Aller au contenu
ENEV - Comité permanent

Énergie, environnement et ressources naturelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles

Fascicule 7 - Témoignages du 17 novembre 2011


OTTAWA, le jeudi 17 novembre 2011

Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd'hui, à 8 h 6, pour étudier l'état actuel et futur du secteur de l'énergie du Canada (y compris les énergies de remplacement).

Le sénateur W. David Angus (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Je salue mes collègues, M. Stewart-Patterson et les membres du public qui nous écoutent sur le réseau CPAC et sur la Toile ou qui visitent le site web consacré à notre étude de l'énergie, www.avenirenergiecanadienne.ca/ www.canadianenergyfuture.ca. Ceci est une réunion officielle du Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles. Nous poursuivons notre étude du secteur de l'énergie. Je crois, monsieur, que vous avez suivi nos travaux. Nous accueillons ce matin, du Conference Board du Canada, David Stewart-Patterson, vice-président, Politiques publiques. M. Stewart-Patterson est l'un des penseurs les plus originaux et les plus connus et les plus accessibles au Canada dans le domaine des politiques publiques. Je sais que cela est vrai. Il se joint au Conference Board du Canada après avoir travaillé pendant 15 ans au Conseil canadien des chefs d'entreprise, dont les 7 dernières à titre de vice-président général chargé des politiques et de la promotion dans un large éventail de dossiers d'intérêt national et international.

Comme vous le savez, monsieur, nous menons un exercice de fond en matière d'élaboration de politiques publiques, car nous avons remarqué que la demande d'énergie dans le monde ne diminue pas, mais au contraire qu'elle augmente avec la population mondiale. Cette population vient de passer le cap des sept milliards, nous dit-on, et certains d'entre nous pourraient même de leur vivant la voir atteindre les neuf milliards. Comme le Canada est un des plus grands consommateurs d'énergie au monde par habitant, sinon le plus grand, nous avons conclu qu'il fallait informer les Canadiens au sujet des questions d'énergie et de notre système énergétique. Nous avons la chance d'avoir des ressources naturelles en abondance et toute une gamme de sources d'énergie dans notre pays, mais ces sources ne sont pas exploitées de façon optimale, et ce ne sont pas non plus les plus viables, les plus propres ni les plus vertes.

Depuis deux ans et demi, nous tentons d'élaborer, ou de dresser un plan pour élaborer, une stratégie coopérative pancanadienne pour améliorer notre système énergétique. Nous avons presque terminé notre étude et nous espérons publier notre rapport en juin 2012.

Nous sommes sur le point de conclure notre dialogue avec les Canadiens de tout le pays. Dans deux ou trois semaines, nous irons dans l'ouest du Canada, plus précisément en Colombie-Britannique, en Alberta, en Saskatchewan et au Manitoba, puis nous reviendrons ici, dans la capitale nationale, pour entendre d'autres témoins.

Monsieur Stewart-Patterson, je crois que vous savez qui nous sommes, mais permettez-nous de nous présenter rapidement. Je suis David Angus, un sénateur de Montréal, et je préside le comité. À ma droite, il y a le vice-président, Grant Mitchell, de l'Alberta, et le personnel de la bibliothèque parlementaire, Marc LeBlanc et Sam Banks. À la droite de Marc se trouve le sénateur Rob Peterson, de la Saskatchewan, puis mon prédécesseur à la présidence, le sénateur Banks, de l'Alberta, et le sénateur Paul Massicotte, de Montréal, au Québec. À ma gauche se trouve notre excellente greffière, Lynn Gordon, que vous connaissez bien, je le sais. À sa gauche, nous avons le sénateur Richard Neufeld, de la Colombie- Britannique, le sénateur Janis Johnson, du Manitoba, le sénateur Judith Seidman, de Montréal, au Québec, et finalement, le dernier mais non le moindre, le sénateur John Wallace, du Nouveau-Brunswick.

Sans plus attendre, nous allons écouter votre exposé. Quand vous aurez terminé, nous passerons aux questions. Vous avez la parole.

David Stewart-Patterson, vice-président, Politiques publiques, Conference Board du Canada : Merci, monsieur le président. Je ne veux pas monopoliser le temps du comité avec une longue déclaration. J'ai fait distribuer, je crois, un échantillon de certains travaux que le Conference Board du Canada a réalisés ces dernières années. J'ai fait un rapide décompte et je crois qu'il y a 24 études, produites au cours des trois dernières années, qui s'intéressent d'une façon ou d'une autre à la question de l'énergie durable.

C'est un vaste sujet. Comme je suis arrivé au Conference Board il y a seulement six mois, je vous demande d'être patients avec moi. Vous ne pouvez pas supposer que je connais tous les détails de chacune de ces études. Ce que j'ai à vous dire, ce matin, reflète plus généralement l'expérience que j'ai acquise dans les domaines de l'énergie et de la compétition en général depuis deux ou trois décennies.

Le Conference Board a étudié le concept d'un cadre détaillé — ce qui est essentiellement ce que vous examinez actuellement — et il a publié en 2007 un document intitulé Canada's Energy Future. On y trouvait un projet de stratégie complète, fondée sur 10 éléments. Notre liste comprenait la réduction du carbone, la durabilité, les énergies renouvelables, l'innovation et la technologie, la compétitivité, le transport, l'efficacité énergétique, l'électricité, la gestion des ressources et la technologie de l'information et des communications. Nous la concevions comme une vaste toile d'araignée de questions, en quelque sorte.

Le président : On pourrait croire que notre travail est redondant, si vous l'avez déjà fait.

M. Stewart-Patterson : Non, au contraire. Nous disons simplement que si vous voulez adopter une stratégie d'énergie durable, vous devez tenir compte de nombreux éléments. À en juger par le rapport provisoire que votre comité a produit, cela reflète assez bien la réalité complexe à laquelle nous faisons face.

Le président : Est-ce que Canada's Energy Future a été publié par le Conference Board ou par le Conseil canadien des chefs d'entreprise?

M. Stewart-Patterson : Par le Conference Board.

Le président : C'est encore disponible, j'espère?

M. Stewart-Patterson : Oui. Je voulais commencer par là.

Le président : C'est une excellente idée.

M. Stewart-Patterson : Selon moi, il existe un certain nombre de questions qui se retrouvent au sommet des priorités de divers intervenants. Je pense que le manque de cohérence entre les diverses compétences au pays suscite énormément de frustration. On vous en a certainement déjà parlé, je l'ai vu reflété dans vos travaux. J'en ai parlé en particulier dans le contexte du changement climatique, car diverses compétences ont défini des cibles et des mesures différentes et suivent des approches distinctes. Ce manque de cohérence crée certainement une sérieuse frustration, en particulier dans le secteur privé.

Évidemment, un de ces dossiers délicats concerne le prix du carbone. Nous avons eu de nombreux débats sur la façon d'aborder cette question. Même dans le monde des affaires, les opinions divergent quant à la méthode qu'il vaudrait mieux utiliser : le régime de plafonnement et d'échange ou une taxe sur le carbone? Certains préfèrent la souplesse que donne la méthode du plafonnement et de l'échange; d'autres considèrent qu'une taxe offre l'avantage de la prévisibilité et de la certitude. Je ne pense pas qu'il y ait un consensus même dans le monde des affaires, certainement pas dans l'ensemble du pays. Je crois que cela se reflète au niveau fédéral et dans les provinces.

Le président : Est-ce qu'il y a au moins consensus sur la nécessité de fixer un prix pour le carbone?

M. Stewart-Patterson : Si je me fie à mon expérience auprès des chefs d'entreprise, je crois qu'ils s'entendaient pour dire que pour modifier les comportements, les signaux de prix sont très utiles. Le consensus disparaît lorsqu'après avoir admis la nécessité du signal, on se demande comment communiquer ce signal et à qui.

Même pour une méthode comme le plafonnement et l'échange, les partisans reconnaissent que cela donne peut-être de bons résultats pour les grands émetteurs, mais ne convient guère aux résidences privées et aux petits commerces. Ce n'est pas un mécanisme adapté à ce niveau. Si vous voulez fixer un prix du carbone et l'appliquer à l'ensemble de l'économie, vous devez donc déterminer comment vous allez vous y prendre. C'est une de ces grandes questions qu'on se pose au pays et que nous n'avons pas encore réussi à régler, la façon dont nous voulons signaler qu'un changement de comportement s'impose. Le prix est certainement un bon outil pour cela.

L'autre solution, à laquelle nous avons eu recours faute de mieux, est la réglementation. Si nous adoptons un règlement, les gens doivent déterminer comment s'y conformer. Si cela fait monter les prix, eh bien c'est considéré comme un effet accessoire.

Pour tout dire, le problème de cette approche est que la réglementation ne tient pas toujours compte de ce qui est pratique et réaliste et qu'elle peut imposer des coûts fortuits.

En matière de stratégie d'énergie en général, par opposition à la réduction des GES, je constate qu'il y a deux ensembles de questions liés à la réglementation, l'un portant sur la réglementation nécessaire lorsque nous voulons déterminer comment accroître le volume ou la sécurité de l'approvisionnement énergétique. C'est ce que nous avons vu aux États-Unis récemment, en relation avec l'oléoduc Keystone XL. Nous avons assisté au même type de débat ici, dans la vallée du Mackenzie, par exemple. Les coûts, les délais et l'incertitude liés aux processus de réglementation suscitent une grande frustration, je crois, en particulier chez les entreprises qui essaient d'exploiter les ressources énergétiques du Canada, et surtout lorsque diverses compétences sont concernées, comme c'est souvent le cas.

Voilà pour ce qui est du premier ensemble de préoccupations relatives à la réglementation. L'autre se présente lorsque vous parlez de réglementation, par exemple, pour réduire les gaz à effet de serre ou en freiner la croissance. Là encore, la préoccupation découle du fait que nous n'avons pas réussi à fixer un prix pour le carbone et que nous nous tournons vers la réglementation comme pis-aller. C'est souvent fait en reprenant des règlements existants d'une façon pour laquelle ils n'étaient sans doute pas conçus et, dans certains cas, en transformant des décisions économiques en questions de nature criminelle. Cela préoccupe énormément les milieux d'affaires, parce que l'on passe à un autre niveau d'incertitude et de risque qui influe sur les décisions commerciales et les investissements.

La réglementation est un autre grand secteur où nous pourrions simplifier, réduire le double emploi, accroître la clarté et la certitude, mais il nous faut aussi être prudents sur la façon dont nous utilisons la réglementation pour améliorer l'efficacité énergétique ou réduire les GES.

Le président : Dans le cours de votre réflexion... nous avons toujours de la difficulté, compte tenu de la constitution du Canada et de la nature de notre fédération, à définir le rôle qui convient — s'il y en a un — au gouvernement fédéral et la façon de nous rapprocher des partenaires dans toutes les provinces. Je sais que vous en parlerez.

M. Stewart-Patterson : Si vous me le permettez, je voudrais mettre les choses en contexte. J'ai récemment coprésidé une importante activité du Conference Board qui portait sur l'avenir du Nord canadien et l'exploitation des ressources, non seulement de l'énergie, mais aussi des métaux, des minéraux, et cetera. C'est un facteur déterminant de la future croissance économique du Nord canadien. Il y a tout un lot de questions qui entrent en jeu, y compris l'infrastructure de transport. Les ressources énergétiques en font certainement partie. Mais ce sont des questions différentes selon les régions du pays. L'énergie est un reflet de la diversité du Canada. Si nous parlons d'exploitation minière au Yukon, nous avons une infrastructure hydroélectrique établie, mais elle est déjà exploitée presque à pleine capacité. Comment pourrions-nous ouvrir d'autres mines, une activité qui consomme généralement de grandes quantités d'énergie?

Par contre, dans un endroit comme Iqaluit, au Nunavut, toute la ville est tributaire du diesel, un produit qu'il faut faire venir, et il n'est pas réaliste de vouloir la relier au réseau électrique canadien. Il y a donc un ensemble distinct de questions énergétiques, là-bas.

Pour en revenir à la réglementation, il est clair que l'entreprise doit dire : Nous voulons seulement que les choses avancent, dites-nous ce que vous voulez. Dites-nous à qui nous devons parler. Dites-nous ce que nous devons faire et laissez-nous poursuivre nos activités.

Quant au rôle fédéral, vous avez dit, je crois, que le gouvernement fédéral avait déployé d'importants efforts dans le Nord canadien et qu'il avait collaboré avec les provinces et les territoires pour simplifier le processus et réduire les risques de chevauchement et de double emploi. On ne sait pas encore dans quelle mesure ces activités ont porté fruit, mais je crois que le principe a été établi; des efforts sont déployés et nous allons dans la bonne direction.

Je traiterai de quelques autres questions, si vous le voulez bien, ou alors nous pouvons passer aux questions.

Le président : J'aimerais que vous continuiez un peu — nous avons le temps —, et vous pourriez peut-être nous parler ce des 10 éléments de votre toile d'araignée.

M. Stewart-Patterson : Laissez-moi mentionner deux ou trois autres choses. J'ai parlé de diversité et de nécessité de reconnaître la diversité des besoins énergétiques du Canada ainsi que, évidemment, son potentiel énergétique et les ressources énergétiques qui peuvent être exploitées dans diverses régions du pays.

Il importe en outre de garder une certaine perspective dans les débats. Nombre de ces débats ont été très émotifs et conflictuels. Pour l'énergie, comme pour d'autres secteurs importants mais délicats, par exemple la santé, nous devons garder les idées claires.

Le Canada en fait l'expérience sur la scène internationale lorsqu'il s'agit de l'exploitation des sables bitumineux. Nous avons assisté à ce débat international visant à déterminer si les sables bitumineux représentent un pétrole sale ou un pétrole éthique. Ce genre de débats interminables finissent par influer sur d'autres questions, par exemple, le débat sur l'oléoduc de Keystone XL aux États-Unis. Cela entraîne des discussions en Europe, pour savoir si le pétrole canadien est bon ou mauvais. Les arguments se teintent de moralisme.

Il est important de mettre les choses en perspective et de ramener le débat sur les chiffres. Nous pouvons parler des émissions de GES attribuables à l'exploitation des sables bitumineux en comparaison avec, disons, un pétrole classique produit ici, au Canada, mais il faut aussi voir les autres sources d'énergie qui sont utilisées.

En réalité, les émissions de GES dues aux sables bitumineux, si importantes soient-elles, sont encore insignifiantes en comparaison des GES qui émanent des centrales au charbon aux États-Unis, et nous ne parlons même pas du nombre de centrales qui s'ajoutent quotidiennement en Chine. Si l'empreinte des sables bitumineux canadiens équivaut au total à peu près à celle des centrales au charbon dans l'État du Wyoming, est-ce que nous perdons le sens des proportions? C'est peut-être moins un débat à tenir au Canada, qu'une notion que le Canada doit garder à l'esprit dans ses relations internationales, mais il importe de reconnaître que c'est une ressource naturelle non négligeable et une ressource économique importante pour le Canada, et nous devons la situer dans son contexte.

Le président : Nous entendons parfois des témoins parler des trois « E » — énergie, environnement et économie — et de leur interrelation. Je crois que c'est ce que vous nous dites, ici.

M. Stewart-Patterson : Je vais revenir en arrière et examiner la place du Canada dans l'économie mondiale. Nous sommes actuellement perçus comme un îlot de prospérité relative dans un monde extrêmement agité. Nous regardons ce qui se passe en Europe et chez nos voisins du sud et nous pouvons dire que nous nous en tirons assez bien ici, au Canada. C'est en partie parce que nous avons fait des choix difficiles et judicieux. Lorsque nous étions acculés au mur, avec le type de crise que connaissent maintenant certains pays européens, nous avons réglé les problèmes en 1990 et nous l'avons fait efficacement. Nous en sommes aujourd'hui récompensés.

Cela témoigne aussi, par exemple, de l'efficacité de nos structures de réglementation. J'ai parlé de frustration au sujet de la réglementation dans le secteur des ressources. On craint toujours un excès de réglementation plutôt que l'inverse. Le fait est que nos structures de réglementation et nos services financiers semblent nous avoir bien servis, mais les stratégies organisationnelles nous ont elles aussi aidés. Il y a quelques années à peine, les institutions financières canadiennes étaient ouvertement critiquées pour leur manque d'ambition, d'esprit d'innovation ou d'agressivité sur les marchés mondiaux. Ce conservatisme relatif est maintenant considéré comme une grande vertu. Je crois que cela traduit le fait que d'autres sont allés trop loin. La réalité, c'est que nous sommes en assez bonne posture.

Il ne faut toutefois pas oublier que l'une des raisons pour lesquelles l'économie canadienne s'en tire encore relativement bien, c'est que nous avons une manne de ressources naturelles, énergétiques et autres, y compris des produits agricoles dont un monde qui compte sept milliards d'habitants aura besoin en quantités toujours croissantes. Si nous regardons l'avenir de notre pays, nous devons reconnaître qu'indépendamment de la quantité de connaissance et d'innovation que nous investissons dans d'autres secteurs, une grande partie de notre croissance viendra de nos ressources naturelles.

La question est la suivante : comment gérerons-nous ces ressources? Comment tirerons-nous le maximum de valeur? Comment développerons-nous notre économie en nous appuyant sur ces atouts? En ce sens, tout en reconnaissant que nous avons une responsabilité environnementale non seulement envers nous-mêmes et nos enfants, mais aussi envers le reste du monde, je crois que nous devons appliquer notre ingéniosité à ce que nous avons, reconnaître que l'énergie et l'environnement doivent aller main dans la main parce que ce sont des conditions essentielles au maintien d'une économie solide et du genre de pays où nous voulons tous vivre. Oui, il y a une interrelation que nous ne pouvons pas ignorer.

Le président : Des représentants du Conseil national de recherches ont comparu, cette semaine. Ils ont parlé de l'ingéniosité des Canadiens pour mettre au point les nouvelles technologies nécessaires non seulement pour aider les Canadiens et les entreprises canadiennes, mais aussi le monde, à se rapprocher de cet objectif d'énergie propre. Nous entendons toujours cela. Vous parlez de « pétrole éthique ». Ce qui est éthique aux yeux de certains est considéré comme sale pour d'autres. L'expression « superpuissance d'énergie propre », selon moi, ce ne sont que des mots.

Vous pourrez en parler aussi. Est-ce que c'est un objectif légitime ou simplement un euphémisme?

M. Stewart-Patterson : Je crois que c'est une aspiration légitime. Il est certain que l'énergie sera un élément important de notre avenir économique et que, puisque nous sommes un grand producteur et exportateur d'énergie, nous devons faire ce que nous pouvons pour minimiser l'incidence environnementale de notre production et de notre utilisation d'énergie. C'est une question d'intérêt économique et de devoir moral. Le fait que quelqu'un d'autre consomme du pétrole ne nous absout pas de la responsabilité de faire ce que nous pouvons pour minimiser l'effet de l'utilisation d'énergie sur l'environnement futur.

Nous avons un savoir-faire dans ce domaine, et parce qu'il s'agit d'un élément si important de notre économie, nous devrions utiliser ce savoir-faire. Nous parlons d'appliquer l'ingéniosité canadienne pour favoriser la croissance économique et l'innovation dans notre économie, c'est certainement un des secteurs de connaissances où nous excellons. Regardez l'évolution de la technologie énergétique dans notre pays : la croissance a été étonnante.

Quand j'étais jeune journaliste au Globe and Mail, dans les années 1980, les sables bitumineux étaient une ressource expérimentale extrêmement coûteuse, et il a fallu d'immenses subventions pour réaliser les premiers efforts d'exploration.

Le président : Nous pensions que Syncrude n'était pas une entreprise, mais un produit.

Le sénateur Mitchell : Un ministère.

Le président : Oui.

M. Stewart-Patterson : Pourtant, à peine deux décennies plus tard, j'ai eu une conversation avec les gens de Suncor, qui à l'époque, venaient de réussir à financer un projet qui doublait sa capacité à l'époque où le pétrole était à 12 $ le baril. C'est alors que j'ai compris qu'on était passé d'une technologie expérimentale, fortement subventionnée, à quelque chose qui était devenu viable et commercialisable, si vous voulez, une technologie mûre. Évidemment, cette technologie continue d'évoluer. L'on se dirige vers des techniques qui, essentiellement, réduiront à presque rien l'utilisation de l'eau — un cycle fermé, essentiellement. On peut faire beaucoup pour accroître l'efficacité énergétique de la production d'énergie et réduire son effet sur l'environnement. Le Canada manifeste un véritable talent dans ce secteur, et nous devrions en profiter et nous imposer comme chef de file mondial de ce type de technologies. Si nous devenons ainsi une superpuissance de l'énergie propre, c'est parfait. Je ne sais pas si ce titre a une quelconque valeur. Ce qui importe, c'est de faire ce que nous pouvons et de ne pas laisser échapper d'occasions d'accroître les connaissances et le rendement du Canada dans ce secteur.

Le sénateur Mitchell : Merci de votre exposé, monsieur Stewart-Patterson. Il stimule vraiment la réflexion. En vous écoutant, je réfléchissais non pas à une question lancinante, mais à une hypothèse interne qui nous trouble toujours. Si c'est une étude de l'énergie, est-ce qu'au fond, ce n'est pas sur le changement climatique? Nous le voyons constamment, des gens viennent témoigner pour leur industrie, pour des organisations non gouvernementales comme la vôtre, toute une gamme de témoins, avant même que nous ouvrions la bouche, parlent clairement d'énergie dans le contexte du changement climatique et des gaz à effet de serre, et vous l'avez vous-même très bien fait. Je vous en suis certainement reconnaissant.

Certains de nos commentaires portent sur le risque d'entacher la réputation du Canada dans le dossier des gaz à effet de serre, ce qui est parfaitement injuste. Je suis de l'Alberta et je suis libéral. J'ai passé une bonne partie de ma vie adulte à l'assemblée législative, contre un gouvernement conservateur, mais je reconnais à M. Stelmach, l'ancien premier ministre provincial, le mérite d'avoir instauré le premier régime de plafonnement et de quasi-échange en Amérique du Nord. Personne n'en parle jamais.

Ma première question porte sur le risque pour notre réputation, si vous songez à Keystone, aux directives sur la qualité des carburants en Europe et à tout le régime qui s'installe maintenant. Quel est le risque non seulement pour notre capacité de commercialiser nos produits pétroliers et gaziers, mais aussi, peut-être, pour toutes sortes d'autres activités de marketing et notre influence dans les affaires internationales? Que pouvons-nous faire à cet égard?

M. Stewart-Patterson : Si nous pouvons nous concentrer sur l'énergie elle-même, le Canada fait ce qu'il doit faire, c'est-à-dire qu'il expose les faits et ne laisse pas les descriptions caricaturales devenir des mythes. La réalité, c'est que l'exploitation des sables bitumineux constitue un défi environnemental, mais regardez les progrès qui ont été accomplis. Il faut bien reconnaître qu'ils sont impressionnants.

Le Canada n'a pas de reproches à se faire pour ce qui est des efforts en vue d'accroître la disponibilité de cette ressource, mais aussi pour la rendre plus écoénergétique et moins destructrice de l'environnement. Nous devons nous défendre avec fermeté, dans ce dossier, et bien faire connaître les faits.

Est-ce que notre réputation en souffre? C'est selon le contexte. Notre décision de ne pas respecter l'accord de Kyoto nous a valu des critiques lors de la dernière ronde de négociations sur le changement climatique. En réalité, cela se ramène à faire ce qu'il faut avec les ressources que nous avons. Je ne pense pas que nous devions nous sentir coupables de posséder des ressources naturelles que le monde peut utiliser. Des gens ont besoin de ces ressources pour améliorer leur vie. Nous pouvons contribuer à la solution et faire en sorte que le relèvement du niveau de vie de la population du monde s'accompagne d'un relèvement de sa qualité de vie, ce qui comprend évidemment un environnement sain.

Nous devrions peut-être mieux faire valoir certains des aspects positifs de ce que nous faisons et ne pas être toujours sur la défensive parce que nous risquons alors de faire pire. Le message doit être adapté au public. Si nous avons un problème politique aux États-Unis en ce qui concerne l'emplacement de l'oléoduc qui est maintenant devenu le déclencheur de toutes sortes d'autres questions connexes, essayons de nous en tenir aux éléments essentiels.

Il y aura toujours des problèmes qui influeront sur l'image du Canada, en bien ou en mal, mais je crois que nous avons généralement une bonne réputation dans le monde. Nous pouvons et nous devons en être fiers. Il nous faut simplement débouter les questions et les reproches à mesure qu'ils se présentent, et ne pas craindre d'y faire face.

Le sénateur Mitchell : Vous avez donné un D au Canada pour certains éléments des initiatives sur les gaz à effet de serre. En réponse au sénateur Angus, vous avez indiqué qu'il était probablement essentiel d'instaurer un prix. Vous avez aussi dit que le débat dans l'industrie portait sur les avantages et les inconvénients d'une taxe sur le carbone et d'un régime de plafonnement et d'échange. Ce qui n'intéresse pas l'industrie, c'est la réglementation, pourtant cela semble être le premier choix à l'heure actuelle.

Il est clair — et je ne veux pas vous influencer — que le coût serait plus élevé pour la réglementation. J'en suis convaincu, et c'est quelque chose que notre comité pourrait examiner. Le problème, dans le régime actuel, c'est que les accusations criminelles deviennent la solution si vous réglementez avec ce dont nous disposons. Je crois que c'est vraiment un problème, parce qu'il y a des gens de bonne foi dans notre industrie qui veulent trouver des solutions, mais ils seront limités par cette situation et les possibilités en seront modifiées. Est-ce que vous nous proposez — et c'est peut-être évident — d'examiner cela et d'apporter un changement? Quels choix avons-nous? Comment faut-il s'y prendre?

M. Stewart-Patterson : C'est un cas où, essentiellement, la réglementation est utilisée comme solution imparfaite, en quelque sorte, parce que nous n'avons pas pu réussir, à l'échelle nationale, à régler la question du prix ni à établir un consensus. On peut bien se rabattre sur la réglementation, et c'est ce qui se passe aux États-Unis aussi, mais ce faisant il faut être très prudent quant à la façon dont vous l'appliquez, ce que vous essayez d'obtenir, et il faut énoncer clairement les objectifs de la réglementation, ce que sera l'effet réel et si c'est réaliste.

J'ai un peu critiqué la diversité des réactions au problème des GES, en particulier le manque d'unité concernant les méthodes ou les cibles, mais l'avantage de la diversité c'est que nous essayons différentes choses et nous en tirons des leçons.

L'Alberta a reconnu deux choses. Premièrement, l'importance de la souplesse : vous avez une cible et vous l'atteignez. Il y a un coût connexe, mais le coût économique est renvoyé dans la technologie. C'est un élément essentiel et, au bout du compte, vous progresserez dans le dossier du changement climatique en améliorant le recours à la technologie pour élaborer de nouvelles idées et les appliquer. L'approche de l'Alberta en ce qui concerne la saisie du coût et son renvoi dans la technologie est très positive.

Je sais que l'Alberta s'est attiré des critiques parce qu'elle se fonde plus sur l'intensité que sur des cibles absolues. Il faut bien tenir compte de la croissance. Toutefois, l'importance de la technologie est reconnue. Cela nous ramène à une des faiblesses de la réglementation, et c'est l'échéancier. C'est une chose d'élaborer de nouvelles technologies; c'en est une autre de les adopter. La production d'énergie et l'utilisation d'énergie sont généralement capitalistiques. Les machines ont un cycle de vie très long, et il serait illogique d'abandonner une centrale électrique qui n'a que 10 ans pour recommencer à neuf. Il faut utiliser les cycles de remplacement des immobilisations et toujours adopter la meilleure technologie à mesure que vous progressez. La réglementation est parfois un instrument assez grossier et qui ne fait pas de distinction; vous fermez et vous remplacez maintenant. Ce sont les dangers de cet ordre qu'il faut craindre.

Regardez ce qui se passe, par exemple, dans le domaine des normes d'efficacité des combustibles automobiles, c'est un domaine où il y a une certaine cohérence en Amérique du Nord. Le Canada et les États-Unis agissent pratiquement de concert dans ce dossier, et les délais d'application sont très longs.

Je crois que les États-Unis viennent d'annoncer la prochaine série de normes d'efficacité des carburants, c'est un progrès, mais l'horizon est au-delà de 2017. On a le temps. Cela s'applique à la conception de nouvelles voitures et reflète les possibilités. Avec les règlements, il est tout aussi important de comprendre qu'au bout du compte, le progrès viendra des nouvelles technologies. L'investissement et le déploiement de ces technologies nécessitent du temps et doivent s'inscrire dans les cycles industriels. Nous devons veiller à ce que la réglementation n'exige rien d'insensé.

Le président : Monsieur Stewart-Patterson, vous avez parlé du Nord. Un de nos sénateurs vient d'arriver, c'est lui qui est le plus près de vous. Le sénateur Nick Sibbeston vient des Territoires du Nord-Ouest. Il est notre conscience quand nous parlons du Nord. À votre droite, le sénateur Pierre-Hugues Boisvenu, du Québec, remplace aujourd'hui le sénateur Fred Dickson, de Halifax. Soyez les bienvenus, messieurs les sénateurs.

Le sénateur Banks : Monsieur Stewart-Patterson, comme l'a dit le président, nous essayons d'entendre tous les points de vue. Tous les côtés semblent se rapporter un peu à vous, alors c'est un avantage, parce que ces dossiers et certains autres vous sont plutôt familiers. J'ai deux questions à vous poser, toutes deux liées aux commentaires du président et aux questions du sénateur Mitchell.

Est-ce que nous nous demandons encore s'il faut fixer un prix au carbone? Est-ce que cela est établi et en sommes-nous maintenant au point où il faut décider de la façon de procéder? Je sais que vous avez dit qu'il n'y a pas vraiment de consensus à ce sujet, mais nous n'en sommes plus vraiment là, et nous essayons maintenant de décider — décider n'est pas le mot qui convient... nous essayons de déterminer par tâtonnement comment il faut procéder.

La deuxième question revient à ce que le président vous a d'abord demandé. J'aimerais que vous nous expliquiez un peu cela, car nous avons de la difficulté. Nous représentons, nous tous, ici, nos provinces et territoires respectifs et leurs intérêts. Nous sommes forcément très inquiets du lien entre le fédéral et les provinces quand il s'agit de la propriété des ressources. Nous reconnaissons également qu'un réseau national n'est pas vraiment efficace pour traiter de ces questions, même avec la diversité. Le Québec est un cas particulier et la Colombie-Britannique aussi, dans une certaine mesure, en raison de l'hydroélectricité. Les provinces qui ont des sables bitumineux ne sont pas encore très nombreuses. Il y a non seulement cette diversité, mais aussi des solutions de rechange qui sont fondées sur la réglementation ou sur les buts dans tout le pays. Le gouvernement fédéral a-t-il un rôle à jouer pour essayer d'éliminer ce fouillis et d'établir une certaine cohérence? Vous avez parlé de manque de cohérence. Quel est le rôle du fédéral à cet égard? Avons-nous une responsabilité? Devons-nous nous contenter de suivre? Devons-nous réunir les parties? Je vous pose la question parce que vous connaissez bien le dossier et j'imagine que vous avez une opinion bien arrêtée là-dessus.

M. Stewart-Patterson : Je répondrai d'abord à votre première question sur le prix du carbone. Du point de vue commercial, le carbone a déjà un prix implicite. C'est un prix exprimé en termes de risque plutôt que de « oui, nous savons ce que cela sera ». Toute entreprise qui produit de l'énergie pose des hypothèses concernant le fardeau que l'émission de GES représentera probablement. Elles utilisent essentiellement des estimations éclairées, parce qu'il n'existe aucune certitude stratégique, mais je crois qu'il est admis que tôt ou tard les compétences établiront un prix.

Je ne sais pas trop de quel ordre sera ce prix. En raison des bouleversements de l'économie mondiale, ces dernières années, la question des changements climatiques a perdu de son urgence. À l'heure actuelle, du moins dans le monde industrialisé, les gens se soucient plus d'emplois, de protection de leurs revenus, de ce genre de choses, et bien sûr le ralentissement économique lui-même entraîne une réduction des émissions de GES, si les usines ne fonctionnent pas.

Le sénateur Banks : Ce n'est pas une bonne façon d'y arriver.

M. Stewart-Patterson : Cela soulage la pression. Cela entraîne des réductions de GES comme ce qui s'est passé en Allemagne après la chute du mur et la mise sous clé de l'économie est-allemande. Ce n'est pas ainsi que la majorité souhaite procéder.

Nous ne discutons plus de la nécessité d'un prix pour le carbone, mais je ne pense pas que nous soyons sur le point de déterminer ce que ce prix devrait être, encore moins de conclure une entente sur la façon de l'appliquer. Dans ces discussions, il faut composer avec la réalité de la politique nationale et de la division des compétences, mais aussi avec la réalité de nos voisins et partenaires commerciaux. Au fond, il faut également de la cohérence au niveau international, pas seulement au Canada. Selon moi, la cohérence à cet égard n'est pas pour demain. Je ne sais pas si nous arrivons à une cohérence politique nationale ou mondiale qui nous permettrait de dire « c'est un prix raisonnable, un prix qui influera sur les comportements et produira les résultats voulus pour l'environnement ».

Quant au fédéral, comme je l'ai dit, dans un système fédéral, le rôle est déterminé en partie par le problème et en partie par la logique. Sans mentionner l'aspect juridique, qu'est-ce qui serait logique, dans ce cas? Regardons, par exemple, la réglementation des titres, le gouvernement fédéral s'adresse à la Cour suprême pour préciser ce qui relève de lui en matière de commerce et d'échange et ce qui devrait se passer dans une situation où, si l'on regarde dans le reste du monde, la réglementation devrait être établie à l'échelle nationale et que cela paraît logique du point de vue de l'application du règlement et de l'efficience des marchés. Le gouvernement fédéral essaie de préciser ses rôles et ses responsabilités à cet égard.

Dans le domaine des soins de santé, nous entamerons bientôt la prochaine série de négociations sur les transferts fédéraux. L'exécution des services de santé relève indéniablement des provinces. Quelle est la meilleure façon, pour le gouvernement fédéral, d'influer sur l'orientation des services de santé au moyen de ses ressources financières? Est-ce qu'il imposera des conditions? Est-ce que les fonds fédéraux seront alloués en fonction d'objectifs précis qui restent à déterminer? L'existence de ces transferts financiers semble indiquer qu'il y a un levier.

En matière d'énergie, c'est un peu moins clair. Les ressources elles-mêmes relèvent des provinces, essentiellement. Il n'y a pas de levier évident. Pour l'énergie, je crois que le fédéral doit plutôt jouer un rôle de rassembleur, de collaborateur, de facilitateur de consensus, peut-être d'habilitateur. Si, par exemple, un projet doit être examiné par plusieurs ordres de gouvernement, vous pouvez adopter un processus commun et conclure des ententes de reconnaissance mutuelle, mais d'une façon ou d'une autre il est possible de collaborer à un examen suivant un protocole. C'est l'occasion pour le gouvernement fédéral de manifester son leadership. Dans ce domaine, il faut collaborer. Le gouvernement fédéral ne peut rien imposer.

Le sénateur Banks : Si vous étiez président d'une société pétrolière — et vous connaissez nombre de personnes qui ont administré des sociétés pétrolières —, est-ce que vous n'aimeriez pas mieux, dans le dossier des émissions de GES, que quelqu'un vous dise : « Voici l'objectif. Peu importe comment vous le faites, et nous ne vous dirons pas comment faire, mais il y a un but, il est clair, incontestable, alors trouvez un moyen d'y parvenir. »? Selon moi, le gouvernement, indépendamment du niveau, ne peut pas prescrire les moyens à prendre.

Est-ce qu'il serait plus acceptable — et ce n'est peut-être pas le bon mot — pour un dirigeant de société pétrolière, dans son intérêt et dans celui de ses actionnaires, de comprendre que c'est le but et que son entreprise doit décider comment l'atteindre?

M. Stewart-Patterson : C'est une approche simple, ce qui est bien parce que c'est prévisible. Par contre, cela nous ramène à ce dont je parlais, le recours à la réglementation comme outil. Le but peut être très clair, mais il faut voir comment il a été fixé, si l'échéancier et l'ampleur du but sont réalistes et s'il existe une façon d'y parvenir. Au fond, même si vous ne fixez pas explicitement le prix du carbone, le simple fait de dire qu'il faut atteindre l'objectif signifie que vous devez utiliser vos connaissances actuelles pour déterminer ce que nous pourrions faire, comment le faire et ce que cela coûtera. Vous fixez implicitement un prix, et je crois que vous devez veiller à ce qu'il soit raisonnable dans le contexte de l'entreprise elle-même et en relation avec sa concurrence. Quel effet aura-t-il sur une société donnée au Canada, relativement à ses concurrents au pays et à l'étranger?

C'est un autre outil, mais je le répète, il ne suffit pas de dire « Nous allons adopter une règle et vous trouverez un moyen de la respecter », sans examiner au préalable la question du coût. C'est très dangereux, et il faut bien y penser. Comme processus, la clarté, c'est bien, mais il faut aussi avoir déterminé...

Le sénateur Banks : Le caractère raisonnable.

M. Stewart-Patterson : Oui.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Merci d'être avec nous aujourd'hui. Vous êtes très connaissant et vous avez beaucoup d'expérience. C'est très intéressant. Merci de partager vos connaissances et vos opinions avec nous.

En mai 2011, je pense que le Conference Board du Canada a effectivement déclaré que le Canada ne faisait pas assez pour satisfaire ses propres critères au point de vue de la réduction des gaz à effet de serre. Vous avez fait un commentaire tantôt voulant qu'il s'agit d'un point important. L'Institut national de l'énergie a déclaré, il y a deux ou trois semaines, que basé sur les constats existants, le monde entier est loin de satisfaire son objectif de 2 p. 100. Si on continue sur les projections existantes, on va arriver à 6 degrés Celsius. Si tous les gouvernements prennent les mesures promises, je pense qu'on arrive à 3,5. On est loin du deux. On est peut-être à 4, 4,5 ou 5 degrés. Cela confirme les commentaires du Conference Board du Canada de mai 2011.

On est peu dans le monde entier et on contribue seulement à 2 p. 100 de la pollution mondiale, mais notre population est beaucoup moins que 2 p. 100. Nous vivons dans un pays influant et important. Si on regarde comment les membres du comité agissent, je me demande si on en fait assez et si on réalise les conséquences des gestes que nous posons dans 20 ou 30 ans. On argumente et on a craint que l'économie mondiale progresse seulement de 3 p. 100 et non de 4 p. 100, mais c'est relativement mineur à comparer aux conséquences climatiques qu'on vise.

Est-ce qu'on est endormi? Est-ce qu'on passe à côté de quelque chose? D'après ma lecture, les conséquences sont très graves. La conséquence sur le PIB de manquer le but du 2 degrés est énorme. Les conséquences sont énormes pour des millions de gens. Est-ce qu'on devrait se réveiller ou est-ce que certains experts exagèrent les conséquences?

[Traduction]

M. Stewart-Patterson : Je ne sais pas s'il y a des réponses simples à ces questions. Dans ces projections, les gens estiment de leur mieux les conséquences à long terme. J'en reviens à ce que je disais précédemment. Ce que fait le Canada est important dans le monde. Nous ne sommes peut-être que 2 p. 100. Nous sommes peut-être un petit joueur dans l'économie mondiale, mais nous sommes un important producteur. Ce que nous faisons pour donner l'exemple est important.

Je crois qu'en réalité, nous ne pouvons pas contrôler ce que les autres 98 p. 100 font. Regardons la consommation d'énergie dans le reste du monde. Que ferons-nous pour réduire les émissions de GES dans une économie comme la Chine? La Chine connaît une croissance extrêmement rapide, et ses citoyens passent de plus en plus d'une pauvreté relative à la classe moyenne. Ils veulent jouir du style de vie que nous tenons pour acquis. Comment pourrions-nous le leur refuser? La réalité, c'est que les émissions continuent d'augmenter dans le monde entier. Malgré tous les efforts pour conclure une entente internationale, je ne pense pas que nous ayons beaucoup progressé. Je crois que même la majorité des pays européens ont de la difficulté à respecter les engagements pris dans le cadre de l'accord de Kyoto.

Je ne sais pas s'il y a une réponse simple. J'en reviens aux Canadiens; nous devons faire ce que nous pouvons. Si nous faisons ce que nous pouvons en mettant au point de nouvelles technologies et en définissant des moyens de réduire notre impact, nous contribuerons tout d'abord à une solution mondiale. Et si nous élaborons des technologies d'énergie propre qui s'appliquent à l'extérieur du Canada, ce pourrait être un outil de croissance économique pour nous. Ce serait à la fois un outil pour notre croissance économique et, peut-être, une contribution à des solutions mondiales, en quelque sorte, au progrès mondial. Je ne vais pas parler de solutions parce que vous avez raison, les tendances à long terme sont peu prometteuses.

Le sénateur Massicotte : Je sais qu'en mai 2011, le Conference Board du Canada a dit que même nous, au Canada, nous ne faisions pas ce que nous étions censés faire, même au niveau des projections. Je me demande si nous pouvons vraiment soutenir que nous faisons notre possible et que, tant pis pour le reste du monde, il ne faut pas compter sur nous. Dans bien d'autres secteurs, y compris la croissance économique et les questions bancaires, nous avons toujours fait plus que le nécessaire sur la scène mondiale, nous ne nous contentons pas de dire que nous faisons ce que nous pouvons au Canada. Nous considérons que nous avons la responsabilité d'influencer le monde. Je suis inquiet pour nos enfants et nos petits- enfants qui subiront les graves effets de cette situation. On peut bien parler de la Chine, oui, la Chine connaît une forte croissance, mais si vous projetez dans 20 ou 25 ans, l'empreinte carbone des Chinois ne représentera même pas la moitié de celle que nous avons aujourd'hui par habitant. Je ne pense pas que nous puissions simplement dire que le problème vient du monde en développement. Nous sommes arrivés les premiers à la fête, nous avons tout mangé et tout bu; désolé, mais il ne reste rien. Je ne crois pas que ce soit un bon argument.

M. Stewart-Patterson : Honnêtement, c'est l'une des raisons pour lesquelles nous avons tant de difficultés à parvenir à une entente mondiale. Les économies émergentes, que ce soit la Chine, l'Inde ou le Brésil, disent : « Eh, vous avez fait la fête pendant longtemps, nous voulons fêter aussi. La solution serait peut-être que vous réduisiez votre consommation d'énergie pendant que nous augmentons la nôtre. »

Là encore, je pense qu'il faut reconnaître que nous sommes un important producteur d'énergie; c'est un volet important de notre économie. Nous ne pouvons pas simplement y renoncer et dire : « Très bien, fermons le Canada, nous allons hiberner et vivre de nos économies. » Je crois que nous devons reconnaître que nous sommes les gérants de cette ressource et que nous devons l'utiliser de façon optimale. Il y a des gens ailleurs dans le monde qui veulent améliorer leur niveau et leur qualité de vie et qui sont tributaires de ces ressources pour y parvenir. C'est l'aspect inévitable du rôle du Canada dans l'économie mondiale.

La façon dont nous gérons cette ressource est la question à régler. Je ne pense pas que nous puissions prétendre ne pas posséder cette richesse et faire tourner l'économie comme si elle n'existait pas. Cela n'est pas dans l'intérêt des Canadiens.

Le sénateur Neufeld : Merci d'être venu. Nous avons eu quelques conversations intéressantes. Vous décrivez le Conference Board du Canada comme la principale organisation indépendante et sans but lucratif qui soit vouée à la recherche appliquée au Canada. C'est un fait. Je ne le conteste pas, mais vous avez une immense base de données de membres au Canada et une grande diversité d'industries et d'entreprises. Vous avez évidemment beaucoup de connaissances et de compétences, j'en suis conscient. Comment pouvons-nous encourager l'industrie — et je parle de l'industrie de l'énergie, ici — à mieux expliquer ce qu'elle fait et la façon dont elle le fait?

Lorsque j'étais au gouvernement de la Colombie-Britannique, même dans l'opposition, j'ai toujours fait valoir à l'Association canadienne des producteurs pétroliers, l'ACPP, qu'on ne peut pas indéfiniment faire discrètement ce qu'on veut pendant que personne ne vous surveille. Il faut se tenir debout et discuter des problèmes. C'était évident quand je suis devenu ministre, à l'époque il y avait la mise en valeur du gaz de houille et ce genre de choses. On en fait plus dans le cas des sables bitumineux, mais selon moi ce n'est pas encore assez.

Je crois que le gouvernement a un rôle à jouer, mais il ne devrait pas prendre l'initiative. Je crois que l'industrie doit commencer à expliquer ce qu'elle fait de bien et comment elle a changé et peut-être faire allusion aux pays dont tout le monde dit tant de bien, par exemple, le Danemark : ils ont tellement d'énergie éolienne là-bas, regardez ce qu'ils font, mais personne ne mentionne qu'ils génèrent encore près de 50 p. 100 de leur électricité grâce au charbon et que le prix de l'électricité est d'environ 38 cents par kilowatt, contre 7 cents au Canada.

Comment faut-il s'organiser? Nous pouvons discuter de l'incohérence entre les provinces, mais comment des industries très indépendantes peuvent-elles s'organiser pour parler de ce qu'elles font, que ce soit les sables bitumineux, le gaz conventionnel ou l'électricité? Personne ne parle du Canada. Il y a des pays qui aimeraient bien pouvoir générer autant d'électricité que nous, une énergie propre à 70 p. 100 dans l'ensemble du Canada. C'est merveilleux. En entendez-vous parler? Non, jamais.

Comment pourrions-nous y arriver? Est-ce que vous pourriez agir comme catalyseur, diriger cela grâce à vos connaissances, à votre formation et à votre capacité de représenter un tel éventail d'entreprises et d'organisations au Canada?

M. Stewart-Patterson : Je dois bien distinguer les rôles, ici. En tant que groupe de réflexion indépendant, nous ne pouvons pas défendre une industrie ou un groupe quelconque. Je crois que notre force vient de notre capacité à réunir les joueurs d'une industrie, le gouvernement et les universitaires.

Je ne vois pas le Conference Board donner des conseils aux producteurs pétroliers ni à tout autre secteur industriel sur la défense de leurs intérêts. Par contre, je suis revenu hier d'une réunion de notre Centre pour l'énergie propre, qui réunit nombre de ces secteurs industriels, que ce soit les producteurs pétroliers, des entreprises individuelles ou des associations, y compris le volet renouvelable. Essentiellement, c'est un groupe qui veut que l'économie canadienne passe à une énergie plus propre.

La dernière séance de notre rencontre, hier après-midi, portait sur les communications. Autour de la table, nous avons échangé des idées intéressantes. Ce groupe finance des recherches intéressantes. Que pourrions-nous faire de plus pour faire connaître nos recherches et l'information au sujet de ce qui se passe ou pourrait se passer et pour rejoindre des gens qui ne sont peut-être pas au courant?

Nous savons que nous avons un rôle à jouer, en tant qu'organisme de recherche et facilitateur, dans le cadre de cet important type de communications. C'est quelque chose que nous faisons consciemment.

Le sénateur Neufeld : J'irai un peu plus loin. Je vois certaines choses, par exemple, que la politique canadienne fait véhiculer ses messages par les médias, notamment au sujet du gaz non classique dans le nord-est de la Colombie- Britannique. Il peut y avoir un peu de vrai, mais essentiellement, ce sont les élucubrations de quelqu'un qui n'a jamais mis les pieds là-bas. Je ne vois pas cela dans ce secteur.

Je ne vous demande pas de faire de la promotion. Je vous demande de mieux faire connaître toutes ces études que vous avez réalisées. C'est plus ou moins ainsi que notre comité a commencé son étude sur l'énergie, parce que les Canadiens ne savent pas si nous faisons bien les choses, mais ils méritent de le savoir. Sommes-nous parfaits? Non. Est- ce qu'il y a quelqu'un de parfait? À une certaine époque, il y avait sur terre un homme dont on disait qu'il était parfait.

Tout le monde a ses défauts et fait des erreurs, mais apparemment, nous ne parlons pas publiquement de ce que nous avons essayé de faire pour corriger la situation et progresser grâce à la technologie. Ce que nous savons aujourd'hui sera désuet dans cinq ans, et les choses se feront alors différemment. Peut-être que c'est une partie du problème; tout évolue si rapidement qu'on ne peut pas suivre.

Je vous encourage non pas à faire de la promotion, mais à faire connaître la vérité et à dénoncer certains des mythes qui circulent.

Vous parlez du rôle du gouvernement fédéral, et nous nous sommes posé des questions à ce sujet. Cela me rend toujours nerveux. En matière de soins de santé, soyons honnêtes, la responsabilité a été déléguée aux provinces il y a 40 ou 50 ans et on a dit : « Voilà votre lot. » Aujourd'hui, si une province essaie de faire quelque chose d'innovateur ou de différent dans le domaine de la santé, on lui coupe les transferts ou on la met à l'amende. Cela m'ennuie.

Il y a aussi le Programme énergétique canadien. Si vous voulez savoir comment nous nous y prenons, au Canada, pour détruire quelque chose, jetez-y un oeil. Certains s'en souviennent encore.

J'aimerais connaître votre opinion sur la façon dont le gouvernement fédéral pourrait effectivement améliorer la coopération avec les provinces. Vous avez des connaissances et de l'expérience en communication et vous êtes capable de collaborer étroitement les provinces et le fédéral. Il ne suffit pas de dire qu'Ottawa sait quoi faire, que le gouvernement fédéral connaît ces choses et que c'est ainsi qu'il faut faire. Cela vaut pour tout l'éventail politique, franchement. Comment pouvons-nous y parvenir?

M. Stewart-Patterson : D'une certaine façon, c'est en partie ce que nous faisons. Comme je l'ai dit, nous ne préconisons pas de solution, mais nous rapprochons les parties. J'ai mentionné la conférence sur le Nord que nous avons organisée le mois dernier. Des représentants de tous les ordres de gouvernement — fédéral, provincial, territorial, municipal, Premières nations, et des gens d'affaires et des universitaires — étaient réunis dans une même salle. Je crois que nous en sommes arrivés à un degré de consensus remarquable dans certains des dossiers prioritaires de la région.

J'espère que notre organisation peut faciliter ce genre de dialogue. Nous ne sommes pas les seuls dans ce secteur d'activité, le rapprochement des parties. Les conversations entre compétences sont difficiles parce que si le gouvernement fédéral essaie d'organiser une réunion, on considère qu'il prend l'initiative. Si cela vient d'ailleurs, il y a inévitablement des tensions. J'ai pu le constater à diverses reprises au fil des ans.

La réalité, c'est que nous avons un problème qui touche tous les ordres de gouvernement. Il touche les gens là où ils vivent, qu'ils se perçoivent d'abord comme des habitants de leur ville, de leur province ou du pays. La réalité, c'est que cela touche les gens au quotidien et pour l'avenir. C'est important. Nous devons régler ce problème. En toute honnêteté, il s'agit autant de bonne volonté que de compétences et de pouvoirs. Je ne pense pas que nous puissions trouver des solutions énergétiques pour notre pays si quelqu'un essaie d'imposer quelque chose.

Vous avez parlé du Programme énergétique canadien. Nous savons que cette formule ne donne rien de bon, mais il demeure que nous avons un problème. Nous avons un ensemble complexe de problèmes, et c'est ce que le comité essaie de cerner. Le fait est qu'on ne réglera rien par la confrontation; la solution viendra de ce que nous comprendrons que les diverses compétences et les gouvernements et les entreprises ont des intérêts communs. C'est vraiment à cela qu'il faudra en venir.

Je pense que nous y arriverons petit à petit. Je ne pense pas que nous parviendrons à conclure une vaste entente. Je crois toutefois que votre comité, parce qu'il esquisse un cadre et qu'il examine des approches possibles, fait un travail constructif pour définir des éléments que nous pouvons mettre en place et qui se renforceront mutuellement. Notre organisation examine cette approche dans le débat sur la santé. Nous avons lancé une importante initiative et réuni tous les intervenants. Nous avons devant nous une structure complexe. Essayons de la diviser en éléments gérables afin d'obtenir une vision globale. Nous ne réglerons pas le problème d'un seul coup, essayons plutôt de le faire petit à petit. Selon moi, c'est ainsi que la discussion évoluera, si elle évolue de façon constructive. C'est ainsi que cela devrait se passer, je crois.

Le sénateur Wallace : Monsieur Stewart-Patterson, ma première question reprend peut-être un peu le point soulevé par le sénateur Neufeld. Votre commentaire sur le manque de cohérence entre compétences — entre les provinces et peut-être aussi entre le fédéral et les provinces — m'a intéressé. J'imagine que c'est la conséquence de notre structure constitutionnelle. Il y a les pouvoirs de chaque province et il y a les pouvoirs du fédéral, alors chacun s'intéresse uniquement à ce qui se trouve dans sa propre cour. Et puis je pense au travail que votre organisation a réalisé pour examiner les besoins d'infrastructure projetés de 2010 à 2030; il y en a pour environ 290 milliards de dollars dans l'ensemble du pays.

Chaque province s'en tient généralement à ses frontières, et c'est probablement bien naturel. Toutefois, en ce qui concerne la capacité de production d'électricité, si les provinces pouvaient s'unir et réaliser des projets en partenariat dans une province ou une autre, les avantages seraient partagés entre deux ou plusieurs provinces. Ce serait logique pour créer des économies d'échelle et accroître l'efficacité de ces capacités de production.

Est-ce une possibilité que votre organisation a examinée? Est-ce qu'elle a cherché des possibilités à cet égard? Je ne parle pas seulement des cas où une province pourrait être le fournisseur et l'autre l'acheteur de l'électricité — quoique cela soit une option —, mais plutôt de nouveaux projets qui pourraient être véritablement réalisés en partenariat par les provinces et dans lesquels les partenaires auraient des parts qui leur donneraient droit à une partie de la production.

Qu'est-ce que vous en pensez? Est-ce une possibilité que votre organisation a déjà examinée? Si cela est logique, est- ce que le gouvernement fédéral aurait un rôle à jouer pour encourager les provinces à envisager de telles solutions? Inévitablement, chaque province a besoin de financement pour mener ces projets, et des demandes finissent toujours par parvenir à Ottawa pour financer ces initiatives individuelles.

En termes d'efficience et d'intervention plus efficace du gouvernement fédéral pour financer ces projets au besoin, est-ce que cela est possible? Est-ce qu'il y a un germe de solution, ici? Quel rôle le gouvernement fédéral peut-il jouer dans cela?

M. Stewart-Patterson : Vous soulevez plusieurs questions. Pour le réseau électrique, nous avons étudié l'infrastructure électrique et ce genre de choses. Nous avons eu des conversations concernant la prochaine étape. L'une des questions d'actualité des plus intéressantes porte sur la structure le réseau. Actuellement, il est établi dans un axe plus ou moins nord- sud. L'électricité circule entre le nord et le sud et traverse la frontière américaine. L'axe est-ouest est plutôt négligé. Faudrait-il essayer d'établir un réseau est-ouest? D'après les discussions, jusqu'à maintenant, je crois que le consensus n'est pas de créer un réseau national dans l'axe est-ouest, mais il y a quand même de belles possibilités pour les réseaux régionaux.

Cela nous ramène, disons, à l'Ontario, au Québec et à Terre-Neuve-et-Labrador, où la structure est très logique sur le plan économique. J'ai vécu quelque temps à Terre-Neuve et j'ai grandi au Québec, alors je comprends certaines des tensions, des intérêts concurrents entre les provinces. Toutefois, selon moi, cela montre que ce genre de projet passera au niveau régional, car la question est vraiment interprovinciale. C'est une négociation économique qui doit être menée par les provinces concernées.

Par le passé, le gouvernement fédéral est intervenu lorsque Terre-Neuve-et-Labrador avait l'impression de ne pas avoir assez obtenu du Québec, et il s'est tourné vers le gouvernement fédéral et il a dit : « Aidez-nous à expédier notre énergie de l'autre côté du golfe », parce que sinon cela ne serait pas rentable.

Le gouvernement fédéral pourrait influer sur l'évolution de ces réseaux, mais l'électricité est vraiment un domaine qui évoluera sur une base régionale et qui devrait donc être laissé aux provinces. Je crois que le gouvernement fédéral devrait encourager cette évolution, certainement pas la décourager. Finalement, cela sera provincial, surtout parce que les outils de production de l'électricité provinciale — pas dans toutes les provinces, mais souvent — sont également de propriété provinciale. La compétence semble indiscutable.

Le sénateur Wallace : Il est intéressant que vous mentionniez Terre-Neuve. Muskrat Falls est un immense projet. Je viens du Canada atlantique. Nous sommes quatre petites provinces et nous devrions toujours chercher des occasions de combiner nos ressources. Avec 2,5 millions d'habitants, nous percevons bien sûr les choses différemment de l'Alberta ou de l'Ontario.

Dans ce cas, la capacité de production se trouve évidemment à Terre-Neuve-et-Labrador, mais les avantages du projet s'étendent à toutes les provinces atlantiques. Il y a des occasions pour les provinces de participer au projet, dans le cadre d'un partenariat d'après moi. Au Canada atlantique, nous avons souvent intérêt à augmenter l'échelle en nous unissant.

M. Stewart-Patterson : L'intérêt économique du prolongement de Muskrat Falls n'est pas bien établi. Vous pouvez aussi examiner légitimement d'autres avantages et d'autres conséquences.

Par exemple, Terre-Neuve-et-Labrador a un immense potentiel éolien. Toutefois, bien sûr, l'énergie éolienne n'est utile que si vous avez une capacité de production minimale. Quelque chose comme Muskrat Falls, si cela venait du Sud, pourrait procurer à l'île, et même au-delà si le courant s'y rendait, une base suffisante.

Il y a des combinaisons intéressantes qu'il faut examiner. Prenez l'objectif national général : réduire les émissions de gaz à effet de serre du Canada sans freiner la croissance économique. Certaines possibilités sont intéressantes et méritent d'être examinées.

Puisque nous parlons de Terre-Neuve, je veux mentionner un autre petit projet en cours dans cette province, un projet qui se rapporte à ce que je disais au sujet du Nord canadien et des problèmes des collectivités éloignées. Le Canada, en raison de sa géographie, pourrait très bien être un chef de file technologique sur ce front également.

Le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador réalise un projet pilote sur la côte sud, dans la ville de Ramea, où l'on étudie un système hybride pour les municipalités qui ne sont pas raccordées au réseau. On songe essentiellement au vent. Il y a tellement de vent que la ville ne peut pas en utiliser toute l'énergie. L'énergie supplémentaire est utilisée pour séparer l'hydrogène que l'on brûle sans produire d'émissions quand le vent fait défaut. Une génératrice diesel constitue un troisième système, un système de secours. La rentabilité n'est pas pour demain, mais c'est le genre de technologie innovatrice que nous devrions examiner, non seulement parce qu'elle pourrait améliorer l'avenir énergétique du Canada, mais aussi pour créer des produits que nous pourrions exporter dans le monde entier.

Le sénateur Wallace : Il y avait un article intéressant dans le Globe and Mail, il y a une dizaine de jours, sur ce projet. Cela m'a paru excellent.

Votre commentaire sur les sables bitumineux et les émissions de gaz à effet de serre ainsi que sur la nécessité de mettre les choses en perspective pour ce qui se passe dans les sables bitumineux, évidemment, était fort juste. Vous avez mentionné, par exemple, les centrales au charbon au Wyoming.

Donnez-nous une idée. Est-ce que c'est un exemple? Avez-vous d'autres chiffres qui pourraient nous éclairer sur la situation des sables bitumineux dans ce contexte, ou s'il y a d'autres exemples que vous pourriez citer pour que nous ayons une idée de ce que représentent les sables bitumineux en termes d'émissions de gaz à effet de serre?

M. Stewart-Patterson : Dans ma vie antérieure, au Conseil des chefs d'entreprise, j'ai vu une très belle carte. Je ne sais plus qui l'avait réalisée. C'était un graphique à bulles de l'Amérique du Nord qui montrait les émissions de GES. L'Alberta y semble plutôt modeste, en comparaison de certains grands centres. Le Texas, par exemple, a une bien plus grosse bulle sur cette carte que Fort McMurray.

Le sénateur Wallace : Pouvez-vous nous remettre quelque chose après la réunion d'aujourd'hui?

M. Stewart-Patterson : Oui. Si cela vous intéresse, c'est publié. Je ne saurais vous dire à brûle-pourpoint qui l'a publiée. Je peux vous le trouver.

Le sénateur Banks : Cela serait utile.

Le sénateur Wallace : Oui. Merci. Je vous en suis reconnaissant.

Le sénateur Peterson : Je veux aussi parler un peu des sables bitumineux, parce que je crois qu'ils sont essentiels non seulement au Canada, mais aussi au monde. Malheureusement, c'est devenu le point de mire d'autres pays ou groupes, et je crois que dans certains cas, cela sert à détourner l'attention de leurs propres difficultés. Pour la majorité des Canadiens, leur seule notion des sables bitumineux est cette malheureuse image télévisée des canards dans les bassins de décantation, une image qui n'est évidemment pas flatteuse.

Regardons les bénéficiaires de cette ressource. Je dirais que ce sont les entreprises pétrolières, le trésor provincial et le trésor fédéral. Est-ce qu'il serait déraisonnable de demander à chacun de ces groupes de contribuer à hauteur du tiers d'un montant quelconque, un pourcentage par baril de pétrole, pour créer dans un énorme fonds de R-D et déclarer avec audace que d'ici 10 ans, nous aurons trouvé la solution à la question du CO2 et des bassins de décantation? Quand je dis cela, je pense au président Kennedy, dans les années 1960, qui avait affirmé entre autres que dans 10 ans les Américains auraient envoyé un homme sur la lune. C'était audacieux, mais ils y sont arrivés. Nous pouvons faire de telles choses, mais nous devons oser et investir en conséquence. Est-ce que c'est raisonnable, ou est-ce que je rêve?

M. Stewart-Patterson : D'une certaine façon, je crois que c'est un peu l'approche adoptée en Alberta. Vous pouvez vous demander si elle est assez osée et si on y investit suffisamment, mais regardez l'évolution technologique survenue dans le secteur des sables bitumineux : les plus récents systèmes de drainage assisté par gravité n'utilisent presque plus d'eau. Les progrès sont réels. Par contre, quelle que soit l'efficacité de la production de pétrole à l'extérieur des sables bitumineux, il s'agit encore d'un hydrocarbure qu'on finit par brûler. C'est une ressource qui, tôt ou tard, est utilisée et produit des émissions.

Je crois que votre question se rapporte à l'échelle des projets. Faut-il entreprendre des projets de plus en plus grands et de plus en plus audacieux pour ce qui est des fonds investis dans la technologie? Si nous voulons être audacieux, qui paiera? Et cela revient à la question du prix. Est-ce une approche légitime? Peut-être, oui. Je n'accepte toutefois pas votre préambule. Je crois que le fédéral, les provinces et les sociétés ne sont pas à en profiter. Le fait est que les retombées des sables bitumineux circulent largement dans l'économie canadienne, pas seulement par l'entremise des impôts, mais aussi dans les chaînes d'approvisionnement.

Le sénateur Peterson : Je suis tout à fait d'accord. Cela est moins immédiat et plus difficile à cerner. Il est plus facile de le comprendre dans le secteur des pêches, parce qu'il suffit de peu.

Quant à la taxe sur le carbone ou la méthode de plafonnement et d'échange, faut-il attendre que nos voisins du sud fassent quelque chose avant nous?

M. Stewart-Patterson : Je crois que nous devons être prudents, ne pas trop nous avancer. Nous sommes déjà confrontés à des pressions concurrentielles qui découlent du fait que notre économie est plus dynamique et, par conséquent, que notre devise est plus forte. Nous devons déterminer l'incidence qu'un quelconque mécanisme de prix du carbone aurait sur la compétitivité de nos entreprises.

En réalité, les entreprises à forte consommation d'énergie font actuellement des projections à long terme et essaient de deviner quel sera le prix et de planifier leurs investissements en conséquence. Je ne dis pas qu'il ne faut pas intervenir, mais par contre nous devons surveiller ce que fait notre principal marché, au sud, et ne pas nous créer inutilement de handicap.

Le sénateur Peterson : D'accord, et nous devrions considérer que le défi est plus nord-américain que canadien.

M. Stewart-Patterson : Ce serait idéal, mais je dois dire que j'ai longtemps travaillé dans les dossiers Canada-États- Unis, et c'est difficile.

Le sénateur Sibbeston : Ma question porte sur les projets énergétiques dans le nord du pays. Je sais que le gouvernement fédéral s'est engagé à faciliter la mise en valeur du potentiel hydroélectrique au Labrador et Terre-Neuve et qu'il a accordé des garanties de prêts. Dans les Territoires du Nord-Ouest, le gazoduc de la vallée du Mackenzie attend de savoir quelle aide le fédéral fournira, cela n'a pas encore été décidé. Pensez-vous que le gouvernement fédéral a un rôle à jouer dans des projets comme ceux-là dans le nord du pays?

M. Stewart-Patterson : Oui. Les décisions de subvention sont véritablement des décisions d'intérêt national. Si je regarde ce qui s'est passé dans la vallée du Mackenzie, c'était un grand projet, mais il s'est embourbé dans d'interminables examens réglementaires et dans les négociations. Il est révélateur que pendant que se poursuivaient certaines de ces audiences réglementaires les entreprises dépensaient des centaines de millions de dollars pour essayer d'obtenir des approbations. Nombre des interventions, même dans le processus de réglementation fédéral, émanaient d'autres ministères fédéraux. Si le gouvernement croyait que des intérêts nationaux étaient en jeu et qu'il convenait de favoriser ce projet, il ne l'a pas manifesté dans le processus de réglementation.

Cela dit, regardez notre Centre pour le Nord et certains des travaux que nous menons dans ce dossier, l'état de l'infrastructure, qu'il s'agisse d'infrastructure de transport ou énergétique, et cetera, dans les collectivités nordiques — et j'inclus le nord des provinces, pas seulement les territoires —, les questions économiques sont différentes, et cela a également un impact fondamental. Soit que vous êtes raccordé à l'année soit que vous ne l'êtes pas. Les facteurs économiques classiques pour la construction de routes n'interviennent pas. Vous devez tenir compte des effets sociaux ainsi que des impacts économiques.

C'est parfaitement clair, si l'on mesure l'ampleur des défis dans le Nord, que ce soit en matière d'infrastructure ou d'énergie, de soins de santé ou d'accès à l'éducation, il y a des difficultés très particulières auxquelles on est confronté, et le financement est aussi un grave problème. Nous avons parlé de collaboration. Il existe un remarquable degré de collaboration dans les collectivités, entre le secteur privé et les Premières nations, et cetera, pour essayer de relever certains de ces défis, mais le gouvernement fédéral a évidemment un rôle à jouer, et le financement sera un volet essentiel de ce rôle.

Le sénateur Johnson : Vous connaissez à fond les dossiers Canada-États-Unis. Pouvez-vous nous donner une idée des approches que nous devrions adopter, maintenant et à l'avenir? De nombreuses provinces, notamment le Manitoba, d'où je viens, traitent directement avec les États aujourd'hui, et le gouvernement fédéral vient derrière. Que suggérez-vous pour ce qui est de cette relation? Ce qui s'est passé récemment a été très traumatique, et les motifs sous- jacents à la décision concernant l'oléoduc sont évidents. Pourriez-vous éclairer notre lanterne et ainsi nous aider à terminer notre étude? Quelles recommandations devrions-nous formuler?

M. Stewart-Patterson : Pour ce qui est des relations entre le Canada et les États-Unis, il faut reconnaître que si nous voulons qu'il se passe quelque chose le Canada doit prendre l'initiative. C'est l'expérience que j'ai eue au fil des ans, qu'il s'agisse de frontière intelligente après le 11 septembre ou de réglementation transfrontalière. Peu importe le dossier, nous devons admettre qu'il ne faut pas attendre que les Américains réfléchissent à ce qu'ils veulent faire, parce que nous sommes en marge de leurs intérêts locaux. La règle voulant que tout ce qui est politique soit local s'applique nettement aux États-Unis.

Dans les rapports entre entreprises ainsi qu'entre entreprises et gouvernements et entre gouvernements, je sais d'expérience que les Canadiens obtiennent beaucoup plus s'ils prennent leurs décisions en fonction de la logique, expliquent pourquoi cela est dans leur intérêt et prennent l'initiative pour déterminer l'approche optimale et travaillent avec énergie à convaincre les autres.

Le sénateur Johnson : Je suis heureux d'apprendre que c'est l'expérience que vous avez eue. Je préside le comité Canada-États-Unis, et nous constatons que les rapports au niveau parlementaire — entre les représentants, les sénateurs et les députés — sont difficiles, plus encore depuis quatre ou cinq ans. Les choses ont été extrêmement difficiles au cours de la dernière année. Comme vous le dites, il faut prendre entièrement l'initiative. Leurs sénateurs ne s'intéressent pas aux rencontres annuelles, et pourtant c'est ce que nous faisons depuis 54 ans. C'est ce genre de choses qui nous troublent lorsque nous voulons discuter avec eux de dossiers d'intérêt plus mondial. Ils se sont à nouveau énormément repliés sur eux-mêmes.

M. Stewart-Patterson : Il faut reconnaître, surtout quand l'économie va mal, que les gens ont tendance à se replier sur eux-mêmes. C'est ce que nous voyons aux États-Unis actuellement. Le Canada a toujours eu de la difficulté à attirer l'attention de Washington, sans même parler des capitales des États. Quand ils traversent une période de difficultés économiques, comme c'est le cas actuellement, ils adoptent des dispositions comme le Buy American, des lois de stimulation économique, et cetera. La tendance isolationniste s'accentue quand les temps sont durs.

Par contre, il y a une reconnaissance implicite, surtout dans les États frontaliers, je crois. Selon moi, nous avons dans l'ensemble créé une économie nord-américaine plutôt intégrée. Nos chaînes d'approvisionnement sont interdépendantes. Nous devons trouver des moyens de faire fonctionner les choses. Le dernier exercice du groupe de travail Au-delà des frontières et du Groupe de travail de coopération réglementaire n'est pas le premier et ne sera pas le dernier effort de ce type mais, je le répète, il faut continuer à fixer des buts; les dirigeants interviennent et disent qu'ils veulent que quelque chose se passe. Le progrès est souvent bien plus lent que vous ne le souhaiteriez, mais vous continuez d'avancer et de régler des questions. L'essentiel c'est de continuer d'avancer et d'éviter une situation où nous perdons du terrain et où la frontière se referme de plus en plus.

Pour revenir à l'énergie, il est indéniable que nous sommes leur principal fournisseur d'énergie. C'est dans leur intérêt national de renforcer la relation. Ils n'ont pas de fournisseur d'énergie qui soit aussi près, aussi fiable ou aussi amical. Cela semble parfaitement logique. La politique, comme vous le savez certainement, n'est pas toujours rationnelle. Le cycle électoral aux États-Unis nous crée des difficultés, et nous ne pouvons qu'accepter cet état de choses et aller de l'avant.

Le sénateur Johnson : Au sujet de l'énergie éolienne à Terre-Neuve, monsieur Stewart-Patterson, vous pourriez l'utiliser pour alimenter tout le pays. Il y a tellement de vent là-bas!

M. Stewart-Patterson : J'ai déjà vu un graphique éolien de Terre-Neuve. À certains endroits, il y en a trop.

Le sénateur Johnson : C'est dommage que cela aille se perdre dans l'Atlantique et que nous ne puissions pas l'exploiter.

Le sénateur Mitchell : Il me paraît absurde d'avoir autant de difficulté à trouver un moyen de taxer la pollution, alors que nous continuons à taxer le revenu. Est-ce que certains processus économiques structuraux expliquent qu'il soit moins efficace ou plus difficile d'imposer la pollution plutôt que le revenu, ou est-ce simplement psychologique et il nous faut changer d'optique?

M. Stewart-Patterson : Selon moi, l'adoption d'une nouvelle taxe est toujours impopulaire.

Le sénateur Mitchell : Même si c'est pour remplacer une taxe encore moins populaire?

M. Stewart-Patterson : J'ai été témoin de nombreuses tentatives de réforme fiscale. Je me souviens de l'imposition des entreprises et de la commission Mintz, à la fin des années 1990. C'était un exercice sans incidence sur les revenus, mais les gouvernements peuvent bien s'épuiser à répéter que c'est « sans effet sur le revenu », je pense qu'on ne les croit pas. Nous l'avons vu en Colombie-Britannique, lors du débat sur la TVH. Même si vous leur dites qu'ils reçoivent quelque chose ici et qu'ils paient là, les citoyens sont toujours plus conscients de ce qu'ils paient, ils ne voient pas toujours ce qu'ils obtiennent en retour. C'est la nature humaine.

Le sénateur Mitchell : Le négatif est plus évident que le positif.

M. Stewart-Patterson : Finalement, je pense que quelle que soit la modification du régime fiscal, vous devez essentiellement présenter vos arguments non pas en termes économiques uniquement, mais aussi, peut-être, en termes moraux. Il faut expliquer pourquoi c'est mieux, pas simplement que c'est mieux pour vous. Expliquez pourquoi c'est mieux pour nous tous et faites accepter la mesure en offrant une raison, pour nos enfants ou pour notre qualité de vie, par exemple. Vous devez le présenter d'une façon que les gens comprennent; voici la raison pour laquelle il faut imposer une taxe à cet endroit et soulager ce fardeau ici, pour que ce soit plus facile économiquement. Sur le plan purement économique, il ne sera jamais facile de faire accepter les réformes fiscales, et encore moins d'augmenter les impôts.

Le sénateur Mitchell : Vous avez clairement dit que les gouvernements ont subventionné dans une large mesure les sables bitumineux. Vous pourriez en déduire que si le gouvernement n'avait pas acheté des actions de Syncrude dans les années 1970, le projet aurait été réalisé, mais jamais aussi rapidement. Il y a sans doute eu des milliards d'investis dans les sables bitumineux, et encore aujourd'hui nous utilisons des fonds gouvernementaux pour financer la recherche qui permet de mettre les sables bitumineux en valeur. J'ai peine à comprendre que nous puissions continuer à faire cela.

Pourriez-vous comparer les sommes que nous avons investies dans la mise en valeur des sables bitumineux, qui sont maintenant en exploitation, et ce que nous investissons dans le développement des énergies de rechange? Pensez un peu, si nous faisions la même chose, où en serions-nous dans 10 ans?

M. Stewart-Patterson : Je serais bien incapable de l'estimer.

Le sénateur Mitchell : Cela confirme ma position. Merci.

Un de vos rapports soutient que le gouvernement doit agir maintenant pour planifier l'effet des véhicules électriques sur la production d'électricité. C'est un document très tourné vers l'avenir. Il suppose également une popularité soudaine des véhicules électriques. Évidemment, cela commence. Qu'en pensez-vous? Est-ce la façon dont la technologie émergera?

M. Stewart-Patterson : Cela illustre la complexité de ce domaine. On a le sentiment que pour régler le problème des émissions de gaz à effet de serre ou pourrait, par exemple, modifier le transport, qui représente un quart du total, abandonner les combustibles fossiles et adopter les énergies renouvelables. Les véhicules électriques sont considérés comme un élément clé de cette transition, qu'ils soient purement électriques ou hybrides.

En réalité, si vous branchez votre véhicule électrique à un réseau qui est alimenté par une centrale au charbon, par opposition à une centrale hydroélectrique, nucléaire ou éolienne, vous n'avez pas nécessairement progressé. Finalement, la source de l'électricité détermine le progrès que vous réalisez sur le plan des émissions de gaz à effet de serre quand vous adoptez les véhicules électriques.

Si vous avez un tout à coup un grand nombre de véhicules électriques que leurs propriétaires branchent au réseau, alors qu'ils ne le faisaient pas auparavant, quel sera l'effet sur la demande dans votre réseau électrique? D'où viendra le supplément d'énergie nécessaire? Donc, si vous voulez encourager une transition économique vers les véhicules électriques, vous devez bien comprendre comment vous alimenterez ces véhicules.

Le sénateur Mitchell : Pendant la période de transition, les gens ont tendance à se brancher la nuit, ce qui correspond à un creux de la demande. Il y a un excès d'énergie, probablement, et cela ne fera que l'éponger. Le secret, sans doute, serait de ne pas autoriser plus de centrales au charbon.

Vous avez aussi traité dans un de vos rapports des décideurs qui s'efforcent de plus en plus d'éduquer, d'utiliser des outils pour exposer les avantages à long terme, les économies de coûts, et cetera. Pouvez-vous nous présenter des propositions concrètes sur la façon dont les décideurs pourraient faire cela, en particulier pour l'initiative fédérale et provinciale? Est-ce que le gouvernement fédéral pourrait avoir pour rôle de coordonner cela? Vaudrait-il mieux avoir un institut ou une sorte de société d'État? C'est une idée fort intéressante.

M. Stewart-Patterson : Dès que le mot « éducation » surgit dans une conversation, la question du rôle fédérale devient délicate. Je dois choisir mes mots avec soin. L'éducation au sens d'informer les gens, de les aider à comprendre ce qu'ils pourraient faire, et cetera... Le gouvernement fédéral a une longue tradition d'intervention de ce type, notamment avec le programme ParticipACTION et l'activité physique.

Il s'agit de décider si le gouvernement fédéral peut jouer un rôle de leadership et de démonstration, indiquer la voie à suivre, encourager, faciliter. C'est toujours possible. Vous devez vous interroger sur l'efficacité des mesures. Combien est- ce que cela coûte et quel genre d'effets obtenez-vous en termes de comportement des gens?

Il y a deux façons de procéder : dire aux gens ce qu'il faut faire plutôt que d'imposer une taxe qui accroît le coût de faire ce qu'il ne faut pas. Il choisir ce qui est le plus efficace. Mais est-ce un rôle possible? Certainement.

Le sénateur Mitchell : Je mentionnerai un autre élément parce que cela a surgi dans le contexte de votre témoignage aujourd'hui, mais on nous a dit à quelques reprises, ces dernières semaines, que le Canada produit seulement 2 p. 100. Au fond, si on y pense bien, le Canada produit un cinquantième de tous les gaz à effet de serre de la planète, mais nous n'avons qu'un deux centième de la population. Ce n'est donc pas négligeable.

Ce qui me plaît vraiment dans ce que vous dites, c'est la nécessité de faire de notre mieux, quoi que ce soit que nous puissions faire. Si nous réussissons à régler ce problème 50 fois, c'est fini, nous avons réglé le problème du monde. Ce n'est pas négligeable. Je crois que vous nous avez exposé une vision positive pour que nous fassions de notre mieux, un pas à la fois, et que nous refusions de fermer les yeux. Nous pouvons offrir au monde un véritable leadership.

M. Stewart-Patterson : Nous sommes des utilisateurs intensifs d'énergie; nous sommes aussi d'importants exportateurs d'énergie. Donc, ce que nous faisons à l'intérieur de nos frontières pour être plus éconergétiques, pour réduire l'incidence de notre utilisation d'énergie sur l'environnement en général, cela peut nous être très utile. Et dans la mesure où, pour ce faire, nous créons de nouvelles technologies éconergétiques et moins destructrices de l'environnement du monde entier, alors nous faisons plus que notre part pour régler également le problème à l'échelle mondiale.

Le président : Nous avons discuté à bâtons rompus, ce matin. Je crois que nous avons beaucoup appris au sujet du contexte. Nous n'avons pas parlé des gaz de schiste, et je ne veux pas lancer une longue discussion, mais est-ce que vous avez un commentaire rapide à ce sujet? Il semble y avoir d'incroyables réserves dans notre pays. Est-ce quelque chose que nous devrions mettre en valeur?

M. Stewart-Patterson : Je ne prétends pas savoir grand-chose des gaz de schiste. Je peux dire toutefois que la technologie d'exploitation et son application à cette énorme réserve qui existe en Amérique du Nord a certainement un effet à moyen terme sur le prix du gaz naturel et donc sur l'attrait relatif du gaz naturel comme combustible.

On peut se demander s'il faut maintenant s'attaquer aux prix qui sont, en Amérique du Nord, beaucoup plus bas qu'à l'étranger. Cela crée des incitatifs pour étudier les possibilités d'exportation de gaz naturel liquéfié. Cela modifie les facteurs économiques du secteur gazier. Au-delà, je ne peux pas m'avancer au sujet des éventuelles conséquences de plus grande envergure.

Le président : Nous avons traité des aspects économiques de la question et des marchés pour nos produits énergétiques aux États-Unis. Apparemment, ils pourraient devenir beaucoup plus autonomes et avoir moins besoin de notre gaz et peut-être aussi d'autres combustibles. Cela fait partie des possibilités.

M. Stewart-Patterson : Cela se reflète dans le prix de l'essence, actuellement, et je soupçonne que cet effet durera pendant un certain temps. Comme je l'ai dit, si vous comparez le prix de l'essence en Amérique du Nord et ce que l'on paie en Asie, par exemple, vous constatez une grande différence. Chaque fois qu'il y a une différence dans le monde, les marchés cherchent à réduire cet écart.

Le président : C'est juste. Téléphonez à M. Apache, je crois que c'est son nom.

Je veux vous remercier infiniment d'être venus ce matin. C'est toujours un effort à 8 heures, le mardi matin. Vos observations nous sont très utiles ainsi que cette liste que vous nous avez fournie, avec des titres de rapports choisis que le Conference Board du Canada a publiés sur le thème de l'énergie durable. Nous n'aimons pas le plagiat, mais nous avons d'excellents recherchistes.

M. Stewart-Patterson : N'hésitez pas à nous citer.

Le président : Je vous remercie très sincèrement. Chers collègues, si vous n'avez plus de questions, je vais demander au sénateur Mitchell et au sénateur Neufeld de rester un peu et je déclare que la séance est terminée.

(La séance est levée.)


Haut de page