nous a demandé si nous avons un plan pour venir en aide aux décrocheurs. En Ontario, nous avons mis en place un consortium d'établissements postsecondaires qui s'occupe spécialement des jeunes Autochtones. Nous savions que ces gens reviennent habituellement aux études un peu plus tard dans la vie. Ils ont alors habituellement 23 ou 24 ans et ils peuvent avoir une famille; nous avons donc mis en place toutes les mesures d'aide nécessaires.
Nous avons une association nationale pour tous les établissements d'enseignement postsecondaire autochtones qui accueillent parfois des gens désireux de se reprendre en main; habituellement, ces personnes sont plus âgées. Nous mettons en commun nos pratiques exemplaires au niveau national. Nous n'intervenons pas seulement au niveau communautaire et régional, mais également au niveau national.
Le président : Le comité a pour mandat d'examiner la gouvernance et la prestation de services, les ententes tripartites et les mesures législatives possibles. Je crois que le financement fait partie intégrante de tout le processus; il n'y a aucun doute là-dessus. Toutefois, si l'outil dont vous disposez pour atteindre le résultat recherché n'est pas bon, il ne sert vraiment à rien d'investir encore dedans.
Notre comité espérait être en mesure de formuler des recommandations sur la gouvernance et la prestation de services — que ce soit par la voie d'ententes tripartites ou de mesures législatives possibles. Voilà au moins ce sur quoi nous pensions faire porter notre étude.
Vous avez tous réussi à faire certains progrès, et je dirais que vos réalisations dépassent bon nombre de celles de nos Premières nations pour ce qui est de l'éducation. Selon vous, à quoi cela est-il dß?
Dans votre cas, monsieur Maracle, vous vous occupez de 39 groupes des Premières nations ou est-ce 40? Y en a-t-il un qui s'est ajouté? Dans mes documents, je vois 39.
Pour ce qui est des Micmacs, 11 groupes des Premières nations ont été rassemblés, et en ce qui vous concerne, vous, grand chef Massie, vous vous occupez de tout le Yukon. Selon vous, y a-t-il des choses concernant des initiatives particulièrement réussies que le comité devrait inclure dans un rapport?
Monsieur Maracle, vous avez parlé de l'exercice de vos droits inhérents et de la capacité d'exercer un contrôle sur votre propre destin. Voilà ce qui est ressorti des deux recommandations très importantes que vous avez formulées lors de la séance de réflexion à laquelle vous vous êtes livré avec tous vos confrères des Premières nations. L'autre aspect concernait le financement inadéquat. Je crois que ce sont là les deux sujets que vous avez abordés.
Nous essayons de concevoir l'outil ou de formuler une recommandation à l'intention du gouvernement pour la conception d'un outil qui nous permettra d'obtenir les résultats recherchés pour l'éducation des membres des Premières nations.
M. Maracle : Cela arrive bien souvent. Je vous renvoie encore aux rapports. Nous n'utiliserons pas tous le même outil au pays, il faudra différents outils. Ces outils feront tous la même chose et nous nous arrangerons pour les faire fonctionner. Dans mon territoire, je tiendrai compte de la situation qui a cours dans un conseil scolaire, et c'est la raison pour laquelle nous exercerons notre pouvoir de cette façon. Comme mon ami l'a déclaré ici, certaines collectivités ont des systèmes de gouvernance administratifs simples, selon leur taille, notamment.
Le système de gouvernance devient tronqué lorsqu'on commence à vouloir trop l'orienter. Nous ne respectons pas alors le pouvoir accordé à ces gens de se gouverner eux-mêmes.
Si vous respectez ce pouvoir et si vous négociez la façon dont cela va s'organiser, plusieurs méthodes pourront voir le jour. Il est difficile de dire que cela se fera d'une certaine façon ou d'une autre. Il y aura différentes façons d'agir. Tout commence par l'exercice du pouvoir qui nous est conféré. Les gens de ce côté-là de la table reconnaîtront que ce pouvoir existe et qu'il peut être exercé de différentes façons.
Le président : Cela s'applique-t-il aussi au rôle qui, selon vous, incombe au gouvernement provincial, à savoir établir les normes en matière d'éducation, et à celui du gouvernement fédéral, qui est strictement de fournir du financement? Ai-je bien compris?
M. Maracle : Oui, c'est exactement cela. Pour ce qui est de ces normes, il y en a certaines que nous n'accepterons pas d'emblée. Des négociations ont cours à ce sujet. Nous avons beaucoup à offrir du point de vue de l'éducation. Nous possédons une culture et une histoire riches, et nous avons beaucoup à offrir. Ces normes peuvent jouer dans les deux sens. Une négociation n'a pas simplement pour but de faire accepter des normes mais plutôt de déterminer la façon dont nous les mesurerons et dont nous évaluerons les gens qui auront la responsabilité de nos jeunes. Quelles normes appliquerons-nous pour évaluer ces gens?
Comme le dit le grand chef du Yukon, une grande partie du problème tient parfois à ce que les enseignants ne connaissent rien de nous. Cette situation donne de mauvais résultats la plupart du temps. Ces gens ne connaissent rien de nous et ils viennent enseigner chez nous, ils se découragent et partent. Toutefois, il existe d'excellents programmes actuellement pour former les enseignants. La chose est donc possible.
Mme Bernard : Il y a deux recommandations que nous aimerions faire au gouvernement : simplifier le processus de renouvellement de financement et faire en sorte que les collectivités qui ont le droit de s'autogouverner soient prises en considération dans les nouveaux projets d'éducation qui les concernent.
Mme Massie : Pour le Yukon, comme je l'ai dit, nous avons mis sur pied la Commission de l'éducation des premières nations. Nous venons tout juste de mettre cet organisme en place et nous travaillons conjointement avec le gouvernement du Yukon. Notre programme de cours provient de la Colombie-Britannique, mais nous avons la possibilité d'élaborer nos propres programmes, adaptés à notre culture, qui seront donnés dans le réseau scolaire. Nous disposons également d'un processus éducatif interculturel pour les enseignants et nous offrons notre propre programme d'éducation au collège.
Le sénateur Meredith : J'ai aimé vos exposés et je suis ravi des perspectives d'avenir qui s'ouvrent pour vos collectivités un peu partout au pays. J'aimerais revenir au sujet soulevé par le sénateur Greene Raine, soit la reddition des comptes.
Monsieur Maracle, vous avez parlé de l'approche holistique utilisée dans votre collectivité pour la reddition de comptes et la structure, non linéaire, qui est particulière à votre culture. Toutefois, si notre gouvernement est appelé à investir dans votre système d'éducation, tout en respectant l'autonomie de votre collectivité, comme l'a indiqué Mme Bernard, à qui rend-on des comptes et de quelle façon examine-t-on les investissements qui sont faits, les accords qui sont conclus à tous les trois ou cinq ans, lorsque vous revenez à la table de négociations, et cetera? Pouvez-vous tous nous éclairer sur le mode de reddition des comptes du point de vue du gouvernement auquel vous vous soumettrez?
Mme Bernard : Nous soumettons chaque année des rapports au gouvernement fédéral par la voie du Mi'kmaw Kina'matnewey. Nous avons apporté des exemplaires de nos rapports annuels dont vous pourrez prendre connaissance lorsque cela vous conviendra. Également, nous sommes assujettis à des vérifications annuelles, qui se poursuivent.
M. Maracle : Lorsque nous en venons aux négociations finales, la plupart des organisations ont habituellement déjà fait l'objet de vérifications pendant cinq à 10 ans. Elles ont les structures hiérarchiques requises, elles ont des rapports annuels et elles tiennent des réunions annuelles et des réunions semestrielles, toutes des mesures nécessaires pour s'acquitter de leurs responsabilités en matière de reddition de comptes. Toutefois, par la même occasion, nous devons avoir une approche plus large. Ce que nous y mettons, ce sont toutes ces choses que nous devons faire.
Ne pensez pas que nous ne rendons de comptes à personne. Au contraire, sachez que la plupart des gens à cette table sont disposés à faire preuve d'une grande transparence. Si vous veniez un jour dans l'une de nos communautés et voyiez le nombre de rapports que nous devons remplir, vous constateriez qu'il faut presque embaucher quelqu'un pour réussir à tout faire. Je ne me souviens pas des derniers chiffres. Nous devons présenter 135 rapports par année pour ne recueillir que quelques miettes qui tombent de la table. Nous savons en quoi consiste la responsabilisation et nous sommes bons à cet égard.
Le sénateur Meredith : Au bout du compte, comment vous y prenez-vous pour responsabiliser les parents face à votre système? En Ontario, les parents doivent envoyer leurs enfants à l'école. Que faites-vous lorsque des parents ne se conforment pas et n'envoient pas leurs jeunes enfants à l'école? C'est une question difficile.
M. Paul : En effet. Nous sommes effectivement confrontés à cette situation. Le mieux que nous puissions faire est d'essayer de faire participer les parents. Dans l'une de nos communautés, les enseignants, avant le début de chaque semestre, visitent les parents de tous les élèves de leur classe. Évidemment, ils ne peuvent pas discuter de leurs notes, puisque le semestre est à peine commencé. Au moins, ils peuvent se présenter, et les parents sont souvent plus enclins à les rencontrer, étant donné qu'ils sont allés chez eux. Bon nombre de nos communautés ont pris ces mesures.
Nous avons parlé avec nos organismes de services à l'enfance, qui nous ont dit que le fait qu'un enfant ne fréquente pas l'école ne met pas sa vie en danger et qu'on ne peut pas le forcer. Le mieux, c'est d'essayer de faire de l'école un endroit captivant et joyeux. En sollicitant la participation du parent, on espère que cela aura une incidence sur l'enfant.
Mme Bernard : Et que l'enfant voudra aller à l'école.
M. Maracle : Ils veulent souvent qu'on leur garantisse à 100 p. 100 que notre système offrira un meilleur enseignement et que tous les étudiants réussiront. Ce n'est pas la réalité. Les enfants ne peuvent pas tous réussir. Nous ferons mieux que les statistiques que je vous ai données. Nous allons susciter une plus grande participation et nous prendrons davantage de mesures dans cette optique. Cependant, on ne peut pas s'attendre à obtenir un taux de réussite de 100 p. 100. Lorsque des gens me posent cette question, je leur retourne la question. Tous les systèmes ont leurs failles.
Nous avons une relation de famille distincte. Souvent, lorsqu'un enfant est absent, particulièrement au niveau postsecondaire, le mieux est d'appeler sa mère ou sa grand-mère. Si vous appelez sa grand-mère, vous êtes sßr que l'enfant sera de retour à l'école dès le lendemain.
Le sénateur Meredith : Merci beaucoup. C'est très apprécié.
Le président : Je tiens à remercier nos témoins pour leurs excellents exposés ainsi que leurs réponses honnêtes et directes aux questions posées par les sénateurs. Il s'agit d'un sujet difficile. Nous le savions dès le début, étant donné qu'il a fait l'objet d'innombrables études. Comme M. Maracle l'a dit, la pile est beaucoup plus haute que cela; elle est pratiquement aussi haute que l'édifice. C'est pourquoi nous essayons de nous concentrer sur la structure, ou le véhicule, comme je l'appelle. Je prends ce que vous avez dit au sérieux, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de solution universelle.
Encore une fois, nous vous remercions d'être venus d'aussi loin, particulièrement le grand chef Massie et les gens de la côte Est, sans vouloir minimiser l'importance du centre, M. Maracle. Merci à tous.
Chers collègues, nous devons traiter de quelques questions à huis clos. Nous allons faire une pause de cinq minutes. Lorsque les caméras seront sorties de la salle, nous reprendrons nos travaux. Il y a certaines questions dont nous devons discuter relativement à l'étude.
(La séance se poursuit à huis clos.)