Aller au contenu
ENEV - Comité permanent

Énergie, environnement et ressources naturelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles

Fascicule 10 - Témoignages (séance du matin)


EDMONTON, le mercredi 30 novembre 2011

Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd'hui, à 8 h 38, pour étudier l'état actuel et futur du secteur de l'énergie du Canada (y compris les énergies de remplacement).

Le sénateur W. David Angus (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour, chers collègues. Bonjour, professeur Hrudey. Bonjour à vous tous qui assistez à ces délibérations. Ceci est une séance officielle du Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles.

Nous nous trouvons aujourd'hui dans la capitale de l'Alberta, la belle ville d'Edmonton, dans le cadre de notre voyage dans l'Ouest du Canada où nous sommes venus pour parler de l'énergie. C'est une étude que nous avons entamée en juin 2009 et que nous devrions achever bientôt, car nous espérons déposer un rapport dans le courant de juin 2012.

Nous accueillons ce matin M. Steve Hrudey, qui est professeur émérite à l'Université de l'Alberta et titulaire d'un doctorat de l'Université de Londres obtenu en 1979. Il est aujourd'hui la faculté de médecine et d'art dentaire, Division de la toxicologie analytique et environnementale, Département de médecine de laboratoire et de pathologie.

M. Hrudey est titulaire d'un doctorat en sciences et en technologie de la santé environnementale de l'Université de Londres. Il est membre de la Société Royale, ainsi que de la Society for Risk Analysis, et auteur de nombreux ouvrages.

Vous trouverez dans votre classeur sa biographie complète, et sachant que nous avons un horaire très serré ce matin, j'invite tout le monde à poser des questions concises.

Je vois que nous sommes dans une salle beaucoup plus petite et plus intime aujourd'hui, ce qui est parfait. Je ne puis dire combien nous vous sommes reconnaissants de vous joindre à nous à une heure aussi matinale ce matin, monsieur Hrudey, et vous prie d'excuser une légère confusion. Nous avons eu la visite un peu imprévue de deux ministres, si bien que nous ne sommes arrivés ici qu'après minuit.

Quoi qu'il en soit, nous avons l'œil vif et l'esprit entreprenant et sommes passionnés par notre sujet, et nous pensons que vous allez nous présenter une optique légèrement différente ce matin, et nous sommes donc tout ouïe. Après votre déclaration liminaire, nous aurons des questions à vous poser.

Je vais faire les présentations tout aussi brièvement. Je suis David Angus, de Montréal, Québec, et président de ce comité. Grant Mitchell en est le vice-président. Il est de l'Alberta. Tom Banks est un sénateur de l'Alberta, mon prédécesseur à la présidence. Nous avons également le sénateur Massicotte, du Québec et le sénateur Sibbeston, des Territoires du Nord-Ouest, le sénateur McCoy, de l'Alberta, que vous connaissez probablement bien, puisqu'elle est une ancienne ministre de la province, et le sénateur Bert Brown.

Les autres personnes à la table sont notre précieux personnel, les assistants de la Bibliothèque du Parlement et la greffière du comité.

Steve E. Hrudey, professeur émérite, Université de l'Alberta, à titre personnel : Honorables sénateurs, j'apprécie grandement l'invitation à vous faire part des conclusions du Groupe d'experts de la Société royale du Canada concernant les impacts sur l'environnement et la santé de l'industrie des sables bitumineux du Canada à l'occasion des audiences publiques que vous tenez à travers le Canada.

Ce rapport porte plus particulièrement sur deux éléments de votre mandat : b) les défis environnementaux et c) le développement durable et la gestion. Je vais me concentrer sur trois points : premièrement, la genèse et les travaux de notre groupe d'experts; deuxièmement, la distinction à faire entre a défense d'intérêts particuliers et les faits; et troisièmement, certaines des conclusions principales de notre groupe d'experts qui se rapportent à votre mandat.

Concernant le premier point, la Société royale du Canada a été fondée en 1882 et représente l'académie nationale des arts, des lettres et des sciences du Canada. La Société royale a lancé en 2009 une nouvelle initiative, amenant notre Comité sur les groupes d'experts à sélectionner quatre nouveaux sujets d'étude épineux et controversés, à l'initiative et à la seule discrétion de la Société royale.

Notre groupe d'experts a été le premier à déposer son rapport le 15 décembre 2010. Ces nouveaux groupes d'experts ont été financés exclusivement par la Société royale du Canada et tous leurs membres ont participé bénévolement à ces efforts, à titre de service public.

Notre groupe n'a pris nullement position sur le bien-fondé de l'industrie des sables bitumineux et nous n'avons pas cherché à convaincre quiconque de son intérêt. Nous voulions uniquement faire en sorte que les opinions que formeront les Canadiens et leurs dirigeants concernant ce développement industriel majeur soient fondées sur une connaissance exacte des faits relatifs aux répercussions sur l'environnement et la santé, et déterminer quelles lacunes dans nos connaissances il convient de combler.

Le groupe d'experts de la Société royale du Canada a été formé en octobre 2009. Entre novembre 2009 et la fin de janvier 2010, il a repéré 58 parties intéressées, soit des Premières nations, des groupes de défense de l'environnement, des entreprises et des services municipaux, des ministères provinciaux et fédéraux, auxquels il a demandé de contribuer et de soumettre des éléments probants pertinents.

Nous avons rapidement réalisé en lançant l'invitation que de nombreux groupes souhaiteraient rencontrer nos experts, ou moi en tant que président, mais nous n'avions pas les ressources voulues pour instaurer un mécanisme qui donnerait un accès égal à toutes les parties intéressées. Nous avons donc refusé l'accès direct, par téléphone ou en personne, à tout le monde, et demandé à la place que toutes les communications adressées au groupe se fassent par courrier ou courriel à mon adresse.

Deuxièmement, le mandat que nous avons adopté nous obligeait à établir une distinction claire entre la défense d'intérêts et les éléments probants, étant donné en particulier la nature litigieuse des discours publics récents sur l'industrie des sables bitumineux. Nous avons fait clairement savoir aux intervenants que nous n'étions intéressés qu'à recevoir des éléments probants, et non des arguments de défense d'intérêts particuliers, et que toutes les observations soumises devaient être communicables au public.

Nous avons reçu 27 réponses à nos 58 invitations adressées aux parties intéressées. Bien sûr, nous avons largement complété les éléments de preuve soumis par notre propre recherche dans la littérature publique.

Notre système judiciaire a établi une distinction rigoureuse entre la défense d'intérêts particuliers et la preuve, n'autorisant que les avocats à interpréter le sens de la preuve aux fins du verdict du juge ou du jury. Les témoins experts qui se laissent aller à défendre certains intérêts lors de telles procédures judiciaires se voient à juste titre rappeler à l'ordre, ou bien leur témoignage est ignoré.

Les tribunaux administratifs, notamment les instances arbitrales qui tiennent des audiences publiques, laissent souvent s'estomper la distinction entre la défense d'intérêts particuliers et la preuve. Les médias, qui constituent la fenêtre du public sur ces affaires, préfèrent apparemment parler des arguments avancés par ceux qui défendent des intérêts particuliers et non des éléments probants, probablement parce que les premiers donnent plus de grain à moudre aux journalistes que les seconds.

Le président : La défense d'intérêts particuliers est une expression aimable.

M. Hrudey : Troisièmement, le fond. Je vous ai remis le sommaire de notre rapport en anglais et en français. Je ne peux évidemment pas passer en revue tout le contenu du sommaire de 22 pages, mais je peux vous assurer qu'il reflète fidèlement le fond et le contenu de notre rapport de 440 pages.

Étant donné les contraintes de temps, je peux vous indiquer que le rapport fournit un historique et un contexte environnemental précieux des sables bitumineux, qu'il contient des chapitres distincts sur les émissions de gaz à effet de serre, la qualité de l'air, la quantité et la qualité de l'eau, la réhabilitation des sites, la santé publique et les effets secondaires, les obligations financières et l'évaluation des impacts.

Enfin, pour tenter de résumer la documentation complexe et volumineuse recouvrant de nombreuses disciplines sous une forme utile aux Canadiens, nous avons défini 12 questions dont nous pensons qu'elles captent la plupart des enjeux primordiaux et des débats relatifs aux impacts sur l'environnement et la santé de l'industrie des sables bitumineux. Nous ne prétendons pas répondre à toutes ces questions, voulant uniquement présenter clairement les éléments probants disponibles en rapport avec chaque question, et c'est ce que vous trouverez dans le sommaire que je vous ai remis.

Vu les contraintes de temps, je ne vais m'attarder ici que sur une question, mais je me ferais un plaisir de répondre à vos questions sur tout autre aspect de notre rapport.

La question 8 était la suivante : l'exploitation des sables bitumineux a-t-elle des conséquences sérieuses sur la santé humaine dans les communautés régionales touchées? Cette question était motivée par l'attention particulière accordée par les médias à un surcroît de cancers qui aurait été observé dans la localité à forte dominante autochtone de Fort Chipewyan et qui serait causé par des contaminants provenant de l'exploitation des sables bitumineux. Nous avons conclu qu'il n'existe actuellement aucune preuve crédible que des contaminants environnementaux atteignent Fort Chipewyan à des niveaux susceptibles de causer un surcroît de cancers chez les humains. Pour répondre aux préoccupations des Premières nations et de la collectivité, une surveillance plus étroite de l'exposition des humains aux contaminants est nécessaire.

Cette conclusion contraste fortement avec les quatre diapositives ci-jointes illustrant les prises de position de Hollywood ainsi que celles défendues dans un documentaire de CBC et une publication de recherche des National Institutes of Health du gouvernement américain.

Nous avons tiré notre conclusion sur ce sujet controversé parce que, pour que les contaminants des sables bitumineux puissent causer un surcroît de cancers à Fort Chipewyan, à plus de 100 kilomètres de la plus proche usine de traitement des sables bitumineux en service, ces contaminants devraient être acheminés par quelque vecteur jusqu'aux habitants, soit l'air, l'eau, les aliments ou le contact direct.

Des preuves suffisantes démontrent que ni l'air ni l'eau ne peuvent être le vecteur nécessaire à l'exposition aux contaminants. D'abondantes preuves relatives aux aliments rendent implausibles cette cause de l'élévation des taux de cancer dans cette localité de 1 200 habitants, mais nous recommandons une surveillance additionnelle de l'exposition aux contaminants par tous les chemins possibles, afin d'atténuer la détresse évidente que la persistance des affirmations d'un surcroît de cancers est susceptible de causer à la population.

J'ai inclus quatre diapositives illustrant les prises de position subjectives. La première vient de Hollywood. C'est un documentaire vu sur une page Internet. Le documentaire a été mis en nomination pour un Oscar. Le synopsis dit :

Au cœur de l'industrie des sables bitumineux de l'Alberta, au Canada, qui rapporte des milliards de dollars, la carrière d'un médecin est menacée parce qu'il se bat pour les Autochtones qui souffrent et meurent de cancers rares en aval de l'une des exploitations pétrolières les plus polluantes du monde.

Je vous renvoie au point 3 d'une enquête effectuée par le College of Physicians & Surgeons of Alberta sur le médecin menant la croisade, et qui a conclu qu'il a lancé un certain nombre d'affirmations inexactes ou mensongères concernant les nombres des patients atteints de cancer confirmé et l'âge des patients décédant du cancer.

Le collège a fait savoir clairement que le plaidoyer du médecin en faveur des habitants de Fort Chipewyan n'a jamais été et n'est pas un problème aux yeux des plaignants ou du collège. Ils ne sont pas opposés à ce qu'il se porte à la défense de ses patients. Le problème réside dans l'exactitude des allégations qu'il a formulées aux médias.

Le documentaire de CBC, Tipping Point : The Age of the Oil Sands, qui a été diffusé sur The Nature of Things, est décrit sur le site de la SRC comme suit :

[...] Un tour de force visuel de deux heures, qui transporte le téléspectateur au sein de la bataille entre David et Goliath qui se déroule au sein de l'une des problématiques environnementales les plus inquiétantes de notre temps.

[...] Pendant des années, les habitants de la localité nord-albertaine de Fort Chipewyan, située sur la rivière Athabasca en aval des sables bitumineux, sont affligés de formes de cancer rares.

[...] Dès la fin de 2010, la découverte alarmante par Schindler d'une pollution toxique... a mis sérieusement sous pression la politique environnementale fédérale et provinciale. Différents rapports du vérificateur général du Canada, de la Société royale du Canada, et d'un groupe d'experts [...]

Je signale seulement que le rapport de la Société royale est mentionné sur le site Internet de l'émission. Malheureusement, le documentaire n'en fait état nulle part, ce que j'ai trouvé intéressant.

Pour ce qui est des preuves à cet égard, je cite une lettre de David Schindler et des auteurs de l'article mentionné dans ce texte-annonce :

Notre étude n'a pas porté sur les effets des contaminants sur la santé des poissons ou des consommateurs autochtones, ce que nous avons bien précisé dans notre article ainsi que dans des présentations orales faites à plusieurs groupes d'intervenants...

Enfin, les quatre diapositives des instituts de recherche financés par les pouvoirs publics sont assez intéressantes. Après la publication de notre rapport, j'ai été interviewé par un journaliste scientifique financé par cette revue, Environmental Health Perspectives, publiée par l'U.S. National Institute of Environmental Health Sciences. C'est la revue publiant les recherches en santé environnementale la plus fréquemment citée. Elle a produit l'article dont le titre est représenté dans la diapositive que je vous ai montrée, soit « Alberta's Oil Sands : Hard Evidence, Missing Data, New Promises ».

Cet article contenait de nombreuses erreurs. J'en ai reçu une copie pour examen avant la publication. Il y avait une erreur presque à chaque ligne. J'en ai fait part à la revue, qui n'en a corrigé pratiquement aucune.

Je veux attirer votre attention sur le fait que, parmi les photos utilisées, il y avait l'image habituelle du paysage dévasté, qui est vraie, mais en dessous figurait cette légende :

Le groupe d'experts de la Société royale du Canada a conclu que les faits connus ne font pas apparaître de lien entre les cancers à Fort Chipewyan [...]

Puis, au bas :

Cela laisse cette femme de Fort Chipewyan dans le doute concernant le cancer du poumon qui a tué sa mère, son mari, et son neveu de 27 ans entre 2006 et 2008.

J'ai écrit au rédacteur en chef après la publication de l'article pour lui dire : « C'est de la folie. Ne savez-vous pas ce qui cause le cancer du poumon? Les meilleures preuves disponibles montrent que plus de 90 p. 100 des cancers du poumon sont causés par le tabac. Les autres 10 p. 100 sont causés par la pollution atmosphérique, et si vous allez affirmer que des polluants atmosphériques provenant des sables bitumineux sont la cause de ces cancers, ne devriez- vous pas en rechercher quelques preuves? »

Quoi qu'il en soit, après des mois d'échange de courriels, la revue a modifié la légende de cette photo pour lui faire dire :

Les habitants de Fort Chipewyan ont exprimé la crainte que le taux de cancer global supérieur à la normale dans leur localité résulte de l'exploitation des sables bitumineux...

Sur le site Internet, on trouve un bouton sur lequel on peut cliquer pour trouver l'explication du fait que la légende a été révisée. Vous ne le sauriez jamais si vous ne saviez pas ce que je sais, mais voici l'explication :

Cette légende a été révisée par rapport à la version initialement publiée le 1er mars 2011 pour éviter de donner fortuitement l'impression que l'activité dans les sables bitumineux a été impliquée dans les cancers du poumon à Fort Chipewyan.

Je rétorque à cela : À quoi sert dans ce cas cette photo? Qu'a-t-elle à voir avec notre rapport? Absolument rien.

Pour terminer, je vous invite à lire nos constatations et à tirer vos propres conclusions sur ces importantes questions. L'industrie des sables bitumineux a clairement des répercussions majeures et il est essentiel de donner aux autorités de réglementation l'instruction de veiller à ce que cette industrie fonctionne de manière écologiquement responsable.

Pour y parvenir, il est indispensable de dissiper les mythes, aussi répandus ou aussi souvent répétés qu'ils soient, afin qu'ils ne nous empêchent pas de faire le nécessaire pour protéger notre environnement et la santé publique.

Le président : Avant de passer aux questions, je signale à l'attention de mes collègues que des données biographiques plus complètes sont jointes à cette présentation, qui sont peut-être plus pertinentes que celles dont j'ai fait lecture tout à l'heure.

Monsieur, je suis juriste moi-même et j'aime la façon dont vous plaidez votre cause.

Le professeur Hrudey a été pendant 13 ans membre de l'Alberta Environmental Appeals Board, dont les quatre dernières comme président. Il a été le premier non- juriste à occuper ce poste. Les trois autres présidents ont tous été ou sont des juges, deux à la Cour du Banc de la Reine et un à la cour provinciale.

Au cours de cette période, le professeur Hrudey a siégé à 36 audiences publiques, dont à 19 comme président. Il a également conduit sept médiations, dont cinq ont abouti et dont deux mettaient en jeu plus de 10 appelants.

En outre, il a témoigné six fois au Legislative Council of Western Australia ou à des comités sénatoriaux au Canada. Et donc notre témoin ce matin est non seulement très au fait des questions dont il traite, mais maîtrise également l'art du plaidoyer, ou de la séparation du grain de l'ivraie et du rétablissement de la vérité lorsque ces gens, comme il les a très poliment qualifiés — d'autres sortes d'avocats — diffusent un message erroné.

Je suis un Canadien d'abord, non un Albertain, mais beaucoup d'Albertains siègent à ce comité et, étant avant tout Canadiens, nous avons été horrifiés de voir à quel point cette ressource de la province fait l'objet de médisances.

Je mentionne souvent mon expérience à Copenhague en décembre 2009. Cela a été la pire semaine de ma vie. J'étais un Canadien bien seul, arborant ma feuille d'érable, vilipendé partout où j'allais. Ni les gouvernements provincial ou fédéral ni l'industrie n'avaient organisé la moindre défense et nous étions 25 bons citoyens que Jim Prentice avait réunis. Nous déambulions tout perdus, parce que nous ne savions pas comment orchestrer une défense, et il est donc excellent que vous soyez venu nous faire part de ces informations.

Le sénateur Mitchell : Professeur Hrudey, nous apprécions grandement votre contribution; votre réputation vous a précédé. Nous n'avons certes pas été déçus.

Pour ajouter à ce que le président a dit, j'ai vu un titre dans le Globe d'aujourd'hui qui dit que la Chine se plaint du mauvais exemple que donne le Canada lors des pourparlers sur le climat. On croit rêver. Mais cela souligne le problème.

Nous voyons très clairement la distinction que vous établissez entre les faits et la défense d'intérêts particuliers, mais, à un certain niveau quelqu'un doit commencer à plaider en notre faveur, et il ne suffit pas que l'Alberta le fasse, car le monde ne considère pas que l'Alberta parle pour le Canada. Il est essentiel que le Canada le fasse.

J'aimerais avoir votre avis à ce sujet. Comment le Canada peut-il convaincre? Nous n'y sommes clairement pas parvenus. Quel argumentaire pouvons-nous utiliser pour convaincre?

N'est-il pas vrai que le Canada doit prendre des mesures conséquentes à l'échelle nationale, avec des résultats quantifiables, pour devenir crédible lorsqu'il fait valoir ses arguments aux yeux du monde?

M. Hrudey : Eh bien, je pense que la première chose est de faire connaître ce qui a déjà été fait. Je pense que l'image de la mise en valeur des sables bitumineux comme étant le fait de cowboys violant l'environnement est stupide. Nous, tant l'Alberta que le Canada, avons très mal su expliquer au monde ce qui se passe réellement.

Notre rapport a fortement critiqué les gouvernements albertain et fédéral et l'industrie sur beaucoup de points précis, et nous devons diriger notre attention sur la résolution d'un certain nombre de ces problèmes environnementaux.

Cependant, ce n'est pas là un sujet pour faire les grands titres. Il n'y a rien de particulièrement horrible dans l'exploitation des sables bitumineux, comparativement à toute autre forme d'extraction de richesses naturelles.

Je travaille beaucoup en Australie. Les Australiens ne réhabilitent pas leurs mines. J'ai ramené un beau livre grand format, qui a coûté cher et pesait lourd, intitulé Mining Landscapes of Australia. Il contient ces grandes photos pittoresques de tous ces trous dans la terre, et c'est à peu près dans cet état qu'ils les abandonnent.

J'ai fait hier une présentation à un groupe d'Américains venus visiter l'Alberta et l'un d'eux a mentionné qu'ils ne remettent pas en état leurs mines à ciel ouvert.

Le Canada doit faire savoir quel mécanisme nous appliquons à ce type d'extraction des ressources. Nous devons faire savoir quelles mesures sont prises. Cependant, les pouvoirs publics et l'industrie sont restés largement passifs.

À mon avis, cette attention accordée par les médias à Greenpeace et à des organismes similaires, un peu comme dans le cas des bébés phoques, est alimentée par les images. La photo sur double page dans le National Geographic en 2008 n'y est pas étrangère. Le National Geographic est une organisation très crédible qui jouit de la confiance du public.

Les photos ne mentaient pas. Ce n'est pas joli à voir, mais aucune mine de surface au monde n'est jolie à voir.

Les allégations au sujet des cancers sont répétées encore aujourd'hui dans le monde entier. Hier encore, j'ai été informé d'un article d'opinion rédigé par le Commonwealth Advisory Bureau de l'University College London, intitulé Throwing Petrol on a Fire : The Human and Environmental Cost of Tar Sands Production, qui commence ainsi :

Les sables bitumineux du Canada sont largement considérés comme le projet industriel le plus destructeur sur terre...

Cela provient d'une institution savante, celle-là même qui m'a décerné mes diplômes. Il y aura une réponse.

Un troisième épisode qui a clairement alimenté la façon dont les médias modernes se comportent aujourd'hui a été l'incident du mazoutage de canards en 2008 dans un bassin de résidus de Syncrude. Je pense que ces trois événements ont fait des sables bitumineux une vedette médiatique internationale pour tous ceux qui voulaient les exploiter.

Je ne suis pas un expert des médias, mais il me semble qu'il faut jouer la partie avec les mêmes méthodes qu'emploient ceux qui disséminent ce genre d'histoires, et si l'Alberta et le Canada sont incapables de le faire, l'industrie ne doit pas se contenter de passer des annonces télévisées pendant la « Soirée du hockey » pour me convaincre du merveilleux travail qu'elle fait. J'aimerais voir davantage de substance.

Le sénateur Mitchell : Sans faire preuve de cynisme, on a presque l'impression que d'aucuns qui pourraient faire valoir ces arguments se disent : « Pourquoi se faire du souci? Ils vont acheter notre pétrole de toute façon. Ils y sont bien obligés. »

Quelles sont les conséquences si ce risque pour notre réputation continue de s'amplifier parce que nous n'opposons aucune réponse nationale à ces attaques?

À Copenhague, le Canada était invisible, et l'Alberta peut faire ce qu'il veut. Il a beau hurler et protester, mais comme je l'ai dit, ce n'est pas l'Alberta qui parle au nom du Canada. C'est le Canada qui parle au nom du Canada, et le monde veut voir un Canada crédible.

Que se passera-t-il si nous allons à Durban et que le Canada ne fait rien? Que se passera-t-il si cela continue? Quelles seront les conséquences pour le Canada sur le plan international? Peut-être que cela n'a pas d'importance. . Ils vont acheter notre pétrole de toute façon, alors pourquoi se faire du souci?

M. Hrudey : Vous sortez là de mon domaine de compétence, manifestement, mais en tant que citoyen je ne suis certainement pas ravi d'être traité comme une sorte de paria de l'écologie.

Il est scandaleux de prétendre que ceci est le projet le plus destructeur de l'environnement sur terre. Cela prouve simplement que ces gens sont soit chroniquement stupides soit qu'ils n'ont jamais rien vu.

Cela a d'ailleurs été le sujet d'une de nos 12 questions, ce qui nous a valu quelques réactions un peu négatives. Pourquoi avoir accordé de la place à une déclaration aussi indigne? C'est parce que c'est le titre d'un rapport d'Environmental Defence Canada d'où proviennent beaucoup de ces contre-vérités, et j'ai perdu le compte du nombre de fois que j'ai entendu des journalistes de CBC la répéter.

Je pense qu'il est injuste envers les Canadiens de laisser ce genre de désinformation dominer. Mais la meilleure façon de la contrer, ce n'est pas mon domaine d'expertise.

Le sénateur Mitchell : Dans votre déclaration liminaire vous avez fait ressortir, je crois, entre autres, qu'il n'y a pas réellement d'effet sur le taux de cancer, notamment parce que pour causer le cancer, les contaminants doivent être transportés jusqu'à ces populations, ce qui n'est tout simplement pas le cas.

Cependant, la crainte à l'endroit des bassins de résidus est que s'ils ne sont pas assainis rapidement, leurs digues pourraient se rompre, il pourrait y avoir des fuites, et les contaminants pourraient être acheminés de cette manière. Quelle contamination provoqueraient les bassins de résidus et quel est le risque d'une rupture?

M. Hrudey : Eh bien, heureusement, et ce n'est vraiment pas trop tôt, les bassins de résidus les plus vulnérables ont été réhabilités. Le bassin de résidus numéro un de Suncor, le bassin original de Great Canadian Oil Sands, qui était situé tout à côté de la rivière Athabasca avec des digues de 300 pieds de haut, a été vidé de ses résidus fins mûrs en septembre 2010, je crois.

Ce contenu a été déménagé en d'autres lieux, et le problème n'est donc pas entièrement réglé, mais il ne repose plus sur les rives de la rivière Athabasca où une forte inondation risquerait d'entraîner ces résidus dans le cours d'eau. Il ne s'agit plus guère maintenant que d'un gros tas de sable, et c'était le bassin qui nous inquiétait le plus.

Les autres bassins de décantation de résidus sont un peu plus éloignés de la rivière. Ils ne présentent pas le même risque de contamination.

Évidemment, si l'un d'entre eux devait rompre et que son contenu se déversait dans la rivière, ce serait un désastre écologique majeur. Il anéantirait probablement les pêcheries pendant plusieurs années. Cela poserait un problème grave d'approvisionnement en eau des localités situées en aval.

Mais la probabilité en est très, très faible. Parmi toutes les choses qui nous préoccupent dans notre rapport, ce risque n'apparaît pas sur le radar, franchement.

Le sénateur Banks : Merci encore, monsieur Hrudey, de votre présence. Je pense que ceci est votre troisième comparution devant notre comité.

Espérant l'indulgence du président, j'aimerais changer de sujet pour en aborder un qui inquiète beaucoup plus notre comité : l'eau.

Vous étiez membre du groupe d'experts de l'environnement qui a conseillé le gouvernement au sujet de l'accès des Premières nations à l'eau potable, ce qui a abouti au projet de loi S-11, que le gouvernement a maintenant retiré, comme vous ne l'ignorez sûrement pas.

Je faisais partie de ceux qui s'opposaient avec véhémence à ce projet de loi, non parce que je désapprouvais son objectif déclaré, mais à cause des modalités retenues. Le projet de loi passait sous silence à plusieurs des recommandations importantes que votre groupe d'experts a formulées au gouvernement pour ce qui est de l'alimentation des Premières nations en eau potable, des modalités structurelles et institutionnelles et de la gouvernance générale.

Avez-vous entendu d'autres nouvelles concernant l'intention du gouvernement, non pas de réintroduire le projet de loi, mais d'assurer l'alimentation en eau potable non seulement les Premières nations, mais aussi toute la population? Le problème est exacerbé à divers égards chez les Premières nations, mais l'accès à l'eau potable est un problème partout.

M. Hrudey : J'ai témoigné, en compagnie du grand chef Stan Louttit, au Comité sénatorial des peuples autochtones, le 1er mars, lorsque le projet de loi S-11 était encore en délibération nous avons alors demandé instamment qu'on adopte une approche différente.

Franchement, la clé de l'alimentation en eau potable des collectivités autochtones, comme de toutes les autres, est de mettre l'accent sur la compétence des personnes qui gèrent les systèmes. Il ne suffit pas d'acheter davantage d'équipements de traitement.

Malheureusement, la réalité, la nature humaine, appelez cela comme vous voudrez, est telle qu'il est plus facile aux administrations de distribuer des subventions pour construire des stations de traitement que de fournir aux opérateurs de ces stations les compétences dont ils ont besoin pour les faire fonctionner.

Je trouve tragique qu'il y ait pénurie de personnel qualifié pour faire fonctionner les stations de traitement, surtout dans les collectivités autochtones isolées où les taux de chômage sont étonnamment élevés.. Chômage — pénurie de personnel qualifié — le lien n'est-il pas évident?

C'était là notre principal argument. Je ne sais pas s'il faut une loi pour régler le problème, ou s'il suffit d'une politique, mais c'est la solution.

Le sénateur Banks : Le Programme de formation itinérante, pour lequel le gouvernement a dépensé des sommes importantes, est l'un des instruments pour cela, mais l'autre outil que prévoyait le projet de loi S-11 pour assurer la conformité et la compétence des responsables de l'adduction d'eau potable chez les Premières nations était un véritable fouet. C'était : « Si vous ne faites pas telle chose, nous allons vous jeter en prison, et si vous n'êtes pas d'accord avec la manière dont nous voulons procéder, nous allons supprimer ou piétiner vos droits conférés par traité, nonobstant l'article 35 de la Constitution, et cetera ». Cela nous a paru une façon mal avisée de faire les choses.

Pour la gouverne de notre comité, pourriez-vous nous résumer la démarche structurelle que votre groupe d'experts a recommandée pour assurer l'alimentation des Premières nations en eau potable, celle que le gouvernement devrait employer plutôt que de dicter la manière dont les choses devraient être faites?

M. Hrudey : Je dois préciser que notre mandat nous interdisait expressément de formuler des recommandations. Nous devions soumettre une liste d'options.

Le sénateur Banks : Mais vous en avez formulé néanmoins.

M. Hrudey : Oui, nous l'avons fait. Nous avons esquissé des options qui étaient, en substance, l'adaptation de la législation fédérale existante, l'adoption de régimes réglementaires provinciaux, ou bien la mise en place d'un mécanisme nouveau, d'une législation nouvelle en concertation avec les Premières nations, comprenant la création d'un organisme appelé commission de l'eau des Premières nations.

Le sénateur Banks : L'option 3 vous a semblé la plus opportune.

M. Hrudey : Exactement. Notre analyse le faisait ressortir clairement. L'inconvénient de l'option 3 était l'échéancier. C'était l'option la plus difficile à mettre en œuvre, mais elle présentait les meilleures chances de succès.

Le sénateur Banks : Pourquoi ne pas simplement inscrire l'eau dans la Loi sur les aliments et drogues et garantir ainsi que les fournisseurs d'eau, à l'instar des fournisseurs de glace ou d'eau en bouteille ou de flocons de maïs ou de barres de chocolat ne livrent pas un produit qui va nous rendre malade?

L'eau qui sort du robinet nous est vendue le plus souvent par une municipalité, mais pas toujours. Si Kellogg's ne fabrique pas des flocons de maïs qui nous rendent malades et Coke ne vend pas de l'eau en bouteille qui nous rend malades, c'est en partie parce que ce sont des sociétés honnêtes, mais aussi en partie parce qu'elles savent très bien que si elles n'ont pas en place des mécanismes pour garantir que leurs produits ne vont pas nous rendre malades, elles vont avoir de gros ennuis et subir des sanctions très lourdes, dont des peines de prison et des amendes gigantesques.

L'eau est le seul produit consommable qui n'est pas régi par ce type de règlement fédéral en application de la Loi sur les aliments et drogues. Pourquoi ne pas simplement faire cela?

M. Hrudey : Comme vous le savez, j'ai témoigné devant votre comité sur ce sujet même, et cela ne fonctionnera pas si vous n'apportez pas un remède structurel. C'est comme jeter en prison les gens de la Première nation Kashechewan pour non-respect du règlement. Cela ne donnera rien de plus aux Premières nations, et rien non plus aux collectivités non autochtones.

Au Canada, pour quelque raison, par évolution plutôt que par dessein, nous avons délégué aux municipalités la responsabilité de l'eau potable. Si j'administre le hameau XYZ de 20 habitants, et que vous me dites que je dois faire telle chose sinon vous me jetterez en prison, si je n'ai pas les ressources, la formation, le soutien et tout ce que vous voudrez, cela ne fera aucune différence.

Le sénateur McCoy : Il est bon d'avoir ce témoignage public concernant le rapport sur les sables bitumineux.

Je l'ai déjà dit publiquement, et je le répète ici, ce rapport est le plus net et le plus objectif que j'aie vu sur les sables bitumineux. Il est sans aucun doute l'un des plus lisibles par un non-scientifique et je vous félicite, vous et les autres experts, de l'avoir rédigé. Je pense que la Société royale, et vous-même en particulier, vous avez rendu à tous un très grand service.

Le président : Je crois que le témoin a mentionné tout à l'heure que c'était initialement à l'initiative du ministre Prentice, et non — ce n'est pas le cas?

Le sénateur McCoy : Non, c'était à l'initiative de la Société royale du Canada, constatant qu'un débat sur les sables bitumineux faisait rage. Le gouvernement du Canada dit une chose, le gouvernement de l'Alberta en dit une autre, les pétroliers en disent une troisième, les écologistes une quatrième. Qui croire?

Comme nous nous le disions à nous-mêmes l'autre soir, chacun détient 15 p. 100 de la vérité. Comment obtenir 100 p. 100 de la vérité? Où trouver une information crédible?

Ce rapport sur les impacts sur l'environnement et la santé de l'industrie des sables bitumineux jusqu'à ce jour nous dit où. Il recense, d'une part, ce que nous faisons bien. C'est un résumé clair qui dit que nous pouvons continuer à faire telle et telle chose. Voici, d'autre part, ce que nous faisons mal et voici comment rectifier. Voici ce que nous faisons sans savoir réellement si c'est bien ou mal. Nous manquons de données, et voici quoi faire pour les recueillir.

Dans le même temps, il relève aussi un certain nombre d'affirmations erronées qu'il convient de démentir, par exemple celle voulant que l'industrie des sables bitumineux soit celle qui perturbe le plus la forêt boréale. Comme le fait remarquer le groupe de M. Hrudey à la fin du rapport, à la question 12, seuls 602 kilomètres carrés ont été perturbés par les opérations d'extraction, les mines à ciel ouvert. Comparez cela au barrage de la baie James qui a inondé au moins 9 700 kilomètres carrés de forêt boréale dans le Nord du Québec il y a plusieurs années.

Le rapport contient également quelques fiches de renseignements pratiques qui rendent le sujet vivant pour un profane comme moi. C'est très pratique.

Tout cela est excellent, mais la question demeure : comment disséminer cette information auprès du public, notamment auprès de vos collègues universitaires qui ne lisent pas votre rapport? Ils prennent plutôt pour argent comptant la propagande largement disséminée par Environmental Defence.

Permettez-moi de vous poser la question suivante : Howard Tennant, ancien président de l'Université de Lethbridge, et Hal Kvisle, PDG de TransCanada Pipelines qui vient de prendre sa retraite, ont récemment rédigé un rapport sur la surveillance à la demande du ministre de l'Environnement et de l'Eau de l'Alberta. Ce rapport a été publié il y a quelques mois et recommande une agence de surveillance indépendante.

Je suis sûr que vous connaissez ce travail et je vous invite d'abord à le décrire, car vous le ferez mieux que moi. Vous donnerez une meilleure description, et j'aimerais ensuite que vous nous fassiez part de votre opinion.

M. Hrudey : Oui, ce rapport porte sur un sujet crucial, car une grande partie des critiques adressées à l'industrie des sables bitumineux intéresse la surveillance environnementale, et nous-mêmes avons conclu dans notre rapport que la capacité de réglementer de l'Alberta et du Canada n'a pas suivi le rythme rapide du développement.

Il faut y remédier. Cela est aggravé par le problème que j'ai pu constater de première main, à l'époque où je travaillais pour Environnement Canada avant d'entrer à l'université en 1975, et je connais donc de l'intérieur les organismes de réglementation. Mes 13 années à la Commission d'appel de l'environnement m'ont donné un aperçu privilégié du travail du ministère de l'Environnement de l'Alberta jusqu'en 2009.

Malheureusement, les gouvernements du Canada, et je crois que c'est vrai des autres gouvernements dans le monde, ont engagé un processus d'abêtissement de la fonction publique. Les fonctionnaires sont encouragés à anticiper ce que le ministre veut entendre au lieu d'étoffer leur expertise.

Lorsque M. Schindler a publié son deuxième rapport en septembre 2010, qui a mené à la création du groupe de Prentice et à quantité d'autres choses, il n'y a pas eu de réponse éclairée du gouvernement albertain. C'était comme s'il ne comprenait pas le rapport. Il faut remédier à cela.

Le groupe de travail dont vous m'avez demandé de parler a été formé en février, avec pour mission de réfléchir aux solutions à ce problème de surveillance. Il a recommandé de créer une agence de surveillance indépendante qui commencerait par couvrir les sables bitumineux puis tous les autres enjeux environnementaux en Alberta, mais le sujet brûlant à l'heure actuelle est évidemment celui des sables bitumineux.

Cela fournit une occasion cruciale qui n'a pas encore été saisie. J'admets qu'il y a un certain délai de grâce avec l'entrée en fonction d'un nouveau premier ministre qui a beaucoup de pain sur la planche, et je suis sûr que c'est au programme. La manière dont les recommandations de ce rapport seront mises en œuvre, pour autant qu'elles le soient, sera révélatrice de la réponse de l'Alberta à ces besoins.

Une telle agence doit être indépendante et hautement compétente, ce qui n'est certes pas le cas du ministère de l'Environnement en ce moment. L'Energy Resources Conservation Board, à ses débuts, était la meilleure autorité de réglementation du pétrole et du gaz du monde. On venait en Alberta voir comment les choses se faisaient chez nous. Malheureusement, au fil des ans, l'indépendance de l'ERCB a été érodée par les gouvernements successifs.

J'ai constaté, lorsque j'étais président de la Commission d'appel de l'environnement, que le message semblait être : « Dites au ministre ce qu'il veut entendre, ne lui dites pas ce que les faits dictent ». Il faut mettre un terme à cet état de choses, et c'est pourquoi il faut des agences indépendantes. C'est pour garantir la compétence requise.

Si vous avez des bouffons, des gens incompétents, mettez-les à la porte. Il nous faut une expertise indépendante venant de personnes responsables qui vous conseillent.

Les gouvernements sont élus. Ils ont des comptes à rendre. Ils ne sont pas obligés de suivre les conseils. J'ai toujours admis qu'un ministre ne suive pas mes conseils. En revanche, je n'admets pas qu'un ministre ne veuille pas entendre les faits que nous avons recueillis et écoute uniquement ce qu'il veut entendre.

Le président : Chers collègues, je vais devoir faire quelque chose que je n'ai jamais fait auparavant en ma qualité de président et inscrire le nom des trois questionneurs suivants en haut de la liste pour le prochain panel. Les témoins suivants attendent.

Monsieur Hrudey, nous avons votre excellente documentation, et particulièrement le rapport dont le sénateur McCoy vient de vous féliciter. Il deviendra certainement une bible pour nous et pour tous ceux qui veulent défendre ce qui se fait ici, non seulement en Alberta, mais au Canada. Ils semblent tous faire bloc contre nous dans le monde.

Même avec les meilleures intentions, le ministre McQueen et le ministre Kent vont être assiégés par les médias à Durban. Les militants vont brosser un tableau comme vous n'en avez jamais vu. Ce sera terrifiant.

Quoi qu'il en soit, je vous remercie au nom de nos collègues d'être venu à une heure si matinale aujourd'hui. Désolé s'il y a eu un peu de confusion au début.

M. Hrudey : Pas de problème. Je vous remercie. Vous savez où me trouver si vous avez d'autres questions.

Le président : Très bien. Nous allons vous embaucher.

Chers collègues, chers témoins, nous poursuivons l'audience spéciale du Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles que nous tenons ici à Edmonton, en Alberta, dans le cadre de notre étude du secteur énergétique, dans le but tout particulièrement d'engager un dialogue avec les Canadiens sur l'énergie et sur un cadre d'action stratégique pour assurer l'avenir énergétique du Canada.

Nous avons le privilège de recevoir un autre professeur émérite ce matin, M. Allan Offenberger, de l'Université de l'Alberta, qui est accompagné de M. Axel Meisen, président de la Prospective stratégique, Alberta Innovates-Technology Futures, ainsi que de M. Perry Kinkaide, président de l'Alberta Council of Technologies.

Nous avons leurs biographies in extenso dans les classeurs. Je crois savoir que le professeur Offenberger sera le principal porte-parole, et il est un professeur émérite de génie électrique et informatique à l'Université de l'Alberta qui a choisi très sagement de prendre une retraite anticipée en 1995 pour se concentrer sur la recherche.

Il a dirigé un laboratoire actif à l'Université de l'Alberta pendant de nombreuses années, et est en relation avec de grands centres internationaux de recherche-développement sur la fusion par laser. Cela l'a conduit à diriger l'Alberta/ Canada Fusion Energy Initiative, qui vise à créer une capacité nationale pour cette importante technologie énergétique future sur la base de liens de travail étroits avec des centres internationaux.

Monsieur Offenberger, je dois dire que le sénateur Banks m'a transmis les documents que vous lui avez fait parvenir au cours des 14 derniers mois et il m'a fait part de l'intérêt que vous avez manifesté à comparaître devant notre comité. Je suis désolé que cela n'ait pas pu se faire plus tôt, mais il semble que vous ayez des renseignements extrêmement intéressants à partager avec nous. Vous êtes enfin là, monsieur, et nous sommes toute ouïe.

Allan Offenberger, professeur émérite, Université de l'Alberta, à titre personnel : Nous sommes très heureux d'avoir cette occasion de converser avec vous au sujet de ce que je considère être un élément essentiel d'une stratégie énergétique pour l'avenir, à savoir ce que nous appelons l'énergie de fusion par confinement inertiel. J'expliquerai plus tard les aspects techniques. Nous pourrons peut-être répondre à vos questions lors de la période de discussion, mais j'aimerais vous communiquer aujourd'hui les arguments stratégiques plus généraux.

Dans les annexes, je donne quelques sigles et quelques renseignements supplémentaires que vous trouverez très intéressants, je pense.

Je suis heureux que M. Kinkaide et M. Meisen soient avec moi pour me seconder dans cette discussion. Commençons par faire le point sur la stratégie énergétique et sur l'avenir.

Le monde utilise l'énergie à base de carbone depuis déjà un certain temps, mais la situation évolue. Le monde change et ce que je vais vous dire vous montrera peut-être avec quelle rapidité cette mutation va intervenir et à quel point le Canada y est mal préparé. Je crois que c'est là le message ultime que nous voulons vous laisser aujourd'hui.

Tout d'abord, nous réalisons que la demande d'énergie des pays en développement connaît une croissance énorme. L'électricité est un sous-composant qui représente déjà 40 p. 100 de toute la consommation énergétique et son rôle va s'accroître non seulement pour satisfaire les besoins stationnaires, c'est-à-dire l'alimentation de tous nos bâtiments et de l'industrie, mais aussi pour alimenter les véhicules électriques dont le nombre va aller croissant. Cela va engendrer une très forte demande à l'avenir.

Deux chiffres circulent, et je vous ai donné ici le plus modéré, mais la croissance de la consommation d'électricité au cours des 25 dernières années a été de 2,5 p. 100, soit presque 100 térawatts. Si vous songez qu'une grosse centrale type produit 1 000 mégawatts — appelons cela un gigawatt — 40 térawatts obligeront à construire 40 000 de ces centrales au cours de ce siècle.

Si je prenais la courbe de croissance plus rapide que nous avons suivie jusqu'à maintenant, cela ferait le double. Ce n'est pas en remplacement des centrales existantes, ce n'est que la capacité nouvelle à construire. Nous parlons là de très vastes quantités d'énergie et d'électricité à générer.

L'autre message important, et qui est corollaire, c'est que de plus en plus l'énergie va devoir être produite à partir de combustibles non carbonés. Vous connaissez tous par cœur les problèmes environnementaux. Nous devons cesser de recourir aux combustibles carbonés.

La question est alors de savoir comment. Je vais parler de la fusion, mais permettez-moi de vous dire tout d'abord, et c'est important, que la fusion est beaucoup plus imminente qu'on ne le réalise, et j'en traiterai dans une minute ou deux.

Parlant de combustibles non carbonés, quelles sont nos options? Eh bien, il y a la fission. C'est la technologie que nous utilisons aujourd'hui, mais elle pose un problème, à savoir que la disponibilité de combustibles est réduite.

Nous employons de l'uranium-235, qui représente moins de 1 p. 100 de l'uranium naturel existant dans le monde. Si vous voulez alimenter une économie basée sur la fission, il faut régénérer le combustible. Il n'y a pas d'autre choix.

Soit dit en passant, si vous preniez toutes les centrales électriques actuelles du monde et les convertissiez tout d'un coup au combustible fissile au lieu d'être alimentées au charbon et à tout le reste, les réserves d'uranium ne dureraient que 30 à 40 ans. Voilà à quel point la disponibilité est limitée, et il faut donc passer à la régénération...

Le sénateur Banks : Ce sont là les réserves connues.

M. Offenberger : C'est juste, les réserves connues. Nous sommes confrontés à ce problème. Il nous faut donc passer à la régénération du combustible, ce qui laisse subsister tous les problèmes de déchets correspondants.

La fusion, comme vous allez le voir, est une énergie durable. Les cycles de vie du combustible sont très longs, et cela peut donc réellement être une source primaire durable.

Les énergies renouvelables, nous voulons certainement les exploiter partout où cela est possible, mais comme on le réalise bien dans le monde, elles ont leurs limites dues à la variabilité, à la disponibilité et à l'heure du jour et les saisons et ainsi de suite. Ce sera une source importante, mais qui ne suffira jamais à fournir toute la charge de base dont nous aurons besoin à l'avenir.

Cela nous ramène donc à la fusion, et je vais juste vous livrer mon idée. Je vous soumets cette vision d'un avenir énergétique intégré, et je prédis que d'ici le milieu du siècle, vous verrez la fusion couplée à l'électricité couplée aux piles à hydrogène pour couvrir en grande partie nos besoins en électricité stationnaire et mobile durable.

Qu'est-ce que la fusion? Je ne vais pas entrer dans les aspects techniques, mais j'ai une image sur la deuxième diapositive qui indique que la fusion est réellement la source d'énergie de notre soleil et de toutes les étoiles. De fait, elle est le point de départ de la vie telle que nous la connaissons, et même de la composition chimique de notre corps.

C'est la fusion qui a tout créé, depuis l'hydrogène jusqu'au carbone, à l'azote, à l'oxygène. Nous vivons dans un monde de carbone; tout notre corps est fait d'hydrate de carbone. La fusion est véritablement responsable de tout ce que nous connaissons à la surface de la terre.

La fusion est au cœur d'une nouvelle façon de faire les choses, ce que nous appelons l'énergie de fusion par confinement inertiel, et elle est imminente. On va l'utiliser de plus en plus.

Pourquoi voulons-nous la fusion? Elle a été le Saint-Graal pendant des décennies. Simplement, elle est très difficile à maîtriser. L'obstacle était là.

Indépendamment de sa durabilité, je mentionnerais que...

Le président : Professeur, une petite minute, car c'est une partie cruciale de votre message. Vous dites qu'elle est le Saint-Graal que tout le monde recherche depuis longtemps, mais comment se fait-il que les profanes comme nous, en dehors du monde scientifique, n'en sachent presque rien? Pour moi, c'est la clé.

Lorsque le sénateur Banks m'a apporté cela, nous nous sommes assis et nous sommes demandés « De quoi diable s'agit-il? Il vaut mieux nous renseigner ». Nous ne sommes pas totalement ignorants.

M. Offenberger : J'y viendrai dès que j'aurai parlé du laser, mais permettez-moi de reprendre le fil en vous parlant de la haute densité énergétique.

De fait, la fusion est le combustible présentant la plus haute densité énergétique. Que cela signifie-t-il? Cela signifie que moins vous devez transporter de matière pour générer de l'électricité et moins vous aurez de déchets à éliminer.

Si je compare une centrale au charbon à une centrale à fusion, vous aurez plusieurs millions de fois moins de combustible à acheminer à la centrale et de déchets à en retirer, ce qui autorise des options très différentes sur le plan des sites d'aménagement puisque vous n'avez pas tous les problèmes corollaires.

Le président : Quel est ce combustible?

M. Offenberger : De l'hydrogène, des isotopes d'hydrogène et de lithium.

Le président : Où les trouvez-vous?

M. Offenberger : Dans l'océan et la terre, et l'abondance est limitée.

Eh bien, je mentionne ici toutes les applications. Je ne vais pas entrer dans les détails. C'est tout...

Le président : C'est utile si nous comprenons le concept élémentaire.

M. Offenberger : Bien. Alors passons maintenant à l'énergie de fusion par confinement inertiel et voyons ce qui se passe à l'échelle du monde; il faut utiliser des lasers pour obtenir l'énergie de fusion pratique.

Je mentionne un certain nombre de laboratoires dans le monde. Cette liste ne comprend pas maints petits programmes de recherche universitaire, mais prenons-en un en particulier, la NIF, la National Ignition Facility aux États-Unis. La diapositive suivante montre cette installation qui vient d'entrer en service il y a un an et quelque.

Le président : C'est où?

M. Offenberger : C'est à Livermore, en Californie, à quelques kilomètres à l'intérieur des terres, tout près de San Francisco.

Le président : Vous parlez de cette image-ci, de cette diapositive, n'est-ce pas?

M. Offenberger : Exact. J'utilise cet exemple parce que c'est l'installation la plus avancée de la recherche jamais menée au niveau international, et j'aimerais vous expliquer ce que l'on y fait.

À la diapositive suivante, je vous montre un schéma technique pour mettre en lumière deux ou trois choses importantes. Premièrement, pour obtenir la fusion, vous devez chauffer le combustible à des températures très élevées, de l'ordre de 100 millions de degrés. Ensuite, vous devez le confiner suffisamment longtemps pour obtenir un dégagement d'énergie plus grand que l'apport initial.

Comment fait-on? Historiquement, ce que l'on appelle la fusion magnétique est le procédé le plus ancien, employé au cours des 50 ou 60 dernières années, et vous voyez des points sur cette courbe au bas désignés par MFE, soit la fusion magnétique.

Regardez maintenant la superposition des données avec celle de la National Ignition Facility. Ce diagramme est daté de cette année, 2011, et il montre le point de départ et la marche inexorable vers ce que nous appelons la terre promise, soit la combustion de plasma pour créer un gain énergétique sensible.

Les points à retenir ici, et cela répond à votre question, sont que la fusion magnétique est le procédé dominant utilisé depuis des décennies. Le laser n'a été inventé que dans les années 1960, et les programmes de recherche n'ont réellement commencé qu'au milieu des années 1970, et il a donc fallu attendre un quart de siècle pour démarrer, et de plus, en dehors des chercheurs universitaires partout dans le monde qui disaient que c'est un procédé intéressant qui devrait faire l'objet de recherches, les gros programmes dotés des ressources voulues pour un développement très rapide provenaient de crédits de défense aux États-Unis et en France, l'un d'entre eux réalisé au Lawrence Livermore National Laboratory, d'autres à Los Alamos et cetera, et dans ce qui est maintenant Laser Mégajoule à Bordeaux, en France.

Il nous a fallu un très gros investissement pour nous faire grimper plus vite dans la courbe d'apprentissage et rattraper ce qui avait été une courbe d'apprentissage lente avec la fusion magnétique. Du fait que c'était des programmes de recherche militaires initialement classés secrets, la fusion par laser est restée en dessous de l'horizon visible et s'y trouve pratiquement toujours.

La fusion magnétique était une recherche connue et tous les médias ont parlé des progrès dans ce domaine pendant des décennies. La fusion par laser a commencé plus tard, mais grâce à cette grosse injection de fonds et à la nature très stimulante de cette science qui a attiré beaucoup de chercheurs de pointe, elle a grimpé dans la courbe d'apprentissage beaucoup plus vite, au point que l'on peut dire aujourd'hui qu'elle a rattrapé et dépassé la fusion magnétique comme procédé pour nous amener à la terre promise. C'est un point réellement important.

Alors, où en sommes-nous? La diapositive suivante résume la situation. La NIF est en fonctionnement. Elle est engagée dans la National Ignition Campaign, si bien que dans moins de deux ans on peut escompter que toutes les expériences de mise à l'épreuve du principe auront été faites. Je n'entrerai pas dans les détails, mais le plus important est le deuxième point vignette dans cette description de la situation qui nous indique où nous en sommes réellement aujourd'hui et quelles sont les répercussions.

Il y a deux ans, le Secrétaire à l'énergie américain, Steven Chu, a décidé qu'il ne fallait pas attendre la démonstration du principe, qu'il fallait commencer à planifier quoi faire avec cette fusion inertielle. Les gens de Livermore se sont mis au travail avec les responsables des centrales électriques aux États-Unis et les directeurs généraux des compagnies qui produisent 75 p. 100 de l'énergie électrique américaine afin de dresser une feuille de route pour passer de la démonstration du principe à un réacteur de puissance de démonstration.

Parallèlement, ils sont allés voir tous les grands groupes de fabricants de matériel pour leur demander s'ils pouvaient livrer tel et tel équipement, à quel coût et ainsi de suite. Ils ont publié des livres blancs et demandé aux fabricants s'ils pouvaient fournir les semiconducteurs, les dispositifs optiques, les services de génie de la construction et tous les éléments nécessaires pour créer une centrale électrique fonctionnelle.

Ils ont accompli un merveilleux travail et mis au point une conception très modulaire où tous les éléments sont fabriqués à distance et acheminés sur site. Au lieu d'avoir un site unique de construction de centrales, tout sera transporté par camion en provenance d'installations de fabrication contrôlées.

C'est le projet qu'ils appellent LIFE, pour laser inertial fusion energy, ou énergie par fusion inertielle au laser.

Le président : Qu'en est-il de la construction d'un prototype?

M. Offenberger : Il n'est pas encore financé, mais la phase de planification avec les compagnies d'électricité et les groupes de fabricants est en route, et ce financement fait l'objet de pourparlers aux États-Unis à l'heure où nous parlons...

Le président : C'est donc un plan, ce n'est pas une réalité?

M. Offenberger : C'est un plan, un plan de conception technique complet.

Ils disent que cette centrale de démonstration pourrait être en place dans 10 ans et la commercialisation pourrait débuter dans 20 ans.

C'est un très gros changement. La fusion magnétique a toujours été considérée comme une solution à un horizon de 40 ans. Tout d'un coup, nous avons la possibilité d'une démonstration dans 10 ans et de la commercialisation dans 20 ans. Aucune autre grande solution énergétique n'a un horizon inférieur à 20 ans et ceci pourrait maintenant avoir un très gros impact.

Dans la diapositive suivante, je montre un modèle de la centrale LIFE, juste pour vous donner une idée. La suivante ne fait que résumer le point de la situation, avec cette expérience de la NIF conduisant à cette conception et à la construction d'une unité de démonstration puis à la commercialisation.

Parlons maintenant du Canada. Quelles sont les répercussions pour nous? Eh bien, évidemment, si cela peut être réalisé, si LIFE est un succès, les responsables de TransAlta m'ont déjà dit que ce serait leur combustible de choix pour les centrales électriques de prochaine génération et je peux vous assurer que les entreprises d'électricité ici même en Alberta disent la même chose. .

Nous parlons là de quelque chose de très profond, si effectivement cela se fait dans une dizaine d'années, et comme je l'ai dit, les grandes compagnies d'électricité doivent envisager de remplacer dans les prochaines décennies leurs centrales vieillissantes.

Perry Kinkaide, président, Alberta Council of Technologies : Peut-être pourriez-vous vous attarder sur ce point, le remplacement des centrales électriques actuelles?

M. Offenberger : De fait, j'ai une diapo. Dans les annexes, j'ai une diapositive qui représente le remplacement des centrales au charbon et des centrales nucléaires des entreprises d'électricité américaines vers le milieu du siècle et la demande qui en résultera.

Les responsables de Livermore aimeraient que 20 p. 100 de la capacité de génération provienne de centrales à fusion au laser lors de cette reconstruction. L'incitation à faire aboutir ce projet est très forte.

Cela comporte clairement des répercussions pour nous, très sérieuses, du fait que le Canada a aujourd'hui une fixation totale sur le carbone. Nous n'avons aucune stratégie secondaire pour l'utilisation des énergies renouvelables et de la fusion pour nous préparer à la situation qui pourrait exister dans 20 ans, et c'est pourquoi nous voulons porter cela à votre attention.

Le président : Est-ce vrai — ce doit l'être puisque vous l'écrivez — que nous sommes le seul pays de l'OCDE à ne pas avoir de programme dans ce domaine?

M. Offenberger : Oui, c'est vrai. RNCan a un mandat de surveillance de la fusion, mais nous n'avons pas de programme national au Canada.

Le président : Tous les autres pays de l'OCDE...

M. Offenberger : Tous les autres en ont un, et permettez-moi de signaler que parmi les pays en développement, la Chine et l'Inde, et cetera, la Chine tout juste l'an dernier, dans sa vision 2020, indique la fusion comme l'une des quatre ou cinq plus grandes priorités pour ce plan à l'horizon de 2020.

Nombre de pays en développement, la Corée, l'Inde, la Chine, se mettent sur les rangs. Parmi les pays de l'OCDE, nous sommes le seul à ne pas bouger, et cela doit changer.

Je dois dire que, si nous voulons opérer ce changement, nous disposons d'excellents liens internationaux, sur lesquels je vous donne des renseignements, qui nous permettent de prendre un bon départ. Ces liens sont avec l'Europe, le Japon et les États-Unis, alors allons-y, mettons-nous au travail.

Lorsque nous avons commencé à nous intéresser à ce domaine il y a cinq ans environ, je suis immédiatement allé voir mes collègues à l'étranger pour leur dire que si nous voulons lancer un programme, il nous faudra grimper très vite dans la courbe d'apprentissage par rapport à ce que nous faisions il y a 20 ans, former de nouveaux chercheurs et ils m'ont dit : « Allan, nous collaborerons avec vous de toutes les manières que vous souhaitez. Envoyez-nous vos gens et ils pourront travailler en collaboration avec nous. Nous les mettrons à niveau et nous établirons les relations de travail à long terme pour l'exploitation de la fusion. »

Les possibilités existent. Les responsables de Livermore nous ont dit qu'ils soumettraient immédiatement au département de l'énergie un projet d'accord nord-américain en vue de l'exploitation de l'énergie de fusion. Ils nous assurent de leur soutien total, et nous avons déjà un protocole d'entente avec le Japon. Nous avons des liens déjà en place nous permettant d'avancer, si nous prenons cette décision.

Nous avons clairement une opportunité d'image. Vous venez d'en parler avec le professeur Hrudey. Avec la richesse générée aujourd'hui, quelle meilleure façon de construire une image positive qu'en disant que non seulement nous prenons telle et telle mesure à l'égard des sables bitumineux, mais nous investissons aussi dans ce qui deviendra inévitablement une source d'énergie de remplacement vers le milieu du siècle et au-delà. Cela nous conférera probablement une image beaucoup plus positive que pratiquement toute autre chose que vous pourriez faire.

La raison pour laquelle nous avons besoin des pouvoirs publics est que cela est encore 10 années dans le futur. Le secteur privé intervient une fois que les opportunités existent. Aux États-Unis, tous les programmes internationaux sont financés par le gouvernement national, mais on y fait appel à des entreprises sous-traitantes qui se dotent ainsi de la capacité technologique dès la phase de R-D, afin de pouvoir passer à l'exécution en temps voulu.

Juste une dernière diapositive pour montrer que, dans le cadre de l'Alberta/Canada Fusion Energy Initiative, nous avons déjà abattu énormément de travail au cours des dernières années, notamment en nous adressant à divers groupes provinciaux et nationaux.

Nous avons construit les liens. Nous avons organisé les ateliers. Nous avons créé des tribunes, à l'échelle provinciale et nationale. Nous avons élaboré un plan scientifique très détaillé, suivi d'un libre blanc et d'une étude d'impact économique. Nous avons effectué plusieurs déplacements à Livermore pour rencontrer de hauts responsables, au niveau tant provincial que fédéral. Nous avons eu quantité de breffages et avons mis sur pied un comité directeur très solide pour travailler avec nous.

Je vais m'en tenir là, ayant couvert les points saillants, et peut-être y aura-t-il des questions et une discussion.

Le président : C'est fascinant, et j'ai du mal à croire que le Canada reste sur la touche, mais vous l'avez confirmé.

Je dois m'absenter pendant quelques minutes, et j'ai donc demandé au vice-président de me remplacer pendant la période des questions, et j'espère être de retour bientôt.

Le sénateur Grant Mitchell (vice-président) occupe le fauteuil.

Le vice-président : Monsieur Offenberger, nous avons beaucoup apprécié cet exposé.

Je sais qu'il suscite quantité de questions intéressantes, et c'est ce genre de témoignage qui peut nous faire faire un pas de plus dans nos délibérations sur la stratégie énergétique canadienne.

Le sénateur Massicotte : C'est réellement très intéressant. J'ai lu un peu sur le sujet, mais pas grand-chose, et donc votre présence nous force à lire la documentation et à discuter du sujet.

On abuse souvent de l'expression « changer la donne », mais ceci pourrait représenter un changement immense. Cela pourrait banaliser, pour ainsi dire, l'énergie, qui a occupé une si grande place dans nos efforts, notre PIB, socialement et autrement. C'est phénoménal. Je présume que c'est là le message à retenir.

Avez-vous une idée de ce que serait le coût commercial de cette énergie? Est-elle compétitive?

Deuxièmement, au cours de l'histoire du monde, il est arrivé très souvent que de bonnes idées n'ont pas été concrétisées, à cause de coïncidences, de coutumes, de circonstances, de superstitions. Qu'est-ce qui pourrait mal tourner et faire que, dans 30 ans, nous nous dirions que cette technique a été mise au rancart? Quel en est le risque? Toute projection est soumise à des aléas.

M. Offenberger : Il y a deux côtés à cette équation. Tout d'abord, cette science n'est pas en question. On a une très bonne connaissance scientifique de ce qu'il faut faire pour que cela marche, et ce n'est donc pas un manque d'information scientifique. C'est réellement une question de conception technique.

Il s'agit de prendre des pastilles de combustible et de les irradier avec des faisceaux laser de très haute puissance, et donc toutes les conditions doivent être remplies, depuis l'obtention de l'énergie voulue dans les systèmes de laser, la précision de pointage, le bon séquençage, tout ce qu'il faut pour que cette énergie soit absorbée et produise son effet. Donc, c'est une affaire de procédés techniques par lesquels l'énergie est acheminée et absorbée pour enclencher la réaction de fusion. Bien entendu, c'est toujours soumis à des aléas.

C'est pourquoi vous avez besoin de la courbe d'apprentissage et c'est en partie ce que fait la National Ignition Campaign actuellement. Elle varie l'espace des paramètres pour voir ce qui marche, ce qui ne marche pas, pour acquérir une connaissance plus fiable de ce qu'il faut faire pour construire une centrale de démonstration.

Disons que c'est une affaire d'ingénierie et de science des matériaux. On parle de nanotechnologie. Je préfère le terme générique « science des matériaux » sous toutes les formes, qu'il s'agisse du codage optique, de la fabrication de cibles, des matériaux de la chambre de réaction et ainsi de suite.

Il reste beaucoup de choses à faire dans le domaine de la science des matériaux. Quantité de sous-composants doivent tous fonctionner de manière fiable, répétable, efficiente, économiquement viable et ainsi de suite. C'est donc une affaire de détails techniques à mettre au point.

C'est pourquoi nous parlons de 10 années de mise au point. Il s'agit réellement de trouver toutes les techniques indispensables. Il faut réellement s'atteler à les affiner et à les faire fonctionner parfaitement. Pour moi, c'est le plus gros point d'interrogation.

Le sénateur Massicotte : Existe-t-il aujourd'hui un prototype, par exemple?

M. Offenberger : Non, il n'y a pas de prototype. Il y aura un prototype unique lorsque la NIF sera en état de marche, mais pour que l'expérience soit répétable pour la production d'électricité, c'est là où tous les composants doivent fonctionner comme dans un moteur à combustion interne toujours, immanquablement.

Le sénateur Banks : La NIF est réelle. Elle est en construction. Elle est en cours, et son objectif est d'aboutir à un modèle de démonstration qui marche.

M. Offenberger : C'est juste, prouver que l'on peut obtenir de l'énergie de fusion sur la base d'un prototype unique.

Le sénateur Banks : C'est pour quand, à votre avis?

M. Offenberger : Dans le courant de l'année prochaine, moins de deux ans.

Axel Meisen, président, Prospective stratégique, Alberta Innovates-Technology Futures : M. Offenberger vous a donné une réponse scientifique et technique parfaitement valide, mais pour répondre à votre question concernant ce qui pourrait mal tourner, ne sous-estimez pas l'importance de l'opinion publique.

Premièrement, aux yeux de beaucoup, il s'agit là d'une initiative nucléaire, et nous connaissons l'attitude du public à l'égard du nucléaire. Cela ne me fait pas peur, je ne fais que vous indiquer très franchement ce qui pourrait mal tourner.

Le deuxième aspect est que si l'on s'y prend mal du point de vue de la perception publique, cela pourrait être, mais ne doit pas être, assimilé à une expérience assez proche d'une bombe thermonucléaire, car vous conjuguez l'hydrogène et une réaction nucléaire.

Ce n'est pas de quoi il s'agit, je peux vous l'assurer. Cependant, il faut être réaliste et prendre en considération cet aspect à l'égard de toute technologie nouvelle.

La réalisation pourrait être retardée, pourrait dérailler, pourrait être paralysée par ces considérations, et nous devons réellement réfléchir très soigneusement à la réaction du public. Cela ne signifie pas qu'il ne faut pas faire les recherches scientifiques. Il faut les mener, bien entendu, mais nous ne pouvons négliger les autres aspects dès le départ.

M. Offenberger, et c'est à son crédit, comprend très bien cela et ses présentations sur le sujet sont tout à fait excellentes, mais je voulais simplement compléter cette réponse.

Le sénateur Massicotte : Outre l'image du nucléaire, la principale crainte à son sujet est qu'il peut être très destructeur aux mains de gens incompétents. Ce problème existe-t-il en l'occurrence? Est-ce le cas?

M. Offenberger : Non, ce n'est pas la même chose, et c'est principalement parce que la quantité de combustible injecté à tout moment dans le réacteur est insuffisante pour présenter un risque.

Le sénateur Massicotte : Pas de problème de sécurité?

M. Offenberger : Pas de problème de sécurité, et même dans le pire scénario, vous n'auriez jamais à évacuer le personnel de la centrale. Cela ne peut simplement pas arriver.

Le sénateur Massicotte : Vous dites que la science est au point. Vous dites que cela doit se faire, mais vous aviez dit plus tôt que l'exécution n'a jamais eu lieu.

M. Offenberger : Pas l'exécution, car il nous fallait des lasers suffisamment puissants pour y arriver. Tout est là.

Le sénateur Massicotte : Y a-t-il un problème à cet égard? Est-ce que le monde pratique aujourd'hui vous rend immensément confiant que cela va se faire, ou bien subsiste-t-il toujours un grand point d'interrogation?

M. Offenberger : Je réponds non. D'autres, évidemment, peuvent ne pas partager cet avis, mais si l'on regarde les résultats antérieurs du Lawrence Livermore National Lab et de ses programmes, joints au fait que la France, par le biais de son Laser Mégajoule à Bordeaux, construit une installation qui est en retard d'une ou deux années, mais suit la même voie vers le même objectif, les progrès réalisés par ces deux pays au niveau de la R-D m'amènent à dire que oui, il n'y a aucun doute. Cela va se faire.

Le sénateur Massicotte : Nous pouvons faire la démonstration que cette méthode va marcher d'ici cinq ans?

M. Offenberger : D'ici deux ou trois ans.

Le sénateur Massicotte : Donc, d'ici cinq ans, les centrales nucléaires et au charbon pourraient être arrêtées?

M. Offenberger : Non, cela ne se fera pas si vite, car une fois que vous avez bouclé l'expérience de démonstration du principe, il vous faut ensuite construire le premier prototype de démonstration au monde. Peut-on extrapoler alors cela sous forme de centrale produisant de l'électricité et dans quel délai? Le délai est d'une décennie. Il est de 10 ans.

Le sénateur Massicotte : Donc, dans 10 ans, nous verrons un changement immense dans tout le secteur de l'énergie du monde.

M. Offenberger : Oui, c'est à l'horizon de 10 ans qu'il pourrait y avoir une nouvelle donne.

Le sénateur Massicotte : Ce ne sera pas une cause de changement climatique? D'après ce que j'ai lu, il n'y aura aucune répercussion sensible sur l'environnement.

M. Offenberger : Non. Il n'y a aucun rejet de gaz à effet de serre, aucun dégagement de carbone. C'est une technologie propre, durable, et qui peut assurer toute l'énergie de base dont la terre a besoin.

M. Kinkaide : Juste pour souligner cet aspect, l'un des risques dans toute cette entreprise est une démarche utopique, où l'on promet trop et où les résultats ne suivent pas.

Tout en étant frustrés par le fait, mentionné plus tôt, que cette technique reste méconnue au Canada et que nous n'y participons pas, nous devons aussi veiller à bien orchestrer la communication à son sujet afin de ne pas risquer un échec avec des promesses excessives et des résultats insuffisants.

Le problème que nous rencontrons à ce stade est que la démonstration du principe n'est pas encore faite, que cette technologie est considérée comme une initiative militaire plutôt que commerciale. Cependant, des progrès ont été réalisés au cours de l'année écoulée. Je pense qu'ici en Alberta, l'un des avantages clairs est que l'on y réalise qu'il ne faut pas voir dans cette technologie uniquement une source d'énergie, ce qui est toujours la première chose que l'on voit et qui soit nous fait peur soit nous ravit.

Il y a des retombées économiques phénoménales associées à l'introduction de cette technologie. Même si le Canada n'en est pas l'inventeur, n'est pas celui qui fait la preuve de la validité du concept, il peut faire quantité de choses, car nous sommes prospères, nous sommes agiles et avons l'accès au savoir.

Le savoir sans les relations n'a pas de valeur. Je crois que le gouvernement fédéral commence à réaliser que ce que nous faisons dans nos universités...

Le vice-président : Avez-vous une liste des nombreuses choses que le Canada pourrait faire? Nous avons besoin de détails concrets. Cela nous aiderait à faire la promotion.

M. Kinkaide : Oui.

Le sénateur Massicotte : Je suis homme d'affaires. Quelle est la probabilité que dans 10 ans nous atteindrons la réussite? Est-ce 90 p. 100, 95 p. 100?

M. Kinkaide : Par nous, entendez-vous Livermore ou bien le Canada?

Le sénateur Massicotte : Le monde.

M. Offenberger : Le monde est donc représenté par Livermore en ce sens que ce laboratoire est le plus en avance. Le financement et d'autres facteurs détermineront si ce sera quelques années de plus ou de moins. Un dérapage, un retard, est toujours possible, comme vous le savez, même pour les projets dans les sables bitumineux.

Par conséquent, je dirais plus ou moins 10 années, selon le financement qui sera consacré.

Le sénateur Massicotte : Quelle est la probabilité, à votre avis, que cette technologie devienne une source d'énergie fondamentale pour le monde dans 10 ou 15 ans?

M. Offenberger : Je dirais 80 ou 90 p. 100, compte tenu d'un petit risque de dérapage.

Le sénateur Massicotte : Est-ce que vos confrères sont d'accord avec vous? Les auditeurs devraient vendre leurs actions pétrolières immédiatement, je suppose.

M. Kinkaide : N'oubliez pas, ceci est une proposition de valeur. Il faut des années pour la réaliser, ce qui est l'une des raisons pour lesquelles les entreprises préfèrent attendre et pourquoi le gouvernement est le premier promoteur dans la phase de recherche.

TransAlta et ceux que nous avons invités à participer à notre initiative sont autour de la table; ils suivent tout cela. Ils ont été sur place à Livermore. Nous y sommes allés maintenant trois ou quatre fois, et nous ne présentons donc pas cela pour nous porter à la défense de ce type d'énergie. Nous nous plaçons sur une base empirique. Nous observons l'évolution de la recherche.

Le vice-président : Il nous reste 10 minutes, alors veuillez poser des questions et donner des réponses concises. Vos renseignements sont très précieux, et j'aimerais revenir à la première question posée par le sénateur Massicotte, à savoir combien cela va coûter.

M. Offenberger : Oui, je n'y ai pas répondu. Je vais vous communiquer cette information. Était-elle contenue dans la documentation initiale que je vous ai remise?

Si vous prenez la fusion pure, la fusion produisant des neutrons pour générer du combustible de fission, par comparaison avec le charbon et le gaz naturel avec et sans séquestration, j'ai ici un diagramme à barres qui montre le coût par kilowatt heure et combien les coûts sont véritablement similaires. C'est fondé sur des données scientifiques détaillées, car ceux qui conçoivent les centrales électriques savent chiffrer les coûts de tous les éléments.

Le sénateur Mitchell : Pouvez-vous nous remettre cela?

M. Offenberger : Je vous trouverai ce chiffre comparatif. Le coût est essentiellement le même. C'est le prix du combustible couplé à ce que vous faites sur le plan de la séquestration, du captage du carbone et ainsi de suite, qui représente un surcroît coûteux si l'on y a recourt. C'est le même ordre de grandeur.

Le sénateur Massicotte : On élimine le charbon.

M. Offenberger : Et similaire au coût du charbon, oui.

Le sénateur Brown : Si j'ai bien saisi, la réaction est maintenue et entretenue principalement par des lasers. Quelle quantité d'énergie ces énormes lasers vont-ils prélever eux-mêmes? Avez-vous un pourcentage ou une autre mesure?

M. Offenberger : L'unité que nous utilisons, c'est le mégajoule, donc ce sont des lasers de un, deux, trois mégajoules. Ce qui est impressionnant, c'est que cette énergie est appliquée par des impulsions très courtes, de l'ordre d'un milliardième de seconde.

Si vous me demandez ce que représente un mégajoule, si vous voulez faire votre café du matin et chauffer un litre d'eau pour l'amener du point de congélation au point d'ébullition, vous consommez environ un mégajoule, qui représente donc la quantité d'énergie requise pour chauffer cette quantité d'eau. Ce qui est impressionnant, c'est que cette énergie est acheminée par des faisceaux lasers cohérents sous forme d'impulsions très courtes et produit des effets beaucoup plus grands que réchauffer simplement votre bouilloire sur une plaque de cuisinière.

Le sénateur Brown : Quand verra-t-on réellement quelque chose qui ressemble à un prototype?

M. Offenberger : Nous disons que cette installation, la NIF, qui a construit les lasers mégajoules apportera la démonstration du principe que l'énergie dégagée est beaucoup plus grande que l'apport, dans le courant des deux prochaines années. Ensuite, si le financement suit à bref délai, après 10 ans, une centrale de démonstration pourrait être mise en service.

Le sénateur Banks : Le moment n'est pas encore venu de vendre vos actions pétrolières, mais il est temps de suivre de très près l'évolution de cette technologie pour voir jusqu'où elle va aller.

J'ai une courte question sur le point abordé par M. Meisen, et aussi M. Kinkaide, à savoir le volet opinion publique. Quel obstacle nous faut-il surmonter du fait des démonstrations — je ne sais pas si le mot « défaillantes » est le bon, — de prétendues fusions réussies qui se sont avérées erronées dans le passé?

Dans la bataille des relations publiques, cela nous place sûrement loin en dessous de zéro, n'est-ce pas? Cela n'amènera-t-il pas les gens à se dire : « Attendez un instant, je suis du Missouri. On nous a déjà fait ce coup-là. Ne venez pas me demander de l'argent. »

M. Offenberger : Je pense que c'est en partie pour cette raison que vous n'avez guère entendu parler de la fusion inertielle. Des laboratoires comme celui de Livermore, avec leurs gros programmes, n'ont pas fait d'annonces au son des trompettes, sachant bien qu'ils pourraient se faire taper dessus plus tard, et ont donc préféré asseoir leur crédibilité. Ils se contentent de montrer aux gens ce qu'ils font, et lorsque la réussite sera là, on pourra l'annoncer au monde.

Le sénateur Banks : Est-ce que la NIF reçoit des crédits suffisants pour aller jusqu'au prototype?

M. Offenberger : Oui, elle est pleinement fonctionnelle.

M. Kinkaide : Pour réagir à votre première remarque, que vous avez faite en blaguant, je pense qu'il faut en discuter. J'entends par là que si on se met à fusionner les ressources pétrolières, l'industrie pétrolière doit forcément avoir peur de cette technologie. Ce n'est pas nécessairement le cas à court terme.

La fusion engendre de la chaleur. La chaleur est un besoin fondamental pour l'exploitation des sables bitumineux. Il est concevable qu'on utilise pour la produire un réacteur à fusion, puisque l'on avait déjà réfléchi à un réacteur à fission, pour générer de la chaleur directe, plutôt que de l'électricité.

Je pense que ce serait engendrer un problème aux yeux du public si l'on donnait à entendre que c'est la fin de l'industrie pétrolière et gazière. La technologie peut être un complément permettant de la prolonger jusqu'à ce que la fusion devienne la source dominante d'énergie centrale.

Le sénateur Banks : Cela réduirait également le coût du traitement des sables bitumineux.

M. Kinkaide : On aurait une transition en douceur. Je suis peut-être un optimiste invétéré, mais je ne vois aucune raison stratégique qui nous empêcherait d'introduire cela d'abord en Alberta, à titre de stratégie librement choisie par les Albertains, parce que nous nous soucions de l'environnement, que nous voulons soutenir l'économie et que nous nous soucions des sources d'énergie que le monde emploie.

Le sénateur Banks : Quelqu'un a sûrement dû parler de cela au gouvernement fédéral. Personne ne nous en avait jamais parlé jusqu'ici. C'est la première fois. Qu'est-il arrivé avec les gouvernements précédents?

M. Kinkaide : Qu'est-il arrivé aux gouvernements précédents?

Le sénateur Banks : D'accord, laissons tomber.

M. Meisen : Je veux juste dire un mot sur une répercussion à plus long terme. Si cette technologie fait ses preuves et est introduite, disons, vers le milieu du siècle, l'Alberta et le Canada auront encore de grosses réserves de charbon et d'hydrocarbures inutilisées, et il me paraît éminemment rationnel de réfléchir à ce que nous pourrions en faire d'autre que de les transformer en combustibles.

Environ 80 p. 100 de nos sables bitumineux, de notre pétrole sont transformés en carburant de transport, 15 p. 100 en produits pétrochimiques, et le reste sert pour des applications plus restreintes. Cependant, si le secteur des transports change et n'a plus besoin de pétrole, alors nous, en Alberta et au Canada, aurons sur les bras de très grosses quantités d'hydrocarbures privées de leurs usages actuels.

Cela n'arrivera pas dans les 10 ou les 20 ans qui viennent, mais cela pourrait arriver après le milieu du siècle. Il me semble donc éminemment raisonnable de commencer à réfléchir à des utilisations de nos hydrocarbures et de notre charbon minéral autres que les combustibles, et il existe quelques possibilités.

Le sénateur McCoy : Il nous faudra avoir des conversations ultérieures sur ces possibilités. J'ai une très courte question sur les comparaisons de coût.

Vous dites que le coût est similaire à celui du CSC, le captage et stockage de carbone. Quel est le fondement de votre estimation du coût du CSC?

M. Offenberger : Je vous communiquerai ces données, en indiquant toutes leurs sources.

Le sénateur McCoy : Sachant que les coûts actuels de l'industrie se chiffrent à des niveaux très supérieurs aux estimations initiales, et que le coût des épurateurs de SO2, lorsqu'ils ont été introduits dans les années 1970 ou 1980, était d'abord très élevé puis a baissé lorsqu'ils ont été universellement adoptés, et que la durée d'amortissement des centrales au charbon diffère beaucoup de celle du nucléaire, cela fait beaucoup...

M. Offenberger : Tous ces éléments sont pris en compte.

Le sénateur McCoy : Il me semble que cela fait pas mal de calculs improvisés.

M. Offenberger : Le capital d'exploitation et tout le reste est intégré dans le calcul, oui.

Le vice-président : Merci beaucoup, messieurs. Cela a été très informatif et stimulant. Nous apprécions.

Le sénateur Massicotte : Avant de laisser partir ces témoins, je tiens à leur dire que ce dont ils parlent est tellement immense que si cela marche, je voterai pour eux comme président du monde.

Le vice-président : Oui, c'est de cette dimension.

J'ai maintenant le grand plaisir d'accueillir M. David Schindler. Je signale juste qu'il est, je crois, le troisième titulaire de l'Ordre du Canada à prendre place à cette table ce matin. Le sénateur Banks et M. Meisen en sont titulaires, et vous l'êtes aussi.

Je connais M. Schindler depuis de très nombreuses années, en rapport avec les questions concernant l'environnement, l'eau et le Nord de l'Alberta et beaucoup d'autres enjeux. Pour ceux d'entre vous qui connaissent moins ses antécédents, il est le titulaire de la chaire du Killam Memorial et professeur d'écologie à l'Université de l'Alberta. De 1968 à 1989, il a fondé et dirigé le projet des lacs expérimentaux du ministère des Pêches et des Océans du Canada, près de Kenora, en Ontario, qui a donné lieu à beaucoup de recherches interdisciplinaires sur les effets de l'eutrophisation, des pluies acides, des éléments radioactifs et des changements climatiques sur les écosystèmes boréaux.

M. Schindler est très réputé au Canada, aux États-Unis et en Europe pour ses travaux, et je me souviens très bien, juste après ma nomination, que M. Schindler a comparu devant la barre de la Chambre des communes, si je ne me m'abuse, ce qui est un honneur très rare. J'ai été très fier de réaliser que cet honneur vous a été conféré, moi qui vous ai connu et suivi pendant toutes ces années.

David Schindler, titulaire de la chaire Killam Memorial et professeur d'écologie, Université de l'Alberta, à titre personnel : J'ai choisi de vous parler aujourd'hui d'un certain nombre de problèmes environnementaux en rapport avec les sables bitumineux qui, je pense, demeurent et de toute la mauvaise réputation des sables bitumineux sur le plan écologique. J'ai une impression un peu différente de la cause de cette image que la plupart des gens qui parlent aux médias.

La première diapositive qui se trouve dans le coin supérieur gauche dresse la liste de certains des problèmes qu'il faut régler, à mon avis, et dans le peu de temps dont je dispose ce matin, je traiterai de deux d'entre eux, signalés par des flèches.

La deuxième diapositive n'est qu'un rappel des superficies relatives touchées, pour placer les sables bitumineux en contexte. On parle depuis 20 ans d'épurer les étangs de goudron de Sydney, qui contiennent maints composés similaires. Si vous regardez les tailles relatives, vous comprenez pourquoi nous devons nous inquiéter de l'épuration dans les sables bitumineux.

Les personnalités politiques de cette province se plaignent beaucoup de ces méchants groupes écologistes qui nous en veulent et nous donnent cette mauvaise image à l'étranger que nous ne méritons pas.

Je ne pense pas que le public prête grande attention aux groupes écologistes. Il n'est pas surpris par leurs déclarations virulentes à la défense de l'environnement. Cependant, lorsqu'on voit des personnes comme les trois que je cite ici, qui sont soit des ministres fédéraux soit des ex-premiers ministres provinciaux qui disent à peu près la même chose que les groupes écologistes, je pense que les dirigeants internationaux tendent l'oreille. Je crois réellement que notre gouvernement se fait du tort à lui-même en alimentant cette image négative.

La quatrième diapositive ne fait que rappeler que l'industrie elle-même n'est pas en reste lorsqu'il s'agit de projeter une image sombre. Je pense que si j'avais été le PDG de Syncrude après la mort de 1 600 canards, j'aurais payé l'amende sans faire de bruit et me serais esquivé. Au lieu de cela, les canards morts ont fait la une de tous les journaux nationaux pendant un an, avec les affirmations ridicules et insultantes de l'avocat de la compagnie qui n'ont fait que braquer davantage le public. Cela a été largement diffusé. C'était repris par les journaux en Norvège et en Allemagne lors des deux voyages que j'ai effectués là-bas.

Comme le montre cette cinquième diapositive dans le coin inférieur gauche, le problème tient en partie à la rapidité du développement. Si vous regardez le rythme du développement dans les sables bitumineux, c'est un taux composé de 7,5 p. 100 par an, et je pense que ce rythme est dangereux dans la mesure où ce développement distance rapidement l'infrastructure et les besoins sociaux de la population.

On le constate partout en Alberta. Les routes s'effondrent. Vous ne trouvez pas de place dans les hôpitaux, ni dans les écoles. À Fort McMurray, les maisons s'écroulent à peine achevées, et ainsi de suite.

Je pense réellement qu'il faut réfléchir à ce rythme de développement effréné, car s'il n'est pas réglementé, c'est le rythme qui va être maintenu jusqu'au moins en 2025 ou 2030, selon l'organisation du secteur énergétique que vous écoutez.

Le premier sujet dont je vais vous parler, c'est la régénération. Le chiffre le plus bas sur cette première page est le chiffre du déficit du gouvernement pour la régénération, soit la différence entre ce qui est effectivement régénéré ou en cours de régénération et le rythme d'extraction.

Vous pouvez voir que le rythme d'extraction l'emporte très largement sur le rythme des tentatives de réhabilitation, et sur l'ensemble des sites, seule une fraction de 1 p. 100 a été suffisamment bien remise en état pour être certifiée, et les entreprises elles-mêmes admettent spontanément que c'était un site facile à réhabiliter. Cependant, cela a coûté 10 fois plus cher que ce que les entreprises étaient obligées de mettre de côté par unité de surface à l'époque, et je crois savoir que certaines mesures ont été prises récemment pour rectifier quelque peu ce déficit, mais il n'est toujours pas rectifié.

Bien sûr, on nous endort avec toutes ces belles images à la télévision chaque soir du projet de Syncrude Gateway et des marais qu'ils ont reconstitués sur d'anciens bassins de résidus; or, ces marais, selon ma femme, qui est spécialiste des terres humides et qui travaille dans la régénération des sites des sables bitumineux, ne vont pas durer, parce que l'eau saline en dessous va tuer la végétation.

Le panneau dans le coin supérieur droit contient deux cartes, et j'espérais qu'elles seraient plus lisibles. Je les ferai circuler en couleur si vous êtes intéressés.

Cela est extrait d'un article de Rebecca Rooney, jeune diplômée de l'Université de l'Alberta, et de ma femme et de moi-même, où nous comparons les chiffres de réhabilitation que les compagnies avancent dans leurs évaluations d'impact environnementales aux écosystèmes originaux.

Contrairement à ce qu'ils disent à la télévision, ils n'ont aucune intention de remettre ces systèmes dans leur état antérieur. Ils ont écrit dans leurs propres évaluations d'impact environnemental qu'ils vont rétablir une série de buttes. Tous les marais restants seront des bandes étroites de marécages saumâtres qui ne redeviendront jamais des tourbières, car la mousse de tourbe ne pousse pas dans l'eau saline.

La raison pour laquelle cela est nécessaire est qu'ils vont laisser au centre un énorme lac de fin de fosse, qui n'est rien d'autre que la dernière fosse qu'ils creusent. Elle sera en partie comblée de résidus. Une couche d'eau propre est placée par-dessus et l'on espère que l'eau propre va rester suffisamment propre pour que des organismes puissent y pousser. C'est un procédé qui a maintenant été agréé sept ou huit fois par l'EAUB, et pourtant il n'en existe aucun exemple achevé.

Selon les calculs basés sur ces deux chiffres, qui prévoient le rétablissement de 40 p. 100 des marécages excavés par ces mines, il manquera environ deux tiers des terres humides qui étaient là originalement, et je pense donc qu'il est temps que ces compagnies confessent qu'elles ne vont pas rétablir le terrain dans son état originel.

Dites aux gens que c'est le mieux que l'on puisse faire et mettez-vous au travail de réhabilitation, comme on y oblige les compagnies charbonnières. Vous ne voyez pas les compagnies charbonnières laisser derrière elles 40 années de puits réhabilités. Elles ne prétendent pas rétablir le système dans leur état initial. Elles savent que c'est impossible. Le public l'admet et se fait une raison. Je pense qu'il est temps d'avoir des attentes réalistes pour les sables bitumineux.

Le panneau intermédiaire à gauche représente quelque chose qui me paraît devoir être fait. Nous devons réellement chiffrer ce que va être le coût de cette restauration réaliste et quels sont les changements subis par l'écosystème, afin de protéger le public canadien.

Dans l'état actuel des choses, si l'industrie pétrolière périclite, et il semble bien que ce sera le cas si l'on en croit le dernier témoin, et que toutes les compagnies pétrolières s'écroulent, nous allons nous retrouver avec un énorme puits, et devinez qui va être obligé de nettoyer? Je pense que ce que nous faisons est un mauvais fondement pour une démocratie participative.

Je veux maintenant parler un peu de notre programme de surveillance — je ne devrais pas l'appeler notre programme de surveillance, c'est notre étude de 2008 —, des raisons pour lesquelles nous l'avons réalisé et des constatations que nous en avons tirées.

La position du gouvernement est ce que vous voyez sur cette diapositive intermédiaire de droite, à savoir que cette énorme industrie ne pollue pas du tout. Pour quelqu'un qui a travaillé toute sa vie sur la pollution atmosphérique et aquatique, particulièrement sur les bassins versants et les interactions avec l'eau, cela sonne tout simplement faux. D'abord, personne n'a jamais mesuré les retombées aéroportées de ces usines — elles brûlent du coke et fondent du bitume en quantités énormes — et la raison pour laquelle je me méfie, c'est que dans les années 1970, j'ai présidé un panel de scientifiques de l'U.S. National Academy. Il y avait là trois Canadiens et plusieurs Européens et Américains. Nous avons produit ce rapport, dont le titre apparaît dans le coin inférieur droit, et si vous le lisez, vous réaliserez que l'usine qui brûle du combustible fossile ou fond du minerais et ne rejette pas des polluants dans l'environnement, cela n'existe pas, nulle part au monde. Cette propagande sonne faux.

Deuxièmement, au début de cette décennie, l'Inventaire national des rejets de polluants a enfin été publié en 2003, et il vous suffit de taper sur Google les lettres INRP et de chercher votre société favorite et votre polluant favori et vous verrez ce qu'elles émettent, et les chiffres pour les sables bitumineux sont plutôt inquiétants.

Je vous ai donné juste trois exemples parmi beaucoup d'autres pour les années de cette décennie, soit le mercure, le plomb et l'arsenic, et les rejets des trois ont tous augmenté à un rythme très élevé, une autre raison de penser que quelque chose cloche dans cette affirmation voulant que les émissions soient nulles.

Le prochain panneau à droite montre quelques-unes de mes propres données remontant à 20 ans. À cette date, l'un des grands scientifiques environnementaux de l'Alberta, David Trew, et moi-même avons mené un projet pilote dans les sables bitumineux pour mesurer la baisse de pH dans les cours d'eau lors de la fonte de printemps. Nous l'avons fait en espérant que si nous trouvions une anomalie, cela inciterait certaines sociétés à financer une étude plus approfondie.

Les chutes de pH que vous voyez ici, mesurées dans ces deux cours d'eau de la région des sables bitumineux, sont comparables aux abaissements du pH qui tuent le poisson dans les cours d'eau de l'Est. L'une est supérieure à deux unités, et l'autre d'environ une unité et demie de pH.

J'aurais pu également reproduire les graphiques de conductivité, qui montrent que ces cours d'eau sont très dilués par les eaux de ruissellement provenant de la fonte du manteau neigeux, représentant habituellement une accumulation de cinq mois de précipitations qui se déversent dans ces cours d'eau en l'espace de quelques semaines.

Nous n'avons obtenu aucun financement pour les études. Il n'y avait pas de route dans la région à l'époque, et les compagnies nous ont dit que nous demandions trop. Je crois que nous demandions environ 200 000 $ pour cette étude.

Tous ces constats conjugués m'ont amené à penser que la pollution aéroportée était un sujet à étudier.

Le panneau intermédiaire gauche m'a donné à penser que la même chose est vraie de la pollution aquatique. Comme je l'ai indiqué, la science élémentaire des bassins versants dit que si vous retirez la végétation et le sol de surface et exposez à la pluie et à la neige le nouveau substrat géologique, la concentration des substances chimiques relâchées dans ce bassin versant va augmenter.

Le plan d'eau au bas de cette image est la rivière Athabasca, et sa pollution n'est pas aussi importante que celle de certains de ses affluents.

Je pense qu'il y a lieu de s'inquiéter davantage des affluents qu'on ne l'a fait jusqu'à présent. Ils sont plus que de simples petits conduits de l'eau. Si vous regardez les premiers rapports sur les sables bitumineux avant que les pouvoirs publics ne prennent en main les programmes, lorsque les relevés étaient effectués par le Conseil de recherches sur les pêcheries du Canada, vous verrez que ces petits cours d'eau contenaient chacun 23 espèces de poisson, dont beaucoup allaient et venaient entre ce cours d'eau et la rivière Athabasca. Ces cours d'eau étaient probablement pour eux des frayères et des habitats de grossissement. Sans ces affluents, il faut compter que les pêcheries de l'Athabasca vont péricliter, quel que soit le niveau des polluants dans la rivière elle-même.

Faisant le point de tout cela, trois d'entre nous avons planifié une étude pour la fin 2007. Notre plan prévoyait un échantillonnage très détaillé des affluents de la région et en plusieurs points de l'Athabasca, beaucoup plus détaillés que ce que faisaient à l'époque les gouvernements fédéral ou provincial ou l'industrie, et je ne vous donne ici que les résultats pour les polluants aéroportés.

Un autre indice révélateur, dans le coin inférieur gauche, est que lorsque l'on survole la région, la neige n'y est pas blanche, elle est grise. Et lorsque vous y creusez un profil, que je montre ici, vous décelez des événements épisodiques, probablement survenus lorsque le vent venait d'une direction donnée, et donc en bref, nous étions face à des polluants organiques.

J'indique ici les HAP et un exemple pour les métaux. Nous en avons d'autres dans notre rapport d'étude. Les deux usines de traitement de la région des sables bitumineux sont tout près du site AR6, là où les plus fortes concentrations ont été trouvées dans la neige. Lorsque nous avons fait fondre la neige et l'avons filtrée, il y avait même de l'écume huileuse à la surface de l'eau de fonte de la neige filtrée. C'est une preuve très incontestable de ce que l'industrie dépose.

C'est tout ce que nous avons constaté. D'aucuns prétendent que nous aurions dit que cela nuisait à la santé des habitants de Fort Chipewyan. Nous n'avons jamais rien dit de tel. Ce que nous avons dit, c'est que ces polluants, qui peuvent causer des problèmes, sont présents dans la rivière et, à mon avis, cela montre qu'il est impératif de procéder à une étude sanitaire détaillée de la population locale, qu'il n'y a aucune excuse pour ne pas le faire. L'interprétation voulant que cela prouverait que les problèmes sanitaires à Fort Chipewyan sont causés par les contaminants est fausse, et nous n'avons jamais prétendu que c'est le cas.

Nous avons trouvé de faibles concentrations partout, beaucoup plus élevées près des installations industrielles que dans les zones éloignées, par des multiples de 40 et plus. La raison de s'en inquiéter se trouve au panneau de gauche tout en bas, page 1. En effet, si vous considérez le taux d'accélération et le fait que l'agrément d'une usine polluante va être donné en moyenne sept ans avant sa mise en service et qu'au cours de cette période de sept ans, des milliards de dollars seront investis dans cette usine, il nous faut détecter des concentrations bien inférieures au niveau où elles vont avoir des répercussions.

Tout ce remue-méninges au sujet de lignes directrices est de la foutaise. Nous pouvons faire beaucoup mieux que les lignes directrices. Nous connaissons les principes chimiques pour cela.

Nous devons avoir ces connaissances pour anticiper les ennuis, sans attendre qu'ils nous tombent dessus et d'être amenés à dire : désolés, vous, l'entreprise à 2 milliards de dollars, vous allez devoir prendre des mesures correctives de 1 milliard de dollars, sinon nous allons vous fermer. Cela ne me paraît pas très rationnel.

Nous avons publié ces résultats, l'un sur les polluants organiques et l'autre sur les métaux traces toxiques, tous deux dans les actes de l'U.S. National Academy. Erin Kelly est l'étudiante postdoctorale qui a réalisé ces études, et la raison pour laquelle je suis ici pour en parler à sa place et l'ai fait tout au long est que les jeunes étudiants postdoctoraux ne méritent pas de subir le genre de médisances qu'entraîne la publication de telles études.

Les premières réactions des ministres ont été très prévisibles. J'avais même déjeuné avec le ministre albertain l'été précédant le lancement de cette étude, lui faisant part de nombre de ces préoccupations, et il m'a assuré qu'elles n'avaient aucun lieu d'être. Le ministre fédéral a d'abord répété cela comme un perroquet, m'informant que c'est ce que l'Alberta lui avait dit, mais il a changé d'avis, tout comme le premier ministre Stelmach.

Ce dernier a même exprimé son inquiétude le premier. Il a dit : « Si ce gars-là a déjà eu raison à plusieurs reprises, peut-être devrions-nous demander à d'autres scientifiques de se pencher sur ces études ».

Le lendemain, je lui ai écrit pour lui dire : « Oui, allez voir la Société royale et demandez à quelques experts de la surveillance aquatique de jeter un coup d'œil sur notre étude et voyez ce qu'ils en pensent. » Je n'ai pas eu de réponse, mais le lendemain, le ministre fédéral Jim Prentice m'a téléphoné, disant : « Mes scientifiques me disent que je devrais prêter attention à vos résultats. Si je prends l'avion pour Edmonton ce soir, acceptez-vous de me rencontrer pour les passer en revue? »

Erin Kelly et moi l'avons rencontré à l'aéroport et passé deux heures à lui montrer nos résultats, et il était évident à la fin qu'il était convaincu. C'est même lui qui a été le premier à agir.

Je pensais qu'il serait raisonnable de demander à un groupe d'experts fédéral-provincial d'examiner nos données, mais ils ont choisi de le faire chacun de leur côté, et nous avions donc deux groupes ayant un seul membre en commun. J'appelle cela la « panélite ». Nous avons eu pas moins de six panels qui se sont penchés sur les sables bitumineux cette année. Vous avez reçu ce matin le président de l'un d'entre eux, celui de la Société royale, dont la composition était très ouverte.

Le panel d'Environnement Canada désigné par le ministre Prentice a déposé son rapport en décembre, confirmant que oui, effectivement, il faut améliorer la surveillance, tout comme nous l'affirmions dans ces études.

Le groupe d'experts du Regional Aquatics Monitoring Program, le RAMP, a déposé son rapport en janvier. Celui-ci ne portait pas sur notre étude, mais il a dit quelque chose que je savais déjà pour avoir participé à une étude en 2004 avec cet organisme, à savoir que le RAMP n'est aucunement à la hauteur de la tâche.

L'Alberta a même mis sur pied deux groupes d'experts. Le premier, le panel d'examen des données, est celui qui s'est penché sur nos données et lorsqu'il a indiqué que oui, il faut effectivement améliorer la surveillance, la province a désigné un autre panel pour concevoir ce qui était appelé un programme de surveillance environnementale pouvant rivaliser avec les meilleurs du monde.

Ce groupe a déposé son rapport en juillet. Le ministre a déclaré qu'il acceptait les recommandations et qu'il agirait très vite. Les recommandations disaient qu'il fallait améliorer la surveillance, mais vu le manque évident de confiance envers les programmes administrés par l'industrie et le gouvernement, le groupe recommandait également qu'un panel indépendant de parties prenantes et de scientifiques soit formé pour l'administrer afin que les véritables résultats soient communiqués au public et soumis à l'examen des pairs, ce qui, hormis nos études, n'a presque jamais été fait pour cette énorme opération, ce que je trouve incroyable.

Au bas, je mentionne le vérificateur général, qui a dit en substance la même chose que nous, mais en s'inscrivant dans une optique différente.

Le moins tendre de tous a probablement été le groupe d'examen des données du ministère de l'Environnement de l'Alberta. Les trois diapositives suivantes reproduisent des citations directes de son rapport, qui disait que tant ses programmes que le Regional Aquatics Monitoring Program laissent à désirer et que nos études prouvent que de nouveaux programmes sont réellement nécessaires.

Je vous donne un exemple de ce que nous avons constaté dans le panneau supérieur droit, mais une ligne n'est pas apparue sur la photocopie. Il devrait y avoir une ligne horizontale précisément à la marque de 20 nanogrammes par litre, à la pointe de la flèche à droite. C'est la limite de détection avec la méthode de détection des polycycliques aromatiques du Regional Aquatics Monitoring Program.

Les barres sont nos chiffres réels. Le programme ne pouvait pas déceler les concentrations que nous avons relevées parce que ses méthodes étaient 100 fois moins sensibles et n'ont simplement pas suivi les progrès de la technologie.

Ces techniques de mesure ont rapidement progressé. Celles que nous avons employées ont été mises au point par l'U.S. National Oceanic and Atmospheric Administration, et Jeff Short, son chimiste en chef à Juneau, en Alaska, qui a conçu ce programme a été l'un de nos coauteurs.

De fait, nous avons emprunté l'un de leurs échantillonneurs parce que, sous la présidence de George Bush, ils n'avaient pas assez de fonds pour les utiliser. Ce sont les mêmes techniques et échantillonneurs qui ont été employés lors de la catastrophe de l'Exxon Valdez. Les mêmes substances chimiques rendent malades les loutres de mer et les canards de mer 20 ans après ce déversement.

C'est juste l'un des nombreux exemples où nous décelions des substances, mais les ministres déclaraient à juste titre qu'eux-mêmes ne voyaient rien. Ils ne voyaient rien parce qu'ils utilisaient des méthodes d'analyse désuètes et grossières. Comme l'indique le rapport RAMP, le programme d'échantillonnage laissait à désirer. Il violait pratiquement tous les principes d'une surveillance aquatique raisonnable.

Le message est que si vous voulez affirmer sans mentir que vous ne voyez aucune pollution industrielle, utilisez de mauvaises méthodes chimiques et un mauvais programme d'échantillonnage, et vous ne verrez rien.

Il faut passer aux étapes logiques suivantes. Le ministre a promis ce programme de surveillance de calibre international. De fait, le ministère de l'Environnement fédéral a agi très vite après réception de ce premier rapport en décembre dernier. Il a immédiatement désigné un groupe de travail mixte composé de deux de ses propres experts et de moi-même et de quelques autres, avec pour mission de concevoir un programme de surveillance adéquat.

Si vous allez sur le site Internet du ministère de l'Environnement fédéral, vous verrez que cela est présenté comme la phase 1, rendue publique en mars, et la phase 2, rendue publique en juin. Le plan existe donc.

Jusqu'à présent, nul ne m'a dit quand le travail va commencer. Les deux ministères de l'Environnement, le fédéral et le provincial, ont subi des compressions budgétaires, qui s'inscrivent dans une succession de réductions imposées au fil de nombreuses années.

Il existe un rapport, et je vous en ai indiqué le site Internet, de Ron Wallace, qui est un homme d'affaires albertain, qui a eu aussi une carrière scientifique comme spécialiste de l'environnement lorsqu'il administrait l'Alberta Oil Sands Environmental Research Program original, ou AOSERP, un programme de surveillance des sables bitumineux pour le compte du Conseil de recherche sur les pêcheries du Canada. Il a également été membre du groupe d'experts de l'Étude sur les bassins des rivières du Nord, lequel est presque en tout point le modèle recommandé au ministre par ce groupe de surveillance de calibre international.

Nous avons le modèle. Nous avons les plans d'études. Nul n'indique la date de départ, et mon expérience me dit que si nous voulons avoir une surveillance au printemps prochain, un moment crucial de l'année puisque c'est celui de la fonte de la neige, à moins que cette planification ne soit mise en route immédiatement, il n'y aura pas de programme l'an prochain.

Je pense à une deuxième chose, qui découle des recommandations en 1996 de l'Étude sur les bassins des rivières du Nord, à savoir qu'il est temps de mener une étude détaillée de la santé de la population. Je ne peux pas dire que les sables bitumineux sont responsables des problèmes sanitaires dans cette population. Les chiffres ne sont pas concluants, comme Steve Hrudey vous l'a sûrement indiqué.

Il a causé un tollé dans la localité en disant que rien ne prouvait que les polluants contribuaient aux problèmes. Je pense qu'une meilleure formulation aurait été que les preuves étaient insuffisantes, ce qui est réellement ce qui ressort du rapport si on le lit attentivement. Il disait bien que la question a été insuffisamment étudiée.

Il nous faut également un programme de réhabilitation sérieux, bien financé, de calibre mondial, et je pense qu'avec ce genre de mesure et de réelles preuves, et pas seulement de la propagande pour 25 millions de dollars, nous pourrions expliquer avec crédibilité au monde ce que nous faisons dans les sables bitumineux, et indiquer publiquement quelle est la situation réelle et quels sont réellement les problèmes.

Je pense que le temps est révolu où nous pouvions cacher une industrie de cette taille dans la forêt. Jusque dans les coins les plus reculés de la Sibérie, vous trouverez un garçon capable de se servir de Google Earth et de vérifier par lui- même ce qui se passe. Je ne pense pas que tous nos propagandistes se rendent compte de la prise de conscience qui s'opère aujourd'hui partout.

Ma dernière diapositive ici est un complément de ce qu'a dit le dernier témoin. Nous venons de recevoir un rapport sur le potentiel géothermique au Canada. L'Alberta est à l'énergie géothermique ce qu'il est à la pétrochimie, et pourtant je n'entends jamais parler de la géothermie. Il n'est question que d'énergie solaire et éolienne et de combustibles fossiles.

Une grande partie de cette technologie, du moins pour l'énergie stationnaire, existe déjà. Elle est largement utilisée dans des applications résidentielles ici en Alberta, pas plus loin que Stony Plain et Spruce Grove, et bien sûr pour d'autres centrales plus grosses. L'Islande et la Nouvelle-Zélande et d'autres pays mettent en œuvre cette technologie depuis des années.

Je vais m'en tenir là. Si vous avez des questions, je me ferai un plaisir d'y répondre.

Le vice-président : Nous avons des questions. Merci beaucoup de cet exposé.

Le sénateur Massicotte : Vous imaginez bien que nous recevons les témoignages de beaucoup d'experts, dont vous faites partie, et nous avons toujours du mal à faire la part des faits scientifiques et des opinions.

J'aimerais juste résumer un peu vos pensées. Dans votre première diapositive, vous dressez la liste de tous les problèmes. Parfois les gens exagèrent leurs craintes, mais j'imagine que votre liste de préoccupations est fondée sur des faits réels, scientifiques. Ai-je raison?

Autrement dit, vous dites que ces huit ou neuf points sont des sujets de préoccupation légitimes. Est-ce exact?

M. Schindler : Je dirais que oui. J'ai choisi de parler de ce que je connais bien. J'aurais pu traiter de certains autres aspects, comme les pluies acides ou la violation de l'espace de vie des Premières nations.

Je travaille dans la région du delta de l'Athabasca depuis le milieu des années 1970. Je sais où sont les frontières du traité 8. Je vois que l'industrie loue ces terres. J'ai vu ce qu'il advient des terres qu'elle loue.

Je ne vois pas comment on peut affirmer sans rougir à ces Autochtones que nous remplissons l'obligation qui nous incombe en vertu du Traité 8 de laisser ces terres dans un état propre à assurer leur subsistance.

Le sénateur Massicotte : Si j'ai bien compris, le groupe d'experts de la Société royale du Canada est fondamentalement d'accord avec vous. Il a dit deux choses : en ce qui concerne la consommation d'eau, aucune preuve empirique n'indique un problème grave, mais il recommande une surveillance. Il convient avec vous que la réhabilitation des terrains ne suit pas le rythme de la mise en exploitation, et dans la mesure où certaines normes internationales relatives au CO2 sont à respecter, nous ne le faisons pas. Il ne soulève aucun autre problème. Est-ce un bon résumé de vos propres conclusions, comparées aux siennes?

M. Schindler : Je dirais que oui. Je ne critique pas le groupe d'experts de la Société royale, même si son rapport contient quelques petites erreurs et certaines prises de position que je désapprouve, par exemple au sujet des Autochtones, tout simplement parce que ses conclusions fondamentales sont justes. Je pense qu'une façon sûre de rendre un rapport inopérant est de monter en épingle des vétilles.

Je connais bien Steve Hrudey. Nous connaissons nos points d'accord et de désaccord. Nous sommes d'accord sur beaucoup de choses. Nous sommes en désaccord sur certaines, et c'est ainsi que fonctionne la science.

Le sénateur Banks : Monsieur Schindler, il est bon de vous revoir. Je veux juste m'assurer de bien comprendre ce que vous avez dit.

J'ai toujours pensé que les compagnies pétrolières qui investissent des sommes énormes dans les sables bitumineux et cherchent à faire ce qui me paraît être la bonne chose parvenaient, même dans les pires circonstances, à laisser derrière elles quelque chose d'un peu meilleur que ce qui était là initialement, tout en admettant bien sûr qu'elles accusent un grand retard sur le plan de la réhabilitation, comme le comité et d'autres ont pu le constater lors de nombreuses visites sur place.

Les terrains qui sont exploités à ciel ouvert ne sont pas très intéressants au départ. Ce n'est pas un beau paysage et parfois, les terrains réhabilités, pas seulement sur les photos, mais lorsqu'on s'y promène, ont l'air pas mal. Vous dites que cela ne va pas durer, mais nous verrons.

Je ne savais pas ce que vous avez affirmé ce matin, à savoir que les compagnies ont pris du retard sur le plan de la remise en état ou de la réhabilitation, appelez cela comme vous voudrez, et qu'elles n'ont aucune intention de le rattraper. Je n'avais jamais entendu cela de la bouche de personne.

M. Schindler : Parce que c'est enterré au fond de leurs propres évaluations d'impact environnemental, et le premier auteur des documents que nous avons rassemblés en un rapport, Mme Rebecca Rooney, les a toutes épluchées et a dressé les cartes SIG pour voir ce qu'ils ont vraiment l'intention de faire et à quoi ressemblera le paysage après l'achèvement de ces plans de réhabilitation.

Lorsque vous dites que les paysages sont maintenant plus beaux, je pense que, selon l'optique d'un être humain, je tends à être d'accord avec vous. Cependant, du point de vue de la fonction d'un écosystème, ils ne vont pas stocker autant de carbone. Il y a beaucoup de carbone dans la tourbe qui est enlevée, qui est désagréable sous le pied lorsqu'on y marche, mais c'est un important puits de carbone à l'échelle mondiale.

Non seulement ce qu'ils remettent contient moins de carbone, mais la séquestration de nouveau carbone atmosphérique sera également entravée, selon ce que montrent les calculs de Mme Rooney et de mon épouse. Le taux annuel d'accumulation de carbone de ces terrains sera moins grand qu'auparavant.

Sur le plan aquatique, la raison pour laquelle ces rivières coulent toute l'année est que cette tourbe est une grosse éponge. Les précipitations dans la région sont très faibles, et ce sont les chutes de neige et quelques chutes de pluie, qui sont absorbées par cette grosse éponge qui les relâche lentement dans ces rivières, qui empêche le débit de celles-ci de suivre une courbe en dents de scie et qui fait que ces cours d'eau coulent toute l'année et offrent un habitat aux poissons.

Je pense qu'il faut fixer une limite à la destruction de cette éponge. Il reste à voir si la technique d'extraction in situ qui va être désormais privilégiée, puisque 99 p. 100 des zones d'extraction de surface sont déjà prises, vaut mieux à cet égard.

En général, si vous construisez une route ou faites passer un pipeline ou autre chose sur cette éponge et perturbez la circulation de l'eau, l'effet est le même que si vous l'enlevez carrément. Aussi, mon hypothèse est que cela ne sera guère mieux.

Le sénateur Banks : Je suppose qu'il va nous falloir lire plus soigneusement le texte en petits caractères.

Le sénateur McCoy : Il y a beaucoup à discuter, et il est donc utile de connaître les divers objectifs de réhabilitation. C'est un écosystème fonctionnel, mais quel écosystème va fonctionner, voilà le débat.

Je veux regarder vers l'avenir, et lorsque je lis la diapositive au coin inférieur gauche de la page 5 de votre présentation, je trouve qu'il y a là aussi un assez grand terrain d'entente. Je regarde en particulier l'agence de surveillance que Hal Kvisle et Howard Tennant et d'autres experts de ce groupe ont recommandée. Excusez-moi, vous étiez peut-être membre de ce groupe, pour autant que je sache. Je ne connais pas les autres membres du groupe d'experts.

J'ai posé cette question à M. Hrudey et j'aimerais donc vous la soumettre aussi. Vous avez semblé être d'accord avec lui.

En lisant cela, j'imaginais qu'il s'agirait d'une institution autonome, un autre Energy Resources Conservation Board. Elle serait dûment établie. Ce n'allait pas être un travail que l'on bâcle sur le coin de son bureau. Il y aurait un financement. L'agence disposerait d'une expertise scientifique, en abondance, et d'assez d'argent pour administrer les programmes de surveillance.

Est-ce là une vue de mon esprit? Quel est votre pronostic concernant ce groupe ou cette institution?

M. Schindler : Ce serait fantastique si c'était le cas. Je pense que cette agence doit être financée d'en haut, tout comme l'ERCB, à titre de simple coût d'exploitation.

Je pense que nous pourrions faire de meilleures évaluations d'impact environnemental si nous disposions de cette bonne base de données sur le long terme comme fondement pour évaluer les installations nouvelles, au lieu de nous contenter de trois ou quatre échantillons qu'une bande d'étudiants ramasse pour le compte d'un cabinet de consultants qui ne regarde jamais pour voir ce que d'autres compagnies ont fait.

Je pense que le modèle qui marcherait bien, que ce soit un organe indépendant ou structuré comme l'était l'ancienne Étude sur les bassins des rivières du Nord, serait précisément le modèle de cette ancienne étude. Il y a un certain désaccord entre moi et beaucoup de dirigeants communautaires à cet égard.

Si vous parlez avec la communauté autochtone type, on vous y dira : « Donnez-nous l'argent et nous ferons notre propre surveillance. » Je pense que ce serait pire que le Regional Aquatics Monitoring Program. Les Autochtones n'ont pas les connaissances. Ils feraient appel à différents sous-traitants et il n'y aurait pas d'interface, des méthodes différentes seraient employées.

L'argument qui peut les convaincre, ai-je constaté, est le coup de maître réussi par Environnement Canada en chargeant Fred Wrona d'élaborer les plans de phase 1 et phase 2. Il était le directeur scientifique de l'Étude des bassins des rivières du Nord, et il s'est taillé une belle réputation de rectitude et de franchise, non seulement auprès des compagnies, mais aussi auprès des Autochtones.

Lorsque je demande à l'une de ces collectivités persuadées qu'on ne peut plus laisser ces escrocs ou des organismes gouvernementaux qui leur cachent les données continuer d'assurer la surveillance : « Et si Fred Wrona en était chargé? », leur réponse est que ce serait pas mal.

L'autre aspect qui me paraît primordial, et cela figure dans le rapport de surveillance que j'ai trouvé vraiment excellent, est la participation autochtone. Dans l'étude sur les bassins des rivières du Nord, deux dirigeants communautaires autochtones siégeaient au conseil principal et il y avait trois détenteurs du savoir traditionnel dans le panel scientifique, et ils n'ont nullement été une entrave.

J'étais dans le panel scientifique, et il y avait là six scientifiques occidentaux, comme on dit, et trois Autochtones. Nous étions d'accord sur presque tout, et cela a réellement été une expérience fantastique. Une confiance énorme a été forgée entre les communautés, à tel point que les PDG de compagnies siégeant au conseil votaient avec les Autochtones. C'est le genre de système qu'il faut mettre en place, avec une véritable représentation.

Le Regional Aquatics Monitoring Program prétend aujourd'hui avoir cette représentation, mais lorsque j'ai vérifié la dernière fois, il y a exactement un an, il y avait 13 compagnies, 8 organismes publics et 1 bande autochtone représentés au conseil de direction, mais aucune organisation non gouvernementale., la raison étant que l'industrie paye et que l'industrie et le gouvernement prennent les décisions. Toutes ces autres parties prenantes disparaissent.

Le sénateur McCoy : Si j'ai le temps, j'aimerais revenir sur cette question, qui m'intrigue.

Vous dites que le financement doit venir d'en haut, sans précision, mais d'aucuns estiment que ce devrait être un prélèvement imposé à l'industrie, auquel s'ajouteraient les contributions gouvernementales. En quoi cela va-t-il assurer la crédibilité, résister à l'épreuve olfactive, en quelque sorte?

M. Schindler : Je pense qu'aussi longtemps que la tâche est confiée à un groupe crédible et que celui-ci communique honnêtement ses données, sans contrainte, et n'est pas composé entièrement de représentants de l'industrie et du gouvernement, cela va passer.

Prenant toujours l'Étude des bassins des rivières du Nord comme exemple, un autre modèle est l'ancien Conseil de recherches sur les pêcheries du Canada, qui gérait le programme de surveillance initial. Ce n'était pas un organe de la fonction publique. Il ne faisait pas rapport au ministre. Il faisait rapport à un panel d'éminents scientifiques et il était respecté dans le monde entier.

J'en ai entendu parler pour la première fois lorsque j'étudiais en Europe. Il était indépendant, et donc personne ne « tripotait » les données avant leur publication, et je pense que c'est là un attribut essentiel d'un programme si l'on veut asseoir la confiance du public.

Le vice-président : N'ayons pas peur de la vérité. Disons les choses comme elles sont et agissons en conséquence.

Monsieur Schindler, je dois malheureusement mettre un terme à cet échange. Il a été très intéressant et nous a beaucoup appris, ce qui ne nous a pas surpris, et je tiens à vous remercier infiniment.

Je vais maintenant céder ma place au sénateur Angus, qui est le président du comité, et qui est de retour.

Le sénateur W. David Angus (président) occupe le fauteuil.

Le président : Mes excuses, monsieur Schindler. J'ai reçu un appel urgent de Montréal.

Je me souviens si bien, c'était l'une de mes premières réunions comme membre de ce comité, il y a sept ou huit ans je crois, vous êtes venu à Ottawa pour une audience sur l'eau et le sénateur Tommy Banks m'a dit que j'allais adorer ce comité, surtout parce que vous étiez le premier témoin que j'allais entendre, et je suis devenu écologiste du jour au lendemain.

J'ai parlé de M. Schindler dans tout le Québec, et je suis absolument désolé de vous avoir manqué ce matin. Merci d'être venu si tôt et de nous avoir fait part de vos réflexions. J'espère que vous trouvez que nous faisons un bon travail.

M. Schindler : Oui, je le pense, sinon je ne serais pas revenu.

Le président : Mesdames et messieurs les sénateurs, nous accueillons maintenant Andrew Leach, professeur agrégé à l'École de commerce de l'Université de l'Alberta.

Veuillez excuser cette présentation lapidaire, mais n'hésitez pas à nous parler de vos antécédents, si vous le souhaitez.

Andrew Leach, professeur agrégé, Ressources naturelles, énergie et environnement, Université de l'Alberta, à titre personnel : Mesdames et messieurs les sénateurs, je suis économiste de formation, mais spécialisé également en science de l'environnement. La plus grande partie de mes recherches universitaires se situent dans le domaine des accords relatifs aux changements climatiques mondiaux et à la politique sur les changements climatiques, mais je me suis intéressé plus récemment à la politique énergétique, la politique de l'électricité et la politique des gaz à effet de serre au Canada. Je fais un peu de travail sur le captage et stockage de carbone et depuis peu sur les résidus des sables bitumineux et la recherche- développement dans ce domaine, et cetera.

Mes intérêts sont variés et je me suis assez longuement demandé de quoi j'allais parler ce matin. J'ai pensé, vu les négociations de Durban et la 17e conférence, que j'allais parler du Canada en rapport avec les gaz à effet de serre et vous faire part de quelques réflexions sur la situation actuelle et ce que nous devrions faire, et situer un peu le contexte à cet égard. J'espère vous donner un aperçu peut-être légèrement différent du contexte de la situation canadienne en ce qui concerne les gaz à effet de serre.

Le président : Vous avez également mentionné ces deux mots clés : « politique énergétique ».

M. Leach : Oui.

Le président : Si vous pouviez relier votre propos à cela, c'est le sujet de notre étude.

M. Leach : Je vais m'y efforcer, et d'ailleurs la deuxième moitié de mon exposé nous ramène aux sables bitumineux et à la place qu'ils occupent, telle que je la vois, dans la politique relative aux gaz à effet de serre.

Dans la première diapositive, j'énonce ce qui est maintenant un point commun dans les articles de presse et les discours du gouvernement, la question de savoir la direction empruntée par le Canada, vers quoi nos politiques relatives aux émissions de gaz à effet de serre vont nous mener et quel est notre objectif.

L'histoire est très simple. Étant donné les politiques actuellement suivies, nous n'allons pas remplir notre objectif. De fait, nous allons le manquer de peut-être 180 millions de tonnes par an. Notre objectif de 17 p. 100 en dessous du niveau de 2005 est largement hors de portée avec notre panoplie de politiques actuelles, ce qui suscite l'impression générale que nous ne faisons pas assez pour atteindre nos objectifs et que ces derniers, nous a-t-on inlassablement répété, trahissent clairement un manque d'ambition.

C'est la première optique que je veux traiter, et donc si vous passez à ma deuxième diapositive, je pense que l'un de nos problèmes ne tient pas seulement au fait que nous n'avons pas les politiques requises pour remplir nos objectifs. Trois ou quatre facteurs plus larges rendent notre tâche encore plus difficile.

Le premier problème, et cela va peut-être surprendre plusieurs d'entre vous, est que si nous voulions atteindre notre objectif, nous devrions adopter la politique la plus rigoureuse du monde en matière de changements climatiques, et probablement 10 fois plus rigoureuse, c'est-à-dire que nos objectifs ne sont pas timorés. Ils sont au contraire très ambitieux.

Le deuxième point qui me paraît très important, c'est que même si notre objectif nominal, 17 p. 100 en dessous de 2005, représente la même réduction en pourcentage que celui des États-Unis, c'est une toute autre affaire au Canada de l'atteindre. Les États-Unis peuvent probablement atteindre leur cible concernant spécifiquement les GES. Nous en sommes loin.

Le sénateur Banks : Pour que les choses soient claires, de quelle cible parlez-vous?

M. Leach : Je parle de notre cible de 17 p. 100 en dessous des niveaux de 2005 d'ici 2010.

Le président : Avez-vous eu l'occasion, par hasard, de suivre les audiences du comité et notre étude?

M. Leach : Pas en détail.

Le président : Car il importe que vous sachiez que des hauts fonctionnaires et le ministre de l'Environnement du Canada nous ont dit récemment que nous allions atteindre ces objectifs, et ils nous ont montré pourquoi.

Sans vouloir susciter de controverse, les raisons qu'ils nous ont données peuvent ne pas figurer dans votre modèle. Je ne sais pas comment vous mesurez...

M. Leach : Le diagramme que je montre à la deuxième diapositive de mon jeu provient d'une publication de cette année d'Environnement Canada indiquant les tendances des émissions du Canada et les enjeux dans ce domaine. Ce diagramme a été utilisé par le ministre Kent dans les notes pour ses deux premiers discours et il est conforme à la déclaration qu'il a prononcée la semaine dernière au Parlement lorsqu'il a dit que nous avons en place les mesures pour atteindre 25 p. 100 de nos objectifs.

La question est donc de savoir ce que nous allons faire de plus, et d'ailleurs le règlement sur les centrales thermiques au charbon y est déjà intégré, même s'il est encore au stade des audiences. Les objectifs relatifs aux sables bitumineux ne le sont pas, pas plus que les objectifs relatifs au gaz naturel. Aucune politique ultérieure qui n'a pas encore été introduite ou adoptée n'est incluse dans ce diagramme.

Encore une fois, il faut voir que même si l'on croit les provinces sur parole lorsqu'elles disent qu'elles vont tenir leurs engagements respectifs, cela ne suffira pas pour atteindre l'objectif national agrégé. Je pense donc qu'il n'est guère possible à ce stade de prétendre que nous allons y arriver.

J'ai mentionné les États-Unis. Voyons ma troisième diapositive. Je pense que le troisième problème qui se pose à nous est que les pourparlers mondiaux sur les objectifs en matière de changements climatiques placent réellement le Canada en situation défavorable. Cette volonté constante d'établir des cibles repères, plutôt que de récompenser les mesures vigoureuses, nous met dans une impasse selon les normes fixées par Kyoto en 1990.

À l'échelle nationale, nombre de ces facteurs sont perçus comme un obstacle à l'action, en particulier l'idée que l'expansion de l'industrie des sables bitumineux va à l'encontre d'une politique nationale sur les gaz à effet de serre, et surtout une qui voudrait être crédible dans le monde. Je pense au contraire que nous ne sommes pas aussi loin que d'aucuns le disent, et je pense même à quelques solutions, dont je traiterai brièvement.

Voyons les objectifs et la réponse à la question du sénateur Banks, pour étoffer un peu le propos. Si vous regardez ma quatrième diapositive, les objectifs du Canada en matière de GES, si vous amalgamez tous les discours, c'est-à-dire l'engagement actualisé de Copenhague de 17 p. 100 en dessous de 2005 et les 60 à 70 p. 100 en dessous de 2005 d'ici 2050, voilà ce que promet notre gouvernement sans pour autant signer d'accord officiel.

L'objectif de l'Alberta selon ce barème, en théorie en tout cas, est beaucoup plus faible. Il est de 30 p. 100 au dessus du niveau de 2005 d'ici 2020 et de 14 p. 100 en dessous de 2005 d'ici 2050. Je répète, relativement à une ligne repère, ce sont des réductions beaucoup moins grandes.

Comparez cela à l'objectif de l'UE. Vingt pour cent en dessous du niveau de 1990 d'ici 2020 et 80 à 93 p. 100 en dessous de 1990 d'ici 2050 semblent incroyablement ambitieux. Ce sont des coupes très profondes. Les nôtres ne sont pas très profondes. L'UE et ce genre d'objectifs par rapport à 1990 paraissent très exigeants.

Allons deux diapositives plus loin. La perception générale, considérant ces déclarations, est que nos objectifs sont timorés. Passons à la diapositive six. Ce qu'indiquent ces courbes de prix, c'est que si vous vouliez remplir l'objectif de l'UE, l'objectif du Canada ou l'objectif de l'Alberta, quelle sorte de mesure faudrait-il prendre? Tout est exprimé ici par un prix du carbone.

On voit la courbe qu'il faudrait suivre dans un régime de taxe sur le carbone ou de plafonnement-échange, pour atteindre les objectifs du Canada, de l'Alberta et de l'UE respectivement si on éliminait dans notre économie tous les usages du carbone générant une valeur inférieure à 50 $ la tonne.

Je pense que nous avons été dressés à considérer l'UE comme très ambitieuse, le Canada un peu moins et l'Alberta très, très timoré. Si vous passez à la diapositive suivante, vous verrez que c'est exactement le contraire, puisque le prix qu'il faudrait fixer à l'intérieur des frontières de l'Alberta pour atteindre les objectifs de la province grimpe à 200 $ la tonne d'ici 2035.

Ce ne sont pas là mes chiffres, ce sont ceux de David Suzuki. Le prix qu'il faudrait pratiquer pour atteindre l'objectif du Canada, qu'il a qualifié de faible, dépasserait 150 $ la tonne d'ici 2035. Le prix qu'il faudrait pour atteindre l'objectif hyper-agressif de l'UE est de 50 $ la tonne la même année, et ce sont là les chiffres de Point Carbon et de la Deutsche Bank.

Lorsqu'on compare la rigueur, le type de contrôle qu'il faudrait imposer aux entreprises et particuliers canadiens pour atteindre les objectifs, celui de l'UE est deux à trois moins rigoureux que celui du Canada, mais ce message ne passe pas et cela paralyse notre réflexion sur notre approche des gaz à effet de serre.

Je vais sauter à ma diapositive suivante. Là encore, nous revenons à cette notion que les objectifs sont timorés et ne représentent pas un effort suffisant, étant donné l'ampleur des changements climatiques. Je pense qu'en réalité ces deux notions sont fausses.

Je pense vous avoir montré sur le diagramme précédent que, pour remplir les objectifs du Canada et ceux de l'Alberta, il nous faudrait une politique incroyablement plus exigeante comparativement à toute autre suivie dans le monde.

La deuxième question à se poser est de savoir si cela suffirait. Si nous faisons effectivement ce que nous disons vouloir faire et si tout le monde faisait la même chose, cela suffirait-il? Et chez beaucoup la réponse fuse immédiatement : non, non, non. Le monde doit réaliser une réduction d'environ 20 p. 100 par rapport à 1990, un chiffre commode pour l'UE, et si tout le monde faisait cela, nous atteindrions l'objectif de deux degrés centigrades.

Eh bien, je ne pense pas que ce soit vrai et je m'expliquerai à ce sujet quelques diapositives plus loin.

Si je puis passer à ma neuvième diapositive, et là je passe à travers le jeu assez rapidement, car je veux vous donner le temps de poser des questions, les deux choses à retenir sont que, premièrement, les objectifs canadiens sont ambitieux, et deuxièmement et c'est peut-être plus important, que le Canada sera toujours perçu comme rétrograde vu la façon dont l'effort est cadré à l'échelle mondiale.

Nous avons cette situation où, même si nous imposions une taxe sur le carbone de 100 $ la tonne — et n'oubliez pas que la politique du Virage vert prévoyait 15 $ la tonne, pour mettre les choses en perspective —, nous n'atteindrions probablement pas les objectifs d'ici 2020, et que ce sont là des objectifs faibles et modestes qui ne suffisent pas. Quels électeurs seraient prêts à voter pour cela?

La réaction du Canada a été de dire, bien, puisque le système ne fonctionne pas pour nous, nous n'allons pas jouer à l'intérieur de ce système. Je pense que les conséquences à long terme du fait que nous sommes une entrave aux négociations et perçus comme un frein au progrès en matière de changements climatiques pourraient être plus graves que celles de la non-conformité.

Je pense que le Canada doit suivre une approche différente. J'indique dans ma dixième diapositive trois éléments qui me paraissent indispensables. Le premier est un étalon pour mesurer cette rigueur, c'est-à-dire qu'il ne s'agit plus de demander : « Quelles étaient vos émissions en 1990 et de combien les avez-vous réduites », mais de demander plutôt ceci : « Si vous exploitez une raffinerie au Royaume-Uni et que vous réduisez vos émissions de carbone d'une tonne, combien cela met-il dans votre poche, et en quoi ce montant diffère-t-il de celui d'une raffinerie en Inde, en Chine ou à Fort Saskatchewan? » Si nous pouvons établir cet étalon et l'officialiser et l'imposer sur la scène mondiale, ce sera crucial.

Deuxièmement, nous devons nous engager soit à imposer des politiques nationales qui remplissent nos objectifs soit ajuster les objectifs. Je pense que c'est primordial.

Troisièmement, je pense que nous devons pouvoir démontrer qu'avec les politiques que nous sommes prêts à imposer au Canada, si chaque pays de l'OCDE ou du monde faisait de même, nous ne serions pas loin de l'engagement de Copenhague. Encore une fois, cela semble très ambitieux, mais je ne crois pas que ce soit excessif.

Si vous passez à la diapositive suivante, je crois que vous serez surpris. Elle montre un diagramme avec trois prix. La courbe inférieure est tirée des Perspectives énergétiques mondiales, de l'Agence internationale de l'énergie, et c'est le prix qu'elle prescrit pour toute l'OCDE pour l'aider à réaliser son scénario de deux degrés centigrades. C'est la diapositive 11.

La courbe inférieure dans ce diagramme est ce que l'AIE dit que toute l'OCDE devrait imposer pour atteindre la cible de deux degrés centigrades. La ligne suivante est de nouveau ce qu'il faudrait pour atteindre nos objectifs nationaux actuels, c'est-à-dire que si nous imposons un prix qui ne permet pas tout à fait d'atteindre nos objectifs, nous aurions en place une politique tout aussi rigoureuse que celle que le monde devrait suivre pour atteindre la cible de deux degrés Celsius, et personne n'en parle. Je pense qu'il importe de modifier le discours à cet égard.

J'ai promis de changer de braquet et d'aborder les sables bitumineux, et je veux donc faire cela rapidement et je répondrai ensuite à vos questions.

Parlant de la diapositive 12, je pense que nous avons souvent tendance à considérer le péril que présente pour l'industrie des sables bitumineux une politique sur les gaz à effet de serre, et nous ignorons les périls qui résulteraient de l'absence d'une telle politique. Je pense que l'un des grands dangers concernant l'absence de politique nationale sur les gaz à effet de serre et de la non-réalisation de notre objectif de 17 p. 100 en dessous de 2005 prévu par Kyoto est que le blâme sera facile à attribuer.

Le blâme tombe actuellement sur l'industrie des sables bitumineux, alors que nous avons une situation où les émissions de gaz à effet de serre du Canada sont de 750 millions de tonnes et quelques par an, où les sables bitumineux contribuent 30 millions de tonnes seulement et où tout le monde accuse les sables bitumineux. Personne ne veut se regarder dans le miroir.

Il nous faut réaliser que le mode de fonctionnement actuel de l'industrie des sables bitumineux canadienne l'expose au risque d'une politique mondiale sur les gaz à effet de serre; une politique de réduction du carbone à l'échelle mondiale réduirait donc la valeur des sables bitumineux. C'est évident. Il s'agirait d'une politique de contrôle du carbone, et nous avons là un combustible à haute teneur en carbone.

Cependant, le discours mondial sur les gaz à effet de serre privilégie maintenant l'élimination de nouvelles sources, c'est à dire l'élimination des sources en croissance et de ce qui est facile à éliminer, et nous en avons vu les premiers signes avec la Directive relative à la qualité des carburants de l'UE, la décision sur Keystone XL, et cetera. Les sables bitumineux risquent davantage de pâtir de telles mesures que d'une politique mondiale générale.

J'en donne quelques exemples dans les prochaines diapositives. Voici ce que lisent les Canadiens, et vous le savez aussi bien que moi. C'est à cause des sables bitumineux que nous ne remplissons pas nos objectifs. L'Ontario fait toutes sortes de choses merveilleuses, l'Alberta ne fait pas assez parce que les émissions de l'Alberta augmentent alors que celles de l'Ontario baissent.

Dans la bouche de Greenpeace, mais aussi fréquemment ailleurs, arrêter l'exploitation des sables bitumineux est la solution aux problèmes d'émissions de gaz à effet de serre du Canada. À la diapositive 15, d'aucuns disent la même chose, par exemple le scientifique de la NASA James Hansen qui prétend que les sables bitumineux sont à eux seuls les fossoyeurs du climat et que si on les exploite, tout espoir est perdu.

Rien de tout cela n'est vrai, mais les perceptions reproduites ici sont devenues une réalité.

Je fais deux remarques brèves sur la manière d'aborder 2020, diapositive 16. Je pense qu'il nous faut une politique nationale sur les GES qui ne se limite pas aux seuls sables bitumineux, et donc nous devons être en mesure de tenir les débats difficiles sur la rigueur de nos cibles et montrer que nous n'allons pas les atteindre sans nous attaquer aussi à la consommation de combustibles fossiles, et pas seulement leur production.

Nous ne pouvons blâmer quelqu'un d'autre. Nous devons considérer cela comme étant entièrement notre problème et nous dire que c'est à nous de le résoudre.

Je pense qu'il faut déplacer le discours vers les efforts déployés par les autres pays pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, qu'il s'agisse de pays en développement ou de pays développés, sans chercher à diviser le gâteau mondial et inventer des règles d'équité compliquées pour déterminer la part de chacun. Essayons juste de voir qui fait quoi pour réduire les émissions de carbone.

Je pense que l'un des avantages à mes yeux est que les sables bitumineux pourraient même nous fournir un moyen de pression nouveau, puisque si l'exploitation des sables bitumineux peut se faire dans le respect de la politique sur le carbone que nous adopterons, comment une autre industrie ou un autre pays qui les qualifie de pétrole sale pourra-t-il prétendre ne pas pouvoir fonctionner avec la même politique sur le carbone que celle que l'industrie des sables bitumineux peut respecter? Je pense que nous ne réalisons pas qu'il y a là un bon levier que nous pourrions utiliser à très bon escient.

Dans ma dernière diapositive, je dis qu'il nous faut une politique qui privilégie les utilisations à haute valeur des émissions, qui pénalise les utilisations à faible valeur et non pas les utilisations nouvelles et croissantes. Nous avons besoin d'une politique qui récompense les actions précoces et l'innovation et qui met l'accent sur ces signaux de valeur du carbone.

Peu importe où vous êtes, peu importe qui vous êtes, si vous utilisez le carbone pour des usages à faible valeur, il n'y a pas de place pour vous dans le cadre de 607. Désolé, il n'y a pas de place.

Si vous utilisez le carbone pour des usages à haute valeur, absolument, il y a place pour vous, et notre politique devrait favoriser cela. Voilà mon avis sur ce qu'il faudrait faire à l'égard du carbone, et je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.

Le président : Chers collègues, nous avons quelques photographes dans la salle. J'ai besoin de la motion habituelle indiquant que vous êtes tous d'accord pour autoriser cette prise de photos. Est-ce que tout le monde est en faveur? Merci. C'est approuvé.

M. Leach : Je me ferai aussi un plaisir de répondre aux questions en français. Le français n'est pas ma première langue, mais je répondrai avec plaisir aux questions dans cette langue.

[Français]

Le président : Que vous voulez-vous dire par « hautes valeurs »? Qu'est-ce que ça veut dire?

M. Leach : Par exemple, si on examine les sables bitumineux puis on dit que dans les sables bitumineux, on a 0,6 tonne de carbone par baril de pétrole, mais ce baril de pétrole se vend pour 100 $ à peu près aujourd'hui, on compare cela au charbon où on a 1,7 tonne de carbone par mégawatt/heure qui se vend pour peut-être 30 $. On voit que la valeur qui est générée en production des sables bitumineux, c'est beaucoup plus grand que la valeur qui est générée dans la production d'électricité de charbon. On doit se demander quelles utilisations de carbone nous voulons dans notre économie. Pas simplement de dire, on est d'accord avec les anciennes sources cela; les nouvelles sources, on ne les veut pas.

Le président : Avons-nous la traduction simultanée?

[Traduction]

M. Leach : Je répète.

Dans l'exemple que j'ai donné, je disais que la quantité de carbone par unité d'énergie dégagée pour produire et consommer un baril de bitume est au maximum d'environ 0,6 tonne par baril de pétrole, et la part de ce pétrole que nous vendons rapporte environ 100 $ le baril. Tout dépend du produit commercialisé.

Comparez cela à 1,7 tonne par mégawatt d'énergie produite par le charbon, et ce mégawatt heure de charbon se vend 30 $ à 40 $, si bien qu'on on a plus de carbone et une valeur moindre, et sans doute une marge de profit plus mince sur le produit ultime.

Lorsqu'on se demande lequel des deux il faudrait éliminer de notre économie, le discours actuel veut que nous visions un certain budget et que donc il ne faut pas de nouvelles sources. Il faudrait éliminer les sources nouvelles et stopper la croissance de toutes les sources anciennes. Il n'est pas question d'éliminer ces dernières.

Je pense qu'il nous faut tenir le débat suivant : si nous avons ce budget carbone, comment pouvons-nous l'utiliser de manière à générer le plus de valeur pour les Canadiens, au lieu de préserver les activités actuelles.

Le président : Félicitations pour votre français.

[Français]

Le sénateur Mitchell : Merci beaucoup, monsieur le président. J'apprécie beaucoup votre présentation en français. C'est très important que nous ayons des personnes de l'Alberta dans le débat national en français, dans les deux langues.

[Traduction]

Il est intéressant à mes yeux que vous ayez dit que ma génération a un peu de mal à s'attaquer activement à toute cette problématique, et qu'un changement fondamental peut intervenir, comme cela est souvent arrivé dans le passé lorsqu'une nouvelle génération a porté un regard différent sur le monde.

Vous avez traité de cette question avec beaucoup de vigueur et d'élan, pas toujours en des termes que nous n'avions pas déjà entendus, mais avec beaucoup de force.

Il m'apparaît que vous faites partie de la génération qui va probablement saisir ce taureau par les cornes et que nous avons intérêt à vous écouter très attentivement, et c'est ce que j'ai fait pour ma part.

J'ai été très intéressé par votre remarque, qui est d'ailleurs assez brillante, lorsque vous avez dit que le discours mondial sur les gaz à effet de serre tend à se concentrer sur l'élimination des sources nouvelles, et non sur les mesures les plus efficientes. C'est une bien plus grande menace pour nos richesses naturelles que l'inaction. Ne rien faire est plus dangereux que continuer ce que nous faisons.

M. Leach : Absolument, et l'exemple que je pourrais vous donner est celui des déclarations de James Hansen sur les sables bitumineux, lorsqu'il dit qu'une des façons d'atteindre les objectifs mondiaux relatifs aux gaz à effet de serre est de ne pas toucher aux sables bitumineux, et nous avons tous entendu ce discours.

Je pense que, si l'on regarde au nord d'ici, selon la valeur que vous attribuez aux réserves dans le sol, vous voyez une valeur qui — je vais être prudent puisqu'il s'agit d'une ressource de la Couronne albertaine — vaut probablement entre 500 000 $ et 1 million de dollars pour chaque homme, femme et enfant de l'Alberta en équivalent de pétrole, et l'on nous dit de ne pas y toucher parce que c'est une source de carbone nouvelle. Ce n'est pas parce que cette ressource est de faible valeur, ni rien du genre, simplement parce qu'elle est nouvelle.

Nous utilisons le pétrole de l'Arabie saoudite. Nous utilisons le charbon pour produire de l'électricité. Nous le faisons depuis toujours, alors nous allons continuer de le faire, nous le savons, mais il est facile de mettre l'industrie des sables bitumineux à genoux, pour ainsi dire, alors c'est ce que nos allons faire.

C'est un peu le discours tenu par l'UE. Il était facile d'imposer une directive sur la qualité des carburants qui pénalise les sables bitumineux. Il aurait été beaucoup plus difficile pour elle de décréter que leurs importations de pétrole devront remplir certaines exigences déclaratoires pour que l'on puisse déterminer leur empreinte carbone et que tout le monde sera traité sur un pied d'égalité.

Il est facile pour la Californie de dire non aux sables bitumineux parce qu'elle n'importe pas actuellement de pétrole de cette provenance. Nous voyons beaucoup de réactions d'exclusion des sources nouvelles.

Il est beaucoup plus ardu pour les gouvernements de prendre les décisions difficiles qui pourraient entraîner des pertes d'emplois dans un certain secteur, de diriger notre économie vers des utilisations à haute valeur du carbone, au détriment de certaines choses que nous faisons actuellement et qui constituent des usages de faible valeur du carbone.

Ce sont là des choses difficiles à dire, comme beaucoup d'entre vous s'en doutent bien. Cependant, en évitant ces choix difficiles, je pense que l'Alberta devient une proie facile, ou les sables bitumineux deviennent une proie facile, et cela fait beaucoup de richesses qui pourraient rester piégées dans le sol du nord de l'Alberta.

Le sénateur Mitchell : Je ne veux pas vous faire dire ce que vous n'avez pas dit, mais il est clair que vous pensez qu'il faut tarifer le carbone. Je demande à presque tous ceux qui comparaissent ici s'il faut fixer un prix du carbone et par quel moyen, et ils disent oui. Étonnamment, même l'industrie dit souvent qu'il faut une taxe sur le carbone.

Êtes-vous d'accord? Pouvez-vous comparer cela à une solution par voie de règlement, qui représente probablement la manière la plus coûteuse?

M. Leach : Oui, je pense que l'étalon économique standard veut que le moyen le plus facile d'attribuer cette valeur ou d'imposer aux entreprises ces arbitrages est de faire payer pour le carbone, ce qui peut aussi prendre la forme d'un régime de plafonnement-échange.

Personnellement, je préconise ce que j'appellerais un régime de taxation et remise, qui est un peu un hybride entre une taxe sur le carbone et un régime de plafonnement-échange consistant à établir un chiffre de référence, disons de tonnes par baril de pétrole, et si vous dépassez cette ligne de référence, vous payez une redevance. Si vous êtes en dessous, vous touchez une ristourne.

Cela fonctionnerait un peu comme un régime de plafonnement-échange : si vous êtes au dessus de la ligne de référence, vous achetez des permis; si vous êtes en dessous, vous vendez des permis, mais vous le feriez à prix fixe, ce qui donne une certitude à l'industrie.

L'inconvénient, à certains égards, d'une taxe sur le carbone est que vous la percevez sur des émissions qui ne vont pas être réduites, et donc si vous faites peser une taxe de 50 $ à 100 $ la tonne de carbone sur l'économie, il y aura quelque 600 millions de tonnes d'émissions annuelles qui ne vont pas être réduites aux termes de cette politique et qui vont être frappées de cette taxe. C'est un gros coût moyen et beaucoup d'argent à dépenser, et les deux deviennent des ballons politiques.

L'avantage d'un régime de type plafonnement-échange ou redevance-remise est qu'il abaisse le coût moyen tout en continuant d'encourager l'innovation. Il y a quelques changements marginaux, mais l'encouragement demeure.

Pour répondre à votre question : oui, la façon absolument la plus facile est de mettre un prix sur le carbone. Toutefois, je vous dirais que ce n'est pas la seule façon, et donc que l'on utilise le moyen d'un prix ou une réglementation, il faut néanmoins avoir ce débat sur l'envoi de ce signal de valeur ou imposer cet arbitrage, pour dire que l'État va vous obliger d'une manière ou d'une autre à faire toutes ces choses qui vous coûtent 100 $ la tonne ou moins, faute de quoi nous ne remplirons pas nos objectifs.

Le sénateur Mitchell : Je trouve cela très intéressant. L'argument souvent employé, et d'ailleurs il l'est probablement en ce moment-même en préparation de la réunion de Durban, est que le Canada ne peut pas faire cela. Il ne servirait à rien dans un pays comme le Canada de prendre des mesures conséquentes tant que l'Inde et la Chine n'en font pas autant, le corollaire étant que si nous commençons à taxer nos émissions de carbone nous ne serons plus compétitifs et nous perdrons tous nos emplois. Cet argument ne tient pas compte du fait que l'inaction risque de nous faire perdre encore plus d'emplois parce que les changements climatiques pourraient avoir des conséquences infinies à cet égard.

Comment contrer cette inertie qui fait dire que nous ne pouvons rien faire tant que les autres ne font rien de leur côté? Y a-t-il un moyen pour le Canada de commencer à agir, de donner l'exemple et de prendre la tête du mouvement dans le monde?

M. Leach : Oui. Le premier point que j'ai souligné est cette définition d'une mesure de l'effort. L'Europe a très bien su établir les réductions relativement à 1990 comme moyen de mesurer l'effort à l'échelle mondiale. Tout le monde s'y est mis.

Je pense qu'il y a un certain vide actuellement, et nous assistons peut-être à la quête d'un accord à Durban. Je pense que le Canada pourrait jouer un rôle en proposant une définition différente, mais, pour être crédible, il devra se montrer prêt à imposer cette politique, prêt à évaluer sa performance au moyen de cette mesure et, dernier élément, montrer que si tout le monde faisait de même, voici comment on pourrait l'appliquer dans les pays en développement, comment on pourrait l'appliquer à l'OCDE, et alors nous atteindrions les deux degrés Celsius.

C'est ce qu'offre l'Europe. Les Européens ne disent pas seulement que 1990 est bon pour nous et par conséquent nous allons mesurer par rapport à 1990. Ils font valoir que, premièrement, c'est facile à mesurer, deuxièmement, si tout le monde faisait ce que nous leur demandons de faire et si tout le monde faisait comme nous, nous atteindrions cet objectif de deux degrés. Notre message à nous doit contenir les mêmes propositions concrètes.

Le sénateur Mitchell : Et cela ne nous mène pas à la faillite. Nous pourrions même y trouver avantage à biens des égards et donner l'exemple au monde.

M. Leach : Oui.

Le sénateur Mitchell : Imaginez donc.

M. Leach : Le facteur compétitivité est certes un souci. Si nous agissons unilatéralement, nous exposons à risque les secteurs qui exportent.

À l'heure actuelle, le Canada est certainement perçu comme un retardataire, et donc ce que je ferais, je répète, c'est mettre cela à profit. Je dirais : voici l'effort que nous sommes prêts à déployer. Nous allons utiliser le même étalon que l'UE, et si l'UE est prête à prendre la tête du mouvement et fait en sorte d'augmenter le prix, nous allons suivre et nous verrons bien si les États-Unis nous rejoindront.

Oui, nous prenons le risque d'une exposition à des prix différents du carbone aux États-Unis, mais ce risque est réellement assez faible si l'on songe aux différences entre les régimes fiscaux, les différences entre les prix des terrains, les différences entre les frais de main-d'œuvre, tous ces facteurs qui diffèrent entre les deux côtés des frontières nationales. Il faudrait un prix du carbone très, très élevé pour que ce facteur s'approche de ces autres différences.

Nous ne voyons pas toute l'industrie aller se réfugier au Wyoming aujourd'hui, et je n'imagine pas que toute l'industrie fuirait massivement le Canada. Il y aurait quelques changements à la marge, sans doute, mais c'est là le débat qu'il nous faut tenir.

Le sénateur Banks : Je note, professeur, que vous êtes économiste et moi pas, ce que démontre l'état de mes finances personnelles et ma question suivante.

Je regarde les diagrammes des diapositives 6 et 7, et ils parlent de coût, ce que nous devons faire pour accroître le coût, majorer le prix de référence.

Selon cette mesure, nos efforts sont ambitieux du point de vue du coût que nous devrions payer pour remplir ces objectifs, mais pas du point de vue des réductions réelles obtenues. Ai-je bien saisi?

M. Leach : Oui.

Le sénateur Banks : Je pose la question parce que l'une des raisons pour lesquelles les chiffres européens ne sont pas obligés d'augmenter dans la même proportion que les nôtres est que les prix de l'énergie y sont déjà sensiblement plus élevés que chez nous. Ai-je bien saisi?

M. Leach : Les cibles de l'UE sont faibles pour plusieurs raisons. Premièrement, la consommation d'énergie per capita y est plus réduite parce que, traditionnellement, l'énergie y coûte plus cher, et qu'elle a une plus forte densité de population; tous ces différents facteurs jouent.

Le sénateur Banks : Le prix de l'énergie y a donné lieu à une consommation plus faible.

M. Leach : Oui, au fil du temps. Avant 1990 et depuis 1990, absolument.

La deuxième raison, et probablement la plus importante, est que les émissions de gaz à effet de serre, si l'on y réfléchit, sont déterminées réellement par quatre facteurs : la population; le PIB per capita, c'est-à-dire ce que possèdent les gens, si vous voulez; l'énergie employée pour produire ce que les gens consomment; et enfin, le volume des émissions produites par cette énergie.

En ce qui la concerne, l'Europe a une population stable, voire même en recul dans certains cas. Elle a une croissance économique relativement lente comparativement à celle du Canada. Son approvisionnement énergétique, historiquement, en tout cas à partir de 1990, est beaucoup plus producteur d'émissions que le Canada parce qu'elle n'a pas le même niveau de déploiement hydroélectrique que nous, et donc l'intensité d'émissions a baissé, mais reste encore loin de notre pourcentage.

Enfin, bien sûr, elle est passée à une économie à moindre intensité d'énergie, et donc elle a enregistré toutes ces réductions qui étaient plus faciles à opérer pour elle que ce ne le serait pour nous.

Avec ces diagrammes je disais réellement que ses objectifs sont plus faciles à atteindre, compte tenu de tous les facteurs, et vous avez mis exactement le doigt dessus.

Le sénateur Banks : Je voulais juste m'assurer que ces diagrammes ne traduisent pas des réductions relatives des GES.

M. Leach : Non.

Le sénateur Banks : Ils illustrent le coût relatif de la réalisation des objectifs annoncés.

M. Leach : Juste. C'est tout à fait exact.

Le sénateur Brown : Je trouve la politique que vous proposez très intrigante, c'est certain, mais j'aimerais rappeler un peu la réalité des choses.

On nous a dit, il me semble, que nous émettons 1,53 p. 100 des GES. Je ne sais pas comment c'est passé à 2 p. 100, mais c'est ce que tout le monde dit aujourd'hui. Les sables bitumineux représentent un dixième de cela, ce qui équivaut à 15 centièmes selon mes calculs.

Le Canada, comme vous l'avez indiqué dans votre exposé, n'a pas apposé sa signature sous des objectifs précis, mais il a épousé une rhétorique. En d'autres termes, il n'a pas apposé sa signature pour l'accord de Kyoto ni l'accord de Copenhague.

L'Europe, actuellement, a des engagements de réduction et a déployé beaucoup d'efforts pour réduire les GES, mais si l'on en croit les grands titres, l'Europe est actuellement au bord de la faillite. Deux ou trois pays sont très proches de sombrer carrément et d'autres ont besoin d'une assistance conséquente. La chancelière allemande Merkel, la semaine dernière encore, a affirmé qu'elle ne donnerait rien de plus pour soutenir l'euro.

En Ontario, la semaine dernière, les grands titres clamaient que, d'ici 2020, les dépenses de santé consommeraient 100 p. 100 du budget de l'Ontario. C'est ce que disait le journal.

Je sais que les journaux exagèrent, qu'il y a des exagérations dans les profils, dans les discours. Cependant, je pense que nous allons très vite être confrontés à la réalité pour ce qui est des sommes que nous pouvons consacrer au carbone.

Je trouve irréelles les projections faites actuellement. Premièrement, les sables bitumineux représentent 1 p. 100 des émissions de GES, nonobstant ce que prétend le journal ontarien.

Je ne crois pas que la totalité du budget ontarien va être accaparée dans 10 ans. Quelqu'un va devoir mettre un frein.

Tout en convenant qu'il nous faut réduire la pollution chez nous, et dans quasiment tous les autres pays, je pense que nous nous engageons dans une voie qui va devenir très vite impassable.

M. Leach : Plusieurs remarques, d'abord, en guise d'éclaircissement. Le Canada a signé et ratifié Kyoto. Il n'en a pas rempli les objectifs, mais il a signé et ratifié Kyoto.

Le sénateur Brown : Pas ce gouvernement.

M. Leach : Oui, le gouvernement. Cela a été adopté à...

Le sénateur Brown : Pas ce gouvernement.

M. Leach : Pas ce gouvernement, mais le gouvernement canadien a signé et ratifié Kyoto et peut s'en retirer, et il a été question cette semaine dans la presse des circonstances dans lesquelles l'annonce pourrait en être faite.

Deuxièmement, à Copenhague nous avons signé l'objectif de 20 p. 100 en dessous de 2005, puis ramené notre cible à 17 p. 100 en dessous de 2005, et cela était le fait du gouvernement Harper.

Le gouvernement conservateur actuel s'est engagé à remplir cet objectif dans un accord international, et non pas un traité contraignant, et il ne faut donc pas le perdre de vue.

Le sénateur Brown : Dites-vous que nous n'avons pas de traité contraignant?

M. Leach : Nous n'avons absolument pas signé de traité contraignant, et donc la question qu'il faut se poser — et vous posez précisément la bonne question — est de savoir combien nous devrions consacrer à la réduction des émissions de carbone.

Je ne crois pas avoir jamais prétendu que nos efforts de réduction des émissions de carbone auraient un effet sensible sur les émissions de gaz à effet de serre du monde. Vous ne verrez rien de tel dans mon exposé.

Mon exposé traitait de la politique qu'il nous faut concevoir pour ne pas nous exposer à des sanctions dans le cadre du programme d'action global relatif aux gaz à effet de serre, ce qui nous pend au nez à l'heure actuelle.

Je pense que tout indique qu'en période de crise, les économies deviennent plus protectionnistes. Elles sont moins prêtes à engager des dépenses nationales, ce que vous avez souligné, et elles sont davantage désireuses de faire porter le blâme sur quelqu'un d'autre afin de pouvoir profiter de l'inaction de quelqu'un d'autre pour faire rentrer de l'argent dans leurs caisses et s'extirper de leurs propres difficultés.

Actuellement, vu notre approche des gaz à effet de serre, on peut considérer que nous nous sommes vraiment exposés à nombre de ces possibilités, et nous l'avons vu aux États-Unis avec le projet de loi Waxman-Markey dont une première version avait été adoptée à la Chambre des représentants contenant ce que l'on appelait un ajustement fiscal à la frontière pour le carbone, et je vais vous expliquer un point important à ce sujet.

Selon le régime de redevances de l'Alberta, un droit environnemental payé en exécution d'une obligation légale est déductible des redevances. Il est également déductible d'impôt, si bien que 60 à 70 p. 100 du coût de toute taxe carbone imposée à la production pétrolière albertaine par un pays importateur de notre pétrole ne serait pas au frais des compagnies, mais des pouvoirs publics qui toucheraient moins de redevances et d'impôts. Je pense qu'il nous faut comprendre ces risques et surtout ne pas nous mettre en faillite.

Nous voudrons peut-être revoir nos cibles. Nous voudrons peut-être nous demander ce que nous sommes prêts à faire, mais surtout, notre politique doit correspondre à notre message. Si nous allons nous engager sur la scène internationale pour 17 p. 100 en dessous de 2005, je pense qu'il nous faut avoir des politiques à l'appui de cette promesse.

Si nous ne sommes prêts à ne mener que des politiques de 5 $ la tonne ou zéro dollars la tonne, alors avouons ouvertement que notre politique est de ne rien faire.

Je pense que si votre message va dans un sens et votre action dans un autre, vous vous exposez dans ce type de contexte mondial à un risque beaucoup plus grand que ce coûteraient des mesures d'action réelles.

Le sénateur Brown : Ne pensez-vous pas qu'il est un peu excessif de blâmer le Canada? Si j'acceptais jusqu'à 2 p. 100, alors que le chiffre réel n'est que de 1,53 p. 100 des GES du monde, en quoi serait-ce moi le coupable?

M. Leach : Je suis absolument convaincu que le Canada n'est pas à blâmer, et cela ressort de tout mon exposé. L'une des raisons pour lesquelles le Canada se retrouve en position d'accusé est que, lorsqu'il y a des décisions difficiles à prendre, qu'elles portent sur le budget ou, en l'occurrence, sur l'environnement, la réaction instinctive est de reporter le blâme sur quelqu'un d'autre, d'essayer d'imposer les coûts à quelqu'un d'autre, et je crois que nous avons tous vu les images de visites dans les mines de sables bitumineux.

Il est très facile de placarder sur un panneau d'affichage la photo d'une mine de sables bitumineux à ciel ouvert et dire que vous militez pour la réduction des émissions de carbone et contre les changements climatiques, mais voyez ce que fait le Canada, pensez-vous que c'est mal? Et la plupart des gens diront oui.

Il faut regarder ce problème en face. Si vous pouvez répliquer que cette installation du nord de l'Alberta produit exactement les mêmes émissions de carbone qu'une raffinerie au Royaume-Uni — l'atmosphère ne fait pas de discrimination, notre politique ne fait pas de discrimination, donc tout va bien.

Le sénateur Brown : Je suis d'accord avec vous, sauf que je ne crois pas que l'on puisse nous désigner comme coupable à cause de nos 2 ou 1,5 p. 100 de GES. Il faut un programme pour expliquer la réalité et ne pas juste laisser les gens s'en prendre à nous.

M. Leach : C'est absolument vrai, mais je vous réponds, et je le rappelle encore, que le cadre international tel qu'il a été établi désavantage le Canada. Ce n'est pas un mystère.

À l'heure actuelle, nous avons le choix entre deux options. La première consiste à dire que c'est injuste, que nous ne représentons que 2 p. 100 et cetera. La deuxième est d'offrir une autre formule, qui marcherait bien pour des pays comme le Canada, l'Australie et les États-Unis, et qui marcherait beaucoup mieux pour la Chine et l'Inde que la formule actuelle. Nous pourrions ainsi rallier à nous d'autres pays qui ont des intérêts similaires et façonner le débat de cette manière.

Le sénateur Brown : Je vous remercie de vos réponses. Je suis en désaccord avec vous. Je pense que c'est un problème de relations publiques, et non un problème de fond.

M. Leach : C'est votre droit.

Le sénateur Massicotte : Vous semblez invoquer l'argument que nous représentons moins de 2 p. 100, et que donc l'accusation est injuste et ne tient pas debout. Mais je vous le demande, est-ce qu'on ne pourrait pas faire valoir de la même façon que, si l'on considère les États américains un par un, aucun d'eux ne dépasse 2 p. 100? Aucune province de Chine ne dépasse 2 p. 100.

Tout dépend de votre définition de la région géographique. La Chine a un vaste territoire et compte 1,5 milliard d'habitants. C'est là où réside le problème. En quoi le pourcentage importe-t-il? Personne au monde ne dépasse 2 p. 100.

M. Leach : Absolument.

Le sénateur Massicotte : Cela fait-il disparaître le problème?

M. Leach : Permettez-moi de bien préciser ce que je réponds à cela. Ma réponse n'est pas de dire que nous ne devrions rien faire, puisque nous ne représentons que 2 p. 100. Ma position est que, normalement, à l'égard de toute politique, il s'agit de voir quels en sont les coûts et les avantages, et nous ne devrions donc pas seulement regarder les coûts que notre politique nous impose à l'échelle nationale, mais prendre en compte aussi les avantages qu'il y aurait si tout le monde faisait la même chose que nous.

C'est là le problème, voyez-vous. Les gens disent que si le Canada faisait telle chose, on pourrait régler le problème des changements climatiques, mais ce sont là deux postulats très différents, et je les rejette précisément pour les raisons que vous avez indiquées.

Tout le monde peut présenter une partie de son pays, de son territoire, de sa région, de son industrie, tout ce que vous voudrez, comme ne constituant qu'une toute petite partie d'un problème.

L'enjeu des changements climatiques ou de la pollution générale est que c'est un problème de bien public ou un problème de mal public, en quelque sorte, et donc par définition il faut une action collective et tout individu sera toujours porté à ne pas contribuer, à ne pas mettre son obole dans le chapeau pensant que tous les autres vont le faire.

Quand tout le monde dit : « Eh bien, je ne représente que 2 p. 100 du problème ou seulement 5 p. 100 du problème », ou ce que vous voudrez, alors personne ne fait rien.

Je pense que la clé est de savoir comment le Canada peut offrir quelque chose qui soit susceptible de rallier un consensus similaire à celui que l'UE obtient, voire même plus large, tout en établissant à la fois quelques règles du jeu reflétant mieux notre effort.

Le président : Chers collègues, je vais devoir lever la séance. Peut-être pourrez-vous parler avec le sénateur McCoy hors ligne.

Trois d'entre nous devons rencontrer l'Edmonton Journal, et nous reprenons à 12 h 30 avec un autre témoin et nous sommes donc très pressés par le temps.

Merci infiniment, monsieur. Vous avez certainement choisi un sujet très présent dans l'actualité ces temps-ci, et très intéressant pour nous.

Pour ce qui est de la tarification du carbone, j'aimerais en entendre un peu plus sur votre formule intermédiaire entre un mécanisme de plafonnement-échange et une taxe sur le carbone. Vous pourriez peut-être m'envoyer un courriel à ce sujet.

M. Leach : Avec plaisir.

Le président : Merci beaucoup.

(La séance est levée.)


Haut de page