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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 9 - Témoignages du 13 décembre 2011


OTTAWA, le mardi 13 décembre 2011

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui, à 9 h 31, pour examiner, en vue d'en faire rapport, les responsabilités constitutionnelles, conventionnelles, politiques et juridiques du gouvernement fédéral à l'égard des Premières nations, des Inuits et des Métis et d'autres questions générales relatives aux peuples autochtones du Canada.

Le sénateur Gerry St. Germain (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bienvenue à tous les honorables sénateurs et aux gens qui regardent cette séance du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones sur CPAC ou sur Internet. Je m'appelle Gerry St. Germain, de la Colombie- Britannique, et j'ai l'honneur de présider le comité.

Nous devons examiner les lois, les règlements et les questions générales relatives aux peuples autochtones du Canada. Pour comprendre les préoccupations de nos concitoyens, nous invitons régulièrement des témoins pour nous sensibiliser aux questions qui leur tiennent à cœur.

Ces séances nous aident beaucoup à déterminer quelles études nous devons entreprendre pour mieux servir les Autochtones. Ce matin, nous allons entendre les représentants du Bureau du vérificateur général du Canada (BVG), qui a effectué un certain nombre de vérifications sur les questions autochtones au cours des dix dernières années. Pour évaluer les progrès du gouvernement dans la mise en œuvre de ses recommandations, le BVG a mené une vérification de suivi et a rendu ses conclusions publiques au chapitre 4 sur les programmes pour les Premières nations dans les réserves de son rapport intitulé Le point de la vérificatrice générale de juin 2011.

Malheureusement, le BVG a constaté que les conditions dans les réserves des Premières nations ne s'étaient pas améliorées en général quant aux aspects examinés. Les représentants du BVG sont ici ce matin pour nous donner certaines précisions sur ses conclusions.

[Français]

Avant d'entendre nos témoins, j'aimerais présenter les membres du comité qui sont présents ici ce matin.

[Traduction]

Honorables sénateurs, souhaitons la bienvenue aux témoins. M. Ronnie Campbell, vérificateur général adjoint; M. Jerome Berthelette, vérificateur général adjoint; M. Frank Barrett, directeur principal. Bonjour, messieurs.

Comme d'habitude, nous avons hâte d'entendre vos explications sur les conclusions de votre rapport de juin 2011. Je suis sûr qu'il y aura des questions après votre exposé.

[Français]

Ronnie Campbell, vérificateur général adjoint, Bureau du vérificateur général du Canada : Merci de nous donner l'occasion de discuter de nos travaux d'audit qui ont porté sur les mesures prises par le gouvernement fédéral pour les Premières nations. Aujourd'hui, je suis accompagné de Jerome Berthelette, vérificateur général adjoint, et de Frank Barrett, directeur principal.

Au cours des 10 dernières années, le Bureau du vérificateur général a audité une vaste gamme de services et d'activités fédérales qui touchent les Premières nations. Plus tôt cette année, nous avons publié notre tout dernier rapport d'audit sur les programmes pour les Premières nations dans les réserves. Dans cet audit de suivi, nous avons examiné les progrès accomplis par le gouvernement pour donner suite aux engagements pris en réponse à des observations et recommandations importantes formulées dans sept de nos rapports publiés entre 2002 et 2008.

[Traduction]

Nous avons concentré nos travaux sur l'enseignement, la qualité de l'eau, le logement, les services à l'enfance et à la famille, les ententes sur les revendications territoriales et les exigences en matière de rapports.

Lors de notre suivi, nous avons remarqué certains progrès dans la mise en œuvre de certaines de nos recommandations. Toutefois, dans l'ensemble, nous avons conclu qu'Affaires autochtones et Développement du Nord Canada, la Société canadienne d'hypothèques et de logement et Santé Canada n'avaient pas réalisé des progrès satisfaisants en ce qui a trait à nos recommandations. Dans certains cas, la situation s'est même dégradée depuis nos audits antérieurs. Par exemple, l'écart de scolarisation s'est creusé, la pénurie de logements de qualité convenable dans les réserves s'est aggravée, la présence de moisissure dans les réserves demeure un grave problème et les exigences administratives en matière de rapports se sont alourdies.

Ces organisations fédérales ont fait des efforts pour appliquer nos recommandations, mais les résultats n'ont pas mené à des améliorations importantes. Nous avons donc examiné certaines des causes qui ont empêché la réalisation de progrès.

Dans la préface du rapport, nous avons indiqué quatre obstacles structurels qui, selon nous, nuisent gravement à la prestation des services publics destinés aux Premières nations et à l'amélioration de la qualité de vie dans les réserves.

Le premier obstacle est le manque de clarté quant au niveau des services à assurer. Le gouvernement fédéral, principalement par l'entremise d'Affaires autochtones et Développement du Nord Canada, appuie des services comme l'enseignement et la surveillance de la qualité de l'eau potable dans les réserves. Or, ces services sont normalement assurés par les gouvernements provinciaux et municipaux ailleurs au Canada. L'objectif du gouvernement fédéral n'est pas toujours clair, parce que ni le type ni le niveau de service qu'il s'engage à appuyer ne sont définis.

Le deuxième obstacle est l'absence de fondement législatif. Souvent, les programmes fournis dans les réserves sont élaborés et mis en œuvre en fonction des politiques des ministères fédéraux. Contrairement aux programmes provinciaux, aucun fondement législatif n'encadre les programmes offerts dans les réserves dans des domaines aussi importants que l'enseignement, la santé et l'approvisionnement en eau potable. C'est donc dire que les rôles, les responsabilités, les critères d'admissibilité et les autres éléments fondamentaux de ces programmes fédéraux ne sont pas clairement définis pour la prestation des services. De même, la responsabilité du gouvernement fédéral pour le financement de ces services manque souvent de clarté.

Le troisième obstacle recensé est l'absence de mécanismes de financement appropriés. Le gouvernement fédéral s'appuie sur des accords de contribution pour financer des programmes essentiels dans les réserves des Premières nations. Beaucoup d'accords de contribution doivent être reconduits tous les ans, ce qui peut entraîner des interruptions. Cette situation crée aussi une incertitude pour les Premières nations qui craignent de ne pas pouvoir fournir à leurs membres des services essentiels. Souvent, les accords de contribution définissent les activités qui doivent être assurées, plutôt que les résultats à atteindre, et ils n'incluent pas toujours les normes de service à respecter. Par conséquent, il est souvent difficile de savoir qui est chargé d'obtenir de meilleurs résultats ou d'assurer un certain niveau de services pour les Premières nations.

Enfin, le quatrième et dernier obstacle structurel dont j'aimerais discuter est le manque d'organisations capables de veiller à la prestation des services à l'échelle locale. Souvent, il n'y a pas d'organisations en place, comme des commissions scolaires, des conseils de santé et des organismes de services sociaux, pour veiller à la prestation des programmes et des services à l'échelle locale. En comparaison, les provinces ont fondé de telles organisations. Affaires autochtones et Développement du Nord Canada a commencé à collaborer avec des groupes représentant plus d'une Première nation, mais beaucoup reste encore à faire.

[Français]

Au cours de cet audit et des autres que nous avons effectués, nous avons constaté que les conditions de vie sont moins bonnes dans les réserves qu'ailleurs au Canada. Des changements sont nécessaires pour que les services qui sont offerts aux Premières nations puissent leur fournir de véritables résultats. À notre avis, l'amélioration réelle de la qualité de vie dans les réserves dépend de plusieurs facteurs, notamment il faudra régler les problèmes que causent les obstacles structurels mentionnés dans la préface de notre chapitre.

Le gouvernement fédéral ne peut pas instaurer seul tous ces changements structurels. Ses représentants doivent collaborer avec les Premières nations, qui elles-mêmes devront jouer un rôle de premier plan en vue de concrétiser ces changements.

[Traduction]

Monsieur le président, nous reconnaissons également que ces changements ne se feront pas du jour au lendemain. La mise en œuvre des solutions prendra plusieurs années. Et pour y arriver, il faudra la participation de plusieurs entités gouvernementales, un leadership politique et la volonté d'apporter les changements nécessaires aux politiques, aux lois et aux règlements.

Le comité souhaite peut-être connaître l'opinion d'Affaires autochtones et Développement du Nord Canada sur les obstacles structurels décrits dans notre chapitre, sur ses besoins et sur les changements qui devront être apportés, tant dans la direction politique que dans les politiques et les réformes des lois et des règlements, pour permettre aux collectivités des Premières nations d'avoir une qualité de vie dans les réserves qui soit comparable à celle du reste de la population canadienne.

Je dois préciser que nos travaux pour le présent audit ont été pour l'essentiel terminés le 1er novembre 2010. Nous n'avons pas audité les mesures prises depuis.

Monsieur le président, je termine ainsi ma déclaration d'ouverture.

Le président : Monsieur Campbell, vos vérifications et la collaboration avec les Premières nations soulèvent la question des capacités. Vous avez dit que le gouvernement fédéral ne pouvait pas mettre en œuvre tous ces changements structurels à lui seul et que les agents du gouvernement doivent collaborer avec les Premières nations. Y a-t-il un manque de capacité dans certaines régions éloignées en raison de normes d'enseignement peu élevées? Je ne parle pas d'un manque de capacité en général. Des Premières nations font preuve de leadership; certaines connaissent beaucoup de succès et d'autres réussissent bien, mais il y a des communautés qui ne vont nulle part. Avez-vous évalué les capacités des gens dans ces communautés? Durant notre étude sur l'eau potable, nous avons constaté que les responsables du programme de formation itinérante avaient du mal à trouver des gens qualifiés pour suivre le programme. Au fond, je me demande si le BVG a évalué les capacités et si les gens ont atteint le niveau de scolarité nécessaire à la collaboration avec les agents du gouvernement.

M. Campbell : Au fil des ans, nous avons examiné les capacités dans plusieurs de nos vérifications. C'est une préoccupation bien réelle. Pendant l'exposé, j'ai dit qu'il faudrait du temps pour apporter les changements, qui ne se feront pas du jour au lendemain. J'ai aussi indiqué que le gouvernement devait collaborer avec les Premières nations pour aider à concrétiser ces changements.

Je dois mentionner que les quatre obstacles sont liés. Je ne pense pas que nous allons régler les problèmes en nous occupant d'un seul obstacle. Il faut notamment soutenir les organisations comme les commissions scolaires et les conseils de santé, qui permettent d'améliorer les capacités. Oui, le manque de capacité est un problème important.

Le sénateur Meredith : Monsieur Campbell, vous avez produit sept rapports entre 2002 et 2008. Vos recommandations portaient sur l'eau, le logement, l'enseignement et la santé. Je veux vous poser une question sur le logement. La situation à Attawapiskat est tout simplement déplorable. Vous n'êtes pas le premier à nous parler de la SCHL. Pourquoi n'y a-t-il pas de structure en place? Nous avons examiné des lotissements partout au pays. Le privé s'implique beaucoup. À votre avis, pourquoi une telle approche n'est-elle pas adoptée par la SCHL ou les dirigeants locaux? On bâtit le reste du Canada, et les réserves sont traitées différemment.

M. Campbell : Il faut comprendre que les réserves sont très différentes du reste du pays en raison de la Loi sur les Indiens et de tout ce qu'elle entraîne. La propriété privée devient peut-être une partie de la solution dans un petit nombre de communautés. C'est une solution que les décideurs pourraient examiner de plus près pour en tirer profit davantage.

En tant que vérificateurs du gouvernement, nous restons le plus possible en dehors des questions politiques et stratégiques. Au fond, ce rapport de vérification indique justement que les mesures mises en œuvre à l'heure actuelle ne donnent pas les résultats que tout le monde souhaite. Si nous poursuivons les mêmes mesures, nous obtiendrons les mêmes résultats. Dans le chapitre, nous disons qu'essentiellement, c'est maintenant une question de volonté politique et de mesures stratégiques et législatives, qui ne sont pas de notre ressort.

Je pense que, si le gouvernement examine la question et collabore avec les Premières nations, certaines mesures dont vous parlez pourraient très bien faire partie de la solution. Certaines formes de propriété privée ou de quasi-propriété privée pourraient régler des problèmes. La Loi sur les Indiens et le fait que l'État garde les terres en fiducie pour les Premières nations sont des obstacles. Je pense qu'il faut porter un regard neuf sur la question et trouver des façons de contourner les obstacles.

Le sénateur Meredith : D'autres ont dit, en privé et en public, que les Autochtones qui recevaient des logements ne rendaient pas assez de comptes, qu'ils demandaient au gouvernement de tout régler et qu'ils ne sentaient pas que les logements leur appartenaient. Estimez-vous que les dirigeants locaux n'en font pas assez pour susciter un certain sens des responsabilités chez ceux qui reçoivent des logements?

M. Campbell : Nos vérifications ne portent pas sur les Premières nations ou les dirigeants locaux. La surpopulation est un énorme problème dans nombre de communautés du Nord. Je pense qu'il a été prouvé qu'un petit logement ne sera pas bien entretenu et qu'il y aura beaucoup d'humidité et de moisissures si 14, 16 ou 17 personnes y vivent. Certains problèmes sont inévitables. Je n'ai pas constaté de cas où les gens négligeaient volontairement leurs logements. Ils manquent simplement d'espace pour dormir. Dans les vérifications précédentes, nous avons examiné la qualité de la construction. C'est certainement un facteur. Certaines communautés de l'Ouest ont signé des baux de 99 ans et ont réussi à surmonter ce qu'elles perçoivent comme l'obstacle de la propriété dans les réserves. Elles sont ainsi arrivées à réaliser un certain développement économique. Mais ces baux ne sont d'aucune aide pour certaines communautés isolées. Si vous le permettez, je dirais qu'il est temps pour les politiciens et les décideurs de voir autrement la collaboration avec les Premières nations et de proposer des mesures tout à fait différentes, car celles mises en œuvre ne fonctionnent pas.

Le président : Ce que vous dites est encourageant, monsieur Campbell.

Le sénateur Patterson : Votre exposé de ce matin m'a étonné concernant le manque de fondement législatif, qui selon vous nuit beaucoup à l'efficience de la prestation des services publics aux Premières nations; les responsabilités et le rôle mal définis du ministère; l'absence de mécanisme pour assurer un financement prévisible et stable; les accords de contribution reconduits tous les ans qui causent des incertitudes; l'absence d'organisations pour soutenir la prestation des services au niveau local.

Nous venons tout juste de terminer une étude sur l'éducation primaire et secondaire chez les Premières nations. Je crois que ce sont justement les quatre raisons pour lesquelles nous avons recommandé un fondement législatif. Peut- être aurions-nous dû citer votre rapport dans le nôtre, mais nos recommandations sont étrangement similaires, notamment pour ce qui est de ce mécanisme législatif.

J'aimerais parler de santé, d'eau potable et de logement. Avez-vous dit que vous considérez qu'il y a également un vide législatif à l'égard de ces questions?

M. Campbell : Dans le cas de l'eau potable, le problème est important. Bien que certaines améliorations aient été apportées depuis notre première vérification, je crois qu'environ 50 p. 100 des réseaux d'alimentation en eau sur les réserves sont à risque. Le processus législatif suit son cours, mais il faudra que l'on prenne des règlements et que l'on obtienne le financement nécessaire à la mise en œuvre de ces mesures. Les progrès réalisés au cours des dernières années sont certes encourageants. Dans le cas des Premières nations, la gestion de bon nombre des programmes de santé que nous avons vérifiés au fil des ans est guidée par des politiques et des lignes directrices. Parfois, on règle les problèmes à la pièce; lorsqu'un problème survient, les fonctionnaires s'y attaquent au meilleur de leurs connaissances.

D'une manière générale, les lois offrent un fondement beaucoup plus efficace pour l'élaboration et l'exécution des programmes, car elles sont conçues par les élus qui fournissent une orientation et des paramètres aux fonctionnaires chargés de leur mise en œuvre, lesquels n'ayant pas ainsi à improviser au fur et à mesure.

Le sénateur Patterson : Pour avoir moi-même étudié le droit, je constate souvent que trop de gens sont pressés de recourir au processus législatif pour régler les problèmes qui se présentent. Le soutien de la population est nécessaire pour adopter des lois. Je ne suis pas de ceux qui croient que c'est la première chose à faire pour composer avec les problèmes. Je pense que vous nous dites ici qu'il faut intervenir par voie législative relativement à des questions comme l'eau potable, voire la santé, mais que l'adoption de lois ne peut pas être une fin en soi. Chaque mesure législative doit être accompagnée d'un certain mécanisme de financement.

Dans notre rapport, nous avons recommandé que l'on élabore une formule, sans doute par voie réglementaire dans le cas de l'éducation, qu'une autorité locale soit créée, ou tout au moins désignée, et que les services à offrir soient définis. Vous semblez suggérer que tous ces éléments soient inscrits dans une loi qui ne serait pas soumise aux caprices de fonctionnaires qui peuvent changer d'avis sans avoir de compte à rendre, pas plus qu'aux considérations politiques qui décident de l'identité des personnes en charge à un moment ou à un autre.

Si je vous comprends bien, vous nous dites que ces quatre critères doivent être pris en compte si on veut assurer l'efficacité d'une loi qui pourrait être adoptée dans un secteur comme la santé. Est-ce exact?

M. Campbell : Je dirais que oui. Ces quatre problèmes structurels que nous avons relevés doivent être considérés de concert.

L'honorable sénateur a tout à fait raison de dire que nous ne préconisons pas l'adoption de lois pour le simple plaisir de la chose. Si le gouvernement compte légiférer dans des secteurs touchant les Premières nations, l'histoire nous a certes démontré qu'il devait procéder de manière prudente et réfléchie, et travailler en collaboration avec les Premières nations. Il faut que celles-ci considèrent les lois envisagées comme utiles, bénéfiques et pratiques.

Lorsque nous prenons un peu de recul face à nos vérifications, nous nous demandons ce que font les autres. Il va de soi que des provinces comme l'Ontario, le Québec ou l'Alberta, ou n'importe quelle autre d'ailleurs, ne pourraient pas avoir de système d'éducation sans une loi en la matière. Il en va de même pour la santé. C'est la façon de faire les choses. Comment l'eau potable est-elle réglementée à Ottawa? Nous avons des lois et des normes. Nous avons des règlements et des gens qui en assurent l'application. S'il y a un avis d'ébullition d'eau pour le centre-ville d'Ottawa, il fera la une des journaux. C'est pourtant une situation courante dans les collectivités autochtones. On n'adopte donc pas des lois uniquement par principe; on veut qu'elles servent de fondement pour la conception des programmes.

Le sénateur Ataullahjan : Votre vérification porte principalement sur les programmes destinés aux Premières nations dans les réserves. Nous avons toutefois appris que les Autochtones sont nombreux à quitter les réserves, surtout à destination des villes. Votre bureau s'est-il penché sur les grands enjeux touchant ces Autochtones vivant à l'extérieur des réserves, principalement en milieu urbain?

M. Campbell : Non, les audits du vérificateur général du Canada portent sur le gouvernement fédéral. Les gens qui quittent les réserves pour aller vivre dans une ville ont souvent accès à des programmes conçus et administrés par la province. Nous ne nous sommes donc pas intéressés à ces questions au cours des dernières années.

Le sénateur Ataullahjan : Vous avez relevé plusieurs problèmes que vivent les Autochtones dans les réserves dont, par exemple, l'écart de scolarisation, le manque d'eau potable et la pénurie de logements salubres. Pour aider notre comité à mieux planifier ses prochaines études, pourriez-vous nous indiquer si certains problèmes sont plus criants que d'autres?

M. Campbell : C'est une bonne question.

Le président : Je ne pensais jamais vous voir ainsi obligé de marquer une pause, monsieur Campbell.

M. Campbell : Vous ne cessez d'inviter de nouveaux sénateurs, monsieur le président.

C'est la grande question. Je pense qu'il faudrait cibler ces obstacles que nous avons relevés. C'est ce que je recommande vivement. J'ai comparu à plusieurs reprises devant le comité et j'ai passé la dernière décennie à mener des vérifications dans ce secteur. Nous avons vérifié chacun de ces programmes et demandé au gouvernement d'apporter des correctifs toutes les fois que cela s'imposait. Je crois maintenant, et c'est aussi l'avis de notre bureau, que nous obtiendrons toujours les mêmes résultats si nous continuons simplement à faire la même chose.

C'est en fait aux quatre obstacles structurels qu'il convient de s'attaquer. Plutôt que de cibler uniquement la question du logement, vous devez vous intéresser aux lois, au financement obligatoire et aux organismes de soutien secondaire et tertiaire. Ce sont les éléments dont nous bénéficions tous au quotidien lorsque nos enfants vont à l'école ou que nous devons nous rendre à l'hôpital ou dans une clinique, par exemple. C'est sur ces aspects que nous souhaitons encourager politiciens et décideurs à concentrer leurs efforts pour trouver des solutions novatrices afin de faire avancer les choses. Dans notre rôle de vérificateurs, nous avons fait tout ce que nous pouvions. C'est le résultat de dix années de travail, et nous vous disons essentiellement que l'approche actuelle ne mène nulle part. C'est une excellente question, mais je dirais simplement qu'il faut cibler ces quatre secteurs. Si l'on accorde la priorité à l'un d'entre eux au détriment des autres, on fera fort probablement fausse route. Ils sont interreliés.

Le sénateur Raine : Je conviens avec vous que notre mode actuel de prestation des services aux Premières nations ne produit pas les résultats voulus. Le plus triste, compte tenu de la croissance démographique chez les jeunes, c'est de devoir reconnaître que, sans éducation et privés des outils nécessaires, ils sont condamnés à vivre la même situation que ceux qui les ont précédés. C'est la raison pour laquelle nous étions très à l'aise de recommander des changements importants en matière d'éducation.

Pour ce qui est des autres aspects, je m'intéresse au manque de clarté quant aux niveaux de service. Quand les premiers traités ont été signés, on avait affaire à une population très rurale qui s'attendait à être prise en charge. En rétrospective, je pense que l'on peut affirmer que bien des gens sont d'avis que les personnes ainsi prises en charge se voient amputées de leur capacité de se prendre elles-mêmes en main. C'est un constat assorti de bien des corollaires.

Je sais qu'il y a au Canada des entreprises capables de fabriquer et de livrer partout dans le monde des logements d'urgence. Nous avons d'excellentes entreprises qui peuvent ainsi exporter leurs produits dans des pays vivant des situations de crise. Je me dis sans cesse qu'il nous faudrait vraiment prendre un peu de recul et nous demander quel type de logement nous allons fournir dans les régions vraiment éloignées. Devrait-on se limiter à des abris très rudimentaires, mais offrir aux gens des allocations de logement pour ceux qui veulent aller ailleurs pour travailler ou poursuivre des études? Compte tenu des droits spéciaux dont bénéficient les Premières nations, il s'agirait pour ainsi dire d'un programme d'aide facilitant la mobilité.

Si on mettait en œuvre de telles mesures, serait-il possible de créer une instance chargée d'en faire le suivi? Peut-être pourrait-on le faire dans le cadre d'un projet pilote. Plutôt que d'obliger les gens à rester là où ils sont, il serait peut-être bon de songer à les responsabiliser individuellement pour qu'ils se demandent ce qu'ils veulent faire et où ils souhaitent habiter. Avez-vous déjà songé à une solution semblable, ou est-ce que cela serait chose possible?

M. Campbell : Voilà une autre question difficile. Il s'agit vraiment de considérations d'ordre stratégique. Pour savoir si cela pourrait fonctionner ou non, il faudrait étudier la question et en discuter en profondeur avec les Premières nations. Les traités que vous évoquez ont été signés entre les Premières nations et la Couronne, et voilà qu'on semble explorer maintenant une forme différente de relations et des interventions ciblant davantage les individus que l'ensemble des Autochtones. Cela devient fort complexe.

J'ai l'impression que la solution ne sera pas évidente. Ce ne sera pas une idée qui obtiendra l'assentiment immédiat de tous, car si la solution était aussi facile, on l'aurait trouvée depuis longtemps. Si les solutions stratégiques proposées semblent causer des difficultés à certaines des parties en cause, je préconiserais un dialogue avec les Premières nations. Il faut aller au fond des choses pour que les Autochtones voient bien que la solution est bénéfique pour eux et que ce n'est pas une mesure qu'on leur impose. Certains voudront revenir en arrière en invoquant les traités.

Le sénateur Raine : Le chef d'une Première nation m'a déjà dit dans toute sa sagesse que les réserves sont à la fois une prison et une forteresse. Elles vous protègent en vous évitant d'avoir à composer avec certaines choses mais, en revanche, elles vous empêchent également en quelque sorte d'avancer.

J'ose espérer qu'en offrant aux Autochtones une meilleure éducation et une plus grande mobilité dans la poursuite de leurs rêves, nous cesserons de les entraver ainsi. Il y aurait donc tout lieu d'explorer un mécanisme en ce sens.

Avez-vous eu l'occasion de prendre connaissance des recommandations que nous avons formulées dans notre rapport rendu public la semaine dernière?

M. Campbell : Je suis heureux que vous me posiez la question. Je l'ai fait et je me suis dit que votre comité mérite nos félicitations pour ce travail extrêmement réfléchi et approfondi. Je me suis ensuite rendu compte que mon appréciation de votre travail était en partie attribuable à ses similitudes avec le nôtre. Je l'ai examiné à nouveau hier soir et je crois que vous avez vraiment frappé dans le mille.

Le sénateur Raine : Dans notre rapport, nous reconnaissons que toutes les Premières nations au pays sont différentes et que certaines offrent déjà des services de second niveau qui atteignent, dans certains cas, un très bon degré d'efficacité.

Vous avez parlé des organisations qui appuient la prestation des services à l'échelle locale. Il va de soi que toutes les ressources que nos gouvernements peuvent mettre à contribution leur viennent des contribuables ou de l'exploitation de nos richesses naturelles. Les services sont généralement offerts par les provinces et certaines Premières nations sont extrêmement hésitantes à traiter avec les provinces. Dans quelle mesure estimez-vous important de briser cette réticence et de veiller à ce que les services offerts localement ne fassent pas double emploi avec les structures provinciales et régionales en place?

M. Campbell : Encore là, c'est un chemin parsemé d'embûches. Il va de soi qu'il y a plusieurs parties en cause avec bien des points de vue différents. Je suis persuadé que les gouvernements provinciaux s'inquiètent des risques de délestage par le gouvernement fédéral. Je peux vous assurer également que des Premières nations nous ont déjà fait part de leurs inquiétudes quant à cette impression qu'on les laisse se débrouiller par elles-mêmes.

Si on considère les services que le gouvernement fédéral doit offrir aux Premières nations en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés, on constate qu'ils s'apparentent dans bien des cas à ceux des provinces. Par exemple, ce sont des organisations provinciales qui possèdent l'expertise et assument les responsabilités relatives aux services à l'enfance et à la famille. On pourrait en dire autant de l'éducation et de la santé. Certaines des ententes tripartites conclues ont été très bénéfiques et nous avons pu constater les changements apportés aux services à l'enfance et à la famille à la suite de la négociation de ces accords entre les Premières nations, le gouvernement fédéral et les provinces. Il faut simplement bien s'assurer de procéder d'une manière qui convient aux Premières nations en leur montrant qu'on ne leur impose rien et qu'elles bénéficieront des mesures proposées.

Le sénateur Raine : Il y a une énorme différence entre les collectivités éloignées et celles qui sont plus rapprochées. Chez moi, à Kamloops, la ville offre de nombreux services différents sur la réserve. Comme c'est en vertu d'une entente négociée, cela ne se fait pas sur le dos des contribuables de la ville. C'est le gouvernement fédéral qui finance ces services par le truchement de ses programmes destinés aux Premières nations, mais le tout se fait avec efficience et tout le monde en profite.

Le sénateur Demers : La semaine dernière, le sénateur St. Germain a tenu une conférence de presse accompagné de certains membres du comité. Grâce à cette intervention bien préparée avec le sénateur Dyck, je crois qu'il a été en mesure de donner de l'espoir à ces gens, la chose la plus importante.

Des situations comme celle d'Attawapiskat ne devraient jamais se produire. Compte tenu de ce qu'on me dit et de l'image qu'on nous présente, j'ai du mal à comprendre que de telles choses puissent arriver malgré tout l'argent qu'on donne pour les éviter.

Il y a certains éléments que vous avez mentionnés et certains que le sénateur Meredith a soulignés. On a besoin d'une structure, d'un mécanisme de responsabilisation, de leadership et de quelqu'un qui prend les choses en main. Nous parlons d'éducation et des sommes à investir, mais la nécessité de prendre la situation en main demeure. Depuis que je suis sénateur, nous ne faisons que patiner en rond, plutôt que d'aller droit au but.

J'entends toutes ces choses très déconcertantes au sujet de la reddition de comptes et de l'absence de structure et de leadership. On doit bien pouvoir trouver un tel leadership quelque part. Nous avons rencontré des Autochtones qui semblaient être de bons leaders. Est-ce que vous pouvez m'aider à voir un peu plus clair dans tout cela?

M. Campbell : Je veux d'abord apporter une précision. Dans le cadre de notre travail, nous ne nous sommes pas rendus à Attawapiskat, ce qui fait qu'aucun de mes commentaires ne portera sur cette situation particulière.

Au fil de nos vérifications, et j'inviterais M. Berthelette à compléter au besoin, nous avons certes pu constater que de nombreuses collectivités des Premières nations connaissent des difficultés. Je suis originaire d'un petit village d'Écosse où tout le monde se connaît. Je vous prie de me croire que le dernier poste que j'aurais voulu occuper est celui de policier, car les gens entretiennent des rancunes qui perdurent pendant des siècles.

Je n'arrive pas à m'imaginer ce que peut vivre un chef ou un représentant élu dans l'une de ces nombreuses collectivités autochtones où il n'y a pas assez de logement pour tout le monde. Je me vois mal répondre à tous ces appels et recevoir toutes ces visites de personnes qui me demandent une aide que je suis incapable de leur fournir. Quelle situation accablante! Le leader qui doit répondre à toutes ces personnes n'est aucunement responsable des budgets qui ont été alloués.

Alors, quand on lui demande pourquoi il n'y a pas plus d'argent pour le logement ou pourquoi on ne peut pas construire davantage de maisons, le chef politique en place n'est pas en mesure de donner des réponses. Il peut simplement faire de son mieux pour aider sa collectivité. C'est un emploi dont je ne voudrais jamais. Je compatis de tout cœur avec ces gens qui mettent tout en œuvre pour aider leurs concitoyens. Ce n'est pas une mince tâche.

Le sénateur Meredith : Vous avez parlé du cadre législatif qu'il faut mettre en place, et vous avez indiqué qu'il ne fallait pas adopter des lois uniquement pour le principe. Nous voyons toutefois ces organisations dont les investissements sont assortis de conditions de rendement, d'obligation de résultats.

Vous indiquez dans votre rapport que le gouvernement s'est toujours présenté comme un pourvoyeur de fonds, d'abord et avant tout, plutôt que comme un prestataire de services. Croyez-vous que le moment est venu d'assujettir le financement offert à l'atteinte de résultats concrets dans ces réserves?

Pour avoir parlé à certains dirigeants locaux concernant la reddition de comptes à l'égard des sommes reçues, je sais que les structures administratives de certaines réserves sont très lourdes, ce qui absorbe une partie du financement qui pourrait aller à l'offre de services. Pourriez-vous nous en dire plus long à ce sujet?

M. Campbell : Je ne peux me prononcer sur la structure administrative des organisations des Premières nations, parce que ce n'est pas quelque chose que nous vérifions. Il faut évidemment concentrer nos efforts sur les résultats. Je crois que les accords de contribution conclus entre les bureaucrates fédéraux et ceux des Premières nations permettent de faire deux choses : mettre l'accent sur les activités et mettre l'accent sur la responsabilisation des échanges entre ces deux groupes de bureaucrates.

J'ose espérer que combiner un cadre législatif, du financement prescrit par la loi et des niveaux de service définis permettrait entre autres d'assurer une responsabilisation beaucoup plus claire. Une des premières choses à faire est de définir clairement les niveaux de service.

Si on pense aux services à l'enfance et à la famille, par exemple, le programme qui était offert dans les provinces était bien différent de celui conçu et financé par Affaires indiennes et du Nord à l'époque. L'accent était mis sur l'intervention plutôt que sur la prévention. Je ne crois pas qu'on puisse jeter le blâme sur le conseil de bande ni sur le chef. C'est ainsi que le programme avait été conçu.

Si on veut mettre l'accent sur les résultats et déterminer quelles sont les meilleures avenues pour ces enfants, il faut d'abord apprendre de l'expérience des provinces. On voit ce qui est en train de se passer; les programmes du gouvernement fédéral ont changé et le financement est davantage consacré à la prévention. On commence à parler de résultats et des effets attendus.

Je suis d'avis que la discussion doit continuer en ce sens.

Le sénateur Meredith : Ma dernière question porte sur le développement économique. Étant moi-même entrepreneur, je dirige en effet une entreprise depuis plus de 20 ans maintenant, j'ai pu constater qu'il fallait faire preuve de plus d'audace dans ce domaine. J'ai bien aimé vous entendre dire qu'il fallait sortir des sentiers battus. Je crois qu'il est temps de retourner à la table à dessin et de tout reprendre du début, parce que cela n'a pas fonctionné.

La vie de ces gens est en jeu. Ce sont des Canadiens. Notre comité a réellement à cœur de changer l'existence des membres des Premières nations. Le temps est venu d'agir; c'est maintenant qu'il faut faire bouger les choses.

Ces gens, surtout les jeunes, ont la possibilité d'améliorer leur qualité de vie en acquérant des compétences en gestion d'entreprise et en devenant un chef de file du développement économique. J'aimerais avoir vos commentaires là-dessus.

Peut-être que M. Berthelette ou M. Barrett pourrait nous dire ce qui se doit se passer pour que ces jeunes finissent par voir la lumière au bout du tunnel?

Jerome Berthelette, vérificateur général adjoint, Bureau du vérificateur général du Canada : Nous avons étudié un peu le développement économique dans les réserves il y a quelques années. Nous avons constaté que le développement économique était essentiel à l'amélioration des conditions économiques et sociales dans les réserves.

Il est évident que des obstacles structurels freinent le développement économique dans les réserves, notamment en ce qui a trait à l'éducation et à la formation. Pour pouvoir profiter des différentes occasions qui s'offrent à eux, les gens doivent avoir les études et la formation nécessaires, mais l'enseignement fourni ne permet pas d'acquérir les compétences voulues. Les programmes de formation doivent aussi être adaptés au développement économique de la collectivité. Souvent, il n'y a pas de lien direct entre la formation donnée et les possibilités économiques offertes.

Il y a un deuxième aspect à considérer, soit les possibilités qu'offre le développement économique qui a cours à proximité des réserves. Les régions du Nord de nos provinces connaissent une période importante de développement économique, et les Premières nations veulent y prendre part.

Nous avons parlé à des chefs qui ont exprimé un vif intérêt à cet égard, mais ils veulent que les choses se fassent de manière à aider les collectivités. Ils veulent être certains que des processus environnementaux sont mis place pour protéger leur milieu et leurs territoires traditionnels. Ils veulent aussi s'assurer de conclure des ententes avec les entreprises responsables des développements, celles qui construisent des mines pour extraire les ressources. Ils veulent établir des liens avec elles.

Je pense que les Premières nations, les entreprises et les gouvernements fédéral et provinciaux doivent s'asseoir et discuter de la forme que devrait prendre cette relation, de même que de la façon d'intégrer les dirigeants et les membres des Premières nations au développement économique.

Trop souvent, les chefs nous ont dit avoir l'impression d'être mis à l'écart du processus, et qu'ils doivent insister pour qu'on leur ouvre la porte. Ce n'est pas ainsi que les choses devraient se passer. Je pense que mettre en place un processus qui rapprocherait toutes les parties concernées serait un bon point de départ pour stimuler le développement économique, afin d'offrir aux membres des Premières nations les emplois qu'ils recherchent.

Le sénateur Meredith : On nous a dit que si on favoriserait le développement économique dans les réserves, on pourrait générer quelque 10 milliards de dollars par année en Colombie-Britannique seulement. J'ai toutefois l'impression que les administrations autochtones ne reçoivent pas leur juste part du gâteau quand on exploite ces ressources. Autrement dit, leur part de revenus n'est pas très élevée. On est loin d'un rapport de 60-40 ou de quelque chose qui leur permettrait de moins dépendre des fonds gouvernementaux. Il faudrait qu'elles puissent tirer profit des ressources que les mines et les autres entreprises viennent chercher dans les réserves. J'aimerais avoir vos commentaires à ce sujet.

M. Berthelette : Les chefs nous ont dit que c'était parfois le cas; ils n'ont pas l'impression d'être entendus ni d'avoir la possibilité de discuter des répercussions du développement économique. Ils aimeraient pouvoir prendre part au développement et établir des liens avec les entreprises de manière à contribuer à la réussite du projet. Les choses se passent effectivement de cette façon.

Le sénateur Patterson : Les recommandations que vous avez formulées aujourd'hui visent le gouvernement fédéral, et c'est tout à fait à-propos; votre mandat couvre les ministères et les programmes fédéraux. Vous avez fait mention de quatre obstacles qui nécessitent l'intervention du gouvernement fédéral.

Il est facile de critiquer le gouvernement fédéral, et je pense que le ministère des Affaires autochtones et du Développement du Nord est plus souvent qu'à son tour la cible de détracteurs. Un autre chapeau difficile à porter est celui de ministre de ce ministère et de chef local, comme l'a souligné M. Campbell.

Vous avez sans doute mené des vérifications dans des bandes qui étaient sous tutelle et qui éprouveraient des difficultés financières. Nous avons beaucoup parlé au cours des dernières semaines de la mise sous tutelle d'Attawapiskat. Pensez-vous qu'il soit nécessaire d'examiner de près la politique d'intervention financière du ministère et son application dans les collectivités en difficulté? Faudrait-il étudier la façon dont le gouvernement fédéral mesure le rendement et les progrès réalisés dans la prestation des services et des programmes aux Premières nations par les Premières nations? Devons-nous nous interroger sur la pertinence des mécanismes de vérification employés, ce qui nous renvoie à la question des vérifications juricomptables? Et je sais que vos audits ne touchent pas les Premières nations. Comment devrions-nous donner suite aux recommandations de la vérificatrice générale? C'est un sujet délicat, mais est-ce qu'il serait utile d'examiner la question de plus près?

M. Campbell : J'ai quelques commentaires à formuler à ce sujet.

Le sénateur Patterson a d'abord demandé quels changements devraient être apportés au sein des collectivités des Premières nations. Le sénateur a raison, nous ne faisons pas de vérification dans les collectivités des Premières nations.

De toute évidence, notre rapport de vérification indique que les mécanismes en place ne sont pas efficaces. Nous proposons effectivement au gouvernement de modifier cette relation. Dans une telle relation, on ne peut pas demander à une seule des deux parties d'apporter des changements. Nous avons abordé la question dans notre rapport, c'est-à- dire que les Premières nations devront aussi revoir certaines de leurs pratiques et leur façon de les appliquer. J'ai donné comme exemple la législation. Si le Parlement devait adopter une loi, il faudrait nécessairement que les Premières nations soient mises à contribution, de façon à ce que la législation réponde à leurs besoins.

Pour ce qui est de soumettre les collectivités à des vérifications approfondies, je vous suggère, en tout respect, d'inviter des représentants d'Affaires autochtones et Développement du Nord Canada pour en parler, car le ministère fait beaucoup de ces vérifications dont parlait le sénateur. Il serait peut-être bon de commencer par voir ce qui se fait déjà au ministère avant de poursuivre les discussions. Ils ne pourront probablement pas tout divulguer, mais je suis certain que vous pourrez avoir une bonne discussion avec eux à ce sujet.

De plus, nous nous sommes penchés, il y a quelques années, sur la gestion par des tiers. Si vous souhaitez avoir plus de détails là-dessus, M. Berthelette peut vous en parler plus longuement.

Le sénateur Patterson : J'aimerais bien.

M. Berthelette : Je vous renvoie, monsieur le sénateur, à un rapport de vérification déposé en novembre 2003, qui traite du processus de gestion par des tiers. Je peux faire le survol de nos conclusions rapidement avec vous.

Le président : Avez-vous un document à remettre au comité?

M. Berthelette : J'ai le chapitre en question avec moi, mais le document se trouve sur notre site web. Nous pouvons vous envoyer le lien.

Il existe trois niveaux d'intervention. Il y a d'abord l'établissement d'un plan de redressement. Ensuite, la Première nation nomme un cogestionnaire indépendant qui, de concert avec le chef et le conseil, gère le financement. Au dernier niveau d'intervention, on nomme un tiers pour gérer le financement. Notre étude était axée sur la gestion par des tiers.

Nous avons premièrement constaté que l'embauche des tiers administrateurs se faisait par l'entremise d'un accord de contribution, et que leurs honoraires étaient payés à même le fonds de fonctionnement de la réserve. Nous avons noté que l'utilisation des accords de contribution pour embaucher les tiers administrateurs ne permettait pas d'assurer la transparence du processus. Dans la plupart des cas, les fonctionnaires des bureaux régionaux recrutaient les administrateurs en téléphonant à des candidats avec qui ils avaient déjà fait affaires et qui possédaient une certaine expérience dans le domaine. Aucun appel d'offres n'était lancé et aucun critère n'était établi pour la sélection des tiers administrateurs.

Une nouvelle politique sur la sélection de tiers administrateurs a été mise en place. Nous avons examiné quelques- uns des éléments de la politique qui posaient problème. Nous avons constaté que la politique ne prévoyait pas la participation des Premières nations à l'établissement d'une liste de candidats potentiels, non pas à l'embauche d'un tiers administrateur pour une situation précise. Selon cette nouvelle politique, c'est ce qui devait se passer. Nous avons cru qu'il serait bon que les fonctionnaires des bureaux régionaux s'assoient avec les chefs pour procéder ensemble à l'établissement d'une liste de tiers administrateurs.

Nous avons également noté que le rendement des administrateurs n'était pas évalué. Nous nous attendions à un suivi plus serré et à plus de rigueur dans l'évaluation du rendement des tiers administrateurs. Le ministère s'est essentiellement concentré sur la capacité de l'administrateur de réduire la dette. Il n'y avait pas de stratégie de sortie, et le ministère aurait dû voir à ce que le tiers administrateur travaille à forger la capacité de développement de la collectivité. Quand on adopte une stratégie de sortie et que l'objectif est de laisser la Première nation en meilleure condition en ce qui a trait à la gestion des finances, il faut que le tiers administrateur travaille avec la collectivité, y compris le chef et le conseil, pour renforcer cette capacité. Cet aspect n'était pas contrôlé.

Ce sont les principaux points que nous avons relevés en ce qui concerne la gestion par des tiers. L'accent était mis sur la réduction de la dette, pas sur le développement des capacités.

Le sénateur Lovelace Nicholas : D'aussi loin que je me souvienne, la population a toujours demandé aux chefs de rendre des comptes, mais personne ne l'a jamais écoutée. Le ministère des Affaires autochtones et du Développement du Nord s'appelait alors Affaires indiennes. Nous sommes allés manifester devant les bureaux régionaux du ministère. Nous avons fait tout ce que nous pouvions, mais personne ne nous a écoutés. On nous a envoyé paître. Je suis heureux qu'on ait abordé la question de la reddition de comptes.

Le sénateur Meredith : J'ai un commentaire à formuler brièvement et une question à poser M. Berthelette concernant la gestion par des tiers. Depuis le dépôt de ce rapport, savez-vous si la situation s'est améliorée par rapport aux échéances fixées pour la stratégie de sortie des administrateurs externes? Sont-ils là pour trois ou six mois? Est-ce que quelque chose a changé depuis ce rapport?

M. Berthelette : Nous n'avons pas effectué de suivi, alors je ne peux pas répondre à votre question.

Le président : Je remercie MM. Campbell, Berthelette et Barrett pour leur excellente présentation et leurs réponses claires à nos questions.

J'ai une triste nouvelle à vous annoncer. M. Campbell quitte son poste. Je siège au comité depuis environ 19 ans; je vous assure que vous allez nous manquer, Ronnie, si vous me permettez de vous appeler par votre prénom.

M. Campbell : Certainement.

Le président : Vous êtes venu témoigner devant le comité à de nombreuses reprises, et vos présentations, comme vos réponses, ont toujours été excellentes. J'ai cru comprendre que M. Berthelette allait vous remplacer. J'ai hâte de pouvoir travailler avec lui. Continuez votre bon travail, monsieur Campbell, dans vos fonctions futures. Vous avez fait beaucoup pour le Canada, et nous vous en remercions.

Merci pour les bons mots que vous nous avez envoyés à propos de l'étude que nous avons menée récemment sur l'éducation. Je crois sincèrement que c'est encore la chose qui a le plus d'impact sur la population autochtone du Canada.

Chers collègues, nous allons faire une pause de cinq minutes, puis nous poursuivrons la séance à huis clos pour examiner nos travaux futurs.

(La séance se poursuit à huis clos.)


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