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ENEV - Comité permanent

Énergie, environnement et ressources naturelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles

Fascicule 11 - Témoignages (séance du matin)


CALGARY, le jeudi 1er décembre 2011

Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd'hui, à 8 h 17, afin d'examiner l'état actuel et futur du secteur de l'énergie du Canada (y compris les énergies de remplacement).

Le sénateur W. David Angus (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Je souhaite le bonjour à mes distingués collègues et invités et à toutes les personnes qui suivent les présentes délibérations sur les médias sociaux et traditionnels. La présente séance du Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles est spéciale puisqu'elle s'inscrit dans le dialogue que nous avons amorcé avec les Canadiens d'un océan à l'autre au sujet du secteur de l'énergie. Ce dialogue vise à sensibiliser davantage les Canadiens à l'importance de ce secteur pour notre avenir collectif, compte tenu des nombreuses forces externes qui entrent en jeu, notamment l'explosion démographique qui pourrait porter la population mondiale à plus de 9 milliards d'habitants d'ici 2050.

Le besoin croissant d'énergie dans les pays en développement ne disparaîtra certainement pas. Par ailleurs, ici au Canada, nous sommes les plus grands consommateurs d'énergie par habitant sur la planète. Ainsi, depuis plus de deux ans et demi, le comité étudie le secteur énergétique canadien dans le but d'établir s'il est nécessaire, comme nous le croyons, d'élaborer un cadre stratégique pour aider le Canada à répondre aux besoins énergétiques de l'avenir et à se doter d'un système plus durable, plus écologique et plus efficient, compte tenu du fait qu'il a le privilège de posséder d'abondantes ressources énergétiques. Les Canadiens ont tendance à tenir cela pour acquis depuis longtemps. Le temps est venu de faire le point et de chercher à comprendre, par exemple, pourquoi les lumières s'allument lorsqu'on appuie sur l'interrupteur.

Nous avons le privilège ce matin de recevoir deux véritables chefs de file dans le secteur de l'énergie au Canada : Hal Kvisle, ancien président-directeur général de TransCanada; et Harrie Vredenburg, de la chaire Suncor Energy en stratégie concurrentielle et développement durable de l'Université de Calgary.

J'aimerais dire quelques mots au sujet de M. Kvisle. Il a déjà comparu devant le comité. Il y a quelques années, le sénateur Banks, d'autres collègues et moi-même avons tenu des audiences dans ce même hôtel, si je ne m'abuse, en tout cas nous étions de passage à Calgary avant de nous rendre aux laboratoires de CANMET, à Edmonton et ensuite à Fort McMurray. M. Kvisle nous avait alors fait part de son point de vue qui, je dois le dire, s'est révélé assez prophétique et a été un des éléments déclencheurs de la présente étude.

Un peu plus tard, j'ai rencontré M. Kvisle à Copenhague, à l'occasion de la 15e Conférence sur les changements climatiques, qui a connu plusieurs ratés. Nous étions tous les deux atterrés de voir ce qui se passait — 35 00 personnes s'étaient déplacées alors que les organisateurs en attendaient 12 000; il y a eu des tempêtes et les systèmes de communication ne fonctionnaient pas. Nous avons donc trouvé difficile d'établir des contacts avec les intervenants et nous nous sommes installés au centre-ville de Copenhague.

À l'époque, comme j'avais entendu parler des merveilles de l'énergie nucléaire et j'avais un parti pris favorable. Monsieur Kvisle, nous avons amorcé l'étude par une visite des installations de Bruce. Nous sommes ensuite allés aux centrales de Darlington et de Chalk River, ce qui a en quelque sorte satisfait notre curiosité. Cela se passait avant la catastrophe survenue au Japon. Nous avons été vraiment impressionnés, non seulement par la haute direction des centrales de Bruce et de Darlington et par le fait qu'un important pourcentage de l'électricité produite en Ontario était d'origine nucléaire.

Le sénateur Banks et moi sommes allés en France où nous avons constaté que 93 p. 100 de l'énergie était d'origine nucléaire et que cela ne suscitait pas de craintes. Par conséquent, nous maintenons que l'énergie nucléaire peut être un des éléments clés d'une stratégie énergétique de l'avenir.

Il serait peut-être utile de nous présenter brièvement. À titre de membres du Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles, nous croyons bien sûr que l'environnement, l'énergie et l'économie sont trois grandes priorités intrinsèquement liées.

Je suis sénateur. Je me suis présenté hier comme étant le petit sénateur dodu du Québec qui est devenu écologiste et j'ai expliqué comment mon point de vue avait évolué à cet égard.

Je m'appelle David Angus. Je viens du Québec et je suis président du comité. Voici le sénateur Grant Mitchell, une personnalité bien connue en Alberta. Le sénateur Mitchell assume avec compétence les fonctions de vice-président du comité.

À sa droite sont assis deux employés de la Bibliothèque du Parlement, en l'occurrence Marc LeBlanc et Sam Banks, qui nous aident à consigner les points de vue judicieux que nous recueillons lors nos déplacements. Il y a ensuite un autre M. Banks, plus précisément le sénateur Tommy Banks, de l'Alberta, qui a été mon prédécesseur à la présidence, et le sénateur Nick Sibbeston, des Territoires du Nord-Ouest, qui veille à ce que les représentants des Premières Nations, comme Shawn Atleo, demeurent honnêtes dans leur témoignage et ne perdent pas l'objectif de vue.

Voici, à ma droite, la greffière, Lynn Gordon, et le sénateur Richard Neufeld qui, comme vous le savez probablement, a été le ministre responsable du portefeuille de l'énergie en Colombie-Britannique et qui a vraiment fait preuve d'énormément de vision en ce qui concerne l'avenir du secteur énergétique. Si on cherche un exemple au Canada, la Colombie-Britannique est un bon endroit par où commencer. Le gouvernement britanno-colombien a réussi à mettre en place dans les entreprises des mesures durables qui ont une incidence directe sur les résultats financiers. Les gens se rendent maintenant compte que ce genre de mesures n'entraîne pas d'énormes coûts additionnels.

Paul Massicotte est un excellent sénateur; il est originaire du Manitoba mais il est maintenant devenu un bon Québécois. En dernier lieu, mais non de moindre importance, voici Bert Brown, le seul sénateur élu qui vient d'ici même, Calgary.

Voilà pour les présentations. J'ai de longues biographies de chacun d'entre vous, mais je pense vraiment que ni l'un ni l'autre n'a besoin de longues présentations. Quoi qu'il en soit, cette information biographique se trouve dans la documentation qui vous a été fournie.

Monsieur Kvisle, vous êtes retraité. Quand on entend parler de la société TransCanada, on songe à vous. Les médias parlent du projet Keystone. Le Canada s'est doté de centrales nucléaires. Quand nous nous sommes tournés vers l'énergie nucléaire, nous croyions que TransCanada s'était plus ou moins retirée de la bataille des offres pour Énergie atomique du Canada limitée, ou EACL, ce qui laissait la voie libre à une entreprise de Montréal.

Nous savons que vous possédez tous deux de vastes connaissances. J'imagine que vous avez été mis au parfum par notre collègue, madame le sénateur Elaine McCoy qui se joindra à nous sous peu pour la journée et la soirée.

Je vous cède maintenant la parole. Lequel de vous deux commencera?

Harrie Vredenburg, chaire Suncor Energy en stratégie concurrentielle et développement durable, Université de Calgary, à titre personnel : D'entrée de jeu, je donne un aperçu de la situation mondiale; M. Kvisle prendra le relais.

Vous avez mentionné certains éléments que je souhaite aborder. Nous commencerons par cela. Dans mon introduction, je parlerai des trois choses suivantes : premièrement, la demande énergétique mondiale, que je vais examiner de plus près, notamment son évolution; deuxièmement, les questions liées à l'approvisionnement; et, troisièmement, les questions de politiques, particulièrement en ce qui concerne les émissions de gaz à effet de serre et la situation du Canada à cet égard. Voilà par quoi nous allons commencer. Vous pourriez peut-être ouvrir le dossier qui vous a été remis.

Parlons tout d'abord de la croissance de la population, un élément dont le sénateur Angus a fait mention. Je suis né dans les années 1950; à cette époque, la planète comptait environ trois milliards d'habitants. Il y a environ un mois, nous avons passé le cap des sept milliards. Si on va à la page suivante, on voit que la tendance se maintiendra, mais certains croient que la croissance peut atteindre un plateau si la richesse augmente dans les pays en émergence. Les Nations Unies ont présenté divers scénarios, mais même d'après le scénario qui prévoit la croissance la plus faible, la population mondiale devrait atteindre huit milliards d'habitants.

La croissance de la population et la consommation d'énergie sont déjà très étroitement liées. Sur la prochaine diapositive, il est possible de voir d'où vient la demande; je précise qu'il s'agit d'un tableau simplifié. La croissance est nulle dans les pays industrialisés. La plus grande partie de la demande d'énergie vient des économies émergentes.

La prochaine diapositive présente une carte du monde et je crois qu'elle est assez révélatrice parce qu'elle ne donne pas de l'information uniquement sur la croissance de la population. On voit que finalement, au début du XXIe siècle, la planète assiste en quelque sorte au développement du tiers monde ou des pays pauvres. Ce développement est en grande partie à l'origine de la demande d'énergie sur la scène mondiale. Si on jette un coup d'œil à cette carte, on voit que, le Canada, un pays de 30 millions d'habitants environ, a enregistré une croissance du PIB par habitant au cours des dix dernières années. Le PIB par habitant reflète le niveau de richesse de la population, mais ce n'est pas une mesure parfaite. Nous avons un taux de croissance de 2 p. 100 alors que l'Europe de l'Ouest, soit la zone euro, affiche un taux de croissance de 1 p. 100. Or, si on jette un coup d'œil à la situation de la Chine, dont on entend beaucoup parler, on constate que le taux de croissance des dix dernières années est de 10,6 p. 100 pour une population de base de 1,34 milliard d'habitants. Quant à l'Inde, dont il est également beaucoup question dans les médias, elle affiche une croissance de 8 p. 100 du PIB par habitant pour une population de base de 1,23 milliard d'habitants alors que le Canada n'en compte que 30 millions. On note dans ces pays une augmentation de la richesse et une croissance de la classe moyenne. Même l'Afrique subsaharienne affiche une croissance de près de 6 p. 100 pour une population de base de 800 millions d'habitants.

La croissance actuelle de la demande d'énergie est une autre conséquence de la croissance de la population et de l'augmentation de la richesse dans ces coins du monde. Si on regarde le prochain tableau, on constate que bon nombre de ces pays aspirent au mode de vie occidental et que, s'ils ont encore du chemin à parcourir pour ce qui est de la croissance du PIB par habitant, c'est l'objectif qu'ils visent. Voilà la situation mondiale. En conclusion, on note une hausse de la demande d'énergie partout dans le monde, mais cette hausse est surtout attribuable à l'Asie et aux pays en développement ou aux économies émergentes. Voilà l'origine de la croissance de la demande.

Pour ce qui est de l'approvisionnement, tout le monde a entendu parler du pic pétrolier. Voici quelques tableaux tirés de l'exposé que M. King Hubbert a présenté en 1956 et dans lequel il disait que les États-Unis atteindraient leur pic pétrolier au début des années 1970. Ce géophysicien avait vu passablement juste, même s'il faudrait peut-être revenir là-dessus maintenant, ce dont je parlerai dans un moment.

M. Hubbert avait également prédit que la production mondiale de pétrole atteindrait son maximum au début des années 2000. De nombreux analystes se demandent si c'est ce qui se produit actuellement. Les médias présentent cette hypothèse comme étant farfelue mais, en réalité, à la fin des années 1990, de nombreuses études publiées dans des revues scientifiques de renom, comme Nature, Science et Scientific American, soutenaient qu'on était peut-être en train d'arriver au pic pétrolier.

Qu'est-ce que cela signifie exactement? Essentiellement, cela signifie que ce qui se passe au puits se répercute au niveau du bassin ainsi qu'au niveau plus vaste de toute une région, par exemple les 48 États du Sud des États-Unis et, par extension, dans le monde entier.

Quand on en arrive à un tel pic ou à une croissance nulle, il faut davantage d'énergie et d'argent pour poursuivre le développement, c'est pourquoi le Canada exploite actuellement les sables pétrolifères et les hydrocarbures extracôtiers, comme le montre ce graphique. Nous disposons des ressources financières nécessaires pour ce faire.

Le président : En résumé, si j'ai bien compris, vous dites que le terme « pic pétrolier » désigne l'atteinte d'un niveau d'exploitation où les coûts d'exploration deviennent de plus en plus élevés.

M. Vredenburg : Exactement. J'hésite habituellement à utiliser ce terme parce qu'il a été tellement mal interprété, mais j'en parle parce qu'il est régulièrement question du concept et qu'il s'agit d'une éventualité à examiner.

Le président : Certainement.

M. Vredenburg : C'est pourquoi le Canada se tourne vers l'exploitation des sables pétrolifères et des hydrocarbures extracôtiers qui coûte plus cher en termes généraux par baril marginal produit et qui dégage davantage de gaz à effet de serre, un autre facteur à prendre en compte.

Cependant, tout n'est pas plus cher. Ce diagramme qui montre les pics pétroliers indique que l'huile lourde, les sables pétrolifères et les hydrocarbures extracôtiers coûtent plus cher, mais que, compte tenu de certains facteurs économiques et technologiques, au fur et à mesure que le prix monte, les gens se mettent à chercher des façons d'exploiter des gisements dont on connaît l'existence depuis très longtemps. Comme on a pu le constater avec la révolution du gaz de schiste, on voit soudainement apparaître une nouvelle technologie d'exploitation, ce qui fait baisser considérablement le prix pendant assez longtemps. La même technologie peut être utilisée pour exploiter des gisements de pétrole à très faible perméabilité, comme celui de Bakken dans l'Ouest du Canada.

Quand les ressources financières sont suffisantes et que le prix est assez élevé, il est possible de recourir à des technologies qui permettent d'exploiter des réserves dont on connaissait l'existence dans bien des cas, comme les gaz et l'huile de schiste, l'huile lourde et le bitume, un peu partout dans le monde, comme on peut le voir sur cette autre petite carte. La technologie permet d'exploiter ces réserves.

Il reste énormément de pétrole sur la planète. Toutefois, il coûte généralement plus cher, mais pas toujours, et son exploitation nécessite de nouvelles technologies et commande un prix élevé pour stimuler la production.

Le président : Si vous ne voyez pas d'inconvénient à ce que je vous interrompe, j'aimerais signaler quelque chose d'assez intéressant. Hier, en fin de journée, nous sommes allés à Devon pour visiter les laboratoires CANMET de Ressources Naturelles Canada. Nous avions déjà visité ces laboratoires où on nous a répété la même chose qu'il y a 10 ans, soit que les chercheurs ont mis au point des technologies remarquables, mais que celles-ci ne sont pas encore utilisées parce que les grandes sociétés pétrolières et les grands exploitants devraient adapter leur infrastructure pour pouvoir les utiliser. On note donc pour le moment une certaine résistance à l'égard de l'innovation technologique.

Nous trouvons cette situation un peu anormale. Pouvez-vous nous faire part de vos observations à cet égard?

M. Vredenburg : Je suis ravi de vous présenter mes observations. Je crois qu'il s'agit d'un cas de « verrouillage technologique ».

Le président : Oui.

M. Vredenburg : Les intervenants de l'industrie sont liés à l'égard de la technologie qu'ils possèdent et ils sont réticents à passer à autre chose.

Je dirais cependant qu'il y a probablement près d'une dizaine de développements technologiques de moindre envergure, mais pas tous, qui sont actuellement en cours d'élaboration ici même à Calgary et plus au Nord, dans la région des sables pétrolifères. Plusieurs compagnies, dont Cenovus, Laricina et Petrobank, développent de nouvelles technologies. Dans bien des cas, ces entreprises ne les ont pas encore mises en marché parce que l'industrie pétrolière se caractérise entre autres par des coûts très élevés.

Je concentre une grande partie de mes recherches sur l'innovation et je sais que dans le secteur de l'énergie, l'innovation est différente de celle de l'industrie des TI où les gens peuvent démarrer dans leur garage avec un petit investissement et quelques amis et réussir à créer une grande entreprise. Pour innover dans le secteur pétrolier, il faut investir beaucoup d'argent et de temps.

Les cycles d'investissement sont tels qu'il faut être en mesure de soutenir les efforts pendant de nombreuses années; il faut donc beaucoup d'argent. Les ressources financières et le temps sont deux facteurs importants. Vous avez raison de dire que les grands intervenants hésitent généralement à s'engager dans la voie de l'innovation à cause de ces facteurs.

Le président : Merci.

M. Vredenburg : En conclusion, lorsqu'on en arrive à un plateau — je n'utilise plus le terme pic — les défis liés à l'approvisionnement en pétrole entraînent généralement une augmentation du prix, ce qui sera probablement la réalité qui nous attend, et une certaine volatilité sur le marché. La volatilité s'explique du fait que les prix élevés entraînent l'apparition de nouvelles technologies ou de nouvelles ressources, qui arrivent généralement en bloc plutôt que de façon graduelle.

En dernier lieu, je veux parler des politiques mondiales. Les changements climatiques constituent probablement la question la plus importante en matière de politiques publiques et on peut mettre un gros trait rouge sous cette question. Pendant que nous sommes ici, des représentants du monde entier sont réunis à Durban, en Afrique du Sud. Vous avez fait mention de la conférence de Copenhague. Personnellement, j'estime que les participants à la conférence de Durban sont probablement en train de signer l'arrêt de mort du Protocole de Kyoto.

Les participants au sommet de Durban se penchent notamment sur les coûts des mesures à prendre pour lutter contre les changements climatiques et sur le partage du fardeau. Dans la prochaine diapositive sur la conférence de Copenhague, on note que le plus grand problème vient du fait que la Chine est le plus grand émetteur de gaz à effet de serre, mais qu'elle constitue l'usine du monde entier. Tous les pays utilisent les produits de la Chine, mais c'est celle-ci qui reçoit le blâme.

Le Canada est confronté à un problème similaire; on le blâme à cause des émissions de gaz à effet de serre provenant de l'exploitation du pétrole de l'Alberta, mais, évidemment, les autres pays achètent le pétrole canadien. Voilà l'un des nombreux problèmes inhérents au Protocole de Kyoto.

Avec la prochaine diapositive, je voulais souligner que, en 2007, la Californie a mis en œuvre une norme sur les carburants à faible teneur en carbone. Généralement, lorsque la Californie prend une initiative publique, les autres États américains lui emboîtent rapidement le pas. C'est effectivement ce qui est arrivé. Sur la prochaine diapositive, on peut voir que 11 États ont également mis en œuvre une norme sur les carburants à faible teneur en carbone. On entend même des rumeurs qui laissent entendre que la Chine envisage actuellement une mesure similaire.

Je pense que la question des émissions de gaz à effet de serre demeure une question de politique publique, en dépit du fait que le Protocole de Kyoto est probablement mort. Je crois que nous nous dirigeons maintenant vers un monde sous contraintes en matière de carbone.

Le rapport de l'Agence internationale de l'énergie, l'AIE, publié le mois dernier, suggère que si on atteint le niveau appelé scénario 450, qui correspond à 450 parties de gaz à effet de serre par million d'émissions, ce qui d'après certains est nécessaire pour ne pas dépasser le plafond d'augmentation de deux degrés des températures mondiales moyennes. En un mot, le rapport dit qu'il faut réduire les émissions de CO2 dans l'atmosphère et que, pour y arriver, il faudra des réductions considérables. D'après les politiques officielles de nombreux pays, qui envisagent la question sous le même angle que l'AIE, si nous empruntons cette voie, nous réussirons à réduire considérablement les émissions.

Comment pouvons-nous procéder? Voilà où entre en jeu la part de marché des producteurs de différents types d'énergie primaire? Le prochain graphique a été préparé à l'Université Stanford, mais il repose sur des spéculations. Les énergies renouvelables prendront-elles une plus grande part du marché? En conclusion, j'estime que nous allons avoir besoin de tous les types d'énergie et, dans plusieurs décennies, les combustibles fossiles feront encore partie du tableau.

Qu'est-ce que cela signifie pour le Canada? Selon moi, nous devons examiner toutes les options parce que la demande énergétique croîtra à l'échelle mondiale et nous devons tenir compte de la valeur de l'énergie utilisée. Nous devons envisager des mesures de conservation de l'énergie ainsi que le recours aux énergies renouvelables.

À l'heure actuelle, le Canada utilise environ 1 p. 100 d'énergie éolienne. Il utilise davantage les énergies renouvelables notamment parce qu'il dispose de ressources hydroélectriques considérables. D'autres pays utilisent nettement plus l'énergie éolienne. À mon avis, le Canada doit s'intéresser à l'énergie éolienne entre autres parce qu'il a besoin de tous les types d'énergie et qu'il ne peut se permettre d'être considéré comme un producteur d'énergie polluante sur la scène mondiale s'il souhaite exporter de l'énergie. Cette énergie doit faire partie du tableau.

Quant au gaz naturel, dans un avenir prévisible, il sera relativement bon marché à cause de la révolution du gaz de schiste. Cette forme d'énergie devrait être un élément important de la transition vers un avenir où les émissions de carbone seront plus faibles.

Le Canada devrait s'intéresser à des exportations à valeur élevée. Nous sommes l'un des rares pays au monde qui peut encore exploiter de grandes ressources hydroélectriques. Je suis récemment allé à Terre-Neuve et le grand projet hydroélectrique du bas Churchill pourrait se révéler fort intéressant pour le Canada dans une perspective d'exportation.

Si je ne m'abuse, le prochain point correspond à une partie de votre question, sénateur Angus, sur les nouvelles technologies. Il faut songer sérieusement à élaborer des politiques visant à stimuler la production et l'exportation de produits pétroliers améliorés et raffinés à faible teneur en carbone plutôt que celles du bitume, notamment tel qu'il est exploité actuellement. Ce scénario comporte deux éléments. Le premier est l'exploitation in situ de sables pétrolifères à faible teneur en carbone. On sait déjà que 80 p. 100 des réserves de bitume sont exploitées in situ — c'est-à-dire qu'elles sont extraites sous terre, faute de pouvoir le faire en surface. Les technologies dont vous avez fait mention portent principalement sur l'exploitation in situ. À mon avis, il pourrait être intéressant de mettre au point certaines technologies qui en sont à l'étape du projet pilote ou des essais de laboratoire, pour exploiter du bitume in situ en laissant une empreinte carbone moins importante.

Le Canada pourrait également faire de la valorisation et du raffinage. Je sais que cette question suscite la controverse, mais il serait possible de le faire dans certains cas. Ici même en Alberta, la société North West Upgrading envisage le captage et le stockage du dioxyde de carbone pour la récupération assistée du pétrole.

Le Canada est un des rares pays au monde où il pourrait y avoir un marché pour le dioxyde de carbone. Pour ce faire, il faut une source de dioxyde de carbone pur. Il faut donc concevoir les raffineries en fonction de cela et construire des pipelines jusqu'aux points d'utilisation. Quoi qu'il en soit, à première vue, c'est réalisable. Encore une fois, je crois que les ressources financières sont probablement disponibles et qu'un tel investissement aiderait certainement à améliorer la réputation du Canada à titre d'exportateur puisqu'il exploiterait ces carburants de façon plus écologique.

Vous avez également fait mention de l'énergie nucléaire. J'ai témoigné devant le Comité sénatorial permanent des finances nationales sur le dessaisissement d'EACL. Je pense que l'énergie nucléaire sera encore utilisée dans l'avenir et que le Canada a acquis une certaine expertise dans ce domaine avec EACL. Je crois que le Canada doit se lancer de nouveau activement dans l'aventure technologique et jouer un rôle dans le développement de l'énergie nucléaire. Les pays en développement, les économies émergentes, se sont tournés vers l'énergie nucléaire et le Canada a l'occasion de jouer un rôle dans de tels projets.

En outre, je crois que le Canada peut faire figure de chef de file en matière de technologie, notamment pour ce qui est des volets exportation de technologies et capacité de gestion. De nombreux pays sont en développement et il y a des ressources pétrolières partout dans le monde. La technologie canadienne est passablement à la fine pointe et les Canadiens possèdent une capacité reconnue en matière de gestion. Partout dans le monde, on voit des Canadiens qui participent à ce genre développement, mais il faut le faire également sur la scène nationale parce que la première question que posent les gens est celle-ci : « Que faites-vous au Canada? »

À la dernière page, on trouve des généralités sur le fait que nous devrions nous employer à créer une société plus durable, ne serait-ce que pour éviter de ne pas être perçus comme des exportateurs de produits polluants. À mon avis, le Canada devrait faire figure de chef de file dans les domaines de l'énergie et de la durabilité sur la scène mondiale.

Je crois que je devrais m'arrêter ici. J'ai probablement dépassé mon temps de parole de 10 minutes.

Le président : Votre intervention a été fort intéressante.

Tout d'abord, je pense que le Canada se trouve déjà au nombre des pays qui ont une vision écologiste et durable et que c'est plutôt l'image qu'il faut changer, non les pratiques.

Pour ce qui est du développement et de l'exportation de notre technologie, les représentants du Conseil national de recherches nous ont fait une excellente présentation. Ils nous ont permis de constater que le Canada fait vraiment bonne figure sur la scène mondiale dans ce domaine, ce qui est encourageant.

M. Vredenburg : Au Canada, on ne fait pas uniquement dans la recherche pure. Ici même en Alberta, bon nombre d'entreprises sont déjà des chefs de file, pas nécessairement dans le secteur des technologies durables, mais dans celui des technologies de pointe du secteur pétrolier, comme le forage horizontal. Certaines sociétés canadiennes ont déjà fourni leur expertise dans ce domaine. Je pense qu'il s'agit d'un prolongement naturel de leurs activités. J'imagine d'ailleurs qu'il vaudrait la peine de prendre des mesures pour favoriser ce genre d'initiative.

Le président : Excellente idée. Je vous remercie, monsieur Vredenburg. Nous passons maintenant à M. Kvisle et, ensuite, les membres du comité vous poseront à tous deux des questions.

Harold N. (Hal) Kvisle, ancien président-directeur général (retraité), TransCanada : D'entrée de jeu, je signale que bon nombre des diapositives présentées ici aujourd'hui ont été préparées par mes anciens collègues de TransCanada. Carl Calantone, qui m'accompagne, a préparé énormément de matériel de ce genre chez TransCanada. J'ai pris ma retraite de la société TransCanada, mais je participe toujours à certaines de ses activités; j'agis notamment à titre de conseiller auprès de la direction. Je tenais à mettre les cartes sur table dès le début.

Le président : Quand nous avons vu votre adresse courriel, quelqu'un a dit « Oh non, c'est son ancienne adresse ». J'ai répondu qu'elle était toujours bonne.

M. Vredenburg : Je précise que je suis également membre du conseil d'administration de Petrobank, une société ouverte. Je suis désolé, j'aurais dû l'indiquer au départ. Petrobank s'intéresse également à ces technologies.

Le président : C'est très bien, monsieur. Dans le contexte où nous évoluons, il faut faire état des intérêts qu'on possède dans des sociétés commerciales, comme TransCanada et Suncor. Poursuivez.

M. Kvisle : Il est important de faire état de ses intérêts, mais je recommande de ne pas s'en départir.

Le président : Effectivement.

M. Kvisle : À la diapositive no 3, j'ai regroupé des idées pour situer le contexte dans lequel s'inscrit ma position. Premièrement, au sujet de TransCanada et de l'empreinte carbone, j'estime raisonnable d'exprimer un point de vue qui repose sur mon expérience des 10 dernières années que j'ai passées au service de cette compagnie. On voit entre autres un très grand réseau de pipeline qui couvre la plus grande partie de l'Alberta et qui se rend jusque dans l'Est du Canada.

Je souligne entre autres que l'Amérique du Nord possède énormément d'éléments d'infrastructure qui sont fort précieux pour la société. Si on songe à l'infrastructure de TransCanada, par exemple, la construction d'un gazoduc pur l'acheminement du gaz naturel du Nord de l'Alberta et du nord-est de la Colombie-Britannique jusqu'à Toronto, Montréal et Québec coûterait aujourd'hui plus de 50 milliards de dollars. À l'heure actuelle, il y a une base tarifaire autorisée de près de 10 milliards de dollars. Les utilisateurs paient donc des droits calculés en fonction d'une base tarifaire de 10 milliards de dollars mais profitent d'une infrastructure dont le coût de remplacement serait cinq fois supérieur. Cela montre à quel point le coût de réalisation de ces très gros projets a augmenté. De plus, il faut veiller à ce que ce genre d'infrastructure serve pendant longtemps.

Aujourd'hui, compte tenu de l'abondance de gaz naturel en Amérique du Nord, il est tentant de construire des gazoducs, par exemple de Fort St. John jusqu'à Kitimat sur la côte Ouest, de liquéfier le gaz naturel et de l'exporter vers les marchés de l'Asie où le prix est nettement plus élevé qu'en Amérique du Nord.

Toutefois, certains problèmes se posent. Si on jette un coup d'œil à la carte, on peut voir une ligne pointillée qui représente le gazoduc de l'Alaska. Il y a sept ou ans, c'était le moment de construire ce gazoduc. Aujourd'hui, on constate qu'il est peut-être trop tard pour le réaliser.

Dans le même ordre d'idées, l'examen réglementaire de six ou sept ans du projet de gazoduc dans la vallée du Mackenzie en a empêché la construction, ce qui n'est peut-être pas une mauvaise chose. Si ce gazoduc avait été construit, nous le regretterions peut-être aujourd'hui. Il aurait coûté très cher, mais on ne sait pas ce qu'il aurait donné.

Sur la carte, on peut voir que j'ai tracé, en Alaska, une courte ligne pointillée qui va jusqu'au port de Valdez. À l'heure actuelle, aucun projet d'exportation du gaz naturel d'Amérique du Nord n'est plus logique que celui de l'acheminement du gaz de Prudhoe Bay jusqu'au port de Valdez. À mon avis, c'est certainement plus sensé que d'acheminer ce gaz jusqu'en Alberta, même si les promoteurs du projet, TransCanada et ExxonMobil, continuent à examiner les deux possibilités parce qu'ils prennent en compte l'offre et de la demande pour les 10 à 20 prochaines années. Or, au cours des sept prochaines années, la situation peut changer autant qu'elle a changé au cours des sept dernières années et, en 2025, il peut être encore logique de vendre le gaz de l'Alaska sur le marché contienental plutôt que de l'exporter.

La durée de vie de ces grands éléments d'infrastructure, qui est généralement de 30, 50 ou 70 ans, constitue un des grands défis que pose leur construction. Il est très difficile de prédire quelle sera la situation de l'offre et de la demande d'énergie dans un avenir si éloigné. D'autre part, il faut reconnaître la valeur de certains éléments qu'on voit ici.

La dernière chose que je voulais montrer avec cette carte c'est que nous construisons aujourd'hui les gazoducs et les pipelines les plus sûrs et les plus avancés au monde sur le plan technologique. Les grandes compagnies canadiennes Enbridge et TransCanada sont sans conteste les meilleures sociétés de pipeline au monde.

Si on jette un coup d'œil aux nombreux progrès technologiques réalisés en matière de résistance de l'acier, de conception des stations de pompage et de compression, d'efficacité énergétique ainsi que de sécurité des opérations et de fiabilité, aucune autre société de pipeline au monde n'a atteint un niveau d'expertise comparable à celui de TransCanada et d'Enbridge. Ce n'est certainement pas le cas de Gazprom en Russie, qui enregistre un nombre nettement plus élevé d'explosions, d'accidents et de problèmes techniques.

Dans les années 1960 et 1970, nous avons construit un grand nombre de pipelines et de gazoducs dont l'exploitation continue d'être sûre et fiable, même si leur construction n'a fait l'objet qu'un d'un examen réglementaire minimal. Ils ont été construits par des ingénieurs et des équipes de professionnels qui connaissaient leur métier. De plus, il est intéressant de noter que, aujourd'hui, de nombreuses techniques de construction dans ce domaine sont les mêmes que celles qui étaient utilisées dans les années 1970 et 1980. La seule chose qui a changé c'est que, aujourd'hui, les compagnies ont à leur service une armée d'avocats pour faire face à des processus réglementaires inimaginables.

Je voulais simplement souligner cet aspect de la question dès le départ et dire que la plupart des éléments d'infrastructure qu'on voit sur la carte ne pourraient être construits aujourd'hui. Il serait impossible d'obtenir les approbations réglementaires nécessaires.

Les opposants à ces projets expriment des points de vue alarmistes. Les experts savent que la construction du pipeline Keystone de l'Alberta jusqu'au Texas ne présente que peu de défis. Ce n'est pas un projet difficile à réaliser si on le compare au pipeline qui traverse les Andes en Amérique du Sud, à celui qui est actuellement en construction au Mexique ou à un éventuel gazoduc entre Fort Nelson et Kitimat. Ces projets sont un peu plus compliqués, notamment le gazoduc de la route de l'Alaska. Ces projets sont tous parfaitement réalisables. Nous savons exactement comment les réaliser. Le pipeline Keystone est un projet facile en comparaison avec d'autres, mais il a suscité une véritable controverse.

Je voulais également vous fournir de l'information générale, au moyen de la diapositive no 4, au bas de même page. Au cours de la dernière année, j'ai agi à titre de coprésident de l'Alberta Environmental Monitoring Panel, à la demande du gouvernement de l'Alberta. Ce groupe d'experts, qui cherche à établir ce que l'Alberta doit faire pour respecter les normes environnementales les plus élevées, voire les dépasser, s'est concentré sur la situation dans la région des sables pétrolifères mais également sur celle de l'ensemble de la province.

Je voulais vous faire part de quatre recommandations clés. À la fin du dossier qui vous été remis, j'ai joint la proposition que nous avons envoyée au ministre Rob Renner à l'époque. Je résume très brièvement de quoi il retourne. Nous proposons que l'Alberta crée une commission de surveillance de l'environnement indépendante et bien structurée, dont les décisions s'appuieraient sur des données scientifiques. Cette commission serait chargée de la surveillance des conditions de référence, des effets et de l'ensemble de la situation environnementale. Au début, la surveillance porterait principalement sur la qualité de l'air, du sol et de l'eau ainsi que sur la biodiversité dans la région des sables pétrolifères du bassin de l'Athabasca, pour englober ensuite toute la province.

J'attire votre attention sur le fait que nous avons fait un examen approfondi de la situation pendant six mois avec l'appui d'un groupe de scientifiques très compétents et que, d'après le témoignage de nombreux intervenants et organismes, il est ressorti très clairement que les sables pétrolifères se classent au troisième ou au quatrième rang des problèmes environnementaux auxquels l'Alberta est confrontée et que, par rapport aux autres problèmes, l'écart est considérable en termes d'incidence. Les villes d'Edmonton et de Calgary se classent au premier et au deuxième rangs et ont une incidence environnementale nettement plus considérable que les sables pétrolifères. Pour ce qui est de la troisième position, la lutte est serrée entre l'industrie forestière et l'industrie agricole. Les sables pétrolifères arrivent plus loin au bas de la liste. Voilà pourquoi le gouvernement de l'Alberta songe à faire une surveillance environnementale pour l'ensemble de la province.

Troisièmement, nous recommandons que ce soit un organisme d'information scientifique; nous ne proposons pas la création d'un nouvel organisme de réglementation. Cet organisme fournirait de l'information aux organismes de réglementation gouvernementaux, à l'industrie et aux autres intervenants.

Quatrièmement, nous recommandons fortement une collaboration accrue entre Environnement Canada et les divers organismes environnementaux de l'Alberta, ce que le comité estime peut-être important. Toutefois, il ne doit pas y avoir de tiraillement entre les deux ordres de gouvernement pour savoir lequel doit prendre la direction du projet; il doit plutôt s'agir d'une collaboration scientifique. Voilà ce que je recommande.

Je mentionne en passant que je consacre actuellement une partie de mon temps à une autre activité; je suis président du conseil d'administration de Conservation de la nature Canada. Je tenais à ce que vous sachiez que je m'intéresse sérieusement et concrètement à l'environnement et que ce n'est pas uniquement un tenant de l'exploitation pétrolière qui témoigne aujourd'hui devant le comité.

J'ai ici un groupe de diapositives que je vais présenter très rapidement. Je voulais simplement vous fournir un peu d'information factuelle et concrète.

La diapositive no 5 illustre les investissements qu'il faudra faire des l'infrastructure du secteur de l'énergie au cours des 25 prochaines années, par région du monde. Ce tableau est tiré du document intitulé Perspectives énergétiques mondiales, publié par l'Agence internationale de l'énergie. Il est intéressant de noter que c'est en Amérique du Nord qu'il faudra investir le plus dans l'infrastructure énergétique.

Une part considérable de cet investissement, indiquée en violet, sera consacrée à la production d'énergie. Ce niveau d'investissement est nécessaire parce qu'un grand nombre de centrales alimentées au charbon atteindront la fin de leur vie utile au cours des 25 prochaines années. L'Amérique du Nord est dotée d'un très vaste réseau de transport d'électricité, mais celui-ci risque de flancher à tout moment et il faut en remplacer une grande partie.

C'est intéressant à savoir. On voit le détail de l'application possible de cet investissement de taille. Il est question de 6 milliards de dollars pour les 25 prochaines années. Cela pourrait représenter un investissement annuel d'environ 100 milliards de dollars dans le secteur énergétique et de 100 milliards de dollars dans le secteur gazier et pétrolier, simplement pour assurer l'alimentation en électricité et fournir des carburants, en tenant compte d'une très petite croissance. Voilà le genre d'investissement qu'il faut faire chaque année en Amérique du Nord pour assurer le fonctionnement du secteur énergétique et l'exploitation pétrolière et gazière.

Si on jette un coup d'œil aux diapositives du bas, on voit la situation dans de nombreuses autres parties du monde. Je ne vois pas le Canada ici, mais notre demande en pétrole représente en réalité un dixième de celle des États-Unis. On peut voir que, en Amérique du Nord, la croissance sera à peu près nulle, mais qu'ailleurs dans le monde, elle sera substantielle.

La diapositive no 7 présente un point de vue différent de celui de nombreuses organisations qui soutiennent que, dans les 10 à 20 prochaines années, il faudra se convertir à l'énergie solaire et éolienne et à d'autres formes d'énergie verte et abandonner le pétrole. À l'heure actuelle, en Amérique du Nord, certains groupes d'activistes prônent vigoureusement le remplacement du pétrole, mais ce n'est tout simplement pas réaliste.

Voici les perspectives de l'Agence internationale de l'énergie pour l'Amérique du Nord. Regardez le secteur du bas, qui représente l'essence automobile aux États-Unis. Contrairement à la Chine ou à d'autres pays en développement, la croissance n'est pas énorme, mais pour ce qui est de l'essence automobile, la demande demeure entre 10 millions et 15 millions de barils par jour en moyenne, si on inclut le Canada, le Mexique et les États-Unis, et elle demeurera relativement stable pendant longtemps. On ne peut tout simplement pas changer du jour au lendemain ces énormes systèmes de livraison et de consommation d'énergie comme le réclament certains.

Sur la diapositive no 8 au bas, on voit les prévisions de l'Association canadienne des producteurs pétroliers concernant la production de pétrole au Canada. Ces prévisions de l'IPAC accordent une place très considérable aux sables pétrolifères exploités in situ grâce à la technique de drainage par gravité au moyen de vapeur, ou DGMV, et aux grands progrès technologiques qui sont réalisés dans l'exploitation au moyen de cette technique de récupération. Il s'agit d'une grande innovation mise au point par des compagnies canadiennes. Ainsi, lorsqu'on dira que le Canada accuse un sérieux retard en matière d'innovation, de recherche et de développement, je donnerai cet exemple pour montrer que c'est tout le contraire. De grands progrès ont été réalisés.

La diapositive no 9 montre qu'on ne peut exclure les États-Unis comme producteur de pétrole brut. Toutefois, si on jette un coup d'œil aux sources conventionnelles, on peut effectivement dire qu'il y a un déclin. Pour un pays qui consomme environ 20 millions de barils par jour, les sources conventionnelles sont nettement à la baisse. Cependant, il s'agit de pétrole de réservoirs étanches, comme par exemple la formation de Bakken au Dakota du Nord et les liquides de gaz naturel qui viennent de la zone de schiste d'Eagle Ford au Texas. Les États-Unis pourront donc produire des quantités substantielles de pétrole brut pour leur économie.

Dans le même ordre d'idées, au bas de la page, on voit que c'est le gaz de schiste provenant des États-Unis qui a changé la donne dans le secteur du gaz naturel. Cela dit, je ne sous-estime pas l'importance des réserves canadiennes. Le Canada possède un énorme potentiel à cet égard, mais il est certainement plus intéressant pour un producteur d'exploiter le gaz de la formation de Marcellus qui se trouve à proximité du marché, dans l'État de New York, ou des réserves de gaz qui se trouvent en Pennsylvanie par exemple. Nous sommes désavantagés parce que le gaz naturel qui se trouve dans le bassin de Horn River dans le Nord de la Colombie-Britannique est loin du marché et que les coûts d'exploitation sont très élevés dans une région si froide.

On voit que les sources non conventionnelles situées en Colombie-Britannique, représentées par le secteur vert, offrent un volume assez considérable qui croît de 5 milliards de pieds cubes par jour. C'est une grande réussite pour l'industrie canadienne. Je souligne encore une fois qu'il s'agit vraiment de progrès technologiques remarquables dont les Canadiens peuvent être fiers.

Passons maintenant à la diapositive no 11. M. Vredenburg a brièvement parlé du pic pétrolier. Moi, je parlerai du pic gazier, ce dont il est question sur cette diapositive. En 1995, pendant une certaine période, la demande en gaz a cru de 60 à 70 milliards de pieds cubes par jour puis, elle s'est soudainement stabilisée.

Cet arrêt de la croissance ne signifie pas que les consommateurs ne voulaient plus de gaz. Elle signifie plutôt que nous avions atteint les limites de notre capacité de production de gaz de source conventionnelle en Amérique du Nord et le prix a dû être porté à près de 10 $ par millier de pieds cubes compte tenu de la pénurie. Cependant, le marché a réagi. Comme le prix du gaz a été porté à 10 $, les producteurs ont essayé différents procédés dans des zones de gaz de schiste, notamment le forage horizontal de puits et la fracturation hydraulique. Ces techniques ont porté fruit et, à l'heure actuelle, le gaz coûte moins de 5 $ par millier de pieds cubes.

On voit que la croissance a repris après un pic gazier qui a entraîné l'apparition de nouvelles technologies. Dans cette chaîne d'approvisionnement, la demande totale est égale à l'approvisionnement total, puisque relativement peu de gaz y entre ou en sort.

La conversion des vieilles centrales au charbon en centrales au gaz naturel, plus écologiques, montre que c'est surtout la production d'électricité qui sous-tend l'exploitation du gaz naturel in Amérique du Nord.

Au bas de la même page, on voit que la demande en charbon diminue, peut-être pas aussi radicalement que certains le souhaiteraient, mais plus de 1 billion de dollars on été investis en Amérique du Nord pour des centrales de production d'électricité. Un investissement de cette ampleur dans des parcs d'éoliennes ou des panneaux solaires, par exemple, représente un projet de 50 ans à tout le moins.

Voilà pourquoi le Canada n'a pu atteindre les cibles qu'il s'était fixées dans le cadre du Protocole de Kyoto. Quand le Canada a pris cet engagement, si on avait fait une analyse concernant l'atteinte des cibles fixées pour 2012, on aurait constaté que c'était une mission impossible. Il faut 50 ans pour fermer ce genre de centrales et les remplacer par de nouvelles technologies. Nous avons encore bien du chemin à parcourir.

En résumé, à la diapositive no 13, on voit que l'incidence environnementale ne découle ni de l'exploitation des sables pétrolifères, ni de l'exploitation des centrales de production d'énergie. En fait, ce sont les consommateurs qui en sont responsables puisque plus de 80 p. 100 des émissions de gaz à effet de serre par baril de pétrole sont produites par les consommateurs, notamment par ceux qui conduisent un véhicule. Environ 15 p. 100 des émissions proviennent de l'exploitation pétrolière et gazière et du raffinage, mais sans les consommateurs, il n'y aurait ni exploitation, ni raffinage.

Au bout du compte, c'est la consommation qui engendre ces activités, et si nous voulons réduire les émissions de gaz à effet de serre, il faut d'abord viser une réduction des activités à forte intensité énergétique. Pouvons-nous convaincre les consommateurs nord-américains de moins utiliser leur voiture? Les consommateurs sont-ils prêts à changer leurs habitudes?

Je soutiens qu'il faudrait peut-être imposer une taxe sur les émissions carboniques pour y arriver, mais il ne faut pas se leurrer, cela ne pourrait se faire en 18 mois. Il faudrait dix ans pour qu'une telle taxe ait une incidence parce que les gens achèteront de plus petites voitures. Ils ne changeront pas beaucoup leurs habitudes de conduite; ils achèteront plutôt de plus petits véhicules.

Enfin, il y a des progrès dans l'approvisionnement en électricité. L'électricité représente une grande source d'espoir sur le plan environnemental. Les véhicules électriques et d'autres dispositifs électriques peuvent remplacer une grande quantité des hydrocarbures que nous consommons. Les sources d'électricité propres, notamment l'énergie nucléaire, peuvent remplacer le charbon qui est polluant, mais il faut du temps pour remplacer l'infrastructure et il faut envisager des cycles de 30 à 50 ans.

Je saute plusieurs des prochaines diapositives qui portent sur diverses questions. Je m'arrête brièvement à la diapositive 16 qui est très intéressante. Dans le cercle bleu, on voit le Nord de l'Alberta et les émissions de gaz à effet de serre qui proviennent des sables pétrolifères. Le cercle couleur caramel correspond aux émissions de gaz à effet de serre qui proviennent des centrales canadiennes alimentées au charbon et les cercles rouges correspondent aux émissions de dioxyde de carbone provenant des centrales au charbon des États-Unis. On voit la magnitude des émissions. Ce graphique envisage un investissement de plus de 1 billion de dollars pour des centrales de production d'électricité dont la construction prendra un certain temps.

J'ai fait de nombreuses observations sur les défis en matière de réglementation, sur la valeur du domaine imminent et sur le renforcement de la sécurité énergétique. Je voudrais maintenant aller un peu plus loin. Je conclus avec la diapositive 23 en parlant brièvement de la valeur économique que représente l'autonomie énergétique pour l'Amérique du Nord.

Lorsque nous importons un baril de pétrole de l'étranger, nous envoyons chaque fois 100 $ par baril à un pays étranger. On a beaucoup parlé entre autres du pétrole éthique et des préoccupations de sécurité liées au financement de certains régimes. Ce n'est pas de cela dont je veux parler. Je parle tout simplement du 100 $ qui sort de l'Amérique du Nord. D'après notre analyse, environ 10 $ reviennent pour défrayer le coût de l'équipement, des services et des approvisionnements.

Les pétrolières qui font du forage dans la mer du Nord n'utilisent par l'équipement nord-américain. Celles qui exploitent des gisements en Asie du Sud-Est utilisent de plus en plus de l'équipement qui vient de Chine et d'autres pays de la région. Les Coréens sont devenus des chefs de file dans la construction de plateformes de forage en mer et la plupart de l'équipement qu'ils utilisent ne vient pas de l'Amérique du Nord.

Cependant, en Amérique du Nord, lorsqu'on creuse des puits de pétrole d'importance marginale, au Dakota du Nord, à Drayton Valley ou à Grande Prairie, ou qu'on exploite les sables pétrolifères, l'infrastructure coûte très cher. Sur des recettes de 100 $ provenant d'un baril de pétrole, 80 $ reviennent aux compagnies nord-américaines de services et d'approvisionnement, 20 $ sont appliqués aux coûts de développement. Dans le cas des sables pétrolifères, cette portion est de 40 $ par baril. Les coûts d'exploitation se chiffrent en moyenne à 20 $ par baril. Pour les sables pétrolifères, ils sont plus élevés. Les frais généraux des entreprises et les coûts professionnels et techniques sont de 10 $ par baril. Or, l'acheminement de pétrole de l'Alberta vers un marché de l'Amérique du Nord coûte 10 $ par baril. Viennent ensuite les taxes que le gouvernement prélève à titre de redevance et qui représentent environ 20 $ par baril.

La différence entre importer un baril et le produire soi-même est de 70 $, et c'est une évaluation conservatrice. Avec un million de barils par jour, cela fait 25 milliards de dollars par année dépensés en Amérique du Nord. Si on applique un multiplicateur normal pour mesurer l'effet sur le PIB, on obtient des retombées de plus de 100 milliards de dollars par année en Amérique du Nord.

Ce sont des chiffres énormes et qui ne tiennent compte que d'une production d'un million de barils par jour. Or, nous avons le potentiel d'ajouter cinq millions de barils par jour de production pétrolière en Amérique du Nord pour atteindre l'autosuffisance. Nous pouvons réduire encore énormément notre consommation de pétrole par l'utilisation de véhicules plus efficaces et par d'autres moyens.

Pour résumer, à la page 25, les progrès technologiques dans l'exploitation des gaz de schiste et du pétrole non conventionnel nous permettraient d'atteindre l'autosuffisance énergétique si nous disposions des mécanismes de réglementation nécessaires. Les sables bitumineux du Canada constituent une source d'énergie importante et fiable. Pour ce qui est du remplacement du parc automobile par des véhicules plus propres, il nous faudrait un délai de 10 ans pour y parvenir. Pour les centrales électriques, il nous faudrait un délai de plus de 20 ans. Les examens environnementaux doivent se faire à l'abri de toute ingérence politique si nous voulons qu'ils servent l'intérêt public.

Je vous signale en passant que l'Office national de l'énergie du Canada est un excellent régulateur indépendant qui est pratiquement libre de toute influence politique. Je ne suis donc pas du tout en train de critiquer l'office. Le coût et la faisabilité des solutions vertes font souvent l'objet de sous-estimations. Nous devons faire mieux connaître au public les avantages et les inconvénients des développements proposés.

Pour terminer, je dirais que les dirigeants politiques et l'industrie de l'énergie doivent agir en chefs de file dynamiques pour résoudre les problèmes, susciter l'adhésion des principaux acteurs du domaine et de la population en général, rétablir leur crédibilité et communiquer plus largement au public les apports économiques de ce très grand secteur d'activité. Je m'en remets à vous à cet égard.

Le président : Merci beaucoup, monsieur.

Nous faisons face, chers collègues, à une sorte de dilemme. Une magnifique brochette de témoins attend son tour. Mon maître à gauche me dit que nous avons 10 minutes pour les questions, et j'en ai une liste qui nous prendrait jusqu'à vendredi. Tâchons autant que possible de poser chacun une question concise, et que les réponses soient concises également, messieurs.

Vos exposés étaient super et ont touché à beaucoup de questions. Monsieur le sénateur Mitchell, la parole est à vous, je vous en prie.

Le sénateur Mitchell : Merci beaucoup. Je suis très impressionné, mais je vais essayer de poser ma question la plus prioritaire.

Le ministre de l'Énergie de la Norvège était assez surpris que nous envisagions le captage et le stockage du carbone sans taxe sur le carbone, quoiqu'une telle taxe existe à certains endroits au pays, ce qui est plutôt intéressant.

Hier, Eric Newell est venu témoigner et a déclaré qu'il ne voyait pas comment nous pouvions opter pour le captage et le stockage du carbone. Vous avez affirmé dans votre exposé que le captage et le stockage du carbone étaient probablement l'une des technologies clés pour neutraliser les atteintes à la réputation du pays. Même si des gens ne veulent pas admettre les conséquences des changements climatiques, nous ne pouvons pas continuer de faire abstraction des conséquences économiques indéniables résultant des idées qui circulent dans le monde. C'est un facteur incontournable.

Pourtant, il ne semble y avoir aucune remise en question. Vous avez mentionné que l'industrie et la classe politique devaient agir en chefs de file, mais que fait l'industrie pour faire comprendre au gouvernement qu'il faut s'occuper du problème et que c'est notre réputation qui est en jeu? Que fait-elle pour faire comprendre au gouvernement que le captage et le stockage du carbone sont une nécessité et qu'on ne pourra pas utiliser ces méthodes sans imposer une taxe sur le carbone? Que fait-elle pour demander au gouvernement une structure, un climat de certitude et des incitatifs pour qu'elle applique efficacement ces méthodes?

M. Vredenburg : Je pense que des initiatives sont prises dans ce sens, notamment par la société North West Upgrading, en Alberta. Elle s'est dotée d'une nouvelle usine où l'on compte faire le captage du CO2 issu du traitement et du raffinage en vue d'utiliser ce composé à l'état pur dans la récupération assistée des hydrocarbures, pour laquelle il existe un marché en Alberta. Ce ne serait pas possible n'importe où dans le monde, mais les réserves de l'Alberta constituent un marché potentiel pour ce procédé.

Il y a d'autres endroits dans le monde où ce procédé pourrait fonctionner également, et je crois que nous devons notamment exploiter les nouvelles technologies de ce genre.

Le gouvernement de l'Alberta finance ces initiatives. D'autres sociétés font autre chose. Le cas de Swan Hills Synfuels me vient également à l'esprit, de même évidemment que le projet Cenovus en Saskatchewan.

À mon avis, il est certain qu'en fixant le prix du carbone, on ferait en sorte que ces initiatives produisent de meilleurs résultats.

M. Kvisle : Je suis un partisan de la taxe sur le carbone, mais pas pour favoriser des projets comme le captage et le stockage du carbone. Je pense qu'une taxe sur le carbone est nécessaire pour attirer l'attention du consommateur, changer son comportement et réduire la demande de combustibles fossiles. Je crois que nous devons envisager la question sous cet angle.

Environ 2 p. 100 des applications envisagées du captage et du stockage du carbone ont du sens. L'usine de North West Upgrading dont vient de parler M. Vredenburg est un bon exemple d'usine conçue au départ pour le captage et le stockage. Cependant, il est illusoire de penser qu'on peut rénover des centrales thermiques alimentées au charbon en leur ajoutant un dispositif de captage et de stockage du carbone dans le but de maintenir ces centrales en service. D'un point de vue technique, c'est une idée absurde. Il faudrait employer 40 p. 100 de l'électricité produite par la centrale pour alimenter les compresseurs servant à comprimer le CO2 afin de le stocker dans le sol. La pression élevée qui est nécessaire n'est pas le seul obstacle. Il s'agit de comprimer des gaz atmosphériques chauds et contaminés. Nous ne sommes pas en présence de CO2 pur. Ce gaz est mélangé avec beaucoup d'azote, et il faut faire un traitement pour régler tous ces problèmes.

Chez TransCanada, nous avons fait les calculs de bilan énergétique, mais je crains que la plupart des défenseurs de ces procédés n'aient pas fait ces calculs. Je les soupçonne même de ne pas savoir comment les faire.

À mon avis, c'est une grosse erreur, pour le Canada, de miser, en prévision de l'avenir, sur des procédés comme le captage et le stockage du carbone. J'admets qu'il y a des projets précis où un tel procédé peut être utile. Les projets de gazéification du charbon en sont un bon exemple. Une usine employant un tel procédé peut fonctionner, comme le démontre l'usine au Dakota du Nord qui fonctionne depuis des décennies. Elle n'était pas rentable au départ et a été construite grâce au financement du gouvernement fédéral des États-Unis. Aujourd'hui, elle fait à peu près ses frais. Quoi qu'il en soit, le captage du CO2 qui est réalisé là-bas est techniquement performant, et c'est le CO2 capté dans cette usine qui alimente le projet de Cenovus à Weyburn.

C'est un procédé qui peut être utile dans quelques rares cas, et toute décision d'employer ce procédé devrait reposer sur un simple calcul d'ingénieur.

M. Vredenburg : Je suis d'accord pour dire que le captage du carbone fonctionne à dans cette usine propre parce qu'elle dispose d'une source de CO2 à l'état pur. Je ne pense pas que vous ayez insisté sur le fait qu'il existe des débouchés pour le CO2 capté. Ces débouchés commencent tout juste à se concrétiser chez nous.

Par ailleurs, je reviens tout juste d'un voyage au Royaume-Uni. On a entrepris là-bas toutes sortes de projets bidon n'ayant aucune chance de réussir financièrement. On ne peut pas tout simplement enfoncer le carbone dans le sol. Cela doit être économiquement viable.

Le sénateur Neufeld : Je vous remercie tous les deux pour vos excellents exposés.

Monsieur Kvisle, je dois me limiter à une question. Lorsque vous parlez d'une taxe sur le carbone d'application universelle, à quoi affecteriez-vous l'argent recueilli? Pour ma part, je crains que, si Ottawa adoptait une pareille taxe, l'argent reste à Ottawa et ne soit pas retourné ailleurs. Dans un deuxième temps, comment dépenseriez-vous cet argent? J'imagine que votre réponse pourrait être longue, mais vous pourriez peut-être me donner un aperçu très général de votre point de vue à ce sujet?

M. Kvisle : Monsieur le sénateur Neufeld, je n'utiliserais pas les recettes d'une taxe sur le carbone pour subventionner des procédés n'ayant aucun sens sur le plan technique. Je ne ferais pas cela.

La réponse la plus simple me semble être que, si d'importantes sommes d'argent étaient recueillies au moyen d'une taxe sur le carbone, des réductions équivalentes devraient être consenties au chapitre de l'impôt sur le revenu, de la taxe de vente et des autres prélèvements fiscaux. Il me semble que l'approche intelligente consisterait à traiter ces recettes comme les autres prélèvements fiscaux de l'État et de compenser la hausse de certains prélèvements par une baisse des autres.

Le sénateur Neufeld : Alors, suivriez-vous l'exemple de la taxe sur le carbone de la Colombie-Britannique, qui n'a aucune incidence sur le fardeau fiscal?

M. Kvisle : Chaque été, je parcours de grandes distances au volant de mon automobile, en Colombie-Britannique, alors je paie la taxe sur le carbone de cette province. Cette taxe ne m'incitera pas à changer mon comportement d'automobiliste, mais son effet se fera sentir au bout d'une décennie parce que les gens n'achèteront plus les mêmes véhicules. Je crois que la taxe sur le carbone en Colombie-Britannique sera utile de cette manière.

Le sénateur Banks : Merci, messieurs, d'être présents avec nous.

Il est très difficile de se limiter à une seule question, mais je le ferai. Il s'agit d'une question simpliste. Je suis un Albertain. Je crois fermement que les produits à valeur ajoutée issus de nos ressources devraient être fabriqués en Alberta, autant que possible, et vous avez parlé de l'efficacité du seuil poids/prix pour changer les comportements des gens.

Permettez-moi de vous donner l'exemple du premier ministre Williams, de Terre-Neuve. Les sociétés qui voulaient exploiter les ressources de Voisey's Bay — exploiter est un mot merveilleux, et non un mauvais mot — prétendaient qu'il était plus efficace et plus économique de mettre le pétrole à bord d'un navire et de procéder au raffinage ailleurs, mais le premier ministre Williams a refusé catégoriquement, et l'extraction de cette ressource n'a pu commencer que lorsque les sociétés se sont pliées à son exigence, soit de raffiner le pétrole à Terre-Neuve pour que le produit exporté ressemble davantage à un produit fini.

À la lumière de cet exemple, voudriez-vous me dire ce que vous pensez de l'exportation du bitume albertain plutôt que son raffinage en Alberta pour exporter du pétrole?

M. Kvisle : Je vais répondre en premier. Je pense que, si nous n'avions disposé que d'une quantité très limitée de bitume, nous aurions pu adopter la même méthode que le premier ministre Williams relativement au gisement de Voisey's Bay.

Cependant, il faut préciser d'abord que nous ne sommes pas vraiment limités en ce qui concerne la quantité de bitume. Ensuite, ceux qui critiquent le projet de pipeline Keystone de TransCanada disent que c'est un tuyau pour exporter du bitume. Mais en réalité, TransCanada serait enchantée que le bitume soit raffiné et que le pipeline Keystone serve plutôt à transporter du pétrole synthétique ou des produits de raffinage, ce qui est tout à fait faisable et moins coûteux puisqu'il s'agit de produits moins visqueux.

Rien ne nous empêche d'utiliser le pipeline pour fournir d'autres services. Le transport simultané de produits variés est assez courant dans l'industrie des pipelines.

Le problème que je vois dans la construction d'une raffinerie propre est que de telles tentatives n'ont jamais été viables en Amérique du Nord au cours des 25 dernières années. La demande de produits raffinés stagne, et il est beaucoup moins coûteux de rénover des raffineries ou de les agrandir que de construire une raffinerie propre. Les marges de raffinage sont insuffisantes en général pour couvrir le coût de construction d'une nouvelle raffinerie en Alberta ou ailleurs.

Par exemple, la société ExxonMobil a déterminé que le projet Kearl était viable à condition qu'elle puisse transporter le bitume pour le transformer dans ses raffineries existantes. Je ne peux pas parler au nom d'Imperial ou d'Exxon, mais si on ne leur permet pas d'utiliser leurs raffineries existantes, il est fort possible que le projet ne se réalise pas.

Je pense qu'il convient pour l'Alberta de laisser le marché décider et d'envisager la possibilité de construire des raffineries lorsqu'il s'agit d'exploiter un créneau précis, comme dans le projet North West Upgrading, où on veut convertir du bitume en gazole parce qu'il en manque dans l'Ouest canadien. Prenons bien garde de ne pas subventionner ou favoriser à la légère la construction de raffineries non viables économiquement en Alberta, car elles constitueront un lourd fardeau pour les Albertains à long terme. Lorsque la construction d'une raffinerie peut être rentable et qu'il y a une demande suffisante, je suis tout à fait favorable à l'idée.

M. Vredenburg : Si je peux me permettre, je voudrais ajouter une chose aux observations de M. Kvisle. En voyant l'opposition populaire au transport de bitume dans des pipelines en Amérique du Nord, je me suis dit dernièrement que, si nous faisions le raffinage en Alberta et que nous envoyions des produits raffinés dans les pipelines, l'opposition serait moindre et les perspectives seraient meilleures. C'est un facteur dont il faut tenir compte dans l'évaluation de la viabilité économique à long terme, où la question de la réputation se pose constamment.

Le sénateur Banks : Je ne voudrais pas ouvrir un débat, mais les sociétés pétrolières invoquaient justement l'argument des coûts de raffinage à Terre-Neuve. C'est ce qui explique le blocage pendant plusieurs années. J'imagine qu'il y a eu un déplacement du seuil poids/prix et qu'à un certain moment, le raffinage sur place est devenu assez rentable pour qu'elles acceptent de le faire.

Merci beaucoup pour vos réflexions.

Le président : Madame le sénateur McCoy, pourriez-vous poser rapidement votre question, parce que nous sommes très serrés? Nous avons déjà dépassé la limite de temps.

Le sénateur McCoy : Premièrement, excusez mon retard. Je ne suis pas encore habituée à la circulation à Calgary, et je suis restée prise.

Je vous remercie tous les deux d'être venus et, bien entendu, de nous avoir fait d'excellents exposés. J'ai beaucoup trop de questions à poser, mais je suis arrivée alors que vous en étiez pratiquement à vos dernières diapositives, tous les deux, quoique pas tout à fait dans votre cas, monsieur Kvisle. Il me semble que nous passons beaucoup de temps à parler des activités en amonts, des carburants, et ainsi de suite. Nous devons comprendre ces questions, et nous vous avons demandé de nous parler de la demande mondiale et d'autres questions du genre ce matin. Cependant, nous parlons peu de la valeur de la ressource et de l'utilisation que nous en faisons. Nous parlons peu des répercussions environnementales de l'utilisation du pétrole dans le transport. C'est là que sont les répercussions véritables.

Ma question est peut-être trop vaste pour qu'on puisse y répondre tout de suite, mais vous pourriez peut-être nous dire brièvement comment nous pourrions changer la nature du dialogue public pour que les gens se concentrent sur la consommation des ressources. Je ne pense pas que la solution se résume à cesser d'utiliser l'automobile ou à construire des automobiles électriques. Il ne s'agit pas de cesser de prendre son automobile complètement. Nous ne disons pas non plus aux gens qu'ils ne pourront jamais se passer du pétrole et que nous ne voulons pas que le mode de vie change en Amérique du Nord. Mais comment pourriez-vous mettre cette discussion à l'ordre du jour? Comment susciteriez- vous l'adhésion des gens à ce genre de discussion? C'est une question un peu trop vague.

M. Vredenburg : Pour répondre à votre question, je vous répéterais ce que M. Kvisle a dit tout à l'heure, à savoir qu'une taxe sur le carbone est un facteur de rationalisation de la recherche de solutions de rechange, même si, dans un avenir prévisible, nous ne manquerons pas de combustibles fossiles.

Je suis d'accord avec M. Kvisle pour dire qu'il n'est probablement pas sage d'avoir recours à des subventions importantes. En revanche, l'utilisation d'une taxe sur le carbone ou d'un autre mécanisme du genre pour intégrer aux coûts les effets néfastes des combustibles fossiles est une solution judicieuse.

M. Kvisle : Je pense que le prix est le seul moyen ayant fait ses preuves pour changer les comportements. Les gens modifieront leurs habitudes de consommation si le produit coûte assez cher. Vous pourriez hausser passablement le prix. J'ai passé un peu de temps en Norvège l'année dernière. Si je me souviens bien, je devais payer environ 3,50 $ le litre d'essence là-bas. Cela ne m'a pas empêché de louer une automobile pour me déplacer un peu, mais je tiendrais certainement compte du prix si je vivais en Norvège et que j'avais à choisir un véhicule. Je ne pense pas que je choisirais une camionnette Dodge Ram avec un moteur V10. Du reste, ce n'est pas mon choix au Canada. Je pense que c'est ce facteur qui amènerait les gens à changer leur comportement. Tout dépend du prix.

M. Vredenburg : Je pense que M. Kvisle a tout à fait raison sur ce point. Si vous jetez un coup d'œil à ce qui se passe en Europe de l'Ouest, où l'énergie coûte généralement beaucoup plus cher qu'ici, vous verrez que la qualité de vie là-bas n'est pas moindre que la nôtre, mais que les Européens arrivent à dépenser moins d'énergie.

Le sénateur McCoy : Il serait intéressant de voir ce que donnerait une campagne de relations publiques axée sur ce message, n'est-ce pas? On afficherait ceci sur un grand panneau-réclame : « Voudriez-vous payer 3,50 $ le gallon? »

M. Kvisle : Il y a d'autres facteurs, toutefois. Ce sont les habitants de New York qui, en Amérique du Nord, dépensent le moins d'énergie. La consommation d'énergie par habitant à New York est de beaucoup inférieure à la moyenne nord-américaine. Malheureusement, les habitants de Toronto figurent à l'inverse parmi les gens qui dépensent le plus d'énergie, eux qui sont affligés d'un système de transport en commun très peu efficace comparativement à ce qui existe à un endroit comme New York.

Il y a des problèmes de politiques publiques relativement au développement des infrastructures. Je pense que Calgary a des motifs d'être très fière du système de transport en commun dont elle est en train de se doter. J'ai pris le système C-Train aujourd'hui pour me rendre au centre-ville. Je ne suis pas resté pris dans la circulation.

M. Vredenburg : J'ai pris le transport en commun, moi aussi.

Le sénateur Massicotte : Merci pour votre présence. Voici une question rapide. L'atteinte à la réputation du Canada et de l'Alberta causée par l'exploitation des sables bitumineux a probablement nui au projet de pipeline Keystone, et je vous félicite d'avoir formulé la recommandation d'une commission permanente. Je pense que c'est une première étape majeure.

Je passe à mes observations. Vous avez parlé d'un rapport de l'Agence internationale de l'énergie publié il y a un mois. Si je comprends bien, le rapport dit essentiellement que, dans l'hypothèse où les gouvernements respecteraient leurs engagements, nous dépasserions quand même de 3,5 degrés Celsius l'augmentation de 2 degrés et que, si la tendance actuelle se maintient, l'augmentation sera probablement supérieure à 6 degrés Celsius.

À ce que je vois, l'agence sonne l'alarme. Nous n'atteindrons jamais l'objectif de 2 degrés. Est-ce ainsi que vous interprétez le rapport? Le cas échéant, j'en conclus que l'agence est en train d'implorer le monde de se réveiller et nous dit que nous courons tout droit à la catastrophe.

M. Vredenburg : Je ne suis pas en désaccord avec vous et je ne crois pas que quiconque s'imagine que nous atteindrons ces objectifs. Je ne sais pas si la science sait vraiment quel sera l'effet. Une augmentation de 2 degrés est-elle le chiffre magique? Je ne sais pas. Je ne crois pas.

David Keith viendra témoigner ce matin, et il pourra vous dire ce qu'il en pense. Nous en avons discuté. Il n'y a rien de magique dans cet objectif de 2 degrés, et je ne pense pas que nous sommes susceptibles de l'atteindre. Mais l'Agence internationale de l'énergie est-elle en train de sonner l'alarme? Je pense que les écologistes, dont font partie dans une certaine mesure des organisations comme l'Agence internationale de l'énergie, sonnent l'alarme depuis beaucoup trop longtemps. Je crois que c'est l'une des raisons pour lesquelles rien ne se produit autour de Kyoto et des autres projets d'accord : personne ne sait vraiment ce qui se passe.

Beaucoup de gens nous répètent sans cesse que le ciel est en train de nous tomber sur la tête, y compris les Al Gore de ce monde, et je ne sais pas vraiment si c'est effectivement ce qui est en train de se produire. Cependant, si l'Agence internationale de l'énergie affirme que nous devrions probablement examiner ces politiques et que diverses personnes se mettent à les examiner, nous assisterons probablement à des changements. Mais ces changements parviendront-ils à limiter l'augmentation à 2 degrés? J'en doute fort.

Le sénateur Massicotte : Nous disons toujours qu'il faut se fier aux données scientifiques pour prendre des décisions. Qu'indiquent la plupart des données aujourd'hui? Quelle sera la conséquence si nous n'atteignons pas l'objectif?

M. Vredenburg : Quels seront les effets, selon les données scientifiques, d'une augmentation supérieure à 2 degrés? Je crois que personne ne le sait vraiment. C'est une expérience en cours. Je crois que nous verrons ce qui se produira lorsque nous y serons, mais je suis d'avis que ce ne sera pas aussi grave que ce qu'on entend. Personne ne le sait vraiment.

Toutes sortes de choses ont été dites. À mon avis, les écologistes ont exagéré pour attirer l'attention des gens, mais ces exagérations ont eu pour conséquence que rien n'a été fait.

M. Kvisle : Je suis absolument d'accord sur ce point. Je crois qu'il est extrêmement difficile de modéliser le système atmosphérique terrestre. J'ai plusieurs dizaines d'années d'expérience dans la modélisation des gisements de pétrole, qui sont également très complexes, mais que l'on peut contrôler beaucoup plus étroitement. Le taux d'erreurs est de 80 p. 100 dans les modèles relatifs aux gisements de pétrole. Nous nous trompons quatre-vingts fois sur cent.

J'ai essayé de creuser avec passablement de rigueur dans les prétendues données scientifiques sur ce qui est en train de se passer. Or, toutes ces données reposent sur la modélisation de systèmes très complexes. Il est très difficile de mettre la main sur l'information qui sous-tend les hypothèses ayant servi à construire ces modèles. Je pense que nous ne savons pas quel effet les êtres humains ont sur la concentration de CO2 dans l'atmosphère comparativement à d'autres sources et nous ne savons pas quel effet a l'augmentation de la concentration de CO2 sur la température de la planète. Il existe beaucoup de modèles conçus par toutes sortes de gens qui aboutissent à certaines conclusions, mais il existe aussi d'autres modèles qui engendrent des conclusions très différentes. Toutefois, les auteurs de ces modèles se font vertement rabrouer lorsqu'ils présentent leurs résultats.

Je pense que la situation est très complexe et je ne crois pas que nous devrions réduire radicalement la consommation d'hydrocarbures parce que la demande connaît une forte augmentation dans les pays en voie de développement. Je ne pense pas qu'il faille être alarmiste au sujet des conséquences parce que je ne pense pas que nous savons vraiment ce qui se passe.

M. Vredenburg : Je voudrais insister sur un point. Je pense que les décideurs s'affairent bel et bien de plus en plus à réduire les émissions de gaz à effet de serre et nous ne pouvons pas ignorer ce phénomène. Que nous ne sachions pas ce qui se produira au-delà de 2 degrés ne justifie pas que nous ignorions la tendance parmi les décideurs. Je pense que nous devrons bel et bien nous adapter à un monde où la production de carbone sera limitée.

Le sénateur Brown : Merci, messieurs. Votre programme m'a vraiment fasciné.

Nous payons nos appels téléphoniques et nous avons des compteurs d'électricité intelligents. Mais si un politicien s'avise de parler d'une taxe sur le carbone, il signe son arrêt de mort. Pourquoi ne serait-il pas possible d'utiliser cette proportion de 80 p. 100, les coûts payés par les consommateurs, et s'en servir pour fixer un coût de transport selon la distance parcourue, peut-être au moyen d'une sorte de taximètre placé dans les véhicules des gens? Il me semble qu'on inciterait ainsi les consommateurs à acheter beaucoup plus rapidement une automobile réellement moins gourmande.

Je conduis un véhicule à quatre roues motrices, car j'habite à la campagne, mais celui que je me suis procuré cette année a une consommation de carburant presque 50 p. 100 inférieure à celui que j'avais avant.

M. Kvisle : Je pense que vous soulevez un point très intéressant, car une taxe sur le carbone aurait pour effet d'inciter le consommateur à utiliser moins d'hydrocarbures par kilomètre parcouru en automobile. L'approche du taximètre dont vous parlez aurait quant à elle pour effet d'inciter les gens à parcourir moins de kilomètres.

Je pense que deux facteurs déterminent essentiellement la réduction de la consommation et des émissions. Il ne faut pas exclure ce genre de mesures. Cependant, la réaction du public à l'idée de mettre des taximètres dans les voitures pourrait être encore plus hostile que devant la perspective d'une taxe sur le carbone applicable aux achats d'essence.

Nous avons vu en Colombie-Britannique que le public est assez disposé à accepter une taxe sur le carbone applicable aux achats d'essence. Bien entendu, il y a les défenseurs de la taxe sur le carbone qui savent se faire entendre et les pourfendeurs de cette taxe qui savent également se faire entendre. Je dirais que 80 p. 100 de la population se situe entre les deux et serait assez disposée à accepter une telle mesure.

Le sénateur Brown : Le compteur intelligent fonctionne vraiment bien pour l'électricité. Pourquoi le principe ne pourrait-il pas être appliqué également au transport? La personne qui diminue sa consommation devrait pouvoir bénéficier d'une réduction de sa facture.

M. Vredenburg : Je pense que la taxe sur le carbone ou une variante de cette taxe est une bonne idée, mais nous devons également nous occuper de l'autre côté de l'équation. Nous devons offrir de bonnes solutions de rechange.

On peut imposer une énorme taxe sur le carbone, mais si le système de transport en commun n'est pas adéquat ou que les gens ne peuvent pas se procurer une voiture consommant moins de carburant, on n'est pas plus avancé. Tout ce qu'on fait alors, c'est augmenter le coût. Les solutions de rechange doivent exister.

Le sénateur Sibbeston : Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur le pipeline de la vallée du Mackenzie? Je crois vous avoir entendu indiquer que vous n'étiez pas tellement optimiste quant à la réalisation de ce projet, mais j'aimerais que vous précisiez votre pensée rapidement.

M. Kvisle : Je peux vous dire rapidement que je vois trois problèmes concernant le projet Mackenzie. Premièrement, l'application de la réglementation a eu une grosse incidence sur le coût du projet. Les gens parlent d'un projet de 16 milliards de dollars, mais le coût du pipeline lui-même est de 8 milliards de dollars. Cette somme aurait été de 5 milliards de dollars seulement si l'application de la réglementation n'avait pas ajouté 3 milliards au coût.

Nous avons pu apprendre comment naviguer dans ces démarches. Les gens de l'industrie ne se trompent pas lorsqu'ils prévoient qu'en fin de compte, le pipeline sera considéré comme acceptable et dans l'intérêt public et qu'il pourra être construit en toute sécurité. Il est intéressant de constater qu'au terme de l'évaluation environnementale, on a conclu justement que le pipeline Keystone pouvait être construit sans danger et sans qu'il y ait un impact important sur l'environnement. L'application de la réglementation a été le premier problème relatif au projet Mackenzie. Le coût du projet a énormément augmenté à cause de cela.

Le deuxième problème est celui des réserves de gaz découvertes jusqu'à maintenant dans le delta du Mackenzie, qui ne sont pas assez importantes pour que le pipeline soit économiquement viable sur une durée de vie de 30 ans, soit la période nécessaire pour rentabiliser un pipeline. Cependant, nous savons tous qu'une fois le pipeline construit, on effectuera du forage additionnel tout comme ce fut le cas en Alberta et en Colombie-Britannique. On verra alors quels seront les résultats. Il y a un problème lorsqu'on attend des promoteurs qu'ils prennent le risque en espérant qu'ils trouveront assez de gaz pour rentabiliser leur pipeline à long terme ou que d'autres en trouveront.

Le troisième problème est celui de l'exploitation des gaz de schiste dans le Nord de la Colombie-Britannique, exploitation qui commence à se répandre en Alberta et qui a mis sur le marché d'énormes quantités de gaz dans l'Ouest canadien, ce qui veut dire que le pipeline de la vallée du Mackenzie apportera du gaz dans un marché probablement déjà saturé. Voilà qui constituera un gros problème.

Les perspectives se sont assombries, mais je dois dire, à la décharge des gens d'Imperial Oil, qu'ils continuent de collaborer avec le gouvernement du Canada pour essayer de trouver un moyen de réaliser le projet.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Kvisle et monsieur Vredenburg. Nous avons très bien commencé avec vous ce qui sera pour nous une journée longue mais fascinante. Vous avez donné un excellent ton à la réflexion, et nous vous en sommes reconnaissants.

Nous passons directement au prochain groupe de témoins. Chers collègues, nous leur demandons quel rôle joueront les technologies dans la transition vers un environnement à faibles émissions de carbone. C'est là-dessus que nous nous concentrerons.

Bonjour. Je pense qu'il manque encore un monsieur, Duke du Plessis. Comme je viens du Québec, j'ai la chair de poule chaque fois que j'entends le nom Duplessis.

Bienvenue, messieurs. C'est un grand plaisir et un honneur pour nous de vous accueillir tous les trois. Comme je viens de le dire, je pense que vous êtes au courant de la question que nous examinons, c'est-à-dire celle du rôle que pourraient et devraient jouer les technologies dans la transition vers un environnement à faibles émissions de carbone ou dans une réduction de ces émissions.

Je ne lirai pas à voix haute votre parcours professionnel, si vous voulez bien, car nous sommes en retard. À ma gauche se trouve M. Richard Adamson, directeur général de Carbon Management Canada inc. Au bout, à ma droite, se trouve Duke du Plessis, conseiller principal en technologies de l'énergie chez Alberta Innovates.

Je pense que vous n'êtes pas francophone, mais je suis heureux de vous souhaiter la bienvenue, monsieur du Plessis.

Est également avec nous le professeur David Keith, de l'Université Harvard.

Nous sommes tout ouïe.

David Keith, professeur, Université Harvard : Chers sénateurs, je ne parlerai pas tant que cela de technologies. Je travaille beaucoup dans le domaine technologique. Je serai heureux de répondre aux questions à ce sujet, mais je vous parlerai plutôt des politiques. Je donne des cours sur les politiques publiques à l'école Kennedy de l'Université Harvard, et je réalise beaucoup de travaux sur les politiques de l'énergie, principalement aux États-Unis et à l'échelle internationale.

Je voudrais vous parler un peu de la confusion qui règne, à mon avis, concernant la réaction du Canada et de l'Alberta aux pressions relatives aux sables bitumineux. Il semble y avoir un malentendu entre les deux camps. Il y a manifestement plusieurs camps, et j'espère que mes observations pourront vous éclairer.

On considère normalement que l'eau est l'enjeu du débat actuel, c'est-à-dire que le pipeline Keystone passe au- dessus de l'aquifère Ogallala et qu'il pourrait y avoir des émissions locales. Donc, la solution consisterait à rendre l'exploitation des sables bitumineux un peu plus propre, à mieux assainir l'eau et à éduquer le public pour qu'il comprenne que l'exploitation des sables bitumineux n'est pas aussi mauvaise que voudraient nous le faire croire certains extrémistes du mouvement écologiste. Il s'agirait aussi d'inciter les gens à consommer moins d'énergie.

C'est le genre de discussion que nous avons entendue au cours de la dernière séance. Je pense qu'on brouille ainsi la stratégie et les tactiques des personnes qui voudraient faire cesser l'exploitation des sables bitumineux et dont je fais fondamentalement partie. Lorsqu'on livre une bataille, se tromper sur ce que l'adversaire est en train de faire n'est pas une bonne stratégie pour gagner.

Réfléchissons bien. Les gens qui dirigent les grandes organisations écologistes et qui ont organisé une campagne pour essayer de bloquer l'exploitation des sables bitumineux ont une vision stratégique bien définie et cohérente. Je collabore avec nombre d'entre eux. Ils ne la présentent pas explicitement et je ne m'exprime pas explicitement en leur nom, car, dans toute bataille, peu importe que vous combattiez des politiques internes et peu importe où vous vous trouvez, la stratégie et la tactique sont deux choses différentes. Dans le feu de l'action, on ne parle pas de ses objectifs stratégiques à long terme.

L'objectif stratégique à long terme consiste à faire cesser l'exploitation des sables bitumineux. Du point de vue des gens qui œuvrent pour gérer à long terme les risques liés au climat, cet objectif est tout à fait rationnel. La raison d'être de cet objectif n'a rien à voir avec la pollution locale, les bassins de décantation ou l'eau. Elle est plutôt liée au fait que les sables bitumineux renferment une très grande quantité de pétrole, qu'ils représentent une production de pétrole à teneur relativement élevée en carbone et qu'ils constituent un capital à exploiter sur une très longue période. Le pipeline Keystone XL, par exemple, constitue un investissement à rentabiliser sur une très longue période, ce qui rendra la tâche difficile à ceux qui veulent proposer des solutions de rechange.

Si vous croyez les données scientifiques de base et les calculs mathématiques, si vous comprenez que nous finirons par avoir un problème en continuant éternellement de rejeter du carbone dans l'atmosphère et si vous considérez qu'il est de votre devoir de tenter d'éviter ce problème à l'humanité, vous ne souhaitez pas que des investissements de ce genre soient faits. Vous savez en particulier que, toutes choses étant égales, les investissements dans les sables bitumineux auront pour effet de faire baisser le prix du pétrole puisqu'il y aura davantage de produits pétroliers sur le marché. Lorsqu'on veut favoriser les solutions de rechange au pétrole, que ce soient les biocarburants de pointe, l'électricité ou autre chose, il ne faut pas que le prix du pétrole baisse. On favorise ces solutions pour réduire les émissions de carbone. La vision stratégique consiste à mettre fin à l'exploitation des sables bitumineux, mais il faut aussi tenir compte du problème politique dans le monde réel. Il est plus facile de mobiliser les gens autour de projets précis à réaliser qu'autour de larges questions comme la taxe sur le carbone.

Il existe un ensemble de raisons pour lesquelles les gens ont décidé d'investir autant sur le plan politique en vue de bloquer le projet Keystone XL. Cependant, les raisons fondamentales pour lesquelles on investit tant ne sont pas celles qu'on invoque dans le feu de l'action. Il ne s'agit pas d'un mensonge, mais bien de la réalité de la politique telle qu'elle se pratique normalement. Il est important que les gens d'ici comprennent bien cette réalité, parce qu'ils sont nombreux en Alberta à croire en quelque sorte qu'ils n'ont qu'à améliorer un peu leurs pratiques. Ils pensent qu'en améliorant de 30 p. 100 l'exploitation des sables bitumineux, en appliquant une meilleure politique de surveillance de l'eau et en construisant quelques éoliennes dans les environs, toute opposition s'évanouira.

Non. L'objectif est de faire cesser cette exploitation, car le problème climatique est bien réel. Cela ne veut pas dire que nous devons tout de suite cesser l'exploitation. Des gens ont parlé tout à l'heure de 50 ans. C'est un problème à long terme. Cependant, l'objectif est de mettre fin à l'exploitation, un point c'est tout. Le problème concerne le produit lui-même, c'est- à-dire le pétrole, et non la méthode d'exploitation. Les gens dont l'objectif stratégique consiste à faire cesser l'exploitation s'opposent au produit lui-même.

Je pense qu'il est assez important de comprendre cela parce que ce pays et cette ville font face à un danger en particulier. L'avant-dernière fin de semaine, je suis allé à Détroit, où l'on rase littéralement les banlieues à grand renfort de bulldozer. Voilà ce qui se passe dans une ville mono-industrielle lorsque la seule industrie se met à mal aller.

Je crois qu'il est tout à fait possible qu'une chose pareille se produise ici dans 30 ans. Le risque est grand. Le pétrole extrait ici coûte cher et contient beaucoup de carbone. Si le monde décide qu'il n'en veut pas, ce que les gens d'ici décident est sans importance. Soyons clairs, le gouvernement de l'Alberta n'a pas l'intention de légiférer pour mettre fin à son existence, bien entendu.

Les gens d'ici prennent des décisions qui sont dans leur intérêt à court terme, et je ne le leur reproche pas. C'est normal. Je suis actionnaire de certaines de ces sociétés. Elles doivent faire tout leur possible pour protéger les intérêts des actionnaires.

Cependant, il est important que nous songions collectivement au danger à long terme, qui est sérieux. Ce danger est la décision des gens qui, pour des raisons qu'ils considèrent comme valables et que je considère aussi comme valables, ne voudront plus de ce produit. Cette décision ne sera pas prise à la légère. Je pense que les perspectives sont vraiment sombres ici, et nous devons réfléchir sérieusement à la gestion de ce risque, ce qui implique de faire des investissements susceptibles d'être gagnants dans une économie où la production de carbone sera sérieusement limitée. C'est une stratégie de couverture des risques.

Cette stratégie comprend entre autres des innovations technologiques, mais pas pour donner une meilleure image aux sables bitumineux, car cela ne sera d'aucune utilité. Je ne veux pas dire que vous ne devriez rien faire à ce chapitre, mais vous ne devriez pas le faire dans l'optique d'atténuer le risque fondamental qui menace l'Alberta.

Voilà ce que je voulais dire à propos de la stratégie et des tactiques. Ce n'est pas ce que je prévoyais, mais je peux vous parler un peu de climatologie parce qu'il en a été question la dernière fois. Je crois qu'il s'agit de... et je serai heureux de répondre aux questions sur les points forts, les points faibles, les possibilités et l'analyse des menaces.

Le président : Premièrement, êtes-vous originaire de l'Alberta?

M. Keith : Non, j'ai vécu ici pendant sept ans. J'adore l'endroit. Je pratique la chasse.

Le président : Vous avez une entreprise ici?

M. Keith : J'ai une entreprise ici. J'adore cet endroit, et je suis né au Canada. J'y ai grandi et je pense vraiment avoir à cœur l'intérêt de l'Alberta à long terme, car si vous voulez que l'on trouve ici une collectivité dynamique dans 20 ou 30 ans, vous devez comprendre que les intérêts des Albertains ne sont pas les mêmes que ceux des actionnaires des grandes sociétés qui se trouvent ici.

Je suis également actionnaire. Les sociétés sont dirigées par les actionnaires, qui ont des intérêts à court terme par définition. Nos intérêts sont définis en termes de rendement trimestriel. Ce sont des intérêts différents, et nous devons songer sérieusement aux intérêts de la collectivité d'ici et à la manière d'employer, notamment dans 20 ou 30 ans, le grand nombre de gens prospères qui peuplent cette ville.

Le président : Comme je l'ai dit, je ne lirai pas les parcours professionnels des témoins, mais vous les trouverez dans les cahiers d'information. Ce monsieur est un bel exemple du risque de fuite des cerveaux vers les États-Unis. C'est une grande étoile canadienne.

M. Keith : Permettez-moi quelques observations sur la climatologie, puisqu'il en a été question. Je pense que l'un des principaux points faibles caractérisant le discours que j'entends ici est la méconnaissance du danger.

Je suis d'accord avec M. Kvisle sur beaucoup de points. Je pense qu'il a tout à fait raison au sujet de la taxe sur le carbone ainsi qu'à beaucoup d'autres égards, mais permettez-moi de vous dire simplement certaines choses sur la réalité et sur la perspective d'un cadre de société pétrolière qui parle des données scientifiques. Chacune de ses affirmations sur les données était fausse, et je vous dirai pour quelle raison. Mais ce n'est pas seulement que ces affirmations sont fausses. C'est également qu'il a décidé de professer ce point de vue et que beaucoup de gens dans ce milieu ne croient pas aux données. Ce n'est pas seulement lui; c'est tout le monde. C'est beaucoup de monde. Lorsqu'on fréquente les gens d'ici, dans les soirées notamment, on les entend affirmer couramment qu'ils sont mieux informés. Ils croient simplement que c'est tout faux.

Ce n'est pas ainsi qu'on peut être gagnant ni dans le monde des affaires, ni à la guerre, ni dans un autre domaine. On ne gagne pas si l'on connaît mal les faits. Comprendre les faits ne signifie pas obéir immédiatement aux défenseurs de l'environnement. Même si nous considérons que les données scientifiques de base sont justes, nous ne sommes pas obligés de réduire les émissions immédiatement. Nous devons cesser d'investir dans les sables bitumineux dans un avenir rapproché pour investir l'argent ailleurs, dans les domaines que nous aurons choisis. Nous ne devrions pas simplement capituler. Mais prétendre qu'un plus un font autre chose que deux ne constitue pas une bonne stratégie.

Permettez-moi de vous rappeler ce qu'il a dit : ce ne sont que des modèles, et il est difficile d'obtenir les hypothèses qui sous-tendent ces modèles. Je ne sais pas s'il a passé beaucoup de temps à faire des recherches sur le sujet, mais les programmes informatiques et la documentation relative à pratiquement tous les modèles sont publics et disponibles dans Internet. L'autre jour, je voulais trouver un programme informatique sur la radiation, qui fait partie d'un modèle climatique, car je voulais apporter une modification à ce programme. Alors, il m'a fallu environ cinq minutes pour arriver au cœur du programme. Toute cette information est publique.

On nous dit que d'autres modèles qui sont assez populaires nous permettent d'arriver à d'autres conclusions. Ce serait un argument de poids si c'était vrai. Il n'existe pas un seul modèle obéissant aux lois fondamentales de la physique et constituant une véritable modélisation informatique du climat qui ne montre aucun effet sur le taux de CO2 ou un faible effet. Si un tel modèle existait, nous nous trouverions dans un autre monde, où l'incertitude scientifique serait beaucoup plus grande. De tels modèles n'existent pas. Je serai heureux de remettre la somme de 10 000 $ à la personne qui pourra me montrer un tel modèle. Il n'y en a pas, et la raison est tout simplement que les lois de la physique veulent dire quelque chose.

Ce qui existe, c'est une série de critiques, parfois financées par l'industrie, parfois sincères, qui sont concentrées à la périphérie. Elles peuvent relever beaucoup de petits points faibles en périphérie, et ce sont des observations qui sont vraies, bien entendu. Cependant, si les interprétations scientifiques dans ce domaine n'ont pas beaucoup changé depuis 100 ans — le premier modèle exact ayant vu le jour en 1890 —, c'est parce que les principes de physique sont assez simples. Ces principes reposent sur un grand nombre d'observations de haute qualité.

Une dernière remarque m'a fait sourire : « Nous ne savons pas quel effet les êtres humains ont sur la concentration de CO2. » Voyons donc. À l'heure actuelle, le degré d'incertitude concernant le bilan de carbone n'est plus que de 10 p. 100. Nous disposons de multiples instruments de mesure qui sont complètement indépendants et qui se recoupent. Nous avons établi un portrait très fiable de la situation. Prétendre que ce n'est pas vrai est une illustration selon moi d'une espèce de manque de confiance fondamental qu'éprouve notre société à l'égard des institutions scientifiques et de la rationalité. C'est le même genre d'attitude qui se manifeste lorsque les gens ne veulent pas faire vacciner leurs enfants parce qu'ils prétendent que les vaccins sont dangereux, lorsqu'ils affirment que les téléphones cellulaires causent le cancer ou lorsqu'ils disent qu'il n'y a pas eu évolution des espèces. C'est une manière de prendre ses distances fondamentalement à l'égard de la rationalité et de la science. Si nous agissons ainsi en Occident, les Chinois nous dépasseront, car ce sont des technocrates qui les dirigent. Nous ferions mieux d'être vraiment honnêtes en ce qui concerne les faits et de ne pas confondre la stratégie et les tactiques. Merci.

Le président : Merci, professeur. C'est très intéressant. Comme je suis de l'aile droite, je cède maintenant la parole à M. Adamson.

Richard Adamson, directeur général, Carbon Management Canada Inc. : Merci beaucoup. C'est vraiment un honneur de pouvoir m'exprimer devant vous.

Le président : C'est ma position au hockey, pas en politique.

M. Adamson : J'ai écouté les exposés précédents, et j'ai l'impression qu'une grande partie de ce que j'allais dire a déjà été dit, et avec beaucoup d'éloquence de surcroît, mais je le dirai de toute manière. Je commence par vous présenter Carbon Management Canada parce que je me doute que beaucoup d'entre vous ne connaissent pas encore cette entreprise relativement nouvelle.

Carbon Management Canada fait partie des Réseaux de centres d'excellence du Canada. Nous existons depuis 2009 et nous visons à former les gens, à développer les technologies et les idées susceptibles de favoriser la récupération et la réutilisation des combustibles fossiles ainsi qu'à amener les grands émetteurs fixes de gaz à effet de serre à réduire considérablement leurs émissions. Notre travail est axé sur l'innovation, qui, par définition, se produit seulement lorsque les résultats de la recherche sont mis en pratique. Par conséquent, nous nous employons aussi à créer des outils qui facilitent les liens entre les chercheurs et les praticiens, dans l'industrie, les administrations publiques et les ONG et qui visent particulièrement à répandre les pratiques d'innovation dans les universités canadiennes.

L'entreprise est appuyée par les gouvernements fédéral et albertain et par sept sociétés œuvrant dans le domaine des énergies fossiles. Nous finançons actuellement 150 chercheurs dans 26 universités et collèges au Canada. Nous avons administré deux cycles de financement et nous entreprenons maintenant le troisième. Jusqu'à maintenant, nous avons financé 36 projets de recherche, qui totalisent 18 millions de dollars en financement direct, plus un montant substantiel de financement venant de l'industrie et d'autres sources étatiques.

Dans les demandes de proposition précédentes, nous avons mis l'accent sur le secteur des énergies fossiles, avec quelques projets sur les technologies génériques de réduction des émissions, comme la désagrégation accélérée des roches et la minéralisation du CO2 ainsi que le captage direct dans l'air, y compris certains travaux de David Keith. Nous avons aussi des projets dans d'autres domaines rattachés aux énergies fossiles.

Dans la demande de propositions actuelle, le réseau de centres d'excellence Carbon Management Canada cherche à financer des projets liés à la réduction des émissions issues des activités minières, des procédés métallurgiques et de la production de ciment. Le réseau de centres d'excellence Carbon Management Canada finance des projets de recherche ambitieux visant à concevoir des techniques et des politiques sociales qui changent les règles du jeu plutôt que de provoquer un développement quantitatif. Le réseau encourage en outre la participation à des projets multidisciplinaires, interétablissements, intersectoriels et internationaux en vue de faciliter l'émergence d'idées nouvelles et d'inciter les chercheurs canadiens à œuvrer sur la scène mondiale.

Je passe rapidement à un autre sujet. Le mandat du réseau de centres d'excellence Carbon Management Canada consiste entre autres à répondre à la demande croissante de professionnels hautement qualifiés œuvrant dans le domaine. Le réseau a formé un comité national de développement de la main-d'œuvre professionnelle hautement qualifiée. Dans le cadre de ce développement de la main d'œuvre, nous avons principalement axé nos efforts sur le captage et le stockage du carbone. Nous avons examiné toutes les technologies en cours de développement ainsi que les courbes qui découlent implicitement des engagements du gouvernement à réduire les émissions de gaz à effet de serre.

L'une des questions centrales qui sont souvent minimisées est la pénurie de personnes hautement qualifiées dont nous aurons besoin pour mettre en œuvre ces technologies, en supposant qu'il y ait des incitatifs financiers et que les autres conditions soient réunies pour réaliser les projets.

De nombreux ensembles de compétences sont nécessaires, par exemple, dans le domaine du captage et du stockage du carbone existent des variantes pour l'industrie du pétrole et pour l'industrie du gaz. Avec les changements démographiques qui se produisent aujourd'hui, nous devrons affronter une pénurie dramatique des compétences nécessaires, compte tenu des activités actuelles de l'industrie et de ses projets, sans même qu'il soit encore question du captage et du stockage du carbone. Il se pourrait bien que cette pénurie devienne le facteur limitatif dans ce domaine. Comme il existe également d'autres politiques à mettre en œuvre, nous serons peut-être incapables de réaliser les progrès souhaités faute de personnel pour y arriver dans les délais à respecter.

En ce qui concerne les obstacles à la réussite, il est entendu que même si nous disposons de personnes qualifiées et bien formées, la réussite ne sera assurée que si nous ne limitons pas l'application des solutions qui s'offrent à nous en ce moment et celles qui sont en cours d'élaboration à quelques projets pilotes. L'un des principaux obstacles qui nous empêche de faire avancer la recherche, d'attirer de nouveaux talents dans les différents champs où nous avons besoin d'eux et de mettre en pratique les résultats de recherche est le manque d'incitatifs économiques à la réduction des émissions de carbone. Cela vous rappelle peut-être quelque chose.

Bon nombre d'entreprises ne bénéficient pas d'un rendement clair en ce qui concerne leurs investissements dans les technologies de gestion du carbone, plus précisément le captage et le stockage du carbone, qui exigent des investissements très importants. Au lieu de cela, beaucoup d'entre elles cherchent à mettre l'accent sur les technologies qui réduiront graduellement les émissions de carbone, à l'aide des technologies existantes, ce qui leur offre un rendement immédiat et leur coûte beaucoup moins cher. Même s'il s'agit de technologies importantes, elles ne sont pas susceptibles de nous permettre de respecter nos engagements. La demande n'est pas assez forte en ce qui concerne les technologiques qui changeront la donne.

De nombreuses technologies prometteuses sont déjà en cours de production grâce aux premières rondes de financement de Carbon Management Canada et à d'autres processus de financement. Ce qu'il nous faut pour que ces résultats représentent une réelle innovation, c'est mettre le tout en pratique, ce qui n'est pas chose simple, passer du banc d'essai aux projets pilotes, puis à la mise en œuvre intégrale sur le plan commercial, ce qui exige du temps et des efforts de même que beaucoup de fonds, qui devront être fournis par le milieu de la recherche, l'industrie et le secteur de la réglementation. Cela dit, sans signaux économiques, même les résultats de la recherche la plus prometteuse n'iront pas plus loin que l'étape de la publication; il en a été de même pour beaucoup d'excellentes recherches.

C'est là le problème auquel le Canada est confronté. Nous jouons dans les ligues majeures en ce qui concerne la recherche fondamentales, mais dans les ligues mineures pour ce qui est de l'innovation et de la mise en œuvre des technologies.

Malgré cela, deux options intéressantes pourraient donner lieu à des possibilités. L'une de ces options consiste à établir des relations avec les entreprises de l'Union européenne et de l'Asie spécialisées dans la technologie afin de maximiser la commercialisation par leur entremise, étant donné qu'elles hésitent beaucoup moins à prendre des risques et acceptent davantage de mener des projets pilotes. Même si les Canadiens profiteront beaucoup moins des avantages économiques découlant des efforts de recherche si nous retenons cette option, au moins, les technologies seront offertes sur le marché et l'industrie canadienne pourra les acquérir lorsque les conditions économiques créeront une demande. Nous achèterons nos propres technologies de Toshiba et de Mitsubishi.

La deuxième option consiste à établir une structure de prix nationale pour le carbone qui sera de portée générale, transparente et facile à comprendre. Même si beaucoup de gens sont d'avis qu'une telle structure pénalise grandement les entreprises sur le plan financier, cette hypothèse doit être vérifiée. Selon le Conference Board du Canada, l'intensité énergétique canadienne a diminué de 34 p. 100 entre 1971 et 2008. Bien souvent, on invoque le choc pétrolier des années 1970 pour justifier le lien direct entre le prix de l'énergie et les retombées économiques. Cependant, ce lien s'affaiblit. En outre, au fur et à mesure que les investissements et les innovations découlant de ces incitatifs seront mis en œuvre, ce lien s'affaiblira de plus en plus rapidement.

Le milieu canadien de la recherche dispose d'une capacité de recherche extraordinaire qui pourrait permettre de régler les principaux problèmes touchant les émissions de carbone industrielles, mais nos universités et l'industrie n'ont pas réussi à convertir ces inventions en innovations.

Je m'entretiens régulièrement avec les gens de l'industrie d'ici. Nous entendons souvent dire que l'industrie est prête à mettre en pratique les résultats de la recherche, mais seulement si le cadre réglementaire est sûr et si des incitatifs économiques sont offerts. Beaucoup de gens de l'industrie disent qu'ils ont des plans en attente, mais ils sont frustrés, car ils ne peuvent pas justifier leur mise en œuvre tant qu'ils n'obtiennent pas les signaux requis. Bon nombre d'entre eux appuieraient davantage de projets pilotes, mais puisque les signaux économiques sont incertains et que le moment semble plus ou moins bien choisi, cela semble risqué.

La récession économique mondiale a durement touché de nombreux pays, ce qui les a forcés à détourner temporairement leur attention de cet enjeu très important. Cependant, le Canada est dans une position idéale pour exploiter sa richesse relative, sa stabilité et l'abondance de ses ressources d'énergie fossile afin de jouer un rôle de chef de file en ce qui concerne l'innovation dans le domaine des émissions de carbone. Il faudra donc obtenir des signaux de prix clairs, transparents et de portée générale.

Les entrepreneurs, les chercheurs et les investisseurs ont de la difficulté à interpréter les signaux réglementaires complexes. Les règlements ambigus ou susceptibles de donner lieu à des interprétations différentes peuvent accroître la perception du risque. Ils ralentissent également les investissements dans les technologies et le développement de celles- ci, car il faut plus de temps pour comprendre les exigences et y donner suite.

Des signaux simples, clairs et de portée générale peuvent être convertis précisément en calculs du rendement du capital investi, même par les petites et moyennes entreprises qui n'ont pas accès aux services de nombreux économistes et avocats. Des signaux concis et clairs permettent aux investisseurs d'évaluer plus rapidement les décisions qu'ils doivent prendre en matière d'investissement et font en sorte qu'il est plus facile d'avoir accès aux priorités en matière de recherche et de commercialisation et de les mettre en œuvre. Ils réduisent aussi la probabilité de conséquences inattendues et perverses.

Bien entendu, il est important que le gouvernement finance la recherche. Cependant, des signaux de prix efficaces donneront lieu à un soutien bien ciblé provenant du secteur privé et attireront dans le domaine plus de chercheurs, d'entrepreneurs et d'innovateurs très compétents.

Si le Canada s'engage à jouer un rôle de chef de file en ce qui concerne la détermination de la valeur des émissions de carbone, nous établirons des mesures qui serviront de tremplin à nos futures industries mondiales. Nous jetterons les bases de la réussite des prochaines générations en saisissant les occasions associées à notre richesse en ce qui concerne les énergies fossiles et en assumant les responsabilités qui y sont liées.

Au même moment, les États-Unis et beaucoup d'autres pays du monde mettent de côté de l'établissement du prix du carbone pour s'occuper de la grave crise économique qui secoue le monde, car ils sont plus touchés par celle-ci que le Canada. La différence est surtout attribuable à la force du secteur des énergies fossiles au Canada.

Nous revenons donc au point de départ. Inévitablement, l'attention du monde finira par être de nouveau axée sur les changements mondiaux attribuables aux émissions de gaz à effet de serre. En prenant des mesures maintenant, le Canada pourra tirer parti de la situation actuelle et fournir des technologies aux producteurs d'énergie fossile du monde entier. Le Canada est très bien placé pour comprendre et élaborer la prochaine génération de technologies qui permettront d'aborder les problèmes posés par les émissions de carbone associées à la production et au traitement des énergies fossiles.

Lorsque le but consiste à favoriser et à accélérer la croissance d'un écosystème d'innovation, les signaux doivent être clairs et visibles pour les chercheurs, les PME, les investisseurs providentiels, les sociétés de capital risque et les banquiers; ils doivent aussi l'être pour les fournisseurs de technologie, les auteurs des projets, les agents d'intégration des projets et les entreprises de services, de même que pour les collègues et les universités qui planifient leurs programmes d'enseignement.

Une structure de prix claire, de portée générale, prévisible et transparente, qu'elle soit obligatoire ou fixée par les mécanismes du marché, montrera aux Canadiens et au monde entier que le Canada reconnaît que la richesse découlant des ressources apporte des avantages, mais suppose aussi des responsabilités, et que nous assumons ces responsabilités. Le Canada n'est pas un profiteur sur la scène environnementale internationale.

J'aimerais faire quelques observations au sujet de certaines questions qui ont été soulevées plus tôt. Les observations formulées quant au fait que le captage et le stockage du carbone sont irréalisables en raison des aspects économiques et des pénalités sont tout à fait exactes. Compte tenu du manque d'investissements dans l'innovation dans ce domaine, nous nous fions à des aspects économiques qui sont surtout fondés sur des technologies des années 1950; c'est ce qui est appliqué en ce moment pour les projets pilotes.

C'est très bien. On démontre le concept, mais il ne faudrait pas faire de généralisations à partir du niveau actuel de la technologie qui est, essentiellement, un amalgame d'anciennes technologies, pour démontrer ce concept, et supposer qu'on ne peut pas faire évoluer davantage cette technologie. Environ — cela dépend toujours du projet donc il est question — 75 p. 100 à 80 p. 100 du coût total du projet est associé au volet captage du carbone.

Comme je l'ai dit, l'utilisation de solvants amines est une technologie des années 1950. On a graduellement apporté des améliorations aux solvants, mais en réalité, il n'y a pas eu beaucoup de percées dans ce domaine. En ce moment, dans les laboratoires, on élabore des améliorations technologiques qui changeront grandement la donne. Cependant, il est peu probable qu'elles soient mises en pratique, à moins que l'on puisse montrer qu'il y aura un marché pour ces technologies au-delà des quatre projets pilotes qui sont en ce moment financés. Sans signaux de prix, les choses ne changeront pas.

Oui, c'est tout à fait vrai, les technologies existantes ne sont pas économiques. Elles ne seront remplacées par des technologies plus économiques que lorsque des signaux de prix seront offerts à l'appui de celles-ci.

Quelqu'un a aussi demandé ce qu'on devrait faire des fonds recueillis grâce à une taxe sur le carbone. Je crois que le gouvernement de l'Alberta est sur la bonne voie, car il a instauré un mécanisme visant à appuyer l'innovation sous forme de projets pilotes, entre autres, même si je conviens qu'il faut très bien examiner le tout pour veiller à ce que ces projets soient susceptibles de donner lieu à des résultats viables sur le plan commercial ou puissent raisonnablement produire de tels résultats. Étant donné la taille des projets dont on parle, ce n'est probablement pas suffisant, mais je crois que si on instaure un plan fiscal de portée générale ou une structure de prix de portée générale pour le carbone, il y aura sans doute des conséquences sur certains secteurs économiques. Il pourrait alors être nécessaire d'offrir des suppléments ou des dédommagements, et une partie des fonds devrait probablement servir à cela.

Ce qui me préoccupe, c'est que si nous faisons moins que cela et que le processus réglementaire est fragmentaire, nous pourrions être aux prises avec des situations perverses, soit que les gens réduisent leurs émissions de carbone ici en prenant des décisions qui donneront lieu à une augmentation des émissions de carbone dans un secteur moins réglementé.

En fait, je vais revenir un peu sur les commentaires du professeur Keith au sujet des changements mondiaux et de la question des 2 degrés Celsius. L'été dernier, j'ai participé à un forum sur les changements mondiaux au MIT. Ce fut une expérience fascinante et révélatrice. En somme, selon ce que j'ai compris, c'est que ces 2 degrés Celsius constituent ce qu'ils appellent une barrière, et qu'en fait, la modélisation leur permet d'obtenir d'assez bonnes prédictions quant à ce qui se produit de ce côté-ci de la barrière. La modélisation permet de prévoir que d'autres effets commenceront à se faire sentir lorsque nous franchirons cette barrière, et l'incertitude augmente quant à ce qui se produira exactement lorsque nous irons au-delà de cette barrière. Pour moi, c'est similaire à ce qui se produit lorsqu'on franchit une barrière et qu'on se retrouve dans le brouillard. Selon les environnementalistes, c'est le précipice. Selon d'autres personnes, c'est la chaussée.

Je ne crois pas que c'est la chaussée qui s'ouvre devant nous, mais je ne pense pas non plus que c'est un précipice. Nous devrons parcourir quelques routes cahoteuses lorsque viendra le moment de nous attaquer aux problèmes posés par les changements mondiaux plus extrêmes.

Si j'utilise le terme « changements mondiaux », c'est parce certaines personnes qui parlent du réchauffement climatique ou des changements climatiques font des suppositions erronées. Le problème lié au CO2 dans l'atmosphère va bien au-delà de cela. Des gens affirment que les océans assureront une protection et absorberont le CO2. C'est vrai, mais à quel prix? Les océans commencent à s'acidifier. Les couches de surface des océans commencent à s'acidifier, ce qui anéantit une grande partie des pêches, entre autres.

Le problème de modélisation n'est pas seulement un problème de thermodynamique. C'est un problème chimique et thermodynamique, et le volet le plus important du problème de modélisation dans son ensemble, c'est le comportement humain. Il faut tenir compte des changements sociaux, des changements de comportement et des déplacements de populations qui découlent de ces modifications de la température. Lorsqu'il est question de changements extrêmes, notre boule de cristal est remplie de brouillard. Merci.

Le président : Monsieur, je vous remercie. On m'a dit que lorsqu'on franchit la barrière et qu'on entre dans le brouillard, on se retrouve sur un très beau terrain de golf.

M. Keith : On peut toujours l'espérer.

Le président : Passons maintenant à Duke du Plessis. M. du Plessis est conseiller principal en technologies de l'énergie au sein d'Alberta Innovates - Energy and Environment Solutions, une organisation dont les activités relevaient auparavant de l'Alberta Energy Research Institute et du ministère des Finances et de l'Entreprise de l'Alberta.

Encore une fois, monsieur, votre expérience montre que vous vous êtes réellement distingué dans vos champs de compétence; vos réalisations figurent dans notre cahier. Nous avons aussi le document en main, donc, nous sommes prêts à vous écouter.

Duke du Plessis, conseiller principal, Technologies de l'énergie, Alberta Innovates : Je vais utiliser ces notes, le document vert que vous avez devant vous. Je vais les passer en revue dans l'ordre et formuler quelques commentaires, si vous voulez suivre ce que je vais dire.

La deuxième diapositive présente Alberta Innovates - Energy and Environment Solutions, AI-EES. Il s'agit d'une société provinciale qui a été créée en janvier 2010 et qui s'occupe de la recherche, de l'innovation et de la mise en œuvre de la technologie pour le gouvernement de l'Alberta dans les domaines de l'énergie et de l'environnement. Elle a une longue histoire. Elle a entrepris ses activités aux alentours de 1970 et s'appelait alors l'Alberta Oil Sands Technology Research Authority; cette organisation est ensuite devenue l'Alberta Energy Research Institute pendant 10 ans, et on l'appelle maintenant Alberta Innovates - Energy and Environmental Solutions. J'essaie encore de m'habituer à utiliser ce nom.

On a récemment élargi la portée de notre mandat afin d'y inclure l'Alberta Water Research Institute, et notre objectif consiste à demeurer à l'avant-plan des technologies et des processus qui revêtent une importance stratégique pour le développement des secteurs de l'environnement, de l'énergie et de l'eau de l'Alberta. Cela dit, nous n'accomplissons pas toutes ces tâches seuls, mais bien en partenariat avec l'industrie et grâce aux réseaux que nous avons établis avec les organisations de recherche et développement partout dans le monde. Voilà l'historique de notre société.

Je vais passer à la prochaine diapositive, où figurent les messages clés. Mes messages clés sont liés de très près au renforcement de l'avenir énergétique du Canada à long terme, qui est le sujet de ces discussions. D'abord, nous savons tous que les importantes ressources énergétiques de l'Alberta offrent une source d'énergie sûre à long terme pour l'Amérique du Nord et les futurs marchés mondiaux, mais si nous voulons prendre de l'expansion et répondre aux besoins de ces marchés mondiaux en croissance, nous devons d'abord y avoir accès.

L'industrie énergétique contribue grandement à la prospérité du Canada. À l'heure actuelle, environ 23 p. 100 des emplois liés à l'industrie des sables bitumineux sont situés à l'extérieur de l'Alberta. Au cours des 25 prochaines années, l'industrie des sables bitumineux soutiendra 450 000 emplois partout au pays. Pendant cette même période, les entreprises du secteur énergétique de l'Alberta achèteront pour environ 155 milliards de dollars de services uniquement en Ontario. Il s'agit d'investissements importants qui contribuent grandement à la prospérité du Canada et qui, bien entendu, contribueront également à la création d'emplois pour la prochaine génération. C'est important, et c'est quelque chose que nous devons prendre en compte lorsque nous envisagerons des changements.

L'innovation et le développement technologique sont des éléments essentiels du développement durable et d'un avenir durable. C'est là notre raison d'être. Nous nous consacrons à la technologie et à l'innovation, et nous appuyons un portefeuille équilibré qui est axé sur les principaux enjeux techniques, environnementaux et économiques.

Je tiens à faire valoir, dans ma présentation, que d'importances percées technologiques sont effectuées grâce aux partenariats entre l'industrie et le gouvernement, en collaboration avec d'autres organismes de recherche. J'aimerais donner quelques exemples à la fin de ma présentation.

En ce qui concerne la prochaine diapositive, qui s'intitule « Broader Energy Markets », les grands marchés de l'énergie, le Canada et l'Alberta disposent de grandes quantités d'hydrocarbures et de ressources énergétiques renouvelables. Nous le savons. Nous n'avons pas que des hydrocarbures : nous avons aussi des ressources renouvelables. Les marchés que nous avons servis récemment, la faible croissance de la demande aux États-Unis, a des répercussions sur l'exportation de ces produits dans ce pays. Un facteur en particulier a eu des répercussions négatives sur l'industrie énergétique, et c'est le fait que le gaz de schiste des États-Unis gruge les parts de marché traditionnellement occupées par le gaz naturel. Il ne fait aucun doute que cela a eu de graves répercussions sur l'Alberta. Il y a une augmentation de la demande à l'échelle mondiale en ce qui concerne l'énergie, ce qui signifie qu'il faut développer de nouveaux marchés, plus particulièrement en Asie, pour nous imposer sur le marché mondial.

Nous sommes conscients des enjeux environnementaux et du fait que pour certains, les sables bitumineux sont une source d'énergie polluante, un combustible à teneur élevée en carbone, et c'est l'un des aspects que nous devons prendre en compte. L'une des façons de faire — je passe maintenant à la prochaine diapositive —, c'est de diversifier les produits et les marchés et d'ajouter de la valeur à nos ressources.

Ce concept est une politique du gouvernement de l'Alberta, qui tente de favoriser la production à valeur ajoutée, et le concept dans ce cas consiste à convertir des hydrocarbures de faible valeur et des ressources renouvelables en produits commercialisables qui ont une valeur plus élevée, généralement des carburants et des produits chimiques. Pour ce faire — et grâce à ce mécanisme, il est possible de créer de nouveaux marchés et des marchés étrangers — il faut avoir des matières premières à faible coût, des technologies de pointe et des infrastructures concurrentielles.

Des obstacles nuisent à la production de cette valeur ajoutée. Par exemple, en ce moment, en Alberta, nous avons amélioré et raffiné le bitume et ainsi produit des carburants propres de haute qualité pour le transport. On a mentionné que North West Upgrading propose un nouveau projet. Pour ce qui est de convertir le coke des sables bitumineux en engrais à base d'hydrogène et en produits chimiques — le coke pose un problème du point de vue des déchets — il faut se demander s'il est possible de faire quelque chose avec le coke, au lieu de l'accumuler. Nous en avons accumulé des centaines de milliers de tonnes. Il serait possible, si nous pouvions y ajouter de la valeur, de produire d'autres types de revenus à partir de nos sables bitumineux.

Un troisième exemple consiste à convertir les déchets municipaux en biocombustibles et produits propres, et je donnerai un exemple de ce projet ultérieurement.

Ce sont tous des exemples de concepts permettant d'ajouter de la valeur et de diversifier nos produits et nos marchés.

La prochaine diapositive porte sur le fait que la technologie est essentielle. Il convient d'abord de souligner que nos ressources, plus particulièrement les sables bitumineux, sont difficiles à produire. Elles ne proviennent pas d'un réservoir, et il faut développer des technologies particulières pour les exploiter. Le développement de technologies permettant d'extraire les sables bitumineux de façon rentable fait partie de l'histoire de cette industrie.

Pour ce faire, nous avons besoin de technologies qui changent la donne afin de réduire les coûts et notre empreinte écologique, et c'est en quelque sorte dans ce domaine que nous travaillons. Cependant, ce qui est indéniable, c'est qu'il faut entre 20 et 30 ans pour développer et commercialiser de nouvelles technologies. Les sables bitumineux en sont un exemple. Leur exploitation a commencé pendant les années 1970, et ils sont encore... ils sont rentables maintenant, mais ce sont les innovations continues qui font en sorte qu'ils demeurent concurrentiels. Il a fallu plus de 30 ans pour arriver au point où nous en sommes, c'est-à-dire être que nous pouvons réduire à la fois les coûts et notre empreinte écologique.

Pour ce faire, il faut innover et s'améliorer continuellement, et il faut des investissements soutenus à long terme dans la recherche et le développement technologique. Comme je l'ai déjà mentionné, les partenariats entre l'industrie et le gouvernement sont nécessaires pour partager les coûts des risques associés à ces investissements à long terme, qui sont très coûteux.

Je vais maintenant passer à la prochaine diapositive. Nous marquons des progrès grâce aux partenariats entre l'industrie et le gouvernement. J'ai donné certains exemples du portefeuille d'investissement d'AI-EES, qui vise généralement quatre domaines : les technologies de l'énergie; la gestion environnementale, qui comprend l'eau, et les produits de queue des sables bitumineux; il y a aussi le captage et le stockage du carbone; et enfin, les ressources renouvelables et émergentes, y compris les programmes relatifs aux énergies renouvelables et aux carburants de remplacement.

Notre portefeuille est très vaste. Nous ne nous occupons pas uniquement des technologies relatives aux sables bitumineux ou aux combustibles fossiles. La question est donc la suivante : quel est le rôle du gouvernement? Nous sommes une organisation gouvernementale. Quel est le rôle du gouvernement en ce qui concerne le développement technologique?

Son principal rôle consiste à créer les conditions propices aux investissements dans le développement des ressources. Il faut créer un climat propice à l'investissement, et il faut investir activement dans la recherche et le développement technologique.

Je vais donner quelques exemples, entre autres un qui remonte à 1970. L'Alberta Oil Sands Technology and Research Authority, ou AOSTRA, avait financé les installations souterraines d'essai, qui sont maintenant le pilier de la technologie d'extraction in situ, qui est la technologie nécessaire pour extraire le bitume à de plus grandes profondeurs. Nous voilà maintenant presque 50 ans plus tard, 40 ans plus tard, et cette technologie est maintenant commercialisée et sans cesse améliorée.

Il y a un projet pilote de captage et de stockage du carbone, d'une valeur de 2 milliards de dollars, a été mentionné plusieurs fois ici. C'est l'un des rôles que le gouvernement joue. Il y a aussi ce mécanisme de financement innovateur, la Climate Change and Emissions Management Corporation, ou CCEMC, qui investit les produits de la taxe sur le carbone dans les technologies de réduction des gaz à effet de serre. Cette organisation investit environ 60 millions de dollars par année, qui proviennent des taxes payées par les grands émetteurs qui dépassent leurs émissions de référence. C'est un programme novateur. En outre, le gouvernement appuie les sociétés Alberta Innovates.

Maintenant, j'aimerais simplement donner quelques exemples de ce dont j'ai parlé. Dans la prochaine diapositive, il est question de la chaîne de valeur du pétrole. Pour commencer, on part du pétrole, peut-être du bitume, qui est le produit de base, auquel on attribue une valeur de 1. Si on avance dans la chaîne de valeur, on passe aux produits pétrochimiques, puis aux monomères, et ensuite aux résines plastiques, puis, lorsqu'il est question des produits de plastique, le multiplicateur est 15 fois plus élevé que la valeur d'origine. Il y a donc un incitatif. La question est la suivante : peut-on faire cela de manière économique? Avons-nous la technologique requise pour le faire de façon économique? Peut-on être concurrentiels sur les marchés mondiaux étant donné que ces produits sont également fabriqués ailleurs? Nous avons les matières premières et nous avons la possibilité d'obtenir ces matières premières à faible coût, ce qui nous permet en fait d'investir dans des technologies à valeur ajoutée, dans la chaîne de valeur qui est présentée ici. Je n'entrerai par contre pas dans les détails.

Le prochain aspect que je souhaite aborder est l'usine-pilote de biocombustibles de la ville d'Edmonton, qui transformera les déchets biologiques en bioéthanol. L'usine utilisera chaque année 100 millions de tonnes de déchets municipaux solides, ceux qui sont normalement envoyés à la décharge, et elle les convertira en biocombustible propre, en éthanol, ce qui permet de réduire de 90 p. 100 la quantité de déchets envoyés à la décharge. L'usine éliminera ainsi les émissions de méthane provenant des décharges, remplacera la houille provenant des combustibles fossiles et captera le CO2 produit; elle fabriquera ainsi un produit conforme aux normes relatives aux carburants renouvelables. C'est réellement un projet novateur. L'Alberta est un chef de file à cet égard. Le gouvernement, par l'entremise de notre organisation, a investi dans ce projet, de concert avec la ville d'Edmonton. On est en train de construire cette usine en ce moment. Voilà un exemple de valeur ajoutée pour un produit qui est bel et bien un déchet.

Le prochain aspect est le projet de gazéification souterraine mené par Swan Hills Synfuels. En anglais, on l'appelle l'ISCG, ce qui signifie gazéification in situ. Encore une fois, c'est un projet très novateur. Nous avons appuyé le premier essai-pilote de ce projet, qui en est maintenant à l'étape de la mise à l'essai sur le plan commercial. C'est aussi l'un des projets qui a reçu un financement provenant du fonds de 2 milliards de dollars destiné au captage et au stockage du carbone.

L'idée, c'est que l'on peut monétiser la houille enfouie à de très grandes profondeurs et qui demeurerait normalement là où elle est, et ainsi fabriquer un produit propre, soit des gaz synthétiques propres. Ils peuvent être utilisés pour produire de l'énergie verte ou d'autres produits chimiques de plus grande valeur.

Cela illustre le rôle de la technologie et toute la différence que font les investissements du gouvernement, car les risques sont partagés. Maintenant, si on se demande si tout ça finira un jour par être économique, la seule façon de le savoir, c'est en fait de construire une usine qui mène des activités commerciales.

La dernière chose dont je souhaite parler, c'est le fait qu'il faut beaucoup de temps pour qu'une idée soit appliquée sur le plan commercial. Ce graphique montre les coûts prévus d'une application à grande échelle au fil des différentes étapes, soit la recherche, le développement, la mise à l'essai et la mise en œuvre, ce qui donne lieu à une technologie éprouvée. L'axe horizontal représente le temps, mais aussi l'état de préparation de la technologie; au fil du temps, il devient de moins en moins risqué pour l'industrie d'investir dans celle-ci.

Ce qu'il convient de souligner dans ce cas, c'est que la ligne pointillée montre bien le coût de la technologie existantes. Ce point a déjà été soulevé. La plupart de nos projections en ce qui concerne le captage du carbone sont fondées sur la vieille technologie. Cependant, nous pouvons dire que la ligne pointillée représente le coût associé au captage du carbone. Le début de cette courbe, dans la partie du bas, au point 0 de l'axe du temps, montre qu'il s'agit d'une nouvelle idée susceptible de donner lieu à des percées. Vous pouvez voir qu'elle est susceptible de donner lieu à des réductions importantes des coûts en ce qui concerne, par exemple, le captage du carbone ou toute autre technologie. C'est ce qu'on appelle une percée. Cependant, afin de pouvoir un jour appliquer l'idée dans le contexte commercial — c'est ce qui correspond au côté droit de la courbe — et de mettre le tout en pratique dans le contexte commercial, il faut 20 années de développement, au cours desquelles le produit sera amélioré au point où l'industrie voudra se le procurer et où ce que vous avez investi à l'origine sera mis en pratique dans le contexte commercial.

C'est une voie très difficile à suivre. C'est là que beaucoup de bonnes idées disparaissent. C'est l'obstacle auquel nous nous heurtons tous. L'un des intervenants a dit qu'il y a beaucoup de bonnes idées, mais qu'il n'est pas évident de leur faire franchir l'étape qui mènera à la construction de la première usine-pilote, qui nous permet de commencer à apprendre et à tirer des avantages de cette technologie. Il faut beaucoup de courage et beaucoup de leadership pour en arriver à cette étape. Le gouvernement de l'Alberta a fait un grand pas en avant en participant à ce processus. Merci.

Le président : Merci, monsieur. Vous avez peint un tableau très réaliste, mais aussi peu rassurant, du problème auquel nous sommes confrontés.

M. du Plessis : À ce sujet, j'aimerais dire une chose. Le meilleur exemple, c'est l'industrie des sables bitumineux. On a commencé il y a 30 ou 40 ans avec un concept, et il a fallu apprendre pendant 20 ans. Tout ce qu'on a appris, c'est que les coûts ne cessaient d'augmenter lorsque venait le moment de régler les problèmes. Cependant, une fois que la première usine-pilote commerciale a été construite, c'est là qu'on a entrepris la période d'apprentissage traditionnelle et qu'on a pu réduire les coûts et devenir concurrentiels. C'est la situation actuelle de cette industrie.

Le président : Le prix du pétrole n'a pas nui.

M. du Plessis : Le prix du pétrole n'a pas nui.

Le sénateur Mitchell : Votre témoignage était extrêmement intéressant et à certains égards, de mon point de vue, il résume un aspect essentiel du problème dans son ensemble. Nous avons cette idée fondamentale selon laquelle nous devons être réalistes. Nous devons accepter la science. Nous devons cesser de lutter contre tout ça, car si nous n'acceptons pas la réalité, nous ne pourrons jamais surmonter de façon raisonnable les difficultés auxquelles nous nous heurtons.

Nous avons eu droit à une présentation très étoffée sur la nécessité d'établir un prix et de créer les mécanismes du marché requis à cet égard afin que les gens ne soient pas obligés de gérer des milliers de décisions différentes. Faisons entrer en jeu les forces du marché, puis le rôle de la technologie et son importance.

Finalement, dans vos dernières observations, vous vous demandez pourquoi nous n'adoptons pas le modèle de développement des sables bitumineux, à propos duquel on a dit que quelqu'un avait prévu que oui, tout cela était trop coûteux au départ, mais qu'un jour, on profiterait de l'augmentation des prix, ferait des économies d'échelle et produirait des améliorations technologiques, ce qui ferait en sorte que cette industrie deviendrait peut-être le moteur de notre économie. Tiens, c'est aussi simple que cela. Dans ce cas, pourquoi n'applique-t-on pas cela à l'énergie éolienne et aux énergies de remplacement, à la conversion et à la conservation? Ce sont des aspects que je ne peux pas passer sous silence.

Ce qui manque dans tout ça, c'est le leadership. Je me dis — souvent, je m'entretiens avec des gens de l'industrie, et ils disent : « Nous faisons ceci et cela, nous comprenons. » Très bien, dans ce cas, pourquoi n'exigent-ils pas que le gouvernement fasse quelque chose? Pourquoi l'industrie ne peut-elle pas — pourquoi les chefs de file de l'industrie, par exemple, ne peuvent-ils pas — réunir d'autre leaders influents et d'importants chefs de file de l'industrie et dire : « Monsieur Harper, le gouvernement du Canada et les gouvernements provinciaux doivent faire quelque chose, et nous voulons participer. » Comment pouvons-nous obtenir ce leadership?

C'est une question théorique, mais absolument fondamentale. Je veux ajouter un commentaire pour compléter.

Je me souviens des dernières élections. Dans une entrevue à la CBC, un poste que j'adore, un environnementaliste très chevronné que je ne nommerai pas a dit : « Oui, M. Dion a la bonne réponse, mais il a fait un travail déplorable sur le plan des communications. » Je réponds à ce leader : « Vous avez eu 40 ans pour communiquer votre message. Vous n'avez pas fait un travail extraordinaire non plus. »

Comment fait-on pour surmonter cette difficulté? Comment faire pour que les industriels qui ont du pouvoir à cet égard, qui jouissent d'une crédibilité incroyable, en viennent à dire qu'ils veulent une taxe sur le carbone, qu'ils la veulent maintenant, qu'il faut le faire et que nous pouvons rester concurrentiels même en adoptant une telle politique? Merci de m'avoir écouté.

Le président : Vous avez capté l'idée, mais l'avez-vous stockée?

Le sénateur Mitchell : Ma question.

Le président : Qui veut être le premier à répondre?

M. Keith : Je pense que le Canada a vraiment besoin d'améliorer grandement sa stratégie en matière d'innovations énergétiques. Je pense que nous constatons l'existence de problèmes réels. Notre pays est tellement axé sur les régions. Chaque région est différente et l'entente avec Ottawa veut que, si la région A obtient quelque chose, la région B doit aussi obtenir quelque chose.

Cela a notamment pour effet, dans le domaine de l'innovation énergétique, de répartir l'argent sur un très grand nombre de petits projets. Je sais que c'est mal vu de parler de politique industrielle, mais dans un pays de quelque 30 millions d'habitants, nous devons le faire.

L'un des réels plaisirs que j'ai connus depuis mon retour au Canada a été la Commission Bruneau, une commission de Ressources naturelles Canada ayant beaucoup de pouvoir qui a étudié l'innovation énergétique d'un bout à l'autre du pays. Angus Bruneau a fait un travail formidable à la présidence. Une chose est clairement ressortie après étude des travaux et des entrevues réalisés par le personnel remarquable que nous avions : nous investissons notre argent dans un bien trop grand nombre de projets, et on a simplement tort de penser que les gouvernements ne devraient jamais choisir les gagnants. Un grand nombre de nos compétiteurs le font.

Les gouvernements ne devraient pas choisir les gagnants selon une procédure bureaucratique hermétique. Ils doivent trouver un moyen vraiment efficace de le faire. Il faut que les marchés fonctionnent. Cependant, le gouvernement ne peut pas décider qu'il saupoudrera son argent un peu partout dans les technologies vertes et espérer que quelque chose se produise. Or c'est à peu près ainsi que les choses se font actuellement.

Tout d'abord, la somme investie est assez limitée. Ensuite, les investissements, la façon dont ils sont distribués, sont inefficaces comparativement à la façon dont fonctionnent nos compétiteurs. Je me permets de critiquer le monde de la recherche. Nous avons un régime beaucoup moins sérieux sur le plan de l'entreprise que bon nombre de nos compétiteurs. Nous avons un système qui doit donner un peu d'argent à tous, parce que l'idéologie canadienne ne permet pas de faire des gagnants et des perdants.

Ce n'est pas ainsi qu'on obtiendra un bon rendement à long terme. Notre capacité d'obtenir du financement d'entreprise et des investissements providentiels est relativement faible, ainsi que notre capacité de lancer d'importants projets pilotes. Nous avons l'argent pour le faire, mais pas la détermination voulue.

Laissez-moi vous donner quelques exemples. Le Canada a un véritable savoir-faire dans le domaine de la technologie nucléaire. Nous avons un concept de réacteur, qui n'a probablement, selon moi, aucun avenir dans le monde sous sa forme actuelle. Du moins, la combinaison du concept du réacteur et de la structure de gestion ne me semble pas avoir d'avenir. Nous avons tout de même beaucoup de spécialistes très compétents, et le gouvernement — tous les gouvernements, car ce n'est pas propre aux libéraux ou aux conservateurs —, depuis environ 15 ou 20 ans, sait ce qui se passe et a vu cela arriver. Pourtant, absolument rien n'a été fait.

Il faut être capable de prendre des décisions stratégiques : soit on laisse tomber, soit on cherche vraiment d'abord à trouver un créneau du marché nucléaire mondial dans lequel on est concurrentiel, puis à en tirer le meilleur parti.

Il en existe de nombreux exemples. Pour être honnête, j'ai vu des cas en Alberta où l'on offre beaucoup de financement pour l'installation de petits panneaux solaires ou d'éoliennes, alors que la valeur ajoutée, le capital intellectuel et les profits vont à l'extérieur du Canada. Selon moi, le Canada ne gagne presque rien à réaliser ces petits projets ici et là.

Vous devez vous poser des questions très précises sur la façon dont on réalisera un petit nombre de projets — il faut bien sûr en choisir plus qu'un — qui offriront une chance réelle de générer de la valeur ajoutée de l'ordre du milliard de dollars.

Je pense qu'on ne fait rien d'aussi sérieux. Ce n'est pas la compétence des ressources humaines qui manque. Des gens comme Duke du Plessis ont une connaissance et une expérience du domaine fabuleuses. Les problèmes ont trait à la structure du gouvernement. Il n'existe pas de solution facile, mais nous devons améliorer la situation. Une dernière chose. Je peux comparer, étant donné que je travaille parfois au Canada, parfois aux États-Unis. Nous devons avoir des procédures de consultation indépendantes et plus solides en matière de technologie énergétique. Celles qui sont appliquées aux États-Unis sont bien meilleures que les nôtres. C'est l'expérience que j'en ai. Celles qui sont employées en Inde et en Chine sont également meilleures à certains égards. C'est vraiment une lacune chez nous. C'est une question de structure. Ce ne sont pas les personnes qui sont en cause, ni un gouvernement en particulier. Ce sont des particularités structurelles qui sont en place aux États-Unis, mais pas chez nous.

Le président : Vous parlez des groupes de réflexion.

M. Keith : Pensons par exemple aux travaux de l'académie nationale. Nous devons pouvoir obtenir des conseils très judicieux et indépendants, à l'abri de l'influence des puissantes industries, de certains segments de la société, et cetera.

Il y a quelques semaines, j'ai participé à un groupe de discussion réunissant des spécialistes, et je me trouvais aux côtés de l'un des dirigeants de Cargill, l'une des plus grandes sociétés privées du monde. C'est comme si le pape était présent à cette rencontre destinée à permettre aux États-Unis de se fonder sur des consultations de haut niveau pour déterminer quels devraient être leurs investissements dans ces régions. On y trouvait tout un éventail de personnes importantes représentant l'industrie et tous les secteurs de la société, qui étaient chargées de réfléchir à ce qu'ils font en se fondant sur un grand nombre de conseils indépendants et de rapports d'analyse.

Nous n'avons pas de processus du genre au Canada. Nous n'avons pas de conseil des sciences. À ma connaissance, en Alberta, il n'existe aucun processus véritablement indépendant permettant l'émission d'avis objectifs sur ce que la province fait de bien et de moins bien dans ces domaines.

M. du Plessis : Je pourrais peut-être ajouter quelque chose aux observations de M. Keith.

Le principal problème que nous connaissons est lié au leadership. Avons-nous des leaders visionnaires, et notre régime politique est-il en mesure de soutenir leurs visions d'avenir?

Je veux seulement expliquer un peu ce que nous essayons de faire à cet égard, et insister sur le fait que de distribuer de l'argent partout à la ronde est un total gaspillage et qu'il ne faudrait pas encourager cela. Ce que nous essayons de faire, et c'est là notre modèle d'activité, c'est détecter les lacunes, celles qui comptent, et chercher activement les meilleures technologies pour combler ces lacunes. En outre, nous essayons d'établir des partenariats avec les premiers utilisateurs potentiels. Ce modèle s'est révélé efficace.

En raison de nos compétences, nous tentons aussi de conseiller le gouvernement concernant sa politique, et nous avons amorcé un programme intitulé Technology Informs Policy. Le problème, c'est que personne ne nous écoute, ou bien on nous écoute mais les décisions qui devraient être prises ne sont pas compatibles avec le système politique.

L'idée d'obtenir des avis indépendants fait partie de la solution. Il faut obtenir ces avis et s'en inspirer.

Le sénateur McCoy : Je dois dire que la somme investie dans l'innovation par l'industrie est minuscule. Nous ne devons pas permettre la publication de ces propos sans y ajouter un peu de contexte.

Le président : Non, mais je pense que cela allait suivre naturellement.

M. du Plessis : Oui, c'est un fait. C'est un fait, mais comment faire pour corriger la situation? Nous disons que, si vous savez où vous voulez investir et que vous invitez les bons acteurs à participer, vous pouvez obtenir de l'industrie qu'elle investisse également dans un projet, mais il faut une organisation comme la nôtre pour obtenir des capitaux d'amorçage et définir le projet.

M. Adamson : J'ai juste une brève observation à faire à ce sujet. Le spectre est très large. Comme pour toute chose, l'industrie n'est pas monolithique. Une part importante de l'industrie s'occupe essentiellement de l'exploitation de filiales de sociétés qui sont basées dans d'autres pays.

Les facettes déterminantes pour la technologie, les éléments intéressés aux innovations et aux choses de ce genre, ne se trouvent pas au Canada. Le mandat des filiales canadiennes est d'épargner quelques points de pourcentage — améliorez un peu l'efficacité, assurez le financement du budget d'exploitation et oubliez le reste. C'est la réalité pour un segment de l'industrie.

Le sénateur Banks : Et envoyez tout l'argent au siège social.

M. Adamson : Et envoyez tout l'argent au siège social.

Pour l'autre segment de l'industrie qui veut favoriser l'innovation, c'est le dilemme de l'œuf ou de la poule, et c'est un peu la même chose pour les politiciens. Un politicien ne peut faire preuve de leadership que jusqu'à un certain point. Si l'on s'avance trop, on risque sa carrière. Les gestionnaires, au sein de l'industrie, risquent aussi leur carrière s'ils veulent aller au-delà des désirs des actionnaires. Même s'ils ont des plans tout prêts, ils doivent être en mesure de justifier leur position. S'ils vont à Ottawa pour dire qu'il nous faut une taxe sur le carbone, ils risquent de déplaire aux actionnaires, parce que cela ne fera rien pour améliorer le rendement trimestriel.

Le défi, c'est de s'asseoir avec les hauts dirigeants et de les amener à dire : « Dites-nous quels sont vos plans et comment fonctionnerait exactement cette taxe sur le carbone. Nous avons un tas de notions utiles à cet égard. Nous aimerions travailler avec Carbon Management Canada, avec d'autres chercheurs ou avec Alberta Innovates. Nous aimerions être capables de créer un effet multiplicateur pour nos fonds, parce que nous voyons que cette question suscite de l'intérêt. »

Nous pouvons faire un bout de chemin, en ce sens qu'on peut amener le public à approuver le concept, ce genre de choses. Cela nous donnerait une certaine marge de manœuvre auprès de nos investisseurs, mais seulement jusqu'à un certain point. Je ne sais pas quelle est la solution ultime, mais tout le monde est aux prises avec ces contraintes qui les font reculer et les empêchent de dire au gouvernement qu'ils sont prêts à suivre s'il va de l'avant. Je ne sais pas quelle serait la solution.

M. Keith : Je pense que si l'on parle vraiment d'innovation en matière d'énergie verte, une solution serait d'investir plus d'argent précisément sur ce plan. Les investisseurs devraient avoir une véritable expérience des technologies vertes et des affaires. Vous devez trouver un moyen de changer fondamentalement le fonctionnement bureaucratique sur ce plan.

Certains d'entre vous le savent peut-être, j'ai travaillé avec Bill Gates dans le domaine des innovations énergétiques. Je vous recommande un court texte d'opinion qu'il a écrit dans Science il y a quelques semaines, dans lequel il affirme que le système américain devrait adopter beaucoup plus d'innovations. Je pense que c'est encore plus vrai au Canada. On trouve dans son texte des propositions précises sur des questions dont nous avons discuté, et qui seraient le moyen d'y arriver.

Le sénateur Massicotte : Monsieur Keith, vous avez parlé de sciences. C'est très difficile, parce que nous avons beaucoup de témoins. On finit par ne plus savoir s'il est question de sciences ou de leurs souhaits personnels ou d'autre chose.

Je reviens à ma question. Sur le plan purement scientifique, si on lit le rapport de l'AIE, on constate, je pense, que ce serait très avantageux. Nous n'allons pas choisir 2 degrés Celsius. Nous serons chanceux si nous ne dépassons pas les 2,5, mais nous atteindrons probablement les 4, 5 ou 6 degrés.

Quelles en sont les conséquences? Si vous n'y voyez pas d'objections, dites-nous ce que prédit la science et quelles sont les probabilités. Rien n'est jamais sûr à 100 p. 100, on sait cela. Pourriez-vous nous en parler?

M. Keith : Je ne crois pas qu'il y ait vraiment un seuil clair de 2 degrés Celsius. Je crois que ce concept a été élaboré par le monde scientifique et les environnementalistes qui veulent que les choses bougent.

Je ne crois pas qu'on ait des données scientifiques précises indiquant que le chiffre 2 est la limite. Le fait est qu'il existe différents écosystèmes, et différents processus ont des seuils différents. Certains ont un seuil bien inférieur. Si l'on parle de certaines régions de l'Extrême-Arctique, le seuil est certainement bien inférieur à 2 degrés Celsius, mais ailleurs, le seuil pourrait être beaucoup plus élevé.

L'idée qu'il existe un genre de seuil mondial est une tactique des groupes écologistes à l'échelle mondiale, dont j'appuie les objectifs, qui tentent ainsi de faire bouger les choses. Je ne crois pas que la science ait démontré cela.

Je pense que ce que je vais dire maintenant est clair. Je vais aller du plus sûr au moins sûr et je vais tenter de le faire en deux minutes au plus. Il y a le fait établi que nous ajoutons du carbone dans le système, et que la cause de l'augmentation du carbone, c'est nous. C'est aussi certain que tout autre fait scientifique comme la gravité. La certitude que nous avons concernant les changements climatiques et les variations de température que cela entraînera dans le monde se limite à des estimations pouvant varier d'un facteur de 2, ce qui est beaucoup.

Cela signifie que, pour une certaine quantité de carbone dans l'air, disons deux fois plus de carbone, la température pourrait augmenter d'aussi peu que d'un degré et des poussières, et d'autant que de 4 degrés. Nous ne le savons vraiment pas. Nous planifions dans un contexte d'incertitude. Ensuite, quand on se penche sur les conséquences précises, cela devient souvent encore plus incertain. Il n'y a aucun doute que les conséquences s'aggravent à mesure que la température augmente, dans la plupart des cas.

Je dirais que certains faits intéressants ont été découverts ces dernières années, notamment le fait qu'on a de plus en plus de preuves que nombre des récoltes les plus importantes du monde, comme le soja, le maïs et d'autres, sont très sensibles à une simple hausse de température durant la germination et au début de leur croissance. Nous en avons des preuves intéressantes, ce n'est pas théorique. Nous l'avons constaté à partir de données aussi simples que la température et le rendement de la culture sur un certain nombre d'années. Les résultats montrent que nous avons déjà perdu environ 5 p. 100 de la productivité mondiale en raison des hausses de température dues à l'augmentation du carbone.

En raison des améliorations technologiques dans le domaine de l'agriculture, la production agricole continue à augmenter mais on peut estimer, à partir de ces observations directes, combien nous avons perdu en raison de la température, et il semble que ce soit autour de 5 p. 100. Je pense que ça commence à être vrai, et le problème devrait empirer assez rapidement à mesure que les températures augmentent.

Une dernière chose : je ne crois pas que les changements climatiques soient une menace existentielle comme le serait une guerre. Il y aura des gagnants et des perdants. Ce n'est pas tout le monde qui y perd. C'est probablement la raison faisant que c'est si difficile de conclure des ententes. Il y aura des gens pour qui le réchauffement climatique sera vraiment profitable. Donc, on ne peut pas réduire le problème à un simple seuil. Si c'était le cas, les enjeux politiques seraient faciles à régler.

Je termine sur une anecdote, parce que c'est un exemple de la pensée nuancée des politiciens. Un jour, à l'époque où j'étais à l'Université Carnegie-Mellon, Paul O'Neill est venu me rencontrer à mon bureau. Il était alors PDG d'Alcoa, mais il est ensuite devenu secrétaire au Trésor. Il s'intéressait au climat. Nous avions un gros centre climatique à cette université. Il nous a rencontrés, un autre Canadien et moi-même, et nous a demandé de lui donner simplement le chiffre. C'était un très bon gestionnaire. Il a dit : « Donnez-nous un chiffre que nous devons respecter, ensuite nous pourrons faire des plans en conséquence. »

Je comprends tout à fait qu'il ait pu poser cette question, mais la vérité, c'est que nous ne connaissons pas ce chiffre. Notre travail se fait sous le signe de l'incertitude. Plus la température augmentera, plus les risques augmenteront.

Le sénateur Massicotte : D'après les données scientifiques que nous avons, est-ce important? Je sais qu'on n'a aucune certitude. Quand je traverse la rue, je cours le risque de me faire frapper par une voiture. Nous prenons de telles décisions tous les jours; nous y allons selon les probabilités. C'est ce que fait notre cerveau. Donc, quel est le problème au juste? Est-ce grave?

M. Keith : Nous parlons en prévisions médianes associées au double ou au triple de la quantité de carbone dans l'air. Nos répercussions s'élèvent à un niveau de plusieurs fois la moyenne mondiale du PIB, plusieurs voulant dire quelque chose comme 3 p. 100, mais à certains endroits, les répercussions sont de l'ordre de 10 ou 20 p. 100 du PIB. Ce sont d'énormes répercussions. Il y aura des endroits où l'agriculture était possible et où elle ne le sera plus et vice versa. Il y aura de gros changements de cet ordre.

Il est également vrai que les coûts, pour régler le problème, représentent quelques points de pourcentage du PIB. En ce sens, c'est un gros problème. Cependant, c'est un gros problème qui évoluera lentement sur 100 ans. Il n'existe pas de menace pour notre existence pour l'instant, et c'est pourquoi il est si difficile de faire bouger les choses.

Concernant la pollution de l'air, on peut dire sans se tromper que nous tuons 30 000 ou 40 000 personnes par année en Amérique du Nord, actuellement, en raison de cette pollution. On peut donc trouver une motivation, sur le plan politique, pour réduire les émissions. Nous avons fait d'énormes progrès, des progrès fantastiques, au cours des 30 dernières années, sur le plan de la réduction des émissions, et pas en réduisant la consommation. C'est vrai que tout le problème vient des consommateurs, mais cela ne signifie pas qu'il faut s'en prendre aux consommateurs pour le régler. Nous le réglons grâce aux changements technologiques. Nous l'avons fait pour la pollution de l'air.

Sur le plan du climat, c'est fondamentalement beaucoup plus difficile parce que c'est incertain, parce qu'il y a des gagnants et des perdants, et parce que les avantages de la réduction des émissions bénéficieront à nos petits-enfants, et pas à nous, en raison de l'inertie du système.

Je crois vraiment qu'il y a moyen de régler le problème, parce que les gens s'intéressent au bien-être de leurs petits- enfants. Si on présente les choses correctement, je crois que les gens sont disposés à faire des investissements qui sont énormes mais qui ne nous ruineront pas. Nous pouvons avoir une économie moderne et efficace qui fonctionne et qui nous permet à la fois de produire tout ce que nous voulons, quoique peut-être pas en aussi grandes quantités, et de réduire grandement les émissions de carbone. Actuellement, nous n'avons pas le pouvoir social de le faire, mais ce n'est pas, à prime abord, une difficulté technologique.

Le sénateur McCoy : Je suis d'accord avec M. Keith pour dire que nous devrions exploiter au maximum les sable bitumineux et épargner autant que possible sur les profits et bénéfices aussi rapidement que nous le pouvons. J'en suis venue à cette conclusion parce que, comme je l'ai dit en août dans un bulletin, nous manquerons probablement de clients avant que nous manquions de pétrole.

Je pense que les clients vont déserter l'industrie pour l'une ou l'autre des raisons suivantes, ou les deux. La première, c'est que notre réputation sera ternie, l'autre c'est que les arguments contre le pétrole auront fini par persuader le monde, ou au moins la population de nos marchés, de ne plus acheter de pétrole.

Oublions la question de la réputation, parce que je pense que nous avons à notre portée des moyens honnêtes pour sauver notre réputation. Essentiellement, il ne suffit pas de dire les choses, il faut aussi faire ce que l'on dit. En y réfléchissant un peu, on en vient facilement à cette conclusion. Cependant, ce que je ne parviens à tirer au clair, et — si je puis ainsi m'exprimer — j'avais commencé à tirer les vers du nez de M. Kvisle sur cette question, c'est s'il est vrai qu'on manquera de pétrole. Je ne constate pas de véritable recherche pour savoir si nous manquerons de pétrole ou non. Quand je me trouve dans une conférence à laquelle assistent surtout des gens de l'industrie, j'entends sonner l'alarme. On nous sort les projections de l'AIE. Si je regarde CBC/Radio-Canada, j'entends sonner l'alarme au sujet des panneaux solaires, des éoliennes et d'une conspiration visant à empêcher ces dispositifs de dominer le marché de l'énergie.

Je ne sais trop comment formuler ma question, mais il me semble qu'il serait utile que nous nous engagions réellement dans ce débat. Je vais simplement vous demander votre avis à cet égard.

M. Keith : Nous n'allons certainement pas manquer de pétrole bientôt à l'échelle mondiale, mais il ne sera pas nécessaire d'en manquer pour que l'économie s'effondre dans ce domaine, en raison des coûts élevés. L'idée, c'est que si, dans peut-être seulement 20 ans, 10 ou 20 p. 100 des nouveaux véhicules fonctionnent sans pétrole grâce à des biocarburants efficaces ou des hydrocarbures synthétiques qui ne sont pas dérivés du pétrole, ou fonctionnent à l'électricité — et nous investissons réellement dans cette voie — et qu'une politique climatique concrète donne lieu à des interventions réelles, le climat mondial fera en sorte que nous ne ferons plus de nouveaux investissements dans l'exploitation pétrolière, et les choses changeront très rapidement.

Bien avant que nous soyons à court de pétrole, et je pense qu'on en a encore pour plus d'un demi-siècle avant d'en arriver là, les investissements seront réduits à zéro, et ce sont les nouveaux investissements qui permettent les nouvelles formes d'exploitation.

Je crois qu'il sera très difficile d'appliquer une politique climatique telle que les exploitations existantes des sables bitumineux cesseront d'exister, parce que les coûts sont raisonnables, et ils le deviendront de plus en plus parce que les salaires diminuent dans ce secteur. Toutefois, les efforts et les changements politiques et technologiques nécessaires pour qu'on cesse d'investir dans de nouveaux développements n'ont pas à être si grands.

Je pense que le problème, au bout du compte, tient au fait que ne se rend pas compte de ce risque. J'ai énormément de respect pour M. du Plessis, mais je signale que, quand il a parlé du rendement du produit, au cours de son intervention, il a fait valoir qu'il existait une perception que c'était un carburant à teneur élevée en carbone. Ce n'est pas un problème de perception. Le problème, c'est la perception qu'il s'agit seulement d'un problème de perception. En fait, c'est un problème réel.

Le sénateur McCoy : C'est un carburant à haute teneur en carbone. Est-ce bien ce que vous dites?

M. Keith : Exactement.

Le sénateur McCoy : Vous dites que, si l'on n'est pas honnête intellectuellement avec soi-même et qu'on ne dit pas qu'il existe un risque important pour l'Alberta et le Canada, alors on n'envisagera pas correctement la voie à suivre. Disons que nous acceptons votre position. Nous disons : « D'accord, mettons-nous à la tâche et envisageons le pire scénario », ce qui est toujours une bonne discipline intellectuelle. Que faisons-nous maintenant?

M. Keith : Il faut ralentir la croissance en investissant moins d'argent, et trouver des pratiques dans lesquelles on pourra investir cet argent économisé de manière à en faire un commerce fructueux dans un monde où les émissions de carbone seront vraiment limitées. Je ne dis pas qu'il faut y investir tout l'argent. Si on prenait 10 p. 100 du financement à cette fin, on aurait d'énormes chances d'y arriver. Je ne dis pas que tout doive revenir au gouvernement, à des consortiums de recherche gouvernementale et aux universités. Ce n'est pas du tout ce que je dis. Nous devons trouver des moyens de le faire qui favorisent l'initiative privée et la production d'énergie privée. Cependant, je ne crois pas qu'on puisse s'attendre à ce que les entreprises le fassent d'elles-mêmes.

Un dernier commentaire. Il faut que, finalement, la décision relève du gouvernement. Il faut que ce soit une décision publique. Les entreprises ne peuvent pas le faire. Elles ont essentiellement l'obligation, envers leurs actionnaires, d'engranger pendant que le soleil brille. Si une entreprise décidait soudainement de prendre une grosse somme de son capital d'investissement pour l'investir dans l'exploitation d'une autre forme d'énergie qui présente un gros risque, la communauté mondiale des investisseurs la rappellerait vite à l'ordre.

La réalité, c'est que les entreprises appartiennent au monde. Les PDG en sont les dirigeants, mais ils sont redevables envers les actionnaires, et ils doivent faire plus ou moins ce qu'ils font déjà. On ne peut pas attendre d'eux un comportement bien différent. Cependant, un gouvernement peut agir différemment.

Le sénateur McCoy : Je suis d'accord avec M. Adamson. Soyons réalistes. Les actionnaires peuvent mettre les PDG à la porte, et les électeurs peuvent mettre les politiciens à la porte. Il n'y a pas grand-chose qu'on puisse faire. Il faut que cela se fasse en collaboration.

M. Adamson : J'aimerais réagir à quelques points. D'abord, un de mes principaux motifs d'irritation quand j'essaie de m'engager... J'ai un certain nombre de motifs d'irritation. Cette discussion devient irritante par moments. L'un de ces motifs d'irritation, quand on parle d'énergie éolienne et solaire et d'autres, tient au fait que je pense au départ que nous aurons 9 milliards d'habitants sur notre planète d'ici 2050, et qu'en outre nous prenons les moyens pour tirer tout ce monde de la pauvreté. Cela signifie que les besoins en énergie augmentent à la vitesse grand V.

Je pense que nous nous trouverons alors dans une situation où, vraisemblablement, nous aurons besoin de toutes les formes d'énergie possibles pour poursuivre dans cette voie. Nous devons cependant agir de manière responsable. Nous ne pouvons pas simplement continuer à rejeter du carbone dans l'atmosphère. Ce n'est tout simplement pas une solution viable à long terme.

Il existe des moyens de réduire substantiellement nos émissions de carbone attribuables à l'extraction et à la transformation de l'énergie fossile. Le problème de l'échelle est souvent oublié. C'est très attrayant de parler de panneaux solaires, de turbines éoliennes et de toutes ces formes d'énergie verte et propre. On a déjà le problème du « pas dans ma cour » quand on envisage l'installation de nouvelles éoliennes.

Pour établir une comparaison à l'échelle, pour parler de la même quantité d'énergie que celle que produisent les sables bitumineux, ou une centrale énergétique au charbon, il faut penser à la quantité d'éoliennes et de panneaux solaires qu'il faudrait installer pour y arriver. Combien de centaines de kilomètres croyez-vous que les électeurs seront disposés à couvrir de panneaux solaires? Nous parlons de centaines et de centaines de kilomètres carrés qui seraient couverts d'éoliennes.

Je ne suis pas contre ces technologies, mais les gens ont tendance à aborder la question en étant pour ou contre le pétrole. Ce n'est pas la bonne manière. Il faut penser que si ce n'est pas le pétrole, ce sera autre chose. Je n'ai jamais entendu de discours réaliste concernant « autre chose ».

J'admets absolument que le nucléaire est probablement la seule solution viable. C'est, actuellement, la solution existante qu'on pourrait déployer à l'échelle voulue. Cependant, une centrale nucléaire a une durée de vie très longue, et l'appétit du public est très limité. C'est un problème.

Pour moi, nous avons une longue route à faire, et nous devons envisager des étapes pour arriver à la parcourir. Si je pense que le captage et le stockage du CO2, ou d'autres méthodes apparentées, sont des techniques importantes, ce n'est pas parce que je trouve que c'est une bonne idée. Je trouve que c'est une idée épouvantable. Si je devais concevoir un système depuis le début, je ne le concevrais certainement pas en misant sur ces méthodes. Pourtant, le fait est que cela peut améliorer la situation actuelle, ou celle que nous connaîtrons très bientôt. Dans l'infrastructure actuelle, cela nous donne un moyen de traiter, à court terme, le CO2 que nous émettons maintenant, pendant notre transition vers une situation ultérieure, quelle qu'elle soit.

J'aimerais vraiment savoir ce que sera cette situation ultérieure, parce que je n'ai rien vu qui me permette de croire que nous savons où nous allons.

Le sénateur Mitchell : Si nous établissons une bourse du carbone, nous le découvrirons peut-être.

M. Adamson : C'est exact.

M. Keith : Le pétrole et l'électricité sont deux enjeux fondamentalement différents. On peut utiliser différentes sources pour faire de l'électricité. Il existe des endroits où l'énergie éolienne est déjà fiable et où l'on s'entend sur l'utilisation des terres. Je sais comment travailler là-dessus. Il y a des endroits, mais ce n'est pas en Alberta, où l'on peut réalistement envisager l'énergie solaire comme solution viable pour assurer les services d'électricité de base. J'admets que ce n'est pas encore une pratique concurrentielle. On pourrait certainement y arriver aussi avec le nucléaire. Il existe donc beaucoup de moyens d'y arriver. On n'a pas à trancher en faveur d'une solution. On peut appliquer une combinaison de solutions.

Je pense que c'est très différent dans le cas des carburants, parce que le produit contient du carbone. Il n'existe donc aucun moyen de régler le problème, mis à part le fait de cesser d'utiliser le produit. Pour beaucoup de raisons relatives à l'infrastructure d'alimentation des véhicules en essence, il est beaucoup plus difficile d'appliquer une combinaison de solutions dans le cas du pétrole.

La bonne réponse, concernant une politique mondiale du carbone, serait de ne pas accorder tellement la priorité aux carburants. Il faudrait penser d'abord à l'électricité et aux processus industriels, puis aux carburants en second lieu, mais nous vivons dans un monde où le carburant est un produit essentiel.

Le sénateur McCoy : Ne vous en déplaise, je ne m'opposerais pas au fait qu'on tarde un peu.

Le sénateur Neufeld : Messieurs, je vous remercie d'être ici. Nous avons une discussion très intéressante. J'aimerais seulement raconter une petite anecdote.

J'ai dû à un certain moment essayer de trouver des endroits où implanter des parcs éoliens. Laissez-moi vous dire que ce n'est pas facile, même dans les régions désertes. Je dirais que c'est très difficile, et la même chose est vraie pour les panneaux solaires. Il en existe un en Ontario. On nous a dit qu'environ 250 acres généraient 23 mégawatts d'énergie. Vous pouvez mettre cela en contexte.

Monsieur Keith, vous pourriez peut-être nous en dire plus long sur le développement de technologies à l'échelle industrielle pour le captage du CO2 dans l'air ambiant. Je pense que cela éclairerait grandement la discussion.

Je pose mon autre question à M. du Plessis. La méthode de gazéification in situ de la houille qu'on utilise à Swan Hills — je reviens un peu en arrière, parce que nous parlions alors de la Colombie-Britannique, et je connais bien cette entreprise en Colombie-Britannique — pourrait représenter, selon les estimations, 1 300 billions de pieds cubes de gaz de schiste dans deux bassins, seulement deux. Le puits de Marcellus et quelques autres bassins environnants contiennent, toujours selon les estimations, 1 500 billions de pieds cubes. Je crois comprendre que cela se produit partout dans le monde. Nous savons, ou du moins c'est ce qu'on nous dit, que les États-Unis combleront tous leurs besoins d'ici environ 20 ans grâce à ce gaz de source non conventionnelle.

Il existe énormément de gaz non classique près des pipelines — pas autant que les montants que j'ai mentionnés, mais il y en a beaucoup. La technologie nécessaire pour l'extraire existe et ils fonctionnent aujourd'hui à 3,50 $. Un peu moins que cela, évidemment, mais ils fonctionnent tout de même à 3,50 $ aujourd'hui. Je trouve cela très intéressant. Ils disent qu'ils peuvent être rentables même à 6 $. Pourquoi dépenser de l'argent pour essayer de produire du gaz de synthèse de houille quand il y a d'énormes quantités de gaz naturel? Ne serait-il pas préférable de dépenser plus d'argent pour trouver une façon moins polluante d'extraire le gaz de schiste qui se trouve juste là?

Je suis un peu perplexe. Comme on dit, si on dépense de l'argent à gauche et à droit sans réfléchir, on n'obtient rien en fin de compte. Il faut faire des choix. Les gouvernements n'ont vraiment pas le don de choisir des gagnants et des perdants. Habituellement, ils choisissent un perdant, mais les organisations sectorielles, comme la vôtre, peuvent choisir des gagnants. Cela me pose un petit problème. Pas que je pense que l'Alberta ne devrait pas dépenser son argent — allez-y gaiement —, mais...

M. du Plessis : Je serai heureux de répondre. Ce n'est pas que le volume de gaz disponible est insuffisant; le problème, c'est le coût de ce gaz. En fin de compte, le gagnant sera celui qui pourra fournir le volume à un prix concurrentiel.

Ce qui est intéressant, c'est que l'approvisionnement en matière première est connu et qu'on ne prévoit aucune montée en flèche de son prix. L'industrie du gaz de schiste est axée sur le marché. Personne ne sait exactement quel sera le prix. Il n'est pas élevé actuellement, mais restera-t-il aussi bas à l'avenir?

Lorsqu'il faut choisir où investir pour les 30 prochaines années, choisit-on une usine qui dépend actuellement du faible prix du gaz de schiste ou quelque chose qui dépend d'un approvisionnement plus sûr à moindre coût? Le coût de d'extraction du gaz de houille souterrain reste à déterminer. Il est possible qu'il puisse être produit à des coûts plus faibles que ce qu'on voit actuellement et que ces coûts demeurent faibles à l'avenir. Les investisseurs tiennent compte de cela.

L'autre aspect, c'est que le coût environnemental du gaz de schiste est toujours inconnu. Il s'agit d'une technologie émergente et selon ce qu'on entend, il faudra un bout de temps avant que les coûts de production totaux et les conséquences environnementales soient connus.

Le sénateur Neufeld : Merci pour ces explications. Je suis favorable aux forces du marché, alors je comprends. Ces deux régions de l'Amérique du Nord pourraient satisfaire à leur demande avec ce qu'elles pourraient extraire en ce moment. Je parle de deux cents ans d'approvisionnement en gaz naturel en fonction de la demande actuelle ou de l'accroissement prévu de la demande.

M. du Plessis : Je pourrais faire d'autres commentaires, mais je m'en tiendrai à cela.

Le président : Vous voulez y aller à votre tour, monsieur Keith?

M. Keith : D'accord. Je dirige une petite entreprise en démarrage du nom de Carbon Engineering. C'est une de mes activités. J'y consacre environ la moitié de mon temps et j'adore cela. Nous sommes une dizaine. L'idée est de capter le CO2 dans l'air à l'échelle industrielle. Voici comment cela peut rapporter de l'argent. En raison de l'actuelle norme californienne concernant les carburants à faibles émissions de carbone et les autres normes du genre qui apparaissent un peu partout dans le monde, il y a une prime importante, environ 100 $ la tonne de CO2, pour la production de combustibles hydrocarbonés qui ont un cycle de vie moins long.

Il y a deux avenues à explorer pour extraire du carbone de l'air. La première est d'utiliser le carbone pour la récupération assistée des hydrocarbures, ce qui compte dans le cycle de vie. C'est complètement différent du captage du CO2 émis par une usine pour ce qui est de l'empreinte écologique et de l'aspect financier d'un tel projet.

La deuxième consiste à fabriquer des carburants directement à partir de l'air. Il y a quelques endroits isolés — de nature militaire pour la plupart, je ne vous cacherai rien — où les gens sont très intéressés par ce type de technologie. Nous explorons cette avenue assez sérieusement.

Nous croyons qu'à long terme, ce pourrait être une façon de produire des carburants qui contribuerait à lutter contre le problème posé par les hydrocarbures. Les piles sont bien intéressantes, mais à l'heure actuelle, elles coûtent terriblement cher et leur densité énergétique par unité de poids est environ 40 fois moindre que celle des combustibles hydrocarbonés.

Extraire le CO2 de l'air nous donne le moyen de produire des combustibles hydrocarbonés à partir d'autres sources d'énergie primaire, comme les centrales nucléaires ou solaires, qui produisent du carburant qui présentent les mêmes avantages que les hydrocarbures sur le plan de la densité énergétique. C'est compatible avec les combustibles hydrocarbonés, c'est-à-dire avec l'infrastructure actuelle, mais sans la dépendance au pétrole. C'est complètement indépendant du pétrole.

J'ai une chose à dire à propos des différences entre les États-Unis et le Canada concernant le financement et l'intérêt démontré. Une chose vraiment intéressante que nous avons faite avec cette entreprise était d'aller rencontrer les gens de la U.S. Defense Advanced Research Projects Agency, ou DARPA, qui est l'agence américaine responsable des projets de recherche de pointe en matière de défense. C'est probablement une des meilleures agences de planification scientifique du monde et un modèle à suivre. Je serai d'ailleurs à Washington mercredi prochain pour rencontrer des gens du département de l'Énergie.

Le sérieux, la rapidité de réponse et le peu de tracasseries administratives aux États-Unis n'a rien à voir avec ce qui se fait ici. Nous avons rencontré les représentants de la DARPA avec un partenaire américain et nous avons obtenu une réponse très rapide. Ils ont dit : « Nous aimons ceci, nous n'aimons pas cela. » Il n'y a pas eu de paperasserie à n'en plus finir. Tout a été très, très vite.

Selon mon expérience au Canada, il faut rédiger une proposition détaillée et la soumettre, mais on n'en a jamais de nouvelles. Les interactions au sein de l'industrie ne comptent pas vraiment. Aux États-Unis, on établit des partenariats avec des géants de l'aérospatiale. La DARPA a compris cela. D'après ce que j'ai pu voir, le Canada ne semble pas vraiment compter. La différence est plutôt frappante.

Le président : Cela s'applique aux gouvernements fédéral et provinciaux au Canada?

M. Keith : Oui. Il y a des programmes spécifiques qui donnent de bons résultats ici, mais en général, les États-Unis font un meilleur travail. Il faut beaucoup moins de temps là-bas pour démarrer une entreprise, pour obtenir des brevets et du financement et pour prendre les décisions.

Le sénateur Banks : Vous avez tous étudié ces dossiers. Nous nous penchons dessus depuis des années, depuis une dizaine d'année dans certains cas, mais pas avec la même attention que vous, alors je vais poser la question fondamentale.

Nous présumons tous qu'il y a un facteur humain, généralement négatif, dans la dégradation de l'environnement à cause de notre consommation. Or, des tas de gens et d'organisations, comme les Amis de la science, par exemple, nous disent constamment, graphiques complexes et raisonnements tortueux à l'appui parfois — et je suis sûr qu'il vous arrive la même chose —, que tout cela n'est que de la foutaise, que les changements climatiques sont une réalité mais que nous n'avons rien à voir là-dedans, qu'ils sont causés par un phénomène solaire et que l'effet humain est négligeable, voire insignifiant.

Ma question fondamentale est la suivante : selon vous, quelle est la réponse simple à donner à ces gens, que nous représentons? Je vous pose la question parce que vous en savez beaucoup plus que nous sur le sujet.

M. Adamson : Je peux répondre le premier, mais je ne pense pas que ma réponse vous sera très utile. Je viens de Calgary, mais j'ai passé six ans en Caroline du Nord. J'ai vu des comtés du Sud bannir l'enseignement de l'évolution à l'école et des gens autrement parfaitement rationnels appuyer ce genre de mesures.

Dans des comtés entiers, les enfants sortaient de l'école en étant pratiquement inadaptés au monde technologique, car leur enseignement avait été complètement tordu par la domination des croyances sur la science. Aucun argument au monde ne peut venir ébranler cela.

Si, fondamentalement, on adopte une position en prenant d’entrée de jeu pour acquis que cette position est juste, et que l’on n’accepte que les preuves qui l’appuient et considère par définition invalides celles qui la réfutent, il n’y a rien à faire pour convaincre cette personne que sa position est erronée. Il est impossible de débattre de la question, puisque le cadre des règles de base et des faits sous-jacents sur lequel repose le débat diffère entre les parties. Il n’y a pas de terrain d’entente où les parties peuvent se rejoindre pour discuter.

J'en suis venu à tout simplement m'éloigner de ces discussions car jamais rien de positif n'en ress ort, j'en ai peur.

M. Keith : Pour ce qui est de convaincre les Amis de la science, je suis absolument du même avis que M. Adamson. Les citoyens ordinaires entendent les différents arguments et essaient de décider lequel ils doivent croire, mais ils ne connaissent pas les faits scientifiques sous-jacents. Pour ma part, quand je ne connais pas les données fondamentales, j'essaie de penser aux intérêts personnels et à la crédibilité de ces gens-là sur différents sujets. J'ai tendance à rejeter du revers de la main les déclarations grandiloquentes qui englobent tout si je sais que les arguments de la personne sur d'autres sujets sont bébêtes. Cela les rend moins crédibles quant au sujet en question. Je crois que tout revient aux intérêts personnels.

Quand je discute de changements climatiques à bâtons rompus à Calgary, je peux énumérer une suite sans fin de données. Je pourrais vous en faire la lecture pendant quatre heures, mais je doute que ce soit ce que vous souhaitez.

Je pense aux intérêts personnels de manière très directe. Je dirais que les Amis de la science prétendent que les données environnementales des 100 dernières années sont fausses, que le climat ne s'est pas vraiment réchauffé. Je pense entre autres à Richard Muller, un des critiques les plus virulents des données environnementales, qui a fait une analyse complètement nouvelle de ces données à l'aide de diverses méthodes. Il y avait d'autres personnes au sein de son équipe, d'ex-membres du groupe consultatif JASON, les conseillers principaux des États-Unis en matière de défense et de forces armées, et ils ont fait une toute nouvelle analyse. Richard Muller, lorsqu'il a témoigné devant le Congrès, a changé son fusil d'épaule. Il est un vrai scientifique, et bien qu'il ait eu tous les incitatifs voulus pour trafiquer ses résultats pour montrer que le réchauffement climatique n'était qu'une chimère, comme il l'avait déjà dit — et habituellement les gens aiment bien s'en tenir à leur première opinion et ne pas avoir à se rétracter —, il est bel et bien revenu sur ce qu'il avait dit. C'était assez marquant.

C'est à cela que je fais référence : pensons à ce qui motive les gens. On peut dire la même chose à propos de l'autre relevé de la température. Un des plus célèbres relevés de la température par satellite ne montre, selon les Amis de la science, aucune hausse de la température, alors qu'il montre bel et bien que la température a augmenté. Les responsables de ces données allaient devant le Congrès et affirmaient que ce relevé ne montrait aucune hausse de la température. Ces gens-là se sont rétractés depuis. Ils avaient tout intérêt à ne pas se rétracter, mais ils n'ont pas eu le choix parce que les faits sont devenus irréfutables.

Les Amis de la science sont manifestement des gens très gentils, des anciens du milieu pétrolier pour qui ce n'est qu'un passe-temps, mais ils sont financés par certains intérêts dans cette ville. Les gens ordinaires qui ne savent pas à quel saint se vouer devraient penser à cela et surtout aux gens qui vont à l'encontre de leurs intérêts personnels.

Certains véhiculent l'idée d'un complot scientifique visant à produire de fausses données sur le climat. Je réponds que cela témoigne d'un manque de connaissance flagrant de ce qu'il faut pour prouver qu'on a raison dans le milieu scientifique. Ces gens confondent l'action individuelle et l'action collective. Est-ce qu'une agence gouvernementale qui finance la recherche climatique aurait intérêt de prétendre que les données scientifiques sur les changements climatiques sont parfaitement exactes et que les changements climatiques sont bien réels? Absolument. Est-ce que je fais confiance à Greenpeace lorsqu'il est question de science du climat? Non. Est-ce que je fais confiance à Environnement Canada? Pas tellement.

Cela dit, dans le domaine scientifique, pour prouver qu'on a raison, il faut avant tout prouver que son voisin a tort. C'est comme ça qu'on gagne. S'il y avait quoi que ce soit qui prouvait hors de tout doute que les modèles climatiques sont erronés, même si une grosse agence de modélisation climatique avait une bonne raison de garder ces pièces à conviction secrètes, les gens qui savent seraient trop tentés de faire sortir la vérité dans les journaux. Le fait que ce ne soit jamais arrivé devrait prouver que ces pièces à conviction n'existent pas.

M. du Plessis : Si votre question porte sur la négation des changements climatiques et sur le fait de ne rien...

Le sénateur Banks : Non, sur la négation du facteur humain, plutôt qu'industriel, des changements climatiques.

M. du Plessis : Personne ne nie qu'il faut faire quelque chose à l'égard des émissions de carbone.

M. Keith : Bien des gens nient justement cela, bien des gens dans cette ville.

M. du Plessis : Je n'ai jamais... oui, je suppose qu'on pourrait soutenir que le fait de ne pas être au courant est une excuse pour ne rien faire. Dans le milieu où je travaille, personne ne nie cela, comme le prouvent les investissements majeurs faits pour réduire les empreintes carbones.

Qui affirme qu'il ne faut rien faire? C'est pratique de tenir ce discours. Je ne crois pas que les gestes posés en Alberta soient cohérents avec cette façon de penser. On ne se sert pas de cela comme une excuse; on prend beaucoup de mesures.

M. Keith : Il y a une explication physique toute simple. Si c'était le soleil qui se réchauffe, on s'attend à ce que la basse et la haute atmosphère se réchauffent toutes les deux, puisque le soleil chauffe plus. Si le réchauffement est causé par le carbone, la haute atmosphère se refroidit. Je n'entrerai pas dans les détails scientifiques, mais ce sont des principes physiques que nous connaissons depuis des centaines d'années. C'est simple comme bonjour.

Voilà le principe : si le soleil se réchauffe, la haute et la basse atmosphère se réchauffent; si c'est le CO2, la haute atmosphère se refroidit et la basse atmosphère se réchauffe.

Vous devinez sans doute ce que je m'apprête à dire. On n'a qu'à observer ce qui se passe — la preuve est là. Ce sont des faits tout simples. Je trouve ahurissant que Duke n'ait jamais rencontré de gens qui ne croient pas aux changements climatiques, parce que moi, j'en rencontre tout le temps : des clients dans les cafés; des membres de l'organisation de Duke, pas lui personnellement; des gens du milieu qui affirment à la légère que tout cela n'est pas vrai, que c'est une invention des écologistes pour se faire du capital et nous rabaisser. Je comprends que ces gens se sentent menacés, mais ces croyances sont dangereuses pour cette ville et pour le gagne-pain de ses habitants.

Le président : Vous avez élevé le niveau du débat, qui est passé de la maternelle au doctorat; ce fut une discussion très intéressante, merci à tous.

Chers collègues, terminons notre séance d'avant-midi avec deux hommes qui, à plusieurs égards, ont la même mission que nous. Roger Gibbins, quelques-uns de ses collègues de la Canada West Foundation, David Emerson et moi-même avons discuté avant le début de notre étude. J'ai l'impression que les témoins et les gens qu'ils représentent trouvent que le comité du Sénat a un degré d'indépendance qui lui permet, sinon de jouir d'une plus grande crédibilité, au moins de pouvoir transmettre plus efficacement le message final.

Je suis également en mesure de vous dire, chers collègues, que David Emerson et certains de ses collègues sont tout aussi frustrés que nous par le fait que nous n'avons pas encore soumis notre rapport final et que le gouvernement n'a toujours pas établi concrètement son cadre de travail ou son orientation stratégique.

J'ai assuré à l'honorable M. Emerson que nous nous rapprochons du but, le sénateur Banks et moi étant motivés par nos dates de naissance, et d'autres tout simplement par la baisse du mercure.

Nous étions en Colombie-Britannique plus tôt cette semaine. Nous avons délibéré pendant neuf heures d'affilée mardi. Nous avons rencontré le ministre de l'Énergie et son sous-ministre lundi soir, et avons visité Westport Industries, exemple concret de ce que peuvent accomplir les compagnies qui sont disposées à investir des ressources et à mettre au point des technologies pour trouver une solution écologique.

Il était fascinant de voir comment l'opération carburait au gaz naturel — des moteurs diesel ont été modifiés pour fonctionner au gaz naturel liquéfié, au GNL.

Nous sommes ensuite passés par Edmonton, où nous avons tenu une séance complète hier. Je pense qu'il a été très productif d'entendre tous les témoignages que nous avons entendus; nous comprenons un peu mieux le dossier que quand nous avons commencé. En effet, nous sommes passés d'une classe de maternelle à un laboratoire de docteurs et sommes arrivés à une conclusion productive.

Des témoins de l'ensemble du pays, y compris à Ottawa, ont comparu devant nous pour nous parler des différentes façons d'établir le prix du carbone et des diverses raisons pour lesquelles nous devrions établir le prix du carbone; une chose est claire, nous envisagerons une solution à cet égard seulement si elle s'avère productive, non seulement en vase clos, mais aussi à l'échelle mondiale.

Mon collègue le vice-président, le sénateur Grant Mitchell de l'Alberta, salive déjà à l'idée que, même ce matin, les témoins font tout sauf rédiger notre rapport à notre place.

Je vous accorde donc la parole, monsieur Gibbins. Nous avons hâte d'entendre ce que vous avez à dire.

Roger Gibbins, président-directeur général, Canada West Foundation : J'aimerais faire quelques courtes observations qui touchent principalement aux processus employés pour réaliser les progrès qui ont été réalisés jusqu'à présent. Le groupe que je représente a commencé à s'intéresser à la question il y a environ trois ans, et je suis vraiment stupéfait des progrès qui ont été réalisés dans l'élaboration d'une stratégie énergétique canadienne ces deux ou trois dernières années.

Aujourd'hui, nous sommes arrivés au point où on tient pour acquis que ce genre de développement est essentiel — cette idée revient d'ailleurs souvent. Nous sommes passés des marges au cœur du débat politique. Diverses parties ont beaucoup contribué à l'initiative, comme l'ICPE, dont je parlerai un peu plus tard.

Vous trouvez peut-être que les études du Sénat avancent lentement, mais je répète qu'il suffit de penser aux politiques publiques qui ont présentées au cours des deux à trois dernières années — années qui ont semblé durer une éternité — pour constater que nous progressons très rapidement dans le dossier.

Durant cette période, le contexte a beaucoup changé. Quand on a commencé à parler d'une éventuelle stratégie énergétique, elle était considérée comme une initiative complémentaire nécessaire dans le plus grand débat sur les changements climatiques au Canada. Plusieurs craignaient, comme moi, qu'on ne se concentrait pas suffisamment sur les caractéristiques particulières de la politique énergétique canadienne dans le débat sur les politiques climatiques.

Sans dire que nous cherchons à rétablir un équilibre, nous voulons que les considérations énergétiques soient prises en compte.

Je pense qu'à l'heure actuelle, le débat sur l'énergie est passé au premier plan alors que celui sur le climat se fait de plus en plus feutré, pour de nombreuses raisons.

Le président : Vous avez dû vous réjouir lorsque, peu de temps après son élection, le premier ministre de l'Alberta a affirmé, devant l'Economic Club of Toronto, qu'il fallait adopter une politique énergétique à l'échelle nationale.

M. Gibbins : Effectivement. Depuis deux ans maintenant, le gouvernement de l'Alberta, autant à l'échelle des ministres que des sous-ministres, est le principal moteur du débat. Cependant, par le passé, les principaux dirigeants ne voulaient pas trop se mouiller; aujourd'hui, ils mâchent beaucoup moins leurs mots, ce dont je me réjouis.

Cependant, le débat sur l'énergie est toujours un peu trop centré sur l'Ouest canadien. Je suis heureux que les dirigeants de l'Ouest s'intéressent au dossier, mais je ne pense pas qu'on ait vraiment fait valoir les avantages nationaux et la nécessité d'agir à l'échelle nationale. Au cours des prochains mois, je pense qu'il est important qu'on fasse valoir ces arguments-là. Ils peuvent être faits, et ce, de façon un peu plus dynamique que par le passé.

Nous commençons à surmonter l'un des grands obstacles qui me rendait fou à une époque : la conception selon laquelle la grande diversité de nos ressources énergétiques au Canada rendait l'élaboration d'une stratégie nationale presque inimaginable; cette diversité était vue comme un obstacle, comme une faiblesse, plutôt qu'un réel atout pour notre avenir énergétique. Je pense qu'on en arrive au point où cette diversité est reconnue comme le fondement sur lequel nous pourrons bâtir l'avenir du secteur, plutôt qu'un obstacle que nous ne pourrons jamais surmonter.

Comme je l'ai déjà mentionné, le gros du travail pour ce qui est de déterminer le contenu de la stratégie a déjà été fait, notamment par l'ICPE. J'aimerais laisser mijoter dans votre esprit le modèle qui me trotte dans la tête, modèle qu'on pourrait appliquer à la stratégie énergétique. Le modèle qui revient tout le temps — j'en ai d'ailleurs peut-être déjà parlé — est la Loi canadienne sur la santé.

Imaginons cette loi non comme un document précis mais plutôt comme une série d'étapes législatives. En deux mots, elle établit les principes de la prestation de soins de santé au Canada. Je pense, entre autres, qu'elle les établit de façon à maintenir une certaine flexibilité. Elle doit être amovible, accessible, universelle, approfondie, et financée par l'État. En une poignée de mots, on a pu établir un cadre de prestation de services de soins de santé au Canada, laissant les gouvernements provinciaux s'occuper de la mise en œuvre.

Le gouvernement fédéral s'est peut-être un peu trop ingéré dans la mise en œuvre du régime, mais ce système demeure un bon modèle. Ce serait un bon modèle sur lequel calquer une politique énergétique parce que, dans les deux cas, il faut respecter certains principes pancanadiens tout en laissant les provinces s'occuper du peaufinage et de la mise en œuvre.

Nous avons donc un modèle. Il nous a bien servi par le passé et je pense qu'il le pourra encore à l'avenir.

Le président : Si je me souviens bien, le comité a cité ce même exemple dans son rapport intitulé Attention Canada!, n'est-ce pas? Peut-être ne figure-t-il pas dans la version finale.

Le sénateur McCoy : La solution que vous proposez cadre bien mal avec la réalité politique, monsieur Gibbins, en partie à cause de la question de la diversité. Vous m'excuserez mais je me sens obligée de le dire. Il n'est pas réaliste sur le plan politique de proposer qu'un seul gouvernement définisse les principes d'une stratégie alors que chacun des 10 autres gouvernements concernés possède ses propres ressources.

Certains politiciens du Canada atlantique à qui nous avons parlé, dont quelques-uns étaient à la retraite ou réhabilités, hésitaient à envisager la proposition. Ce qui nous a plu, c'est qu'elle comportait des principes, mais l'aspect législatif n'était pas aussi convaincant. J'aimerais que vous me parliez davantage des principes en question.

M. Gibbins : C'est un point très important parce que je ne cherche pas du tout à laisser entendre que le gouvernement du Canada devrait à lui seul dresser la stratégie énergétique. Mon analogie portait plutôt sur la série de principes généraux. Nous devrions privilégier un processus intergouvernemental dans l'élaboration de la stratégie. Le gouvernement fédéral ne peut être le seul responsable de la stratégie parce que les provinces sont trop étroitement concernées. L'analogie avec la Loi canadienne sur la santé tient la route dans la mesure où elle nous montre une façon de combiner divers éléments en une seule vision nationale.

J'aimerais faire deux derniers points : je suis maintenant convaincu du fait qu'il est essentiel d'adopter une stratégie énergétique canadienne si l'on veut entreprendre des projets d'énergie d'envergure à l'avenir. Nous n'avons à l'heure actuelle aucun moyen de déterminer les projets énergétiques qui sont dans l'intérêt national.

Nous entamons des audiences sur les pipelines dans le cadre desquelles nous allons recueillir l'opinion de 5 000 intervenants distincts, dont beaucoup viennent de l'étranger, sans pouvoir définir nos propres intérêts nationaux, par opposition aux intérêts locaux qui sont, au demeurant, très légitimes. Si nous ne pouvons trouver une façon d'établir cet équilibre, j'ai du mal à imaginer un grand projet énergétique capable de passer toutes les étapes des processus réglementaire et politique.

Voilà qui m'amène à mon dernier point. Depuis six ou sept mois maintenant, le débat sur la stratégie énergétique canadienne se mêle de plus en plus au débat sur la stratégie Asie-Pacifique. Je pense que c'est une bonne chose. L'énergie est l'élément le plus important des liens que le Canada entretient avec les pays de l'Asie-Pacifique, et à plusieurs égards, la stratégie Asie-Pacifique est une stratégie énergétique embryonnaire parce que l'énergie joue un rôle si important dans nos relations avec les pays de la région.

Je pense que la fusion entre ces deux débats est une bonne chose, bien qu'elle entraîne certaines complications.

Le président : Merci beaucoup monsieur Gibbins.

Accueillons à présent un homme qui a pu se familiariser, dans ses divers rôles, avec les deux côtés de l'arène politique, l'honorable David Emerson. Il doit se dire qu'il n'est pas étonnant que les choses avancent aussi lentement.

Nous n'oublierons jamais la contribution de M. Emerson dans le dossier du bois d'œuvre. C'est un homme qui semble capable de se retrouver dans le dédale de la bureaucratie gouvernementale, des voisins bilatéraux sur ce continent, ce qui était, en soi, une réalisation remarquable que nous ne sommes pas prêts d'oublier.

Nous avons suivi vos activités à l'ICPE. Vous avez la parole.

David Emerson, président, Energy Policy Institute of Canada : Monsieur le président, comme il est agréable de retrouver autant de vieux amis et collègues du Sénat. Je suis heureux d'être parmi vous.

Comme vous le savez bien, depuis que j'ai quitté la politique, j'ai, entre autres choses, assumé la présidence de l'Institut canadien de politique énergétique. Ce n'est pas un poste que j'occupe à temps plein. Je ne fais pas partie de la direction, mais les fonctions que j'exerce à temps partiel me tiennent beaucoup à cœur et concernent directement l'objectif du comité.

L'ICPE est une organisation du secteur privé qui se penche sur l'éventail complet du monde de l'énergie, de l'énergie verte à l'énergie à base d'hydrocarbures, et qui touche également à certains secteurs qui sont parallèles au secteur énergétique et qui, généralement parlant, ont un intérêt direct dans celui-ci.

Bien que ce soit une politique officieuse, nous refusons toute implication gouvernementale dans l'organisation. Nous voulons maintenir une perspective claire propre au secteur privé, perspective qui, comme je l'ai déjà dit, touche à l'éventail complet de l'énergie et se veut pancanadienne. Nous comptons parmi nos membres 40 compagnies qui viennent de l'ensemble du pays; nous cherchons donc à parler pour l'ensemble du Canada. Je pense que nous nous débrouillons plutôt bien jusqu'à maintenant; nous trouvons cependant que la participation est faible dans l'Est du Canada, notamment au Québec et dans les provinces atlantiques, mais nous comptons quand même des membres dans ces régions.

Nous avons déjà produit quelques documents. Cet été, à la réunion des ministres de l'énergie et des mines à Kananaskis, nous avons déposé un document, une sorte de première ébauche d'un résumé de nos opinions, si vous le voulez bien, sur la forme que pourrait prendre une stratégie énergétique nationale et les principes fondamentaux qui la sous-tendraient.

Nous mettons ce document à votre disposition. Ensuite, nous avons publié un document que nous appelons le récit ICPE; ceux d'entre vous qui sont en politique penseront sûrement au récit d'ascenseur que tout politicien veut avoir l'occasion de raconter pour exprimer ce qu'il cherche à promouvoir ou à réaliser. C'est notre récit d'ascenseur, mais en l'occurrence, il faudrait passer longtemps dans l'ascenseur parce que le document fait quatre pages alors qu'il pourrait n'en faire qu'une.

J'ai également mis ce document-là à votre disposition, et dès que nous aurons terminé de le traduire en français, je vous en soumettrai un autre sur un sujet dont a parlé Roger : le processus réglementaire. J'estime, tout comme l'ICPE dans son ensemble et beaucoup d'autres personnes, que le processus réglementaire au Canada est presque irrémédiablement défaillant.

Certains progrès ont néanmoins été réalisés, notamment grâce à l'examen des grands projets effectué par le ministère de l'Énergie et des Mines à Ottawa, mais à notre avis, cela ne suffit pas. Dans le monde de l'énergie, les projets se chiffrent souvent dans les milliards de dollars et sont capables de produire des revenus de centaines de millions de dollars, mais on demande quand même aux entreprises du secteur privé d'investir des ressources considérables alors qu'elles ne savent même pas si le projet sera approuvé, quand il sera approuvé, ou même quelles sont les chances qu'il soit approuvé. Ce n'est pas ainsi qu'on devient un leader mondial dans un domaine qui, à notre avis, sera si essentiel à l'avenir économique du Canada.

Tous les documents que j'ai soumis constituent officiellement la position de l'ICPE en ce qui concerne la stratégie énergétique nationale.

J'aimerais faire quelques observations, et dans la période réservée aux questions et observations, je vais sûrement dire des choses que ne cadrent pas encore entièrement avec la position officielle de l'ICPE. Vous me connaissez. Je parle avant de réfléchir, et je ne changerai sûrement jamais; je suis trop vieux pour cela.

Je souhaite d'abord donner un bref aperçu de notre approche en matière d'énergie. Ensuite, je parlerai un peu du portrait général. Dans le domaine des produits, le secteur canadien de l'énergie et les véritables perspectives d'avenir qu'il présente pour le Canada font partie d'un tout qui évolue. Certains produits sont des éléments moteurs dont les pays en développement ont besoin pour se développer davantage. Ils ont besoin de plus de cuivre, d'acier et d'énergie. Il y a une gamme de produits que l'on trouve en abondance au Canada. L'énergie est en fait une sous-composante. Évidemment, c'est la sous-composante qui génère le plus de richesses, mais elle fait partie d'un tout.

Je crois que les Canadiens ont longtemps eu honte d'être des bûcherons et des porteurs d'eau. Malgré cette auto- flagellation, nous sommes encore, au sens figuré, des bûcherons et des porteurs d'eau.

Lorsqu'on consulte l'indice TSX, on constate qu'environ 50 p. 100 des titres ont trait à l'énergie et aux matières premières, et c'est sans compter les banques, les sociétés d'ingénieurs et les entreprises de services, qui auraient de graves ennuis si le secteur de l'énergie disparaissait.

Nous constatons déjà que les secteurs de l'énergie et des ressources naturelles sont de loin les principaux créateurs de richesses et d'emplois au Canada. Il est important de s'en rendre compte, et cette situation a également des répercussions. Nous sommes tous en faveur du financement des programmes de santé et de services sociaux du Canada, mais je prétends que si le secteur de l'énergie disparaissait demain, les gouvernements fédéral et provinciaux du pays seraient complètement ruinés, ce qui m'amène à parler d'un autre problème imminent.

Ce problème concerne le travail que vous faites, et vous devriez probablement vous pencher là-dessus, ou du moins en tenir compte. Le problème, c'est que le Canada a la très mauvaise habitude d'investir les recettes provenant de la vente de ses ressources naturelles non renouvelables dans les programmes de fonctionnement du gouvernement. Ensuite, nous tenons compte de ces recettes dans la formule de péréquation. Ainsi, les finances de tous les gouvernements canadiens dépendent entièrement de la monétisation constante des ressources, ce que nous devrions éviter.

Par ailleurs, j'ai contribué à la production d'un rapport indiquant très clairement que l'Alberta ainsi que d'autres provinces, peut-être même le gouvernement du Canada, doivent mettre fin à cette habitude et commencer à réserver les recettes provenant de la vente de ces ressources pour les investir dans l'avenir à long terme du pays, car dans l'ensemble, ces ressources ne nous appartiennent pas. Elles appartiennent aux générations futures, et nous devons faire en sorte que ce soient elles qui en profitent.

J'espère que vous vous pencherez également sur les effets du syndrome hollandais et de ses équivalents canadiens. Je suis certain que vous connaissez tous le syndrome hollandais. C'est ainsi qu'on a appelé la situation qui s'est produite lorsque les Pays-Bas ont exploité les gisements de pétrole de la mer du Nord, dans les années 1980. Les Pays-Bas ont connu une énorme hausse de la demande pour leur devise et leurs exportations, et il y avait beaucoup de demande pour les matériaux industriels et la main-d'œuvre, à tel point que le pétrole de la mer du Nord a essentiellement ruiné le secteur manufacturier néerlandais, car la valeur du florin a augmenté, et les autres industries sont devenus non compétitives.

Le Canada connaît le même problème aujourd'hui.

Le président : Ça n'a rien à voir avec la maladie des ormes.

M. Emerson : Ça n'a rien à voir avec les ormes, mais c'est un problème qui touchera l'exploitation de gisements de fer. Il se pose souvent eu égard aux sables bitumineux, et ça n'a rien de positif. C'est un obstacle à la diversification soutenue de l'économie canadienne et à l'édification de secteurs axés sur le savoir et l'innovation, qui présentent des possibilités de mobilité.

À mon avis, nous ne faisons pas assez d'efforts pour contrer ce phénomène, qui, même avant qu'on lui donne le nom de « syndrome hollandais », avait déjà été caractérisé comme étant un problème éventuel par Peter Lougheed. Celui-ci a veillé à ce que les projets énergétiques soient organisés d'une manière qui permette de contourner les obstacles et d'atténuer les effets négatifs d'un développement effréné et trop rapide.

Vous n'êtes pas sans savoir que la devise canadienne est actuellement perçue comme une pétromonnaie, ce qui signifie que lorsque le prix du pétrole grimpe, le dollar s'apprécie. Le taux de change n'est qu'un des facteurs qui influent sur la valeur de notre monnaie; d'autres éléments clés entrent aussi en jeu. Ils peuvent intervenir dans l'élaboration et la réalisation d'une stratégie énergétique nationale. Cela devient compliqué. Les travaux de l'ICPE respectent le fédéralisme canadien. Comme Roger l'a mentionné, nous ne préconisons pas que le gouvernement du Canada soit le seul architecte, le seul artisan d'une stratégie sur l'énergie. Nous sommes les tenants d'une approche où les gouvernements définissent de concert des principes généraux visant à assurer une grande cohérence et une grande rigueur au processus d'élaboration d'une stratégie énergétique nationale.

Je vais m'arrêter là-dessus.

Le président : Monsieur Emerson, le rapport qui est en train d'être traduit et qui porte sur le processus réglementaire lié à l'approbation de grands et moins grands projets au Canada se contente-t-il de cerner les problèmes ou renferme-t- il des recommandations de solutions?

M. Emerson : Les deux.

Le président : En plus du gouvernement fédéral, nous avons 10 gouvernements locaux, sans compter des centaines et des centaines de collectivités autochtones. Les témoins que nous avons entendus, même cette semaine, ont été clairs, à commencer par le ministre de l'Énergie et des Mines de la Colombie-Britannique. Il nous a dit qu'il voulait que nous nous penchions sur une seule chose, et c'est cet enjeu.

Si, avec votre rapport, nous ne réussissons à accomplir que cela, ce ne sera pas mauvais. J'espère que vous nous le transmettrez bientôt dans les deux langues.

M. Emerson : Il est prêt, pour l'essentiel. Il nous suffit de vous l'envoyer. Comme je l'ai dit, il est axé sur le régime fédéral et il formule des propositions et des principes généraux, mais on y décrit aussi quelques cas particuliers pour illustrer les principes stratégiques que nous prônons.

Nous le diffuserons aux gens de l'Ouest du Canada aussi. Comme Roger vous le confirmera, cette région déploie déjà des efforts dans ce dossier.

Après cette année, je crois que les gouvernements n'auront plus aucune excuse pour éviter de s'occuper de cette question, sauf un manque de volonté politique. Lorsque j'étais député ministériel, sous le gouvernent libéral, la rationalisation du processus d'examen des projets était un objectif prioritaire. Nous n'avons pas eu le temps de concrétiser cet objectif. Lorsque je siégeais au sein du gouvernement conservateur, cette rationalisation était aussi un objectif prioritaire, mais nous n'avons pas vraiment réussi à l'atteindre. Nous nous sommes rapprochés du but, mais c'est le genre de dossier sur lequel la bureaucratie exerce beaucoup de poids. Des fonctionnaires vont vous montrer les lois qui régissent leur ministère et leur ministre et vous dire : « Eh bien, la loi nous oblige à faire ceci et cela. »

Ce qu'il faut, c'est probablement une loi omnibus, une loi qui aurait préséance sur les autres et qui permettrait au gouvernement du Canada et aux provinces qui le souhaitent de mettre en place un processus simplifié. Dans notre document, nous abordons les différents moyens d'améliorer le processus.

Le sénateur Mitchell : J'aimerais revenir sur un des derniers points que vous avez fait valoir, monsieur Emerson. C'est une notion très importante et puissante que celle du lien entre le secteur énergétique et les problèmes de diversification. Quand je me suis lancé en politique en Alberta, on parlait déjà de ce problème et il s'est révélé difficile de faire des progrès à cet égard.

La Norvège s'est heurtée à ce problème et a changé sa façon de faire. Le gouvernement norvégien dépensait en Norvège une grande partie de ses recettes tirées des ressources pétrolières et s'est rendu compte que cela avait des effets inflationnistes et perturbateurs sur l'économie. Aujourd'hui, le pays dispose d'un fonds de 600 milliards de dollars qu'il ne dépense pas, auquel il ne touche pas.

J'aimerais qu'on aborde l'idée de la collaboration, la question des domaines de compétence et le rôle que le gouvernement du Canada peut jouer. Pourriez-vous étoffer cette idée de collaboration? S'agirait-il, pour le premier ministre, de rencontrer ses homologues provinciaux régulièrement pour discuter de cette question importante? S'agirait-il de créer un institut pancanadien et pangouvernemental, mais indépendant, qui assumerait un rôle de soutien et qui définirait des priorités, formulerait des principes et les appliquerait? Quelle forme de collaboration envisagez-vous? C'est la question clé que nous nous posons.

M. Emerson : J'adopterais une approche pragmatique et je décomposerais le problème en plusieurs volets. Par exemple, les ministres responsables de l'énergie et des mines font du travail assez remarquable à certains égards, notamment en s'efforçant d'améliorer l'accès aux marchés de l'Asie-Pacifique. Si nous n'améliorons pas cet accès, nous aurons raté une belle occasion de nous imposer comme économie de produits essentiels de l'ère nouvelle. Si nous ne pénétrons pas les marchés dans les économies en développement et si nous continuons de nous reposer sur le marché étasunien, nous aurons échoué à tirer parti de nos ressources précieuses.

On peut se pencher sur le volet de l'innovation ou celui de l'accès aux marchés, envisager le problème sous l'angle de l'examen des projets, ou encore songer aux mesures de conservation et faire en sorte que tous les Canadiens participent à cette dynamique. Les premiers ministres peuvent donner aux ministres des différents portefeuilles un mandat précis, puis se rencontrer pour donner suite aux travaux des ministres et faire fond là-dessus pour bâtir un cadre solide.

Évidemment, cet exercice ne règlerait pas toutes les questions, mais je pense qu'on obtiendrait 80 p. 100 de ce qui est nécessaire. Si on parvient à intéresser les hautes instances, il n'est pas nécessaire que chaque province adhère au processus. Il suffit que quelques provinces clés embarquent. Les autres décideraient peut-être d'attendre la suite des choses, mais un jour ou l'autre, elles finiraient par participer aux efforts sans quoi elles risqueraient d'être désavantagées sur le plan de la concurrence.

Le sénateur Mitchell : Ce n'est pas incompatible avec ce que vous préconisez, monsieur Gibbins, c'est-à-dire établir des principes et ainsi de suite. Qu'en pensez-vous?

M. Gibbins : Ce n'est pas incompatible. Je vais éviter de m'aventurer sur le même terrain que le sénateur McCoy.

Le sénateur Mitchell : Vous pouvez détourner l'attention en parlant d'une taxe sur le carbone.

M. Gibbins : À mon sens, il est inéluctable que le gouvernement fédéral participe à cet élan, en partie parce que tout un éventail d'instances fédérales sont automatiquement concernées par la question. C'est inévitable.

Par ailleurs, d'après mon évaluation personnelle, il existe des mécanismes au Canada, des mécanismes intergouvernementaux par l'entremise du Conseil de la fédération, qui ne font pas intervenir directement le gouvernement du Canada. Or, ces nouvelles formes de relations intergouvernementales ne sont pas encore assez solides pour qu'on puisse s'attaquer à un enjeu aussi complexe.

Le gouvernement fédéral a donc un rôle à jouer, un rôle important, mais il ne s'agit pas pour lui d'élaborer la stratégie. Les cas où c'est arrivé n'ont pas particulièrement donné de bons résultats.

Le sénateur Mitchell : Dans votre exposé, monsieur Emerson, vous avez dit que le Canada devait fixer un prix national pour le carbone. On en entend beaucoup parler. Eric Newell nous en a parlé hier, du moins relativement au captage et au stockage du CO2.

Quelle serait la meilleure formule? Je souligne, en passant, que l'ICPE se compose d'entreprises telles que Canadian Oil Sands Limited, Enbridge, EnCana, Imperial Oil, Shell Canada et Spectra. Ce sont des acteurs de premier plan.

Quelle serait la meilleure formule de tarification? Comment donner l'impulsion à cet égard?

M. Emerson : À ce stade-ci, nous n'avons pas encore de politique claire en matière de taxe sur le carbone, bien que de nombreuses personnes estiment que c'est la voie logique à emprunter. La situation pourrait changer du tout au tout d'ici le printemps prochain. À l'heure actuelle, nous nous devons d'observer certains principes, c'est-à-dire que nous ne pouvons pas éviter complètement d'harmoniser nos pratiques avec celles de nos partenaires commerciaux, notamment les États-Unis, sinon nous nous exposons à des difficultés préjudiciables au chapitre de la compétitivité.

Pour l'instant, les provinces peuvent travailler de concert avec le gouvernement fédéral, chacune disposant de son propre mécanisme. La Colombie-Britannique impose une taxe sur le carbone. L'Alberta, pour sa part, fixe le prix du carbone d'une autre manière. Il s'agit peut-être d'un assemblage de mesures disparates plus ou moins cohérentes permettant d'établir un prix national du carbone. Nous n'avons pas encore arrêté notre choix quant à la formule idéale.

Personnellement, le régime de plafonnement et d'échange et la voie réglementaire me rendent très sceptique. J'ai l'impression que ce système ouvrirait la porte à la manipulation par des intermédiaires, qui s'empliraient les poches, et à des complications bureaucratiques cauchemardesques. Je préfère les modèles simples.

Le sénateur Mitchell : Vous affirmez que le plafonnement et l'échange et la réglementation sont synonymes de complications?

M. Emerson : C'est mon opinion, mais, je le répète, l'ICPE n'a pas encore de politique claire. Nous pensons toutefois que ces systèmes seraient difficiles à appliquer.

Le sénateur Banks : Monsieur Emerson, je ne suis pas un écologiste, mais je suis Albertain, comme vous l'avez été et le serez de nouveau, je l'espère. Si vous demandez à la plupart des Albertains et des Britanno-Colombiens si la protection de l'environnement leur tient à cœur, tous vous répondront « oui », sans ambages. C'est la seule réponse. Nous répondons tous la même chose, même si nous sommes affligés du syndrome « pas dans ma cour ».

Admettons que je sois un écolo et que je vous dise que la rationalisation du processus réglementaire est un euphémisme pour parler de son affaiblissement. Que me répondriez-vous?

M. Emerson : Comme vous le savez, je viens du secteur forestier. Dans ce domaine, parler de gestion des écosystèmes et de création d'un cadre plus uniforme et efficace de gestion des forêts n'était pas un euphémisme pour « dégradation de l'environnement ». En fait, c'était une façon d'atteindre des objectifs environnementaux plus élevés. Je suis d'avis, comme l'ICPE je crois, que nous ne prônons nullement un assouplissement des normes ou des objectifs environnementaux. Par contre, nous pouvons cesser de gaspiller des ressources que nous utilisons mal et inefficacement et agir de manière concertée et disciplinée pour obtenir des résultats environnementaux ambitieux.

Je crois sincèrement que c'est la voie à suivre. Dans le cas de l'Alberta, il n'est pas suffisant de se contenter de présenter les sables bitumineux sous un jour favorable. Nous devons nous doter d'objectifs ambitieux pour l'avenir, utiliser des technologies de pointe et différents moyens pour réduire notre empreinte carbone. À mes yeux, il s'agit d'être plus efficace, voire de dépasser nos objectifs en matière de protection de l'environnement.

Dans tous les secteurs rattachés aux ressources naturelles dans lesquels j'ai œuvré, j'ai constaté que 95 p. 100 des gens sont de plus grands défenseurs de la nature que beaucoup de ces adeptes de la rectitude écologique façon Starbucks. C'est la vérité.

Le sénateur Banks : Le secteur forestier est un modèle en quelque sorte. Cependant, ce genre de collaboration entre tels intervenants et tels autres intervenants en vue d'atteindre des objectifs ambitieux n'existe pas vraiment dans l'industrie de l'extraction des ressources, n'est-ce pas?

M. Emerson : Ça s'en vient. Si on adhère au principe de la mondialisation et à l'idée que le Canada deviendra une économie stable et de pointe, on comprend que les entreprises canadiennes seront des gestionnaires de la chaîne d'approvisionnement mondiale. Nous laissons déjà notre empreinte dans le monde, et ça n'ira pas en diminuant. Nos technologies environnementales et notre rendement environnemental seront des atouts décisifs qui permettront aux entreprises canadiennes de devancer leurs concurrents mondiaux de l'industrie des ressources naturelles, car, peu importe où nous irons, au Congo, au Brésil ou ailleurs, le mouvement environnemental nous rattrapera. Dans le contexte actuel, ceux qui se comportent mal et affichent un piètre rendement ne passent pas inaperçus.

Le sénateur Banks : Ce serait bon pour votre image si l'organisme Conservation de la nature Canada faisait partie de vos membres, n'est-ce pas?

M. Emerson : L'ICPE a pris délibérément la décision de ne pas transformer son exercice en négociation entre des intervenants aux intérêts concurrents, mais il est prêt à tendre la main aux autres. Je crois que c'est la clé.

Le sénateur Banks : Votre initiative correspond tout à fait au type de leadership nécessaire pour atteindre ces objectifs ambitieux. J'espère que vous garderez le cap.

Monsieur Gibbins, vous avez mentionné que nous pourrions nous servir de la Loi canadienne sur la santé comme modèle dans le secteur de l'énergie. Or, dans les situations extrêmes, la loi ne fonctionne que lorsqu'il y a étranglement financier. Comme une sorte de levier.

Pourrait-on appliquer pareil moyen d'action dans le cas de l'énergie, en se fondant sur la Loi canadienne sur la santé? Je veux parler d'utiliser un levier, des normes nationales, pour garantir l'observation de la loi. C'est bien beau d'avoir des mesures disparates au Canada pour atteindre un but énoncé, compris et accepté par tous, et de respecter les champs de compétence. La situation au Québec est très différente de celle en Colombie-Britannique; les moyens d'atteindre les objectifs diffèrent donc sensiblement. Aurions-nous besoin d'un levier?

M. Gibbins : Je ne sais pas. Je pense que nous surestimons le pouvoir du levier financier dont dispose le gouvernement fédéral en vertu de la Loi canadienne sur la santé.

Le sénateur Banks : Pas en Alberta.

Le sénateur McCoy : Effectivement.

M. Gibbins : En fait, je crois que ce levier n'a été utilisé que de façon marginale. Il a fait son temps. Les vraies contraintes dans les systèmes de soins de santé provinciaux reposent sur l'attachement puissant de la population à ces principes. L'électorat est plus à craindre que les bureaucrates du ministère des Finances. Cette notion de levier nous amène à nous poser des questions sur la taxe sur le carbone et à nous demander s'il y aurait une incidence sur les recettes.

Sénateur, j'ai été surpris quand je vous ai entendu exprimer votre préoccupation à l'égard de la réaction de la population à l'idée de renforcer ou rationaliser le processus réglementaire. À mon avis, il importe de montrer qu'une telle mesure peut nous permettre de réaliser des objectifs stratégiques plus vastes. On peut faire valoir que la rationalisation du processus de réglementation nous aide à obtenir d'autres résultats souhaitables.

Je suis entièrement d'accord avec vous : si cette rationalisation est exécutée de manière isolée, les gens pourraient penser qu'il s'agit seulement d'une simplification du processus pour faciliter les choses à un groupe d'intéressés.

Voilà pourquoi j'estime qu'il faut absolument envisager la stratégie énergétique dans sa globalité, en quelque sorte : ses éléments sont tout à fait complémentaires, et si on en laisse certains pour compte, je pense qu'ils risquent davantage de ne pas être mis en œuvre.

Le sénateur Neufeld : Je comprends les deux points de vue. J'ai pris part à la simplification de processus environnementaux en Colombie-Britannique : peu importe comment on essaie d'expliquer ce qu'on essaie de faire et les objectifs qu'on vise, ce sera considéré comme un affaiblissement du processus environnemental.

Il faut simplement dès le départ être conscient qu'on sera l'objet d'attaques politiques et envisager la manière d'y réagir. On peut faire tout ce qu'on pense vouloir faire pour améliorer les choses pour les ressources terrestres — je ne suis pas en désaccord avec M. Emerson —, mais au bout du compte, parce que nous avons rendu les processus plus efficients — ils ne sont pas « vraiment efficients », juste un peu plus qu'avant, je dirais —, le mouvement environnemental nous a attaqués sans relâche et sur tous les fronts possibles, et il continue de le faire.

Le gouvernement fédéral devra admettre qu'au bout du compte — et sur le plan politique, il serait probablement capable de le faire dès maintenant, d'une façon ou d'une autre, pour faire progresser les choses —, il faudra un énorme projet de loi omnibus touchant divers organismes et ministères pour vraiment simplifier ça. Le processus lui-même comporte trop d'entraves, et vous le savez mieux que personne.

Ce n'était qu'une observation.

Le sénateur Banks : En Colombie-Britannique, la population n'est-elle pas majoritairement favorable à l'industrie forestière justement à cause de ce qu'a dit M. Emerson? C'est par la collaboration que les MacMillan Blœdel et les Greenpeace de ce monde ont défini des objectifs ambitieux. Les choses vont plutôt bien en Colombie-Britannique en matière de foresterie, n'est-ce pas?

Le sénateur Neufeld : Je ne prétendrai pas que ce n'est pas un bon processus, mais lorsqu'on l'a présenté et mis en œuvre, on s'est quand même fait attaquer. C'est tout ce que je dis. Cela va peut-être pour le mieux sur le terrain, mais je crois que si vous consultiez l'industrie forestière, vous constateriez que certaines des choses qui ont été faites pour ou sur le terrain ont parfois drôlement tout compliqué et n'ont pas beaucoup d'allure. Il faut en prendre et en laisser.

Le sénateur Banks : Quand on se fait attaquer par toutes les parties, ça veut dire que les négociations ont été menées à la perfection.

Le sénateur Sibbeston : Ce qui m'inquiète, ce sont les questions de réglementation. Comme je viens des Territoires du Nord-Ouest, je suis au fait des longs processus réglementaires associés au pipeline de la vallée du Mackenzie. Je connais d'autres projets où il faut des années pour obtenir une approbation réglementaire, comme pour l'exploitation minière.

Je me demande si, en tant que Canadiens, nous avons besoin de ce processus parce que sur le terrain, les débats finissent immanquablement par englober les Premières nations, les peuples autochtones. Dans bien des cas, ils ont enfin la possibilité d'intervenir parce que dans le Nord, on doit composer avec les revendications territoriales et eux, avec les commissions de cogestion et environnementales.

Pour la première fois de leur vie, ils ont la possibilité de se prononcer sur des projets. Le processus leur sert de levier, car il leur donne l'occasion de conclure des ententes relatives aux avantages. En comparaison, auparavant, les entreprises se moquaient éperdument des terres ancestrales et des peuples autochtones, mais ce n'est plus le cas aujourd'hui. Le processus a permis aux peuples autochtones de s'impliquer. Si le projet de pipeline dans la vallée du Mackenzie va de l'avant, ils y prendront part, tout comme à d'autres projets.

J'admets qu'il faut simplifier les processus réglementaires, mais on doit prendre conscience du fait qu'il s'agit en quelque sorte d'un processus évolutif. Il faut recourir à ce processus pour mobiliser les Autochtones de notre pays, et ça se fait de manière tout à fait positive.

On peut bien simplifier les processus, mais il faut toujours se soucier d'y faire participer les peuples autochtones. Le processus n'est qu'un moyen, et si on s'en débarrasse, ça annihilera les progrès.

M. Emerson : Je conviens que la relation avec les Premières nations évolue, et ça n'a pas toujours été simple. Il y a eu beaucoup de batailles juridiques, notamment dans le cadre des processus réglementaires.

Ce que je pense, c'est que le Canada d'aujourd'hui n'est pas le Canada d'il y a 20 ou 30 ans. L'industrie des ressources reconnaît beaucoup plus que par le passé l'importance de collaborer avec les Premières nations, de conclure des partenariats avec elles et, essentiellement, de les faire participer au processus.

Tout ce qu'on dit — ou, du moins, ce que je dis —, c'est qu'il faut préciser les exigences du processus réglementaire. S'il est possible de voir à ce que des accords de partage adéquats soient conclus avec des groupes autochtones donnés, alors qu'on le fasse et qu'on définisse les modalités connexes. « Vous voulez faire approuver ce projet-là? Alors, négociez. »

Pas besoin de préciser des chiffres ni d'imposer des mécanismes : il suffit de trouver un processus qui permet de distinguer les enjeux autochtones des enjeux environnementaux et des autres enjeux.

Je pense que le pays est prêt pour ça.

M. Gibbins : Je n'ai qu'une brève observation à formuler. Le dossier du pipeline de la vallée du Mackenzie perdure depuis 41 ans. Étant donné la mondialisation, je ne suis pas convaincu qu'on peut agir aussi lentement. Je ne me vois pas trop aller dans les marchés asiatiques en disant : « Laissez-nous 41 ans, puis nous serons peut-être prêts à commencer à enfouir des canalisations. » Cela ne fonctionnera pas.

Le sénateur Brown : Monsieur Emerson, quatre provinces des Prairies peuvent exporter toutes sortes d'énergie. Il y a de l'hydroélectricité de la Colombie-Britannique jusqu'au Manitoba. La Colombie-Britannique et l'Alberta recèlent du gaz naturel. On trouve des produits pétroliers en Alberta et en Saskatchewan.

Croyez-vous qu'il est possible d'avoir un seul bon programme pour une politique qui vise tout le pays lorsque quatre de nos provinces produisent de l'énergie qu'elles consomment et qu'elles exportent, qu'une autre regroupe 50 p. 100 de la population du pays et que l'Alberta verse des paiements de péréquation à toutes les autres, à l'exception de la Colombie-Britannique, si je ne me trompe pas?

Alors qu'est-ce que ce sera? Y aura-t-il deux politiques, une pour les fournisseurs d'énergie et une autre pour les consommateurs d'énergie? Y aura-t-il une seule politique homogène d'un océan à l'autre?

M. Emerson : Je ne suis pas partisan — et je doute que l'ICPE le soit — d'une approche uniforme et absolue en matière d'énergie. À mon avis — et je pense que c'est plus ou moins celui de l'ICPE —, l'Amérique du Nord est le marché principal, le marché naturel, non seulement pour vendre et produire de l'énergie de la manière la plus efficiente de tout le continent, mais aussi pour favoriser la gestion environnementale.

Selon moi, il faut absolument gérer les écosystèmes pour le moins à l'échelle continentale parce qu'ils ne sont pas sensibles aux frontières géopolitiques et que l'économie connexe revêt une importance déterminante pour l'Amérique du Nord. C'est un dossier qui se répercute sur le périmètre de sécurité et tout ça.

À mon avis, il nous faudra un jour ou l'autre accroître notre sécurité énergétique d'un bout à l'autre du pays, mais je ne dirais pas qu'il faut prendre ça en main et raccorder tout le pays. Je pense qu'en procédant graduellement aux travaux nécessaires pour accéder aux divers marchés nord-américains, on prolongera par le fait même les connexions parallèles vers l'Est et l'Ouest du Canada. Je n'ai rien contre l'idée que chaque province adopte une approche un peu différente en ce qui concerne l'énergie, les redevances et tout ça ainsi que la manière de gérer les choses sur le plan fiscal.

Par contre, j'estime qu'il y a des domaines fondamentaux où il est nécessaire d'imposer un processus simple et uniforme.

Le sénateur Brown : Je crains seulement que ce soit justement là que les choses se compliqueront.

M. Gibbins : Je tiens à souligner que l'industrie pétrolière et gazière n'est pas la seule à être aux prises avec des problèmes d'accès aux marchés. Il devient de plus en plus difficile de vendre de l'hydroélectricité aux États-Unis. Il ne sera pas facile non plus d'introduire de nouvelles technologies sur les marchés américains.

Je pense que, en matière d'accès aux marchés, il y a e grands enjeux et des facteurs importants qui peuvent en principe être plus pancanadiens, mais qui en pratique ne se répercutent pas nécessairement de la même façon sur toutes les industries.

Le sénateur McCoy : Je tiens à vous féliciter — surtout vous, M. Gibbins — de la place que s'est taillée Canada West sous votre gouverne dans le débat relatif à l'énergie. Je lis constamment la série d'articles The Let's Talk Energy, sans compter votre mémoire et l'excellent livre que Barry Worbets m'a apporté la dernière fois qu'il est venu ici relativement au projet de réforme réglementaire. Comme il l'a dit, c'est l'un des meilleurs qu'il a vus.

J'ignore si vous avez remis des exemplaires du livre à d'autres membres du comité. Puis-je m'en faire le porte-parole? Ils devraient le lire. Je crois que la vision que vous y avez présentée pourrait nous servir de point de départ, car je trouve que vous avez exposé les tenants et aboutissants de la question avec beaucoup d'élégance.

M. Emerson, je vous félicite du conseil du premier ministre de l'Alberta sur l'avenir économique et du rapport qui a été rendu public en mai, qui était remarquable. Je suis convaincu que notre première ministre le lira, si ce n'est déjà fait, et qu'elle le trouvera fort utile. Je le recommanderai à coup sûr à notre comité aussi, car vous avez saisi à la perfection l'idée de ne pas dépenser les sommes tirées des ressources au profit de l'Alberta, et je vous ai entendu le dire de nouveau ce matin. On peut certainement donner suite à ça.

C'est un dossier qui me tient à cœur en raison de mon expérience personnelle du milieu de la réglementation. L'appel à la réforme réglementaire et à la simplification me donne souvent des boutons parce que j'ai l'impression que ce qu'on demande est rarement ce dont ont a vraiment besoin, si je peux dire.

Souvent, on demande un calendrier décisionnel efficace. De toute évidence, le processus est parfois une entrave, surtout au palier fédéral. C'était à n'y rien comprendre. Il n'y avait pas d'instance décisionnelle unique. Personne n'avait préséance. Personne ne pouvait dire : « Ça suffit. Il faut mettre ça sur les rails. » Ça ne finissait jamais. On pouvait toujours changer d'idée, alors tout le monde, depuis les directeurs généraux sur le terrain jusqu'aux sous- ministres et, pire encore, même les ministres, tergiversait, temporisaient et, finalement, compromettaient les projets. Au mieux, ils faisaient augmenter les coûts.

Lorsque mon groupe de réflexion a mené une étude à ce sujet il y a 10 ans, nous sommes allés interroger les acteurs de l'industrie. Finalement, le problème, c'était les retards administratifs, qui découlaient dans une large mesure des processus décisionnels. Je vous jure qu'il y a des fonctionnaires fédéraux, surtout aux paliers moyens et aux échelons inférieurs, qui ne savent pas du tout prendre des décisions.

Je serais très heureux s'il y avait une recommandation à l'effet que tous les fonctionnaires à partir d'un certain niveau suivent des cours sur la prise de décisions. Je n'ai jamais entendu parler d'une telle recommandation. Je tenais à soulever ce point, et j'aimerais bien connaître votre opinion à ce sujet.

J'aimerais aussi revenir sur un point soulevé avec beaucoup plus de finesse par le sénateur Banks, celui de la collaboration. Il est question de collaboration entre gouvernements, tant qu'il s'agit des gouvernements fédéral et provinciaux. Nous n'en avons pas vu beaucoup d'exemples, mais cela ne nous empêche pas d'espérer. Il n'est pas question d'un chef de file unique, de celui qui cherche à imposer sa volonté ou du système triangulaire. Il s'agit de collaboration. Nous y croyons; c'est dans le tissu de notre pays. Lorsqu'il s'agit de déterminer comment exploiter nos ressources, nous cessons immédiatement de parler de collaboration, sauf dans l'exemple cité sur l'industrie forestière. Cela a pris 20 ans, mais vous y êtes parvenus.

J'aimerais explorer davantage ce point, car nous avons 4 000 intervenants inscrits à l'Office national de l'énergie, où il existe maintenant un processus simplifié de réforme de la réglementation en matière d'énergie.

Avez-vous des suggestions qui permettraient d'inclure davantage de collaboration dans notre processus de conception et de mettre en œuvre des projets plus rapidement?

M. Gibbins : J'aimerais dire rapidement que ce qui s'est passé au sujet des sables pétrolifères au cours de la dernière année démontre que la collaboration est possible lorsqu'il y a un intérêt commun et une menace commune. L'Alberta ne peut protéger ses intérêts à l'échelle de la planète, ou même du continent, sans la collaboration du gouvernement du Canada. C'est tout simplement impossible.

Le secteur des sables pétrolifères ne peut faire cavalier seul dans ce domaine. Le gouvernement fédéral doit collaborer avec l'Alberta afin de mener correctement les évaluations réglementaire et environnementale de façon à protéger la réputation du Canada à l'étranger.

Voilà une situation où les avantages d'une collaboration sont assez évidents. La collaboration fonctionne non sans heurts, mais assez bien quand même. Je crois que s'il existe des incitatifs et des menaces, la chose est possible.

Le sénateur McCoy : Incluez-vous les représentants des groupes environnementaux et des Premières nations dans ce scénario? Voilà la question. Il s'agit du modèle de l'industrie forestière.

Le sénateur Massicotte : Je crois que les sables pétrolifères sont très importants pour l'Alberta et pour l'ensemble du Canada. Il s'agit d'un élément très important de notre avenir, tant sur le plan économique qu'énergétique. Nous sommes dans l'Ouest du pays depuis trois jours. Je suis en fait très surpris du nombre de choses positives qui se produisent, et c'est l'ouverture d'esprit qui le permet.

Je note entre autres les efforts du premier ministre de la province. Quand je me penche sur les événements, notamment le pipeline aux États-Unis, j'ai l'impression que les commentaires que vous recevez de l'extérieur du pays, et même du Canada, portent sur le fait que nous prenons les changements climatiques à la légère et que nos gouvernements ne font pas suffisamment d'efforts pour expliquer au reste du monde en quoi consistent les sables pétrolifères.

Je ne suis pas expert en la matière, mais je suis persuadé que même si nous étions plus stricts dans nos demandes, l'industrie des sables pétrolifères parviendrait à suivre. Je crois que nous devons agir très rapidement dans ce dossier, car lorsqu'on hérite d'une réputation, il est difficile de s'en départir. Nous pourrions cesser tout approvisionnement vers l'étranger. Est-ce une possibilité réelle selon vous, et que devrions-nous faire à ce sujet?

M. Emerson : Le sénateur McCoy a fait allusion au rapport que nous avions préparé pour le premier ministre provincial précédent. Il ne fait aucun doute qu'il y a urgence. Il ne suffit pas de produire un meilleur vidéo et de meilleurs documents à l'intention des médias. Le tout doit être fondé sur un important programme constitué d'objectifs aspiratoires et d'une marche à suivre raisonnablement bien définie afin de parvenir à une meilleure performance environnementale. Je crois que la chose est possible, mais cela devient urgent.

Dans le cas de l'industrie forestière, c'est l'organisme de réglementation, en l'occurrence la province, qui a été incapable de régler le problème des coupes à blanc et de l'exploitation trop près des cours d'eau, notamment. Cela a dégénéré, avec des environnementalistes qui se sont enchaînés devant des magasins Home Depot et qui ont fait pression dans les journaux au Royaume-Uni. Cela a atteint un point où le gouvernement, qui devrait adopter une réglementation en tenant compte des Autochtones, de l'environnement et des diverses questions sociales dans l'intérêt du pays, ou de la province, a perdu toute crédibilité.

Après avoir perdu sa crédibilité, le gouvernement n'a eu d'autre choix que de se tourner vers les environnementalistes. Maintenant, la quasi-totalité des entreprises forestières s'efforcent d'obtenir une certification externe de leurs pratiques de gestion des ressources forestières. Quand on y pense, c'est plutôt insensé, car c'est le gouvernement qui devrait faire cela, et les gens devraient avoir confiance dans le gouvernement à ce sujet.

Ce qui m'inquiète le plus pour l'Alberta, c'est que si nous n'agissons pas rapidement et avec fermeté, le gouvernement va perdre sa crédibilité. Nous n'aurons alors d'autre choix que de demander à une tierce partie de venir cautionner nos méthodes, ce qui n'est vraiment pas à souhaiter.

Le sénateur Massicotte : Monsieur Gibbins, avez-vous des commentaires à ce sujet?

M. Gibbins : J'y pense de temps à autre. Je suppose qu'il faut souligner qu'il y aura un noyau radical au sein des groupes environnementaux qui va s'opposer avec vigueur à l'exploitation des sables pétrolifères, peu importe la performance environnementale. Il faut démontrer au plus grand nombre de gens possible que la performance environnementale s'améliore. Je suis d'accord avec David, il faut faire cela à l'intérieur de nos frontières.

Personne ne va former de chaîne de l'amitié et chanter Kumbaya au sujet des sables pétrolifères, car il s'agit d'une cible pratique pour ceux qui croient que nous devrions passer rapidement à une économie ne laissant aucune empreinte carbone. C'est un aspect auquel nous ne pouvons échapper.

Le président : Nous allons suspendre nos travaux.

(La séance est levée.)


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