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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 17 - Témoignages du 2 mai 2012


OTTAWA, le mercredi 2 mai 2012

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui à 16 h 15 pour l'examen sur la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes (L.C. 2000, ch. 17), conformément à l'article 72 de cette loi.

Le sénateur Irving Gerstein (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : La séance est ouverte. Bienvenue à la réunion du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce. Aujourd'hui, nous poursuivons l'examen quinquennal de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. Il s'agit de la seizième réunion à ce sujet. Au cours de notre examen, nous avons entendu plusieurs témoins dits partenaires du régime qui participent à la mise en œuvre et à l'application de la loi. Ces dernières semaines, nous avons entendu des témoins qui connaissent bien le régime et qui en subissent les répercussions, y compris des groupes et des associations de l'industrie, des spécialistes indépendants du domaine et nos partenaires internationaux.

Aujourd'hui, nous sommes heureux d'accueillir Mme Pénéla Guy, directrice, Affaires gouvernementales et réglementaires pour Imperial Tobacco Canada. Chers collègues, nous disposons d'une heure.

Madame Guy, vous avez la parole.

[Français]

Pénéla Guy, directrice, Affaires gouvernementales et réglementaires, Imperial Tobacco Canada : Merci, monsieur le président, de nous donner l'occasion de nous présenter devant vous alors que vous procédez à l'examen quinquennal de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes.

Nous avons suivi votre étude avec intérêt et sommes ravis que le commerce illicite de cigarettes fasse désormais partie de la discussion.

Il y a littéralement des centaines de millions de dollars en jeu et les liens qu'entretient ce commerce avec le crime organisé et le blanchiment d'argent et même le financement d'activités terroristes ont été reconnus publiquement.

Je comprends que la plupart d'entre vous ne fument pas et ne sont pas en faveur de l'usage du tabac. Je ne suis pas ici aujourd'hui pour débattre du fait que le tabagisme soit bon ou mauvais, mais plutôt pour discuter d'un enjeu qui mine tous les efforts déployés par le gouvernement afin de contrôler le tabac. Et même si plusieurs parmi vous n'accordent sans doute pas d'importance à l'impact que le commerce illicite puisse avoir sur les compagnies de tabac, je suis persuadée que les conséquences qu'il pourrait avoir sur nos familles, nos communautés et notre pays vous intéressent.

Notre objectif en venant ici aujourd'hui est de porter à l'attention du comité la crise du commerce illicite de cigarettes qui sévit au Canada. Il s'agit d'une activité extrêmement lucrative et relativement peu risquée, vers laquelle se tournent les organisations criminelles et, selon certains, les organisations terroristes internationales, comme source de revenus. En mars dernier, la GRC a qualifié le commerce illicite de cigarettes d'énorme source d'argent pour le crime organisé.

Nous espérons que vous inclurez dans votre rapport au gouvernement une recommandation ferme d'agir pour mettre fin à la contrebande de tabac. À la fin de ma présentation, j'aurai une série de mesures concrètes à vous suggérer pour ce faire.

[Traduction]

Fondée en 1908, Imperial Tobacco Canada est la plus importante société productrice de tabac au Canada, et propose des marques comme du Maurier, Player's et Peter Jackson à environ cinq millions d'adultes canadiens qui ont fait le choix de fumer. Notre entreprise emploie environ 650 personnes un peu partout au Canada et notre siège social se situe à Montréal. Imperial Tobacco Canada s'est engagée à exercer ses activités de façon responsable, en répondant aux attentes de la société envers les grandes entreprises. Nous reconnaissons les risques liés à la santé associés à l'usage de la cigarette et nous croyons fermement que les mineurs ne devraient pas fumer. Notre entreprise a d'ailleurs appuyé des mesures mises en oeuvre par le gouvernement et qui visent à éviter la consommation de tabac chez les jeunes, y compris l'interdiction de vente de cigarillos et de petits cigares aromatisés. Imperial Tobacco Canada respecte rigoureusement les lois et les règlements s'appliquant à l'industrie du tabac, et paie toutes les taxes exigées. Malheureusement, les exploitants illégaux prennent de plus en plus de place au sein du marché du tabac au Canada — et ils jouent selon leurs propres règles, évitant la plupart des lois et des taxes, privant ainsi le gouvernement de centaines de millions — et même de milliards — de dollars en recettes fiscales et minant ainsi tous les efforts visant à réglementer les produits du tabac. C'est pourquoi nous sommes ici aujourd'hui. Je passerai maintenant en revue certains faits concernant l'ampleur et la portée de la crise du commerce illicite de cigarettes au Canada. Depuis 2006, la vente de cigarettes illégales représente, d'une année à l'autre, de 16 à 33 p. 100 du marché national. Même si le problème est habituellement plus important au Québec et en Ontario, le commerce illégal des produits du tabac s'étend à l'échelle nationale, comme le démontrent les saisies de produits illégaux effectuées d'un océan à l'autre. En effet, il y a à peine deux semaines, la GRC de l'Île-du-Prince-Édouard a affirmé que les cigarettes illégales entraînaient de graves répercussions pour la province.

Selon la GRC, la plupart des cigarettes illégales sont fabriquées dans environ 50 usines illégales de cigarettes au Canada, et dans environ 8 à 10 usines aux États-Unis, toutes situées dans des réserves des Premières nations.

Toutefois, cette activité criminelle ne se limite pas aux réserves. La semaine dernière, la GRC a fait une descente dans une importante usine de cigarettes illégales à Mississauga.

Ces cigarettes illégales sont soit vendues dans la réserve, dans l'une des 300 cabanes à tabac répertoriées par la GRC, soit à l'extérieur des réserves, par l'entremise de réseaux organisés de revendeurs. Un éventail de produits du tabac sont offerts, allant des cigarettes en vrac vendues dans un petit sac transparent jusqu'aux paquets de marque.

[Français]

La GRC croit qu'il existe plus de 175 groupes liés au crime organisé impliqués dans ce commerce illégal. À titre d'exemple, une série publiée dans le National Post en 2010 a identifié les Hells Angels et la mafia russe comme étant des joueurs clés dans le commerce illicite de cigarettes.

Ces groupes font également le trafic de drogue et d'armes. D'ailleurs, dans l'exemple auquel je faisais référence plus tôt à l'Île-du-Prince-Édouart, la GRC a déclaré que certains trafiquants de drogue de la province étaient passés à la contrebande de cigarettes ou l'avait ajoutée à leurs activités. De plus, selon la GRC, les profits réalisés avec la vente de cigarettes illégale pourraient servir à financer des organisations terroristes d'envergure internationale. Je reviendrai sur ce point un peu plus tard.

On estime qu'en 2010 les gouvernements provinciaux et fédéral ont perdu environ 1,5 milliards de dollars en revenus fiscaux aux dépens du marché illégal. La portion fédérale est estimée à environ 600 millions de dollars, un montant énorme, surtout en période d'austérité économique. Dans la dernière année, le gouvernement du Québec, à lui seul, a reconnu avoir perdu entre 220 et 420 millions de dollars annuellement au profit du marché illégal.

[Traduction]

Où va tout cet argent? Il ne va pas aux détaillants respectueux de la loi, aux sociétés productrices de tabac ou aux gouvernements. C'est pourquoi nous avons encouragé le CANAFE à se pencher sur la question.

Ces dernières années, diverses sources ont laissé entendre que l'argent allait aux groupes terroristes internationaux. Tout d'abord, la menace concernant le financement de groupes terroristes est abordée dans la Stratégie de lutte contre le tabac de contrebande, lancée en mai 2008 par la GRC. Deuxièmement, le président du Comité de la sécurité intérieure des États-Unis, Peter King, le représentant de l'État de New York, a conclu, dans un rapport publié en 2008, à « une connexion terrifiante entre le trafic de cigarettes et le terrorisme ». Dans un article, M. King établit un lien entre le trafic de cigarettes et des groupes comme le Hezbollah et Al-Qaïda. Troisièmement, en octobre 2009, Canwest faisait état de documents internes de la GRC émettant une mise en garde contre le commerce de cigarettes illégales qui, grâce aux centaines de millions de dollars qu'il génère, pourrait servir à financer d'autres activités criminelles. Parmi les activités mentionnées dans les documents de la GRC, on retrouvait « le trafic de drogues et d'armes à feu, le financement du terrorisme [et] le blanchiment d'argent, pour ne nommer que celles-là. »

Quatrièmement, également en 2009, le Bureau of Alcohol, Firearms and Tobacco du département de la Justice des États-Unis a affirmé que des groupes du crime organisé, y compris ceux qui entretenaient des liens avec les organisations terroristes, s'adonnaient au commerce illicite d'alcool et de produits du tabac, y compris les produits de contrefaçon.

Cinquièmement, une étude effectuée par l'Université George Mason a conclu que le trafic de cigarettes était la deuxième source de revenus des talibans.

Enfin, le Government Accountability Office des États-Unis inscrit le trafic de cigarettes au rang des activités de financement des terroristes les plus importantes.

Ces exemples sont les raisons pour lesquelles nous croyons qu'aucune discussion sur les produits de la criminalité, le blanchiment d'argent ou le financement d'activités terroristes n'est complète si on ne parle pas du commerce illégal de cigarettes.

[Français]

Le gouvernement fédéral et certains gouvernements provinciaux, en particulier ceux du Québec et de l'Ontario, méritent qu'on leur accorde le crédit d'avoir proposé ou mis en place des mesures pour éliminer la contrebande. Nous sommes également encouragés de voir que la plate-forme électorale du Parti conservateur de 2011 comprend de nouveaux engagements en matière de lutte contre la contrebande, y compris l'emprisonnement obligatoire pour les récidivistes et un nouveau service de 50 agents s'attaquant à la contrebande au sein de la GRC. Nous avons hâte que ces nouvelles mesures soient mises en œuvre.

Toutefois, jusqu'à maintenant, aucune mesure ni promesse électorale ne s'attaque au cœur du problème : les usines illégales qui produisent chaque année des milliards de cigarettes, et les cabanes à tabac qui vendent ces produits sans respecter les cadres règlementaires et fiscaux.

Alors que votre comité envisagera de nouvelles règles pour les institutions financières, les organismes immobiliers, les assureurs et autres, nous vous demandons d'examiner ce qui est mis en œuvre pour régler le problème important et évident que constitue le commerce illégal de cigarettes.

L'adoption de nouvelles lois et la modification de lois existantes n'aborderont de façon efficace les problèmes de produits de la criminalité, de blanchiment d'argent et de financement d'activités terroristes que si elles sont appliquées. Chaque journée d'immobilisme signifie des millions de dollars de plus pour le crime organisé.

[Traduction]

Ainsi, nous conseillons vivement au comité d'ajouter les mesures suivantes dans son rapport au gouvernement. Premièrement, il faut maintenir l'intégrité de la frontière; il s'agit de ne pas déplacer le poste frontalier de Cornwall, en Ontario, du côté américain. Deuxièmement, faire un suivi quant à la promesse électorale visant à imposer une peine d'emprisonnement obligatoire aux récidivistes et à créer un nouveau groupe de lutte contre la contrebande composé de 50 agents de la GRC. Troisièmement, appliquer la loi également à l'égard de tous les fabricants de cigarettes et les détaillants. Quatrièmement, ne pas augmenter les taxes sur le tabac. Cinquièmement, mettre en oeuvre la campagne de sensibilisation du public attendue depuis longtemps sur la contrebande. Sixièmement, créer un groupe de travail mixte entre le Québec, l'Ontario et le gouvernement fédéral pour mettre en commun les connaissances et les pratiques exemplaires et coordonner les efforts dans la lutte au commerce illégal de cigarettes.

Ces mesures concrètes visent à contrer les menaces de blanchiment d'argent et de financement des activités terroristes qui découlent de la vente illégale de cigarettes. Enfin, nous encourageons les sénateurs à entreprendre une étude approfondie sur la contrebande. Le sénateur Segal a d'ailleurs tenté d'entreprendre cette étude à deux reprises.

[Français]

Merci beaucoup à tous pour votre attention, il me fera plaisir de répondre à vos questions.

Le sénateur Hervieux-Payette : Bienvenue, madame Guy, c'est un plaisir de vous voir. Je passe tout de suite à vos recommandations. Vous avez mentionné qu'on devait imposer une peine de prison obligatoire, c'est peut-être un des rares points sur lesquels je suis d'accord.

Pour ce qui concerne le groupe de lutte contre la contrebande, avec 50 agents de la GRC, comme on est en train d'examiner un budget qui comprend beaucoup de coupures, avez-vous des informations quant à savoir si ces officiers vont nécessairement être affectés?

Avez-vous des nouvelles? Est-ce que vous vous renseignez? Je n'ai rien vu dans le budget qui indique que cette équipe pourrait être appelée à disparaître. Toutefois, avez-vous l'assurance qu'elle continuera d'exister?

Mme Guy : Je n'ai pas d'assurance qu'elle continuera d'exister. Par contre, j'aimerais commenter sur l'efficacité qu'a eue un groupe organisé de force policière dans la région de Cornwall. Le groupe de travail de Cornwall a été mis en place. Cette initiative a eu beaucoup de succès pour limiter l'entrée des produits par ce poste frontalier.

Quant à l'argent disponible, je comprends qu'on est en période d'austérité économique. Par contre, si on allait chercher les 600 millions de dollars perdus à chaque année au commerce illicite, cela permettrait de financer, du moins en partie, cette équipe de travail.

Le sénateur Hervieux-Payette : Parlons de vos informations sur la question du terrorisme. Avez-vous obtenu ces informations davantage des autorités américaines que des autorités canadiennes? La façon dont vous donnez l'information, c'est comme si nos collègues américains faisaient la surveillance et avaient l'information, alors que de notre côté l'information ne semble pas aussi spécifique.

Mme Guy : Effectivement, l'information disponible publiquement provient davantage des États-Unis. Elle est basée surtout sur le travail effectué par le Department of Homeland Security. Plusieurs groupes de pensée publique, ou « think tanks », se sont penchés sur la question aux États-Unis.

Au Canada, c'est principalement la GRC qui a fait des déclarations à l'effet qu'il existait un lien entre le commerce de cigarettes illicites, les groupes de crime organisé et le terrorisme. Les liens entre le financement du terrorisme et le commerce illicite de cigarettes ont été rendus publics par CanWest à travers les documents qu'ils ont obtenus de la GRC par le biais d'une demande d'accès à l'information. Ce ne sont pas des documents qui ont été nécessairement rendus publics d'emblée par la GRC.

Je ne sais pas exactement où en sont vos audiences, mais si vous aviez la chance de rappeler la GRC, bien qu'ils aient déjà comparu devant votre comité par le passé, pour parler spécifiquement de la contrebande de tabac, vous obtiendriez sans doute plus d'information de source canadienne.

Le sénateur Hervieux-Payette : Vous nous encouragez à faire une étude spécifique sur la contrebande. Vous ne suggérez pas que ce soit fait seulement sur la contrebande des cigarettes, mais sur la contrebande en général d'armes à feu et d'autres produits qui entrent illégalement au Canada. Quand on parle de contrebande, il n'est pas uniquement question de cigarettes mais aussi d'autres produits?

Mme Guy : Absolument. Si on ne regarde que les saisies effectuées par les forces policières, il est très rare qu'il ne s'agisse que des produits du tabac. Il y a toujours de la drogue, de l'argent et des armes à feu.

Le sénateur Hervieux-Payette : Dans les petites entreprises qu'on voit à Kahnawake vendre des cigarettes, à votre connaissance, il n'y a pas de descentes de police qui se font régulièrement?

Mme Guy : À ma connaissance, il n'y a pas de descente policière dans ce qu'on appelle les cabanes à tabac ou les points de vente. Des interventions policières ont déjà été menées sur des réserves au Québec, mais c'était toujours en ce qui concerne la drogue, et non les cigarettes.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : Merci de votre exposé. J'ai quelques questions. Combien coûte un paquet de cigarettes, sans les taxes? Quelle proportion, sur les 11 $ à 12 $ payés par le consommateur pour chaque paquet, est constituée de taxes?

Mme Guy : De 50 à 80 p. 100 du prix d'un paquet de cigarettes est constitué de taxes. Par exemple, un paquet vendu légalement à 12 $, qui serait un paquet de catégorie plus élevée, coûterait environ 4 $ sans les taxes.

Le sénateur Tkachuk : À quel prix se vendent les paquets de cigarettes illégales?

Mme Guy : Les cigarettes illégales sont souvent vendues en paquets de 200. Une cartouche de 200 cigarettes légales se vend de 70 $ à 100 $. Le même nombre de cigarettes illégales se vendent de 15 $ à 20 $.

Le sénateur Tkachuk : C'est une question d'économie. Lorsque le gouvernement augmente le coût, cela crée une immense industrie clandestine pour un produit légal, et non pour un produit illégal, par exemple, la cocaïne ou l'héroïne. Quel prix pourrait mettre fin au trafic? Oublions le fait que les prix sont prohibitifs — et je ne suis pas certain qu'ils réduisent la consommation de tabac, car les gens achètent des cigarettes à 4 $ sur le marché illégal. Ils obtiennent toujours leurs cigarettes, mais pas chez les détaillants. Ils les achètent sans payer les taxes exigées.

Je me rappelle quand l'ancien premier ministre Jean Chrétien a diminué le prix des cigarettes pour un certain temps; cela a grandement contribué à mettre fin aux ventes de cigarettes illégales, en éliminant le marché qui les soutenait.

Mme Guy : Oui, du jour au lendemain.

Le sénateur Tkachuk : Combien de temps cela a-t-il duré?

Mme Guy : Nous avons constaté un retour des produits illégaux sur le marché vers 2005; cela a donc duré de huit à neuf ans. Je suis certaine qu'un grand nombre d'entre vous se souviennent de ce qui est arrivé au moment de la réduction de la taxe, c'est-à-dire que le marché illégal a disparu du jour au lendemain.

Le sénateur Tkachuk : Pensez-vous que cela devrait être fait? Je ne sais pas à quel point ce serait difficile sur le plan politique. L'industrie a-t-elle estimé le nombre de cigarettes vendues illégalement? Quelle part du marché occupent ces ventes, comparativement aux ventes totales de cigarettes?

Mme Guy : Ces dernières années, nous, ainsi que d'autres groupes — même des groupes de lutte au tabagisme —, avons évalué qu'à l'échelle nationale, le marché illégal représentait de 16 à 33 p. 100 du marché total. Cette proportion a atteint jusqu'à 48 p. 100 en Ontario et 40 p. 100 au Québec.

Le sénateur Tkachuk : Nous parlons des cigarettes illégales.

Mme Guy : Oui, les cigarettes achetées illégalement. Les ventes ont diminué ces dernières années, mais dernièrement, nous constatons une légère reprise. La situation est un peu instable. Nous pouvons dire que c'est beaucoup moins grave qu'en 2008, mais ces activités demeurent largement répandues.

Le sénateur Tkachuk : Je suis toujours surpris par le nombre de jeunes que je vois fumer — surtout les filles, qui semblent représenter une grande partie du marché. Je présume que ceux qui ne peuvent probablement pas se permettre d'acheter légalement des cigarettes se les procurent sur le marché noir, dans les écoles secondaires.

Mme Guy : Il y a quelques années, l'Association canadienne des dépanneurs en alimentation a mené une étude intitulée « Butt Study », c'est-à-dire l'étude des mégots, dans laquelle on a ramassé des mégots de cigarettes dans les écoles secondaires du Québec et de l'Ontario. Au Québec, presque 50 p. 100 des mégots recueillis dans la plupart des écoles secondaires, et jusqu'à 80 p. 100 dans une municipalité du Québec, provenaient de cigarettes vendues illégalement. Cette proportion était d'environ 40 p. 100 en Ontario. L'étude remonte à quelques années.

Le sénateur Tkachuk : Je présume que l'industrie du tabac n'a aucun intérêt à faire durer la situation, à l'exception peut-être du point de vue des relations publiques.

Certains territoires ont réduit la consommation de tabac de façon significative sans avoir recours à des taxes élevées; je sais que la Californie a été l'une des premières à y parvenir. Cet État a réduit la consommation de tabac de façon substantielle; en effet, personne ne fume en Californie. Pourtant, les cigarettes ne coûtaient pas cher; elles se vendaient de 3 à 4 $ le paquet. Les gens ne fument pas, car les gouvernements ont trouvé d'autres façons de réduire la consommation de tabac, par exemple, en démontrant aux gens les risques liés à leur santé. Ici, les gouvernements se sont dit qu'ils allaient régler le problème en augmentant les taxes, et ils ne cherchent pas d'autres façons de le régler, car ils considèrent que c'est un bon moyen d'y arriver. Toutefois, le seul résultat, c'est qu'on a créé une industrie parallèle à celle du tabac, mais à mon avis, cela n'a pas aidé à diminuer la consommation de tabac, car elle se poursuit. Les gens achètent des cigarettes peu coûteuses, car il n'y a pas d'autres programmes qui fonctionnent bien. Les gens disent que nous pouvons bien afficher ces photos laides; cela ne les empêche pas de fumer. À mon avis, les gens doivent trouver une autre façon de cesser de fumer. Je ne sais pas. J'essaie seulement de trouver de nouvelles façons. J'aimerais qu'on étudie ce qui se fait ailleurs. J'aimerais savoir, monsieur le président, comment d'autres pays s'y sont pris pour réduire la consommation de tabac. Certains ont emprunté la voie de la paresse, comme nous l'avons fait, c'est-à-dire augmenter le prix, et d'autres y ont mis beaucoup d'efforts et réduisent la consommation de tabac sans en augmenter le prix. La Californie fait maintenant les deux, car elle est ruinée et elle pense que c'est une bonne façon de récupérer de l'argent. D'autres ne l'ont pas fait.

Le sénateur Massicotte : C'est une dépendance à l'argent.

Le sénateur Tkachuk : Qui n'a pas de dépendance à l'argent? Nous en sommes tous accros.

Le président : Sénateur Ringuette?

Le sénateur Tkachuk : Elle fume pour la plupart d'entre nous. Nous essayons très fort de la faire cesser de fumer.

Le sénateur Ringuette : Je paie les taxes exigées.

J'étais députée au milieu des années 1990, lorsque le dossier était certainement très important. L'une des tactiques employées a été de réduire les taxes fédérales et provinciales sur les cigarettes, et cela a fonctionné, à l'époque.

Si ma mémoire est bonne, Imperial Tobacco a participé à une autre initiative qui ne concernait pas le paiement de taxes au gouvernement fédéral ou provincial sur ses produits. Cependant, on a peut-être parfois trop de souvenirs.

Vous avez dit que vous estimiez que le gouvernement fédéral perdait 600 millions de dollars par année.

Mme Guy : Je suis désolée. Pourriez-vous répéter la question?

[Français]

Le sénateur Ringuette : Vous avez dit dans votre présentation que les gouvernement fédéral et provinciaux perdaient 1,5 milliard de dollars en taxe par année.

Mme Guy : Oui.

Le sénateur Ringuette : Seulement en taxes. Mais que perd l'industrie?

Mme Guy : Nos pertes exactes en revenus? C'est certain qu'on perd beaucoup d'argent.

Le sénateur Ringuette : Si vous êtes en mesure d'estimer à combien s'élèvent les revenus que les gouvernements perdent à cause de ce marché au noir, dites-moi ce que l'industrie perd. Quelle est la perte de revenus de l'Imperial Tobacco dû à cette contrebande?

Mme Guy : La seule chose que je peux vous dire, c'est que les gouvernements font entre sept et huit fois plus d'argent avec la vente sur les produits du tabac que nous.

Le sénateur Ringuette : En réalité, vous nous dites que c'est... Sept à 8 p. 100?

Mme Guy : Sept à huit fois plus.

Le sénateur Ringuette : Cela veut dire que vous perdez 100 millions de dollars par année?

Mme Guy : Ils font beaucoup d'argent. Je ne peux pas vous confirmer le chiffre exact.

Le sénateur Ringuette : Je trouve bizarre que vous nous disiez que les gouvernements perdent tel montant en taxe, mais vous n'êtes pas en mesure de nous dire ce que perd l'industrie.

Un autre fait que je dénote dans votre présentation est que vous semblez être très au courant de ce que vous avez appelé « les cabanes à tabac » et les points de vente. Avez-vous partagé ces informations avec la GRC?

Mme Guy : Oui, la GRC est absolument au courant. En fait, les points de vente ont été rendus publics par l'Association des dépanneurs du Canada dans une brochure. La GRC est parfaitement au courant d'où se situent exactement les manufacturiers et les points de vente.

Le sénateur Ringuette : Imperial Tobacco a-t-elle rencontré la GRC pour connaître les activités qui seraient entreprises pour contrecarrer cette contrebande?

Mme Guy : Nous collaborons du mieux qu'on peut avec les forces policières. Maintenant, partagent-ils leur stratégie avec nous? Je ne saurais vous le dire.

Le sénateur Ringuette : Vous avez collaboré ensemble pour partager des informations concernant cette contrebande?

Mme Guy : On partage toute l'information avec quiconque peut avoir une intervention efficace pour lutter contre le commerce illicite, oui.

Le sénateur Maltais : Bienvenue, madame Guy. Dans une autre vie, j'étais dans un autre parlement dans les années 1980, 1995. Chaque année, nous rencontrions votre entreprise et nous avons monté les taxes jusqu'à ce que nous en soyons rendus à les baisser. Cela a calmé le jeu un peu, mais cela n'a pas réglé le problème. Où vous approvisionnez-vous en tabac?

Mme Guy : En feuilles de tabac?

Le sénateur Maltais : Oui.

Mme Guy : On en prend sur le marché international et aussi en Ontario.

Le sénateur Maltais : Les Ontariens produisent encore du tabac?

Mme Guy : Oui, beaucoup.

Le sénateur Maltais : Est-ce que les Autochtones produisent du tabac?

Mme Guy : Je ne peux pas répondre à la question.

Le sénateur Maltais : Où s'approvisionnent-ils?

Mme Guy : Je ne peux pas répondre à la question.

Le sénateur Maltais : Vous savez, au Québec, nous avons un vieux dicton qui dit que pour cueillir une pomme, il faut un pommier. Pour faire des cigarettes, il faut du tabac. C'est une vérité de La Palice, comme on dit chez nous. Comment se fait-il que les contrebandiers, si on peut les appeler ainsi, puissent s'approvisionner en tabac? Si j'ai un alambic chez moi, cela ne durera pas longtemps. La Sûreté du Québec ou la police municipale va m'arrêter parce qu'il est interdit de fabriquer et de vendre de l'alcool.

Comment se fait-il que ces gens fabriquent des cigarettes en toute impunité sans avoir de permis et que personne ne soit capable de les arrêter? Pourquoi?

Mme Guy : Encore une fois, je vous inviterais à demander à la GRC, à l'Agence du revenu du Canada et à Santé Canada de se présenter devant votre comité pour discuter de ces questions et répondre à ces questions spécifiquement.

Le sénateur Maltais : Quelles sont vos relations avec l'autre entreprise canadienne, Rothmans, située à Québec?

Mme Guy : Il y en a quelques-unes : Rothmans/Benson & Hedges inc. et GTI Macdonald qui sont communément appelés avec nous les trois grands fabricants de tabac, mais il y a aussi des plus petits fabricants de tabac. Au Canada, 49 licences de manufacturier de tabac ont été émises, mais je ne peux pas vous donner plus d'informations que cela.

Le sénateur Maltais : À votre connaissance, ont-ils le même problème que vous?

Mme Guy : Pour les pertes de revenus associées au commerce illicite?

Le sénateur Maltais : Oui?

Mme Guy : Bien sûr.

Le sénateur Maltais : Où se centralise le commerce illicite ou, plus spécifiquement, la fabrication?

Mme Guy : Selon la GRC, la fabrication essentiellement, on parle de 50 usines qui se retrouvent sur des réserves de Premières nations au Canada. Et, également, une partie de la production se fait du côté américain dans la réserve d'Akwesasne.

Le sénateur Maltais : Est-ce possible pour le gouvernement d'intervenir chez les producteurs de tabac? Faut-il un permis? Je suis un fumeur. Si je vais m'acheter une caisse de tabac chez un producteur de l'Ontario, ai-je besoin d'un permis?

Mme Guy : Si vous allez à « une cabane à tabac » sur une réserve?

Le sénateur Maltais : Si je vais chez le producteur ontarien, ai-je besoin d'un permis pour acheter une caisse de tabac?

Mme Guy : Effectivement, oui, il faut avoir une licence pour acheter de la feuille de tabac.

Le sénateur Maltais : Est-ce que les contrebandiers ont un permis pour acheter de la feuille de tabac?

Mme Guy : Je ne peux pas répondre à cette question, pas au nom de la compagnie; je pourrais seulement vous donner mon avis personnel.

Le sénateur Maltais : Vous dites une chose importante; vous reliez directement la contrebande de tabac à Al-Qaïda et à d'autres groupes terroristes. Comment en êtes-vous arrivés à cette conclusion?

Mme Guy : En fait ce n'est pas moi personnellement qui fais le lien, ni ma compagnie. Nous utilisons de l'information disponible publiquement. Nous utilisons plusieurs sources d'information pour tirer cette conclusion. Certaines sont aux États-Unis : des études ont été menées par le comité du Department of Homeland Security; également le Bureau of Alcohol, Tobacco, Firearms and Explosives du ministère de la Justice a fait ce lien. Ici, au Canada, c'est essentiellement la GRC qui a, semble-t-il, des documents internes qui ont été rendus publics par CanWest, qui a obtenu ces documents via une demande d'accès à l'information. Dans ces documents, ils faisaient le lien entre le commerce illicite de cigarettes et le financement d'organisations terroristes.

Le sénateur Maltais : Je vais vous poser une question que vous n'allez pas aimer. Tout le monde dit que le tabac est nocif, tous les grands spécialistes le disent, et ils ont sans doute raison. Si vous fermiez demain matin, si Imperial Tobacco mettait la clé sous la porte, est-ce que cela réglerait le problème du tabac au Canada?

Mme Guy : Absolument pas. Le lendemain matin, il y aurait autant de cigarettes sur le marché, parce que les contrebandiers ont la capacité de produire l'équivalent de toute la demande légale en matière de tabac.

Le sénateur Maltais : Est-ce qu'on pourrait comparer ça au temps de la prohibition aux États-Unis, où l'alcool était prohibé et où les fabricants canadiens ont prospéré avec ça? Est-ce qu'il y a de la contrebande d'alcool à travers celle du tabac? De la contrebande d'armes, comme vous en parliez tantôt?

Mme Guy : Ce que je peux vous dire, c'est que, généralement, lorsqu'il y a une saisie de tabac de contrebande, d'autres produits sont également saisis, comme la drogue et des armes à feu, entre autres.

[Traduction]

Le sénateur Harb : Dans vos recommandations, vous avez mentionné que vous souhaitiez que le gouvernement applique la loi également à l'égard de tous les fabricants et détaillants de produits du tabac. Nous connaissons les détaillants. Pourriez-vous nous en dire plus au sujet de ces fabricants de tabac à l'égard desquels la loi, à votre avis, n'est pas appliquée de façon équitable?

Mme Guy : J'aimerais répondre, avec tout le respect que je vous dois, que la question devrait être posée à Santé Canada, à l'Agence du revenu du Canada et à la GRC. En effet, ces organismes sont chargés d'appliquer les lois qui entrent dans leur champ de compétence. Ils n'ont certainement pas peur de les appliquer à notre égard. Toutefois, je peux parler des lois qui nous concernent, par exemple.

Nous avons environ 200 lois et règlements à respecter. D'une façon ou d'une autre, ils réglementent l'industrie légale du tabac. Cela comprend l'obligation d'imprimer des messages ou des avertissements graphiques liés à la santé sur nos paquets. Nous devons remettre au gouvernement des rapports hebdomadaires, mensuels, bimensuels, trimestriels, semestriels et annuels. Toutes nos activités sont examinées à fond par les gouvernements. On inspecte régulièrement nos installations et nos bureaux. Chaque fois que de nouvelles lois ou de nouveaux règlements sont mis en oeuvre, quelqu'un vient vérifier si nous les respectons.

Le sénateur Harb : Nous sommes d'accord; ce n'est pas Santé Canada ou la GRC qui a formulé cette recommandation, mais votre entreprise.

Mme Guy : Oui.

Le sénateur Harb : Je le répète : vous souhaitez que la loi s'applique de façon équitable à l'égard de tous les détaillants et fabricants de produits du tabac. Je vous demande si vous pouvez nous donner le nom de ces fabricants à l'égard desquels, à votre avis, la loi ne s'applique pas de façon équitable.

Mme Guy : Non, je ne le peux pas.

Le sénateur Harb : D'accord. Vous souhaitez assurer l'intégrité de la frontière. Dans votre exposé, vous avez parlé un peu de plusieurs organisations qui fabriquaient des produits du tabac dans les réserves. Savez-vous d'où viennent les matières premières utilisées dans ces réserves?

Mme Guy : Non, je ne peux pas répondre à la question. Je ne connais rien au sujet de leur chaîne d'approvisionnement.

Le sénateur Harb : Je comprends.

Vous avez mentionné qu'il y avait environ 50 différentes usines. Savez-vous si certaines de ces usines ont des permis d'exploitation?

Mme Guy : Je sais que 49 fabricants ont une licence de fabrication, mais je ne connais pas leur nom ou leur adresse, car le gouvernement ne diffuse pas ces renseignements. Nous avons essayé de les obtenir au moyen de demandes d'accès à l'information.

Le sénateur Harb : Vous dites que 49 organisations fabriquent des cigarettes dans les réserves. Vous les vendent-elles? Quel type de chaîne ont-elles?

Mme Guy : Non, car nous fabriquons des cigarettes; nous n'achetons pas des produits. Nous achetons les feuilles non séchées et tout le matériel nécessaire pour fabriquer une cigarette : le filtre, le papier, l'eau, la colle et le tabac. Nous n'achetons pas de produits finis. La GRC affirme que les cigarettes illégales vendues dans les cabanes à tabac dont j'ai parlé sont généralement achetées d'usines exploitées illégalement.

Le sénateur Harb : Il faut admettre que vous êtes très crédible, car vous venez d'un milieu difficile. En décembre 1999, le gouvernement du Canada a poursuivi votre entreprise et quelques autres en justice. Le 31 juillet 2008, vous avez conclu un règlement de l'ordre de 1,2 milliard de dollars avec le gouvernement du Canada. Vous connaissez beaucoup le sujet, et je crois que ce que vous dites est extrêmement important pour nous. Vous êtes sur le terrain; vous êtes allés de l'autre côté et vous avez payé vos dettes. Je prends votre recommandation au sérieux et j'espère, monsieur le président, que nous allons intégrer certaines de ces recommandations dans notre rapport. Merci beaucoup.

Le sénateur Oliver : Contrairement au sénateur Harb, je pense que vos recommandations ne sont pas aussi utiles à un comité du Sénat qu'elles le pourraient. Par exemple, vous nous dites que vous espérez que nous n'allons pas augmenter les taxes; et je ne pense pas que cela a beaucoup aidé. Un grand nombre des choses que vous nous avez dites au sujet du tabac et du tabac illégal sont connues des Canadiens depuis des années. Dans votre exposé aujourd'hui, vous avez dit que vous avez écrit une lettre au CANAFE pour lui demander de faire quelque chose. Pouvez-vous nous dire pourquoi le CANAFE n'a rien fait au sujet de la contrebande de cigarettes?

Mme Guy : Je ne peux pas répondre à la question, car les intervenants du centre ne nous ont pas dit pourquoi. Nous leur avons écrit, en partie, pour les mettre au courant du problème.

Le sénateur Oliver : Ont-ils accusé réception de votre lettre?

Mme Guy : Non, pas encore.

Le sénateur Oliver : Ce qui pourrait aider un comité du Sénat, c'est de faire en sorte que la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes vise le secteur de la fabrication et de la vente au détail du tabac, afin de réduire le commerce illégal de tabac. Votre entreprise y a-t-elle pensé? Un comité aurait ce pouvoir. Nous examinons une loi; y a-t-il des changements que vous aimeriez que nous apportions et qui pourraient aider à régler le problème que vous avez évoqué aujourd'hui? Avez-vous envisagé cela? Aucune de vos six recommandations ne mentionne quoi que ce soit au sujet de modifications à la loi à l'étude.

Mme Guy : À notre avis, les modifications aux lois, pour être efficaces dans la lutte contre le commerce illégal, le blanchiment d'argent ou n'importe quel autre type de problème, doivent être mises en oeuvre. C'est l'un des problèmes actuels au sujet du commerce illégal; des lois ont été adoptées, mais elles n'ont pas été mises en oeuvre.

Le sénateur Oliver : Aimeriez-vous que nous envisagions d'apporter une modification à la loi pour qu'elle vise aussi le commerce illégal, comme vous l'avez dit aujourd'hui?

Mme Guy : Bien sûr, pour autant que tous les fabricants soient également visés.

Le sénateur Oliver : Vous représentez aujourd'hui, d'après ce que je comprends, une entreprise, c'est-à-dire Imperial Tobacco. Existe-t-il une association de producteurs de tabac qui rassemble tous les producteurs du Canada, et si c'est le cas, votre entreprise en fait-elle partie?

Mme Guy : Même si elle ne rassemble pas toutes les entreprises de produits du tabac, il existe une association qui regroupe les trois principaux fabricants de ces produits. Il s'agit du CCFPT, c'est-à-dire le Conseil canadien des fabricants de produits du tabac.

Le sénateur Oliver : Pourquoi n'y a-t-il aucun représentant de cette association ici aujourd'hui? Pourquoi votre entreprise est-elle représentée, mais pas cette association?

Mme Guy : Imperial Tobacco Canada est d'avis que pour être une entreprise socialement responsable, il faut participer au processus démocratique, et c'est pourquoi je suis ici. Je ne peux pas parler au nom des autres entreprises.

Le sénateur Oliver : Vous avez parlé des cigarettes illégales fabriquées dans 50 usines, dont 49 p. 100 possèdent un permis, et cetera. Y a-t-il une différence entre la qualité du tabac ou des cigarettes et les éléments qui les composent qu'ils produisent et ceux produits par votre entreprise? Sont-ils de qualité inférieure? Posent-ils un plus grand risque pour la santé, ou est-ce équivalent?

Mme Guy : Tout d'abord, j'aimerais préciser que 49 permis ont été délivrés, et que selon la GRC, il existe, en plus, 50 fabricants illégaux.

Le sénateur Oliver : Oh, il y a 50 fabricants illégaux. Je m'excuse.

Mme Guy : Il m'est difficile de me prononcer sur la qualité des produits. Nous ne les analysons pas. Les médias ont divulgué certaines choses qui avaient été trouvées dans ces produits, mais nous n'avons aucune preuve. Je pense qu'on devrait poser la question à Santé Canada.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Merci d'être ici. Votre témoignage est très apprécié. Étant de Montréal, et je ne discute pas les faits, mais je crois qu'il s'agit d'un problème majeur dans notre société qui dure depuis longtemps. Peut-être pourriez-vous clarifier, pour mon bénéfice et celui du public, quel est le problème?

Tout dépend à qui on pose la question, mais on ne semble pas s'entendre sur les lois comme telles. Les Autochtones prétendent qu'ils sont souverains, qu'ils ont leur pays et qu'ils peuvent faire ce qu'ils veulent sur leur territoire, peu importe les conséquences.

Les gouvernements fédéral et provinciaux, pour leur part, acceptent que les Autochtones ont le droit de vendre des cigarettes sur leur territoire à leurs résidents. Toutefois, l'opinion juridique est que la vente de cigarettes aux non-résidents est illégale. Est-ce un bon résumé de la situation?

Mme Guy : Effectivement, les Autochtones ont le droit de vendre aux non-Autochtones des cigarettes sans appliquer la taxe provinciale. Par contre, en théorie, les 17 $ de taxes fédérales doivent être appliqués. Lorsque la vente a lieu sur une réserve à une personne qui est non autochtone, toutes les taxes doivent s'appliquer.

Le sénateur Massicotte : Ils ont le droit de vendre à une personne non-Autochtone si elle paie les taxes?

Mme Guy : Fédérales.

Le sénateur Massicotte : Il doit cependant s'agir d'une personne qui demeure sur la réserve?

Mme Guy : Non.

Le sénateur Massicotte : À quel moment doivent-ils collecter les deux taxes?

Mme Guy : Lorsqu'ils vendent à des non-Autochtones.

Le sénateur Massicotte : Lorsqu'ils vendent à un non-Autochtone qui ne réside pas sur le territoire, ils ont l'obligation de collecter la taxe fédérale?

Mme Guy : Oui.

Le sénateur Massicotte : Mais pas la taxe provinciale?

Mme Guy : En effet.

Le sénateur Massicotte : Environ 95 p. 100 des ventes se font à des non-résidants et des non-Autochtones?

Mme Guy : C'est exact.

Le sénateur Massicotte : Les Autochtones acceptent-ils cette interprétation de la loi?

Mme Guy : En fait, je vous dirais que tout dépend. On remarque que certains Autochtones font preuve d'ouverture. À l'automne, des audiences se sont tenues devant le Commission des finances publiques au Québec. Les Autochtones des réserves d'Akwesasne et de Kahnawake sont venus témoigner, et il y a eu dispute. Les Autochtones de Kahnawake disent qu'ils sont souverains, ils ne paient pas de taxes, n'en collectent pas, que le tabac est un droit ancestral. Or, les Autochtones d'Akwesasne font plutôt preuve d'une certaine ouverture pour tenir des discussions avec le gouvernement dans le but d'en arriver à une entente.

Dans certaines provinces, comme le Nouveau-Brunswick, les communautés autochtones ont conclu une entente avec le gouvernement provincial par laquelle les Autochtones collectent la taxe provinciale lorsque la vente est faite à des non-Autochtones, et le gouvernement remet 95 p. 100 de ce montant à la communauté. Cette règle a été vue comme un incitatif pour cesser de ne pas collecter la taxe.

Le sénateur Massicotte : Ont-ils accepté de collecter la taxe fédérale également? Vous n'avez mentionné que la taxe provinciale.

Mme Guy : J'ignore ce qu'ils font pour ce qui est de la taxe fédérale, alors je ne veux pas m'avancer. Je suis plus au courant de ce qui se passe au niveau de la taxe provinciale. Je pourrais vous communiquer cette information, si vous le désirez.

Le sénateur Massicotte : Ce que vous avez fait est généralement accepté du point de vue juridique?

Mme Guy : Au Nouveau-Brunswick, oui, il y a eu entente.

Le sénateur Massicotte : Le Québec et l'Ontario ont-ils également cette interprétation?

Mme Guy : D'une province à l'autre, on voit une différence à savoir si la loi provinciale doit s'appliquer sur les réserves? D'autre part, les Autochtones croient également qu'ils ont aussi le droit de faire du commerce d'une réserve à l'autre. Par conséquent, même lorsqu'ils sortent du territoire, ils sont d'avis que les lois provinciales ne s'appliquent pas à eux. Cela vient compliquer un peu le débat également.

Le sénateur Massicotte : Les gouvernements provinciaux, comme vous l'avez indiqué, est d'opinion que les Autochtones n'ont pas le droit de vendre à des non-Autochtones non résidents.

Mme Guy : En effet, sans collecter la taxe.

Le sénateur Massicotte : Cette opinion est juridiquement bien basée?

Mme Guy : Oui.

Le sénateur Massicotte : En conclusion, le problème est d'ordre politico-social. Pour maintenir la paix, les gouvernements provinciaux et fédéral, ne voulant pas causer de conflits et des problèmes comme nous avons eus dans le passé, ferment les yeux et acceptent que les Autochtones contreviennent à la loi. On ne fait que repousser le problème pour garder la paix. C'est fondamentalement la seule motivation de ne rien faire.

Mme Guy : Vous êtes sans doute mieux placés que moi pour comprendre les sensibilités politiques du dossier. Il est clair que ces sensibilités existent car le gouvernement n'a pas pris d'action décisive. Clairement, il y a une réticence à intervenir.

Comme je l'ai mentionné plus tôt, des interventions policières ont été menées à quelques occasions sur des réserves de Premières nations au Québec. Toutefois, ces interventions policières étaient liées à la drogue, et non à la contrebande de tabac.

Le sénateur Massicotte : En tant que joueur privé, si la solution du Nouveau-Brunswick s'appliquait au Québec et à l'Ontario, ce serait plus acceptable car on augmenterait le coût de votre concurrent et le marché deviendrait plus compétitif, compte tenu du fait que ce sont les mêmes règles qui s'appliqueraient.

Mme Guy : C'est exact.

Le sénateur Massicotte : Et ce, même si 95 p. 100 de l'argent retournait aux réserves?

Mme Guy : Absolument.

[Traduction]

Le sénateur Greene : Dans votre rapport, vous avez mentionné Al-Qaïda, les talibans, et cetera. Y a-t-il une façon de savoir si Al-Qaïda et les talibans profitent du commerce illégal au Canada?

Mme Guy : Je pense que vous devriez poser la question à la GRC et lui demander si elle a des preuves en ce qui concerne le Canada. Je n'ai pas nécessairement vu de lien direct avec le Canada. Le seul lien que j'ai vu a été établi par le rapport de l'Université George Mason, qui fait précisément référence au trafic de cigarettes comme étant une source de revenus. En effet, dans ce rapport, on a conclu que le trafic de cigarettes était la deuxième source de revenus des talibans.

Le sénateur Greene : Est-ce en Amérique du Nord ou à l'échelle mondiale?

Mme Guy : Je ne sais pas. Je ne peux pas répondre à la question.

Le sénateur Greene : Y a-t-il une façon de quantifier cela?

Mme Guy : Je n'ai pas les moyens de le faire. Par contre, certains organismes américains seraient peut-être en mesure d'y arriver.

Le sénateur Greene : Il serait intéressant de le savoir, si on y parvient un jour. Je suis plutôt de l'avis du sénateur Harb en ce qui concerne la valeur de votre rapport. Il est précieux, et je serais heureux d'appuyer l'ajout de toutes vos recommandations à notre rapport.

Pourriez-vous parler un peu du problème important et flagrant que vous avez cerné dans l'industrie du tabac illégal, c'est-à-dire le fait que les usines et les cabanes à tabac illégales exercent leurs activités au vu et au su de tous? Pourriez-vous décrire comment vos recommandations s'attaqueront à ce problème en particulier?

Mme Guy : Mes recommandations sont une solution de rechange au manque de volonté du gouvernement de s'attaquer directement au problème, en fermant ces usines.

Le sénateur Greene : Votre troisième recommandation, c'est-à-dire appliquer la loi de façon équitable, serait la plus importante.

Mme Guy : On peut dire qu'elles sont toutes importantes. C'est leur combinaison qui les rendra efficaces. Si vous choisissez seulement de lancer une campagne de sensibilisation sans vous occuper des mesures concernant l'application de la loi, il s'agira d'un coup d'épée dans l'eau. Il faut vraiment combiner toutes les recommandations. Si vous décidiez de toutes les mettre en oeuvre, mais de procéder tout de même au déplacement du poste frontalier de Cornwall vers le côté américain, vous vous retrouveriez à la case départ. À notre avis, ce qui rend les recommandations efficaces, c'est leur combinaison.

Le président : Madame Guy, vous avez formulé six recommandations. À part celle concernant l'engagement électoral pris au cours de la campagne de l'an dernier, comment ces recommandations seraient-elles différentes si vous aviez comparu devant nous il y a deux ou trois ans? Le cadre dans lequel nous évoluons a-t-il changé? Quelles différences remarquez-vous?

Mme Guy : On a certainement accompli des progrès en matière d'application de la loi, surtout dans les provinces. Le Québec et l'Ontario, notamment, ont proposé des mesures et les ont mises en oeuvre. Par exemple, on a augmenté les amendes et les pénalités et on a mis sur pied un groupe de travail pour lutter contre le commerce illégal. La situation aurait donc été différente il y a quelques années, car cela n'avait pas encore été fait.

Le président : S'agit-il de la différence sur laquelle vous aimeriez attirer notre attention?

Mme Guy : Il s'agirait de la plus grande différence.

[Français]

Le sénateur Hervieux-Payette : Quel est le pourcentage qu'occupent sur le marché légal les trois grands producteurs de cigarettes?

Mme Guy : Sur le marché légal, on ne partage pas nécessairement les chiffres publiquement entre compagnies, mais je vais y aller en gros. C'est probablement 70 ou 75 p. 100 du marché environ.

Le sénateur Hervieux-Payette : Premièrement, quand on parle de contrebande, on parle de traverser une frontière. En général, le terme « contrebande » est appliqué au fait qu'on traverse illégalement d'un pays à l'autre. Est-ce qu'on élargit la vente illégale à partir de produits fabriqués et vendus au Canada? Ce n'est peut-être pas le terme que j'utiliserais, mais c'est un phénomène qui existe. On part de la matière première, qui est la feuille de tabac et les agriculteurs.

Donc, pour approvisionner les manufacturiers au Canada, la feuille de tabac utilisée dans les cigarettes est-elle produite au Canada, chez les fermiers canadiens ou est-elle importée en partie? C'est-à-dire que la matière première vient de l'extérieur en partie.

Mme Guy : Les deux. Je parle pour notre compagnie, une partie vient des producteurs en Ontario, une autre des États-Unis et une autre est achetée sur les marchés internationaux.

Le sénateur Hervieux-Payette : Avons-nous des pourcentages?

Mme Guy : Cela varie d'une année à l'autre, dépendamment des grades de tabac dont on a besoin selon l'inventaire de l'année précédente. Une grande partie est encore achetée au Canada contrairement à ce qu'on pensait lorsqu'il y a eu un programme gouvernemental pour aider les agriculteurs à cesser la culture du tabac il y a quelques années.

Le sénateur Hervieux-Payette : Y a-t-il beaucoup de plantations agricoles de tabac dans les réserves?

Mme Guy : Je ne le sais pas.

Le sénateur Hervieux-Payette : Les manufacturiers autres que les grands sont-ils sur les réserves ou en dehors des réserves ou majoritairement dans les réserves ou majoritairement en dehors des réserves?

Mme Guy : Je ne peux pas répondre précisément à la question parce que l'information qu'on a réussi à obtenir sur les 49 manufacturiers qui avaient des licences nous donnait seulement le nombre. Donc, on n'avait pas de nom ni d'adresse et je ne peux pas savoir où ils sont situés. Pour le reste, je peux juste me fier à ce que dit la GRC, c'est-à-dire qu'il y en a 50 du côté canadien qui sont situés sur les réserves des Premières nations, essentiellement au Québec et en Ontario.

Le sénateur Hervieux-Payette : On parle des gens qui fabriqueraient des cigarettes, mais qui ne traversent pas nécessairement les frontières. Elles peuvent être fabriquées ici avec du tabac qui provient de trois sources. Mes collègues et moi en venons peut-être à la conclusion qu'il faut regarder la chaîne d'approvisionnement, d'où on part avec la matière première et comment elle circule dans le système et de nous assurer qu'on a une entente. Je n'ai pas de problème à ce qu'on fabrique des cigarettes sur les réserves et qu'on les vende à des Autochtones sur ces réserves sans qu'aucune taxe ne soit payée. Là où j'ai un problème, c'est lorsque les clients sont de l'extérieur des réserves ou qu'on vienne en vendre à l'extérieur des réserves, alentour des commissions scolaires, des écoles et que des distributeurs se promènent avec ces cigarettes de contrebande.

Notre mandat est d'étudier la question du blanchiment d'argent.

[Traduction]

La question a une portée beaucoup plus grande. Les Autochtones se livrent peut-être à des activités illégales dans leurs réserves; elles sont illégales lorsque le produit est vendu à l'extérieur de la réserve et qu'aucune taxe n'est perçue. Bien sûr, le système, dans son ensemble, est en train de s'écrouler. Je dirais que lorsque nos greffiers nous aident à rédiger un bon rapport, nous devons souligner le fait que nous n'attaquons pas les collectivités autochtones et que nous n'allons pas les chercher dans les réserves; toutefois, nous voulons que les lois du pays soient appliquées de façon équitable dans chaque province. Il nous faut cependant être conscients que nous parlons de grosses sommes d'argent. Je suis rarement d'accord avec mon collègue de l'Ouest, mais, sénateur Tkachuk, une fois n'est pas coutume, je suis d'accord avec vous.

Le montant des taxes exigées pourrait être l'un des premiers pas que nous recommanderions pour réduire considérablement ce type d'activité. Il est certainement utile de se pencher sur l'ampleur de la question. Nous devrons parler à votre ministre des Finances. Ce n'est peut-être pas dans le budget, mais nous pourrions ajouter quelques dispositions. Je suis perturbée par le fait que ce sont surtout des jeunes et des jeunes femmes qui sont d'abord visés. Cela me préoccupe beaucoup que les femmes soient les principales consommatrices de ce produit, lorsqu'elles ne sont même pas en âge de fumer. Elles achètent ces cigarettes en raison du prix. Au prix courant, elles fumeraient certainement moins et cela ferait probablement moins de dommages. Je ne dis pas que nous devrions bannir le tabac; cela ne ferait qu'enrichir quelques personnes. Je crois seulement que nous devons envisager la question dans son ensemble et veiller à ce qu'on ne parle pas de communautés autochtones ou blanches. Il s'agit d'un problème qui concerne l'ensemble de la population.

Si vous avez d'autres renseignements à nous communiquer, je pense que notre rapport sera publié dans quelques semaines, et nous serions heureux de les ajouter. Au moins, nous savons où poser la question. C'est ma déduction.

Mme Guy : Je pourrais certainement communiquer des preuves au comité. Je ne les ai pas présentées aujourd'hui, car il s'agit de documents surtout rédigés en anglais, et on m'a dit qu'avant de les présenter au comité, ils devaient être en anglais et en français. Je n'ai pas eu le temps de les faire tous traduire, et je ne suis pas certaine que nous aurions le droit de les présenter.

Le sénateur Hervieux-Payette : Si vous les déposez, le gouvernement s'occupera de leur traduction.

Le président : Vous pouvez les remettre au greffier.

Le sénateur Hervieux-Payette : Nous vous en serions reconnaissants.

Je voulais résumer le tout afin de m'assurer que nous nous comprenons, et maintenant nous aurons quelques preuves. Je pense que cela sera utile.

Le président : Nous prenons vos excellentes questions en note et nous ajoutons aussi au compte rendu le fait que vous êtes d'accord, pour la première fois, avec le sénateur Tkachuk.

[Français]

Le sénateur Maltais : Le problème que vous avez est un peu la quadrature du cercle et est similaire à celui de la chasse au phoque. Tout le monde trouve mignon un beau petit phoque sur une banquise, on en voit partout en photos. Toutefois, on ne montre jamais le père du phoque avec un flétan de 40 livres dans la bouche. Je suis défenseur du flétan et de la morue parce que personne n'en parle. Tout le monde parle du phoque. Il n'y a pas que le phoque dans le golfe. Personne ne défend la morue au Canada, pourtant c'est un excellent produit.

Le sénateur Hervieux-Payette : C'est moins mignon.

Le sénateur Maltais : C'est moins mignon, en effet, et moins poilu.

À votre avis, la publicité que le gouvernement impose sur les paquets de cigarettes décourage-t-elle beaucoup de gens à fumer?

Mme Guy : Il faudrait poser la question à Santé Canada.

Le sénateur Maltais : Vendez-vous moins de cigarettes ou en vendez-vous davantage?

Mme Guy : La consommation et l'incidence du tabac est en déclin depuis 1965. C'est la seule réponse que je puisse vous donner.

Le sénateur Maltais : Votre cinquième recommandation consiste à mettre en œuvre la campagne de sensibilisation du public attendue attendue longtemps pour la contrebande.

Mme Guy : Oui.

Le sénateur Maltais : Je présume qu'il s'agit de la contrebande du tabac?

Mme Guy : Oui.

Le sénateur Maltais : Comment le gouvernement peut-il faire de la publicité pour contrer la contrebande du tabac alors qu'on n'a pas le droit d'annoncer le tabac publiquement?

Mme Guy : C'est une bonne question. Il faut le faire de façon à ne pas promouvoir le tabac. J'ai des exemples de brochures, que je pourrais vous laisser, et qui ont été publiées par la GRC, ou conjointement avec l'Agence de revenu du Canada et la GRC. Cette publicité s'adressait soit au public en général ou au détaillant, par exemple, et affichait les conséquences que peut avoir le commerce illicite. Il suffit de suivre les règles adéquatement. Si c'est fait de concert avec Santé Canada, on devrait réussir à faire quelque chose de bien.

Le sénateur Maltais : Votre entreprise vend-elle aux réserves indiennes?

Mme Guy : Vous voulez dire aux communautés ou à des points de vente sur les réserves?

Le sénateur Maltais : À des points de vente sur les réserves.

Mme Guy : Dans certains points de vente, effectivement, nous vendons des produits. Certaines ventes sont faites directement et d'autres le sont à travers des grossistes. Je puis vous assurer que nous sommes très stricts et nous partageons avec le gouvernement beaucoup d'information au sujet des ventes que nous effectuons sur les réserves. Nous sommes très prudents.

Le sénateur Maltais : Je viens de la Côte-Nord. Plus de la moitié des Indiens du Québec demeurent dans le Nord. J'y vais régulièrement. Ils ont des points de ventes où on paie le même prix pour les cigarettes, avec une indication que les droits de taxes sont payés. On ne voit pas de contrebandier à ces endroits. Dans des régions éloignées telles que Caniapiscau, dans le Nord, les contrebandiers ne se rendent pas là. Est-ce parce qu'il fait trop froid?

Mme Guy : Il faut faire attention, et j'espère avoir été claire dans mes propos. On ne cible pas les communautés autochtones dans nos propos. La situation est géopolitique. Des groupes du crime organisé tirent avantage de la situation géopolitique qui s'offre à eux. Sur la Côte-Nord, étant donné que le bassin de consommateurs est plus petit, on se trouve peut-être à faire moins de profit. Par conséquent, ce n'est sans doute pas l'endroit idéal pour eux.

Le sénateur Maltais : Les grandes villes, somme toute, sont les clients des contrebandiers?

Mme Guy : Pardon?

Le sénateur Maltais : Ce sont les grandes villes, comme Québec et Montréal, qui sont le terreau propice des contrebandiers?

Mme Guy : Pas nécessairement.

Le sénateur Maltais : Dans À la réserve Essipit, aux Escoumins, ils sont 180. Ils ne descendront pas à cet endroit avec une remorque remplie de tabac. Ils les achètent donc d'un vendeur de cigarettes légal.

Mme Guy : Je n'ai pas avec moi l'information. Toutefois, si vous désirez connaître la délimitation de la consommation dans les grands centres régionaux par rapport au reste de la province, je peux certainement vous fournir cette information. On l'a, mais pour des années antérieures.

Le sénateur Maltais : Au niveau de la contrebande et du passage à la frontière, est-ce seulement les Autochtones qui font le trafic, ou si des Blancs s'y prêtent également?

Mme Guy : Vous voulez parler des produits qui viennent du côté américain?

Le sénateur Maltais : Oui.

Mme Guy : Je ne tiens pas de statistique sur les personnes qui conduisent les camions contenant des caisses de produits illégaux. Je ne peux pas répondre à votre question.

[Traduction]

Le président : Sénateur Maltais, vous avez, à votre manière habituelle, généré deux brèves questions. Je suis un peu préoccupé. La première vient du sénateur Ringuette, et je vois qu'elle tient un paquet de cigarettes. On n'a pas le droit de faire de la publicité pendant les réunions du comité. Vous cachez la marque.

Le sénateur Ringuette : Oui. Il y a trois ans, si ma mémoire est bonne, Revenu Canada nous a demandé d'approuver les fonds servant à produire un nouvel autocollant visant à réduire la contrebande de cigarettes. Ces nouveaux autocollants servaient à mieux déterminer la provenance des cigarettes et à veiller à ce que les droits et les taxes qui s'appliquaient ont été payés. Quel a été le résultat de cette démarche?

Mme Guy : Mon entreprise a toujours été d'avis que nous respecterions le nouveau règlement, mais nous pensions que cela n'aurait pas d'effet sur le problème du commerce illégal comme nous le connaissons aujourd'hui. Ce type d'autocollant peut être efficace jusqu'à un certain point lorsqu'il s'agit de produits de contrefaçon, mais ces produits représentent moins de 2 p. 100 des problèmes liés au tabac de contrebande au Canada. Je n'ai pas de statistiques à ce sujet. Je suis certaine que si vous posiez votre question à l'ARC, on pourrait vous donner une réponse précise, car l'organisme surveille sûrement la situation de près.

Toutefois, je peux vous dire que les autocollants sont maintenant sur des produits illégaux.

Le sénateur Ringuette : Vous êtes en train de dire que cet autocollant, qui est censé prouver que j'ai payé beaucoup d'argent lorsque j'ai acheté ce paquet, est reproduit sur les paquets de contrebande? On nous a pourtant dit que ce nouvel autocollant serait à toute épreuve et qu'il serait impossible à reproduire, mais ce n'est pas le cas.

Mme Guy : Je n'ai pas vu d'autocollants de contrefaçon, mais nous avons vu des autocollants légitimes sur des produits illégaux.

Le sénateur Massicotte : Elle pourrait donc, sans le savoir, tenir en ce moment des produits de contrebande.

Mme Guy : Je présume que vous avez en main un produit de marque acheté dans un magasin légal à un prix qui ne porte pas à croire qu'il est illégal.

Le président : Nous pouvons terminer avec une brève question du sénateur Massicotte.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Peut-on voir la différence lorsqu'on regarde la cigarette sur le paquet pour voir si c'est une cigarette de contrebande ou non?

Mme Guy : Essentiellement, le produit illégal se vend dans des sacs transparents en plastique. Cela ne veut pas dire qu'il ne peut pas y avoir des cigarettes vendues dans des sacs de plastique de façon légale, mais, de façon générale, vous verrez que les lois et règlements imposés à l'industrie légale ne sont pas imposés.

J'ai un exemple à vous montrer. Vous avez deux façons. Si vous vous retrouvez avec 200 cigarettes dans un sac de plastique transparent avec rien d'écrit dessus, qui vous a coûté 10 dollars, pour pouvez être sûr que c'est un produit illégal et cela ne prend pas beaucoup de formation pour l'identifier comme tel. Ce qu'on voit, de plus en plus, et surtout en Ontario, ce sont des produits qu'on appelle « branded ». Ils ont à peu près l'air d'un produit légal. Je vous le montre, car, pour plusieurs d'entre vous, cela fait longtemps que vous avez vu un paquet de cigarettes.

Le sénateur Massicotte : C'est un produit de contrebande?

Mme Guy : Non, c'est un produit légitime. Le produit illégal, par exemple, n'aura pas le nom ni l'adresse du manufacturier ni le timbre, n'aura pas une image ou un message de santé publique qui répond aux règles proposées.

Le sénateur Massicotte : Si nécessaire, pour permettre la vente, c'est facile de s'organiser pour le faire imprimer?

Mme Guy : Notre définition de contrebande, c'est que les droits ne sont pas acquittés. C'est très général, mais c'est à peu près cela. Si votre paquet a l'air d'un produit légal, mais que vous l'achetez dans une réserve autochtone, que vous êtes non-Autochtone et payez 2 dollars, vous savez que c'est un produit illégal.

[Traduction]

Le président : Madame Guy, vous avez indiqué que vous alliez remettre au greffier des renseignements supplémentaires, qui seront ensuite distribués à tous les membres du comité. Au nom des membres du comité, je vous remercie beaucoup d'avoir comparu aujourd'hui.

Mme Guy : Merci.

Le président : La réunion est terminée.

(La séance est levée.)


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