Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles
Fascicule 24 - Témoignages du 31 mai 2012
OTTAWA, le jeudi 31 mai 2012
Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd'hui à 8 h 8 pour étudier la teneur des éléments de la partie 3 du projet de loi C-38, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 29 mars 2012 et mettant en œuvre d'autres mesures.
[Traduction]
Le sénateur W. David Angus (président) occupe le fauteuil.
Le président : Bonjour à tous.
Il s'agit de notre séance régulière du jeudi matin, et aujourd'hui nous allons poursuivre l'étude du projet de loi C-38 et notre étude préliminaire de la partie 3, qui porte sur le développement des ressources.
Il s'agit de notre quatrième séance d'étude préliminaire. Nous avons un groupe de témoins ici ce matin, et nous allons tenter de terminer peu de temps avant 10 heures, alors nous n'allons pas tarder.
Je souhaite la bienvenue à monsieur Tony Maas, directeur du Programme eau douce, Fonds mondial pour la nature — Canada.
Je me présente, je suis le sénateur David Angus du Québec, et je préside le comité. Le sénateur Grant Mitchell, d'Alberta, est le vice-président. Mme Sam Banks est analyste à la Bibliothèque du Parlement et nous est d'une aide précieuse. Le sénateur George Baker vient de Terre-Neuve; et nous avons aussi, de la Saskatchewan, le sénateur Robert Peterson. Le sénateur Yonah Martin représente la Colombie-Britannique; elle remplace le sénateur Neufeld, également de la Colombie-Britannique, qui est absent.
Mme Gordon est notre greffière. Le sénateur Janis Johnson représente le Manitoba, tandis que le sénateur Judith Seidman vient de Montréal. Du Yukon, nous avons avec nous le sénateur Daniel Lang, et le sénateur Linda Frum est de retour au comité.
Je suis ravi de vous voir ici, sénateur Frum.
Nous avons également le sénateur John Wallace du Nouveau-Brunswick, le sénateur Bert Brown d'Alberta, et le dernier mais non le moindre, le sénateur Paul Massicotte, du Québec.
Nous avons un comité complet aujourd'hui et avons hâte d'entendre ce que vous avez à dire. Vous avez la parole.
Tony Maas, directeur, Programme eau douce, Fonds mondial pour la nature — Canada : Je vous remercie, monsieur le président, et je remercie les membres du comité de l'invitation à prendre la parole sur le projet de loi C-38, le projet de loi de mise en œuvre du budget.
Je dirige le programme national Eau douce du Fonds mondial pour la nature Canada. Pour ceux qui ne nous connaissent pas, nous sommes l'un des plus grands et des plus anciens organismes de conservation au Canada. Nous avons du personnel et des bureaux partout au pays, et notre travail est fondé sur la science et axé sur les solutions. Le but principal de notre travail relativement à l'eau douce au Canada et à l'échelle internationale est de protéger et de rétablir la santé des écosystèmes aquatiques afin que nous, et les générations futures, puissions profiter des avantages qu'ils offrent, qu'il s'agisse d'eau propre et d'occasions de loisirs ou de poissons et d'oiseaux aquatiques.
J'aimerais concentrer mes commentaires sur les changements proposés à la Loi sur les pêches dans le projet de loi C- 38. Mes collègues et moi sommes d'avis que la Loi sur les pêches est reconnue comme l'un des outils juridiques les plus solides à la disposition des Canadiens pour protéger les poissons et leur habitat, y compris l'eau dont ils dépendent; l'eau doit être d'une qualité suffisante pour ne pas les empoisonner, et couler au bon moment et en quantité nécessaire pour maintenir leur habitat. Il s'agit de l'eau que nous buvons et dans laquelle nous nous baignons également. La loi offre aussi un niveau supplémentaire de sécurité pour les ressources d'eau dont les êtres humains dépendent.
La principale question que je me pose est la suivante : la loi et la façon dont elle est administrée sont-elles actuellement parfaites? Je dirais que non. Il y a beaucoup de place à l'amélioration dans la Loi sur les pêches et dans la façon dont elle est administrée. Toutefois, je dirais que les occasions d'amélioration touchent en grande partie la façon dont la loi est appliquée dans un contexte de gestion, et non le principe fondamental de protection des poissons et de l'habitat des poissons. Le principe fondamental tient certainement la route davantage aujourd'hui que jamais auparavant, compte tenu du nombre de poissons en voie de disparition au pays, lequel continue d'augmenter à mesure que les pressions exercées sur les rivières, les lacs et les terres humides du Canada augmentent.
Laissez-moi vous donner trois préoccupations précises concernant les changements proposés dans le projet de loi C- 38.
D'abord, il y a le rétrécissement de la portée de la loi, qui ne visera que les pêches commerciales, créatives et autochtones. Le fait de créer un système fondé sur la détermination des rivières et des lacs qui méritent une protection, par définition, laisse certains plans d'eau sans protection. Faut-il comprendre que les voies d'eau naturelles qui ne font pas l'objet actuellement de pêche commerciale ou récréative ou par des peuples autochtones n'ont plus de protection compte tenu des changements proposés dans le projet de loi C-38?
De plus, dans la loi, il semble y avoir une attente que les rivières, les lacs et les terres humides qui seront exclus de par le vide découlant de la gestion des écosystèmes aquatiques soient pris en charge par les provinces et les territoires. Toutefois, comme nous le savons tous, ces gouvernements manquent de ressources et ont des responsabilités qui surpassent leurs capacités. Comme les expériences du passé l'ont démontré, le transfert rapide de responsabilités peut mener à des conséquences troublantes et souvent tragiques en matière de ressources en eau et d'environnement.
Deuxièmement, il y a le changement de justification de l'interdiction concernant la détérioration, la destruction ou la perturbation de l'habitat du poisson. « Dommages sérieux » est défini comme « la mort de tout poisson » ou « la modification permanente ou la destruction de l'habitat du poisson ». De nombreux mots nouveaux sont introduits dans le projet de loi C-38 en ce qui a trait au critère décisif pour les pêches fédérales. Le critère change, passant d'une évaluation de prévention fondée sur des conseils scientifiques d'experts concernant les répercussions potentielles d'un projet ou d'une entreprise à un test des dommages sérieux ou permanents, lequel n'a pas encore été défini scientifiquement.
Je ne dis pas que cette nouvelle terminologie ne puisse pas être définie par la science; je crois que c'est possible en collaboration avec la communauté scientifique. Toutefois, je dirais que lorsqu'il est question de gestion et de protection des ressources naturelles comme les pêches et les écosystèmes qui les soutiennent, une définition claire des concepts scientifiques et des critères de fondement devrait précéder et non suivre une réforme juridique et politique.
Finalement, il y a la question du pouvoir discrétionnaire accru du ministre. Certaines dispositions de la loi permettent une exemption, au moyen d'un règlement, de certains ouvrages, de certaines entreprises et de certaines activités ou de certaines pêches ou de certains cours d'eau, ce qui a le potentiel de miner l'influence importante d'experts scientifiques de la fonction publique qui ont les connaissances nécessaires pour bien évaluer les répercussions d'un projet et l'importance d'habitats donnés.
Je vais résumer rapidement avec un bref commentaire sur le processus par lequel les changements à la Loi sur les pêches sont proposés. J'ai mentionné que notre organisme est axé sur les solutions. Le succès de nos activités est en grande partie attribuable aux efforts que nous déployons pour créer et maintenir des relations et des partenariats divers et souvent exigeants avec la société civile, les gouvernements, et surtout, les entreprises et l'industrie.
Je crois que le processus par lequel les changements à la Loi sur les pêches — et, en fait, les changements plus vastes en matière de réglementation environnementale — sont proposés, soit au moyen d'un projet de loi omnibus, mine les progrès très importants qui ont été faits au cours des 20 ou 30 dernières années pour élaborer des principes fonctionnels solides entre l'industrie et les ONG.
Les améliorations nécessaires à l'administration de la Loi sur les pêches ne nécessitent pas les propositions législatives considérables contenues dans le projet de loi. J'exhorte les membres du comité à se servir de leur influence pour séparer les réformes à la Loi sur les pêches du projet de loi afin qu'elles puissent être examinées en temps opportun et en profondeur dans le cadre d'un processus de consultation avec des intervenants et fondées sur la science, dans le but de créer en collaboration des solutions pour protéger et rétablir la santé de nos pêches en eau douce remarquables et les habitats et les écosystèmes qui les soutiennent.
Je vous remercie.
Le sénateur Mitchell : Monsieur Maas, merci beaucoup. Je vous suis reconnaissant. Pouvez-vous nous dire si vous, ou des groupes comme le vôtre, ont été consultés? Quelle a été la nature du processus de consultation avec les intervenants, les gens de l'industrie, les naturalistes et ainsi de suite?
M. Maas : Il s'agit de la première consultation officielle à laquelle j'ai participé concernant le projet de loi C-38. Je vais comparaître devant le Comité des finances cet après-midi ou ce soir, et faire les mêmes commentaires que je viens de vous faire. Comme organisme, nous avons aussi comparu devant le Comité des finances sur le plan de conservation nationale.
Pour ce qui est du processus de consultation des intervenants plus vaste avant de prendre connaissance du contenu du projet de loi ou de ses détails, il n'y a pas eu de vrai processus, sauf la relation continue avec les scientifiques et le personnel du ministère des Pêches et des Océans, qui fait partie de notre travail quotidien.
Le sénateur Mitchell : Le sénateur Baker voudra probablement aller dans les détails, mais dans l'ensemble, le problème par rapport aux changements semble relever du fait que les seuls poissons protégés en vertu de cette nouvelle disposition seront ceux d'une importance commerciale, récréative ou autochtone. Toutefois, si la vie marine ne figure pas dans ces catégories, quelles sont les conséquences, et pourquoi quiconque voudrait l'exclure de cette façon? Je vous demande des hypothèses à cet égard.
M. Maas : Pour ce qui est de la dernière partie de votre question, je ne sais pas pourquoi quiconque voudrait exclure la protection de tout poisson ou de leur habitat. Le fait de se concentrer sur la pêche commerciale, récréative et autochtone, comme vous le savez, est très nouveau. Bien que le projet de loi C-38 contienne des définitions, la nature précise de ce dont il s'agit à l'échelle du pays reste à voir. Je crains que le processus soit alors exposé à l'influence politique, beaucoup plus que s'y attendaient les scientifiques experts à la fois au ministère des Pêches et des Océans et aux autres ministères fédéraux et provinciaux, de même que dans la vaste communauté de la conservation.
Le sénateur Johnson : Monsieur Maas, je suis membre de longue date de votre association, le Fonds mondial pour la nature. Je viens du Manitoba et je me demande si vous pouvez faire des commentaires sur l'extrait suivant de la nouvelle loi : « l'établissement de zones écologiquement fragiles, comme les frayères essentielles pour les saumons ou d'autres espèces ». Compte tenu d'un nouvel habitat censé améliorer la protection de l'habitat du poisson, comment la détermination sera-t-elle faite dans les différents lacs, comme le lac Winnipeg ou le lac Manitoba? Il s'agit du lac en entier qui constitue l'enjeu et le problème, et nous avons un lac qui doit faire face à des défis très importants où j'habite.
Pouvez-vous nous donner vos commentaires là-dessus et nous donner des précisions à savoir comment, selon vous, le projet de loi pourrait être amélioré à cet égard?
M. Maas : Encore une fois, il s'agit d'une nouvelle terminologie et d'après ce que j'ai compris, le terme « zones écologiquement fragiles » n'a pas encore été défini.
Par le passé, du travail semblable a été fait relativement à ce qu'on appelait les « valeurs de conservation élevées » — des régions qui sont particulièrement importantes au processus de cycle de vie de certaines espèces. Comme vous l'avez dit clairement, dans un système d'eau douce comme le lac Winnipeg, on ne peut pas vraiment installer une clôture autour d'une partie donnée de l'écosystème d'un lac si on détermine qu'elle est écologiquement fragile et la séparer de l'eau qui la traverse. C'est quelque chose qui est difficile à imaginer.
Avec tant de termes non définis et vagues et ce qui semble être une période de temps très courte pour permettre au ministère de faire des consultations sur leur signification, je crains que ces termes soient définis par des processus politiques plutôt qu'au moyen de consultations fondées sur la science.
Le sénateur Johnson : Vous dites que vos activités sont fondées sur la science et axées sur les solutions. À votre avis, séparer cette partie de la loi serait préférable pour l'environnement et les poissons?
M. Maas : Oui, certainement, et pour plus que les poissons. Comme je l'ai dit dans mes commentaires, il s'agit de l'eau dont nous dépendons également pour boire et nous baigner. Le lac Winnipeg est un lac remarquable, tout comme les Grands Lacs et tous les lacs et rivières au pays. Tous ces plans d'eau devraient avoir un niveau de protection similaire.
Comme on l'a dit plus tôt, il y a beaucoup de place à l'amélioration dans la façon dont la loi est administrée, et nous n'y arriverons pas à moins de pouvoir séparer cette partie du projet de loi et de tenir des consultations appropriées.
Le sénateur Johnson : N'y a-t-il pas aussi le problème des espèces envahissantes venant d'autres sources d'eau dans nos lacs? Par exemple, à Devil's Lake, on lutte constamment pour que le système soit filtré. Les inondations dans les plaines des Prairies et dans ces régions donneront lieu au transfert de poissons.
Pouvons-nous mieux composer avec cet enjeu dans la loi, ou est-ce que vous proposeriez qu'on s'en occupe séparément?
M. Maas : Encore une fois, l'accent mis sur les espèces envahissantes est une autre nouvelle composante, que nous accueillons bien. Il s'agit d'un problème partout au pays, tout comme la menace de la carpe asiatique dans le système des Grands Lacs. Si vous allez sur YouTube, vous verrez que non seulement c'est troublant du point de vue des écosystèmes, mais aussi que c'est dangereux pour les humains qui naviguent sur ces eaux.
Je ne crois pas que le fait de supprimer les changements à la Loi sur les pêches du projet de loi C-38 compromettrait l'introduction de mesures ciblées sur les espèces envahissantes, et nous y sommes favorables.
Encore une fois, pour investir de l'argent et le dépenser efficacement, il faut une expertise scientifique solide. Ainsi, on en a pour notre argent et on protège les eaux et on rétablit leur santé dans le contexte des espèces envahissantes.
Le sénateur Lang : Je vous remercie de votre exposé ce matin. Vos arguments sont très songés et justifient un examen attentif de ces articles du projet de loi.
J'ai remarqué certaines des observations que vous avez faites sur votre blogue. Toutefois, en même temps, vous êtes positif et vous dites que des changements positifs sont apportés.
Il me faut 12 heures et traverser 3 fuseaux horaires pour me rendre à Ottawa à partir de chez moi, de porte à porte, ce qui démontre bien la taille de notre pays.
Nous avons au Yukon une industrie qu'on appelle exploitation des placers. Lorsqu'on vient à Ottawa, la prononciation est différente, et on adopte des règlements pour nous dans notre partie du monde en matière de pêche. Ce que je dis, c'est qu'on a parfois des gens à Ottawa qui ont de bonnes intentions, mais qui ne comprennent pas ou qui n'ont pas d'information relativement à des solutions pratiques à des problèmes très réels de gens qui tentent de gagner leur vie.
Je vous renvoie à l'article 4 proposé de la Loi sur les pêches, que j'accueille très bien et qui permet au gouvernement du Canada de déléguer à un gouvernement provincial ou territorial des pouvoirs de responsabilité, afin que nous puissions conclure des ententes qui respectent les objectifs de nos pêches, de même que des gens qui tentent de gagner leur vie au quotidien.
On a parfois constaté la plus noire stupidité en ce qui concerne certaines des exigences de Pêches et Océans. C'est selon moi un pas dans la bonne direction pour tâcher de clore la question et de faire preuve de sens commun à propos des véritables problèmes que nous affrontons. Cela nous aide aussi à satisfaire nos responsabilités environnementales, sociales et économiques.
Avez-vous des commentaires sur l'article 4 comme envisagé?
M. Maas : Je ne suis pas, en principe, opposé à l'idée de déléguer certaines responsabilités. J'ai juste un saut de puce à faire quant à moi, jusqu'à Kitchener-Waterloo, pour rentrer chez moi. En vertu de la loi existante, dans mon coin du monde, l'Office de protection de la nature a hérité de la responsabilité pour une bonne part des fonctions administratives de la Loi sur les pêches. Je peux m'adresser à l'office et cela fonctionne, mais cela se fait grâce à un protocole d'entente administratif reposant sur sa propre reconnaissance d'avoir la capacité pour ce faire.
Avant d'aller plus loin dans la délégation des responsabilités — il y a des protocoles avec les provinces partout au pays —, nous avons besoin de normes et principes rigoureux pour sous-tendre la délégation, la responsabilité; nous avons besoin aussi d'une forme d'analyse des lacunes, afin de comprendre, quand on commence à constater ces lacunes, comment y remédier et comment être beaucoup plus efficaces, collectivement parlant, dans une conjoncture de ressources limitées, afin de mieux gérer les ressources et écosystèmes aquatiques, tous autant que nous sommes : offices de protection de la nature provinciaux — territorial, dans votre cas — et personnel de Pêches et Océans, si nécessaire.
Le sénateur Lang : À ce que je comprends, une fois la loi adoptée, le cabinet du ministre s'est engagé à dialoguer avec les parties prenantes partout au pays, dans des domaines de ce genre, pour voir comment la mise en œuvre peut s'effectuer. Est-ce bien le cas?
M. Maas : C'est ce qui est prévu, à ce que je comprends.
Le président : Permettez-moi de rappeler que le ministre Ashfield a comparu devant le comité mardi soir, a répondu à un feu serré de questions et s'est entretenu avec la presse après coup. Il a conscience des critiques et effectuera ce voyage de consultation, si j'ai bien compris.
Le sénateur Baker : Monsieur Maas, seriez-vous d'accord pour dire que la possibilité de poursuite pour dommages aux poissons est restreinte par la nouvelle définition de ces poissons comme poissons visés par les pêches commerciale, récréative ou autochtone et, plus encore, par la définition de ces pêches comme étant pratiquées sous le régime d'un permis, pour les pêches récréative et commerciale? Ne seriez-vous pas d'accord avec moi pour dire que cela laisse une énorme catégorie de poissons qui ne sont pas couverts par les normes de protection environnementale habituelles, en vertu de la loi, avec cette exigence de permis?
M. Maas : Sans connaître les détails de l'octroi de permis partout au pays, dans chaque province, il est difficile de se prononcer sur une perspective nationale. Toutefois, je conviens avec vous que l'objectif de la loi, les pêches récréative et commerciale sous le régime d'un permis, exclut toute une série de poissons. Cela exclut d'ailleurs aussi les organismes aquatiques dont se nourrissent ces poissons.
Le sénateur Baker : Les poursuites, vous le comprenez sans doute, sont généralement intentées pour la détérioration de l'habitat du poisson ou la destruction du poisson, en vertu de l'article 35, ou encore pour le rejet de substances nocives, en vertu de l'article 36.
L'article 35, en vertu duquel sont intentées les poursuites, est maintenant restreint aux poissons définis comme visés par les pêches commerciale, récréative ou autochtone, comme vous l'avez souligné. S'y ajoute une restriction supplémentaire, celle de dommages sérieux.
M. Maas : Oui, et par l'idée de modification ou destruction permanente de l'habitat.
Le sénateur Baker : Vous avez suggéré que cela implique la mort du poisson.
M. Maas : Oui, je crois que c'est ce que dit la loi.
Le sénateur Baker : Effectivement, une autre restriction, un autre changement, qui va complètement à contre- courant de la loi actuelle. N'est-ce pas?
M. Maas : Si. Il y a beaucoup moins de précautions; il ne s'agit pas d'une défense proactive de l'habitat. Mais il y a une chose de sûre : un poisson mort, c'est un critère on ne peut plus concret. Quand un poisson est mort, il est mort. Critère certain, d'accord, mais, à mon avis, il est un peu tard, à ce stade pour voir comment protéger le poisson.
Le sénateur Baker : Effectivement. Au Canada, l'octroi de permis de pêche commerciale, sous compétence fédérale, se fait pour environ une espèce de poissons sur mille.
Laissez-moi vous dire qu'il y a quelque chose qui me laisse perplexe, dans toute cette approche. L'Association des sociétés minières nous a affirmé que l'article 36 constituerait pour elle une restriction supplémentaire. Quel que soit le libellé de l'article 35, l'article 36 parle lui de « poisson », sans le restreindre aux poissons visés par les pêches autochtone, commerciale et récréative.
Avez-vous pu vérifier la véracité juridique de cette assertion de l'association? Si tel est bien le cas, cela appuie le point de vue du président du comité, comme quoi ce n'est pas aussi nocif que ne le craignent certaines personnes.
M. Maas : Je ne m'étais pas penché sur cette question juridique. Peut-être que certains de mes collègues qui témoigneront après moi l'ont fait et pourront vous donner une opinion.
La question que cela pose, quoi qu'il en soit, cette confusion de... la question, au bout du compte, est de savoir s'il fallait véritablement modifier le libellé juridique ou les outils juridiques pour améliorer l'efficacité et l'efficience d'ensemble. Je l'ai dit et je le répète : selon moi, ce n'était pas nécessaire.
Le sénateur Massicotte : Merci de votre présence aujourd'hui. J'aimerais pousser un peu plus loin la même question.
Nous avons maintenant défini la portée de la loi. Parlez-moi des cours d'eau qui ne seront pas protégés. Donnez-moi plus de détails sur cette question. Je m'efforce de visualiser votre préoccupation. Un cours d'eau où il n'y a pas de pêche récréative ou commerciale est manifestement assez éloigné de la population, je suppose. Parlez-moi du danger que courent ces cours d'eau et de ce qui pourrait se produire.
M. Maas : Je pense qu'il peut y avoir au moins deux catégories ou deux groupes de systèmes qui ne jouiront pas de protection. Par exemple, comme je l'ai dit dans mes notes, il y a des systèmes aquatiques dans des régions reculées, difficiles d'accès, généralement non fréquentées par les gens — à l'heure actuelle.
Toutefois, comme nous le savons, il y a au Canada un développement et des répercussions sur le paysage, ce qui est appelé à s'accentuer, comme de raison. À un moment ou à un autre dans l'avenir, si ces systèmes ne figurent pas dans la liste, ils risquent de ne pas être protégés quand le développement se propage jusque-là. Le processus amenant ces systèmes à figurer dans la liste au titre de ces trois catégories, à être inclus ou exclus, reste à déterminer. On suppose que c'est un processus continu, mais cela reste à déterminer.
Le sénateur Massicotte : Je me demande si le ministre ne répondrait pas que, si les poissons ne sont pas visés par la pêche récréative, faute d'accès, quel est le risque d'endommagement pour ces cours d'eau? En d'autres termes, s'il n'existe pas de population voisine ayant accès au cours d'eau, que voulez-vous que le ministre fasse? Qu'il fasse un déplacement en hélicoptère pour effectuer des tests? J'essaye d'évaluer d'un point de vue pratique où et comment le risque se pose.
M. Maas : Je pense que la préoccupation naît d'un risque à venir de voir le développement gagner ces endroits. Je partirais du point de vue inverse, peut-être est-il inutile de faire quoi que ce soit pour ces zones à l'heure actuelle, mais pourquoi ne pas les laisser jouir d'une protection similaire, même si tel est le cas?
Je ne pense pas que l'inclusion ou l'exclusion nécessite forcément des programmes de suivi intensif, ni une soudaine détermination à agir et à compter des poissons où personne ne les récolte ni n'influence leur habitat.
Le sénateur Massicotte : Revenons à notre point de départ. Vous dites qu'il peut y avoir développement, un jour ou l'autre. On constate un développement majeur au Québec, où le Nord s'ouvre jusqu'à un certain point. Quand il y a accès et qu'on commence à pêcher, la loi s'applique-t-elle alors?
M. Maas : Je pense que cela reste à voir. Je pense que le processus par lequel ces pêches commerciale, autochtone et récréative sera défini le sera, je suppose, par l'entremise du processus de consultation qu'évoque le ministre.
Le sénateur Wallace : Monsieur Maas, j'ai remarqué que vous avez conclu votre exposé en affirmant notamment que les améliorations nécessaires à la gestion de la Loi sur les pêches ne requéraient pas, selon vous, les changements envisagés dans le projet de loi C-38.
Quand vous parlez des « améliorations nécessaires à la gestion de la Loi sur les pêches », certaines de ces « améliorations nécessaires » porteraient-elles sur des questions également visées par les changements en vertu du projet de loi C-38? Ou s'agit-il de questions complètement distinctes de celles touchées par le projet de loi C-38?
M. Maas : Non, il y a certainement un chevauchement. Par exemple, les formalités sans fin nécessaires pour obtenir un permis autorisant la restauration d'un écosystème aquatique et d'un habitat halieutique semblent un peu excessives. Ce sont, là encore, selon moi, des problèmes de nature administrative. Ces défis ne sont pas liés à la définition de l'habitat ni de la protection de l'habitat. Ils sont liés à la gestion de la loi.
Le sénateur Brown : Si le gouvernement a une loi qui protège le poisson pour la vente au détail et pour la pêche autochtone, elle protège forcément les autres espèces de poisson se trouvant dans les mêmes eaux, non?
J'avais autrefois un élevage de truites, avec un permis commercial pour les élever dans un lac de six acres. Nous devions filtrer l'arrivée d'eau avec de gros rochers, puis de petits rochers, puis un écran sur le barrage à la fin, pour veiller à ce qu'aucune ne s'échappe. Du fretin s'introduisait dans le lac et y grandissait comme brochet, poisson de fond, et cetera. Ces poissons étaient protégés au même titre que les truites.
Je ne vois pas comment vous pouvez établir une distinction et dire : nous avons un permis pour la pêche autochtone et les pêcheurs ayant un permis, sans protéger tous les autres poissons fréquentant les mêmes eaux. C'est inévitable, on ne peut pas les en empêcher. Si on protège une espèce, selon moi, on protège toutes les autres.
M. Maas : Dans la pratique, c'est peut-être bien le cas, ce qui amène à se poser la question suivante : quel est l'objectif de ces changements? Si l'habitat est protégé par la loi existante et si les poissons sur lesquels comptent d'autres poissons, présents par inadvertance, sont déjà protégés par ce mécanisme, je ne comprends pas bien pourquoi les changements sont proposés, vu que, comme vous l'avez décrit, ils sont dans le même système.
Le sénateur Brown : N'est-ce pas vrai pour tous les lacs et tous les cours d'eau? Si on essaie de protéger ces poissons avec un permis ou de les mettre à l'abri, qu'il s'agisse de sédiments ou de matières toxiques déversés dans un cours d'eau, tout reviendrait au même, il me semble, parce que le poisson protégé mourrait, comme ceux qui ne le sont pas. Selon moi, on continue à protéger le poisson, quel que soit son statut ou son espèce. C'est là que je ne comprends pas.
M. Maas : Je comprends cela et, comme vous, je suis perplexe quant à la nature exacte de ces changements. Je crois qu'il va falloir attendre pour voir comment cela évolue. En ce qui me concerne, je continue à avancer un peu à l'aveuglette, en la matière. Nos seules pistes sont les dispositions du projet de loi C-38 que j'ai examinées sous toutes leurs coutures.
Le sénateur Brown : Merci.
Le sénateur Seidman : Le sénateur Wallace a posé la question que je voulais poser.
J'aurais donc juste une observation : le Québec applique avec beaucoup de succès les lois de protection de l'environnement dans son champ de compétence. On peut espérer, sait-on jamais, que, en déléguant le pouvoir à des régions et provinces précises, on aura plus de succès et de pertinence qu'il ne semble au premier abord.
M. Maas : Effectivement. Je l'ai déjà dit : l'idée d'améliorer l'efficacité en partageant ou en déléguant les responsabilités est déjà mise en pratique, parfois avec succès. Il est important simplement, selon moi, d'assurer une supervision. La Constitution prévoit que les poissons sont de compétence fédérale, si bien que le gouvernement fédéral ne peut pas se laver complètement les mains de la question. Il faut des normes et un cadre clairs, pour permettre une délégation de pouvoir efficace et une responsabilité clairement assumée au bout du compte.
Le sénateur Seidman : À ce que je comprends, il y a une surveillance automatique de la part du gouvernement fédéral et, si les provinces n'appliquent pas le type de normes adoptées au niveau fédéral, elles ne peuvent pas exercer cette surveillance.
M. Maas : C'est exact, effectivement. Là encore, les normes restent à établir.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Maas. J'espère que vous avez le sentiment d'avoir fait passer votre message. Nous y avons prêté une oreille attentive, en tout cas. Vous constatez que certains sénateurs partagent vos préoccupations au vu de certaines dispositions.
M. Maas : D'accord.
Le président : Sénateurs, notre prochain témoin, d'Écojustice Canada, est M. William Amos, directeur de la Clinique Écojustice de l'Université d'Ottawa. L'avocat-conseil à l'interne de la clinique, M. Robert Peterson, devait comparaître ce matin aussi.
Bonjour monsieur. À ce que je comprends, M. Peterson ne vous accompagne pas, ce matin?
William Amos, directeur, Clinique Écojustice, Université d'Ottawa, Écojustice Canada : Non, M. Peterson n'est pas ici, mais il m'a chargé d'exprimer ses regrets. C'est toujours un honneur que de comparaître devant un groupe de Canadiens aussi distingué et riche d'expérience.
Le moment est important, je crois. C'est à des moments comme celui-ci, quand nous sommes face à un projet de loi de mise en œuvre du budget si lourd de conséquences, pour les lois environnementales du Canada, qu'une chambre de second examen objectif donne sa pleine mesure. J'espère que nous pourrons avoir aujourd'hui une bonne discussion.
Le président : Monsieur Amos, avant tout, au nom de mes collègues, laissez-moi vous souhaiter la bienvenue. Ce n'est pas la première fois que vous comparaissez devant nous et nous aimons toujours vos contributions. Je dois vous dire que nous avons été très impressionnés par les trois documents érudits, ou peut-être quatre, que vous nous avez distribués plus tôt cette semaine et que tous les membres du comité ont vus. C'était très utile pour mettre les choses en contexte.
Ma première réaction, c'était que nous allions devoir recevoir ce témoin pendant trois heures afin de parcourir le tout, mais je sais que vous comprenez que nous avons un problème de temps ce matin. Malgré ces limites, vous avez la parole pour 8 à 10 minutes, et par la suite, nous passerons aux séries de questions. Encore une fois, merci d'être là.
M. Amos : Merci monsieur le président.
Je vais commencer par vous présenter mon organisation. Ecojustice, qui était anciennement connu sous le nom de Sierra Legal Defence Fund, existe depuis plus de 20 ans. Ecojustice est le principal organisme juridique environnemental de défense des intérêts du public sans but lucratif au Canada. Nous sommes un organisme caritatif. Notre budget se situe aux environs de 5 millions de dollars, qui nous permettent d'embaucher près de 17 avocats et 3 scientifiques. Nous offrons de l'assistance gratuite aux groupes communautaires, aux citoyens, aux groupes environnementaux, aux groupes d'autochtones et aux municipalités. Nous travaillons à intervalle régulier avec tous les ordres de gouvernement pour améliorer les lois environnementales canadiennes, en visant toujours la protection et la restauration de l'environnement, mais nous ne sommes pas des idéologues et nous reconnaissons le fait que les lois doivent être améliorées. Au bout du compte, nous voulons améliorer les lois afin qu'elles protègent mieux l'environnement dans la réalité.
Le président : Comment êtes-vous financés? Je pense que ce que vous faites est excellent, étant donné que vous donnez des conseils gratuits entre autres.
M. Amos : Bien sûr. En gros, nous sommes essentiellement financés à hauteur de 70 p. 100 par des particuliers canadiens. Environ 20 à 25 p. 100 du reste de notre financement provient de fondations, essentiellement des fondations canadiennes, de sorte que nous sommes complètement indépendants. Nous ne recevons pas de financement gouvernemental. Nous ne cherchons pas à obtenir ce financement non plus. Nous sommes très indépendants, et cela résulte en partie du fait que nous entamons à intervalle régulier des poursuites pour garantir l'application de la loi canadienne de l'environnement à l'échelle fédérale, provinciale et municipale. Nous ne pouvons pas nous mettre en situation de conflit d'intérêts.
Nous présentons constamment la vérité aux autorités, qu'il s'agisse d'un juge, d'un comité ou d'autres politiciens élus.
Je veux insister sur le fait que la communauté environnementale se tourne vers nous pour obtenir de judicieux conseils juridiques. Si une question est transmise devant la Cour suprême, même s'il s'agit d'un point obscur en matière de droit environnemental, qui aura de sérieuses répercussions et établira un précédent, nous agissons typiquement à titre d'avocats-conseils à la partie intéressée. Le projet de loi C-38 est, selon nous, la réforme la plus fondamentale et ayant la plus vaste portée des lois environnementales fédérales que l'on ait jamais déposée dans un seul projet de loi. C'est le genre d'enjeux où l'on demande à Ecojustice de prendre les devants. Nous incitons les membres du comité à lire notre mémoire.
Au bout du compte — une fois que toutes les discussions auront eu lieu et une fois que toutes les analyses des différentes dispositions auront été faites — notre demande ultime est la même que celle qui vous a été faite par M Maas du Fonds mondial pour la nature. Les amendements proposent de modifier toute une série de lois et non seulement la Loi sur les pêches, mais également la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale, la Loi sur les espèces en péril et la Loi sur l'Office national de l'énergie.
Ces dispositions portant sur l'environnement sont extrêmement importantes et dans une grande mesure n'ont pas fait l'objet de consultation publique. Il est choquant de voir — et je pèse mes mots — qu'un projet de loi omnibus apporterait d'aussi grands changements. C'est désobligeant pour les Canadiens et cela sape directement la démocratie. Nous incitons le comité à conseiller le gouvernement qu'il faut prendre davantage de temps pour examiner ces éléments du projet de loi. Je ne suis pas là pour prononcer de belles paroles. Mais nous pensons tout simplement, à Ecojustice, que c'est la meilleure voie à suivre étant donné les conséquences potentielles.
Aujourd'hui, je ne mettrai pas l'accent sur la Loi sur les pêches, étant donné le manque de temps et je sais qu'il y aura des questions à ce sujet, mais je suis prêt à discuter de cette question de façon plus approfondie. En particulier, j'aimerais répondre aux observations du sénateur Baker relativement à la distinction entre les articles 35 et 36; c'est-à- dire le fait que davantage de poissons sont protégés en vertu de l'article 36 comparativement à l'article 35. Pour l'instant, je m'en tiens à vous donner un plus vaste aperçu.
D'abord, un peu d'histoire, la Loi sur les pêches a été édictée l'année suivant la Confédération. Et il s'agit d'une des plus vieilles lois du Canada, et si l'on voulait jeter trois pierres vers le nord, elles tomberaient dans la rivière des Outaouais. L'histoire de la Loi sur les pêches est si intéressante parce qu'elle nous amène à comprendre pourquoi il est si important de faire en sorte d'améliorer la Loi sur les pêches en tant qu'outil de protection de l'environnement.
Au milieu du XIXe siècle, il y avait des scieries d'un bout à l'autre de la rivière des Outaouais, et elles déversaient toutes sortes de bran de scie dans la rivière en quantités que nous ne pouvons pas imaginer de nos jours. Il y avait des poissons morts partout. Et il se produisait littéralement des explosions dans l'eau, qui occasionnaient la mort de personnes en raison de l'immense quantité de bran de scie. Les propriétaires terriens le long de la berge de la rivière étaient très en colère. C'était une époque où ils vivaient essentiellement de la rivière. La Loi sur les pêches a été édictée en grande partie à cause de la pollution des rivières.
C'est le départ des lois fédérales en matière d'environnement et depuis 1868, la loi a toujours été renforcée. En 1977, Roméo LeBlanc, le ministre de l'Environnement et des Ressources naturelles de l'époque, a mis en place les mesures de protection de l'article 36 portant sur les substances délétères ainsi que les mesures de protection de l'habitat des poissons, en vertu de l'article 35. C'est une date historique ou une amélioration marquante, et je pense qu'il est important de noter ce qui a été dit à cet égard. Il a dit :
Le principal effet des changements serait : pour les sites d'enfouissement, le dragage, l'excavation ou tout autre projet semblable dans ces zones sensibles, nous serions en mesure d'examiner les plans en premier et d'exiger des modifications ou, au besoin, d'interdire la réalisation du projet. Au lieu d'accuser quelqu'un après coup d'avoir détruit les habitats du poisson, nous interviendrions dès le processus de la planification pour protéger la ressource.
Le fait est que cela est survenu trois années après ma naissance; ces dispositions ont été édictées afin que le gouvernement fédéral puisse s'adonner à la planification proactive pour protéger nos voies navigables et nos poissons. Nous constatons un rétrécissement des dispositions de l'article 35, c'est-à-dire de la protection contre la détérioration, la destruction ou la perturbation de l'habitat du poisson. Nous constatons un rétrécissement de la portée de ces dispositions. Il y a des propositions visant la création d'exemptions qui élimineraient des dispositions déjà amputées des voies navigables, des activités et des travaux.
La question de délégation a déjà fait l'objet de quelques discussions. Je suis heureux de vous en parler. En général, je partage l'opinion de M. Maas.
Le président : Je veux vous signaler que votre temps s'écoule rapidement et qu'il vous reste deux autres minutes. Toutefois, vous pourrez parler de ces autres sujets pendant la période de questions.
M. Amos : C'est ce que je vais faire. Je veux tout simplement dire qu'en ce qui a trait à la Loi sur les pêches, nous faisons face à des changements monumentaux sans qu'il n'y ait eu de consultations. Je signalerais également que dans la commission Cohen, lors de son témoignage, le ministère des Pêches et des Océans a stipulé qu'il y aurait des consultations si jamais il apportait des amendements à la loi. Ce n'est pas ce qui s'est produit.
À bien des égards, Écojustice est très préoccupée des changements à la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale. Nous pensons que des changements sont requis pour ce qui est des évaluations environnementales, et il n'y a rien de mal à vouloir simplifier et réduire le chevauchement, mais, le fait est que telle qu'elle existe actuellement, la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale prévoit déjà des mécanismes de réduction du chevauchement et du double emploi. La Cour suprême du Canada l'a stipulé en 2010. Selon nous, il faut s'assurer de la tenue d'évaluation environnementale plus rigoureuse et exhaustive afin de ne pas se trouver dans une situation où les déficits et les dettes liés à la destruction de l'environnement commencent à devenir un fardeau pour nos générations futures. Et je ne dis pas cela à la légère.
Il s'agit de voir ce qui s'est produit aux États-Unis dans le golfe du Mexique. Le déversement de BP a eu lieu en grande partie parce que cette société n'a pas eu à mener le niveau d'évaluation environnementale requis antérieurement. BP a été exempté de faire certaines évaluations et celles qu'ils ont faites l'ont été de façon générique. Ils n'ont pas fait leur devoir et maintenant ils font face à des factures s'élevant à plusieurs milliards de dollars. Nous affirmons que les investissements en évaluation environnementale sont importants. Il y a une façon d'équilibrer le développement des ressources et la protection environnementale. Mais cet équilibre ne se fait pas en réduisant le nombre de projets qui sont évalués. Il faut plutôt améliorer les systèmes grâce auxquels les processus environnementaux sont entrepris à l'échelle provinciale, fédérale et quelquefois autochtone.
Je pense que mon temps est presque écoulé.
Le président : Vous avez raison. Vous l'avez dépassé.
M. Amos : Si je peux conclure en présentant un point. Je ne veux pas être trop politique, mais c'est une question de responsabilité démocratique et de faire en sorte d'obtenir l'adhésion sociale afin que les industries puissent continuer à faire des affaires au Canada.
Nous avons besoin de lois environnementales rigoureuses afin que les industries puissent fonctionner en sachant qu'elles ont l'appui des Canadiens dans les projets qu'elles entreprennent en raison de la protection rigoureuse qui existe et que cette protection de base est assurée par les gouvernements. Si l'on rogne ces lois peu à peu, on sape également l'acceptation sociale permettant aux sociétés de fonctionner.
Hier, j'ai examiné la plate-forme du gouvernement de 2011, intitulée Ici pour le Canada. Il n'y a aucune mention d'une réforme de la loi environnementale; rien sur la Loi sur les pêches, la Loi sur l'évaluation environnementale, la Loi sur les espèces en péril ni la Loi sur l'Office national de l'énergie. Il est difficile de comprendre comment nous pourrions avoir des changements aussi massifs de proposés dans un projet de loi sans qu'il y ait de véritables consultations ou débats. Voilà les points que j'avais à soulever. Je serai heureux de vous présenter des détails.
Le président : Merci beaucoup; c'est très bien exposé.
Le sénateur Mitchell : Merci, monsieur Amos, de votre excellente documentation et analyse.
Je pense que vous insistez sur un point à la fin de votre exposé, qui a été même soulevé par les représentants de l'industrie : c'est-à-dire que la diminution de la rigueur environnementale dans les politiques du gouvernement du Canada n'aide pas du tout l'industrie; en fait, cela érode sa capacité d'obtenir l'acceptabilité sociale dont elle a besoin pour un projet Gateway ou Keystone ou bien pour éviter les problèmes liés à la DQC en Europe.
En fait, si on souhaite vendre nos projets et nos produits à l'échelle nationale et internationale, on devrait adopter la voie tout à fait opposée. On devrait en fait établir la crédibilité et non pas la diminuer du point de vue environnemental. Ai-je raison de dire cela?
M. Amos : Je suis tout à fait d'accord. J'aimerais présenter un exemple. Il y a une importante controverse à l'heure actuelle dans le golfe du Saint-Laurent relativement au forage d'un puits d'exploration dans le secteur Old Harry. C'est une question touchant cinq secteurs de compétences, et il y a des implications considérables pour chacun de ces secteurs puisque leurs collectivités côtières relèvent de l'industrie de la pêche et de l'écotourisme. Également, de nombreuses collectivités autochtones ont des revendications en souffrance concernant ces eaux et ces territoires qui pourraient subir des répercussions découlant d'un déversement. Il est clair que les conséquences liées aux pires des scénarios seraient absolument catastrophiques.
Toutefois, tel que c'est proposé à l'heure actuelle, avec le transfert d'une approche fondée sur des déclencheurs dans la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale en faveur d'une approche fondée sur l'établissement d'une liste de projets, ou seuls les projets figurant à la liste réglementée des projets ferraient l'objet d'une évaluation environnementale fédérale, nous ne savons même pas à l'heure actuelle si le forage d'un puits d'exploration déclencherait une évaluation environnementale. C'est une situation intenable pour les sociétés ainsi que pour les collectivités visées. C'est une situation intenable de ne pas savoir, lorsque viendra le temps de voter sur ce projet de loi, si ces enjeux majeurs seront couverts.
Il peut être difficile d'entamer un débat civil sur ce qui représente des changements appropriés au régime d'évaluation environnementale fédérale lorsqu'il y a tant de beaux discours voulant que les changements proposés le sont parce qu'« il ne faut pas faire autant d'évaluations environnementales au fédéral parce qu'elles portent sur des bancs de parc et obligent les agriculteurs à faire évaluer les fossés de drainage et que c'est une perte d'argent. Il faut donc mettre les ressources là où elles sont nécessaires. » Il n'y a rien de mal à réattribuer les ressources et à simplifier un système pour éliminer le chevauchement. Il faut faire ce travail, et il existe déjà des dispositions à cet effet.
Si nous amendons le régime de gouvernance environnemental fédéral de façon si exhaustive par l'entremise d'un projet de loi omnibus ne faisant pas l'objet de consultation, nous avons pour effet de saper les industries, les entreprises, qui comptent sur ce régime pour obtenir leurs autorisations de fonctionner. Je dirais que, dans le golfe du Saint-Laurent, il sera très difficile pour une entreprise qui cherche à faire des forages d'obtenir cette acceptation sociale s'il n'existe pas un processus rigoureux permettant la tenue de consultation publique pour permettre aux gens de faire valoir leurs opinions, pour que les experts témoignent les uns contre les autres et pour qu'un groupe d'experts en évaluation environnementale déterminent si c'est dans l'intérêt du public.
Le sénateur Mitchell : J'aimerais poursuivre sur cette question d'érosion de la crédibilité du processus et passer ensuite à des questions. Ces changements se font dans un contexte élargi qui fait en sorte que nous voyons d'importantes compressions aux installations de recherche, aux stations de recherche ainsi qu'au nombre de scientifiques dans le ministère — et ailleurs au gouvernement je suppose —, aux systèmes de surveillance, à la Table ronde nationale sur l'environnement et l'économie et ainsi de suite. Par conséquent, il me semble que lorsque l'on songe à simplifier les processus et à comprimer et intensifier le système d'examen environnemental, on ne doit pas le faire dans un contexte de réduction des ressources qui sont nécessaires pour que ce processus fonctionne plus efficacement.
Pensez-vous qu'il y a également un danger provenant de ces autres compressions parallèles qui visent d'autres types de ressources qui pourraient avoir une incidence ou un lien sur le processus d'examen environnemental et que cela sapera la capacité du gouvernement de s'acquitter adéquatement de ses obligations, surtout dans le cadre d'un régime d'examen environnemental plus dense, raccourci et réduit, tel qu'il est envisagé par ces changements?
M. Amos : Oui.
Le sénateur Lang : J'aimerais revenir sur l'une de vos observations. Je pense que vous avez parlé d'une licence démocratique ou de l'acceptabilité sociale. Parlons donc de licence démocratique ou de l'acceptabilité sociale.
J'aimerais évoquer certains points et vous demandez vos observations. Vous avez indiqué qu'il n'y a pas eu de consultation relativement aux principes de ce projet de loi et que, par conséquent, il devrait être retiré du projet de loi omnibus tel que présenté.
Comme vous le savez, et cela s'est fait publiquement, il y a eu un appui unanime du principe général de la part des provinces et des territoires pour ce type de loi en raison des problèmes réels et quotidiens auxquels ils doivent faire face. Comme je l'ai dit plus tôt, et vous étiez là, je viens du Yukon et je vis si loin que certaines personnes qui ne savent pas où cela se situe veulent tout de même prendre soin de nous.
Je veux citer la première ministre nouvellement élue de l'Alberta, Alison Redford. Elle a dit :
Je suis ravie qu'on procède si rapidement à ce sujet, car je crois que cela envoie un signal important indiquant que nous pouvons avoir un développement économique et un environnement durable en même temps.
Passons ensuite au premier ministre de la Saskatchewan, Brad Wall. Il a dit :
Nous voulons être certains d'avoir un processus d'évaluation environnemental rigoureux. Mais je ne crois pas que cela signifie que nous en ayons besoin de deux. C'est une bonne nouvelle et nous remercions le gouvernement fédéral de faire cela.
Je passe au Nouveau-Brunswick. Le ministre de l'Énergie a dit que le Nouveau-Brunswick profiterait certainement d'un régime d'évaluation environnementale simplifié qui prévoit des examens robustes et transparents et des consultations avec les intervenants.
Étant donné qu'il y a une unanimité parmi les premiers ministres provinciaux au pays et ceux dans les régions qui s'occupent quotidiennement de ces processus réglementaires en matière d'environnement, comment pouvez-vous dire que la démocratie ne fonctionne pas? Toutes ces personnes ont été élues, comme de l'autre côté, à la Chambre des communes. Pourquoi ne devraient-ils pas procéder de façon raisonnable afin de répondre aux demandes qu'on leur a présentées?
M. Amos : Sénateur Lang, merci de cette question. Je vais débuter en disant que j'aime le Yukon. J'ai pagayé sur de nombreuses rivières là-bas : la South McMillan, la Big Salmon; et aussi sur le fleuve Yukon, à maintes reprises, jusqu'à Dawson. J'ai aussi exploré la rivière Kluane. Je l'aime beaucoup.
Je comprends le point de vue des territoires du Nunavut, les Territoires du Nord-Ouest et du Yukon concernant la question générale du transfert de responsabilité, et je sais que c'est une question essentielle pour ces régions et qui ne peut pas être ignorée par nous qui vivons dans la version canadienne de la ceinture périphérique.
Cela dit, je ne dirais pas que le point de vue des provinces et des territoires au sujet de ce qui doit être fait afin qu'il y ait des évaluations environnementales complètes, rigoureuses et adéquates en soit un d'unanimité à l'égard de l'idée que nous avons besoin d'une loi fédérale qui fait en sorte que le gouvernement fédéral se retire entièrement et laisse le travail aux provinces.
Il y a de 4 000 à 6 000 évaluations environnementales par année actuellement, et une grande partie est de petite échelle — faisant en sorte qu'une détérioration, une destruction ou une perturbation de l'habitat des poissons déclenche le processus environnemental. Il s'agit d'examens préalables de faible intensité, faits habituellement par écrit entre le promoteur d'un projet et un bureaucrate au MPO. Voilà le type d'évaluation à petite échelle qui fait qu'il y en a des milliers.
Le nombre d'évaluations diminuera de beaucoup. Conséquemment, la participation fédérale au processus sera beaucoup plus limitée. Il est juste de dire que le gouvernement fédéral a des responsabilités constitutionnelles importantes en matière de protection de certains aspects de l'environnement que les provinces n'ont pas.
Il y a des exemples clairs où des projets ont été approuvés en vertu des évaluations environnementales provinciales et où ils ont ensuite été rejetés en vertu du processus fédéral. Je mentionnerai un exemple récent : le projet de mine d'or de Taseko dans le Nord de la Colombie-Britannique. Il avait été approuvé par le Bureau d'évaluation environnementale de la province. Au niveau fédéral, le gouvernement actuel, l'ancien ministre Prentice, l'a rejeté à la suite d'une commission d'examen mixte qui a recommandé de ne pas l'approuver. Il était très clair dans ce cas que d'avoir une approche de l'évaluation environnementale à plusieurs niveaux, une approche coordonnée, mais à plusieurs niveaux, a servi l'intérêt public.
Pour être franc, le projet prévoyait détruire un lac entier qui contient 85 000 truites dont dépendent les Premières nations. C'était un projet très controversé. De présumer que la bonne approche envers la gouvernance des évaluations environnementales au Canada est que le gouvernement fédéral dise qu'il se retire presque entièrement de ce secteur sauf pour 200 grands projets par année et qu'il laisse le reste aux provinces et aux territoires est une approche malavisée. Nous avons besoin d'une approche cohérente qui profite des normes nationales. Nous vivons dans un monde aux ressources limitées; nous ne pouvons pas nous attendre à ce que tous les gouvernements fassent le même travail deux fois. Cela serait complètement inefficace, et je ne crois pas que personne ne propose que cela soit la bonne approche.
En même temps, avoir des catastrophes environnementales parce qu'il y a eu des évaluations provinciales ou territoriales peu rigoureuses n'améliorera pas les résultats environnementaux ou l'utilisation de l'argent des contribuables.
Le sénateur Lang : J'aimerais passer à une autre question. Les mines Taseko, c'est autre chose et c'est toujours sur la table, comme vous le savez bien. Je pense qu'il faut le dire clairement.
L'une des propositions importantes concerne les échéanciers pour les processus réglementaires, leur début et leur fin. Vous opposez-vous à ce qu'il y ait des échéanciers en place pour ces processus réglementaires?
M. Amos : En général, notre organisation s'oppose à l'approche des échéanciers telle que conçue actuellement, surtout parce que dans la plupart des cas où les échéanciers des évaluations environnementales ont été perçus comme étant excessifs, c'est parce que le promoteur du projet n'avait pas fourni les renseignements nécessaires. Le gouvernement ou une commission d'examen, selon le cas, leur demandait de fournir certains renseignements parce que la description de leur projet ou d'autres responsabilités concernant le processus environnemental n'avaient pas été respectées, alors il y a des retards créés le plus souvent par les promoteurs. Les médias et les politiciens ont présenté la question comme si les retards étaient dus à des consultations excessives; c'est parce que tout le monde veut ses quelques minutes de gloire au micro que le système est engorgé, et voilà pourquoi nous avons des retards.
La réalité est que le public ne participe pas à la vaste majorité des évaluations environnementales, soit 98 p. 100. Il n'y a aucun commentaire. Là n'est pas le problème. Il y a toujours des problèmes concernant l'arriéré d'évaluations environnementales parce que les autorités fédérales responsables n'ont pas reçu le financement pour passer à travers leur pile ou...
Le sénateur Lang : Je ne comprends pas. Êtes-vous pour ou contre les échéanciers?
M. Amos : Nous ne croyons pas que les échéanciers amèneront les résultats nécessaires.
Le sénateur Baker : Bien sûr, lorsqu'il y a deux paliers d'examen qui exigent les mêmes procédures — un palier provincial et un fédéral — un demande des audiences publiques et l'autre demande des audiences et des commissions publiques. Seriez-vous d'accord pour dire qu'il s'agit d'une répétition des efforts dans certains cas?
M. Amos : Absolument, je crois qu'il y a des situations où une meilleure coordination pourrait se faire, et je pense que c'est un objectif louable en matière de politique. Il peut être atteint sans détruire la loi.
Le sénateur Baker : Ce sont des ouï-dire, mais je crois que quatre anciens ministres des pêches se sont prononcés contre ce projet de loi pour les raisons que vous avez présentées.
Afin de comprendre votre position, avec la nouvelle loi, pour qu'il y ait une poursuite en vertu de l'article 35 dont parlait le témoin précédent, la preuve que l'acte reproché qui a mené au dépôt d'accusation serait que vous devez tuer des poissons utilisés pour la pêche commerciale ou récréative pour laquelle un permis de pêche commerciale ou récréative avait été émis par le gouvernement fédéral ou provincial, ou que des Autochtones utilisent comme source de nourriture.
Disons qu'il y avait des milliers de ménés ou de pouces-pieds, comme on les appelle, morts, puisqu'il n'y a pas de permis émis pour ces espèces, il serait permis de tuer ces poissons ou ces grenouilles, à moins qu'il y ait un permis pour les cuisses de grenouille. Conséquemment, afin de prouver l'infraction, la Couronne devrait prouver la mort de poissons utilisés pour la pêche commerciale couverte par un permis de pêche commerciale ou récréative ou qui est utilisée comme source de nourriture. Est-ce là votre interprétation?
M. Amos : Je devrai vous donner une réponse sous réserve. Je ne sais pas si c'est à l'article 32 ou 33. Je crois que c'est à l'article 32 actuel, qui interdit de tuer des poissons, et l'article 35 décrit comme étant une infraction la détérioration, la destruction ou la perturbation de l'habitat de poisson.
Le sénateur Baker : C'est le cas actuellement.
M. Amos : Les modifications proposées — et je devrai vérifier — concernent la protection de l'habitat des poissons à l'article 35 et non pas, d'après moi, l'interdiction de tuer du poisson à l'article 32.
J'en comprends que les deux interdictions sont fusionnées, et nous nous retrouverons avec une interdiction limitée de tout dommage sérieux, et la notion de « dommage sérieux » est nouvelle et définie comme étant la mort de poissons ou une modification permanente.
Je vois où vous voulez en venir; est-ce qu'il faudra la mort de poissons mais seulement s'ils font l'objet d'un permis de pêche commerciale? Je dirais que oui, on peut s'inquiéter de ces limites. Par contre, lorsque vous parlez de la détérioration ou la perturbation de l'habitat des poissons qui ne sera plus une infraction, je pense que cela change la situation de façon importante.
Le sénateur Baker : Certaines personnes croient qu'il s'agit d'un projet de loi scandaleux qui devrait être déclaré illégal d'une certaine façon, soit en vertu de la Constitution ou autrement.
Avez-vous songé à contester ce projet de loi d'un point de vue constitutionnel pour cause d'absence de consultation, comme nous l'avons vu dans l'affaire du ministre des Pêches contre la Nunavut Fisheries Corporation au sujet du flétan, ou par d'autres moyens pour déclarer ce projet de loi illégal? Est-ce que votre organisation y a songé?
M. Amos : Je pense que l'on peut dire que plusieurs personnes se penchent sur la constitutionnalité du projet de loi C-38, si jamais il était promulgué. Ces discussions sont nécessairement hypothétiques. La loi n'a pas encore été adoptée. Nous nous concentrons sur des amendements appropriés et positifs, s'il y en avait qui étaient adoptés.
Nous ne nous concentrons pas pour l'instant sur la possibilité de litiges. Oui, des avocats dans le corridor parlent de ce genre de choses, mais au bout du compte, Écojustice veut s'assurer qu'il y a les débats nécessaires sur les transformations à la Loi sur les pêches et les autres lois. Nous entendons certainement des appels à la lutte, surtout de la part de communautés des Premières nations qui ont des droits constitutionnels et qui auraient la meilleure occasion de contester la loi.
En fin de compte, je crois que personne ne veut voir cela. Dans une démocratie en bon état, on ne se retrouve pas avec des changements massifs aux lois environnementales faites par des projets de loi omnibus sur le budget, et ensuite des contestations juridiques présentées par les Premières nations. Pour moi, il ne s'agirait pas d'une démocratie en bon état.
Le président : Merci beaucoup de votre témoignage. Nous vous remercions pour les documents fournis parce qu'ils couvrent très bien tous les points, y compris, si je comprends bien, l'ONE, la Loi sur les espèces en péril, et cetera. Soyez assuré que nous en tiendrons compte.
M. Amos : Merci, monsieur le président. Nous vous remercions de nous avoir donné l'occasion d'être ici.
Le président : Bonjour monsieur Bennett. Bienvenue de nouveau. La dernière fois que je vous ai vu ici, c'était, je crois, le 24 mars de l'année dernière, lorsque vous avez comparu avec votre collègue M. Torrie dans le cadre de notre étude sur le secteur de l'énergie. Vous êtes ici aujourd'hui. Nous avons reçu vos documents qui couvrent une vaste gamme de sujets. Je crois que vous savez que nous nous concentrons sur le projet de loi C-38, et je vous demanderais premièrement de respecter la période de 8 à 10 minutes que vous nous avez vus utiliser ce matin, et de vous en tenir au projet de loi C-38.
Vous avez la parole.
John Bennett, directeur exécutif, Sierre Club Canada : Merci, monsieur le président, et honorables membres du comité. Je ne vais pas essayer de lire tout le document. J'espère qu'il sera inscrit au compte rendu.
Je vous remercie de m'avoir invité. J'ai bien aimé mon expérience de l'an passé au sujet de l'énergie nucléaire, et nous nous sommes bien amusés.
J'étais heureux d'accepter l'invitation à comparaître. Cependant, il y a un problème pour le Sierre Club Canada qui a rendu la décision au sujet de ma comparution difficile, parce que nos règlements exigent que tous nos membres respectent la loi canadienne, et par extension, les parlementaires canadiens. J'ai beaucoup de respect pour le Sénat et je crois fermement que la société devrait se tourner vers ses aînés pour obtenir des conseils et une mûre réflexion. Le respect est la base d'une démocratie en bon état. Après tout, si nous ne nous respectons pas les uns les autres, nous ne respecterons pas les institutions qui nous régissent, et cela ne nous mènera pas dans une bonne direction.
Je soulève cet enjeu du respect parce qu'il représente essentiellement la raison du succès du Sierra Club Canada depuis les 50 dernières années. L'organisation a pu contribuer aux politiques publiques parce que nous avons respecté les institutions et les Canadiens. Deux de nos membres ont reçu l'Ordre du Canada pour leur travail avec le Sierra Club Canada.
Pourquoi est-ce que les Canadiens respectent le travail du Sierra Club Canada? C'est parce qu'il est toujours fondé sur la science, les connaissances, l'expertise et l'expérience. Franchement, c'est pour cette raison que nos membres, ceux qui nous appuient et des millions de Canadiens sont consternés par les déclarations récentes des ministres et des sénateurs ministériels. Clairement, il y a certaines personnes ici et ailleurs qui ont oublié l'importance du respect envers les autres et envers les différents points de vue. Ils ont décidé d'utiliser leur position privilégiée pour attaquer la réputation des organisations environnementales, et ce faisant, la réputation des millions de Canadiens qui se définissent comme des environnementalistes d'un océan à l'autre.
Par définition, une enquête exige que l'on révèle tous les faits de toutes les sources disponibles pour savoir si un acte répréhensible a été commis. Cela permet à l'accusé de présenter des preuves et de se défendre dans un contexte équitable et ouvert, et pourtant, aucun sénateur ministériel n'a accepté de rencontrer le Sierra Club Canada pour entendre un point de vue différent. Il y a certaines personnes ici, qui font une chasse aux sorcières; non pas pour révéler les faits, mais pour porter des accusations afin de salir la réputation d'organisations comme le Sierra Club Canada et des gens comme moi. Pourquoi attaquer le Sierra Club? Il s'agit d'une organisation qui représente des milliers de citoyens préoccupés qui espèrent protéger une partie de notre patrimoine naturel pour les générations à venir.
Ce qui arrive au Sierra Club Canada et à d'autres groupes environnementaux du pays est manifestement un élément d'une campagne bien orchestrée par le gouvernement et ses partisans pour museler les voix des écologistes dissidents. Ce n'est pas seulement s'en prendre à l'environnement, c'est pire, c'est s'en prendre à la démocratie. Honte à tous ceux qui y sont mêlés.
C'est un des pires avatars du macCarthysme, et je répondrai donc à une question qu'aurait posée McCarthy. Oui, je suis et j'ai été membre des écologistes du Canada, une coalition bien connue de citoyens engagés et éclairés. Je le dis avec fierté, malgré la campagne visant à ruiner mon organisme, ma réputation et mon nom. Je vous suis reconnaissant de prendre le temps de m'écouter aujourd'hui, surtout compte tenu du fait que j'ai été étiqueté comme un radical, comme la marionnette qui blanchit l'argent de milliardaires socialistes, comme la dupe d'intérêts étrangers prêts à accepter des fonds de sources terroristes.
C'est insultant, et ces propos ont été tenus au Sénat, en parlant de citoyens canadiens.
Au sujet de la question dont vous êtes saisis, nous sommes fortement préoccupés par la précipitation du processus. Rien n'exige que cette séance ait lieu aujourd'hui.
En fait, il n'y a pas vraiment un besoin de modifier la loi. Par définition, le deuxième examen objectif doit venir après qu'une décision a été prise par la Chambre des communes, et non avant. Nous estimons inconvenant que cette séance ait lieu aujourd'hui. Cette situation montre bien que le gouvernement s'efforce par tous les moyens de faire taire les dissidents et de précipiter l'adoption de modifications draconiennes et impopulaires aux lois et aux politiques environnementales sans débat public.
Nos membres s'opposent fermement à cela et manifesteront ces inquiétudes le 4 juin, dans le cadre de Silence on parle. Plus de 330 groupes ont déjà déclaré leur intention de participer à cette journée visant à attirer l'attention sur ces changements inutiles au droit environnemental qu'on essaie de nous passer vitement.
Pour me préparer, j'ai demandé aux membres de m'envoyer leurs observations et j'ai dit que je vous les présenterais en leur nom. Quand je manquerai de temps, dites-le-moi.
Le président : Nous vous avons invité à comparaître pour que vous nous parliez du projet de loi C-38. Nous avons 19 des réponses qu'a suscitées votre courriel ainsi que votre blogue sur ce sujet. Pourriez-vous nous dire quelles sont vos recommandations ou vos critiques précises au sujet du projet de loi C-38? Vous avez déjà dit que vous estimez que le processus est pour le moins déficient. D'autres l'ont dit aussi, et nous le comprenons.
Si vous voulez parler de dispositions précises, comme d'autres de nos témoins l'ont fait ce matin, nous sommes à l'écoute. Nous avons un travail à faire et nous devons nous concentrer sur le projet de loi C-38. Nous ne sommes pas le gouvernement. Je crois que vous le savez, et que ce n'est pas ici la tribune pour exprimer vos critiques à l'égard du gouvernement. Cette activité du 4 juin est une bonne tribune pour cela. Nous essayons de faire notre travail, dans le cadre de cette étude, et je sais que vous nous aiderez et c'est pourquoi nous vous avons invité.
M. Bennett : Au contraire, voici notre argument : devriez-vous faire ce travail avant que la loi soit adoptée par la Chambre des communes ou est-ce que vous facilitez les efforts du gouvernement qui veut adopter ce projet de loi le plus rapidement possible en limitant la consultation publique?
Le président : C'est une question que vous soulevez. Elle est légitime et elle fera partie du compte rendu.
C'est la 159e étude préalable d'une loi par le Sénat. Dans ce cas-ci, le très volumineux projet de loi C-38 a été scindé en cinq sections, et son étude a été confiée à cinq comités différents qui mènent cette étude préalable pour aider le Comité des finances, lui-même saisi de l'ensemble de l'étude sur le projet de loi C-38 lorsqu'il sera renvoyé au Sénat, quand cela sera fait.
Nous nous occupons de la partie 3, censée simplifier le processus d'évaluation environnementale. Par respect pour votre organisation et la sagesse dont vous avez fait preuve par le passé, nous avons pensé que vous pourriez nous aider.
Bien franchement, je ne pense pas que vos diatribes soient les bienvenues. Vous pouvez, jusqu'à un certain point —
M. Bennett : Je ne fais que suivre le modèle des sénateurs.
Le président : Nous ne sommes pas au Sénat. Nous sommes ici en comité, et nous avons notre indépendance.
Nous avons pris une minute que j'ajouterai à votre temps. Il vous reste encore quatre minutes et demie.
M. Bennett : Parlons de choses précises. Je ne suis pas avocat, et vous avez déjà reçu de bons conseils. Je ne suis pas un expert en prestations de programmes. Mon approche est d'ordre plus général, et porte sur la perception qu'a le public et ce qu'il nous dit de la participation aux évaluations environnementales.
Nous sommes très préoccupés par le changement des règles donnant le droit de comparaître dans le cadre d'évaluations environnementales. Nous pensons que tout citoyen canadien devrait avoir cette qualité. Imposer le critère d'un intérêt précis a été interprété au Canada comme voulant dire un intérêt pour ces biens ou à titre de propriétaire. Ce n'est pas une bonne chose. Tout le monde a un intérêt lorsqu'on parle de la construction d'un grand projet qui aura une cheminée de bonne taille qui polluera bien plus loin que sur les propriétés avoisinantes. Il faut retirer ça de la loi. Tout le monde devrait avoir le droit de participer à ce processus.
Nous estimons qu'il est faux de dire qu'il y a beaucoup de dédoublements. Il y a un dédoublement des lois. En pratique, toutefois, le gros des dédoublements peuvent être éliminés par l'administration plutôt que par une définition dans la loi. Il n'est pas nécessaire de modifier la loi. Deux ministres peuvent discuter et signer une entente sur un projet particulier, ou sur un groupe de projets, afin d'éviter les dédoublements.
Ce qui nous préoccupe incroyablement, c'est que tout en changeant la loi, on ruine la capacité du gouvernement de s'acquitter de ses responsabilités du côté scientifique et administratif. Le financement des organismes gouvernementaux chargés de ces responsabilités a été réduit de manière significative. Les ressources vers lesquelles d'autres ministères pouvaient se tourner, côté scientifique, sont aussi victimes de compressions.
Il est clair qu'on ne peut pas avoir un système amélioré et simplifié si on a moins de capacité d'agir. Il faut considérer l'adoption de ce projet de loi dans son contexte : peut-on arriver à ce résultat ou s'agit-il en fait d'éliminer les évaluations ou d'en amoindrir la qualité?
On peut en dire autant des échéances. Comme l'a dit M. Amos, au sujet des retards et des anecdotes qui sont fournis, il faut voir les détails pour constater qu'ils ne résultent pas des actions prises par le gouvernement fédéral et ni de sa responsabilité. Ils ont été suscités par les promoteurs des projets qui ne fournissaient pas suffisamment d'information ou qui tardaient à répondre aux questions posées. Ce n'est donc pas un changement nécessaire. Il faut consacrer davantage de ressources à la gestion des programmes plutôt que de les réduire et d'imposer des règles plus strictes.
À notre avis, les modifications à la Loi sur les pêches sont inutiles et là encore, on impose des solutions législatives à des problèmes administratifs. Ce n'est pas ce qui règlera le problème.
En terminant, nous avons beaucoup entendu parler de contrat social et de démocratie. Les Canadiens doivent croire qu'il y a eu un processus équitable et démocratique, que le public a eu la chance de participer et qu'il pouvait le faire, de manière équitable. Au train où vont les choses, le gouvernement ne fera qu'opprimer le public.
En passant, je déclare que nous ne participons pas à la désobéissance civile. Je peux toutefois vous garantir que si cette loi est adoptée tel quel, dans la précipitation, des milliers de Canadiens seront arrêtés au cours des cinq prochaines années parce que les gens ne l'accepteront pas. Nous voulons protéger l'environnement. Il faut y penser de manière durable et c'est ce que je veux dire en conclusion.
La raison d'être des évaluations environnementales c'est de faire de l'économie canadienne qui n'est pas durable, une économie durable. Dans la nouvelle loi, on ne parle aucunement de durabilité ce qui lui enlève tout son sens. Nous voulons encourager les sociétés, les municipalités et les gouvernements à entreprendre des projets qui rendent l'économie canadienne plus durable à long terme, et non le contraire.
Le président : Merci, monsieur. C'est très utile. Vos propos sont pertinents. Bien franchement, une brochette de fonctionnaires sont venus témoigner ici l'autre jour, ils étaient d'Environnement Canada, de Pêches et Océans, de Ressources naturelles Canada et d'autres agences aussi. Je vous encourage à lire nos délibérations sur notre site Web pour constater que cet exercice dure depuis maintenant des années. Je pense qu'on essaie de trouver une solution depuis quatre ans et demi.
Je ne prends pas position, personnellement. Pour avoir déjà comparu, vous savez que nous travaillons en comité de manière non partisane, plutôt bipartisane, comme en témoigne notre composition. Et nous écoutons soigneusement les témoignages.
Je peux vous dire que ce pays n'est pas facile à gouverner, parce qu'il y a toujours au moins sept côtés à la médaille.
Nous sommes ravis d'avoir reçu vos arguments et je suis convaincu que mes collègues voudront vous poser des questions.
Le sénateur Johnson : Bienvenue, monsieur Bennett. Comme beaucoup de Canadiens, j'admire et j'appuie tout à fait le Sierra Club et le Fonds mondial pour la nature, je suis pour la conservation et c'est pourquoi je suis conservatrice.
Le président : Elle a des poissons morts dans sa cour.
Le sénateur Johnson : J'aime mes poissons et je m'inquiète pour ceux du lac Winnipeg. J'y travaille depuis 20 ans, avec beaucoup d'autres personnes.
J'aimerais avoir vos commentaires sur une chose. Vous dites que rien ne doit changer. Si les choses devaient changer, mais autrement qu'on le propose, quelles seraient vos suggestions pour améliorer la situation pour l'environnement, pour sa protection et pour les habitats, au Canada?
M. Bennett : Je me pencherais sur l'application de la loi et les fonctionnaires qui en ont la responsabilité : il faut une infrastructure suffisante afin qu'on ne nous parle pas de longs retards et d'anecdotes sur les agriculteurs et les fossés. Ce sont de petits éléments, qui sont certes dommage, mais des problèmes qui peuvent être réglés en modifiant l'administration des lois. Il n'est pas nécessaire de récrire les lois pour régler ce problème.
Je ne pense pas que les changements proposés visent à améliorer les choses, mais plutôt à les aggraver. Si on voulait vraiment améliorer les choses, on nous consulterait mais on ne l'a pas fait. Le réexamen de la Loi sur les évaluations environnementales était prévu dans la loi et comprenait la tenue d'audiences partout au pays. C'est ce qui s'est passé pour le dernier renouvellement. De nombreuses consultations publiques et des discussions ont eu lieu avant de proposer quoi que ce soit au Parlement. C'est ainsi qu'il faut faire puisque cela touche de nombreux secteurs. Cela touche tout le monde et pas seulement les Canadiens d'aujourd'hui, mais aussi ceux qui naîtront plus tard.
Nous pensons que c'est un fondement de la démocratie : quand on envisage des changements de cette nature, de cette ampleur, qui ont cette portée pour l'avenir, il doit y avoir une discussion publique approfondie. Comme l'a dit M. Amos, on n'en parle aucunement dans les documents de campagne du gouvernement. Cela a été assorti de petites audiences du Comité de l'environnement. J'ai témoigné devant ces comités et je peux vous dire qu'on ne s'intéressait pas beaucoup à mes propos.
Le président : La comparaison avec aujourd'hui est donc très agréable pour vous.
M. Bennett : Comme je l'ai dit au début, j'ai bien aimé ma dernière comparution.
Une voix : Et vous semblez vous plaire ici aujourd'hui aussi.
Le sénateur Johnson : Nous avons reçu des fonctionnaires pendant quatre heures l'autre soir et trois heures le soir précédent. Comme l'a dit éloquemment notre président, nous voulons savoir ce que pensent les gens. C'est notre travail. Nous sommes le Sénat. Nous faisons partie du Parlement, mais nous sommes maîtres de notre institution.
Les fonctionnaires nous ont dit qu'ils ne s'étaient pas donné toute cette peine, qu'ils n'avaient pas fait tout ce travail, pendant des années, pour offrir aux Canadiens quelque chose de pire pour l'environnement.
M. Bennett : Dans ce cas, pourquoi n'y a-t-il pas eu de consultations...
Le sénateur Johnson : C'est ce que je disais.
M. Bennett : ... pour nous présenter cela, pourquoi ne pas l'avoir présenté dans un projet de loi distinct, pour que nous puissions l'étudier? Pourquoi est-ce intégré au budget, assorti de la clôture, et de l'exigence de procéder aussi rapidement que possible? Si cette mesure résiste à un examen, pourquoi ne pas nous laisser l'examiner?
Le sénateur Johnson : C'est un bon argument, qui a déjà été soulevé. J'ai bien d'autres questions, mais je vais laisser d'autres intervenir.
Le sénateur Brown : Je vais vous relire trois phrases de votre diatribe : « Je vais exiger...
Le président : Allez-vous poser une question?
Le sénateur Brown : Oui, je vais poser une question. Vous avez écrit ce qui suit :
Je vais exiger des sénateurs du gouvernement qu'ils présentent des excuses à tous les Canadiens qui se voient comme des écologistes, pour les propos désobligeants et les allégations sans fondement de divers sénateurs qui affirment mener une enquête. En fait, il s'agit d'une chasse aux sorcières, inspirée du macCarthysme...
Monsieur, j'ai été choisi par les Albertains et j'ai été un écologiste toute ma vie. Voici ma question : Qu'est-ce qui vous donne le droit de tenir ce genre de propos devant le comité?
M. Bennett : J'espère que la Constitution du Canada et la Charte des droits me donnent ce droit.
Le sénateur Brown : Je pense que vous avez souillé la réputation du Sierra Club.
M. Bennett : Au contraire. Je n'ai pas accusé les gens d'avoir fait du blanchiment d'argent. Je ne me suis pas levé pour suggérer que les œuvres caritatives environnementales avaient fait quelque chose de mal. Il n'y a pas de...
Le sénateur Brown : Êtes-vous en train de suggérer que c'est ce que nous avons fait?
M. Bennett : Je suggère que c'est précisément ce que cette soi-disant enquête sénatoriale a fait. Cette enquête a fait beaucoup de bruit. Lorsque j'ai appelé ces mêmes sénateurs et ai demandé de les rencontrer afin de leur fournir un autre point de vue, ils étaient trop occupés pour me rencontrer. Ils ne voulaient pas entendre un autre son de cloche.
C'est pour cela que je crois que ces sénateurs et le Sénat en soi devraient se demander s'ils souhaitent que ses membres portent des accusations sur les Canadiens et les œuvres caritatives canadiennes qui ont servi ce pays pendant des décennies. Cela fait 50 ans qu'existe le Sierra Club. Nous avons contribué de manière considérable aux bonnes initiatives politiques du pays. De voir que des gens suggèrent que je fais du blanchiment d'argent me donne le droit de vous dire que vous me devez des excuses, à moins que vous ne soyez en mesure de prouver ce fait. Montrez-moi des preuves.
Le président : J'aimerais vous interrompre un moment. Au cas où vous ne l'auriez pas remarqué, ce comité ne constitue pas l'enceinte du Sénat. Nous avions invité Tides Canada à comparaître. On s'est entretenu avec eux pendant une séance de deux heures et ils ne se sont pas fait traiter de toutes sortes de noms.
M. Bennett : Je ne faisais que répondre à sa question.
Le président : Je le reconnais. C'est correct. Je voulais tout simplement vous souligner que ce comité est toujours prêt à entendre les gens qui veulent nous dire des choses pertinentes sur l'énergie, l'environnement et les ressources naturelles.
Avez-vous terminé, sénateur Brown?
Le sénateur Brown : Il me reste une question.
Le président : Très bien.
Le sénateur Brown : À mon avis, c'est vous qui nous devez des excuses. Si vous n'êtes pas en mesure de le faire, je l'accepte également.
M. Bennett : Je vous présente mes excuses pour avoir tenu ces propos. Je suis désolé de l'avoir fait, mais j'avais l'impression que je devais en parler.
Le président : Merci, monsieur. Nous acceptons vos excuses.
Le sénateur Martin : Je remplace mon collègue Richard Neufeld. En raison du respect que je lui dois et du fait qu'il était auparavant le ministre des Ressources naturelles de la province de la Colombie-Britannique, j'aimerais mettre l'accent sur le fait qu'il peut y avoir de véritables différences dans les évaluations environnementales qui ont lieu à l'échelle fédérale et provinciale. Il ne faut pas perdre de vue la complexité du processus fédéral et du fait que cela peut prendre parfois deux ans ou plus pour que les évaluations soient complétées.
Je connais toute l'expérience qu'a le sénateur Richard Neufeld et de tout le respect qu'il attribue à ces enjeux. Il connaît très bien sa région, comme l'a soulevé le sénateur Lang. En tant qu'ancien éducateur, je sais comment on peut se sentir quand quelqu'un nous parle de haut et essaie de nous dire quoi faire avec sa classe. Je savais que je connaissais parfois mieux mes élèves, les parents et la collectivité que certains parents ne se connaissaient eux-mêmes en raison de tout le temps que je passais avec ces personnes.
Songeons maintenant aux cas de figure que nous avons soulevés aujourd'hui. Êtes-vous d'accord pour dire que, puisqu'on veut raffiner les dispositions dans une loi très ancienne aux prises avec toute l'histoire dont nous avons parlé, afin de réduire la duplication et de la rendre la plus efficace possible, nous devrions tenter de raffiner l'implication du gouvernement fédéral? On nous parle sans cesse du problème de dédoublement dans tous les secteurs, comme celui, par exemple, de la santé. Nous faisons des essais cliniques et il y a des dédoublements avec les conseils d'éthique. Ces dédoublements semblent être un problème qui se trouve dans tous les secteurs du Canada. On le retrouve dans toutes les provinces, qui sont véritablement les mieux placées pour connaître leurs régions. Il s'agit là des défis que les ministres, comme l'ancien ministre Richard Neufeld, doivent relever.
Êtes-vous d'accord pour dire que le fait de raffiner les dispositions dans une loi antique fait partie de ce qu'il faut faire lorsqu'on veut moderniser et améliorer les outils que nous avons déjà?
M. Bennett : Du point de vue d'une personne qui a personnellement pris part à plusieurs évaluations environnementales et qui travaille au sein d'une organisation qui en fait bon nombre, je peux vous dire que le problème réside au sein de la Constitution et des domaines de compétence. Il est des domaines de compétence fédérale et provinciale et c'est là le nœud du problème.
En revanche, en ce qui concerne le fait de résoudre les problèmes de l'évaluation environnementale, ils sont déjà en mesure de le faire. Si vous songez au cas du projet gazier de Mackenzie, qui est souvent cité comme un des pires projets, les 16 domaines de compétence distincts qui avaient une autorité sur le parcours du pipeline se sont réunis avant la demande et se sont mis d'accord sur le processus afin que le demandeur n'ait besoin que d'une seule évaluation pour pouvoir aller de l'avant.
Tout gouvernement provincial est tout à fait en mesure de signer des accords avec le gouvernement fédéral afin de régler leurs différends et répondre au problème. Vous n'êtes pas obligé de prendre une loi pour enlever les droits des gens à participer dans ce processus. Vous n'êtes pas obligé d'enlever les déclencheurs fédéraux d'évaluation environnementale pour y parvenir. Lorsqu'il s'agit d'un cas où un simple stylo et un papier pourraient résoudre le problème et, à la place on tue une mouche avec un bazooka.
Le sénateur Martin : J'aimerais revenir au cas des mines de Taseko, sans pour autant entrer dans tous les détails. J'ai entendu leurs exposés et j'ai parlé avec les représentants. Tout le monde comprend que le processus de consultation est en cours et que les intervenants sont toujours encouragés à exprimer leurs préoccupations. Il s'agit d'un processus ouvert. C'est pour cela que vous êtes ici aujourd'hui.
À l'échelle provinciale, tout comme nous respectons le rôle que vous jouez et l'expertise dont vous jouissez, j'ai confiance en nos agents, députés et intervenants provinciaux, ils pourront mettre sur pied ce processus dans leurs propres régions, dans lesquelles ils vivent et qui leur tiennent tant à cœur. Il est bien différent de visiter une région et de voir ces rivières en tant que touriste ou visiteur par rapport à véritablement vivre dans la région.
J'ai confiance que les Canadiens feront leur part dans leurs régions. Cela pourrait rendre ce processus efficace car nous nous trouvons dans une situation dans laquelle il faut équilibrer le développement et la saine gestion de l'environnement, que je respecte tout à fait.
M. Bennett : J'aimerais vous répondre en disant d'emblée que la saine gestion de l'environnement équivaut à un bon développement. Il s'agit de la même chose et cette loi essaie d'enlever cette équation. Je ne pense pas que vous ayez besoin de modifier la loi afin d'atteindre vos objectifs.
Je pense également que des gens le plus près d'un projet sont ceux qui ont le plus grand impact quant à déterminer de s'il ira de l'avant ou non. Nous sommes d'accord avec cela. En fait, il s'agit d'un des modes fondamentaux d'opérations du Sierra Club : Nous aidons des groupes et les collectivités locales lorsqu'elles font face à ce genre de problèmes.
En revanche, la loi n'a pas besoin d'enlever le droit de participation aux audiences des gens pour se faire. On n'a pas besoin d'enlever de la loi les facteurs justifiant une interjection fédérale pour qu'il n'y ait pas d'évaluation. Nous devons nous assurer que le gouvernement fédéral continue à assumer ses responsabilités. Je crois que l'objectif fondamental de révision de toutes ces lois est de réduire la présence du gouvernement fédéral dans la protection environnementale du Canada. Le Sierra Club ne souhaite pas que cela arrive. Nous aimerions qu'il y ait un équilibre entre tous les paliers gouvernementaux afin que l'on prenne de bonnes décisions pour la saine gestion de l'environnement et le développement durable.
Le sénateur Mitchell : Monsieur Bennett, j'aimerais vous dire que je comprends votre frustration. Vous l'avez fort bien exprimée aujourd'hui. Je pense que vous avez exprimé ce que bon nombre de Canadiens ressentent et je vous en remercie.
Le fait que bon nombre des retards dans le processus ont été causés par les promoteurs représente une énigme intéressante. Si on assortit une limite de 24 mois sur un processus et que le promoteur décide de traîner les pieds, qu'arriverait-il si, au bout de 23 mois et de 29 jours, le promoteur disait : « Nous ne l'avons pas fait alors...
M. Bennett : Est-ce que vous nous donnez une prolongation, s'il vous plaît?
Le sénateur Mitchell : Cela pourrait finir par être retardé. Cela ne permettra pas de résoudre le problème qui est cité comme étant la raison motivant ces changements.
M. Bennett : Je pense que les solutions arbitraires ne fonctionnent jamais. Chaque situation est unique. Chaque proposition est différente tout comme l'est chaque situation. Il pourrait y avoir des milliers de raisons pour lesquelles le gouvernement qui gère le processus, le promoteur qui envoie des renseignements ou les intervenants qui veulent prendre part au processus peuvent causer des délais. En revanche, je pense que ce qu'il y a de plus important c'est que nous puissions voir tous les faits.
La plupart des évaluations environnementales au Canada n'aboutissent pas à une annulation du projet. Il est extrêmement rare qu'un projet soit annulé parce que cela nuirait à l'environnement. D'habitude, le projet est amélioré parce que quelqu'un intervient pour dire : « Écoutez, vous ne pouvez pas placer cette chose là-bas parce que je sais ce qui se passe quand j'y vais et que j'y pêche. » Il s'agit d'une occasion qui permettra au promoteur d'avoir un meilleur projet. D'y assortir un délai ne ferait que limiter les occasions d'amélioration des projets.
Le sénateur Mitchell : Merci.
Le sénateur Lang : J'aimerais revenir aux échéanciers, si vous me le permettez. Je pense qu'il faut rectifier ce qui vient d'être dit. Je suis étonné que le témoin n'ait pas indiqué qu'une partie importante des projets d'envergure — ceux qui ont véritablement besoin d'un examen environnemental fait avec toute la diligence nécessaire — ont été retardés avant tout parce que les gouvernements, qu'ils soient fédéral ou provinciaux, n'arrivent pas à s'entendre.
Aux fins du compte rendu, et je fournis un exemple pour la gouverne notamment du sénateur Mitchell, sachez que dans le projet de scierie et d'exploitation minière de l'uranium en Saskatchewan — j'imagine que le Sierra Club est au courant de ce projet — il y a eu un retard de 19 mois au tout début de l'évaluation environnementale de la centrale nucléaire de Darlington. Une commission d'examen devait être établie et cela a pris 12 mois pour préparer les lignes directrices de l'examen. En ce qui concerne l'oléoduc Northern Gateway, qui préoccupe tous les Canadiens — en Colombie-Britannique et partout au pays — ils en sont au tout début du processus et il a fallu huit mois pour confirmer que le projet aurait besoin d'une commission d'examen. Cela est attribuable au gouvernement et non pas aux promoteurs.
Je pourrais vous fournir une liste de toutes ces choses mais, aux fins du compte rendu, j'aimerais que l'on comprenne clairement qu'il y a eu des retards considérables parce que les gouvernements ne sont pas capables de s'entendre et d'aller de l'avant. C'est précisément ce que ce projet de loi fera. Je ne comprends pas pourquoi vous dites que les promoteurs sont les principaux responsables de cette situation, car c'est faux. Je vous ai donné les faits.
M. Bennett : Ni l'un ni l'autre d'entre nous n'avons fourni assez de statistiques pour dire que nous parlons des faits. En revanche, j'aimerais souligner qu'il s'agit plutôt d'un problème de ressources. Il n'y a pas eu assez de gens pour faire le travail. C'est cela qui a retardé les choses.
Revenons à Darlington. J'aimerais vous dire que la centrale de Darlington qui a été construite à la fin des années 1970 l'a été sans évaluation environnementale parce qu'on en avait besoin immédiatement. Les promoteurs de l'époque ont dit que cela coûterait 3,5 milliards de dollars à construire. Ils sont allés de l'avant et l'ont construit sans évaluation environnementale. Dans les faits, cela a coûté 13 milliards de dollars et, par conséquent, Ontario Hydro est en faillite depuis l'an 2000 car ils essaient de rembourser ces frais.
Si une évaluation environnementale adéquate avait été effectuée dans les années 1970, on aurait probablement économisé 20 milliards de dollars aux contribuables ontariens. C'est la raison pour laquelle il faut de bonnes évaluations environnementales, car elles permettent à bon nombre de personnes d'y participer et on a beaucoup de temps pour le faire.
Le sénateur Lang : Je sais qu'il ne nous reste pas beaucoup de temps, mais je crois qu'il est important que l'on comprenne que le projet de loi va fixer des paramètres pour les promoteurs, les gouvernements et les intervenants. Il nous fournit un délai. On peut également prolonger ce délai au besoin. Cela se trouve dans la législation. De nous comparer aux années 1970 et aux lois qui étaient en vigueur à l'époque est tout simplement injuste. Je crois que vous seriez d'accord pour le dire. On pourrait remonter aux années 1860 et parler de l'industrie forestière dans la Vallée des Outaouais si vous le souhaitez.
M. Bennett : J'aimerais soulever un dernier point, si vous me le permettez. En fait, nous retournons aux années 1970, car les modifications dans la loi donnent au ministre beaucoup plus de pouvoir discrétionnaire pour adopter une évaluation environnementale, un peu comme Bill Davis l'a fait en 1976.
Il s'agit d'une loi qui va à reculons. Il n'y a rien qui nous garantit que le fait d'incorporer des échéanciers dans la loi nous garantira qu'ils soient respectés si le gouvernement n'est pas prêt à y consacrer les ressources nécessaires. Nous voyons des compressions budgétaires partout dans le gouvernement à l'heure actuelle. Mais l'on nous dit qu'il fera un meilleur travail. Il ne fera pas un meilleur travail. Cette loi nous fait régresser aux années 1970. Il y aura beaucoup plus de cas à la Darlington et d'énormes dégâts pour lesquels nos enfants devront payer et qu'ils devront nettoyer. Cela n'est pas responsable.
Le sénateur Lang : J'aimerais soulever un autre point.
Le président : Le sénateur Frum vient de me dire qu'elle vous donne son temps. Vous avez donc 30 secondes.
Le sénateur Lang : J'aimerais recommander ce que le président a dit. Il faudrait lire le témoignage qui a été fait par les agents des ministères qui ont comparu l'autre jour. On les a entendus pendant quatre heures. Ils ont indiqué qu'il y aurait plus de fonds disponibles pour le processus réglementaire qu'il n'y en avait auparavant. Je vous suggérerais de lire ce témoignage pour que vous puissiez mieux dormir sur vos deux oreilles.
Le président : Monsieur Bennett, j'aimerais vous remercier au nom de mes collègues d'être venu. Je vous remercie de tout l'effort que vous avez pris pour préparer votre témoignage. Notre échange n'a pas été parfait, mais on espère que vous avez l'impression que vous avez pu livrer votre message. Nous avons l'impression que nous avons eu une rencontre tout à fait convenable avec vous ce matin. Sachez que vous êtes le bienvenu si vous voulez revenir au comité.
M. Bennett : Merci de m'avoir invité.
Le président : M. Dave Collyer et M. Nick Schultz, président et vice-président de l'Association canadienne des producteurs de pétrole, sont ici. Bonjour messieurs.
Sénateurs, vous vous demandez peut-être pourquoi ils sont ici, étant donné que la réunion d'aujourd'hui devait être consacrée à nos amis des groupes environnementaux. J'ai reçu une demande de M. Collyer parce que, en raison d'un problème de planification, lorsqu'il devait comparaître au départ, ils n'ont pas pu venir. J'ai accepté de leur donner un peu de temps aujourd'hui.
Ils comprennent les restrictions, et vous êtes tous les deux les bienvenus. Nous vous connaissons. Nous apprécions l'aide que vous apportez régulièrement au comité pour nous aider à comprendre certaines des questions et nous espérons en apprendre davantage ce matin. Sans plus tarder, je peux vous dire que le Comité des affaires juridiques arrivera dans environ 25 minutes et qu'ils étudient l'arrestation par des citoyens; le sénateur Baker et moi ne voulons pas être arrêtés, mais nous pensons qu'il se peut que nous le soyons.
Vous avez la parole, et nous verrons ce que nous ferons lorsqu'ils viendront nous menotter.
Dave Collyer, président, Association canadienne des producteurs pétroliers : Merci beaucoup. Mes remarques seront aussi brèves que possible afin qu'il y ait suffisamment de temps pour poser des questions. Je m'appelle Dave Collyer et je suis président de l'Association canadienne des producteurs pétroliers qui, comme vous le savez tous je pense, représente les intérêts du secteur canadien pétrolier et gazier. Je suis accompagné de Nick Schultz, notre avocat général. Il pourra répondre à toutes les questions juridiques difficiles au sujet du projet de loi proposé.
Nous sommes ravis de pouvoir présenter notre point de vue sur le projet de loi C-38. Il s'agit d'un projet de loi très important. Il est très important pour notre secteur. Il va permettre d'attirer les investissements dont le secteur pétrolier et gazier a besoin au Canada pour créer des emplois, stimuler la croissance économique et assurer la sécurité énergétique sur un marché mondial de plus en plus soumis à la concurrence.
Je constate que, très souvent, nous nous concentrons sur ce qui se passe au Canada. En examinant ce projet de loi, je pense qu'il est très important de tenir compte du fait que nous évoluons dans un marché mondial. Prenons l'exemple du GNL — la proposition d'exportation de gaz naturel liquéfié sur la côte ouest; nous faisons concurrence à de nombreux autres pays qui veulent approvisionner les mêmes marchés.
Le processus de réglementation au Canada est en fait critique pour lancer tous ces projets, et il ne s'agit pas seulement de ce que nous faisons au Canada. Il s'agit de la façon dont nous nous positionnons, tant du point de vue environnemental qu'économique, par rapport à la concurrence ailleurs dans le monde.
Selon nous, le projet de loi définit un cadre de changements législatifs qui va améliorer considérablement le processus d'examen réglementaire visant les projets d'exploitation des ressources naturelles, sans pour autant nuire à la bonne réputation du Canada au chapitre de l'exploitation responsable et des résultats environnementaux.
Le processus réglementaire actuel a souvent occasionné des retards dans les projets et fait augmenter les coûts, ce qui reporte et réduit à la fois les avantages que les Canadiens pourraient tirer de ces investissements au chapitre de l'emploi et des revenus.
Je souligne encore une fois que les capitaux sont extrêmement mobiles. Il est peu rassurant de constater que différentes autorités nationales et internationales, y compris l'Agence internationale de l'énergie et le Forum économique mondial, ont décrit notre système réglementaire actuel comme étant trop complexe, redondant, non limitatif et qu'il posait une menace importante à la capacité du Canada d'attirer les capitaux nécessaires pour faire croître notre secteur des ressources.
Nous voyons d'un très bon œil les mesures prévues par le projet de loi C-38, et s'il est mis en œuvre comme il se doit, il réglera bon nombre des problèmes qui ont été cernés au Canada et qui ont aussi été pointés du doigt par les organisations internationales.
Vous ne serez sans doute pas surpris d'apprendre que nous sommes en total désaccord avec ceux qui affirment que le projet de loi C-38 va rendre moins strictes les normes environnementales ou faire marche arrière, comme certains l'ont indiqué, sur le front de la réglementation environnementale. Les processus établis par l'actuelle réglementation pour l'examen et l'approbation, ou le refus, des activités industrielles au Canada se sont multipliés au fil des ans. Ils instaurent un ensemble d'exigences qui sont difficiles à comprendre, se chevauchent, sont souvent contradictoires et, en fin de compte, incertaines. Nous estimons que le processus actuel nuit à la compétitivité, rend les projets plus coûteux et ne génère pas de meilleurs résultats sur le plan de l'environnement. Plus de réglementation ne se traduit pas nécessairement par une meilleure réglementation; en fait, c'est habituellement tout le contraire.
Il est plutôt malhonnête de laisser entendre que les changements sont sortis de nulle part, sans préavis ni avertissement. Au Canada, on discute de la réforme réglementaire depuis longtemps — des années, pas des semaines ni des mois. De nombreux organismes ont eu la possibilité d'exprimer leurs points de vue pendant le processus. Ce n'est pas un secret : le gouvernement canadien envisage une réforme réglementaire depuis longtemps, et je pense qu'on peut facilement présumer que les fonctionnaires qui ont formulé des recommandations ont eu amplement la chance d'entendre et de considérer les points de vue des différents organismes, y compris ceux de l'industrie, mais aussi ceux des autres secteurs.
Je m'arrêterai brièvement à ce que sont, selon nous, les éléments clés du projet de loi C-38. Un projet, un examen en vue de réduire et, nous l'espérons, d'éliminer dans une large mesure la redondance et les chevauchements du processus; il s'agit des chevauchements et de la redondance entre les gouvernements provinciaux et fédéral.
Un autre aspect important de cette discussion est la clarté au sujet de ce qui s'inscrit dans les politiques, les réglementations et ce qui est permis. Une partie de la difficulté liée au processus réglementaire actuel réside dans le fait que trop souvent, pendant le processus, nous finissons par poursuivre le dialogue sur ce que nous considérons être des décisions stratégiques publiques fondamentales. Le processus réglementaire vise à examiner des projets. Je soutiens que la politique publique doit s'en distinguer, et il est important d'envisager cette réalité en tenant compte du fait que nous avons un large cadre de politique publique dans lequel le processus réglementaire est enchâssé. Il y a des chevauchements et des doubles emplois entre les ordres de gouvernement, et je pense aussi que le processus définit mal ce qui est une bonne décision de politique publique, par rapport à ce qui constitue une bonne décision réglementaire.
La consolidation des organismes de réglementation constitue une réforme réglementaire logique. La notion de processus d'examen réglementaire fondée sur les risques est extrêmement importante. L'attribution de ressources aux projets qui risquent d'avoir le plus d'incidences sur l'environnement est un élément fondamental des changements proposés, et nous estimons que la clarté et la prévisibilité du processus d'examen réglementaire surtout grâce aux échéanciers sont aussi extrêmement importantes.
À la suite d'une question posée un peu plus tôt, soulignons qu'il est clair, d'après tout ce que nous avons entendu, que si le promoteur doit modifier considérablement la description du projet ou sa contribution, les délais seront prolongés. C'est au promoteur du projet que revient la responsabilité de déposer une demande complète, et nous pensons que les échéanciers seront administrés dans ce contexte.
Pour conclure, nous pensons qu'il s'agit du bon projet de loi et qu'il arrive au bon moment. Une vaste gamme d'organismes ont eu la possibilité d'apporter leur contribution à l'examen global de la réforme réglementaire pendant longtemps, et il est temps d'aller de l'avant. Ce faisant, nous améliorerons le processus, tout en veillant à continuer d'obtenir des résultats responsables au plan environnemental, ce qui permettra au Canada d'être plus concurrentiel et d'attirer le type d'investissement dont nous avons besoin pour stimuler l'économie.
Nous sommes prêts à répondre à vos questions.
Le sénateur Mitchell : Merci, monsieur Collyer. Nous sommes heureux que vous soyez ici. Dans le cadre de vos fonctions précédentes, vous aviez organisé ma dernière visite des sables bitumineux.
Vous dites que votre secteur et, peut-être, l'ACPP ont été consultés. Avez-vous pu consulter le projet de loi au cours de sa rédaction?
M. Collyer : Nous n'avons pas lu l'ébauche de projet de loi. Nous avons été consultés, comme une vaste gamme d'organismes, pendant le processus budgétaire. J'ai rencontré le ministre Flaherty et nous avons discuté d'une vaste gamme de questions, avec de nombreuses autres personnes. Nous avons formulé des commentaires au sujet de notre point de vue sur la réforme réglementaire, et je sais que d'autres personnes l'ont fait également.
Le sénateur Mitchell : Lorsque vous parlez de la nécessité d'apporter des changements et d'améliorer les règlements afin d'obtenir de meilleurs résultats environnementaux, quels changements réglementaires auraient pu permettre d'assainir les bassins de décantation plus rapidement? Je sais qu'il s'agit d'un problème qui perdure, et je pense qu'il s'agit d'un problème visuel pour les sables bitumineux. C'est très regrettable, parce qu'il s'agit d'une excellente image que peuvent utiliser les gens pour dénoncer ces étangs.
Avons-nous besoin d'échéanciers pour dépolluer les bassins de décantation? Avons-nous besoin d'échéanciers pour rétablir la bonification des terres? Si nous voulons parler d'échéanciers et de changements à la réglementation pour améliorer les résultats, pourquoi ne demandons-nous pas ce genre de choses?
M. Collyer : Je soulignerais tout d'abord que de nombreux efforts sont déployés actuellement pour régler les problèmes dont vous parlez. Le secteur bénéficie d'un fort incitatif, pour différentes raisons, de le faire. Vous avez probablement entendu dire qu'il y a des développements très encourageants dans les technologies qui accéléreront de façon considérable la bonification des bassins de décantation et réduiront leurs incidences à l'avenir. Tout cela fait partie du processus d'examen réglementaire des projets.
Je tiens à souligner qu'à notre avis, il ne s'agit pas de changer les résultats. Il s'agit d'améliorer le processus qui nous permet de prendre des décisions au chapitre de la réglementation. Les résultats, peu importe si les bassins de décantation doivent être bonifiés dans deux ans, dans cinq ans, dans dix ans ou à un autre moment, seront tout de même des décisions prises par les responsables de la réglementation. Selon nous, rien de tout cela n'est affecté par le résultat du processus de réglementation, et le résultat environnemental obtenu ensuite n'est pas affecté par ces changements. Je pense plutôt que le fait de redéployer les efforts et les ressources pour les projets qui ont des incidences environnementales plus considérables, ou des incidences environnementales possibles plus considérables, permettra de veiller à ce qu'ils soient examinés de façon appropriée.
Le sénateur Lang : J'aimerais revenir sur les résultats et le processus réglementaire. D'un côté, nous entendons dire que ces changements permettront un examen moins approfondi du processus réglementaire du point de vue environnemental et, de l'autre côté, vous venez de dire que ces changements assureront la stabilité et une application plus rigoureuse parce que les ressources seront suffisantes pour que les projets majeurs soient examinés.
J'aimerais savoir ce que vous pensez au sujet d'un autre aspect de tout cela dont on ne tient pas compte, selon moi; il s'agit des responsabilités légales des promoteurs et du gouvernement au sujet de l'achèvement en bonne et due forme d'un processus réglementaire. Si ce n'est pas fait de façon adéquate, le processus ne ferait-il pas face à des contestations juridiques qui empêcheraient un promoteur d'aller de l'avant? Tout le monde ne profite-t-il pas d'un processus où toutes les bases sont bien couvertes?
M. Collyer : Je demanderais à mon avocat de compléter ma réponse, mais je peux vous répondre en ma qualité de non-juriste.
Je pense qu'un processus réglementaire crédible, efficient et efficace est très important pour les résultats environnementaux. Il est aussi très important pour notre réputation, en quelque sorte, que les Canadiens et notre secteur se préoccupent de cette question.
Un processus réglementaire plus complexe, plus difficile à comprendre et inutilement long ne fait rien pour régler le problème. Nous avons besoin d'un processus efficace qui s'attaque aux bonnes questions et les règle de façon efficiente et efficace. C'est ce qui assure la réputation, pas un processus qui se prolonge, un processus inutilement redondant et complexe.
M. Schultz : La réponse courte à votre question est oui. Si un promoteur ne fournit pas l'information requise et si le responsable de la réglementation omet de se pencher sur ce qu'il doit examiner, on aboutirait absolument à une contestation juridique.
Le sénateur Frum : Nous avons entendu M. Bennett et M. Amos, qui ont dit que si on tient compte de ce qui cause les retards dans le processus, on constate que dans la majorité des cas, c'est le promoteur qui retarde le processus. Vous en avez parlé dans vos commentaires. Pourriez-vous y revenir, s'il vous plaît?
M. Collyer : Selon moi, pour répondre à votre question, de nombreux facteurs mènent à de longs retards du processus réglementaire, et ceux-ci ne relèvent souvent pas du contrôle des promoteurs. Je vous donne les exemples précis. Shell a présenté une demande au gouvernement fédéral concernant une nouvelle mine de sables bitumineux à Fort McMurray. Il a fallu quatre ans pour compléter les modalités de l'examen par le gouvernement fédéral. Pendant ce temps, l'évaluation environnementale a été faite par le gouvernement provincial. Il est difficile d'attribuer ce retard dans le projet au promoteur.
J'ai personnellement participé à l'examen du projet gazier Mackenzie. Certains éléments relevaient de la responsabilité du promoteur, mais je soutiens qu'il y avait de nombreux facteurs externes qui ont donné lieu à un processus d'examen réglementaire très approfondi. Je ne veux pas dire que le promoteur n'est jamais en cause. Comme je l'ai mentionné plus tôt, le projet de loi proposé règle cette question. Si c'est la responsabilité du promoteur, l'échéancier est prolongé de façon considérable.
De nombreux autres facteurs prolongent inutilement le processus réglementaire au Canada et il faut les éliminer; c'est ce que fait le projet de loi proposé.
Le sénateur Brown : Deux nouveaux projets sont utilisés pour extraire le pétrole du bitume. L'un se fait au moyen de la vapeur surchauffée et l'autre, d'un solvant. Pouvez-vous nous dire si le processus s'améliore sans cesse? En connaissez beaucoup au sujet de ce qui arrive avec ces projets dans les sables bitumineux?
M. Collyer : Je ne suis pas un spécialiste, mais j'en connais un peu à ce sujet. La meilleure façon de réduire les émissions de gaz à effet de serre provenant des sables bitumineux consiste à améliorer le processus de récupération sur place. En fait, la technologie de récupération sur place ou forable porte sur la quantité d'énergie qu'on injecte dans le système pour récupérer du pétrole. Il s'agit de réduire l'énergie utilisée pour récupérer chaque baril de pétrole. Les solvants et les autres techniques de récupération novatrices, comme l'abaissement de la température lors du processus de récupération, par exemple, permettent une amélioration significative au processus. Ces méthodes offrent un grand potentiel à l'avenir.
Le sénateur Brown : La méthode du solvant est-elle meilleure que la vapeur surchauffée?
M. Collyer : En utilisant un solvant, constatons-nous des réductions au sujet des besoins en vapeur?
Le sénateur Brown : Non. Je vous demande si le processus utilisant un solvant sera meilleur que le processus utilisant la vapeur.
M. Collyer : À l'heure actuelle, les deux méthodes sont utilisées de façon complémentaire. Les solvants sont utilisés conjointement avec la vapeur pour améliorer le processus de récupération. Avec le temps, si nous pouvons arriver à utiliser beaucoup moins de vapeur, le processus sera grandement amélioré du point de vue des incidences causées par les gaz à effet de serre. Nous ne savons pas encore si le processus sera très avantageux pour le processus de récupération; mais il est très prometteur.
Le président : Messieurs, vous avez eu l'occasion de présenter vos arguments aujourd'hui? Nous avons votre mémoire, mais voulez-vous ajouter quelque chose?
M. Schultz : Oui, monsieur le président, j'ajouterais une chose. Un des plus importants changements apportés à la LCEE est le renforcement de notre engagement de travailler avec les provinces pour éviter les dédoublements. Quand on a adopté cette loi voilà 20 ans, elle visait entre autres à réduire les doubles emplois. Or, cet objectif n'a pas été atteint. Dans le projet de loi, on renouvelle cet engagement. À mon avis, il est extrêmement important qu'on puisse aller de l'avant et ne pas buter sur des questions mineures. Il est important de garder le cap sur cet objectif jusqu'à sa réalisation.
Le président : Estimez-vous, tout comme nous, que les provinces se sont dites prêtes à collaborer à cet égard?
M. Schultz : Les provinces ont communiqué un message clair dès le début. Il y avait des obstacles au départ, dans la complexité de l'approche fédérale et l'idée quelque peu condescendante selon laquelle le gouvernement fédéral serait plus capable que les provinces de réaliser cette tâche. Je crois qu'il faut entamer un dialogue d'égal à égal et reconnaître qu'il y a plusieurs façons d'obtenir de bons résultats. On n'a pas à utiliser toutes les mêmes méthodes.
Le président : Vous connaissez le nom de notre comité sénatorial permanent : le Comité de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles, trois domaines relevant de la compétence provinciale. La difficulté au Canada tient à la façon de rationaliser nos façons de faire et de collaborer à l'intérieur de cette délimitation constitutionnelle des compétences. Le comité est constamment aux prises avec le rôle du gouvernement fédéral et s'efforce d'amener les provinces à la table de discussion sans qu'elles aient l'impression qu'on empiète sur leur territoire. Je suis sûr que la question se pose dans tout ce domaine, d'une très grande importance pour notre pays.
M. Collyer : En terminant, monsieur le président, j'ajouterais deux choses. La première concerne la mise en œuvre. Il y a deux éléments qu'il faut garder à l'esprit. Premièrement, le gouvernement doit fournir les ressources pour mettre cette loi en application de la façon qu'elle est censée l'être. Il ressort de tous les témoignages que nous avons entendus que c'est bien l'intention du gouvernement, mais cela sera très important. Deuxièmement, pour revenir à l'argument soulevé par M. Schultz, la collaboration et la coordination des activités avec les provinces seront capitales. Évidemment, il incombe aux deux ordres de gouvernement de favoriser cette collaboration.
Enfin, je vous remercie d'avoir fait les arrangements pour nous inviter à comparaître étant donné les délais très serrés.
Le président : Merci, messieurs Collyer et Schultz.
Chers collègues, nous avons eu un ordre du jour fort chargé et compliqué ce matin. Je vous félicite et vous remercie tous de votre collaboration.
J'avais prévu une courte séance à huis clos, mais nous ne sommes plus assez nombreux. On devait faire le point sur le rapport du comité mais je prévois une autre séance à huis clos sur le rapport mardi prochain. Aujourd'hui, j'aimerais m'entretenir avec chacun d'entre vous pour vous mettre au courant des dernières nouvelles et vous envoyer une note, que je n'ai pas encore rédigée. Je le ferai avant la fin de semaine. Les choses avancent rondement.
Vous m'avez entendu demander au Sénat la prolongation de notre mandat au-delà du 29 juin et jusqu'au 28 septembre, mais je ne porterai plus cette épinglette à ce moment-là. Vous m'entendrez aussi demander la permission de déposer notre rapport pendant l'été, avant le 21 juillet, puisqu'à ce moment-là je porterai encore cette épinglette.
À cause de certains problèmes logistiques, il y a au moins 50 p. 100 de chances pour que nous ne puissions pas terminer d'ici le 29 juin. Je préfère jouer de prudence, pour que toutes nos options soient bien claires. Tout va bien du côté de nos rédacteurs, correcteurs et graphistes. Espérons que tout continuera sans problème. Dès que j'aurai un projet de rapport, je vous demanderai d'en prendre connaissance immédiatement et de me faire part de vos commentaires pour que notre rapport traduise bien le point de vue des membres de notre comité.
Messieurs, merci de votre attention.
(La séance est levée.)