Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule 25 - Témoignages du 31 octobre 2012
OTTAWA, le mercredi 31 octobre 2012
Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui, à 14 heures, pour examiner la situation actuelle du régime financier canadien et international.
Le sénateur Irving Gerstein (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Mesdames et messieurs les membres du comité, nous sommes ravis d'accueillir aujourd'hui M. Mark Carney, gouverneur de la Banque du Canada, ainsi que M. Tiff Macklem, premier sous-gouverneur.
Comme nous le savons, l'économie canadienne se porte plutôt bien. En fait, nous menons le peloton des pays du G8, ce qui est attribuable aux efforts de beaucoup, et certainement de ceux qui comparaissent aujourd'hui.
Je me rappelle qu'il y a environ un an, j'ai eu le privilège de dire que vous seriez nommé président du Conseil de stabilité financière. À cette occasion, j'ai redit que c'était la reconnaissance de votre capacité professionnelle et que cela rejaillissait sur le Canada, pour vous, un hommage personnel, et pour nous tous un objet de grande fierté.
Monsieur le gouverneur, dans votre plus récent Rapport sur la politique monétaire, vous dites : « l'économie devrait se raffermir et tourner de nouveau à plein régime d'ici la fin de 2013 ». C'est une bonne nouvelle. Nous avons hâte de vous entendre nous en dire plus à ce sujet, ainsi que sur toutes les autres questions que vous souhaitez porter à notre attention.
Mark J. Carney, gouverneur, Banque du Canada : Merci. Nous sommes heureux d'être ici parmi vous aujourd'hui pour discuter de la livraison d'octobre du Rapport sur la politique monétaire, que nous avons publié la semaine dernière.
[Français]
L'évolution de l'économie mondiale a été largement conforme aux projections de la banque énoncées dans le RPM de juillet. La croissance a ralenti dans l'ensemble des principales régions. L'économie américaine croit à un rythme graduel. L'Europe est en récession et les indicateurs récents donnent à penser que la contraction se poursuit.
En Chine et dans les autres pays émergents, la croissance a décéléré un peu plus que prévu. On observe toutefois des signes de stabilisation autour des taux d'expansion actuels.
Malgré le ralentissement de l'activité à l'échelle du globe, les cours du pétrole et des autres matières premières produits par le Canada ont augmenté, en moyenne, ces derniers mois. La conjoncture financière mondiale s'est améliorée, sous l'effet des mesures de politique énergétique prises par des grandes banques centrales. Cependant, le climat demeure fragile.
[Traduction]
Au Canada, bien que les vents contraires continuent de freiner l'activité économique, des facteurs internes soutiennent une croissance modérée. Après avoir progressé à un rythme inférieur à celui de son potentiel récemment, comme le président l'a mentionné, l'économie devrait se raffermir et tourner de nouveau à plein régime d'ici la fin de 2013.
La banque continue d'anticiper que l'expansion sera principalement alimentée par la hausse de la consommation et des investissements des entreprises, à la faveur notamment des conditions financières très expansionnistes au pays.
On s'attend à ce que l'activité dans le secteur du logement, qui a grimpé à des niveaux historiquement élevés, connaisse un déclin. Le fardeau de la dette des ménages devrait continuer d'augmenter avant de se stabiliser d'ici la fin de la période de projection.
Des risques à la hausse et à la baisse entourent l'évolution des déséquilibres dans le secteur des ménages. L'investissement résidentiel pourrait reprendre de l'élan, ce qui accentuerait les déséquilibres actuels. À l'inverse, le lourd endettement persistant des ménages pourrait engendrer une décélération plus vive qu'attendue des dépenses de ceux-ci. Dans ces circonstances, les autorités canadiennes, y compris la banque, en étroite collaboration, surveillent la situation financière du secteur des ménages et réagissent comme il se doit.
Les exportations canadiennes devraient se redresser progressivement, mais demeurer inférieures au sommet atteint avant la récession jusqu'à la première moitié de 2014, compte tenu de la faiblesse de la demande étrangère et des défis qui subsistent sur le plan de la compétitivité. Ces défis comprennent la vigueur persistante du dollar canadien, dont le cours est influencé par les mouvements vers les valeurs refuges et les retombées de la politique monétaire mondiale.
Ayant pris en compte les révisions apportées aux comptes nationaux, qui ont eu pour effet de faire augmenter la croissance mesurée pour l'année en cours, la Banque prévoit maintenant que l'économie progressera de 2,2 p. 100 en 2012. Les taux de croissance attendus sont de 2,3 p. 100 en 2013 et de 2,4 p. 100 en 2014.
L'inflation mesurée par l'indice de référence a été inférieure aux prévisions ces derniers mois. Cela tient au prix un peu plus bas de toute une gamme de biens et services. Elle devrait remonter graduellement au cours des prochains trimestres et atteindre 2 p. 100 d'ici le milieu de 2013, la faible marge de capacité inutilisée présente actuellement au sein de l'économie se résorbant graduellement, la croissance de la rémunération du travail demeurant modérée et les attentes d'inflation restant bien ancrées.
L'inflation mesurée par l'IPC global a glissé sensiblement en deçà de la cible de 2. p. 100, comme prévu. Elle devrait retourner à la cible d'ici la fin de 2013, soit un peu plus tard qu'escompté précédemment.
[Français]
Des risques importants pèsent sur les perspectives d'évolution de l'inflation au Canada. Dans sa projection, la banque suppose que les autorités en Europe sont en mesure de contenir la crise actuelle et suppose aussi que le précipice budgétaire aux États-Unis sera évité. Les trois principaux risques à la hausse ont trait à la possibilité de pressions inflationnistes plus fortes au sein de l'économie mondiale, d'une plus grande robustesse des exportations canadiennes et d'un dynamisme renouvelé de l'investissement résidentiel au Canada.
Les trois principaux risques à la baisse sont liés à la crise européenne, à une demande plus faible d'exportations canadiennes et à la possibilité que les dépenses des ménages canadiens connaissent une croissance moins vigoureuse.
[Traduction]
Dans l'ensemble, la banque estime que les risques qui pèsent sur les perspectives d'évolution de l'inflation au Canada sont relativement équilibrés au cours de la période de projection. Compte tenu de tous ces facteurs, le 23 octobre, la banque a décidé de maintenir le taux cible du financement à un jour à 1 p. 100. Au fil du temps, une réduction modeste de la détente monétaire sera probablement nécessaire, de façon à atteindre la cible d'inflation de 2 p. 100. Le moment et le degré de toute réduction seront évalués avec soin, en fonction de l'évolution économique à l'échelle internationale et nationale, y compris l'évolution des déséquilibres dans le secteur des ménages.
Sur ce, nous serons heureux de répondre à vos questions.
Le président : Merci beaucoup, monsieur le gouverneur. J'ai écouté attentivement chacune de vos paroles. Il y a un mot que je n'ai pas entendu et dont vous aimeriez peut-être nous parler : Chine.
M. Carney : En fait, j'ai mentionné très brièvement la Chine, monsieur le président. La croissance en Chine et dans les autres pays émergents a ralenti au cours des derniers semestres. Pour ce qui est de la Chine, plus particulièrement, son taux de croissance était de plus de 10 p. 100 depuis plusieurs années. Selon les dernières données, son taux de croissance annualisé est d'environ 7,4 p. 100.
Plusieurs facteurs expliquent la décélération de la croissance en Chine, certains étant positifs et d'autres méritant une étude plus poussée. L'aspect positif est que ce ralentissement est en partie intentionnel. Les autorités chinoises ont pris d'importantes mesures, tant financières que monétaires, pour stimuler l'économie pendant la récession mondiale qui a suivi la faillite de Lehman Brothers. Ces mesures sont arrivées à leur terme. Les autorités ont resserré la politique financière et les normes de prêt des banques et elles ont resserré la politique monétaire de manière très importante. Ces trois mesures ont eu pour conséquence de ralentir le taux de croissance de la Chine.
Ce que n'avaient pas prévu les autorités chinoises, ni la Banque du Canada il y a quelques années, et certainement pas les autorités européennes, c'est la faiblesse de l'économie européenne. L'Europe constitue le principal marché d'exportation de la Chine et les exportations chinoises vers l'Europe diminuent d'année en année et il ne s'agit pas simplement d'un ralentissement mais d'une véritable baisse, en raison de la faiblesse de la demande en Europe. Bien sûr, l'économie américaine a crû à un rythme graduel, comme nous disons, de sorte que les exportations vers les États-Unis, le Canada et d'autres pays ont continué à croître. Aux mesures prises délibérément par la Chine, s'est ajouté un affaiblissement de la demande extérieure.
Le dernier élément du ralentissement en Chine est lié à cette deuxième raison, soit le rajustement de la demande ou des sources de croissance en Chine. Comme l'ont dit de nombreuses personnes, et nous sommes d'accord avec elles, la Chine dépend beaucoup, peut-être même trop, des exportations et encore plus des investissements qui leur sont associés pour assurer sa croissance. À titre d'illustration, l'apport des investissements dans le PIB de la Chine a augmenté au cours de la dernière décennie d'un tiers à un demi et inversement pour la consommation qui est passée de la moitié du PIB à environ un tiers. En comparaison, la consommation représente environ 55 p. 100 du PIB au Canada et 70 p. 100 aux États-Unis.
La Chine se retrouve dans une position prédite de longue date, et est reconnue également par les autorités chinoises, et cela se reflète très clairement dans leur plan quinquennal, où elle doit s'adapter pour que sa croissance soit davantage tributaire de sources internes, notamment de la consommation interne, et pour se doter d'un profil d'investissement plus durable. C'est une évolution positive, mais elle prendra du temps et ne se fera pas sans heurt.
Cela étant dit, nous nous attendions à un ralentissement en Chine. Il est un peu plus marqué que ce que nous avions prévu, mais se situe dans le bas de la fourchette des prévisions sur la Chine. Certains signes indiquent que la décélération achève, c'est-à-dire que le quatrième trimestre devrait être un peu plus fort que le troisième et nous nous attendons à ce que la croissance économique chinoise soit d'environ 7,75 p. 100 l'an prochain et l'année suivante.
J'ai dit que ce serait ma dernière remarque, mais si vous me le permettez, j'aimerais en ajouter une autre. Ce taux de croissance de 7,75 p. 100 contribuera le même niveau de demande dans l'économie mondiale que le taux de croissance de 14 p. 100 en Chine en 2007. Cela vous donne une idée de la croissance de l'économie chinoise dans son ensemble depuis cette date. Le taux de croissance de 7,75 p. 100 en Chine l'an prochain se traduit par une augmentation de 800 milliards de dollars de la demande dans l'économie mondiale, tel que mesuré au moyen des taux de change du marché.
C'est l'une des raisons pour lesquelles, même si la croissance de la Chine est lente, nous croyons néanmoins qu'elle contribue grandement non seulement à la croissance mondiale, mais aussi qu'elle aide à maintenir les cours des produits de base, ce qui est important pour le Canada.
Le sénateur Harb : La question, qui rejoint celle du président, concerne l'Accord de Bâle III. En août, un dénommé Andy Haldane a prononcé un discours dans lequel il vous critiquait vertement. Je cite, aux fins du compte rendu : « Parce que la complexité génère l'incertitude et non pas le risque, il faut que le risque réglementaire soit ancré dans la simplicité. » Il a dit : « Parfois, le moins est le mieux. »
Vous avez répondu en disant que c'était absolument faux. Je vais vous citer ce que vous avez dit pour voir si vous êtes toujours du même avis. Vous avez dit être en faveur d'une approche de surprotection. Vous avez dit :
Certaines choses que l'on croyait sans risque se sont révélées être très risquées pendant la période précédant la crise. Cette crise a été causée en grande partie par des choses qu'on avait crues sans risque — les actifs de premier rang cotés triple A dans les bilans des banques ou dans des placements structurés ou au cœur du marché des pensions. L'une des raisons pour lesquelles les banques canadiennes n'en détenaient pas une masse, contrairement aux banques britanniques, c'est le ratio de levier financier et je n'ai pas besoin qu'on m'enseigne l'importance de ce ratio. Il fait partie du système, et ce, pour une bonne raison.
J'ai trouvé que c'était une affirmation très profonde et importante en réponse à la déclaration très simple et, franchement, très contradictoire de M. Haldane qui disait que la complexité engendre l'incertitude, pas le risque. Je ne connais aucun cas où la complexité n'a pas engendré le risque. Je tenais à dire publiquement que je suis d'accord avec vous.
Est-ce que vous et M. Haldane vous parlez encore?
M. Carney : Oui, je crois que nous nous entendons même très bien. Il faudrait que je vérifie avec Andy.
Je suis heureux que vous ayez posé cette question car elle est incroyablement importante. Andy Haldane, de la Banque d'Angleterre, et moi disions des choses semblables, mais dans un ordre différent. Son argument de base était qu'un élément important de l'Accord de Bâle III consiste à évaluer le degré de risque de divers actifs. Il y a des milliers et des milliers de telles évaluations puisqu'il y a une vaste gamme d'actifs. Lorsqu'elles font ces évaluations, les banques doivent avoir une certaine réserve pour couvrir ces actifs ou ces risques.
Tout simplement, il disait qu'il serait préférable d'avoir une mesure très simple — le ratio de levier financier — plutôt que cette mesure complexe. Pour calculer le ratio de levier financier, il suffit de diviser la valeur des actifs d'une banque par sa valeur nette ou ses capitaux permanents et cela donne un plafond ferme. Nous sommes entièrement d'accord. La Banque du Canada et le BSIF sont entièrement d'accord. C'est justement pour cette raison que la Banque du Canada et le BSIF ont insisté, malgré les objections de certains, dont peut-être la Banque d'Angleterre, pour l'inclusion d'un ratio de levier financier dans l'Accord de Bâle III. C'est pourquoi il y a un ratio de levier financier dans l'Accord de Bâle III.
J'en arrive à l'une des questions sur lesquelles mes vues diffèrent de celles de M. Haldane. Le ratio de levier financier vous protège contre les risques que vous croyiez être sans risque. Pendant la crise, il y a des institutions financières — et je vais citer l'exemple de la banque UBS — qui ont créé des produits structurés très complexes. Cela a été très bien documenté. Elles ont rendu les actifs risqués, ceux auxquels les agences de notation accordaient des cotes BBB ou A, mais ont conservé les actifs AAA, les actifs sans risque, ceux qui étaient censés être aussi solides que le gouvernement du Canada, par exemple.
Or, il se trouve qu'il ne s'agissait pas d'actifs AAA. Les agences de notation se sont trompées. UBS a fait de mauvaises évaluations et a fait sauter la banque. Ils ont accumulé une grande quantité d'actifs « sans risque » parce que ça ne leur coûtait rien, selon une pondération en fonction des risques, en vertu de cette approche complexe.
L'approche de surprotection consiste à dire que même si l'on croit qu'un actif est sans risque, un montant des actifs part à part à la valeur nette de la banque est plafonné. Au Canada, ce plafond est de 20. En fait, cela veut dire fonctionner à un pourcentage qui se rapproche de 20 car il ne faut jamais atteindre cette limite, et c'est ce qui a protégé les banques canadiennes.
Tout le mérite revient au BSIF qui a mis ce système en place. Nous avons insisté pour l'obtenir à l'échelle internationale et nous l'avons obtenu.
Ensuite, la question est de savoir laquelle de ces contraintes doit s'appliquer en premier. Est-ce qu'on fixe le ratio de levier financier de manière à ce qu'une banque l'atteigne avant d'atteindre la limite de risque de ces actifs — la contrainte de pondération en fonction du risque — ou le contraire? M. Haldane dit qu'il faut le faire dans cet ordre-là. Nous ne sommes pas d'accord. D'après notre expérience, si on procède ainsi, la banque va acquérir autant d'actifs les plus risqués qu'elle le peut en vertu de cette approche sans risque. Il faut inverser l'ordre, et c'est ainsi qu'est structuré le dernier accord de Bâle.
C'est très important. Je suis très heureux de votre question car cela se trouve dans l'Accord de Bâle mais sa mise en œuvre ne devient obligatoire qu'en 2015, 2016. C'est déjà fait au Canada, mais nous voulons nous assurer que ce sera mis en œuvre correctement au Royaume-Uni, en Europe et aux États-Unis. Il est bon que cette contrainte soit mise au premier plan et qu'on y attache l'importance nécessaire.
Le sénateur Harb : Au niveau local, au niveau canadien, vous avez parlé du fardeau de la dette des ménages. Vous croyez qu'il va se stabiliser, mais vous avez dit qu'il y a des risques à la hausse et à la baisse qui entourent l'évolution des déséquilibres dans le secteur des ménages. En ce qui concerne l'endettement des ménages, j'aimerais que vous me disiez si vous prenez en considération les principaux éléments d'actif, comme les résidences. Est-ce que vous incluez cela dans le calcul de la dette? Si c'est le cas, d'autres nous ont dit qu'il ne fallait pas. Des témoins nous ont dit que c'est la meilleure dette possible car c'est avec cela que les gens prendront leur retraite.
M. Carney : C'est une question importante. Tout bilan a un actif et un passif, que ce soit celui d'une personne, d'une entreprise ou d'un gouvernement
Pour un ménage, le principal actif est presque toujours la valeur de leur maison. La question est de savoir le niveau d'avoir propre véritable dans cette maison. Quel pourcentage de leur hypothèque ont-ils remboursé? Quelle a été la mise de fonds initiale, quelle proportion du principal a été remboursée? Le niveau de valeur nette des ménages est très élevé à l'heure actuelle au Canada comparativement au revenu. En même temps, leur dette est élevée comparativement à leur revenu.
Nous connaissons tous cette leçon, mais il est important de la souligner à nouveau. La valeur d'un actif peut monter et baisser. La valeur de votre maison peut certainement augmenter et baisser. Votre portefeuille d'actions, si vous en avez un, monte et baisse. La valeur de la dette, quant à elle, reste la même. La valeur de votre actif n'est pas toujours liquide et l'obligation de votre dette doit être honorée sur une base mensuelle. Nous l'avons vu à de nombreuses reprises, plus récemment aux États-Unis. Les gens se laissent prendre au piège de l'analyse du bilan et disent : « Je suis très riche, car mon actif vaut beaucoup plus que mon passif. » Toutefois, ils ont de la liquidité et ils n'arrivent pas à assurer le service de leur dette, en partie, car soit ils perdent leur emploi ou les taux d'intérêt augmentent, voire les deux à la fois. Nous ne sommes pas ici pour nier le fait qu'il n'existe pas parfois de lien entre les deux. C'est cela qui entraîne la défaillance pour les personnes.
De manière plus générale, lorsque vous vous retrouvez dans une situation, comme à l'heure actuelle où la dette, dans son ensemble, est très élevée par rapport au revenu dans l'économie, on court le risque d'une procyclicalité, lorsque l'économie connaît un choc. Si le taux de chômage augmente, certaines personnes commencent à ne plus être en mesure d'assurer le service de leur hypothèque, pour des raisons évidentes. Cela commence à affecter le prix des maisons. Cela réduit la volonté des gens d'acheter des maisons en ce moment. Ils se retiennent. Le prix des maisons chute. Il y a moins d'activités dans le secteur du logement et il y a plus de chômage. Ce genre de procyclicalité peut entraîner des problèmes. C'est une des raisons pour lesquelles nous nous concentrons sur l'aspect de la dette et de la liquidité, ainsi que sur la capacité d'assurer le service de la dette, dans toute une gamme de circonstances.
Cela dit, nos avertissements à cet égard partent du principe que le pays, les dirigeants et les particuliers peuvent faire quelque chose à ce sujet. Les carottes ne sont pas encore cuites.
Le sénateur Green : J'ai l'impression que nous vivons à une époque très inhabituelle, où la réussite des économies nationales et des gouvernements nationaux ainsi que de l'économie internationale dépend davantage de l'action des politiciens que ce à quoi nous sommes habitués. Dans les années 1980 et 1990, il y avait davantage une attitude de laisser-faire. Les économies étaient toutes prospères et les politiciens n'avaient pas à faire grand-chose, mais désormais il semble qu'ils doivent en faire beaucoup. Vous avez le genre de situations que l'on retrouve en Europe, où un gouvernement se fait élire pour un ensemble de politiques qui ont certaines conséquences, puis lorsqu'il arrive au pouvoir, il décide que les pressions sont trop fortes pour aller de l'avant et qu'il doit faire le contraire, ce qui a également toute une série de conséquences. Quelles conséquences cela a-t-il sur les modèles économiques? Dans quelle mesure cela affecte-t-il la capacité prévisionnelle de votre travail?
M. Carney : Pour ce qui est de la politique fiscale plus particulièrement, de manière générale nous prenons la position fiscale convenue, annoncée et idéalement adoptée du gouvernement en place quel qu'il soit, et nous prévoyons l'incidence de ces politiques, qu'elles soient expansionnistes ou de nature plus austère. J'apporterai une petite exception, une exception importante en ce moment, pour les États-Unis, où il y a une position budgétaire qui a été légiférée, ce que l'on appelle le précipice fiscal, donc nous devons passer un jugement dans nos projections. En fait, nous n'y étions pas obligés, mais nous avons décidé d'apporter un ajustement très transparent à nos projections voulant qu'une sorte d'entente soit passée — et nous ne savons pas exactement ce que sera cette entente ni quand elle sera passée — qui réduirait ce boulet fiscal de 4 p. 100 l'an prochain pour le faire passer à 1,5 point de pourcentage du PIB pour chacune des deux prochaines années et qui l'étalerait, ce qui en apparence semble une chose logique à faire. Toutefois, c'est plus facile à dire pour nous, ici, d'Ottawa, que dans les corridors du pouvoir, à Washington. Peut-être que la meilleure façon de l'exprimer serait de dire que nous avons une perspective différente de ce qui est logique, vu d'ici.
Il y a un point que je voudrais mentionner. En matière de modélisation et de prévisions économiques, nous nous heurtons à une difficulté particulière : un niveau d'incertitude relativement élevé (mesurable, toutefois, et certaines personnes l'ont quantifié) sur la politique économique adoptée par de nombreux pays importants. L'effet concret de la volte-face complète que vous évoquez ou de l'adoption de politiques moins prévisibles est un certain fléchissement de l'investissement des entreprises. On le constate notamment dans l'Union européenne.
Nous avons effectué des calculs, que j'ai évoqués dans un discours à Nanaimo, il y a une ou deux semaines. Nous estimons que l'effet d'incertitude pour l'investissement des entreprises a infléchi de 1 p. 100 le PIB de l'Union européenne dans son ensemble. Aux États-Unis, on estime cet effet à 1,5 p. 100 du PIB ces deux dernières années.
Ce sont des chiffres importants, résultant des circonstances économiques inhabituelles qui existent et du sentiment selon lequel la politique de certains grands pays manque de constance ou d'efficacité. Ceci étant, il est impératif d'être transparent et efficace (il est toujours bon d'être efficace, manifestement), mais aussi constant dans les grandes lignes de la politique adoptée.
Le sénateur Greene : La presse indique dernièrement que le problème de l'Europe commence à affecter l'Allemagne, noyau de l'Union européenne. Pourriez-vous nous expliquer et expliquer aux Canadiens et Canadiennes qui nous écoutent l'importance du rôle joué par l'Allemagne dans l'Union européenne et dans l'économie internationale? Peut- être pourriez-vous aussi indiquer les mesures que vous envisageriez d'adopter si le problème européen empirait en Allemagne?
M. Carney : Le poids économique de l'Allemagne la place au quatrième rang dans le monde. C'est la plus grosse économie de l'Union européenne. Par bien des aspects, c'est le moteur de l'Union européenne et, plus particulièrement, de la zone euro — les pays ayant l'euro comme devise commune.
C'est une économie qui a connu une transformation formidable au cours des deux dernières décennies, avec l'intégration de l'Allemagne de l'Est et une reconstruction de fond en comble lui ayant assuré une position concurrentielle. En fait, une bonne part des défis que doit affronter la zone euro résulte en partie du succès de l'Allemagne. Autrement dit, il y a une distinction fondamentale que nous nous efforçons d'établir chaque fois que nous en avons l'occasion : selon nous, la crise de l'euro n'est pas une crise financière ni une crise bancaire, pas foncièrement; c'est une crise de la balance des paiements.
La difficulté dans la zone euro elle-même est qu'un certain nombre de pays (l'Espagne, par exemple, mais aussi le Portugal, l'Irlande, la Grèce et d'autres) sont désormais très peu concurrentiels par rapport à l'Allemagne. Leurs exportations au sein de la zone commune ne sont pas concurrentielles et ils ont atteint les limites de leur capacité de financer ce qui est en fait leur gros déficit des comptes courants par rapport à l'Allemagne.
Pour revenir à la seconde partie de votre question, sur ce que l'Allemagne peut faire en tant que pays de la zone euro, il y a trois façons de rétablir une position concurrentielle. La première est que les prix et les salaires chutent dans ces économies. Vu la gravité du problème en Espagne, il faudrait commencer par une chute d'environ 25 p. 100.
On a parlé un peu plus tôt de la dette des ménages. Si les ménages ont des dettes (et tant les ménages que les entreprises espagnols ont des dettes) et si vos salaires diminuent de 25 p. 100, le service de la dette devient quasiment impossible. Cela a aussi des répercussions sur la demande, bien entendu. C'est l'expérience qu'a vécue, si vous vous souvenez, le Royaume-Uni dans les années 1920, au cours de la période de l'étalon-or, quand il s'est efforcé d'avoir recours à la déflation pour ajuster sa compétitivité. C'est la première option.
La deuxième option est celle que préconisent les manuels d'économie, soit d'améliorer la compétitivité et la productivité en Espagne. Ce serait une bonne chose et les mesures pour améliorer la productivité ne manquent pas : libéralisation des marchés des produits, du travail, divers investissements, et cetera. Le gouvernement espagnol a entrepris un certain nombre de réformes majeures allant dans ce sens; on peut l'en féliciter. Hélas, ce ne sont pas des réformes qui portent fruit du jour au lendemain. Il faudra des années, une décennie peut-être, avant que l'on enregistre pleinement les bénéfices de ces réformes structurelles.
La troisième façon de rééquilibrer la situation est que les salaires et l'inflation progressent en Allemagne, oui, que les prix et les salaires augmentent. Il faut un peu des trois options, mais nous estimons que l'ajustement allemand, l'inflation ou la reflation en Allemagne, est essentiel pour remédier aux déséquilibres. Les salaires réels ont à peine évolué au cours des deux dernières décennies en Allemagne. L'économie est incroyablement productive. Il y a assez de marge pour une augmentation, mais c'est une société qui rechigne à connaître une inflation, même modeste, ce qui se comprend. C'est l'un des défis que doit affronter la zone euro à l'heure actuelle.
Comme je l'ai dit, la solution reposera au bout du compte sur une combinaison des trois approches : de véritables réformes, pleinement mises en œuvre dans des pays comme l'Espagne; cela se fait actuellement et, au fil du temps, portera des fruits. Le chômage élevé que connaît l'Espagne en ce moment exercera une pression à la baisse sur les salaires. On ne le constate pas encore pleinement, mais cela se produira. Graduellement, une politique monétaire relativement relâchée pour l'Europe dans son ensemble (une bonne chose) se traduira par une pression à la hausse sur les prix en Allemagne par rapport au reste de la zone euro, vu sa prospérité relative.
Je ne vais pas aborder la question du fédéralisme financier, solution qui s'avérera peut-être nécessaire pour l'Europe, mais cela jouerait un rôle, également.
[Français]
Le sénateur Hervieux-Payette : Merci, monsieur le président, je m'excuse de mon retard, je devais faire en partie le travail de notre Président au Sénat.
J'ai lu les extraits de presse sur votre présentation hier. J'ai été un peu surprise. Vous êtes généralement logique.
[Traduction]
M. Carney suggère des mesures incitatives fiscales pour stimuler les dépenses. Deux cent cinquante milliards de dollars dorment dans les coffres des sociétés canadiennes. Pourquoi faudrait-il des mesures incitatives si les sociétés ont déjà 250 milliards de dollars en banque?
[Français]
Pouvez-vous nous donner une idée à ce sujet? Un peu plus loin on parle du capital cost allowance que nous avons quand même amélioré grandement, des impôts sur les entreprises qui ont baissé radicalement.
M. Carney : Exactement.
Le sénateur Hervieux-Payette : Qu'est-ce qu'on fait avec les 250 milliards?
M. Carney : Les articles réfèrent à cette question de l'argent qui dort dans les sociétés canadiennes. Une des raisons de cette situation, c'est l'incertitude dans l'économie mondiale. C'est absolument clair. Il est difficile pour la Banque du Canada, pour le gouvernement et même pour le Sénat du Canada de régler ou d'éliminer cette incertitude en Europe, aux États-Unis et en Chine.
Mais nous pouvons fournir la certitude sur la politique monétaire, c'est la responsabilité de la Banque du Canada — la certitude de la situation budgétaire est la responsabilité du gouvernement du Canada. Et avec la politique monétaire, on peut encourager l'investissement maintenant. Et c'est l'une des raisons pour laquelle la politique monétaire canadienne est aussi accommodante que maintenant, à un taux directeur de 1 p. 100, c'est très accommodant bien sûr.
Concernant les impôts, c'est une décision du gouvernement du Canada. J'ai observé les mesures que le gouvernement a déjà mises en place comme le accelerated capital cost allowance est une méthode avancée d'investissement. Avec une telle mesure, on change la période d'investissement pour une société. Il y a plusieurs options. Il en existe d'autres, mais ce n'est pas une question qui concerne la Banque du Canada.
Le sénateur Hervieux-Payette : Premièrement, j'ai toujours l'impression, que ce soit dans le monde des affaires ou que ce soit nos banques, je ne dis pas que vous prêchez dans le désert, mais vous dites souvent que les Canadiens sont trop endettés. Est-ce que vous rencontrez les banquiers pour leur dire qu'on devrait être un peu plus modéré sur l'endettement? Généralement, on s'endette envers les institutions financières, pas chez notre voisin. Vous avez aussi les entreprises plus ou moins assises sur les 250 milliards.
Je voyais la question des incitatifs. Je ne suis pas sûre que cela va fonctionner. Est-ce qu'il y a d'autres mécanismes à préconiser, à savoir trouver une nouvelle façon de faire la mise en marché des produits canadiens?
Au niveau des exportations, il semble que l'on soit en retard sur la plupart des pays de l'OCDE. Nous n'exportons pas assez de produits finis. Si on veut encourager la productivité, on va installer de l'équipement plus moderne et utiliser davantage l'informatique.
Où va-t-on aider ces entreprises et leur donner la main pour ouvrir de nouveaux marchés comme le fait l'Allemagne. L'Allemagne est un des plus gros exportateurs au monde. A-t-on des mécanismes au Canada pour favoriser, non pas l'épargne de nos compagnies mais leur progression?
M. Carney : Comme vous l'avez mentionné, c'est une façon d'encourager les investissements des sociétés canadiennes. La structure de nos exportations est faite de telle sorte que nous sommes trop liés aux États-Unis. Le Canada a perdu 2,5 points de pourcentage de parts du marché au cours de la dernière décennie. Notre part a été coupée en deux en ce qui concerne les exportations manufacturières. Pourquoi? L'une de ces raisons, c'est que nous n'avons pas accès aux marchés qui croissent aussi rapidement que la Chine, le Brésil et l'Inde.
[Traduction]
Il est possible de développer ces marchés et cela constitue une des solutions au problème. Le gouvernement a un ambitieux programme de développement des échanges commerciaux; plus il se réalisera, mieux cela vaudra. Des avancées tangibles dans ce domaine se traduiront manifestement par des occasions d'investissement dans les nouveaux marchés.
Notons au passage qu'un réseau élargi de partenariats commerciaux donne à nos entreprises la chance de faire partie de chaînes d'approvisionnement internationales susceptibles d'avoir une demande finale dans ces marchés émergents. Cela pourrait être au bout du compte juste une exportation. Nous pourrions faire partie d'une chaîne d'approvisionnement qui a accès aux États-Unis et à l'Europe, puis s'étend à la Chine. Cette capacité devrait permettre de dégager une partie de cette demande. C'est dans le domaine du commerce que les mesures les plus tangibles peuvent être adoptées, comme vous l'avez mentionné. La politique fiscale n'est pas de notre ressort, mais je voulais simplement noter que ce type de déplacement dans le temps des mesures incitatives fiscales était peut-être approprié.
Enfin, il faut créer un environnement favorable à l'investissement. Dans la mesure où il existe de belles occasions de développement ici au Canada, il faut réduire l'incertitude quant à la capacité pour ces projets d'aller de l'avant et il faut développer de nouvelles occasions dans lesquelles le secteur privé peut investir.
Le sénateur Tkachuk : Le Wall Street Journal rapporte que Daniel Tarullo, haut fonctionnaire de la Federal Reserve que nous avons eu l'occasion de rencontrer la semaine dernière, grâce à votre aimable intercession, monsieur Carney, a demandé au Congrès d'envisager de fixer un plafond à la taille des sociétés financières du pays, soit une remise en question particulièrement remarquée de la façon dont Wall Street fait affaire. J'aimerais entendre vos commentaires sur la question. Avons-nous des problèmes de ce type au Canada? Avons-nous, au Canada, des banques qui sont trop grosses pour faire faillite?
M. Carney : Aïe, la question est pointue.
Mais la réponse est non. Le discours du gouverneur Tarullo est important. (L'article faisait écho à tout un discours.) Il est important dans le contexte de la réglementation aux États-Unis et de l'évolution de cette réglementation.
Au fil du temps, les États-Unis ont imposé à leurs institutions financières une série de restrictions quant à la taille. L'une de ces restrictions de base était qu'une institution ne pouvait pas détenir plus de 10 p. 100 des dépôts nationaux. Cette restriction existe encore. Et il existe des institutions qui commencent à se heurter à cette limite.
Chez nous, nous n'avons jamais restreint explicitement la taille des institutions. Ceci dit, nous avons une politique en matière de concurrence et il y a un rapport entre la taille, la concurrence et la stabilité financière, le tout étant étroitement surveillé par l'organisme de réglementation des banques, le BSIF.
Il existe deux questions plus larges dont il convient de tenir compte, dans un pays comme le Canada. La première a trait à la taille relative du secteur financier par rapport à l'économie dans son ensemble. Je vais vous donner ma conclusion d'abord, soit qu'on n'a pas à se préoccuper de ce point au Canada. Mais il y avait d'autres économies dans le monde où le secteur financier correspondait à plusieurs fois le PIB national : cinq ou six fois ce PIB. Là, on s'est aperçu que le secteur financier était trop gros pour qu'on puisse le renflouer. Il n'était pas trop gros pour faire faillite, mais trop gros pour les ressources du pays en question. L'Islande est un bon exemple de cette situation. La Suisse, quant à elle, s'est inquiétée un temps de la proportion peut-être excessive de son secteur financier. Elle y a remédié.
Certains des pays où le secteur financier est très important par rapport à l'économie en général (la Suisse, la Suède et le Royaume-Uni, par exemple) ont été plus rapides à adopter des mesures vigoureuses en ce qui concerne ces institutions trop grosses pour faire faillite. C'est là la deuxième conséquence pour le Canada. Chaque économie doit se pencher sur la possibilité de mettre fin aux institutions trop grosses pour faire faillite et à l'idée qu'elles sont trop grosses pour faire faillite. Mettre fin aux institutions trop grosses pour faire faillite est un aspect clé du mandat du Conseil de stabilité financière et, de ce fait, du Canada dans son ensemble.
Il existe une série de mécanismes ou de politiques nécessaires à cet égard. Certaines portent sur une réforme des produits dérivés et d'autres marchés, afin que ces marchés continuent à fonctionner si une société fait faillite. C'est ce que nous mettons ceci en œuvre. Nous avons pris des décisions importantes à ce sujet et les avons annoncées au cours des derniers mois. D'autres mesures ont trait aux stratégies de résolution, la capacité de résoudre une institution en difficulté. Ces dernières années, le gouvernement a proposé et adopté, sauf erreur de ma part, des changements législatifs qui ont une incidence sur certains pouvoirs de la SADC, l'une des institutions de résolution au Canada, permettant ainsi la création d'une structure relais bancaire.
Les instances internationales se penchent sur un autre domaine : la possibilité de garantir de façon plus transparente le renflouement des créanciers sans capital si une institution faisait faillite. Qu'est-ce que cela veut dire? Qu'au lieu de demander aux contribuables de renflouer une institution à court de capital du fait de pertes, on convertirait les sommes dues à des créanciers de deuxième rang, les détenteurs de créances subordonnées ou non garanties, en part de capital dans la nouvelle banque, afin d'absorber une partie des pertes. Cependant, cela ne se ferait pas pour les déposants.
La formule présente deux avantages. Tout d'abord, elle éviterait d'avoir recours à l'argent des contribuables pour renflouer une institution. Deuxièmement, sachant à l'avance le mécanisme appliqué en cas de faillite de la banque, les créanciers réfléchiraient à deux fois avant d'investir dans de grosses obligations bancaires; ils seraient plus prudents et demanderaient plus de comptes aux banques, ce qui n'était pas nécessairement le cas avant la crise, pour les échanges de papiers bancaires. Au bout du compte, même des papiers bancaires hautement risqués s'échangeaient à des niveaux fortement influencés par la force du pays où la banque est installée.
Voici donc les mesures prises ou susceptibles d'être prises pour remédier au problème que vous soulignez.
Le sénateur Tkachuk : Je ne suis pas sûr que vous ayez répondu à ma question.
M. Carney : Votre question était-elle de nous demander si nous voulions un plafond? Je croyais avoir donné une excellente réponse à votre question. À vous de juger sur les faits. Si la question était : « Selon vous, faudrait-il adopter un plafond propre à la taille des institutions bancaires au Canada? » La réponse serait non. Avons-nous un plafond sur la taille au Canada? La réponse est non. Néanmoins, existe-t-il une politique en matière de concurrence au Canada, ainsi que d'autres éléments de stabilité financière? La réponse est bien sûr oui. Ces mesures limitent-elles efficacement le degré de concentration par la taille? Oui, indubitablement en ce qui concerne la concentration et les fusions, la responsabilité dans ce domaine revenant au bout du compte au ministre des Finances.
Le sénateur Tkachuk : J'ai une autre question. Comme vous avez pu en juger par ma première question, je suis préoccupé par ce qui se passe hors de notre pays.
J'aimerais me rendre en Europe, maintenant. À la deuxième page de votre exposé, vous utilisez un terme que reprennent beaucoup d'experts : « Des risques importants pèsent sur les perspectives d'évolution de l'inflation au Canada. Dans sa projection, la Banque suppose que les autorités en Europe sont en mesure de contenir la crise actuelle... » « Contenir », c'est un peu tâcher de boucher un trou avec le doigt, n'est-ce pas?
M. Carney : Effectivement.
Le sénateur Tkachuk : Cela montre que vous ou la banque n'avez pas beaucoup de foi dans la capacité des Européens de résoudre le problème, ce qui serait une solution une fois pour toutes. Quand je dis « contenir », je me dis que ça va aller pendant deux ou trois mois encore, puis que tout va partir à vau-l'eau, une fois de plus. Combien de temps cela peut-il se poursuivre, à se « contenir »?
M. Carney : Cela peut se poursuivre pendant un certain temps et cela se poursuit d'ailleurs depuis un bon moment.
Le sénateur Tkachuk : Très bonne réponse, effectivement, cela fait un bon moment.
M. Carney : Oui, cela fait un bon moment. Et cela veut dire précisément ce que vous comprenez. Il est important que nous en ayons tous conscience. Nous ne prétendons pas qu'ils vont résoudre la crise. Dans nos prévisions, nous ne partons pas de la supposition que l'euro sera complètement rétabli et relancé. En fait, en 2014, soit la fin de nos provisions, l'économie européenne reste de moindre importance dans son ensemble qu'en 2007. Elle ne s'est pas hissée au niveau qu'elle avait atteint en 2007. C'est une vraie stagnation. C'est la première chose.
Deuxième chose : que faudrait-il pour résoudre la crise? Selon nous, et nous l'avons déjà affirmé publiquement, il faudrait des années, non des mois. Cela pourrait nécessiter de trois à cinq ans, avant que les Européens règlent véritablement la question. Il serait en fait dans l'intérêt de chacun, selon nous, de le reconnaître de façon transparente, directement, voire de fixer une date pour la ratification de certaines modifications sans doute nécessaires à la constitution de l'Union européenne, si elle souhaite établir un certain degré de fédéralisme financier (pour utiliser un terme canadien) ou d'union de transfert ou encore d'obligations en euro, pour utiliser la terminologie européenne. Il faudrait, en tout cas, une mesure de mise en commun des ressources financières, avec un ajustement de la constitution. Il faudrait peut-être des ajustements à la constitution pour parvenir à une véritable union financière ou créer une union bancaire, selon leur terminologie.
Nous avons pris plus tôt les réformes appliquées en Espagne comme exemple. Elles porteront leurs fruits dans cinq ans, sans doute. Même si elles sont exécutées sans faute, il faudra tout ce temps. D'un point de vue financier, le passage de gros déficits à des situations d'équilibre viable va nécessiter de trois à cinq ans également.
Ce que nous suggérons à nos homologues européens, c'est, manifestement, de continuer à faire ce qu'ils auront commencé à faire pour parvenir à trouver des solutions, mais aussi de fixer un échéancier de cet ordre, de veiller à ce que les pays les plus touchés aient accès aux ressources voulues pour se financer durant la période en question, aussi. Ainsi nous n'aurons pas de crises à répétition tous les trois mois quand un pays X ou Y se heurtera à un mur et aura besoin de mesures d'ajustement.
Je vais hasarder une prédiction valeureuse : que la prochaine fois que je comparaîtrai devant le comité, je dirai que nous supposons que l'Europe continuera à contenir la crise — et à la contenir et à la contenir et à la contenir. Selon moi, ce n'est pas demain que nos prévisions ou nos attentes reposeront sur une résolution de la crise.
Le sénateur Ringuette : Bienvenue, en ce jour d'Halloween.
Vous avez dit dans votre exposé que la banque continue à supposer que l'expansion au Canada serait entraînée par la croissance de la consommation et l'augmentation de l'investissement des entreprises. L'investissement des entreprises, comme vous l'avez indiqué hier, n'est pas vraiment le point fort. Elles gardent leur argent en banque, bien que les taux d'intérêt soient particulièrement bas.
L'an dernier, des mesures radicales ont permis l'élimination de la plupart des frais de douane frappant l'équipement. Je regarde le dernier rapport de KPMG, intitulé Competitive Alternatives Special Report, qui compare les taux d'imposition des sociétés dans 14 pays. Pour le taux d'imposition général des sociétés, le Canada est le mieux placé, avec 15,2 p. 100, suivi par les Pays-Bas, puis la Chine, l'un et l'autre à 23,5 p. 100. Si on se penche sur les détails et qu'on examine le secteur manufacturier, le Canada arrive en deuxième place, avec un taux d'imposition de 22,5 p. 100. Il est précédé par la Chine, avec 20,7 p. 100, soit une différence plutôt minime. La différence avec les États-Unis est importante, ce que nous savons tous.
Prenons les deux éléments dont dépend selon vous la croissance au Canada. L'investissement des sociétés manque à l'appel. La réduction de l'impôt des sociétés et des frais de douane frappant l'équipement n'a rien fait pour stimuler l'investissement. On est donc en droit de se demander si l'investissement des entreprises est un scénario plausible.
En ce qui concerne la croissance de la consommation, la seule façon d'amener les Canadiens ou d'autres citoyens à consommer plus est d'augmenter leurs revenus. Or, nous savons tous que, au cours des 20 dernières années, les revenus de la classe moyenne et des citoyens au bas de l'échelle ont connu une stagnation quasi totale.
Je vois ce scénario d'un côté et le déficit gouvernemental de l'autre. Nous accusons un déficit majeur en matière d'infrastructure. Si on finit par avoir plus de consommation et que cela entraîne plus d'investissements des sociétés, on aura désespérément besoin d'infrastructures et nous sommes en situation de déficit, comme pour la consommation. Votre réponse est peut-être que cela relève de la politique économique du gouvernement.
Le président : Sénateur Ringuette, la moitié de votre temps est écoulé et on attend encore votre question.
Le sénateur Ringuette : Je vais poser mes deux questions.
Il n'empêche que, d'abord, vous demandez plus d'allégement de l'impôt des sociétés, bien que cela n'ait rien fait pour stimuler la croissance. Ensuite, nous avons un autre problème majeur : un dollar canadien particulièrement fort qui n'aide pas à stimuler l'investissement des sociétés dans la production de biens destinés à l'exportation.
M. Carney : Laissez-moi attirer votre attention à la page 27 de la version française du rapport. En bas, à droite, figure le graphique 3-E où est tracée en rouge la courbe de l'investissement des sociétés au Canada depuis la récession et pendant la reprise. La courbe bleue dans la plage grise constitue la moyenne historique.
On constate une chute marquée de l'investissement des sociétés juste après la récession, au point indiqué par la ligne verticale, puis une reprise au sortir du creux. La trajectoire de la reprise de l'investissement des sociétés est parallèle à celle suivie durant les autres reprises. La plage grise correspond à l'évolution de l'investissement des sociétés depuis la Grande Dépression. La progression actuelle est un peu inférieure à la moyenne historique; nous l'avons qualifiée de solide sans être spectaculaire et c'est une description appropriée du comportement de l'investissement des sociétés au Canada. Vous avez en pointillé nos prévisions pour l'avenir.
Nous envisageons une progression de 5,5 à 6 p. 100 pour l'investissement des sociétés, selon l'année. Là encore, c'est un investissement des sociétés solide et une contribution importante à la croissance. En effet, en 2013, par exemple, nous estimons à 2,3 p. 100 la croissance du PIB et à 0,7 p. 100 la part de cette croissance due à l'investissement des sociétés — soit un peu plus du quart de la croissance. C'est une part plutôt honorable, vu la petite portion que représente l'investissement des sociétés.
Il faudrait éviter, en fait, de brosser un portrait-charge des entreprises canadiennes. Elles investissent, même si on peut avancer qu'elles ont plus de ressources à investir et plus d'occasions d'investissements possibles. La fragilité de l'économie mondiale contribue, nul doute, à leur hésitation à investir leurs ressources et à saisir ces occasions. Tout ce que nous pouvons faire pour remédier à cette situation est une bonne chose.
Nous n'avons pas de cheval de bataille fiscal; il s'agissait juste d'une observation sur une mesure prise par le gouvernement, pas d'une réclamation à cor et à cri pour des mesures supplémentaires. Je tenais à le préciser. D'ailleurs, ce type de revendications serait inapproprié de notre part.
La consommation, quant à elle, contribue pour moitié environ à la croissance possible : 1,2 p. 100 du PIB pour une croissance de la consommation de 2 p. 100 l'an prochain, mettons. Nous estimons que la croissance annuelle du revenu disponible sera d'environ 3,5 p. 100 l'an prochain. La progression était autrefois un peu plus marquée; on observe un certain ralentissement; mais on prévoit une fourchette de 3 à 3,5 p. 100 durant la période sur laquelle portent les prévisions. Les consommateurs accusent un déficit en empruntant en plus de la consommation pour investir dans le logement et d'autres éléments. Pourtant, on constate que cette tendance s'ajuste graduellement durant la période sur laquelle portent les prévisions.
Bien que la croissance des salaires de la classe moyenne et le rajustement de l'inégalité soient problématiques, encore une fois, par rapport à l'économie de façon générale, la croissance du revenu est tout à fait suffisante pour maintenir ce niveau de consommation. Les consommateurs pourraient décider de ne plus acheter pour diverses raisons et d'autres facteurs pourraient nous pousser à changer nos projections, mais il s'agit d'un niveau de consommation tout à fait réaliste. La croissance et la consommation sont plus lentes que ce que nous avons constaté par le passé.
Je ne suis pas certain d'avoir compris la question sur le dollar. Je peux toutefois affirmer que nous avons une monnaie flottante, le dollar.
Le sénateur Ringuette : Dans quelle mesure pouvez-vous influer sur la valeur du dollar canadien afin de permettre à notre secteur manufacturier et à notre milieu des affaires d'être plus concurrentiels sur la scène internationale et d'avoir une meilleure chance sur les marchés d'exportation, bien que ce dernier ait rétréci?
M. Carney : La politique monétaire est un facteur déterminant — mais non le seul — des taux de change, mais ce n'est pas ce à quoi se limite son objectif. Elle vise à garantir un taux d'inflation bas, stable et prévisible, soit une augmentation moyenne de 2 p. 100 à moyen terme pour l'indice des prix à la consommation. Ce sont les modalités de l'entente avec le gouvernement du Canada. Il s'agit du mandat de la Banque du Canada, et notre politique monétaire vise toujours cet objectif. En nous efforçant toujours d'atteindre cette cible, nous contribuons à faire en sorte que les coûts d'emprunt pour les entreprises et les ménages canadiens soient plus faibles et plus stables qu'ils ne le seraient autrement. En outre, nous veillons notamment à ce que les Canadiens les plus défavorisés ne soient pas touchés par un taux d'inflation élevé et variable, puisque ce sont eux qui en payeraient le prix si nous ne parvenions pas à remplir notre mandat.
Le sénateur L. Smith : On constate l'existence d'un précipice budgétaire aux États-Unis. On nous dit que d'ici la fin de l'année, on sera au bord du gouffre. L'élection approche; la Chambre des représentants et le Sénat ne s'entendent pas sur les mesures à adopter. Que doit-on faire? Cela se produira-t-il vraiment? Pour un citoyen qui lit les journaux, ce n'est pas rassurant. D'après vous, quelles mesures seront prises? Quand et comment procédera-t-on?
M. Carney : Tout d'abord, sachez que nous ne savons rien de plus que vous. Nous n'avons aucune information précieuse sur la façon de résoudre ce problème. Comme vous le savez sans doute, d'importants allégements fiscaux — ceux de l'administration Bush — arrivent à échéance, et les partis n'arrivent pas à s'entendre sur ceux qui devraient être conservés — c'est-à-dire qu'on souhaite maintenir les allégements fiscaux pour la classe moyenne et la classe inférieure, mais on ne s'entend pas sur le sort de ceux pour la classe supérieure. On constate des réductions immédiates dans certaines dépenses, notamment dans la défense. D'autres facteurs entrent en ligne de compte, mais l'ensemble de ces mesures — dont le sort est prévu par la loi, donc tout se produira automatiquement si rien n'est fait —, selon nos estimations et celles de nombreux autres, représentent environ 3,5 à 4 points de pourcentage du PIB. La croissance américaine l'an prochain s'établira à environ 2,3 points de pourcentage, ce qui tient compte du freinage fiscal de 1,5 point de pourcentage. En d'autres termes, si rien de tout cela n'était arrivé, mais que les circonstances mondiales étaient les mêmes, on pourrait soutenir que la croissance américaine s'élèverait à 3,8 points de pourcentage l'an prochain. Ce n'est peut-être pas une bonne stratégie parce qu'au bout du compte les Américains devront tout de même réorienter leur plan budgétaire, mais voilà où ils en sont. Si rien d'autre ne changeait mais que les États-Unis tombaient dans ce précipice budgétaire, la contraction économique additionnelle les précipiterait, selon nos calculs, dans une récession. On ne tient toutefois pas pleinement compte ici des effets possibles sur la confiance. De toute évidence, si on sombrait dans ce gouffre fiscal sans lever le petit doigt, on devinerait une certaine paralysie politique qui pourrait déstabiliser tant les entreprises que les marchés financiers.
Les autorités américaines, tant du côté de la Chambre que du Sénat, sont on ne peut plus conscientes de la situation; on s'attend donc à ce qu'elles s'emploient à la corriger. Or, il faudra pour ce faire négocier, mais le problème c'est que certains ont des opinions très tranchées, et ce, des deux côtés. On a déjà vu cette politique de la corde raide être appliquée aux États-Unis, et il est tout à fait possible que cela se reproduise. On ne peut facilement dresser de solutions, et on ne pourra commencer à discerner l'intransigeance des positions qu'après le 6 novembre. La situation est incertaine.
À notre avis, ce climat de grande incertitude contribue en fait à ralentir la croissance des investissements aux États- Unis.
Le sénateur L. Smith : S'agit-il là du meilleur des pires scénarios?
M. Carney : On peut raisonnablement s'attendre à un redressement fiscal de l'ordre de 1 ou 1,5 point de pourcentage, à peu de choses près. Je ne souhaite pas conjecturer sur le pire scénario. Je pense qu'il serait malheureux que les mesures entrent en vigueur et que les négociations reprennent ensuite à ce niveau. Les mesures entrant en vigueur le 1er janvier auraient un effet de freinage. Ainsi, les impôts seraient plus élevés et les dépenses, immédiatement moindres. On constaterait alors un rajustement et il faudrait un certain temps avant que la situation ne soit corrigée. Nous verrons bien. Comme tout le monde, nous continuerons de suivre avec intérêt l'évolution de la situation.
Soyons parfaitement clairs : évidemment, si la trajectoire de l'économie américaine change considérablement, cela aura des répercussions sur les prévisions d'activités et d'inflation au Canada, et la politique monétaire devrait en tenir compte.
Le sénateur L. Smith : Donc, la dette des ménages et les changements dans la politique en matière d'intérêts pourraient être influencés par ce qui se passe aux États-Unis et en Europe. Comment faire comprendre aux gens qu'avec une hypothèque de 100 000 $ ou 200 000 $ à 2,5 points d'intérêt, si les taux d'intérêt augmentent soudainement, ne serait-ce que de 1 ou 2 points, certains ont beau dire que ce n'est qu'une augmentation d'à peine quelques points, mais que d'autres verraient leur taux d'intérêt doubler? Comment peut-on préparer les gens? Je sais que vous en parlez beaucoup et que vous incitez les gens à surveiller leur dette. D'autres ont repris le flambeau, mais comment peut-on éviter que cela se produise?
M. Carney : Tout d'abord, il faut en parler et veiller à ce que les gens comprennent ce qui pourrait arriver aux taux d'intérêt et ce que cela représenterait pour toute la durée d'une hypothèque. Ensuite, il faut veiller, dans la mesure du possible, à ce que les normes de souscription des institutions financières soient aussi robustes que possible. Le BSIF a pris des mesures à cet égard au cours des derniers mois, pour veiller à ce que les conditions de crédit de la SCHL soient solides et à ce que l'organisation ait apporté les ajustements nécessaires. Finalement, il faut que les conditions hypothécaires soient prudentes et non pas excessives.
Autrement, ça devient difficile. Ce sont les particuliers qui prendront ces décisions, mais de temps à autre on offre des produits à taux fixe sur une période de 5 ou 10 ans, ce qui est nouveau au Canada. Ainsi, la famille en question se trouve à l'abri de ce genre de risque, donc c'est une possibilité.
J'aimerais ajouter que les particuliers doivent peser un autre risque, puisque le taux hypothécaire ne dépend pas exclusivement de la politique de la Banque du Canada, mais également du marché des obligations. Bien que nous sachions tous que les taux des obligations d'État sont en général bas, il est possible que ces taux grimpent, non pas en raison de la politique monétaire, mais tout simplement à cause du niveau d'emprunt et de l'incertitude mondiale et des questions de pérennité — il s'agirait d'une prime au crédit dans ces obligations. Cette situation pourrait également avoir des répercussions sur les taux hypothécaires, à mesure que les prêts sont renouvelés.
[Français]
Le sénateur Massicotte : Tout d'abord, si vous me le permettez, j'aimerais clarifier un point. Vous avez fait état d'une croissance de l'économie de l'ordre de 2,3 p. 100 pour 2012 et 2013. Je suis certain que les Canadiens, en entendant ce chiffre, se disent que tout va bien. Mais en même temps, il y a une croissance de la population de presque 1 p. 100.
Quel pourcentage serait nécessaire pour que les Canadiens puissent sentir que leur revenu personnel augmente? Parce que depuis une décennie, ils ont vu très peu d'amélioration de leur sort. Aussi, on constate qu'il y a un problème de disparité des revenus. Le Canadien moyen n'a pas épargné et n'a pas augmenté son revenu, mais on parle tout de même d'un taux de croissance économique de 2,3 p. 100.
Quel pourcentage de croissance faudrait-il atteindre pour que les Canadiens se sentent plus riches et recommencent à dépenser plus d'argent pour stimuler l'économie?
M. Carney : Tout d'abord, il est question de taux de croissance de productivité à moyen terme. La Banque du Canada a mis à jour ses estimations du taux de croissance de productivité et du taux de l'offre de main-d'œuvre au Canada. En bout de ligne, elle prévoit un taux de croissance de l'économie canadienne d'environ 2,1 p. 100 par année d'ici la fin de 2014.
Cela nous donne une idée du défi qui consiste à augmenter de façon significative le bien-être des Canadiens et des Canadiennes dans la situation d'un tel taux de croissance. À moyen terme, il n'est pas souhaitable d'accroître l'économie plus rapidement que le taux potentiel parce qu'actuellement l'écart de productivité s'élève environ à deux tiers de point de pourcentage.
Alors afin d'avoir un taux de croissance soutenable et un taux d'inflation faible, stable et prévisible, tel que désiré, il y a des limites à avoir un taux de croissance beaucoup plus rapide que 2,5 p. 100.
Le sénateur Massicotte : Quand on parle de 2,3 ou 2,5, on parle du taux de croissance du PIB du pays.
M. Carney : Oui.
Le sénateur Massicotte : Par capita, avec une croissance de la population de presque 1 p. 100.
M. Carney : Un peu plus.
Le sénateur Massicotte : En d'autres mots, si on a besoin de 1,5 p. 100 pour arriver au même point, par capita, on a une croissance économique de peut-être 1,0 ou 1,2 p. 100, ce qui n'est pas énorme. Et avec une disparité de revenu pour un pourcentage de la population canadienne qui jouit d'une augmentation de revenu importante, alors que la classe moyenne demeure stable, la situation n'est pas vraiment encourageante. Peut-être donne-t-on un faux portrait aux Canadiens par rapport à leurs attentes.
Tiff Macklem, premier sous-gouverneur, Banque du Canada : Comme vient de le mentionner le gouverneur, à la page 25 de la version française de notre rapport, on retrouve un tableau qui illustre nos prévisions d'ici 2015 pour la croissance de potentiel, et il se divise en deux facteurs : la productivité du travail et la croissance tendancielle du facteur du travail.
Le point que vous soulevez est à savoir que la productivité du travail peut augmenter le standard de vie des Canadiens et Canadiennes. Le tableau indique que, pour 2012, le taux était de 1,2 p. 100. On anticipe que ce taux augmentera légèrement à 1,5 p. 100 pour 2014-2015. Cette année, le taux de croissance de l'investissement est d'environ 10 p. 100. Dans nos prévisions, comme le gouverneur vient de le mentionner, on anticipe une performance solide mais non spectaculaire de 5 ou 6 p. 100. Ce taux est plus rapide que celui du PIB, dont le montant de capital productif dans l'économie continuera d'augmenter. C'est une des raisons importantes pour laquelle on remarque une augmentation.
Il est possible que le tout progresse plus rapidement. Nous avons parlé, à plusieurs reprises des défis et des opportunités pour les entreprises d'augmenter leur productivité. On parle des investissements dans la machinerie et l'équipement, on parle du développement de nouveaux marchés extérieurs, surtout de pays qui s'accroissent plus rapidement, d'investissements dans le talent et la main-d'œuvre. Il est donc possible que le tout progresse plus rapidement, et j'espère que ce sera le cas. L'économie peut s'accroître plus rapidement avec une inflation stable. Toutefois, notre prévision doit être équilibrée, et c'est ce que nous avons fait.
Le sénateur Massicotte : Considérons l'aspect de la disparité entre les revenus personnels. Ce problème est très grave dans d'autres pays, comme aux États-Unis, il l'est moins au Canada. Sur 10 ans, 1 p. 100 des gens à l'aise ont connu une augmentation de revenu beaucoup plus élargie que le commun des Canadiens. Pouvez-vous commenter sur l'importance de cette disparité? On doit certes trouver une solution. Historiquement, les guerres ont souvent résulté d'une disparité de revenu trop élevée. Le problème ne se pose pas au Canada. Toutefois, c'est un problème duquel on devrait de plus en plus s'inquiéter.
M. Carney : L'enjeu de la disparité et l'inégalité des revenus est un problème. Ce problème existe dans tous les grands pays avancés, et la situation se détériore depuis quelques décennies à cause de plusieurs facteurs, notamment la mondialisation et l'importance de plus en plus grande de la technologie dans le travail.
Au Canada, pour ce qui est du coefficient de Gini, nous sommes à peu près au milieu des pays avancés. Vous avez raison de dire que le ratio de disparité au Canada, comme dans les autres pays avancés, s'est détérioré depuis une décennie. Que peut-on faire? Selon la banque, les solutions sont plus à moyen terme. Il n'existe pas de solutions immédiates ni de solutions simples. Il faut augmenter le niveau de talent et les occasions pour tous les gens de la classe moyenne au Canada. C'est surtout une question d'éducation et de formation pendant la vie au travail. On observe au Canada, et dans les autres pays avancés, un accroissement de l'écart des salaires entre les emplois qui nécessitent une compétence en technologie et les autres emplois. Aussi, on remarque que de plus en plus de responsabilités ou d'emplois sont échangeables. On partage de plus en plus de services, par exemple, ou d'aspects liés à un service.
[Traduction]
Ils sont produits dans d'autres administrations, où les salaires ont une influence sur ceux qui sont payés ici au Canada. Comme je l'ai dit, pour s'en sortir, il faut accroître les compétences des Canadiens et faire en sorte que nous nous retrouvions au haut des chaînes de valeur mondiale, plutôt qu'au bas. L'autre option, à notre avis, consisterait à nous isoler du reste de l'économie mondiale, mais cette stratégie appauvrissante ne serait pas dans notre intérêt.
[Français]
Le sénateur Maltais : C'est toujours un grand plaisir de vous voir et surtout de vous entendre. Nous recevons une leçon d'économie internationale bien étoffée.
Dans votre rapport, monsieur le gouverneur, sans être alarmiste, vous conseillez la prudence à l'économie et aux familles canadiennes. En ce sens, je reprendrai un peu les propos du sénateur Smith et du sénateur Massicotte. Le Canadien moyen compose une très grande partie de la population canadienne.
Prenons l'exemple d'un couple dont le revenu combiné est de 70 000 $. Ils ont une petite maison, une auto et deux enfants. Ils ont, bien sûr, une hypothèque sur la maison, des paiements à faire sur la voiture, des enfants à envoyer à l'école, des taxes foncières à payer et des assurances. Ce couple ne jouit pas d'une très grande marge de manœuvre. Il ne faut pas que surviennent trop de dépenses imprévues.
Quels conseils auriez-vous à offrir à ce couple, pour l'année à venir, afin de traverser ce ralentissement que vous suggérez dans votre rapport?
M. Carney : On essaie de ne jamais donner de conseils d'investissement aux Canadiens et Canadiennes. On espère que tous les Canadiens puissent comprendre que même dans une situation économique difficile à l'échelle du monde, aux États-Unis, en Europe et un peu en Chine, comme nous avons commencé à l'indiquer aujourd'hui, le Canada a encore beaucoup d'atouts.
Nous avons beaucoup de ressources naturelles, un système financier qui fonctionne bien, une politique monétaire qui fonctionne, un standard budgétaire qui est solide et nous faisons du progrès à un rythme graduel. Mais c'est encore du progrès. Il faut être prudent dans vos affaires personnelles, mais en bout de ligne, les attentes de la Banque du Canada sont que l'économie canadienne va progresser, que le rythme de croissance va s'accélérer vers la fin de cette année et pendant l'année prochaine. Alors ce n'est pas spectaculaire, mais c'est encore de la croissance et du progrès.
Le sénateur Maltais : Donc, c'est une stabilité au fond? Un peu de prudence pour tout le monde mais une stabilité. On ne s'en va pas vers un creux et mon petit couple cité en exemple ne s'en va pas vers une catastrophe.
M. Carney : Ce n'est pas le scénario de base.
Le sénateur Maltais : Lui ne touche pas des augmentations de salaire faramineuses. Il doit se contenter de ce qu'il a pour passer au travers en faisant preuve de prudence. C'est une période de prudence.
M. Carney : En effet, c'est une période de prudence pour les familles canadiennes parce que nous avons eu une période de croissance, d'un accroissement d'endettement des ménages canadiens dans l'ensemble. Alors il vaut mieux d'avoir une période de prudence.
Dans la projection de la Banque du Canada, il y a l'hypothèse, il y a une attente de cette prudence. Nous avons une augmentation légère d'endettement des ménages. Vers la fin de la projection, ça se termine. Alors la prudence de votre famille est dans la projection. Même avec cette prudence, l'économie canadienne va croître, c'est l'attente de la Banque du Canada, notre économie va croître à un rythme très respectable. Et par conséquent, les salaires et l'emploi dans son ensemble, les deux vont s'accroître aussi.
Le sénateur Maltais : Donc, les perspectives d'avenir pour mon petit couple ne sont pas si mauvaises, en autant qu'ils demeurent prudents.
M. Macklem : Je peux juste ajouter qu'on commence à avoir des signes d'un peu plus de prudence. Cela vient juste de commencer, donc, on devrait encore regarder cela de près. C'est pourquoi nous avons souligné dans notre rapport les risques associés à l'endettement des ménages. Il y a quelques indicateurs qui suggèrent plus de prudence, d'autres non. Donc, les signaux sont mixtes, mais le message est qu'on devrait regarder cela de près avec vigilance.
[Traduction]
Le sénateur Moore : Monsieur le gouverneur, en avril dernier, je vous ai posé quelques questions. Vous avez dit que le facteur de détente de la politique monétaire est le taux de financement à un jour, que vous avez maintenu à 1 p. 100. J'ai consulté les statistiques financières de la banque pour ce mois-ci et je me suis intéressé aux prêts à l'entreprise. Je vous ai entendu dire plus tôt que c'était à encourager. Cependant, en 2008, ces prêts s'élevaient à 180 milliards de dollars, un chiffre qui se maintient cette année; c'est un peu à la hausse, mais de façon négligeable. Je ne peux que m'interroger : ne diriez-vous pas que la politique n'atteint pas les résultats que vous espériez?
M. Carney : J'aimerais qu'on prenne un peu de recul et qu'on prenne une vue d'ensemble de l'économie canadienne, où s'est creusé un large écart de production immédiatement après la grande récession mondiale, lequel s'est accentué plus rapidement que presque toutes les grandes économies avancées. Il importe de faire remarquer que c'était attribuable au degré de détente de la politique monétaire établi à l'époque. L'économie est maintenant en période d'expansion, et non pas de reprise; nous avons complètement récupéré non seulement les emplois, mais également le PIB perdu au cours de la récession. Les revenus sont en croissance, et plus de 300 000 emplois ont été créés.
Il convient de signaler que notre écart de production s'établit maintenant aux deux tiers d'un point de pourcentage. En outre, malgré la force des vents contraires qui soufflent de l'étranger sur notre économie — par exemple, la faiblesse des économies des États-Unis et de l'Europe — et la force de notre dollar canadien — et c'est relié —, nous continuons de croître. Nous nous attendons à ce qu'au cours de la prochaine année, nous récupérions graduellement ce qui reste des pertes.
Finalement, de façon globale — c'est-à-dire en ne nous basant pas seulement sur ce point précis que vous citez, mais sur la croissance générale du crédit aux entreprises, ce qui comprend les marchés financiers, les émissions de titres et les autres façons d'obtenir du crédit — à la page 24 du rapport, mais vous n'avez pas à vous y référer —, nous avons constaté que la croissance du crédit aux entreprises a surpassé sa moyenne historique. Elle gagne environ 6,5 points de pourcentage annuellement. Ce que nous observons, et ce que ce graphique montre très clairement, c'est que le taux de croissance du crédit aux ménages a ralenti, comme nous et d'autres le désirons, tandis que la croissance du crédit aux entreprises s'est accélérée. En fait, la croissance du crédit aux entreprises s'accélère maintenant plus rapidement que celle du crédit aux ménages.
M. Macklem : De surcroît, le ratio d'endettement est très bas. Les entreprises affichent de grands bénéfices non répartis, donc elles ont amplement la possibilité d'investir.
Le sénateur Moore : Vous avez dit qu'il pourrait y avoir une bulle dans le marché de l'habitation. En 2008, le nombre de mises en chantier s'élevait à 211 000, alors qu'en juillet dernier, la moyenne s'établissait à 209 000. Cependant, le montant des hypothèques résidentielles a grimpé au cours de la même période — soit de 2008 à 2012 —, passant de 487 milliards de dollars à 864 milliards de dollars, soit une augmentation de 43 p. 100. J'ai l'impression que le parc de logements est plus ou moins le même, mais que les hypothèques ont augmenté énormément. Il doit y avoir hyperinflation dans le prix des logements. Vous avez également dit que la dette des ménages s'élevait à 167 p. 100, alors qu'arrivera-t-il, à votre avis?
M. Carney : En ce qui concerne la dette des ménages?
Le sénateur Moore : Non, en ce qui concerne les hypothèques, le logement, et cetera.
M. Carney : Nos attentes sont expliquées clairement pour l'ensemble des investissements résidentiels, ce qui comprend les nouvelles maisons, les rénovations et les commissions sur les reventes. De ce côté, on dépasse les moyennes historiques, puisqu'on a atteint 7 p. 100 du PIB ces dernières années. Nous nous attendons à ce que cela diminue au cours de la période visée par la projection, pour atteindre la moyenne historique. Ainsi, on observera une diminution de l'investissement résidentiel dans les mises en chantier.
Le sénateur Moore : Pensez-vous que les statistiques concernant les hypothèques vont être à la baisse?
M. Carney : L'effet ne se fera sentir dans les statistiques sur les hypothèques qu'avec un décalage, mais au fil du temps, on devrait constater une décélération continue des nouveaux prêts hypothécaires au Canada. La dette des ménages devrait atteindre son apogée au cours de la période de référence, soit d'ici la fin de 2014.
Le sénateur Moore : Donc d'ici la fin de 2014?
M. Carney : Cela cessera d'ici la fin de 2014. Selon nos prévisions, cela cadre avec la fin de croissance de l'endettement des ménages par rapport aux revenus, bien qu'il ne s'agisse là que d'un seul aspect parmi tant d'autres.
Le sénateur Moore : Si les hypothèses s'avèrent.
En ce qui concerne l'endettement personnel, vous avez indiqué qu'en 2008, les cartes de crédit représentaient 49,9 milliards de dollars, et les marges de crédit, 160 milliards de dollars. Maintenant, ces statistiques s'établissent respectivement à 76 et 241 milliards de dollars. On observe une hausse de près de 50 p. 100 du côté des marges de crédit personnelles. J'ai l'impression que les gens contractent des dettes à des taux d'intérêt prohibitifs, et comme l'économie ne progresse pas, les banques ou les institutions bancaires octroient des prêts. Est-on en train de tendre un piège aux consommateurs? Pendant combien de temps maintiendrez-vous le taux? Je ne sais pas par quel autre moyen vous pouvez corriger la situation, à moins de faire clairement passer le message.
M. Carney : Permettez-moi de m'attarder aux détails avant de vous donner une vue d'ensemble.
On a vu une augmentation des marges de crédit personnelles parce que celles-ci sont garanties par la valeur de l'habitation. On applique des restrictions strictes à l'égard des montants et des normes de souscription. En fait, le BSIF, qui se charge de superviser ces secteurs, a resserré davantage ces normes au cours des derniers mois. Les nouvelles normes sont maintenant en vigueur.
Cette transition vers les marges de crédit personnelles est logique à de nombreux égards. Il ne s'agit pas d'une dette plus coûteuse, mais plutôt moindre. Si vous remboursez vos dettes sur vos cartes de crédit avec une marge de crédit personnelle, il est fort peu probable que vous payez un taux d'intérêt plus élevé sur votre marge que sur votre carte de crédit, par exemple, donc c'est logique. Cela dit, nous estimons que jusqu'à 20 p. 100 de la consommation des quelques dernières années ont été financés grâce à l'accroissement des marges de crédit personnelles — et non pas seulement par la substitution d'un type de dette pour un autre. Il peut s'agir d'emprunt pour la rénovation d'un domicile ou pour diverses choses. Évidemment, puisque le prêt est garanti par la valeur de l'habitation, cette transition tend à se produire lorsque le prix des logements s'accroît mais non pas lorsqu'il stagne ou diminue.
Le sénateur Moore : Êtes-vous en train de dire que cela est inclus dans les statistiques sur les hypothèques? C'est inexact.
M. Carney : Non, cela figure dans les marges de crédit personnelles, ce à quoi vous faisiez référence. Voilà pour les détails.
De façon générale, puisque c'est là le rôle de la politique monétaire, comme nous en avons discuté, l'économie canadienne fait face à de nombreux vents contraires provenant du reste du monde. C'est tout un défi que d'encourager les entreprises à investir. Des pressions sont exercées sur la monnaie. Il y a diverses raisons qui expliquent pourquoi il est avantageux d'avoir une politique monétaire très accommodante. C'est ce dont s'est doté le Canada, une politique monétaire très accommodante qui cadre avec l'atteinte de cette cible d'inflation de 2 p. 100.
L'un des effets secondaires connus du maintien à un niveau bas des taux d'intérêt pour une certaine période, c'est la création de déséquilibres budgétaires dans divers secteurs de l'économie. Il est question, à juste titre, du secteur des ménages. C'est là l'un des effets secondaires connus.
Nous avons plusieurs lignes de défense pour nous protéger contre ces risques. La première, c'est la responsabilité des particuliers de veiller à bien comprendre le risque — comme nous en discutions avec le sénateur Smith —, la responsabilité des institutions financières en matière de pratiques de prêts, et la réglementation du BSIF à l'égard du capital requis et des normes de souscription. On mesure ensuite ce qu'on appelle les « mesures macro prudentielles » prises par le gouvernement du Canada; en l'espèce, le resserrement à quatre reprises des règles régissant l'assurance-hypothèque de la SCHL. Il s'agit là d'autres façons ciblées de réduire le risque dont vous parlez. Idéalement, la politique monétaire doit jouer un rôle complémentaire, c'est-à-dire qu'elle ne doit pas attirer l'économie dans une direction différente.
Dans notre régime flexible de ciblage de l'inflation, la politique monétaire serait un dernier recours, à l'appui des autres mesures, au besoin. Comme M. Macklem l'a fait remarquer, nous recevons des signaux mixtes en ce qui concerne l'évolution des déséquilibres dans le secteur des ménages. Nous avons observé un ralentissement non négligeable de la croissance de l'endettement, qui selon nous se poursuit. Certains segments du marché du logement semblent s'ajuster. Le marché des condominiums est encore en effervescence, mais les autres marchés s'ajustent.
Nous continuons, comme tant d'autres, à surveiller avec vigilance la situation, et nous réagirons en conséquence.
[Français]
Le sénateur Bellemare : Bonjour, monsieur le gouverneur, mes questions portent sur les prévisions de taux de croissance de la production potentielle. En 2015, on nous annonce une production potentielle de 2,1 p. 100. Et à la page 29, au graphique 24, on voit que les taux de chômage demeurent relativement élevés au Canada.
Peut-être sommes-nous habitués de vivre avec de tels taux. Aux États-Unis, les gens seraient très critiques du marché du travail avec de tels taux de chômage. Si on atteignait le potentiel de production — et je comprends que nous ne sommes pas loin du potentiel de production —, quel serait le taux de chômage dans les hypothèses liées à la croissance de production potentielle?
M. Carney : Je vous remercie pour votre question. Je m'excuse pour la réponse que je vais vous donner. En fait, la banque ne fournit pas une prévision exacte du taux de chômage à l'échelle nationale. Bien sûr, le taux de chômage va diminuer quelque peu avec l'atteinte du taux de croissance potentiel de l'économie vers la fin 2013.
Je peux affirmer qu'au Canada il existe encore une offre excédentaire dans le marché du travail. On peut observer un ratio d'emploi par rapport à la population canadienne qui est probablement de deux points de pourcentage en-deçà du ratio d'avant la récession. Il y a encore de la latitude dans le marché du travail et avec l'atteinte du niveau potentiel, il y aura réduction du taux de chômage, mais je ne peux pas vous donner de taux exact.
M. Macklem : Ce que l'on publie à la page 25, c'est la croissance tendancielle du facteur travail qui reflète plusieurs aspects de la santé du marché du travail, soit le ratio d'emploi, le taux de participation dans la population et les heures travaillées. On publie des estimations du taux de croissance pour le futur qui tiennent compte de tous les facteurs de main-d'œuvre.
Le sénateur Bellemare : Si je comprends bien, pour le taux de chômage, il y a encore de la latitude comme vous dites, de telle sorte qu'il va demeurer relativement élevé. Surtout qu'il peut varier d'une province à l'autre.
M. Carney : Il y a la possibilité que le taux de chômage demeure plus élevé qu'avant la récession. Il y a plusieurs raisons, mais une de ces raisons, c'est l'ajustement de l'économie par rapport à un secteur et un autre. Il y a la nécessité d'apprendre de nouveaux talents, de nouvelles compétences de la part des individus et cela demande du temps. C'est l'une des raisons pour laquelle la durée de la période de chômage plus longue maintenant au Canada et beaucoup plus longue qu'aux États-Unis, malheureusement.
Le sénateur Bellemare : Ma deuxième question traite de vos conclusions quant aux risques d'inflation future où vous nous dites que c'est assez équilibré, les risques d'inflation à la hausse et à la baisse sont équilibrés. Est-ce que vous avez des craintes? Ce n'est pas écrit. Pouvez-vous élaborer à ce sujet? Avez-vous des craintes par rapport à une inflation par les coûts? Ici ce sont plutôt des craintes d'inflation liées à la demande. Comme on en a eu avec les chocs pétroliers des années 1970.
Dans le futur immédiat ou à moyen terme, dans votre radar, est-ce qu'il y a une probabilité selon laquelle il pourrait y avoir une hausse imprévisible de l'inflation liée par les coûts? Maintenant que notre économie est bonne mais que le taux de chômage est élevé, on risque de replonger dans les catastrophes qu'on a connues dans les années 1980.
M. Carney : Il existe toujours une possibilité d'un choc du prix des matières premières, bien sûr. Pour l'économie canadienne, il y a plusieurs chocs du prix des matières premières qui sont positifs. Il y a une forte augmentation du prix du pétrole brut. Cela a des effets positifs par rapport au niveau mesuré d'inflation. Il y a l'impact direct, mais également il y a un impact indirect qui influence le revenu des sociétés canadiennes et le revenu des travailleurs. Cela influe également sur le niveau d'investissement. Mais la question la plus importante à se poser pour la Banque du Canada est de savoir si ce choc est temporaire ou persistant.
Si c'est temporaire, il est préférable de passer à travers ce choc. Si on réagit immédiatement, si on ajuste le taux directeur très rapidement et ce, sans effet immédiat, par la suite le choc temporaire est terminé. Il y a trop de volatilités. Mais si le choc est plus persistant, la Banque du Canada va réagir.
Le sénateur Bellemare : Merci beaucoup.
M. Macklem : Je voulais ajouter qu'une force du système de cibler l'inflation est d'être clair dans notre objectif de 2 p. 100. Les anticipations de l'inflation sont beaucoup mieux ancrées aux cibles qu'auparavant. La possibilité qu'une augmentation temporaire des prix des produits de base ou des prix du pétrole va avoir un effet sur les autres prix dans l'économie, et les salaires sont de beaucoup diminués qu'avant d'avoir une cible claire.
Ce que l'on constate, c'est que les chocs d'offre ont beaucoup moins d'effets sur l'inflation maintenant que dans les années passées.
Le sénateur Bellemare : Tant mieux!
[Traduction]
Le sénateur Stewart Olsen : J'aimerais que nous revenions brièvement sur la question de l'endettement des ménages. L'économie canadienne se sort haut la main de la crise mondiale et de cette période de relance, mais l'endettement des ménages canadiens est une ombre au tableau. Vous dites maintenant que les choses ralentissent, ce qui se présente bien. Cependant, vous ajoutez que cela pourrait poser un risque. Quel est le juste milieu?
M. Carney : C'est une excellente question. Tel que nous l'avons indiqué précédemment, nous recevons des signaux mixtes. Le taux de croissance de l'endettement des ménages a diminué, mais il croît toujours plus rapidement que les revenus des ménages. Il s'établit à 5,5 p. 100, alors que les données plus récentes concernant le revenu disponible des ménages s'établissent à 3,5 p. 100 : on constate donc tout de même un accroissement général de l'endettement des Canadiens. On reçoit également des signaux mixtes du marché du logement, où les reventes sont en deçà de leur moyenne historique, mais où les mises en chantier sont encore bien au-delà du taux de formation des ménages. Je crois qu'on a récemment recensé environ 220 000 mises en chantier, alors que l'on compte 190 000 nouveaux ménages : les signes sont donc contradictoires.
Quant au juste milieu, il est possible que le fardeau de la dette des ménages s'équilibre au cours de la période de projection. Nous pensons qu'il cessera de croître d'ici la fin de l'horizon prévisionnel. Si c'est le cas, le ratio du service de la dette des ménages canadiens ne sera que très légèrement au-dessus de la moyenne historique. Le coût de la dette des ménages n'est que légèrement supérieur. Une proportion importante mais tout de même relativement modeste des ménages a un ratio du service de la dette inquiétant, soit ceux qui dépensent plus de 40 p. 100 de leurs revenus au service de leur dette. On les appelle les ménages vulnérables. Dans cette conjoncture, un rajustement a été fait qui permet à notre économie de croître au taux projeté au cours de la période de projection, tout en maintenant le fardeau de la dette des ménages à un niveau acceptable.
Le risque, c'est qu'il y ait un ajustement marqué dans le marché du logement, le rythme d'accumulation des dettes des ménages associé à la consommation et la croissance économique, qui se renforcent mutuellement. On ne l'a pas observé, mais on s'attend à un ajustement. À très court terme, étant donné que les nouvelles normes de la SCHL, les mesures du gouvernement et les normes de souscription du BSIF sont entrées en vigueur presque simultanément, nous prévoyons une certaine volatilité dans la souscription de nouveaux prêts hypothécaires. En effet, lorsque des changements de ce genre se produisent, on constate souvent une augmentation des hypothèques avant que les changements n'entrent en vigueur, puis une baisse plus marquée par la suite. Il nous faudra quelques mois pour étudier les données et voir si, comme vous le dites, il y a rééquilibrage.
Le président : Voilà qui met fin à la première série de questions. Trois sénateurs voudraient poser des questions lors de la deuxième série, des questions brèves et bien envoyées. On commence avec le sénateur Massicotte.
[Français]
Le sénateur Massicotte : Sur le même sujet et pour donner au gouverneur la chance de répliquer, ce matin dans les journaux, on parlait de la dette hypothécaire à la CBC. Leur opinion est que vous exagérez un peu trop les risques dans l'économie de l'influence des dettes personnelles.
Ils font l'analyse que si l'on compare le revenu disponible au Canada, en termes de pourcentages, tous les coûts de santé sont inclus. Aux États-Unis, ce n'est pas le cas. Ils font le commentaire, comme plusieurs sénateurs, que la qualité de la dette et le pourcentage de l'endettement est beaucoup moindre, et qu'un grand nombre de Canadiens ont déjà fixé leur taux d'intérêt. Ne parlons pas des risques personnels car le sujet est trop particulier, mais les risques pour l'économie sont peut-être moindres que ce que vous et le gouvernement prétendez. Je vous donne l'occasion de répliquer aux commentaires de ces économistes réputés.
M. Carney : C'est de bonne guerre. Nous accueillons toujours les commentaires d'autres économistes et surtout des Canadiens.
Quand la banque analyse la situation pour ce qui est de l'endettement des ménages canadiens, elle utilise beaucoup de données. Cette analyse comporte plusieurs aspects. Il existe plus d'un ratio. Il est utile de se baser sur un seul ratio pour se comparer aux Américains — ou aux Anglais, qui sont dans la même situation que les Canadiens. Il n'y a pas davantage d'impôt en Angleterre qu'au Canada avec la dette hypothécaire. Nous faisons beaucoup d'analyses détaillées dans nos rapports sur le système financier. Ces analyses utilisent des microdonnées, c'est-à-dire de vraies mesures basées sur des dizaines de milliers de ménages canadiens, leurs dettes, leur revenu et obligations. Nous faisons des stress test avec ces données.
Il est clair qu'il y a un problème, même avec le niveau ou le ratio d'endettement fixé. Il y a un problème dans le cas d'une augmentation du taux de chômage. On arrive assez rapidement à une situation où un ménage canadien sur 10 a un problème ou se trouve dans une situation de vulnérabilité. Nous utilisons surtout les données de la SCHL. Nous faisons des stress tests avec le BSIF, nous faisons des stress tests des banques avec le BSIF et beaucoup d'analyses. Il ne s'agit pas simplement d'un graphique.
[Traduction]
Le sénateur Ringuette : En avril dernier, je vous ai demandé à combien s'élevait la réserve de change, et vous m'avez dit 60 milliards de dollars, soit deux fois plus qu'il y a 10 ans. Ce chiffre a-t-il changé? Comment se fait-il que le Canada ait 60 milliards de dollars, alors que les États-Unis en ont 20 milliards et que cela semble leur suffire?
M. Carney : Voudriez-vous répondre, monsieur Macklem?
M. Macklem : J'ai raté la première partie de la question.
M. Carney : Pourquoi sommes-nous satisfaits d'avoir...
Senator Ringuette : La première question est la suivante : avons-nous toujours 60 milliards de dollars?
M. Carney : Je n'ai pas le chiffre exact en tête.
Le sénateur Ringuette : Approximativement?
M. Carney : C'est de cet ordre de grandeur.
En ce qui concerne la gestion des réserves de devises, qui ne figure pas dans le bilan, nous sommes l'agent du gouvernement.
Le sénateur Ringuette : Je sais. J'ai posé la même question au ministre Flaherty. Il m'a recommandé de m'adresser à vous, et vous lui relancez la balle. Il est difficile d'obtenir une réponse.
M. Carney : Voici une réponse. Tout d'abord, sachez que pour financer ces réserves, le gouvernement du Canada obtient ce qu'on appelle un faible « coût de détention ». Il emprunte des fonds à un coût moindre que les réserves dans lesquelles il investit. Le gouvernement fait de l'argent sur ces 60 milliards de dollars. C'est le premier point, et il est important.
Deuxièmement, pourquoi les pays détiennent-ils des réserves? Traditionnellement, il s'agit d'une pratique prudente. Si vous étiez la monnaie de réserve, comme le sont les États-Unis, vous n'auriez pas ce problème d'une insuffisance du change puisque vous êtes le numéraire de toutes les devises. Les États-Unis sont les seuls à ne pas avoir besoin de détenir de réserve.
Cela étant dit, notre proportion de réserve étrangère, fondée sur la matrice traditionnelle du commerce extérieur et du flux de capitaux en fonction de la taille de la base monétaire au Canada, s'avère en fait plutôt petite dans le contexte historique et par rapport à d'autres pays. C'est parce que nous avons un marché libre des capitaux avec une circulation libre des marchés financier et monétaire dans les deux sens, et que nous n'utilisons pas ces réserves, sauf dans des circonstances exceptionnelles, pour intervenir dans le marché. De fait, les réserves sont perçues comme faisant partie d'un plan de liquidités beaucoup plus vaste pour le gouvernement canadien afin d'assurer qu'il dispose d'un éventail de sources de liquidités pour toute éventualité. Une interruption du marché, les catastrophes naturelles et les crises financières en sont quelques exemples. Le gouvernement a élaboré un plan de liquidités sophistiqué, qui comprend des réserves de divises étrangères, des actifs au bilan de la Banque du Canada et de la liquidité dans une multitude d'institutions financières afin de veiller à ce qu'il puisse respecter ses obligations de façon opportune.
Le sénateur Moore : Dans leur livre A Monetary History of the United States 1867 to 1960, que vous avez sans doute eu comme manuel lors de vos études à Oxford, monsieur le gouverneur, Milton Friedman et Anna Jacobson Schwartz ont cité une étude effectuée par la Chicago Federal Reserve en 1944, suite à la Grande Dépression. L'étude visait à découvrir, dans la mesure du possible, si les nombres peu élevés de prêts bancaires étaient attribuables au désir de retenir ou d'atteindre la liquidité de la part des banques, à l'attitude des fonctionnaires chargés d'examiner la situation, ou à la réticence des gens d'affaires d'assumer les risques d'emprunter pour maintenir ou étendre leurs activités. Selon les auteurs, il existe véritablement une demande non satisfaite de crédit chez les emprunteurs solvables, dont bon nombre auraient pu faire une bonne utilisation économique des fonds de roulement. L'un des aspects les plus graves de ces demandes non satisfaites était la pression de liquider les vieux prêts de fonds de roulement, même les dossiers sains, et cette pression était exercée en partie par des banquiers déterminés à éviter une répétition des erreurs auxquelles ils attribuaient une bonne partie de la responsabilité...
Le président : Sénateur Moore, avez-vous une question, s'il vous plaît?
Le sénateur Moore : La question porte sur vos commentaires au sujet des 250 milliards de dollars en argent improductif, l'accaparement de l'argent et le fait que vous pouvez toujours amener le cheval à la rivière, mais ce n'est pas vous qui le ferez boire. Est-ce que cela fait partie de la frustration? Est-ce que l'histoire se répète dans ce cas-ci?
M Carney : D'après moi, la différence ici, c'est qu'au Canada pendant l'actuelle décennie, contrairement à la situation des États-Unis pendant les années 1930, les entreprises ont facilement accès au capital du secteur financier s'ils en ont besoin.
Je terminerai en disant ceci. Un des messages que nous souhaitons communiquer au secteur des affaires serait que si les entreprises ne souhaitent pas investir au Canada en partie parce qu'elles craignent qu'un évènement dramatique à l'étranger puisse nuire à l'économie canadienne et au système financier canadien, c'est notre devoir, de concert avec le BSIF et le gouvernement canadien, d'assurer que le secteur financier le plus vigoureux du monde est en place tant pendant les périodes difficiles que les bonnes périodes. Compte tenu du capital et des liquidités que le système a accumulés pendant les dernières années, et le bon point de départ dont il jouissait, cette attente est raisonnable. Le secteur des affaires peut compter sur le système financier, en emprunter de l'argent, et investir dans des projets productifs s'il en a.
Le président : D'après moi, le compte rendu du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce démontrera que vous avez très bien réussi à répondre à cette question provenant d'une publication de 1944.
Sénateur Moore, nous apprécions que vous ayez souligné cette question pour le comité.
Gouverneur Carney et premier sous-gouverneur Macklem, de la part de tous les membres de notre comité, votre exposé a été des plus intéressants, comme toujours. Nous vous remercions d'être venus témoigner.
(La séance est levée.)