Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles
Fascicule 32 - Témoignages du 22 novembre 2012
OTTAWA, le jeudi 22 novembre 2012
Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd'hui, à 8 h 2, pour étudier la teneur des éléments des Sections 4, 18 et 21 de la Partie 4 du projet de loi C-45, Loi no 2 portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 29 mars 2012 et mettant en œuvre d'autres mesures.
Le sénateur Richard Neufeld (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bienvenue au Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles. Je m'appelle Richard Neufeld. Je représente la province de la Colombie-Britannique au Sénat et je suis président de ce comité.
J'aimerais souhaiter la bienvenue aux honorables sénateurs et aux membres du public qui sont des nôtres, dans la salle, et à tous les téléspectateurs qui nous regardent, aux quatre coins du pays, à la télévision ou sur Internet.
Je suis heureux de présenter le vice-président, le sénateur Grant Mitchell, de l'Alberta. Également à nos côtés, autour de la table, nous avons notre personnel : notre excellente greffière, Lynn Gordon, ainsi que nos deux analystes de la Bibliothèque du Parlement, Sam Banks et Marc LeBlanc.
Je demanderais maintenant aux sénateurs, en commençant par le sénateur Ringuette, de se présenter et d'indiquer quelle province ils représentent.
[Français]
Le sénateur Ringuette : Bonjour, je m'appelle Pierrette Ringuette, et je suis un sénateur du Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Massicotte : Bonjour, je m'appelle Paul Massicotte, et je suis un sénateur du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Lang : Je m'appelle Dan Lang et je représente le Yukon.
Le sénateur Wallace : Je m'appelle John Wallace et je suis du Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Brown : Je m'appelle Bert Brown, de l'Alberta.
Le sénateur Patterson : Je m'appelle Dennis Patterson et je suis du Nunavut.
Le président : Le 30 octobre, notre comité, à l'instar d'autres comités, a été autorisé à étudier la teneur de certaines sections pour réaliser une étude préalable du projet de loi C-45, Loi no 2 portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 29 mars 2012 et mettant en œuvre d'autres mesures. On nous a plus précisément demandé d'examiner les éléments de la Section 4 de la Partie 4, laquelle modifierait la Loi sur les pêches. La Section 18 de la Partie 4 traite de la Loi sur la protection des eaux navigables, loi qui relève de Transports Canada. La Section 21 de la Partie 4 traite des amendements à la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale. Notre comité doit soumettre son rapport final au Sénat au plus tard le 30 novembre 2012.
Aujourd'hui marque notre cinquième et dernière séance avec des témoins que nous entendons sur ces questions. J'ai le plaisir de présenter nos témoins, aussi bien à Ottawa qu'à Toronto, par vidéoconférence. De Lake Ontario Waterkeeper, nous accueillons Mark Mattson qui en est le président. De l'Assemblée des Premières Nations, nous avons Audrey Mayes, analyste principale des politiques, et Dan Pujdak, analyste des politiques.
Je propose qu'on entende les remarques liminaires de ces deux organisations, dans leur ordre d'apparition selon l'ordre du jour, après quoi nous entamerons une période de questions. J'aimerais rappeler à nos témoins, pour les besoins de la transcription et de l'interprétation, de bien vouloir parler clairement dans leur microphone et d'avoir un débit raisonnable. Merci d'avance.
Je rappelle aux sénateurs que nous siégerons à huis clos plus tard ce matin pour discuter de notre mandat, et il nous faudra donc avoir terminé cette partie de la réunion au plus tard à 9 h 30 pour garder suffisamment de temps.
Sur ce, je cède la parole à Mark Mattson de Lake Ontario Waterkeeper.
Mark Mattson, président, Lake Ontario Waterkeeper : Merci, monsieur le président et bonjour à vous, mesdames et messieurs les sénateurs. Je suis avocat et je compte plus de 20 années d'expérience en droit environnemental et administratif au Canada, de même qu'en poursuites environnementales. Je suis gardien des eaux et président de Lake Ontario Waterkeeper, qui est un organisme de bienfaisance enregistré. Je siège également au conseil d'administration du Fraser Riverkeeper en Colombie-Britannique, du North Saskatchewan Riverkeeper, en Alberta, et du Moose Riverkeeper, dans le nord de l'Ontario. Je représente également le Canada au conseil d'administration de la Waterkeeper Alliance, réseau mondial de gardiens des eaux de plus de 200 groupes qui œuvrent dans le monde entier pour protéger les eaux pour qu'elles soient propres à la baignade, à la consommation et à la pêche et nous disposons de huit organisations au Canada.
Je suis ici aujourd'hui en raison des changements proposés à la Loi sur la protection des eaux navigables. Il est très important de savoir que cette loi a toujours visé la navigation sur l'eau. Si vous vous débarrassez du mot « eau » dans le titre, cela ne tient plus debout. Cette loi ne commencera pas à s'appliquer à la navigation sur les routes, dans les airs, sur les pistes cyclables ou sur les voies ferrées. Ainsi, si vous en changez le nom et que vous vous débarrassez du mot « eau », cela prêtera à confusion.
En outre, si les changements proposés étaient adoptés, ce serait absurde. Si vous disiez qu'il y a des endroits au Canada où l'on peut construire un aéroport ou une nouvelle autoroute sans en informer le gouvernement ou le public, les habitants de tout le pays s'y opposeraient avec véhémence. Je ne pense pas qu'un gouvernement, quel qu'il soit, proposerait de faire cela, étant donné les troubles que cela entraînerait pour notre économie, nos collectivités, nos réseaux sociaux et notre sécurité. Pourtant, c'est exactement ce que feront ces changements proposés à la Loi sur la protection des eaux navigables.
Pour la plupart des cours et des plans d'eau du Canada, si la Loi sur la protection de la navigation est adoptée, les problèmes de navigation sur l'eau passeront inaperçus, pour les gouvernements et pour les collectivités. Les promoteurs n'auront plus à donner de préavis. Ils n'auront plus à faire leurs devoirs, à recenser les effets négatifs ou les changements que cela pourrait entraîner sur l'environnement, directement ou indirectement. On ne leur posera aucune question et, ce qui est encore plus important, on n'aura plus la possibilité d'atténuer les situations dangereuses, la perte d'habitat, la perte des droits de navigation, de mettre en place des servitudes ou de trouver des façons d'aménager différents portages autour des barrages ou des zones problématiques.
En ma qualité de gardien des eaux, j'estime qu'il est important de préciser que je sillonne le Canada en bateau et que je parle à des personnes qui ont des relations très étroites avec nos eaux. Elles nous disent, à moi et à toutes nos organisations, que si l'on installe des obstacles sur nos cours et plans d'eau, au Canada, il y aura des répercussions. Je le sais, non seulement parce que je suis avocat, mais aussi parce que je suis protecteur des eaux.
Nous savons qu'il y a des conséquences si vous inversez le flux des eaux, lorsque vous réduisez le débit des eaux et quand vous bloquez les cours d'eau, mais aussi si vous ne prenez pas de précautions en informant les gens pour qu'ils fassent leur travail, nous savons que cela aura de graves répercussions et de mauvaises conséquences.
Le gouvernement fédéral est l'ordre de gouvernement qui, en vertu du paragraphe 91(10) de la Constitution, est chargé de protéger la navigation sur l'eau et, peu importe où se rendent les Canadiens ou les visiteurs du Canada, c'est au gouvernement fédéral de veiller à leur sécurité et à leur protection lorsqu'ils naviguent sur nos eaux. Ce n'est pas aux provinces de s'en charger, ni aux municipalités, ni même à la common law d'assurer de telles précautions. Les municipalités, les provinces et la common law peuvent intervenir en ce qui a trait aux répercussions et elles peuvent juger qu'il est nécessaire de prendre certaines mesures si le gouvernement fédéral omet de le faire, mais cela ne figure pas parmi leurs obligations constitutionnelles. Cela incombe au gouvernement fédéral.
Si les mesures législatives exonèrent le gouvernement de faire son travail sur la plupart des cours et des plans d'eau canadiens et que celui-ci préfère ne pas protéger les droits des Canadiens de naviguer sur ces eaux, nous nous retrouvons alors dans un tout autre monde. Nous vivons dans un monde où les Canadiens risquent de perdre un des droits les plus anciens et les plus importants et dont la protection a été précisément confiée au gouvernement. Je remarque, honorables sénateurs, qu'il ne s'agit pas seulement de perdre le devoir et l'obligation du gouvernement de protéger les Canadiens; la Loi sur la protection de la navigation, à mes yeux, va même plus loin et a des effets encore plus inquiétants. On ne demande plus rien aux intervenants, aux promoteurs, à ceux qui demandent le privilège de se servir de nos cours d'eau publics et de leur nuire; ils n'ont plus besoin d'en informer le public. C'est une chose de ne pas le dire au gouvernement et, pour le gouvernement, de prendre des mesures ou des précautions, mais c'est tout autre chose de lier les mains du public en le laissant dans l'ignorance et en ne demandant pas aux intervenants ou aux promoteurs eux-mêmes, qui demandent à jouir du privilège d'utiliser nos eaux publiques, de dire aux Canadiens que ces eaux seront en péril, afin que les Canadiens puissent prendre des mesures pour se protéger.
Lors des audiences du Sénat, j'ai entendu dire que les changements à la Loi sur la protection des eaux navigables n'auraient aucun impact négatif, mais rien ne prouve que ce sera effectivement le cas. Il n'y a aucune étude, aucune recherche ni aucune consultation publique venant prouver cela. Plus encore, on ne pourra peut-être jamais connaître les impacts de cette décision, car aucun mécanisme n'est prévu pour surveiller les rivières et les lacs que vous abandonnez et que vous n'incluez pas dans l'annexe. L'absence de preuve ne constitue pas une preuve d'absence. Autrement dit, il est faux de prétendre que si nous n'entendons pas parler d'un problème ou si nous n'en connaissons pas l'existence, il n'existe pas.
Cette fausse idée est également voulue — il s'agit d'un artifice rhétorique pour détourner la responsabilité et pour faire en sorte qu'au lieu que ce soit la responsabilité et le devoir du gouvernement de protéger les Canadiens, on place tout le fardeau sur les épaules des particuliers qui doivent prouver qu'il y a des conséquences nuisibles —, c'est-à-dire qu'on renverse le fardeau de la preuve. En ce qui me concerne, quand j'ai assisté et participé à des audiences et à des procédures judiciaires et gouvernementales, j'ai toujours trouvé que ceux qui sont en quête de la vérité ne permettent pas à ceux qui demandent le privilège d'utiliser nos cours d'eau publics, dans le but de renverser le fardeau de la preuve pour le placer sur les épaules du public et l'obliger à prouver qu'il a raison, de ne pas donner de préavis et de commentaires au public.
En conclusion, si l'objectif de la loi est de prendre des décisions non éclairées et mauvaises quant à l'utilisation de nos eaux, au Canada, alors oui, allez-y et éliminez les occasions d'avertir et d'informer le public, car c'est ce que va faire le projet de loi C-45. Si le but est de ne pas rendre de comptes, eh bien allez-y et créez deux niveaux de navigation, assurez-vous que le gouvernement ne soit jamais informé des menaces qui pèsent sur la navigation, sur la majorité de nos rivières et de nos lacs au Canada, parce que c'est ce que fera le projet de loi C-45. Si l'objectif du projet de loi est d'éliminer la certitude, eh bien allez-y et remplacez la loi par une jurisprudence de common law, parce que c'est ce que fera le projet de loi C-45. Si le but est de faire en sorte que les Canadiens ne puissent pas se protéger, qu'ils interviennent pour combler le vide laissé par le gouvernement, eh bien allez-y et continuez à faire ce qui est proposé dans la Loi sur la protection de la navigation, car c'est exactement le résultat que vous obtiendrez.
Je ne crois pas que quiconque au Sénat ou au gouvernement, aujourd'hui, soit réellement aussi cynique que cela. En revanche, je crois que la plupart des gens ne comprennent pas les ramifications de ce projet de loi et que, là où le bât blesse, c'est que des gens vont être touchés au Canada, on va perdre des emplois et certains vont souffrir si l'on ne fait pas notre travail et nos recherches, si l'on ne pose pas les bonnes questions avant de mettre en péril nos lacs et nos rivières. Ces changements vont nuire à certains et des Canadiens vont en souffrir.
Si la loi est modifiée tel qu'on le préconise ici, et si la Loi sur la protection des eaux navigables devient la Loi sur la protection de la navigation, elle ne protègera rien dans 99 ou 97 p. 100 des eaux canadiennes et les Canadiens qui dépendent de ces eaux pour des raisons économiques, récréatives, traditionnelles et culturelles perdront cette protection et devront en payer le prix.
Selon le Lake Ontario Waterkeeper et d'autres organisations sentinelles du Canada, le Sénat devrait demander au gouvernement de scinder le projet de loi et d'organiser de plus amples consultations avant de modifier la Loi sur la protection des eaux navigables, afin de s'assurer que la nouvelle loi profite réellement aux Canadiens et qu'elle n'élimine pas la diligence raisonnable et tout le travail qui doit être fait et qu'on ne laisse pas le soin aux Canadiens de faire face aux conséquences. Merci beaucoup.
Ceci est ma quatrième comparution, je crois, devant le Sénat, pour m'exprimer sur la Loi sur la protection des eaux navigables et j'apprécie cette occasion et cette tribune qui me sont données pour m'exprimer et pour participer au processus décisionnel relatif à ce projet de loi.
Le président : Merci, monsieur Mattson. Nous allons maintenant entendre Audrey Mayes.
Audrey Mayes, analyste principale des politiques, Assemblée des Premières Nations : Merci beaucoup et bonjour à vous, honorables sénateurs.
Je m'appelle Audrey Mayes et je suis analyste principale des politiques en matière de pêches à l'Assemblée des Premières Nations. Je suis originaire de Nouvelle-Écosse; je viens de la Première nation d'Indian Brook, dans la région atlantique.
J'ai plusieurs remarques à faire, ce matin, en ce qui concerne les changements que le projet de loi C-45 propose d'apporter à plusieurs lois. Plus précisément, j'aimerais aborder les amendements et les processus proposés touchant la Loi sur les pêches, la Loi sur la protection des eaux navigables et la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale. En guise d'introduction, j'aimerais souligner que ma présence, ici, aujourd'hui, ne constitue pas une consultation avec les Premières nations. L'Assemblée des Premières Nations est une organisation politique qui ne détient aucun droit autochtone. Le gouvernement du Canada devra entamer des consultations poussées avec les Premières nations, partout au pays, au sujet des amendements proposés par le projet de loi C-45.
En ce qui a trait à la Loi sur les pêches, je vais m'attarder sur les articles 173 à 175 qui modifient la Loi sur les pêches. L'article 175 modifie le projet de loi C-38 en remplaçant la définition du terme « autochtone » se rapportant à la pêche. L'amendement prévu à l'article 175 élimine précisément la reconnaissance de la pêche de subsistance et ajoute les activités de pêche dans le cadre d'une entente sur la revendication territoriale, tout en maintenant la reconnaissance des activités de pêche à des fins alimentaires, sociales ou cérémoniales.
Pour commencer, l'APN s'inquiète de toute tentative qui viserait à légiférer pour définir quelles sont les activités de pêche qui sont reconnues comme étant autochtones. C'est à chacune des Premières nations de déterminer l'ampleur et la nature de ses propres activités de pêche et de laisser aux politiques ministérielles la possibilité de définir les pêcheries à des fins alimentaires, sociales et cérémoniales ou de voir lesquelles sont reconnues comme faisant partie d'une entente de revendication territoriale et qui pourraient donner lieu à une violation des droits des Premières nations.
Le gouvernement doit organiser des consultations intensives et donner la parole aux Premières nations s'il a l'intention d'aborder la nature des droits autochtones et des pêcheries autochtones. La définition, dans sa forme actuelle, exclut certaines pratiques de pêche actuelles, en vertu de droits issus de traités et de droits inhérents. L'expression « accord sur des revendications territoriales » n'inclut pas clairement les traités qui ne contiennent pas d'éléments manifestes relatifs à des revendications territoriales ou à la sécession de terres, tels que les traités de paix et d'amitié sur la côte Est ou les ententes sur les prises sur la côte Ouest et qui n'envisagent pas la possession de terres.
Comme on l'a indiqué lors des audiences devant ce comité, le 7 juin 2012, les Premières nations pratiquent la pêche pour des raisons économiques ou commerciales. La définition omet de reconnaître ces types de pêches, y compris ceux qui assurent « un niveau de subsistance convenable », comme l'a réaffirmé la Cour suprême dans le jugement Marshall, et les pêches commerciales réaffirmées dans le jugement Ahousaht et al.
Si on suit cette logique, il est inquiétant de voir que la définition que l'on retrouve dans le projet de loi C-45 ne fait nullement mention de cette nouvelle compréhension des pêcheries autochtones. Puisque le Canada continue de reconnaître que les pêcheries autochtones dépassent les seules fins alimentaires, sociales et cérémoniales, ainsi que celles expressément énoncées dans une revendication territoriale, le gouvernement risque de se retrouver forcé de rouvrir le texte de la loi plus souvent que prévu pour tenir compte des nouveaux sens que nous donnons aux pêcheries autochtones.
Lors d'entretiens de haut niveau avec le MPO, l'APN a appris que le gouvernement avait l'intention d'interpréter cette définition de manière limitée sur le plan temporel, ce qui signifie que les lieux de pêche qui ne sont pas utilisés — comme c'est souvent le cas pour des raisons de conservation — ne seront plus protégés contre les dommages graves. Cela n'est pas logique et ouvre la porte à l'abrogation ou à la dérogation des droits des Premières nations en laissant péricliter des espèces que pêchent les Premières nations, possiblement au-delà du point de non-retour, ce qui nuirait à la capacité des Premières nations de continuer à exercer leur droit de pêche.
Le projet de loi C-45 devrait être modifié de manière à affirmer clairement que toutes les pêcheries traditionnelles doivent être protégées, qu'elles soient pratiquées actuellement ou, s'il s'agit d'une période de régénération, à l'avenir. Étant donné que les pêcheries autochtones doivent être protégées en vertu de l'article 35 de la Loi sur les pêches, l'APN recommande l'élargissement de la définition pour qu'elle inclue les pêcheries traditionnelles, les pêcheries au sein des traités et des ententes de revendications territoriales et les activités de pêche pratiquées à des fins qui sont conformes aux droits autochtones.
Ces amendements permettraient de faire correspondre le libellé de la Loi sur les pêches au libellé de la Loi constitutionnelle et à la jurisprudence actuelle.
En ce qui concerne l'article 174, l'APN s'inquiète de la portée des pouvoirs discrétionnaires pour administrer le Fonds pour dommages à l'environnement. Les Premières nations utilisent les ressources de manière particulière, ce qui est reconnu par la loi, et elles font une utilisation du poisson bien spéciale et ont des activités de pêche bien spécifiques qui diffèrent de celles des autres utilisateurs de ressources. Il est absolument essentiel de tenir compte des droits et des intérêts des Premières nations lorsqu'on administre le fonds. L'APN préconise que le gouvernement inclue les représentants d'organisations de Premières nations responsables au sein de l'équipe d'évaluation technique chargée d'administrer le fonds. En ce qui a trait à l'article 173, l'interdiction qui frappe tout équipement de pêche qui obstrue la largeur de certains cours d'eau risque d'empêcher les Premières nations de pratiquer des types de pêche protégés et fondés sur des droits et qui nécessitent des filets-pièges ou des sennes. L'APN préconise qu'un amendement vienne expressément exempter les pêcheries autochtones de cette interdiction. J'ajouterais que le gouvernement examine également les retombées de cet amendement sur sa propre évaluation des filets-pièges qui sont utilisés à peu près de la même manière.
J'aimerais maintenant parler un petit peu de nos inquiétudes au sujet de la Loi sur la protection des eaux navigables. Comme pour quasiment toutes les grosses réformes annoncées dans les projets de loi C-38 et C-45, les amendements prévus à la Loi sur la protection des eaux navigables ne tiennent pas compte de l'existence des Premières nations au Canada. À l'instar de la LCEE de 2012, de la Loi sur l'Office national de l'énergie et la Loi sur les pêches, la Loi sur la protection de la navigation ne précise pas si ou comment la Couronne prévoit s'acquitter de son devoir de consulter et d'accommoder les Premières nations.
Toutefois, de nouvelles dispositions dans la Loi sur la protection de la navigation vont plus loin que ces autres textes de loi en enjoignant des consultations avec les Premières nations. En vertu de la loi, Transports Canada, le ministre et le gouvernement n'auront pas la possibilité de consulter les Premières nations ou de tenir compte de leurs droits. Les changements dans la Loi sur la protection de la navigation représentent une tentative du gouvernement de légiférer pour se soustraire explicitement à sa propre Constitution. Cela est fort dérangeant, étant donné que la mise en œuvre du projet de loi C-38 révèle l'intérêt du gouvernement de légiférer pour se soustraire implicitement à ses obligations constitutionnelles, notamment en ce qui concerne la LCEE de 2012 et la Loi sur l'ONE.
Plus particulièrement, le système d'approbation des cours d'eau et des plans d'eau énumérés à l'annexe ne tient aucunement compte des enjeux afférant aux droits des Premières nations. Cela signifie que si le ministre prend une décision au sujet d'une activité ou d'un projet qui affecte les droits des Premières nations, la loi ne lui donne pas la possibilité d'examiner ces droits lorsqu'il donne son autorisation, ce qui garantit des litiges coûteux et complexes dans le cadre de l'approbation des projets.
Vu la façon dont cette disposition est structurée, il n'y a pas moyen d'éviter la confrontation avec les Premières nations, car le ministre est incapable de tenir compte des droits des Premières nations en prenant sa décision pour approuver un projet. Si le ministre ne tient pas compte des droits des Premières nations, le gouvernement devra alors faire face à un examen judiciaire pour des motifs constitutionnels. Si le ministre ne tient pas compte des droits des Premières nations, le promoteur d'un projet demandera un examen judiciaire de la décision du ministre au motif que la décision prise n'est pas conforme au régime établi par la loi. Parallèlement, le système pour approuver ou modifier des ouvrages aux articles 6 et 7 est à peine meilleur, car il permet au ministre de tenir compte de l'intérêt public. D'après notre expérience avec la loi environnementale, l'interprétation que fait le gouvernement de la notion d'intérêt public n'inclut pas les droits des Premières nations. En fait, le gouvernement considère souvent que l'intérêt public va dans la direction opposée à celle des droits des Premières nations.
Comme les autres dispositions de ce projet de loi, celle-ci ne permet même pas au ministre d'entreprendre de brèves consultations auprès des Premières nations. Cela garantit des litiges longs et coûteux avec les Premières nations. Le régime utilisé pour l'inscription des cours et des plans d'eau protégés, en vertu de la loi proposée sur la protection de la navigation, ne permet pas de tenir compte des eaux qui sont particulièrement importantes pour la navigation et pour les activités traditionnelles. Au lieu de cela, l'APN a l'impression que les cours et les plans d'eau protégés par la loi ont été choisis, car ils présentaient d'importants intérêts industriels ou politiques.
Pour aborder brièvement les amendements apportés à la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale, l'APN désire réitérer ses préoccupations générales exprimées au comité, en juin, et qui concernent la transparence, les pouvoirs discrétionnaires du ministre et la capacité du gouvernement à s'acquitter de son devoir de consulter, en vertu de la LCEE de 2012. Les Premières nations n'ont pas été consultées par l'Agence canadienne d'évaluation environnementale, depuis que la loi est entrée en vigueur. Il semblerait que le gouvernement accorde plus d'importance aux ONG environnementales qu'aux Premières nations, à en juger par la façon dont il s'est donné beaucoup de peine pour les rencontrer, lors de l'élaboration des règlements et des politiques pour la LCEE de 2012. Ces amendements viennent confirmer la première analyse qu'avait faite l'APN, à l'effet que la loi a été rédigée au petit bonheur la chance et risque d'entraîner toute une série de conséquences inattendues. Malheureusement, tandis que le gouvernement a écouté certains intervenants dans certains dossiers devant être éclaircis, il continue de faire fi des préoccupations des Premières nations au sujet de leurs droits.
En conclusion, j'aimerais récapituler certaines de mes recommandations. Premièrement, il faut modifier la définition des « pêches autochtones » pour qu'elle inclue les pêches traditionnelles, les pêches visées par les traités et par les ententes sur les revendications territoriales, ainsi que les pratiques de pêche à des fins conformes aux droits autochtones.
Deuxièmement, il faut assurer la présence des Premières nations au sein de l'entité chargée d'administrer le Fonds pour dommages à l'environnement.
Troisièmement, il faut exempter les pêcheries autochtones des interdictions qui frappent les filets-pièges et les sennes.
Quatrièmement, il faut modifier les mesures de protection de la navigation pour veiller à ce que le ministre tienne compte des droits et des intérêts des Premières nations.
Cinquièmement, il faut modifier la liste des eaux protégées, afin d'y inclure les eaux qui sont importantes pour les activités traditionnelles.
Merci beaucoup.
Le président : Merci, madame Mayes. Passons aux questions.
Le sénateur Mitchell : Merci à tous les deux, vos exposés étaient excellents.
Ils partent tous deux de l'idée selon laquelle le gouvernement est en train de s'exonérer de ses responsabilités par le truchement de dispositions légales — comme vous l'avez dit je crois, madame Mayes — et donc de contraindre la population à endosser ce rôle. Par ailleurs, le gouvernement ne donne absolument pas les moyens à la population d'accomplir cette mission, puisque, pour beaucoup de projets, il n'y a même pas de préavis, comme vous l'avez dit, monsieur Mattson.
De plus, cela signifie qu'au lieu d'employer les moyens gouvernementaux pour bloquer un projet, se pourvoir en justice, enquêter ou traduire le promoteur en justice afin de le sanctionner, une grande partie de ce travail sera laissée au propriétaire de chalet ou au canoteur qui se trouve entravé ou lésé par ce projet. Il devra utiliser ses ressources personnelles pour le faire.
Monsieur Mattson, d'un point de vue technique, rien n'empêche un gouvernement — j'y suis opposé, mais il va le faire — de se décharger de sa responsabilité, comme l'examen obligatoire d'un projet par exemple, tout en n'étant pas obligé de dire qu'il n'y a pas de préavis pour ce projet. Le gouvernement pourrait au moins dire qu'il doit y avoir un préavis dans le cas des projets non désignés, non spécifiés, inscrits nulle part. Il me semble que cela ne coûterait rien au gouvernement, mais cela donnerait une chance à la population d'ouvrir un débat avant qu'il ne soit trop tard.
M. Mattson : Oui, sénateur Mitchell, c'est exact. Par exemple la Loi sur l'enregistrement des lobbyistes qui permet de savoir qui effectue des pressions politiques, n'exige pas que le gouvernement fasse quoi que ce soit, mais il donne la possibilité à la population de savoir qui parle au gouvernement et de quoi.
En Ontario, nous avons la Charte des droits environnementaux qui exige que les promoteurs ou ceux qui demandent des certificats d'approbation ou des ordonnances de réglementation inscrivent leurs demandes sur le registre de la Charte des droits environnementaux. Au moins les gens ont l'occasion de faire leur travail et d'obtenir les informations dont ils ont besoin pour se protéger ou pour atténuer les dommages causés à leur communauté.
Cela fonctionne ainsi dans d'autres législations, mais ce n'est pas ce que nous préférons. Nous aimerions que le gouvernement mette en œuvre ses ressources afin de montrer qu'il porte son fardeau, qu'il revendique correctement et s'assure que des erreurs ne soient pas commises. Mais si c'est cela ou rien, alors il faut informer le public, ainsi que les collectivités des Premières nations, les groupes de protection de l'environnement et les passionnés de plein air pour leur donner une chance de faire leur travail et de prendre part à une bonne planification.
Le sénateur Mitchell : L'ironie dans tout cela, c'est que si quelqu'un venait parler à un ministre d'un projet de construction, il devrait en faire part au titre de la Loi sur le lobbying, mais s'il se contentait de mettre en œuvre son projet, il n'aurait à en aviser personne.
Madame Mayes, vous avez soulevé un certain nombre de points très importants concernant le potentiel d'actions en justice résultant de l'érosion des droits des peuples autochtones et d'autres dispositions de cette loi. Ce qui est ironique bien sûr, c'est l'argument du gouvernement selon lequel cela a pour but de rationaliser et d'accélérer les projets, de réduire les tracasseries administratives, et cetera.
Pourriez-vous à nouveau énumérer les cas dans lesquels les peuples autochtones, et d'autres, pourraient utiliser ces points faibles qui sont littéralement mis en œuvre pour retarder des projets parce qu'il existe des opportunités? Et sur quelle base des arguments légaux pourraient-ils être portés devant les tribunaux?
Mme Mayes : Merci. Mon collègue pourra vous répondre aussi.
Je vais énumérer les violations potentielles des droits ancestraux dans la mesure où la définition des « pêcheries autochtones » n'a pas encore fait l'objet d'un examen légal dans le cadre du projet de loi C-6 ni dans les autres projets de loi sur les pêches. C'est l'un des éléments du projet de loi C-45 qui a beaucoup inquiété les Premières nations parce que nous avons des droits protégés par la Constitution.
Nous avons différents types de pêches dans tout le pays. Nous avons des pêches rentables ainsi que des pêches traditionnelles de subsistance. Nous avons aussi différents groupes visés par les traités et différents points de vue dans l'interprétation de ces traités. Nous avons des droits ancestraux. Nous pensons qu'il aurait pu y avoir beaucoup plus de débats avec les Premières nations, au cours d'un processus de consultation plein et entier, qui n'a jamais eu lieu.
Nous aimerions éviter les recours juridiques, mais vu la façon dont la loi est rédigée, ce sera assurément contesté.
Dan Pujdak, analyste des politiques, Assemblée des Premières Nations : Concernant l'avant-projet de protection de la navigation et les préoccupations au sujet des litiges potentiels, comme l'a noté Mme Mayes, on empêche en réalité le ministre de tenir compte des droits et des intérêts des Premières nations lorsqu'il prend des décisions et donne son approbation dans le cadre de l'alinéa 6. À chaque fois que le gouvernement prend une décision ou envisage une action qui pourrait potentiellement porter atteinte aux droits ou aux titres ancestraux des Autochtones, il doit consulter et accommoder. Cette loi laisse peu de place au ministre pour le faire et encore moins pour prendre en compte les intérêts des Premières nations.
Les promoteurs, qui ne sont plus tenus de donner un préavis ni d'obtenir des autorisations, pourraient se trouver en conflit avec des Premières nations locales dans le cas où des travaux de construction ou autres leur interdiraient l'accès à des ressources halieutiques ou à des ressources en eau. Il n'y aurait alors aucune façon valable de procéder et d'engager des discussions préalables, comme cela aurait été exigé auparavant.
Le sénateur Mitchell : Merci. J'ai une courte question technique, monsieur Mattson. Elle entre particulièrement dans le champ de votre exposé.
Il y a cette disposition selon laquelle tout obstacle situé sur une voie navigable dont la dimension est inférieure aux deux tiers de la largeur de la voie est exonéré d'une manière ou d'une autre. Est-il prévu, si le troisième tiers est barré par un banc de sable ou un haut-fond à trois pieds sous l'eau, qu'on remédie à la situation d'une manière ou d'une autre? Si l'on construit sur deux tiers ou moins, ça va, on n'a pas besoin d'en faire état, mais si le reste n'est pas navigable non plus, qui pourra le savoir avant de s'échouer?
M. Mattson : Oui. Sénateur Mitchell, chaque situation requiert un examen approfondi, car certaines rivières sont soumises à la marée. Selon la période de l'année, le niveau sera haut ou bas. L'idée même que seulement les deux tiers d'une rivière seront bloqués est scientifiquement très inexacte à cause du régime des rivières au Canada.
Le dernier point est le plus important. On ne peut pas connaître l'effet qu'aura l'obstacle sur la rivière sans études appropriées et sans une bonne connaissance de la sédimentation. Des bancs de sable se formeront-ils? Y aura-t-il des entraves à la pêche, aux bateaux et à la navigation aux différentes périodes de l'année?
Chaque projet à ses spécificités et nécessite des études approfondies si l'on veut vraiment en atténuer les effets et protéger les gens qui naviguent sur les rivières. Je sais que dans l'ancienne loi, c'était les deux tiers. Je crois que c'est toujours considéré comme n'étant pas une dégradation dans le projet de loi sur la protection des droits de navigation, mais malgré tout dans la nouvelle loi il n'y aura pas ce travail pour identifier les exceptions, les rivières soumises à la marée par exemple, ou prendre en compte la sédimentation qui comblera le dernier tiers en l'espace de trois à cinq ans.
Le sénateur Mitchell : On parle beaucoup de l'obligation constitutionnelle du gouvernement, ou au moins de sa responsabilité définie désormais par les tribunaux, de consulter les nations autochtones d'une manière ou d'une autre pour un certain nombre de projets et d'activités. Mais avez-vous connaissance d'une obligation de consultation pour les projets de promoteurs non gouvernementaux susceptibles d'affecter les droits des peuples autochtones ou les terres autochtones, ou peuvent-ils agir sans vous consulter d'aucune manière?
M. Pujdak : Un dialogue préalable est absolument nécessaire, il faut aussi prendre en compte les intérêts des Premières nations pendant l'avancée du projet et je crois que cela incombe aux promoteurs afin de prévenir les contestations et les problèmes éventuels. Le devoir de consultation et d'accommodement incombe à la Couronne. Il en va toujours de l'honneur de la Couronne, comme l'ont souvent dit les tribunaux.
Le sénateur Lang : Merci. J'aimerais commencer par M. Mattson, si possible.
J'ai sous les yeux votre CV dans lequel vous indiquez que vous siégez au conseil d'administration de Fraser Riverkeeper en Colombie-Britannique, de North Saskatchewan Riverkeeper en Alberta, de Moose Riverkeeper dans le nord de l'Ontario et que vous êtes également le représentant canadien au conseil d'administration de Waterkeeper Alliance, un réseau global. Cela a l'air d'être un travail à temps plein. Pouvez-vous me dire précisément ce qu'est un gardien des eaux?
M. Mattson : Bien sûr. Merci, sénateur. C'est en effet un travail à temps plein. En 2001, j'ai fermé mon étude privée pour devenir gardien des eaux à plein temps. Un gardien des eaux donne un sens et une force aux processus démocratiques, aux lois et aux examens administratifs qui protègent l'eau pour que l'on puisse s'y baigner, la boire et y pécher. C'est à des fins de bienfaisance et c'est mon activité à plein temps. C'est cela mon rôle de gardien des eaux.
Le sénateur Lang : Pour que les choses soient claires, est-ce un emploi rémunéré?
M. Mattson : Oui. Je finance mon propre salaire. Il s'agit d'une organisation caritative, nous dépendons par conséquent de la générosité de nos donateurs. J'ai une équipe à Toronto — un conseiller juridique, un vice-président, un coordonnateur extérieur. Nous organisons des ateliers sur l'eau propre pour des étudiants en droit en Ontario et dans le reste du pays, ils reçoivent une formation sur les processus environnementaux et les lois. J'ai participé à de nombreuses audiences. Nous sommes actuellement partie prenante, par exemple, dans les études de la Commission canadienne de sûreté nucléaire en Ontario. J'y participe régulièrement. J'ai participé à des poursuites privées, notamment comme témoin pour Environnement Canada à Moncton, au Nouveau-Brunswick, au sujet du pont- chaussée de la Petitcodiac et le déversement de déchets. C'est un emploi à plein temps. Je suis payé. Je gagne 90 000 $ par an. Je suis avocat et président de l'organisation à plein temps.
Le sénateur Lang : Je voudrais approfondir un peu, monsieur le président. Je voudrais revenir aux remarques initiales. Mais auparavant, je pense que vous avez connaissance et avez évidemment lu le témoignage qui a été remis au comité avant notre réunion d'aujourd'hui. Le gouvernement essaie de proposer des amendements permettant de trouver un compromis entre nos responsabilités environnementales et notre devoir de permettre le développement économique, lorsque c'est acceptable, dans le pays. Nous examinons la législation fédérale et provinciale en même temps. Comme vous le savez, le projet de loi que nous modifions date de 1882. La question est de savoir comment ce projet de loi s'applique aujourd'hui, par rapport à 1882?
Je voudrais dire ceci : je suis préoccupé lorsque j'entends de telles affirmations venant d'une organisation réputée telle que la vôtre. Vous avez dit : « Vous réduisez les écoulements d'eau, vous les inversez ou les bloquez sans prendre de précaution ni informer les gens. Des maisons seront inondées, des emplois perdus, des pêcheries détruites et surtout des gens seront blessés ou tués. »
Je me demande pourquoi une personne érudite telle que vous ferait une telle affirmation alors que vous savez qu'il existe une loi fédérale sur les pêches que l'on doit respecter dans les cas où les pêcheries sont affectées et qu'il y a un processus public lorsque cela se produit? Vous savez qu'il existe au niveau provincial le programme d'évaluation environnementale et des processus sont requis si l'on modifie des voies navigables. Il y a également dans la plupart, sinon dans toutes les provinces et territoires les Offices des eaux et des ressources hydrauliques, c'est un processus public. Les promoteurs doivent faire des demandes de permis dans les différentes administrations et se conformer aux nombreuses exigences requises par les lois du pays, qu'il s'agisse des lois d'application générale de la province, du territoire ou du gouvernement fédéral. Vous devriez savoir, et je suppose que vous savez que ces processus publics sont exigés par la loi qui constitue peut-être un autre niveau de gouvernement. Les lois sont connues, les gens sont avisés et ont la possibilité de défendre leurs intérêts s'ils sont en désaccord. Pourriez-vous faire un commentaire à ce sujet?
M. Mattson : Oui, monsieur le sénateur. Afin que cela soit bien clair, j'assume entièrement mes observations qui s'appuient sur 23 ans d'expérience du droit environnemental dans ce pays. La Loi sur la protection des eaux navigables a été l'une des plus importantes lois à contraindre les promoteurs et les parties intéressées qui causent des dégradations à nos voies navigables à faire leur devoir. C'est ce travail rendu obligatoire par cette loi qui a finalement déclenché l'essentiel des autres processus dont vous avez parlé — la Loi sur les pêches, la Loi sur les évaluations environnementales de l'Ontario et les lois similaires en Colombie-Britannique, au Québec et en Alberta. Il s'agissait au départ d'exiger du promoteur qu'il identifie les impacts potentiels de son projet. Sans ces précisions concernant la nature de ce qui va être construit, la nature des impacts potentiels et les mesures prises pour les atténuer, sans cette étude, sans ce document rendu public, beaucoup des autres processus que vous avez mentionnés ne sont jamais déclenchés.
Hier, par exemple, j'ai entendu un sénateur dire que le groupe de pression minier était venu dire qu'ils faisaient des évaluations dans le cadre de la Loi sur les pêches dans des secteurs où il n'y a pas de poisson. En tant que poursuivant environnemental et comme personne ayant travaillé sur de nombreuses lois sur l'évaluation environnementale au Canada, connaissant l'industrie minière et les méthodes employées pour l'extraction de l'or, du cuivre ou du nickel, je sais qu'il y a toujours des conséquences sur les voies navigables, et il y a des poissons dans tous nos milieux aquatiques, dans toutes nos rivières et dans tous nos lacs. Si l'on me disait où se trouve cette mine et quelles nappes phréatiques se trouvent aux environs, je m'y rendrais avec avis préalable et avec l'aide de biologistes je poserais des pièges et je prouverai qu'il y a des poissons. Une fois la présence de poissons dans ces eaux prouvée, cela déclencherait d'autres processus qui pourraient en définitive nous permettre d'obtenir une audience d'évaluation environnementale et de faire venir sur place un enquêteur du ministère des Pêches et des Océans au titre de la Loi sur les pêches. Mais sans ce premier pas, sans cette première étude ou cette première annonce de ce qui est en cours et sans l'avis du promoteur selon lequel il n'y a pas de poisson dans l'eau et qu'il n'y aura pas d'obstacle à la navigation dans un secteur où il prévoit de construire une route sur digue ou un barrage, sans cette annonce nous n'avons pas la possibilité de faire des commentaires ou d'alerter d'autres agences gouvernementales sur les permis appropriés ou les processus nécessaires.
La Loi sur la protection des eaux navigables était la meilleure loi dans ce pays s'agissant de dégradation des eaux. C'est sur cette loi que nous comptions tous pour déclencher ces autres processus. Sans elle, et sans même savoir ce qui va se passer sur ces eaux ni ce qui sera construit, je peux vous assurer qu'il y aura des problèmes, qu'il y aura des dégâts, des dégradations et des pertes humaines potentielles.
J'entends le gouvernement dire que cela sera traité par le droit commun et qu'il est possible de lancer des poursuites pour obtenir des sanctions et des réparations. Cela n'est pas approprié en 2012. On ne peut pas revenir au droit commun qui existait avant la mise en place de la Loi sur la protection des eaux navigables en 1880. On ne peut pas revenir au Code Justinien. Nous avons affaire à un gouvernement moderne qui sait qu'il y aura des conséquences et des dommages résultant de détériorations de nos eaux navigables et nous devons prendre des mesures pour empêcher que cela se produise, nous ne pouvons pas laisser les gens se débrouiller pour plaider au tribunal et demander des dommages.
Voilà pourquoi je suis ici aujourd'hui, voici pourquoi je suis si inquiet et je ne crois pas que mes commentaires soient excessifs ou exagérés. Ils sont le fruit de l'expérience et de la connaissance du fonctionnement du processus réglementaire dans ce pays. Nous devons déclencher ces processus grâce à des faits et des preuves. On ne peut pas le faire seulement parce que quelqu'un pense qu'il pourrait y avoir un problème. Ces processus sont déclenchés par les demandes des parties intéressées ou par les promoteurs qui sollicitent le privilège de construire des obstacles sur nos rivières. C'est cela qui déclenche le processus et qui permet en définitive aux autres parties de s'y engager.
Le sénateur Lang : Monsieur le président, si je pouvais poursuivre un petit peu, il me semble que c'est une question...
Le président : Je veux rappeler aux deux parties, ainsi qu'à tous les participants, que les questions et les réponses doivent être aussi succinctes et brèves que possible, n'oubliez pas que tous les sénateurs désirent poser des questions.
Le sénateur Lang : Je voudrais dire une fois de plus au témoin qu'il faut savoir être raisonnable. Je pourrais camper sur ma position et débattre du fait que ces autres processus ont besoin de la Loi sur la protection des eaux navigables pour être déclenchés, je dirais alors que ce n'est pas le cas.
Je voudrais aller plus loin, car il y a un point commun entre ces audiences et celles que nous avons eues par le passé concernant d'autres amendements de cette nature. Ces amendements, comme je l'ai déjà dit, sont une tentative pour apporter un équilibre dans les processus afin qu'il y ait une durée fixée pour évaluer ce type de projet et une échéance pour rendre une décision définitive. Nous avons entendu beaucoup de témoins lors des audiences précédentes. Qu'ils soient pour ou contre le projet de loi, ils ont presque tous dit qu'il existe à l'heure actuelle beaucoup d'exigences qui devraient peut-être faire l'objet d'ajustements afin de rationaliser le processus.
Si nous n'allons pas dans cette direction, quelles seraient vos recommandations pour rationaliser les processus entre le fédéral, le provincial et le municipal afin que nous puissions poursuivre notre développement économique futur dans des conditions raisonnables tout en nous acquittant de nos obligations environnementales? Avez-vous des suggestions?
M. Mattson : Oui, merci sénateur. Je remarque que toutes les lois environnementales qui protègent les eaux de baignade, de boisson et de pêche ont été modifiées ces 10 dernières années, que cela soit en Ontario, où je travaille beaucoup, dans d'autres provinces ou au niveau national. La Loi sur la protection des eaux navigables a été changée en 2009, et les réglementations qui ont été préparées pour en exclure les travaux mineurs et éliminer l'obligation de faire des études environnementales ou déclencher des expertises n'ont jamais été publiées.
Et il y a maintenant ces amendements, en 2012, alors que nous sommes déjà passés par là en 2009, et l'on s'aperçoit avec cette loi budgétaire qu'il ne s'agit pas simplement de trouver un équilibre, mais bien de basculer complètement vers la liberté pour les promoteurs de dégrader les voies navigables canadiennes sans avis préalable ni observation. On élimine aussi la possibilité d'une implication du public alors même que cela ne coûterait rien au gouvernement. Cela ne lui coûterait presque rien d'exiger des parties intéressées qu'elles publient au moins des préavis pour les projets concernant les voies navigables au Canada. Ce n'est pas une question de coût.
Cela ne déclencherait même pas d'évaluations environnementales. Par conséquent, avec cette loi qui supprime l'obligation de préavis et d'observation pour la construction de bermes, de barrages, de routes en remblai ou pour la détérioration des eaux, il n'est question ni de temps, ni d'argent. Il s'agit en réalité d'une tentative d'exclusion du public des processus décisionnels, de supprimer les questions trop poussées quant aux impacts que pourraient avoir ces projets sur les gens.
Il me semble fondamental de ne pas oublier que ce pays est vide. Vous ne pouvez pas sortir pendant un jour ou deux et décréter que parce que vous n'avez vu personne sur ces voies navigables, il n'y a pas de problème de navigation. La navigation est irrégulière et saisonnière. Il peut s'agir de collectivités des Premières nations. Elle peut aussi être annuelle.
Quoi qu'il en soit, il faut interroger les communautés : « Que pensez-vous de ce projet de construction? » Il faut leur demander s'ils ont des inquiétudes, s'ils utilisent ces voies navigables et s'ils ont besoin d'un préavis. Y a-t-il des mesures à prendre pour protéger la santé et la sécurité? Est-ce que cela affectera la glace dans le secteur, au point qu'il ne sera plus possible d'y faire de la motoneige par exemple, ou de l'utiliser comme route là où il n'y en a pas?
Ce sont des questions importantes dans un pays tel que le nôtre. Cela ne coûte quasiment rien d'exonérer les promoteurs de leur obligation de prévenir le public des atteintes à la navigation sur les eaux canadiennes, mais il ne s'agit pas de temps ni d'argent. Il s'agit d'exclure les consultations publiques, voilà pourquoi je suis bouleversé.
Le sénateur Ringuette : Monsieur Mattson, j'ai regardé l'annexe concernant les voies navigables identifiées, mais je ne possède pas de GPS. Je ne vis peut-être pas avec mon temps, mais je n'ai pas de GPS. Je ne parviens pas à localiser la plupart d'entre elles par rapport aux provinces, aux territoires, ou savoir si elles se trouvent dans l'Arctique. Pouvez- vous me dire s'il y a des voies navigables répertoriées dans l'Arctique? Ma question est peut-être trop technique.
M. Mattson : Oui, je suis navré, madame le sénateur, mais je ne dispose pas de ce niveau de détail. Ce que j'ai de mieux c'est une carte produite par mon ami Tony Moss, du WWF, qui repère les eaux répertoriées. Je ne sais pas s'il y en a dans l'Arctique. Je n'ai encore rien vu de plus détaillé venant du gouvernement.
Le sénateur Ringuette : Vous dites que le gouvernement canadien a l'obligation de protéger les gens qui naviguent sur l'eau. C'est une question constitutionnelle. De plus — et j'aimerais avoir votre avis à tous les deux — en 2013, le Canada, aux côtés de la Russie et d'autres pays, sera à la tête d'un processus mondial pour plaider en faveur de la zone arctique. L'un des éléments clés de cette démarche est le partenariat avec les Premières nations et leurs droits ancestraux, ce qui inclut les droits du peuple innu et les eaux navigables de ce territoire.
Ce qui m'inquiète à l'heure actuelle, c'est que tout ceci témoigne d'une vision à très court terme des eaux navigables pour certains projets. À moyen ou long terme, l'avenir économique, la souveraineté des eaux navigables canadiennes et le partenariat avec les communautés autochtones sont en jeu. Par conséquent, la question de la souveraineté dans l'Arctique est également en jeu.
J'espère que quelqu'un du Cabinet du premier ministre et du Bureau du Conseil privé nous écoute et informera le ministère des Pêches et des Océans et le ministère des Transports afin de corriger ce qui est en cours, c'est-à-dire une réduction de la responsabilité du gouvernement fédéral et une mise à mal des débats sur la souveraineté dans l'Arctique au Canada. Je pense que Mme Mayes pourra répondre à ce sujet.
Mme Mayes : Absolument. Merci beaucoup.
Je voudrais insister sur les inquiétudes soulevées par le sénateur Ringuette à propos de la souveraineté des Premières nations dans les territoires traditionnels et dans le Nord. Je ne peux pas parler au nom des Inuits, mais beaucoup des membres de communautés dans le Nord sont des pêcheurs traditionnels. Nous avons des droits de piégeage, de chasse et de cueillette. Ces droits des peuples autochtones sont protégés.
Parmi les enjeux que j'ai répertoriés, ces droits protégés par la Constitution sont également menacés. Les Premières nations du Nord ne pourront plus assurer leur subsistance s'agissant de nourriture, de pêche traditionnelle et de piégeage — il y a beaucoup de piégeage. L'accès aux différentes voies navigables ne sera plus protégé et ne procurera plus de ressources naturelles aux Premières nations.
Merci beaucoup pour votre question. Nous sommes très préoccupés par la souveraineté, pas seulement pour le Canada, mais aussi pour les Premières nations du Nord.
M. Mattson : Merci, madame le sénateur, c'est un point crucial. Les gens pensent souvent que ces processus freinent ou bloquent le développement. C'est une façon très cynique d'envisager la planification correcte exigée par la Loi sur la protection des eaux navigables. La loi elle-même prend aussi en compte les conséquences économiques potentielles et le développement commercial futur. Elle permet de prendre en compte l'impact qu'auront ces projets sur les générations futures et quels en seront les coûts.
Ces processus ne sont pas utilisés, comme le laissent entendre certains, pour ralentir les projets ou nuire à leur rentabilité. Ces processus utilisent des informations de qualité, des données provenant par exemple des Premières nations et d'autres communautés du Nord, afin de s'assurer que les projets ne soient pas mis en œuvre d'une façon qui nous coûtera très cher à l'avenir.
J'ai œuvré pour le démantèlement du pont-chaussée de la Petitcodiac à Moncton. Il a été construit au début des années 1960 et il a échappé aux examens prévus par la Loi sur la protection des eaux navigables et la Loi sur les pêches. Quelque 40 ans plus tard, il nous coûte des millions de dollars, mais la rivière est en train d'être restaurée, car elle a été comblée par les sédiments et la ville portuaire de Moncton ne pouvait plus recevoir de navires venant de l'océan. Ils ont perdu leurs pêcheries de saumon, tous les saumons de la Petitcodiac ont disparu, mais 9 des 10 espèces identifiées sont revenues. Nous payons aujourd'hui les coûts d'une mauvaise planification et d'un mauvais processus 40 ans en arrière, mais heureusement cette rivière peut être restaurée, et le travail est en cours. Cela ne sera pas possible partout. Certaines voies navigables seront perdues à jamais. Voilà pourquoi ces processus ne sont pas tels que les cyniques les décrivent, ils ne servent pas à ralentir le bon fonctionnement de l'économie. Ils permettent au contraire d'améliorer la viabilité économique des projets, au profit de tous les Canadiens.
Merci pour cette question, je crois que quiconque pense que faire ses devoirs constitue une perte de temps ou un travail inutile n'a clairement pas bien réussi ses examens.
Le sénateur Massicotte : Merci à tous les témoins.
Madame Mayes, je veux m'assurer de bien comprendre votre mémoire. Si je l'interprète bien, il traite vraiment du projet de loi C-45, pas de l'autre. Vous semblez préoccupée par le fait que la nouvelle définition ne respecte pas la décision de la Cour suprême. Vous faites part de votre préoccupation, mais sans pour autant dire que le changement est inadéquat. Vous avez des questions, et j'ai cru comprendre que vous en avez fait part au ministère. Vous avez eu des réunions avec le ministre, mais comme vous n'avez pas eu de nouvelles depuis, malgré les belles paroles de vos interlocuteurs, vous doutez que le résultat final vous convienne. Vous n'êtes pas en train d'affirmer qu'il y a un problème, mais simplement qu'il pourrait y en avoir un. C'est bien cela?
M. Pujdak : La définition actuelle pose plusieurs problèmes et soulève une certaine incertitude. Le ministère des Pêches et des Océans a déclaré que les termes « revendications territoriales » s'entendront de tous les traités et nous espérons que le ministère tiendra sa parole et inclura cette définition. Cependant, nous n'en sommes pas certains. La définition ferme la porte à toute nouvelle décision de la Cour suprême qui ajouterait d'autres pêches n'étant pas pratiquées à des fins de consommation ou à des fins sociales ou cérémoniales, ou en vertu d'une revendication territoriale.
Par exemple, il était avant question de pêche de subsistance convenable, qui maintenant n'est désormais plus visée dans cette définition. Il y en a un exemple avec la décision Ahousaht et al., que la Cour suprême du Canada a renvoyée devant la Cour suprême de Colombie-Britannique, où il est indiqué que les Ahousaht ont le contrôle de toutes les pêches commerciales sur leur territoire, mais il n'est pas clair si ces pêches doivent être soumises à des permis émis en vertu de la réglementation fédérale et le mécanisme d'octroi des permis n'est pas précisé. Vous pourriez voir des situations où d'autres pêches sont découvertes et ne rentrent pas dans cette définition. Contrairement à ce qu'affirme le ministère des Pêches et des Océans, cela ne rentrerait pas forcément dans la définition de pêche commerciale.
Le sénateur Massicotte : D'après ce que je comprends, la réponse qu'on vous a donnée visait à vous apaiser et vous persuader que ce ne serait pas un problème, mais comme vous n'avez pas reçu de confirmation écrite, vos préoccupations demeurent. Mais ce sont bien des préoccupations que vous avez et non pas des conclusions auxquelles vous êtes arrivé?
M. Pujdak : Ce serait utile de clarifier les choses par écrit.
Le sénateur Wallace : Merci pour ces exposés.
Ma question rejoint celle du sénateur Massicotte, madame Mayes. Elle concerne votre remarque à propos de la définition de la pêche autochtone. J'étais surpris de vous entendre — et arrêtez-moi si je me trompe — car, lorsque nous avons traité du projet de loi C-38 et que nous avons entendu des représentants de l'APN, j'ai eu l'impression qu'ils réclamaient les changements qui sont proposés dans le projet de loi C-45. Comme vous le savez, la définition d'« autochtone » qui figure actuellement dans la Loi sur les pêches décrit le poisson comme une denrée de subsistance ou une denrée liée à des pratiques sociales ou cérémoniales.
La notion de « pêche de subsistance » a soulevé quelques préoccupations. Le 7 juin, Morley Watson, chef régional de la Saskatchewan pour l'Assemblée des Premières Nations, que vous connaissez sans soute, nous a dit ceci :
Reparlons de la définition du terme « autochtone ». Les communautés autochtones sont habituées à la terminologie : « des fins de consommation ou à des fins sociales ou cérémoniales ». Ils ne sont pas habitués au terme « subsistance ». D'où cela est-il venu? Qu'est-ce que ça signifie? Est-ce que ça veut dire qu'on peut vendre une certaine quantité de poissons? Je le répète, d'après la Cour suprême, on ne parle pas ici de pêche de subsistance, ou de subsistance seule et ça ne règle donc pas votre problème.
Il disait très clairement que l'APN comprenait bien les références à la nourriture, aux aspects sociaux et cérémoniaux. Si je me souviens bien, l'APN prônait l'établissement d'un lien entre la définition et les revendications territoriales, c'est d'après elle ce qui manquait dans le projet de loi C-38.
Quand j'ai examiné les changements proposés au projet de loi C-45, j'ai trouvé qu'ils répondaient exactement aux préoccupations exprimées par l'APN à ce moment-là.
Qu'en pensez-vous?
Mme Mayes : Je vais tenter d'apporter un élément de réponse, puis je laisserai à M. Pujdak le loisir d'ajouter quelque chose.
Pour ce qui est des revendications territoriales, ce ne sont pas toutes les Premières nations au Canada qui ont signé des ententes de revendications territoriales. Nous avons différentes dispositions. Il y a des traités contemporains, comme avec les Nisga'a et les Tsawwassen, et nous avons l'accord-cadre du Yukon. Il y a différentes ententes pour les Premières nations ainsi que les traités et les traités numérotés d'avant la Confédération. Il y a différentes dispositions au sein de ces ententes.
Nous percevons ces ententes comme des dispositions liant les Premières nations et la Couronne. Bien sûr, les pêches de subsistance, sociales et cérémoniales sont des droits au titre de l'article 35, protégés par la Constitution, mais quand on considère les pêches économiques, la pêche de subsistance convenable et des cas ayant fait jurisprudence, nous voulons être certains qu'aucun type de pêche ne passe au travers des mailles du filet.
Par ailleurs, un certain nombre de Premières nations ont fait diligence en matière de repeuplement. Nous avons des pratiques de conservation, cela fait partie de nos traditions. Certaines ressources halieutiques n'ont pas été exploitées à cause de pénuries ou d'un déclin des espèces nourricières pertinentes. Par exemple, si on examine la décision de la Cour suprême dans Marshall, la décision portait sur les anguilles. L'anguille fait traditionnellement partie de la nourriture des Mi'kmaq, mais si cette espèce figure sur la liste des espèces en danger ou tombe sous le coup de la Loi sur les espèces en péril, alors que nous tentons de repeupler les stocks, celle-ci ne peut pas être prise en compte dans la définition actuelle.
Ce sont des pêches traditionnelles, c'est pourquoi nous avons mentionné les pêches traditionnelles dans notre exposé. Nous avons aussi des exemples à propos de l'esturgeon jaune et d'autres espèces que les Premières nations ont traditionnellement pêchées et consommées. C'est pour cela que nous voulions étendre la définition. Bien sûr, nous aimons l'idée d'une définition des « pêches autochtones », mais nous aurions vraiment aimé pouvoir participer à ces échanges pour nous assurer que cela soit fait correctement et que les intérêts des Premières nations soient pris en compte.
M. Pujdak : Je pourrais ajouter qu'on ne sait pas vraiment ce qui sera inclus dans la définition de revendications territoriales figurant dans la loi. Certaines Premières nations ont des accords de pêche avec le gouvernement qui ne tombent pas sous le coup de revendications territoriales sur la côte Ouest. Par ailleurs, comme je vous le disais, il y a ces traités historiques où la notion de terre n'est pas approchée de la même façon. J'ai peur que cela mène à une situation où ce sera le ministère des Pêches et des Océans qui décide ce qui est pris en compte par cette définition et ce qui ne l'est pas.
On pourrait régler ce problème en reprenant le libellé de l'article 35 de la Loi constitutionnelle. Cela apporterait de la clarté et serait cohérent avec les déclarations faites à ce sujet par le ministère des Pêches et des Océans.
Le sénateur Wallace : Je retiens de ce que vous dites qu'une solution unique n'est pas appropriée pour vous, que les situations varient d'un peuple autochtone à l'autre. Dans ce cas, ne serait-ce pas préférable de traiter de ces questions au travers de politiques pour conserver une certaine souplesse plutôt que de l'inscrire dans une loi? Comme vous le dites, il y a peut-être trop de situations et de circonstances différentes. Une politique ne serait-elle pas plus appropriée dans ce cas?
M. Pujdak : Une politique apporte assurément une dose de souplesse, mais si la définition n'est pas assez vaste pour permettre à la politique de prendre en compte tous les types de pêches, alors cette politique pourrait être inefficace.
Mme Mayes : J'aimerais ajouter quelque chose. Les Premières nations souhaitent participer au dialogue concernant les pêches autochtones. Je crois que la préoccupation générale est qu'une fois la loi votée, il sera difficile de revenir en arrière et de faire des changements. C'est une question qui reste en suspens et les Premières nations s'inquiètent de ce qu'on retrouvera dans la définition.
Le sénateur Wallace : Mais le projet de loi C-45 s'inspire du projet de loi C-38. Y avait-il eu des consultations avec les Premières nations avant l'adoption du projet de loi C-38?
Mme Mayes : Malheureusement non et le projet de loi C-38 fut pour nous une surprise. Les Premières nations n'ont pas été consultées du tout. On nous a amenés à penser qu'il y aurait une sorte de processus de participation. Nous avons bien eu quelques séances d'information technique de haut niveau avec le ministère. Cependant, nous n'avons pas vu l'ombre d'un processus de consultation avec les Premières nations où que ce soit dans le pays.
Le sénateur Wallace : Vous parlez de séances d'information. Encore une fois, cela m'a surpris d'entendre cela. Je crois me souvenir qu'il y avait eu des échanges, cela n'était pas sorti de nulle part. Encore une fois, c'était peut-être le degré de consultation qui vous avait posé problème, cela, je peux le comprendre.
Mme Mayes : J'aimerais ajouter que nous avions demandé au ministère de nous communiquer certains documents pour nous aider à nous préparer, de faire des analyses et de nous donner des séances d'information technique. La seule information que nous ayons reçue nous a été présentée durant une réunion d'information technique de deux heures, et c'était des notes manuscrites. Il y a deux jours, quelque chose a été affiché sur le site internet du MPO, donc nous avons maintenant quelque chose avec lequel nous pouvons travailler. Mais nous en sommes à la onzième heure du processus législatif et j'ai donc bien peur que le processus de consultation avec les Premières nations n'ait pas été adéquat.
Le sénateur Patterson : Monsieur Mattson, c'est moi qui avais parlé de l'étang dans le Grand Nord où il n'y avait pas de poissons. Cet étang avait entièrement gelé jusqu'au fond, c'est pourquoi j'en avais parlé.
Je voulais vous poser une question à propos de vos remarques liminaires où vous disiez, si je ne me trompe pas, que le retrait du mot « eau » faisait perdre tout sens à la loi. J'ai rapidement consulté la définition du mot navigation, en anglais, dans le dictionnaire Oxford et j'ai constaté qu'il vient du français « naviguer » qui veut dire se déplacer sur l'eau. Le dictionnaire Oxford parle de la circulation de navires. N'êtes-vous pas d'accord que le mot « navigation » évoque l'eau?
M. Mattson : Je ne crois pas que ce soit pour cette raison que le gouvernement retire le mot « eau ». Ils tentent de démontrer clairement que cette loi traite de navigation et de navires. La notion de l'eau fait partie intégrante de la loi. Il s'agit ici de navigation sur l'eau. C'est de cela dont il s'agit dans la loi. Comme je l'ai dit, il n'est pas question d'air, de routes, de pistes cyclables ou de voies de chemin de fer. Retirer le mot « eau » d'une loi qui traite à 100 p. 100 de navigation sur l'eau paraît injustifié et devoir prêter à confusion.
Je voudrais aussi noter que ces étangs qui gèlent complètement contiennent malgré tout des poissons. C'est une composante importante de la vie en vertu de la Loi sur les pêches. Ces étangs ont toujours été considérés comme des habitats de poissons aux fins de la Loi sur les pêches. Exclure tous les étangs qui gèlent intégralement, sous prétexte qu'ils n'ont pas de valeur écologique ou ne participent pas à la chaîne alimentaire en général, est scientifiquement erroné. C'est pourquoi, lorsqu'un représentant du secteur minier dit qu'il n'y a pas de poissons dans un étang, il faut envoyer quelqu'un sur place pour établir scientifiquement ce qu'il en est et préciser la portée du droit tel que fixé par les décideurs politiques et le gouvernement, cela afin de garantir la protection de ces étangs. Si nous perdons ces étangs et ces habitats de petits poissons, cet écosystème, nous verrons les grands thons rouges ainsi que les autres gros poissons disparaître par manque de nourriture. Les oiseaux migratoires qui survolent ces régions et dépendent de ces poissons à différents moments de l'année sont également importants. C'est pourquoi, lorsque les dirigeants des sociétés minières prétendent que ces étangs ne valent pas la peine d'être protégés, il est très important que la société civile et le gouvernement s'assurent de la véracité scientifique de ce qu'ils avancent en faisant les contrôles préalables et s'assurent que la loi empêchant le déversement de résidus miniers dans les étangs sans pensée pour l'écosystème soit respectée.
Cela démontre parfaitement pourquoi nous devons tenir des consultations publiques et suivre le dossier en nous basant sur des preuves scientifiques et non pas simplement en écoutant les parties intéressées qui, dans le fond, souhaitent simplement éviter de payer l'addition. Si on leur permet d'utiliser nos étangs, lacs et rivières comme bassins de déversement de déchets, ils ne se gêneront pas pour le faire. Mais c'est là que doit intervenir le gouvernement, pour prévenir ces pratiques, les forcer à internaliser ces coûts, protéger le public et que les projets soient mis en œuvre de façon intelligente.
Le sénateur Patterson : Vous serez intéressé de savoir qu'une des sociétés minières opérant dans les Territoires du Nord-Ouest s'inquiétait des dispositions de cette loi qui imposeraient l'obtention d'un permis supplémentaire par le ministère des Transports pour le rejet d'eaux usées ou pour l'usage de petits étangs dans lesquels on déverserait des résidus. Le secteur redoute que cette loi ajoute une étape de certification, en plus de la Loi sur les pêches et des processus écologiques en place dans les Territoires du Nord-Ouest.
J'ai une question pour l'Assemblée des Premières Nations. Vous avez dit que la pêche de subsistance convenable pourrait ne pas se retrouver dans la nouvelle définition d'« autochtone ». Si l'on se préoccupe de la destruction des habitats des poissons, la définition du projet de loi C-38 à ce sujet, qui inclut la pêche commerciale, n'envisage-t-elle pas la protection de la pêche de subsistance convenable qui d'après vous était exclue de la définition du projet de loi C-45?
M. Pujdak : Dans l'arrêt Marshall, qui articule l'idée d'une pêche de subsistance convenable, il est expliqué qu'une pêche de subsistance convenable est différente d'une pêche commerciale. C'est également ce qui a été présenté à ce comité en juin 2012. Pour être protégée en vertu de l'article 35, une pêche commerciale requiert un permis. Il y a un problème pour les Premières nations qui ont une économie de pêche, sans qu'elle soit commerciale, ou qui n'ont pas le bon régime de permis qui tombe sous la définition de « commercial » en vertu de l'article 35. Je dirais que ce n'est pas très clair à ce stade. Il est très difficile de donner une réponse précise, car nous manquons de directives écrites, d'orientations et d'interprétation de la part du ministère des Pêches et des Océans.
Le sénateur Patterson : J'aimerais poser une question aux représentants de l'APN. Merci de votre présence.
Pour revenir aux préoccupations que vous avez exprimées, je garde à l'esprit que les droits des peuples autochtones sont protégés par la loi fondamentale du pays, à l'article 35 de la Constitution. Vous avez exprimé votre préoccupation à cause de la façon dont pourraient être interprétées ces définitions, et vous vous demandez si les termes « accords de revendication territoriale » auraient une portée suffisante pour inclure d'autres dispositions ou contrats passés entre la Couronne et les peuples autochtones.
N'êtes-vous pas rassurés par le fait que les droits des peuples autochtones sont protégés par la Constitution et donc que les gouvernements, et si nécessaire les tribunaux, devraient élargir la définition des droits des peuples autochtones aux pêches?
Mme Mayes : Merci pour votre question, sénateur. Pour ce qui est des différents pourparlers engagés avec les Premières nations au sujet de la protection des droits des peuples autochtones, il y a en effet la Constitution, mais la définition est importante. Il y a différentes dispositions avec les peuples autochtones et ils auraient eu avantage à participer au débat pour s'assurer que ces définitions englobent non seulement ces droits spécifiques qui ont été reconnus par la Cour suprême, mais également ceux qui n'ont pas encore été revendiqués devant les tribunaux.
Il y a toujours des questions non réglées pour ce qui est de la mise en application d'arrêts de la Cour suprême au Canada. Certaines Premières nations ont exprimé leur frustration à ce sujet. Certaines décisions n'ont pas été complètement honorées. On s'inquiète que la définition rentre dans la loi et qu'ensuite le seul recours soit les tribunaux. Il est bien sûr compliqué et très coûteux d'aller devant les tribunaux et de nombreuses Premières nations n'ont pas les ressources pour le faire de toute façon.
Nous aurions aimé un processus en vertu duquel les Premières nations pourraient aider à résoudre les questions en suspens. Je sais que, sur la côte Est, les gens sont en train de négocier un traité et qu'ils parlent notamment de ce qu'une subsistance convenable veut dire. Bien sûr, il y a différents traités en cours de rédaction au pays et ces différentes interprétations auraient pu aider le gouvernement lors de la rédaction de cette loi.
Le président : J'aimerais remercier les témoins. Madame Mayes, monsieur Pujdak et monsieur Mattson, merci d'avoir pris le temps de venir nous présenter vos points de vue. C'est très apprécié.
(La séance se poursuit à huis clos.)