Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule 2 - Témoignages du 20 octobre 2011
OTTAWA, le jeudi 20 octobre 2011
Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui, à 10 h 48, pour étudier la situation actuelle du régime financier canadien et international.
Le sénateur Michael A. Meighen (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Bonjour, honorables sénateurs, et bienvenue à notre deuxième séance portant sur la situation du régime financier canadien et international. Notre sujet est le financement et la croissance des PME.
Je suis le sénateur Michael Meighen, et je viens de l'Ontario. J'ai l'honneur de présider ce comité. Je vous présente à ma droite le sénateur Hervieux-Payette, vice-présidente du comité, à sa droite, le sénateur Larry Smith, du Québec, le sénateur David Tkachuk, de la Saskatchewan, à ma gauche, le sénateur Pierrette Ringuette, du Nouveau-Brunswick, le sénateur Mac Harb, de l'Ontario, le sénateur Wilfred Moore, de la Nouvelle-Écosse et le sénateur Stewart Olsen, du Nouveau-Brunswick.
[Traduction]
Aujourd'hui, nous poursuivons l'étude du financement de la croissance des petites et moyennes entreprises.
[Français]
Nous sommes heureux de souhaiter la bienvenue aujourd'hui à deux organisations québécoises qui travaillent dans ce domaine. Nous avons avec nous Serge Bourassa, président et chef des opérations, le Centre d'entreprises et d'innovation de Montréal (CEIM), Alain Coulombe, président du conseil et président, 3d Semantix, l'Association pour le développement de la recherche et de l'innovation du Québec (ADRIQ) et Jean-Louis Legault, président-directeur général, l'Association pour le développement de la recherche et de l'innovation du Québec (ADRIQ).
[Traduction]
Si nos témoins souhaitent faire une déclaration préliminaire, nous serions enchantés de les écouter.
[Français]
Par la suite, nous passerons à la période des questions. Monsieur Coulombe est-ce que vous allez commencer?
Alain Coulombe, président du conseil et président, 3d Semantix, l'Association pour le développement de la recherche et de l'innovation du Québec (ADRIQ) : D'abord l'acronyme de l'ADRQ, c'est l'Association pour le développement de la recherche et de l'innovation du Québec. Elle regroupe l'écosystème de l'innovation dans notre province et c'est pour toutes industries confondues. Elle regroupe aussi tous les intervenants. Bien sûr, au cœur de le ADRIQ il y a les entreprises, les petites, celles en démarrage et aussi les grandes parce qu'il y a beaucoup d'avantages pour l'économie canadienne à ce que les grands travaillent avec les petits mais aussi les centres de recherche des universités, ce qui fait qu'en ayant une majorité d'entreprises, mais en ayant les partenaires du succès à l'innovation, lorsqu'on se rencontre, on est capable d'échanger et d'avoir le coût de l'innovation et d'avoir le consensus sur les solutions ou les pistes de direction.
Je vais laisser à mon collègue et à notre directeur général d'aller un peu plus en détails en ce qui concerne l'ADRIQ, mais je dirais que pour l'introduction, c'est ce que je voudrais vous faire connaître.
Jean-Louis Legault, président-directeur général, l'Association pour le développement de la recherche et de l'innovation du Québec (ADRIQ) : Je suis à la barre de l'Association pour le développement de la recherche et de l'innovation du Québec depuis un an, donc je suis encore en formation, mais cela fait 30 quelques années que je suis entrepreneur en technologie. J'ai assez d'expérience personnelle.
L'Association pour le développement de la recherche et de l'innovation du Québec existe depuis plus de 30 ans et touche environ 5 000 acteurs de l'innovation au Québec. On touche tous les secteurs verticaux d'entreprise, l'aéronautique et d'autres secteurs et aussi on se préoccupe de tout ce qui va toucher l'innovation de façon horizontale, les ressources humaines, le financement, et cetera.
On est très heureux de pouvoir être avec vous. L'ADRIQ a quatre lignes d'affaires. On va susciter des rencontres et événements, le plus prestigieux étant le gala annuel de l'ADRIQ, qui existe depuis plus de 21 ans, et qui célèbre les meilleures innovations québécoises.
On travaille à susciter l'intérêt des jeunes. La relève techno-sciences est certainement un défi comme Québécois et Canadien de s'assurer d'une bonne relève en technologie. Donc, l'ADRIQ travaille sur le terrain. C'est une autre ligne d'affaires. On a maintenant une ligne d'affaires qui est terrain, on va aller faire du « coaching » aux entreprises, directement sur le terrain. D'ailleurs hier, on a concrétisé une alliance d'un groupe qui fait spécifiquement ce travail conseil sur le terrain qui s'intègre à l'ADRIQ. On augmente donc notre capacité d'action à ce niveau.
La dernière, bien entendu, c'est ce qu'on fait ce matin, on est là pour représenter tous les membres de l'innovation à tous les ordres de gouvernement afin de les aider au niveau budgétaire, dans les lois, à ce que toute la législation soit favorable à un développement de l'innovation dans le but de créer de la richesse, enrichissement social et économique.
Je vous dirais qu'on a une vision globale des choses. C'est l'historique que l'ADRIQ a depuis plus de 30 ans et je m'efforce de poursuivre cette mission.
Le président : Je trouve que la vision globale est un aspect crucial et très important de votre travail.
Ce n'est pas un aspect qu'on retrouve fréquemment. Peut-être qu'au cours de la période des questions, nous pourrons approfondir cette question. Maintenant, monsieur Bourassa, y a-t-il un lien entre votre organisme et l'ADRIQ?
Serge Bourassa, président et chef des opérations, le Centre d'entreprises et d'innovation de Montréal (CEIM) : D'abord, bonjour et merci à tous de votre invitation. Je suis très honoré d'être parmi vous ce matin.
Je vais dire quelques mots concernant le CEIM ensuite j'aimerais faire un énoncé avec quelques constats et recommandations. Je répondrai ensuite à vos questions dans la langue de votre choix.
Le CEIM est un organisme à but non lucratif. Nous sommes membres de l'ADRIQ et nous collaborons avec eux lors de certains événements spéciaux. J'ai l'occasion de rencontrer assez régulièrement M. Jean-Louis Legault dont l'assemblée générale se tenait tard hier soir dans nos bureaux du CEIM. Nous échangeons beaucoup avec l'ADRIQ.
Nous représentons cependant une clientèle très spécifique, celle des entreprises en démarrage dans le domaine des nouvelles technologies. Il est important de distinguer les besoins en termes de politique gouvernementale en ce qui concerne les entreprises en démarrage, notamment dans le domaine des nouvelles technologies, des PME et des grandes sociétés.
Si vous permettez, j'ai préparé quelques notes. Je vous les lire en espérant ne pas trop vous ennuyer, et par la suite je pourrai répondre à vos questions. Je me suis permis d'anticiper également quelques pistes quant à l'amélioration que l'on pourrait discuter.
En ce qui me concerne, je suis président et chef des opérations du CEIM, le Centre d'entreprises et d'innovation de Montréal, depuis cinq ans. J'œuvre au CEIM depuis 15 ans et le CEIM existe depuis 16 ans maintenant, une entreprise privée à but non lucratif. Notre mission est d'aider au démarrage et au développement de nouvelles entreprises. Nous sommes situés à Montréal où nous desservons non seulement Montréal mais d'autres régions aussi.
Nous sommes ce qu'on appelle un incubateur d'entreprise spécialisé avec des programmes de « coaching » et d'encadrement pour les entreprises qui démarrent. Nous avons également des espaces locatifs pour les entreprises qui en ont besoin. Avant de me joindre au CEIM, il y a 15 ans maintenant, j'ai débuté ma carrière dans le domaine du financement plus traditionnel pour les PME. J'ai pratiqué en tant qu'avocat en droit corporatif et comme conseiller également.
L'innovation, l'entreprenariat, le financement et le développement économique sont tous des éléments extrêmement importants et liés à notre richesse économique. Je me permets de vous lire quelques constats.
Premier constat : la création d'entreprise est un facteur déterminant de croissance économique. Cela peut paraître banal, mais ce ne l'est pas. Une étude du Fraser Institue en 2007 disait :
La création de nouvelles entreprises contribue à la croissance économique non seulement par les emplois qu'elle crée directement mais aussi par le renforcement de l'environnement concurrentiel de l'ensemble des régions. Les régions qui ont un plus haut taux de création d'entreprises tendent à générer davantage d'innovations, de productivité et conséquemment de croissance économique.
Deuxième constat : l'innovation émerge souvent du secteur privé en dehors des centres de recherche universitaire et publique. Beaucoup d'entrepreneurs ont une formation scientifique universitaire et une expérience en entreprise privée. Ils ont identifié, au moins sommairement, un besoin du marché. Ils ont une volonté de démarrer un projet d'entreprise à partir d'un concept jusqu'à la commercialisation. Ils ont généralement besoin d'aide pour valider le potentiel commercial, développer un modèle d'affaire, un plan d'action, obtenir du financement. Ils ont besoin entre autres d'un réseau.
Ils sont prêts à risquer leurs emplois, leurs économies et celles de leurs proches. Ils constituent la base entrepreneuriale de notre économie, la relève. Ce sont des gens qui prennent des risques. Innover et plus encore traduire cette innovation en occasion d'affaire qui contribuera à notre essor économique requiert beaucoup plus que la recherche et le développement scientifique. Innover implique un esprit créateur et entrepreneurial, donc une prise de risque calculé qu'on retrouve souvent en dehors des centres de recherche universitaire et gouvernementaux traditionnels.
La question que je me pose est la suivante : les programmes d'aide gouvernementale sont-ils tous bien adaptés à cette réalité?
Troisième constat : l'entrepreneuriat est un vecteur de transformation de l'innovation en richesse économique. Il faut le soutenir efficacement. Une étude comparative des incubateurs technologiques au Québec et au Canada avait été commandée par l'Agence de développement économique du Canada et publiée en juillet 2008. Texu, la firme de consultants retenue, avait souligné, et je cite :
La création et le démarrage d'entreprises technologiques constituent en quelque sorte le point de départ du renouvellement de la base industrielle des sociétés et de leur développement économique. Parce qu'elle intervient pour faciliter ce processus, l'incubation d'entreprises joue un rôle économique important.
J'insiste sur les mots qui suivent :
Par contre, l'effort public d'appui aux entreprises est généralement axé sur l'aide à la croissance qui génère des rendements plus rapides et perceptibles. Cela se fait au détriment de l'aide au démarrage.
Quatrième constat : le financement d'amorçage est un intrant essentiel pour commercialiser l'innovation. Lorsqu'on m'a embauché, il y a près de 15 ans, au CEIM, c'était plus spécifiquement pour aider les entreprises à monter des plans d'affaire, chercher du financement et ainsi de suite. Je connais tous et chacun des intervenants au plan du financement pour les entreprises en démarrage, particulièrement au Québec, que ce soit au privé ou au palier gouvernemental.
L'entrepreneuriat est un vecteur de transformation de l'innovation en richesse économique, mais les fonds sont difficilement disponibles pour permettre aux entrepreneurs, issus du secteur privé, d'amorcer et de démarrer leur projet. Les épargnes des entrepreneurs et de leur réseau d'amis ne suffisent pas toujours à financer le démarrage de leur projet. Le « boot trapping », une technique pratique pour démarrer les entreprises avec peu de fonds, n'est pas une panacée. Ce n'est pas une solution unique. Les anges financiers ne suffisent pas.
Il existe au Canada et dans plusieurs pays industrialisés comparables un vide, soit un besoin de financement d'amorçage que le secteur privé délaissera systématiquement au profit d'autres occasions d'investissement moins risquées. Or, d'un point de vue de développement économique, ces étapes d'amorçage sont un passage obligé de la création d'entreprises, particulièrement dans les secteurs de haute technologie exigeant davantage d'investissements en recherche et développement et en commercialisation.
En matière de financement, le partenariat public-privé, même avec les gestionnaires les plus brillants et expérimentés, ne comblera jamais les besoins du marché si on ne tient pas compte des facteurs structuraux qui incitent naturellement ces mêmes gestionnaires à minimiser le risque et à augmenter le potentiel de rendement. Le financement de l'amorçage étant généralement peu intéressant financièrement pour les investisseurs, le simple partenariat financier avec le gouvernement ne règle en rien un comportement pourtant très prévisible.
Les entrepreneurs et les financiers doivent combiner leurs efforts pour créer des entreprises, mais les intérêts des uns et des autres ne sont certainement pas parfaitement alignés pour autant.
À titre indicatif seulement, peut-on croire que la stratégie de valorisation d'une entreprise puisse être optimale pour une entreprise et, en termes de développement économique, lorsque l'investisseur impose une stratégie de sortie à court terme dictée par la structure de son fonds ou sa politique d'investissement? Comment peut-on compenser le très faible taux d'investissement des sociétés de capital de risque, typiquement moins de 1 p. 100, pour bâtir un pipeline de projet d'entreprise suffisamment grand pour être économiquement viable et encourager l'entrepreneuriat? Nous ne sommes pas seuls dans cette situation, des études faites ailleurs, en Grande-Bretagne, entre autres, qui soulignaient :
Le déplacement des sociétés de capital de risque de l'étape de l'amorçage à celle moins risquée de la commercialisation et de l'expansion constitue un problème majeur pour les entrepreneurs et pour l'économie britannique.
Les auteurs ont identifié trois facteurs qui sont semblables à ceux du Canada :
Le coût élevé d'évaluer et de gérer des financements d'amorçage de taille relativement modestes, la croissance de la taille des fonds de capitaux de risque favorisent les investissements de plus grande taille dans des projets plus avancés — donc moins risqués — et la piètre performance en termes de rendement des fonds d'amorçage britanniques.
On pourrait dire la même chose des fonds d'amorçage ou même du capital de risque canadien.
J'en viens à la fin, au cinquième constat. Les besoins des entreprises en démarrage en termes d'appui gouvernemental sont distincts de ceux des PME. On ne peut pas confondre une entreprise en démarrage qui n'a pas encore de revenus, qui développe son produit et ses services, avec une PME qui a déjà un mode de fonctionnement opérationnel.
Les entrepreneurs en démarrage disposent de peu de temps et souvent d'aucune expérience pratique pour entreprendre avec succès les démarches pour les programmes d'aide gouvernementale.
Bien sûr, des organismes tels que le nôtre, le CEIM, peuvent aider dans une certaine mesure, mais il y a un coût et la complexité apparente peut néanmoins en décourager plus d'un.
Pourtant, ceux qui préfèrent ne pas entreprendre les démarches — les entrepreneurs — de crainte d'y investir trop de temps et d'énergie sont souvent ceux qui devraient le plus bénéficier de l'intervention gouvernementale. Il faut trouver une façon d'encourager la prise de risques, calculés bien sûr, et non la décourager.
Le dernier constat est le suivant : le Canada fait face à une concurrence de plus en plus grande. Il faut agir maintenant pour encourager l'entreprenariat et l'innovation, et faire face à une concurrence grandissante, notamment de pays émergents tels que la Chine et l'Inde, sinon l'Amérique du Sud. Les gouvernements de ces pays disposent de moyens d'intervention majeurs pour favoriser l'innovation et la création de richesses.
À titre anecdotique, je souligne que, pour la deuxième année consécutive, le CEIM a été l'hôte d'une délégation de pas moins d'une vingtaine de dignitaires chinois venus s'inspirer de nos pratiques d'incubation.
Pendant ce temps, à Shanghai, on a mis sur pied des incubateurs qui sont géants comparativement aux nôtres, avec des moyens considérables, et on apprenait cette semaine que le gouvernement du Chili a mis sur pied le programme Start-Up Chile pour attirer les entrepreneurs du monde entier. Soyons donc prêts à faire face à cette concurrence croissante.
En conclusion, je me permets quelques suggestions en termes d'améliorations pour les politiques gouvernementales.
La première suggestion serait de faciliter l'admissibilité du programme de crédits d'impôt à la recherche scientifique et au développement expérimental pour les entreprises en démarrage, en simplifiant le processus. Mais si possible, il faut maintenir l'admissibilité de l'équipement dédié à la recherche et au développement. Deuxièmement, développer un programme de financement des dépenses de recherche scientifique et développement expérimental pour les entreprises en démarrage qui ne génèrent pas déjà des revenus et qui n'ont pas déjà un financement d'amorçage.
Je me dois d'expliquer. On m'a déjà demandé pourquoi je me plaignais qu'il n'y avait pas suffisamment de financement pour aider les entreprises en démarrage. Il y a le programme de crédits d'impôt à la R&D, un des plus généreux sur la planète; il y a le programme d'aide à la recherche industrielle du Conseil national de recherches du Canada; il y a la BDC et ainsi de suite.
La réalité, je la connais parce que je travaille depuis 15 ans exclusivement avec des entreprises en démarrage. Mais même si vous avez des emplois qui sont dédiés à la R&D, tant et aussi longtemps que l'entreprise n'a pas les moyens et les liquidités pour payer les salaires qui sont admissibles, il y aura zéro crédit d'impôt à la R&D.
Il faut savoir que le programme d'aide à la recherche industrielle demande, entre autres choses, une contrepartie. Cette contrepartie est manquante et je crois que le gouvernement du Canada, possiblement grâce à l'intervention de la BDC, pourrait développer un programme spécifiquement pour financer au départ ces activités. Lorsqu'une PME génère des revenus et autres, bien sûr elle a accès à du financement bancaire, et, au Québec, parfois même garanti par Investissement Québec, mais l'entreprise en démarrage n'y a absolument pas droit. Et pourtant, ce sont ces entreprises qui devraient bénéficier davantage de l'aide gouvernementale.
Une troisième suggestion : évaluer la possibilité d'un programme de crédits d'impôt à la commercialisation visant particulièrement les entreprises en démarrage qui en sont à leurs premières étapes. Encore une fois, ce sont celles qui ont le plus besoin d'intervention au départ.
Quatrième suggestion : poursuivre le programme canadien pour la commercialisation des innovations. C'est une excellente initiative. Mais dans la mesure du possible, il faut faciliter le processus d'application pour les entreprises en démarrage.
Une entreprise qui démarre, encore une fois, se retrouve avec quelques individus qui ont de multiples tâches et qui n'ont pas l'expérience de travailler avec les pouvoirs publics. Les entrepreneurs qui ont une technologique et qui peuvent profiter de ce programme ne peuvent pas concurrencer à technologie égale et innovation égale une PME ou même une grande société qui est habituée et qui a les moyens et les ressources de faire ces démarches. Il faut donc qu'il y ait un ajustement de ce côté, dans la mesure du possible. Mais le programme est une extraordinaire initiative prise par le gouvernement l'automne dernier.
Cinquième suggestion; développer un programme de R&D pour le bénéfice des ministères et agences gouvernementales canadiennes répondant à des besoins concrets, mais dont les contrats de recherche seraient offerts en priorité aux entreprises technologiques en démarrage. Ce pourrait être un complément au Programme canadien pour la commercialisation des innovations.
Sixième suggestion; développer des mesures de performance — et celle-là est plus de nature de politique gouvernementale — développer des mesures de performance des différents programmes gouvernementaux bien adaptés à la réalité des entreprises en démarrage; ce qui n'est pas simple. Il faut mesurer l'impact réel de l'intervention gouvernementale, et non seulement l'impact le plus perceptible. Les mesures en termes de création d'emplois, en termes de revenus, ainsi de suite, c'est bien et ça se mesure bien sur une longue période de temps, mais ce n'est pas nécessairement le bon ou le meilleur indicateur pour une entreprise qui démarre. Il faut encourager la prise de risques propres à l'entrepreneur. Il faut donc que la gestion de nos programmes d'aide gouvernementale pour les entreprises qui démarrent soit adaptée à cette réalité.
Finalement — et je vais prêcher pour notre paroisse et d'autres organismes comme le nôtre —, il faudrait doter les incubateurs dûment accrédités par Développement économique Canada ou des gouvernements provinciaux de fonds d'amorçage pour stimuler la création de fonds d'entreprise technologiques. C'était une des recommandations du rapport qui avait été commandé par l'Agence de développement économique Canada.
Cette étude concluait en disant :
De tels fonds permettraient une intervention rapide par les acteurs les plus au fait des besoins et des opportunités.
En conclusion, il ne s'agit pas d'investir davantage de fonds publics pour aider à l'innovation, à l'entreprenariat et au développement économique, mais bien de mieux allouer et administrer certains de ces fonds en identifiant les besoins prioritaires non comblés par le secteur privé et l'effort du marché. Merci.
Le président : C'est nous qui vous remercions, monsieur Bourassa. C'était fort intéressant. Nous avons une liste de sénateurs qui veulent poser des questions.
En premier lieu, est-ce que M. Coulombe ou M. Legault auraient des commentaires à faire suite à l'intervention de M. Bourassa?
M. Coulombe : Oui, tout à fait. J'ai pris quelques notes. Il faut dire que je suis président du Conseil de l'ADRIQ, mais je suis aussi un entrepreneur. J'en suis à mon deuxième démarrage d'entreprise. La première, c'était en 1994. Le régime ou le système de crédit d'impôt à la recherche et au développement permet aux entreprises canadiennes — j'en suis une preuve et j'ai plusieurs amis entrepreneurs — de développer des technologies et des produits de classe mondiale. C'est clair. On a les talents et le programme. Dans sa nature, il a besoin d'être amélioré et on va en parler tout à l'heure, mais c'est clair.
Pour mon autre entreprise, on était deux et à un certain moment donné on avait 175 employés et on exportait 80 p. 100 de nos équipements en Asie, l'autre 10 p. 100 en Europe et un peu aux États-Unis. Oui, on est capable. Oui, on a du talent, mais il y a des lacunes au niveau du financement. Il y a des changements profonds à apporter dans la façon de financer les entreprises en amorçage.
J'ai quelques causes pour expliquer et contribuer sur ce que M. Bourassa a dit au niveau de ce problème, parce que l'amorçage est un problème. Je le vis présentement. Ma deuxième entreprise, c'est une entreprise qui en est au tout début. Elle a été créée au mois de juillet et c'est une technologie qui a été développée dans les centres de recherche, notamment à l'École de technologie supérieure. Et là maintenant, après 10 ans de recherche et développement, on veut que l'économie canadienne puisse profiter de ce retour parce que c'est un investissement qu'on fait dans les universités. Alors maintenant, on va créer des emplois, on va exporter des produits, et cetera. Et là, il n'y a pas grand-chose. Beaucoup de questions sur le capital de risque et sur les fonds qui sont disponibles.
Il y a un besoin en capital de risque en technologie. Je le confirme, je vous dis que, oui. De la façon dont les règles se sont développées au Canada, c'est très difficile pour les entreprises d'avoir accès à des fonds à l'amorçage parce qu'il n'y en a pas. Pourquoi? Parce que c'est désavantageux pour les investisseurs aujourd'hui. Je m'explique. Lorsque vous avez une entreprise, en général, vous la créez, vous êtes en actions ordinaires. Tout le monde est actionnaire au même titre, on a tous des actions ordinaires.
Autrefois, je recule au début des années 2000, si la BDC investit, elle investissait, elle avait des actions ordinaires comme les fondateurs de l'entreprise. L'objectif était le même pour tout le monde, augmenter la valeur des actions et l'enrichissement collectif de l'économie canadienne. Malheureusement, cela s'est détérioré parce qu'il y a des règles intrinsèques au Canada dans le capital de risques. L'une de ces règles dit que si tu as fait un premier investissement dans une entreprise, on dit dans le jargon que tu as mené la ronde, si tu as mené la première ronde, tu ne pourras faire la deuxième. Ce doit être une autre institution qui viendra valoriser l'entreprise. La raison de ça, c'est qu'on dit que tu es biaisé. Comme tu as mené la première ronde, tu vas vouloir montrer une augmentation de la valeur de l'entreprise, cacher les problèmes, je vous dis les choses telles qu'elles le sont. On va laisser quelqu'un d'autre venir mener la deuxième ronde.
Tout le monde connaît cette règle. Qu'est-ce que vous faites si vous voulez assurer votre rendement? Je sais que tu ne peux pas mener la prochaine ronde, donc moi je vais le faire. Par contre, je ne mettrai pas cela en actions ordinaires, je vais le mettre en actions privilégiées, avec rendement garanti parce que je veux être certain de faire de l'argent dans cette affaire et je sais que tu n'as pas le choix d'accepter parce que tu ne mèneras pas la prochaine ronde.
On se retrouve avec un cumul. Imaginez quand la troisième arrive, c'est encore pire. Donc, les sociétés en capital de risques aujourd'hui veulent investir dans les entreprises déjà amorcées. Par conséquent, les gens en amorçage se retrouvent avec un manque de fonds.
C'est un des premiers problèmes. Alors que tous les financiers reconnaîtront que lorsque tu investis au départ, les risques sont plus grands mais si ça fonctionne, ta rémunération devrait être plus grande, pas l'inverse. Dans une situation comme celle-là, c'est l'inverse qui se produit. Donc, les gens disent : « L'amorçage, je ne touche plus à cela, je vais laisser les autres perdre leur argent. » Pour ceux qui sont là, moi, je viendrai et j'essaierai d'en faire.
Deuxième constat, c'est qu'en capital de risques, on n'est pas là pour bâtir des entreprises, que ce soit bien clair. Ce sont des investisseurs qui sont là pour faire un rendement, un point c'est tout.
Aujourd'hui, tout ça a évolué mais pas dans la bonne direction. Comme M. Bourassa l'a dit et je confirme ça, le document d'investissement qu'on va vous présenter dans votre entreprise affiche déjà, je rentre aujourd'hui, je vais sortir là, et voici comment je vais sortir et quel va être mon rendement garanti. Donc, on a deux classes d'actionnaires, ceux qui viennent là et les fondateurs. S'ils ne sont plus adéquats, on les tassera et on en mettra d'autres que nous croyons meilleurs. Ce ne sont pas des règles qui favorisent, et pourtant, il y a un besoin.
Quand ce sont des fonds privés, on dit : « C'est leur argent, ils font ce qu'ils veulent, ils connaissent les règles du jeu, c'est bon. » Mais si le gouvernement canadien ou le gouvernement d'une province décide de mettre des fonds disponibles de cette manière, cela me met un peu mal à l'aise. Comme payeur de taxes, c'est mon argent et j'aimerais que mon argent contribue à l'enrichissement collectif et non pas d'une poignée d'individus. J'ai un problème avec cela.
C'est pour réagir à ce que M. Bourassa a mentionné. Je pense qu'on peut remédier à cela de façon positive et le gouvernement peut avoir un effet positif parce que dans le rapport Jenkins, on parle que la BDC pourrait participer et aider et aussi, au niveau des règles, pas juste au niveau du montant d'argent. Oui, des règles, mais elles seront saines. Tout le monde travaille en actions ordinaires, tout le monde a le même objectif.
Oui, on veut un rendement, l'industrie privée, bien sûr, on veut un rendement, l'entrepreneur aussi veut un rendement, tout le monde veut un rendement mais on va tous faire le même rendement ou on va le faire de façon équitable. Il y a matière à travailler à ce niveau. C'est ma première réaction à l'introduction de M. Bourassa.
M. Legault : Il y a déjà pas mal de matière sur la table mais je pourrais ajouter, si on se projette en mode solution, je pense que les constats sont inattaquables. Maintenant, qu'est-ce qu'on peut faire?
J'ai été président d'un fonds d'investissement, le FIER, du capital de risque, c'est une structure québécoise, c'est des investisseurs privés, une dizaine, qui mettaient un dollar pour chaque trois dollars d'investissement. Le reste était fourni par le gouvernement québécois et la gestion était laissée aux entrepreneurs. Il y avait des règles de base de saine gestion mais la gestion était laissée aux entrepreneurs.
Et je vous dirais qu'on a pu ... comme président du FIER, je m'efforçais d'améliorer la culture du « venture capital ». Étant donné que je venais de la PME, je comprenais très bien quelle était la situation de la PME et je rappelais à l'ordre les deux côtés, le côté des investisseurs, je leur rappelais qu'il faut donner l'heure juste aux PME et se comporter de façon correcte. Il ne faut pas entrer en pensant effectivement qu'on va les tasser tout de suite. Il faut donc se comporter d'une façon où il y a un partenariat gagnant/ gagnant.
Donc, une piste de solution, c'est bien entendu qu'il faut impliquer l'entrepreneur dans le capital de risque parce que ce sont les personnes les plus aptes non seulement à se comporter de façon raisonnable parce qu'ils ont été normalement confrontés à cela dans leur vie passée. Ce qui était mon cas. Mais aussi, ils ont les compétences. Si on regroupe des entrepreneurs qui investissent, normalement leur tendance sera d'investir dans ce qu'ils connaissent.
Là on va régler une autre problématique du capital de risques qui est la non connaissance des domaines où on investit. Il y a beaucoup de temps et d'argent qui se perd. On n'a pas une zone de confort raisonnable. Si c'est une banque ou qui que ce soit, s'ils ne connaissent pas le domaine, ils doivent s'en remettre à des experts, on perd un petit peu la relation directe, ce qui dans un cas de démarrage est absolument essentielle.
Je vous dirais qu'on avait une feuille de pointage au FIER qu'on avait montée. Un des items était la relation de confiance qu'il y avait entre l'entrepreneur et les 10 investisseurs. C'était un élément clé. Donc, je vous dirais que d'introduire dans le capital de risque des entrepreneurs pour aider la BDC, ce serait déjà quelque chose.
M. Coulombe disait qu'il y a un problème structurel, vous l'avez compris, c'est assez simple à comprendre. Les mesures de performance des gestionnaires, la façon dont ils sont jugés, dicte leur comportement, et ce comportement vient à l'encontre du gros bon sens.
Donc, vous ne pouvez pas nécessairement influencer ... le gouvernement fédéral ne peut pas influencer tout le monde, mais l'argent public, qui est mis en capital de risque, peu importe la forme, il est sûr que la BDC est l'outil le plus direct que vous avez, mais il y a de l'argent gouvernemental qui touche le capital de risque. On devrait donner le bon exemple et balancer à nouveau les structures d'entrée et de sortie de façon à ce qu'on influence la culture qui va se propager dans le reste du système privé bancaire et autres. Ce sont nos deux suggestions.
Là-dessus, on disait que peut-être la fiscalité peut encourager. Je suis un entrepreneur qui a roulé sa bosse et qui est prêt à investir encore de façon privée. S'il y a des incitatifs fiscaux à faire cela pour des entrepreneurs qui peuvent justement être des bons mentors, qui peuvent aider au niveau financier, s'il y avait des incitatifs fiscaux, à l'exemple du Fonds de solidarité de la FTQ, qui donnait une prime fiscale quand on investit dans ce genre de fonds, ce serait une autre piste de solution intéressante pour changer cette dynamique parce que le problème est un problème culturel. Qui dit culture dit long terme. On ne peut changer cette réalité rapidement, mais il faut s'y mettre.
M. Coulombe : En fait c'est tout à fait facile à implanter et ça donne des résultats immédiats car lorsqu'un entrepreneur en démarrage, il a toujours un produit ou une industrie, c'est assez simple. Il ne peut pas faire plus parce qu'il n'a pas les moyens.
Alors, dans chaque industrie particulière, dans chaque secteur, il y a des entreprises. Et si vous allez cogner à leur porte, vous validez votre marché. Et à l'intérieur, il y aura un entrepreneur qui dira que non seulement il croit à votre affaire, mais qu'en plus, il est prêt à investir. Et là, si l'entrepreneur bénéficie en plus d'un crédit d'impôt pour diminuer un peu son risque, c'est une formule qui est facile à appliquer et tout le monde sera gagnant. L'entrepreneur, en plus de son argent, sera enclin à conseiller l'entrepreneur qui démarre parce qu'il aura l'expertise du terrain.
On arrive tous à créer des produits, des technologies mais les commercialiser, c'est un effort considérable et qui est risqué. Il est donc vraiment bénéfique d'avoir de la formation.
M. Bourassa : Je concours avec la plupart des commentaires de mes collègues. Je voudrais quand même apporter une nuance dans les étapes au niveau du financement.
Il y a déjà des fonds de capitaux de risque, fiscalisés ou non, qui sont dirigés par des entrepreneurs. À partir du moment où ces gens sont dans une structure où, forcément, on va minimiser le risque et maximiser le rendement, c'est finance 101, leur comportement comme capital risqueur, entrepreneur ou pas, sera le même.
Au niveau de l'amorçage, il faut regarder cette partie. Et lorsqu'on parle d'amorçage, c'est toute la partie qui va de la preuve de concept jusqu'au début de la commercialisation, c'est la plus risquée. Il est connu qu'il y a des études — j'en ai cité une ou deux études plus tôt, il y en a plusieurs — qui démontrent qu'à l'exception des États-Unis, où il y a une culture, une profondeur de marché, une expertise bien établie, à l'exception d'Israël entre autres, typiquement, ces parties ne sont pas rentables du point de vue financier.
Pour le reste du financement, j'adhère aux commentaires de mes collègues. Mais pour la première partie, il faut vraiment le voir dans une perspective de développement économique.
M. Legault : La nuance est là.
M. Bourassa : Et on voit une baisse marquée du nombre d'entreprises créées au Québec, les statistiques de l'an dernier étaient assez alarmantes; je n'ai pas vu les récentes statistiques au niveau canadien. Je suis toujours éberlué de voir nos jeunes et moins jeunes entrepreneurs travailler aussi fort, prendre autant de risques mais se retrouver dans des situations où ils ont peu d'alternatives.
Au niveau de la solution, je crois qu'il faut distinguer la partie amorçage des rondes subséquentes et je crois que le rôle du gouvernement canadien devrait se consacrer à cette partie-là. Par la suite, les forces du marché devraient normalement pouvoir répondre aux besoins.
Mais en ce qui concerne les forces du marché, j'ajouterais une chose à ce que M. Coulombe disait tantôt, sans entrer dans les détails, c'est que les stratégies d'investissement, pour les premières et deuxièmes rondes, peuvent dans certains cas inciter les entreprises à poursuivre leur ronde de financement aux États-Unis. C'est compréhensible, on a peu de profondeur au Canada. Mais il faut être prudent de ne pas amener, directement ou indirectement, parfois même grâce à certaines initiatives gouvernementales, des entrepreneurs qui sont vulnérables à des déménagements aux États-Unis. Faire affaire aux États-Unis et par le monde, absolument, mais assurons-nous de donner une chance raisonnable aux entrepreneurs de valoriser suffisamment leurs entreprises et d'avoir des conditions de financement acceptables, pour que non seulement le financement suivant se fasse ailleurs — par exemple aux États-Unis —, mais éviter que toute la valorisation, toute l'expertise en termes de commercialisation, dont on se plaint souvent qu'elle soit manquante au Québec et au Canada, ne soit jamais rapatriée au Québec.
Encore une fois, c'est une question de stratégie d'investissement. Il faut comprendre que le secteur privé, l'influx de capital de risque, dirigé ou non par des entrepreneurs, n'ont pas comme mission de faire du développement économique, mais les instances gouvernementales, si elles financent certaines de ces initiatives, doivent vraiment agir comme « chien de garde », si vous me permettez l'expression.
M. Coulombe : La précision apportée par M. Bourassa est très intéressante. M. Legault et moi avons une recommandation à ce sujet. Au niveau de l'amorçage, c'est vrai que si on regarde le capital de risque en Israël, les performances qu'ils ont, une des raisons à cela, c'est que l'accompagnement de l'État, sous diverses formes — les sociétés d'État, par exemple —, se fait beaucoup plus longtemps avant que n'intervienne le capital de risque. Donc, la société a eu la chance d'être valorisée.
Et à ce niveau, on pourrait imaginer un seuil en bas d'une certaine valorisation, trois ou cinq millions, peu importe, l'État accompagne, mais passé une certaine valorisation, ce n'est plus vraiment à l'État de travailler, il cède sa place au secteur privé. Mais il faut se rendre là. Donc, dans ce sens, c'est tout à fait approprié.
Le président : Je pense que vous avez beaucoup de pain sur la planche. Nous allons passer à la période de questions.
Vous avez dit que le rôle du gouvernement — québécois ou canadien — se joue surtout au niveau des entreprises en démarrage.
M. Legault : C'est une des facettes.
M. Colombe : En gros, on peut parler d'amorçage, de PME et de grandes entreprises. Ces entreprises travaillent différemment selon leur taille. On a beaucoup parlé de l'amorçage parce qu'il y a un vrai problème, c'est certain, mais on va aussi parler de la grande et de la moyenne entreprise.
Le président : Mais au premier niveau, si je peux m'exprimer ainsi, il y a évidemment beaucoup de risque.
M. Coulombe : Bien sûr, c'est une grande entreprise. On s'entend, c'est clair.
Le président : On est d'accord sur ce point. Et les fondateurs de la compagnie n'ont souvent pas beaucoup de fonds?
M. Coulombe : Non, exact, ils sont endettés.
Le président : C'est peut-être là où le gouvernement peut jouer un rôle important, crucial.
J'ai retenu deux grands principes du témoignage d'un témoin qui était devant nous hier. Premièrement, il ne faut pas permettre au gouvernement de jouer le rôle d'une sorte de dieu qui choisit les gagnants à l'avance. Parce que leur bilan n'est pas très heureux. Et c'est difficile.
Ce témoin a aussi insisté sur la nécessité ou le bien-fondé des fonds « matching ». Si l'entrepreneur est prêt à investir 100 000 dollars, le gouvernement va suivre. Et pour suivre votre ligne de pensée, les deux sont sur la même base. Pas une des parties avec une préférence quelconque et l'autre qui ne l'a pas. D'accord?
Je pense que vous êtes tous plus ou moins d'accord avec ça, mais dans vos réponses aux sénateurs, qui sont tous très patients, vous pouvez peut-être répondre à mes observations.
Je passe d'abord la parole au sénateur Ringuette suivie du sénateur Stewart Olsen.
Le sénateur Ringuette : Je suis fascinée par vos déclarations. J'ai regardé ce qui se passait au Québec puis par rapport au Nouveau-Brunswick, évidemment, au niveau de l'aide à l'entreprenariat. Vous avez certainement une longueur d'avance.
Et vous avez raison qu'il faut faire la distinction entre une entreprise de démarrage, une PME et une multinationale. Les crédits d'impôt fédéral pour la recherche et le développement sont vraiment dirigés vers la grande entreprise, la multinationale où elle génère des profits et qui peut vraiment bénéficier du crédit d'impôt à la recherche.
Évidemment, je crois qu'il est bon, pour les entreprises de démarrage, de se consacrer au capital de risque. Monsieur Colombe, par votre expérience, vous nous avez dit qu'il est très difficile, premièrement, de savoir quelles sont les règles qui sont applicables et, deuxièmement, d'identifier ces capitaux à cause du risque qui n'est pas différent, selon votre témoignage d'aujourd'hui, de ce qu'on a entendu hier.
C'est tout le facteur « risque » qui entre en jeu.
Cependant, vous avez ajouté un élément central qui est l'objectif de l'investisseur. Pour un investisseur public, les paliers gouvernementaux seront le développement économique, alors que l'objectif de l'investisseur privé, c'est certainement le rendement à l'investissement.
Comment peut-on avoir une recommandation du gouvernement qui ferait en sorte de minimiser le risque du secteur privé pour changer son objectif? Utiliser une politique publique pour changer l'objectif premier de l'investisseur privé? Comment pourrait-on faire ça?
M. Coulombe : Il y a plusieurs années, au Québec, il y a eu un programme qui s'appelait le REA, le régime d'épargne-actions. L'idée était de permettre aux entreprises d'accéder à des fonds publics pour financer leur croissance. Ceux qui achetaient des actions de ces entreprises devaient, pour conserver un crédit d'impôt du gouvernement, conserver leur exemption pendant trois ans. C'était une façon d'influencer les règles du jeu.
On peut peut-être imaginer des règles différentes, mais qui ont le même objectif. Si les « capital-risqueurs » entendent le gouvernement dire : « Vous investissez de cette manière-là, par contre, si vous investissez de telle manière, nous allons contribuer parce qu'on pense que c'est bon pour l'économie canadienne », on s'assure qu'il n'y aura pas juste un rendement — il ne faut pas être contre le rendement, on est dans une société capitaliste —, mais également un enrichissement collectif, de façon à ce que le gouvernement et les payeurs de taxes puissent en récupérer.
Je n'ai pas la prétention, ni mes collègues, de dire qu'on va trouver toutes les solutions aujourd'hui, mais vous pouvez influencer les règles. C'est ce que vous pouvez faire. À l'ADRIQ — et je suis certain que c'est la même chose pour M. Bourassa —, on peut faire partie d'un petit comité et échanger avec les gens du gouvernement. D'ailleurs, l'ADRIQ a déposé un mémoire sur plusieurs sujets parce que c'est important. Si on veut que les gouvernements posent les bonnes actions, nous, les entrepreneurs, devons nous s'exprimer. Nous sommes contents de le faire ici parce qu'on n'a pas les richesses de plus gros groupes qui ont des lobbys et qui peuvent se les payer. Nous sommes donc contents d'avoir cette occasion aujourd'hui.
M. Legault : Une des fonctions de l'ADRIQ — et ce qu'on fait à tous les jours — est d'influencer positivement l'écosystème, c'est-à-dire les gens qui sont dans le secteur du financement, dans la recherche, de même que les entrepreneurs. C'est un écosystème, c'est vivant. Je dirais que l'ADRIQ est l'observateur le plus attentif de l'écosystème. La plupart se battent dans leur partie de l'écosystème, comme les universités. Notre travail à chaque jour est non seulement d'observer, mais d'essayer d'influencer positivement. On va certainement travailler là-dessus.
Le Fonds d'intervention économique régional, qui est un mécanisme créé au Québec, regroupait des entrepreneurs qui avaient déjà un rayonnement et qui n'étaient pas seulement là pour s'enrichir. Honnêtement, mon investissement, c'était un investissement dans la société. Mon but était de faire du mentorat, c'est-à-dire de trouver des « Cirques du Soleil » cachés sous une roche, quelque part au Québec, et de pouvoir dire : « J'étais de ceux qui leur ont donné un coup de main. »
Donc, les règles qui ont été données au FIER n'imposaient pas cela. Personnellement, comme je présidais le conseil, j'ai un petit peu donné le ton, j'ai choisi les joueurs autour. Cependant, il n'y a rien qui empêcherait le gouvernement de donner des lignes directrices à la composition de ce genre de fonds, de donner aussi des lignes directrices quant au retour qui est attendu, et de s'assurer que pour les 2 $ que le gouvernement investit au Québec, il y a certaines conditions à remplir qui ne sont pas seulement des conditions de gestion, mais qui couvrent aussi un sain retour sur l'investissement. C'est quelque chose qui pourrait facilement être fait.
L'ADRIQ le fait et il est certain que le gouvernement a beaucoup plus de pouvoir quant à son implication et à la législation de certains investissements. Chaque dollar qui vient de la poche des contribuables, techniquement, le gouvernement a le mandat de s'assurer que le retour est juste. Quand c'est de l'argent du privé, c'est plutôt le marché qui dicte les lois.
C'est à ce niveau qu'il peut y avoir une action. Il y a eu plusieurs exemples, je ne connais pas les autres provinces. Il y a les SPEQ aussi.
M. Coulombe : L'idée des SPEQ — les sociétés de placement dans l'entreprise québécoise — était très bonne. C'est la raison pour laquelle on se permet d'en reparler aujourd'hui. Il y a des entrepreneurs qui ont réussi, qui ont fait des sous et qui ont décidé d'aider d'autres entrepreneurs.
Je n'ai pas expérimenté personnellement la formule, mais pourquoi cela n'a-t-il pas été un succès en termes de volume? C'est parce que c'était lourd administrativement, alors que cela devrait être simple. Il y a des entrepreneurs qui se regroupent et qui veulent investir dans des entreprises. Il n'est pas tellement compliqué d'établir des règles. C'est une forme de financement.
Il y a des programmes qui existent et qui fonctionnent très bien. Des fois, on devrait s'en inspirer. Je travaille depuis des années avec Développement économique Canada. Ils ont un programme pour aider les entreprises à commercialiser. Ce programme est simple. Il n'est pas lourd et il fonctionne bien. On pourrait le bonifier. Ce programme cible la commercialisation, et c'est très bien.
Maintenant, si on parle du financement en amorçage, on peut imaginer la même chose. C'est un prêt. Ce que Développement économique Canada fait, c'est un prêt, ce n'est pas une subvention. Donc, ce n'est pas une mesure qui coûte une fortune au gouvernement canadien. Dans les cas où l'entreprise échoue, malheureusement il ne pourra pas récupérer son prêt, mais il y en a qui réussissent. Ce n'est pas une subvention automatique à tous. Et les entrepreneurs ne recherchent pas toujours des subventions. Ce n'est pas le secret. Cependant, des garanties de prêt auprès d'une institution bancaire font une différence pour financer ton fonds de roulement. C'est donc un modèle simple dans sa gestion et cela pourrait être une autre piste de solution.
Personne ne peut prétendre trouver la solution miracle qui va satisfaire tout le monde. Il y a différentes façons d'y arriver. Dans tout ce qu'on fait, il faut que ce soit simple à appliquer. Dès qu'on fait intervenir beaucoup de monde comme des notaires, des avocats, dès qu'il y a beaucoup de documents et que tout le monde se protège, ça devient lourd. Comme le disait si bien M. Bourassa, comme entrepreneurs, on ne peut pas s'embarquer là-dedans.
Le sénateur Ringuette : C'est essoufflant!
M. Coulombe : Oui, démarrer une entreprise est un marathon, c'est clair, donc il faut que la piste soit déblayée.
Le sénateur Ringuette : J'ai encore une petite question.
Le président : Avec une petite réponse.
Le sénateur Ringuette : Le programme de « coaching » que vous avez à l'ADRIQ, est-ce que c'est pour les entreprises de démarrage ou les PME?
M. Legault : C'est pour les PME et il s'adresse surtout à des entreprises qui ont passé le stade du démarrage, donc après qu'on ait fait la preuve de conceptualisation.
[Traduction]
Le sénateur Stewart Olsen : Pardonnez-moi si je vous parle en anglais. Mon français n'est pas assez bon pour que je puisse me faire bien comprendre.
Je suis très intéressée par ce que vous dites et ce que vous faites. Par contre, je pense que le téléspectateur moyen doit se demander ce que vous faites exactement. Votre organisme reçoit des fonds de l'État. Est-ce que vous êtes un groupe de réflexion? Rassemblez-vous des gens du privé ayant des fonds?
Un des commentaires les plus intéressants, selon moi, a été fait par M. Legault. Il disait que les règles du jeu sont très complexes. Si j'étais un entrepreneur à ses débuts, je regarderais tout ça et je me demanderais par où commencer. Dois- je me tourner vers eux ou vers l'administration? Quelle est la première étape à suivre?
Je pense que ce comité pourrait suggérer dans son rapport des pistes aux entrepreneurs qui se demandent comment faire pour y accéder et pour connaître les règles du jeu.
M. Bourassa : Pardonnez mon accent.
Le CEIM a été fondé il y a 16 ans précisément avec la mission d'aider les entreprises en démarrage. Au départ, nous touchions à tous les secteurs. Maintenant, nous nous concentrons essentiellement sur le secteur des technologies.
Nous sommes un organisme privé. D'une part, nous travaillons comme des conseillers privés le feraient, mais nous sommes spécialisés pour desservir cette clientèle. En même temps, même si nous sommes de façon indirecte une agence de développement économique privée, nous avons deux partenaires publics. Développement économique Canada est un de nos partenaires depuis le début, mais nous recevons aussi l'appui du milieu des affaires.
J'ai été engagé il y a 15 ans par Mme Desmarais, qui a des liens étroits avec le milieu des affaires. Nous avions assez de crédibilité pour lancer notre programme. Notre programme a évolué parce que les besoins des entrepreneurs ont changé.
Nous travaillons avec toutes sortes d'organismes, y compris les conseillers du PARI, par exemple, ainsi qu'avec des conseillers de Développement économique Canada, des centres de recherche et autres. En gros, nous offrons des services d'encadrement et de conseil pour aider les entrepreneurs à concrétiser leurs idées et à mettre le résultat en marché.
Au fil des ans, nous avons mis sur pied des programmes d'encadrement spécialisés pour concurrencer le marché mondial. Par exemple, nous avons engagé, pendant six mois, un entrepreneur américain pour qu'il vienne encadrer des entrepreneurs. Au CEIM, nous avons élaboré des services d'information pour aider les entrepreneurs à trouver de gros clients et à leur vendre leurs produits et services.
C'est notre mission. Nous avons toujours été fidèles à notre mission, dès le début. Nous nous présentons encore comme étant un organisme « incubateur », mais je crois que nous sommes bien plus qu'un incubateur; nous sommes aussi un « accélérateur ».
Toutefois, nos services ne sont pas gratuits. C'est très important du point de vue de la politique publique. Nous vendons nos services. Les entrepreneurs qui travaillent avec nous doivent payer de leur propre poche. Nous n'acceptons pas d'actions d'une entreprise. Ce n'est pas notre modèle d'affaires. Nous ne sommes pas une société de capital-risque.
Nous offrons nos services moyennant un certain prix, ce qui exige de la discipline. En même temps, l'aide de l'administration — d'Ottawa et de Québec — couvre environ la moitié de nos frais d'exploitation. Ça nous permet d'offrir nos services à prix moindre. Quand les entrepreneurs font affaire avec nous, ils ne payent généralement pas avec un compte de dépenses d'entreprise. C'est leur propre argent, ou l'argent de leur femme, de leur mari ou de leurs proches.
En gros, c'est ce que nous faisons.
Le sénateur Stewart Olsen : Si je voulais démarrer une entreprise technologique, comment saurais-je que je dois aller vous voir?
M. Bourassa : Des organismes nous envoient des clients. Nous avons développé un réseau grâce à des organismes gouvernementaux comme Développement économique Canada et le gouvernement du Québec, mais notre meilleure source de nouveaux clients, ce sont les entrepreneurs qui ont réussi.
Nous organisons aussi différentes activités. Nous faisons du réseautage durant les activités de l'ADRIQ. L'ADRIQ fait un excellent travail, non seulement en suggérant des politiques aux administrations, mais aussi en organisant des activités d'envergure.
Nous entretenons des liens avec d'autres entrepreneurs. En général, la plupart des entrepreneurs québécois seront dirigés vers nous, ou vers d'autres organismes. Il y a plusieurs avantages à faire affaire avec nous : non seulement nous offrons des services d'encadrement et autres, mais non connaissons bien les organismes gouvernementaux. Nous savons qu'on ne peut pas tout trouver sur le web.
Par exemple, le ministère des Affaires étrangères du Canada a organisé un camp d'entraînement au CEIM deux années de suite. Grâce à ce partenariat — et je tiens à dire que ça a été extraordinaire, c'était la toute première fois que ça se déroulait à Montréal —, nous avons accueilli des représentants des consulats généraux de San Francisco, de Boston et de New York. De grands entrepreneurs de San Francisco, de Boston et de New York ont rencontré 22 personnes à la tête d'entreprises en démarrage. On ne parle pas de consultation en tant que telle, mais plutôt d'activités de réseautage pour aider les entrepreneurs qui ont très peu de temps.
Ils ne prendraient pas nécessairement le temps de se rendre aux consulats généraux. C'est important de les faire venir à eux. En juin dernier, le ministère des Travaux publics du Canada et nous avons organisé une activité qui s'est tenue à Montréal pour la toute première fois. Grâce à l'initiative de Travaux publics, et avec notre collaboration, quatre décideurs de quatre ministères y ont participé. Ça faisait partie du programme de marketing.
À la fin de la séance, qui a duré une demi-journée, un de mes anciens clients est venu me dire : « Merci beaucoup, Serge. Ça faisait longtemps que je voulais rencontrer M. Carrier. C'est l'expert scientifique en chef du ministère de la Défense nationale à Valcartier. » Nous savons que le ministère de la Défense nationale a un budget, et il est possible que ce ministère investisse dans les technologies de nos entrepreneurs. Grâce à cette initiative, il a eu l'occasion de parler directement à M. Carrier puis d'atteindre les décideurs.
C'est par ce genre de réseautage, et plus particulièrement grâce à l'encadrement spécialisé, que nous aidons les entrepreneurs. Toutefois, c'est très important que nous collaborions avec le plus de parties intéressées possible, y compris avec l'ADRIQ.
[Français]
Le président : Vous êtes aussi éloquent en anglais qu'en français. Auriez-vous une courte réponse à la question du sénateur Stewart Olsen?
M. Legault : L'ADRIQ jusqu'à maintenant était totalement financée par ses membres. Ce sont les événements qui financent les opérations de l'ADRIQ. Seulement certains projets, tels des programmes de relève au niveau des jeunes avaient un appui gouvernemental mais l'opération de base de l'ADRIQ était autonome. Comme j'ai dit hier, on a intégré un réseau qui fonctionne surtout avec de l'argent fédéral.
Le but de tout ça, c'était qu'il y avait une synergie naturelle. Dans le plan d'affaires de l'ADRIQ, on allait sur le terrain faire du « coaching », ces gens le faisaient. Il y a aussi un intérêt au niveau des payeurs de taxes canadiens, c'est que l'ADRIQ, ayant déjà une organisation en place, accueille en son sein une organisation qui livre des actions.
Donc, l'argent gouvernemental va aller directement sur le terrain parce que l'ADRIQ a déjà son fonctionnement de base qui est assuré. On pense que c'est un genre de stratégie. On peut regarder cela comme un exemple peut-être à suivre au lieu de dire qu'on coupe les fonds ou quoi que ce soit, on pourrait peut-être utiliser des stratégies de maillage. Comme Serge l'a dit, on a déjà des maillages naturels, sans être obligé de faire une intégration ou quoi que ce soit. Mais dans ce cas, c'était mieux de faire une vraie réintégration.
Comme payeurs de taxes, je suis content de l'avoir réussi, ce n'est pas une mince tâche, parce qu'on parle de deux organisations qui étaient un membership, donc c'est n'est pas « one owner to one owner that discuss ».
C'est une culture match, ça a pris 12 mois, mais c'est fait. C'est la nature de l'ADRIQ. Je ne voudrais pas oublier quelque chose. Il y a un phénomène qui se passe actuellement, beaucoup d'attention est mis sur le programme de recherche et développement, les crédits sur la recherche et le développement. Comme on a dit, c'est quelque chose qui est très structurant pour le Canada.
On est d'accord, on a émis un mémoire avec plusieurs recommandations. On peut certainement vouloir le bonifier. On accueille d'ailleurs favorablement le rapport Jenkins qui vient d'être mis sur la table, parce qu'il y a beaucoup d'éléments qui ont été défendus dans le passé par l'ADRIQ. La validation des projets d'avance, se diriger un peu plus vers la commercialisation plutôt que la recherche pure et fondamentale, c'est structurant. Il y a aussi l'implication de la BDC au plan du financement où les premiers acheteurs devront être Canadiens. Les États-Unis et Israël ont utilisé cette formule avec succès.
Si on est attentif aux détails, on retrouve des concepts qui sont louables. Cependant, un concept nous apparaît très dangereux et nocif. Ce qu'il ne faut pas faire quand on modifie la législation est de perdre des acquis. On veut normalement améliorer la situation. Dans le rapport Jenkins, un secteur extrêmement important au Canada, le secteur manufacturier, est totalement évacué par le fait qu'on prévoie accorder le crédit d'impôt seulement sur les salaires. On sait qu'en moyenne 50 p. 100 des dépenses de recherche, et bien entendu les demandes en remboursement de crédit d'impôt des entreprises, se font en plan d'investissement pour de l'équipement et des pertes. Pour les PME, c'est environ 30 p. 100, et pour les grandes entreprises, environ 70 p. 100. C'est énorme.
À première vue, on s'est dit : « Wow! On a des déficits de productivité au Canada. » La productivité passe par l'accès aux équipements, à un meilleur soutien informatique et au meilleur équipement potentiel, et là, on vient tout à coup brandir une menace alors qu'on devrait au contraire être stimulé.
On se pose de sérieuses questions. Cela va affecter les finances et, selon nous, cela constitue un sérieux avertissement. Sans autre explication, le rapport Jenkins, dans sa forme actuelle, nous alerte de façon significative. C'est tout le secteur manufacturier qui est visé. C'est ce qu'on voulait vous soumettre.
On est des agents de changement, donc on va y travailler. L'offre a été faite, toutefois, on est très favorables à la création d'un conseil scientifique tel que recommandé dans le rapport Jenkins. On serait honorés de pouvoir contribuer à cela. Si on est invités, il nous fera grand plaisir d'investir avec vous, parce qu'on a, je crois, une bonne capacité de vision globale quant à l'innovation. Notre proposition est lancée.
[Traduction]
Le président : Sénateur Stewart Olsen, je sais que vous avez d'autres questions, mais je dois céder la parole aux autres.
Le sénateur Tkachuk : Tout comme le sénateur Stewart Olsen, j'ignorais l'existence de vos organismes. Juste pour clarifier, vos organismes, monsieur Coulombe et monsieur Legault, sont financés par des entreprises de Montréal et du Québec. Et, monsieur Bourassa, vous disiez que la moitié de votre budget provient des gouvernements fédéral et provincial. D'où vient l'autre moitié?
M. Bourassa : Nous vendons nos services d'encadrement et de conseil. Nous avons aussi des bureaux, mais il faut savoir que nous offrons ces services à des prix moins élevés que ceux du marché pour qu'ils soient accessibles.
Le sénateur Tkachuk : Quels ministères collaborent avec votre organisme?
M. Bourassa : Développement économique Canada.
Le sénateur Tkachuk : Et au provincial?
M. Bourassa : Au provincial, le nom est long. C'est le ministère du Développement économique, de l'Innovation et de l'Exportation.
Le sénateur Tkachuk : C'est tellement compliqué que je ne saurais pas le traduire.
M. Bourassa : C'est le MDEIE, et il y a une division réservée à la science. Nous sommes financés en partie par le gouvernement du Québec.
M. Coulombe : Le premier est fédéral.
M. Bourassa : Le premier, Développement économique Canada, est un organisme chapeauté par un ministère fédéral. Industrie Canada, je crois.
Le sénateur Tkachuk : Est-ce que ça fait partie d'un programme national? Est-ce qu'il existe des organismes semblables à Toronto, à Vancouver ou à Saskatoon?
M. Bourassa : Votre question est très pertinente. Il y a des organismes semblables, mais nous sommes bien différents d'une province à l'autre. Par exemple, il y a MaRS à Toronto.
Le sénateur Tkachuk : Ils sont venus témoigner hier.
M. Bourassa : Notre budget est environ 10 fois plus petit, et notre structure est complètement différente. Notre organisme a été fondé il y a 16 ans, en même temps que d'autres organismes, pour agir comme incubateur d'entreprises. Notre mission n'a pas changé. Nos services ont évolué, mais notre clientèle reste la même. Donc, nous demeurons un incubateur d'entreprises.
Il y a d'autres organismes, à Waterloo, par exemple, dont les activités sont plus semblables aux nôtres. Il y en a plusieurs autres au Canada et aux États-Unis, en Europe et même en Chine. Comme je le disais, nous avons été très étonnés qu'une délégation de dignitaires chinois nous rende visite. On ne fait pas partie d'un programme de financement national. Développement économique Canada nous finance dans le cadre d'une initiative d'entrepreneurship.
Le sénateur Tkachuk : En fait, ce que j'aimerais savoir, c'est comment c'est arrivé. Est-ce que c'est M. Desmarais qui a eu l'idée et qui est allé voir le gouvernement?
M. Bourassa : Mme Desmarais.
Le sénateur Tkachuk : Madame? Donc, Mme Desmarais a eu une idée. Je ne viens pas de Montréal, donc je ne pouvais pas savoir qui avait eu l'idée.
Ils se seraient adressés au gouvernement fédéral pour parler d'un projet à mettre en œuvre à Montréal, puis ils auraient obtenu des fonds des gouvernements fédéral et provincial.
Au fond, ce que j'aimerais savoir, c'est s'il s'agirait d'une bonne idée de programme national. En d'autres mots, si le gouvernement fédéral décidait de financer un programme en particulier à Montréal, je m'attendrais à ce qu'il soit accessible dans le reste du pays. Ce programme est-il exclusif à Montréal ou est-il offert ailleurs au Canada?
M. Bourassa : Tout d'abord, ce n'est pas exclusif au CEIM ni à Montréal. Il faut remonter à 1996. Avant, le CEIM était le centre d'entrepreneurship du YMCA. Nos origines sont modestes. En 1996, nous sommes passés d'une mission socioéconomique à une mission d'affaires, car il y avait un besoin. Souvenez-vous, avant que la bulle technologique éclate en 2000, en 1996 ou 1997, les occasions étaient nombreuses. Donc, l'idée a émergé d'un besoin et d'une occasion d'aider les entrepreneurs.
Oui, il pourrait y avoir une politique sur des organismes nationaux comme le nôtre. Toutefois, les réalités des autres peuvent être bien différentes de ce que nous connaissons à Montréal ou au Québec, ou de celles de l'Ontario, du Manitoba, de Vancouver, et cetera. Il existe déjà des organismes qui sont financés de différentes façons. Parfois, les fonds ne viennent pas du gouvernement provincial ni du gouvernement fédéral. Ils peuvent provenir des municipalités.
Il faudrait prendre la peine de revenir en arrière et de déterminer les besoins, ce qui existe déjà dans l'écosystème. De cette manière, vous pourriez trouver des façons d'améliorer les choses. Mais, pour ce qui est du financement, les besoins pourraient ne pas être les mêmes partout. Selon moi, il est nécessaire d'aider les entrepreneurs à leurs débuts, mais il ne faut pas perdre de vue la structure actuelle.
J'aime beaucoup l'idée de projets qui viseraient à améliorer ces structures à l'échelle du Canada. Cet été, nous nous sommes joints à un organisme de Waterloo. Ça fait deux fois que je parle de Waterloo. C'est que ce n'est pas une grande ville, mais on y fait un excellent travail en ce qui concerne l'incubation d'entreprises. J'aime leur modèle d'affaires.
Ils ont fondé le Canadian Digital Media Network et nous en sommes membres. Cette initiative nous permet de rencontrer d'autres incubateurs d'entreprises, ou d'autres organismes qui peuvent aider les entrepreneurs à faire le marketing de leur technologie à l'étranger, et de discuter de méthodes exemplaires. Ce genre d'initiative nationale est très peu coûteuse. Je ne pense pas qu'ils aient un très gros budget. C'est très important pour nous d'être solidaires en tant que nation. Il faut à tout prix éviter que les provinces rivalisent entre elles.
Un grand nombre de nos clients ont réussi à lancer des entreprises dans l'industrie du jeu à Montréal. Nous croyons que Montréal est première et que Vancouver est deuxième. Pardonnez-moi, je viens de Montréal. Nos plus importants concurrents ne sont pas au Canada. C'est pourquoi l'initiative de mettre en relations des organismes comme le nôtre et des incubateurs est très importante. Elles peuvent porter différents noms. Il faut éplucher la liste des noms et travailler ensemble pour concurrencer la Chine et les autres pays émergents.
Le sénateur Tkachuk : Qui a le plus besoin de capital de risque? Souvent, le capital de risque est utilisé dans plusieurs parties d'un modèle d'affaires. J'essaie seulement de déterminer qui a le plus besoin d'aide.
Quelqu'un a une idée. Ça peut être un produit ou un service. Ces gens doivent faire de la recherche pour faire de leur produit un produit à mettre en marché, ou pour concevoir un plan d'affaires s'il s'agit d'un organisme de services.
Est-ce que c'est entre la conception et la recherche? Est-ce que c'est durant la recherche que les crédits d'impôt et les autres mécanismes de financement sont nécessaires? Est-ce que c'est entre le produit fini et l'étape suivante, celle qui consiste à convaincre les acteurs du marché d'acheter leur produit ou leur service?
À quelle étape la société de capital-risque doit-elle intervenir? Où serait-elle le plus utile au Canada?
[Français]
M. Legault : Malheureusement, il n'y a pas de réponse simple, même si j'aime beaucoup la simplicité, je l'adore, j'essaie de l'appliquer dans tout. Mais des fois, on doit avouer que ce n'est pas simple. Le venture capital ne s'applique pas dans les early stages. C'est assez clair pour beaucoup de raisons que j'ai déjà mentionnées et que je ne veux pas répéter.
Maintenant, après cela, il y a plusieurs étapes : il y a le début de la commercialisation, la maturité d'une certaine commercialisation, un déficit, un certain confort pour les entreprises de garder le niveau de cinq millions à aller plus loin. Il y a une crise de croissance et un besoin de capital. Il y a toutes sortes de choses qui se passent là. Après cela, il y a le développement international. Donc malheureusement le « venture capital », il n'y a pas une recette magique mais dans plusieurs stades d'évolution des entreprises technologiques, le besoin de financement de « venture capital » est différent.
On se doit d'avoir des capacités d'adapter le service, les offres à cette demande. Pour répondre à votre question, est- ce que cela s'applique? Où le « venture capital » est le plus à surveiller, probablement au niveau de la PME, au début de la commercialisation et jusqu'au saut du cinq à dix millions. Cet endroit-là où il y a la vallée de la mort, c'est un concept que beaucoup connaisse, cet endroit-là, c'est après l'« approval concept » entre ce moment et la maturité de 10 à 15 millions où on est vraiment en affaires, c'est dans cette zone-là qu'il faut travailler.
Encore là, il faut la décortiquer en deux ou trois zones pour avoir des interventions justes. Parce que je vous dirais que le remède n'est pas le même pour ces trois réalités.
[Traduction]
M. Coulombe : J'aimerais ajouter quelque chose à ce que M. Bourassa a dit au début. À l'étape où on ne vend pas encore, quand on développe le produit, on a la technologie. On ne vend pas de la technologie. On vend des produits. À cette étape, les entrepreneurs n'ont pas droit au crédit d'impôt pour la recherche et le développement parce qu'ils n'ont pas d'argent pour payer des salaires. Ils s'endettent personnellement. Ils demandent de l'aide à leurs proches.
À mon avis, ce problème pourrait être réglé facilement. Supposons qu'on règle le problème en leur donnant droit au crédit d'impôt pour la recherche et développement. Ils peuvent donc développer un produit. Ensuite, il ne se passe plus rien. On a un produit, mais on n'a pas de client ni de recettes. On ne fait pas d'affaires. Il n'y a pas d'argent pour cette étape-là.
Si on génère des recettes, surtout s'il y a des profits, on trouvera l'argent. C'est facile pour eux. Le marché est confirmé. Ils peuvent travailler selon les prévisions.
Le sénateur Tkachuk : Quelqu'un aime ça.
M. Coulombe : Exact.
M. Legault : Si quelqu'un aime ça, le programme fonctionne bien. C'est une idée qui a été lancée il y a un an. C'est ce que les États-Unis et Israël font. Nous recommandons de renforcer ces efforts. On peut conserver ce programme, l'améliorer, et peut-être même encourager le secteur privé à faire de même. Au gouvernement, on se dit : « Je vais devoir payer toute la facture, car il y a un risque. » L'acheteur ne perdra pas son emploi à cause d'un risque technologique. C'est normal que le gouvernement paye toute la facture.
Supposons que vous offriez de payer une partie de la facture, à parts égales. Nous pensons que cette option a beaucoup de potentiel. C'est dans cette optique que le rapport Jenkins nous apparaît favorable. Ils ont introduit cette notion. Selon nous, il faut dire : « Allez de l'avant, et allez encore plus loin que ce qui se fait déjà. »
[Français]
Le sénateur L. Smith : Monsieur Bourassa, vous avez mentionné les six points avec votre présentation vis-à-vis la considération. Monsieur Legault, vous avez discuté des points différents d'entrée. Nous avons discuté aussi du concept de risque, puis c'est évident que plus il y a de risques, moins les gens veulent donner parce que vous allez payer tôt.
Mais pour notre étude, le sénateur Gerstein a demandé si vous avez deux ou trois recommandations, parce que je sais qu'il n'y a pas une solution pour tous, mais la plus grande faiblesse et la plus grande opportunité pour le gouvernement du Canada, ça tombe où? Est-ce que c'est le point de départ d'avoir un fonds pour stimuler le développement? C'est évident qu'il y a moins de gens qui veulent entrer à ce moment. Quel impact est-ce que nous pourrions avoir de notre côté pour aider l'évolution?
M. Bourassa : Si vous permettez que je continue en anglais pour une pratiquer un peu.
[Traduction]
C'est dans tout ce qui précède l'étape de la commercialisation que le marché est défaillant. Il y a eu de nombreuses tentatives, pas seulement au Canada, mais dans la plupart des autres pays, sauf quelques exceptions. Il faut comprendre qu'en moyenne, sur 100 nouvelles entreprises, une trentaine seulement vont réussir. Les plus grandes sociétés de capital de risque aux États-Unis, celles qui ont les meilleurs résultats, auront peut-être trois gagnants. En général, et dans tous les secteurs, on compte trois réussites pour 10 tentatives. Cela dit, si on n'aide pas les entreprises en démarrage, on n'a aucune chance de réussir.
Selon moi, comme l'industrie canadienne n'a pas été en mesure d'atteindre le taux de rendement escompté, les personnes responsables de gérer ces fonds se tiendront à l'écart. Elles ne sont pas les seules. C'est la même chose pour le Programme d'aide à la recherche industrielle, notamment. C'est normal. Par contre, il est primordial de commencer à élaborer un plan. Sinon, nos chances que suffisamment d'entreprises deviennent concurrentielles en fin de compte seront très minces. Il faut changer notre perception du risque.
Les entrepreneurs, comme M. Coulombe, savent prendre des risques. Et ce ne sont pas n'importe quels risques. Ils risquent leur propre emploi, leurs biens et leur argent. Par nos programmes gouvernementaux, nous devons créer une culture qui encourage et soutient ceux qui prennent des risques. Prendre des risques fait partie de la vie d'un entrepreneur. Il faut commencer par le commencement.
Je connais personnellement de grands entrepreneurs qui ont échoué à une, deux ou trois reprises. Je ne les nommerai pas, mais ils ont fini par réussir. Ils n'ont pas baissé les bras après leur troisième ou quatrième échec, et ils ont ensuite connu beaucoup de succès. Ils ont créé des emplois. Je pense à quelques noms. Je préfère ne pas les nommer.
[Français]
Le sénateur L. Smith : Nous avons annoncé, chaque année depuis dix ans, des allocations aux universités en lice pour une valeur de 203 milliards au Canada, soit 62 milliards pour le Québec. Êtes-vous en contact avec les présidents responsables des fonds en recherche et développement? Après une présentation à l'Université Concordia, nous avons rencontré des groupes de recherchistes dont un venu des États-Unis pour s'établir au Canada à cause du programme Tier 1, avec fonds de 200 000 $ par année pour certains. Ils ont développé un produit avec les étudiants puis ils ont créé une compagnie. Ce que vous dites tombe à point pour illustrer le concept dont nous discutons. Avez-vous des relations avec ces gens et, d'après vous, ces liens sont-ils assez solides? Cela vous a-t-il mis à un autre niveau?
M. Bourassa : Je répondrais : oui, mais. Nous avons des relations, mais la majorité des clients entrepreneurs que nous desservons, en tant qu'incubateur, sont des gens qui ont des formations scientifiques mais qui développent leurs technologies à l'extérieur des centres de recherche universitaire. Plusieurs entrepreneurs l'ont fait à l'intérieur de ces centres avec des chercheurs universitaires. Bien sûr, on veut encourager l'utilisation des expertises qu'on retrouve dans les universités. Mais il ne faut pas oublier que cela prend toujours un entrepreneur pour créer une entreprise.
On est très conscients sur ce plan. On développe nos relations avec les différents centres de recherche et chaires universitaires, mais il ne faut pas oublier que pour commercialiser une entreprise, cela prend une âme d'entrepreneur. Il y a de bons exemples dont un concernant un client que j'ai présentement, du nom de Technologies Expretio. Ce que je mentionnerai est connu et public. Les chercheurs, à l'origine, sont issus de l'École Polytechnique, mais lorsqu'est venu le temps de démarrer l'entreprise, cela s'est fait en dehors du domaine universitaire avec un entrepreneur du nom de Daniel McInnis, qui est un de nos clients.
Cette entreprise a développé des solutions d'optimisation dans le domaine des stratégies de prix. Ils ont pour partenaire la principale société ferroviaire française. Donc oui, il y a moyen de le faire. Oui, on a des clients, mais on a aussi d'autres entrepreneurs qui ont démarré en dehors des centres de recherche.
Je me permettrai de mentionner André Boulet, détenteur d'un doctorat, un ancien de BioCapital, qui est une firme de capital de risque privée, qui a démarré PurGenesis en dehors des centres de recherche universitaire, parce qu'il utilise des chercheurs hors des centres de recherche universitaire. Pourquoi je mentionne cela? C'est que l'accès au financement d'amorçage n'est pas également distribué. Si vous amorcez la recherche universitaire, vous avez droit à des subventions. Le CRSNG, qui est un organisme de centre de recherche du gouvernement du Canada, va typiquement donner des subventions directement aux chercheurs universitaires, mais pour quelqu'un qui veut démarrer en dehors, il n'a pas accès à ce genre d'aide. Oui, on veut encourager les entrepreneurs à travailler avec les centres de recherche, mais il faut savoir qu'il y a beaucoup d'entreprises technologiques qui peuvent émerger et qui émergent avec succès en dehors. Il y a comme on dit un écart au plan de l'aide financière.
M. Coulombe : Je travaille présentement avec des chercheurs de l'ETS. L'entreprise que j'ai créée avec eux est issue de 10 ans de travaux de recherche de l'ETS. C'est un cas d'espèce parce que les chercheurs, il y a 10 ans, étaient dans une entreprise en sabbatique pour comprendre les besoins dans cette industrie. À partir de cela, ils ont fait de la recherche et du développement pour résoudre un vrai problème. Dix ans plus tard, une technologie a apporté une solution au problème, mais ce n'est pas encore un produit. Maintenant, ils feront un produit et je suis intervenu au moment où ils avaient cette technologie. Il fallait en faire un produit. Maintenant, il faut le commercialiser. Il n'y a pas d'argent. À part le programme Développement économique Canada, qui est un prêt, c'est extrêmement difficile de trouver de l'argent à ce stade. C'est clair.
Le rôle des universités est de faire de la recherche et dans toutes sortes de domaines. Au Québec, il y a plusieurs années, il y eu un constat. Les sociétés de valorisation de la recherche ont été créées. Parce qu'on pompe des centaines de millions de dollars en recherche, est-ce que cela produit de la richesse pour les Canadiens? Au lieu de rester sur les tablettes, on va essayer de réutiliser cela. Ce n'est pas facile, parce que comme la recherche est complètement libre, il y a des technologies mais pas toujours un marché pour ce qui a été développé. Les sociétés de valorisation peuvent jouer un rôle nouveau parce que dans les premières années on regarde ce qui est sur les tablettes et ce qui peut être commercialisé. Maintenant, le rôle peut évoluer et dire : les chercheurs lorsque vous voulez entreprendre une recherche dans un domaine, peut-être que ce serait bien de voir si cela pourrait être utilisé dans le privé et même que vous pourriez vous trouver un partenaire.
Le sénateur L. Smith : C'est pourquoi j'ai posé la question, à savoir si nous dépensions notre argent au bon endroit.
M. Coulombe : Tout à fait. Plus tôt on joint la recherche et l'industrie, plus tôt on a de chance de rentabiliser l'investissement du payeur de taxes.
Le président : Notre séance tire à sa fin. Je tiens à remercier le sénateur Hervieux-Payette, notre vice-présidente, d'avoir organisé ce panel. Je parle au nom de tous les membres du comité, messieurs, en vous disant que c'est le meilleur panel que nous avons connu depuis fort longtemps.
Il s'agira sans doute de relire tout ce que vous avez dit et de penser à nouveau aux solutions proposées. Comme je l'ai dit tantôt, vous avez apporté beaucoup de pain sur la planche et nous vous en remercions.
Le sénateur Hervieux-Payette : Merci. Je n'ai pas de mérite parce que c'est un domaine dans lequel j'ai travaillé. J'ai participé aux centres d'excellence pendant sept ans. Votre dernière question, sénateur Smith, était excellente. Les chercheurs universitaires n'étaient pas du tout intéressés à commercialiser, non seulement ils voulaient faire de la recherche — j'ai aucun problème avec ça en autant qu'ils trouvent les fonds et que les payeurs de taxe en aient pour leur argent. Ils peuvent faire toutes les recherches qu'ils veulent. Cela n'empêche pas la recherche fondamentale, mais il faut aussi savoir où on investit nos fonds pour l'avenir du Canada, car on est la traîne en matière de compétitivité. C'est pas l'innovation pour l'innovation, c'est l'innovation pour améliorer la compétitivité du Canada.
J'ai seulement deux ou trois questions qui sont assez courtes. Premièrement, concernant la Cité du multimédia à Montréal — qui fait qu'on a justement une industrie que vous avez appelé gaming tantôt —, qu'est-ce qui était financé? Je me souviens qu'il y a eu des édifices, il y a eu des salaires et peut-être de l'équipement, je veux savoir comment c'était « packagé ». Parce que j'ai parlé hier d'un succès dans ce secteur.
Deuxièmement, approvisionnements et services, à votre avis, pourrait-on considérer, compte tenu qu'on achète pour des milliards chaque année, avoir une division qui pourrait établir que dans tel secteur, cela nous coûte les yeux de la tête, il faudrait faire appel de temps en temps à un genre de concours, demander aux entrepreneurs d'aider à régler ces problèmes en finançant des innovations pour que, finalement, celui qui l'a innové, l'entrepreneur, puisse la commercialiser?
Le gouvernement est un gros partenaire, mais la solution ne peut pas seulement être de l'argent. Il faut trouver des solutions au gouvernement fédéral pour mieux fonctionner. Avez-vous des recommandations à savoir où aller chercher l'argent, l'argent qu'on dépense déjà?
La dernière chose : la mise en marché mondial. Je dirais que l'Allemagne est le pays qui a la meilleure commercialisation de ses technologies et de ses équipements de tout ce qu'ils vendent dans le monde entier si on considère qu'ils sont 90 millions et qu'ils devancent les États-Unis qui sont 300 millions et qui sont réputés avoir quand même des fonds très importants du point de vue innovation, recherche et développement, tout ça, capital de risque.
Quel serait le modèle?
Une des choses que je sais, c'est que l'Allemagne a des gens au Canada, via la chambre de commerce. La Chambre de commerce Canada-Allemagne a des bureaux dans toutes les grandes villes au Canada et ces gens travaillent avec le ministère des Affaires étrangères de l'Allemagne. Est-ce qu'on a des mécanismes pour assurer la mise en marché de tout ce qu'on fait? Nous ne sommes que 34 millions de personnes, notre marché n'en est pas un de 300 millions. Quels seraient les moyens pour améliorer cela? Une fois qu'on a passé à travers, M. Bourassa, et qu'on a fait nos devoirs, qu'on a de beaux produits et que vous avez aidé à financer les phases ultérieures, il reste quand même que notre marché doit être mondial, il ne peut pas être juste interne.
Y a-t-il des mécanismes? À ce moment-là, ça ne dépasse pas notre mandat. Selon moi, une fois qu'il y a un produit à innover, il faut qu'il y ait un débouché. Même si on finance toutes les phases et qu'on a un marché local, on va réussir à devenir un pays exportateur. On a les universités, la main-d'œuvre et toute l'infrastructure qui permet de le faire.
Donnez-nous les informations, si vous n'avez pas les réponses tout de suite. Je veux juste vous inviter à nous les envoyer parce que ce n'est pas nécessaire que vous nous donniez toutes les réponses aujourd'hui.
Le président : Vous préférez nous envoyer des réponses?
M. Bourassa : Voulez-vous une ébauche de réponse? Le premier point, le CEIM est dans la Cité du multimédia. Donc, je connais parfaitement le mécanisme. C'était la seule bâtisse dont les entrepreneurs avaient droit au crédit d'impôt mais qui ne faisaient pas partie du consortium. La raison pour laquelle nous avons mis sur pied un incubateur physique également, c'était pour permettre à nos jeunes et moins jeunes entrepreneurs en démarrage d'accéder à ce programme. C'était typiquement 40 p. 100 du salaire ou de l'équipement dédié pour des postes en développement, jusqu'à 15 000 $ par emploi.
En pratique, ça voulait dire quoi? Une entreprise qui démarre, qui avait quatre programmeurs, c'était 60 000 $. On avait beau dire que c'était un crédit d'impôt, indirectement, c'est une subvention, parce que l'entreprise qui faisait des pertes avait quand même des sous. C'était extrêmement efficace pour ce créneau d'entreprise, c'était une forme de financement. Cela pouvait se rajouter, dans certains cas, au programme de R-D. Les critères étaient différents, on pouvait faire de l'application, du contenu par opposition à de la recherche scientifique et autre. C'est une excellente initiative.
Par contre, cette initiative a été éliminée, il y a quelques années, au changement de gouvernement. Les motifs qui ont été avancés à ce moment-là, c'était plus ou moins efficace. L'idée était excellente, mais il faut être prudent. C'est comme n'importe quel programme, dans la gestion, si on se retrouve dans une situation où des moyennes ou grandes sociétés déménagent dans la Cité du multimédia pour aller chercher des crédits d'impôt et quittent par la suite, est-ce qu'on crée autant d'emplois? Est-ce qu'on est intervenu là où c'était le plus important économiquement? Personnellement, je me pose des questions. Pour les plus petites entreprises, c'était efficace.
Donc, il y avait des problèmes de resquille économique, mais cela aurait pu être géré différemment. Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, on y a fait référence tantôt. Il s'agit d'avoir des modalités qui sont facilitées. Également, l'idée de faire des appels de service, c'est très important aussi pour nos entrepreneurs. Donc, il y a moyen de raffiner ce programme. J'arrêterai là pour mes premières recommandations.
M. Legault : Avec le programme du BPME, First Buyer, c'est certain que l'acheteur court un certain risque. On parle d'innovation et de risque. Dans la vie, il faut prendre des risques calculés. En contrepartie, on recommande au gouvernement d'y aller beaucoup plus agressivement avec ce modèle. Comme je l'ai dit, d'autres pays l'ont fait avec succès, et la contrepartie pour diminuer le risque, c'est que le gouvernement s'assure d'une capacité pour avoir une gestion de projet si on peut dire, le gouvernement doit être capable de juger du risque. En tant que payeur de taxe, je veux bien que les innovations canadiennes soient au Canada, mais si ça ne fonctionne pas, je ne suis pas content.
On pense que le Canada devrait aller plus agressivement dans cette voie, mais il va falloir comprendre qu'il faut se doter d'une capacité de vigilance parce que ce n'est pas comme un achat mature qui a 25 ans d'expérience.
C'est une petite recommandation qu'on pourrait vous faire mais oui, je crois qu'il faut y aller.
Au niveau des postes avancés des autres pays, je suis peut-être mal placé pour vous recommander d'envoyer des émissaires au niveau de la planète — moi, quand je me promène, en passant, je fais la vente du Canada, je m'amuse à le faire, je l'ai toujours fait. Ce qui est très bien et dont vous pourriez vous inspirer, c'est un programme de prêt, le DEC, qui donne la capacité aux entreprises d'aller se faire voir — désolé, cette expression en français peut porter à confusion. Elles peuvent aller à l'extérieur pour démontrer leur technologie. Ce type de programme peut se faire sous forme de prêt, et DEC a déjà un programme là-dessus. Travailler en bonification avec ces programmes, je pense que ça peut être bon. D'ailleurs, cela m'amène à vous dire qu'il y a beaucoup de programmes; certains disent qu'il y en a trop.
On vous a pointé quelques programmes, le PARI, qui est identifié dans le rapport Jenkins, c'est bon, c'est unanime. Le CRSNG ne répond pas à tous les besoins, mais c'est très bon; l'ADRIQ embarque là-dedans, Rapprochement PME université.
Au niveau de l'effort de la commercialisation des entreprises, on pourrait regarder cela au niveau gouvernemental. Peut-être qu'il y a un peu de saupoudrage au niveau de certains projets, il n'y a pas de force d'impact, et on pourrait peut-être rediriger des argents vers des programmes vraiment performants, leur donner du tonus. Je pense que l'effet à ce moment-là serait amplifié au niveau du retour.
Le président : Qui devrait faire cet examen? Un comité composé d'entrepreneurs et de représentants?
M. Legault : Nous avons dit qu'on le faisait bénévolement. Vous payez le transport jusqu'ici et on s'occupe de...
M. Coulombe : On va amener les entrepreneurs.
M. Legault : On va amener les entrepreneurs.
M. Coulombe : Vous en ajouterez, puis on va faire cela, on va travailler ensemble.
M. Legault : Si vous payez le lunch, on sera là!
Le président : Est-ce que le sénateur Ringuette a une dernière petite question?
Le sénateur Ringuette : C'était pour vous, excusez-moi.
Le président : Allez-y.
M. Coulombe : Tous les entrepreneurs vous le diront. La première référence — mais je parle d'un nom connu à l'étranger —, c'est très important pour un nouveau produit, pour un entrepreneur, parce que quand tu veux sortir de chez vous, les investisseurs sont plus attirés par la référence que par l'intérêt du projet. Alors, plus vite on là, plus vite ça va aller. Si vous avez Bombardier ou le gouvernement du Canada ou le ministère de la Défense nationale, c'est beau, les investisseurs vont s'aventurer.
Le sénateur Ringuette : Cela prend une tête d'affiche.
M. Coulombe : Le deuxième, c'est que l'exportation, la commercialisation coûtent cher. C'est reconnu maintenant, tous les gens le savent. Même les chercheurs réalisent que pour chaque dollar de recherche pour amener le produit, il faut en dépenser sept ou même plus pour l'exportation et la commercialisation.
Avec le décès du fondateur d'Apple, on a reconnu que ça représentait beaucoup d'innovation mais aussi que c'était une redoutable machine de marketing et de mise en marché. Et ça coûte cher. Les programmes doivent être maintenant conçus pas seulement pour vendre au Canada, mais pour vendre à l'étranger.
Je l'ai fait, j'ai moi-même exporté. Je l'ai dit tout à l'heure, à partir de n'importe où au Canada, il sera difficile de vendre à Taïwan sans avoir une présence sur place et ce, même en y allant trois fois par année.
J'ai vécu une situation où le vice-président te dit : « Tes équipements m'intéressent, ils se vendent cher mais ils m'intéressent. Pourquoi tu n'installes pas une machine ici? » Il y a aussi le programme de vitrine technologique qui a un effet d'entraînement.
Le sénateur Ringuette : Le méga-centre d'entreprenariat à Taïwan en est un exemple extraordinaire.
M. Coulombe : C'est pourquoi il faut se rendre sur place. Le programme ne doit pas uniquement embaucher des Canadiens. Bien sûr on veut tous créer des emplois au Canada, mais si j'embauche une personne à Taïwan qui vend mon produit de façon continue, combien d'emplois seront créés au Canada? C'est quelque chose qu'il faut considérer.
Le président : Malheureusement, on va devoir mettre fin à cette séance. J'exprime mes remerciements les plus sincères à notre panel de témoins, un des plus intéressants que le comité a connus. Si vous avez des commentaires à ajouter, n'hésitez surtout pas à nous les envoyer par écrit. D'ici là, je vous remercie de votre présence ce matin.
(La séance est levée.)