Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule 12 - Témoignages du 1er mars 2012
OTTAWA, le jeudi 1er mars 2012
Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui, à 10 h 30, pour effectuer l'examen de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes (L.C. 2000, ch. 17), conformément à l'article 72 de cette loi.
Le sénateur Irving Gerstein (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, c'est avec plaisir que je déclare cette séance du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce ouverte.
Ce matin, nous poursuivons l'examen parlementaire quinquennal de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. Il s'agit de notre septième séance sur ce sujet. Jusqu'à maintenant, le comité a entendu le témoignage d'un certain nombre de ceux qu'on appelle les partenaires du régime, qui contribue à l'application et à l'administration de la loi, y compris le ministère des Finances, Sécurité publique Canada, la GRC, le SCRS, l'ASFC, le BSIF, la commissaire à l'information, le Service des poursuites pénales du Canada, l'Agence du revenu du Canada, Affaires étrangères et Commerce international Canada et le CANAFE.
Ce matin, nous recevons le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada. Nous souhaitons la bienvenue à Jennifer Stoddart, commissaire à la protection de la vie privée depuis décembre 2003. Elle est accompagnée de Carman Baggaley, analyste principale des politiques et de la recherche internationales, et de Mike Fagan, gestionnaire, Vérification et revue.
Malheureusement, chers collègues, la commissaire et son personnel ne peuvent nous consacrer qu'une heure ce matin. Cependant, soyez rassurés : Mme Stoddart nous assure qu'elle fera tout en son possible pour répondre à nos questions et nous fournir les renseignements dont nous avons besoin pour compléter notre étude, que ce soit en nous fournissant des documents écrits ou en comparaissant à nouveau à une date ultérieure.
Jennifer Stoddart, commissaire à la protection de la vie privée, Commissariat à la protection de la vie privée du Canada : Je vous remercie, honorables sénateurs, de m'avoir invitée à comparaître devant le comité. Je suis heureuse d'avoir l'occasion de faire quelques commentaires au sujet de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, que vous étudiez présentement.
Le commissariat a souvent abordé la question de cette loi et du régime de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement des activités terroristes qui y est lié. Ainsi, nous nous sommes présentés devant le comité en 2006 pour parler du projet de loi C-25, qui augmentait considérablement le nombre d'organisations assujetties à la loi et les types de transactions qui pouvaient être examinées et signalées.
Le projet de loi C-25 donnait aussi au commissariat, pour la première fois, le mandat statutaire d'examiner tous les deux ans les mesures prises par le Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada, le CANAFE, dans le but de protéger les renseignements reçus ou recueillis. Nous avons publié notre premier rapport de vérification en 2009 et nous menons actuellement le deuxième examen du CANAFE.
Je voudrais maintenant parler de certaines de mes préoccupations générales concernant le régime de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement des activités terroristes. Nous sommes conscients que le blanchiment d'argent appuie des activités criminelles et que le financement des groupes terroristes menace notre sécurité. Malgré tout, mes inquiétudes liées à ce régime sont les mêmes depuis des années.
Même si le régime coûte plus de un demi-milliard de dollars aux contribuables — ce qui ne comprend même pas l'argent déboursé par le secteur privé pour respecter ses obligations —, il n'est pas assez transparent et le grand public ne comprend pas de quoi il s'agit.
Le CANAFE dirige probablement la plus grande entreprise d'exploration de données au Canada. Les renseignements personnels recueillis par le CANAFE permettent de dresser un portrait complet de la vie ou du comportement d'une personne. De plus, notre rapport de vérification de 2009 a permis de découvrir que le CANAFE recevait et conservait des renseignements personnels qui dépassaient son pouvoir législatif.
Plus de 300 000 entités déclarantes sont tenues de recueillir des renseignements précis et de conserver des dossiers détaillés sur l'identité et les transactions de leurs clients, renseignements dont ils n'ont pas besoin dans le cadre de leurs activités opérationnelles, en plus de faire des évaluations hypothétiques fondées sur les transactions des consommateurs.
La menace d'imposer des amendes pour avoir omis un signalement incite les entités à fournir trop d'information. En effet, notre premier rapport de vérification signale des cas où des déclarations d'opérations douteuses ont été envoyées au CANAFE, même s'il n'y avait pas de motif raisonnable de soupçonner — aux termes de la loi — un blanchiment d'argent ou le financement d'activités terroristes.
Enfin, le plus important peut-être est que, même si la portée du régime est beaucoup plus vaste qu'en 2000, il demeure très difficile pour le commissariat et pour d'autres observateurs d'évaluer la nécessité, la proportionnalité et l'efficacité des mesures qui ont été prises.
Même le rapport intitulé Évaluation décennale du Régime canadien de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes —que vous étudiez —, qui approuve les autres aspects du régime, ne permet pas d'évaluer combien d'enquêtes ont mené à des accusations et à des condamnations. En fait, la seule conclusion possible est que le régime contribue vraisemblablement à la création d'un contexte défavorable au blanchiment d'argent et au financement d'activités terroristes. Cette preuve ne me semble pas concluante.
Je vais maintenant porter mon attention sur les préoccupations particulières soulevées par les propositions mentionnées dans le document de consultation du ministère des Finances. La première concerne la suppression du seuil actuel.
L'une des propositions mentionnées dans le document consiste à supprimer le seuil de 10 000 $ qui impose l'obligation de signaler un virement électronique au CANAFE. Si la proposition est adoptée, les entités déclarantes seront tenues de signaler tous les virements électroniques à destination ou en provenance du Canada.
Sans parler de la gestion très pragmatique du traitement et de la protection d'une si grande quantité de virements électroniques à signaler — qui suffit à soulever des inquiétudes — je m'attends à ce que de nombreux Canadiens et Canadiennes ordinaires soient très touchés par une telle mesure. Il suffit de penser aux citoyens canadiens naturalisés qui envoient régulièrement des fonds à des membres de leur famille dans d'autres pays. Selon les plus récentes données disponibles de Statistique Canada, un Canadien sur cinq est né à l'étranger. Pensons aux petites et moyennes entreprises qui vendent des biens et des services à l'échelle internationale. Pensons aux parents qui envoient de l'argent à leurs enfants qui étudient à l'étranger. Apparemment, quelque 20 000 Canadiens étudient à l'étranger chaque année. On peut présumer que la majorité de ces virements électroniques seraient inférieurs au seuil de 10 000 $.
Même si on peut soutenir que la baisse du seuil permettrait de détecter plus d'opérations de financement terroristes, je crois que l'enregistrement d'un grand nombre de transactions inoffensives serait une conséquence involontaire importante et disproportionnée par rapport à l'objectif de la proposition.
[Français]
Je passe maintenant à la question des appareils d'accès prépayés. Une autre proposition traite des appareils d'accès prépayés qui comprennent les cartes cadeaux vendues chez les détaillants, les cartes prépayées émises par les institutions financières et les dispositifs de paiement mobiles.
Afin de s'attaquer aux risques de blanchiment d'argent et de financement des activités terroristes que proposent les produits d'accès prépayés, le gouvernement propose d'imposer des exigences de diligence raisonnable à l'égard des clients aux fournisseurs d'appareils d'accès prépayés.
La mise en place d'exigences de diligence raisonnable à l'égard des clients aurait comme résultat d'augmenter la quantité de renseignements personnels recueillis. Compte tenu de la popularité des appareils d'accès prépayés, le fait d'exiger des fournisseurs de ces produits qu'ils obtiennent des renseignements personnels représenterait une entreprise d'envergure. Aussi, les obligations de diligence raisonnable à l'égard de la clientèle pourraient s'appliquer à un plus grand nombre d'organismes, notamment ceux du secteur de la vente au détail, qui devrait alors créer de vastes fonds de renseignements personnels dont ils n'ont pas besoin dans la cadre de leurs activités internes.
Si le gouvernement est convaincu qu'il doit traiter des risques créés par la popularité croissante des produits d'accès prépayés, je l'encourage fortement à envisager de prendre des mesures qui ne nécessitent pas la collecte supplémentaire de renseignements personnels et la création de fonds de renseignements.
Par exemple, le rapport de 2010 du Groupe d'action financière suggère que les risques posés par un produit anonyme peuvent être atténués de façon efficace par des mesures autres que les procédures d'identification et de vérification, par exemple, l'imposition de limites de valeur.
Je passe maintenant à la question de quantité de renseignements contenus dans la divulgation de CANAFE. La loi de 2000 comprenait des mesures de protection qui limitaient l'information que pouvait fournir le CANAFE aux organismes d'application de la loi et aux autres autorités. Toutefois, ces mesures de protection se sont affaiblies de façon graduelle. La loi a été élargie pour permettre au CANAFE de communiquer des renseignements au Centre de la sécurité des télécommunications à la GRC, au SCRS, à l'ARC, à l'Agence des services frontaliers du Canada et à Citoyenneté et Immigration.
Nous proposons maintenant que le CANAFE soit autorisé et, dans certains cas, obligé de communiquer plus d'informations aux organismes d'application de la loi et aux organismes de renseignements.
Le gouvernement n'a pas fourni d'arguments probants pour justifier l'augmentation de la quantité d'informations et le nombre d'organismes qui peuvent recevoir l'information. Je suis d'avis qu'il devrait le faire avant d'aller de l'avant avec cette proposition.
De plus, si on donne au CANAFE la capacité de communiquer plus de renseignements à plus d'organisations, le gouvernement devrait envisager de surveiller le CANAFE de plus près pour veiller à ce que ces communications soient appropriées.
Il incombe au commissariat de mener des vérifications tous les deux ans. Il s'agit là de vérifications rétrospectives qui ne sont pas de la même nature qu'une surveillance opérationnelle.
[Traduction]
J'aimerais maintenant vous parler de l'élargissement de l'exigence relative au signalement des transactions douteuses.
À l'heure actuelle, la loi exige des entités déclarantes qu'elles signalent les transactions douteuses, de même que les transactions financières qui ont été effectuées ou qu'on a tenté d'effectuer et qui donnent à penser qu'il y a peut-être eu blanchiment d'argent ou financement d'activités terroristes. Comme je l'ai déjà mentionné, il s'agit là d'une des facettes les plus troublantes de la loi, puisqu'elle demande aux entités déclarantes de formuler des jugements à propos des motifs de leur clientèle. Nous ne connaissons pas d'autre loi qui impose des exigences semblables de cette ampleur.
On propose maintenant de redéfinir les transactions douteuses pour inclure les activités entreprises aux fins d'une transaction financière qui laissent croire au blanchiment d'argent ou au financement d'activités terroristes. Bien que cette proposition soit présentée pour clarifier la définition actuelle, elle comprendra sans doute des activités qui peuvent survenir avant la transaction financière, comme l'ouverture d'un compte, ce qui augmenterait davantage la probabilité de recueillir trop d'information.
Je suggère au gouvernement qu'il traite de la question de la collecte excessive de renseignements avant d'envisager de nouvelles mesures qui risqueraient d'aggraver le problème.
En conclusion, honorables sénateurs, je tiens à réitérer que je comprends l'importance de l'objectif du régime de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement des activités terroristes. Je comprends aussi que le Canada doit respecter ses engagements internationaux à cet égard. Cependant, je m'inquiète du fait que le régime canadien de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement des activités terroristes sera encore élargi sans qu'on détermine clairement si ces changements sont requis pour régler les problèmes nationaux.
Le Canada a déjà en place un régime coûteux, opaque et intrusif qui recueille — et recueille de façon excessive, selon notre vérification — de grandes quantités de renseignements personnels sur la population canadienne tout en omettant, jusqu'à maintenant, de fournir des preuves concluantes relativement à son efficacité et ses effets sur les Canadiennes et les Canadiens.
En fait, plutôt que d'envisager de nouvelles modifications à la loi, il serait peut-être temps d'évaluer entièrement l'efficacité du régime et d'examiner si d'autres mesures de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement des activités terroristes pourraient être efficaces et moins envahissantes pour la vie privée.
Si le gouvernement croit que des changements additionnels au régime sont absolument nécessaires pour la mise en application de la loi ou encore de mesures de sécurité nationale, il serait important qu'il puisse fournir publiquement des justifications à ces changements, lesquels seraient appuyés par des données et des preuves. Toujours plus sophistiqués, les moyens de surveillance demandent un seuil de justification plus élevé et c'est pourquoi je suggère qu'il n'y a pas encore eu de démonstrations sans équivoque qui justifieraient ces changements proposés au régime canadien de blanchiment d'argent et de financement des activités terroristes.
Je suis maintenant disposée à répondre à vos questions de mon mieux.
Le président : Merci, madame Stoddart, pour votre déclaration liminaire. Je passe tout de suite à la liste des intervenants, à qui je demanderais de bien vouloir poser des questions concises.
Je laisse tout d'abord la parole à la vice-présidente du comité, sénateur Hervieux-Payette.
[Français]
Le sénateur Hervieux-Payette : Bonjour à tous. Suite aux différentes audiences avec des témoins d'autres ministères, on s'est aperçu que plusieurs entités du gouvernement partagaient des informations.
Auriez-vous des commentaires sur le fait que les informations circulent d'un ministère à l'autre, d'une structure à l'autre, et cetera, et qu'à toutes fins pratiques, cela peut représenter une menace à la vie privée des gens?
Mme Stoddart : Oui, effectivement, le partage non nécessaire des informations peut constituer une menace à la vie privée. Cependant, le partage des informations que fait le CANAFE actuellement est autorisé en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels.
Ce qui nous préoccupe à cet égard, cependant, c'est la proposition faite dans le rapport d'élargir l'utilisation des renseignements dans le CANAFE pour autre chose que le blanchiment d'argent et le financement d'activités terroristes.
Cela laisse entrevoir le spectre assez inquiétant, dans ce qui est proposé dans ce rapport, que les plus simples transactions des Canadiens qui ouvrent un compte de banque, qui envoient un peu d'argent, qui achètent — ce qui est même proposé — des cartes cadeaux pour les donner à quelqu'un pour acheter des cafés dans une boutique de café devient un renseignement pris dans des banques de données accessibles et qui peut être transmis à toutes sortes d'entités gouvernementales pour d'autres raisons.
Le sénateur Hervieux-Payette : Que recommanderiez-vous? Il y a toujours la fameuse norme de 10 000 $ pour ces cartes. Au Canada, il n'y a pas beaucoup de banques, mais il y a quand même des gens qui peuvent avoir des cartes qui sont aussi émises à l'extérieur du Canada, en particulier aux États-Unis. Les gens peuvent avoir dix cartes avec 9 000 $. Et ces gens passent tous en dessous du radar.
Ce fameux 10 000 $, établi précédemment et observé, vous semble-t-il actuellement trop ou pas assez élevé? À moins que nous soyons tous de riches Canadiens qui donnions des cartes de 9 000 $ à tous les enfants dans la famille! Mais à ce que je sache, on met peut-être 500 $ sur une carte dans le bas de Noël, mais on n'en met pas 10 000 $.
Comment établir une somme raisonnable qui ne permettrait pas de tricher avec le système, avec ces fameuses cartes qui peuvent être émises indéfiniment?
Mme Stodart : Vous touchez un point central. À mon avis, les seuils semblent presque arbitraires. Nous n'avons pas vu d'études ou de preuves avancées sur la pertinence du seuil de 10 000 $. C'est très difficile d'avoir les résultats de l'application du seuil de 10 000 $ depuis 2006-2007.
On sait que des pays européens ont des seuils passablement plus élevés. Les États-Unis ont un seuil de 1 000 $ pour faire rapport sur ce genre d'activités alors que l'Australie n'en a aucun. C'est l'absence d'analyse, de soucis de voir comment ce régime fonctionne, et là, de passer automatiquement à enregistrer des gestes assez simples des Canadiens sans dire : bien oui, on a fait une étude et on sait qu'il y a une pratique d'acheter des cartes de café qui valent tant et de les apporter dans des pays. Vous savez, il n'y a pas de faits sur lesquels baser une recommandation contre un seuil. Moi, encore moins que les auteurs de ce rapport ou la personne qui a fait l'évaluation pour le ministère des Finances. Je ne peux pas vous suggérer un seuil. Le baisser encore plus représente encore une plus grande menace pour la vie privée les Canadiens.
Le sénateur Hervieux-Payette : Si les États-Unis ont un seuil de 1 000 $, il faut se souvenir qu'il y a 600 banques aux États-Unis. C'est assez facile d'en faire émettre à plus d'une banque. Des fois, dans un seul quadrilatère, il y a six ou sept banques différentes.
Le marché des cartes est certainement plus grand, plus les commerces autres que les banques. Mais là on parle de ceux qui peuvent les émettre, mais votre recommandation serait de justifier ce montant par une étude qui démontrerait qu'il y a un plancher ou un plafond qui devrait être la norme établie. Autrement dit, ne pas le faire de façon arbitraire, mais suite à une étude approfondie.
Mme Stoddart : Voilà.
Le sénateur Hervieux-Payette : J'aimerais soulever la question des registres qui restent longtemps et qui ne sont pas détruits après un certain temps. Pouvez-vous nous donner plus de détails? À ma connaissance, si vous vous faites arrêter en état d'ébriété, dix ans plus tard, la GRC aura encore dans ses fichiers des traces de cette infraction.
Plusieurs organismes recueillent des données; tout le monde les garde-t-il le même temps? Quand aucune accusation n'est portée, trouvez-vous que nous sommes dans un vaccum?
Mme Stoddart : Je sais que la commissaire à l'information est préoccupée par cette question. Le délai de 15 ans prévu dans la législation sur le CANAFE et dans la Loi sur la protection des renseignements personnels, qui dit que « chaque organisme ou développement gouvernemental est soumis à des périodes de rétention qui sont appropriées pour ce qu'ils font » est légal. Étant donné la longueur de certaines enquêtes sur le blanchiment d'argent, entre autres, nous avons accepté le délai de 15 ans. Nous avons pu vérifier si ces limites de rétention étaient abusives lors de notre dernière vérification.
Je vais demander à mon collègue, qui a fait cette vérification, de parler à cet égard.
[Traduction]
Mike Fagan, gestionnaire, Vérification et revue, Commissariat à la vie privée du Canada : Pour vous donner un peu de contexte, lorsque la loi a été adoptée, une période de conservation de cinq ans était prévue pour les rapports qui n'avaient pas été divulgués par le CANAFE et de sept ans pour ceux qui l'avaient été. Le minimum est ensuite passé à 10 ans.
Lorsque nous avons effectué notre première vérification, une brève période d'environ trois mois, de novembre 2001 à février 2002, était visée par la période de conservation initiale. Le CANAFE a pu nous fournir les documents prouvant que les rapports avaient été détruits. Nous avons également procédé à une vérification par sondages pour le confirmer.
Le sénateur Oliver : Je vous remercie de votre exposé d'aujourd'hui, qui était excellent.
J'aimerais savoir si un certain nombre des employés du commissariat se consacrent à l'application de cette loi. Le cas échéant, combien sont-ils?
Mme Stoddart : Deux employés à temps plein s'en chargent.
Le sénateur Oliver : Ensuite, parlons de vie privée, puisque vous êtes la commissaire à la protection de la vie privée. Des plaintes vous ont-elles été présentées concernant la divulgation inappropriée de renseignements personnels en lien avec cette loi? Si oui, combien?
Mme Stoddart : Oui, je pense que nous avons reçu sept plaines.
Le sénateur Oliver : Ont-elles été traitées?
Mme Stoddart : Les dossiers sont clos. Nous ne sommes pas allés plus loin, puisque nous avons étudié les allégations et n'avons pu les corroborer.
Le sénateur Oliver : J'aurais une dernière question, très brève, dans la même veine que celle de ma collègue, sénateur Hervieux-Payette, soit au sujet du seuil de 10 000 $. Vous avez brillamment exposé les problèmes que cela pose, et vous avez fait référence aux envois de fonds et aux 20 000 étudiants canadiens à l'étranger.
Cependant, je n'ai pas compris quelle était votre position finale concernant la proposition mentionnée dans le document de consultation du ministère des Finances à l'égard du seuil de 10 000 $. Qu'espérez-vous?
Mme Stoddart : J'aimerais qu'on tente sérieusement d'étudier la question. J'ai eu l'occasion de lire certains des témoignages de ceux qui ont comparu devant vous. Je m'inquiète véritablement de l'omission d'indicateurs de l'efficacité du régime actuel, qui vise à éviter le blanchiment d'argent et le financement d'activités terroristes, deux choses qui préoccupent tous les citoyens.
On semble présumer que cela fonctionne et a un effet dissuasif. C'est ce qui figurait dans l'évaluation initiale.
Nous avons aujourd'hui des outils d'analyse de données à la fine pointe de la technologie, dont certains sont utilisés par le CANAFE, pour tirer les conclusions appropriées, mais je trouve stupéfiant qu'on ne puisse pas mettre en place un régime aussi poussé d'auto-évaluation pour voir si cela fonctionne, dans quelle mesure, et comment on pourrait l'améliorer.
On ne savait même pas combien de condamnations avaient été prononcées pour le financement d'activités terroristes jusqu'à ce que mon propre personnel le découvre récemment — alors que nous nous préparions pour notre comparution. Il se trouve qu'il n'y en a eu qu'une, laquelle a mené à une peine de six mois.
Je crois que c'est exact, honorables sénateurs. Il semble que le ministère de la Justice ne pouvait pas vous dire combien de condamnations avaient été prononcées pour du financement d'activités terroristes.
Une seule peine a été purgée à la suite d'une condamnation pour financement d'activités terroristes, et il s'agissait d'une peine de six mois, ce qui n'est pas très lourd. En revanche, le régime coûte 1 milliard de dollars, et le document de consultation propose d'élargir son application. Je pense qu'il est temps de prendre un instant pour étudier la proportionnalité des choses. C'est mon opinion.
Le sénateur Harb : Je vous remercie beaucoup, madame la commissaire, ainsi que votre équipe.
Pour paraphraser ce que vous avez dit, l'organisation n'est pas transparente et n'est pas bien comprise. On a dépensé plus de un demi-milliard de dollars jusqu'à maintenant. On conserve des renseignements qui dépassent le pouvoir législatif, on a recours à des amendes pour intimider les entités déclarantes et les forcer à recueillir des renseignements. Le seuil sera problématique pour d'innocentes personnes, les immigrants, les jeunes qui étudient à l'étranger, les petites entreprises et bien d'autres. Puis, vous aviez formulé 11 recommandations en 2009.
La question que j'aimerais vous poser...
Mme Stoddart : Dans notre vérification? Vous faites référence à notre vérification?
Le sénateur Harb : Oui.
Devons-nous vérifier si nous en avons pour notre argent, et demander au Bureau du vérificateur général d'effectuer une évaluation en bonne et due forme avant que notre comité accorde à cette organisation l'élargissement de son mandat? Votre rapport est accablant. Vous dites qu'il y a un problème. Or, je ne suis pas convaincu qu'on vous craigne ou qu'on remédie à la situation. C'est peut-être parce que vous avez le pouvoir de persuasion morale d'y parvenir, mais pas l'autorité législative d'y arriver. Peut-être devrions-nous vous donner les outils nécessaires pour faire appliquer vos recommandations. Pour laquelle des deux options devrions-nous opter? À moins qu'il ne nous faille opter pour les deux.
Mme Stoddart : Nous avons déjà entamé la discussion au sujet des mesures potentielles de réforme de la loi sur la protection des renseignements personnels, et mes recommandations sont toujours valables.
Je vais essayer de répondre à votre question en deux volets, sénateur. Je pense que vous avez plutôt bien résumé ma position, à l'exception d'un point, auquel je reviendrai en réponse au deuxième volet de votre question.
Le Bureau du vérificateur général devrait-il faire une vérification des coûts et des avantages? Je ne m'avancerai pas à dicter ce que le vérificateur général — tout comme moi, un agent du Parlement — devrait ou ne devrait pas faire, et je ne suis pas experte en ce genre de vérification.
Par contre, j'ai parlé à plusieurs reprises dans mon exposé de la question de proportionnalité. Par le passé, le respect de la vie privée s'est inscrit dans une bonne compréhension de la proportionnalité. Ne recueillez pas plus de renseignements que nécessaire pour un problème donné. N'exigez pas des Canadiens qu'ils signalent une transaction ou qu'ils se retrouvent dans une base de données s'ils ont ouvert un compte bancaire ou ont envoyé de l'argent à leurs enfants étudiant à l'étranger ou à leurs proches habitant un autre pays seulement parce qu'il y a déjà eu une condamnation de six mois ayant trait à du financement terroriste lié à cette transaction. Il s'agit d'une question de proportionnalité, et je vais m'en remettre au comité pour qu'il décide de la façon de procéder à l'avenir.
En deuxième lieu, notre rapport de 2009 a formulé quelques recommandations. L'une des recommandations était assez essentielle et portait sur le problème de surdéclaration et sur les effets structuraux de la loi qui prévoit des amendes si on ne déclare pas des renseignements; on pousse ainsi les organismes à faire des déclarations au cas où. Ces organismes savent qu'ils ne sont pas en possession de renseignements pertinents, mais ils les surdéclarent.
Par contre, la bonne nouvelle c'est que — et M. Fagan pourra peut-être en parler plus en détail que moi — à l'issue de notre vérification, le CANAFE a accepté de suivre toutes nos recommandations à l'exception d'une qui portait sur les échanges avec des groupes à l'étranger. Nous traitons cependant de cette question à nouveau dans la vérification en cours.
M. Fagan : C'est juste. Dans le cadre de l'examen actuel, l'équipe de vérification va se pencher sur les actions que le CANAFE a prises pour traiter des 10 recommandations.
Le sénateur Harb : Nous avons soulevé la question du seuil avec certains témoins. Tout le monde a écarté la question, nous disant que ça importe peu parce qu'il faut simplement déclarer les renseignements; ça ne représente pas un problème.
Je sais que l'Australie a éliminé le seuil et je crois que les États-Unis en ont fixé un à 1 000 $. Savez-vous si d'autres pays ont éliminé le seuil sur les transactions financières internationales? Aussi, j'aime bien votre idée de mettre en place un mécanisme pour que le système puisse traiter les virements de parents à enfants ou les virements des petites entreprises afin d'éviter que ce genre de transactions ne soient perçues comme des transactions douteuses.
Mme Stoddart : Oui. Lors des recherches qu'a menées mon équipe en vue de cet examen, on n'a pas porté à mon attention d'autres pays qui ont pris cette décision. Cependant, j'imagine qu'un organisme spécialisé comme le CANAFE aurait une bonne idée du statut de tous les pays du monde et saurait si des pays n'ont, à l'instar de l'Australie, aucun seuil de déclaration.
Je n'ai pas de recommandations à faire quant à la façon dont le CANAFE recense les transactions suspectes et non suspectes. C'est un domaine très spécialisé, mais je dirais qu'il devrait y avoir un mécanisme d'autoanalyse à l'avenir. Nous travaillons tous à ce système, mais je comprends que, essentiellement, nous ne savons pas s'il fonctionne. Ça accapare une énorme partie de nos dépenses publiques et c'est extrêmement envahissant sur le plan de la vie privée. On propose de faire en sorte que la plus anodine des transactions, comme l'achat d'une carte cadeau pour un bas de Noël, fasse partie du système; nous n'avons pourtant pas analysé si ce serait efficace.
Le sénateur Stewart Olsen : Merci de votre exposé. Il était très intéressant. Le comité va devoir concilier le témoignage de la commissaire à la protection de la vie privée avec celui de la commissaire à l'information, et il devra les examiner soigneusement.
Vous avez soulevé des points intéressants. Il est perturbant qu'il n'y ait aucun moyen d'évaluer les résultats concrets. Vous avez toutefois dit par la suite que vous avez pu avoir des renseignements sur les résultats, alors je ne suis pas certaine de bien vous comprendre.
Cette loi existe depuis fort longtemps, et nous en faisons présentement un examen. Pendant cette période, sept plaintes relatives au respect de la vie privée ont été formulées, mais aucune n'a fait l'objet d'un suivi. Bien que je comprenne vos propos et votre prudence, je ne sais pas si vos objectifs sont valides. J'aimerais que vous en parliez.
Mme Stoddart : Je vous dirai que oui, nous avons trouvé des statistiques dans les témoignages de ceux qui nous ont précédés et aussi à partir de la lecture du matériel présenté par le CANAFE. Il y a tant de ressources et tant de fonctionnaires qui analysent de si nombreux rapports, avec des chiffres ahurissants, dans le but d'attraper les méchants, pour parler en termes simplistes. Or, on ne peut établir de lien, sauf dans un cas que mon personnel a trouvé tout récemment, que cela nous aide à attraper les méchants. Peut-être que ça a un effet positif, mais personne ne peut le dire. Ce qui est plus intéressant encore, c'est que personne ne semble s'intéresser à prouver ces liens.
En qualité de commissaire à la protection de la vie privée, c'est une question qui me préoccupe énormément, particulièrement quand on envisage d'abaisser le seuil et que cela aura pour effet de ficher les actes quotidiens de presque tous les citoyens canadiens, par exemple quand ils ouvrent un compte en banque, dans une colossale machine à recueillir des renseignements. Ce qui me préoccupe, c'est l'absence de liens entre toute cette opération et ses effets. Mais ce qui est plus préoccupant encore, c'est le fait que personne ne semble s'intéresser à la question, d'après ce que j'ai lu et ce qu'ont dit les témoins qui m'ont précédée, et que personne ne semblait au courant des condamnations, jusqu'à ce qu'un membre de mon personnel s'aperçoive qu'il n'y en avait eu qu'une seule de six mois, donc rien de très important.
Le sénateur Stewart Olsen : Je voulais soulever la question. Il faut qu'on arrive à un juste équilibre. Vous êtes-vous renseignés sur des pays qui ont des lois semblables? Comment nous comparons-nous? Est-ce qu'on met la main au collet de nombreux bandits? Comment nous comparons-nous aux autres pays? Je partage vos préoccupations au sujet des résultats réels et au sujet du lien à faire entre ce qui se passe, entre les mesures prises et les résultats. Le comité a demandé un suivi de ces questions, précisément. Vous êtes-vous penchés sur les lois d'autres pays, sur leurs lois en matière de protection des renseignements personnels, compte tenu de vos préoccupations?
Mme Stoddart : Je dirai deux choses : les rapports parlent d'un effet dissuasif, mais il n'est que supposé. Je crois que les criminologues ont des moyens perfectionnés de vérifier les effets de la dissuasion, par exemple dans le cas d'une étude comparative, comme vous le disiez. Pour répondre brièvement à votre question, non, nous n'avons pas fait une étude des autres régimes de lutte contre le terrorisme et le blanchiment d'argent et leurs effets. Je pense que cela va au- delà de mes prérogatives de commissaire à la protection de la vie privée. Il faudrait qu'une telle étude soit réalisée pour savoir si c'est un phénomène impossible à documenter ou si quelqu'un a trouvé une méthodologie valable pour mesurer les effets de ces régimes.
Je me souviens avoir lu qu'en 2003, le Bureau du vérificateur général avait dit qu'il y avait beaucoup de flou entourant cette question. Ce ne sont pas les mots exacts qui ont été employés, mais il semblait à la vérificatrice générale en 2003, que les faits entourant cette question n'étaient pas très clairs. Presque 10 ans se sont écoulés, peut-être peut-on mieux documenter ce phénomène mondial. Le comité pourrait peut-être proposer qu'une telle étude soit lancée.
Le sénateur Ringuette : Madame Stoddart, je suis très impressionnée par votre exposé et vos connaissances.
Mme Stoddart : Il faut en remercier mon personnel, madame.
Le sénateur Ringuette : Vous et vos collaborateurs sont les seuls témoins qui sont venus à notre comité nous dire qu'il n'y avait pas de statistiques, qu'on ne savait pas combien de condamnations avaient été obtenues, et cela après Justice Canada, le CANAFE, la GRC, l'Agence des services frontaliers du Canada et le ministère des Affaires étrangères. Vous êtes la seule à nous avoir dit qu'en 10 ans, il n'y a eu qu'une condamnation, et à six mois d'emprisonnement. J'avais des doutes sérieux, mais ils sont fondés, je le vois, compte tenu de l'efficacité de ce régime. En vous écoutant, je repensais au film américain Des hommes d'influence en me disant : a-t-on récupéré le terrorisme pour cacher une démarche à la Big Brother?
Vous avez effectué une vérification en 2009. Dans celle-ci, que je n'ai pas encore lue, vous avez formulé des recommandations. Avez-vous constaté que les renseignements concernant les citoyens canadiens avaient été envoyés à d'autres pays sans justification?
Mme Stoddart : Je vais laisser répondre l'un de ceux qui a participé à la vérification.
M. Fagan : Dans le cadre de notre vérification, nous avons étudié les renseignements divulgués par le CANAFE à ses unités du renseignement financier étrangères. Nous n'avons trouvé aucun cas où les divulgations étaient inappropriées. Elles étaient toutes autorisées en vertu de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes.
Le sénateur Ringuette : Qu'elles soient autorisées, c'est une chose. Qu'elles soient appropriées par rapport à l'objectif de la loi, c'en est une autre. Est-ce autorisé, ou approprié?
M. Fagan : C'était autorisé en vertu de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. Nous ne sommes pas experts dans le domaine du blanchiment d'argent ou du financement des activités terroristes. Il serait difficile pour nous de déterminer au cas par cas si oui ou non c'était approprié à l'égard du blanchiment d'argent ou du financement d'activités terroristes.
Le sénateur Ringuette : Qui pourrait dire à notre comité si les renseignements recueillis par le CANAFE concernant les citoyens canadiens et envoyés à l'étranger ainsi qu'utilisés par divers ministères fédéraux sont appropriés par rapport à la loi, et justifiés selon votre propre mandat?
Mme Stoddart : Il me semble que le CANAFE pourrait témoigner de la façon dont il choisit les renseignements à transmettre.
Le sénateur Ringuette : Vous nous avez déjà dit que le CANAFE, d'après cet examen quinquennal, ne fait pas une très bonne analyse basée sur des preuves des données à sa disposition et des requêtes présentées à l'égard de cet examen.
Mme Stoddart : Je ne critique pas le CANAFE dans son ensemble. Le CANAFE est une organisation dotée d'employés très compétents et dévoués. Par conséquent, ce que je critique, c'est le lien entre les activités globales du CANAFE et l'atteinte de l'objectif ultime, soit prévenir le financement d'activités terroristes et le blanchiment d'argent au Canada.
Cependant, je ne vois pas pourquoi le centre ne pourrait pas répondre adéquatement aux questions portant sur les détails de ses opérations.
Le sénateur Ringuette : J'ai deux autres questions. Vous nous avez indiqué que les renseignements recueillis par le CANAFE étaient envoyés à Citoyenneté et Immigration Canada. C'est la première fois qu'on l'entend dire à ce comité. Pourriez-vous le confirmer? Ce ministère vient s'ajouter à la liste de ceux qui ont accès à ces renseignements.
Mme Stoddart : Je crois que l'honorable sénateur fait référence à certaines des propositions qui figurent dans le rapport et qui visent à accroître l'accès à ces renseignements. Il s'agit là de l'une de nos préoccupations. Si c'était adopté, on créerait ainsi une base de données énorme comprenant toutes les transactions financières — de tous les Canadiens, même les plus banales, quotidiennes et inoffensives — dont les renseignements seraient divulgués à de nombreuses organisations pour des fins autres que la prévention du blanchiment d'argent et du financement d'activités terroristes. Cela deviendrait véritablement un appareil étatique surveillant nos moindres transactions financières.
Le sénateur Ringuette : Il s'agirait d'un État policier.
Mme Stoddart : C'est la préoccupation que j'ai soulevée.
Le sénateur Ringuette : Je viens de m'en rendre compte, à vous l'entendre mentionner, que tous les points de vente au détail qui vendent ces cartes prépayées devront signaler le nom du client, et d'autres détails, au CANAFE, pour chaque carte-cadeau de 1 $ achetée. Pouvez-vous imaginer le coût que cela imposerait au secteur de la vente au détail? Étant donné la numérisation des transactions, on peut maintenant payer par téléphone, alors il faudrait également exiger des fournisseurs de services de communications qu'ils fournissent tous les renseignements concernant les transactions de 1 $ ou plus.
Mme Stoddart : J'imagine que c'est une possibilité.
[Français]
Le sénateur Massicotte : Merci, monsieur le président. Merci d'être parmi nous aujourd'hui, disons qu'on partage un peu votre opinion selon laquelle l'information confirmée qu'on reçoit n'est pas très claire pour se permettre de dire que le programme a donné des résultats. D'après le témoignage qu'on a eu, on essaie d'accumuler l'information pour nous permettre d'émettre une opinion.
En même temps, malgré cette difficulté, cette frustration, on est quand même dans une position un peu difficile. Votre argument est de dire que jusqu'à preuve du contraire, on ne devrait pas permettre d'autres analyses d'information parce que vous dites qu'on devrait faire un bilan des avantages et des désavantages et quel résultat on a atteint avant de permettre d'autres informations. En même temps, ils vont argumenter que l'information néanmoins est typique, au sens international, et doit décourager quand même des transactions frauduleuses et trompeuses. C'est un bon débat. C'est une question d'équilibre comme toujours.
Cependant, je dois dire que je suis un peu conforté par le fait qu'à chaque deux ans, vous faites une vérification et que dans vos 11 recommandations, 10 ont été acceptées. Vous commencez une autre vérification et cela donne une balance.
Vous avez dit que dans votre vérification, vous avez trouvé des abus d'information. C'est le mot qui a été employé. Qu'avez-vous trouvé d'abusif au sens d'information accumulée qui n'était pas nécessaire? Est-ce qu'il y a quelque chose de grave ou de sérieux dans ce sens?
Mme Stoddart : C'était à l'époque où nous avons fait la vérification, une préoccupation sérieuse et le CANAFE a dit qu'il prendrait les mesures pour réduire ce phénomène. C'était la tendance de faire rapport au CANAFE, juste au cas où cette personne ou cette transaction pourrait éveiller des soupçons, être louche.
On a trouvé, et on a cité dans notre rapport de vérification, des choses assez troublantes où vraiment une personne ouvre un compte, ferme un compte; on dit, plus ou moins à cause de qui il est, de son origine ethnique, que cela doit être louche et on fait un rapport au CANAFE. Il y a plusieurs exemples comme ça où, encore une fois, à cause de la structure de la loi, les organismes ne veulent pas se faire imposer des amendes. Donc les employés, essayant de faire leur devoir, disent : en cas de doute, je suis mieux de faire un rapport.
Le sénateur Massicotte : En donner plus que moins.
Mme Stoddart : C'est cela. Sauf qu'il y a des gens qui se trouvent dans les bases de données du CANAFE qui ne rencontrent pas les critères de la loi. Il n'y a aucune justification. C'était notre rapport basé sur l'exercice qui s'est déroulé en 2008-2009. Nous espérons que CANAFE a accepté nos recommandations et nous espérons qu'ils vont y remédier.
Le sénateur Massicotte : Il y a eu deux témoignages contradictoires. CANAFE a confirmé que l'information pouvait être partagée selon deux conditions : le blanchiment d'argent et le soupçon de terrorisme. On lui a demandé spécifiquement, quand vous soupçonnez une évasion d'impôt, avez-vous le droit de partager l'information? Ils ont dit non, ce n'est pas adéquat, mais Revenu Canada a confirmé qu'il y a eu un changement dans la loi en 2010 où cette évasion fiscale faisait partie de l'argument de blanchiment d'argent et tant qu'à eux, ils ont le droit à toute information quand il y a un soupçon d'évasion fiscale. Quelle est la vérité? Est-ce que cette ouverture pour partager l'information vous dérange beaucoup dans le cas de l'évasion fiscale?
Mme Stoddart : Ce changement de 2010 me dérange moins que ce qui est dans le rapport sous étude. Je pense que l'amendement de 2010 a fait en sorte que dans les multiples transactions financières qui constituent une opération de blanchiment d'argent, il peut être difficile de faire la différence entre l'évasion fiscale et le blanchiment d'argent.
Cela peut faire partie d'un même phénomène. Au moins on l'attache à la question du blanchiment d'argent.
Dans le rapport que vous étudiez, on propose tout simplement d'ouvrir les bases de données du CANAFE pour l'évasion fiscale tout court, par exemple. Étant donné que, d'une façon générale, les Canadiens ne sont pas au courant du fait que, chaque fois qu'ils font une plus petite transaction, il est proposé que cela aille au CANAFE, on en vient à la situation où on a un État omniprésent qui surveille tous les gestes financiers des Canadiens; c'est là que, en tant que commissaire à la vie privée, j'ai des préoccupations.
Le sénateur Massicotte : Nous cherchions de l'information concernant le coût du programme. Nos recherchistes nous ont parlé, je crois, de 66 millions de dollars. Et nous pensions qu'il y avait eu 770 rapports, l'année passée, de CANAFE aux agences.
Dans votre discours, vous faites référence à 500 millions de dollars — un demi-milliard — et tantôt, dans une réponse à une question, vous avez fait référence à un coût de régime d'un milliard. Quel est le coût d'opération de la gestion du régime? Est-ce que c'est 66 millions de dollars, 500 millions de dollars ou un milliard de dollars?
Mme Stoddart : Je pense que je faisais référence à des sommes cumulées.
Le sénateur Massicotte : Sur cinq ans?
Mme Stoddart : Depuis 2000.
Le sénateur Massicotte : C'est dix ans, donc. Est-ce que c'est un milliard divisé par dix ou 500 millions divisés pendant par dix?
Mme Stoddart : Il faudrait que je me penche là-dessus. Si je regarde dans le rapport d'évaluation, pour le coût, je lis 275 millions de dollars sur cinq ans.
Le sénateur Massicotte : C'est 55 millions de dollars par an, c'est près de 65 millions, comme on le pensait.
[Traduction]
Le sénateur Tkachuk : J'aurais quelques questions concernant la dissuasion et les coûts. Vous parliez justement des coûts. Votre mandat comprend-il l'étude des coûts du programme gouvernemental? Il est question ici de vie privée. D'autres personnes peuvent s'inquiéter des coûts, mais qu'en est-il de la vie privée?
Mme Stoddart : Excellent point, sénateur. Le Bureau du vérificateur général étudie les coûts des programmes et leur efficacité. Cependant, je me permets de le signaler parce que je pense qu'il y a un problème de proportionnalité. Voilà combien le Canada dépense pour recueillir et analyser des renseignements financiers afin de prévenir ou de punir le blanchiment d'argent et le financement d'activités terroristes. C'est seulement de ce point de vue qu'on le signale.
Le sénateur Tkachuk : Vous avez parlé de la dissuasion et dit qu'il était difficile pour vous de déterminer dans quelle mesure la loi était efficace en matière de dissuasion, et je pense que vous avez indiqué qu'il n'y avait eu qu'une condamnation.
En bloquant cette option — c'est-à-dire les transferts électroniques, puisqu'il s'agit d'un moyen facile de déplacer de l'argent, et en fait de la meilleure façon d'envoyer des fonds d'un endroit à l'autre —, la loi rend la vie plus difficile aux gens. En d'autres mots, si on se débarrassait de cette mesure législative, il sera alors très facile pour les gens qui souhaitent faire le mal de déplacer des fonds.
Proposez-vous qu'on impose aucune limite, qu'on revienne au système qui s'appliquait avant les attaques du 11 septembre?
Mme Stoddart : Non. Nous sommes conscients, pour avoir suivi l'histoire canadienne récente, que le financement d'activités terroristes, le transfert de fonds international, le blanchiment d'argent, et ainsi de suite, sont une réalité. Je vous parle ici des répercussions de l'élargissement du régime.
D'ailleurs, j'aimerais revenir sur le fait que si le gouvernement décide d'élargir le régime, je proposerais des mesures supplémentaires de surveillance. Je reviens ainsi sur certaines des conclusions du rapport O'Connor, à la suite de l'enquête sur Air India. Le juge O'Conner a publié une série de rapports. Rien n'empêcherait le CANAFE, si son mandat était élargi, de bénéficier du même genre de surveillance permanente faite par le Centre de la sécurité des télécommunications, étant donné ses répercussions sur la vie privée des Canadiens.
Je ne dis pas qu'on doit se débarrasser du régime actuel, et je ne nie pas le problème; je dis tout simplement qu'on pourrait mieux le comprendre, et éviter de le renforcer, étant donné l'incidence sur les Canadiens, jusqu'à ce que nous ayons fait plus de recherches quant à ses répercussions.
Le sénateur Tkachuk : Lorsque la loi a été déposée il y a 10 ans, c'était l'une des préoccupations de notre comité. Nous avons longuement discuté de ses répercussions sur les libertés civiles des Canadiens. Nous pensions que la loi était un peu trop intrusive et que les banques emprunteraient la voie la plus facile. Comme vous l'aviez indiqué plus tôt, les institutions financières ne veulent pas être condamnées, alors elles signalent absolument tout. Le CANAFE se retrouve donc avec une grande quantité de renseignements, dont la plupart semblent non pertinents.
Comment régler ce problème? Comment s'y attaquer? Je ne peux pas blâmer les établissements financiers. Si vous voulez qu'ils participent à l'application de la loi, c'est ainsi qu'ils le feront.
Mme Stoddart : Oui, je comprends bien les institutions financières, dans la charge de déclarations s'accroît, pour diverses raisons, et qu'ils doivent également former leurs employés afin qu'ils portent le bon jugement, alors c'est souvent très difficile. Je crois que certaines discussions sont en cours pour aider les institutions financières, les sociétés de transfert d'argent, et ainsi de suite, à se conformer à la lettre à la loi. M. Fagan en sait plus que moi à ce sujet.
M. Fagan : Le CANAFE serait certainement mieux placé pour répondre à ces questions précises. Il a un rôle à jouer en matière de conformité, pour veiller à ce que les entités déclarantes respectent les exigences prévues par la loi. Du point de vue des entités déclarantes, la formation et la sensibilisation sont certes importantes.
L'une des recommandations que nous avons formulées dans notre rapport de 2009 visait à ce que le CANAFE améliore ses processus de sélection à l'entrée des données pour veiller à ce que les rapports qu'ils conservent soient pertinents et non excessifs.
Le sénateur Tkachuk : Pendant combien de temps ces renseignements devraient-ils être conservés? Pour l'instant, je pense qu'il s'agit de 15 ans. Selon vous, pendant combien de temps ces renseignements devraient-ils être conservés après leur collecte?
Mme Stoddart : C'est de 10 ans, mais jusqu'à un maximum de 15; en outre, si on s'en sert pour la recherche ou des calculs, cette période s'allonge, jusqu'à devenir indéfinie.
J'aimerais que cela ne soit pas le cas. Je préférerais que les données soient rapidement détruites. Cependant, je comprends les raisons pour lesquelles le CANAFE procède ainsi. Je sais que ces phénomènes doivent être analysés au fil des années et des décennies, et peut-être même des générations.
Je m'inquiète cependant des conditions dans lesquelles on conserve ces renseignements. Si ceux-ci sont en toute sûreté, s'ils ne sont pas distribués aux mauvaises entités ou aux mauvaises personnes, s'ils ne peuvent pas être compromis ou mal employés — et c'est ce sur quoi nous nous penchons dans le cadre de notre vérification —, alors ce n'est pas une grande menace pour qui que ce soit. Cependant, rien ne montre que ces renseignements soient conservés dans des conditions autres qu'optimales par le CANAFE. Je crois que c'est la conclusion de notre vérification.
[Français]
Le sénateur Maltais : Vous avez obtenu une condamnation pour l'exercice financier. Une condamnation sur 35 millions de Canadiens et plus, cela veut-il dire que les Canadiens se comportent bien?
Mme Stoddart : Monsieur le sénateur, vous demanderez cela à quelqu'un d'autre que moi. Tout ce que l'on a pu trouver, c'est une personne de la Colombie-Britannique qui a reçu une sentence de six mois pour avoir participé au financement des Tigres tamouls.
Le sénateur Massicotte : Et pour ce qui est de la fraude et du blanchiment d'argent?
Mme Stoddart : On n'a pas pu faire cette recherche, mais il y a des gens mieux outillés que nous.
[Traduction]
Le président : Madame Stoddart, votre bureau s'intéresse à ce dossier depuis le début, de sa création jusqu'aux dernières consultations ministérielles.
Vous nous avez présenté un certain nombre de recommandations aujourd'hui. Vous avez parlé de la nécessité de faire davantage de recherche, d'adopter des indicateurs d'automesure plus poussés, et d'autres mesures nécessaires.
Si j'ai bien compris, ce qui vous préoccupe, ce n'est pas tant le système en tant que tel, mais l'élargissement de son mandat. La question clé que vous posez, c'est dans quelle mesure le régime actuel fonctionne.
Nous y songerons, mais j'aimerais vous poser une question. Quelle note accorderiez-vous au régime actuel?
Mme Stoddart : Honorable sénateur, je ne suis que Commissaire à la protection de la vie privée. Je ne peux lui accorder une note que du point de vue de la vie privée, mais je pense que vous pourriez discuter avec de nombreuses personnes très versées dans ce domaine qui seraient en mesure de vous donner une réponse précise.
Le président : Quelle note lui donneriez-vous de votre point de vue, en fonction de la perspective qui vous intéresse?
Mme Stoddart : Le régime actuel?
Le président : Oui.
Mme Stoddart : Dans notre dernière vérification, nous avions conclu que le système actuel fonctionnait plutôt bien, il y avait certaines possibilités d'amélioration, mais notre travail consiste à signaler ces possibilités. De façon générale, le régime fonctionnait bien.
Le président : Madame Stoddart, je sais que je parle au nom de tous les membres du comité lorsque je vous remercie, vous et vos collègues, de cet exposé des plus informatifs.
(La séance est levée.)