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ENEV - Comité permanent

Énergie, environnement et ressources naturelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles

Fascicule 3 - Témoignages du 6 octobre 2011


OTTAWA, le jeudi 6 octobre 2011

Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd'hui à 8 h 8, pour étudier l'état actuel et futur du secteur de l'énergie au Canada (y compris les énergies de remplacement).

Le sénateur W. David Angus (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour tout le monde, chers collègues, témoins, téléspectateurs qui suivent nos délibérations sur la CPAC, le web ou d'autres médias. Cette séance est une réunion officielle du Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles. Nous poursuivons notre étude sur un cadre stratégique pour une politique nationale relative à l'énergie. Je présenterai les témoins dans un instant.

[Français]

Je suis David Angus; je suis le président du comité et les sénateurs autour de la table forment le comité.

[Traduction]

Sont présents, le sénateur Grant Mitchell, de l'Alberta, qui est vice-président du comité; deux membres du personnel de soutien de la Bibliothèque du Parlement, Marc LeBlanc et Sam Banks; le sénateur Robert Peterson, de la Saskatchewan; le sénateur Tommy Banks, de l'Alberta; notre greffière, Lynn Gordon; le sénateur John Wallace, du Nouveau-Brunswick et notre pitbull du Yukon, le sénateur Daniel Lang.

[Français]

De Montréal, au Québec, le sénateur Judith Seidman, et un autre Québécois, par la voie du Manitoba, le sénateur Paul Massicotte.

[Traduction]

J'aperçois des visages familiers au fond de la salle. Nous poursuivons nos travaux. Le croyez-vous, mais à ce jour, nous avons entendu 170 témoins dans le cadre de cette étude, de ce nombre 71 ont comparu devant nous durant nos déplacements l'hiver dernier à Montréal, à Québec et dans les provinces du Canada atlantique. Nous projetons d'aller bientôt dans l'Ouest, au Manitoba, en Saskatchewan et peut-être dans d'autres endroits au nord, mais certainement à Calgary et Edmonton en Alberta. Nous irons ensuite à Vancouver, en Colombie-Britannique, pour terminer nos délibérations et notre enquête et nous concentrer sur la rédaction de notre rapport que nous prévoyons publier au début du mois de juin 2012.

Ce matin, notre réunion se fera en deux parties. Durant la première, nous entendrons les représentants de l'Association des produits forestiers du Canada et durant la deuxième heure, ceux de Canadian Geothermal Energy Association. Nous n'avons entendu que très peu de témoins représentant ces deux secteurs. Les produits forestiers sont un sujet particulièrement intéressant car nous entendons tellement parler des possibilités énergétiques que peuvent offrir ces produits et leurs dérivés.

Nous avons déjà vu le premier monsieur assis là, M. Avrim Lazar, dans des modes d'expression différents et nous sommes ravis de le voir parmi nous de si bonne heure ce matin. M. Lazar est président et chef de la direction de l'Association des produits forestiers du Canada (APFC) depuis le mois de janvier 2002 et copréside le Comité consultatif du papier et des produits dérivés du bois des Nations Unies.

M. Lazar a occupé des postes stratégiques dans l'élaboration des politiques au sein de plusieurs ministres fédéraux, notamment à Justice Canada, à l'Agriculture et au Développement des ressources humaines. Il était chargé de la politique nationale dans des domaines aussi variés que les changements climatiques, la biodiversité, la pauvreté chez les enfants, l'assurance-emploi et la formation de la main-d'œuvre.

Ensuite et surtout, nous accueillons Catherine Cobden, qui est vice-présidente aux affaires économiques à l'Association des produits forestiers du Canada. Comptant plus de 20 ans d'expérience, elle est responsable des dossiers qui touchent la compétitivité économique du secteur canadien de la pâte, du papier et des produits du bois. Elle appuie les sociétés membres de l'APFC pour les questions relatives à la transformation du secteur forestier, à la fiscalité, à la concurrence, à l'énergie et à la politique ferroviaire. Elle est de plus responsable du projet de la voie biotechnologique, une vision innovatrice des possibilités qu'offre la nouvelle bioéconomie à l'industrie des produits forestiers.

Vous avez eu la bienveillance de nous remettre une documentation exhaustive. Nous avons reçu un communiqué de presse intitulé « Une nouvelle étude révèle un avenir biotechnologique prometteur pour l'industrie canadienne des produits forestiers », une fiche d'information médias sur le projet de la voie biotechnologique et un résumé de ses conclusions intitulé « Transformer l'industrie canadienne des produits forestiers. »

Monsieur Lazar, je crois comprendre que vous êtes le premier à prendre la parole. Vous n'avez pas de texte rédigé et vous allez nous faire part de votre sagesse en improvisant comme bon vous semble. Nous sommes impatients d'entendre ce que vous avez à dire, nous procéderons par la suite à un contre-interrogatoire serré.

Avrim Lazar, président et chef de la direction, Association des produits forestiers du Canada : Bonjour sénateurs, voici une bonne façon de commencer la journée. Il me semble que vous avez travaillé tard la nuit dernière, donc, chaque fois que je rencontrerai un contribuable je lui dirais que les sénateurs travaillent tard dans la nuit et qu'ils se remettent au travail avec acharnement tôt le matin.

Le président : Et qu'ils sont toujours éveillés.

M. Lazar : C'est bien ce que j'avais remarqué. Des rumeurs circulent disant que certains sénateurs somnolent, mais je n'en ai jamais vus. J'ai toujours été l'objet de contre-interrogatoires serrés et je me réjouis d'en avoir un autre aujourd'hui.

L'énergie est un sujet préoccupant pour l'industrie forestière. Nos produits en bois ou en papier sont à la base un arbre et de l'énergie. Nous prenons un arbre et utilisons de l'énergie pour le transformer en l'un de nos produits courants. Nous sommes donc un gros consommateur d'énergie qui en dépend fortement.

L'incidence de la consommation d'énergie est une préoccupation pour l'industrie forestière en raison des effets nuisibles qu'ont les changements climatiques et la concentration croissante des gaz à effet de serre sur la forêt. Notre secteur dépend d'écosystèmes sains et quand le climat change les écosystèmes changent aussi. Nous avons assisté malheureusement à la propagation incontrôlable du dendroctone du pin qui a été favorisée par des températures plus chaudes. Suite à ce changement climatique, nous nous attendons à voir des changements au niveau de la structure forestière.

Notre secteur est axé à la fois sur l'énergie et sur le changement climatique. Nous représentons aujourd'hui un élément important de la filière énergétique canadienne et nous sommes conscients du fait que le comité a entamé cette étude en sachant que l'énergie que nous consommons provient de différentes sources. L'énergie actuellement produite par l'industrie forestière canadienne équivaut à l'énergie produite par trois réacteurs nucléaires et suffit à alimenter Vancouver 24 heures sur 24.

Toute cette énergie produite est une bioénergie verte et renouvelable et nous contribuons fortement, aujourd'hui, à la filière énergétique canadienne. L'énergie consommée dans nos usines est renouvelable à environ 60 p. 100; nous souhaitons atteindre un taux de 100 p. 100 d'énergie renouvelable sur une base nette.

Le président : Pouvez-vous nous rappeler, si vous pouvez monsieur Lazar, la taille des trois réacteurs nucléaires, ont- ils une taille particulière? Je ne suis pas certain de vous avoir compris, mais de combien de mégawatts est-il question, grossièrement?

M. Lazar : Mme Cobden est en train de feuilleter rapidement sa documentation dans l'espoir de trouver ce chiffre. Sinon, nous vous le communiquerons incessamment.

Catherine Cobden, vice-présidente, Affaires économiques, Association des produits forestiers du Canada : J'ai un montant de 2,5 gigajoules par année.

Le président : Merci. Vous nous le communiquerez certainement, mais comme je l'ai mentionné au début de la séance, il s'agit d'un secteur que nous avons à peine exploré. Est-ce que l'énergie produite par votre industrie est reliée à un réseau d'électricité ou uniquement à des réseaux particuliers?

M. Lazar : Je ne les qualifierai pas de particuliers; la majeure partie de l'énergie est utilisée pour alimenter nos usines.

Le président : C'est exactement ce que je voulais dire. L'énergie sert à alimenter votre secteur.

M. Lazar : Tout à fait. Nous en vendons au réseau d'électricité et nous alimentons les collectivités situées à proximité de nos usines, cependant, la majeure partie de l'énergie est utilisée par notre secteur.

Mme Cobden : Monsieur le président, je viens aussi de découvrir que j'ai des données en kilowatts; en 2009, notre secteur de sous-produits de la biomasse a produit plus de 5 millions de kilowatts.

M. Lazar : En plus d'être notre économiste en chef, Mme Cobden est aussi ingénieure, cela permettra d'avoir une conversation plus claire.

Le président : Le sénateur McCoy, qui assiste de temps à autre à nos réunions, a eu la gentillesse de nous remettre un lexique qui définit clairement un grand nombre de ces termes tels que le mot « gigajoule ». Ce lexique démystifie aussi le secteur de l'énergie pour la personne qui ne travaille pas dans ce domaine. Malheureusement, elle n'est pas ici pour travailler avec vous, madame Cobden, nous nous en remettons donc à vous.

M. Lazar : Le traitement d'un arbre produit beaucoup de déchets. Auparavant, pour s'en débarrasser, ces déchets étaient brûlés ou envoyés dans une décharge, mais cela crée de la pollution. Aujourd'hui, nous utilisons la totalité du flux de nos déchets pour produire de l'énergie et d'autres sous-produits. Cela entre dans le cadre de la mise en œuvre par l'industrie d'un programme zéro déchet. Comme source d'énergie, nous utilisons la sciure et l'écorce, mais aussi la liqueur noire, c'est-à-dire la colle qui retient ensemble les parties de l'arbre.

Voilà en gros où nous en sommes. Le plus intéressant est que nos plus prudentes évaluations indiquent que nous pourrions tripler notre production, nous ne serons plus seulement un exportateur net mais un gros exportateur d'énergie. La multiplication par trois des chiffres cités par Mme Cobden donne une idée des potentialités en énergie verte de l'industrie forestière.

Il s'agirait là d'une contribution considérable au réseau d'électricité. Étant donné que beaucoup de nos usines sont relativement isolées géographiquement, il pourrait également y avoir une production sur place pour alimenter les collectivités avoisinantes. Ce pourrait être aussi une énorme contribution sous forme de combustibles liquides.

Nous sommes non seulement en mesure de produire de l'électricité et de l'énergie, mais nous utilisons aussi des technologies pour transformer les fibres du bois en combustibles liquides, nous produisons donc du biodiésel et du bioéthanol. Que produisons-nous d'autre?

Mme Cobden : Nous avons aussi la capacité de produire des biosolvants, un produit très important pour l'Alberta.

M. Lazar : Pouvez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet?

Mme Cobden : Nous voulons évaluer notre capacité de participation au développement de la chaîne d'approvisionnement en énergie au Canada en y ajoutant l'énergie verte. Que cette énergie soit sous forme de biocombustibles, comme l'a mentionné M. Lazar, ou de biosolvants qui serviront au transport des matières brutes et non transformées vers les raffineries, la technologie permettant de produire ce type d'énergie existe.

Nous pouvons maintenant, et c'est un développement intéressant, utiliser du bois massif en tant que produit dérivé dans nos usines, ainsi que l'a dit M. Lazar, pour le transformer en combustibles liquides en moins de deux secondes. Il s'agit là d'une importante percée technologique.

M. Lazar : Les vastes ressources forestières du Canada nous offrent une chance énorme d'écologiser notre approvisionnement énergétique et d'écologiser aussi, à l'aide du flux des déchets provenant du secteur forestier, ce que nous mettons dans un pipeline.

Le président : Est-ce cela que vous appelez le solvant?

M. Lazar : Oui, je lis le mot « diluant », mais je suppose que le terme « solvant » est plus précis.

Mme Cobden : C'est un solvant. Apparemment, il est transporté avec le combustible non transformé dans le pipeline vers la raffinerie. Je ne sais pas quelle est la composition actuelle de ce qui est utilisé comme solvant, mais l'écologisation de cette transformation à partir des déchets ligneux suscite beaucoup d'intérêt. Nous avons la capacité de les produire. Nous ne les produisons pas encore, mais nous sommes désireux de les produire à pleine capacité et de les utiliser pour obtenir du solvant, pour remplacer les flux de solvants actuels qui sont des produits pétroliers biologiques, peut-être quelqu'un ici présent le sait.

Le président : Je suppose que c'est une sorte de substance nettoyante.

Le sénateur Banks : Elle facilite le transport en pipeline. Elle diminue la propriété collante des matières transportées.

M. Lazar : Si le secteur des sables bitumineux compte parmi ses objectifs la réduction de l'empreinte écologique de ce qu'il produit, alors l'utilisation du solvant écologique et naturel provenant de l'industrie forestière sera un pas dans la bonne direction et rendra plus acceptables les matières transportées dans le pipeline. Bien évidemment, ce n'est pas la solution à tous les problèmes, mais notre expérience en matière de progrès dans le domaine écologique nous montre qu'il n'y a presque jamais de solution miracle mais plutôt des milliers d'étapes importantes qui aboutissent à un réel changement.

J'ai mentionné que notre avenir comportait une énorme possibilité de tripler notre rentabilité, soit de produire l'équivalent en énergie de neuf réacteurs nucléaires et pas seulement pour nos usines mais pour alimenter toutes les parties de la filière énergétique. Deux éléments contextuels importants sont liés à cette possibilité. Le premier est qu'on ne veut pas régler un problème environnemental, on ne veut pas régler le problème du changement climatique pour créer un autre problème environnemental en polluant la forêt. L'abattage des forêts canadiennes n'est pas une mesure progressiste sur le plan environnemental. Notre proposition ne vise pas à utiliser en premier lieu les arbres pour produire de l'énergie, mais à utiliser en tant qu'énergie le flux de déchets issus de l'industrie des produits forestiers.

Qu'il s'agisse d'un arbre entier ou du flux de déchets, nous estimons qu'il est essentiel que l'exploitation à des fins énergétiques de toute source de biomatériau se fasse conformément aux normes les plus strictes. Même dans les zones où il y a actuellement une exploitation forestière, le remplacement de l'abattage à des fins énergétiques par l'abattage pour produire du bois et du papier doit quand même être fait de la façon la plus durable du point de vue écologique.

L'un des avantages que notre industrie apporte à la filière énergétique, c'est que dans les zones où nous pratiquons l'exploitation forestière nous sommes régis par les normes internationales les plus élevées. Toutes nos opérations ont été agréées à l'échelon international et elles ont fait l'objet de vérifications indépendantes utilisant les normes internationales les plus rigoureuses. En plus, nous collaborons très étroitement avec d'importants groupes environnementaux pour obtenir de meilleurs résultats chaque année. Nous avons signé une entente, au niveau de nos opérations dans la forêt boréale, avec la Société pour la nature et les parcs du Canada, la Fondation David Suzuki, Greenpeace, Canopy — toutes les organisations environnementales les plus dynamiques — pour assurer que nos pratiques d'exploitation forestière respectent les normes les plus strictes et que les écologistes reconnaissent ces normes sur le marché. L'énergie produite par l'industrie forestière, quelle qu'elle soit, sera accompagnée d'une preuve de l'engagement vert grâce aux pratiques d'exploitation du biomatériau.

L'autre élément contextuel, c'est que nous ne pouvons pas nous pencher sur les questions environnementales sans tenir compte des emplois. C'est l'une des raisons pour laquelle nous avons conclu une entente avec les groupes écologiques, afin de s'assurer qu'ils tiennent compte des emplois dans leurs discussions et s'assurer que, de notre côté, nous tenons compte de l'environnement dans nos discussions. Pour notre secteur, la réponse à l'énergie verte et aux emplois est très claire. La production d'énergie en tant que dérivé de la production de la pâte, du papier et du bois d'œuvre crée cinq fois plus d'emplois que ceux créés par le brûlage des arbres.

Nous ne recommandons pas la création d'une industrie de la bioénergie qui se limiterait à l'exploitation forestière, au halage des arbres dans la nature pour les brûler quelque part. Nous recommandons d'intégrer l'industrie de la bioénergie au secteur de la pâte, du papier et du bois d'œuvre. Nous suggérons que — mais c'est en fait plus qu'une suggestion puisque nous avons à l'appui de nombreuses études économiques et techniques que nous avons menées — du point de vue environnemental, l'utilisation du flux de déchets est beaucoup plus logique que le simple abattage des arbres pour les brûler.

Du point de vue social, cinq fois plus d'emplois sont créés, et du point de vue économique, on obtient la valeur maximale de chaque arbre abattu, car, à partir de cet arbre on peut produire le bois d'œuvre; la pâte à papier, la bioénergie et aussi toutes sortes de bioproduits, bioplastiques, biocombustibles, biopharmaceutiques et même des vêtements bio.

Messieurs les sénateurs, je n'en dirai pas plus parce que ces conversations sont plus intéressantes lorsqu'il y a une interaction. Je sais qu'il est trop tôt ce matin pour écouter des gens parler sans arrêt. Je veux juste conclure et vous dire que nous applaudissons le Sénat; nous estimons que le Canada a besoin d'une stratégie énergétique nationale. Nous estimons que cette stratégie doit répondre aux besoins énergétiques du Canada, au potentiel de croissance économique du Canada, aux emplois au Canada, mais cette stratégie doit également assurer que le rôle du Canada dans la filière énergétique mondiale soit de contribuer à réduire le changement climatique plutôt qu'à l'accentuer. Nous sommes heureux de dire que, dans tous ces domaines, l'industrie forestière fait partie de la solution.

Le président : Merci monsieur Lazar. Madame Cobden, allez-vous aussi parler? Vous n'interviendrez que pour répondre à des questions.

Mme Cobden : C'est exact.

M. Lazar : Elle est ici pour veiller à ce que je ne me trompe pas.

Le président : Monsieur Lazar, vous êtes un homme très sage. J'ai deux ou trois questions à vous poser au sujet de l'association. Est-ce que l'Association des produits forestiers du Canada est la version actuelle de ce qui était autrefois l'Association canadienne des pâtes et papiers, qui était située à Montréal?

M. Lazar : Oui. L'Association des pâtes et papiers était différente en ce sens qu'elle ne comprenait que des entreprises de pâtes et papiers. L'industrie a changé puisque vous ne produisez de la pâte et du papier qu'à partir du bois. L'industrie fonctionne ainsi : vous récoltez l'arbre, vous sciez votre bois et les copeaux sont utilisés pour produire la pâte, qui est ensuite transformée en papier. Nous nous appelons l'Association des produits forestiers du Canada parce que nous avons toute la chaîne de valeur intégrée. Nous représentons environ 70 p. 100 de l'industrie au pays, de Terre-Neuve jusqu'à l'île de Vancouver. Nos bureaux sont situés ici, à Ottawa.

Le président : Combien avez-vous de membres? Vous dites 70 p. 100.

M. Lazar : C'est environ 23 membres. Nous avons généralement les grandes entreprises intégrées. Les plus petites entreprises appartiennent surtout aux associations provinciales, qui s'occupent de certains aspects plus détaillés de la réglementation dans le domaine forestier. Nous consultons régulièrement les associations provinciales, de sorte que l'ensemble de l'industrie partage la plupart de nos positions. Il peut y avoir des différences régionales dans quelques dossiers, comme l'accord sur le bois d'œuvre et l'énergie. Je pourrais dire sans trop me tromper que toutes les associations régionales auraient exactement la même position que nous sur tout ce dont nous parlons aujourd'hui.

Le président : Pour la gouverne des membres du comité, il y a une liste des membres et d'autres détails sur l'association dans le document que la Bibliothèque du Parlement a préparé pour nous. Au nom de mes collègues, je crois qu'il serait approprié de rendre hommage à vos membres et à votre industrie pour vos excellentes initiatives. Votre industrie a dû relever d'importants défis au cours des dix dernières années. Le fait d'augmenter le nombre de Canadiens embauchés au lieu de réduire ce nombre me paraît paradoxal.

Le sénateur Mitchell : Merci beaucoup. Monsieur Lazar, je me souviens de votre première comparution devant un comité dont j'étais membre. Ce que faisait alors votre organisation était pour moi très inspirant. À l'époque — il y a trois ans, je crois —, vous avez annoncé que votre secteur avait réussi à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 44 p. 100 par rapport aux niveaux de 1990, ce qui était bien au-delà des objectifs de Kyoto et constituait un exemple à suivre. Vous avez franchi l'étape suivante. Votre secteur s'est transformé. Aujourd'hui, vous avez fait ressortir un élément puissant. Si vous faites les choses correctement et que vous relevez les défis que posent les changements climatiques, vous créez plus d'emplois. Vous en avez cinq fois plus lorsque vous utilisez cette ressource correctement; c'est un chiffre dont on peut s'inspirer.

J'ai remarqué lors de notre exposé que deux ou trois programmes subventionnés par le gouvernement ont pu faciliter cette transformation. Je me demande si vous pouvez en parler. Il y a notamment le programme Investissements dans la transformation de l'industrie forestière, ITIF, d'une valeur de 100 millions de dollars, et aussi le Programme d'écologisation des pâtes et papiers, qui était de 1 milliard de dollars. Pouvez-vous expliquer comment ces programmes fonctionnaient et d'où venait l'argent?

M. Lazar : Je vais vous faire un bref historique. L'industrie était autrefois relativement prospère parce que la valeur du dollar était faible et nous avions peu de concurrence. Puis les concurrents ont fait leur apparition, la mondialisation nous a rejoints et le dollar a pris la direction que nous connaissons.

À cette époque, le gouvernement a eu l'instinct naturel d'intervenir et d'aider l'industrie lorsqu'une usine avait de la difficulté à trouver l'argent nécessaire pour continuer de fonctionner et faire de nouveaux investissements. Ce genre d'intervention, c'est-à-dire subventionner des usines qui périclitent, a rendu l'industrie moins compétitive, et non le contraire. Je n'accuse personne. C'est notre industrie qui a crié à l'aide et des députés, qui se faisaient du souci pour les gens dans leurs circonscriptions, sont intervenus. Toutefois, l'effet net a été d'affaiblir l'industrie au lieu de la renforcer.

Puis, notre association a eu une réunion plutôt ardue. Tout le monde était d'accord pour dire qu'il fallait refuser les subventions du gouvernement. Nous ne voulions rien qui puisse maintenir le statu quo. Nous voulions que le gouvernement contribue à notre transformation.

Après que nous nous sommes mis d'accord et que nous nous en sommes tenus à cette politique, certaines entreprises ont agi en douce pour demander des cadeaux, mais ces tentatives ont été vaines parce que la majorité des membres de l'association s'y oppose.

Les gouvernements ont plutôt investi dans la recherche et le développement, dans l'écologisation des opérations, dans les nouvelles technologies et les nouveaux partenariats techniques. Le Programme d'écologisation des pâtes et papiers était une réponse à la subvention américaine de la liqueur résiduaire. Le gouvernement des États-Unis a accordé cette subvention d'une manière qui a transformé l'industrie américaine, parce que vous receviez une somme d'argent si vous produisiez une énergie verte, mais vous n'aviez pas à changer quoi que ce soit.

Au Canada, on a investi plus intelligemment puisque vous ne pouviez avoir accès à ce fonds d'un milliard de dollars que si vous apportiez des améliorations à une usine canadienne. Au lieu de consentir simplement une somme d'argent, on a créé un effet de levier. Il fallait que ce soit une amélioration écologique, un investissement dans une usine canadienne, qui allait engendrer des avantages à long terme à la fois sur le plan de l'écologie et de la compétitivité.

Le programme ITIF qui a suivi est semblable. Il met de l'avant ces nouvelles technologies de bioproduits, de bioplastiques et de nouvelles façons d'ajouter de la valeur dans l'industrie à l'échelle commerciale.

Notre relation avec le gouvernement a gagné en maturité. Alors que nous lui demandions de nous protéger contre les changements, nous lui demandons aujourd'hui d'accélérer notre transformation. Cela étant dit, il ne faut pas perdre de vue le marché mondial dans lequel nous devons faire face à la concurrence. Évidemment, nous exportons le gros de notre production.

En Europe, aux États-Unis et en Amérique du Sud, les gouvernements investissent davantage que le nôtre dans la transformation. Ils investissent davantage dans l'énergie verte, la nouvelle technologie et la recherche et le développement. Le gouvernement du Canada mérite certes des éloges et notre industrie l'a grandement remercié d'avoir investi correctement et intelligemment et d'avoir fait les choses que nous demandions, mais il doit réfléchir à une stratégie énergétique nationale pour le Canada en tenant compte du marché mondial.

Nous aimons penser que l'économie mondialisée se résume à la concurrence entre diverses entreprises partout sur la planète, mais l'économie mondiale est en fait beaucoup plus internationale que mondiale. C'est une concurrence entre les nations, ou plutôt entre les pays. Les pays qui non seulement investissent les bonnes sommes d'argent mais les investissent intelligemment ont clairement un avantage économique. Voilà une réponse probablement plus longue que ce que vous attendiez.

Le sénateur Mitchell : C'est une observation éloquente.

Vous avez dit qu'une partie de l'énergie que votre secteur produit est vendue au réseau. J'ai deux ou trois questions à vous poser à ce sujet.

Doit-on, pour cela, modifier considérablement un réseau? Lorsqu'une usine commence cette pratique, devez-vous vous adresser à la compagnie d'électricité et lui dire : « Nous avons besoin d'une rue à double sens »?

Deuxièmement, quelles sont les considérations économiques concernant cette énergie? Est-ce qu'elle est vendue à un réseau seulement parce qu'elle est subventionnée, ou est-elle vraiment concurrentielle? Dans un certain sens, j'imagine qu'elle est concurrentielle puisqu'une fois que vous l'avez produite, vous pourriez aussi bien la vendre à sa juste valeur.

Mme Cobden : Merci beaucoup d'avoir posé la question. La capacité de vendre de l'électricité excédentaire dans le réseau tient à l'infrastructure. Selon mon expérience, cela dépend énormément de l'emplacement de l'usine.

Certaines usines au Canada ont beaucoup plus de potentiel en énergie verte, mais elles doivent se prêter à ces négociations avec la compagnie d'électricité pour s'assurer que l'infrastructure est en place. Je sais que des usines et des compagnies d'électricité mettent leurs ressources en commun pour mettre en place ces installations. À d'autres endroits, l'infrastructure existe déjà, alors il est difficile de répondre précisément à votre question.

Parlons des considérations économiques. Dans certaines provinces, vous pouvez obtenir des crédits verts supplémentaires, par exemple, pour l'énergie verte. Les considérations économiques sont très favorables du point de vue d'une usine de pâtes et papiers. C'est moins évident pour le secteur du bois. Il est clair que vous pouvez produire de l'énergie de façon économique dans ces grandes usines; vous n'avez donc pas besoin de subventions.

Cette énergie est produite à partir de vos déchets. Il faut d'abord un investissement important pour la chaudière, l'équipement de contrôle de la pollution et ce genre de choses, mais lorsque cet équipement est en place, c'est rentable.

Le sénateur Mitchell : Serait-il avantageux pour moi d'acheter cette énergie de votre usine, pour ma maison? Serait- ce plus économique que l'électricité que j'achète présentement, l'électricité au charbon? Lorsque vous vendez cette énergie au réseau, est-ce à un prix concurrentiel?

Mme Cobden : La question des tarifs est passablement complexe, selon chaque province.

Le sénateur Mitchell : Évidemment, le coût de production de votre électricité varie d'un endroit à l'autre.

Mme Cobden : Bien sûr. Je ne suis pas une spécialiste des tarifs d'électricité, mais selon mon expérience, je dirais qu'il y a des contrôles réglementaires passablement serrés sur les tarifs. Je suis désolée, mais je ne peux pas vous donner de réponse précise.

M. Lazar : L'accès au réseau relève davantage de la bureaucratie que de la technique. Selon moi, il ne fait aucun doute que l'énergie que nous produisons serait vendue à un tarif concurrentiel parce qu'elle vient principalement de nos déchets. Cela nous amène à nous poser une question intéressante : si le gouvernement souhaitait augmenter la production d'énergie renouvelable, où le financement devrait-il aller? Devrait-on verser une prime pour l'énergie renouvelable, ou investir dans les immobilisations? Notre industrie croit qu'il faudrait investir dans les immobilisations. Nous ne voulons pas que notre capacité repose sur les promesses de subventions du gouvernement puisque, étant dans une démocratie, les gouvernements changent, les points de vue des ministres changent. La constance de la politique énergétique au Canada depuis les 20 dernières années n'a rien de rassurant pour un investisseur.

Si le gouvernement choisit de prêter main-forte, nous préférerions qu'il nous aide à transformer l'infrastructure pour produire l'énergie verte et qu'il laisse ensuite le marché prendre le dessus, au lieu de procéder à des changements en espérant que les subventions seront là dans l'avenir.

Mme Cobden : Dans le cadre du Projet de la voie biotechnologique, nous nous sommes penchés sur une question très précise. Beaucoup s'étaient montrés intéressés par la production d'éthanol à partir du bois, par exemple, et nous voulions étudier toutes ces technologies différentes pour voir quelle était la formule gagnante pour produire ces produits en faisant des profits et en créant des emplois.

Nous avons examiné 37 technologies. La moitié n'était pas rentable. Le fait est qu'il y a de nombreux endroits où nous pouvons faire des erreurs si vous essayez de subventionner directement ces choses. Cela nous amène à conclure encore une fois qu'il faut soutenir la mise en place des installations et non la production à long terme.

Le sénateur Banks : Je vous félicite pour l'entente sur la forêt boréale et toutes ces choses dont vous parlez. Cela n'a pas toujours été le cas, mais vous êtes aujourd'hui, du moins à certains égards, un modèle que, nous l'espérons, d'autres industries voudront bien suivre pour ce qui est de la collaboration.

Que faudra-t-il pour en arriver à produire, comme vous l'avez mentionné, trois fois plus d'énergie que vous ne produisez maintenant et pour que vous puissiez ainsi alimenter considérablement le réseau? C'est fantastique que vous puissiez alimenter vos usines avec 60 p. 100 de l'énergie que vous produisez vous-mêmes, puisque vous ne tirez pas cette électricité du réseau. Que faudra-t-il? Je crois que vous avez décrit le processus, mais où en sommes-nous dans le processus? Combien de temps faudra-t-il pour y arriver et quel progrès allons-nous réaliser, selon vous, dans un avenir prévisible?

M. Lazar : C'est difficile à dire, parce que cela dépend des liquidités dont on dispose pour investir. Les dernières années ont été difficiles pour l'industrie forestière. Durant la récession, le renouvellement de nos immobilisations a stagné. Les gens utilisaient toutes leurs liquidités pour s'acquitter de leurs dettes, puisque nous vendions à perte. Nous pouvons maintenant investir de nouveau et nous nous concentrons sur les mises à niveau et les investissements qui auraient dû être faits en temps normal, mais qui ne l'ont pas été à cause de la récession.

Si nous avions accès à d'importants capitaux, ces choses se feraient très rapidement, parce que c'est ce qu'il faut faire du point de vue économique. Comme nous n'avons pas accès aux capitaux, je dois répondre que cela dépend de la relance du marché immobilier aux États-Unis. L'Europe arrivera-t-elle à trouver un juste équilibre entre ses aspirations sociales et sa réalité économique? Cela dépend de toutes ces autres choses.

Si un fonds gouvernemental était disponible, même un fonds remboursable... Le problème, ce n'est pas que cela n'a pas de sens du point de vue économique. Ce sont les liquidités qui nous posent un problème. On pourrait le faire très rapidement, en quelques années — non pas en deux ans, mais certainement pas en sept ou huit ans non plus. Nous pourrions agir très rapidement si les capitaux étaient disponibles. Nous nous sommes entretenus avec le ministre Oliver, notamment sur le concept d'un fonds d'accélération, qui serait remboursable au gouvernement. Pour éviter que le gouvernement ne soit tenté de financer des mesures qui n'ont aucun sens ou que l'industrie fasse certaines choses simplement parce que l'argent du gouvernement est disponible, les gens ne prendraient que l'argent qu'ils auraient à rembourser, si bien qu'ils ne l'utiliseraient que pour des choses économiquement viables. Toutefois, ce fonds permettrait de combler le manque de capitaux disponibles pour ce type d'investissement et d'accélérer notre transformation vers l'énergie verte.

Le sénateur Seidman : Je voulais vous poser des questions au sujet de CanmetÉNERGIE, du ministère des Ressources naturelles. Le groupe de recherche interne de ce ministère est responsable du programme CanmetÉNERGIE, qui effectue de la recherche et du développement technologique se rapportant à l'énergie propre. Apparemment, l'énergie de la biomasse est l'un de ses domaines de recherche. J'aimerais savoir si vous collaborez d'une façon quelconque au programme CanmetÉNERGIE et si votre industrie elle-même effectue ses propres travaux de recherche et de développement sur la biomasse.

Mme Cobden : Je vous remercie, sénateur, de votre question. En fait, il y a une chose très intéressante à propos de l'industrie forestière, dont M. Lazar a fait allusion, mais que je vais préciser. C'est que l'industrie a beaucoup travaillé en vase clos par le passé. Dans la tempête économique que nous avons dû affronter, nous avons réalisé que les partenariats et la collaboration sont des éléments essentiels à notre avenir; ils sont essentiels, je crois, si nous voulons tirer le maximum de ce que nous proposons.

Dans le cadre de nos initiatives, nous avons tendu la main et nous travaillons avec plus de 75 experts de toutes les régions du pays, de véritables experts dans le domaine, y compris CanmetÉNERGIE. Ils ont contribué énormément à notre travail, surtout au Projet de la voie biotechnologique. Encore une fois, l'industrie a décidé que nous pouvons examiner cette question, à savoir comment maximiser la valeur des ressources canadiennes, mais il ne faut pas croire pour autant que nous avons toutes les réponses. Nous avons ouvert notre processus, et nous avons invité tous les experts dont nous avons pu entendre parler, de tous les coins du pays. Ils forment un groupe absolument fantastique.

Au sein de notre industrie, nous avons aussi une excellente capacité sous la forme de FPInnovations; il s'agit de notre groupe de recherche et de développement. Il a des relations importantes. Je crois qu'il a conclu un protocole d'entente avec CanmetÉNERGIE pour partager la recherche. Évidemment, il travaille en étroite collaboration avec huit réseaux du CRSNG pour ce qui est du développement de la technologie énergétique.

Le sénateur Peterson : Je vais revenir à la question du sénateur Banks, celle de la stabilité financière, et à savoir si votre industrie génère des recettes suffisantes pour assurer le réoutillage et la modernisation qui sont nécessaires pour faire, avec les arbres, toutes ces choses merveilleuses dont vous nous avez parlé ce matin.

Selon vous, en serons-nous témoins dans l'avenir immédiat ou faut-il pour y arriver concevoir une stratégie visant l'amélioration de l'infrastructure? Je suis conscient qu'une grande partie de l'infrastructure de votre industrie est vieillissante et doit être changée.

M. Lazar : Oui, nous le ferons. Je vais vous mettre un peu en contexte. La demande mondiale pour nos produits croît d'année en année. Même durant la récession, la demande globale a augmenté.

Étant donné que le PIB mondial aura doublé d'ici 20 ans et que les marchés émergents connaissent une croissance énorme, nous vendons nos produits comme des petits pains chauds. Nous sommes l'industrie canadienne qui exporte le plus en Chine. Il y a une demande du marché pour nos produits.

Cependant, nous avons de la concurrence. Par le passé, quand la demande a augmenté, des gens ont lancé des fermes forestières notamment au Brésil, en Uruguay et au Chili. Il y a un ralentissement de ce côté, parce que les pays ont besoin de terres arables pour produire de la nourriture et du biocarburant. L'ONU a évalué que pour répondre à la demande en nourriture et en biocarburant des 20 prochaines années, il faudrait le double des terres arables non utilisées actuellement. Ces terres seront énormément sollicitées, et la seule façon de répondre à la demande croissante en produits forestiers sera d'exploiter la forêt boréale; ce sont donc les Canadiens, les Scandinaves et les Russes qui vont s'en occuper.

Les Sud-Américains continueront de produire, mais la croissance de leur industrie ne sera pas suffisante pour répondre à la demande. L'infrastructure russe n'est pas en croissance; elle implose. Les Russes n'exploitent pas la ressource. Les Scandinaves sont sophistiqués, mais la lourdeur de leur structure des coûts leur nuit. Nous serons concurrentiels.

S'il y a un marché, il y aura des investissements. Cependant, il reste à savoir si ces investissements seront faits assez rapidement et s'ils seront faits aux bons endroits. Pour ce faire, nous proposons que le gouvernement aille de l'avant avec le Fonds d'accélération des investissements.

Il ne faut pas non plus oublier l'amortissement accéléré des immobilisations. Depuis des années, d'un budget à l'autre, le gouvernement reconduit cette pratique. Les gens ont tendance à sous-estimer son utilité.

Le capital dort dans un fonds central, et la majorité des entreprises sont des multinationales. Les dirigeants se demandent s'ils vont investir dans leur usine en France, en Géorgie, en Uruguay ou au Canada. L'amortissement accéléré des immobilisations signifie que l'investisseur récupère plus rapidement son argent en choisissant une usine canadienne. Il s'agit d'un montant déductible aux fins de l'impôt, mais aussi d'une importante motivation financière. Ce montant reste le même; c'est seulement le nombre d'années qui change. N'empêche que les investisseurs préfèrent récupérer rapidement leurs investissements et que l'amortissement accéléré des immobilisations fait vraiment pencher la balance.

Le problème est que le gouvernement prend de bonnes décisions une année à la fois et que les décisions en matière d'investissement prennent des années à se concrétiser. Nous n'avons pas encore atteint le plein potentiel de l'amortissement accéléré des immobilisations, parce que les cycles de la planification des immobilisations s'étendent sur des années et que nous ne savons pas si l'amortissement accéléré des immobilisations sera maintenu d'une année à l'autre.

Le sénateur Lang : J'aimerais vous entendre brièvement sur l'infestation du dendroctone du pin ponderosa, qui se propage également aux épinettes. Quelles en seront les conséquences sur votre approvisionnement?

C'est alarmant pour un profane de constater sur vidéo la dévastation dans certains endroits au pays, en particulier sur la côte Ouest et au Yukon, et aux États-Unis. On parle de l'expansion de votre industrie, mais il faut également aborder la question de l'approvisionnement. Pourriez-vous commenter la situation?

M. Lazar : Notre point de vue global est que nous nous opposons de toutes nos forces au dendroctone du pin ponderosa, et nous maintenons cette ligne depuis des années. Nous resterons fermement campés sur notre position. Je sais que ce n'est pas franc-jeu pour une grosse industrie de s'en prendre à un petit insecte; n'empêche que cet insecte a gagné pratiquement toutes les batailles jusqu'à maintenant.

Nous continuerons d'avoir de l'approvisionnement. Bien entendu, il y aura une réduction. L'industrie ne retrouvera pas sa grandeur d'antan; elle sera seulement plus rentable. Nous ne couperons pas autant d'arbres que par le passé, mais nous tirerons davantage de valeur de chaque arbre.

Nous ne reviendrons probablement pas au nombre d'emplois que nous avions à notre apogée, mais nous allons probablement réussir à nous maintenir près du seuil actuel. Il est question d'environ 840 000 emplois directs et indirects. La plupart de ces emplois seront maintenus. La concurrence mondiale ne sera jamais de tout repos, mais nous sommes bien placés pour être un joueur sur le marché, parce que nous tirons davantage de valeur de chaque arbre et que l'industrie se transforme.

C'est bien entendu une scène désolante pour tous les Canadiens, mais les collectivités dont les réserves forestières ont été dévastées en ressentent les conséquences et continueront de les ressentir pour des années à venir.

Il est intéressant de comprendre ce que nous avons appris sur le dendroctone du pin ponderosa. Tout d'abord, nous avons, d'une certaine façon, mal compris les changements climatiques. Nous résumons toujours les changements climatiques à des manifestations géographiques, à savoir les tempêtes, les inondations et le niveau de la mer qui monte et qui descend. Cependant, la plus grande menace ne vient pas de la géosphère. On risque davantage de ressentir les effets de la biosphère que des ouragans et des inondations.

La biosphère interagit intimement avec la géosphère. Lorsque les systèmes météorologiques changent, les écosystèmes se modifient. Notre expérience en ce qui concerne l'infestation du dendroctone du pin ponderosa sert à expliquer pourquoi nous devrions nous inquiéter davantage des changements climatiques.

Il est vrai que cet insecte a toujours existé et que d'autres facteurs ont contribué à l'expansion incontrôlable de sa population. Cependant, il y a un consensus. Cette infestation tire principalement son origine de l'absence depuis des années d'hivers très rigoureux dans le Nord de l'Alberta et de la Colombie-Britannique.

Le dendroctone du pin ponderosa produit en fait un antigel au cours de l'hiver. Si un coup de froid ne réussit pas à les tuer rapidement en début de saison, la population augmentera sans cesse. L'un des aspects les plus troublants est que l'adaptabilité augmente en fonction du nombre d'individus. Une adaptation se produit une fois sur un million. Sur une population d'un million d'individus, il n'y en a qu'un qui s'adapte. Si vous en avez de nuées, on se retrouve aux prises avec une multitude d'insectes qui se sont adaptés. Je sais que c'est très technique, mais c'est vrai. On passe d'une infestation contrôlée à une infestation non contrôlée et on court le risque que l'infestation se propage à d'autres espèces.

C'est la vie, lorsque nous dépendons de la nature. Voilà pourquoi l'industrie forestière s'inquiète beaucoup de la menace pour la biosphère que représentent les changements climatiques.

Le sénateur Lang : L'aspect que vous n'avez pas couvert est la question des feux de forêt. Dans notre société, nous les combattons, puis nous vivons avec les conséquences. Je comprends que le fait de ne pas laisser nos forêts suivre leur évolution naturelle y joue également un rôle important.

M. Lazar : Cela contribue à l'infestation du dendroctone du pin ponderosa ainsi qu'au développement d'autres maladies.

Le sénateur Lang : C'est un facteur important.

M. Lazar : Oui.

Le sénateur Lang : J'aimerais passer à un autre sujet, à savoir le fonds renouvelable remboursable. J'ai remarqué qu'on ne fait pas vraiment, voire aucunement, mention des responsabilités des provinces à cet égard. Pour diverses raisons constitutionnelles et pratiques, les provinces en sont, bien entendu, directement responsables.

Lorsque vous parlez de créer un fonds renouvelable remboursable, quel montant avez-vous en tête? Croyez-vous que les provinces y participeront? À quelle participation vous attendez-vous de la part de l'industrie? C'est facile de demander de l'argent au gouvernement, mais c'est plus difficile de définir le montant et de trouver comment le rembourser.

M. Lazar : Nous aimerions que les provinces y contribuent financièrement, mais notre mandat, en tant qu'association nationale, est de discuter avec le gouvernement fédéral. Nous laissons donc les associations provinciales s'occuper des négociations avec les autorités provinciales.

On a souvent dit que la contribution du gouvernement fédéral devrait être conditionnelle à ce que les provinces l'égalent. On peut voir cette situation de deux façons. Certains pourraient dire que la contribution fédérale sert de levier, parce qu'elle est conditionnelle à l'appui des provinces; d'autres diraient que c'est un moyen pour le fédéral de renoncer à sa compétence. Selon moi, nous avons toutes les raisons de croire que l'énergie est une responsabilité fédérale, et c'est à cette notion que nous faisons appel.

Le montant est une question intéressante. Nous avons discuté à l'interne de ce qu'il devrait être. Nous savons que les projets qui pourraient être réalisables à court terme et qui nous donneraient des résultats économiques clairs pourraient nécessiter au moins 3 milliards de dollars.

Je tiens à préciser que notre industrie veut que le déficit soit maîtrisé et que nous appuyons fortement le travail du gouvernement, à savoir de répondre aux besoins en investissement tout en ne tombant pas dans le piège comme d'autres pays qui ont accumulé une dette ingérable.

Nous ne disons pas que le gouvernement devrait nécessairement investir ce montant. Peu importe ce qui est investi, nous le rembourserons en totalité. Nous ne souhaitons pas recevoir la charité; nous voulons accélérer les investissements.

Le montant exact sera décidé par le ministre des Finances. Il devra évaluer le degré de stimulation économique nécessaire à un moment précis et l'importance de maîtriser le déficit. Ensuite, une fois ce montant établi, il faut déterminer le montant qui revient à l'infrastructure énergétique et à l'industrie forestière, et ce qui sera investi pour accélérer les modifications.

Nous devrons fournir un chiffre exact à M. Flaherty, ce que nous ferons en temps et lieu, mais le fait demeure que nous pourrions facilement et efficacement prendre un investissement de 3 milliards de dollars et le transformer en gains économiques et environnementaux clairs. Toutefois, nous ne sommes pas encore certains du montant que nous demanderons.

Le sénateur Wallace : Pour ce qui est du capital requis pour l'expansion des activités dans le domaine de la bioénergie, je me demande s'il existe actuellement des exemples de partenariats ou si vous croyez qu'il est possible au Canada de créer des partenariats avec un autre secteur qui se trouverait suffisamment proche de votre industrie — une raffinerie se trouve peut-être à proximité d'une usine. Dans le cadre d'un tel partenariat, l'autre industrie pourrait même aller jusqu'à investir la totalité du capital nécessaire ou les deux industries pourraient financer ensemble l'infrastructure en échange, bien entendu, d'un approvisionnement en énergie. Ce potentiel existe-t-il?

M. Lazar : C'est énorme. Nous discutons avec les gens de l'industrie énergétique, qui veulent exploiter la bioénergie, et les représentants l'industrie chimique, qui s'intéressent beaucoup aux produits chimiques d'origine biologique. Nous essayons de tisser des liens. En fait, nous avons lancé un réseau pour établir des contacts. Par le passé, l'industrie forestière a relativement été coupée des autres. Nos investissements avaient toujours tendance à venir des gens de l'industrie. Notre chaîne de valeur était vraiment axée sur la foresterie. Par conséquent, ce type de partenariats intersectoriels ne fait pas partie de nos mœurs. L'association organise des rencontres auxquelles sont conviés les hommes et les femmes remplis d'espoir qui proviennent de divers secteurs d'activité. Le succès de ces rencontres dépasse nos attentes. Il y a beaucoup d'action de ce côté.

Le sénateur Wallace : Généralement, les divers organismes provinciaux de réglementation autorisent-ils ce genre de partenariats pour la cogénération?

M. Lazar : Pour l'instant, nous pouvons dire que ces organismes ne posent pas problème. C'est davantage le manque de collaboration dans le passé qui cause un certain blocage.

Le sénateur Seidman : Vous venez de mentionner les partenariats intersectoriels, dont il est question dans vos communiqués de presse. Ma question va dans le même sens que celle du sénateur Wallace. Pourriez-vous nous donner des exemples de partenariats intersectoriels? Vous avez mentionné l'industrie chimique et je crois que Mme Cobden a aussi fait allusion à des partenariats avec de nombreuses entreprises. Pourriez-vous nous donner des exemples?

Mme Cobden : Nous aimerions bien le faire. En fait, le service de rencontre auquel M. Lazar faisait allusion s'appelle officiellement le Réseau des partenaires de la Voie biotechnologique. Il y a actuellement 165 entreprises qui veulent en apprendre davantage sur l'industrie forestière, ses objectifs commerciaux et les partenariats possibles.

On retrouve une gamme d'entreprises, dont de nouvelles petites entreprises spécialisées dans la technologie qui ont une façon novatrice de se servir du bois et des entreprises importantes des secteurs aéronautique et chimique, comme Dow et DuPont. Les entreprises énergétiques commencent à vouloir se joindre au réseau. Nous suscitons l'intérêt de beaucoup d'entreprises du secteur industriel canadien.

En réalité, il est difficile d'évaluer le succès du réseau, du service de datation, parce que, de toute évidence, ces discussions détaillées sur les partenariats seraient confidentielles plutôt rapidement. Cependant, nous sommes extrêmement encouragés par la participation.

Le sénateur Banks : Lorsque nous allons à Grande Prairie, en Alberta, nous pouvons en voir des exemples.

Le sénateur Wallace : J'ai une dernière question. Elle porte sur les questions environnementales liées à la combustion du bois pour produire de l'énergie. Je pense au public et à ceux d'entre nous qui ont un foyer ou qui en ont vu dans les quartiers et qui ont vu les particules rejetées par les cheminées. C'est préoccupant. Je suis conscient qu'il s'agit probablement et sans aucun doute d'un sujet dont on pourrait parler pendant des heures. Mais en général, pour ce qui est des émissions, en comparaison avec d'autres sources de production d'énergie, que diriez-vous des effets environnementaux de la bio-industrie, de la combustion du bois pour produire de l'énergie?

Mme Cobden : En termes non techniques, concernant l'efficacité d'un foyer, nous avons tous, bien entendu, vu la fumée qui en sort et la matière particulaire qu'elle contient. Dans le cadre de nos opérations, dans notre procédé d'utilisation des déchets ligneux comme combustible, il y a ce qu'on considère comme la meilleure technologie antipollution qui existe, et l'industrie forestière canadienne a pleinement adopté cette technologie pour contrôler les émissions de particules. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas une ou deux usines à des endroits précis qui pourraient faire mieux, mais sur le plan technologique, il n'y a aucun obstacle qui nous empêche de contrôler les émissions. Nous pouvons brûler cette matière de façon très propre. Nous pouvons capturer les particules, les recycler et en disposer.

M. Lazar : L'ancienne façon de faire — comme le savent ceux d'entre vous qui ont vu un four wigwam —, qui consistait essentiellement à brûler les déchets, était très polluante et générait beaucoup de particules.

Le sénateur Massicotte : J'aimerais revenir sur deux ou trois questions. L'essentiel de votre message, c'est : « Nous avons besoin d'un coup de main pour faire les choses correctement; nous devons être plus efficaces, et tout ce que nous voulons de vous — quand je lis votre proposition —, c'est un fonds d'accélération des investissements, des liquidités, une source de capitaux ». Or, quand je lis votre documentation, il est souvent écrit : « le gouvernement a mis en place de bonnes politiques; nous avons besoin d'un peu de soutien gouvernemental ». Un fonds d'accélération est-il la seule chose dont vous avez besoin? Je veux être certain, parce que tout le monde veut avoir quelque chose du gouvernement. Tout le monde dit : « Nous sommes rentables; nous avons simplement besoin d'un peu d'aide. »

Comme vous le savez, la plupart d'entre nous croient aux règles du marché. Toute participation du gouvernement fausse les règles du marché et est source d'inefficacité. Habituellement, cela ne va pas dans le sens des intérêts d'un pays. Dans le cas présent, le problème c'est que puisque nous ne voulons pas fixer un prix pour les émissions de carbone, nous sommes pris avec la réglementation et des mesures incitatives précises pour les différentes industries, et c'est là que les problèmes commencent. Comment fait-on pour s'assurer que c'est équitable et que le capital est attribué équitablement? Il y a des gens comme vous qui disent : « Les autres ont une longueur d'avance. Nous avons besoin d'un coup de main. »

Pourriez-vous faire des commentaires à ce sujet? Avez-vous vraiment besoin de l'appui du gouvernement et pourquoi ne le faites-vous pas fonctionner par vous-même?

M. Lazar : Je représente les industriels. Si vous demandez à n'importe lequel d'entre eux s'il voudrait être en concurrence dans un marché libre et ouvert, on vous répondrait « Si nous pouvions avoir un monde où les gouvernements se limitaient à fournir les services de police, de pompiers et de gardes-frontières et qu'ils laissaient tous les autres s'occuper du reste, c'est ce que nous voulons. » Voilà le rêve de mon industrie.

Toutefois, nous devons faire des affaires dans le monde réel, où nous devons composer avec deux choses qui sont contraires à ce rêve. La première, c'est l'intervention massive du gouvernement, sur le plan microéconomique : la réglementation et toutes sortes d'éléments liés à la microgestion. L'autre, ce sont les investissements colossaux des autres pays dans leur industrie.

Nous avons un milliard de dollars, et les États-Unis, neuf. Cela a un énorme effet sur l'industrie américaine, parce qu'elle a payé toutes ses dettes. Cela leur donne un avantage considérable au chapitre des nouveaux investissements. Tant que nous sommes en concurrence dans un système international dans lequel les pays investissent dans leurs industries, notre position — et je pense qu'on peut le démontrer de façon empirique —, c'est qu'il est tout simplement naïf de penser qu'on peut protéger les emplois et être concurrentiels quand on est en concurrence avec le trésor public des autres pays.

S'il y avait un système commercial mondial — un système économique — dans lequel les gouvernements n'investiraient pas de façon considérable, nous en serions. Nous sommes tout aussi intelligents et travaillants, nous avons de formidables ressources en fibres, de grands avantages sur le plan énergétique et nous pensons que nous pouvons être meilleurs que n'importe qui au monde sans aide gouvernementale. Cependant, nous ne pouvons pas battre le gouvernement du Brésil, qui investit massivement en R-D. Nous ne pouvons pas battre les gouvernements de l'Europe et des États-Unis. Telle est la réalité du marché mondial.

La raison pour laquelle le Canada a une piètre histoire au chapitre de la stratégie industrielle, c'est que nous avons principalement investi dans des domaines et des secteurs qui ne sont pas sains au plan économique. Au chapitre des investissements, notre expérience est essentiellement liée aux interventions d'ordre social plutôt qu'économique.

Quant à faire de l'argent, ce qui est différent des interventions d'ordre social, là où les gouvernements participent, quand il s'agit pour le pays d'une occasion de faire de l'argent et de maintenir son niveau de vie, les partenariats entre l'industrie et le gouvernement peuvent donner de très bons résultats. On n'a qu'à regarder ce qui se passe dans le monde.

Notre principale objection, c'est qu'il ne s'agit pas seulement d'une somme considérable. C'est de l'argent bien dépensé. Vous verrez que ces 10 dernières années, notre prise de position a été très constante : aucune subvention et aucune aide pour les usines qui ne peuvent survivre d'elles-mêmes. Investissez dans l'accélération de la transformation. Pour nous, cela signifie une augmentation de notre productivité, de notre compétence sur le plan écologique, de notre capacité de pénétrer de nouveaux marchés et de créer de nouveaux produits.

Le ferions-nous sans le gouvernement? Oui. Le ferions-nous aussi rapidement que nos concurrents qui ont accès au financement gouvernemental? Non.

Le sénateur Massicotte : Il s'agit d'un argument difficile à défendre, parce que dans le passé, il y a eu beaucoup d'études. Par rapport aux investissements, la plupart des interventions du gouvernement au cours des 50 à 75 dernières années ont été désastreuses. Regardez ce qui se passe du côté des États-Unis, où le président Obama est actuellement aux prises avec l'affaire de l'investissement dans le secteur de l'énergie solaire. Pensez au crédit d'impôt pour la R-D. que nous examinons de nouveau. Les gens disent que nous n'en avons pas pour notre argent. Votre opinion serait-elle très différente si nous établissions le prix du carbone? La réglementation est très utile. Vous dites que c'est un régime de libre entreprise, mais dans un tel cas, l'entreprise paie pour tous les coûts de ses effets sur la société, y compris la pollution du sol et du pays; si vous polluez, il devrait y avoir un coût. Cela milite fortement pour l'établissement du prix du carbone. Seriez-vous du même avis si le Canada avait une politique d'établissement du prix du carbone?

M. Lazar : Notre opinion serait certainement très différente. Quand Kyoto a été adopté, notre industrie était plutôt unique en son genre. Nous nous sommes dit qu'il fallait tout simplement aller de l'avant, qu'il fallait faire quelque chose et qu'il était préférable d'agir sans tarder. Nous devions devancer la courbe de coûts et investir avant les autres dans l'efficacité énergétique et les énergies de remplacement afin d'avoir un avantage dans le monde nouveau. Nous sommes dans le domaine depuis longtemps. J'étais responsable de l'élaboration des politiques à Environnement Canada lors des négociations de l'accord de Kyoto. Je ne dis pas que c'était une grande réussite au chapitre de la politique publique. Une partie des devoirs que les gouvernements auraient pu faire ne l'a pas été.

Toutefois, à l'époque, nous pensions tous que nous pourrions faire quelque chose à ce sujet et, pour une foule de raisons, nous avons choisi de ne pas le faire. Nous avons soutenu le point de vue du gouvernement actuel selon lequel nous ne devions pas devancer les États-Unis d'une façon qui pourrait nuire à l'industrie canadienne. Cependant, les États-Unis investissent considérablement dans les énergies renouvelables; nous, non. Nous sommes d'avis que si nous voulons concurrencer le système américain, nous devons investir autant que les États-Unis et non seulement adopter la même réglementation.

Cela ne s'applique pas seulement à l'industrie forestière. C'est un point de vue plutôt répandu dans les différentes industries, y compris au sein du Conseil canadien des chefs d'entreprise. Préférerions-nous un régime de tarification du carbone plutôt que des interventions gouvernementales à la pièce? Bien sûr, mais nous n'en avons pas; sans cela, nous devons adopter l'approche américaine : il faut investir dans les énergies renouvelables afin de se doter des infrastructures nécessaires.

Je veux vous donner un exemple de ce qui fait de la R-D. un investissement rentable. Ce morceau de papier est fait de fibre ligneuse. C'est ce qui fait tenir les gros arbres lourds. Elle est très résistante dans deux de ses trois dimensions, mais pas dans la troisième. Avec l'aide du gouvernement, nous avons mis au point une pâte résistante dans les trois dimensions. Elle est aussi résistante que le papier dans les trois dimensions; aussi légère; elle provient des arbres; on peut l'utiliser dans les avions, les voitures et toute autre application où on a besoin d'un matériau résistant et léger. C'est un produit d'origine biologique qui provient d'arbres récoltés selon les normes les plus élevées, donc c'est différent de la production de plastique ou de métaux lourds. Une entreprise canadienne détient les brevets à l'échelle mondiale et elle s'emploie actuellement à développer des produits. Il y a plusieurs années, cette entreprise était acculée à la faillite. Sans l'aide du gouvernement pour développer cette technologie, elle serait encore en difficulté aujourd'hui. Maintenant, l'entreprise est en voie de devenir un chef de file mondial. Il y a beaucoup d'histoires comme celle-là.

Beaucoup d'investissements gouvernementaux sont des échecs, c'est vrai. Beaucoup d'investissements privés le sont aussi. Ce qui importe, c'est de savoir si nous pouvons en tirer des leçons importantes et reconnaître les investissements qui donnent des résultats. La différence entre les échecs du secteur privé et ceux du secteur public, c'est que dans le privé, les personnes qui ont investi sont en colère et c'est, en quelque sorte, un désastre d'ordre privé. Après, plus personne n'en parle. Dans un régime démocratique, les échecs des investissements publics sont étudiés et examinés.

Le président : Monsieur Lazar, madame Cobden, vous avez tous les deux été de formidables témoins. Vous avez su adapter toute cette question et toutes les étapes par lesquelles vous êtes passés au monde réel d'aujourd'hui, indépendamment, peut-être, des politiques d'un gouvernement antérieur. Il semble que vous êtes à l'avant-garde de l'innovation. Si nous avons bien compris, vous défendez les partenariats public-privé comme moyen positif d'aller de l'avant dans plusieurs domaines, ce qui est formidable, à mon avis.

J'espère que nous pourrons de nouveau nous entretenir avec vous. Je suis certain que nous aurons d'autres questions pendant la préparation de notre rapport. Si vous pensez à quelque chose ou si vous avez le sentiment que nous n'avons pas bien saisi certains aspects, n'hésitez pas à communiquer avec nous. Je pense que vous êtes de grands communicateurs, et je tiens à vous remercier des précisions que vous nous avez données ce matin.

Chers collègues, vous pouvez voir l'horloge. Le sénateur Wallace a réservé cette place à compter de 10 h 30; donc, nous commencerons la deuxième partie de la réunion de ce matin. Je crois que notre témoin, M. John McIlveen, est ici à titre de trésorier de l'Association canadienne de l'énergie géothermique.

John McIlveen, membre du conseil d'administration, Association canadienne de l'énergie géothermique : Oui.

Le président : Toutefois, ce n'est pas votre emploi à plein temps ou votre profession. Vous êtes le directeur de la recherche au sein de Jacob Securities Inc., une banque d'investissement indépendante qui offre des services complets en matière de placements et de services consultatifs financiers aux entreprises des secteurs de l'énergie renouvelable, des infrastructures, de l'énergie et des mines, n'est-ce pas?

M. McIlveen : Oui.

Le président : Nous avons beaucoup entendu parler de la géothermie pendant nos consultations partout au pays. La première fois qu'on nous en a parlé, je crois que c'était à Vancouver, quand on nous a dit que les Jeux olympiques seraient entièrement verts, que Vancouver allait être la ville la plus verte de l'univers et que dans la région métropolitaine de Vancouver et ses environs, les grands projets immobiliers avaient maintenant recours à l'énergie géothermique pour le chauffage en hiver et la climatisation en été.

Nous avons entendu les mises en garde sur l'importance de la structure géologique d'une région donnée quand on veut aller de l'avant avec l'énergie géothermique. Évidemment, on nous a surtout vanté les mérites de l'énergie géothermique, mais on nous a dit à quel point elle est coûteuse.

Nous avions très hâte de vous accueillir aujourd'hui et de connaître le point de vue de votre association. Vous nous avez fourni d'avance un dossier de présentation l'Association canadienne de l'énergie géothermique ainsi que les notes sur lesquelles sera fondé votre exposé, je crois.

M. McIlveen : Je suis honoré d'être ici. J'espère arriver à vous convaincre que la géothermie mérite d'être étudiée davantage, et je serai heureux de vous prêter main-forte si vous décidez de le faire. Mais avant tout, j'aimerais établir une distinction entre la chaleur géothermale et l'énergie géothermique, car je suis ici pour parler de l'énergie, pas de la chaleur.

J'aimerais commencer par vous donner une statistique peut-être étonnante. La Bourse de Toronto est la principale bourse géothermique au monde. Depuis 2004, les entreprises de production d'énergie géothermique sont allées y chercher près d'un milliard de dollars. Or, il s'en est dépensé seulement 33 millions au Canada. Je veux simplement vous démontrer qu'il y a un marché et des investissements, mais qu'il faudrait mettre en place une politique pour peut- être conserver une plus grande part de l'argent au Canada.

L'électricité géothermique n'a rien de nouveau. Il s'en produit depuis plus d'un siècle. La première centrale a vu le jour en 1904 en Italie, et je pense qu'elle est toujours en activité. Il existe plusieurs types d'électricité géothermique, et je vais en aborder trois.

Tout d'abord, comparons l'électricité géothermique aux autres formes d'énergie renouvelable. La centrale géothermique est une centrale de base, qui produit en continu. Il est impossible de remplacer une centrale nucléaire ou une centrale au charbon par l'énergie éolienne ou solaire, ou par toute autre forme d'énergie renouvelable, à l'exception de l'énergie géothermique. De plus, cette énergie ne coûte pas plus cher que l'électricité produite à partir du charbon, et elle est moins chère que celle produite à partir du nucléaire.

Aucune autre forme d'énergie n'a un facteur de capacité, ou encore un coefficient de disponibilité aussi élevé, soit environ 95 ou 98 p. 100. Au contraire, ce coefficient est de 20 p. 100 pour l'énergie solaire, de 30 p. 100 pour l'énergie éolienne et de 80 p. 100 pour le charbon. De plus, aucune autre forme d'énergie renouvelable n'a une empreinte carbonique aussi faible que l'électricité géothermique. La semaine dernière, j'ai visité une centrale solaire de Windsor. Il lui fallait 225 acres pour produire 20 mégawatts, alors que quelques acres suffiraient pour produire autant d'énergie géothermique.

Le président : La semaine dernière, un témoin nous a présenté des diapositives sur la centrale solaire de Arnprior, près d'ici, et il nous a dit le nombre d'acres dont elle avait besoin. Nous comprenons bien et sommes conscients du problème.

M. McIlveen : La production mondiale d'énergie géothermique s'élève à plus de 10 000 mégawatts, dont 3 000 dans l'ouest des États-Unis. Pour l'instant, le Canada ne produit pas d'énergie géothermique, mais son potentiel est de plusieurs milliers de mégawatts.

Le président : Pourriez-vous nous dire pourquoi le Canada accuse un tel retard dans ce secteur?

M. McIlveen : Oui, mais de façon générale, il s'agit d'un manque de politiques.

Le président : Ne soyez pas timide.

M. McIlveen : Très bien. Grâce à la production de 500 mégawatts d'énergie géothermique, on peut remplacer une centrale nucléaire ou une centrale au charbon de taille moyenne. Pour mettre les choses en perspective, la capacité énergétique totale du Canada est de plus de 120 000 mégawatts.

Le sénateur Banks : Parlez-vous de l'énergie géothermique ou bien de toutes les formes d'énergie?

M. McIlveen : Toutes formes d'énergie confondues, la capacité du Canada est de 120 000 mégawatts.

Le président : Par quoi?

M. McIlveen : Il s'agit de l'énergie produite à partir du charbon, du nucléaire, et ainsi de suite.

Le président : Oui, mais s'agit-il de la capacité quotidienne, mensuelle ou annuelle?

M. McIlveen : Il s'agit de la capacité, ce qui signifie que nous pouvons produire 120 000 mégawatts à toute heure.

L'énergie géothermique se trouve partout, mais elle se rapproche de la surface à la rencontre des plaques tectoniques, près des volcans, comme sur le pourtour du Pacifique et en Islande. Par exemple, elle est à un kilomètre sous la surface au Nevada, alors qu'en Californie, elle se trouve à trois kilomètres. Ici à Ottawa, c'est probablement 10 kilomètres; ce n'est qu'une estimation puisque personne n'est allé vérifier.

Je vais vous expliquer comment on produit de l'énergie géothermique. Tout d'abord, on creuse des puits de 15 pouces de diamètre et d'une profondeur d'environ trois kilomètres, qu'on recouvre d'acier, puis on extrait l'eau chaude. La température de cette eau surchauffée varie entre 100 et 300 degrés Celsius, ce qui est supérieur au point d'ébullition.

Dans la terre, l'eau piégée reste à l'état liquide, mais une fois à la surface, elle se transforme en vapeur capable de faire tourner la turbine, comme dans une centrale au charbon.

La vapeur traverse la turbine pour produire de l'énergie, puis elle est recueillie. Elle se condense en eau, puis est renvoyée dans le sous-sol. Du moment que cette eau est renvoyée dans la terre aussitôt après son captage, il s'agit d'un système continuel en boucle fermée. C'est pour cette raison que c'est une énergie renouvelable.

La deuxième énergie dont je vais vous parler est probablement plus accessible pour le Canada, car elle dépend des puits de pétrole et de gaz. Il s'agit de l'électricité géothermique coproduite.

Les puits de pétrole et de gaz produisent eux aussi beaucoup d'eau chaude. C'est un véritable désagrément pour les sociétés pétrolières et gazières, car elles extraient souvent plus d'eau que de pétrole. Or, la séparation des deux leur coûte très cher.

À mes yeux, cette eau représente de l'énergie; il ne s'agit pas simplement d'un élément qu'il faut gérer pour obtenir un baril de pétrole. Il est possible de produire de l'énergie au moment de l'extraction du pétrole. Puisque les puits de pétrole et de gaz sont souvent situés dans des régions reculées ou inaccessibles, produire de l'électricité sur place pour desservir les collectivités permettrait d'économiser beaucoup au réseau de transport.

En troisième lieu, la géopressurisation dépend aussi des puits de pétrole et de gaz. Il s'agit de puits qui produisent un fort jaillissement artésien ou qui n'ont pas besoin d'être pompés puisqu'ils sont naturellement sous haute pression. La chaleur et la pression mécanique suffisent à faire tourner la turbine.

Ces formes d'énergies géothermiques peuvent aussi redonner vie aux puits de pétrole et de gaz fermés. Habituellement, les technologies actuelles permettent d'extraire 50 p. 100 de la valeur du pétrole ou du gaz dans un puits, mais bien souvent, on pourrait continuer de l'utiliser pour produire de l'énergie. Aux États-Unis, on estime que c'est le cas de la moitié des puits de pétrole et de gaz fermés, ce qui représente plus de 200 000 puits. La production moyenne d'un puits se situe probablement entre un quart de mégawatt et trois mégawatts. Aux États-Unis, le ministère de l'Énergie se penche sur la question en collaboration avec des entreprises privées. Il y a donc d'autres pays qui investissent dans ce secteur, comme l'Allemagne, les États-Unis et l'Australie, dans une certaine mesure. Je ne recommande pas au Canada de leur emboîter le pas, car ils sont suffisamment avancés pour que nous puissions bientôt profiter de leur expérience.

Mes recommandations se situent plutôt sur le plan des politiques. Pour l'instant, il n'existe pas de politique permanente. À l'heure actuelle, une procédure normale permet d'obtenir un permis d'exploration de pétrole et de gaz ou d'exploration minière, mais pas de permis de prospection géothermique. Les collectivités locales ne comprennent pas de quoi il s'agit. Sans politique, il pourrait s'écouler encore des années avant la première pelletée de terre.

Nous devons normaliser le processus d'émission de permis et nous lancer. Pour l'instant, je ne connais que deux entreprises qui ont le droit de commencer à explorer en Colombie-Britannique, et une seule dans les Territoires du Nord-Ouest, alors que nous savons qu'il existe des centaines d'autres sites. C'est la première étape.

La deuxième étape serait de mettre en œuvre un programme de droits géothermiques, semblable à celui des secteurs pétrolier, gazier et minier.

En troisième lieu, il faudrait effectuer un levé géophysique national. On se servirait surtout de rayons infrarouges aériens ou satellites pour localiser les régions chaudes du Canada.

Quatrièmement, il faudrait fixer des tarifs adéquats. Même si le coût moyen actualisé de l'énergie géothermique est inférieur à celui du charbon, chaque emplacement est unique et détermine la profondeur du forage. Par exemple, l'Allemagne doit creuser des puits d'environ cinq kilomètres, ce qui n'est pas très économique. C'est pourquoi leur énergie coûte plus de 200 euros par mégawattheure, alors que vous payez l'électricité environ 70 $ par mégawattheure. C'est ainsi que l'Allemagne contrebalance ses coûts de forage élevés.

Le principal inconvénient de l'énergie géothermique, ce sont les risques de forage. Il arrive qu'un puits soit sec. Or, chaque forage peut coûter entre 3 millions de dollars, comme en Idaho, et 20 millions de dollars, comme dans le sud de la Californie, selon sa profondeur et le recouvrement utilisé, à savoir de l'acier ou du titane. Personne n'a intérêt à forer des puits secs. Il y a un véritable déséquilibre sur le marché. Les investisseurs refusent de financer les deux premiers puits. Les investisseurs privés préfèrent attendre que deux puits de production aient du succès avant de se lancer. Ce marché n'est pas intéressant pour les investisseurs en capital de risque, qui s'attendent à un rendement de 20 fois le capital investi. Or, dans le secteur des services publics, le rendement se situe plutôt entre 15 et 20 fois le capital investi dans l'énergie géothermique, est c'est un peu moins pour l'énergie solaire et éolienne.

Après le succès des deux premiers puits de production, on peut s'attendre à l'arrivée d'investisseurs privés — de fonds d'infrastructure en particulier. En raison du risque, les banques n'accordent pas de prêt avant qu'un puits soit foré à 80 p. 100. Le promoteur devra débourser entre 15 et 20 millions de dollars pour exploiter les deux premiers puits. Il devra débourser environ cinq millions de dollars pour trouver l'emplacement idéal du puits, puis entre 10 et 15 millions de dollars de plus pour creuser deux trous dans le sol.

C'est là que se trouve le véritable problème sur le marché. Il y a un déséquilibre. Je ne suis pas en faveur des subventions directes. Je crois cependant que nous pouvons pallier le problème au moyen de mesures fiscales, comme les actions accréditives utilisées actuellement pour le pétrole et le gaz et qui permettent au moins de se servir des pertes fiscales dues au forage.

Je sais que d'autres pays jonglent avec l'idée d'un fonds d'assurance, mais personne n'a encore mis en œuvre un tel programme. Nous commencerions par décider du nombre de mégawatts que nous voulons produire au Canada, puis nous créerions un fonds permettant de forer le nombre de puits nécessaire. Les exploitants de puits productifs verseraient ensuite une redevance au fonds, ce qui couvrirait le coût des puits secs. Le gouvernement ne devrait cotiser qu'une fois au fonds d'assurances — c'est le terme qui le décrit le mieux —, car celui-ci serait conçu pour s'autofinancer par la suite.

Il s'agirait d'un véritable programme sur mesure pour l'énergie géothermique. Cette industrie n'a rien à voir avec l'énergie solaire ou éolienne. En effet, une fois le permis délivré et les fonds accordés dans ces industries, il faut neuf mois pour développer un projet, alors que le délai est de quatre ans pour l'énergie géothermique.

C'est pour cette raison que les subventions du Centre du commerce international, qui ont donné lieu à un rendement de 30 p. 100 sur le coût des investissements une fois l'exploitation en service, ont connu un succès aussi important aux États-Unis dans les industries solaire et éolienne. Le délai de neuf mois est si court que ceux qui accordent des prêts- relais se fient au crédit d'impôt du CCI. Or, il en va autrement dans le cas de l'énergie géothermique. Les prêteurs ne vont pas s'exposer au grand risque du forage pendant quatre ans avant d'avoir la certitude que le CCI accordera une subvention.

La formule qui s'applique habituellement aux énergies renouvelables ne fonctionne pas pour l'énergie géothermique. Cette industrie a besoin d'une solution unique et sur mesure pour prendre son envol.

C'est principalement ce que je voulais vous dire ce matin.

Le président : Merci beaucoup. L'Association canadienne de l'énergie géothermique est située en Alberta, n'est-ce pas, monsieur?

M. McIlveen : Je travaille à Toronto, mais notre siège social est à Calgary.

Le président : Vous ne nous avez pas vraiment parlé des membres de CanGEA. Y a-t-il de grandes sociétés spécialisées dans l'énergie géothermique?

M. McIlveen : Oui. Bien des grandes sociétés pétrolières du Canada sont membres de notre association. Il y a aussi beaucoup de sociétés d'ingénierie importantes, comme SNC-Lavalin et, naturellement, toutes les entreprises en géothermie. Enbridge en est un exemple. D'ailleurs, la société vient de se lancer en investissant 20 millions de dollars dans un projet conjoint avec les États-Unis. Nos membres ne sont pas très nombreux — une quarantaine —, mais il y a de grandes pointures parmi eux.

Le président : D'après le tableau que vous avez brossé, les possibilités sont considérables, mais vous déplorez l'immobilisme des Canadiens, pour laquelle vous incriminez l'absence de politiques proactives, tant provinciales que fédérales, pour stimuler le secteur. Y a-t-il des chantiers actuellement? En faisant cette étude, nous aurons amplement l'occasion de faire valoir ces possibilités ou de les célébrer, et cetera. Vous avez succinctement décrit les difficultés à surmonter, mais qu'en est-il de la réalité; que se passe-t-il?

M. McIlveen : La réalité, c'est qu'il est impossible d'obtenir un permis. La Colombie-Britannique en a accordé deux ces dix dernières années. Dans les Territoires du Nord-Ouest, il y a un projet communautaire, un seul, de petite taille, un mégawatt. Il est impossible d'entreprendre quoi que ce soit sans permis. C'est la case de départ.

Le président : Si aucun permis n'est octroyé, cela arrête évidemment tout. Il doit bien y avoir une raison, mais quoi?

Le sénateur Mitchell : L'un des principaux inconvénients de nombreuses sources d'énergie de remplacement, c'est de ne pas pouvoir concurrencer le charbon, l'hydroélectricité, et cetera. Mais vous, vous affirmez que cette énergie est concurrentielle.

On accorde sans le moindre trouble des permis de forage gazier et pétrolier. Pourquoi toutes ces difficultés pour la géothermie? On pourrait croire qu'elle cause beaucoup moins de dégâts. Si elle causait des problèmes, on aurait les mêmes avec le pétrole et le gaz, ne croyez-vous pas?

M. McIlveen : Elle en causerait moins. Une centrale au charbon se situe à 1 000 sur l'échelle des émissions et la géothermie à 1. Mais les autorités n'y comprennent rien. Il n'y a pas de protocole. Des Premières nations à la province, en passant par les collectivités, il faut compter beaucoup de niveaux. Dans tous les cas, le problème est pour eux sans précédent. Ils ont besoin d'une marche à suivre pour accorder les autorisations plutôt que de devoir réinventer la roue chaque fois qu'on les saisit d'un projet.

Le sénateur Mitchell : Parlons-nous de deux échelles de la géothermie? J'ai l'impression que je pourrais chauffer et climatiser ma maison avec la géothermie, sans descendre à 10 kilomètres de profondeur, mais, pourtant, vous semblez parler d'une géothermie industrielle, qui descendrait en profondeur et trouverait de l'eau en ébullition qui produirait de la vapeur. Parlons-nous de deux formes fondamentalement différentes de géothermie pour le chauffage?

M. McIlveen : Oui. Pour la géothermie servant au chauffage et à la climatisation, vous avez raison, il suffit de creuser jusqu'à 10 pieds. À cette profondeur, la température est de 55 ºFahrenheit. C'est une température qui peut servir à la fois au chauffage et à la climatisation domestiques. Cette technologie ne pose aucune difficulté. Il suffit d'avoir de la place pour 200 pieds de serpentins, ce qui est réalisable sur l'allée de garage de deux voitures ou sous le terrain devant la maison. Vous pouvez loger le système chez vous, pour 25 000 $. Cela semble beaucoup, mais, dans un prêt hypothécaire, cela représente une centaine de dollars par mois. Déjà, vous supprimez la facture du gaz et le tiers de celle de l'électricité, pour plus de 300 $ par mois. En partant, c'est une économie de 200 $ par mois. Ce genre de programme devrait être obligatoire, à mon avis, pour toute construction nouvelle.

Le sénateur Mitchell : L'autre forme est plus industrielle. Elle permettrait d'alimenter des génératrices beaucoup plus puissantes.

M. McIlveen : Effectivement.

Le sénateur Mitchell : Vous avez dit deux choses intéressantes. D'abord, nous avons besoin d'un système de concessions, comme pour le pétrole et le gaz. C'est bien cela? Un gouvernement pourrait effectivement commencer à accorder des concessions sur les terres domaniales et s'enrichir comme il le fait pour les concessions gazières et pétrolières.

M. McIlveen : En effet. Aux États-Unis, le Bureau of Land Management a empoché des dizaines de millions de dollars en vendant des concessions pour la géothermie.

Le sénateur Mitchell : Le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse, par exemple, moins nanties en ressources que l'Alberta, pourraient, comme cette province, vendre des concessions.

M. McIlveen : La différence, c'est que là-bas, au début des années 1980, à cause d'un autre choc des prix pétroliers, toutes les pétrolières faisaient des forages à la recherche d'énergie géothermique. Dès que le prix du pétrole a baissé, elles ont toutes cessé. Pendant une dizaine d'années, la géothermie est tombée au point mort. Cependant, les forages avaient été si nombreux qu'ils ont permis d'acquérir de bonnes connaissances sur la géophysique des emplacements. Les enchères pour une concession ne se fondaient pas seulement sur les émissions de vapeurs du sol, le phénomène habituel sur ces emplacements.

Le sénateur Mitchell : Votre description de la marche que nous pourrions suivre est très instructive. Une étape serait l'étude du haut des airs. On pourrait survoler une région et en obtenir une image thermique, tout en courant le risque de forer un puits sec ou de rater son coup. Comment peut-on manquer son coup quand on possède une image thermique des sources de chaleur?

M. McIlveen : Il y a deux conditions à respecter. Non seulement faut-il trouver une source de chaleur, mais, encore, de l'eau.

Le sénateur Mitchell : C'est très intéressant. Merci.

Le sénateur Lang : D'après ce que je comprends, au Yukon, la société d'énergie du territoire examine très rigoureusement la filière géothermique. J'ignore où elle est rendue, mais si elle décidait d'explorer cette possibilité, elle devrait y consacrer un investissement de taille. Les terrains prometteurs sont quelque peu éloignés de la capitale Whitehorse, mais je suppose que si la production devenait réalité, elle serait suffisante pour être intégrée au réseau. Êtes-vous au courant de la situation là-bas?

M. McIlveen : Oui. On veut combiner la production d'électricité et le chauffage urbain.

Le sénateur Lang : En ce qui concerne l'attribution de permis, au Yukon, vous pouvez peut-être nous dire ce que vous savez du système en place. A-t-il laissé une place à la géothermie? Je ne sais trop. Vous dites avoir éprouvé des difficultés dans l'obtention de permis, mais il me semble que, là d'où je viens, les permis auraient été accordés, si on en avait fait la demande. Je ne sais trop comment cela fonctionne d'un bout à l'autre du pays.

Également, êtes-vous en mesure de communiquer un protocole ou un guide à une administration provinciale qui le mettrait en place et que nous pourrions suivre?

M. McIlveen : Au Yukon, la cause possède son champion local, contrairement, par exemple, à la Colombie- Britannique. Dans chaque province, le réseau est essentiellement peuplé et dirigé par des ingénieurs du secteur du charbon et du gaz. Les ingénieurs sont les derniers à essayer la nouveauté. Ils ont le risque en horreur. Ils ont tout simplement besoin de mieux comprendre. Même aux États-Unis, où on délivre mécaniquement les permis, il faut encore deux ans pour en obtenir un.

Le sénateur Lang : Je ne veux pas rabâcher, mais l'octroi des permis relève, si je comprends bien, de la province ou du territoire. La tâche leur incombe. Avez-vous un guide à proposer aux autorités de la Colombie-Britannique ou du Nouveau-Brunswick, qui, si elles l'intégraient dans leur processus réglementaire, aiderait les futurs exploitants de cette source d'énergie de rechange à formuler leurs demandes et leur préciserait les règles à suivre? Le leur avez-vous proposé?

M. McIlveen : À cet égard, la Canadian Geothermal Energy Association a travaillé de concert avec le gouvernement de la Colombie-Britannique, par exemple. Je crois que les deux derniers permis accordés en Colombie-Britannique l'ont été sous notre influence.

Le sénateur Lang : Ma question fait suite à celle du sénateur Mitchell sur l'emploi des satellites. Par ce moyen, avez- vous dit, on pourrait trouver ce que vous appelez les points chauds des formations géologiques de notre pays.

Avez-vous été directement en pourparlers avec l'industrie aérospatiale à ce sujet et qu'est-ce que ces nouveaux satellites que l'on cherche à mettre au point permettraient de faire, précisément, pour le compte de votre industrie pour trouver et affiner les renseignements que nous possédons sur l'ensemble du pays?

M. McIlveen : Personnellement, non. La détection infrarouge serait une première étape qui permettrait de définir avec plus de précision les terrains prometteurs où il faudrait poursuivre le travail. Je ne possède pas de devis ni rien de la sorte à vous remettre aujourd'hui.

Le sénateur Massicotte : Le président a fait allusion aux raisons pour lesquelles on ne voit pas plus de chantiers de votre industrie. Vos antécédents professionnels sont dans les placements. Vous semblez connaître les rouages bien huilés et les rouages grippés de notre économie. Vous dites avoir besoin d'un peu d'aide de l'État, mais vous essayez de réduire au minimum la part des subventions.

Parlez-nous de l'arrêt de certains forages, à l'étranger, à cause du risque accru d'activité sismique. Comme vous le savez, de nombreuses régions du Canada sont exposées à ce risque. Est-ce la raison pour laquelle les forages ne sont pas plus nombreux? Est-ce une cause du problème?

M. McIlveen : Non. Dans ce cas-là, il s'agit d'un type totalement différent de géothermie, dont je n'ai pas parlé aujourd'hui, la géothermie profonde, dite aussi géothermie stimulée. Dans ce système, on trouve de la chaleur, mais il n'y a pas d'eau. On l'a essayé en quelques endroits dans le monde, où on achemine l'eau par des conduites et on l'envoie dans le sol, dans l'espoir de la chauffer et de créer ainsi son propre système géothermique.

D'après moi, si on n'a pas trouvé d'eau en ces endroits, on ne devrait pas en ajouter. Cela a provoqué des secousses sismiques suffisamment fortes pour, disons, briser des fenêtres.

Le sénateur Massicotte : Le problème ne risque-t-il pas de survenir au Canada?

M. McIlveen : Ce n'est pas de ce type de géothermie dont je parle aujourd'hui. Je parle de la recherche de systèmes géothermiques déjà pourvus en eau.

Le président : Votre démonstration est intéressante. Je remarque que vous avez parlé de la manière par laquelle on pourrait remplacer les réacteurs nucléaires. Cela m'a fait penser immédiatement au Japon. Le problème de ce pays est qu'on n'y construira plus de centrales nucléaires et qu'on ne les remettra plus à neuf. Le pays ne possède aucune source d'énergie. Je ne sais rien de sa géologie. Y a-t-il des possibilités pour le Japon dans ce domaine?

M. McIlveen : Absolument. Les chiffres à ce sujet se trouvent dans certaines notes supplémentaires que j'ai fournies. Le Japon possède une puissance géothermique installée de 536 mégawatts et une puissance potentielle beaucoup plus grande. Il se trouve au point de rencontre de quatre grandes plaques tectoniques, ce qui explique l'instabilité de son sous-sol. Les possibilités de la géothermie y sont énormes.

Le sénateur Banks : Vous parlez nettement de production d'électricité et non de chaleur.

M. McIlveen : C'est juste.

Le sénateur Banks : Nous sommes en fait tout aussi intéressés à la production de chaleur, pour les raisons que vous avez mentionnées, l'énorme économie d'énergie que nous réaliserions uniquement dans nos demeures, si nous, contrairement à presque tout le reste du monde, l'utilisions là où elle est facilement accessible.

Vous avez dit que, à Ottawa, par exemple, si de l'eau s'y trouve, la source se trouve probablement à 10 kilomètres en profondeur. Vous avez dit qu'il y avait d'autres endroits où on voyait la vapeur sortir du sol. Y en a-t-il au Canada?

M. McIlveen : Oui, au Yukon, dans les Territoires du Nord-Ouest et en Colombie-Britannique. C'est le premier signe. Actuellement, il y a peu de prospection géothermique. On commence à peine à faire des forages dans les régions où on voit la vapeur sortir du sol ou, du moins, de l'eau chaude. Le geyser Old Faithful, dans le parc national Yellowstone est une ressource géothermique. On commence à investir uniquement là où il y a des preuves physiques, à la surface du sol, de l'existence de chaleur.

Le sénateur Banks : Y a-t-il des circonstances où un tel puits, s'il avait un avenir commercial, pourrait produire à la fois de la chaleur et de l'électricité?

M. McIlveen : Oui. Dans tous les cas, il peut produire les deux. Pour la chaleur, il faut être un peu plus près des utilisateurs. Que l'on soit dans une ville ou dans une centrale géothermique éloignée qui produit de l'électricité, il reste de la chaleur excédentaire que l'on pourrait utiliser dans une serre, par exemple.

Le sénateur Banks : Vous avez mentionné que le Bureau of Land Management, aux États-Unis, grâce aux concessions, avait empoché beaucoup d'argent. Le sénateur Lang a mentionné que la plupart des permis de forage au Canada étaient accordés par les provinces. D'après vous, une entité ou un organisme fédéral aurait-il un rôle à jouer dans l'attribution de tels permis de forage — par exemple, sur les terres domaniales?

M. McIlveen : Pour que l'État puisse vendre des concessions, je pense qu'il doit s'être effectué un certain travail pour amener les gens à consentir à le payer. Les concessions que le BLM a réussi à vendre étaient celles dans lesquelles les sociétés pétrolières avaient foré littéralement des centaines de petits puits d'essai, de sorte que l'on disposait d'une masse de renseignements géologiques à leur sujet. Les acheteurs connaissaient la valeur du produit.

Le sénateur Banks : Au Canada, est-ce qu'on ne possède pas de même une masse de renseignements géologiques et sismologiques?

M. McIlveen : Particulièrement dans les champs pétroliers et gaziers. Ce sont, à mon avis, des fruits faciles à cueillir. Nous possédons sur eux des masses de renseignements. Actuellement, en Saskatchewan, en essaie de faire démarrer un petit projet dans un champ fermé. On possède beaucoup de renseignements sur ces champs, qui valent beaucoup.

Le sénateur Banks : L'information qui existe est sismologique; c'est le type d'information obtenue à la faveur de la prospection. Existe-t-il un endroit qui permet de corréler ces données à l'eau et à la vapeur géothermique? Un endroit où on peut faire des consultations et déduire, d'après les travaux sismologiques, que le terrain est un bon endroit à forer pour obtenir de la vapeur géothermique?

M. McIlveen : Je ne suis pas sûr. Chaque champ pétrolier et gazier, s'il appartient à une société publique, doit faire l'objet d'une déclaration sur le formulaire 53-101 de sorte que les investisseurs pourraient croire que des tiers en auraient pris connaissance. Ces endroits existeraient pour les champs appartenant à des sociétés publiques. Cependant, je ne sais pas vraiment s'il existe un dépôt central de ces renseignements.

Le sénateur Banks : Nous avons vivement préconisé d'en créer un en plus d'une occasion.

Le sénateur Peterson : Je ne parviens toujours pas à comprendre la difficulté à obtenir un permis. C'est incroyable. Pourquoi ne pas dire que le forage vise à découvrir du pétrole et que si, par hasard, on trouve de l'eau chaude, on verra? Je ne comprends pas cette crainte. Quel est le problème? Il faut qu'il y ait une raison. Qu'est-ce que c'est?

M. McIlveen : Je n'ai pas de réponse valable. Qu'il s'agisse de permis d'exploration ou de permis environnemental, il y a un manque de connaissances. L'administration est comme prise au dépourvu. Quand elle examine un permis, elle recommence à zéro chaque fois et peut-être que, chaque fois, la demande est traitée à un niveau différent ou dans une région différente de BC Hydro, par exemple.

Le sénateur Banks : Vous parlez toujours des provinces et des territoires, n'est-ce pas?

M. McIlveen : Oui. Ce sont les provinces qui délivrent ces permis.

Le sénateur Peterson : Nous sommes dans le noir; il s'agit tout simplement de forer un trou. L'eau est inerte. Il doit y avoir autre chose. De quoi les gouvernements ont-ils peur? Que pourrait-il arriver? Malgré tous les renseignements dont vous disposez, vous ne pouvez pas forer un trou.

Le sénateur Banks : Peut-être craint-on un déversement majeur d'eau.

M. McIlveen : Je ne comprends pas, moi non plus. Il leur faut tant de temps pour se faire une idée. Comme ils n'ont rien fait de semblable avant, ils ne savent peut-être pas ce qu'il faut examiner. C'est une question d'éducation.

Le président : Y a-t-il une autre réponse, cependant? Nous butons sans cesse sur cet obstacle. Nous avons ici affaire à des gens qui sont d'importants exploitants et producteurs de combustibles fossiles, qui ont beaucoup d'influence dans le pays et à tous les niveaux de l'administration. Certains semblent être les principaux membres de votre association. Peut-être ne veulent-ils pas se faire concurrence à eux-mêmes.

C'est un peu comme les légendes et les mythes qui courent au sujet de l'industrie pharmaceutique, selon lesquels de petites entreprises de biotechnologie mettent au point de merveilleuses découvertes, qui ne sont toutefois jamais soumises aux organismes régissant les aliments et les drogues afin d'en autoriser la consommation. Vous voyez ce que je veux dire.

Mes deux collègues, les sénateurs Banks et Peterson, ne font que dire ce que nous pensons tous ici. Vous nous avez donné un aperçu magistral des merveilles de l'énergie géothermique, après quoi vous nous annoncez que le Canada est bon dernier dans ce domaine. Quand nous vous demandons pourquoi, vous nous répondez que c'est en raison des permis.

Suis-je dans le vrai? Le secteur privé est-il réticent à faire davantage la promotion de cette énergie, à exercer des pressions auprès du gouvernement et à instaurer un processus d'éducation et de communication pour faire connaître cette source d'énergie?

M. McIlveen : Les permis ne constituent que le premier écueil, et cette situation ne se limite pas au Canada. C'est difficile dans tous les pays du monde. Même dans ceux où la technologie est bien connue, l'obtention du permis peut prendre un ou deux ans. Je ne peux expliquer les rouages internes du gestionnaire du réseau électrique ou de l'organisme qui accorde les permis environnementaux pour vous dire pourquoi le processus est si long. Mais je ne connais pas un seul développeur au monde qui ne dit pas la même chose.

Pour ce qui est de l'aspect financier, une entreprise peut débourser jusqu'à un million de dollars pour obtenir un permis environnemental après avoir réussi à satisfaire à tous les critères. C'est un lent processus bureaucratique.

Le sénateur Banks : La différence, c'est que peu importe le temps qu'il faut pour décrocher un permis afin d'effectuer un forage quelque part, le nombre de demandes accumulées est la plupart du temps considérable dans ce domaine. Or, vous affirmez qu'il n'y a pas de retard.

Se peut-il qu'il y ait des milliers de gens impatients d'entreprendre le forage d'un puits expérimental, exploratoire ou productif de vapeur chaude qui ne peuvent aller de l'avant simplement parce qu'ils ne peuvent obtenir de permis? Il me semble que les investisseurs ne se bousculent pas à la porte actuellement. Ai-je raison?

M. McIlveen : Vous avez raison sur ce point. Compte tenu de la situation présente à la bourse, personne ne veut financer les petits développeurs. Les actions de ces derniers ont probablement perdu 60 à 80 p. 100 de leur valeur aujourd'hui.

Le sénateur Banks : Enbridge n'est pas le premier venu.

M. McIlveen : En effet.

Le sénateur Banks : Je fais écho à la question du président. Si l'idée est si bonne, Enbridge sait certainement comment faire des forages et négocier le processus d'obtention du permis environnemental, tout comme un grand nombre de ses concurrents tout aussi distingués. Pourquoi n'agissent-ils pas?

M. McIlveen : Je crois que les sociétés pétrolières et gazières qui s'intéressent à la question depuis longtemps afin de glaner les connaissances dont elles ont besoin pour prendre pied dans le secteur agiront. Elles ont déployé des efforts titanesques dans les années 1980, mais se sont heurtées aux limites de la technologie d'alors.

Elles cherchaient à l'époque des champs très chauds, dont la température dépassait les 250 degrés Celsius. Nous pouvons maintenant produire de l'électricité dans des champs dont la température est d'à peine 100 degrés Celsius; le champ offre donc bien plus de potentiel.

Enbridge n'a pas participé à l'investissement initial de 15 millions de dollars en forage. La société n'a pas pris ce risque, fidèle à sa politique de prudence. Elle a attendu que le développeur investisse les 15 millions de dollars et fore deux puits de production, puis elle est intervenue. Elle a dépensé les deux tiers de l'argent qu'exigeait le projet, mais n'en a retiré que 20 p. 100 d'intérêt, tout simplement parce qu'elle ne voulait pas courir le risque de faire le forage. Elle se contente de laisser quelqu'un d'autre s'en charger et d'injecter des fonds par la suite.

Le sénateur Banks : Est-ce que la technologie fait défaut? À moins que ce soit les extrants? Vous avez affirmé que cette situation prévaut à bien d'autres endroits. Je suppose que si quelqu'un était capable de trouver une source de production viable, la technologie actuelle permettrait de réaliser le projet et de le rendre économiquement viable.

M. McIlveen : Oui. Nous n'avons pas besoin d'investir dans la technologie. Nous pouvons tirer parti des investissements que d'autres pays effectuent à cet égard.

Le sénateur Seidman : J'essaie encore de comprendre cette curieuse situation. Je récapitulerai ce que je crois que vous avez dit en répondant aux questions et pendant votre exposé.

L'investissement initial est substantiel. Il semble toutefois que l'on manque d'information pour savoir où se diriger ensuite. J'ai l'impression qu'une parcelle des ressources se trouve assez près des lignes de transmission et des centres urbains. Toute la question du forage dans le domaine du gaz de schiste est devenue un enjeu environnemental à cause du problème de fracturation.

Se peut-il que ce problème ait un effet dissuasif dans le domaine?

M. McIlveen : Il pourrait en avoir sur l'organisme qui délivre les permis. La situation est, une fois de plus, attribuable au manque de connaissances. Peut-être craint-on des chocs sismiques ou un phénomène semblable. Cela fait probablement partie de l'équation, mais il faut informer les gens. Les systèmes dont je parle n'injectent pas d'eau qui n'était pas déjà là, car c'est ce qui provoque les chocs sismiques. Cette technologie, qui n'est mise à l'essai qu'à environ trois endroits dans le monde aujourd'hui, en est encore à ses balbutiements.

Le sénateur Seidman : Je comprends ce que vous dites, mais, comme vous le savez, plusieurs provinces du pays ont imposé un moratoire sur le fractionnement dans l'industrie du gaz de schiste. Cette technologie suscite donc une inquiétude certaine. On effectue actuellement quelques études pour s'assurer que nous disposons de toutes les connaissances dont nous avons besoin.

Vous affirmez avec beaucoup de certitude, il me semble, que cela ne constituerait pas un problème dans la prospection géothermique.

M. McIlveen : Le permis pourrait être accordé à condition que l'on ne fasse pas de fractionnement, un procédé qui consiste à injecter de l'eau froide dans du roc chaud afin de le fracturer légèrement. Ce n'est pas ce dont je parlais, c'est- à-dire la création d'un réservoir. Il s'agit d'utiliser de l'eau froide pour fracturer le roc afin de faciliter la circulation des fluides sous la surface. Si cet aspect était préoccupant, je crois qu'un permis conditionnel pourrait être délivré.

Le sénateur Patterson : Il conviendrait d'aborder la question avec Enbridge. S'il ne se passe rien, il y a une raison, un écueil plus important que les permis. Convoquons Enbridge pour connaître le fin mot de l'histoire. L'entreprise a dépensé 20 millions de dollars.

Le président : Le problème vient peut-être de la réglementation. Nous avons convoqué l'Office national de l'énergie trois fois et avons entendu le témoignage des représentants d'Enbridge. Des permis sont octroyés pour effectuer des forages dans l'Arctique, ce qui est très dangereux. Nous pensons tous la même chose.

Le sénateur Dickson : Ma question concerne la réglementation. Des activités sont en cours en Alberta, dans les Territoires du Nord-Ouest et en Colombie-Britannique. Ces provinces disposent-elles de lois régissant la délivrance de permis pour forer un puits de la nature que vous évoquez?

M. McIlveen : Non, et pourtant, ce serait utile. On en revient à la question de l'éducation. Si l'organisme responsable de l'octroi de permis pouvait s'appuyer sur des paramètres ou des lignes directrices, le processus pourrait être plus rapide.

Le sénateur Dickson : Est-ce qu'une province ou un territoire du Canada légifère dans ce domaine ou s'agit-il d'une question discrétionnaire relevant d'un ministre quelconque?

M. McIlveen : Aucune province n'a adopté de politique concernant l'énergie géothermique.

Le sénateur Dickson : J'aimerais connaître votre opinion sur l'étude réalisée en juillet 2011 par la Commission géologique du Canada sur le potentiel de cette ressource. Cette étude fait-elle le tour de la question? On y décrit les immenses ressources d'énergie thermique présentes au Canada.

M. McIlveen : Cette étude constitue un premier pas, mais je ne la qualifierais pas d'exhaustive.

Le sénateur Dickson : Que devrait-on faire alors? Quelles démarches devrait-on entreprendre?

M. McIlveen : Il faut creuser. Il existe plusieurs niveaux, de l'imagerie satellite à l'observation aérienne, après quoi c'est au sol que l'on travaille. Les méthodes de prospection abondent, comme les analyses du sol, les essais d'eau, la prospection sismique souterraine et les tests telluriques, qui sont une sorte de sonar souterrain. Une panoplie de tests s'offrent à nous. Une fois que l'on a détecté une zone qui semble prometteuse, on peut alors effectuer des travaux un peu plus poussés.

Le sénateur Dickson : Est-ce quelque chose que la Commission géologique du Canada pourrait entreprendre? L'a-t- elle fait dans d'autres domaines?

M. McIlveen : Oui, elle dispose de tout l'équipement nécessaire pour ce genre de test.

Le sénateur Dickson : Peut-être devrions-nous convoquer la Commission géologique du Canada pour qu'elle nous expose ses plans plus en détail.

Le président : Voilà une excellente suggestion, sénateur Dickson.

Le sénateur Mitchell : Monsieur McIlveen, quelle taille auraient ces centrales électriques alimentées à la chaleur géothermique?

M. McIlveen : Une centrale de 50 mégawatts aurait approximativement la taille du terrain situé devant les édifices du Parlement et compterait environ deux étages.

Le sénateur Mitchell : Elle produirait 50 mégawatts. Ce serait la taille maximale?

M. McIlveen : Elles produisent habituellement par tranches de 30 et de 50 mégawatts. Le plus grand champ du monde est celui des Geysers, près de San Francisco. Il génère quelque 800 mégawatts, mais au moyen de plusieurs centrales.

Le sénateur Mitchell : Combien de mégawatts une centrale pourrait produire au Canada? Comment cette production se comparerait-elle à celle d'une centrale au charbon actuelle? Si une centrale produit suffisamment d'énergie, on y étend les infrastructures pour transmettre l'électricité, n'est-ce pas?

M. McIlveen : On pourrait produire par tranches de 25 mégawatts, même si l'on avait des raisons de croire que le champ pourrait produire 200 mégawatts. Ce n'est que pour recueillir de l'information sur le champ à mesure que l'on progresse et pour réduire les risques.

Le sénateur Mitchell : Vous dites que certaines centrales pourraient produire 200 mégawatts?

M. McIlveen : Oui. Les centrales fonctionneraient en tandem. À l'heure actuelle, le développement le plus récent est modulaire, produit 5 ou 10 mégawatts et logerait sur un camion plate-forme. Ces modules sont montés d'avance, et on n'a plus qu'à les transporter sur place pour les installer en série.

Le sénateur Mitchell : Une centrale au charbon moyenne a une certaine taille, dont je ne me souviens plus. Je ne cherche pas à savoir combien de modules on peut rassembler; je me demande seulement quelle quantité d'énergie vous pourriez tirer d'un bon champ si vous en trouvez un. Est-ce infini? Serait-ce 120 000 mégawatts? Cette technologie a-t- elle des limites? Est-ce que la chaleur du sol et de l'eau restreignent la quantité d'électricité que le champ peut produire?

M. McIlveen : Chaque champ a ses limites si on veut qu'il dure. On peut en tirer toute l'électricité qu'on veut, mais l'objectif consiste à retourner l'eau dans le sol pour l'exploiter à perpétuité, alors il y a forcément une limite. Si la centrale typique produit de 30 à 50 mégawatts, le champ comme tel pourrait produire bien plus. Ce n'est qu'en procédant graduellement que l'on peut déterminer quelle est la production optimale.

Le sénateur Mitchell : Combien de foyers une centrale produisant, par exemple, 50 mégawatts pourrait-elle alimenter?

M. McIlveen : Un mégawatt alimente environ 800 foyers moyens.

Le sénateur Mitchell : Ce serait donc 4 000 résidences. Merci.

Le président : Monsieur McIlveen, outre le fait que nous tenons à vous remercier sincèrement d'être venu de Toronto pour comparaître, nous voudrions connaître votre avis. Si vous disposiez d'une page dans notre rapport pour formuler des recommandations ou un message à l'intention des hautes instances politiques, que leur diriez-vous?

M. McIlveen : Il faudrait énoncer des lignes directrices pour la délivrance de permis, puis procéder à un sondage. La dernière difficulté à laquelle les développeurs se heurtent, c'est le financement de l'investissement initial de 15 millions de dollars pour forer deux puits de production. La méthode la plus rapide, couramment utilisée au Canada, consiste à émettre des actions accréditives, comme on le fait actuellement dans le secteur pétrolier, gazier et minier. Ce serait tout un coup de pouce et probablement une occasion pour le gouvernement d'investir davantage dans ce domaine. Je proposerais également de réaliser de nouvelles études.

Le président : Sachez que nous passons beaucoup de temps à étudier le secteur énergétique et les sources d'énergie. Vous nous avez permis de parfaire nos connaissances, en plus d'éveiller notre curiosité à l'égard des communications. Pourquoi ne savions-nous pas déjà ce que vous nous avez révélé ce matin? Les questions et les enjeux que vous nous avez exposés ont, du moins à première vue, une solution simple. Quelles initiatives de communication avez-vous entreprises pour mieux diffuser l'information? Il me semble que ce serait une démarche pertinente de la part de l'association. Vous remarquerez que le groupe qui vous a précédé ici, celui de l'industrie des produits forestiers, a dû se réinventer complètement. Cette industrie qui, forte de ses bûcherons et de ses puiseurs d'eau, constituait autrefois le pilier du formidable secteur des ressources naturelles du Canada, s'étiolait comme un spectre moribond. Elle a fait appel à des relationnistes, à des lobbyistes et à tous ceux qui pouvaient l'aider pour sans cesse nous harceler et nous demander si nous savons ceci ou cela.

En regardant la liste de vos membres, il me semble que vous ne manquiez pas de fonds pour agir. Je vous considère non seulement comme un banquier d'investissement, si je puis dire, mais aussi comme un puits d'information. Vous comprenez ce dossier. Je vous suggère donc de prendre le temps de diffuser l'information pertinente. Nous vous y aiderons. C'est un bon point de départ.

M. McIlveen : CanGEA, malgré sa composition, ne dispose que d'un maigre budget et n'a pas les ressources nécessaires pour lancer une campagne d'envergure.

Le président : Voilà qui m'étonne. Quoi qu'il en soit, je tiens à vous remercier de nouveau, chers collègues, de vous investir dans ce dossier.

Nous sommes ici. Vous savez évidemment où nous trouver. Quant à nous, nous sommes impatients d'en apprendre davantage sur le sujet de la part de Commission géologique du Canada et d'autres témoins. Nous publierons ensuite notre rapport.

M. McIlveen : C'est avec grand plaisir que j'ai témoigné.

(La séance est levée.)


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