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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 13 - Témoignages du 6 mars 2012


OTTAWA, le mardi 6 mars 2012

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, qui a été saisi du projet de loi S-6, Loi concernant l'élection et le mandat des chefs et des conseillers de certaines premières nations et la composition de leurs conseils respectifs, se réunit aujourd'hui, à 10 h 25, pour examiner le projet de loi.

Le sénateur Gerry St. Germain (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour. J'aimerais souhaiter la bienvenue à tous les honorables sénateurs et aux membres du public qui regardent cette réunion du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, sur CPAC ou sur le web. Je suis le sénateur St. Germain, de la Colombie-Britannique, et je suis président du comité.

Notre comité a pour mandat d'examiner les projets de loi et les dossiers relatifs aux peuples autochtones du Canada en général. Aujourd'hui, nous allons poursuivre notre examen du projet de loi S-6, Loi concernant l'élection et le mandat des chefs et des conseillers de certaines premières nations et la composition de leurs conseils respectifs.

Nous avons invité des fonctionnaires du ministère des Affaires autochtones et du Développement du Nord, ainsi que du ministère de la Justice, à comparaître encore une fois devant notre comité. Nous voulons en effet obtenir des précisions sur certaines dispositions du projet de loi que certains membres du comité trouvent ambiguës depuis quelques réunions.

[Français]

Avant d'entendre nos témoins, j'aimerais présenter les membres du comité qui sont présents ce matin.

[Traduction]

À partir de ma gauche, vous avez le sénateur Sibbeston, des Territoires du Nord-Ouest, le sénateur Lovelace Nicholas, vice-présidente du comité, qui vient du Nouveau-Brunswick, le sénateur Lillian Dyck, de la Saskatchewan, puis le sénateur Moore, de la Nouvelle-Écosse, et enfin le sénateur Munson, du Nouveau-Brunswick. À partir de ma droite, vous avez le sénateur Vernon White, de l'Ontario, le sénateur Plett, du Manitoba, le sénateur Brazeau, du Québec, le sénateur Nancy Greene Raine, de la Colombie-Britannique, et enfin et surtout, le sénateur Demers, de la province de Québec.

Nous avons maintenant le plaisir d'accueillir, du ministère des Affaires autochtones et du Développement du Nord, Brenda Kustra, directrice générale, Direction de la gouvernance, Secteur des opérations régionales; et Marc Boivin, gestionnaire, Direction de l'établissement de la politique sur la gouvernance. Du ministère de la Justice, nous avons le plaisir d'accueillir Tom Vincent, conseiller juridique.

J'aimerais rappeler aux témoins que la greffière vous a communiqué une liste des questions auxquelles les sénateurs souhaiteraient obtenir des réponses. Je vous invite donc à les leur donner tout de suite, avant de faire votre déclaration liminaire, et vous en remercie vivement au nom du comité.

Sans plus tarder, je vais donner la parole à Mme Kustra.

Brenda Kustra, directrice générale, Direction de la gouvernance, Secteur des opérations régionales, Affaires autochtones et Développement du Nord Canada : Merci, sénateur St. Germain. Je suis heureuse de comparaître à nouveau devant le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, pour répondre à certaines préoccupations soulevées par des témoins que vous avez entendus. Je vous remercie de nous avoir communiqué la liste des questions.

Tout d'abord, il faut corriger la fausse idée selon laquelle le projet de loi S-6 pourrait s'appliquer aux Premières nations autonomes. Cela est absolument faux, et je me fais un plaisir d'en donner la raison.

Le paragraphe qui introduit l'article 3 dispose que « Le Ministre peut... ajouter le nom d'une première nation à l'annexe », et indique les conditions qui s'appliquent. Je porte ensuite à votre attention la définition de « première nation » à l'article 2 du projet de loi, qui est tout à fait claire :

« Bande au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les Indiens. »

En conséquence, seules peuvent être ajoutées à l'annexe les Premières nations qui sont des bandes en vertu de la Loi sur les Indiens. Une Première nation qui devient autonome à la suite d'une entente législative cesse d'être une bande en vertu de la Loi sur les Indiens, donc on ne peut pas l'ajouter à l'annexe sous le régime du projet de loi S- 6. J'espère que l'explication répond clairement à la question.

Le sénateur Moore : Monsieur le président, c'est très important. Puis-je demander au témoin de répéter ce qu'elle vient de dire? Pouvez-vous nous répéter ce que vous venez de dire au sujet de la loi et des articles pertinents?

Mme Kustra : Bien sûr. Le paragraphe qui introduit l'article 3 dispose que « Le Ministre peut... ajouter le nom d'une première nation à l'annexe », et indique les conditions qui s'appliquent.

Je porte ensuite à votre attention la définition de « première nation » à l'article 2 du projet de loi, qui dit que :

« Bande au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les Indiens. »

En conséquence, seules peuvent être ajoutées à l'annexe les Premières nations qui sont des bandes en vertu de la Loi sur les Indiens. Une Première nation qui devient autonome à la suite d'une entente législative cesse d'être une bande en vertu de la Loi sur les Indiens, donc on ne peut pas l'ajouter à l'annexe sous le régime du projet de loi S-6.

Le président : Je vous propose de changer un peu notre façon de procéder, si cela convient aux témoins. Si un sénateur a une question à poser au fur et à mesure de vos explications, je propose qu'il le fasse tout de suite, si tout le monde est d'accord. Normalement, nous écoutons la déclaration du témoin et ensuite nous posons des questions, mais là, je vous propose de poser vos questions au fur et à mesure. C'est une façon de procéder qui sera un peu plus souple.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Puis-je poser une question maintenant?

Le président : À ce sujet?

Le sénateur Lovelace Nicholas : Oui.

Le président : Si elle porte sur le sujet dont nous parlons, ça va.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Oui, c'est le cas.

Je vous remercie de votre déclaration. Je suis un peu perdue. Le ministre peut-il ajouter un nom — nous parlons d'élections, n'est-ce pas? Peut-il ajouter un nom? Non? Bien, merci.

Le président : Continuons.

Le sénateur Dyck : Est-ce que cela exclut également les élections organisées en vertu d'un code coutumier?

Mme Kustra : Non, parce que les communautés qui élisent leurs dirigeants selon un code coutumier sont toujours considérées comme des bandes indiennes au sens de la Loi sur les Indiens.

Le sénateur Dyck : Et celles qui ont un système héréditaire?

Mme Kustra : C'est la même chose pour les communautés qui choisissent leurs dirigeants en vertu d'un système héréditaire, à l'exception de celles qui sont autonomes et qui utilisent le système héréditaire pour choisir leurs dirigeants.

En deuxième lieu, je voudrais commenter les alinéas 3(1)b) et c), pour répondre à la recommandation d'éliminer ces articles, formulée par plus d'un témoin. Voici la justification pour inclure ces dispositions dans le projet de loi.

L'alinéa b) offre un moyen de rétablir la direction d'une communauté dans les cas rares et exceptionnels où la gouvernance s'est complètement dégradée, et où il n'y a eu aucun progrès sur des enjeux importants, pendant une période prolongée.

La Loi sur les Indiens confère actuellement au ministre un pouvoir semblable d'ordonner la tenue d'une élection « selon la présente loi » « lorsqu'il le juge utile à la bonne administration d'une bande ». À la connaissance du ministère, le ministre n'a exercé ce pouvoir dans le but de résoudre une rupture de gouvernance qu'à trois reprises au cours des 10 dernières années. Dans chacun des cas, le ministre a exercé ce pouvoir après avoir fait tous les efforts raisonnables pour en arriver à une résolution communautaire.

Dans les trois cas en question, le ministère a poussé les factions dans les communautés à collaborer sur une résolution qui permettrait l'élection d'un gouvernement jouissant de l'appui de la communauté. On a aussi offert des ressources pour la médiation. Malgré ces tentatives, qui ont duré parfois bien des années, la situation a continué à se dégrader dans la communauté, pour en arriver au point où le seul choix qui restait au ministre était d'ordonner la tenue d'une élection en vertu de la Loi sur les Indiens. Dans chaque cas, on a ainsi permis à la communauté de choisir ses dirigeants selon un système électoral clair. Le gouvernement élu à cette occasion a pu s'occuper des questions importantes.

Si on éliminait l'alinéa 3(1)b) et que la même situation se reproduisait, le ministre pourrait quand même ordonner la tenue d'une élection en vertu de la Loi sur les Indiens. Nous sommes tous d'accord qu'un tel système est beaucoup plus faible que celui prévu dans le projet de loi S-6. On estime qu'une communauté en situation de rupture de gouvernance devrait pouvoir faire appel au meilleur dispositif législatif disponible pour des élections; or, ce dispositif n'est pas la Loi sur les Indiens, mais le projet de loi S-6.

Le projet de loi S-6 stipule que les conditions doivent être « un conflit prolongé lié à la direction de la première nation [qui] a sérieusement compromis la gouvernance »; autrement dit, la portée du pouvoir du ministre est définie plus précisément que dans la Loi sur les Indiens.

Comme je l'ai déjà dit, la Loi sur les Indiens indique simplement que le ministre peut ordonner la tenue d'une élection en vertu de cette Loi s'il « le juge utile à la bonne administration d'une bande », libellé qui est sans nul doute bien plus subjectif que celui du projet de loi S-6.

Des témoins ont affirmé devant le comité qu'une bonne polémique au sein du gouvernement d'une Première nation, semblable aux polémiques que connaissent tous les gouvernements, pourrait être assimilée à « un conflit prolongé lié à la direction de la première nation ». Ce libellé couvre les types de conflits où chacune des factions en concurrence dans la communauté affirme constituer le gouvernement légitime, empêchant ainsi le gouvernement du Canada et les provinces, le secteur privé et les membres mêmes de la communauté, de savoir qui sont les dirigeants légitimes de la Première nation. Dans certains cas, le conflit est résolu de façon rapide par les tribunaux. Quand on parle d'un conflit de gouvernance prolongé, c'est que les parties sont incapables ou ne veulent pas lui trouver une résolution.

Voilà pour mes commentaires sur l'alinéa 3(1)b). Avez-vous d'autres questions avant que je ne passe à l'alinéa 3(1) c)?

Le sénateur Dyck : Vous avez dit que cela ne s'était produit que trois fois. Lorsque cela s'est produit au cours des trois dernières années, est-ce que l'intervention du ministre a vraiment permis d'améliorer la situation? Par exemple, je crois que la situation à Barrier Lake était l'un de ces trois cas. Est-ce que l'intervention du ministre a amélioré les choses?

Mme Kustra : Les trois cas se sont produits, non pas au cours des trois dernières années, mais au cours des 10 dernières années. Autrement dit, le ministre a exercé son pouvoir à trois reprises au cours des 10 dernières années.

Pour ce qui est de la Première nation Dakota Tipi, du Manitoba, il s'agit d'une situation où je dirai que la Première nation « choisissait » ses dirigeants selon un système héréditaire. Il n'y avait jamais eu d'élections dans la communauté. Les dirigeants étaient choisis selon un système héréditaire. La gouvernance de cette communauté s'est détériorée à un point tel que la sécurité des membres était dangereusement compromise. Il y a eu de nombreuses discussions avec le chef héréditaire sur les différentes options possibles pour créer un système codifié de sélection des dirigeants, afin que tous les membres de la communauté comprennent bien comment cela fonctionne. Ils ont même essayé d'élaborer un code à cet effet, mais ça n'a jamais été finalisé. Depuis 2002, date à laquelle elle a été assujettie à la Loi sur les Indiens, la communauté a organisé des élections tous les deux ans. Comme nous le savons tous, il y a toujours des problèmes qui se posent en période d'élections, mais depuis 2002, il n'y a pas eu, à notre connaissance, de problèmes de sécurité dans la communauté, alors que c'était précisément ce type de problème qui avait amené le ministre à prendre sa décision en 2002.

La communauté de Sandy Bay, au Manitoba, a connu de graves problèmes de corruption et de manœuvres frauduleuses lors d'élections organisées selon ses propres règles coutumières. Là encore, après avoir essayé, pendant une période assez longue, d'amener la communauté à faire face aux problèmes et à se doter d'un code électoral communautaire rigoureux, le ministre a finalement pris un arrêté en mars 2003. Et depuis, comme dans le cas précédent, la communauté organise des élections tous les deux ans.

Pour Barrier Lake, dont vous avez parlé, sénateur, le ministre a pris un arrêté en avril 2010, après 15 années ou presque d'efforts pour aider la communauté à régler des conflits de gouvernance. Les factions opposées se sont adressées aux tribunaux pour contester la décision du ministre d'exercer son pouvoir de les assujettir à la Loi sur les Indiens. Ce dossier n'est toujours pas réglé.

Le sénateur Dyck : Vous dites que la communauté de Barrier Lake conteste le ministre devant les tribunaux? Est-ce que ça pourrait aussi se produire avec la disposition du projet de loi S-6? Autrement dit, si le ministre prenait un arrêté pour assujettir une autre Première nation au projet de loi S-6, cette Première nation pourrait-elle le poursuivre devant les tribunaux?

Mme Kustra : De façon générale, les décisions ministérielles peuvent être contestées devant les tribunaux.

Le sénateur Raine : J'allais vous proposer d'ajouter, à l'alinéa b), que le ministre « est convaincu que, dans des circonstances rares et exceptionnelles », mais je constate que ce n'est pas nécessaire puisque c'est déjà le cas. Je suis satisfaite du libellé actuel. Merci.

Le sénateur Sibbeston : Ce qui mérite réflexion, monsieur le président, c'est que l'APN, l'Assemblée des chefs du Manitoba et leurs barreaux ont recommandé la suppression des alinéas b) et c). Un certain nombre de personnes qui connaissent bien la situation pensent qu'il n'est pas approprié que le ministre détienne ce pouvoir. Elles nous proposent donc tout simplement de le supprimer, ou tout au moins de le circonscrire. Avant de prendre sa décision, le ministre continue de chercher une solution démocratique à la situation, d'où la suggestion.

Il faut savoir que les gens, là-bas, ne veulent pas entendre parler du ministre. C'est pour ça que les Premières nations veulent devenir indépendantes, pour ne plus être sous la tutelle du ministre. Ce projet de loi est pourtant fort progressiste, mais il y a une disposition qui permet au ministre d'intervenir dans ce genre de situation. Ne pourrait-on pas imposer certaines limites au pouvoir du ministre? Même en cas de conflit prolongé, si l'on recherche une solution démocratique et si l'on veut éviter une intervention du ministre, ne pourrait-on pas prévoir ici la possibilité qu'une solution communautaire démocratique puisse être trouvée avant que le ministre n'intervienne? C'est ça le fond du problème. Est-ce possible? Y a-t-il une façon de le faire? Vous êtes des fonctionnaires du ministère des Affaires autochtones, par conséquent vous voulez des pouvoirs, et vous voulez que le ministre puisse les exercer afin de pouvoir continuer de se mêler des affaires des Premières nations. Mais nous, de l'autre côté, nous disons : « donnez-leur la liberté ». C'est ce qu'elles veulent, être libres, pour ainsi dire.

Mme Kustra : Je vous remercie de votre question, sénateur Sibbeston. Je crois que lorsque le ministre a comparu devant vous, il vous a indiqué que son objectif était clairement de ne plus avoir à intervenir dans les affaires quotidiennes des communautés des Premières nations, surtout si c'est pour annuler des élections. Je pense qu'il a dit très clairement qu'il ne voulait pas se retrouver dans la situation où il doit annoncer à un chef et à un conseil qu'ils ne sont plus les dirigeants légitimement élus d'une communauté.

Le pouvoir que le projet de loi S-6 confère au ministre est en fait beaucoup plus limité, dans son application, que celui que lui confère la Loi sur les Indiens. Ce n'est pas un nouveau pouvoir pour le ministre. Il s'agit du même pouvoir que celui qui lui est conféré par la Loi sur les Indiens. Au moment de la rédaction de cette disposition, sénateur, on a pensé qu'il était illogique d'intégrer une communauté déjà en proie à des conflits de gouvernance insolvables dans un système qui, nous le reconnaissons tous je pense, est un système électoral inférieur. C'est la raison pour laquelle vous êtes aujourd'hui saisis du projet de loi S-6, parce qu'il prévoit un système électoral beaucoup plus solide et plus rigoureux.

Nous avons estimé que, si le ministre doit exercer ce pouvoir à de rares occasions, il faut que ce soit pour intégrer une communauté en proie à des problèmes de gouvernance dans un dispositif rigoureux, par opposition à ce que j'appellerai la situation chaotique de la Loi sur les Indiens.

S'agissant de l'expression « conflit prolongé lié à la direction de la première nation a sérieusement compromis la gouvernance de celle-ci », je peux vous dire que tous les efforts seront consentis pour que le conflit soit réglé au niveau de la communauté, comme ça a été le cas dans le passé. C'est parce que nous avons réussi à trouver une solution avec un grand nombre de communautés que leur cas ne s'est pas ajouté aux trois cas qui se sont produits au cours des 10 dernières années.

Le sénateur Sibbeston : Ce n'est pas ça le problème. Tout le monde ici appuie le projet de loi S-6, car il donne aux Premières nations un meilleur système électoral. Nous sommes tous en faveur de ça.

Par contre, aux alinéas (3)b) et c), le ministre conserve encore le pouvoir d'intervenir. Comme je l'ai dit, les Premières nations veulent être libres; elles veulent être autonomes; elles veulent être libérées de la tutelle du ministre. Mais vous, de votre côté, vous continuez d'insister pour que le ministre puisse encore exercer son pouvoir. Vous vous confortez dans le rôle du parrain qui va régler les conflits des Premières nations. Nous, ce que nous voulons, c'est que les gens soient libres de décider par eux-mêmes. Même si le conflit se prolonge, laissez-les trouver une solution démocratique, plutôt que de permettre au ministre d'intervenir avec sa massue.

C'est vous qui déciderez de la solution à adopter, pas le ministre. C'est vous qui conseillerez le ministre. Alors, renoncez à votre pouvoir. Laissez les gens trouver démocratiquement une solution à leurs problèmes. C'est ça le fond de la question. Avez-vous quelque chose à nous proposer?

Mme Kustra : Permettez-moi de répéter qu'avant l'intervention du ministre, tous les efforts auront été faits pour trouver une solution démocratique au niveau de la communauté.

Comme je l'ai dit, le ministre conserve le pouvoir que lui confère la Loi sur les Indiens, de sorte que, même si cet article ne figurait pas dans le projet de loi S-6, le ministre aurait quand même le pouvoir, au titre de la Loi sur les Indiens, d'assujettir une Première nation à une loi fédérale si « un conflit prolongé lié à la direction de la première nation a sérieusement compromis la gouvernance de celle-ci ».

Le sénateur Sibbeston : On pourrait peut-être en profiter pour abroger cet article-là aussi, et supprimer complètement le pouvoir d'intervention du ministre dans ce genre de situation.

Le sénateur Brazeau : Vous avez dit que le ministre avait exercé son pouvoir et était intervenu dans les élections d'une bande à trois reprises au cours des 10 dernières années. Pouvez-vous me dire si les bandes en cause avaient organisé leurs élections en vertu de l'article 74 ou en vertu de leur code coutumier?

Mme Kustra : La Première nation Dakota Tipi avait sélectionné ses dirigeants selon un système héréditaire, par conséquent elle n'était pas assujettie à la Loi sur les Indiens. Quant à Barrier Lake, la communauté avait son droit coutumier et n'était donc pas assujettie à l'article 74. Sandy Bay avait aussi élu ses dirigeants en vertu d'un code coutumier communautaire.

Le sénateur Brazeau : Si je pose la question, et vous me corrigerez si je me trompe, c'est parce que j'ai l'impression que les bandes qui organisent leurs élections en vertu de l'article 74 ne connaissent pas beaucoup de problèmes de fraude. En fait, ce sont les bandes qui organisent les élections en vertu de leur code coutumier qui se retrouvent aux prises avec ce genre de problèmes, car il arrive que ce code coutumier ne soit pas écrit et qu'il ne soit pas connu des membres de la communauté. Il arrive aussi que ces codes ne soient pas conformes à la Charte des droits.

Par conséquent, ce projet de loi ne touche pas vraiment les bandes qui organisent leurs élections en vertu d'un code coutumier. Nous essayons d'améliorer les élections qui sont organisées en vertu de l'article 74, mais cela ne touche pas les bandes qui choisissent leurs dirigeants selon un code coutumier, tant qu'elles n'ont pas décidé d'adhérer. Je suppose également que si elles se sont retirées de l'application de l'article 74 pour pouvoir organiser leurs élections selon leur code coutumier, c'est pour ne plus être assujetties aux règles de l'article 74 de la Loi sur les Indiens.

Mme Kustra : Vous avez tout à fait raison, sénateur Brazeau. Cette loi ne s'applique pas aux élections organisées selon un code coutumier communautaire. Ces élections-là continueront de se dérouler comme par le passé.

Vous avez également raison de dire que les communautés qui appliquent actuellement un code coutumier communautaire ont la possibilité d'adhérer à ce projet de loi. Un grand nombre de communautés se sont retirées de l'application de la Loi sur les Indiens pour pouvoir prolonger le mandat de leurs dirigeants, entre autres. Mais comme vous l'avez aussi fait remarquer, elles se sont retirées pour ne plus être sous la tutelle du ministre des Affaires autochtones et du Développement du Nord Canada.

Il y a toutefois eu des cas où des élections organisées en vertu de la Loi sur les Indiens ont dû être annulées pour cause de manœuvres frauduleuses. C'est arrivé, donc ce n'est pas limité aux élections organisées selon un code coutumier.

Le sénateur Brazeau : Pourriez-vous nous donner une idée du nombre d'élections qui ont été annulées? Si vous n'avez pas la réponse, je comprendrai, mais j'aimerais bien savoir.

Pour terminer, rapidement, n'est-il pas vrai que l'article 74 donne plus de pouvoir au ministre pour intervenir dans des élections, même si l'on tient compte du pouvoir que le projet de loi S-6 lui donne pour intervenir dans des élections organisées selon un code coutumier?

Mme Kustra : Je vais demander à M. Boivin s'il sait dans combien de communautés les élections ont été annulées en raison de manœuvres frauduleuses.

Marc Boivin, gestionnaire, Direction de l'établissement de la politique sur la gouvernance, Affaires autochtones et Développement du Nord Canada : Si l'on remonte à 2005 environ, nous avons eu près de 40 annulations d'élections qui avaient été organisées en vertu de la Loi sur les Indiens. Dans à peu près 70 p. 100 des cas, il s'agissait de manœuvres frauduleuses. Dans les autres cas, c'étaient des problèmes techniques. Voilà pour les chiffres.

Mme Kustra : Pour ce qui est du pouvoir du ministre, une fois qu'une Première nation s'est retirée de la Loi sur les Indiens pour appliquer un code communautaire, le ministre n'a pratiquement plus aucun rôle dans le règlement des problèmes associés à des élections organisées en vertu de ce code. Toutefois, comme je l'ai indiqué à propos des trois cas qui se sont présentés, le ministre et le ministère ont déployé tous les efforts nécessaires pour aider la communauté à trouver une solution à ses problèmes, avant que le ministre n'exerce son pouvoir.

Normalement, lorsqu'un conflit surgit dans une communauté qui est en train de choisir ses dirigeants en vertu d'un code coutumier, celle-ci fait appel au mécanisme de règlement des conflits prévu dans le code, sinon elle s'adresse aux tribunaux.

Le sénateur Brazeau : Si je comprends bien, à part le fait de porter le mandat de deux à quatre ans dans le projet de loi S-6, nous ne réglons pas les vrais problèmes? Si les élections organisées en vertu de l'article 74 se déroulent passablement bien et qu'il n'y a pas eu beaucoup de problèmes, j'ai l'impression que nous sommes en train de réparer quelque chose qui n'est pas cassé, et que nous préférons ne pas voir les vrais problèmes qui se posent lorsque les bandes organisent leurs élections en fonction de leur code coutumier.

Mme Kustra : Le projet de loi S-6 comble un certain nombre de lacunes de la Loi sur les Indiens. En plus du mandat de quatre ans, le projet de loi définit l'expression « manœuvres frauduleuses » ainsi que les infractions et les sanctions pertinentes, ce qui est totalement absent de la Loi sur les Indiens.

Le projet de loi prévoit également qu'une personne ne peut être candidat qu'à une seule fonction; autrement dit, vous ne pouvez pas être candidat aux fonctions de chef et de conseiller en même temps.

Il prescrit par ailleurs des règles pour les mises en candidature. Lors de sa comparution devant votre comité, le ministre a dit qu'il arrivait que certaines personnes soient mises en candidature à leur insu, que leur nom figure sur le bulletin de vote et qu'elles soient élues contre leur gré. Certaines de ces situations sont clairement définies dans le projet de loi S-6, dans le but de renforcer le système électoral des communautés des Premières nations.

Le sénateur Brazeau : Ce que je voulais dire, c'est que, étant donné que plus de 50 p. 100 des bandes organisent leurs élections en vertu de leur code coutumier, j'ai nettement l'impression que nous faisons semblant de regarder ailleurs. Même si le projet de loi S-6 est adopté, cela signifiera que nous avons préféré ne pas savoir comment sont organisées les élections dans la majorité des communautés des Premières nations puisqu'elles vont pouvoir continuer comme avant. Le projet de loi S-6 ne les touche pas.

Le président : Puis-je vous demander de répondre brièvement, madame Kustra, car il va falloir que nous passions à l'alinéa 3(1)c)? Au rythme où nous allons, nous n'y arriverons jamais. J'ai les noms des sénateurs Dyck, Moore, Demers et Lovelace Nicholas au sujet de l'alinéa 3(1)b). Il nous faudra peut-être prévoir une autre réunion. Mais si nous voulons en finir aujourd'hui avec ça, nous allons devoir nous limiter. Je vais donner l'exemple et me taire.

Mme Kustra : En quelques mots, le projet de loi S-6 ne touche pas les communautés qui appliquent un code coutumier.

Le président : Sénateur Dyck, soyez brève, s'il vous plaît.

Le sénateur Dyck : Une brève question? C'est pourtant un sujet important.

Le président : Vous pouvez avoir une longue réponse.

Le sénateur Dyck : Nous avons parlé de deux communautés des Premières nations qui appliquent un code coutumier et où le ministre a dû intervenir, mais en fait, il y a peut-être 340 ou 350 Premières nations qui appliquent un code coutumier. Le résultat n'est donc pas si mauvais.

Vous dites dans votre déclaration que, si on supprimait l'alinéa 3(1)b), le ministre aurait toujours le pouvoir d'exiger qu'une élection soit organisée en vertu de la Loi sur les Indiens, c'est-à-dire pour un mandat de deux ans. D'après ce que vous nous avez dit ce matin, il y a deux ou trois communautés qui ont dû organiser leurs élections en vertu de la Loi sur les Indiens en 2002 et en 2003, et, à vous entendre, tout se passe bien. Je ne vois donc pas pourquoi le ministre ne pourrait pas continuer à invoquer son pouvoir pour les assujettir à cette disposition de la Loi sur les Indiens, étant donné que, dans ces conditions, les choses se passent bien. D'autant plus que, en l'état actuel des choses, il suffit d'une résolution du conseil de bande de la Première nation pour que celle-ci adhère au projet de loi S-6. Si elle veut adhérer au projet de loi S-6, ce n'est pas la mer à boire, il suffit qu'elle en prenne la décision. J'essaie de me mettre à la place de la Première nation qui a des problèmes, et je me dis que si je suis assujettie à la Loi sur les Indiens et que je veux passer à un mandat de quatre ans au lieu de deux, il suffit que le chef et le conseil adoptent une RCB. Dans ce cas, pourquoi le ministre devrait-il intervenir et se mettre à dos la Première nation parce qu'il ne l'a pas laissée prendre ses propres décisions?

Mme Kustra : Je vous dirai tout simplement que, lorsqu'il y a un grave conflit de gouvernance au sein de la communauté, il y a très peu de chances que les différentes factions en présence arrivent à s'entendre sur quoi que ce soit, encore moins sur une RCB, c'est-à-dire un instrument qui permettra au ministre de procéder au changement.

Le président : Qu'entendez-vous par RCB?

Mme Kustra : Une résolution du conseil de bande.

Le sénateur Dyck : Par ailleurs, si la communauté fonctionne bien avec un mandat de deux ans, je ne vois pas pourquoi on voudrait la faire passer à un mandat de quatre ans. Je ne comprends pas.

Le président : Je crois que Mme Kustra a déjà répondu à cette question. Avez-vous d'autres informations à nous donner?

Mme Kustra : Non, je ne pense pas.

Le président : Sénateur Dyck, vous avez terminé?

Le sénateur Dyck : Oui.

Le sénateur Moore : Je remercie les témoins de comparaître devant notre comité. Je souhaite revenir sur la question posée par le sénateur Sibbeston, et voir s'il n'y aurait pas un autre moyen de régler les conflits. La semaine dernière, le grand chef Derek Nepinak, de l'Assemblée des chefs du Manitoba, nous a dit qu'il serait préférable de confier à une agence électorale ou un tribunal des Premières nations le soin de régler ce genre de conflit ou d'entendre les appels interjetés. Ça me paraît tout à fait raisonnable. Le ministre n'aurait plus de rôle à jouer, ce qui devrait satisfaire le sénateur Sibbeston et les représentants des Premières nations. Avez-vous réfléchi à cette proposition? Qu'en avez-vous conclu?

me Kustra : Nous avons songé à créer une commission électorale ou un tribunal au moment de la rédaction du projet de loi, mais il faut savoir qu'une enquête ou « décision » d'une commission peut toujours faire l'objet d'appels auprès des tribunaux. Autrement dit, ce genre de commission n'a pas le pouvoir décisif d'annuler une élection, en cas de manœuvres frauduleuses. Elle pourrait certes faire une enquête, mais la proclamation définitive de l'annulation de l'élection appartiendrait toujours aux tribunaux.

Le sénateur Moore : C'est la même chose pour des élections non autochtones.

Mme Kustra : C'est exact.

Le sénateur Moore : Alors pourquoi les traiter différemment? Pourquoi ne pas leur donner les mêmes recours?

Mme Kustra : Il s'agit en fait de demander directement aux tribunaux, plutôt que de passer par un intermédiaire, d'examiner les appels interjetés et de rendre des décisions sur des élections organisées en vertu du projet de loi S-6.

Le sénateur Moore : Cette réponse ne me satisfait pas.

Le sénateur Sibbeston : Nous avons déjà eu cette discussion l'autre soir, au sujet des tribunaux et des commissions. On nous dit qu'il est inutile de créer un tribunal spécial puisque, de toute façon, ses décisions seront soumises à un autre tribunal. C'est un pur mensonge. Les tribunaux sont un mécanisme efficace. En fait, vous avez créé, en vertu de la loi, la commission de la fiscalité et la commission de la gestion des terres des Premières nations, ainsi que des tribunaux pour les revendications particulières. Par conséquent, quand vous prétendez que ces organismes ne servent à rien parce que, de toute façon, ça finit devant les tribunaux, c'est tout à fait faux. C'est un pur mensonge.

Le président : J'invite les membres du comité à être plus mesurés dans le choix de leurs termes.

Le sénateur Sibbeston : Les tribunaux servent à quelque chose. On peut les contester sur des questions de compétence et de procédure, entre autres, mais pour ce qui est de la décision en soi, elle tient. Quand vous nous dites que vous rejetez cette option parce que l'affaire se retrouve de toute façon devant les tribunaux, je ne pense pas que ce soit une bonne façon de décrire cette option car elle fonctionne. Partout au Canada, nous avons des tribunaux et des commissions qui fonctionnent.

Mme Kustra : Permettez-moi de vous dire quelques mots au sujet d'une commission. Il y a plusieurs façons de voir les choses.

Le projet de loi S-6 définit les infractions et les sanctions, car c'est surtout à ce niveau-là que des appels sont interjetés suite à des élections. Pour pouvoir interjeter appel, il faut avoir des preuves, par exemple sur des manœuvres frauduleuses ou autres. S'il y a eu des manœuvres frauduleuses, c'est le tribunal qui doit rendre une décision en conséquence, conformément à la loi et aux dispositions de ce projet de loi.

J'invite également le sénateur à tenir compte du fait que ce projet de loi est facultatif. Autrement dit, nous ne savons pas combien de Premières nations vont y adhérer. Il pourrait y en avoir 20, 30 ou 200. Nous ne le savons pas vraiment. Au moment de la mise en œuvre de la loi, il faudrait alors envisager de créer une commission ou un tribunal sans savoir combien de Premières nations vont y adhérer, tout au moins au tout début.

Comme les élections n'auront lieu que tous les quatre ans, elles ne pourront faire l'objet d'appels que tous les quatre ans. C'est aussi un élément dont il faut tenir compte si on veut mettre en place un organisme qui s'occupera des infractions, des sanctions et des contestations de la loi.

Le sénateur Dyck : Je vais poursuivre sur le même sujet. Dans votre déclaration, vous avez dit que, chaque fois que le ministre était intervenu au cours des 10 dernières années, il avait fait tous les efforts possibles pour en arriver à « une résolution communautaire » et pour que les communautés s'entendent sur une résolution. Il me semble que, pour y parvenir, il serait souhaitable d'établir un processus d'appels au sein de la communauté. Le ministre dit qu'il veut que la communauté trouve elle-même une solution, mais vous, vous dites que vous ne voulez pas d'un processus d'appels parce que, de toute façon, ça finit devant les tribunaux. J'ai l'impression qu'à partir des mêmes données, on en arrive à deux visions complètement différentes.

Mme Kustra : Il faut bien comprendre que ce sont des processus différents. D'un côté, il y a le processus prévu par le projet de loi S-6. D'un autre côté, il y a, selon les codes communautaires, des processus communautaires locaux dont les communautés se sont dotées pour régler les problèmes liés à leur système électoral coutumier. Il n'y a pas qu'un seul système pour tout le monde. Comme l'a dit le sénateur Brazeau, il se peut qu'il existe 300 systèmes communautaires différents. Les mécanismes de règlement locaux qui ont été établis sont propres à chaque communauté.

Le président : Mais notre projet de loi va devenir une mesure financière si nous décidons de créer un tribunal ou une commission?

Mme Kustra : Que je sache, la création d'un organisme dans le cadre de ce projet de loi nécessite des ressources. Mais pour ce qui est de la question plus technique que vous m'avez posée, je ne suis pas qualifiée pour vous répondre.

Le président : Je vais donner la parole à deux autres sénateurs, et ensuite nous passerons à l'alinéa 3(1)c), si nous en avons le temps. Nous verrons bien.

Le sénateur Demers : Je ne voudrais surtout pas créer d'animosité, mais j'aimerais bien avoir une réponse à cette question.

Avec tout le respect que je vous dois, sénateur Sibbeston, ce que vous proposez, c'est l'élimination du ministre. Depuis deux ans et demi que je suis ici, j'ai entendu des représentants des Premières nations qui ont beaucoup parlé de responsabilité. N'est-ce pas le rôle du ministre, de par sa responsabilité, de collaborer avec ces gens-là pour trouver un compromis de façon démocratique? N'est-ce pas le rôle du ministre de s'assurer qu'il n'y a pas d'irrégularités, ou quel que soit le terme que vous employez? N'est-il pas nécessaire que le ministre joue ce rôle?

Mme Kustra : Je vous remercie de votre question, sénateur Demers. Effectivement, le ministre et le ministère ne ménagent aucun effort pour que ce genre de conflit soit réglé au niveau local, avant que le ministre ne décide d'exercer son pouvoir et de modifier radicalement le système électoral.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Si un chef et un conseil de bande sont reconnus coupables de manœuvres frauduleuses, peuvent-ils se représenter à des élections aux termes de ce projet de loi?

M. Boivin : Le projet de loi S-6 prévoit, pour certaines infractions, une période d'inéligibilité automatique de cinq ans. Par exemple, si un candidat est trouvé coupable d'avoir acheté des bulletins de vote postaux, qu'il soit chef ou conseiller, il est automatiquement déclaré inéligible pendant une période de cinq ans.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Si une communauté s'adresse à un tribunal parce qu'elle n'est pas satisfaite de la façon dont le ministre est intervenu, est-ce que ça lui coûte beaucoup d'argent?

M. Boivin : Pour ce qui est des infractions prévues dans le projet de loi, c'est la Couronne qui engage des poursuites puisqu'il s'agit alors d'un problème d'application de la loi. Un simple particulier n'a pas à intenter de poursuites en vertu des dispositions sur les infractions et les sanctions.

Le président : Je crois qu'il y a encore des questions qui se posent en ce qui concerne la possibilité de créer un tribunal. Si aucune communauté ne décide d'adhérer au projet de loi S-6, on aura créé une commission qui n'aura rien à faire. C'est une dimension à prendre en considération.

Madame Kustra, pouvons-nous passer à l'alinéa 3(1)c)?

Mme Kustra : Le pouvoir conféré au ministre par l'alinéa 3(1)c) s'applique aux Premières nations qui tiennent déjà des élections en vertu de la Loi sur les Indiens, et uniquement si leurs élections sont rejetées pour manœuvres frauduleuses. Si les élections d'une Première nation ont été entachées par des manœuvres frauduleuses, il est parfaitement logique de doter cette Première nation d'un système électoral où de telles manœuvres donnent lieu à des poursuites et des sanctions, car cela peut avoir un effet dissuasif.

Le président : Avez-vous des questions ou des observations?

Le sénateur Dyck : Si une Première nation a été victime de manœuvres frauduleuses et que les auteurs présumés sont traînés devant les tribunaux, quelles sont les sanctions possibles? Sont-elles similaires à celles-ci, ou plus lourdes?

M. Boivin : Les dispositions du projet de loi S-6 qui portent sur les infractions et les sanctions s'inspirent beaucoup de celles de la Loi électorale du Canada. Sans entrer dans les détails, je peux vous dire qu'il y a deux niveaux d'infractions : la mise en accusation et la procédure sommaire. Dans certains cas, c'est la Couronne qui décide du type de poursuites. Pour la mise en accusation, l'emprisonnement maximal est de 5 ans et l'amende maximale, de 5 000 $. Pour la procédure sommaire, l'emprisonnement maximal est de 2 ans, et l'amende maximale, de 1 000 $, si je me souviens bien.

Le sénateur Dyck : Les sanctions sont donc assez similaires.

M. Boivin : Oui. Certaines infractions correspondent exactement à celles qui sont prévues dans la Loi électorale du Canada, et leurs auteurs sont passibles des mêmes sanctions. D'autres infractions ont été modifiées légèrement pour les adapter au contexte des Premières nations. Lorsque nous avons rédigé le projet de loi, nous avons veillé à ce qu'une infraction prévue dans la Loi électorale du Canada corresponde à une sanction comparable dans le projet de loi S-6.

Le sénateur Dyck : Je ne comprends pas pourquoi le projet de loi S-6 aurait un effet dissuasif plus grand puisque les sanctions qu'il prévoit sont similaires à celles du code coutumier et de la Loi sur les Indiens.

M. Boivin : La Loi sur les Indiens ne prévoit pas de sanctions. Bien sûr, Mme Kustra a parlé des codes coutumiers.

Le sénateur Dyck : Si l'affaire est portée devant les tribunaux, il y a bien des sanctions, quand même? Une Première nation ne peut-elle pas invoquer la Loi sur les Indiens pour traîner un chef ou un conseiller devant le tribunal, pour que celui-ci lui impose des sanctions? Ça doit certainement arriver, sinon, nous ne vivons pas dans une démocratie.

Tom Vincent, conseiller juridique, ministère de la Justice Canada : En fait, les dispositions de la Loi électorale du Canada ne s'appliquent pas aux élections des Premières nations qui sont organisées en vertu d'un code coutumier ou de la Loi sur les Indiens. Il y a peut-être deux ou trois vagues types de fraude qu'on pourrait poursuivre en vertu du Code criminel du Canada, mais il n'y a rien qui porte vraiment sur des infractions électorales.

Le sénateur Dyck : Il doit bien y avoir des sanctions qui sont prévues dans le système judiciaire? Voulez-vous dire qu'il n'y a rien?

M. Vincent : La loi ne prévoit pas d'infractions pour l'achat ou la vente d'un bulletin de vote postal. C'est pour ça que le projet de loi S-6 présente un grand avantage, puisqu'il en prévoit.

Le président : Nous allons maintenant aborder l'article sur la commission ou le tribunal, dont nous avons déjà discuté. Allez-y comme vous voulez maintenant, madame Kustra.

Mme Kustra : Nous avons déjà discuté de ces questions, monsieur le président, et je propose donc de passer à l'article 42, à la question de l'appui que doit rallier une résolution d'adhésion ou de retrait de la loi.

Comme certains témoins l'ont dit au comité, il est vrai que l'obligation faite à une Première nation qui veut se retirer d'obtenir une majorité double à un vote secret constitue un critère plus strict que dans le cas de son vote d'adhésion au projet de loi. Comme le projet de loi S-6 ne modifie pas en profondeur la façon dont une Première nation élit ses dirigeants — ça passe d'une loi fédérale à une autre —, une résolution du conseil de bande est le mécanisme d'adhésion qui convient; il a d'ailleurs reçu l'aval des dirigeants et des communautés des Premières nations.

Le retrait, quant à lui, peut se traduire par un changement radical du système électoral de la Première nation, alors que ce projet de loi ne représente pas un changement radical par rapport au système électoral prévu par la Loi sur les Indiens. Voici des exemples des changements qui sont possibles : l'exigence de qualifications supplémentaires des candidats; la modification du cadre du conseil de bande de manière à prévoir la représentation proportionnelle des familles, clans ou aînés; l'établissement de critères appropriés pour les cas de destitution; et la perte de toutes les garanties de rigueur qu'offre une loi électorale. Comme le système électoral de la communauté risque de changer radicalement, la tenue d'un référendum permet au ministre de s'assurer que la communauté appuie majoritairement son retrait du système électoral prévu par la loi fédérale, pour mettre en œuvre son propre système communautaire.

On entend souvent dire que l'un des points faibles du système électoral, dans la Loi sur les Indiens, est la possibilité d'abuser du système de bulletins de vote postaux. Le projet de loi S-6 aborde le problème sous deux angles. Tout d'abord, les dispositions sur les infractions et les peines prévoient que quiconque achète un bulletin de vote postal est passible d'un emprisonnement maximal de cinq ans, et quiconque le vend peut être condamné à un maximum de deux ans de prison. De plus, les candidats reconnus coupables de certaines infractions ne pourront pas se représenter pendant une période de cinq ans. Cela devrait passablement réduire le nombre de manœuvres frauduleuses.

Le projet de loi S-6 prévoit en outre la rédaction de nouveaux règlements électoraux et, à ce moment-là, nous ne manquerons pas de prévoir de meilleures protections pour la distribution et le renvoi des bulletins de vote postaux. Par exemple, on pourrait réduire considérablement le nombre de bulletins de vote postaux en circulation en n'en envoyant qu'à ceux qui en font la demande.

Nous élaborerons ces règlements en collaboration avec nos partenaires des Premières nations, et nous avons déjà invité le Congrès des chefs des Premières nations de l'Atlantique à se joindre à nous.

Le président : Merci.

Madame Kustra, certains membres du comité s'inquiètent du paternalisme des alinéas 3b) et c). Je pense que tout le monde fait confiance au ministre Duncan lorsqu'il dit qu'il ne les invoquera qu'en de rares occasions. Personnellement, je suis membre de ce comité depuis 19 ans, avec quelques interruptions, et je sais que les gens se préoccupent toujours de l'abus que le ministre peut faire du pouvoir qui lui est conféré. Plusieurs témoins nous ont recommandé de prévoir dans la loi des mandats plus longs et des sanctions plus sévères, ce que fait le projet de loi S-6, mais on sent peut-être encore un certain paternalisme dans les alinéas 3b) et c).

Personnellement, je pense qu'il serait souhaitable pour beaucoup de Premières nations du pays que l'on puisse atténuer ou éliminer le pouvoir discrétionnaire du ministre dans ce projet de loi. Mais c'est vrai, d'un autre côté, que le congrès des chefs de la côte Est est prêt à accepter le projet de loi tel quel, et ils ne sont peut-être pas les seuls.

Nous allons finir d'examiner ce projet de loi le plus rapidement possible. Chers collègues, à notre réunion de demain soir, nous accueillerons le vérificateur général au sujet des ajouts aux réserves, et ensuite nous voterons sur le projet de loi.

Sénateur Brazeau, vous avez une question pour le témoin?

Le sénateur Brazeau : En ce qui concerne l'adhésion d'une communauté à la loi, vous avez dit qu'une résolution du conseil de bande était le meilleur moyen de le faire. Je ne discuterai pas du pour ou du contre de cette affirmation, mais en théorie, une fois que ce projet de loi aura été adopté, un chef et un conseil de bande peuvent adopter une résolution pour augmenter la durée de leur mandat sans même avoir l'appui des membres de la communauté. À mon avis, ce qui est important, c'est de protéger les droits et les intérêts des membres des communautés dans tout le pays.

Les bandes organisent des référendums sur toutes sortes de questions. Personnellement, j'en ai vécu qui portaient sur les revendications territoriales, entre autres, pour s'assurer que les membres de la communauté étaient d'accord.

Ne pensez-vous pas que le meilleur moyen d'éviter des problèmes et des luttes intestines entre les membres d'une communauté ou entre les dirigeants serait d'organiser des référendums à la majorité simple au sujet de l'adhésion de la communauté à cette loi?

Mme Kustra : Le mécanisme d'adhésion a été proposé par le Congrès des chefs des Premières nations de l'Atlantique, car c'était, à leur avis, le plus adéquat. Je pense qu'un grand nombre de chefs et de conseils des Premières nations chercheront à obtenir l'appui de leur communauté avant d'adopter une résolution du conseil de bande.

Peut-être que, pour l'application de la loi, il faudrait que la résolution du conseil de bande soit accompagnée d'une preuve qu'elle est appuyée par la communauté. Je ne parle pas nécessairement d'un référendum, car c'est une autre question, mais lorsqu'ils présenteront au ministre une résolution du conseil de bande, le chef et le conseil voudront peut-être lui démontrer qu'ils ont consulté la communauté.

Le sénateur Brazeau : Le projet de loi S-6 n'exige pas des chefs et des conseils de bande qu'ils obtiennent l'appui de leurs membres. Vous avez également mentionné, au cours de votre déclaration, qu'un grand nombre de chefs et de communautés ont avalisé le projet de loi S-6. Pouvez-vous nous dire combien exactement?

Des témoins nous ont dit que des consultations communautaires avaient eu lieu, mais qu'ils ne savaient pas combien de personnes y avaient participé et combien de réunions avaient eu lieu. J'aimerais bien avoir des chiffres précis pour être sûr que les membres des communautés appuient vraiment ce texte.

Mme Kustra : Pour ce qui est des consultations qui ont eu lieu au Manitoba sous la direction de l'ancien grand chef Ron Evans, les chefs et les communautés ont participé à une discussion sur le contenu d'une future loi. Dans la région de l'Atlantique, le Congrès des chefs des Premières nations de l'Atlantique a fait pas mal d'efforts pour informer toutes les communautés de la région et leur demander leur avis. De plus, le Congrès des chefs des Premières nations de l'Atlantique ainsi que l'Assemblée des chefs du Manitoba ont sillonné le pays, et leurs dirigeants ont participé à diverses tribunes dans plusieurs provinces.

Nous avons une liste des organismes qui ont reçu des mémoires pendant tout le processus de consultation, sénateur. Pour ce qui est du nombre de personnes qui ont participé à ces tribunes, nous n'avons pas compilé de statistiques, pas plus d'ailleurs que les organisations qui organisaient les discussions. Je peux vous dire toutefois que des mémoires ont été adressés à l'Association des femmes autochtones du Canada, les chefs de bande et les directeurs financiers de l'Ontario, les chefs de l'Ontario, le conseil tribal Nuu-Chah-Nulth, en Colombie-Britannique, les négociateurs des traités de la Colombie-Britannique, le Sommet des Premières nations de la Colombie-Britannique, l'Assemblée des chefs des Premières nations signataires des traités 6, 7 et 8 en Alberta, l'Assemblée des Premières nations de la Colombie-Britannique, l'Union des chefs indiens de la Colombie-Britannique, le forum politique de l'Assemblée des Premières nations et l'Association des agents financiers autochtones du Canada. Nous avons aussi la liste des réunions qui ont eu lieu dans la région de l'Atlantique et dans la région du Manitoba.

Le sénateur Brazeau : Je pense que mon temps est bientôt écoulé. Je sais comment ça marche, vous savez. Je sais que ceux qui reçoivent des crédits pour organiser ces réunions d'information ou de discussion devaient faire un rapport à votre ministère. Pouvez-vous me dire avec certitude, car encore une fois, je suppose qu'ils étaient censés vous faire un rapport là-dessus, pouvez-vous m'assurer que les membres des communautés qui ont participé à ces réunions appuient vraiment ce projet de loi, ou bien si vous le tenez de la bouche des chefs et des conseils qui ont participé à ces réunions?

Mme Kustra : Les rapports que nous avons reçus portaient sur les activités précises qui ont été organisées. Dans certains cas, il s'agissait de tribunes qui réunissaient toutes sortes de gens de la communauté.

Le sénateur Brazeau : Je ne voudrais pas vous interrompre, mais vous avez dit tout à l'heure que vous n'aviez aucune idée du nombre de personnes qui avaient vraiment participé à ces réunions. Si nous ne le savons pas, comment pouvons-nous être sûrs que les membres des communautés appuient ce projet de loi?

Mme Kustra : Nous avons reçu des rapports des organisations qui avaient reçu des fonds pour organiser ces consultations dans tout le pays.

Le sénateur Brazeau : Vous ne savez donc pas combien de personnes ont participé à ces réunions et combien appuient le projet de loi?

Mme Kustra : Non, cela ne faisait pas partie des données que nous avons demandées aux organisations de nous fournir quand elles ont reçu des fonds pour organiser ces séances de consultation.

Le président : Honorables sénateurs, nous avons dépassé l'heure.

Les préoccupations qui ont été soulevées ce soir me semblent assez sérieuses pour justifier d'autres discussions. Comme je l'ai dit tout à l'heure, nous le ferons demain soir, si c'est possible.

Pensez-vous que nous devrions demander aux témoins de revenir demain? Je ne dis pas qu'il faut le faire, j'aimerais savoir ce que les membres du comité en pensent.

Tout le monde semble penser que nous avons reçu toutes les réponses nécessaires.

J'aimerais vous remercier, madame Kustra, monsieur Boivin et monsieur Vincent, d'avoir comparu ce matin et d'avoir répondu aux questions des sénateurs. Comme vous avez pu le constater, nous avons encore quelques préoccupations, notamment sur cet aspect du paternalisme, mais nous ferons de notre mieux pour régler tout ça demain soir.

Puisqu'il n'y a pas, pour l'instant, d'autres questions ou observations, je lève la séance jusqu'à demain.

(La séance est levée.)


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