Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones
Fascicule 26 - Témoignages du 7 novembre 2012
OTTAWA, le mercredi 7 novembre 2012
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui, à 19 h 15, afin d'examiner la teneur des éléments de la Section 8 de la Partie 4 du projet de loi C-45, Loi no 2 portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 29 mars 2012 et mettant en œuvre d'autres mesures.
Le sénateur Vernon White (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bienvenue, monsieur le ministre, et bienvenue à vos collaborateurs. Bonsoir. J'aimerais souhaiter la bienvenue à tous les sénateurs, ainsi qu'aux membres du public qui regardent la présente séance du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones sur CPAC ou sur Internet.
Je m'appelle Vern White et je viens de l'Ontario. Je suis aussi le président du comité. Notre comité a pour mandat essentiellement d'étudier la législation et les affaires concernant les peuples autochtones du Canada. Dans le cadre de ce mandat, nous avons reçu un ordre de renvoi nous demandant d'examiner la teneur des éléments de la Section 8 de la Partie 4 du projet de loi C-45, Loi no 2 portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 29 mars 2012 et mettant en œuvre d'autres mesures.
Ce soir, nous commençons notre étude du sujet et nous allons entendre le ministre Duncan, ainsi que des représentants du ministère des Affaires autochtones et du Développement du Nord Canada, et du ministère de la Justice Canada. Auparavant, j'aimerais en profiter pour présenter les membres du comité qui sont présents ici, ce soir.
Nous avons le sénateur Nick Sibbeston, des Territoires du Nord-Ouest; le sénateur Lillian Dyck, de la Saskatchewan, qui est vice-présidente du comité; le sénateur Larry Campbell, de la Colombie-Britannique; le sénateur Charlie Watt, du Québec; le sénateur Nancy Greene Raine, de la Colombie-Britannique; le sénateur Selma Ataullahjan, de l'Ontario; le sénateur David Tkachuk, de la Saskatchewan; et le sénateur Michel Rivard, du Québec.
Chers collègues, accueillons maintenant l'honorable John Duncan, ministre des Affaires autochtones et du développement du Nord, ainsi que les personnes qui l'accompagnent ce soir.
Monsieur le ministre, nous allons écouter votre exposé, puis les sénateurs vous poseront des questions.
L'honorable John Duncan, C.P., député, ministre des Affaires autochtones et du développement du Nord canadien : Merci beaucoup de cette présentation. Je suis heureux d'expliquer aujourd'hui les modifications contenues dans le projet de loi C-45 qui permettront d'améliorer les possibilités de développement économique dans les réserves. Les modifications proposées à la section 8, dans le projet de loi C-45, au sujet du processus de désignation des terres, permettront d'éliminer les obstacles dans la Loi sur les Indiens qui limitent le développement économique dans les terres des Premières nations. Plus précisément, ces modifications simplifieront le processus actuel de désignation des terres dans les réserves et permettront aux Premières nations de fonctionner au même rythme que le monde des affaires.
La grande majorité des Premières nations sont assujetties aux dispositions sur la gestion des terres de la Loi sur les Indiens. Selon la Loi sur les Indiens, une Première nation qui désire louer ses terres à des partenaires commerciaux pour promouvoir le développement économique doit d'abord désigner ces terres à cette fin. Les partenaires commerciaux peuvent ensuite exploiter temporairement une entreprise sur une partie de la réserve et la Première nation conserve le titre sous-jacent et le contrôle sur les terres.
Les institutions financières considèrent ces baux comme des actifs. Ceux-ci sont particulièrement utiles aux Premières nations puisqu'ils peuvent être utilisés comme garantie pour obtenir des prêts ou financer d'autres projets de développement économique.
Comme vous le voyez, la désignation des terres est un élément essentiel au développement économique dans les réserves, que ce soit pour y accueillir des petites ou moyennes entreprises, y aménager des parcs ou des espaces publics, ou y mener de grands projets industriels. La désignation des terres est aussi la première étape de la mise en valeur des ressources pétrolières et minières en vertu de la Loi sur les Indiens.
Cependant, en application des dispositions actuelles de la Loi sur les Indiens, obtenir la désignation de terres est rarement une tâche simple et rapide. J'ai entendu des commentaires de Premières nations de partout au Canada qui indiquaient que les délais, les exigences contraignantes et le fardeau administratif liés au processus de désignation actuel sont déraisonnables et nuisent à leur capacité de tirer profit des possibilités de développement économique. Laissez-moi vous expliquer comment le système fonctionne en ce moment.
Affaires autochtones et Développement du Nord Canada agit à titre de locateur des terres de réserve, il émet et administre les baux pour l'utilisation des terres au nom des Premières nations en vertu de la Loi sur les Indiens. Le ministère veille à ce que les Premières nations obtiennent la juste valeur du marché et à ce que toutes les activités réalisées sur les terres louées respectent les conditions de la désignation des terres et de tout règlement applicable. Cependant, il peut falloir plus de deux ans pour signer un bail, du début des discussions de la Première nation jusqu'à l'approbation définitive de la désignation par le gouverneur en conseil. En raison du temps requis avant la signature du bail, les investisseurs finissent souvent par laisser tomber leurs projets d'exploitation sur une terre de réserve. Le vérificateur général a lui aussi conclu que les délais d'approbation du processus de désignation et de location pour les projets dans les réserves étaient inutilement longs.
De nombreuses Premières nations me font régulièrement part de leurs frustrations concernant le seuil de vote actuel pour l'approbation d'une désignation de terres. Elles ont indiqué qu'il n'était pas raisonnable de s'attendre à atteindre le seuil exigé, soit « la majorité de la majorité », car il faut que la majorité des électeurs admissibles votent et que la majorité des électeurs qui participent votent en faveur de la désignation. Je crois que nous avons tous vu cela à l'échelle municipale, où le taux de participation est souvent inférieur à 50 p. 100.
En effet, un peu plus de 80 p. 100 — soit quatre sur cinq — de ces votes échouent lors du premier scrutin, car il est difficile d'assurer la participation de la majorité des électeurs admissibles. Par conséquent, dans la plupart des cas, la Première nation doit tenir un deuxième vote de « simple majorité », ce qui prolonge le processus et engendre des coûts administratifs additionnels pour la Première nation.
Même après avoir obtenu un vote favorable, la Première nation doit attendre l'approbation définitive de la désignation par l'autorité fédérale. Bon nombre de Premières nations m'ont indiqué clairement que ce processus est trop long et contraignant, pour aucune raison valable.
Notre gouvernement répond à ces préoccupations en trouvant des moyens de simplifier les processus internes pour l'approbation des désignations de terres sans porter atteinte à la qualité des services offerts aux Premières nations ou à la capacité des Premières nations de donner un consentement informé à une désignation de terres. Nous savons que la désignation de terres est un des éléments clés qui nous permettra de libérer le potentiel économique dans les réserves des quatre coins du Canada. C'est pourquoi les modifications proposées dans le projet de loi C-45 sont conçues pour alléger le fardeau administratif et simplifier le processus de désignation de terres.
Nous comptons agir principalement sur deux fronts. Premièrement, le projet de loi C-45 permettrait d'accélérer le processus de vote des collectivités en faisant passer le seuil de participation de la « majorité de la majorité » à une « majorité simple » pour les votes de désignation initiaux. Ce changement pourrait réduire de deux mois la période de vote et éliminerait les coûts qu'il aurait fallu payer pour un deuxième vote.
Un vote « à la majorité simple » est la norme pour la plupart des autres décisions majeures dans les réserves. Ce seuil est suffisant pour élire les chefs et les conseils des Premières nations et pour accepter des règlements extrajudiciaires de plusieurs millions de dollars ou des règlements de revendications particulières d'une valeur de 3 à 7 millions de dollars.
La deuxième modification allégerait le fardeau administratif en confiant l'approbation finale au ministère, soit au ministre, plutôt qu'au gouverneur en conseil. Ce changement simplifierait le processus d'approbation interne et diminuerait le temps nécessaire pour obtenir une approbation définitive de la désignation de terres.
Tant les Premières nations que leurs partenaires du secteur privé sont irrités par les délais inutiles qu'entraîne le régime actuel. Ils veulent conclure rapidement de solides ententes sur la location de terres pour que leurs affaires puissent progresser, et c'est ce que ces modifications leur permettront de faire. Les Premières nations doivent être en mesure de suivre le rythme du monde des affaires pour réussir à saisir les possibilités économiques qui se présentent. Ces deux modifications proposées réduiraient considérablement le temps requis pour faire approuver une désignation de terres dans les réserves.
Le consentement éclairé des collectivités restera un aspect essentiel de la désignation de terres. Actuellement, le processus de désignation exige que tous les membres admissibles de la bande reçoivent des trousses d'information détaillée sur l'utilisation qu'on propose de faire des terres et qu'une séance d'information soit tenue avant le vote. Les membres sont informés par des avis affichés à différents endroits dans la réserve et les électeurs vivant à l'extérieur de la réserve reçoivent un avis, un document d'information et un bulletin de vote par la poste. On encourage les Premières nations à tenir des séances d'information avant même le début du processus officiel de désignation. Rien de tout cela ne changerait en raison des modifications proposées au processus.
Monsieur le président, notre gouvernement a précisé clairement que la création d'emplois et la croissance économique étaient ses grandes priorités. Nous sommes déterminés à donner aux Premières nations les moyens d'agir pour qu'elles puissent tirer profit des nouvelles possibilités de développement économique. Nous savons que dès qu'elles arrivent à louer leurs terres, les Premières nations créent des emplois dans leurs collectivités. Grâce à ces emplois, les gens peuvent améliorer leur niveau de vie et leur qualité de vie, ainsi que ceux de leur famille.
Le premier ministre a promis, à la Rencontre de la Couronne et des Premières nations, en janvier 2012, d'offrir des options pour opérer des changements concrets, graduels et véritables afin de surmonter les obstacles créés par la Loi sur les Indiens. Il tient donc sa promesse.
La modification du processus de désignation des terres permet d'opérer des changements pratiques, car elle a de vastes répercussions. Elle permet d'opérer des changements graduels, car elle cible de manière stratégique quelques dispositions de la Loi sur les Indiens. Elle permet aussi d'opérer des changements véritables, car le processus de désignation sera bonifié sur-le-champ pour permettre aux Premières nations de saisir les possibilités économiques qui se présentent.
Monsieur le président, voilà un autre exemple de la manière dont notre gouvernement collabore avec les Premières nations pour surmonter les obstacles au succès et créer les conditions nécessaires pour obtenir des collectivités des Premières nations plus dynamiques et autonomes. Ces modifications peuvent paraître plutôt mineures, mais elles ont le potentiel de changer profondément la vie des membres des Premières nations.
Ce projet de loi est bon pour les collectivités des Premières nations. Il est bon pour les affaires. Au bout du compte, il est bon pour nous tous.
Le président : Merci beaucoup. Monsieur le ministre, j'aimerais savoir d'avance combien de temps vous pouvez nous accorder ce soir?
M. Duncan : Jusqu'à moins le quart; donc encore 18 minutes environ.
Le sénateur Campbell : Bienvenue, monsieur le ministre. Je suis ravi de vous voir. Je pense que ce sont de bonnes mesures. J'approuve toute modification à la loi qui permettra aux choses de se dérouler plus librement et qui reflétera davantage la réalité.
J'ai une question au sujet de la page 4 de votre déclaration. Vous dites que le ministère veille à ce que les Premières nations obtiennent la juste valeur du marché et à ce que toutes les activités réalisées sur les terres louées respectent les conditions. Est-ce que les Premières nations ne peuvent pas se charger de cela elles-mêmes? Je me demande pourquoi le ministère intervient. Prenons l'exemple des Squamish. Ils sont tout à fait capables de négocier des ententes.
M. Duncan : Vous voulez dire la page 4 de...
Le sénateur Campbell : De votre texte. La phrase se lit ainsi :
Le ministère veuille à ce que les Premières nations obtiennent la juste valeur du marché et à ce que toutes les activités réalisées sur les terres louées respectent les conditions de la désignation de terres et de tout règlement applicable.
Je comprends que le ministère intervienne dans le cas des Premières nations qui n'en ont pas la capacité, mais est-ce toujours le cas?
M. Duncan : Cette phrase que vous avez citée parle de l'approche pratique et pragmatique utilisée pour administrer cette question. D'ailleurs, nous venons tout juste d'approuver une désignation de terres dans la réserve de Chemainus, située le long de la route Island, près de Ladysmith.
Nous désignons des terres auxquelles nous reconnaissons un attrait commercial, mais il n'y a pas d'ententes précises encore. Cependant, nous savons que les Premières nations ont toute la capacité voulue. Nous savons que notre obligation fiduciaire ne sera pas remise en question. Ils feront preuve de toute la diligence requise.
Vous avez tout à fait raison; nous intervenons seulement lorsqu'il le faut pour ne pas nous exposer à des poursuites judiciaires pour manquement à notre obligation fiduciaire.
Le sénateur Raine : Merci d'être venu.
Je considère qu'il s'agit d'un autre moyen de libérer le potentiel de nos Premières nations. Le concept de terres désignées a été établi pour la première fois en 1988 au moyen des modifications de Kamloops, comme elles sont couramment appelées. J'ai vu la bande indienne de Kamloops, près de chez moi, administrer ses terres louées et en faire un formidable engin économique pour la Première nation. Je vois d'un bon œil tout ce qui pourrait débloquer ce processus.
Voici ma seule question : Pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous voulez éliminer le deuxième vote? Je comprends tout à fait qu'un double vote prend du temps et peut faire obstacle à de très bons projets. Pouvez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet?
M. Duncan : Quatre fois sur cinq, il y a un deuxième vote et le résultat est presque inévitablement l'adoption avec une majorité simple. Cela envoie un message très clair. Entre-temps, nous avons perdu beaucoup de temps.
Fait intéressant, j'ai ici une lettre de la bande indienne de Penticton. Elle est signée par le chef Jonathan Kruger. Nous savons que la Première nation de Penticton est progressive et très bien établie. « Selon notre expérience, il est pratiquement impossible d'organiser un vote auquel la majorité de nos membres participeront. Les votes coûtent cher et prennent beaucoup de temps et, dans certains cas, la participation à un deuxième vote est un fardeau pour les membres de la bande. À notre avis, le résultat du deuxième vote est pratiquement connu d'avance. À notre avis, il n'est ni logique, ni efficace d'exiger qu'une `` majorité de la majorité '' vote en faveur, puisque c'est voué à l'échec. Nous estimons qu'un seul vote à majorité simple se révélerait efficace, efficient et certainement plus que suffisant. »
Nous avons cette lettre parce que le chef et le conseil surveillent ce que nous faisons ici. Elle n'a pas été écrite en réponse à une demande du ministère ou autre chose. Le chef Kruger est parfaitement d'accord pour que je la lise aux fins du compte rendu. Il dit également d'autres choses, mais essentiellement tous les commentaires que j'ai reçus de toute part sont favorables à ces mesures.
Le 22 octobre, j'ai écrit à tous les chefs et conseils du Canada pour leur expliquer nos modifications aux articles 37, 39 et 40 de la Loi sur les Indiens, puisque c'est ce dont il s'agit. Que je sache, nous n'avons reçu aucun commentaire ni aucune plainte et j'ai parlé au chef national. Ça semble ne poser aucun problème. Il faut aller de l'avant. Je suis très heureux que les choses se passent de cette façon.
Le sénateur Sibbeston : Merci d'avoir proposé cette modification, monsieur le ministre. Il y a quelques années, notre comité a réalisé une étude sur le développement économique des Premières nations du Canada. Nous nous sommes penchés tout particulièrement sur les mesures qui pourraient favoriser le développement économique des Premières nations. Il s'agissait d'une étude approfondie. Une question qui a été soulevée à l'époque était celle des terres. Beaucoup estimaient que la loi en vigueur était un obstacle. Comme vous dites, on essayait de suivre le rythme du monde des affaires. Je suis heureux que vous ayez proposé cette modification, qui est très positive. Notre comité souhaite vivement l'avancement des Premières nations et des peuples autochtones de notre pays. Nous vous invitons à proposer des modifications comme celle-ci chaque semaine, car cela va améliorer la vie des peuples autochtones au Canada. Nous allons appuyer sans réserve ces modifications et nous vous encourageons à en présenter d'autres.
Le président : Vous n'aviez pas de question? Merci beaucoup. Excellent commentaire.
Le sénateur Ataullahjan : Monsieur le ministre, pour que ce soit bien clair, pourriez-vous expliquer le processus actuel de désignation et les changements qui lui seront apportés à la suite de l'adoption des modifications proposées?
M. Duncan : Vous demandez quels changements seront apportés au processus de désignation des terres?
Le sénateur Ataullahjan : Oui.
M. Duncan : Je serais heureux de vous l'expliquer. Permettez-moi de répondre à l'observation du sénateur Sibbeston, même s'il n'a pas posé de question.
J'apporte effectivement de bonnes nouvelles chaque semaine parce que j'ai déposé le projet de loi sur la croissance et les emplois dans le Nord également cette semaine. Il a été très bien reçu, tout comme la Loi sur l'aménagement du territoire et l'évaluation des projets au Nunavut, les modifications proposées à la Loi sur l'Office des droits de surface des Territoires du Nord-Ouest et quelques changements également proposés au Yukon. Jusqu'ici, tout va bien et ces mesures ont été bien accueillies par tout le monde.
Par ailleurs, j'aimerais signaler que lorsque nos mesures ne sont pas aussi bien accueillies par toutes les parties prenantes, on affirme très souvent que nous n'avons pas assez consulté. Dans ce cas, ce sont les gens qui nous ont consultés et nous avons réagi. J'en suis également très satisfait.
Quant aux changements apportés au processus de désignation des terres, on a beaucoup parlé de la procédure de vote et du fait qu'on va la raccourcir de deux mois. En revanche, on a moins parlé du fait qu'en n'ayant plus à obtenir l'approbation du gouverneur en conseil, c'est-à-dire une procédure fédérale interne, nous gagnons en fait beaucoup plus de deux mois. Tout ce qui est exigé, c'est que le ministère fasse preuve de diligence raisonnable et que le ministre, c'est-à-dire moi, appose sa signature.
En règle générale, j'essaie de me retirer du processus parce que c'est cela qui fait obstacle. Dans ce cas-ci, nous faisons beaucoup plus, même si j'interviendrai encore dans le processus. Si la collectivité est assujettie à la Loi sur la gestion des terres des Premières nations, dont nous avons parlé par le passé et c'est le cas de quelque 65 Premières nations à l'heure actuelle, je n'interviens déjà plus dans le processus, si bien qu'elle peut désigner ses propres terres sans faire appel aux autorités fédérales. Les Premières nations ont obtenu ce droit grâce à une loi du Parlement.
Le sénateur Dyck : Merci d'être des nôtres ce soir, monsieur le ministre. Vous avez dit qu'on vous a consulté. Combien de Premières nations vous ont dit qu'elles souhaitaient qu'on apporte ce genre de modifications à la Loi sur les Indiens?
M. Duncan : Excellente question. C'est un phénomène cumulatif. Ce n'est pas seulement avec moi qu'on a communiqué. Le secrétaire parlementaire, le comité et moi-même avons beaucoup voyagé. C'était un thème qui revenait toujours dès qu'il était question de ce dossier. Nous n'avons pas tenu de statistiques à ce sujet. Un des effets favorables du processus, c'est qu'on peut le présenter comme une mesure de développement économique prévue dans le projet de loi d'exécution du budget, au lieu d'avoir à rédiger une mesure législative entièrement nouvelle pour apporter ce changement pourtant simple et accepté par tous. Comme nous n'avons jamais envisagé de le faire passer par un processus législatif complet, nous n'avons jamais non plus amorcé de consultations à ce sujet.
Le sénateur Dyck : Dans votre exposé, vous avez mentionné la Loi sur la gestion des terres des Premières nations. Pourquoi cela serait-il supérieur à la Loi sur la gestion des terres des Premières nations? S'agit-il d'une meilleure voie à prendre?
M. Duncan : Non, c'est une autre solution qui est offerte. Chaque collectivité a ses propres priorités et philosophies. Une collectivité qui compte beaucoup de détenteurs de certificats de possession sera probablement plus intéressée à la désignation de terres qu'à la Loi sur la gestion des terres des Premières nations. Ce n'est pas toujours le cas, mais j'imagine qu'une telle collectivité préférerait cette option simplement parce qu'elle compte beaucoup plus de citoyens impliqués, et parce que ce système ne s'appliquerait qu'aux communes.
Je ne connais pas la réponse à votre question. Je ne peux pas parler au nom de chacune des Premières nations, mais je sais que cette mesure constitue tout simplement une autre option. Je ne dirais pas qu'un des systèmes est supérieur, mais, comme la Loi sur la gestion des terres des Premières nations ne confère plus d'autorité au fédéral, les Premières nations sont, de toute évidence, plus indépendantes et peuvent adapter les échéanciers à leurs besoins. Le temps est encore un facteur ici.
Le sénateur Dyck : En ce qui a trait à la simplification, vous dites que le fait d'opter pour une majorité simple permettrait d'épargner du temps. D'autres aspects du processus pourraient être simplifiés, comme le fait de transmettre l'information aux membres de la bande. Quelle partie du processus accapare le plus de temps?
M. Duncan : La Première nation décide de tous les échéanciers jusqu'à la tenue du vote.
Le sénateur Dyck : Je croyais que vous aviez dit que les renseignements proviennent du ministère.
M. Duncan : Non.
Le sénateur Dyck : Non?
M. Duncan : Une fois que la Première nation achemine l'information concernant le vote, la ratification et tous les détails au ministère, le processus en est un interne. Nous faisons de notre mieux, nous aussi, pour suivre le rythme du monde des affaires. Je sais que mes dossiers ne restent pas sur mon bureau bien longtemps, et j'espère que mes collègues pourraient en dire de même.
Le sénateur Watt : Je suis heureux de vous revoir. Ma question s'inscrit dans la lignée de celle du sénateur Dyck quant aux consultations. Vos fonctionnaires pourraient-ils nous fournir des renseignements détaillés quant au nombre de Premières nations qui ont été consultées, à la forme qu'ont prise les consultations et au résultat de ces consultations?
M. Duncan : Comme je l'ai dit, il n'y a pas eu de consultation officielle. Nous avons envoyé une lettre officielle à tous les chefs et conseils leur expliquant notre initiative, et personne ne s'y est opposé. Nous n'avons eu que des réactions favorables.
Le sénateur Watt : Divers chefs de partout au pays vous ont fait comprendre qu'ils appuient ce projet de loi?
M. Duncan : Oui.
Le sénateur Watt : Mais aucune consultation directe sur ce projet de loi n'a eu lieu, n'est-ce pas?
M. Duncan : Il n'y a pas eu de consultation directe sur ces deux changements en particulier depuis qu'ils ont été déposés, mais nous avions eu auparavant beaucoup de demandes pour que ce genre de changements soit apporté.
Le sénateur Watt : Monsieur le ministre, on dirait que...
Le président : Il ne nous reste que quelques minutes.
Le sénateur Watt : Pouvez-vous inscrire mon nom pour la deuxième série de questions?
Le président : Oui.
Le sénateur Tkachuk : Je n'ai que quelques questions. Les modifications proposées quant aux terres s'appliqueront- elles aux collectivités des Premières nations au nord du 60e parallèle?
M. Duncan : Seulement aux collectivités qui ont le statut de réserve, et je crois qu'il n'en existe que deux dans les Territoires du Nord-Ouest.
Le sénateur Tkachuk : Les terres désignées ne sont-elles pas la même chose que les terres cédées?
M. Duncan : Non, ce sont deux choses complètement différentes. Les terres cédées sont justement ce que leur nom indique. Je ne pense pas que nous ayons une disposition pour les terres cédées, mais je vais laisser M. Johnson répondre à votre question.
Le président : Pourrions-nous lui demander de répondre après le départ du ministre? Ainsi, nous aurons l'occasion de poser quelques autres questions au ministre.
[Français]
Le sénateur Rivard : Bienvenue, monsieur le ministre. Pour ce qui est des amendements à la loi en faveur des Premières nations, le fait qu'il n'y aura qu'un vote entraînera des économies potentielles pour eux. Est-ce que du côté gouvernemental, à part la lourdeur administrative, il y aura des économies dans le fait d'aller de l'avant avec ces amendements?
[Traduction]
M. Duncan : Oui, je suis tout à fait d'accord. Tout le monde y gagne.
[Français]
Le sénateur Rivard : L'économie pour le gouvernement est-elle importante ou non? Étant donné que c'est dans le Plan d'action économique et le projet de loi C-45, les impacts ne sont-ils pas plutôt neutres pour le gouvernement? Pour les Premières nations, sûrement qu'il y a des économies potentielles et mêmes importantes, mais pour le gouvernement, au plan administratif, y a-t-il vraiment des économies?
[Traduction]
M. Duncan : Non, cela va simplifier l'administration. Je ne pense pas que ça accaparait beaucoup de temps, mais cela retardait le processus. Ce qui importe, ce ne sont pas les économies réalisées, mais plutôt les incitatifs pour investir dans le développement économique. C'est là où on y gagne le plein.
Le président : Monsieur le ministre, si vous me le permettez, je vais laisser le sénateur Watt vous poser une dernière question, après quoi nous nous entretiendrons avec vos collaborateurs pendant quelques minutes.
Le sénateur Watt : J'ai lu tous ces documents, mais je n'y ai vu aucune clause d'adhésion volontaire. Il ne semble pas y en avoir. Comme les collectivités n'ont pas été entièrement consultées au préalable, ne devrait-il pas y avoir une disposition d'adhésion volontaire dans ce projet de loi?
M. Duncan : Non. Nous simplifions un processus qui profite à tout le monde, alors il s'applique à toutes les collectivités.
Le sénateur Watt : Et ce, même si elles n'ont pas été consultées au préalable? Je m'inquiète du fait que ce texte deviendra loi probablement avant même que les Premières nations n'aient été consultées.
M. Duncan : Non, on les a informées des changements. Jusqu'à présent, tout le monde est satisfait des changements; ils sont les bienvenus.
Le président : Merci beaucoup monsieur le ministre. Je vous laisse quelques minutes pour partir et nous allons nous entretenir avec vos collaborateurs pendant quelques minutes.
M. Duncan : Merci beaucoup.
Le président : Je crois que M. Johnson devait répondre à une question du sénateur Tkachuk, n'est-ce pas? Vous avez la parole.
Kris Johnson, directeur principal, Modernisation des terres, Affaires autochtones et Développement du Nord Canada : Je crois que la question portait sur la différence entre les terres désignées et les terres cédées.
Le sénateur Tkachuk : Oui.
M. Johnson : Il existe une distinction entre les deux. On confond souvent désignation de terres et cession de terres. La loi différencie les deux puisqu'elle fait une distinction entre une cession absolue et une désignation qui, techniquement, est une forme de cession bien qu'elle ne soit que partielle. Dans le cas d'une cession absolue, les Premières nations cèdent tous leurs intérêts rattachés à la terre, et celle-ci n'est plus une terre de réserve, alors que dans le cas de la désignation de terres, les Premières nations conservent leurs droits et intérêts rattachés à la terre, et celle-ci demeure une terre de réserve.
Le sénateur Raine : Dans ce cas, diriez-vous que les terres désignées s'apparentent un peu au zonage?
M. Johnson : On compare souvent cette pratique au zonage. Quand il est question de terre de réserve, il est difficile de faire ces comparaisons de façon précise.
Le sénateur Raine : La terre est ainsi désignée comme pouvant être utilisée pour un objectif précis dans l'intérêt commun.
M. Johnson : C'est ce que je crois. Il s'agit d'approuver un développement.
Le sénateur Ataullahjan : La cession de terres peut-elle se contenter d'une majorité simple lors du vote initial sur la désignation?
M. Johnson : Non, ces modifications n'auront aucune incidence sur les dispositions pour la cession absolue de terres. Les modifications toucheront seulement les dispositions de désignation.
Le sénateur Tkachuk : À l'heure actuelle, soit alors que les modifications ne sont pas encore en vigueur, si un agriculteur se présentait sur une réserve et demandait à louer des terres agricoles, devrait-il passer par tout le processus pour quelque chose d'aussi simple? Voici là où je veux en venir : les modifications s'appliqueront-elles à des questions aussi simples et ordinaires, ou seulement aux questions exceptionnelles? Est-ce qu'un agriculteur devait prévoir autant de temps, soit deux ans, pour une simple question de location?
M. Johnson : On peut faire appel à différents types d'instruments. Souvent, quand un agriculteur veut cultiver des terres, on lui accorde un permis, et par conséquent, ce ne serait pas nécessaire de passer par ce long processus, mais pour ce qui est d'un bail tout simple par rapport à un bail beaucoup plus compliqué, si vous voyez ce que je veux dire, il n'y aurait pas de distinction. D'ailleurs, c'est justement une des plaintes dont on nous a fait part : en vertu de la loi actuelle, c'est-à-dire sans les modifications proposées, aucune distinction n'est faite entre la cession de tous les droits et intérêts émanant de terres précises et l'attribution d'un simple bail, opération de nature transactionnelle.
Le sénateur Sibbeston : J'allais justement préciser que le terme « cession » provient du traité. En effet, dans les traités, il est question de cession de droits. Ce n'est pas un terme insignifiant. En tout cas, c'est des traités que vient le terme « cession ». Quand je l'ai entendu, ça m'a rappelé le libellé des traités parce qu'on précise que les Indiens cèdent l'ensemble de leurs droits.
Le sénateur Watt : Je voudrais m'assurer qu'on comprend tous ce dont il s'agit quand on parle de cession. Il ne s'agit pas de cession ordinaire comme ce à quoi on a l'habitude quand on traite des revendications territoriales.
Quand on utilise le terme vente, et non bail, ça veut dire que si les terres sont vendues, on en perd le titre de propriété. Voilà pourquoi, si j'ai bien compris, il n'est pas question de cession à titre absolu. Parce que le titre de propriété n'est pas cédé; il ne s'agit que d'un bail. Ai-je bien compris?
M. Johnson : Vous avez raison. Le mécanisme permet seulement l'exploitation temporaire de terres.
Le sénateur Dyck : Quels problèmes potentiels pourraient causer le projet de loi? Nous savons qu'il est impossible de prévoir tous les effets d'un projet de loi, comme c'est le cas des médicaments dont on ne peut pas entrevoir tous les effets secondaires. Quels problèmes risque-t-il d'y avoir?
Le sénateur Tkachuk : Pas avec nos projets de loi, car les projets de loi que nous présentons sont tous parfaits.
Le sénateur Dyck : Ça suffit, sénateur Tkachuk, vous vous conduisez comme le cancre qui fait des pitreries au fond de la classe.
M. Johnson : Votre question est tout à fait pertinente et nous y avons pensé d'ailleurs lors de l'élaboration des modifications proposées. Il y a une nouvelle exigence par rapport aux terres désignées qui n'apparaît ni dans la version actuelle ni dans la version modifiée du projet de loi en ce qui a trait à la cession à titre absolu de terres. Après le vote, conformément à ce qui est proposé dans le projet de loi, le conseil de bande de la collectivité visée devrait recommander que le ministre accepte les résultats du vote.
Le sénateur Dyck : Désolée, mais je ne vous ai pas tout à fait suivi. Qu'aurait à recommander le ministre?
M. Johnson : Il faudrait que le conseil de bande recommande au ministre d'accepter les résultats du vote. Ainsi, si pour une raison ou une autre les membres d'une collectivité X n'étaient pas convaincus que les résultats du vote exprimaient vraiment le consentement de la collectivité, il serait possible de ne pas recommander que le ministre accepte les résultats, mettant ainsi un terme au processus. Un nouveau mécanisme de contrôle a été mis en place au niveau des collectivités au cas où il y aurait des doutes par rapport à la validité des résultats du vote.
Le sénateur Dyck : Est-ce qu'un ou plusieurs membres de bande pourraient contester les résultats du vote et pousser le chef à agir ainsi, ou est-ce le chef qui détient tous les pouvoirs décisionnels en ce sens?
Paul Salembier, avocat général, Opérations et programmes, ministère de la Justice Canada : Si des allégations d'irrégularités ou si le vote ne s'est tout simplement pas déroulé conformément aux règles, n'importe quel membre peut en informer le ministre, preuve à l'appui. Si le ministre, pour sa part, a l'impression que les procédures n'ont pas été correctement suivies, il peut tout simplement annoncer qu'il n'acceptera pas les résultats du vote et qu'un nouveau scrutin sera organisé. Ces mécanismes existent déjà et ne changeront pas.
Le sénateur Dyck : En fait, cela me rassure. Si une situation se produit où l'on doute du processus utilisé pour le vote, il existe une sorte de mécanisme de sécurité.
Le sénateur Sibbeston : Voici un commentaire qui est très pertinent, à mon avis. Je sais que l'on a demandé au ministre et que le ministre a fait allusion à la Loi sur la gestion des terres des Premières nations. Elle a été adoptée à notre époque. La loi cède aux Premières nations tout contrôle sur leurs terres. Elle est très avant-gardiste. Le ministre a dit que 65 Premières nations ont adhéré à ce programme et contrôlent maintenant toutes leurs terres quant aux taxes et impôts et ainsi de suite. Je crois que c'est un fait qui mérite d'être noté.
Le président : Ça vaut la peine de le noter. Merci beaucoup, sénateur.
J'ai maintenant une question supplémentaire de la part du sénateur Raine.
Le sénateur Raine : Je veux vous rappeler que le projet de loi C-115 de 1988, c'est-à-dire les modifications de Kamloops, précisait que les terres louées restaient des terres appartenant à la réserve. Cela a permis aux Premières nations d'adopter des règlements en matière d'imposition foncière pour ces terres. Les modifications de Kamloops prévoyaient également la possibilité d'hypothéquer la tenure à bail pour ces terres désignées, créant ainsi une exception à la règle législative selon laquelle les terres des réserves ne pouvaient pas être hypothéquées.
C'est la situation depuis 1988, et elle a été très avantageuse économiquement parlant pour les Premières nations qui l'ont adoptée. Il est ainsi plus facile pour les Premières nations d'emprunter cette voie.
Le président : Avez-vous posé une question, sénateur?
Le sénateur Raine : N'êtes-vous pas d'accord qu'il s'agit ici d'une continuation de ce que l'on fait déjà, mais que la situation s'améliore?
M. Johnson : Vous avez absolument raison. L'objectif consiste à faciliter un processus existant qui a fait ses preuves.
Le sénateur Raine : Merci.
Le président : Merci à vous deux d'avoir accepté de rester. Nous vous en savons gré.
Nous allons clore la séance publique et passer à huis clos pour quelques instants.
(La séance se poursuit à huis clos.)