Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles
Fascicule 8 - Témoignages
OTTAWA, le jeudi 24 novembre 2011
Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd'hui, à 8 h 12, pour examiner l'état actuel et futur du secteur de l'énergie du Canada (y compris les énergies de remplacement).
Le sénateur W. David Angus (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour, collègues. Je souhaite le bonjour à nos invités — que je présenterai dans un instant — aux personnes qui suivent nos débats sur la chaîne parlementaire CPAC ou sur Internet, et à toutes les personnes qui communiquent avec nous à mesure que nous poursuivons notre étude sur le secteur de l'énergie. Nous tentons d'engager un dialogue avec les Canadiens, et d'élaborer un cadre qui favorisera un développement énergétique plus efficient et plus durable dans toutes les régions du pays — dans l'Ouest, dans le centre, dans l'Est et, bien sûr, dans les territoires et les communautés du Grand Nord.
Nous avons le bonheur d'accueillir ce matin Shawn Atleo, chef national de l'Assemblée des Premières Nations. Il est accompagné de Roger Jones, son conseiller principal. L'honorable John Duncan, le ministre des Affaires autochtones et du développement du Nord canadien, s'est récemment présenté devant le comité. Je crois que vous constaterez que les membres sont extrêmement intéressés par les questions qui vous concernent, et qu'ils s'intéressent plus particulièrement aux questions liées au développement des communautés des Premières nations et du secteur de l'énergie.
Au fil des ans, le Canada a eu la chance de disposer de grandes quantités de ressources naturelles, mais il ne les a pas nécessairement utilisées de façon efficiente en raison même de leur grande disponibilité et de leur grande diversité dans de nombreuses régions du pays. À un moment où la population est en pleine croissance — la population mondiale est de 7 milliards de personnes, et elle sera peut-être, dans 30 ans, de 9 milliards de personnes —, la demande d'énergie est elle aussi à la hausse, et nous sommes à la recherche de sources d'énergie de remplacement plus propres et de moyens d'utiliser l'énergie de façon plus efficiente. Voilà l'objet de notre étude.
Le comité a visité toutes les régions du Canada. La semaine prochaine, il entreprendra une tournée de l'Ouest du Canada — il se rendra en Colombie-Britannique et en Alberta. La semaine suivante, il sera en Saskatchewan et au Manitoba. Il s'est déjà rendu dans la plupart des autres régions. Hélas, il n'est pas allé dans les Territoires du Nord- Ouest, mais il a reçu des témoins de cette région, et est évidemment vivement intéressé par ce qui se passe là-bas.
J'aimerais simplement mentionner que le chef national Shawn Atleo est un chef héréditaire de la Première nation d'Ahousaht. En juillet 2009, il a été élu au poste de chef de l'Assemblée des Premières Nations, pour un mandat de trois ans. Collègues, vous vous rappelez peut-être que vous m'avez accordé l'honneur discutable de me rendre à Copenhague pour assister à la 15e Conférence des parties sur l'environnement, le chef et moi faisions partie de la même délégation spéciale constituée par le ministre de l'époque, Jim Prentice. Nous avons eu l'occasion de nous rencontrer non seulement à Calgary, mais également à Copenhague. Je crois que l'on peut dire que ce qui s'est produit durant cette semaine-là nous a intéressés, mais que les résultats du processus ne nous ont pas nécessairement enthousiasmés. À coup sûr, cela a été une merveilleuse occasion d'examiner la manière dont se passe ce type de rencontres entre diverses organisations internationales. On attendait environ 15 000 personnes, et je pense que vous vous rappelez qu'il y en avait à peu près 39 000 qui tentaient de se faufiler dans le centre de conférence.
M. Atleo a accompli deux mandats à titre de chef régional de la BCAFN — j'imagine qu'il s'agit de la section de la Colombie-Britannique de l'Assemblée des Premières Nations. À cette époque, il a souscrit au principe d'inclusion et de respect en matière de collaboration. Un accord historique de leadership a été ratifié en mars 2005, ce qui a mis un terme à des décennies de discorde entre les dirigeants des Premières nations en Colombie-Britannique.
Nous sommes ravis que vous soyez ici. Je vais me présenter. Je suis le sénateur David Angus, du Québec. Je suis président du comité. Le sénateur Grant Mitchell, de l'Alberta, que vous connaissez sans doute, est vice-président du comité. Sont également présents nos collègues de la Bibliothèque du Parlement, Marc LeBlanc et Sam Banks; le sénateur Rob Peterson, de la Saskatchewan; le sénateur Tommy Banks, mon prédécesseur, de l'Alberta; le sénateur Pierre Claude Nolin, mon bon ami, qui remplace l'un de nos collègues qui a dû s'absenter; le sénateur Nick Sibbeston, des Territoires du Nord-Ouest, qui, je peux vous l'assurer, veille à notre intégrité en ce qui a trait aux questions autochtones; Lynn Gordon, notre merveilleuse greffière; le sénateur Richard Neufeld de la Colombie-Britannique; le sénateur Judith Seidman, du Québec; le sénateur Paul Massicotte, également du Québec; le sénateur Wallace, du Nouveau-Brunswick; et enfin, le dernier, mais non le moindre, notre sénateur élu, le sénateur Bert Brown.
Voilà les personnes qui composent le comité, monsieur. Nous avons près de deux heures devant nous, et nous nous réjouissons à l'idée d'entreprendre une excellente discussion avec vous. Je crois comprendre que vous avez une déclaration préliminaire à présenter. Par la suite, nous vous poserons des questions.
Shawn A-in-chut Atleo, chef national, Assemblée des Premières Nations : Merci beaucoup. Bonjour, honorables sénateurs. Votre invitation est un grand honneur. Je vous en suis extrêmement reconnaissant. Comme vous l'avez mentionné, je suis accompagné de Roger Jones et de Audrey Mayes, qui est assise entre nous deux. Nous formons la délégation de l'Assemblée des Premières Nations.
Je vous transmets les salutations des 633 Premières nations et des 52 groupes linguistiques. Comme les sénateurs le savent, les Premières nations sont disséminées dans toutes les régions du pays, d'un océan à l'autre, et la présente discussion sur l'énergie est vraiment importante. Je suis originaire du village d'Ahousaht, situé sur la côte ouest de l'île de Vancouver. Je ne suis pas très vieux, mais il n'y a pas si longtemps, mon petit village était alimenté en électricité au moyen de génératrices. Elles cessaient de fonctionner à environ 22 heures, puis je devais ensuite m'en remettre à une lampe à l'huile pour lire mes bandes dessinées dans la maison de ma grand-mère. Comme mon village est situé dans une région isolée, encore aujourd'hui, il arrive qu'il ne dispose d'aucune électricité. Ma petite maison est alimentée à l'énergie solaire, et n'est pas raccordée au réseau électrique. Je vous suis extrêmement reconnaissant de mener la présente étude, et du fait que vous discutez avec des personnes dans toutes les régions du pays, car il est vraiment crucial, à ce moment-ci, de tenir cette discussion à propos de l'énergie. Les Premières nations ont l'intention de jouer un rôle important — de plus en plus important, et je dirais même de premier plan — au moment d'examiner notre avenir énergétique collectif, de réfléchir et de faire de la planification à ce sujet.
Je tiens à vous remercier de votre invitation. Plus souvent qu'autrement, les discussions sur l'énergie sont également des discussions sur le développement, et j'estime que nous devons, de façon collective, accroître nos connaissances en matière d'énergie, c'est-à-dire nos connaissances en ce qui a trait à la provenance de l'énergie et à l'utilisation que nous en faisons. Je ne veux pas brosser un tableau qui pourrait vous donner l'impression que toutes les Premières nations soutiennent le développement ou que toutes les Premières nations s'opposent au développement. Nous partons du principe selon lequel, à l'heure actuelle, comme cela a été le cas dans le passé, les Premières nations soutiennent le développement responsable et, comme bien d'autres nations, s'opposent à un développement jugé irresponsable.
Le président : Si vous le permettez, je vais vous interrompre, car vous venez de faire une observation extrêmement pertinente. L'un de nos objectifs consiste à dissiper une multitude de mythes qui se perpétuent en ce qui concerne notre environnement, notre énergie, les changements climatiques et ainsi de suite. Vous venez tout juste de faire allusion au mythe selon lequel toutes les Premières nations s'opposent au développement et aux autres choses du genre. Il s'agit d'un parfait exemple. Je viens de demander à M. LeBlanc de le prendre en note. Je suis certain que vous évoquerez d'autres mythes dont les Canadiens doivent entendre parler, et dont ils doivent être informés par des personnes respectées comme vous.
M. Atleo : C'est précisément la raison pour laquelle votre étude peut nous aider à engager un dialogue nous permettant d'acquérir une meilleure compréhension commune de ce qu'est le développement responsable et du type de stratégie que nous devons adopter sur le plan énergétique. Nous connaissons peut-être les raisons de nature historique qui expliquent que nous ne disposons pas, à l'heure actuelle, d'un plan national en matière d'énergie, ou d'une stratégie exhaustive en matière d'énergie englobant toutes les administrations, mais comme vous l'avez mentionné d'entrée de jeu, vu l'accroissement de la population mondiale, et comme des pays d'Asie convoitent les abondantes ressources naturelles du Canada, nous avons la responsabilité collective d'examiner tout cela de façon minutieuse, détaillée et sérieuse. À mon avis, les Premières nations ont la responsabilité de se manifester et de commencer à formuler des idées à ce chapitre.
Les Premières nations ont la responsabilité de respecter et de faire valoir leur histoire et leur culture, et de préserver les langues qui leur permettent de décrire la relation qu'ils entretiennent avec l'environnement qui les entoure. Bien souvent, par l'intermédiaire de nos aînés, nous évoquons notre responsabilité à l'égard des générations futures et nous parlons également de ce que nous laisserons à ceux qui viendront après nous car nous nous soucions aussi de leur prospérité, et nous tentons d'entretenir un lien entre les générations.
[Le témoin s'exprime dans une langue autochtone.]
Dans la langue nuu-chah-nulth, l'une des 52 langues du pays, nous disons que toutes les choses sont liées et forment un tout. On considère que toutes les créatures vivantes — les poissons, les fleuves, les arbres, les oiseaux, et cetera — ont conclu un protocole. En fait, leurs relations présentent un caractère sacré — un caractère sacré qui les pousse à chercher à coexister de façon équilibrée et harmonieuse.
Au Canada, lorsque l'on évoque les droits des Premières nations, on mentionne souvent les droits des Autochtones ou les droits issus des traités. Dans certains cas, les Premières nations peuvent faire valoir directement les droits des Autochtones ou les droits issus des traités en ce qui a trait aux ressources naturelles. Dans d'autres cas, les Premières nations peuvent faire valoir que le développement énergétique risque d'avoir sur l'environnement des répercussions nuisibles qui les empêcheront de mener les activités dont la poursuite a été précédemment garantie par les traités ou proclamée à titre de droit des Autochtones. En résumé, cela laisse également entendre que, à ces égards, notre passé a été, dans une certaine mesure, marqué par des conflits.
Je pourrais dire que nous avons congestionné les tribunaux. Certaines années, nous avions quelque 100 affaires en instance un peu partout au pays, et j'estime que nous passons beaucoup trop de temps à envisager ces questions de manière conflictuelle. À l'aube des commémorations de la guerre de 1812, nous espérons que nous nous pencherons sur les relations fondées sur les traités qui ont contribué à façonner le pays, et que nous nous rappellerons que les Premières nations et nos ancêtres communs ont combattu côte à côte pour défendre le territoire qui s'appelle aujourd'hui le Canada.
Je tiens à indiquer clairement que, pour les Premières nations, il y a un droit qui prime sur tous les autres, à savoir le droit à l'autodétermination. Les Premières nations ont le droit inhérent de choisir elles-mêmes la voie qui convient à leur propre développement, au développement de leurs terres, de leurs territoires et de leurs ressources, et qu'elles détiennent ce droit depuis des temps immémoriaux.
Plus récemment, ce droit a été énoncé très clairement dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. En fait, nous venons tout juste de célébrer le premier anniversaire de l'adhésion du Canada à cette déclaration, qui a été adoptée il y a quatre ans par l'Assemblée générale des Nations Unies. L'article 32 de la déclaration est rédigé en ces termes :
Les peuples autochtones ont le droit de définir et d'établir des priorités et des stratégies pour la mise en valeur et l'utilisation de leurs terres ou territoires et autres ressources.
Il n'est guère surprenant que, bien souvent, l'on considère que les discussions touchant les revendications territoriales, les droits issus des traités et les droits de la personne à l'échelle internationale constituent le principal obstacle au développement — comme vous l'avez indiqué et comme je le pense dans certains cas, cela constitue un mythe très répandu, mais il ne devrait pas en être ainsi. En fait, de plus en plus, ce point de vue est chose du passé. Le fait que les Premières nations exercent une plus grande mainmise sur leurs terres et leurs ressources afin de respecter leurs obligations à l'égard de leurs ancêtres et des jeunes générations se traduit par un accroissement — et non pas une diminution — du nombre de Premières nations jouant un rôle au chapitre du développement. Mieux encore, les diverses activités de développement qui sont mises en œuvre sont plus durables et plus respectueuses de l'environnement qu'elles ne l'étaient dans le passé.
Cela commence à traduire dans les faits les premières discussions tenues à Rio au début des années 1990, selon lesquelles les peuples autochtones devraient, tout comme le Canada prend part à l'attribution, contribuer à modeler et à définir le développement durable.
L'une des raisons qui expliquent cela est la reconnaissance de l'obligation de consulter et de trouver des accommodements, laquelle contraint la Couronne et les Premières nations à entreprendre des discussions de bonne foi touchant l'incidence de la conduite de la Couronne sur les droits des Autochtones et les droits issus des traités. Il s'agit d'un processus axé sur les droits, et qui fonctionne. Bien entendu, la politique et les pratiques en matière de consultation et d'accommodements doivent être améliorées; toute amélioration à ce chapitre devra être considérée comme un investissement dans le régime de réglementation du Canada en matière d'énergie et de ressources naturelles, et non pas comme un coût pour ce régime.
Je me suis présenté ici aujourd'hui pour vous dire que les droits des Premières nations favorisent le développement, et que le fait de mettre à contribution les Premières nations pour qu'elles jouent leur rôle de gardiennes des terres et des eaux représente une bonne politique environnementale. Le fait d'attribuer aux Premières nations un rôle solide et équitable à jouer dans le cadre de l'élaboration d'une stratégie en matière d'énergie se traduira par une infrastructure énergétique canadienne plus robuste et plus durable.
Honorables sénateurs, j'ai quelques recommandations à formuler à votre intention. Je crois fermement que nous avons l'occasion d'aller conjointement de l'avant en vue d'obtenir des résultats avantageux pour toutes les parties au moment d'élaborer une stratégie en matière d'énergie durable qui apportera la prospérité à nos communautés et à l'ensemble du Canada.
L'industrie et le gouvernement doivent adopter une nouvelle approche afin de négocier avec les Premières nations d'une manière qui respecte leurs droits et leurs titres de propriété foncière, de même que leur droit manifeste de définir la forme et la trajectoire que prendra le développement sur leurs territoires, et de retirer des avantages des activités de développement se déroulant sur leurs terres.
Voici quelques observations précises. Les Premières nations doivent être invitées à participer aux réunions des ministres fédéral, provinciaux et territoriaux de l'Énergie et des Ressources naturelles qui se tiendront dans l'avenir. Les Premières nations exigent qu'un processus de dialogue entre elles et les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux soit institué en vue de mettre en œuvre une stratégie nationale en matière d'énergie. Les Premières nations doivent jouer un rôle dans le cadre de la Conférence des Nations Unies sur le développement durable, aussi appelée Rio +20 — j'ai fait allusion plus tôt aux premières discussions tenues à Rio —, de même que dans le cadre des Initiatives menées au pays, comme la stratégie de développement durable du Canada, dont la mise en œuvre doit se faire avec la participation complète et concrète des Premières nations.
J'ajouterais que les Premières nations ont apprécié et vu d'un bon œil le fait d'avoir été invitées à faire partie de la délégation canadienne envoyée à Copenhague — on a mentionné cet exemple un peu plus tôt. Cela peut contribuer à montrer que le Canada est en mesure de donner l'exemple au reste du monde en ce qui concerne le déploiement d'efforts en vue d'appliquer la déclaration de l'ONU et le fait de nouer des relations de travail solides et directes avec les Premières nations.
Au moment de tirer des conclusions en ce qui a trait au rôle que doivent jouer les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux dans le secteur de l'énergie, le Sénat devrait tenir compte de la compétence inhérente que possèdent les Premières nations en matière de ressources, de même que l'obligation de consulter et de trouver des accommodements. Le rapport final du comité et les travaux qu'il mènera dans l'avenir sur ce sujet doivent rendre compte des valeurs et des connaissances traditionnelles des Premières nations.
Là encore, j'estime que nous devons aller de l'avant en nous appuyant sur les importantes excuses présentées par le premier ministre Harper à la Chambre des communes à l'été 2008, dans le cadre desquelles on a reconnu que, pendant 150 ans, on a exécuté, par le truchement des pensionnats, une politique visant effectivement à supprimer la langue des Autochtones, leur culture et leurs liens avec leurs terres et leurs aînés, et que cette politique était condamnable, n'aurait jamais dû voir le jour et ne devait jamais plus exister. Ainsi, nous devrions également commencer à considérer les liens que les peuples autochtones entretiennent avec leurs terres, leur langue et leur culture comme un élément très important du riche patrimoine culturel et de l'histoire du Canada — comme une chose que nous devrions chérir et conserver, et dont nous devrions, en fait, favoriser l'essor.
Le gouvernement fédéral devrait fournir aux jeunes des Premières nations davantage de formation, notamment en ce qui concerne l'apprentissage de métiers. La population des jeunes des Premières nations croît rapidement, et la vaste majorité; de ces jeunes ont moins de 25 ans. Ils joueront un rôle de plus en plus important dans l'avenir.
Il faut offrir aux Premières nations du soutien en matière de capacités sous forme d'assistance technique et d'accès aux capitaux de manière à ce que l'on puisse collaborer à titre de partenaires de plein droit à l'élaboration de projets énergétiques, élaborer un processus d'évaluation environnementale — dans le cadre de l'examen de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale après une période de sept ans — qui respecte les connaissances et les droits traditionnels des Premières nations, et aider les Premières nations à organiser la tenue d'une discussion nationale visant à élaborer un manuel de pratiques exemplaires en vue d'un processus de consultation englobant les sociétés du secteur de l'énergie, les Premières nations et le gouvernement. Ce que nous avons proposé, honorables sénateurs, rendrait tout cela possible. Les chefs, l'APN et le Conseil de la Fédération ont offert leur soutien. J'ai discuté avec le premier ministre de l'idée de créer un institut national des ressources des Premières nations.
Monsieur le président, au début de la réunion, vous avez fait allusion aux aspirations que je nourris à l'égard du rôle que je joue, et à ce sujet, je mentionnerai que, à l'origine, les relations fondées sur les traités étaient axées sur la notion de relation — il s'agit d'unir nos efforts en un geste de reconnaissance et de respect mutuels. Je me réjouis à l'idée que le contenu de ma déclaration préliminaire et certaines recommandations que j'ai formulées nous permettront d'avoir une discussion fructueuse. Si nous devions aborder l'aspect juridique des consultations, des accommodements et des titres fonciers et des droits des Autochtones, je demanderais à M. Jones de me fournir de l'aide, car cet aspect juridique ne fait pas partie de mon champ de compétences. Merci, monsieur le président.
Le président : Merci, chef Atleo. Il y a deux ou trois questions que j'aimerais, d'entrée de jeu, soumettre à votre attention. Dans le cadre de ses tournées, le comité s'est rendu à Terre-Neuve-et-Labrador. Là-bas, les promoteurs, mais également les représentants des Premières nations, nous ont beaucoup parlé du projet Muskrat Falls, dont on ne sait pas encore s'il ira de l'avant. Nous avons entendu toutes sortes d'histoires à ce sujet, et à propos du rôle que jouent les Premières nations au Labrador. Au Québec — et le comité compte au moins trois sénateurs du Québec, que j'ai présentés au début de la réunion —, le premier ministre est, ces jours-ci, au centre d'un débat entourant ce que l'on appelle le Plan Nord. Hier, tous les journaux du Québec regorgeaient d'articles que je qualifierais, pour dire le moins, d'incendiaires et de conflictuels. Je ne suis pas certain de comprendre de quoi il retourne — ici, au Sénat, nous sommes isolés. Tout d'abord, j'aimerais savoir s'il s'agit là de questions pertinentes; il s'agit de grands projets énergétiques.
M. Atleo : Il s'agit de deux d'un certain nombre de projets qui nous offrent en quelque sorte un reflet de la réalité, laquelle est marquée par des divergences et des divisions. Je pourrais mentionner aussi des projets de l'ouest du pays. Au moment d'aborder le sujet de l'énergie, nous devons prendre en considération ses divers aspects, par exemple le secteur minier et le cercle de feu; le pétrole et le gaz dans la région des Prairies; les moratoires sur l'exploration au large des côtes; le transport des matières nucléaires sur les Grands Lacs; les pipelines; les grands projets hydroélectriques dans l'est et dans l'ouest, et le transport par navire pétrolier. Il est difficile de discuter d'un aspect de la question de l'énergie sans tenir compte de ses liens avec les autres aspects de la question.
En ce qui concerne la participation des Premières nations, l'idée globale tient à ce que l'énergie et le développement énergétique sont liés à des processus de planification se déroulant sur une longue période de la part des promoteurs et des entrepreneurs, surtout dans le secteur minier. Les dirigeants de ces entreprises changent souvent au cours d'une période de 10 ou 20 ans. Comme je l'ai mentionné, si l'intention initiale à ce chapitre consiste, en ce qui concerne le développement des ressources et la planification touchant des questions comme celles de l'énergie, à fonder nos relations sur les principes issus des traités, cela signifie que nous devons établir de nouveau ces relations. Quel est notre plan, et quelle est notre vision? Comment nous y prendrons-nous pour reconnaître nos compétences respectives? La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones a énoncé en termes assez clairs la notion de consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. L'une des choses que M. Jones et moi aimerions faire ici, c'est d'affirmer notre soutien à l'égard de la nation de consultation et d'accommodement. La déclaration des Nations Unies nous orientera à cet égard.
Nous devons comprendre le contexte et la réalité dans lesquels s'inscrivent quelques-unes de ces questions ou difficultés auxquelles nous sommes confrontés, un peu partout au pays, en matière de développement énergétique. À la base, il y a deux ou trois aspects, par exemple un besoin plus pressant de détenir des droits issus de traité, des titres fonciers et des droits autochtones, de même que des notions comme celles de la consultation et des accommodements nous permettant d'acquérir une plus vaste compréhension commune de ce que cela signifie et de la manière dont nous pouvons faire fonctionner cela. À cela vient s'ajouter la nécessité de disposer d'une meilleure idée commune de ce que constitue l'élaboration d'une stratégie en matière d'énergie.
Si un important projet de développement est requis d'un côté ou de l'autre d'une frontière entre deux provinces ou sur le territoire d'une administration ou d'une autre, qu'est-ce que cela change pour le Québec ou l'Ontario? Depuis deux ans et demi, je suis chef national, et en ce qui concerne les compétences, il n'est pas difficile pour moi de fournir des exemples de situations où des membres des Premières nations se sont adressés à moi pour me dire que, pendant qu'ils dépendent de génératrices au diesel, on inonde leurs terres pour mener des projets hydroélectriques visant à alimenter en électricité une ville du Sud, et que les restes de leurs ancêtres flottent à la surface de ces terres inondées. On parle d'une stratégie exhaustive. En me fondant sur ce que nos ancêtres communs ont énoncé dans les traités, j'affirme que les Premières nations doivent participer à part entière et de manière véritable à façonner l'avenir, et également à trouver des solutions aux problèmes actuels.
Vous n'avez mentionné que deux projets, mais il y en a beaucoup plus. Deux voies s'offrent à nous, et nous devrons en choisir une. Si nous travaillons séparément, les choses seront plus difficiles. La collaboration ne sera certes pas chose facile, mais de cette manière, nous pouvons acquérir une compréhension commune de ce que nous avons fait dans le passé et des défis auxquels nous faisons face. Ainsi, nous pouvons donner aux Premières nations les moyens de réagir et de participer à l'élaboration d'une vision pour ce qui est de projets comme le Plan Nord, au Québec, et comme celui de Muskrat Falls, à Terre-Neuve-et-Labrador.
À ma connaissance, on n'a pas reconnu les droits des Premières nations aux premiers stades de la planification et du développement des grands projets, et cela s'explique par une kyrielle de bonnes raisons. La conversation doit porter sur la manière dont nous mettrons de l'ordre dans tout cela de façon à ce que tout se déroule beaucoup mieux et que nous puissions, dans l'avenir, sortir plus forts des travaux de planification.
Le président : C'est exact. Merci beaucoup de cette réponse.
Le sénateur Mitchell : Nous savons que vous êtes très occupé, et que vous subissez d'énormes pressions. Je suis heureux que vous ayez pris le temps de venir ici. Nous sommes conscients du fait que vous avez une liste de recommandations et d'initiatives spécifiques à nous présenter, et que vous souhaitez que nous les examinions de façon concrète. J'aimerais me pencher sur une ou deux d'entre elles.
Le sénateur Angus a mentionné que les mythes constituaient l'un des centres d'intérêt du comité. Il existe une certaine confusion en ce qui concerne le pouvoir réel qu'exerce une Première nation sur un projet, par exemple un pipeline qui traverserait ses terres. Dans la province que je représente, il y a un débat entourant l'éventuel pipeline Kitimat. Je partage les préoccupations légitimes qui ont été soulevées quant à la présence d'énormes pétroliers dans ce secteur fragile de l'océan. D'aucuns se demandent pourquoi on ne transporte pas le pétrole en passant par Vancouver.
À votre avis, selon la nature de l'aliénation des terres ou des terres cédées en vertu d'un traité, est-ce que les peuples autochtones détiennent ou devraient détenir un droit de veto absolu sur un projet de pipeline, si le pipeline traverse leurs terres? Est-ce que le gouvernement pourrait les exproprier à juste titre ou à tort?
M. Atleo : Je formulerai d'abord quelques observations initiales, et, si le président le permet, je céderai ensuite la parole à M. Jones, pour qu'il formule lui aussi des commentaires.
Lorsque le président a fait allusion au Plan Nord, j'ai pensé au travail qui a été accompli par les Cris dans le Nord, notamment par leurs dirigeants comme Matthew Coon Come, ancien chef national et actuel grand chef. L'accord qui a été conclu constitue un exemple de reconnaissance des titres ancestraux et des droits des Premières nations. Les Premières nations ont été en mesure de définir ce que devrait être une vision commune. Cela rend possible la reconnaissance de la compétence des Premières nations. De même, les traités ont toujours été conclus par deux parties, à savoir les Premières nations, et ceux qui cherchaient à façonner l'avenir de ce que l'on appelle maintenant le Canada. Cela nous a permis de trouver une façon collective de nous réconcilier et de nous reconnaître les uns les autres.
Vous avez mentionné que, d'une façon ou d'une autre, l'une des parties l'emportait sur l'autre. À ce sujet, je demanderai à M. Jones d'intervenir, s'il a quelque chose à ajouter. Tout d'abord, il faut mentionner que l'entente conclue par les Cris au Québec est fondée sur un accord. L'entente porte sur les avantages économiques dont profiteront toutes les parties. En outre, comme elle a été conclue entre des gouvernements, elle traite du partage des pouvoirs, et il n'est donc pas question que les titres de la Couronne l'emportent sur les titres ancestraux des Autochtones ou les droits issus de traités.
Quelques-uns de ces traités ont été élaborés avant même que le Canada en tant que tel n'existe. La déclaration des Nations Unies énonce clairement qu'un pays signataire reconnaît que, à titre d'État successeur, il hérite de l'obligation de respecter les traités, et cela s'applique au Canada. La démarche que nous adopterons cet hiver consistera à obtenir une rencontre avec le premier ministre; il semble que cela devrait se produire sous peu. L'idée consiste à replacer notre relation sur ses fondements originaux de manière à ce que nous puissions aborder ces relations et les notions fondées sur des accords de la même façon que l'ont fait le grand chef Matthew Coon Come et le peuple qu'il représente. Il s'agit d'un important exemple. Quand aucun accord n'est conclu, on nage dans l'incertitude et on se heurte aux questions que vous avez mentionnées. Nous devons en arriver à une meilleure compréhension commune de cela.
Cela comporte certaines répercussions précises sur le plan juridique, monsieur le président. Si vous le permettez, M. Jones formulera quelques observations sur cette importante question.
Le président : Oui, allez-y, s'il vous plaît.
Roger Jones, stratège principal, Assemblée des Premières Nations : Merci de me donner l'occasion de fournir quelques renseignements. J'ai parcouru quelques transcriptions de réunions antérieures du comité, et je comprends à quel point il est difficile de saisir la question. Hélas, en ce qui concerne la règle, les choses ne sont pas tranchées; il y a des zones grises. Durant les réunions du comité, des gens ont mentionné l'affaire Haida, laquelle revêt une importance cruciale en ce qui concerne le juste équilibre entre les droits des peuples autochtones et ceux du gouvernement en matière de développement des terres et des ressources, et de l'exigence à cet égard. Comme vous le savez, les tribunaux ne sont pas enclins à rendre des décisions tranchées.
En ce qui concerne les consultations et les accommodements, pour l'essentiel, les tribunaux ont affirmé que les gouvernements avaient une gamme d'exigences à observer au moment de s'acquitter de cette obligation juridique, et il ne fait aucun doute qu'il s'agit d'une obligation juridique. Cette gamme d'exigences va de la fourniture d'un avis — par exemple au moment d'installer un ponceau sur une route — à celui d'obtenir le consentement des détenteurs de droits dans le cadre d'un grand projet de développement.
Toute proposition de projet de développement devra être évaluée à l'aune de cette gamme d'exigences. Comme l'a mentionné le chef national Atleo, l'idée d'un droit de veto est vue d'un mauvais œil, alors que le consentement est vu d'un bon œil. L'idée de consentement nous permet de faire des progrès en vue d'une entente, et de faire participer les gens à la prise d'une décision et au processus de développement, dans l'éventualité où l'on décide d'aller de l'avant.
Le développement de la baie James dans les années 1970 constitue un bon exemple. Dans le cadre de ce projet, les gouvernements fédéral et provincial ont reconnu que les Cris avaient un intérêt juridique quant à ce qui se passait sur ce territoire et qu'ils devaient jouer un rôle juridique à ce chapitre. Au moyen d'une entente, on a établi la manière dont se déroulerait le développement. Cette entente constitue toujours la base de la relation entre les gouvernements et les Cris. Le grand chef Coon Come a souligné que 22 modifications ont été apportées à cette entente depuis son entrée en vigueur, en 1976 si je ne m'abuse. Cela instaure le principe selon lequel il est important d'établir dès le départ une relation de ce genre, et de mettre en place une structure encadrant cette relation et indiquant comment elle sera administrée par les personnes concernées et comment seront gérés les terres et les territoires touchés. Il s'agit, ensuite, d'aller de l'avant en s'appuyant là-dessus. Des changements seront toujours requis, de sorte qu'il faut que les intervenants réexaminent les relations. Cela dit, il est plus facile de procéder à la mise à jour des fondements de la relation si celle-ci est fondée sur une entente.
Des témoins qui se sont présentés devant le comité ont abordé la question de savoir dans quelle mesure le gouvernement avait été en mesure de prendre en main la question de la consultation et de l'accommodement. J'ai téléchargé un document gouvernemental intitulé Consultation et accommodement des Autochtones. D'après ce que je crois comprendre, il s'agit d'un document sur la gestion des risques que le ministère de la Justice a produit à l'intention de ses gestionnaires qui sont appelés à faire face à des situations de ce genre.
Dans le cadre de l'affaire Haida, bien qu'il n'ait pas prescrit au gouvernement d'élaborer des dispositions législatives ou réglementaires en la matière, le tribunal a déclaré qu'il s'agissait d'une question complexe qui allait continuer de surgir, et qu'il serait préférable de l'examiner dans un cadre réglementaire plutôt que dans celui d'un régime administratif non structuré. C'est de cette façon que le tribunal a qualifié le régime, et j'estime que, somme toute, c'est ce qu'il représente.
L'industrie et les Premières nations demandent qu'on leur indique quelles sont les règles, et c'est ce qu'on leur répond. Il faut que le gouvernement, les Premières nations et l'industrie collaborent pour déterminer quelle est la meilleure chose à faire en ce qui a trait à un cadre réglementaire qui traiterait du processus de développement de la première à la dernière étape.
Le sénateur Mitchell : Très bien.
Le sénateur Massicotte : Je suis d'accord avec tout ce que vous avez dit. Nous devons respecter les ententes et les traités. Pour qu'elle puisse fonctionner, il faut que toute relation ou entente soit fondée sur la confiance et le respect mutuels. Toutefois, vous avez mentionné le fait que, au moment de négocier une entente, vous avez une idée de votre pouvoir de négociation et de vos droits, et tout le monde respecte cela.
Le Québec et les Cris ont conclu une entente, mais chacune de ces parties savait, au fond d'elle-même, jusqu'où elle pouvait aller, et la limite qu'elle ne devait pas dépasser pour que l'entente puisse être conclue. Si j'ai bien compris ce que vous avez dit ce matin, le ministre a affirmé qu'il avait l'obligation de consulter, et que, une fois qu'il l'avait fait en bonne et due forme, dans un contexte de respect et de compréhension mutuels, le gouvernement fédéral a le droit d'adopter une loi et d'aller de l'avant avec le projet, sous réserve d'une indemnisation éventuelle.
Si je ne m'abuse, vous êtes en train de dire que vous n'êtes pas d'accord, du point de vue du droit, avec cette affirmation, même si vous aimeriez beaucoup conclure une entente mutuelle. Est-ce bien ce que vous êtes en train de dire?
M. Jones : J'ai lu le témoignage du ministre.
Le sénateur Massicotte : Cela était clair.
M. Jones : Oui. De toute évidence, nous sommes en désaccord. Vous avez tout à fait raison. La capacité de conclure une entente dépend du pouvoir de négociation des gens, surtout si ceux-ci considèrent ce pouvoir comme équitable et juste.
Bien souvent, les gens ont l'impression d'être contraints à conclure une entente, et qu'on leur dit : c'est à prendre ou à laisser. Est-ce que cela peut mener, au bout du compte, à la conclusion d'une entente équitable et juste? Non, pas pour les gens qui estiment qu'on a traité leurs droits comme quantité négligeable. À l'occasion, les gens en arrivent à la conclusion que ce qu'on leur offre n'est pas suffisant, et qu'ils s'adresseront donc aux tribunaux. Comme je l'ai indiqué, les gens croient parfois que les tribunaux évalueront et analyseront le préjudice irréparable qu'ils pourraient subir, et le fait que tout montant versé à titre d'indemnisation ne constituera pas en fin de compte, à leur avis, un dédommagement équitable. Par conséquent, dans un tel cas, ils doivent en arriver à la conclusion que, vu ce dommage irréparable, ils doivent conclure une entente avec les peuples autochtones, et que le projet ne peut pas aller de l'avant. Si les choses se corsent, on aura recours aux tribunaux, et, comme il y aura un gagnant et un perdant, cela ne donnera évidemment pas lieu à une conclusion satisfaisante.
J'estime que, de toute évidence, ce que les gens veulent, c'est en arriver à une situation avantageuse pour toutes les parties, et le meilleur moyen d'y arriver consiste à conclure une entente.
Le sénateur Massicotte : En ce qui concerne la situation avantageuse pour toutes les parties, nous sommes d'accord. Les gens peuvent avoir l'impression que leurs droits n'ont pas été respectés ou qu'on les a contraints à conclure une entente — malheureusement, j'ai vécu cela beaucoup trop souvent —, et la raison fondamentale qui explique cela tient peut-être au fait qu'ils n'ont pas entièrement pris conscience de leurs droits en matière de négociation.
Il y a certaines choses pour lesquelles je ne veux pas payer. Quelque chose se passe à la maison. Je suis conscient du fait que quelqu'un a le droit de prendre une décision. Je pourrais dire : « Vous avez piétiné mes droits, et je vais recourir aux tribunaux. »
Le véritable problème tient peut-être au fait d'admettre le droit de l'autre partie de faire valoir son point de vue, et au fait qu'il existe un gouvernement supérieur, et que votre gouvernement ne gouverne pas. Ainsi, vous pourriez affirmer : « Le gouvernement fédéral détient un droit de rang supérieur; par conséquent, je fais valoir mon droit à une indemnisation ou à une injonction, car ce gouvernement ne peut pas m'indemniser à tous égards. » Il serait bien que les tribunaux puissent, une fois pour toutes, prendre une telle décision, de manière à ce que toutes les parties comprennent quels sont les points de vue en cause et puissent poursuivre leur chemin. Il existe actuellement quelques problèmes auxquels nous faisons face en matière d'énergie, et il serait bien que les gens s'entendent. Toutefois, il se pourrait que cela ne se produise jamais, vu qu'ils ne s'entendent pas sur la question de savoir quels sont leurs droits respectifs en matière de négociation. En ce sens, cela est regrettable.
M. Atleo : Nous devons également tenter de déterminer quels sont les éléments qui contribuent à cette dynamique. En 2005, Ressources naturelles Canada a publié un rapport selon lequel les droits des Premières nations seraient directement touchés par des projets liés aux ressources naturelles d'une valeur de 130 milliards de dollars menés partout au pays — en outre, au moment où l'on se parle, ce chiffre a été révisé, et a plus que doublé. Il n'a cessé de croître. Nous devons agir rapidement pour comprendre ces choses.
Comme nous sommes en train de déboulonner des mythes, je vais en mentionner un qui, selon moi, a toujours cours, et c'est celui selon lequel les Premières nations ne représentent qu'un intervenant parmi d'autres. Cela touche au cœur des difficultés sous-jacentes aux relations de nation à nation auxquelles vous avez fait allusion, et qui constituaient — et constituent toujours — la nature même des traités originaux.
En ce qui concerne le point où nous en sommes au chapitre du règlement du problème lié aux terres, les Premières nations feront valoir que, au moment d'entreprendre des négociations avec les Premières nations, les gouvernements sont dotés de mandats qui ne cadrent même plus avec les principes fondamentaux de la common law du pays.
L'analyse qu'a faite M. Jones du guide en matière de consultation et d'accommodement indique qu'il existe une disparité, et que ce n'est pas fondé sur une entente, car les Premières nations ont sans cesse élaboré leurs propres lignes directrices en matière de consultation et d'accommodement.
En l'absence d'une entente, les démarches auxquelles ont recours les parties sont disparates, et il n'est guère surprenant que cela se traduise par des conflits sur le terrain, par exemple, dans certains cas, par le fait que les Premières nations s'opposent au développement. Dans le seul secteur minier, les Premières nations et l'industrie ont conclu bien plus de 155 ententes. D'un océan à l'autre, les Premières nations font preuve d'initiative en matière d'énergie verte, qu'il s'agisse de l'énergie géothermique, de l'énergie éolienne ou même de l'énergie des vagues — la technologie visant à produire cette énergie a été déployée au large des côtes de mon village. Les Premières nations déploient beaucoup d'efforts pour conclure des partenariats non seulement au Canada, mais également à l'étranger. À mon avis, si les Premières nations sont très intéressées par le secteur de l'énergie verte, c'est parce que les communautés comme la mienne sont extrêmement éloignées du centre du réseau de distribution de l'énergie, et que l'indépendance énergétique devient donc un élément crucial. Il arrive qu'une communauté pauvre comme la mienne ne soit plus alimentée en électricité pendant deux semaines, et qu'elle perde l'approvisionnement en poisson qu'elle s'était éreintée à constituer pour l'hiver, et il ne s'agit pas là d'un incident bénin. Vous avez peut-être lu l'article paru hier dans le Globe and Mail, selon lequel les Premières nations avaient été touchées de façon disproportionnée par les pertes d'emploi durant la dernière récession, et cela, principalement en raison de leur intervention tardive dans l'économie et de la politique du premier entré, premier sorti, qui est adoptée lorsque les choses se corsent. Nous devons véritablement examiner les aspects que nous avons mentionnés, à savoir les aspects juridiques et ceux liés aux relations, mais également la question du potentiel sur le plan de l'économie et sur celui de l'emploi. En ce qui concerne l'éducation et le marché du travail, il existe un écart entre les Premières nations et le reste du pays; si l'on annulait cet écart, cela se traduirait par une hausse de 400 milliards de dollars du rendement de l'économie canadienne, et par des économies de 115 milliards de dollars pour le gouvernement.
Au moment de discuter de tout cela, il est important de prendre conscience du fait que la prémisse selon laquelle, pour une raison ou une autre, les Premières nations s'opposent au développement et à la création d'emplois, est tout simplement fausse. Nous devons en arriver à une conception davantage fondée sur une entente, et faire de ce problème une occasion. Nous devons nous pencher sur ces réalités que sont la pauvreté et le chômage chronique, et considérer cela comme une occasion de combler l'écart qui existe sur le plan de l'éducation et du marché du travail. C'est la raison pour laquelle nous avons mis un tel accent sur l'éducation. Je propose que, dans le cadre de votre étude, vous examiniez également le lien entre ce secteur et l'éducation et la formation.
Le président : M. Jones a fait allusion au document de nature juridique. Avez-vous des copies supplémentaires de ce document?
M. Jones : Oui. Je peux vous les remettre à la fin de la réunion. Le document est également affiché sur le site web d'Affaires autochtones et Développement du Nord Canada.
Le président : Merci, monsieur. Ce document pourrait faciliter notre travail et nous permettre d'épargner un autre million de dollars, ou à peu près.
Le sénateur Mitchell : Merci beaucoup de vos observations. Cette discussion était très intéressante. Je remercie le sénateur Massicotte de l'avoir poussée plus loin. Cela est très utile. Une éventuelle stratégie canadienne en matière d'énergie devrait comporter un volet exactement semblable à celui dont vous avez parlé.
Vous évoquez la mise à contribution. En Alberta, des chefs de file de l'industrie ont affirmé que l'on ne serait pas capable de mener à bien les travaux de développement prévus avec le bassin de travailleurs dont nous disposons actuellement, et qu'il faudrait mettre de plus en plus à contribution les jeunes Autochtones disponibles et qui veulent, peuvent et doivent constituer une main-d'œuvre dans le cadre de ces projets. Je sais que vous avez fondé une grande partie de votre vie publique sur l'idée d'éducation. Paul Martin, un très bon ami de bon nombre d'entre nous, collabore également avec des Autochtones sur cette question.
Pouvez-vous nous dire, en un mot, ce que nous devons faire pour stimuler l'éducation et la formation? Dans le cadre de l'élaboration d'un projet énergétique, y a-t-il des circonstances particulières que l'on doit prendre en considération pour faire en sorte que les peuples autochtones puissent participer entièrement et contribuer au projet comme ils le peuvent et comme il faut qu'ils le fassent? Ils participent et contribuent déjà; je ne suis pas en train de diminuer l'importance de ce qu'ils font, mais il faut en faire davantage. Que pouvons-nous faire pour mettre l'accent là-dessus et en tirer profit?
M. Atleo : Nous devons agir maintenant, car notre population est jeune.
À l'heure actuelle, selon les statistiques, un jeune membre des Premières nations est plus susceptible d'aller en prison que de terminer ses études secondaires. Les dirigeants des Premières nations ont placé l'éducation au sommet de leurs priorités. Nous engageons le dialogue avec la société civile et avec des organisations philanthropiques. Vous avez mentionné les efforts déployés par M. Martin — lui et d'autres personnes se manifestent, à titre de particuliers, et apportent une contribution directe en engageant le dialogue avec les collèges et les universités. En collaboration avec le ministre Duncan, nous avons mis sur pied un groupe d'experts, dont j'ai parlé au premier ministre. Nous avons mis en œuvre un plan d'action commun en matière d'éducation, qui constitue une priorité de premier plan.
En juillet dernier, l'APN et son organisation sœur aux États-Unis, le National Congress of American Indians, ont tenu un sommet commun. Le président Jefferson Keel et moi avions convoqué un sommet international portant sur les Autochtones et les secteurs énergétique et minier. J'avais entendu parler d'un projet hydroélectrique mené dans l'Ouest dans le cadre duquel l'électricité était achetée par une autorité de propriété tribale aux États-Unis. Cela a allumé une petite lumière chez moi, mais il peut être hasardeux de ne disposer que de renseignements fragmentaires — je ne suis pas expert en cette matière. Nous avons commencé à discuter avec les Autochtones des États-Unis, et il est devenu évident que nous devions adopter une stratégie nord-américaine en ce qui a trait à nos besoins en énergie. Les chefs tribaux américains et nous avons accueilli des délégations du monde entier afin d'avoir une meilleure idée des niveaux d'approvisionnement en pétrole et en gaz dans l'ensemble de l'Amérique du Sud et de leur fiabilité. Nous nous sommes penchés sur ce qui se passe en Asie, et sur l'économie verte en Europe, en Scandinavie et en Allemagne, entre autres. Les Premières nations veulent être des acteurs importants et des chefs de file dans ce secteur. Nous avons accueilli plus de 800 délégués, de même que des chefs de file de l'industrie. Nous voulons qu'ils nous offrent leur soutien à titre de partenaires à part entière. Nous avions également invité des financiers de Toronto et de Vancouver parce que nous devions trouver des façons de capitaliser les projets de nos communautés dans les cas où nous sommes toujours entravés par les anciens obstacles de la Loi sur les indiens, qui nous hantent toujours; il ne s'agit là que de la pointe de l'iceberg.
L'importance d'ententes comme la Convention de la baie James et du Nord québécois tient à ce qu'elles vont au-delà de la Loi sur les Indiens et permettent d'atteindre un nouveau plateau. Même si, comme le grand chef Coon Come l'a dit, vous en êtes à vos premiers pas et que tout n'est pas parfait, vous pouvez procéder à des modifications afin de renforcer et d'améliorer l'entente conclue. Il faut disposer d'un fondement sur lequel bâtir, et bien souvent, nous ne l'avons pas.
Ma dernière recommandation en ce qui concerne un éventuel institut national a pour but de mobiliser les partenaires des secteurs de la formation, des finances, des affaires et de l'industrie afin qu'ils engagent le dialogue avec les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux. Nous devons créer une sorte de consortium qui soutient la capacité des Premières nations et leur permet de favoriser l'excellence en matière d'éducation et de formation, particulièrement au bénéfice de l'industrie. Nous avons également besoin d'un fondement, et de votre soutien, sénateurs, de manière à ce que nous puissions mettre fin au statu quo en matière d'éducation des Premières nations au Canada — cela n'a que trop tardé.
M. Jones : J'ai deux ou trois observations à faire à propos de la question qui a été posée, et un commentaire à formuler à l'intention du sénateur Massicotte. Le comité aurait avantage à acquérir une meilleure compréhension de la dynamique et de l'interaction entre les droits et la compétence des divers gouvernements. Avant 1982, les tribunaux avaient déclaré que le gouvernement fédéral pouvait passer outre aux droits des peuples autochtones du pays. Cela a changé en 1982 par suite de l'adoption de l'article 35 de la Loi constitutionnelle, qui reconnaît les droits existants — ancestraux ou issus de traités — des peuples autochtones du pays. Selon l'article 52, la Constitution est la loi suprême du Canada.
En ce qui nous concerne, une transformation s'est produite en 1982. L'ancienne notion selon laquelle le Parlement primait sur les droits des peuples autochtones a été supprimée par l'affirmation de la Constitution à titre de loi suprême du pays. À nos yeux, vu que les droits ancestraux ou issus de traités des Autochtones ont été reconnus dans la Constitution, il faut rajuster et réviser les dispositions datant de 1867 et énoncées aux articles 91 et 92 en ce qui concerne la distribution des pouvoirs, et qui font que les peuples des Premières nations ont été exclus de l'accord touchant le partage des pouvoirs. C'est ce que les peuples autochtones du pays cherchent vraiment à obtenir. Chaque année, les ministres fédéral et provinciaux se réunissent pour discuter de l'énergie et des mines.
Une telle réunion a eu lieu l'été dernier, à Kananaskis. Le chef national a envoyé une lettre aux coprésidents, l'honorable Joe Oliver, ministre fédéral des Ressources naturelles, et l'honorable Ronald Liepert, ministre de l'Énergie de l'Alberta, afin d'obtenir une invitation à participer à la discussion, vu que les droits et les intérêts des Premières nations étaient en jeu. Lorsque les ministres fédéral et provinciaux du pays élaborent un plan d'action lié à l'ambition du Canada de devenir une superpuissance énergétique, ils doivent mettre les Premières nations à contribution. La participation et l'intégration des peuples autochtones dans le cadre d'un tel exercice est requise, vu la reconnaissance de leurs droits constitutionnels, laquelle a une incidence directe sur la mesure dans laquelle les gouvernements fédéral et provinciaux peuvent recourir aux pouvoirs qui leur sont conférés en vertu des articles 91 et 92 pour faire valoir leurs intérêts sur le plan économique, réglementaire et ainsi de suite.
Le sénateur Massicotte : Je veux m'assurer que j'ai bien compris. Je suis un libéral, et je suis certain que, si le Parti libéral était au pouvoir, vous auriez été invités à cette fête — je blague.
Vous avez dit que, avant 1982, toutes les décisions des tribunaux indiquaient clairement que le gouvernement fédéral avait le droit d'imposer sa volonté aux peuples autochtones. Vous avez affirmé que la Constitution avait fondamentalement modifié cette dynamique, et la nature de ce pouvoir. Existe-t-il une quelconque décision d'un tribunal qui confirme votre interprétation de ce qui s'est produit en 1982?
M. Jones : J'avancerais que la décision Nation haïda c. Colombie-Britannique confirme cette réalité. La Cour suprême a déclaré qu'un gouvernement — fédéral ou provincial — ne pouvait pas continuer à exercer ses pouvoirs sans tenir dûment compte de la manière dont les intérêts des Autochtones peuvent être touchés par l'exercice de ces pouvoirs. À l'époque, la question consistait à déterminer dans quelle mesure les gouvernements étaient tenus de prendre en considération ces intérêts; la cour a déclaré que la question portait sur les intérêts des peuples autochtones, et ceux de l'État en ce qui a trait à l'autorité en matière de réglementation et à la responsabilité d'agir à titre de gouvernement pour la population.
L'arrêt Nation haïda a établi le fait que les articles 91 et 92 n'ont pas une valeur absolue. Le gouvernement doit tenir compte des droits ancestraux et issus de traités des Autochtones lorsqu'il se propose d'exercer son pouvoir par la délivrance d'un permis et durant le processus d'examen. Hélas, dans les faits, les peuples autochtones du Canada se heurtent à une situation où les gens fonctionnent encore selon le cadre d'avant 1982 — c'est cela qui doit véritablement changer.
Voici un extrait de l'arrêt Nation haïda, rendu par la Cour suprême du Canada en 2004 :
Il est loisible aux gouvernements de mettre en place des régimes de réglementation fixant les exigences procédurales applicables aux différents problèmes survenant à différentes étapes, et ainsi de renforcer le processus de conciliation et réduire le recours aux tribunaux.
C'est de cette manière que la Cour suprême a qualifié le conflit entre les droits ancestraux et issus de traités des Autochtones et le droit de réglementer des gouvernements. Ce qui est affirmé, c'est que l'on doit concilier ces intérêts, et que cela doit se faire à l'intérieur d'un cadre de réglementation, et non pas de cette manière indiquée dans la suite de l'arrêt cité précédemment :
Comme il a été mentionné dans R. c. Adams, [1996] 3 R.C.S. 101, par. 54, le gouvernement « ne peut pas se contenter d'établir un régime administratif fondé sur l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire non structuré et qui, en l'absence d'indications explicites, risque de porter atteinte aux droits ancestraux dans un nombre considérable de cas ».
C'est ce que cela représente — un régime administratif non structuré. À titre de gestionnaire, vous affirmez que vous l'appliquerez, mais il vous revient de déterminer si vous avez pris votre décision à la lumière de l'avis du ministère de la Justice. À notre avis, dans les faits, l'affirmation d'un tribunal selon laquelle il s'agit d'une obligation juridique est de nature relativement discrétionnaire. Il vaut mieux demander aux gens en quoi devrait consister cette obligation juridique de manière à ce qu'ils puissent être satisfaits du processus de réconciliation.
Le sénateur Brown : Merci d'être venu ici, chef Atleo et monsieur Jones. À l'heure actuelle, il semble que l'un des principaux problèmes en matière de négociation tienne à l'établissement d'une date pour la fin des négociations. En ce qui concerne le pipeline de la vallée du Mackenzie, les négociations se déroulent depuis 30 ans, si je ne m'abuse, et on n'a toujours pas pris de décision finale quant à la date où le projet ira de l'avant. Je crois comprendre que les ententes qui ont été conclues viendront à échéance dans un an environ, et que nous devrons tout recommencer à zéro.
Êtes-vous concernés d'une façon ou d'une autre par le pipeline Keystone? Ce projet a été mis en veilleuse il y a deux ou trois semaines, mais le processus a été relancé parce que le gouverneur du Nebraska a décidé non seulement qu'il approuverait un itinéraire différent dans le secteur de l'aquifère Ogallala, mais en plus, il assumerait les coûts associés au changement d'itinéraire. Avez-vous pris part, pour le compte des Autochtones, à des négociations concernant le fait que le pipeline traversera l'Alberta?
Le projet Gateway aura aussi des répercussions sur les Premières nations. Avez-vous participé à des négociations à ce sujet? Si je ne m'abuse, il s'agit du prochain projet qui sera mis en œuvre.
Est-ce que vous utilisez l'influence que vous possédez à titre de chef national afin d'inciter les Autochtones ou le gouvernement à conclure une entente?
M. Atleo : Tout d'abord, au sein de l'Assemblée des Premières Nations, j'occupe le poste de chef national. L'organisation possède 10 chefs régionaux, dont l'un représente l'Alberta. Les chefs régionaux et moi formons la direction de l'organisation, et avons la responsabilité de soutenir, c'est-à-dire de défendre, les titulaires de droits issus de traités et ceux qui concrétisent les titres fonciers et les droits des Autochtones, à savoir les citoyens et les gouvernements des Premières nations — ce sont eux qui ont le droit et la responsabilité d'adopter des positions précises sur certaines questions, particulièrement sur les projets comme ceux que vous avez mentionnés. Il arrive qu'ils mentionnent ces problèmes à l'APN, et qu'ils cherchent à obtenir le soutien d'autres chefs de toutes les régions du pays. Des résolutions sont conçues et rédigées, et l'on m'enjoint de soutenir la défense de leurs intérêts. Cela vaut non seulement pour les situations que vous avez mentionnées, mais également pour bien d'autres, par exemple la mine Prosperity dans la région de Chilcotin, en Colombie-Britannique, et le cercle de feu.
Vous avez fait allusion au calendrier des négociations. Il n'y a qu'à voir ce qui se passe dans ma province — des négociations liées à trois traités se sont déroulées sur plusieurs décennies, et se sont traduites par des coûts de 400 milliards de dollars. Au Canada, nous avons une véritable difficulté à établir un calendrier en vue de la conclusion d'une entente, et cela, de façon générale, et non pas seulement en ce qui concerne un projet ou un type d'activité. Comme M. Jones l'a indiqué, il s'agit véritablement d'un document sur la gestion des risques, et non pas d'un document énonçant une démarche en vue de créer des relations. Comme l'indique l'arrêt Haida, qu'il a cité précédemment, il s'agit d'un régime administratif non structuré, qui n'est pas convenable. Ainsi, il n'est guère surprenant que l'on se retrouve, au bout du compte, avec des points de vue différents à propos de grands projets, et avec des conflits sur le terrain.
Cela nous amène à la question de savoir comment nous devons nous y prendre pour régler cela. Nous devrions tirer des leçons de ce qui s'est passé dans le cas du pipeline de la vallée du Mackenzie, du pipeline Keystone, du pipeline Gateway et d'autres grands projets de développement. Nous devrions surveiller ce qui se passe en ce qui concerne le cercle de feu et d'autres occasions importantes en matière de développement des ressources, par exemple avec la potasse dans les Prairies. Les Premières nations ont, d'après les traités, le pouvoir et la responsabilité d'avoir voix au chapitre en ce qui concerne les grands projets.
Le projet Keystone est important non seulement pour tous ceux qui vivent sur le territoire concerné, mais également pour tous ceux qui vivent près du bassin hydrographique qui pourrait être touché par le projet. La Première nation des Dénés des Territoires du Nord-Ouest a été très active à cet égard. Nous l'avons soutenue au moment où elle s'était offusquée du fait qu'elle n'avait pas été mise à contribution, et où elle a fait valoir que l'on devait répondre aux questions qu'elle avait soulevées et que le projet la préoccupait.
Il existe un profond malentendu en ce qui concerne les droits de propriété et les droits issus de traités. Au Canada, il n'existe aucun processus fondé sur une entente, et les Premières nations et les Canadiens ne disposent toujours pas d'une stratégie exhaustive en matière d'énergie qui nous permettrait de comprendre pourquoi tel ou tel projet est nécessaire. Quel est notre niveau de connaissance en ce qui a trait à l'énergie? Quel est le juste équilibre entre les énergies renouvelables et les énergies non renouvelables? Quelles sont nos aspirations, et quel rôle joueront les Premières nations?
Les questions que vous posez créent un climat où chaque partie se campe sur ses positions, de sorte que cela se traduit par des conflits sur le terrain ou devant les tribunaux — nous devons mettre fin à cette façon de faire. Dans notre plan d'action commun, nous avons fait valoir que la question de négociations constituait un problème, et le premier ministre en a convenu. Si nous obtenons une rencontre avec lui cet hiver, nous nous pencherons sur la question des négociations, y compris la question du calendrier et des coûts connexes. Je n'ai rien contre les avocats, mais il semble que les négociations qui se déroulent depuis des décennies en Colombie-Britannique ne profitent qu'à une kyrielle d'avocats et de négociateurs, et cela représente une occasion perdue. Je ne veux pas dire que tout cela a été fait en vain, mais nous devrions tirer des leçons de cela. La solution exige une volonté politique aux échelons supérieurs, et je crois que nous nous dirigeons vers cela. Nous devons comprendre que le fait de ne pas régler ces problèmes entraîne des coûts économiques substantiels.
Vous n'avez mentionné que quelques projets. Ils peuvent sembler énormes sur le plan financier et sur celui de leurs répercussions, mais ils n'en sont qu'à leurs débuts. Ressources naturelles Canada a grandement sous-estimé les véritables répercussions entraînées par le fait que les Premières nations ont leur mot à dire. On a utilisé des termes comme « mise à contribution », mais dans l'avenir, nous devons avoir notre mot à dire en ce qui concerne le développement des ressources.
Le sénateur Brown : J'aimerais que tout le monde déploie quelques efforts supplémentaires en ce qui a trait au calendrier des négociations, car cela représente, à mon avis, le principal obstacle qui sépare les représentants du gouvernement ou les promoteurs et les Autochtones. Le calendrier devient un élément extrêmement crucial pour ce qui est du pipeline de la vallée du Mackenzie. D'énormes quantités de gaz de schiste sont découvertes un peu partout en Amérique du Nord et à tant d'endroits, et, en dépit du fait qu'il y a beaucoup de gaz naturel dans le Nord, nous pourrions perdre cela purement et simplement, et les Premières nations pourraient perdre les avantages financiers découlant du pipeline. Il s'est révélé presque impossible de lancer ce projet. Je ne sais pas si quiconque s'attellera de nouveau à ce projet s'il devait être mis au rancart.
Autre exemple : pendant neuf ans, j'ai fait partie du comité de Rocky View qui s'occupait de toute la planification concernant Calgary. J'ai été président du comité pendant cinq ans. Au cours de cette période, on a entrepris la construction d'un boulevard périphérique autour de Calgary; nous voulions que ce boulevard prenne la forme d'un cercle entourant complètement la ville, mais sa forme actuelle est plutôt celle d'un fer à cheval.
Si je ne m'abuse, une somme de 50 millions de dollars a été accordée aux Autochtones du secteur où le boulevard n'a pas encore été parachevé, mais ils ont utilisé l'argent pour bâtir un grand casino. Afin de mettre un terme à toute cette affaire, le gouvernement en place a décidé de ne pas faire construire de sortie menant du boulevard périphérique au casino.
Tout cela est en suspens depuis au moins trois ou quatre ans. À présent, les parties ont recommencé à négocier. Il ne sert pas à grand-chose d'avoir un casino si l'importante population de la ville de Calgary — à savoir un million de personnes — ne dispose d'aucun moyen de s'y rendre.
Peu importe le projet, il semble que le gouvernement qui nous représente — qu'il s'agisse de l'administration provinciale, municipale ou fédérale — semble vouloir procéder plus rapidement que les gouvernements des Premières nations. J'aimerais savoir si, à titre de chef national, vous avez la capacité de dire à tous les Autochtones que l'on doit trouver une façon de lancer plus rapidement ces projets, en raison des coûts qui y sont liés — comme vous l'avez mentionné, quelque 400 milliards de dollars ont été dépensés pour mener des batailles sur des questions liées aux Autochtones.
Les entreprises qui s'investissent dans des projets qui coûtent des milliards de dollars ne veulent pas attendre pendant des années avant qu'ils se concrétisent. Il s'agit d'une simple observation. J'aimerais savoir si vous êtes d'accord pour dire que nous pourrions peut-être travailler là-dessus.
M. Atleo : Je suis tout à fait d'accord avec vous, sénateur. Il n'existe aucun calendrier, et c'est ce qui explique la situation dans laquelle nous nous trouvons en Colombie-Britannique. Il ne s'agit pas du seul exemple — un processus de négociation des revendications globales est également en cours dans la région de l'Atlantique. Divers types d'ententes font l'objet de négociations, mais nous ne disposons d'aucun calendrier. En fait, les Premières nations ont présenté leurs problèmes à une instance internationale, à savoir la Commission interaméricaine des droits de l'homme de l'Organisation des États américains. Les Hul'qumi'num de l'île de Vancouver font connaître le problème qu'ils éprouvent en ce qui concerne le mandat du gouvernement fédéral en matière de négociation.
Nous avons fait inscrire la question des négociations et des traités dans un plan d'action élaboré conjointement avec le gouvernement fédéral, et nous avons collaboré avec le ministre Duncan et le premier ministre; il est temps que, avec votre soutien, nous revigorions le processus de négociation de manière à ce que nous puissions disposer de véritables démarches axées sur des résolutions et une entente.
Lorsque nous parviendrons au point dont vous avez parlé, nous commencerons à parler d'une manière différente de ces problèmes et de ces difficultés. Nous dirons que les territoires de Calgary visés par le traité no 7, que les nations de Calgary visées par le traité no 7 ont conclu une entente sur les corridors de transport. À mon avis, ce qu'ont éprouvé les Premières nations, c'est que, durant les discussions, on ne tient pas compte des réalités avec lesquelles les autres sont aux prises. Nous devons en arriver à une situation où chaque partie reconnaît les compétences de l'autre, et où l'on s'entend sur des résolutions mutuellement admissibles.
Il y a des problèmes en ce qui concerne les calendriers de négociation, et nous sommes assurément d'accord sur le fait que nous devons en arriver plus rapidement à une résolution. À mon avis, chaque partie pointe l'autre du doigt et rejette sur elle la responsabilité des problèmes. Les Premières nations croient fermement que les mandats de négociation ne cadrent plus avec la common law, ni, selon moi, avec la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Si nous l'examinons — et j'ai sous la main quelques articles qui la composent —, nous constatons qu'elle peut faire office de programme de changement dans des secteurs comme l'économie, le développement durable et les relations de travail dans le cadre d'une situation problématique comme celle que vous avez décrite — un corridor de transport dans une grande ville. Je sais que le grand chef des nations visées par le traité no 7 est parfaitement disposé à discuter avec ses chefs et d'autres échelons de pouvoir. Il faut vraiment que cela s'appuie sur les rapports fondés sur des traités, de manière à ce que l'on puisse s'entendre sur la raison pour laquelle telle ou telle chose est peut-être requise, et obtenir pour cela un règlement à l'amiable ayant fait l'objet d'une négociation en bonne et due forme. Je soutiens fermement le grand chef Charles Weaselhead, les nations visées par le traité no 7 et les chefs d'une région comme celle de Calgary. Je soutiens également les chefs du Nord, de l'Atlantique, du cercle de feu et de la Colombie- Britannique, de même que ceux qui sont touchés par l'un des quelque 155 projets miniers. Nous présentons une grande diversité. Malgré l'absence d'orientation, nous avons connu d'énormes succès, et nous devons également nous en souvenir. Les Premières nations entretiennent des liens étroits avec des maires et des municipalités, et, bien souvent, ces instances sont liées par des protocoles de travail. La même chose joue à l'échelon provincial. Nous constatons de la bonne volonté. Ce que je veux dire aux membres du comité, c'est que nous devons mettre le doigt sur les secteurs où l'on constate de la bonne volonté, et mettre de nouveau l'accent sur eux. C'est là que nous trouverons l'aide dont nous avons besoin pour régler les problèmes liés à des questions comme le respect des délais ou les mandats de négociation.
Le sénateur Neufeld : Merci d'être ici. Nous avons déjà travaillé ensemble en Colombie-Britannique. Je crois que le type de direction que vous exercez peut nous permettre de commencer à régler quelques-uns de ces problèmes épineux. Il ne faut jamais croire que cela sera facile ou rapide — cela prendra probablement beaucoup de temps.
La question que je vais vous poser ne concerne pas exclusivement la Colombie-Britannique. J'aimerais faire observer qu'il existe 633 bandes. Plus de 200 d'entre elles se trouvent en Colombie-Britannique, et il n'existe qu'une poignée de traités. Le secteur où j'habite est visé par le traité no 8, qui a été conclu il y a belle lurette. Vous avez fait allusion à une stratégie en matière de consultation et, pour une raison ou une autre, nous avons besoin de cela. Je sais comment les choses se passent en ce qui concerne le pétrole et le gaz dans les territoires visés par le traité no 8. Est-ce que tout le monde — Autochtones ou non — est heureux? Non, mais nous avons obtenu un certain succès en ce qui concerne beaucoup de choses que nous avons faites là-bas.
En ce qui concerne les consultations, ce que j'ai constaté — à tout le moins au cours de la période où j'étais le ministre responsable —, c'est qu'elles changeaient constamment, selon la bande visée par le traité no 8 à laquelle on avait affaire. Dans une certaine mesure, cela est compréhensible. Vous évoquez une stratégie relative aux consultations avec les 633 bandes du Canada — un nombre trois fois plus élevé que le nombre de bandes présentes en Colombie- Britannique —, mais ce que j'ai constaté, c'est que les consultations ne prennent jamais la même forme; vous vous déplacez de 100 kilomètres, et vous devez adopter un tout autre processus de consultation.
Comment devons-nous nous y prendre pour surmonter ce problème? Comment devons-nous nous y prendre pour en arriver à une certaine norme en matière de consultation? Je ne suis pas en train de dire que la Cour fédérale devrait en élaborer une — à mon avis, les deux parties — Autochtones et non-Autochtones — devraient craindre un peu une telle éventualité. Je pense que, si elles devaient commencer à définir ce que l'on doit entendre par « consultation », on se posera pendant 100 ans encore la question de savoir comment diable nous en sommes arrivés là. J'aimerais que vous me donniez une idée de votre position sur ces types de questions.
M. Atleo : Je peux parler de la Colombie-Britannique, étant donné qu'il s'agit de la province où j'habite.
Le sénateur Neufeld : J'habite là moi aussi.
M. Atleo : Exactement.
La direction de l'APN compte un chef régional de la Colombie-Britannique; à l'heure actuelle, ce poste est occupé par Jody Wilson-Raybould. Il y a 203 Premières nations en Colombie-Britannique, qui parlent plus de 30 langues — il s'agit de la plus grande diversité linguistique du pays. Comme vous l'avez mentionné, la vaste majorité de ces Premières nations ne sont visées par aucun traité. Les choses sont complexes. J'ai moi aussi passé beaucoup de temps dans les territoires visés par le traité no 8, avec des gens comme le chef Roland Willson, le grand chef et d'autres chefs. Je crois qu'il est important de souligner que l'on me pose souvent cette question. Je ne veux pas parler au nom de quiconque, mais cela semble indiquer exactement cela, à savoir qu'il existe une grande diversité au sein des Premières nations, et beaucoup de différences entre elles.
En outre, les Premières nations de la Colombie-Britannique jettent un coup d'œil de l'autre côté de la rivière, de la voie ferrée ou de l'autoroute, et constatent que la province compte 187 municipalités. Cela représente une grande diversité, et les gens de ces municipalités — pas plus d'ailleurs que ceux des autres provinces et territoires — ne partagent pas tous les mêmes points de vue. Je crois que la question de la complexité a été soulevée plus tôt. Nous n'avons tout simplement pas abordé cette discussion ni examiné la façon dont nous nous y prenons pour aborder la diversité régionale et nationale. Il est temps que nous le fassions. Nous pouvons mettre au point une façon de procéder qui respecte l'autonomie et la souveraineté que les Premières nations exercent sur leurs propres territoires. Cependant, cela nous ramène de plus en plus à notre interdépendance, et au fait que nous devons trouver un moyen de travailler ensemble.
Cela représente un autre élément. La Loi sur les Indiens a créé ces 633 Premières nations. Lorsque le gouvernement me pose une question à propos de ces 633 — ce nombre est tout simplement trop élevé, et ces Premières nations sont extrêmement diverses — si nous consultons les livres d'histoire, nous constatons que c'est le gouvernement qui a créé ces 633 entités. C'est ce dont nous avons collectivement hérité. Nous devons nous pencher là-dessus pour aller au-delà de la Loi sur les Indiens.
Il est difficile pour les Premières nations de recommander que nous revenions soudainement aux 52 groupes linguistiques d'origine alors qu'il existe toujours une Loi sur les Indiens qui ne plaît à personne. Cette loi n'est utile pour personne, et nous devons passer à autre chose. Elle a une incidence sur l'ensemble de notre travail; les territoires visés par le traité no 8 ne font pas exception à la règle.
Il ne s'agit pas seulement de consulter. Pensez à toute la gamme des politiques — en matière d'éducation, comment pouvons-nous mieux organiser le système d'éducation pour assurer la réussite? Nous savons qu'il existe des systèmes d'éducation efficaces, qui ont des soutiens aux deuxième et troisième niveaux; cela veut dire qu'il y a des districts scolaires, des organisations qui élaborent les programmes, des collectivités qui travaillent de concert. Cela veut également dire que des choses comme les économies d'échelle sont possibles.
Si nous commençons à reconnaître les compétences des Premières nations, je constate qu'en Ontario les Anishinabes ont commencé à mettre en place une approche; 42 collectivités travaillent ensemble. Voilà ce que nous observons lorsque la compétence et l'autonomie des Premières nations sont reconnues; qu'il s'agisse de ces 42 collectivités, occupant une partie de l'Ontario, ou de la nation Nishnawbe-Aski, dans le Nord de l'Ontario, dans le cercle de feu.
Vous avez parlé du Traité no 8. En Alberta, les traités nos 6, 7 et 8 ont débouché sur un protocole d'entente avec le gouvernement de l'Alberta. En Colombie-Britannique, quand vous et moi étions au service du gouvernement de la province, comme le président l'a expliqué, les trois organisations provinciales des Premières nations ont non seulement mis sur pied un conseil des leaders, en plus, elles ont formé un conseil provincial des mines et de l'énergie.
Cela a exigé des efforts, car nous n'avons pas de notre côté les institutions voulues. Nous n'avons pas, du côté des Premières nations, des ministères de l'énergie et des mines. Il y a des chefs des Premières nations qui s'occupent de tout, des chiens des réserves jusqu'aux grands projets industriels, mais ils n'ont ni la capacité, ni le soutien des cercles politiques. À l'heure actuelle, c'est plutôt un régime de gestion des risques, et c'est pourquoi certaines Premières nations sont sur leurs talons.
Je crois que nous devons abandonner le système réactif qui est le nôtre, lequel entraîne souvent beaucoup de conflits et des dialogues de sourds, pour adopter un système beaucoup plus proactif, car les répercussions sur le site C ou sur d'autres grands projets sont énormes. Les gens du Nord, non pas seulement les Premières nations, doivent être reconnus; ils sont le grenier de notre pays. Les ressources et l'énergie, en gros, viennent des territoires visés par exemple par le traité no 8, quand vous habitez vous aussi dans le Nord. Cela, somme toute, n'a pas été reconnu par les villes du Sud — c'est de là que viennent une bonne partie des ressources, au Canada.
Le sénateur Neufeld : Monsieur le président, vous avez mentionné rapidement un projet, le site C, qui est un important projet. Je sais que quand nous avons décidé, à titre de gouvernement — je faisais partie du gouvernement, j'étais ministre responsable de l'avancement de ce dossier —, nous avions lancé en 2004-2005 des processus de consultation, avec les Premières nations non seulement de la Colombie-Britannique, mais aussi avec celles de la rivière de la Paix, qui traverse l'Alberta et se rend jusque dans les Territoires du Nord-Ouest.
Je crois que la Colombie-Britannique a fait de l'excellent travail, parfois, pour tenter de collaborer avec les Premières nations, dans le domaine de la formation et des consultations, mais je sais qu'il y a de la frustration. Je ne vous contredis pas. En fait, je crois avoir dit que les non-Autochtones ne sont pas toujours d'accord avec ce que le gouvernement fait, non plus.
Cependant, il existe une structure selon laquelle, lorsqu'il y a un gouvernement élu — c'est en général dans les collectivités non autochtones, mais il y a quand même de l'opposition —, les gens vont dire d'accord, il va falloir l'accepter, même si nous ne sommes pas tout à fait d'accord avec tout cela. Quand vous parlez d'énormes projets — des projets qui coûtent chacun 7 milliards ou 8 milliards de dollars —, il y a beaucoup de conséquences.
Je crois que nous essayons de continuer à travailler avec les Premières nations, mais la loi en vigueur dit que le gouvernement en a le droit; vous avez élu un gouvernement, et il va faire avancer les choses. Nous allons vous appuyer tant et aussi longtemps que vous faites ce que vous avez à faire — consultations, accommodements, évaluations environnementales, et toutes ces choses-là —, et que vous progressez.
Êtes-vous d'avis que, pendant ce processus, à un moment donné, nous allons en arriver à ce type d'entente? Ou est- ce qu'il faudra toujours que chaque Première nation, où qu'elle se trouve — il s'agit la plupart du temps de la même Première nation, même si elle est dispersée —, doit donner son accord, soit obligée de son côté de représenter ses membres et de continuer à s'opposer et de faire obstacle?
Je ne dis pas que c'est cela qui se passe, mais est-il possible que ce soit cela que vous cherchiez?
M. Atleo : Je me suis servi de l'exemple des municipalités dans le seul but de décrire un aspect que nous reconnaissons tous deux — la diversité. À mon avis, les différences que nous devons surmonter, comme M. Jones le disait, tiennent à la façon dont les politiques sont mises en œuvre, comme si les Premières nations n'étaient qu'un intervenant parmi tant d'autres, assujetti aux lois et règlements fédéraux et provinciaux.
Ce qu'il nous reste à faire, c'est de mettre en application les changements de la constitution, puisque les titres et les droits des Autochtones et les droits qui leur sont conférés par traité ont été confirmés et reconnus dans la Constitution. Il nous reste à les mettre en application.
Les recommandations que nous présentons ici ont comme objectif principal de nous permettre de nous attaquer aux défis que vous décrivez. Cela suppose entre autres de participer à ces discussions à l'échelon le plus élevé. Je me rappelle, quand nous avons commencé nos négociations avec le premier ministre de l'époque, Kim Campbell, qui, à mon avis, a aidé à trouver la façon de faire changer la dynamique et de discuter réellement afin de forger de nouvelles relations.
Cela a donné beaucoup de travail, mais votre tout premier point est le point le plus important. Personne ne s'attendait à ce que ce soit facile. Je crois que cela sera beaucoup plus difficile si nous ne nous engageons pas fermement, de la façon que nous ne faisons pas que suggérer, mais que nous sommes prêts à adopter. Cela exigera beaucoup de travail, et de nous tous.
Je crois que les Premières nations se placent souvent sur la défensive, parce que l'histoire nous a appris la méfiance; comme le montrent les exemples que je vous ai donnés, les droits des Premières nations ont été passés sous silence, mais, surtout, les cimetières de nos ancêtres ont été profanés — leurs os émergeaient à la surface des territoires inondés. Et ce n'est qu'un petit exemple, il y en a des milliers, à l'échelle du pays.
Lorsque M. Jones cite l'affaire Haida et met de l'avant le concept juridique de la réconciliation, je crois qu'en partant des excuses du premier ministre, en soutenant la déclaration et la réunion que propose le premier ministre, cet hiver, cette apparente réconciliation exige que les politiciens prennent les choses en main pour nous faire comprendre qu'ils sont prêts à mettre la table, de façon que l'on puisse élaborer une stratégie commune, pour l'avenir, qui nous permettra de conclure des ententes de façon que les Premières nations cessent d'accuser les gouvernements en leur disant qu'ils les empêchent de jouir de leurs droits et de leurs titres, qu'ils empiètent sur les droits conférés par les traités, les droits et les titres autochtones.
Par contre, d'un autre point de vue, quand on regarde ce qui se passe, on pourrait croire que vous ne faites que vous opposer. Nous sommes actuellement dans une impasse totale, et cela dure depuis longtemps. Les résultats ne nous surprennent pas du tout — nous nous retrouvons devant les tribunaux, mais il y a également beaucoup de conflits sur le terrain.
Nous sommes ici pour vous dire qu'il est possible, à mon avis, de dénouer cette impasse. Cela ne sera pas facile et cela ne se fera pas du jour au lendemain. Nous pourrions vous donner des exemples des changements survenus dans le travail et le leadership des politiciens, en Colombie-Britannique, par exemple, mais nous estimons que cela devrait être la norme.
La principale relation — et c'est un point important —, c'est celle des Premières nations et de la Couronne fédérale. La relation qui découle du traité no 8 nous lie principalement avec la Couronne fédérale. Les pouvoirs et les autorités ont été transférés aux provinces et aux territoires. Il reste quelques questions à régler, par exemple les Accords de transfert des ressources naturelles, dans les Prairies, qui posent de très grands défis dans le domaine des ressources naturelles — et ces défis augmenteront quand il sera question de manière plus générale de l'énergie et des mines.
Nous devons entamer des discussions sérieuses, et nous disons que nous sommes prêts à le faire.
Le sénateur Peterson : Nous parlons beaucoup des traités, mais, si j'ai bien compris, nous ne nous entendons pas sur ce qu'ils disent. Par exemple, je crois que les Premières nations, selon leur interprétation, ont été d'accord pour partager le territoire avec les colons, mais à leur avis, il s'agissait de la couche supérieure d'environ 10 centimètres, pas de ce qui se trouvait dessous. C'est pourquoi vous consacrez 90 p. 100 de votre temps à des litiges et à de l'opposition.
Même quand on arrive à régler des revendications territoriales, il faut 10 ans pour négocier ce qu'elles prévoiront. Plutôt que de consacrer un temps précieux à chercher une amélioration, vous semblez vouloir livrer toutes ces batailles.
J'apprécie votre commentaire sur le droit inhérent à l'autonomie, qui, à mon avis, peut déboucher sur un gouvernement autonome, et, je l'espère, sur l'abandon de l'archaïque Loi sur les Indiens. Cela a soulevé des questions touchant la transparence et les bonnes pratiques de gouvernance. Où en sommes-nous maintenant, comment ces dossiers progressent-ils? Je sais qu'il en a été question il y a un certain nombre d'années et que, par la suite, le sujet a été abandonné. En est-il question de nouveau?
M. Atleo : En ce qui concerne votre commentaire sur les ententes touchant l'autonomie gouvernementale, je me trouvais récemment au Yukon pour rencontrer les chefs. Ils ont des problèmes à mettre en œuvre leurs ententes, mais, malgré cela, voilà un autre exemple de cas où les questions relatives par exemple à la responsabilisation et à la transparence se règlent sur le fondement des ententes plutôt qu'en portant des accusations, en s'accusant les uns les autres, et cela ne concerne pas seulement l'énergie, les mines ou le développement, cela concerne aussi la transparence, la bonne gouvernance et la responsabilisation.
Lorsque nous élaborons des ententes sur l'autonomie gouvernementale, sur ces fondements, cela veut dire que les Premières nations vont elles aussi reconnaître les autres ordres de gouvernement et les faire participer, en se fondant sur l'entente. Il n'y a même pas besoin d'en discuter, car tout le monde est au courant et tout le monde travaille de concert pour régler les problèmes.
Tout cela, en somme, c'est en raison de la Loi sur les Indiens, qui prévoit des mécanismes de responsabilisation liant les ministres et les chefs en conseil à un ministre. Il ne s'agit pas d'autonomie ni de gouvernement autonome. C'est encore le régime paternaliste de la Loi sur les Indiens. Nous pensons tous qu'il faut aller plus loin. Nous avons besoin d'une volonté politique commune pour faire exactement cela. Il faudra accélérer les négociations pour en arriver à un gouvernement autonome, car cela clarifiera énormément le processus, ce qui, au bout du compte, à mon avis, procurera une grande certitude quant au fait qu'il sera tenu compte des droits et titres des Premières nations, et des droits issus des traités, et, en même temps, sur le plan économique, les choses seront plus claires et plus sûres.
Je me suis rendu sur le territoire du traité no 9, tout en haut dans le Nord de l'Ontario, pour en revenir au point important soulevé par le sénateur, selon lequel nous ne nous entendons pas sur sa signification. Sur le territoire, j'ai entendu d'incroyables témoignages d'aînés qui disent que, depuis la conclusion de ce traité, son but était la jouissance des territoires, non pas l'abandon de ces territoires, mais il vise le partage des ressources. Ce n'est pas comme ça que le gouvernement l'avait interprété.
Deux commissaires étaient présents lorsque le traité no 9 a été signé. Ils en ont témoigné par écrit, et ces écrits ont été retrouvés par hasard par un étudiant de l'Université Queen's, je crois. Ils ont été intégrés à un ouvrage de M. Long, qui s'appelle Treaty No. 9. Ces écrits d'il y a 100 ans confirment ce que les Premières nations ont toujours dit explicitement. Il n'est pas nécessaire d'en dire plus, car nous recueillons de plus en plus de preuves partout au pays, et l'arrêt Delgamuukw, en 1997, a confirmé que l'histoire orale devrait maintenant être admise par les tribunaux.
Je me souviens de ce jour-là, car mon père m'avait dit ceci : [traduction] « Mon fils, c'est la première fois qu'on nous considère comme un peuple, dans le pays. Un peuple qui n'a pas d'histoire n'est pas un peuple. » Je crois qu'il ne faudrait pas que la loi serve seulement à éclipser les traités comme s'il s'agissait de reliques du passé, mais qu'il faudrait plutôt reconnaître que ces traités sont tout aussi légaux aujourd'hui qu'ils l'étaient lorsqu'ils ont été conclus. Si nous demandons à rencontrer le premier ministre, c'est pour replacer la relation sur les fondements prévus par le traité. Les nations qui ont conclu des traités semblables au traité no 9, le grand chef Stan Louttit et les autres chefs ont des intérêts économiques importants dans le développement de cette région du cercle de feu.
Nous ne devrions pas les rejeter, mais, de manière générale, nos discussions ont été laissées de côté, ou ont été entourées de mystère. De quoi parle-t-on et pourquoi ne participons-nous pas? Il y a de très bonne raisons à cela. Plutôt que de nous adresser aux tribunaux, faisons-en une expression de la volonté politique. Reprenons ce type d'information et disons que nous devons réfléchir de nouveau à la conception que nous avons formée l'un de l'autre dans l'optique de la relation prévue par le traité. Ce n'était qu'un exemple, mais il y a beaucoup plus de témoignages, que l'on commence à découvrir.
M. Jones : Je crois qu'il est important de noter, comme vous le faites, les liens entre le règlement de revendications territoriales ou des questions liées aux traités, et le règlement des questions de bonne gouvernance, les questions touchant la façon pour nous tous de travailler ensemble à une stratégie économique pour notre pays, dont nous tirerons tous profit.
Il est évident que l'on ne peut pas tout régler en même temps, qu'il s'agisse de votre travail d'examen des questions liées à l'énergie et à l'environnement... et d'autres intervenants auront aussi un travail à faire, mais tout ce travail doit se faire en même temps.
S'il y a un aspect dans lequel vous pouvez certainement jouer un rôle très utile et constructif, c'est la question qui domine les discussions, c'est-à-dire les questions relatives à la consultation et aux accommodements. Il ne fait aucun doute que le principe juridique primordial de la Constitution du Canada et de la common law, c'est la réconciliation. La meilleure façon de satisfaire aux exigences en matière de consultation et d'accommodement, c'est de le faire dans le cadre d'une politique ou d'une loi qui réalise la réconciliation, une situation où tout le monde gagne, où il n'y a pas de perdant. Il est évident que vous voulez que cela se fasse rapidement, mais vous voulez que cela se fasse efficacement. Un comité comme celui-ci peut présenter des recommandations touchant certains principes et éléments essentiels d'un bon processus de consultation et d'accommodement, ce qui aidera tout le monde — le gouvernement, l'industrie, l'économie —, et il ne faut pas oublier que la consultation et l'accommodement, ce sont des mécanismes bilatéraux. Le processus est assorti de certains principes, par exemple l'engagement précoce. Dès que quelqu'un a une idée de quelque chose à faire, qu'il veut mettre quelque chose en place, il faut qu'il commence à discuter; il ne doit pas attendre d'en être arrivé au milieu du processus de planification. Il faut tout dire, car les gens ont besoin de savoir quelles seraient les répercussions possibles. Si l'on veut que les gens puissent évaluer ces répercussions, il faut respecter d'importantes exigences sur le plan de la capacité et de l'expertise, de façon à éclairer les discussions.
Il faut peut-être également prévoir un mécanisme quelconque de règlement des différends, dans le processus, pour aider les parties à obtenir au bout du compte ce qu'elles veulent, c'est-à-dire une entente, c'est-à-dire la réconciliation, et il faut des calendriers pour encadrer tout cela. Comme tout le monde le signale, ces discussions peuvent se poursuivre pendant une vingtaine d'années, sans résultats.
La Convention de la Baie James et du Nord québécois, une entente importante, a pris deux ans aux intéressés du gouvernement fédéral, aux Cris et au gouvernement de la province. Remarquez, ils faisaient face à diverses pressions, des injonctions judiciaires, des choses comme ça. Les ententes modernes prennent 20 ans, cela suppose beaucoup de temps, de l'argent et de l'énergie. Les calendriers sont essentiels, puisqu'ils permettraient d'accélérer le processus de règlement et la réconciliation.
Le sénateur Banks : Merci, messieurs, d'être venus ici ce matin. C'est un honneur pour nous.
Cela semble peut-être une question simpliste, mais si vous et moi décidons de négocier quelque chose, c'est une chose si — comme vous le savez très bien — je suis obligé de vous consulter, et c'est une tout autre chose si je dois obtenir votre consentement libre et éclairé. Ces deux choses, peu importe qui négocie quoi, donneront des résultats différents. Le sénateur Massicotte en a parlé, ce qui compte, c'est qui tient le gros bout du bâton et la grosseur du bâton.
Nous devions peut-être formuler une recommandation pour exiger qu'il y ait un modèle quelconque. Vous avez dit qu'il existait des exemples de négociations réussies. Nous pourrions peut-être jeter un coup d'œil de ce côté pour comprendre comment elles fonctionnent et pour recommander un modèle. Je ne sais pas si l'on pourrait trouver un modèle universel, même si ce serait utile, pour une partie des raisons avancées par le sénateur Neufeld.
Êtes-vous d'avis que les gouvernements provincial ou fédéral devraient obtenir le consentement libre et éclairé d'une Première nation, ou est-il uniquement obligé d'entamer un processus de consultation et d'accommodement? Ce sont là deux choses très différentes.
M. Atleo : La déclaration des Nations Unies est, pour tous les peuples autochtones de la Terre, y compris les Premières nations du Canada, la dernière norme minimale acceptable. Voici ce que dit le paragraphe 32(2) de cette déclaration :
Les États consultent les peuples autochtones concernés et coopèrent avec eux de bonne foi par l'intermédiaire de leurs propres institutions représentatives, en vue d'obtenir leur consentement, donné librement et en connaissance de cause, avant l'approbation de tout projet ayant des incidences sur leurs terres ou territoires et autres ressources, notamment en ce qui concerne la mise en valeur, l'utilisation ou l'exploitation des ressources minérales, hydriques ou autres.
Le sénateur Banks : Seriez-vous d'accord pour dire que c'est une norme différente que nous utilisons habituellement au Canada?
M. Atleo : Oui, et dans cet article, on précise « notamment en ce qui concerne la mise en valeur, l'utilisation ou l'exploitation des ressources minérales, hydriques ou autres ».
En plus d'un mécanisme particulier de règlement des différends, si nous pouvions élaborer un meilleur cadre, un meilleur mécanisme qui serait plus largement accepté, non seulement nous pourrions nous appuyer sur des calendriers, mais en plus, les mécanismes de règlement des différends ne serviraient pas seulement à l'échelon des projets. Les Premières nations demandent depuis longtemps que l'on mette sur pied un tribunal des traités indépendant qui, de manière impartiale, pourrait aider des parties qui sont en conflit à réfléchir.
Le gouvernement fédéral ne jouerait donc plus à la fois le rôle de juge et de jury dans les traités dont il n'est qu'une partie. Le problème, à l'heure actuelle, c'est que le gouvernement fédéral est à la fois juge et jury, unilatéralement, au moment d'interpréter les titres et les droits ancestraux et les droits issus de traités, interprétation qui est mise en œuvre au moyen des politiques. Ce qu'il faut, maintenant, c'est une notion commune et une mise en œuvre en commun.
Nous connaissons des exemples de cas où l'élaboration des politiques a été un travail commun et efficace. Nous avons assez bien réussi à travailler dans le cadre du Tribunal des revendications particulières. Cette proposition avait été faite il y a longtemps, et elle a fini par être mise en œuvre. Nous avons ensemble élaboré les lois ultérieures.
Nous espérons qu'à l'avenir, en ce qui concerne l'exploitation des ressources, la question du consentement préalable libre et éclairé, la question des consultations et des accommodements, nous allons mieux nous entendre sur la façon de progresser et d'élaborer en commun des politiques et, au besoin, des mesures législatives. Tant que cela n'empiète pas sur nos droits, nos titres et nos droits issus de traités, les Premières nations ont dit, et ont prouvé, qu'elles étaient prêtes à le faire.
Le sénateur Banks : M. Jones a mentionné que les articles 91 et 92 n'étaient pas absolus, et les tribunaux ont rendu leur décision à ce sujet. Ils ont aussi déclaré, après 1982, que l'article 35 n'était pas lui non plus absolu. Si nous voulons des preuves de cela, il nous suffit de regarder les différentes versions des dispositions de non-dérogation qui figurent dans la suite de lois fédérales concernant l'environnement et les ressources naturelles ayant des répercussions sur les Premières nations. À la suite de la décision de la Cour suprême, selon laquelle l'article 35 n'était pas absolu, ce que l'on peut appeler le pouvoir d'expropriation, les rédacteurs se sont creusé la tête pour trouver une façon de l'exprimer clairement dans une clause de non-dérogation.
Si les articles 91, 92 et 35 ne sont pas absolus et que les dispositions de non-dérogation qui ont trait à l'article 35 ne sont pas absolues, ne devons-nous pas trouver une façon de faire de quelque chose, n'importe quoi, quelque chose d'absolu?
M. Jones : C'est une bonne question, et vous avez tout à fait raison quand vous parlez de la façon dont les tribunaux ont composé avec cette question. Vous avez raison quand vous mentionnez que les tribunaux ont déclaré que l'article 35 n'était pas absolu, qu'il fallait une justification. Je crois que les tribunaux essaient d'être utiles. C'est en grande partie une discussion politique. C'est une discussion sur le partage des pouvoirs et de la richesse, et la meilleure façon de régler cela, c'est par un processus de négociation, et à mon avis c'est la raison pour laquelle ils continuent à répéter « réconciliation ».
Ils veulent que les parties puissent conclure des ententes plutôt que de laisser les tribunaux imposer leurs décisions, leurs ordonnances et leurs résultats. Je ne crois pas qu'il serait utile que les tribunaux décident que les pouvoirs de l'un sont plus absolus que ceux des autres, car, de toute évidence, quelqu'un sera déçu par le résultat et il y aura toujours des conflits.
Le mécanisme politique de partage des pouvoirs devait être élaboré dans le cadre des conférences constitutionnelles sur l'article 35, en 1982. Il n'a pas été possible de le faire, et c'est pourquoi nous sommes continuellement aux prises avec le même problème. Je ne dis pas que nous devrions revenir à la table constitutionnelle, mais on savait que cela poserait toujours un défi. C'est toujours un défi aujourd'hui. Comme on l'a signalé, il y a en jeu, ici, de nombreux aspects et de nombreuses forces. Nous devons nous montrer braves et essayer de nous attaquer à tout le problème, pour voir ce qui en ressortira.
Le sénateur Banks : Nous avons parlé de tous les endroits où nous devons négocier cela. On pourrait donner en exemple n'importe laquelle des 155 négociations qui sont actuellement en cours. Pour arriver à une solution appropriée, ne devrions-nous pas organiser une sorte de super-négociation pour déterminer les règles du jeu qui permettront de faire aboutir chacune de ces 155 négociations? Nous ne pouvons pas déterminer 155 sortes d'ententes, d'avenues ou d'accommodements différents. Ne devrions-nous pas établir d'abord les règles du jeu, avant d'essayer de déterminer ce qui est équitable à chaque minute?
M. Atleo : Je vais poursuivre sur ce que M. Jones disait au sujet du point de rupture entre les aspects juridiques et les aspects politiques. Il n'existe probablement pas beaucoup de volets du droit des relations qui prévoient des pouvoirs absolus partagés entre les différents niveaux. Nous verrons ce qui se passera dans les négociations des accords sur la santé de 2014. Ils seront politiques. Il y existe à coup sûr des lois et des directives législatives, mais, au bout du compte, cela se réglera d'une manière politique. En passant, les Premières nations voudront participer directement à ce processus.
Nous entendons au-dessus de nous passer les F-18 qui saluent nos soldats qui ont servi en Libye. Je suis heureux qu'ils soient honorés de cette manière. Comme je l'ai dit au début, nous allons bientôt commémorer l'anniversaire de la guerre de 1812. Je ne peux pas laisser passer un moment comme cela sans honorer tous les anciens combattants, y compris ceux des Premières nations qui servent toujours le pays aujourd'hui.
Nous avons expliqué au premier ministre comment nous pourrions régler la question des négociations. Ce qui me motivera, entre autres, dans ce travail, c'est de savoir que je dois aller au-delà de mon petit village pour comprendre comment se passent les négociations dans l'ensemble du pays, qu'il s'agisse des mines, de la pêche ou d'autres choses.
L'une des premières choses qui m'ont convaincu, c'est le fait de constater que les négociations n'arrivaient pas à suivre le rythme des directives juridiques actuelles des tribunaux. Les renseignements de nature juridique que M. Jones a donnés ne constituent pas nécessairement le fondement sur lequel négocier. La disparité est énorme. Il est vraiment difficile de s'asseoir à la table des négociations quand on estime, au fond, que le mandat de négociation de l'autre partie ne respecte pas les directives de la common law. Si la Couronne gagne sa cause devant les tribunaux, la loi change du jour au lendemain en faveur de la Couronne; mais si la décision est en faveur des Premières nations, on voit que la réaction n'est pas la même.
Il faut que les négociations reprennent la bonne voie. Je crois que c'est une question toute politique. Votre comité pourrait nous aider à convaincre le gouvernement que nous, comme l'APN et les Premières nations de toutes les régions du pays, pourrions faciliter les choses en mobilisant les Premières nations, en disant que nous devons réformer la façon dont les négociations se déroulent. Nous nous préoccupons également des échéances, du coût et nous voulons un niveau de certitude plus élevé, pour tout le monde, mais je maintiendrai toujours qu'il me semble que l'on fait davantage pression sur les Premières nations pour qu'elles assurent une plus grande certitude aux autres, d'une façon ou d'une autre, même si nous n'en avons pas eu, de certitude, nous-mêmes. Il ne s'agit plus d'essayer de convaincre quelqu'un de faire quelque chose; il s'agit plutôt de chercher à savoir si nous pouvons faire quelque chose ensemble. C'est quelque chose que nous n'avons pas fait depuis très longtemps.
Le président : Je ne peux m'empêcher de souligner avec vous l'occasion spéciale d'aujourd'hui, en l'honneur de nos anciens combattants et des gens qui ont si bien servi, non seulement en Libye, dans le dernier exercice de l'OTAN, mais de manière générale, y compris, bien sûr, les membres des Premières nations qui ont servi si courageusement au fil des ans. C'est quelque chose de magnifique.
J'aimerais aussi mentionner que le sénateur Banks va bientôt quitter cette enceinte bénie en raison de cette obligation, contraire aux droits de la personne, qui nous oblige à quitter tôt. Il serait peut-être prêt à faire office de négociateur. Entre parenthèses, je vais moi aussi très bientôt arriver à cette étape. Peut-être que le sénateur et moi- même pourrions former une équipe avec un autre grand sénateur, le sénateur St. Germain, qui entretient un grand espoir, celui de nous voir nous réunir et de dénouer cette impasse. Nous ne savons rien de plus que ce qu'il nous a dit, mais il semble — car il a été bellement honoré par les Premières nations, plus tôt au cours de la semaine — que vous ayez tous confiance en ce qu'il a accompli.
Nous avons eu une discussion intéressante sur certains des aspects juridiques, ce matin. C'est une bonne chose qu'elle figure dans le compte rendu, cela nous aide à déboulonner quelques-uns des mythes sur le sujet.
Cependant, sur votre site web, vous affichez un magnifique dossier concernant les sources d'énergie durable et de rechange, verte et propre, du Nord. Je crois que ce serait une honte de terminer la réunion sans le mentionner.
Chef, pourriez-vous dire quelques mots au sujet de l'initiative qui a débouché sur cet excellent rapport et sur ce que nous pourrions en tirer?
M. Atleo : Je ne suis pas sûr de savoir de quel projet nordique vous parlez.
En ce qui concerne l'énergie verte, si je puis en parler, je viens de rencontrer le chef Allison Metallic, de Listuguj, en Gaspésie, qui veut créer un parc d'éoliennes dans l'Atlantique.
La Première nation Moose Cree de l'Ontario possède 25 p. 100 des parts dans de nouvelles installations de production d'énergie. C'est un projet hydroélectrique de 2,5 milliards de dollars. Nous pouvons faire contrepoids aux histoires d'horreur avec des histoires qui montrent que les Premières nations participent directement, et, en fait, comme il a été dit, elles prennent des risques. Dans le monde des affaires, cela veut tout dire. Les Premières nations sont prêtes à le faire, c'est pourquoi nous nous sommes adressés aux financiers de Toronto et de Vancouver : « Travaillez avec nous, nous voulons être vos partenaires à part entière. »
La Première nation de Semiahmoo, en Colombie-Britannique, est un investisseur et un partenaire dans de nouvelles installations de production de gaz naturel de 200 millions de dollars, qui créeront des emplois et produiront de l'énergie propre. La Première nation des Gitga'at est en train de mettre au point un logiciel de gestion de l'énergie pour analyser les transitions énergétiques, réduire la consommation d'électricité et proposer de nouvelles technologies augmentant l'efficience de ses génératrices fonctionnant au diesel. La Première nation du lac Swan, au Manitoba, est en train d'élaborer un projet de parc d'éoliennes de 10 mégawatts, de plusieurs millions de dollars.
Nous avons également le célèbre Mike Holmes, de Holmes on Homes, qui collabore avec nous au renouvellement de la planification pour une collectivité des Premières nations vivant dans une réserve. Ce sont là quelques exemples seulement du type d'innovation que l'on voit chez les membres des Premières nations.
Le président : Vous vous rappelerez que Mike nous accompagnait lors de ce fameux voyage à Copenhague.
M. Atleo : C'est là que le partenariat a été conclu, et c'est un exemple qui montre pourquoi ces partenariats sont si importants.
Pour conclure, mon bon ami Gordon Planes et la Première nation T'Sou-ke, dans le sud de l'île de Vancouver, ont le grand honneur d'être la nation qui utilise le plus l'énergie solaire par habitant dans le monde. Il dit cela un peu à la blague; je ne sais pas combien de centaines il possède. Ce qu'il faut savoir, c'est que la Première nation T'Sou-ke dirige un énorme, énorme projet d'énergie solaire.
Nous allons vous remettre un document écrit. Nous constatons, monsieur le président, que chaque année le nombre de Premières nations qui mettent en place des projets d'énergie verte double, d'un bout à l'autre du pays. C'est un nouveau domaine emballant, et il est sûr que les Premières nations veulent être des chefs de file en ce qui concerne la durabilité et le développement de projets d'énergie durable.
Le président : Merci de tout cela, chef. Je me suis peut-être mal exprimé en parlant seulement du Nord. Le sénateur Seidman a parlé d'un rapport. Il concernait probablement l'ensemble du pays.
M. Atleo : Vous me faites penser à un projet de biocarburant qui est réalisé au Yukon. Les insectes y ont fait un ravage, le sénateur et moi-même connaissons très bien le sujet, vers le nord, vers le sud, vers l'intérieur, jusque dans le grand Nord. On a décidé d'en profiter pour faire un projet axé sur la bioénergie.
Il y a de très nombreux exemples et nous devons nous en inspirer, attirer l'attention sur eux et les faire grandir.
Le président : C'est magnifique. Si vous me le permettez, j'ajouterai que nous allons être à Vancouver, le lundi 28 et le mardi 29 novembre. Nous allons tenir des audiences publiques, comme nous le faisons de temps à autre. Nous allons bientôt avoir épuisé notre temps, mais nous avons réellement été intéressés par bien des choses que vous avez mentionnées, et les excellents points que vous avez soulevés.
Le sénateur Sibbeston : Je ne sais pas si ma déclaration exigera une réponse.
Le président : Est-ce qu'elle est formulée comme une question?
Le sénateur Sibbeston : Je voulais souligner quelque chose, et peut-être aussi confirmer ce que le chef national Atleo a dit au sujet des peuples autochtones, qui ont besoin de s'établir et d'avoir une certitude quant aux droits qu'ils ont sur leurs terres et leurs ressources. Le gazoduc de la vallée du Mackenzie est pour moi un exemple de grand projet réalisé au Canada, s'il est jamais réalisé, dans lequel les peuples autochtones détiendront un tiers des parts; cela n'aurait jamais été possible si les revendications territoriales dans les Territoires du Nord-Ouest n'avaient pas été réglées. Les Inuvialuits, les Gwich'in, les Saulteaux et tous ces autres groupes autochtones participent maintenant à titre de partenaires dans des grands projets comme celui-là car ils ont confiance en ce qui concerne les terres, les ressources, les ressources financières. Cela est possible car ils sont sûrs d'être les propriétaires des terres et ils sont sûrs des ressources.
J'ai parlé de ce projet pour montrer à quel point il est important de régler les revendications territoriales des peuples autochtones. Je vais vous donner un exemple. Il y a dans notre région, là d'où je viens, un groupe d'Autochtones, les Dénés du Dehcho, qui n'ont pas encore réglé leurs revendications territoriales. C'est le seul groupe du Nord qui cherche à s'opposer à ce projet de pipeline, car ce pipeline traversera leurs terres, et que leurs revendications ne sont pas réglées. L'incertitude règne. Ils ne sont pas non plus en bonne position, à la table des négociations, en ce qui concerne les droits qui pouvaient découler du projet.
Dès le départ, Imperial Oil et Esso, qui sont de grandes pétrolières, ont reconnu que si le projet avait des chances de réussir, il devait faire participer les peuples autochtones. Cela ne se serait jamais passé comme ça auparavant. Depuis que Esso et Imperial Oil ont découvert du pétrole à Norman Wells, en 1921, elles ont très mauvaise réputation. Elles n'ont pas donné d'occasions d'emploi, de formation ou d'avantages quelconques.
Le comportement passé de ces entreprises, avant que les peuples autochtones ne présentent leurs revendications, était vraiment mauvais. Ce n'est qu'aujourd'hui, dans l'ère moderne, après qu'elles ont eu à traiter avec les peuples autochtones, qui avaient des droits, qu'elles ont reconnu qu'elles devaient le faire. Cela pourrait servir d'exemple des avantages, pour le Canada, de régler les revendications territoriales et de reconnaître la compétence des Premières nations sur les terres et les ressources. Quand elle est reconnue, les peuples autochtones peuvent participer et contribuer de toutes sortes de manières utiles et magnifiques au développement économique de notre pays. Je voulais tout simplement dire cela, si cela peut étoffer notre rapport.
Le président : C'est merveilleux, sénateur Sibbeston. Voulez-vous faire un commentaire à ce sujet, chef national?
M. Atleo : Seulement pour confirmer que le règlement de ces questions est essentiel.
Je voudrais aussi souligner que, comme en ce qui a trait à la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale, en ce qui concerne également notre suggestion de participer à l'élaboration d'un plan d'avenir, non seulement au regard de la loi, mais aussi en collaboration avec les ministres de l'Énergie, nous voudrions explorer les valeurs communes entourant la notion de « durabilité ». Le Canada a toujours soutenu cela fermement, depuis les discussions initiales de Rio. Nous partageons des valeurs communes qui nous empêchent d'exploiter les dernières ressources. Qu'allons-nous laisser aux générations futures? Nous partageons aussi des préoccupations concernant la situation de l'environnement, et les conversations à ce sujet deviennent très polarisées, et les positions sont claires.
Nous sommes ici pour proposer que nous nous serrions davantage les coudes, que nous nous mettions d'accord pour faire ce dur travail sans nous permettre d'imaginer que la tâche sera facile et que d'une façon ou d'une autre, si nous ne prenons pas de mesures dynamiques, tous les obstacles vont disparaître, mais en outre, mystérieusement, tous nos problèmes seront réglés. Ce n'est pas la voie à prendre. Comme je l'ai dit au début, le travail sera dur ou très dur. J'implore tout le monde : il ne faut pas choisir la tâche la plus dure, il ne faut pas que nos chemins se séparent et que nous nous retrouvions encore dans un cycle de conflit. Il faudrait plutôt viser la réconciliation, même si cela peut se révéler très difficile, et défendre l'ensemble des Premières nations, pas seulement la Première nation Dehcho. Je suis content que le sénateur Sibbeston ait soulevé cette question. Cela nous rappelle que notre travail n'est pas encore terminé. Quand le gouvernement fédéral et le premier ministre auront annoncé au pays que c'est un aspect important de l'avenir du Canada, je crois que nous pourrons faire des progrès importants, beaucoup plus rapidement que nous l'avons fait jusqu'ici.
Le président : C'est un point très important. Pendant cette étude, il est devenu très clair aux yeux de tous les membres de notre comité que les intervenants et ceux qui ont le plus intérêt à s'assurer que nous élaborons un cadre prospectif stratégique concernant un nouveau système de production d'énergie plus efficace, pour le Canada, c'est-à- dire les peuples autochtones, soit mobilisé, dans le fond, de la façon que vous venez de décrire. Il est certain que cela se reflétera dans notre rapport. Nous espérons que vous-même et vos collègues, chef, collaborerez avec nous lorsque nous formulerons notre conclusion. Nous espérons présenter le rapport en juin 2012. Je vais le répéter, nous serons à Vancouver au début de la semaine prochaine, et, si vous pensez à des enjeux qui n'ont pas été abordés aujourd'hui et qui, à votre avis, faciliteraient ce processus, ce serait merveilleux.
Le sénateur Massicotte : Pensons à l'histoire de notre pays. Quand je suis devenu sénateur, j'ai demandé : « Quel est le principal problème avec lequel notre pays est aux prises? » Il existe des rapports internationaux qui disent que c'est notre relation avec votre collectivité. C'est une note lamentable qui figure sur notre bulletin. Nombre d'entre nous sont découragés par le fait que c'est un enjeu si vaste, dont on parle depuis si longtemps et sur lequel on revient constamment. Un certain nombre disent qu'il est inutile d'y consacrer de l'énergie, puisque cela ne nous mènera nulle part, comme on le constate depuis les dernières décennies.
Je dois avouer que j'ai trouvé rafraîchissant de vous entendre, ce matin, et je suis sûr que mes collègues pensent la même chose. Vous me redonnez confiance. Vous faites preuve d'ouverture. Je crois que vous avez une franchise que nous apprécions. Je comprends pourquoi vous parlez toujours des nations. Je ne suis pas sûr que ce soit aussi pertinent que vous le pensez, mais je comprends que c'est une position d'ouverture. Je vous encourage et je vous soutiens en espérant que nous allons faire des progrès importants pour votre collectivité et au bénéfice de chacun des Canadiens. Bonne chance.
Le président : Le sénateur Massicotte a peut-être fait un lapsus, un peu plus tôt pendant l'audience, mais nous sommes en fait un comité impartial, et nous partageons les mêmes intérêts et les mêmes objectifs.
Merci. Tout cela nous a tous éclairés, et nous avons bien hâte de recevoir les informations. Je crois que vous voulez nous laisser un document, monsieur Jones, et l'autre rapport sur les projets durables. C'est parfait.
S'il n'y a rien d'autre, chers collègues, le comité directeur a un devoir à faire, qui lui prendra 15 minutes. Je lève la séance.
(La séance est levée.)