Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule 13 - Témoignages du 8 mars 2012
OTTAWA, le jeudi 8 mars 2012
Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui, à 10 h 32 pour examiner la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes (L.C. 2000, ch. 17), conformément à l'article 72 de cette loi.
Le sénateur Irving Gerstein (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour mesdames et messieurs. Soyez les bienvenus à cette réunion du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce. Ce matin, nous poursuivons l'examen quinquennal de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. Il s'agit de notre neuvième réunion à ce sujet.
Le mois dernier, le comité a accueilli un certain nombre de ceux que l'on appelle les partenaires du régime, qui participent à la mise en œuvre et à l'administration de cette loi. Nous avons entendu la perspective interne et nous nous intéressons maintenant à la perspective externe. Au cours du mois, nous entendrons les personnes qui connaissent et subissent les effets du régime, y compris des groupes et associations de l'industrie ainsi que des spécialistes indépendants. Nous sommes heureux d'accueillir aujourd'hui un groupe de représentants des institutions financières.
Au nom de l'Association des banquiers canadiens, nous entendrons M. Bill Randle, chef adjoint du contentieux, et M. Stephen Harvey, vice-président et chef de la lutte contre le blanchiment d'argent à la CIBC. La Centrale des caisses de crédit du Canada est représentée par M. Marc-André Pigeon, directeur, Secteur des services financiers, et Mme Evelyne Olivier, agente de vérification interne et d'administration à la Coopérative de crédit de la police de Winnipeg. Finalement, pour le Mouvement Desjardins, nous accueillons Mme Karine Bolduc, comptable en management accréditée et directrice de la Conformité et de la Lutte au blanchiment d'argent.
Ces groupes présenteront leurs exposés à tour de rôle, puis nous poserons nos questions.
Monsieur Randle, nous vous écoutons.
Bill Randle, chef adjoint du contentieux, Association des banquiers canadiens : Merci, monsieur le président. Avant de commencer, je demande aux membres du comité de bien vouloir excuser ma voix et, je pense, celle de M. Harvey, parce que nous sommes tous les deux enrhumés. Je sollicite votre patience.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, merci de nous avoir invités aujourd'hui à participer à votre examen de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. Au nom des banques membres, nous saisissons cette occasion de vous offrir nos commentaires sur cette importante loi.
Je m'appelle Bill Randle et je suis chef adjoint du contentieux de l'Association des banquiers canadiens. Je suis accompagné par Stephen Harvey, vice-président et chef de la lutte contre le blanchiment d'argent à la CIBC. M. Harvey est également membre du Comité consultatif public-privé du ministère des Finances et il a participé étroitement à l'élaboration des normes internationales touchant le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes.
Comme vous le savez, le régime de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité du Canada a été conçu vers 2000, et la composante de lutte contre le financement des activités terroristes y a été ajoutée en 2001. Dès le début, le secteur financier a étroitement collaboré avec le ministère des Finances, les organismes d'application de la loi et le Centre d'analyse des opérations et déclarations financières, le CANAFE, au développement et à la mise en œuvre du régime de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes.
Toutes nos banques membres ont adopté, à l'échelle de leur entreprise, des politiques visant la lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes et comportant des éléments clés, tels que le devoir de vigilance à l'égard des clients — appelé aussi contrôle ou identification des clients — ainsi que la déclaration des opérations importantes en espèces, des transferts électroniques de fonds et des transactions douteuses. Ces politiques ont été adoptées afin de contribuer à la préservation de la fiabilité, de la vigueur et de la réputation du système financier canadien et afin d'assurer la conformité aux lois du Canada et aux lois et règlements en matière de lutte contre le blanchiment d'argent de tout autre territoire dans lequel nous faisons affaire. Ainsi, nous avons favorablement accueilli les commentaires émis par les responsables du CANAFE lors d'une audience devant ce comité, à savoir que les banques accomplissent un très bon travail et qu'elles ont en place un régime solide de conformité.
Les membres du comité savent que le ministère des Finances a récemment publié deux documents de consultation, l'un en novembre et l'autre en décembre. Bien que la teneur des deux documents soit générale, l'Association des banquiers canadiens a fourni des commentaires détaillés à leur sujet. Nous sommes conscients que l'une des principales raisons motivant les changements proposés est de veiller à ce que le Canada soit en conformité avec l'évolution des normes internationales en matière de recyclage des produits de la criminalité et de financement des activités terroristes, telles qu'elles ont été établies par le Groupe d'action financière.
En outre, nous reconnaissons et soutenons le désir du gouvernement canadien de préserver la réputation internationale du système financier et des institutions financières du pays et de favoriser le maintien de leur intégrité et de leur force. Toutefois, nous faisons remarquer que, pour arriver à cette fin dans une économie de plus en plus mondiale, les institutions financières canadiennes doivent être en mesure de mener leurs affaires et de livrer concurrence selon des règles du jeu équitables.
Dans son deuxième document de consultation, le gouvernement précise :
Les propositions présentées ici visent à maintenir un équilibre entre la nécessité de dissuader et de détecter le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, d'une part, et la protection du droit à la vie privée des Canadiens, d'autre part. Le gouvernement reconnaît également la nécessité de réduire au minimum le fardeau de conformité imposé aux organismes du secteur privé.
Nous sommes rassurés par le fait que le gouvernement est conscient du fardeau réglementaire que subissent les entités déclarantes dans le cadre de l'actuel régime de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes actuel et de la nécessité de continuer à protéger le droit à la vie privée des Canadiens. Il faut donc atteindre un équilibre entre l'imposition de nouvelles mesures visant le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme d'un côté, et le coût différentiel amené par le besoin de se conformer à de nouvelles exigences de l'autre, vu les coûts assez élevés et les charges opérationnelles considérables occasionnés par les exigences actuelles. Toute nouvelle mesure ne devra donc imposer aux entités déclarantes aucun fardeau différentiel excessif ou superflu, et ne devra pas compromettre l'approche basée sur le risque, qui est généralement acceptée comme principe fondamental du régime. Parallèlement, il importe de permettre une flexibilité dans les exigences, actuelles et futures.
En outre, nous désirons saisir cette occasion pour soulever un point essentiel. À notre avis, il faudra envisager de permettre au CANAFE de divulguer de l'information aux entités déclarantes. La loi et le règlement contiennent des dispositions visant l'échange d'information entre les divers ministères et agences fédéraux, y compris le CANAFE et les organismes d'application de la loi. Le second document de consultation contient une proposition visant l'élargissement de ces dispositions. Ni le régime législatif actuel ni aucune proposition dans le document de consultation ne prévoient spécifiquement le partage de l'information entre institutions financières, ni entre le CANAFE et les entités déclarantes. Nous sommes d'avis que le gouvernement devra envisager de permettre une plus vaste divulgation dans ce sens.
Les lois actuelles en matière de protection des renseignements personnels, sauf exceptions restreintes, interdisent la communication de renseignements personnels sans que le client en soit informé et donne son consentement. Ainsi, il est difficile pour le système financier d'interdire l'accès aux services à un client considéré comme présentant un risque élevé d'entreprendre des activités de blanchiment d'argent ou de financement du terrorisme. Par exemple, si une institution financière croit que l'un de ses clients serait impliqué dans de telles activités, et par conséquent met fin à sa relation avec ce client, il n'y a absolument rien qui pourrait empêcher ce client d'obtenir les mêmes services auprès d'une autre institution financière.
Permettre aux institutions financières, dans le cadre d'un mécanisme spécifique, de partager des renseignements entre elles ne fera que raffermir le régime de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes dans son ensemble. Cela dit, nous sommes conscients de l'importance de prévoir des balises afin de tenir compte des préoccupations légitimes en matière de protection de la vie privée au moment d'appliquer toute mesure visant l'amélioration du partage d'information.
Finalement, notons que, lorsque les modifications auront été apportées, les entités déclarantes auront besoin d'assez de temps afin d'apporter les changements internes nécessaires à une conformité totale avec les nouvelles exigences révisées en matière de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. En effet, les processus opérationnels, le matériel de formation des employés et les systèmes informatiques doivent être mis à jour, et de nouvelles politiques et procédures doivent être élaborées. Par conséquent, tous les intervenants auront besoin d'une période de transition afin d'apporter les changements au système avant l'entrée en vigueur des nouvelles exigences.
En conclusion, j'aimerais souligner de nouveau l'appui ferme du secteur bancaire au régime de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. Nous sommes heureux de pouvoir collaborer avec le gouvernement et les parlementaires en vue de doter le Canada d'un système de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes qui soit complet et efficace.
Encore une fois, merci d'avoir donné à l'Association des banquiers canadiens cette occasion de faire valoir ses opinions. Nous serons ravis de répondre à vos questions.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Randle.
Monsieur Harvey, vouliez-vous ajouter quelque chose ou vous contenterez-vous de répondre aux questions?
Stephen Harvey, vice-président, chef de la lutte contre le blanchiment d'argent, CIBC, Association des banquiers canadiens : Je répondrai aux questions.
Le président : Très bien.
Passons maintenant à M. Pigeon.
Marc-André Pigeon, directeur, Secteur des services financiers, Centrale des caisses de crédit du Canada : Le greffier m'a dit que je pouvais utiliser 10 minutes et j'aurai probablement besoin de tout ce temps.
[Français]
Merci, monsieur le président, de nous avoir invités à vous faire part de nos commentaires sur votre examen de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes.
Je suis directeur des politiques du secteur financier de la Centrale des caisses de crédit du Canada. Je suis accompagné de Mme Evelyne Olivier, agente de vérification interne et d'administration de la Coopérative de crédit de la police de Winnipeg. Le Winnipeg Police Union possède des actifs d'environ 150 millions de dollars, compte 20 employés et environ 4 600 membres.
En qualité de personne chargé de respecter le régime anti-recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes instaurés par le gouvernement fédéral, Mme Olivier apporte à la table sa grande expérience pratique. Elle aura le plaisir de vous faire part de ses perspectives sur certains des défis présentés aux petites institutions financières dans le cadre législatif fédéral.
[Traduction]
La Centrale des caisses de crédit du Canada est l'association commerciale nationale pour ses organismes membres — les centrales provinciales — et, par leur entremise, les 368 caisses de crédit du Canada de taille variable, allant de petites institutions comme le Winnipeg Police Credit Union à des organismes beaucoup plus importants comme Vancity, avec des actifs d'environ 16 milliards de dollars, 420 000 membres et 1 870 employés. Quelle que soit leur taille, les caisses de crédit sont des institutions financières coopératives de services complets dont les membres sont propriétaires. Combinées, les caisses de crédit du Canada détiennent des actifs de plus de 140 milliards de dollars et exploitent un réseau de succursales qui compte plus de 1 700 emplacements hors du Québec. Ces succursales servent plus de 5 millions de membres et comptent presque 26 000 employés.
Bien que la taille des caisses de crédit varie considérablement, la plupart d'entre elles sont de petites entreprises. En fait, les deux tiers des caisses de crédit du pays comptent moins de 50 employés, ce qui correspond à la définition largement acceptée de l'expression « petite entreprise ». De plus, les caisses de crédit sont les seules institutions financières ayant pignon sur rue dans quelque 380 communautés hors du Québec. Ces faits sont importants parce que bon nombre des observations que je ferai aujourd'hui sont axées sur l'impact du cadre actuel de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes — et des changements proposés à ce cadre — sur les petites institutions financières comme les caisses de crédit.
Avant d'aller trop loin dans mes commentaires, je souligne que le système des caisses de crédit comprend l'importance du cadre de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes pour la protection de la sécurité de notre pays et l'intégrité de notre système financier. En qualité d'institutions financières que la communauté possède et exploite, nous nous soucions énormément de la sécurité de nos communautés.
Cela dit, je pense qu'il est important de commencer en reconnaissant que les caisses de crédit sont des institutions financières séparées, autonomes et constituées individuellement en personnes morales. Chaque caisse de crédit est donc une entité de déclaration aux fins du CANAFE et, par conséquent, est touchée directement par les lois et les règlements fédéraux, même si les caisses de crédit sont généralement réglementées au niveau provincial.
Contrairement à Desjardins et aux banques à charte, ces institutions financières distinctes n'ont pas d'organe de déclaration centralisé qui gère la conformité et les déclarations. Autrement dit, chacune des 368 caisses de crédit, quelle que soit sa taille, doit consacrer du temps et des ressources pour assurer sa conformité à ces exigences.
Depuis un certain temps déjà, le système des caisses de crédit s'inquiète de la possibilité que le cadre législatif de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes n'atteigne pas les objectifs du gouvernement et, de surcroît, nuise aux intérêts concurrentiels de petites institutions financières comme les caisses de crédit.
Comme l'ont fait observer d'autres témoins, il semble exister un déséquilibre entre les exigences relatives aux déclarations et les condamnations judiciaires dans le cadre actuel. En 2009-2010, nous savons qu'environ 16 millions de déclarations ont été fournies au CANAFE par les institutions financières, ce qui a donné lieu à 509 divulgations qui se sont soldées par 29 condamnations sur 138 affaires réglées. Ces données proviennent de Statistique Canada. Cumulativement, CANAFE a reçu 126 millions de déclarations concernant des transactions depuis sa création. On pourrait supposer qu'étant donné cette accumulation de données et d'expérience, le taux de condamnation serait considérablement plus élevé qu'il ne l'est actuellement.
Du point de vue des caisses de crédit, il est clair que tout cela implique un fardeau considérable sur le plan de la conformité, un fardeau qui, sans doute, désavantage les caisses de crédit par rapport à leurs concurrents plus gros, qui ont les moyens d'embaucher des agents de conformité qui coûtent de plus en plus cher, de centraliser ces fonctions et de réaliser des économies d'échelle.
Pour illustrer la situation, réfléchissons à l'engagement de temps requis pour respecter le seuil de 10 000 $ pour les transactions internationales. Une caisse de crédit affiliée qui compte 13 succursales a quantifié comme suit la charge de travail actuelle : en 2011, elle a examiné 843 transferts électroniques de fonds qui dépassait le seuil de 10 000 $ afin de déterminer si une déclaration était requise. Des 843 transferts, elle en a déclaré 38 au CANAFE, parce qu'elle était soit la première institution canadienne à recevoir le transfert, soit la dernière à l'envoyer à l'extérieur du pays, ou encore parce qu'il manquait certains renseignements. Il faut environ 5 minutes pour examiner chacun de ces dossiers, ce qui indique que la caisse de crédit a consacré environ 70 heures à cette activité. Il faut entre 10 et 20 minutes supplémentaires pour remplir un rapport, selon que toutes les informations requises sont disponibles ou pas. Cela sous- entend de six à 12 heures de plus pour les déclarations, ce qui donne un total de 82 heures pour cet aspect du régime.
On peut penser que 82 heures, ce n'est pas beaucoup, mais il ne faut pas oublier que cela ne tient compte ni du temps consacré à assurer la conformité avec d'autres aspects du cadre, ni des coûts de formation et de recyclage, du temps du personnel de première ligne, des coûts de mise en œuvre de systèmes de suivi, du risque de pénalités pécuniaires et du coût de renonciation attribuable au fait que des employés doivent consacrer au moins deux semaines complètes par an à cet aspect du cadre.
Si le seuil de 10 000 $ est éliminé, comme l'a proposé le document de consultation du ministère des Finances publié en décembre dernier, le fardeau des déclarations pour cette partie du cadre — et j'insiste sur le fait qu'il s'agit seulement d'un aspect — augmentera de façon importante.
Lorsque cette situation est associée aux taux de condamnation peu élevés, cela produit une situation qui semble contredire les recommandations de la Commission gouvernementale sur la réduction de la paperasse, qui a publié à la fin de janvier un excellent rapport final intitulé La réduction de la paperasse... libérer les entreprises et leur permettre de croître.
Dans ce rapport, la commission, créée par le premier ministre Harper, a présenté plusieurs principes dont le but était de guider la politique en matière de réglementation. Un de ces principes est le concept de proportion, à savoir l'idée qu'on n'utilise pas un marteau politique pour écraser une mouche, un principe discuté par la commissaire de la vie privée lors de sa comparution devant votre comité. Nous appuyons sans réserve ce principe.
La commission a également souligné l'importance de comprendre que la réglementation « taille unique », qui est implicite dans le cadre actuel de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, a tendance à nuire de façon disproportionnée aux petites entreprises comme les caisses de crédit.
Pour éviter ce résultat, le rapport de la commission recommande le recours au point de vue des petites entreprises pour filtrer les exigences proposées en matière de réglementation. Elle discute également de l'éventualité de modifier les politiques en fonction du point de vue des petites entreprises, y compris, par exemple, en instaurant des exonérations ou des échéanciers de mise en œuvre reportés. Dans cet esprit, nous souhaitons proposer au Comité trois recommandations à examiner.
Premièrement, nous pensons que le gouvernement fédéral devrait, au minimum, se demander si un fort volume de déclarations — l'idée que plus, c'est mieux — représente vraiment la meilleure façon de réduire la menace présentée par le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. C'est pourquoi, dans notre réponse au document de travail que le ministère des Finances a publié en décembre dernier, nous nous opposons à l'élimination du seuil de 10 000 $.
Deuxièmement, nous pensons que le gouvernement fédéral devrait revoir les changements proposés au cadre de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes en fonction du point de vue des petites entreprises, comme le recommandait la Commission sur la réduction de la paperasse. Le point de vue des petites entreprises aiderait le gouvernement fédéral à atteindre ses objectifs tout en évitant de mettre en place des règlements qui font pencher l'équilibre concurrentiel dans la direction des grosses institutions financières.
Troisièmement, nous pensons que l'intérêt public serait bien servi si le gouvernement fédéral procédait à une analyse coût/bénéfice détaillée du cadre actuel de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes avant de passer à la mise en œuvre des règlements proposés. Ici encore, cet exercice s'inscrirait dans l'esprit des recommandations de la Commission sur la réduction de la paperasse, qui a noté que les organismes de réglementation n'avaient pas eu recours à ces outils de façon efficace ou uniforme, en dépit du fait qu'ils devaient le faire dans leurs déclarations sur les études d'impact de la réglementation.
En conclusion, monsieur le président, nous remercions le Comité de cette occasion de contribuer à son examen. Nous réitérons notre appui de principe envers ce cadre. Nous serions ravis de vous fournir les renseignements supplémentaires que vous pourriez nous demander et nous sommes surtout impatients de répondre à vos questions.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Pigeon.
Écoutons maintenant la représentante du Mouvement Desjardins, Mme Karine Bolduc.
[Français]
Karine Bolduc, comptable en management accrédité et directrice de la conformité et de la lutte au blanchiment d'argent, Mouvement Desjardins : Merci, monsieur le président, d'avoir invité le Mouvement Desjardins à vous présenter ses recommandations par rapport aux changements proposés à la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes.
Je suis la directrice responsable du département de surveillance ou du blanchiment d'argent et financement du terrorisme pour le Mouvement Desjardins et également en charge de l'implantation du programme de conformité pour le Mouvement Desjardins.
Classé, en 2011, au 20e rang des 50 institutions financières les plus sûres au monde selon le magazine Global Finance, le Mouvement Desjardins, premier groupe financier coopératif du Canada, inspire confiance dans le monde par l'engagement des personnes, par sa solidité financière et par sa contribution à la prospérité durable. Il a comme mission de contribuer au mieux-être économique et social des personnes de la collectivité.
Avec un actif de 190 milliards de dollars, le Mouvement Desjardins est le plus important groupe financier coopératif du Canada. S'appuyant sur la force de son réseau des caisses au Québec et en Ontario ainsi que sur l'apport de ses filiales, dont plusieurs sont actives à l'échelle canadienne, on offre la gamme de produits et de services les plus complets à nos 5,8 millions de membres.
Le Mouvement Desjardins, c'est aussi un regroupement d'expertises en gestion du patrimoine, en assurance de personnes, en assurance de dommages, en services aux particuliers et aux entreprises. C'est l'un des plus importants employeurs au pays. Il mise sur les compétences d'environ 45 000 employés en plus de 5 400 dirigeants élus.
Dans un premier temps, j'aimerais parler du potentiel des coopératives pour lutter contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme. Le Mouvement Desjardins compte différents types d'entités déclarantes. On n'a qu'à penser au réseau des caisses, à l'assureur-vie, aux courtiers en valeurs mobilières, à la Fédération des caisses Desjardins du Québec, qui comprend un émetteur de carte de crédit et un correspondant bancaire pour les transactions internationales.
D'un point de vue global, être un groupe intégré permet d'avoir une vue complète des activités des membres et clients, ce qui facilite la détection du blanchiment d'argent. L'engagement de prospérité durable présent dans la mission de l'organisation réfère au développement économique et à la création de richesse dans une perspective de long terme. Cet engagement supporte la volonté du Mouvement Desjardins de lutter contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme.
En 2011 fut lancé le programme Coopmoi, voué notamment à l'éducation financière et à la coopération. Le Mouvement Desjardins entend poursuivre ses efforts, en 2012, à l'Internationale des coopératives dans le but de faire rayonner davantage la coopération et démontrer sa pertinence et sa contribution dans une économie plurielle.
Nous croyons que la coopération est un élément essentiel au succès de la lutte contre la criminalité financière et que la structure du Mouvement Desjardins peut contribuer à élever les standards de l'industrie quant à cette problématique, sous réserve que la loi lui reconnaisse cette particularité et lui fournisse des leviers pour agir en tant que groupe intégré.
Le témoignage d'aujourd'hui sera subdivisé en trois sections : les enjeux de fond sur les modifications proposées, les éléments jugés positifs et les propositions sur des renforcements jugés trop sévères.
Sur le plan des enjeux de fond sur les modifications proposées, le premier défi en est un opérationnel et technologique. La qualité de l'expérience membres et clients est au cœur des priorités de Desjardins, tout comme les autres institutions financières. De ce fait, toutes les exigences légales à mettre en place sont étudiées en fonction de leur exécution, d'abord d'une façon automatisée puis centralisée et, en en dernier lieu, décentralisée dans les processus quotidiens de prestation de services directs aux membres et clients.
Le travail requis par la loi exige des institutions financières qu'elles se dotent d'outils de surveillance sophistiqués et coûteux afin de vérifier un volume important de transactions, d'exécuter de façon centralisée des tâches administratives lourdes et de mettre en place des mesures d'atténuation et de contrôle performantes. Ces outils sophistiqués peuvent détecter des situations et des scénarios complexes de blanchiment d'argent. Il est donc essentiel que la loi prenne en considération les capacités grandissantes qu'ont les institutions financières de détecter et de déclarer des situations à risque de blanchiment d'argent plutôt que d'appliquer des règles trop générales pour éviter d'échapper de l'information. Pour opérer efficacement, le CANAFE doit avoir de l'information financière stratégique.
Le deuxième défi est un défi structurel. La complexité de volume des vérifications requises au niveau de l'approche basée sur les risques varie avec les standards élevés exigés par le CANAFE pour les déclarations. Cela exige qu'un département central effectue le travail pour les institutions financières. Cette centralisation est d'autant plus souhaitable qu'elle permet d'atteindre un niveau de qualité plus élevé, de standardiser les méthodes de travail, de détecter les situations à risque dans l'entreprise avec un portrait global et intégré et ce, sans conflit d'intérêts puisque les travaux sont exécutés par du personnel non relié directement à la prestation des services.
À ce point, il est primordial de prendre en considération la structure particulière au sein des groupes coopératifs intégrés comme le Mouvement Desjardins et ainsi permettre au CANAFE de réaliser des examens de conformité centralisés, de communiquer directement avec l'unité centralisée de la fédération pour inspecter d'autres institutions du même groupe ou de tenir des rencontres régulièrement avec une unité centralisée afin de l'informer de situations à corriger ou simplement fournir une rétroaction.
Une mention quant à la délégation de certaines activités entre les entités d'un même groupe devrait être ajoutée dans la loi pour assurer que le Mouvement Desjardins, comme d'autres groupes financiers intégrés, puisse exploiter le plein potentiel de sa structure et ainsi mieux mener la lutte au blanchiment d'argent et au financement des activités terroristes.
Quant aux défis financiers, je crois qu'on est tous d'accord pour dire que les renforcements qui exigent la mise à jour des systèmes transactionnels, l'acquisition d'outils de surveillance, l'ajout de processus et la formation sont coûteux pour les institutions financières et devraient être choisis en fonction du bénéfice qu'ils procurent à l'intégrité de nos systèmes financiers. Il faut aussi considérer le temps de mise en place de tels éléments.
Au niveau des éléments jugés positifs, le Mouvement Desjardins est en accord avec le principe de renforcement des normes et du devoir de vigilance à l'égard de la clientèle puisque cela constitue la base d'un bon programme de conformité efficace. Nécessairement, tous les allégements prévus dans les modifications sont les bienvenus puisqu'ils permettent de concentrer les efforts aux endroits névralgiques.
Nous accueillons donc avec intérêt les allégements prévus pour les situations d'apporteurs d'affaires, les situations de clients absents et de personnes morales cotées en bourse de valeurs au Canada ou identifiées par le ministère.
Le modèle d'affaire des institutions financières se développe de façon importante via Internet, que ce soit au niveau de la possibilité d'envoyer des fonds à l'international, de payer des factures ou d'ouvrir des comptes. Nous sommes d'avis que l'utilisation d'Internet est une tendance inévitable de l'industrie et qu'elle représente un risque plus élevé. La loi doit donc prévoir des outils allégés aux institutions financières afin qu'elles procèdent à l'identification de leur clientèle en ligne et ce, à faible coût, tant opérationnel que financier.
Le dernier élément jugé positif est le fait d'octroyer au ministère la prise de contre-mesures pour agir rapidement et donner des instructions aux institutions financières. Il va sans dire qu'il faudra également supporter les institutions financières dans la mise en place de contre-mesures.
En ce qui concerne les propositions sur les renforcements jugés trop sévères, nous jugeons qu'il serait inapproprié d'enlever les seuils de déclaration dans le domaine de l'assurance pour les étrangers politiquement vulnérables ou les seuils de vérification de l'identité. Pour le secteur de l'assurance-vie particulièrement, il faut éviter d'élargir à des produits à faible risque et éviter d'éliminer le seuil de déclaration, mais plutôt préciser quels sont les produits à risque.
Pour le secteur des virements internationaux, encore une fois il faut éviter d'éliminer les seuils de télévirement pour détecter le financement du terrorisme. Nous avons des mesures d'atténuation en place et nous proposons que la loi spécifie des mesures obligatoires plutôt que de systématiser l'envoi des télévirements au CANAFE.
Nous jugeons également qu'il est fastidieux de déterminer pour tous les comptes si un client est relié étroitement à un étranger politiquement vulnérable lorsqu'on fait référence à un associé proche. Nous vous proposons de le faire lorsqu'un client est à risque élevé. Donc, de façon générale, le Mouvement Desjardins propose de s'appuyer sur une approche basée sur les risques en donnant plus de balises sur les gestes à poser et sur les produits à surveiller, plutôt que d'abaisser ou d'abolir les seuils des déclarations ou, encore, forcer l'identification de certains clients qui utilisent des produits à faible risque.
Pour conclure, nous aimerions remercier le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce de l'occasion offerte au Mouvement Desjardins de témoigner sur les renforcements prévus au cadre législatif. Il nous fera plaisir de répondre à vos questions relativement aux propos tenus précédemment.
[Traduction]
Le président : Merci, madame Bolduc.
Je vais commencer par une question qui s'adresse à M. Pigeon. Je suis heureux de vous revoir. Si j'ai bonne mémoire, c'est le 8 décembre que vous avez comparu devant le comité au sujet d'un autre projet de loi, le projet de loi S-5.
Vous nous aviez alors, n'est-ce pas, parlé de cette notion de solution unique pour tous, qui vous inquiétait. Je ne suis donc pas étonné de voir, à la page 4 de votre mémoire d'aujourd'hui, que vous mentionnez à nouveau cet aspect.
Vous avez fait allusion précisément au seuil de 10 000 $. Hier soir — et vous avez peut-être écouté le témoignage —, Susana Johnson, chef de la lutte contre le blanchiment d'argent à Juricomptabilité KPMG, nous a parlé de la maturité du régime de déclaration et de la possibilité d'abaisser ce seuil.
Elle a dit, et je la cite :
[...] le fait d'abaisser le seuil ne créera pas nécessairement de nouveaux problèmes, parce qu'il s'agit d'un processus véritablement automatisé. Vous abaissez simplement le seuil. J'ignore ce que pourraient être les problèmes technologiques, mais je ne suis pas encore certaine qu'il y aura nécessairement beaucoup de problèmes. Si le CANAFE peut ainsi recueillir une plus grande quantité de renseignements, cela serait utile.
Je crois que d'autres pays, notamment les États-Unis et l'Australie, ont fixé des seuils inférieurs à 10 000 $.
Maintenant, vous parlez du point de vue de la petite entreprise. Je soupçonne que vos commentaires renvoient à cette suggestion particulière. Pourriez-vous développer un peu cela, parce qu'un autre témoin semble avoir fait des commentaires qui contredisent les vôtres? Elle parlait peut-être des grandes institutions, mais j'aimerais que vous le précisiez.
M. Pigeon : Merci, monsieur le président. J'ai examiné ce témoignage et j'ai moi aussi relevé ce point. Notre expérience ne le confirme pas. Il ne suffit pas de pousser un bouton pour éliminer ce seuil. Il faut revoir l'opération — et je demanderai peut-être à Mme Olivier de nous en parler un peu —, il faut prendre le temps de le faire. C'est notre président, David Phillips, qui a comparu devant le comité la dernière fois. Nous sommes du même avis, évidemment, mais je voulais simplement le répéter.
Je crois que la perspective de la petite entreprise est très utile dans ce cas, et je vais laisser Mme Olivier en parler dans un instant. N'oublions pas que nombre de coopératives de crédit connaissent parfaitement leurs membres. La coopérative de Mme Olivier compte 4 600 membres. C'est un nombre élevé, mais ce n'est rien en comparaison d'une grande institution. Vous pouvez connaître assez bien toutes ces personnes et avoir une bonne idée de leur caractère. Ce genre de considérations devrait entrer en compte dans le cadre de réglementation. J'ajouterai également qu'à mon avis, quand on les néglige, il y a des coûts dont les décideurs ne sont pas nécessairement conscients. Les coopératives de crédit font des choses extraordinaires dans leurs collectivités. Je pourrais parler longtemps du genre de choses qu'elles font pour leurs collectivités, du temps que les bénévoles et le personnel y consacrent. Lorsque vous commencez à éroder cette base, vous réduisez la capacité de fournir ces services et de répondre aux besoins des emprunteurs de la petite entreprise. Les coopératives de crédit sont les principaux prêteurs des petites entreprises. Nous en sommes très fiers, mais tout a un coût, et si nous resserrons les exigences de déclaration ici, nous devrons éliminer quelque chose ailleurs parce que nous ne pouvons pas augmenter nos tarifs. Nous fonctionnons dans un marché concurrentiel. Nos marges rétrécissent comme celles de tous les autres, nous avons des contraintes à cet égard.
Evelyne Olivier, agente de vérification interne et d'administration, Coopérative de crédit de la police de Winnipeg, Centrale des caisses de crédit du Canada : Je parle de la base, du membre qui vient effectuer un virement. Le caissier doit réunir toute l'information, et c'est volumineux. Il ne s'agit pas seulement de votre nom et de votre adresse, mais aussi de votre lieu de travail, de votre date de naissance, de la personne à qui vous envoyez l'argent — son nom, sa date de naissance et sa profession. Cette information n'est pas nécessairement dans le système, alors il faut la demander ou la trouver. Il vous faut aussi des renseignements sur la banque où le virement sera envoyé.
Lorsque le caissier ou le préposé au service à la clientèle a réuni l'information, il doit l'entrer dans le système de virement, c'est ce qui est automatisé. Il faut toujours entrer les renseignements à la main. Ce qui est automatique, c'est l'envoi de l'information, il suffit d'enfoncer une touche. Ensuite, le gestionnaire utilise cela et doit entrer l'information. Nous utilisons les services de l'entreprise logicielle VeriSign, que nous déclarons au CANAFE. Il faut entrer cette information à la main et vérifier s'il y a une réponse à chaque question. Quand cela a été fait, j'examine le document à l'aide du logiciel VeriSign pour vérifier si tout est bien rempli, puis j'envoie cela moi aussi. Vient ensuite l'autorisation finale, et c'est parti. Dans les petites coopératives de crédit, nous changeons simplement de système de traitement des opérations. Ce ne sont pas des systèmes perfectionnés, mais ils nous suffisent.
Nombre de nos membres sont avec nous depuis longtemps. Nous sommes une coopérative de crédit semi-fermée. Essentiellement, notre clientèle est formée de personnes du secteur de l'application de la loi. Elles nous envoient leurs parents et leurs amis, et nous connaissons donc très bien nos membres. Les risques de blanchiment d'argent ou de financement d'activités terroristes sont extrêmement faibles, mais nous devons quand même faire tout ce travail supplémentaire.
Mes fonctions ont énormément changé pour cette raison. La moitié de mes tâches ont été confiées à quelqu'un d'autre pour que je puisse assurer la mise en œuvre du régime de conformité, instaurer des procédures et des politiques pour que tous soient au courant, régler les questions de formation et procéder à un examen tous les deux ans. Vous voulez vous concentrer sur les employés de première ligne, parce que ce sont eux qui traitent avec les membres. C'est aussi là que vous avez le plus fort roulement, parce que les gens veulent avancer dans leur carrière. Il y a toujours des nouveaux, et il faut reprendre la formation.
Je termine par un exemple qui illustre mes paroles. Nombre de nos membres sont avec nous depuis longtemps. Vous vous souvenez peut-être d'avoir entendu vos parents en parler, mais autrefois, pour ouvrir un compte, il suffisait de donner son numéro d'assurance sociale. C'est un renseignement que vous ne pouvez pas transmettre au CANAFE, alors vous devez avoir d'autres moyens d'identification. L'identification que nous avons au dossier est peut-être un numéro de carte de crédit expirée, c'est peut-être un vieux permis de conduire. Vous devez recueillir tous ces renseignements quand vous rencontrez un membre pour la première fois. Cette information change constamment. Même si vous l'avez dans le système, d'autres logiciels sont utilisés, et tout cela est constamment modifié. Si un membre vient pour effectuer un virement de fonds électronique, vous n'avez pas nécessairement au dossier toute l'information voulue. Il faut la lui demander, et il ne l'a peut-être pas sur lui. Il y a constamment des changements. La majorité d'entre nous avons probablement des comptes depuis longtemps. Nous ne savons pas ce que c'est que d'ouvrir un compte aujourd'hui, toutes les questions auxquelles il faut répondre et les renseignements personnels qu'il faut fournir. Si le seuil était ramené à 1 000 $, il faudrait envoyer une grande quantité d'information sur les Canadiens au CANAFE, dans le cadre des déclarations.
Uniquement pour notre coopérative, j'ai vérifié les télévirements expédiés ou reçus sur six mois. J'ai envoyé 62 télévirements, dont 10 au Canada et 52 à l'étranger. Parmi ceux qui étaient destinés à l'étranger, 13 ont dû faire l'objet d'une déclaration, 28 portaient sur des sommes allant de 1 000 $ à 10 000 $, et 11 étaient pour des montants inférieurs à 1 000 $. La charge de travail aurait été, pour cette période de six mois, de 39 télévirements à déclarer plutôt que 13. Le nombre de télévirements reçus n'était pas aussi important. Quatre venaient du Canada et 12 de l'étranger. Parmi ceux de l'étranger, un a dû être déclaré, sept étaient pour des montants de 1 000 $ à 10 000 $, et quatre étaient de moins de 1 000 $. Il y en aurait 11 de plus à déclarer. Nous sommes une petite coopérative, une succursale.
Le président : Merci beaucoup, madame Olivier. Les témoignages de la base sont très utiles pour notre comité, nous vous sommes reconnaissants de vos commentaires aujourd'hui.
[Français]
Le sénateur Hervieux-Payette : J'ai une petite question pour chacun. Vous pourrez donc répondre après les trois questions.
Ma première question est pour les banquiers. Est-ce que vous pensez que d'autres secteurs qui sont couverts à l'heure actuelle devraient l'être, autrement dit les banques, les caisses, l'assurance, le courtage, tout cela. Pensez-vous qu'il y a d'autres secteurs économiques qui devraient être couverts par la loi?
Deuxièmement, cela va vous concerner un peu plus, est-ce que vous pensez que, pour le défaut de faire les rapports, les pénalités sont suffisantes? Aux États-Unis, on dit que c'est beaucoup plus important. Donc quand vous faites une transaction et que vous prenez, illégalement un million, par exemple, si la pénalité est de 5 000 $, vous êtes tentés de garder le million et de payer le 5 000 $. Je fais un parallèle.
En ce qui concerne la centrale des caisses, je comprends votre problème, mais étant donné qu'on s'est dit que les malfaiteurs, les criminels étaient très fins, ils vont tous se ramasser chez vous si on baisse le montant et que vous ne faites pas partie de cette politique. Je me demandais si tous vos membres émettaient des cartes prépayées parce que dans ce cas, c'est le montant des cartes de débit qu'on donne en cadeau.
En ce qui concerne le Mouvement Desjardins, la formation des 45 000 employés, est-ce qu'elle se fait à partir du bureau central? Qui fait la vérification de la conformité interne? Comment vous vous assurez que votre politique est adoptée? Voilà mes questions.
[Traduction]
M. Randle : J'essaierai de répondre à vos questions dans l'ordre, sénateur. Tout d'abord, il ne me vient à l'esprit aucun groupe d'entreprises qui ne serait pas actuellement visé par le régime et qui devrait l'être. Au fil des ans, nous sommes passés des entités financières aux casinos, aux bijouteries et aux entreprises de ce genre. Je crois qu'on a essayé de viser les entreprises qui font de grosses transactions en espèces, et c'est l'évidence, à l'exception des institutions financières. Même si elles traitent au comptant, elles utilisent aussi d'autres instruments qui, par le passé, ont servi à blanchir l'argent.
Quant à votre deuxième question, dans une certaine mesure nous dirions que l'administration actuelle des pénalités est parfaitement adéquate. Il ne s'agit pas d'infractions criminelles. À ma connaissance, personne au CANAFE, au ministère des Finances, au sein des organismes d'application de la loi et dans l'organisme de réglementation dont nous relevons, le BSFI, n'a dit que des entités déclarantes avaient délibérément manqué aux exigences en matière de déclaration. Les pénalités administratives pécuniaires imposées au cours des dernières années — et il n'y en a pas eu beaucoup — visaient, dans bien des cas, des institutions qui ont moins de ressources ou qui ont simplement été prises dans le système. Je ne connais aucun exemple, mais le CANAFE peut peut-être vous en fournir, où des pénalités ont été imposées avec l'idée qu'il pouvait s'agir d'une tentative délibérée de contourner le système.
L'alourdissement des pénalités, en particulier parce que le régime est incroyablement complexe, signifierait simplement que vous obtiendriez plus d'argent, mais ce n'est pas le but des pénalités administratives. Il faut aider les gens à respecter la loi. À mon avis, toutes les entités déclarantes veulent respecter la loi.
[Français]
M. Pigeon : Monsieur le président, je remercie le sénateur de sa question. Pour ce qui est des cartes prépayées, ce n'est pas quelque chose qu'on fait dans notre système, presque pas du tout, à ma connaissance. Il y a peut-être Vancity qui en fait un petit peu, mais à part cela, presque zéro. C'est une question assez facile.
Pour l'autre question, le système credit union, comme le laissait entendre M. Randle, on travaille très fort pour respecter les règles. Mme Olivier consacre beaucoup de son temps à respecter les règles et si les règlements changent, on va mettre beaucoup l'emphase pour respecter les règles.
Tout ce qu'on demande, c'est que le gouvernement fédéral tienne compte de nos différences, qu'on est un système coopératif, branché dans notre communauté. On a souvent pas autant de membres que les clients des banques. Et peut- être développer des politiques qui pourraient nous aider à mieux s'adapter aux règlements.
Je vais vous donner une idée. On n'a pas beaucoup réfléchi à cela mais ce qu'on voudrait faire, c'est avoir des bonnes discussions avec le ministère des Finances. On a déjà commencé les discussions, à penser à des façons d'adapter, de changer la façon dont cela s'applique au credit union. Récemment l'Association canadienne des télécommunications sans fil a proposé que si le gouvernement voulait imposer des règles pour surveiller leur client, qu'on devrait les compenser d'une certaine façon. C'est beaucoup de temps, d'ouvrage et de coûts. Ce n'est pas ce qu'on veut nécessairement proposer mais c'est une idée. Si on peut commencer la discussion pour leur faire comprendre que les règlements ont des conséquences différentes sur les différentes institutions, on peut commencer à penser à des solutions semblables. On va tout faire pour respecter les règles mais on cherche de la compréhension de la part des fonctionnaires.
Le sénateur Hervieux-Payette : Juste une petite remarque, monsieur le président, je ne sais pas quel criminel irait déposer son argent dans une caisse de crédit pour la police, mais juste le fait que vous soyez reliés à la police aide peut- être.
Je veux vous rappeler qu'au Québec on a eu Earl Jones que tout le monde aimait et connaissait et qui était dans une petite succursale et d'autres qui étaient bien gentils mais qui, malheureusement, n'étaient pas très honnêtes.
Mme Bolduc : Vos questions portaient sur la formation et le contrôle. Le Mouvement Desjardins, comme je le faisais valoir, est un groupe intégré. Donc ma direction est en charge de déployer le programme de conformité pour l'ensemble du réseau des caisses et on étend cela aux filiales.
La formation, oui, est faite de façon centralisée, en ligne, donc toute la technologie web et en salle, autant pour les employés que pour les gestionnaires. Cela assure une certaine uniformisation des procédés, et, ce qui est bien d'avoir une unité centrale, c'est que cela donne un peu de perspective, de la profondeur au message. Aujourd'hui, la particularité du Mouvement Desjardins est la même que celle de M. Pigeon, en ce sens que chacune de nos caisses est une entité déclarante par elle-même. Un agent de conformité, on en a un dans toutes les caisses. On ne peut pas leur laisser le poids de mettre en place de façon individuelle la loi. On se positionne comme institution financière globale et on déploie des programmes cohérents transversalement dans l'entreprise plutôt que d'y aller par petits secteurs avec des œillères. C'est pour le point de vue de la formation.
Pour le contrôle, un bon contrôle de l'efficacité du programme peut s'assurer de corriger rapidement des situations qui ne seraient pas souhaitables ou de mettre en place de nouvelles procédures. C'est fait par le bureau de surveillance du Mouvement Desjardins. On a un cabinet identifié dans le Mouvement Desjardins pour procéder à l'inspection des caisses et des filiales. Il applique les contrôles internes conçus par ma direction et avec des enrichissements qui viennent de ce cabinet.
[Traduction]
Le sénateur Oliver : Je félicite M. Pigeon de son exposé. Je trouve que les trois recommandations qu'il a présentées au comité sont claires et que nous devrions les envisager au moment de rédiger notre rapport.
Ma principale question s'adresse à l'Association des banquiers canadiens et à M. Randle. La préoccupation sous- jacente à toutes nos discussions et nos négociations sur le blanchiment d'argent soulève une question précise : comment trouver le juste milieu entre la poursuite des blanchisseurs d'argent et la protection des droits des Canadiens en matière de liberté et de vie privée? À en juger par votre exposé, il m'a semblé que vous n'étiez pas aussi soucieux de la protection de la vie privée que de l'autre droit. J'aimerais citer trois passages de votre exposé et vous demander de les expliquer, parce que cela m'inquiète un peu pour les Canadiens. Je reconnais que vos banques sont de grandes institutions qui gèrent des milliers de dollars, mais elles servent des personnes qui ont droit à la vie privée. Je ne pense pas que ce droit puisse être mis de côté.
Vous avez d'abord dit que l'Association des banquiers canadiens aimerait que CANAFE communique plus de renseignements aux entités déclarantes. Vous avez également dit que vous saviez qu'en vertu de la loi actuelle sur la protection de la vie privée, vous ne pouviez transmettre de renseignements personnels sans le consentement du client. Vous avez ensuite ajouté que cela rendait extrêmement difficile d'interdire l'accès au service à un client. Interdire l'accès au service à un client... Mais qu'en est-il du droit à la vie privée? Est-ce que vous avez un profil de blanchisseur d'argent? Comment définissez-vous une opération douteuse? Pouvez-vous nous aider à comprendre ce que vous faites dans ces domaines? Si vous utilisez un profil de blanchisseur d'argent, quel effet cela a-t-il sur le droit à la vie privée des Canadiens ordinaires qui effectuent des opérations financières? C'est cet aspect qui m'inquiète.
M. Randle : Je vais commencer, puis M. Harvey pourra sans doute vous donner les détails que vous demandez. Je veux signaler que nous avons 53 membres, dont six grandes banques nationales. La grande majorité de nos membres sont de taille beaucoup plus modeste. De fait, certains — et je dirais la majorité — sont actuellement plus petits que Vancity, une institution que la Centrale des caisses de crédit du Canada a mentionnée. On a parfois tendance à considérer l'industrie bancaire comme un monolithe formé des six grandes banques, c'est une erreur que je veux corriger ici. C'est faux. Toutes les banques, comme toutes les entités déclarantes, doivent se conformer aux mêmes règles et au même régime.
Je veux également faire valoir que, plus que quiconque, les institutions financières sont parfaitement conscientes de la nécessité de protéger la vie privée de leurs clients. Elles l'ont fait avec diligence pendant de nombreuses années, avant même l'adoption de la loi sur la protection des renseignements personnels. Je suis certain que vous le savez, depuis une décision judiciaire prise dans les années 1920, à l'issue d'une poursuite célèbre au Royaume-Uni, l'industrie financière s'est pliée avec constance et diligence au devoir de confidentialité, et nous continuons de le faire.
Ce dont nous parlions, ce sont des moyens que nous pouvons utiliser pour empêcher les indésirables d'entrer dans le système — que ce soit nous, le gouvernement ou, je n'en doute pas, les membres du comité sénatorial — pour l'utiliser et l'exploiter.
J'ai mentionné dans mes commentaires que nous aurions évidemment besoin de protéger la vie privée, parce que c'est notre principale préoccupation, mais pour l'instant, si quelqu'un est prié de quitter une institution en raison d'activités douteuses et que son service est interrompu, cette personne peut le faire.
Le sénateur Oliver : Elle peut ouvrir un compte dans une autre institution, comme vous l'avez dit.
M. Randle : Oui. Il nous faut plus de temps pour rentrer dans les détails, mais comme toutes les lois, celle-ci établit un équilibre entre la protection de la vie privée et la lutte contre les utilisations abusives du système financier, des casinos et d'autres véhicules pour blanchir l'argent et financer le terrorisme. Par définition, elle va à l'encontre d'une protection absolue, et c'est pourquoi j'ai dit qu'il fallait un équilibre. Il serait peut-être difficile d'améliorer encore cet équilibre, mais aux États-Unis il existe une loi qui régit la communication de certains renseignements entre institutions lorsque nous avons des soupçons, et des mesures de protection sont prévues. Je suis convaincu que le niveau de protection de la vie privée est aussi élevé aux États-Unis qu'au Canada. Je pense qu'il y a des façons d'y arriver. Nous voudrions évidemment en discuter avec le ministère des Finances.
Selon nous, le problème qui se pose dans le cas de CANAFE, c'est que comme vous le savez l'organisme peut divulguer de l'information à certains organismes d'application de la loi et à d'autres intervenants. Par contre, il ne peut pas demander de renseignements supplémentaires à une institution financière qui vient de signaler une opération douteuse. Il se pourrait, par exemple, que son analyse, fondée non seulement sur ce rapport, mais aussi sur d'autres renseignements qu'il a reçus, le mène à certaines conclusions provisoires et qu'il souhaite obtenir plus de renseignements de l'institution financière ou d'autres entités déclarantes, mais pour l'instant il ne peut pas en demander. Cela nous semble être une lacune du système. Si le CANAFE pouvait transmettre à une entité déclarante de l'information obtenue d'autres sources sur un de ses clients qui n'éveille pas autant de soupçons qu'il le devrait en raison du type d'opérations qu'il effectue, cela permettrait à cette entité déclarante — il pourrait s'agir de notre coopérative de crédit à Winnipeg — de surveiller plus étroitement les opérations de ce client.
Je reconnais que cela semble empiéter sur la vie privée, mais je crois, sénateur, que telle n'est pas l'objectif. C'est différent; nous voulons rendre le régime plus efficace et plus économique.
Le sénateur Oliver : Vous n'avez pas répondu à ma question concernant le profil des blanchisseurs d'argent pour repérer les opérations douteuses.
M. Harvey : Il y a deux façons qui nous permettent de repérer l'activité inhabituelle, et j'utilise délibérément le terme inhabituel. La norme est beaucoup moins stricte et il est plus facile pour nous d'expliquer à notre personnel ce que nous cherchons.
La première, et sans doute la principale, ce sont les yeux et les oreilles de l'employé à la succursale, celui qui a des contacts avec le client. Il connaît le client. Il sait ce qui est normal et anormal. Nous lui demandons de faire signaler l'activité anormale directement à mon groupe.
En outre, nous surveillons de façon automatisée toute l'activité des comptes, quotidiennement, pour repérer les activités inhabituelles. Lorsque nous recevons un rapport de première ligne ou constatons une activité inhabituelle relevée par le système, cette information est analysée avec soin par un analyste de mon groupe. Nous protégeons cette information. Nous ne la communiquons à personne à la banque, elle reste à l'intérieur de mon groupe.
Quand un employé nous envoie un rapport, personne d'autre à la banque ne connaît l'existence de ce rapport. Nous ne diffusons en aucune circonstance cette information. Si, après enquête, nous ne comprenons toujours pas l'activité du client — et nous ne nous limitons pas à l'opération isolée, parce que cela est facile à éliminer —, nous engageons une conversation avec le client pour lui donner l'occasion de nous fournir une explication logique et raisonnable de cette activité, parce que j'ai toujours cru que le client était le plus à même de fournir cette explication.
Dans l'hypothèse où le client fournit cette explication, le dossier est fermé. Si, par contre — et cela se passe parfois —, l'information fournie par le client soulève d'autres préoccupations, alors, et seulement alors, nous envisageons de soumettre une déclaration d'opérations douteuses au CANAFE. C'est un processus très long. Même après avoir décidé de soumettre une déclaration d'opérations douteuses, nous ne communiquons l'information à personne d'autre à la banque. Cela va directement de mon groupe au CANAFE. C'est ainsi que nous protégeons la vie privée.
Lorsque nous arrivons à la conclusion qu'une personne effectue des opérations de nature douteuse, nous devons prendre une décision : nous avons un client douteux, est-ce que nous voulons le conserver? Si nous croyons que son activité est inhabituelle, mais tout de même explicable et que nous donnons une seconde chance à notre client, c'est très bien, mais si nous décidons que cette activité est suffisamment suspecte pour que nous ne voulions plus de ce client, nous décidons de mettre fin à la relation. Là encore, nous agissons de façon à ce que le client ignore ce qui a donné lieu à la décision, et il faut donc parfois un certain temps pour fermer le compte.
C'est dans de tels cas que nous pensons qu'il serait avantageux de pouvoir partager l'information de façon limitée, suivant des règles strictes. Comme l'a dit M. Randle, le paragraphe 314(a) de la Patriot Act, aux États-Unis, donne à l'équivalent du CANAFE le pouvoir de s'adresser à la banque à la suite d'une déclaration d'activité suspecte pour lui demander des renseignements supplémentaires. Je crois que cela améliorerait la capacité de repérer les cas qui devraient être signalés aux organismes d'application de la loi. Nous avons certaines notions sur ce qui peut intéresser CANAFE, mais nous ne savons pas tout.
Le paragraphe 314(b) autorise les banques à échanger cette information entre elles, et je crois que cette clause est utilisée avec beaucoup de prudence. Pendant des années, j'étais opposée à une telle disposition, même si par le passé j'ai travaillé dans le domaine du blanchiment d'argent aux États-Unis. J'en suis toutefois venu à penser que c'était dans l'intérêt du système financier canadien. Cela nous permettrait, avec une divulgation très limitée et très contrôlée de l'information, d'éliminer les vrais criminels du système.
Le sénateur Tkachuk : Pour faire suite à la question du sénateur Oliver, combien d'opérations douteuses y a-t-il par succursale à la CIBC annuellement?
M. Harvey : Nous ne recensons pas les opérations douteuses par succursale, mais nous suivons les rapports de transaction inhabituelle. C'est notamment parce que lorsqu'une succursale déclare quelque chose, nous examinons l'ensemble des activités du client. Le client peut traiter avec plus d'une succursale ou d'un courtier, alors si vous attribuez la déclaration d'opérations douteuses à la succursale d'origine, cela risque de fausser la perspective.
Pour répondre simplement, je dirai que de nombreuses succursales ne présentent aucun rapport d'opération douteuse, et c'est très bien ainsi.
Le sénateur Tkachuk : Combien en présentent?
M. Harvey : Dans notre réseau, nous recevons entre 7 000 et 8 000 déclarations par année.
Le sénateur Tkachuk : Est-ce que les responsables de l'application de la loi ou du CANAFE font un suivi? Parmi ces 7 000 ou 8 000, combien nécessitent une enquête?
M. Harvey : Selon moi, peut-être un millier de déclarations d'opérations douteuses.
Le sénateur Tkachuk : C'est beaucoup.
Le sénateur Harb : Merci beaucoup de votre exposé. Avez-vous vu le rapport que Capra International a remis au ministère des Finances et qui porte apparemment sur l'évaluation décennale du système et vous a-t-on prié de le commenter?
M. Harvey : Oui, j'ai été interviewé par les consultants avant la rédaction du rapport.
Le sénateur Harb : Quelqu'un d'autre?
Mme Bolduc : Pas Desjardins.
M. Pigeon : Je ne pense pas que nous l'ayons été non plus, mais — il ne faut pas l'oublier — nous ne savons pas nécessairement tout ce que font nos coopératives. Il peut y en avoir qui ont participé à cette étude et nous l'ignorons.
Le sénateur Harb : Avez-vous lu le rapport? En avez-vous reçu un exemplaire?
M. Harvey : Oui, et j'avoue ne pas lui avoir accordé toute l'attention voulue.
Le sénateur Harb : J'aimerais, avec l'autorisation du président, vous en résumer des passages. La recommandation 2(b) porte précisément sur la notion que les entités déclarantes ont soulevé certaines préoccupations, et le ministère et ses partenaires sont priés de les examiner. J'espère que vous en parlerez si l'on communique avec vous. J'espère que vous ferez nettement ressortir cet élément et son importance.
Dans ce rapport — et j'ignore s'il est fondé sur les consultations auxquelles vous avez participé —, on semble traiter dans toutes les recommandations de la nécessité d'effectuer un examen et d'améliorer le régime, du fait que les menaces n'ont pas diminué depuis 2000 en matière de blanchiment d'argent lié aux activités terroristes. Le régime a probablement contribué, ce qui signifie qu'il n'a probablement pas contribué, à atténuer le problème. Le régime est considéré comme économique dans la mesure où l'économie peut être déterminée, et cetera.
J'imagine que cela revient à ce que M. Pigeon et d'autres intervenants disaient à propos de la proportionnalité et de la rentabilité. Pensez-vous que, peut-être, le gouvernement et les partenaires devraient comparer ce que nous dépensons pour le régime et ce que nous en tirons?
M. Harvey : Selon moi, au bout du compte, c'est de l'efficacité du régime qu'il faut s'inquiéter. J'ajouterai que je travaille dans le domaine du blanchiment d'argent depuis plus de 25 ans — pour les banques, pas pour les blanchisseurs.
Je crois que l'efficacité du régime peut se mesurer à la difficulté qu'ont les criminels à placer leur argent dans le système, mais il faut commencer en supposant qu'à l'exception des tueurs en série, les criminels veulent réaliser des profits. Notre travail est de repérer les profits ou ce que nous pensons être les profits de l'activité criminelle et de les déclarer au CANAFE, qui peut ensuite établir un dossier pour s'adresser au service d'application de la loi et entamer des poursuites.
Je crois que nous pourrions entre autres nous demander, et c'est une question raisonnable — je pense que nous en avons un peu discuté ce matin — en matière d'efficacité, c'est s'il est plus efficace de déclarer, par exemple, les virements de 1 à 10 000 $. J'imagine que non, car cela encombrerait le système d'une foule de renseignements probablement inutiles. Est-ce qu'il est utile de savoir que j'ai viré électroniquement 50 $ à Reader's Digest? Je ne le pense pas.
Par ailleurs, il me paraîtrait approprié de s'interroger sur le seuil des 10 000 $ fixé même pour les déclarations d'opérations importantes. Il n'y a rien de magique dans ce chiffre de 10 000 $. Nous l'avons choisi au milieu des années 1980, et c'est ce que nous utilisons depuis, pratiquement dans tous les pays. Compte tenu de l'inflation, 10 000 $ en 1985 — et je ne suis pas très fort en calcul —, cela correspond sans doute à 150 000 $ aujourd'hui.
On pourrait soutenir qu'un régime plus efficace s'intéresserait à des montants supérieurs, à des activités plus flagrantes, et qu'il adopterait une approche véritablement fondée sur le risque. Je m'écarte un peu, excusez-moi, mais c'est un sujet qui me tient à cœur.
Le sénateur Harb : Avez-vous calculé ce qu'il en coûterait d'éliminer le seuil? Je ne vous demande pas de me répondre immédiatement, mais c'est un renseignement qui serait utile au comité, pour avoir une idée des conséquences qu'aurait la modification de ce seuil de 10 000 $ pour le fixer à 1 $, par exemple.
Il y a environ six ans, le comité a formulé un certain nombre de recommandations, dont l'une portait sur la protection de la vie privée. Il recommandait que le CANAFE fournisse de l'information aux entités financières étrangères uniquement si ces pays avaient des lois semblables à celles du Canada en matière de protection des renseignements personnels.
Au fond, quand votre client ouvre un compte chez vous et que vous transmettez l'information à sont sujet à un organisme canadien, vous le faites en sachant qu'il est protégé par nos lois.
Quand l'organisme prend cette information et la transmet à l'étranger, dans un pays qui n'a pas de lois semblables aux lois canadiennes sur la protection de la vie privée, quelqu'un fait quelque chose de répréhensible, et c'est peut-être vous.
Sur les plans moral et légal, cela relève de la responsabilité du CANAFE. Pensez-vous que le CANAFE devrait avoir des dispositions qui le précisent?
M. Harvey : Là encore, je vais parler d'un point de vue moral — et je fais la distinction d'avec le financement du terrorisme, car cela est très différent — et dire que le régime de lutte contre le blanchiment d'argent s'intéresse aux activités criminelles qui génèrent des profits. Les criminels n'ont pas de territoire national. Leurs activités sont transnationales, alors à mon avis un régime efficace de lutte contre le blanchiment d'argent doit être transnational.
Toutefois, certaines des préoccupations que vous soulevez sont très valables, et il nous faut vraiment être certains que lorsque le CANAFE communique de l'information à une autre URF à l'étranger, il le fait de façon pondérée. Je n'ai qu'une vague idée de la procédure suivie pour ces communications, mais selon moi le CANAFE est prudent. Je crois qu'il y a maintenant 50 ou 60 PE, alors cela ne se fait pas à l'aveuglette. Je crois qu'il y a un équilibre.
Le sénateur Tkachuk : Je sympathise avec les petites institutions. Si je ne me trompe pas, certains d'entre nous étaient déjà membres du comité quand le projet de loi a été déposé, il y a 10 ans, et nous étions nombreux à éprouver des réserves à l'égard de cette notion que tous sont coupables. Nous le faisons de façon sécuritaire, mais il me semble que cela se propage partout. C'est un peu comme dire que les soupçons visent tout le monde. Par conséquent, si vous allez à l'aéroport, si vous prenez un avion, nous allons fouiller tout le monde.
Il me semble qu'il serait plus simple d'établir le profil de personnes incapables de commettre un crime que de tracer celui de gens qui pourraient en commettre.
Prenez mon cas, par exemple. Je ne peux pas parler pour tous ceux qui sont ici, mais je suis client de la Banque Royale depuis l'âge de 18 ans. Je traite avec Nesbitt Burns depuis très longtemps. Ils en savent probablement plus à mon sujet que je n'en sais moi-même.
Certaines banques et coopératives de crédit connaissent leurs clients. Est-ce qu'on ne pourrait pas totalement changer d'angle et déclarer les opérations douteuses des clients suspects plutôt que des opérations qui ne sont même pas douteuses? Nous avons un nombre, et nous considérons que ce nombre englobe tout le monde. Je peux obtenir une habilitation de sécurité — et j'en ai déjà obtenu —, mais je ne peux pas prendre un avion avec ma petite bouteille de fixatif. Et puis, je dois passer dans ce scanneur. Il ne leur suffit pas de repérer les métaux, il faut aussi qu'ils voient sous vos vêtements. Vous savez, c'est une illusion. Nous ne sommes pas plus en sécurité. Nous abordons les choses de cette façon et nous ne cherchons pas d'autres moyens de procéder. Les banques n'ont pas intérêt à ce qu'une bande de criminels corrompe leur système. Ce n'est pas dans leur intérêt. Cela détruira la banque, alors il doit y avoir d'autres méthodes à utiliser, sans recourir à tout cet appareillage que nous avons ici, à Ottawa, pour recueillir de l'information sur tout le monde et grâce auquel, il faut bien le dire, il n'y a eu que de rares condamnations. Nous utilisons cet énorme appareil et nous prenons quoi? Deux personnes, n'est-ce pas, en 10 ans?
Il doit exister quelque chose de mieux. C'est pourquoi, monsieur Pigeon, je sympathise avec vous. Je crois que cela est ridicule. Il est ridicule de demander ce genre de choses à une petite coopérative de crédit en Saskatchewan.
M. Pigeon : Merci, sénateur. Je vais formuler deux ou trois remarques et je crois que mes collègues voudront probablement commenter eux aussi cette question.
J'aimerais revenir à l'approche fondée sur le risque que le Mouvement Desjardins et l'Association des banquiers canadiens ont mentionnée. C'est un peu le point de départ de cette réflexion. J'ai fait passablement de recherche avant de venir. J'ai lu le rapport 2004 de la vérificatrice générale. Elle disait — et cela m'a paru remarquable — que les déclarations d'opérations douteuses reçues « directement des banques contiennent souvent des renseignements plus utiles que ceux du Centre [...] lorsqu'on sait que le système a été mis en place expressément pour rendre plus valable l'information brute fournie par les entités déclarantes, il s'agit là d'une critique de taille. » Elle disait un peu la même chose que vous. Il existe des façons très efficaces d'agir et puis il y a cette approche générale qui semble franchement exagérée.
M. Harvey : J'ajouterai deux choses. Premièrement, le régime a peut-être un effet dissuasif. Le petit nombre de poursuites nous induit peut-être en erreur. Dans la réalité, s'il devient très difficile pour les criminels de blanchir les produits de la criminalité, ils seront peut-être tentés d'aller ailleurs. Si nous y parvenons, c'est excellent. Ce serait bien de pouvoir les expédier au sud. Il n'y a pas d'Américains ici, alors je peux le dire sans insulter personne. Je disais autrefois, quand j'étais là-bas, qu'il fallait les envoyer au nord, que ce serait très bien. Je crois que l'existence d'un solide régime est en soi dissuasive. Toutefois, je vous assure, sénateur, que je suis assez vieux et que j'ai assez d'expérience pour reconnaître le bien-fondé de la présomption d'innocence, et c'est ce qui sous-tend les activités de mon groupe.
Peu importe le nombre de signalements que nous recevons au sujet d'un client, nous ne le supposons jamais coupable. Nous le supposons innocent jusqu'à preuve du contraire. J'applique — et vous devriez sans doute venir pour poser des questions à mes employés — une norme très stricte. Je dis sans hésitation que je suis moi-même prêt à l'appliquer dans ma vie et que je veux bien être jugé en fonction de cette norme. Chacun effectue à l'occasion des opérations qui peuvent sembler étranges. Je pense que le fait d'ériger un système pour repérer et déclarer ces opérations au CANAFE encombre simplement le système. Je ne pense pas que cela soit utile. Nous devons soumettre certains rapports, c'est une exigence. J'ai toujours cru qu'il était un peu inhabituel de devoir produire une DOIE lorsque quelqu'un effectue une opération de 12 000 $ en espèces. Cela signifie que vous devez demander à ce client certains renseignements, comme nous l'avons expliqué. De nombreux clients détestent cela. Ils ont l'impression que nous violons leurs droits, ils nous demandent « Quelle est la limite — 10 000 $? Très bien, rendez-moi 2 500 $. Cela fait 9 500 $, et vous n'avez pas à le signaler. » Toutefois, la loi nous oblige à déclarer cette interaction comme une tentative d'opération douteuse, ce que nous ne pouvons pas dire au client. Je ne suis pas convaincu qu'il y a vraiment une utilité à cela.
Je disais déjà surtout aux États-Unis, parce que les formulaires vont au Internal Revenue Service, l'IRS. Qui, aux États-Unis, remplirait volontairement un formulaire destiné à l'IRS?
Le sénateur Tkachuk : Précisément.
M. Harvey : Les vrais criminels sont peut-être ceux qui disent « D'accord, allez-y, déclarez cette opération. »
M. Randle : Si vous me le permettez, sénateur, j'aimerais signaler une proposition précise à ce sujet dans le dernier document de travail. On peut y lire que le CANAFE aura un « outil supplémentaire ». Aucun détail n'est présenté, mais cet outil permettra à l'organisme de recevoir les rapports exigés en vertu de la loi. Nous ignorons ce que cela signifie. Une de nos préoccupations serait que le CANAFE puisse s'adresser à une entité déclarante qui n'a pas présenté de rapport d'opération douteuse pour lui dire qu'elle aurait dû le faire, même si l'entité déclarante s'est conformée aux exigences de la loi, qu'elle a pris des mesures raisonnables, qu'elle a déterminé qu'il n'y avait motif à soupçonner quoi que ce soit, et qu'elle a décidé de ne pas présenter de DOD. Nous nous trompons peut-être, mais c'est un exemple de proposition tiré du document de travail publié en décembre et que nous comprenons mal — parce qu'il n'y a pas beaucoup de détails. Nous craignons — et je suis certain que nous en parlerons avec le ministère des Finances — que cela ne mine la protection de la vie privée et les droits individuels des Canadiens sans vraiment répondre aux buts du régime.
J'utilise cet exemple, mais il y en a d'autres.
Le sénateur Tkachuk : Je crois que nous voulons que les banques soient des citoyens honnêtes. Selon moi, les banques ne doivent pas participer aux activités d'application de la loi. Ce ne sont pas des organismes policiers.
Le président : Merci, sénateur Tkachuk.
[Français]
Mme Bolduc : Du point de vue du Mouvement Desjardins, la réponse à cela est vraiment les déclarations d'opérations douteuses. On a beau abaisser les seuils de déclaration, cela ne fait pas en sorte que CANAFE obtient l'information financière stratégique. Si on regarde ce qu'ils ont fait, en 2011, en parlant de CANAFE, c'est 777 déclarations à leurs partenaires; 80 p. 100 de ces déclarations ont été initiées de renseignements volontairement divulgués par les corps policiers.
À un moment donné, on se demande quel genre d'information va être de la valeur ajoutée pour le CANAFE pour initier ces enquêtes. Quand 80 p. 100 des alertes sont levées par les corps policiers, pourquoi demander un fardeau plus lourd aux institutions financières? Est-ce que c'est vraiment important pour le CANAFE de savoir qu'un étudiant marocain se fait envoyer 100 $ par mois ou par semaine pour faire son épicerie. Ce n'est pas de l'information pertinente.
La loi a demandé aux institutions financières de faire l'acquisition d'outils de surveillance justement pour filtrer ce genre d'information que le CANAFE ne veut pas savoir au final. La réponse, je crois que c'est vraiment d'y aller avec l'approche basée sur les risques. Les institutions financières sont responsables et gèrent aussi ces risques. C'est notre devoir de transmettre au CANAFE de l'information pertinente et d'avoir une approche basée sur les risques efficaces.
[Traduction]
M. Pigeon : Revenons au rapport publié en 2004 par la vérificatrice générale. Elle soulevait le même point que ce que Mme Bolduc vient de dire au sujet des déclarations des agents d'application de la loi et de leur validité, compte tenu du seuil de 10 000 $. C'est un excellent rapport et il devrait vous intéresser.
Le sénateur Ringuette : J'espère que nous entendrons aussi la Commission de réduction de la paperasse et l'Association des télécommunications sans fil, car je crois qu'ils peuvent nous aider dans notre analyse et notre examen de cette loi.
Ma deuxième question fait suite à celle du sénateur Oliver et à votre réponse. Quand vous relevez une opération suspecte et que vous allez interviewer ce client pour en savoir plus, est-ce que ce n'est pas contre-productif? Vous essayez de savoir si une personne fait quelque chose qui devrait attirer l'attention de la GRC. Est-ce que cela n'équivaut pas à alerter le client, si vous le rencontrez et que vous lui posez des questions sur ses opérations?
M. Harvey : C'est un risque, et je l'accepte. C'est pourquoi nous préparons ces conversations avec grand soin. Je vous donne un exemple de ce qui pourrait se passer : nous repérons une série de télévirements vers les îles Caïmans. Si nous regardons les données historiques, nous constatons que ce client n'a jamais fait de virement, mais tout à coup nous en relevons plusieurs pendant une brève période, et il s'agit de sommes importantes. Nous demandons au client : « Vous allez déménager aux îles Caïmans ou vous avez acheté un appartement là-bas? » Nous pouvons engager une conversation. Si nous lui demandions immédiatement : est-ce que vous blanchissez de l'argent aux îles Caïman, nous n'obtiendrions sans doute pas la bonne réponse.
Si vous menez bien la conversation, vous pouvez obtenir l'information. Dans certains cas, nous nous intéressons plus à la réaction du client devant la question qu'à la réponse qu'il nous donne.
Le sénateur Ringuette : Oui, mais la loi sur les opérations douteuses a pour but d'envoyer de l'information au CANAFE pour que le CANAFE la transmette aux autorités policières aux fins d'enquête.
M. Harvey : Quand nous sommes raisonnablement convaincus qu'il y a une activité suspecte, vous avez absolument raison. Bien sûr, si nous rencontrons un client c'est parce que nous considérons que l'activité est inhabituelle, mais elle n'est pas encore suspecte.
Le sénateur Ringuette : Je comprends. J'accepte, monsieur Pigeon, les trois recommandations que vous avez formulées. J'imagine que ma question concerne l'efficacité et que je me demande si le régime fournit vraiment les outils nécessaires pour que la loi atteigne son but. Je dois reconnaître que j'ai des doutes. Depuis 10 ans et après avoir dépensé plus d'un milliard de dollars en fonds publics, sans parler des investissements privés, nous avons réussi à faire condamner une seule personne qui a purgé six mois en Colombie-Britannique. J'ai des doutes.
Je constate que les recommandations visent à accroître la quantité d'information, mais pas nécessairement à en améliorer la qualité, pour accroître l'efficacité. Je pense aux services bancaires par Internet. Est-ce que chacun de vous a un serveur privé? Est-ce que le mécanisme de déclaration qu'il faudra instaurer englobera les services bancaires électroniques, et je ne parle même pas des télévirements — l'ensemble des services bancaires électroniques, les serveurs que vous avez et la capacité d'analyser et de repérer les données suspectes et les opérations douteuses dans le système?
Parlez-nous de vos serveurs. Quels systèmes avez-vous pour vous conformer aux nouvelles exigences du CANAFE en matière de données?
[Français]
Mme Bolduc : Vous soulevez un excellent point, les transactions via les services Internet, c'est le futur et c'est l'actuel. On voit les gens utiliser Internet de plus en plus, même avec les téléphones mobiles maintenant. C'est un produit et un mode de distribution qui est utilisé très fréquemment.
Du côté du Mouvement Desjardins, on peut créer des rapports d'exception pour détecter du blanchiment d'argent avec des transactions Internet. Mais le défi opérationnel, c'est là qu'il demeure. Pour le Mouvement Desjardins, on parle de 100 millions de transactions par mois. Est-ce que vous avez idée de ce que cela représente? Si on applique un rapport d'exception avec une règle très bête, le nombre de faux positifs que cela génère? Si c'est seulement un p. 100 de faux positifs, sur 100 millions de transactions, cela peut tuer une institution financière. La loi, avec la venue d'Internet, a obligé les institutions financières, CIBC, Scotia Bank, Mouvement Desjardins à acheter des outils de surveillance ou à bâtir des programmes pour surveiller cela parce qu'humainement, les scénarios de blanchiment d'argent sont trop complexes pour créer seulement un rapport. Je comprends le défi de mon collègue à ce niveau.
Àla question que vous avez posée, à savoir si les outils sont suffisants : est-ce que le CANAFE ou le gouvernement donne les outils requis aux institutions financières pour s'acquitter de leur tâche? Il y a encore du travail à faire de ce côté. Lorsqu'on vérifie les listes de terroristes étrangers politiquement vulnérables, les listes de criminels connus sur le marché, cela représente des coûts faramineux. Ce sont des listes fournies à l'externe, il faut les mettre à jour. C'est des coûts pour les institutions financières, c'est un outil, c'est même des procédures qu'on doit mettre en place.
En termes d'outils, il manque certainement certains éléments pour aider les institutions financières à mieux gérer leurs risques, un peu de guidance aussi au niveau de l'approche basée dire sur les risques. Vous proposez dans la loi certaines guidances pour les cartes de crédit prépayées. C'est facile de dire : on applique tout à tous les produits et à tous les modes de distribution; mais pourquoi ne pas spécifier nos attentes par rapport aux situations vraiment à risque?
[Traduction]
M. Harvey : Cela montre bien qu'il faut une approche fondée sur le risque, pour que les institutions financières individuelles puissent calculer le risque associé à leurs propres produits et services et à leurs modes de prestation de services et investir leurs ressources là où le risque est le plus sérieux. Je souligne qu'une approche fondée sur le risque en matière de blanchiment d'argent ou de financement d'activités terroristes ne devrait pas être interprétée comme une occasion de réduire les coûts. Ce n'est pas le but, nous voulons plutôt obtenir de meilleurs résultats sans devoir examiner tous les comptes, et les comptes utilisant Internet sont un bon exemple. Ce n'est pas parce que vous choisissez d'utiliser Internet comme moyen de communication plutôt que de vous rendre à une succursale que cela modifie vraiment votre profil de client ou de compte. En soi, non, mais en contexte, cela peut modifier le profil.
C'est un autre élément d'information. Franchement, plutôt que de s'abrutir à examiner des dizaines de millions de comptes quotidiennement, il vaudrait mieux selon moi pouvoir affecter les ressources à l'examen des comptes qui présentent le plus de risque. Au cas où vous ne m'auriez pas encore bien compris, je ne suis vraiment pas en faveur d'une réduction du seuil de déclaration pour les télévirements, parce que cela encombrera le système avec des données inutiles. Cela ne produira aucun résultat.
Le sénateur Ringuette : Même avec le seuil de 10 000 $ que nous avons actuellement?
M. Harvey : Selon moi, oui, et le moment est peut-être venu. Je l'ai déjà dit au CANAFE, alors je ne propose rien de neuf, mais il est bon de contester le statu quo. Est-ce que 10 000 $ constitue une limite raisonnable? Eh bien, par le passé, si vous regardez comment nous avons choisi ce montant, non, ce n'est pas raisonnable aujourd'hui, et cela encombre le système.
Toutefois, nous ne faisons pas de distinction. Nous examinons l'activité du client qui utilise Internet comme celle de tout autre client, comme toute autre opération et tout autre compte. Je ne crois pas qu'il pose le même risque, et c'est là la véritable préoccupation.
Le sénateur Moore : Monsieur Pigeon, vous avez effectué une analyse qui m'a semblé fort utile au sujet des 15 jours par année qu'il faut à une succursale de coopérative de crédit pour traiter les documents exigés pour la lutte contre le blanchiment d'argent.
Monsieur Randle, est-ce que vos banques ont réalisé une analyse semblable concernant le temps consacré aux formalités administratives, comme ce qu'ont fait les coopératives de crédit? Il y a autant de travail, j'en suis certain.
M. Harvey : Je crois que la réponse la plus simple est non, et je peux sans doute l'expliquer. Je parle pour la CIBC. Je ne peux pas parler pour les autres membres.
Dans la mesure du possible, nous avons automatisé toutes les fonctions de première ligne. Par exemple, nous avons parlé des télévirements — dans notre contexte, ce qu'il faut pour effectuer un télévirement. Un écran en ligne est présenté au préposé au service à la clientèle. Dans notre cas, une grande partie de l'information sur le client est déjà affichée. Si vous passez la carte dans le lecteur, l'information du client s'affiche de sorte que nous n'avons pas besoin de poser des questions répétitives. Nous devons poser les questions relatives à un télévirement, au sujet de sa destination.
Nous avons minimisé les effets possibles. De même, pour les opérations en espèces, nous avons automatisé les systèmes qui affichent l'information de première ligne qui sera ensuite transmise au bureau.
M. Randle : Vous savez, si une grande institution essayait de faire ce qui est décrit dans le mémoire des coopératives de crédit il n'y aurait pas assez d'heures dans la journée, ou dans l'année, ou dans le monde, compte tenu du nombre d'opérations possibles. Il faut automatiser cette tâche.
Cela m'amène à mon deuxième point...
Le sénateur Moore : Je reconnais qu'il faut l'automatiser, mais c'est parce que cela prendrait du temps.
M. Randle : C'est exact.
Le sénateur Moore : Vous devez avoir examiné la question et vous être dit qu'il faudrait de 80 à 100 heures et qu'il valait mieux automatiser cette tâche.
M. Randle : Nous avons toujours su qu'il fallait l'automatiser. Dès le début, compte tenu du nombre de procédures et d'opérations, et l'automatisation assure plus d'uniformité, parce que le système utilise une formule.
Le deuxième point que je veux soulever et je ne sais pas comment votre témoin de — je crois que vous avez dit KPMG — peut dire que cela est facile. J'ignore sur quoi elle se fondait pour affirmer cela. Il ne suffit pas de presser un bouton pour passer de 10 000 à 0 $. Si on modifie le virement électronique, le temps nécessaire pour modifier les systèmes, effectuer les changements opérationnels, former le personnel et procéder à la mise en œuvre... Je ne sais pas combien de temps il nous faudrait ni combien cela nous coûterait. Ce ne serait pas simple.
Il y a deux aspects à considérer. Il faut nécessairement que cette fonction soit automatisée dans une grande institution, et je crois que nombre de petites institutions ont constaté qu'elles devaient calculer les coûts de cette activité. Deuxièmement, par leur nature même, les changements qui pourraient sembler mineurs créeront d'énormes dépenses et un fardeau réglementaire supplémentaire. Cela nous mène donc à la troisième partie, la valeur.
Si vous nous dites que vous voulez simplement plus de rapports, vous devez équilibrer tout cela.
Le sénateur Moore : Le même témoin a également dit — je crois que c'était au sujet de l'un de ses clients — qu'il en coûtait 100 millions de dollars pour mettre en œuvre le régime de lutte contre le blanchiment d'argent. Je me suis dit qu'il devait s'agit d'une grande banque.
M. Randle : Je ne peux pas me prononcer là-dessus.
M. Harvey : Je préfère moi aussi m'abstenir.
Le sénateur Moore : Je pense à ce que vous venez de dire concernant l'équilibre, les dépenses d'une part et, d'autre part, ce que mon collègue le sénateur Tkachuk a dit au sujet du CANAFE, qui met son nez dans les renseignements personnels. Il n'a pas besoin de connaître tous les détails des opérations effectuées par chaque citoyen canadien.
Je pense à l'équilibre, puis je pense à ce que vous avez dit, monsieur Randle, et je l'ai remarqué il y a quelques jours, le CANAFE veut plus d'outils. Est-ce que l'on a discuté de ces outils avec votre organisation ou avec l'organisation des coopératives de crédit? C'est plutôt vague comme terme selon moi, compte tenu des conséquences sur les coûts, selon la forme que prendront ces outils. Il faudrait en discuter avant de les inclure dans notre rapport ou d'adresser des recommandations au ministère des Finances ou ailleurs.
En avez-vous discuté? Est-ce que l'on vous a demandé d'en discuter avec vos dirigeants, pour savoir ce que cela pourrait signifier pour Desjardins?
M. Harvey : Nous avons seulement répondu au document de consultation. Nous avions lancé une invitation, nous étions prêts à participer à des rencontres pour discuter en détail de chacun des éléments du document de travail, entre autres pour mieux comprendre ce qui était proposé. À certains égards, le document manque de détail et de clarté. Par exemple, est-ce qu'il est simple de passer de 10 000 à 1 000 $? En théorie, cela est simple. C'est également simple de transformer un navire de guerre en baignoire. Il faut du temps. Au bout du compte, vous devez tenir ce dialogue, et nous en serions heureux.
Le sénateur Moore : L'avez-vous demandé?
M. Harvey : Oui.
Le sénateur Moore : Est-ce que vous l'avez tous demandé?
M. Pigeon : Je crois que Mme Olivier veut dire quelque chose concernant l'exercice de calcul que nous avons mené pour cette coopérative de crédit.
Mme Olivier : Ce que je veux dire, d'après mon expérience de la base, c'est que même si votre système bancaire affichait toute l'information dans une fenêtre, il faudrait exercer une diligence raisonnable pour toutes les déclarations d'opérations supérieures à 10 000 $, et le préposé au service à la clientèle, le caissier, serait tenu de vérifier si toute l'information est encore exacte. Est-ce que cette information est à jour? Est-ce qu'elle comprend la profession, le type de pièces d'identité, l'adresse? Nous ne pouvons pas supposer que cette information est exacte. Il faut la vérifier et poser les questions.
Il ne s'agit pas seulement d'afficher l'information à l'écran, si l'on ajoute les petites transactions de 1 000 à 10 000 $ pour tous, cela prendra plus de temps pour le service à la clientèle, les caissiers, le préposé aux services aux membres, qui traitent directement avec les clients. Il faut confirmer que l'information est exacte.
M. Pigeon : Il est important de bien le souligner. Nous convenons tous qu'une approche fondée sur le risque est importante, et cela devrait être notre objectif.
Toutefois, pour en revenir à la question de l'efficacité, il faudrait que le ministère des Finances et le gouvernement prennent conscience du fait que, comme nous le dit la science de l'économie comportementale — une science que je pratique religieusement —, les gens ne gèrent pas très bien les très grands volumes d'information. Même avec le meilleur des systèmes, cela représente un véritable défi. Plus vous mettez d'information, et plus vous réduisez l'efficacité. Cela me semble très inquiétant.
Mme Bolduc : Tout cela a un coût. Il est coûteux, pour nous, de tenir ces données à jour. Je ne peux pas m'imaginer ce qu'il en coûte chaque année au CANAFE de tenir toute cette information que lui communiquent les banques et les coopératives de crédit.
Le sénateur Moore : Pendant combien de temps gardez-vous l'information que vous fournissez? Est-ce qu'il faut la garder sept ans, un an?
M. Harvey : Cela fait partie des exigences de conservation normales des dossiers, qui sont effectivement de sept ans.
Le président : Le sénateur Ringuette a une question supplémentaire qui fait suite à la question du sénateur Moore.
Le sénateur Ringuette : Je viens d'y songer, et vous n'avez sans doute pas la réponse sous la main, mais je crois qu'il serait très important pour le comité que chacune de vos organisations nous dise combien d'opérations douteuses elle a déclarées aux diverses entités policières avant l'adoption de la loi. Je soupçonne que vous tous, même avant d'y être obligés par le régime de déclaration, vous aviez des antennes et vous vous en serviez. Il nous serait utile de savoir combien d'entre vous ont présenté des déclarations pendant X années avant l'adoption de la loi, pour que nous puissions procéder à un suivi auprès de la GRC afin de connaître les résultats obtenus grâce à ces déclarations. Nous pourrions alors comparer en quelque sorte la situation avant et après l'adoption de la loi. Je crois que cela nous aiderait à évaluer l'efficacité du régime. Est-ce que cela est possible?
M. Harvey : Je comprends très bien ce que vous dites et je crois que cela serait utile. Il sera peut-être un peu difficile de récupérer cette information qui remonte à 10 ou 11 ans. Ce sera sans doute approximatif et non pas absolument factuel, mais je crois qu'avec un peu de créativité, nous pourrions vous trouver cela. Je pense à un rapport que je soumets annuellement au conseil, et je le commente chaque année. Si je remonte 10 ans en arrière pour examiner ce que j'ai dit, je serais capable d'extraire les chiffres, mais c'est beaucoup de travail.
Le sénateur Ringuette : S'il vous plaît, faites-le si c'est possible, cela nous donnerait d'autres indications.
M. Pigeon : Cela s'avérerait sans doute particulièrement difficile pour la Centrale des caisses de crédit, parce que nous ne donnons pas d'instructions à nos membres associés et que nous devrions demander à quelqu'un de nous communiquer cette information. Nous pourrions le demander et espérer que quelqu'un sera disposé à le faire.
Le sénateur Ringuette : Monsieur le président, je crois que nous devons revoir la GRC. Si nous l'invitons à nouveau à comparaître pour nous communiquer plus de renseignements, il faudrait demander aux responsables de fouiller dans leurs dossiers pour en extraire de l'information sur la situation avant l'adoption du régime de déclaration des entités financières.
Le président : Merci d'avoir soulevé ce point.
Le sénateur Moore : Je pense encore à ces outils supplémentaires. Nous y réfléchissions hier. J'aime bien l'idée du sénateur Smith, qui veut créer un comité — je ne me souviens plus de vos paroles exactes, sénateur... un comité d'intervenants qui pourrait discuter avec CANAFE de la faisabilité, du coût, et cetera, de la mise en œuvre de ces outils. Vous voudriez peut-être en parler. Avez-vous des idées à ce sujet? Est-ce que cela vous semble valable?
Le sénateur L. Smith : Je reprenais une idée présentée par un de nos témoins. Vous avez la capacité automatisée, vous avez le jugement. Qui porte ce jugement? Est-ce le caissier? L'information monte ensuite dans la hiérarchie. Au bout du compte, comment pouvez-vous être certains que tous les intervenants ont les outils nécessaires? Ils ont des outils automatisés, mais qu'en est-il des outils humains, des outils de jugement? Il semble y avoir une question et une possibilité là-dessous.
M. Harvey : Les choses ont un peu changé, mais nous voulons encourager le personnel de première ligne à signaler ce qui lui semble anormal. Il incombe aux destinataires de cette information de veiller à ce que la formation des préposés chargés de l'évaluation soit assez solide. Nous mettons en commun nos pratiques exemplaires, nos réflexions et nos commentaires, mais au bout du compte, en tant que responsable de la lutte contre le blanchiment d'argent à la CIBC, je dois rendre compte du rendement de mon personnel. Je suis responsable des rapports que nous présentons. S'il y a un responsable, c'est moi. Je l'accepte; je n'y trouve rien à redire. J'ai confiance dans les membres de mon personnel qui sont autorisés à transmettre les rapports.
Parce que c'est une question de jugement, les préposés ont besoin d'une certaine latitude. Je ne crois pas que vous puissiez appliquer une approche uniforme, parce que dans ce cas aucun rapport vraiment intéressant ne serait adressé aux responsables de l'application de la loi.
Il se peut, madame le sénateur, comme vous l'avez dit tout à l'heure, que vous rencontriez à nouveau la GRC. Elle est peut-être mieux en mesure que moi de vous aider, car c'est elle la destinataire finale de l'information que nous communiquons. Si elle est satisfaite de ce qu'elle reçoit, j'en déduirai que le système, du moins le volet des déclarations d'opérations douteuses, donne de bons résultats. Si elle ne l'est pas, je préférerais qu'elle me le dise à moi plutôt qu'à vous.
Le sénateur Massicotte : Merci d'être venus. Ma première question s'adresse à MM. Harvey et Randle. Nous avons parlé d'analyse fondée sur le risque. Nous savons tous que ce sont là de belles paroles intelligentes, et cetera, mais avez- vous quelque chose de concret à recommander au ministère des Finances ou au CANAFE? Si oui, est-ce que cela a été testé ailleurs dans le monde? Nous sommes tous des pays dotés de régimes de déclaration; la majorité des pays modernes doivent satisfaire à cette exigence. Est-ce qu'il existe un modèle précis qui donne de bons résultats, ou s'agit-il simplement de belles paroles qui exigent énormément de travail?
M. Harvey : Si vous regardez le cadre législatif, il y est question d'approches fondées sur le risque, mais ensuite on prescrit certains clients et certaines activités à risque. Plus vous prescrivez, moins vous vous appuyez sur une approche fondée sur le risque.
Le sénateur Massicotte : Avez-vous des recommandations précises, et est-ce que quelqu'un fait cela ailleurs dans le monde?
M. Harvey : Je crois que le Royaume-Uni est un bon exemple de régime vraiment axé sur une approche fondée sur le risque.
Le sénateur Massicotte : Il n'est pas nécessaire de déclarer toutes les opérations de plus de 10 000 $ en espèces?
M. Harvey : Il y a une exigence de déclaration. L'élément déclaration des opérations en espèces n'est pas fondé sur le risque, il est factuel. L'approche fondée sur le risque s'applique à l'exigence de surveiller tous les comptes des clients, chaque jour, pour voir si, plutôt que deux dépôts par mois, ce mois-ci pour une raison quelconque, mon employeur s'est senti généreux et m'en a accordé trois. Je dois alors effectuer des vérifications et découvrir pourquoi j'en ai un troisième. À mon avis, cela constitue une information inutile.
Le sénateur Massicotte : Pour être utile, il faut toujours être précis. Vous n'avez pas d'objection à remplir un rapport pour les sommes de plus de 10 000 $ en espèces. Cela ne vous ennuie pas. Vous en avez contre l'analyse à effectuer par la suite.
M. Harvey : Oui. C'est cette obligation d'examiner tous les comptes, pour que je puisse demander : « Ce mois-ci, vous avez trois déclarations d'opération de 10 000 $ en espèces. Le mois dernier, vous en aviez quatre, et le mois d'avant vous en aviez deux. Qu'est-ce qui a changé? »
Le sénateur Massicotte : La loi parle d'activités suspectes. Vous avez du jeu.
M. Harvey : Il y a d'autres documents. S'il n'y avait que la loi, nous n'aurions pas de problème. La difficulté, c'est qu'on y ajoute toutes sortes d'éléments. Une approche fondée sur le risque devrait me permettre, en tant que responsable de la lutte contre le blanchiment d'argent, d'évaluer ce que je considère être le risque d'un client type et d'un ensemble de produits. Je n'ai pas besoin qu'on me dise que les banques privées, parce que c'est une banque privée, constituent un plus grand risque. Selon moi, c'est absurde. Je le dis depuis des années, ce n'est pas un secret.
Je ne crois pas que les responsables de la réglementation ou quelqu'un venant de l'extérieur du secteur bancaire aient à me dire, dans un régime véritablement fondé sur le risque, ce qui constitue un risque supérieur. Je connais mon processus et mes clients.
Le sénateur Massicotte : Est-ce que vous nous dites que la loi devrait simplement préciser qu'il incombe aux institutions financières de déclarer les opérations douteuses, sans donner aucune ligne directrice, et que vous savez que sur le plan de votre réputation, si vous faites une erreur, c'est vraiment grave?
M. Harvey : Je n'aurais aucune difficulté à accepter cela.
Le sénateur Massicotte : S'il se passe quelque chose et qu'un incident est rendu public, vous en accepteriez les conséquences? Le Mouvement Desjardins aussi?
[Français]
Mme Bolduc : C'est la même chose. Le fait de déclarer des transactions avec un certain seuil, on le fait. À la base, si on n'était pas obligé de le faire, la force du régime, c'est la formation des gens, ce sont les yeux des gens. C'est notre système de surveillance mais calibré comme un humain l'entend, avec les risques qu'il connaît de ses produits, de ses modes de distribution.
Je suis tout à fait d'accord avec le point de vue de mon collègue à ce suejt. On est capable comme institution financière d'adresser les particularités liées à nos produits et services. On enlèverait l'obligation de déclarer 10 000 $ et plus, oui cela mettrait un certain poids, peut-être qu'on déciderait de le faire quand même, de se garder des rapports automatiques pour nous donner certaines choses à regarder. Mais le fait de le rendre obligatoire, c'est accessoire avec l'approche basée.
Le sénateur Massicotte : Mais votre collègue recommande de maintenir le 10 000 $.
Mme Bolduc : Oui, tout à fait.
Le sénateur Massicotte : Vous êtes en accord. C'est mécanique, c'est moins lourd.
Mme Bolduc : La difficulté avec le 10 000 $ réside beaucoup dans la règle du 24 heures. C'est un peu plus embêtant pour les institutions financières. La règle du 24 heures, je l'enlèverais pour la complexité. Le Mouvement Desjardins est d'une grande complexité à comparer à l'approche basée sur les risques.
On serait capable d'avoir des mesures d'atténuation si ce côté de la loi s'allégeait. Par contre, la difficulté du 10 000 $, c'est au niveau des télé-virements internationaux parce qu'on doit avoir de l'information obligatoire et cette offre de services spécifiques pour le Mouvement Desjardins fait en sorte que des gens qui font des suivis manuellement, pour avoir de l'information, c'est le processus manuel.
Le sénateur Massicotte : Et cela coûte des sous.
Mme Bolduc : Et cela coûte cher, voilà.
[Traduction]
Le sénateur Massicotte : Nous avons le CANAFE, et vous tous, vous travaillez très fort pour déclarer toutes les opérations douteuses de plus de 10 000 $. Je crois que le niveau de l'activité criminelle au Canada n'a pas beaucoup baissé. Nous n'avons pas de chiffres officiels sur le trafic des stupéfiants, mais d'après ce que nous pouvons voir, les affaires semblent aussi bonnes qu'auparavant, ce qui signifie que c'est encore très élevé. Nous avons eu un succès mitigé avec les accusations qui ont été portées à la suite de toutes ces déclarations et de tout ce travail. Le gouvernement dépense 60 millions de dollars, sans compter les autres coûts correspondant à tout le travail réalisé, mais les résultats sont négligeables. Je crois qu'il y a encore autant d'activité criminelle, et selon certains cette activité pourrait atteindre de 20 à 40 millions de dollars au Canada. Que font les criminels? Ils ont perfectionné leurs méthodes, ils ne déposent pas d'espèces pour éviter de se faire prendre, mais ils ont trouvé des solutions et ils échappent à nos filets, parce qu'ils brassent encore d'énormes sommes d'argent. Qu'est-ce que nous devons modifier pour arriver à les prendre, pour qu'ils ne puissent plus s'en tirer?
L'Association des banquiers canadiens ou le Mouvement Desjardins peut peut-être répondre à cette question?
M. Harvey : Je l'ai déjà dit, nous devons reconnaître qu'à l'exception de certains types, la majorité des criminels veut faire de l'argent. Le mieux que nous puissions faire, c'est d'essayer de suivre le rythme. Je dis essayer, parce que peu importe ce que nous faisons pour les empêcher d'entrer dans le système, ils trouvent toujours une porte. Ils ont le temps et les ressources, ils ont l'argent pour le faire.
Je ne veux pas sembler pessimiste. Je suis dans ce domaine depuis longtemps; je crois que cette approche est réaliste. Nous n'aurons jamais une longueur d'avance sur les criminels. Ils nous voient, ils nous évitent. La réalité, c'est que notre travail consiste à leur rendre les choses aussi difficiles et coûteuses que possible. Selon quelques estimations que j'ai lues, il y a 30 ans il en coûtait peut-être 10 cents pour blanchir un dollar. Aujourd'hui, il en coûte 40 cents. Cela signifie que nous réduisons leur marge de profit en les forçant à consacrer plus d'argent au blanchiment. Je soupçonne que lorsqu'ils atteindront un dollar pour un dollar, ils vont simplement doubler les prix et recommencer à zéro.
Lorsque vous vendez un produit que les gens veulent, par exemple, des narcotiques, le prix n'a aucune importance.
Le sénateur Massicotte : Nous sommes d'accord. Vous avez adopté des mesures considérables, qui portent fruit en ce sens que les criminels ne procèdent plus ainsi, mais où va cet argent? Quelle serait la prochaine mesure à prendre?
M. Harvey : Vous pouvez examiner un certain nombre d'aspects, et entre autres les possibilités. Vous pouvez par exemple acheter une grande épicerie et prélever chaque jour un petit montant dans la caisse.
Le sénateur Massicotte : Parlons de détails. Cet exemple suppose que le propriétaire exploite lui-même le magasin, et c'est difficile. Lorsqu'un magasin atteint une certaine taille, des problèmes se posent.
M. Harvey : De nombreuses entreprises réalisent des opérations en espèces. Fait intéressant, le Canada est une société qui utilise encore passablement l'argent comptant, même si nous sortons nos cartes de débit plus souvent que toute autre société au monde, ce qui est un peu contradictoire. Peut-être que nous dépensons plus que les autres. Nous sommes très axés sur le comptant, et je ne pense pas que cela va changer.
À mesure que l'économie croît et que le nombre d'entreprises augmente, le risque qu'une personne mal intentionnée ouvre une entreprise augmente lui aussi.
Le sénateur Massicotte : Vous nous dites qu'aujourd'hui, on croit que le blanchiment d'argent comptant se fait par l'entremise d'entreprises qui effectuent de nombreuses opérations en espèces, qu'elles peuvent gonfler leurs revenus, payer de l'impôt et essentiellement sortir cet argent.
M. Harvey : Elles n'ont aucune objection à payer l'impôt sur le revenu, parce que cela rend leur argent légitime. Je crois que cela correspond à au moins une partie de l'activité, mais pas à l'ensemble. Nous savons également que dans le monde, aujourd'hui, que nous le voulions ou non, il y a des entreprises qui vendent des automobiles de prestige au comptant. Vous pouvez acheter une Maserati en mettant 150 000 $ en espèces sur la table, puis la vendre pour 140 000 $ en toute légitimité. Vous venez de blanchir les produits de la criminalité.
Le sénateur Massicotte : Où le vendeur dépose-t-il cet argent?
M. Harvey : Il le dépose dans son compte, mais il ne vend sans doute pas un grand nombre de ces voitures chaque jour. Il pourrait étaler ce dépôt sur une certaine période.
Le sénateur Massicotte : C'est un jeu.
M. Harvey : J'imagine que je simplifie trop, mais voici le principe de base : vous êtes avec nous ou contre nous. Ils sont contre nous. Je ne prétends pas être un émule de George Bush, mais je suis plutôt d'accord avec lui là-dessus. Vous êtes avec nous ou contre nous. Les gens ne reconnaissent ni le coût ni le danger pour la société.
Le sénateur Massicotte : La menace à l'intégrité du système est phénoménale. Est-ce que nous en faisons assez? Vous avez mentionné deux ou trois types d'entreprises qui fonctionnent au comptant et qui peuvent déposer des espèces, mais n'oubliez pas que ces espèces sont déposées dans vos institutions.
M. Harvey : Donnez-nous de meilleurs outils pour partager l'information et laissez-nous nous concentrer sur les activités à haut risque. J'ai bonne confiance que les résultats suivront. Ne vous faites toutefois pas d'illusion, nous n'aurons jamais d'avance sur eux.
[Français]
Mme Bolduc : Pour compléter ce que monsieur vient de dire, la proposition qu'il faisait, à savoir que les banques puissent s'échanger de l'information ou aussi le secteur coopératif, quand on ferme les comptes, qu'on rend la vie complexe, qu'on oblige la fermeture des comptes et à se réorganiser constamment, on leur nuit. C'est un des facteurs. L'autre facteur, à propos des entreprises qui collectent beaucoup de fonds monétaires, c'est la problématique des guichets blancs. Je ne veux pas ouvrir une boîte de Pandore, mais vous devriez regarder cela de près. On a des commerces qui opèrent des guichets blancs et qui les alimentent. C'est un outil formidable de blanchiment d'argent.
Même l'AMF au Québec a proposé un projet de loi pour mieux contrôler ce secteur. C'est quelque chose à regarder, de même que les transporteurs de numéraires qui vont collecter les recettes de certains commerces. Ce sont des intermédiaires financiers qui font en sorte qu'on n'a pas toute l'information qu'on voudrait avoir.
[Traduction]
Le président : Je remercie les membres du comité de leurs excellentes questions, et nos témoins de leurs excellentes réponses. Au nom du comité, je vous remercie tous infiniment d'être venus aujourd'hui.
(La séance est levée.)