Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule 5 - Témoignages du 24 novembre 2011
OTTAWA, le jeudi 24 novembre 2011
Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui, à 10 h 36, pour étudier la situation actuelle du régime financier canadien et international (sujet : le financement de la croissance des PME).
Le sénateur Céline Hervieux-Payette (vice-présidente) occupe le fauteuil.
[Français]
La vice-présidente : La séance est ouverte. Je voudrais tout d'abord remercier le sénateur Harb, de l'Ontario, le sénateur Ringuette, du Nouveau-Brunswick, le sénateur Massicotte, du Québec, ainsi que le sénateur Smith, du Québec, pour s'être joints à nous. Je suis le sénateur Céline Hervieux-Payette, la vice-présidente du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce.
Je souhaite la bienvenue à M. John Ruffolo, président-directeur général de OMERS Ventures, un des grands fonds d'investissement au Canada, qui pourra nous aider à faire le point sur la situation actuelle du régime financier canadien et international.
[Traduction]
Je vous remercie, monsieur Ruffolo, d'être venu nous rencontrer aujourd'hui. Nous avons déjà eu l'occasion, par le passé, de profiter de vos idées et de votre expérience. Votre comparution tombe à point alors que nous nous intéressons aux fonds d'investissement en innovation et en capital de risque. Nous comptons sur vous pour nous éclairer sur la façon de faire évoluer la situation et de créer de la richesse pour nos concitoyens en cette époque de perturbations économiques. Puisque vous avez préparé un exposé, nous vous écoutons.
John Ruffolo, président-directeur général, OMERS Ventures : Je vous remercie de cette occasion de m'entretenir avec vous aujourd'hui. Je vais commencer par une série de remarques que j'ai préparées sous le titre « Canada — Un pays de l'innovation? Pas encore ». Vous en avez une copie.
En tant que Canadiens, nous avons de nombreuses raisons d'être fiers ces derniers temps. Nous avons un dollar canadien fort. Notre système bancaire est l'un des plus solides au monde. Même si la récession de 2008 a été dure, elle ne nous a pas laissés avec une dette paralysante au moment où nous entrons peut-être à nouveau dans une période de turbulence. Mais si le Canada semble bien se porter financièrement par rapport à la plupart des pays, nous craignons qu'il soit en train de rater une occasion unique pour son avenir — un avenir fondé sur l'innovation et sur une économie du savoir.
Tandis que de nombreux secteurs canadiens font bonne figure, les manchettes sur notre secteur du savoir sont presque toujours déprimantes : de grandes sociétés bien établies disparaissent parce qu'elles sont rachetées ou font faillite; les moyennes entreprises ne prennent pas leur place; les petites entreprises sont affamées parce que le capital de risque se situe à des niveaux inégalés depuis le milieu des années 1990; nos dépenses en R-D, à 1 p. 100 du PIB, déclinent, ce qui nous a relégués au 14e rang à l'OCDE. Une récente étude du Conference Board du Canada nous a donné un D pour l'innovation et nous a classés au 14e rang sur 17 pays semblables. Il y a un siècle, l'économie du Canada reposait sur les ressources naturelles et l'agriculture. Nous sommes devenus une économie manufacturière après la Seconde Guerre mondiale, puis une économie axée sur les services et les technologies dans les années 1980 et 1990.
Les ressources ont le vent en poupe actuellement et elles continueront probablement sur cette lancée pendant des années, mais devrions-nous retourner en arrière et redevenir une économie axée uniquement sur les ressources? Nous avons la chance de posséder des ressources naturelles en abondance — minéraux, forêts, pétrole et gaz naturel, eau —, mais l'extraction et la vente de ces ressources aux étrangers devraient-elles être les seuls volets de notre stratégie industrielle pour le XXIe siècle et au-delà? Nos ressources naturelles ne sont pas le seul avantage concurrentiel du Canada; nous avons aussi une main-d'œuvre instruite, une diversité multiculturelle, une infrastructure technologique, des capacités de recherche de calibre mondial et une proximité avec le plus gros marché de consommation au monde. Ces atouts devraient faire du Canada un acteur de calibre mondial dans les industries du savoir. Alors, pourquoi n'avons-nous pas exploité ces avantages exceptionnels?
Peut-être que le Canada a joui pendant trop d'années d'un niveau de vie confortable, surtout grâce à ses voisins du Sud. Mais comment le Canada s'en tirera-t-il face aux forces économiques, géopolitiques et concurrentielles qu'il devra affronter au XXIe siècle? Nous ne pouvons plus nous permettre d'être complaisants et faire tout à la fois, sinon nous risquons de compromettre le niveau de vie de nos enfants et de leurs enfants. Nous avons besoin d'une stratégie industrielle progressiste, complète, cohérente et durable axée sur l'innovation afin de propulser le Canada en avant au XXIe siècle.
Les industries du savoir ouvrent un vaste éventail de possibilités : technologie de pointe, médias numériques, télécommunications, technologies propres, sciences de la vie, énergies de remplacement et fabrication avancée. Au cœur de chacune de ces industries du savoir se trouve la propriété intellectuelle — une propriété précieuse qui peut être développée et exportée, à grand profit. Afin de développer une économie du savoir innovante et concurrentielle à l'échelle mondiale, il faut prendre des décisions stratégiques. Nous avons besoin d'une stratégie efficace et de la collaboration des secteurs privé et public dans des domaines comme l'éducation et le recyclage professionnel, la recherche et l'innovation, la commercialisation, l'immigration, la productivité et le financement.
Il faut élaborer des stratégies dans ces domaines et les relier entre elles pour qu'elles forment un écosystème qui va de la germination d'une idée jusqu'au développement d'entreprises florissantes et concurrentielles à l'échelle mondiale. Il faut déterminer si chaque élément de l'écosystème fonctionne comme prévu et, en cas de problème, le réparer activement afin que les autres éléments de l'écosystème fonctionnent correctement. Depuis 10 ans, le volet de l'écosystème le plus durement frappé est le financement. À presque toutes les étapes de la croissance, le financement pose d'énormes problèmes.
Depuis 10 ans, la chanson est restée la même. Nous savons fort bien que l'écosystème financier du Canada est brisé. De 2000 à 2010, le capital de risque investi au Canada a diminué de plus de 80 p. 100, passant d'environ 5,9 milliards de dollars à 1,1 milliard de dollars, tandis que le nombre d'entreprises qui ont obtenu du capital de risque a diminué de plus de 64 p. 100, passant de 1 007 à seulement 357 durant cette période.
Étant donné le déclin important du financement par capital de risque au cours de la dernière décennie, les entreprises de technologie canadiennes se sont tournées vers les investisseurs providentiels (généralement des personnes fortunées qui investissent dans de jeunes entreprises) pour combler en partie le déficit de financement. Mais malgré le regroupement des investisseurs providentiels dans des groupes cohésifs, capables de mettre en commun leurs ressources et d'effectuer des investissements plus importants, les investissements totaux des investisseurs providentiels au Canada en 2010 étaient probablement inférieurs à 100 millions de dollars. Le problème n'est pas que les divers groupes d'investisseurs providentiels n'investissent pas; ils investissent. D'après une étude récente de la National Angel Capital Organization, les investisseurs providentiels ont financé environ 4,5 p. 100 de tous les plans d'affaires proposés aux groupes d'investisseurs providentiels canadiens. C'est nettement plus que le taux de financement estimatif de 0,25 p. 100 pour les plans d'affaires présentés aux investisseurs en capital de risque au Canada. Le problème est plutôt simplement qu'il n'y a pas assez de sources de financement autres que le capital de risque, aussi bien les investisseurs providentiels que d'autres sources, pour combler le déficit de financement.
Que pouvons-nous faire? Nous devons agir. Nous devons agir maintenant. Il y a des solutions, mais il n'y a pas de pilule magique. Il y a plutôt une série de solutions qui peuvent viser des cibles précises pour réparer un maillon brisé bien précis dans l'écosystème du financement. Bien qu'il y ait plusieurs solutions possibles, nous pensons que les principales devraient être les suivantes : un crédit d'impôt aux entreprises qui effectuent des investissements en capital de risque; l'investissement direct du gouvernement dans des fonds d'investissement providentiels ou de capital de risque; l'expansion du Programme de recherche scientifique et de développement expérimental (RS&DE) afin d'élargir l'admissibilité des entreprises et d'accroître la possibilité de remboursement; des politiques officielles d'approvisionnement auprès des entreprises canadiennes. Je vais maintenant traiter de chacune de ces solutions.
Un crédit d'impôt aux investisseurs providentiels : avec la récente réélection des libéraux de McGuinty en Ontario, les engagements électoraux en vue de mettre en place des crédits d'impôt remboursables pour les investisseurs providentiels et certains investisseurs institutionnels semblent prometteurs pour faire démarrer l'économie de l'innovation en Ontario. Même si les détails de ces régimes de crédits d'impôt n'ont pas encore été annoncés, on prévoit qu'un crédit d'impôt remboursable de 35 p. 100 sera accordé aux investisseurs providentiels qui effectuent des investissements admissibles en Ontario dans les secteurs des technologies, des médias, des télécommunications, des sciences de la vie et des technologies propres. Ce programme s'inspirerait du programme très réussi de crédit d'impôt aux investisseurs providentiels en Colombie-Britannique. Si les libéraux de McGuinty réussissent à faire fonctionner un gouvernement minoritaire et à faire adopter ces propositions relatives à un crédit d'impôt aux investisseurs providentiels, un plus grand nombre d'investisseurs devraient entrer sur le marché. Qu'il s'agisse de sociétés admissibles souhaitant effectuer des investissements stratégiques ou des particuliers fortunés souhaitant obtenir des rendements plus élevés que ce que le marché boursier a procuré ces dernières années, ils seront nombreux à envisager sérieusement d'investir dans des entreprises en démarrage si le risque inhérent est réduit de 35 p. 100. C'est certainement un pas dans la bonne direction. Nous appuyons un crédit d'impôt fédéral aux investisseurs providentiels, combiné à tout crédit d'impôt provincial à ces investisseurs.
Le crédit d'impôt aux entreprises qui effectuent des investissements en capital de risque : afin d'inciter les sociétés (y compris les institutions financières) à investir dans des fonds de capital de risque établis en Ontario et axés sur les entreprises ontariennes, les libéraux de McGuinty ont aussi proposé d'offrir un crédit d'impôt aux entreprises qui effectuent des investissements en capital de risque. Il est prévu que ce crédit d'impôt sera offert aux sociétés admissibles qui investissent dans des fonds de capital de risque gérés par des professionnels du capital de risque. Nous ne connaissons pas de programmes semblables ailleurs au Canada, ni ailleurs au monde. Le Canada a besoin d'initiatives de ce genre pour donner une décharge d'adrénaline au marché décharné du capital de risque. Sans capital de risque, la route vers l'innovation est longue et souvent difficile. Nous appuyons un crédit d'impôt fédéral aux entreprises qui effectuent des investissements en capital de risque, combiné à tout crédit d'impôt provincial de ce type.
Investissement direct du gouvernement : nous appuyons le soutien continu du gouvernement à titre d'investisseur direct dans un fonds d'investissements providentiels ou de capital de risque. Nous savons que la collaboration du secteur public et du secteur privé dans l'économie de l'innovation fonctionne. Elle a fonctionné en Israël et à Taiwan, et des exemples comme Teralys Capital au Québec, le Fonds ontarien de capital-risque, et l'Investment Capital Program de Colombie-Britannique montrent qu'elle peut fonctionner au Canada également. Nous appuyons l'investissement direct du gouvernement fédéral, dans des fonds d'investissements providentiels ou de capital de risque. Le récent rapport du groupe d'experts chargé de l'examen du soutien fédéral de la recherche-développement (le rapport Jenkins) appuyait lui aussi une hausse de l'investissement direct du gouvernement fédéral par l'entremise de la BDC.
Expansion du Programme de recherche scientifique et de développement expérimental (RS&DE) : une autre solution de politique potentielle pour aider à combler le déficit de financement et stimuler l'innovation au Canada consisterait à élargir le programme de RS&DE afin d'accroître le nombre de sociétés admissibles et la possibilité de remboursement. Le programme de RS&DE, un programme d'incitation fiscale fédéral qui encourage les travaux de recherche-développement au Canada, a été pendant longtemps la principale source de financement des jeunes sociétés privées sous contrôle canadien (SPCC) au Canada. De manière très générale, une SPCC peut avoir droit à un crédit d'impôt à l'investissement (CII) fédéral de 35 p. 100 sur la première tranche de 3 millions de dollars de dépenses admissibles aux fins de travaux de RS&DE menés au Canada, et de 20 p. 100 pour tout montant au-delà de ce seuil.
Pour les SPCC, le montant remboursable du CII est important, surtout quand on inclut les incitatifs provinciaux à la recherche-développement, et il constitue un élément crucial de la feuille de route du financement d'une entreprise en démarrage. À l'heure actuelle, les sociétés qui ne sont pas des SPCC ne peuvent obtenir que les crédits d'impôt non remboursables. Offrir seulement des crédits d'impôt remboursables pour la RS&DE aux sociétés qui sont des SPCC ne récompense pas suffisamment ou correctement les entreprises qui font des travaux de R-D au Canada. Il n'est pas logique de refuser à une société canadienne des crédits remboursables pour la RS&DE simplement parce qu'elle est une société publique ou une société privée qui ne remplit pas les exigences définies dans les lois fiscales. Nous ne devons pas perdre de vue le fait que la plupart des activités de RS&DE au Canada seront exécutées principalement par des Canadiens, quel que soit leur pays de résidence, le marché ou la taille de l'employeur. Ces Canadiens apporteront à leur tour des innovations de pointe au Canada et finiront par exploiter ce savoir, former d'autres Canadiens et fonder de nouvelles entreprises au Canada.
La réalité, c'est que nous avons besoin de ces grandes entreprises publiques et privées et des entreprises étrangères. Attirer les meilleurs talents au Canada est crucial pour devenir un chef de file de l'innovation.
Pour terminer, passons aux politiques officielles d'approvisionnement qui s'appliquent aux entreprises canadiennes. Nous appuyons une politique du gouvernement fédéral qui appuie les achats auprès d'entreprises canadiennes. Toute chose étant égale par ailleurs, les entreprises canadiennes devraient l'emporter sur les soumissionnaires étrangers dans toutes les demandes de propositions du gouvernement.
Comme l'a affirmé le rapport Jenkins, le gouvernement fédéral dépense des milliards de dollars chaque année, mais pour ce qui est de l'utilisation de ce pouvoir d'achat pour encourager l'innovation au Canada, il fait piètre figure face à d'autres pays. Le bon sens exige que nous réservions à l'innovation réalisée au Canada une place de choix dans l'achat et l'approvisionnement du gouvernement.
Pour conclure, n'oublions pas que nous sommes dans une période de déficits élevés et de compressions des dépenses. Une stratégie de l'innovation au XXIe siècle n'a pas besoin de coûter cher. Il ne s'agit pas de dépenser des milliards de dollars dans des programmes de sauvetage ni de tenter de créer une industrie qui n'existe pas actuellement. Il n'y a pas non plus de solution rapide ni de pilule magique. Nous devons plutôt nous assurer que nos divers programmes fédéraux, provinciaux et municipaux fonctionnent efficacement et fonctionnent ensemble. Nous vivons dans le plus formidable pays du monde! Nous avons été bénis par ce que ce pays nous a donné. Il est maintenant temps de penser à notre avenir à long terme dans la perspective d'une stratégie industrielle. Nous devons permettre à nos enfants et à leurs enfants de jouir de la même qualité de vie que nous, voire mieux. Nous pouvons faire du Canada l'envie du monde. Nous pouvons faire du Canada LE pays de l'innovation. Merci.
[Français]
La vice-présidente : Je vous remercie. Je vais prendre le temps de vous présenter le sénateur Moore, de la Nouvelle- Écosse, le sénateur Gerstein, de l'Ontario, et le sénateur Tkachuk, de la Saskatchewan.
[Traduction]
Je vous remercie de cet exposé. Il ne pourrait être plus clair ni plus pertinent. Je suis très heureux que vous ayez accepté de venir nous rencontrer parce que c'est là, à mon avis, le type de solution précise et concise, soumise par une personne expérimentée, que notre comité peut étudier. Je suis certain que mes collègues vont avoir des questions à vous poser, non seulement pour préciser, mais peut-être également pour approfondir vos propositions. Le fait de disposer de formulations aussi précises va nous être très utile.
Le sénateur Massicotte : Je vous remercie d'être venu. Je crois savoir que, la semaine dernière, ou il y a une dizaine de jours peut-être, vous avez présenté les mêmes recommandations à un auditoire torontois, soit que les politiques régissant les capitaux de risque et les approvisionnements gouvernementaux visent aussi bien le moyen que le long terme.
Je crois que les membres de ce comité sont bien disposés à votre endroit, mais qu'ils se doivent aussi, avant de dépenser l'argent des contribuables, de se faire l'avocat du diable et de se demander pourquoi cet argent devrait servir à financer ces investissements. Il faudrait aussi savoir si une telle dépense serait vraiment efficace.
Au cours de la dernière décennie, personne n'a gagné d'argent dans quelque secteur que ce soit du marché, et tout particulièrement dans le domaine du capital de risque. On pourrait donc en déduire qu'un rendement de 35 p. 100 est bon, mais 0 p. 100 de 65 p. 100, ça fait encore zéro. Pourquoi devrais-je investir dans un fonds de capital-risque si je n'en retire rien? Dans le même ordre d'idée, certains témoins forts réputés nous ont dit qu'il s'agit là tout simplement d'une tendance. En d'autres termes, les fonds de capital de risque ont perdu de l'argent parce que nous sommes au creux d'un cycle. Les investisseurs auraient eu trop d'argent à placer et se seraient contentés de placements médiocres. C'est ce qui expliquerait selon eux cette absence de rentabilité. Le marché aurait aussi souffert d'une distorsion imputable à la présence de fonds de travailleurs fortement subventionnés. Revenons au principe de base du marché libre, éliminons les subventions et laissons les gens investir de l'argent parce qu'ils s'attendent à en gagner. S'ils ne peuvent compter gagner de l'argent, il n'y a probablement pas lieu d'avoir de mécanismes d'aide. Pourquoi devrions- nous procéder comme vous le recommandez? Qu'en pensez-vous?
M. Ruffolo : Nombre de points que vous avez soulevés sont tout à fait valides.
Permettez-moi de commencer par vous dire, comme représentant d'OMERS, l'une des plus importantes caisses de retraite du Canada, que nous avons décidé en janvier dernier de constituer le plus gros fonds de capital-risque au pays. Nous en sommes toujours à la phase de démarrage, mais nous avons commencé à faire quelques investissements. Ce faisant, notre objectif est d'obtenir des rendements supérieurs sur le marché. Nous sommes d'avis que, en tirant certaines leçons du passé, nous parviendrons à éliminer de façon satisfaisante les risques attachés à certains de ces investissements et à obtenir des rendements supérieurs. Nous sommes fermement convaincus que cela est possible au Canada.
Lorsque vous étudiez le milieu du capital de risque au Canada, vous constatez qu'il n'est vraiment apparu qu'aux alentours de 1995. Nous n'avons donc qu'une quinzaine d'années d'expérience en la matière. Le plus important écosystème de capital de risque au monde, celui des États-Unis, existe depuis une cinquantaine d'années. Ses rendements ont été décevants pendant 25 à 30 ans alors que tout le secteur cherchait à se définir et apprenait de ses erreurs. Les investissements américains en capital de risque ont vraiment débuté pendant les années 1960. Le temps écoulé depuis a permis de former des spécialistes et de créer tout un milieu du capital de risque. Celui-ci a enregistré des réussites qui ont elles-mêmes amené l'apparition de nouveaux investisseurs, qui ont une excellente connaissance du marché.
Au Canada, ce n'est qu'en 1995 que les investissements en capital de risque ont débuté. Les Canadiens impliqués dans ce secteur n'ont donc pas eu le temps de tirer les leçons de leurs erreurs, en particulier à la suite de la crise de 2001 qui a provoqué la disparition de la plupart de ces capitaux.
Lorsque vous tentez de déterminer quelles ont été les époques favorables aux investissements, vous constatez que ce sont celles au cours desquelles il y a eu des innovations massives dans l'économie. Cela vous ramène à 1994-1995, alors que les fonds investis à cette époque ont donné d'excellents rendements. Pourquoi en a-t-il été ainsi? C'est l'époque de la naissance réelle d'Internet, avec Netscape. Tous les secteurs d'Internet ont attiré quantité d'investissements et les entreprises de capital de risque ont enregistré d'excellents résultats.
En 1999-2000, époque à laquelle la plupart des fonds ont été constitués, le marché était, comme vous l'avez rappelé, submergé de capitaux à placer alors que nous approchions d'une récession. C'est pourquoi les résultats des fonds placés à cette époque ont été très décevants. Ils n'ont pas incité à réinjecter beaucoup de capitaux dans le système.
On observe maintenant que les fonds de capital de risque constitués en 2004, disons à cette époque, laissent à nouveau entrevoir des rendements très satisfaisants. Ces fonds ont par contre été très peu nombreux au Canada. Que s'est-il passé en 2003 ou en 2004? C'était l'émergence de Google et des moteurs de recherche. Et maintenant, que se passe-t-il en 2011-2012? Nous assistons à la convergence de deux des plus importantes technologies des 15 dernières années avec, d'une part, l'application des technologies mobiles aux téléphones cellulaires, aux tablettes et autres appareils et, d'autre part, l'arrivée de l'informatique en nuage. La convergence de ces deux tendances va modifier les économies partout dans le monde. Si nous décidons de ne pas nous lancer dès maintenant dans ce domaine, ce que nous pouvons très bien faire, le Canada accusera encore davantage de retard.
Dans ce pays, nous allons devoir choisir entre deux approches au capital de risque. Nous pourrons décider de laisser le secteur privé décider seul des orientations en la matière ou le gouvernement pourra prendre des décisions stratégiques pour stimuler ce type d'investissement, sans pour autant remplacer les incitatifs privés et sans éliminer complètement les risques parce que, à mon avis, cela nuirait aux résultats. Permettez-moi de prendre une analogie : si le Canada finance les investissements dans les secteurs miniers, pétroliers et gaziers à travers le monde, cela tient dans une large mesure aux décisions stratégiques sur les actions accréditives que le gouvernement a prises. Nous sommes le plus important centre de financement du secteur minier, et nous continuons à appuyer ce programme. Le marché le sait fort bien et le juge absolument essentiel. Voilà une comparaison riche d'enseignements pour le secteur de l'innovation.
Le sénateur Massicotte : Si vous lisez les conditions d'application des crédits d'impôt dont vous parlez, ceux-ci ne s'appliqueraient pas à votre cas parce que vous êtes un régime de retraite non imposable.
M. Ruffolo : C'est exact.
Le sénateur Massicotte : Et pourtant, les rendements que vous attendez sont suffisamment élevés pour justifier que vous vous y intéressiez.
M. Ruffolo : Oui.
Le sénateur Massicotte : Si c'est suffisamment intéressant pour que vous alliez de l'avant en vous passant des subventions gouvernementales, ou des subventions des contribuables, pourquoi proposez-vous d'avoir recours à ces subventions dans les autres cas? Je connais l'argument souvent cité en matière d'innovation ou de technologie. J'ai été fortement impliqué dans le secteur du capital de risque pendant les années 1980. En vous écoutant, je me remémore cette époque et je me sens revivre. Je ne connais rien au domaine dont vous parlez, mais l'idée d'investir passablement d'argent nous a tous stimulés, et nous n'avons obtenu que de piètres résultats. J'espère que vous obtiendrez des résultats différents à l'avenir. Qu'en pensez-vous?
M. Ruffolo : C'est une bonne question. Aucune de ces propositions n'a de répercussion directe sur ce que nous faisons à OMERS. Je crois que les politiques fiscales et économiques du gouvernement en matière de caisses de retraite ont été très favorables dans ce pays. Quelqu'un peut demander « Quel intérêt y a-t-il pour les caisses de retraite? » Nous ne demandons rien. Ce que nous demandons est de mettre en place un écosystème énergique de l'innovation. Pourquoi cette demande?
Lorsque vous investissez en capital de risque, vous devriez toujours le faire en pleine collaboration. Il est impossible de venir en aide à des entreprises situées de l'autre côté du pays. Vous devriez plutôt investir conjointement. C'est là une stratégie d'investissement très localisée. C'est ainsi que si vous êtes à Vancouver et tenez à investir en Ontario, il faut faire beaucoup d'accompagnement au cours de cette phase initiale. Il est difficile d'avoir une très bonne connaissance du contexte local lorsque vous voulez aider cette entreprise en particulier. Vous allez devoir trouver dans la région d'autres investisseurs ayant les moyens financiers nécessaires avec lesquels vous allez constituer des partenariats. Le problème que les dirigeants d'OMERS constatent est que nous avons besoin de partenaires dans toutes les régions de ce pays qui soient en mesure, financièrement, de nous aider à relever le niveau de l'industrie canadienne. Toutes ces propositions visent à tenter d'être en mesure d'injecter des capitaux adaptés à toutes les phases de développement de ces entreprises.
Cela nous aide au bout du compte. Où se trouve l'intérêt réel d'une caisse de retraite? L'emploi finit par augmenter et donc le nombre de futurs retraités. Ce qui est bon pour l'économie est bon pour les caisses de retraite. La corrélation n'est pas très directe, mais nous sommes convaincus que c'est la bonne chose à faire pour le Canada.
Le sénateur Massicotte : C'est à l'usage qu'on peut juger du résultat. Je peux comprendre qu'une caisse de retraite doive se diversifier, mais, pour nous convaincre par des preuves, pouvez-vous nous dire combien vous injectez dans votre fonds de capital-risque? De quel montant parlons-nous ici? Quel pourcentage de votre fonds total est consacré à la gestion?
M. Ruffolo : Le total des fonds d'OMERS est de 53 milliards de dollars. Nous allons y affecter 200 millions de dollars maintenant. D'après notre stratégie d'investissement, ces 200 millions de dollars vont nous permettre de réaliser de nouveaux investissements pendant environ trois ans. Notre stratégie consiste à investir très tôt dans les entreprises. Nous investirons des montants aussi faibles que 500 000 $, ce qui est tout à fait inhabituel pour un fonds qui dispose de 53 milliards de dollars. C'est absolument essentiel pour trouver des entrepreneurs qui démarrent, pour croître avec elles et pour être leur soutien financier pendant toute la durée de leur cycle de vie.
En continuant à développer la stratégie et à financer un plus grand nombre d'entreprises, nous ferons le point et demanderons d'injecter des fonds additionnels dans notre fonds. Cette approche est conforme à la façon dont OMERS a, par exemple, développé le volet souscriptions privées de ses activités. C'est de cette façon que l'Office d'investissement du Régime de pensions du Canada a procédé. Un certain nombre d'autres caisses de retraite ont fait de même; elles étalent leurs investissements.
Quel résultat visons-nous? Nous essayons de constituer un fonds évolutif et durable qui dispose en permanence de quelques centaines de millions de dollars. Cela implique probablement que notre capital devra se situer entre 800 millions de dollars et 1 milliard de dollars. Nous y parviendrons probablement au cours des cinq à six années à venir, et cela représentera alors environ 1 p. 100 du capital d'OMERS. Ce pourcentage de 1 à 2 p. 100 nous semble être le niveau qui convient.
Ce qui est intéressant est qu'il ne faut pas des montants énormes de capitaux pour stimuler réellement beaucoup de ces entreprises parce qu'un grand nombre de ces investissements sont assez petits. Je m'attends vraiment à ce que nous parvenions aux alentours de 1 p. 100 dans un délai de cinq ans.
Le sénateur Massicotte : Merci.
Le sénateur Harb : Êtes-vous d'avis que le gouvernement devrait commencer à suggérer aux autres caisses de retraite et institutions financières d'y consacrer elles aussi 1 p. 100 de leurs fonds totaux?
M. Ruffolo : C'est une bonne question. De façon traditionnelle, les deux catégories les plus importantes d'investisseurs au Canada ont été les institutions financières et les caisses de retraite. Dans le cas des caisses de retraite, on a beaucoup discuté de la façon de les inciter à se joindre au mouvement et à réinvestir en capital de risque.
Cela fait plus de 15 ans qu'OMERS investit très activement en fonds de capital de risque. Nous avons décidé que, d'un point de vue stratégique, nous aurions plus de chances de venir à bout des obstacles financiers en investissant directement nous-mêmes au lieu d'investir dans des fonds de capital de risque. OMERS n'a pas abandonné cette classe d'actifs; nous avons tout simplement décidé de nous y intéresser d'une façon un peu différente.
La question importante que cela pose est de savoir comment nous y prendre pour ramener le secteur des caisses de retraite vers cette classe d'actif? Les gens se sont demandé s'il fallait ou non imposer une taxe sur les retraites. Beaucoup ont envisagé une sorte de taxe de 1 p. 100, qui permettrait de disposer de ces fonds. Si ce n'est pas le cas, vous devrez combler le manque en investissant dans un fonds de capital parrainé par le gouvernement ou dans un fonds d'un autre type. Nous avons également entendu parler de garantir le niveau minimum de rendement des caisses de retraite pour contribuer à éliminer les risques auxquels elles sont soumises et pour les inciter à s'impliquer à nouveau dans le secteur.
Quant à moi, je préfère voir si nous pouvons réussir en étant prudents et en tirant les leçons du passé. J'espère que, avec notre modèle et notre façon d'agir, nous amènerons les autres caisses de retraite au Canada à convenir que, quand elle est gérée comme il convient, c'est en vérité une très bonne classe d'actif. J'espère les inciter à revenir vers cette classe d'actif de cette façon plutôt que d'imposer une taxe quelconque, parce que vous devriez alors répondre à toute une série de questions concernant les répercussions sur les membres du régime de retraite, ce qu'il adviendra en cas de pertes, et cetera. Cela soulèverait un certain nombre de questions complexes qui ont déjà suscité beaucoup d'interrogations.
Le sénateur Harb : Dans votre recommandation no 5, vous parlez des politiques officielles d'approvisionnement du gouvernement fédéral qui s'appliquent aux entreprises canadiennes, et vous dites, « Nous appuyons une politique du gouvernement fédéral qui appuie les achats auprès d'entreprises canadiennes. Toute chose étant égale par ailleurs, les entreprises canadiennes devraient l'emporter sur les soumissionnaires étrangers dans toutes les demandes de propositions du gouvernement. » Êtes-vous en train de nous suggérer ici de mettre en œuvre une politique « d'achat canadien » tout comme les Américains prônent leur « Buy American »?
M. Ruffolo : Non. Le problème, avec la politique du « Buy American », est qu'elle laisse entendre qu'il n'y a pas d'autres critères. Il y en a pourtant très certainement. Si je comprends bien, maintenant, il n'y a pas de case à cocher pour indiquer si vous êtes ou non une société implantée au Canada. Si vous êtes une entreprise canadienne avec un produit de qualité inférieure ou un prix non concurrentiel, vous ne devriez pas emporter cet appel d'offres. Nous ne devrions pas privilégier des entreprises canadiennes inefficientes incapables d'être concurrentielles au niveau mondial. Lorsque deux entreprises qui répondent à un appel d'offres s'avèrent concurrentielles dans tous les domaines répertoriés sur une liste de contrôle, vous devriez attribuer le contrat à la société canadienne. Ce type de considération n'est pas pris en compte actuellement, à ma connaissance. Nous demandons simplement qu'il le soit. Bien évidemment, nous ne voulons en rien contrevenir aux règles de l'Organisation mondiale du commerce ou du GATT, et cetera, mais nous sommes d'avis qu'il serait possible d'ajouter ce type de critère.
Le sénateur Harb : Il est évident que le simple fait que vous l'évoquiez revient à tirer la sonnette d'alarme. Si je suis le dirigeant d'une entreprise étrangère, et que j'entends dire que le gouvernement du Canada, ou n'importe quel gouvernement canadien, envisage de faire quelque chose de ce genre, je vais être outré et entamer des poursuites contre ce gouvernement. Les règles de l'OMC nous imposent, en termes simples, d'appliquer des règles du jeu équitables et de respecter certains critères. Vous ne pouvez pas simplement déclarer que les deux sont égales. Cela ne se passera pas comme ça. À un moment donné, l'une des solutions donnera de meilleurs résultats que l'autre. Si vous me dites que l'une de ces deux entreprises va l'emporter tout simplement parce qu'elle a un label canadien, toutes deux étant égales par ailleurs, c'est que vous contournez les règles. C'est très grave.
M. Ruffolo : Une fois encore, lorsque j'ai eu l'occasion d'examiner les règles et les critères en matière d'approvisionnement, j'ai constaté qu'elles sont très sophistiquées. C'est une question de priorité. Si vous avez lu le rapport du Groupe d'experts sur le soutien fédéral de la recherche-développement, appelé couramment le rapport Jenkins, vous savez qu'une étude internationale examine cette question. Le Canada est en queue de liste. Pratiquement tous les autres grands pays industrialisés dans le monde le font déjà. Certains le font de façon beaucoup plus agressive et appliquent le label « fabriqué localement ». Nous proposons simplement de le garder au bas de la liste des critères. Actuellement, il n'est pas pris en compte. Quand vous examinez certains des domaines enregistrant une forte croissance, regardez où ces centres ont connu une croissance importante. Prenons comme exemple les États-Unis et choisissons San Diego et Los Angeles. Ils ont bénéficié de contrats de l'Armée américaine. Pour des raisons de sécurité, les Américains sont très sensibilisés à ces questions. En vérité, ils les passent en revue et les repassent en revue, et cetera. Les retombées de certains de ces centres ont été incroyables grâce aux technologies qui ont été mises au point pour les militaires. La plupart de ces technologies se retrouvent maintenant dans les biens commerciaux et de consommation. C'est là un exemple extrême, mais c'est un cas d'innovation stimulant la croissance. Je suis d'avis que, quoi que nous fassions, nous devrons le faire en tenant compte de toutes les exigences de l'Organisation mondiale du commerce ou du GATT.
Je suis d'avis qu'il y a une solution intermédiaire, typiquement canadienne, que nous pourrions appeler une position de compromis. Je suis également convaincu que nous serons perdants si nous n'appliquons pas une solution de cette nature.
Le sénateur Harb : Je vous remercie d'avoir précisé cet aspect des choses. En vérité, lorsqu'ils ont des raisons d'invoquer la sécurité nationale, les organismes militaires américains interdisent à toute entreprise de soumissionner, sans même parler de devenir admissible à l'obtention d'un contrat.
J'ai vraiment apprécié certaines de vos suggestions qui m'ont paru très bonnes. Certaines d'entre elles sont très sophistiquées et très bonnes. Avec l'une d'entre elles, vous prônez la mise en place d'un mécanisme de guichet unique regroupant le fédéral, les provinces et les municipalités. Certaines expériences ont déjà été réalisées dans ce domaine.
Ce montant de 53 milliards de dollars représente presque 50 p. 100 des actifs de toutes les caisses de retraite. Vous êtes vraiment gros. C'est vrai. En 2009, le montant total n'est que de 1 milliard de dollars. Vous envisagez de conquérir 20 p. 100 de ce marché.
M. Ruffolo : Oui.
Le sénateur Harb : C'est bien.
M. Ruffolo : C'est très important.
Le sénateur Harb : C'est très bien. Je crois que vous, qui faites partie d'OMERS, devriez le faire savoir autant que possible, parce que vous êtes plus près des gens, plus près de vos membres. Vous avez une vision de ce qui se passe sur le terrain. C'est fantastique.
J'espère, monsieur le président, que s'il y a d'autres points dignes de mention dans ce rapport, nos recherchistes pourront faire une certaine forme de suivi, en particulier sur la notion du 1 p. 100 qui nous a été présentée ici.
La vice-présidente : Avant de donner la parole au sénateur Tkachuk, j'aimerais que vous me disiez, lorsque vous envisagez d'investir dans un projet, si vous faites vous-mêmes vos analyses ou si vous les sous-traitez. Je suppose que vous avez constitué un comité, mais, en même temps, qui procède aux études pour s'assurer que les investissements seront rentables et ont de bonnes perspectives d'avenir en matière d'innovation?
M. Ruffolo : C'est là une excellente question. Nous faisons tout à l'interne, mais cela ne veut pas dire que nous ne ferons pas appel à des conseillers compétents si un projet précis nécessite l'avis d'un spécialiste expérimenté.
Nous avons débuté en janvier avec une personne, moi. Nous sommes maintenant 10. Nous devrons être une douzaine pour étudier les placements de 200 millions de dollars. L'opération est dirigée par cinq directeurs généraux. Trois d'entre eux ont été embauchés et sont actuellement à l'œuvre alors que les deux autres embauches sont en cours. Quatre de ces directeurs généraux ont été des PDG d'entreprises de technologie. Deux d'entre eux ont occupé plusieurs postes de PDG, dont l'un dans la Silicon Valley. Il voulait revenir au Canada pour participer à ce projet. L'autre a été pendant 10 ans gestionnaire de l'un des principales entreprises de technologie dans le monde.
L'idée qui domine ici est de mettre l'accent sur la dimension opérationnelle. Le projet est géré par des gens qui ont fait cela auparavant et qui sont conscients des difficultés auxquelles se heurtent les entrepreneurs à leur début et des essais qu'ils doivent faire.
C'est l'une des idées qu'OMERS a décidé de mettre en œuvre. Ces personnes n'ont pas le même profil que la plupart de nos autres employés qui, en règle générale, sont beaucoup plus spécialisés en finances. C'est une expérience culturelle nouvelle et différente, mais elle est enthousiasmante. Je pense que c'est l'une des leçons que nous avons retirées de nos premières expériences en capital de risque. Il faut faire appel à des entrepreneurs pour contribuer à insuffler cet esprit entrepreneurial dans des entreprises.
Le sénateur Tkachuk : Dans votre exposé, vous avez évoqué les crédits d'impôt aux investisseurs providentiels et les crédits d'impôt aux entreprises qui effectuent des investissements. Au Canada, nous avons le crédit d'impôt pour fonds de capital de risque de travailleurs. Des témoins ont formulé passablement de critiques à l'endroit de ces fonds en affirmant qu'ils n'ont pas été rentables. En d'autres termes, si j'ai placé dans un de ces fonds un dollar en l'an 2000, j'ai toujours un dollar aujourd'hui. La seule chose dont j'ai profité a été mon crédit d'impôt.
En quoi ces crédits d'impôt sont-ils différents de ceux dont vous parlez ici? L'objectif était de les utiliser sous forme de capital de risque.
M. Ruffolo : En ce qui concerne ces fonds de capital de risque de travailleurs, ils se sont heurtés à un certain nombre de difficultés inhérentes à leur structure. Sans entrer dans les détails, ils étaient majoritairement très coûteux, étaient soumis à des exigences de rythme qui les incitaient à investir même quand ce n'était pas nécessairement le moment idéal. Vous deviez investir dans le territoire même dans lequel vous aviez levé les capitaux. Il y avait également quelques autres inefficiences.
C'est entre 1998 et 2000 que ces fonds recueilli levé la plupart de leurs capitaux, juste avant l'effondrement des entreprises. La performance de la plupart d'entre eux a été très décevante. De plus, ils devaient supporter des coûts élevés d'administration des fonds, en sus des frais normaux de gestion.
Ces crédits d'impôt aux investisseurs providentiels, que je vais prendre comme exemple, ne sont pas conçus pour s'occuper des investissements au niveau du détail; les fonds de capital de risque de travailleurs s'efforçaient d'attirer des montants de 5 000 $ de gens qui les auraient autrement confiés à leur courtier ou versés dans leur REER. Ces fonds ont en vérité été conçus pour des investisseurs sophistiqués.
Lorsque vous investissez en technologie, vous faites face à un défi lorsque vous avez choisi une entreprise qui en est à ses tout débuts. Vous faites alors deux paris. Vous pariez sur la technologie en faisant l'hypothèse qu'elle va fonctionner et vous faites un pari sur la commercialisation de ses produits, comme vous le feriez pour toute entreprise d'un autre secteur.
Ce que nous faisons dans ce cas-ci est d'aider un certain nombre de ces personnes passionnées par ce secteur, qui ont fait peut-être un peu d'argent dans celui-ci et veulent s'inscrire dans notre projet. Elles ne disposent pas vraiment du temps ni des ressources nécessaires et ne sont pas tentées de consacrer beaucoup de temps à éliminer les risques du volet technologique du pari. Nous essayons de fournir un stimulant, sans éliminer complètement les risques. Nous essayons d'utiliser des incitatifs assez efficaces pour les pousser à dépasser leurs objectifs en assumant nous-mêmes les risques associés à la technologie.
La question que cela soulève est de savoir quel montant suffit pour leur faire dépasser leur objectif, sans qu'ils aillent trop loin pour autant, ce qui risquerait de nous ramener à certains des problèmes que vous avez décrits. En utilisant comme plafond l'avantage de 45 p. 100 qui accompagne les actions accréditives, selon la province dans laquelle vous résidez, il nous a paru que c'était là le maximum qu'il faudrait faire, et c'est même peut-être un peu plus qu'il ne le faudrait. Nous avons jugé que 20 p. 100 ou moins ne suffirait pas pour modifier n'importe quel type de comportement. La position que nous avons retenue se situe donc entre 20 et 40 p. 100 pour une mesure incitative.
Je n'ai pas les détails ici, mais un plafond annuel a été imposé. Il est destiné à ce que les choses ne deviennent pas trop compliquées et trop coûteuses pour le gouvernement. Nous avons fini par retenir 30 p. 100, une solution à mi- route en quelque sorte, en estimant que cela constituerait une motivation suffisante pour inciter à avoir le comportement voulu.
Nous avons également essayé, « nous » signifiant ici nous et le gouvernement ontarien, d'encadrer le tout. Nous avons prévu de consacrer chaque année un montant donné au contrôle de ce programme. Lorsque le budget en question est épuisé, à n'importe quel moment dans le cours de l'année, vous arrêtez pour cette année et recommencez l'année suivante. Vous pouvez alors mesurer si les répercussions de vos choix sont bonnes pour l'économie.
C'est ainsi que nous avons procédé en gérant très soigneusement et en utilisant l'exemple de la Colombie-Britannique, qui disposait de ce programme depuis un certain nombre d'années et qui a publié l'an dernier une étude montrant les avantages et les rendements incroyables des entreprises concernées, qui étaient de loin supérieurs à ceux qu'elles avaient par ailleurs. D'une certaine façon, nous nous en remettons à un modèle et à un portefeuille de référence qui existe depuis 10 ans.
Le sénateur Tkachuk : Le crédit d'impôt aux investisseurs providentiels, le crédit d'impôt aux entreprises qui effectuent des investissements en capital de risque, les investissements directs du gouvernement et le crédit d'impôt pour la recherche scientifique et le développement expérimental sont tous des formes de subventions gouvernementales, parce que chacun est financé à même l'ensemble des recettes provenant des autres contribuables.
M. Ruffolo : D'accord.
Le sénateur Tkachuk : J'ignore si c'est une question de culture ou d'une autre nature. Je ne sais pourquoi les grandes inventions ont été faites avant l'apparition des crédits d'impôt, qu'on pense aux frères Wright, à Pasteur, à la télévision, à l'ordinateur, et cetera. En vérité, la première moitié du XXe siècle a probablement généré les inventions les plus importantes de l'histoire de l'humanité. Nous n'avons pas réussi à faire de même depuis. Nous n'avons certainement pas réussi à produire quoi que ce soit d'aussi inventif depuis cette époque, même si nous avons tous ces fonds du gouvernement qui sont injectés dans ces crédits d'impôt.
Vous avez mentionné qu'il y a eu un ralentissement en 1991. Eh bien, vous savez quoi? Il y a un ralentissement toutes les décennies. D'après ma propre expérience, cela se produit toutes les décennies. Cela n'explique pourtant pas pourquoi les crédits d'impôt consentis pour les investissements en capital de risque n'ont pas généré de rendements intéressants. Nous avons connu des récessions pendant les années 1980, les années 1970 et les années 1960. Il y aura toujours des récessions.
La vice-présidente : Avez-vous une question à poser?
Le sénateur Tkachuk : Toutes ces mesures, y compris concernant les acquisitions, impliquent le gouvernement. Je vous demande donc s'il est possible de faire quelque chose sans le gouvernement?
M. Ruffolo : Tout à fait. Nous pouvons le faire.
Le sénateur Tkachuk : Ces mesures-là seraient intéressantes à connaître.
M. Ruffolo : Nous nous demandions jusqu'à maintenant ce que le gouvernement peut faire. C'est différent de ce que nous pouvons faire comme nation, du point de vue du secteur privé. Beaucoup de choses sont en cours de réalisation. Je peux vous donner l'exemple d'OMERS qui est un organisme privé disposant de capitaux privés qui procède à la plus forte injection que le Canada ait connue depuis au moins 10 ans. Beaucoup de choses se passent en ce moment.
La question est de savoir si elles suffisent? Quand vous examinez la situation actuelle du Canada, ce qui est la question fondamentale qui sous-tend tout ceci, on décrivait souvent notre économie comme ayant des objectifs et une clientèle trop diversifiée. Je compare le Canada à Nortel. Nortel a été l'un de nos plus importants porte-étendards en matière d'innovation. L'une des principales raisons de sa chute a été qu'elle avait des objectifs et une clientèle trop diversifiés. Le marché a évolué et la concurrence est devenue mondiale et intense en même temps. Tout à coup, il a fallu faire des choix, et donc des paris.
À mes yeux, il en a été de même pour le Canada. Je pense que l'époque pendant laquelle nous pouvions produire de la richesse dans une multitude de secteurs est dépassée. Le Canada doit faire des choix stratégiques, ce qui implique de dire non à toute une série de secteurs qui ne contribueront pas à définir la nature du Canada au XXIe siècle. L'idée que je défends ici est que nous allons devoir faire ce type de choix, et je crois qu'il n'y aura pas d'alternative, sinon nous ne serons concurrentiels dans aucun domaine.
Nous ne pourrons sélectionner que quelques secteurs d'activité. Celui-ci en est un dans lequel nous disposons d'atouts naturels dont nous devrons profiter pour stimuler ces activités et favoriser la croissance, ce qui est exactement ce que font d'autres grands pays à travers le monde. Quand vous analysez ce que font Israël, la Chine, l'Inde et les pays nordiques en matière d'innovation, cela m'attriste de nous voir rester passifs et de ne pas retrouver notre agressivité.
Dans tous ces pays, des initiatives gouvernementales viennent en aide aux entreprises dès le tout début. La difficulté que cela pose est que vous ne voulez pas que cela soit la méthode permanente de faire concurrence parce qu'il ne s'agit là que d'une possibilité à court terme. Nous croyons, et nous constatons que, malheureusement, que cela nous plaise ou non, et quant à moi cela ne me plaît pas, je n'aime pas les subventions parce que je suis d'avis qu'elles compliquent les décisions purement économiques, mais je suis parvenu à la conclusion que nous n'avons pas d'autres choix.
Toutes ces suggestions, que nous les prenions dans leur ensemble ou n'en choisissions qu'une ou deux qui seraient les plus logiques, impliquent que le gouvernement ouvre le secteur et lui permette de se développer, mais sans choisir lui- même qui va réussir ou qui va perdre. Je suis d'avis que c'est là un choix qu'il faut laisser au secteur privé. C'est en intervenant à ce niveau que le Canada se trouverait en difficulté.
Il s'agit ici de semer et, nous l'espérons, de permettre aux semences de germer. Laissons donc le secteur privé le faire. Toutes les mesures proposées ici reposent dans une certaine mesure sur les mêmes types de fondement.
La vice-présidente : Nous avons pris un peu de retard au début et je vais donc permettre qu'on vous pose deux autres questions.
Nous avions un témoin censé intervenir à 11 h 30, mais nous avons débuté nos travaux après 10 h 30. Je vais inviter le sénateur Ringuette, puis le sénateur Smith, à poser leurs questions. Ensuite, nous entendrons deux autres témoins.
Le sénateur Ringuette : J'ai deux brèves questions à vous poser. Vous avez parlé de leçons tirées de l'expérience, et nous avons beaucoup parlé de financement. J'aimerais savoir quelles leçons ont été tirées en matière de commercialisation et en matière d'achat de ces innovations canadiennes par des entités étrangères.
Quant à ma seconde question, il me semble, au moins de mon point de vue, que ces jeunes entreprises perdent beaucoup de temps et d'argent à courir après du capital de risque, défendant leur dossier ici et là, partout où elles le peuvent. Il me semble que le gouvernement fédéral pourrait au moins mettre sur pied des registres, relevant d'Industrie Canada ou de la Banque de développement du Canada, où toutes ces jeunes entreprises cherchant des fonds pourraient s'inscrire. Il serait ainsi facile pour les investisseurs éventuels d'étudier la situation des jeunes entreprises qui cherchent un investisseur providentiel ou de capital de risque. Nous disposerions ainsi, pour le moins, d'une base de données qui permettrait, je l'espère, d'économiser beaucoup de temps et d'énergie à ces jeunes entreprises qui cherchent à financer leurs activités.
M. Ruffolo : Vous soulevez là un très bon point. Nombre de ces jeunes entreprises ont des difficultés. Si vous demandez à leurs dirigeants quelles sont les principales entraves à leur réussite, l'une des deux réponses les plus fréquentes est le financement. Ce n'est pas toujours la réponse numéro un, mais elle figure toujours parmi les deux premières.
Lorsque vous cherchez la solution, et nous sommes là dans le prolongement de la question précédente, il n'y a que six sources de capitaux dans ce pays. Il y a les institutions financières (que pouvons-nous y faire?), les caisses de retraite, le secteur institutionnel, avec, par exemple, le crédit d'impôt aux entreprises qui effectuent des investissements, et les investisseurs étrangers. Je crois que j'étais devant vous il y a environ un an au sujet de l'article 116 sur le certificat de décharge, et il a eu l'effet souhaité, ce qui fait qu'il n'y a rien de plus à faire dans ce domaine. Il y a enfin des particuliers avec, par exemple, le crédit d'impôt aux investisseurs providentiels et le gouvernement. Ce sont là les six sources auxquelles vous pouvez vous adresser.
Quand vous examinez les diverses solutions, il n'y en a pas une qui relève uniquement d'une de ces six catégories. La situation actuelle aboutit inévitablement à créer une myriade de sources de financement différentes, et cela sème la confusion. Nombre des dirigeants de jeunes entreprises auxquelles nous parlons se demandent à qui s'adresser. Il incombe réellement au secteur privé de faire un meilleur travail en facilitant l'accès des jeunes entreprises à ce capital.
La vice-présidente : La première question portait sur les entreprises qui, après trois ans de croissance, ont besoin de fonds additionnels. Après avoir investi et recueilli des capitaux de plus de 20 millions de dollars, parce qu'elles ont besoin de plus de liquidités et qu'elles n'en trouvent pas, elles sont rachetées et des étrangers reprennent des innovations que les Canadiens et les contribuables canadiens ont financées. Je crois que nous sommes tous préoccupés par le fait qu'il arrive fréquemment que, lorsque nous parvenons à la dernière étape du financement, l'entreprise ne parvienne pas à trouver les fonds dont elle a besoin au Canada.
M. Ruffolo : C'est une préoccupation primordiale que nous avons observée, en particulier au cours des cinq ou six dernières années. La question se pose exactement dans les termes que vous avez utilisés. Étant donné le manque de capitaux, nombre des fonds traditionnels, et contentons-nous de parler ici de fonds, qu'il s'agisse de fonds de capital de risque ou d'autre chose, sont trop petits pour continuer à répondre aux besoins en liquidités des entreprises, qui assuraient sa rentabilité, et cetera.
Nous sommes d'avis, chez OMERS Ventures, que cela permet de s'attendre exactement au même problème. C'est l'une des leçons fondamentales que nous avons apprises au cours des 15 dernières années. Quand vous étudiez l'histoire du capital de risque, et en particulier au Canada, vous constatez que les montants investis se situaient entre 2 et 10 millions de dollars, qui n'étaient pas versés au tout début ni très tard.
L'entrepreneur qui a trouvé environ 10 millions de dollars n'a guère d'autre choix par la suite que d'aller aux États- Unis. Que va-t-il se passer pour l'investisseur canadien, en particulier s'il a investi dans une très bonne entreprise? Ou bien il n'aura pas les moyens d'encaisser les profits réels de l'entente quand l'entreprise sera finalement vendue, ou celle-ci sera vendue beaucoup trop tôt.
Notre stratégie n'est pas uniquement d'investir plus tôt, mais également plus tard. Il s'agit pour nous d'intervenir à l'étape des tout premiers investissements quand les investisseurs providentiels arrivent et d'investir conjointement avec eux. C'est pourquoi nous avons décidé d'investir des montants aussi faibles que 500 000 $. Toutefois, OMERS n'est pas intéressée à réaliser un investissement de 500 000 $ et à se retirer ensuite de l'entreprise pour 10 millions de dollars. Il n'y aurait rien là pour les membres de notre régime de retraite.
Ce que nous essayons de faire est d'investir 500 000 $ pour aider l'entreprise. Nous nous demandons : Est-ce bien l'entreprise qui convient? Est-elle orientée dans la bonne direction? Est-ce une entreprise qui mérite de survivre ou non? Si oui, injectez-y 5 millions de dollars, puis 10 millions, puis 20 millions et 30 millions de dollars. Le montant de nos investissements s'étale entre 500 000 $ et 30 millions de dollars, ce qui est normalement le montant le plus important dont vous aurez besoin avant de vous inscrire à la bourse.
C'est la première fois, au moins au cours des 10 dernières années, qu'un fonds d'investissement dans ce pays peut avoir la même capacité d'intervention que n'importe quel fonds aux États-Unis. Pour la première fois, nous disons à l'entrepreneur que s'il veut aller de l'avant et se procurer des fonds étrangers, il faut que ce soit pour une raison stratégique, et pas uniquement parce qu'il peut obtenir un chèque plus important. Nous pouvons lui remettre un chèque aussi élevé ou même plus élevé que n'importe quel fonds américain de capital de risque maintenant. C'est là le cœur de notre stratégie.
Le sénateur Smith : Les gens parlent toujours de l'aversion des Canadiens pour le risque. Nous avons une base d'entrepreneurs, mais j'aimerais connaître vos commentaires sur le risque.
J'ai eu l'occasion de voir au premier chef comment se déroulent les injections de capital de risque. Cela revient à donner votre chemise, votre maison, absolument tout pour obtenir de l'aide et, le temps passant, vous essayez d'être en mesure de récupérer votre chemise et votre maison.
Quel type d'équilibre voyez-vous dans toute l'évolution des risques avec les entrepreneurs? Comment changez-vous la culture, si vous préférez?
M. Ruffolo : J'estime personnellement que c'est là la question la plus difficile à résoudre. Permettez-moi d'y répondre de diverses façons parce qu'elle est très complexe.
Il ne fait aucun doute, quand on nous compare à n'importe quel autre pays ou endroit dans le monde, que nous avons au Canada des entrepreneurs talentueux, en particulier pour la mise au point de produits techniques. C'est un point de vue que je défendrai n'importe où; je n'ai aucun doute à ce sujet. Le Canada ressemble énormément au reste du monde, à l'exception des États-Unis.
Ceux-ci font exception, en particulier dans la Silicon Valley. Il est très intéressant de voir comment les entrepreneurs qui y sont implantés voient leur réussite. Ils n'hésitent pas à se vanter de leurs échecs. Lorsque des entrepreneurs de la Silicon Valley se présentent, il arrive fréquemment qu'ils disent avoir eu trois entreprises en démarrage. « Pour la première, j'ai recueilli quantité d'argent et j'ai tout perdu; c'était fou. Pour la seconde, je pensais avoir compris, mais j'ai également tout perdu, mais avec la troisième, j'ai réussi. »
Au Canada, nous considérons un échec comme un échec et les échecs nous répugnent. Il y a quelques exceptions, mais les échecs ne sont pas encore rentrés dans les mœurs.
Vous le constatez quand vous allez voir ce qui se passe dans nos facultés, où les étudiants veulent devenir comptables, avocats, banquiers ou professionnels. Ils préfèrent en général la catégorie des professionnels à celle des entrepreneurs. Il y a cependant quelques exceptions. Vous commencez à voir, en particulier à l'Université de Waterloo, des étudiants sortant des facultés d'ingénierie qui veulent lancer une entreprise, et vous pouvez vous en féliciter.
Je suis d'avis que notre culture doit évoluer dans cette direction. Toutefois, l'autre volet de cette question intéressante est « Le Canada a-t-il une culture du risque? » Demandons-le simplement à nos amis du domaine pétrolier. En règle générale, les Américains trouvent que les Canadiens sont cinglés en matière de risque : vous allez investir 700 millions de dollars pour creuser un trou dans le sol et vous ne savez pas s'il y a quelque chose à cet endroit-là? Êtes- vous cinglés? Nous le faisons mieux que n'importe qui d'autre et donc, à nos yeux, dire que nous n'avons pas une culture du risque est naïf.
Maintenant, qu'avons-nous fait? Nous avons mis en place un système gouvernemental de financement pour aider à éliminer les risques. Ce fut un partenariat phénoménal. J'aimerais beaucoup parler aux entrepreneurs travaillant dans les champs de pétrole. Ils sont pratiquement fiers d'avoir connu des échecs et je pense que le secteur de la technologie peut apprendre un peu d'eux.
La vice-présidente : Je crois que nous avons un peu dépassé le temps dont nous disposions. Je tiens à vous remercier. Toute autre idée brillante est plus que bienvenue. Nous allons poursuivre nos auditions pendant quelques semaines encore. Vous nous avez été très utile.
Vous avez présenté une façon très concrète de faire les choses, et nous vous félicitons pour la façon dont vous innovez avec votre fonds, en investissant en plus longue période tout en faisant vraiment confiance en même temps aux entrepreneurs canadiens pour les accompagner et aider le pays. Je vous remercie de notre part à tous.
M. Ruffolo : Je vous remercie beaucoup de m'avoir offert cette occasion.
Le sénateur Michael A. Meighen (président) occupe le fauteuil.
Le président : Chers collègues, je vous souhaite la bienvenue à la seconde moitié de notre réunion de ce matin. Je tiens tout d'abord à remercier notre vice-présidente, le sénateur Hervieux-Payette, d'avoir si bien présidé la première heure de réunion. On me dit que tout s'est passé en douceur. Je vous prie de bien vouloir excuser mon absence. Pendant cette seconde heure, je vais tenter de faire aussi bien qu'elle.
Nous accueillons maintenant M. Iain Klugman, président-directeur général de Communitech, un organisme qui se consacre à la croissance et à la commercialisation de l'industrie des médias numériques et qui fait la promotion de la région de Waterloo en la considérant comme une grappe technologique. Nous entendrons également, grâce à la magie des vidéoconférences, M. James Brander, professeur en études stratégiques et économiques à l'école de commerce Sauder de l'Université de la Colombie-Britannique. Bienvenue à vous deux.
Sans plus de cérémonie, je vous donne la parole, monsieur Klugman, puisque je crois savoir que vous avez des remarques préliminaires. Nous passerons ensuite à M. Brander.
Iain Klugman, président-directeur général, Communitech : Permettez-moi tout d'abord de remercier le président et les membres de ce comité de leur invitation. Nous considérons le gouvernement comme un partenaire important pour ce que nous tentons de réaliser, et nous sommes ravis de cette occasion de vous entretenir de cette question importante.
Je tiens tout d'abord à vous dire que nous sommes convaincus que c'est là la chance du Canada. Dans de nombreux domaines, je vais reprendre à ma façon ce que vient de vous dire M. Ruffolo sur la nécessité de cibler les domaines de notre économie que nous voulons voir croître. Nous avons eu la chance de passer les derniers jours avec des dirigeants de la Kauffman Foundation aux États-Unis. C'est la plus importante fondation dans le monde qui se consacre à l'entreprenariat. On nous y a dit, pour l'essentiel, que tous les pays font la course pour arriver au sommet en tentant de trouver la meilleure façon de mettre en place une économie de l'innovation. Une fois encore, pour faire écho à ce que vous a dit M. Ruffolo sur les investissements de la Chine et des pays nordiques, et des États-Unis dans le cadre de la campagne Startup America dirigée par le président Obama, nous nous sommes engagés dans une course importante qui peut donner des résultats considérables pour l'avenir de notre pays.
C'est vraiment là une chance pour le Canada. Nous avons beaucoup investi en recherche et en développement au cours des dernières années, et cela fait apparaître des possibilités extraordinaires dont il nous incombe de tirer parti. Nous observons également partout au pays des taux sans précédent de lancement d'entreprises. Être entrepreneur devient tout d'un coup à la mode. Cela fait partie de ce que les jeunes gens veulent faire. C'est l'un de leurs choix de carrière. La seule chose qui nous empêche de faire l'envie du monde, d'être le prochain Israël de l'économie de l'innovation, est le capital.
Comme je vous l'ai dit, je m'appelle Iain Klugman, et je viens de la région de Waterloo. En plus d'être président- directeur général de Communitech, j'ai également la chance de présider le comité consultatif local sur les petites entreprises et l'entreprenariat, qui conseille directement le ministre d'État à la Petite entreprise et au Tourisme et le ministre de l'Industrie.
Communitech œuvre à l'avant-scène de l'industrie canadienne de la technologie en desservant un réseau de plus de 800 entreprises du secteur, qui génèrent des recettes dépassant les 25 milliards de dollars. Notre travail nous met en relation, à toutes les étapes de leur croissance, avec des entreprises allant d'un groupe de plus de 350, ou plutôt 400 nouvelles entreprises, qui emploient moins de cinq personnes, à la plus importante société canadienne de logiciel, OpenText, et à la plus importante société de technologie du Canada, Research in Motion. Dans la région de Waterloo, le secteur de la technologie emploie plus de 30 000 Canadiens. La région de Waterloo fait de plus en plus concurrence à la Silicon Valley et à la région de Boston comme zone privilégiée pour le lancement d'entreprises grâce au dynamisme et à la performance de son écosystème local de technologie et à sa capacité à accélérer la croissance des entreprises prêtes à investir. Tout cela pour vous dire que nous occupons une situation avantageuse qui nous permet de bien savoir ce dont les entreprises ont besoin pour réussir et de bien connaître les difficultés auxquelles se heurtent les entrepreneurs canadiens.
Je suis ravi de pouvoir vous faire part de ce point de vue aujourd'hui, parce que je suis d'avis que nous tous, le gouvernement si vous préférez, pouvons faire réellement la différence en ce qui concerne ce déterminant important de l'économie grâce à certaines modifications stratégiques et rentables de la politique. Je tiens à profiter de mon passage parmi vous pour vous soumettre deux recommandations importantes. Le gouvernement devrait accroître l'accès des petites et moyennes entreprises canadiennes au capital dont elles ont besoin et il devrait ajuster le soutien qu'il apporte à la recherche et au développement pour accélérer la croissance des entreprises axées sur le savoir.
La première question dont je veux vous entretenir est l'accès au capital. En termes simples, notre système est en panne. Depuis qu'il est tombé en panne, nous avons vu naître une génération d'entreprises qui ne peuvent réussir au Canada. La crise du capital touche toutes les entreprises de la même façon, peu importe où elles en sont dans leur cycle de vie. Les petites entreprises doivent tout particulièrement pouvoir accéder au capital pour les aider à faire croître leurs activités. Le gouvernement a déjà pris des mesures importantes pour les aider en ce sens en s'engageant à réviser l'article 116 du Code des impôts. C'est là une modification importante qui rend les capitaux américains plus facilement accessibles pour aider les entreprises canadiennes à croître, mais il y a trois mesures additionnelles que le gouvernement doit prendre pour alléger la crise du capital dans notre pays et aider les entreprises à lever des capitaux. Il s'agit de mettre en œuvre un crédit d'impôt aux investisseurs providentiels, un crédit d'impôt aux entreprises qui effectuent des investissements et d'investir directement dans des fonds providentiels ou de capital-risque.
Dans le cas des entreprises qui en sont à leur tout début, les capitaux providentiels permettent de passer d'un financement par les amis et la famille, ou par les relations, à un financement par capital de risque. Le gouvernement du Canada peut faire sortir de l'ombre cette source importante de capital en instaurant un crédit d'impôt pour les investisseurs providentiels. Quand je dis sortir de l'ombre, j'entends par là que le montant énorme de capitaux entre les mains de particuliers devrait pouvoir être investi dans des entreprises et non plus uniquement dans d'autres classes d'actif et devenir disponibles ici. Un crédit d'impôt aux investisseurs providentiels injecterait davantage de capitaux dans l'écosystème technologique du Canada à l'intention des entreprises ayant besoin d'un montant entre 500 000 $ et 2 millions de dollars. Cela reviendrait à faire appel à la richesse disponible au Canada pour la mettre à l'œuvre au niveau de la collectivité.
Le fait de favoriser des niveaux plus élevés d'investissements providentiels a donné des résultats qui sont allés au- delà de la valeur même du capital. Il est souvent aussi utile de profiter de la valeur ajoutée que le mentorat confère aux investissements pour mener les entreprises sur la voie de la réussite. Le fait d'aménager le cycle de vie du capital dès le début, en mettant l'accent sur l'accès rapide à des compétences uniques et aux capitaux fournis par des investisseurs providentiels et expérimentés permettra de renforcer les entreprises qui auront une valeur plus élevée pour leur niveau suivant de financement. De bons modèles de cette nature sont en place en Colombie-Britannique et aux États-Unis, et on envisage de les adopter en Ontario. Les conditions sont favorables à des crédits de cette nature alors que d'importants réseaux providentiels sont apparus à travers le pays pour partager les pratiques exemplaires et pour permettre de parvenir plus simplement à une entente. Au sud de la frontière, on constate maintenant qu'il y a deux types d'état. Il y a ceux qui offrent un crédit d'impôt aux investisseurs providentiels et ceux qui se préparent à en offrir un. Un crédit d'impôt de cette nature dynamiserait cette activité et rendrait les capitaux plus facilement disponibles aux premières étapes de la vie des entreprises, ce qui permettrait de créer davantage d'emplois pour les Canadiens.
Pour en venir maintenant au crédit d'impôt pour capital de risque, le gouvernement pourrait dynamiser davantage les capitaux disponibles au Canada en attirant à nouveau les grands investisseurs institutionnels dans cette classe d'actif. Le fait d'offrir un crédit d'impôt aux sociétés admissibles qui investissent dans des fonds de capital-risque gérés par des entreprises professionnelles aurait non seulement pour effet de rendre disponibles davantage de capitaux au Canada, mais également d'attirer les meilleurs spécialistes de la gestion dans les fonds canadiens de capital de risque. Les investisseurs institutionnels et stratégiques, des entreprises de communications et de technologie mobile aux grandes sociétés pharmaceutiques, pourraient constituer des bassins énormes de capitaux pour la création de fonds d'investissement.
Si nous ne parvenons pas à relancer le marché canadien du capital de risque et à accroître le nombre de sources disponibles de ce type de capitaux, nous n'allons alors que faire démarrer de jeunes entreprises prometteuses pour les amener à un niveau auquel elles seront forcées de vendre. Cela signifie que nous n'aurons jamais une base solide d'entreprises moyennes au Canada et que nous ne verrons jamais d'entreprises canadiennes devenir de grandes sociétés de niveau mondial parce qu'elles n'auront pas eu les capitaux nécessaires au moment opportun.
Une étude récente sur l'entreprenariat réalisée par une fondation américaine, la Kauffman Foundation, montre que la majorité des nouveaux emplois sont créés par des entreprises âgées de moins de cinq ans. À la différence des entreprises implantées depuis plus longtemps, les nouvelles entreprises ne cherchent pas à devenir plus productives en éliminant des emplois ou en se séparant de talent, mais plutôt en ajoutant des emplois. Pour atteindre l'objectif de créations d'emploi au Canada, le gouvernement peut appuyer les entreprises novatrices et à forte croissance en investissant directement dans celles-ci, en se servant pour cela d'outils propres au secteur public.
Des organismes comme la BDC, EDC, le Fonds de capital-risque et Teralys disposent de capitaux importants et inutilisés qui, s'ils étaient utilisés de façon stratégique, pourraient devenir une force pour développer au Canada des entreprises novatrices. On estime que ces capitaux inutilisés pourraient atteindre un milliard de dollars. Les indications dont on dispose laissent entendre que ces intervenants seraient prêts à mettre sur pied des partenariats, mais qu'il faudrait auparavant faire preuve d'un leadership énergique pour amener les investisseurs institutionnels à la table. Comme le dit un entrepreneur, nous n'avons pas besoin de plus d'argent, nous avons besoin de libérer l'argent existant.
Actuellement, les entrepreneurs consacrent énormément de temps et de talents à organiser des montages de fonds provenant de toutes les sources possibles. C'est là une solution inefficace qui détourne les entrepreneurs de leur tâche qui consiste à faire grandir leurs entreprises. Des fonds bien financés et dynamiques dans des secteurs stratégiques de l'économie pourraient contribuer à régler ce problème et aideraient les gestionnaires à se consacrer à nouveau à la croissance de leurs entreprises. L'idée sous-jacente est que, en combinant des capitaux et un fonds d'investissement constitué d'autres fonds, il serait possible de lancer 10 à 15 fonds d'investissement à travers le Canada qui seraient dirigés par des gestionnaires compétents et parmi les plus performants. Les conditions particulières à chaque province pourraient faire l'objet de négociations en fonction des besoins. On voit déjà un consensus se dégager sur l'identité des meilleurs gestionnaires de fonds et sur leur relève. Dans ce modèle, les capitaux publics seraient retirés des entreprises au lieu d'y dépérir et serviraient à attirer des capitaux du secteur privé. Ce serait là une solution intelligente et élégante pour transférer rapidement et de façon efficiente les capitaux dans les entreprises en démarrage.
J'en viens maintenant à ma seconde recommandation sur l'ajustement de l'aide à la recherche et au développement réalisés par des entreprises privées. Le Canada peut y parvenir en élargissant l'application de son crédit d'impôt pour la recherche scientifique et le développement expérimental, le RS&DE, pour rendre un plus grand nombre de sociétés admissibles, et en affectant une part du financement gouvernemental à la R-D au soutien des PME novatrices. Le programme de RS&DE est largement reconnu comme un instrument efficace pour favoriser la recherche et le développement dans le secteur privé.
Je suis même fermement convaincu que ce programme est la principale raison pour laquelle le Canada dispose d'un secteur de la technologie. Il constitue depuis longtemps un moyen d'atténuer le problème d'accès au capital auquel sont confrontées les petites entreprises. Le rapport Jenkins, propose de simplifier la mise en œuvre du programme de RS&DE afin d'en faciliter l'accès par les entreprises, ce que j'appuie. Les modalités actuelles qui restreignent l'admissibilité aux jeunes entreprises sous contrôle canadien ne parviennent pas à motiver de façon satisfaisante ni adaptée toutes les entreprises désireuses de faire de la R-D au Canada, qu'elles soient canadiennes, étrangères, publiques ou privées.
Afin de permettre aux Canada d'enregistrer les gains de productivité dont il a tant besoin, les modalités d'application de ce programme de RS&DE doivent être élargies pour favoriser l'innovation et la création d'emplois.
L'élargissement des critères d'admissibilité à ce programme pour qu'il puisse bénéficier à un plus grand nombre d'entreprises amènera à faire davantage de R-D au Canada, à créer plus d'emplois, à générer davantage d'innovations et à lancer un plus grand nombre d'entreprises. Il mettra en place un cercle vertueux qui profitera à notre économie du savoir.
Le gouvernement pourrait inciter plus rapidement à atteindre des niveaux supérieurs de R-D en se comportant comme un client des innovations canadiennes. Prenons par exemple le programme Small Business Innovation Research, le SBIR, mis en œuvre aux États-Unis, qui assure un financement intégral des recherches faites par des PME pour fournir une solution réelle intéressant le gouvernement. Ce programme, qui est encadré par une loi, permet aux petites entreprises d'avoir un vrai client qui leur fait part de ses commentaires réels sur leurs produits. Les ministères du gouvernement pourraient investir dans des solutions de R-D et tirer parti au maximum des approvisionnements gouvernementaux pour favoriser l'innovation canadienne.
Pour conclure, dans ce pays, nous investissons massivement en recherche et en innovation, mais, comme pays, nous avons de la difficulté à convertir ces investissements en réussites commerciales. En améliorant l'accès des petites et moyennes entreprises aux capitaux canadiens et en ajustant nos modalités d'aide à la R-D, le gouvernement pourrait avoir un effet immédiat, favorable et direct sur notre capacité à avoir davantage d'entreprises, à créer plus d'emplois et de richesses pour les Canadiens.
Je vous remercie, mesdames et messieurs, du temps que vous m'avez consacré ce matin.
Le président : Je vous remercie, monsieur Klugman. Vous avez été droit au but. Nous apprécions à leur juste mesure les idées concrètes que vous avez soumises à notre étude.
James Brander, professeur, Études stratégiques et économiques, école de commerce Sauder, Université de la Colombie- Britannique, à titre personnel : Je vous remercie de m'avoir invité parmi vous. Je ne suis pas convaincu que je puisse vous être très utile, mais j'ai préparé quelques commentaires de nature générale sur le financement de l'innovation et, de façon plus générale, sur le secteur financier. Après ces commentaires, je me ferai un plaisir de répondre à vos questions. Je dois vous prévenir que le ton de mes commentaires sera différent de celui des deux derniers témoignages que vous avez entendus.
La première chose que je tiens à vous faire remarquer est que la crise financière récente aux États-Unis, imputable à un secteur hypothécaire insuffisamment réglementé ou déréglementé, a contribué à une plus grande acceptation des règles de prudence dans ce secteur financier. Ces règles qui portent sur un niveau adéquat de capitalisation, sur les restrictions imposées aux effets de levier financier, sur la séparation des activités financières au sein des institutions et sur les exigences de divulgation sont largement acceptées et le modèle canadien en la matière est bien considéré. Je n'hésite pas à affirmer que nous serions tous dans une bien meilleure situation aujourd'hui si les Européens et les Américains avaient adopté un modèle plus proche du modèle canadien. Il ne me paraît donc pas évident que le modèle canadien soit en panne quand on le compare au modèle financier en vigueur dans d'autres pays.
Les règles de prudence sont très importantes. Il est moins évident que l'implication des gouvernements pour promouvoir ou favoriser activement certains types de financement soit une bonne idée. Nous savons à quel outil il est possible de faire appel, soit les subventions à caractère fiscal, les garanties de prêt, l'injection directe de fonds par les gouvernements, les réglementations préférentielles, et cetera. Tous ces outils font l'objet de débats. Il y a aussi lieu de se demander si les PME, les nouvelles entreprises ou les autres catégories d'entreprises méritent un traitement spécial d'un point de vue financier.
Je ne prétends pas connaître parfaitement les réponses à ces questions, ni sur le secteur financier en général, mais j'ai fait passablement de recherches sur le financement par capital de risque et sur des types connexes de financement comme le financement providentiel.
Le premier point qu'il faut souligner est que l'essentiel du financement des PME n'est pas assuré par le capital de risque, mais bien plutôt par des banques et par des investisseurs ordinaires. Venons-en maintenant à la création totale d'emplois dans le secteur des PME, qui est importante. La plupart des emplois ainsi créés ne le sont pas grâce au capital de risque, mais plutôt grâce au financement assuré par les banques et grâce aux autres investissements classiques.
Ces modes de financement classiques sont importants pour l'innovation, qui joue elle-même un rôle déterminant dans la croissance de l'économie et dans l'amélioration de la productivité.
J'aimerais vous présenter toute une série d'arguments en la matière. Tout d'abord, nous n'en savons pas autant que nous le voudrions. Nous n'en savons pas beaucoup en vérité. Lorsqu'on cherche à recueillir des avis au sein du secteur, beaucoup d'opinions sont motivées par l'intérêt personnel et formulées de façon énergique, ce qui peut être différent de l'intérêt personnel, mais nous ne savons pas si bien que cela quels sont les facteurs permettant d'obtenir une bonne performance et d'innover.
Il me semble que le système financier canadien a fonctionné relativement bien par rapport aux normes internationales. Permettez-moi de vous rappeler l'expression populaire qui veut qu'il soit inutile de vouloir réparer ce qui n'est pas cassé. L'une des deux principales fonctions du secteur financier est de fournir des investissements sûrs et prudents aux investisseurs, comme les caisses de retraite, les autres institutions et les particuliers. Les résultats du Canada dans ce domaine sont bons. Aucune grande banque ne s'est effondrée pendant tout ce temps, et les investisseurs ont bénéficié de taux de rendement raisonnables en regard des normes internationales. Ils auraient, bien sûr, aimé obtenir des rendements plus élevés au cours de la dernière décennie, mais ce n'est pas comme si tous les autres avaient obtenu de bons résultats. J'estime que la décision d'empêcher les grandes banques canadiennes de fusionner et celle qui a empêché l'absorption de la bourse de Toronto par un ou plusieurs conglomérats internationaux du marché des valeurs mobilières ont été des bonnes décisions. Ces fusions auraient probablement permis de réaliser des petites économies d'échelle et, pour quelques dirigeants, d'encaisser des primes élevées, mais cela aurait eu pour effet de réduire la sécurité et la responsabilisation du système. C'est du moins mon avis. Mon point essentiel est donc ici que le respect de la prudence par le système financier est absolument fondamental.
Le second rôle important du secteur financier est de canaliser l'argent des investisseurs vers les entreprises ou vers les autres utilisateurs de fonds qui peuvent les utiliser le plus efficacement. Les marchés financiers canadiens se sont également comportés relativement bien dans ce domaine. Le seul domaine dans lequel on fait parfois état de préoccupations au Canada est celui du financement des innovations. Il est normal de faire la comparaison avec les États-Unis qui semblent, en pourcentage, être plus novateurs en matière de financement et, peu importe les mesures utilisées, semblent générer davantage d'innovations. De plus, la productivité de la main-d'œuvre canadienne a chuté par rapport à celle des États-Unis au cours des 30 dernières années.
La question qui se pose alors est de savoir si la performance relativement décevante en innovation et en productivité, par rapport aux États-Unis, est imputable à la défaillance du financement des innovations ou à d'autres facteurs. Y a-t- il réellement un problème? Cela justifie-t-il de recourir à la politique publique pour générer davantage de financement des innovations?
Mes réponses à ces questions vont dans le même sens. Tout d'abord, il y a plusieurs problèmes de mesures. Je ne suis pas un spécialiste de ces mesures, mais celles-ci soulèvent effectivement plusieurs problèmes qui devraient nous amener à faire preuve de scepticisme quant à l'ampleur des avantages dont bénéficient les États-Unis par rapport au Canada. Si nous en arrivons à comparer les niveaux de vie, le Canada s'en tire plutôt bien.
Il est manifeste que les États-Unis ont effectivement un avantage, à la fois comparatif et en valeur absolue, dans le domaine de l'innovation. On y innove davantage qu'au Canada en pourcentage. C'est un phénomène qui a été important, en particulier dans les secteurs des technologies de l'information et des communications.
C'est une des choses que les États-Unis font bien, mieux que quiconque. Je crois que cela peut s'expliquer en partie par les liens étroits dans ce pays entre le secteur de l'innovation et les principales universités dans lesquelles ont fait des recherches. Je pense que le Canada devrait avoir un secteur novateur dynamique pour continuer à améliorer les relations entre, par exemple, les grandes universités et les activités d'innovation en entreprise. Nous avions, jusqu'à il y a peu, beaucoup de retards sur les États-Unis, mais je crois que nous l'avons comblé maintenant.
S'en remettre dans une large mesure aux transferts de technologies en provenance des États-Unis n'est pas une mauvaise chose en soi. Nous entendons beaucoup parler de la Chine et de sa croissance économique. C'est un pays dans lequel on innove, mais l'essentiel de sa croissance économique provient de transferts de technologies, pour l'essentiel mises au point aux États-Unis.
J'ai des doutes sur l'élargissement des moyens de financement de l'innovation en recourant à l'aide publique. Je ne crois pas que le problème, si problème il y a, en soit vraiment un de manque de financement.
Si nous parlons aux entrepreneurs qui ont lancé de nouvelles entreprises, ils vous diront toujours qu'ils aimeraient bénéficier de financement additionnel. Si vous parlez aux investisseurs en capital de risque, ils vont se plaindre du manque de qualité des entreprises dans lesquelles investir.
Le niveau d'activité gouvernementale dans le secteur du capital de risque est déjà passablement élevé au Canada. C'est un sujet que j'ai beaucoup étudié. Du point de vue du gouvernement, le Canada est l'un des pays qui favorise le plus le capital de risque, certainement beaucoup plus en pourcentage qu'aux États-Unis. Au niveau gouvernemental, le Canada en fait beaucoup. Il suffit de citer la Banque de développement du Canada, le fonds d'investissement de travailleurs, divers programmes provinciaux, les crédits d'impôt, et cetera.
Mes coauteurs et moi avons étudié l'activité gouvernementale dans le secteur du financement par capital de risque. Cela a passablement surpris quelques économistes, mais nous sommes parvenus à la conclusion que, dans l'ensemble du monde, la fourniture de capital de risque par les gouvernements a donné des résultats abominables. On obtient toutefois de meilleurs résultats quand ces capitaux de risque sont fournis par le secteur privé. Lorsque le financement d'une entreprise donnée est mixte, c'est-à-dire que les fonds proviennent du gouvernement et du secteur privé, celles qui reçoivent de l'aide essentiellement des gouvernements pour leur financement obtiennent en vérité des résultats médiocres.
Nous avons remarqué que le niveau de ce que l'on appelle la substitution n'est pas si élevé. On entend par que fournir un dollar additionnel de financement d'origine gouvernementale reviendrait simplement à chasser un dollar du financement de capital de risque privé. Ce phénomène se produit effectivement dans une certaine mesure, mais nous avons fini par être convaincus que l'essentiel du financement gouvernemental consacré à l'innovation est en vérité un financement additionnel plutôt qu'un financement qui se substitue aux capitaux privés.
Le Canada apporte déjà un niveau élevé de soutien gouvernemental au financement par capital de risque. Il n'est pas évident qu'il faudrait en faire beaucoup plus. En vérité, les résultats obtenus par ce type de financement, avec l'aide du gouvernement canadien, ne sont pas aussi bons que dans de nombreux autres pays. Pour moi, il n'est pas évident qu'il y ait place pour une expansion importante de ce financement gouvernemental.
Il est bien évident que nous devons améliorer ce que nous faisons actuellement. On peut en donner comme exemple les Fonds d'investissement de travailleurs. Le milieu universitaire reconnaît, à mon avis très largement, que celui-ci n'est pas bien structuré. Tout d'abord, il n'y a aucune raison pour laquelle les subventions au capital de risque devraient être réservées aux syndicats. Il y a également plusieurs autres restrictions imposées par ce programme qui sont inefficientes et qui font augmenter le coût des levées de fonds. C'est un problème.
Il me semble également que le milieu universitaire convient très largement, et cela cadre parfaitement avec nos recherches, que le gouvernement ne doive pas utiliser les investissements en capital de risque pour faire directement la promotion d'objectifs sociaux, d'expansion régionale ou de création d'emplois. Ce sont les innovations réussies qui contribueront à la création d'emplois et à d'autres objectifs sociaux souhaitables, mais il est important d'insister tout d'abord sur la qualité de l'investissement. Il n'est pas évident à mes yeux qu'en tirant sur la corde, qu'en injectant davantage de fonds dans le système, nous verrions apparaître un plus grand nombre de possibilités d'investissement de bonne qualité.
Je crois que les réponses réelles viennent de la base. Nous devons nous efforcer d'améliorer encore plus la technologie sous-jacente et le capital humain, aussi bien pour l'entrepreneuriat que dans les domaines scientifiques et techniques. C'est cela qui jette les bases de cette innovation. Voilà ce que j'avais à vous dire comme commentaires préliminaires. Je vous remercie de votre attention.
Le président : Je vous remercie, monsieur Brander. Cela nous donne matière à réflexion. Nous avons donc là des opinions différentes, ce qui est toujours une bonne chose pour un débat.
Monsieur Klugman, avez-vous des commentaires à faire avant de lancer la série de questions des sénateurs? Si j'ai bien compris, M. Brander adopte une approche passablement différente de la vôtre.
M. Klugman : J'aurais plusieurs choses à dire. Tout d'abord, je ne suis pas un universitaire et je ne commenterai donc pas le genre d'analyse qui vient de vous être présentée. Je travaille sur le terrain, avec des centaines d'entrepreneurs qui s'efforcent de mettre sur pied des entreprises. Mon point de vue vient de ce que j'entends et vois tous les jours dans une région du Canada, celle de Waterloo.
La question se résume, pour l'essentiel, à savoir si nous voulons ou non à l'avenir obtenir une part de l'économie de l'innovation qui est en forte croissance. Si c'est ce que nous voulons, nous devrons nous lancer dans la bagarre. Nous pourrions également décider qu'une économie axée sur les ressources, avec un système bancaire fort, nous convient. Ce qui serait triste en suivant cette voie est que, à mon avis, nous manquerions des possibilités énormes. Nous faisons énormément de recherches dans ce pays. Nous avons un grand nombre de nouveaux entrepreneurs qui veulent mettre sur pied des entreprises de niveau mondial. C'est là un avantage énorme par rapport à de nombreux pays qui en sont encore à se demander comment ils pourraient se doter d'une économie de l'innovation.
Pour en revenir au dernier commentaire, il ne s'agit pas à mes yeux de tirer sur la corde. Il s'agit plutôt d'essayer de réagir face au secteur émergent que nous voyons naître dans notre pays. Des quantités énormes de nouveaux projets sont lancées et on constate qu'il y a une soif importante d'entrepreneuriat et de création d'entreprises. C'est à ce phénomène que nous essayons de répondre. Nous disons tout simplement : « Comment permettre à ce phénomène qui existe déjà de se poursuivre? »
L'avantage que nous avons par rapport aux autres, et nous avons eu la visite de gens de Singapour, qui sont excellents pour gérer leur économie et qui sont très volontaires, est qu'ils n'ont pas de culture d'entrepreneuriat. Voir ce phénomène se manifester dans notre pays offre énormément d'avantages. Les autres doivent se doter d'une culture de l'entrepreneuriat, ce qui me paraît quelque chose de difficile à faire.
Le sénateur Harb : Je tiens à vous remercier, monsieur, mais je veux aussi mentionner ce que nous ont dit les représentants du secteur canadien du capital de risque lorsqu'ils ont comparu devant notre comité en 2010. Ils nous ont affirmé que ce secteur est aujourd'hui en crise. J'imagine que vous n'êtes pas d'accord avec eux.
M. Brander : C'est exact. Si vous demandez aux spécialistes du capital de risque s'ils veulent recevoir l'aide du gouvernement, à quelle réponse vous attendez-vous? Bien évidemment, ils vont vous dire oui. C'est une réponse qui ne me surprend pas.
Il est vrai qu'il y a dans le monde des pays dont les économies ne se comportent pas aussi bien qu'ils le voudraient maintenant. Comme je l'ai indiqué, la performance du secteur de l'innovation au Canada n'est pas aussi bonne que nous l'aimerions. Je conviens tout à fait que nous devrons travailler fort pour améliorer la performance de l'innovation au Canada. La question est de savoir quelle est la bonne façon de le faire. Détourner de l'argent dans le système est-il la bonne façon de procéder? Pour avoir étudié cette question, j'ai des doutes à ce sujet. Je doute également de la capacité du gouvernement à choisir les gagnants et des secteurs d'activité en particulier. C'est un sujet que j'ai étudié. Si vous examinez les résultats obtenus par le passé, ils ne sont pas bons. Dans le domaine de l'innovation, c'est toujours l'économie américaine qui est en tête, même avec tous les problèmes qu'elle connaît. L'essentiel de ces innovations ne découle pas de décisions gouvernementales. Il se peut qu'elles profitent indirectement de certaines mesures gouvernementales, dans certains secteurs, et en particulier dans celui de la défense. Cependant, ce sont essentiellement les initiatives et les mesures incitatives du secteur privé qui sont à l'origine de ces innovations, et non pas une aide gouvernementale au secteur du capital de risque. Cette aide est plus faible aux États-Unis qu'au Canada, bien qu'elle existe.
Ce qui m'inquiète est que tirer sur la corde pourrait faire plus de mal que de bien.
Le sénateur Harb : Monsieur Brander, il faut que vous soyez à la table. Il y a des organismes comme l'Organisation de coopération et de développement économiques, l'OCDE, qui nous disent que le Canada se situe dans la moitié inférieure d'une sélection de pays membres de l'OCDE quand on les classe en fonction du ratio exprimé en pourcentage des investissements en capital de risque sur le PIB. En vérité, nous sommes tout en bas de l'échelle. Allons donc, monsieur Brander. Que voulez-vous que nous fassions quand tous ces gens de l'industrie, d'organismes comme Communitech, d'organisations représentant les spécialistes en capital de risque, l'OCDE et d'autres nous disent que nous faisons face à une crise. Vous nous dites néanmoins que nous n'avons pas de problème.
M. Brander : Je trouve que c'est là un usage excessif du mot « crise ». Ce n'est pas une crise. Il est vrai que nous avons moins de capital de risque par habitant, ou par unité de PIB que les États-Unis et que quelques autres pays. Personne ne le conteste. Notre économie est davantage tournée vers d'autres secteurs. C'est bien vrai. Nous disposons bien évidemment de ressources énergétiques beaucoup plus importantes que ces autres pays. Les pays ne sont pas tous les mêmes et ils ne peuvent pas tous ressembler à Israël ou aux États-Unis. Nous ne pouvons pas nous attendre à être exactement comme eux.
Dans le cas du financement par capital de risque, la grande différence entre le Canada et les États-Unis est que, chez eux, les caisses de retraite investissent davantage en capital de risque qu'au Canada. S'il en est ainsi chez nous, c'est que les rendements et les investissements ne sont pas là. Comme je l'ai dit, c'est bien d'investir en technologie, plutôt que d'essayer de pousser à investir dans des secteurs qui ne seraient pas en mesure d'utiliser ces fonds maintenant.
Le sénateur Harb : Vous nous dites donc de laisser le marché décider. S'il y a un marché, l'argent va y aller et s'il n'y a pas de marché, l'argent n'y ira pas.
M. Brander : Le gouvernement a un rôle important à jouer. Il faut se demander quelle doit être la nature exacte de ce rôle. Il est de la plus haute importance de disposer d'un système financier sain. Il est également important d'avoir de saines politiques fiscales, avec des taux d'imposition sur les revenus des entreprises et des taux d'imposition des gains en capitaux faibles. Cela me paraît une meilleure utilisation de l'argent des contribuables que d'essayer de désigner des gagnants ici et là, et d'injecter des fonds dans le système de capital de risque.
Le président : J'aimerais savoir, monsieur, ce que vous pensez du principe des fonds de contrepartie? Est-ce un mécanisme qui vous séduit?
M. Day : Les recherches que nous avons menées nous ont permis d'observer que le gouvernement apporte réellement quelque chose de plus. Je ne propose pas de réduire les investissements canadiens actuels en capital de risque qui sont importants, mais de les structurer de façon à ce que des montants de contrepartie soient investis me paraît une bonne idée. Nos travaux nous amènent à être favorables à cette approche. Le fait d'investir dans des entreprises qui sont suffisamment performantes pour attirer l'argent du secteur privé pourrait les aider à venir à bout de leurs difficultés. Il découle de nos travaux que c'est là le meilleur modèle. C'est exactement la voie à emprunter.
Le sénateur Oliver : Ma question s'adresse à M. Klugman.
Un certain nombre de témoins nous ont dit, tout comme vous, que l'une des choses que nous devons faire, si nous voulons vraiment faire la promotion au Canada d'une économie à forte croissance axée sur l'innovation, est de trouver des façons d'inciter les investisseurs providentiels à injecter davantage de fonds, et à trouver davantage de ces investisseurs providentiels. Vous nous avez dit qu'une des façons d'y parvenir serait d'accorder un crédit d'impôt aux investisseurs providentiels et un crédit d'impôt aux entreprises qui effectuent des investissements. Plusieurs personnes ont formulé le même type de recommandation, mais j'aimerais creuser un peu cet aspect des choses.
Comment un tel mécanisme fonctionnerait-il? Quel devrait être le pourcentage utilisé? Quels seraient les critères? Imaginons qu'un investisseur providentiel soit prêt à verser 500 000 $ à une nouvelle entreprise. Quel type de traitement fiscal proposeriez-vous pour ces 500 000 $ et quel critère utiliseriez-vous pour autoriser l'application de ce mécanisme?
M. Klugman : Les crédits d'impôt aux investisseurs providentiels offrent un avantage puisqu'ils sont déjà appliqués aux États-Unis et dans certaines régions du Canada. Il y a donc quantité de modèles que nous pouvons analyser et qui nous permettent de tirer des leçons d'expériences menées ailleurs. L'autre aspect intéressant de ces crédits est qu'ils sont structurés de façon assez comparable d'un endroit à l'autre. C'est un type de programme relativement simple. Tous éliminent les types d'investissement personnel. Je ne peux pas investir dans la nouvelle entreprise de ma mère. Le second critère repose sur la notion d'investisseurs accrédités. Nous avons déjà au Canada, au niveau provincial, des modalités permettant de déterminer ce qu'est un investisseur accrédité.
Ce qui se passe habituellement, et c'est ce que nous proposons, est que la personne procède à un investissement et devient admissible au crédit d'impôt. En se fiant à ce que d'autres administrations ont fait, ce crédit va de 25 à 40 p. 100.
Le sénateur Oliver : Quel taux s'est révélé le plus efficace. Est-ce 25 p. 100, 40 p. 100 ou un taux intermédiaire? Que recommandez-vous?
M. Klugman : Pour reprendre ce que M. Ruffolo a dit ce matin, il semble que 20 p. 100 ne suffisent pas et que 40 p. 100 soient probablement trop. Les taux les plus répandus et les plus efficaces dans les autres administrations se situent entre 25 et 30 p. 100.
L'autre phénomène que nous observons avec les crédits d'impôt aux investisseurs providentiels est qu'ils ne concernent pas uniquement les investisseurs disposant d'un avoir net important, mais également les investisseurs providentiels plus petits. Nous voyons apparaître aux États-Unis des investisseurs providentiels du secteur sans but lucratif. Les gens peuvent acheter des parts d'un fonds qui investit dans des entreprises et dans de nouvelles sociétés, sans utiliser une approche fragmentée. Je peux être désireux de faire un investissement providentiel en n'ayant que 100 000 $. Ce montant n'est pas suffisant pour permettre à lui seul un investissement providentiel, mais je peux, avec d'autres, verser mon argent dans un fonds providentiel qui sera alors en mesure de procéder au niveau d'investissement nécessaire.
Le sénateur Oliver : La personne versant ainsi 100 000 $ dans un fonds providentiel serait donc admissible, avec votre modèle, au crédit d'impôt de 25 à 40 p. 100?
M. Klugman : Oui.
Le sénateur Oliver : Qu'en est-il des capitaux de risque institutionnels? Faites-vous une différence?
M. Klugman : Je m'attends à ce que les investisseurs demandent aux grandes sociétés de prendre une partie des liquidités qui figurent à leur bilan. Nous commençons déjà à entendre ce genre de demandes de la collectivité des actionnaires de Microsoft et de Sysco. Des montants importants de liquidité sont transférés aux comptes du bilan. Ce serait là l'occasion de faire bouger cet argent. Nous pensons que, si un mécanisme incite ces grandes entreprises à investir en capital de risque, cela pourrait s'avérer une excellente occasion d'accroître le montant de ce type de capital disponible dans ce pays.
Il y a toutefois deux problèmes. Je n'appartiens pas au secteur du capital de risque, mais à celui des organismes sans but lucratif, ce que mon père n'a jamais compris. L'importance d'un écosystème et d'un secteur du capital de risque efficace tient uniquement à la nécessité d'avoir une économie de l'innovation qui soit dynamique.
Pour y parvenir, il faut que les intervenants ayant de gros moyens soient impliqués, comme les partenaires institutionnels et le gouvernement. Vous devez disposer d'assez de fonds dans tout le pays pour pouvoir investir le capital de risque qui convient dans l'entreprise adaptée à n'importe quel moment.
M. Ruffolo a évoqué la possibilité d'un regroupement de fonds. Une partie du problème qui se pose avec les programmes de contrepartie est qu'il n'y a personne pour verser la contrepartie. Il suffit de penser au nombre de programmes en mesure d'investir dans les entreprises ontariennes. Ils ne sont pas nombreux. Il ne faut pas que nous nous contentions de viser la réussite de fonds individuels, mais que nous cherchions aussi à avoir un plus grand nombre de ces fonds. Il n'y en a pas assez. Il y a des partenaires avec lesquels M. Ruffolo pourrait mettre sur pied des regroupements.
Le président : Monsieur Brander, avez-vous des commentaires à faire sur cet échange?
M. Brander : Non, je n'en ai pas.
Le sénateur Tkachuk : J'ai deux questions à vous poser à tous deux.
Monsieur Klugman, M. Ruffolo et vous avez recommandé la mise en place de programmes de crédit d'impôt, destinés aux sociétés et à d'autres, et un crédit d'impôt aux investisseurs providentiels. Nous avons entendu passablement de critiques sur les fonds de capital de risque de travailleurs, qui sont en vérité un système de crédit d'impôt. En Saskatchewan, ma province, c'est un crédit assez généreux comme il l'était en Ontario et comme il l'est, je crois, en Colombie-Britannique. Ce crédit n'est pas accordé qu'au niveau fédéral; il l'est également au niveau provincial.
Les critiques portaient sur l'absence de rentabilité de ce programme, où sur des rentabilités très faibles. Quelqu'un qui aurait investi un dollar en 2000 aurait toujours un dollar aujourd'hui.
Que pensez-vous des fonds de capital de risque de travailleurs qui sont en vérité un programme de crédit d'impôt destiné à être utilisé à cette fin très précise?
M. Klugman : Les résultats obtenus par les fonds de capital de risque de travailleurs dans ce pays ont tenu à trois facteurs. Le premier a été le moment de la création de ces fonds. L'industrie de la technologie est cyclique et le moment a été mal choisi. Lors du lancement de ces fonds, il n'y avait pas la masse critique de nouvelles entreprises dont ils auraient eu besoin. Le flux d'affaires nécessaire n'était pas là.
Il y avait également l'exigence d'étalement dans le temps des investissements. Il fallait procéder à ces investissements pendant des périodes précises et limitées, ce qui a contraint à procéder à des investissements même en l'absence d'affaires vraiment bonnes.
Le troisième élément portait sur une interrogation. Il était permis de se demander si les gestionnaires des fonds les ventilaient aux bons endroits, par exemple si les ratios de dépenses étaient trop élevés ou non et ce genre de questions.
Si vous examinez les résultats obtenus par cette classe d'actif, ce fut un échec. Le bon côté des choses a été que des entreprises qui connaissaient un réel succès ont pu trouver des liquidités à une époque où il n'y avait pas beaucoup d'autres capitaux de risque disponibles. Ces entreprises ont donc pu réussir et, dans de nombreux cas, finir par être cotées en bourse.
Ces fonds de capital de risque de travailleurs disposaient aussi d'assez d'argent pour procéder aux investissements suivants et ce fut une bonne chose. Ils étaient en mesure d'injecter 2, 5, 10 et 20 millions de dollars dans une entreprise. Cela a évité à quantité de celles-ci d'aller aux États-Unis pour se procurer des fonds, ce qu'elles auraient dû faire autrement.
Même si ce ne sont pas là les types de réussite que nous espérions, nous en avons retiré des leçons et il faut reconnaître que cela a eu de bons côtés.
M. Brander : Mes coauteurs et moi avons étudié les fonds de capital de risque de travailleurs. En résumé, leur performance d'ensemble est médiocre. Ce n'est pas uniquement une question de calendrier. Cette performance est médiocre non seulement en termes absolus, mais également par rapport aux autres types d'investissements et à ceux sous forme de capital de risque du secteur privé. Ces fonds de travailleurs, dans leur ensemble, n'ont pas donné de bons résultats. Comme vous l'avez signalé, les rendements pour les investisseurs ont été faibles et la performance des entreprises dans lesquelles les fonds ont été investis a été médiocre. On ne peut bien sûr pas généraliser. Certains de ces fonds ont donné de bien meilleurs résultats que d'autres et certaines des entreprises qui en ont profité ont obtenu de bons résultats. Je ne dis pas d'ici qu'il n'y a eu aucune réussite, mais il y en a eu moins qu'il aurait dû y en avoir. Je suis d'accord avec les commentaires voulant que certains aspects de la réglementation en vigueur se soient avérés nuisibles.
Comme je l'ai indiqué auparavant, je ne vois pas pourquoi il a été nécessaire de réserver ces fonds aux syndicats. Cela n'a pas eu des répercussions si importantes que cela. De plus, comme ces fonds ont fini par s'intéresser essentiellement au niveau du détail, en choisissant des petits investissements de 5 000 ou de 10 000 $, il s'est avéré que leur gestion et les activités de souscription étaient très coûteuses. S'intéresser essentiellement au secteur des investisseurs providentiels dans lequel on trouve des personnes ayant une valeur nette relativement élevée en mesure d'investir 100 000 ou 500 000 $ est plus logique et constituerait une meilleure utilisation des crédits d'impôt. En résumé, je suis d'avis que les fonds de capital de risque de travailleurs n'ont pas donné de bons résultats, et je crois que nous pouvons tous comprendre pourquoi.
Je serais partisan d'alléger certaines des restrictions imposées à ces fonds, y compris le fait de les réserver à des syndicats. Je préférerais en vérité accorder plus d'importance au secteur des investissements providentiels plutôt qu'au secteur de détail, parce que vous pouvez y trouver des investissements vraiment importants et que vous ne gaspillez pas un crédit d'impôt simplement pour gérer les fonds.
Le président : Il semble donc que vous vous entendiez sur un point et que nous devrions concentrer nos efforts sur le secteur des investissements providentiels.
Le sénateur Tkachuk : C'était ce que je voulais préciser. Les deux témoins ont fait allusion au programme de crédit d'impôt pour capital de risque en vigueur en Colombie-Britannique, que je ne connais vraiment pas très bien. Toutefois, tous deux ont également parlé de cas de réussite. M. Brander venant de l'Université de la Colombie- Britannique, vous êtes peut-être tous deux en mesure de nous expliquer la nature de ce programme et de nous dire ce que vous en pensez. J'aimerais savoir s'il s'agit d'une réussite aussi importante qu'on le dit.
M. Brander : J'ai eu l'occasion d'étudier, dans une certaine mesure, le programme de la Colombie-Britannique. Tout d'abord, en ce qui concerne le fonds de capital de risque de travailleurs, le crédit d'impôt de base est de 15 p. 100. Les provinces peuvent ajouter un taux en complément à celui-ci en allant jusqu'à le doubler. C'est ce qu'a fait la Colombie- Britannique. Dans cette province, le crédit d'impôt réel était donc de 30 p. 100. En plus de verser un montant équivalent à celui du fonds de capital de risque de travailleurs, le gouvernement a également mis en œuvre des mesures fiscales d'incitation et des crédits d'impôt pour les autres types de fonds qui ne sont pas nécessairement liés à des syndicats. Quand nous analysons les résultats obtenus par les fonds de Colombie-Britannique, nous constatons qu'ils ont obtenu de meilleurs résultats que dans le reste du pays. Si vous vous penchez sur ce qu'on appelle les sociétés de capital de risque, qui ne sont pas nécessairement liées à des syndicats, et les fonds de capital de risque de travailleurs, les deux ensembles, leur performance est meilleure que celle du reste du Canada. Je ne dis pas qu'elle est merveilleuse, mais elle a été passablement bonne. Le programme de la Colombie-Britannique a bien fonctionné. Son gouvernement a analysé sérieusement la question pour concevoir le programme de façon adéquate. Les entreprises ont fait un travail raisonnable. Ce n'est pas un succès retentissant, mais par rapport au reste du Canada, il est plus que satisfaisant.
M. Klugman : En procédant à notre analyse du crédit d'impôt aux investisseurs providentiels, nous avons étudié ce qui se fait dans les diverses administrations américaines. Comme il s'agit de programmes gouvernementaux, la plupart d'entre eux imposent de procéder à un examen et à une analyse des répercussions de ces initiatives de politique. Il y en a eu une de faite en Colombie-Britannique, il y a six ou huit mois, si je me souviens bien, qui a permis de connaître le rendement du capital investi par le gouvernement dans ce type d'instrument de politique. Des études similaires ont été faites dans de nombreux États américains qui ont appliqué ce type de crédit d'impôt. Je ne me souviens pas avec précision des chiffres de rendement du capital investi donnés dans ces études, mais je peux transmettre au comité les recherches que nous avons faites pour dresser la liste des diverses administrations qui ont mis en place des crédits d'impôt aux investisseurs providentiels et les analyses de ces crédits d'impôt.
Le sénateur Tkachuk : Ce serait là des éléments de comparaison qui nous seraient utiles parce que, en Saskatchewan, il y a un programme de doublement des fonds en faisant appel aux trésors de la province et du fédéral. L'Ontario a décidé de se retirer parce que son programme n'a pas enregistré de bons résultats. Cette province se contente d'appliquer le programme fédéral. Si quelqu'un a réalisé une étude au niveau national sur les raisons de la réussite en Colombie-Britannique, et j'ignore si c'est le cas, mais le programme de la Saskatchewan peut également avoir réussi, nous devrions entendre des témoins connaissant bien ces programmes pour nous expliquer comment les choses se sont passées. Ce sont là des éléments que nous devrions savoir avant d'aller plus loin.
Le président : La personne de la Bibliothèque du Parlement qui nous aide en a pris note et nous pourrons voir par la suite si ce serait utile. Nous avons épuisé le temps dont nous disposions, mais je sais que le sénateur Massicotte a une question à poser.
Le sénateur Massicotte : Ma question s'adresse au professeur de la Colombie-Britannique. Je crois que vous nous avez dit que les fonds de travailleurs n'ont pas donné de très bons résultats. Nous avons entendu auparavant des témoins nous dire qu'ils n'avaient pas donné d'excellents résultats, mais qu'ils avaient fait aussi bien que les autres fonds de capital de risque. Êtes-vous en train de nous dire quelque chose de différent?
M. Brander : C'est exact. Il n'est pas facile de recueillir des données, mais d'après celles que nous avons recueillies sur les fonds de capital de risque de travailleurs, ceux-ci ont enregistré une performance inférieure au reste de l'industrie.
Le sénateur Massicotte : Ce qui se fait à Waterloo semble avoir bonne presse. Je ne me suis pas livré à une analyse particulière, mais il semble qu'on y fasse de l'excellent travail. Tout le monde parle de la Silicon Valley et de la région de Boston. Tout le monde essaie de reproduire cette réussite parce qu'elle a été marquante. Vous avez aussi évoqué la Kauffman Foundation, en disant que ce sont les petites entreprises qui créent l'essentiel des emplois. La Brookings Institution nous affirme que la plupart des emplois viennent d'un petit nombre de petites entreprises qui connaissent une très forte croissance. Est-ce un rêve qui mérite d'être poursuivi? De nombreux pays dépensent beaucoup d'argent pour essayer de mettre en place un milieu favorable à ces grandes innovations. Vaut-il la peine de poursuivre ce rêve ou devrions-nous reconnaître que personne n'est parvenu à la réussite et donc plutôt épargner l'argent des contribuables?
M. Brander : Il y a une Silicon Valley et des centaines d'imitations. La région de la Route 128 à la sortie du Massachusetts est également une région qui a connu énormément de succès. Ce qui s'est passé dans la Silicon Valley s'explique par la proximité avec les universités, Stanford et Berkeley. La réussite dans la région de la route 128 est liée aux recherches faites à MIT et à Harvard. De plus, ce sont des endroits où il est agréable de vivre et qui disposent de quantité de capital humain. Ce sont des expériences qui ont été très difficiles à reproduire. Je suis d'avis que personne ne parviendra à les reproduire parfaitement. Il est plus facile d'être le premier que le troisième.
Nous pouvons cependant tirer des leçons des réussites de la Silicon Valley et de la région de la route 128. Il est important d'instaurer de bonnes relations entre les établissements universitaires de grande qualité, et faisant des recherches de haut niveau, et les entreprises actives en la matière. Il est également important de disposer sur place d'autres types de capital humain. La disponibilité des fonds est importante. Beaucoup d'argent dans ces deux régions est consacré au soutien de l'innovation. Il est également important d'avoir un bon régime fiscal et réglementaire. Nous n'allons pas reproduire la situation de la Silicon Valley, mais je pense que nous pouvons tirer des leçons de cette expérience.
Le sénateur Massicotte : Que pouvons-nous apprendre d'Israël qui obtient de bons résultats en innovation?
M. Brander : Je me suis penché sur le cas israélien. Vous ne pouvez en aucun cas prétendre que le niveau de vie dans ce pays s'approche de celui que nous donne l'économie canadienne, et nous parlons donc ici d'un tout autre niveau. Ce pays obtient de bons résultats en matière d'innovation. Israël a de très bonnes universités et un niveau très élevé de capital humain, aussi bien dans le monde de l'entrepreneuriat que dans le monde scientifique. Israël est en meilleure position que quiconque pour faire quelque chose s'approchant du modèle de la Silicon Valley.
Les conditions sont probablement plus favorables en Israël que n'importe où ailleurs. Ce n'est pas facile pour eux. Ils ont enregistré certaines réussites, mais c'est un modèle qui n'est pas facile à imiter. Comme je l'ai indiqué auparavant, nous pouvons apprendre et nous améliorer. Nous faisons aussi des progrès ici. La région du Sud de l'Ontario, celles d'Ottawa, de Toronto et de Vancouver ont fait beaucoup de percées en financement de l'innovation et en développement d'un secteur des hautes technologies.
Le président : Je vous remercie beaucoup, monsieur Klugman et monsieur Brander. Ce système de vidéoconférence constitue une excellente solution de remplacement pour combler les distances qui nous séparent. Nous vous avons fort bien entendu.
M. Brander : La technologie en action. C'est merveilleux.
Le président : Je remercie à nouveau nos invités et je lève la séance.
(La séance est levée.)