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ENEV - Comité permanent

Énergie, environnement et ressources naturelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles

Fascicule 46 - Témoignages du 30 mai 2013


OTTAWA, le jeudi 30 mai 2013

Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd'hui, à 8 h 2, pour mener son étude sur l'état actuel de la sécurité du transport en vrac des hydrocarbures au Canada.

Le sénateur Richard Neufeld (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bienvenue à la présente réunion du Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles. Je m'appelle Richard Neufeld. Je représente la Colombie-Britannique au Sénat, et je suis président du comité. J'aimerais souhaiter la bienvenue aux sénateurs, aux membres du public présents dans la salle et aux téléspectateurs de toutes les régions du pays.

Je demanderais maintenant aux sénateurs de se présenter, en commençant par le vice-président.

La sénateur Mitchell : Grant Mitchell, de l'Alberta.

La sénatrice McCoy : Elaine McCoy, de l'Alberta.

La sénatrice Seidman : Judith Seidman, de Montréal, au Québec.

Le sénateur Wallace : John Wallace, du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Enverga : Tobias Enverga, de l'Ontario.

La sénatrice Unger : Betty Unger, d'Edmonton, en Alberta.

Le président : Madame la sénatrice, je vous souhaite la bienvenue à la réunion du comité. Nous avons hâte d'entendre vos questions.

J'aimerais vous présenter les membres de notre équipe, à savoir Lynn Gordon, greffière, ainsi que Sam Banks et Marc LeBlanc, analystes de la Bibliothèque du Parlement.

Le 28 novembre 2012, le Sénat a autorisé le comité à entreprendre une étude sur la sécurité du transport des hydrocarbures au Canada. Dans le cadre de cette étude, nous allons examiner et comparer les régimes réglementaires et les normes en vigueur au pays et à l'étranger en ce qui a trait au transport sécuritaire des hydrocarbures par pipelines, par pétroliers et par trains, de même que les pratiques exemplaires utilisées ici et ailleurs. À ce jour, nous avons tenu 12 réunions sur cette question. En outre, nous nous sommes rendus à Calgary pour recueillir des faits, et nous avons visité des sites à Sarnia et à Hamilton, en Ontario.

Je suis heureux d'accueillir les membres du premier groupe de témoins de notre réunion d'aujourd'hui. Il s'agit de William David, directeur, Exécution des droits, et de Daniel Pujdak, analyste principal en matière de politiques, Exécution des droits, Assemblée des Premières Nations. Je vous souhaite la bienvenue, messieurs. Nous sommes ravis que vous soyez ici aujourd'hui. Je vais vous demander de nous présenter votre exposé, et je suis certain que les membres du comité auront ensuite quelques questions à vous poser.

Merci. Allez-y.

William David, directeur, Exécution des droits, Assemblée des Premières Nations : Merci beaucoup. Je fais partie de l'unité chargée de l'exécution des droits de l'Assemblée des Premières Nations, l'APN. Notre organisation a été restructurée récemment, et ce que nous appelons l'unité d'exécution des droits est le fruit de la réunion de nos dossiers et de nos activités de programme portant principalement sur les droits fonciers et l'environnement. Je suis originaire d'Akwesasne, et je possède de l'expérience en génie et en droit de l'environnement.

Pour commencer notre exposé, je vous présenterai quelques brèves observations préliminaires, puis je céderai la parole à mon collègue, qui abordera d'autres sujets. Nous répondrons ensuite à vos questions.

Je tiens à mentionner très rapidement que nous avons rédigé un mémoire, mais que nous n'avons malheureusement pas été en mesure d'y mettre la touche finale à temps pour la réunion d'aujourd'hui, car nous tenons aujourd'hui notre journée portes ouvertes. Je crois que tous les membres du comité ont reçu une invitation. Si ce n'est pas le cas, je les invite à venir faire un tour dans nos bureaux entre 15 heures et 18 heures.

Mes observations seront d'une portée relativement générale. Notre mémoire comporte des renseignements un peu plus détaillés. Pour l'essentiel, notre exposé a pour but de vous faire savoir que le transport des hydrocarbures et la sécurité du transport des hydrocarbures sont, pour les Premières Nations, des questions d'une importance cruciale, surtout celle du transport, qui a sur les Premières Nations des répercussions différentes de celles qu'elle a sur d'autres personnes et organisations du Canada et des États-Unis.

Les répercussions sur les Premières Nations peuvent également toucher d'autres personnes. C'est le cas, par exemple, des effets sur la santé humaine. Toutefois, ces répercussions peuvent toucher les communautés des Premières Nations d'une façon distincte en raison de leur éloignement. De fait, cet éloignement peut allonger le délai d'intervention.

La prise en compte des droits est un élément qui revêt plus d'importance pour nous. Bien que les autres Canadiens — en fait, l'ensemble de la population du pays — entretiennent une relation très étroite et très distincte avec l'environnement, bien souvent, leur mode de vie a des effets dommageables sur l'environnement. Il se trouve que le mode de vie des Premières Nations est étroitement lié à l'environnement. Tout dommage occasionné aux ressources environnementales peut avoir une incidence sur la salubrité de nos aliments, nos droits issus de traités et nos droits naturels d'exploitation des réserves fauniques. De fait, c'est exactement ce qui s'est passé au cours des dernières années, surtout dans les cas où des déversements importants sont survenus.

Par conséquent, il est crucial de communiquer aux Premières Nations des renseignements sur les interventions en cas d'urgence, et de les mettre à contribution de manière à ce qu'elles sachent ce qui est transporté sur leurs territoires, et même, dans certains cas, sur leurs réserves.

À ce propos, l'une des préoccupations liées aux pipelines les plus fréquemment mentionnées est l'utilisation de diluants et d'agents de surface visant surtout à faciliter l'écoulement des hydrocarbures dans les canalisations. Ces produits sont également utilisés dans le cadre du transport ferroviaire et maritime des hydrocarbures, mais nous ne savons pas dans quelle mesure ils le sont. Bien souvent, les Premières Nations ignorent la nature des produits qui sont transportés sur leurs territoires traditionnels, à savoir les réserves, et qui pourraient avoir des répercussions sur leurs ressources essentielles, ce qui constitue en soi un problème. Les produits chimiques qui sont ajoutés aux hydrocarbures ou le mélange qui en résulte peuvent avoir des effets imprévisibles, multiples et extrêmement graves sur les ressources qui présentent un caractère essentiel pour les Premières Nations, principalement les ressources halieutiques et fauniques.

Le fait de ne pas connaître la nature des produits transportés représente un problème pour les gouvernements et les Premières Nations, surtout pour les gouvernements des Premières Nations, vu que nous ne connaissons pas les effets qu'ils auront sur l'environnement. Bien souvent, aucune information n'est transmise aux Premières Nations quant à ce qui circule dans ces canalisations ou sur les effets que ces produits pourraient avoir sur leurs habitats, leurs ressources et leurs terres. Il s'agit d'un problème.

Selon l'APN, le cadre utilisé au pays est fondé sur le consentement préalable donné en connaissance de cause. Tout le monde devrait à tout le moins s'entendre sur le fait que les consultations et les mesures d'adaptation constituent un cadre solide permettant de régler les problèmes liés aux ressources. Nous ne sommes pas certains de savoir comment les Premières Nations peuvent faire l'objet de mesures d'adaptation ou même être consultées si elles ne connaissent même pas le sujet de la consultation.

Nous sommes d'avis que, avant de construire tout nouveau pipeline, de modifier de façon substantielle une proposition de pipeline ou, par exemple, une proposition liée au transport maritime ou ferroviaire, il faut obtenir le consentement des Premières Nations.

Faire passer sur notre territoire un véhicule ferroviaire destiné au transport de voyageurs est une chose, mais faire passer un véhicule pouvant transporter du pétrole brut ou du bitume en est une autre. Nous croyons qu'une proposition liée au transport de pétrole brut ou de bitume déclenche l'obligation de consulter.

À ce sujet, avant de céder la parole à mon collègue, j'aimerais mentionner que le projet de loi C-38 et le projet de loi C-45 ont donné lieu à une foule de modifications de la Loi sur l'Office national de l'énergie. L'une des modifications les plus négligeables a trait à l'obtention d'un statut ou du statut d'intervenant auprès de l'Office national de l'énergie. Il s'agit d'une préoccupation que l'Assemblée des Premières Nations a soulevée l'an dernier. Nous avons pu constater la façon dont les choses se sont déroulées, et nous avons établi que, dans les faits, les Premières Nations ont de la difficulté à obtenir ne serait-ce que le statut d'intervenants auprès de l'Office afin de soulever des problèmes liés aux droits, aux consultations et aux mesures d'adaptation.

Les règles relatives au statut doivent être assouplies, ou nous devrions peut-être songer à instaurer un processus réglementaire totalement différent afin de respecter les droits des Premières Nations, vu qu'elles n'ont pas accès actuellement au processus réglementaire lié aux questions environnementales.

Sur ce, je cède la parole à mon collègue.

Daniel Pujdak, analyste principal en matière de politiques, Exécution des droits, Assemblée des Premières Nations : Les processus d'approbation dont M. David vient de parler posent quelques problèmes de fond. Cela dit, une fois que les approbations sont octroyées et qu'un réseau de transport est constitué — qu'il s'agisse d'un réseau de transport par pipelines, d'un réseau de transport ferroviaire ou d'une voie de circulation pour le transport des hydrocarbures — d'importantes questions surgissent quant à la capacité actuelle des Premières Nations d'intervenir en situation d'urgence.

Le problème lié à la capacité d'intervention comporte deux volets. D'une part, nous ne disposons pas d'un nombre suffisant de données sur la capacité actuelle. Transports Canada mène présentement une étude à ce sujet. À ce moment- ci, aucune Première Nation ne possède de représentant au sein du comité chargé de cette étude, et aucune Première Nation n'a reçu une aide financière aux participants, ce qui remet en question l'aptitude des responsables de l'étude à prendre en considération tous les éléments liés à l'actuelle capacité d'intervention des Premières Nations.

D'autre part, on doit tenir compte de la structure des programmes en vigueur. À l'heure actuelle, Affaires autochtones et Développement du Nord Canada mène quelques initiatives de portée générale sur la gestion des urgences en collaboration avec les Premières Nations. Cependant, à ce moment-ci, aucun financement n'a été alloué aux initiatives touchant les interventions d'urgence axées sur les hydrocarbures.

L'éventualité d'un déversement d'hydrocarbures soulève d'autres questions relatives au lendemain de l'incident, par exemple, au chapitre de la responsabilité et des dédommagements.

Le Canada dispose d'un cadre très solide en matière de déversement de pétrole en mer. Le Canada s'en remet à trois fonds internationaux, notamment celui de la Convention sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, lequel permet à l'État d'intenter une poursuite contre un armateur en cas de déversement. Si ces fonds ne suffisent pas, il en existe d'autres. Le gouvernement du Canada gère ici la Caisse d'indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par les navires. Les sommes versées sont limitées, et les fonds ne sont octroyés que pour certaines raisons, par exemple, pour mener des activités de réhabilitation écologique ou pour compenser les pertes de revenus subies par les pêcheurs. Toutefois, on ne sait pas vraiment encore si la responsabilité englobe les dommages culturels infligés aux Premières Nations.

Par exemple, les Autochtones possèdent des droits naturels en ce qui concerne de nombreuses ressources naturelles, qu'il s'agisse du poisson, de la faune ou des plantes utilisées à des fins traditionnelles ou médicinales. Toutefois, il est difficile d'établir la valeur de ces trois points. Il est difficile de les chiffrer. Nous ne savons pas vraiment si, sous le régime actuel, la responsabilité s'étend aux dommages de ce genre.

De plus, à ce moment-ci, une indemnité ne peut être accordée que dans les cas où la pollution est causée par un navire; ainsi, le régime actuel n'offrirait aucune protection dans un cas où, par exemple, un train transportant des hydrocarbures déraillerait et se déverserait dans un fleuve.

Enfin, le transport des hydrocarbures soulève de multiples questions liées aux domaines de compétence. Il faut que les domaines de compétence des gouvernements des Premières Nations en ce qui a trait aux lois traditionnelles et à la gouvernance et les domaines de compétence provinciale ou fédérale soient harmonisés. Chacune de ces parties a un rôle à jouer au moment d'établir la responsabilité incombant à chaque administration. À ce moment-ci, il n'existe aucun processus visant à harmoniser tout cela.

Cela met fin, pour l'essentiel, aux observations que nous tenions à formuler. Je crois que nous sommes prêts à passer à la période de questions et de réponses, à moins que M. David ait quelque chose à ajouter.

Le président : Merci. Je vais poser les deux ou trois premières questions.

Vous avez dit que les modifications récentes touchant l'Office national de l'énergie avaient restreint la capacité des Premières Nations d'accéder au financement offert aux intervenants.

J'aimerais que vous m'indiquiez les audiences de l'ONE pour lesquelles vous n'avez pas réussi à obtenir du financement. Je suis au courant des audiences qui sont tenues, mais j'aimerais savoir quelles sont celles pour lesquelles vous n'êtes pas parvenus à obtenir des fonds.

M. David : Ce qui pose problème, c'est non pas l'accès au financement, mais l'accès au processus. Il est arrivé deux fois que nous ne puissions pas y accéder. Soyons clairs : nous voulions garder l'esprit ouvert quant à la manière dont la loi est interprétée. Nous croyons qu'il est possible d'interpréter la loi de manière à en conclure que les Premières Nations peuvent accéder au processus.

Les deux cas dont nous avons été informés sont celui du pipeline Trans Mountain de Kinder Morgan, pour lequel la Première Nation Tsleil-Waututh a tenté, en vain, d'obtenir le statut d'intervenant — elle pourrait déposer une demande de contrôle judiciaire —, et l'autre cas, c'est celui des audiences liées au prolongement du pipeline no 9. Même si aucune décision n'a encore été rendue, la quantité de paperasse à remplir afin d'obtenir le statut d'intervenant a soulevé des discussions au sein des Premières Nations et de leurs organisations. Les critères établis par l'ONE et la quantité de renseignements que les Premières Nations devaient produire en vue de pouvoir participer au processus ont constitué, dans les faits, un obstacle à l'obtention, par les organisations des Premières Nations, du statut d'intervenant.

Nous ne disposons pas de renseignements sur la question de savoir si l'ONE a refusé d'octroyer aux Premières Nations un quelconque statut dans le cadre d'un processus lié à ce projet, mais les efforts qui doivent être déployés afin d'accéder au processus sont considérés comme un obstacle.

Le président : En toute honnêteté, en tant que personne originaire de la Colombie-Britannique, je serais étonné que les Premières Nations ne reçoivent aucun financement pour participer aux audiences sur le pipeline Kinder Morgan. Je crois qu'elles ont soumis la semaine dernière les premiers documents liés à leur demande. Il s'agit d'un élément qui m'intéresse beaucoup.

M. David : Une fois que l'on obtient le statut d'intervenant, on reçoit du financement, et je suis certain que les Premières Nations auraient des questions à soulever quant au caractère suffisant de ce financement. Cependant, nous n'en sommes pas encore rendus là dans notre examen de l'application de la loi. Ce qui pose problème, c'est non pas l'accessibilité au financement, mais l'accessibilité au processus en tant que tel de l'ONE.

Le président : Je peux comprendre votre commentaire en ce qui concerne le caractère suffisant du financement. Personne ne dispose de fonds suffisants. Toutes sortes de gens de toute provenance nous le répètent constamment. Je peux comprendre cela.

En mars, Doug Eyford a été désigné pour travailler auprès des Premières Nations, surtout dans le cadre de projets de production d'énergie menés dans l'Ouest. Pouvez-vous me dire si vous ou quiconque a rencontré M. Eyford et, le cas échéant, la manière dont la rencontre s'est déroulée? Pouvez-vous m'indiquer comment ces réunions se sont passées et me donner votre avis à leur sujet.

M. David : Je n'ai aucune opinion sur de telles réunions en tant que telles. Je ne crois pas que nous l'ayons encore rencontré. Je pense que nous avons eu des échanges avec lui afin de tenter de ménager une quelconque rencontre, mais si j'ai bonne mémoire, nous avons indiqué que nous préférerions qu'il s'entretienne d'abord avec les Premières Nations de la Colombie-Britannique.

L'enjeu tient aux difficultés qu'éprouve l'APN en ce qui a trait aux capacités et au caractère suffisant du financement. Nous ne disposons d'aucune structure permettant aux Premières Nations de toutes les régions du pays — ou, plus particulièrement, de la Colombie-Britannique — de mener des discussions en profondeur sur ces sujets ou sur les pipelines en général. Il y a un grave problème au chapitre des capacités. Nous ne pouvons discuter que de problèmes stratégiques de portée générale. Je préférerais laisser le soin aux Premières Nations de la Colombie-Britannique de formuler leurs propres commentaires là-dessus. Si je ne m'abuse, à ce jour, l'APN a fait valoir qu'il serait préférable que M. Eyford mobilise les Premières Nations avant de se présenter devant elle.

Le président : Savez-vous si le chef Shawn Atleo l'a rencontré?

M. David : C'est à cela que je fais allusion, oui.

Le président : Vous n'êtes pas certain de savoir s'il l'a rencontré ou non?

M. David : C'est exact.

Le président : D'accord. Merci.

Le sénateur Mitchell : Merci beaucoup d'être ici. Je suis très intéressé par les diverses façons dont les organisations autochtones disposant d'une assise territoriale et les organisations autochtones de la région côtière font valoir leurs droits en ce qui concerne, par exemple, le projet de pipeline Gateway, de même que par les diverses répercussions que de tels projets auront sur elles. Au cours d'un discours qu'il a prononcé il y a plusieurs mois, l'ancien ministre Jim Prentice a dit que les organisations autochtones de la région côtière n'avaient pas du tout été consultées.

Pouvez-vous nous donner une idée des droits des Autochtones dans le cadre d'un tel processus? De toute évidence, le pipeline ne passera pas sur leurs terres, mais la question des déversements demeure. De quelle façon s'y prennent-ils pour faire valoir leurs droits à ce chapitre?

M. Pujdak : Par suite des modifications apportées par le projet de loi C-38 à la Loi sur l'Office national de l'énergie, la prise en compte des répercussions en amont et en aval n'est plus du ressort de l'ONE. Cela signifie que les Premières Nations côtières dont les terres sont situées en aval n'auront pas accès à ce processus, comme nous l'avons mentionné précédemment. Pour ce qui est des droits, les Premières Nations de la côte et celles du continent ont chacune leur manière d'exposer et de faire valoir les droits énoncés à l'article 35.

En Colombie-Britannique, un grand nombre de Premières Nations sont très actives dans le secteur des pêches. Les Premières Nations côtières se font beaucoup entendre au sujet de leurs droits en matière de pêche en Colombie- Britannique. Toutefois, en ce qui concerne le projet de pipeline en question, en tant que membre de l'APN, je ne suis pas certain d'être la personne la mieux placée pour commenter la manière dont les Premières Nations de la Colombie- Britannique invoquent leurs droits. J'estime qu'il s'agit là d'une chose que les Premières Nations doivent faire de façon respectueuse.

Le sénateur Mitchell : Il s'agit d'une bonne observation. Vous répondrez peut-être de la même manière à la prochaine question. Vous allez évoquer le fait que les ressources allouées en cas de déversement ou pour des activités de remise en état par suite d'un incident lié à un pipeline étaient insuffisantes, mais qu'en est-il du problème lié à la côte? Savez-vous si une organisation côtière, le gouvernement ou les sociétés de pipeline elles-mêmes se sont penchés sur la question des interventions en cas de déversement en mer et des ressources allouées dans de telles occasions au moment d'élaborer la proposition liée au pipeline Gateway? De nombreuses communautés autochtones sont situées dans ces régions isolées.

M. David : Tout d'abord, nous ne le savons pas. La seule chose que je peux dire et qui peut être liée à cela, c'est que, dans le cadre des annonces qu'il a faites concernant les projets de loi C-38 et C-45, le gouvernement a indiqué, si je ne m'abuse, que des sommes substantielles seraient investies pour assurer la sécurité de la zone côtière en cas de déversement. Toutefois, nous ne disposons d'aucun renseignement à ce sujet. Je serais étonné d'apprendre que les Premières Nations côtières ont eu leur mot à dire, mais cela est tout à fait possible.

Le sénateur Mitchell : Dans de tels cas, est-ce qu'une solide relation de travail est établie entre une organisation autochtone et une société de pipeline? Est-ce que des leçons ont été tirées de cela? S'il arrive que les choses se passent bien, à quoi cela tient-il? À quoi accorderiez-vous une place importante à cet égard?

M. David : Sur le fait d'engager très tôt un dialogue approfondi et de l'entretenir. La société doit faire preuve d'un profond engagement. Je crois qu'il existe un certain nombre d'exemples de cas où cela s'est produit dans le cadre de projets de développement, y compris des projets de pipeline.

L'unique réserve que je formulerais à propos des pipelines — et elle est liée à l'une des choses qui distinguent les projets de pipeline des autres projets de développement — tient au fait qu'ils traverseront un certain nombre de territoires traditionnels des Premières Nations. Pour qu'un projet de pipeline soit couronné de succès, il faut que la société de pipeline engage le dialogue avec toutes les Premières Nations intéressées.

Je suis certain qu'il existe des exemples de collaboration entre une Première Nation et une société de pipeline. Toutefois, je ne sais pas trop s'il existe une société qui soit capable d'obtenir le consentement de toutes les parties concernées.

Le sénateur Patterson : Merci, monsieur le président. Je remercie nos invités de leur exposé instructif. Monsieur David, j'ai été un peu étonné par le fait que vous ayez avancé, au moment où vous parliez des difficultés auxquelles se butent, selon vous, les Premières Nations au moment de tenter d'obtenir un statut, qu'il serait préférable d'instaurer un processus d'examen distinct axé sur les droits des Autochtones plutôt que de modifier le processus ou les règles touchant l'obtention d'un statut. S'il s'agit d'un problème, je suis d'accord pour dire qu'on doit le régler. Cependant, comment justifieriez-vous la création d'un processus axé sur les intérêts d'un intervenant — en l'occurrence, les droits des Autochtones — plutôt que sur ceux des propriétaires fonciers, des sociétés ou d'autres parties? Comment justifieriez-vous cela? Ne serait-il pas préférable que toutes les parties intéressées soient réunies dans une même salle?

M. David : Oui, ce serait l'idéal, mais ce n'est pas ce que prévoit le processus actuel.

Il s'agit là de l'élément central de la plupart des mémoires que nous avons déposés à propos des projets de loi omnibus et de la plupart des tentatives que nous avons faites depuis leur adoption afin d'engager un dialogue avec l'État à propos de la réforme de la réglementation et de l'exploitation responsable des ressources. Si cela pouvait être fait, ce serait merveilleux.

Cela n'a pas été le cas. Il s'agit là d'une chose qui n'est pas propre aux réformes découlant des projets de loi C-38 et C-45. Depuis belle lurette, il est difficile de soulever ces problèmes dans le cadre du processus de réglementation.

Pour répondre à votre question, je vous dirai que je justifierais cela en faisant valoir que les droits des Premières Nations sont des droits constitutionnels. Les processus de réglementation découlent des lois, lesquels reposent sur la Constitution.

En toute honnêteté, s'il n'est pas possible de faire valoir des droits constitutionnels au moyen d'un processus de réglementation ou d'un processus stratégique — et encore moins au moyen d'un texte législatif —, j'estime qu'il serait peut-être utile d'envisager d'instaurer un autre processus qui permettrait de le faire. Il s'agit de la dure réalité. Il se trouve que les droits de propriété n'ont jamais été intégrés à l'article 7 de la Charte. Les droits des Autochtones sont protégés par l'article 25 de la Charte et l'article 35 de la Loi constitutionnelle.

Le sénateur Patterson : Merci de ces commentaires. Monsieur Pujdak, vous avez mentionné que Transports Canada menait une étude sur les capacités, mais qu'aucun financement n'avait été prévu, si j'ai bien compris, pour la participation ou la mobilisation des Premières Nations. Ma question est très simple : avez-vous demandé à participer à cette étude? Le cas échéant, à qui vous êtes-vous adressé?

M. Pujdak : En fait, nous avons été informés du fait que l'étude était menée, et nous avons communiqué maintes fois avec Transports Canada avant d'être invités à y participer.

Lorsque nous avons discuté avec des représentants du ministère à propos de l'aide financière aux participants et pour nous assurer que les Premières Nations joueraient un rôle actif dans le cadre du projet, ils nous ont dit de nous adresser au sous-ministre, et nous lui avons envoyé une lettre pour lui signaler ces préoccupations de l'APN. Nous continuerons de faire savoir que cela nous préoccupe.

Le sénateur Patterson : Vous avez évoqué les droits culturels et le fait que vous craignez qu'ils ne soient pas pris en considération dans le cas de dommages occasionnés par un déversement. Vous connaissez la politique de Transports Canada. Je crois qu'il est juste de dire que, de façon générale, le pollueur assume la totalité des coûts liés aux travaux de nettoyage. Je sais que vous avez mentionné qu'il y avait une limite. Est-il déjà arrivé que les droits culturels, comme vous les appelez — et qui concernent, par exemple, les plantes et les herbes utilisées à des fins médicinales — n'aient pas été reconnus dans le cadre d'un processus relatif à des dommages, ou s'agit-il d'une préoccupation hypothétique?

M. David : À notre avis, dans le cas du déversement du pipeline Rainbow, qui est survenu il y a tout juste deux ou trois ans, ni les droits culturels des Premières Nations ni leurs droits en matière de santé humaine n'ont été suffisamment pris en considération. On a même eu de la difficulté à mobiliser les communautés des Premières Nations. Cela s'est produit en Alberta.

En fait, le problème était davantage attribuable aux dispositions réglementaires provinciales, mais quoi qu'il en soit, nos droits n'ont pas été pris en compte dans ce cas-là.

En ce qui a trait au principe du pollueur-payeur, je tiens également à signaler que, si je ne m'abuse, un tribunal ontarien a récemment rendu un jugement qui permet de penser que ce principe n'est pas un principe directeur des lois environnementales aussi solide que nous le pensions. Cela éveille aussi quelque peu notre méfiance.

En ce qui concerne les droits des Autochtones, et les droits des Premières Nations en particulier, je tiens à mentionner que des dommages qui ont pour effet de miner la capacité des Premières Nations d'entretenir une relation avec la terre sont des dommages qu'aucune indemnisation ne peut compenser, mais également des dommages qui peuvent aussi équivaloir à une dénégation totale des droits des Premières Nations, et donc à une violation de la Loi constitutionnelle. En outre, ces dommages pourraient être considérables au point de se traduire par la disparition d'une pratique culturelle et d'un mode de vie. À ce chapitre, pour les Premières Nations, l'enjeu est très élevé, surtout dans les cas de déversements importants, lesquels, je le reconnais, sont plus rares que les déversements mineurs, mais semblent se produire à une fréquence alarmante. Je ne veux pas m'en prendre uniquement aux pipelines, car le transport maritime et le transport ferroviaire ont donné lieu à un nombre non négligeable de déversements importants. L'enjeu est élevé.

Le sénateur Patterson : À coup sûr, je vous saurais gré de me fournir de plus amples renseignements à propos de ce jugement.

La sénatrice McCoy : Vous avez répondu à une partie de mes questions en répondant aux questions de mes collègues. Votre exposé était excellent, mais il y a quelque chose que je tente de comprendre. Dans un monde idéal, que choisiriez-vous? Nous avons le choix entre le transport par navire, le transport par train et le transport par pipelines. Les projets doivent faire l'objet d'une approbation préalable, et des mesures d'intervention en cas d'urgence sont en place. Je présume qu'il y a également des activités. J'imagine qu'il y en a à peu près huit, mais votre demande serait quelque peu différente dans chaque cas. Je ne suis pas certaine de bien comprendre ce que vous demandez.

M. David : L'une des choses à faire, ce serait d'envisager l'instauration d'un processus d'approbation différent et, comme vous le dites, de réfléchir à la manière dont les Premières Nations sont mobilisées à divers égards. J'avancerais que, sur bien des plans, par exemple, celui des activités, cette mobilisation est très restreinte. En fin de compte, j'aimerais que l'on reconnaisse de manière suffisante l'importance des droits naturels issus de traités des Premières Nations, l'importance de la protection de l'environnement pour la préservation de la culture des Premières Nations, et le fait qu'on doit leur donner l'occasion d'exposer la façon dont elles souhaitent être mobilisées.

Les Premières Nations sont toutes favorables au développement, mais pour autant qu'il s'agisse de développement durable. Il faut que l'on donne l'occasion à chaque Première Nation d'exposer, dans le cadre de toutes les phases d'un projet, sa vision de la responsabilité et du développement responsable.

À l'heure actuelle, le gouvernement tente continuellement, au moyen d'une série de propositions, de politiques, de règlements et de processus d'approbation distincts, d'influer sur ce qui représente pour nous une seule et même question fondamentale, à savoir celle de savoir comment nous devons nous y prendre pour faire reconnaître nos droits par l'État, pour établir un lien entre ces droits et notre environnement et nos ressources, et pour cerner et énoncer une vision d'avenir en matière de développement responsable. La meilleure solution serait de disposer d'une marge de manœuvre suffisante, mais elle est difficile à obtenir, vu que nous devons constamment entrer en contact avec le gouvernement à propos des activités, des mesures d'intervention et des approbations. S'il n'y avait qu'une chose que je pouvais obtenir, ce serait celle-là.

La sénatrice McCoy : J'imagine que les choses seraient beaucoup plus complexes, vu le caractère diversifié des Premières Nations à l'échelle du pays et l'emplacement de chaque instance.

M. David : En effet, les observations que nous avons formulées ici aujourd'hui reflètent en partie cela. Il est difficile pour nous de faire des commentaires sur la situation particulière de plusieurs Premières Nations, vu que c'est à elles qu'il revient d'exposer leur vision en matière de développement responsable, de même que leur avis en ce qui concerne non seulement leurs droits en général, mais également leurs droits en cas de déversement de pétrole, ce qui représente en soi un sujet très technique.

La sénatrice McCoy : Nous avons reçu hier des représentants des services d'intervention en cas d'urgence maritime de la côte Est. Nous n'avions qu'une heure à leur consacrer et, bien entendu, cela n'était pas suffisant pour entendre tout ce qu'ils avaient à nous dire. Ce qui me frappe, c'est qu'ils n'ont pas manifesté la moindre réceptivité à l'égard de questions touchant les Premières Nations. Pourtant, ils doivent intervenir à tout le moins très fréquemment sur quelques-uns de leurs territoires traditionnels. Par exemple, ils se sont occupés du nettoyage à la suite du déversement de Rainbow Lake.

M. David : Lorsqu'il s'agit d'interventions, et il y en a très peu. Une autre chose qui serait utile et que nous demandons, c'est que l'on engage davantage le dialogue avec les Premières Nations. Dans le cas du déversement de Rainbow Lake, le problème tenait aux personnes qui avaient engagé ce dialogue et au contenu des discussions. Je pense que ces discussions ont eu lieu principalement par médias interposés ou par le truchement d'organisations comme la nôtre. Il s'agissait davantage d'un problème de nature politique que d'un problème lié à l'intervention, et ce, uniquement parce que des communications en bonne et due forme n'avaient pas été établies. Cela complique les choses, car lorsque l'on se retrouve dans une situation d'urgence, on n'a pas le temps d'établir ces communications. Par conséquent, les discussions deviennent de nature politique, alors qu'elles devraient être de nature technique.

La sénatrice McCoy : Il s'agit d'établir des relations approfondies et à long terme.

M. David : Les facteurs qui concourent à la réussite d'un projet d'exploitation des ressources ou d'un projet de construction de pipeline sont les mêmes, car ils se résument tous à l'établissement de relations.

Le sénateur Mitchell : Très bien. Merci beaucoup. Monsieur David, vous avez mentionné que le fait qu'un train de passagers traverse vos terres ne vous préoccupait pas, mais que le fait qu'un pipeline soit construit sur votre territoire vous préoccupait. Qu'avez-vous à dire à propos des trains de marchandises qui transportent du bitume? J'imagine que vous avez eu des discussions à ce propos. Vous êtes-vous penché expressément sur les avantages et les inconvénients de ce type de transport par rapport aux pipelines?

M. David : Oui. L'Assemblée des Premières Nations a adopté une résolution afin d'appuyer le lancement d'une étude de faisabilité sur la proposition formulée par G7G — G Seven Generations Ltd. — en ce qui concerne le transport de bitume par train depuis, je crois, Hardisty, en Alberta, jusqu'au pipeline Trans-Alaska, à Valdez, en Alaska. Je ne suis pas certain que l'APN soit favorable à la proposition, mais elle veut se pencher sérieusement sur sa faisabilité. Je peux prévoir qu'un tel projet soulèvera un certain nombre de questions très complexes sur les plans technique et juridique, surtout pour les Premières Nations établies le long de la route qu'empruntera le bitume. Non seulement l'APN examine-t-elle ce projet, mais en outre, elle estime qu'on devrait l'examiner davantage.

Le sénateur Mitchell : Vous n'avez pas encore tiré de conclusion sur la question de savoir s'il s'agit d'un mode de transport plus ou moins sécuritaire que d'autres. Compte tenu des options qui s'offrent à vous et toutes choses étant égales par ailleurs, vous n'avez encore adopté aucune position quant à la solution qui serait le plus acceptable?

M. David : Non, nous ne sommes pas près d'y arriver. Nous voulons nous assurer que nous disposons de tous les renseignements requis pour prendre une telle décision. Je tiens à souligner très clairement qu'il s'agit d'une décision qui sera prise par les Premières Nations concernées. Cela dit, il s'agit d'une chose que nous examinons.

Le sénateur Mitchell : Il y a une chose à propos de laquelle j'aimerais obtenir votre avis. Si j'ai bien compris, le gouvernement fédéral a le pouvoir d'exproprier des Autochtones s'il décide, en fin de compte, d'aller de l'avant avec le projet. J'imagine que l'expropriation représenterait un dernier recours. Il ne s'agirait pas d'une mesure très judicieuse. Savez-vous s'il s'agit d'une mesure que le gouvernement pourrait prendre? Pourrait-il véritablement procéder à des expropriations? Est-ce que cela est déjà arrivé dans le cadre d'un projet de pipeline?

M. David : J'ignore si cela est déjà arrivé. Je ne le pense pas. À mon avis, le gouvernement ne pourrait pas faire cela.

Le sénateur Mitchell : En définitive, cela confère énormément de pouvoir aux organisations autochtones. Elles n'ont qu'à dire non. Quel est le recours?

M. David : La position de l'APN et le droit canadien sont clairs : dans certains cas, il peut être obligatoire d'obtenir le consentement inconditionnel des Premières Nations avant de lancer un projet de développement. Il faut établir un juste équilibre entre cela et le fait que le droit canadien ne prévoit aucun droit de veto. En d'autres termes, les Premières Nations ne peuvent pas rejeter arbitrairement un projet. Cependant, si une proposition ou un projet a des répercussions suffisamment nuisibles sur les cultures et les droits des Premières Nations, leur consentement inconditionnel est requis, et, dans une telle situation, elles ne le donneraient vraisemblablement pas.

Le sénateur Wallace : Monsieur David, comme tous les Canadiens, sans doute, vous êtes préoccupé par le transport du pétrole. Vous voulez avoir une bonne idée de ce qui est transporté, comprendre les éléments liés à la sécurité et connaître la capacité d'intervention en cas d'incident. Tous les propriétaires fonciers, y compris les Premières Nations, ont de telles préoccupations, surtout en ce qui concerne la capacité d'intervenir en cas d'incident.

Avancez-vous que le processus d'approbation d'un projet lié au transport par pipeline ou par un autre moyen ne permet pas aux communautés des Premières Nations d'obtenir ces renseignements? D'après moi, dans le cadre d'une audience, tous ces renseignements seraient divulgués, et il serait possible de savoir si tel ou tel projet aura des répercussions sur les propriétaires fonciers privés ou les communautés des Premières Nations. Êtes-vous préoccupé par le fait que vous n'êtes pas en mesure d'obtenir ces renseignements ou par le fait que le processus actuel ne vous permet pas d'obtenir suffisamment d'information?

M. David : Ces deux éléments nous préoccupent. Le Département d'État a signalé un problème touchant la capacité d'obtenir des renseignements en ce qui concerne les mesures d'intervention liées à la fuite du pipeline Keystone. La justification évoquée dans ce cas-là était que du benzène était utilisé pour diluer les hydrocarbures. Une fuite est survenue. Les premiers intervenants sont arrivés sur les lieux. Le benzène est volatil, ce qui signifie qu'il se transforme en gaz lorsqu'il est exposé à l'air. Les intervenants ignoraient que les hydrocarbures comportaient un composé volatil, et cela a donné lieu à un certain nombre d'accidents de travail. Aucun des intervenants présents ne savait que les hydrocarbures contenaient du benzène. Nous croyons comprendre que l'industrie fait valoir que les questions de ce genre, à savoir la nature des produits utilisés pour diluer les hydrocarbures, relèvent du secret commercial. Par conséquent, les sociétés ne sont pas disposées à divulguer de telles informations. La question de savoir si les Premières Nations peuvent les obtenir dans le cadre du processus nous préoccupe. Il s'agit d'une première préoccupation à ce sujet.

La deuxième, qui concerne davantage les ressources et les capacités, est extrêmement importante. Supposons que nous savons que du benzène ou de l'hexachlorobenzène est utilisé pour diluer les hydrocarbures. Les Premières Nations doivent être en mesure de comprendre la nature de ces produits et leurs effets sur l'environnement, et de connaître leur écotoxicité. Il s'agit d'une question de nature technique. Il faut également qu'elles soient en mesure d'établir un lien entre tous ces renseignements et leurs droits et la manière dont elles utilisent les ressources concernées. Ainsi, il faut non seulement que les Premières Nations obtiennent l'information, mais qu'elles sachent l'utiliser, car elle est de nature très technique. Par conséquent, il y a deux éléments à prendre en considération.

Le sénateur Wallace : De toute évidence, cela serait d'une importance cruciale dans le cas où des mesures d'intervention d'urgence devraient être prises à la suite d'un déversement. Cependant, il me semble que cela préoccupe tous les Canadiens et tous les propriétaires fonciers, et non pas uniquement les Premières Nations. Je vous vois hocher la tête. J'en conclus que, ce que vous vouliez nous dire, c'est que, dans le cadre de notre examen des aspects liés à la sécurité du transport du pétrole, il s'agit d'une chose que nous devons prendre au sérieux au moment d'effectuer une évaluation ou de formuler des recommandations quant à la capacité d'intervenir à la suite d'un incident afin de récupérer le contaminant déversé et de prendre des mesures de réhabilitation afin de régler tout problème d'ordre environnemental. Il est important de comprendre les tenants et aboutissants d'un déversement de manière à ce que nous puissions intervenir de façon appropriée. Ce problème ne concerne pas exclusivement les Premières Nations.

M. David : Non, en effet. Le problème tient à l'accessibilité de l'information. Aux États-Unis, on appelle cela le « droit de savoir ». Pour ma part, je me plais à appeler cela tout simplement l'« accessibilité de l'information de nature environnementale ». Il s'agit de quelque chose qui concerne tout le monde. Notre unique problème tient au fait d'établir ensuite des liens entre cette information et les enjeux qui nous sont propres. Quant aux autres intervenants, ils doivent faire la même chose.

Le sénateur Wallace : Monsieur David, j'ai cru comprendre que vous avanciez que les Premières Nations voulaient être en mesure d'intervenir à la suite d'un incident et de réduire au minimum les répercussions environnementales, ce qui est compréhensible. Là encore, comme on a pu le constater dans le passé, tous les Canadiens ont cette préoccupation et veulent contribuer aux mesures d'intervention. Cependant, la réalité, c'est que, sur le plan juridique, la responsabilité de la prise de mesures d'intervention incombe au transporteur. Il doit disposer des fonds requis pour ces interventions. Des régimes de financement sont accessibles à cette fin. Vous avez soulevé la question du caractère suffisant de ces fonds. Il s'agit d'une question légitime. Êtes-vous d'accord pour dire qu'il incombe non pas aux propriétaires fonciers — y compris les communautés des Premières Nations —, mais aux transporteurs d'intervenir à la suite d'un incident et de mettre en œuvre des mesures de réhabilitation?

M. David : Il faut aussi tenir compte du fait que les Premières Nations ne constituent pas un simple groupe d'intérêt parmi tant d'autres.

Le sénateur Wallace : Je comprends tout à fait cela.

M. David : Les Premières Nations sont aussi des gouvernements. Par conséquent, en tant que gouvernements, les Premières Nations veulent, entre autres, disposer de capacités en matière d'intervention d'urgence. Par exemple, beaucoup de Premières Nations veulent posséder la capacité d'intervenir à la suite, par exemple, d'un déversement qui a des répercussions sur leurs ressources. Il s'agit du premier élément.

Le deuxième, c'est que, en règle générale, les activités d'intervention sont dirigées par le gouvernement fédéral ou un gouvernement provincial, et il se peut que ni l'un ni l'autre n'ait envie de protéger les ressources qui ont de l'importance sur le plan culturel pour les Premières Nations ou ne possède pas les connaissances requises à cette fin. Il s'agit là de l'autre raison pour laquelle les Premières Nations veulent participer à la direction des activités d'intervention, voire aux activités d'intervention en tant que telles.

Je souligne également que, même s'il est vrai qu'il est souhaitable que la société en cause assume ses responsabilités, il est également vrai que le gouvernement fédéral et une foule d'administrations provinciales et municipales utilisent leurs capacités en matière d'intervention d'urgence dans un certain nombre de circonstances, y compris un déversement, et ils peuvent récupérer les coûts engagés pour ces mesures auprès de la société. Je suis porté à croire que les Premières Nations veulent être en mesure de faire cela elles aussi.

Le sénateur Wallace : De toute évidence, le comité doit se pencher sérieusement sur la qualité des mesures d'intervention et la capacité d'intervenir de façon efficace.

M. David : Oui. J'avancerais aussi qu'il y a des avantages supplémentaires à ce que les Premières Nations possèdent une capacité en matière d'intervention d'urgence. Les pipelines ne sont pas l'unique source de problèmes d'ordre environnemental. Les réservoirs de stockage souterrains sont un autre problème environnemental dont nous avons hérité. Si vous disposez de la capacité d'intervenir à la suite d'un incident lié aux hydrocarbures, vous avez la capacité d'intervenir pour régler des problèmes d'une nature différente. En ce qui concerne les questions de ce genre, le hic, c'est qu'il existe un vide sur le plan des champs de compétence — on ne sait pas trop si elles relèvent de la compétence fédérale ou provinciale, ce qui constitue l'autre raison pour laquelle les Premières Nations veulent posséder une capacité d'intervention en cas d'urgence. Cela dit, toute capacité d'intervention qui serait en mesure de prendre en considération les droits, les intérêts et les besoins des Premières Nations serait accueillie avec satisfaction.

Le sénateur Massicotte : J'aimerais que vous m'éduquiez un peu. Vous avez répondu plus tôt à quelques questions concernant l'expropriation. Je ne sais pas trop de quoi il retourne. Vous avez également mentionné que vous estimiez que l'on devait obtenir votre approbation — pour autant, bien entendu, que ce soit raisonnable — avant de mener tout projet ou de construire tout pipeline. Je sais qu'il existe une différence entre les droits issus de traités et les autres droits, et je peux comprendre votre vision des choses, mais j'aimerais que vous me fournissiez des renseignements. Je sais que les consultations constituent le nœud du problème. La portée que doivent avoir ces consultations n'a pas été définie de façon juridique, mais j'aimerais savoir quelle place elles doivent occuper. Le fait de vous consulter ne signifie pas nécessairement que l'on doive obtenir votre approbation. Quelle distinction faites-vous entre consultations et approbations et quelle place doivent-elles occuper?

M. David : L'obligation de consulter découle de deux ou trois affaires qui ne mettaient pas vraiment en cause les droits issus de traités — elles concernaient les efforts déployés par les Premières Nations afin d'établir leurs droits, qui n'avaient pas encore été reconnus. L'obtention de cette reconnaissance par le truchement de traités ou de poursuites est un processus qui peut être très long.

Un tribunal a conclu qu'il serait injuste envers les Premières Nations de permettre que des activités de développement aient lieu sur des territoires dont le statut faisait l'objet de pourparlers ou de litiges si ces Premières Nations ne participaient pas d'une façon ou d'une autre à ces activités. Pour les Premières Nations, cela aurait pu équivaloir à une victoire à la Pyrrhus. Le tribunal a donc décidé — et c'est de là que découle l'obligation de consulter et d'accommoder les Premières Nations — de recourir à une solution provisoire afin de contraindre les Premières Nations et l'État à discuter de la manière dont des terres visées par des revendications doivent être utilisées. Cette solution a également été appliquée aux droits issus de traités. Consultation et accommodement vont de pair, de sorte que le fait de discuter avec les Premières Nations ne suffit pas. Il doit s'agir d'un dialogue de bonne foi. Si les droits ou les intérêts revendiqués par l'État ou par les Premières Nations sont établis de manière suffisamment solide, l'État doit prendre certaines mesures d'accommodement de manière à ce qu'elles puissent exercer ces droits pour que cela ne se traduise pas ultérieurement, là encore, par une victoire à la Pyrrhus, ou pour empêcher que la culture d'une Première Nation soit plus ou moins éradiquée avant qu'elle obtienne gain de cause dans le cadre d'une revendication territoriale. Il serait paradoxal de faire cela.

Nous songeons à une vaste gamme d'exigences liées à la consultation et à l'accommodement. D'une part, dans les cas où les revendications des Premières Nations sont plus ou moins fondées et où les intérêts qu'elles font valoir sont flous ou négligeables, l'État n'a peut-être qu'à transmettre un avis et à écouter ce que les Premières Nations ont à dire. D'autre part, dans les cas où les Premières Nations veulent exercer un droit fondamental, un droit essentiel pour leur culture, leur consentement est peut-être nécessaire.

C'est ce que le tribunal a décidé. En outre, le droit international est très clair à ce sujet. Le consentement préalable donné librement en toute connaissance de cause, comme on l'appelle, des Premières Nations est requis si l'État envisage de mener une quelconque activité de développement sur leurs terres ou leurs territoires qui pourrait donner lieu à une contamination environnementale du lieu où se trouvent leurs ressources.

Le sénateur Massicotte : Cependant, d'après ce que j'ai entendu, la conclusion... vous utilisez le mot « consultation » et lui attribuez une définition au cas par cas. Bien sûr, je peux être d'accord avec cela. Tout dépend de votre raisonnement et de son contenu. Cependant, la conclusion, c'est que, si l'État mène des consultations appropriées — ne tentons pas de définir en quoi consistent de telles consultations, car la définition variera selon les personnes —, il a le droit de donner le feu vert à un projet de pipeline, même s'il s'agit d'un pipeline qui traverse des terres visées par un traité.

M. David : Si les Premières Nations ont soulevé des problèmes propres à un projet, y compris un projet de pipeline, et si, d'après les tribunaux, l'État a pris un nombre suffisant de mesures d'accommodements, ils autoriseront l'État à aller de l'avant.

Le sénateur Massicotte : Si des discussions sincères et des consultations appropriées sont menées, et si la valeur du projet est établie, l'État se verra reconnaître ce droit, même si les Premières Nations s'opposent au projet.

M. David : Les tribunaux ont établi cela de façon très claire. Il s'agit là de la position qu'ils ont adoptée. Quant à nous, nous estimons que le consentement des Premières Nations doit être obtenu avant le lancement de tout projet de développement sur l'un de leurs territoires. Ce point de vue s'appuie sur diverses raisons, entre autres le fait que la plupart des Premières Nations ne possèdent presque plus rien en raison de l'effet cumulatif de la dégradation de l'environnement causée par le développement sauvage sur leurs terres et les agressions culturelles commises contre elles. Les Premières Nations se défendront vigoureusement contre tout projet pouvant avoir une quelconque incidence sur leurs droits naturels ou issus de traités.

Le sénateur Massicotte : Je comprends cela, mais je crois que les tribunaux ont conclu essentiellement que l'on a le droit d'exécuter un projet si des consultations appropriées sont menées.

M. David : Oui.

La sénatrice Unger : Monsieur David, si je ne m'abuse, vous avez mentionné que les Premières Nations appuieraient un projet de transport de pétrole par train depuis Hardisty jusqu'à Valdez, en Alaska. Est-ce bien là ce que vous avez dit?

M. David : Non. Durant nos réunions, les représentants des Premières Nations peuvent formuler des propositions à l'intention de tous les membres de l'Assemblée, à savoir tous les autres chefs des Premières Nations du Canada. Ils peuvent demander à l'APN d'envisager la prise de telle ou telle mesure, par exemple le fait de soutenir des initiatives prises par une Première Nation.

L'un des chefs a soumis la proposition que l'Assemblée des Premières Nations appuie une étude de faisabilité touchant le transport d'hydrocarbures par train. Nous ne menons pas l'étude. Nous sommes favorables à ce qu'une étude de faisabilité soit menée.

La sénatrice Unger : Quel circuit emprunterait le chemin de fer?

M. David : Il traverserait le Nord de l'Alberta, peut-être — ou peut-être pas — une partie de la Colombie- Britannique et le Yukon, pour aboutir en Alaska.

Le sénateur Patterson : Envisageriez-vous d'approuver le projet de la vallée du Mackenzie?

Le sénateur Enverga : Je crois comprendre que des discussions ou des pourparlers sont menés de façon continue avec les Premières Nations. Où en sommes-nous? En sommes-nous seulement au début du processus, ou est-ce que des travaux de développement ont débuté? Sur une échelle de 1 à 10, pouvez-vous m'indiquer le degré d'avancement du processus de négociation? Pourriez-vous formuler des observations à ce sujet?

M. David : Voulez-vous parler des négociations relatives aux droits des Premières Nations en général?

Le sénateur Enverga : Oui, c'est exactement cela.

M. David : En 1982, le Canada a promulgué la Loi constitutionnelle, laquelle préconisait la reconnaissance et l'affirmation des droits des Premières Nations, de même que la tenue de trois conférences constitutionnelles visant à les définir. Pour autant que je sache — pardonnez-moi si je me trompe, mais je suis trop jeune pour y avoir assisté —, ces conférences ont débouché au mieux sur un résultat ambigu quant à la position des Premières Nations du pays à propos de la définition de l'article 35.

Je suis passé à l'âge adulte après la fin de ces discussions constitutionnelles, à une époque où les Premières Nations ont commencé à s'adresser aux tribunaux. Les tribunaux ont énoncé une série de théories et défini un certain nombre de droits. Je ne veux pas faire preuve d'un pessimisme outrancier, car l'une des obligations imposées par les tribunaux et respectées plus ou moins de bonne foi par les gouvernements est celle d'engager un dialogue. Le dialogue ne s'est jamais interrompu. Les traités continuent à faire l'objet de négociations bilatérales. Les stratégies de mise en œuvre des traités continuent de faire l'objet de pourparlers, mais il y a encore beaucoup de chemin à faire. J'estime que ce serait une grave erreur que d'affirmer que la conclusion d'un traité règle tous les problèmes, vu que la façon dont les traités sont mis en œuvre pose également des problèmes.

Le sénateur Enverga : Envisageriez-vous d'approuver le projet de pipeline? Faites-vous allusion à cela, ou plutôt aux traités en général?

M. David : Je parle des traités en général, mais ce sont les droits issus de traités en cause qui permettent de décider de l'ampleur des consultations requises, de déterminer si le consentement des Premières Nations est requis et d'établir l'incidence d'un projet de pipeline sur les droits garantis par les traités.

Pour revenir à votre question, je vous dirai que même les droits fonciers naturels les plus fondamentaux des Premières Nations n'ont toujours pas été reconnus officiellement. En d'autres termes, les seuls droits fonciers que possèdent les Premières Nations sont ceux qui sont reconnus expressément par l'organe politique du gouvernement.

Pour la première fois, un tribunal pourrait établir, à l'issue d'une affaire en cours en Colombie-Britannique, que les droits naturels et acquis des Premières Nations en matière foncière demeurent en vigueur et continuent d'être pertinents au sein du droit canadien.

Nous n'en sommes pas encore là. Dans l'intervalle, les négociations continueront de se dérouler lentement, vu que, selon moi, en toute honnêteté, l'État est loin d'être certain de comprendre de quoi il retourne. Les Premières Nations énoncent clairement ce à quoi elles croient avoir affaire, mais j'avancerais qu'il existe un fossé, voire un gouffre, entre notre position et celle de l'État.

Des efforts visant à combler ce gouffre sont déployés, de façon sporadique. De façon excessivement générale, je dirais que nous sommes encore assez loin du but, malgré le fait que les discussions sont en cours.

Le sénateur Enverga : Avons-nous fait de quelconques progrès?

M. David : Certaines Premières Nations et certains groupes de Premières Nations ont fait des progrès par rapport aux traités. Il y a des traités qui sont conclus. De temps à autre, des stratégies de mise en œuvre des traités sont mises au point, mais, pour ce qui est de la situation générale, encore une fois, il y a des discussions en cours. Des discussions sont actuellement en cours concernant les stratégies de mise en œuvre des traités, des stratégies relatives aux revendications globales. Ces discussions ne s'arrêtent jamais.

Ce qui pose problème, c'est l'ambiguïté venant du fait que les discussions ne sont pas terminées, j'imagine, par rapport à la détermination des répercussions et à l'exploitation des ressources. Le problème est en grande partie réglé dans une optique de consultation et d'accommodement.

Le sénateur Enverga : Nous sommes-nous donné des échéances à ce chapitre?

M. David : Non.

Le sénateur Patterson : J'aimerais dire rapidement que je suis suffisamment âgé pour avoir participé aux trois conférences sur les droits des Autochtones en question. Celles-ci ont été fascinantes, parce qu'on y a sincèrement cherché un terrain d'entente dans le cadre d'un processus fédéral-provincial-territorial-autochtone très officiel.

J'aimerais donner suite aux questions du sénateur Massicotte. Vous avez dit une chose qui m'a intéressée, monsieur David : nous ne sommes pas contre la mise en valeur des ressources. Je veux vérifier.

Vous avez soulevé des préoccupations pertinentes — et je vous en remercie — concernant les lacunes sur le plan de la mobilisation, et même des activités. J'estime pour ma part qu'il s'agit d'une mauvaise pratique commerciale de la part des entreprises, lorsqu'il y a des obstacles perçus à la participation au processus réglementaire, y compris la nécessité de réviser les règles concernant le statut et le fardeau administratif. Vous vous plaignez également de l'absence de participation des Premières Nations à l'élaboration des plans d'intervention d'urgence. Ce sont vos terres, et c'est vous qui vivez le plus près des lieux en question.

Je partage cette préoccupation, et j'encourage les rangers à être disponibles pour intervenir dans ma région, au Nunavut. Si nous réglons ces trois problèmes, disons — et je pense que nous les avons notés —, serait-il juste de dire que les Premières Nations aborderaient tout projet d'exploitation des hydrocarbures avec ouverture? C'est ce que vous avez dit. Est-ce la politique officielle de l'APN?

M. David : Pour que ce soit très clair, l'APN ne dit pas quoi faire aux Premières Nations; c'est plutôt le contraire. Les Premières Nations nous communiquent des positions que nous devons présenter. Nous n'avons donc pas de politique à ce sujet.

Je ne peux vous parler que de mon expérience. Pour être franc, je vous dirais qu'il est très difficile de convaincre certaines Premières Nations de participer à des projets d'exploitation des hydrocarbures. Il est aussi très difficile d'en convaincre certaines de participer à des projets d'exploitation de l'uranium. Il y en a d'autres qu'on aura du mal à convaincre de prendre part à des projets d'hydroélectricité, parce qu'elles ont l'expérience ou ont entendu parler d'expériences de formes particulières d'exploitation qui ont complètement ou presque détruit la collectivité.

Ce ne sont pas toutes les Premières Nations qui vont être vraiment ouvertes à l'exploitation des hydrocarbures. Cependant, je garde de ma carrière dans le domaine des enjeux environnementaux et des Premières Nations l'impression nette que les chefs des Premières Nations sont presque toujours disposés à envisager les projets de mise en valeur des ressources, et ce, parce que les Premières Nations sont aux prises avec une kyrielle de problèmes notamment en matière de santé, d'emploi et de protection de l'environnement.

Si les entreprises commencent à discuter rapidement et de bonne foi avec les Premières Nations, et si elles le font souvent, je pense qu'elles vont constater que celles-ci sont un auditoire très réceptif. Je ne veux pas faire de reproches à l'industrie, parce que je ne pense pas qu'elle soit vraiment à l'origine du problème. C'est davantage du côté de l'État que le problème se pose. Les Premières Nations ont avec la Couronne une relation préexistante qui va se poursuivre, et pas nécessairement avec les entreprises en question, quoique celles-ci puissent nouer cette relation. Les problèmes touchant le processus réglementaire sont davantage des problèmes de politique gouvernementale que des problèmes de relations ou de politiques des entreprises.

Je crois que les gens sont mieux disposés qu'on le pense souvent, mais je crois aussi que le mécanisme réglementaire en général et la non-reconnaissance constante des droits inhérents et issus de traités des Premières Nations nuisent grandement au processus relatif aux politiques et aux relations avec les entreprises. J'ai pitié des représentants de ces entreprises qui vont voir les Premières Nations et qui doivent régler toutes sortes de problèmes, dont la plupart ont peu de choses à voir avec leurs projets. Les chefs des Premières Nations et l'État leur demandent d'apporter une solution magique à beaucoup de ces problèmes, parce que c'est la seule chose qu'ils voient.

Le président : Merci, monsieur David, monsieur Pujdak, de votre exposé.

J'aimerais apporter une correction au compte rendu. Nous n'avons pas nommé la bonne organisation lorsque la sénatrice McCoy a posé une question. Nous avons rencontré des représentants de la Société d'intervention Maritime, Est du Canada.

Nous avons maintenant le plaisir d'accueillir Nathan Lemphers, analyste principal en matière de politiques, Sables bitumineux, à l'Institut Pembina.

Veuillez nous présenter votre exposé, après quoi nous passerons à la période de questions.

Nathan Lemphers, analyste principal en matière de politiques, Sables bitumineux, Institut Pembina : Merci de m'avoir offert de venir vous présenter un exposé. J'ai préparé des diapositives, et je vais m'en servir pour la partie exposé de la discussion.

J'aimerais vous parler brièvement de l'Institut Pembina. L'Institut Pembina est un groupe de réflexion national sans but lucratif qui propose des solutions d'énergie propre grâce à la recherche, à l'éducation, à la consultation et à la défense des intérêts. C'est en quelque sorte un organisme hybride. Ce n'est pas une ONG comme les autres, puisque ce n'est pas un organisme communautaire. Nous faisons des recherches dans le domaine des politiques et offrons également un service de consultation payant au secteur privé et public. La moitié de nos revenus proviennent des services de consultation que nous offrons aux sociétés du domaine de l'énergie, dont des sociétés qui produisent de l'énergie propre, au secteur des services financiers et aux trois ordres de gouvernement.

Comme vous pouvez le voir sur la troisième diapo, il y a plus de 20 ans que nous travaillons dans le domaine des sables bitumineux à l'aide de diverses méthodes d'interaction, des groupes de travail multipartites aux interventions dans le cadre d'audiences publiques, en passant par la consultation auprès des sociétés d'exploitation des sables bitumineux, des gouvernements et des collectivités. Nous avons publié près d'une quarantaine de rapports de recherche qui ont été lus par beaucoup de gens du milieu de l'élaboration des politiques au Canada, aux États-Unis et au sein de l'Union européenne.

J'aimerais vous parler du point de vue de l'Institut Pembina sur l'exploitation responsable des sables bitumineux. Nous ne sommes pas contre la mise en valeur des sables bitumineux; nous ne voulons pas que l'exploitation cesse. Nous sommes pour leur exploitation responsable. Pour nous, cela signifie que les impacts environnementaux actuels sont examinés, de sorte que les sables bitumineux soient un produit connu grâce à la surveillance, que des limites fondées sur la science sont établies, que toute forme d'exploitation grâce à l'innovation et à la technologie peut se faire en respectant les seuils déterminés par l'environnement et que les recettes tirées de l'exploitation des sables bitumineux servent à la transition vers une économie axée sur l'énergie propre.

En guise d'introduction, je dirais qu'il est clair que le public se préoccupe de plus en plus de la manière dont les sables bitumineux sont exploités et dont le pétrole est transporté. Les Canadiens et les marchés en aval ont de plus en plus d'attentes au moment où un plus grand volume de pétrole transite par de vieux pipelines et chemins de fer. Il est essentiel que le gouvernement et l'industrie améliorent les politiques, la réglementation et la législation, plutôt que de marginaliser les critiques dans le contexte actuel.

D'après ce que je comprends, l'Institut Pembina est le seul groupe environnemental à être consulté officiellement dans le cadre de votre étude. Il y a de nombreux autres points de vue et experts du domaine de l'environnement qui devraient être sollicités. Je ne peux être expert en toute matière, et je ne vais pas parler en détail du transport du gaz naturel, de la sécurité du transport pétrolier ni de l'intégrité des pipelines. Je vais cependant parler de plusieurs autres facteurs.

Cela dit, l'Institut Pembina a publié un certain nombre de rapports sur les pipelines. J'ai témoigné devant la Commission d'examen conjoint du projet Enbridge Northern Gateway à l'automne, et je suis l'analyste principal en matière de recherche sur les pipelines et les sables bitumineux de l'institut.

Mon exposé va porter sur la science du comportement du bitume, la transparence en ce qui concerne les déversements de bitume, la préparation et l'intervention en cas de déversement, l'expédition de bitume par chemin de fer et le lien avec l'exploitation des sables bitumineux en amont.

Il est clair qu'il faut réaliser un plus grand nombre d'études sur le devenir et l'effet du bitume sur l'environnement une fois qu'il a quitté le pipeline ou le wagon dans lequel il a été transporté. Les expériences en laboratoire sont la principale source de connaissances dont nous disposons, et elles ne reproduisent pas bien les conditions présentes dans l'environnement naturel. Il y a différents degrés de dégradation causée par la lumière. Il y a l'eau froide, l'eau saline avec du courant, les tempêtes, le vent et les vagues, choses qui sont très difficiles à reproduire dans le cadre d'expériences réalisées en laboratoire. Il s'agit là de facteurs qui ont une incidence sur la flottaison du bitume. En fait, tous ces facteurs font en sorte que le bitume coule plus rapidement.

Il y a eu un certain nombre de rapports publiés par Enbridge, ou encore par des associations liées aux pipelines, qui montrent que nous n'avons pas besoin de nous inquiéter du fait que le bitume coule. Dans une large mesure, ces rapports sont, encore une fois, le fruit d'expériences réalisées en laboratoire, et elles ne reflètent pas nécessairement les conditions qui existent par exemple sur la côte nord de la Colombie-Britannique. Dans ce contexte, ce n'est pas développer les ressources de manière responsable que d'autoriser le transport par pipelines et citernes dans des zones comme la côte nord de la Colombie-Britannique sans bien en connaître le devenir et les effets d'un déversement.

Nous avons également des préoccupations en ce qui concerne la transparence des données relatives aux déversements de bitume. En tant que chercheur dont le travail est axé sur l'intérêt public, je trouve difficile personnellement et pour l'organisation d'en arriver à une position sur des choses comme l'intégrité des pipelines. Est-ce que le bitume cause plus de déversements de pétrole?

D'après nos recherches, on n'établit pas de distinction entre les types de pétrole brut lorsqu'on parle des déversements. Ce n'est pas exigé par le Règlement sur les pipelines terrestres de l'Office national de l'énergie, ni par le Règlement albertain sur les pipelines ni par les normes de la CSA. Pour l'application de ces règlements, tous les types de pétrole brut sont équivalents. Comme nous avons pu le constater récemment lorsque du bitume a été déversé, par exemple à Marshall, au Michigan, le bitume se comporte différemment lorsqu'il n'est plus dans le tuyau. Il est important de se pencher sur les déversements qui ont eu lieu dans le passé et d'essayer de distinguer les deux cas. Souvent, les pipelines qui servent à transporter le bitume servent également à transporter d'autres produits, dont des produits raffinés ou plus légers, ainsi que du pétrole brut non corrosif.

Il faut davantage de données sur les déversements de bitume pour pouvoir en parler de façon concrète et fondée sur les faits; il faut que ces données soient accessibles au public, gratuites et en ligne. Nous ne devrions pas avoir à compter sur l'industrie, sur les médias ou sur des ONG comme l'Institut Pembina pour obtenir de l'information et des analyses. Cela devrait être fait par les gouvernements dans l'intérêt de la population. Il a fallu mener une enquête de 11 mois qui a coûté des dizaines de milliers de dollars à Global News pour arriver à accéder aux données sur les déversements des 10 dernières années. C'est un projet pour lequel je n'avais ni le temps ni les ressources nécessaires, et Global News l'a fait pour le pays. Ce serait bien cependant si ce genre de chose pouvait être fait par les organismes de réglementation comme l'Office national de l'énergie.

Je voulais aussi parler un peu de la préparation de l'intervention en cas de déversement. Les initiatives des entreprises à ce chapitre doivent tenir compte de la nature différente du bitume qui s'écoule du pipeline. Il n'est pas dans l'intérêt de la population qu'on prétende simplement que tous les pétroles sont du même type. Il est clair que le bitume dilué transporté dans les pipelines est une substance différente des autres. Comme M. David l'a fait remarquer, il contient du benzène, qui est une substance très cancérigène. Il contient toujours des hydrocarbures aromatiques polycycliques, des métaux lourds et de grandes quantités de sulfure d'hydrogène, parce qu'il s'agit d'une forme très sulfureuse de pétrole brut. Toutes ces substances s'assortissent de problèmes de toxicité aigus et chroniques qui ont un effet immédiat sur les premiers intervenants.

Il a fallu demander aux premiers intervenants d'évacuer le lieu du déversement à Marshall, au Michigan. À cause du benzène et du sulfure d'hydrogène, il a fallu procéder à l'évacuation de centaines de maisons de la région, et c'est une exposition aux hydrocarbures à laquelle on ne se serait pas attendu s'il s'agit de pétrole brut normal. Le bitume coule aussi plus rapidement que le pétrole ordinaire.

L'utilisation des techniques habituelles de nettoyage, par exemple à l'aide d'estacades et d'écrémeurs, pour enlever le pétrole à la surface de l'eau, est moins efficace sur la terre ferme. Lorsque le pétrole est submergé, il est très difficile de l'enlever. C'est une leçon que nous avons apprise à Marshall ainsi que dans le golfe du Mexique. Nous avons appris que le pétrole submergé est très difficile à nettoyer, et, en fait, que cela coûte extrêmement cher. Le déversement à partir du pipeline d'Enbridge qui a eu lieu à Marshall n'est pas celui qui a coûté le plus cher dans l'histoire des États-Unis, mais la facture atteint maintenant un milliard de dollars. Trois ans plus tard, le nettoyage n'est toujours pas terminé, selon l'EPA.

Il faut des techniques, une réglementation, une gestion et des outils appropriés à la tâche. Il faut que cela se fasse de façon proactive. Il n'est pas nécessaire que nous attendions qu'il y ait au Canada un déversement comme celui qui a eu lieu à Marshall ou une explosion comme sur la plate-forme de BP dans le golfe pour mettre en place des régimes de gestion solides et prudents pour le transport du bitume.

Il y a aussi le transport du bitume par chemin de fer. Je vais en parler dans un instant. De façon générale, nous ne sommes pas contre le transport ferroviaire, pas plus que nous sommes contre les pipelines a priori. Il y a des façons d'accroître la sécurité de ces moyens de transport. Je vais en parler tout à l'heure.

Quoi qu'en disent les représentants du secteur des chemins de fer, le transport du pétrole brut issu des sables bitumineux est une solution marginale pour l'instant, même si elle est en pleine expansion d'après les journaux. Elle ne compte que pour 4 p. 100 seulement de l'approvisionnement en pétrole de l'Ouest canadien. Le coût est de deux à quatre fois plus élevé par baril que pour le transport du bitume par pipeline. Du strict point de vue de l'économie, lorsque la différence de prix est élevée entre le pétrole lourd et le pétrole léger et entre les marchés côtiers et les marchés intérieurs, les exploitants de pipelines arrivent à réaliser un profit. La multiplication des liens entre les marchés intérieurs du Midwest américain et de la côte du golfe du Mexique va réduire les écarts de prix, comme on commence à le constater. Si un important pipeline comme le pipeline Keystone XL est construit, cela va vraiment changer la donne pour ce qui est de la viabilité économique du transport ferroviaire du bitume.

Il y a aussi des préoccupations concernant la capacité des sociétés ferroviaires de transporter sans danger le pétrole issu des sables bitumineux. Il y a eu récemment des déversements à Jansen, en Saskatchewan, et à White River, en Ontario, et ceux-ci ont attiré l'attention des médias sur le sujet. Je dois cependant préciser qu'il s'agit de déversements assez petits.

Transports Canada et le département des Transports des États-Unis sont préoccupés par un certain type de wagons- citernes — le DOT 111 —, qui compte pour environ 69 p. 100 du parc de wagons-citernes américain. Ils sont préoccupés depuis longtemps au sujet de la capacité de ce wagon-citerne de rester étanche après un déraillement.

Ainsi, comme il s'agit là de préoccupations bien connues et qui existent depuis longtemps, et comme il est possible que le transport de bitume par trains prenne de l'ampleur, le moment est clairement venu de resserrer les exigences visant les sociétés ferroviaires afin que les Canadiens et l'environnement soient protégés.

Je me suis souvent fait demander par d'autres groupes environnementalistes et par les journalistes ce qui est mieux entre le transport ferroviaire et les pipelines. Encore une fois, il m'est très difficile d'effectuer l'analyse qui me permettrait de déterminer quel moyen de transport est véritablement le meilleur. Il y a des renseignements contradictoires provenant de diverses sources. Les exploitants de pipelines affirment que leur moyen de transport émet trois fois moins de dioxyde de carbone que le transport ferroviaire, et les sociétés ferroviaires disent qu'ils en émettent deux fois moins que les exploitants de pipelines. C'est vraiment un dialogue de sourds.

Il y a également une différence sur le plan de la fréquence des déversements et du volume de pétrole déversé, c'est-à- dire que les déversements ont tendance à être plus fréquents, mais le volume déversé, moindre, dans le cas des trains, tandis que les déversements causés par les pipelines arrivent moins souvent, mais le volume de pétrole déversé peut être beaucoup plus important, car il s'agit de gros pipelines, dont le contenu est en plus sous pression.

Il est très difficile, dans tout ce boucan concernant les méthodes, de répondre clairement à la question de savoir laquelle est la meilleure. Les deux comportent des risques, et, dans les deux cas, ces risques peuvent être atténués.

Néanmoins, le transport ferroviaire a quand même le potentiel de favoriser le transport par pétroliers et l'exploitation accrue des sables bitumineux.

La diapo 11 m'a été fournie par l'Association canadienne des producteurs pétroliers. Le pointillé représente l'approvisionnement en pétrole canadien, et le rectangle foncé représente la capacité actuelle de transport par pipelines dans l'Ouest canadien. Ce que ma figure montre, c'est qu'il va y avoir un engorgement des pipelines au cours des prochaines années. Si on ne construit pas de nouveaux pipelines, il n'y aura plus moyen de faire sortir le pétrole de l'Ouest canadien, mis à part par trains ou par camions. Dans ce contexte, tout accroissement de la capacité de transport par pipeline va entraîner un accroissement correspondant de l'exploitation des sables bitumineux. Les producteurs ne vont pas produire le pétrole s'ils ne peuvent pas l'acheminer vers un marché. La production va être limitée par la capacité de transport.

Essentiellement, ce sont les pipelines ou les chemins de fer qui vont déterminer le rythme de croissance de l'industrie des sables bitumineux, pour l'instant.

La diapo suivante présente des données d'Environnement Canada concernant les émissions de gaz à effet de serre passées et pour la prochaine décennie. Si les prévisions de croissance de l'industrie se réalisent, les émissions de gaz à effet de serre et la pollution par le carbone dont les sables bitumineux sont à l'origine auront doublé dans 10 ans.

La diapo 13 présente également des données provenant d'Environnement Canada. Il s'agit de la variation absolue des émissions de 2010 à 2020. La barre supérieure, celle du total national, correspond à la tendance relative à nos émissions; il s'agit d'une augmentation largement supérieure à 50 mégatonnes. Selon notre objectif national, il faudrait réduire les émissions de bien au-delà de 80 mégatonnes au cours de cette période.

Vous pouvez voir pourquoi nous n'allons pas atteindre l'objectif national : dans ce cas-ci, ce sont les sables bitumineux qui sont la cause. C'est la barre très longue du côté droit de la figure. Le but ne sera pas atteint malgré des gains importants dans les domaines du transport de passagers et de la production d'électricité à partir du charbon découlant de la nouvelle réglementation fédérale relative au climat et de l'élimination progressive de la production d'électricité à partir du charbon en Ontario.

Dans ce scénario de croissance des sables bitumineux, ceux-ci vont être la cause de l'échec du Canada pour ce qui est de respecter ses engagements pris sur la scène internationale relativement au climat, à moins que quelque chose ne soit fait à ce sujet.

Passons à la diapo 14. Vu la courbe d'émission des sables bitumineux et l'absence de plan en matière de changement climatique, il est difficile de dire que les sables bitumineux sont exploités de manière responsable. Pour ce qui est du transport du pétrole issu des sables bitumineux, les changements climatiques sont la préoccupation qui mobilise toute la population canadienne et les marchés américains et européens en aval. Si les problèmes en amont ne sont pas réglés, la question du transport des sables bitumineux se fera de plus en plus présente.

Je sais que votre étude porte sur le transport des hydrocarbures, et non sur leur production. J'essaie de vous montrer que les deux sont liés, et qu'il faut en tenir compte lorsqu'on examine le transport des hydrocarbures aussi.

L'étude constitue une occasion de trouver comment le Canada peut rendre plus sûr le transport d'hydrocarbures comme les sables bitumineux. Toutefois, elle peut aider à découvrir ce qu'il faut faire pour que les pipelines obtiennent à nouveau leur permis social d'exploitation. À nos yeux, cela inclut des recherches supplémentaires sur le comportement du bitume, une transparence accrue à l'égard des déversements de pétrole issus des sables bitumineux, des plans d'intervention d'urgence et des outils techniques adaptés dans le domaine du transport par train et par pipeline ainsi que la compréhension du lien entre les moyens de transport du bitume, la présence de navires-citernes en aval et l'extraction en amont.

Merci de votre patience. Je suis maintenant disposé à répondre aux questions.

La sénatrice McCoy : Merci de nous avoir présenté cet excellent exposé. Permettez-moi de me concentrer sur l'aspect de la transparence. Je pense au nouveau régime de surveillance qui existe en Alberta pour les sables bitumineux, lequel est administré par un organisme indépendant et autonome. Ce régime est assorti d'un engagement, dont il s'acquitte bel et bien, celui qui concerne la publication en temps réel des données de surveillance — pas des interprétations, mais bien des données — en ligne.

J'ai jeté un coup d'œil très bref là-dessus pour voir comment le portail fonctionne. Je suis curieuse d'entendre ce que vous avez à dire là-dessus, puisque vous êtes plus qualifié que moi pour en parler. Avez-vous eu l'occasion de jeter un œil sur ce portail?

M. Lemphers : Oui. Il y en a deux, en fait. L'Alberta a un portail d'information sur les sables bitumineux, qui a été lancé il y a quelques années. Les responsables nous ont demandé pas mal de conseils, à l'Institut Pembina. Sur une période de un an, nous avons tenu plusieurs réunions concernant la nature des données qui seraient utiles pour nous, en tant que chercheurs dont les travaux sont axés sur l'intérêt public, parce que nous leur demandons souvent des données qui ne sont pas publiées.

Ils ont été en mesure de créer le portail, qui est assez efficace; il nous permet d'épargner beaucoup de temps, et le public peut l'utiliser aussi. Nous estimons donc que le portail de l'Alberta est assez bien fait, et les responsables cherchent à l'améliorer, ce qui est un excellent pas en avant pour permettre aux gens de comprendre les répercussions de l'exploitation des sables bitumineux.

Il y a quelques mois, un groupe conjoint des gouvernements du Canada et de l'Alberta a lancé un autre portail d'information fondé des technologies analogues, et il s'agit dans ce cas-ci de nouveaux renseignements provenant du programme conjoint de l'Alberta et du Canada sur la surveillance du secteur des sables bitumineux. Ce sont de nouvelles données qui sont publiées; il ne s'agit pas de données antérieures ou concernant les permis et autres choses de ce genre, comme les données publiées par le gouvernement de l'Alberta.

C'est un travail en cours. Ce programme de surveillance ne sera pas pleinement mis en œuvre avant 2015. Toutefois, il y a de nouvelles études sur les polluants préoccupants en tant que tels. Le système de surveillance antérieur ne tenait pas compte des interactions entre les eaux de surface et souterraines; les contaminants n'étaient pas considérés comme étant une préoccupation — des contaminants comme les acides naphténiques ou le benzène dans l'eau en aval. Le nouveau système en tient compte, et il fournit des données en temps réel, ce qui est un grand pas en avant.

Ce que j'ai dit concernait les déversements de bitume. Ces deux plates-formes ne portent pas sur le transport des hydrocarbures. Elles ne servent que pour la surveillance de l'exploitation des sables bitumineux en tant que telle.

La sénatrice McCoy : C'est là-dessus que porte ma prochaine question. Les déversements sont tous consignés maintenant; ils font l'objet de rapports, non?

M. Lemphers : Oui. Il y a différents seuils. L'ERCB utilise un seuil d'environ 1 000 litres, tandis que l'Office national de l'énergie n'exige pas de rapports pour tout ce qui est inférieur à 100 litres. Il y a un seuil différent en Alberta. Cependant, on n'a pas à faire état du type de pétrole qui a été déversé. Comme le montre l'exemple de Marshall, au Michigan, le type de pétrole déversé a une incidence directe sur la santé humaine.

La sénatrice McCoy : Que penseriez-vous de l'idée d'utiliser les portails existants comme modèle pour la communication des renseignements sur les déversements pour tout mode de transport des hydrocarbures en vrac?

M. Lemphers : Je pense que c'est un bon modèle à utiliser comme base. Il est géoréférencé, et ça ressemble donc à Google Earth; on peut effectuer les mêmes manipulations, et l'application est très interactive. C'est un bon modèle à utiliser comme point de départ. J'ai mentionné le reportage de Global, et c'est le même genre de format qui permet de saisir un code postal pour voir les déversements qui ont eu lieu au cours des 15 ou 20 dernières années, la nature du produit déversé, la quantité, les choses de ce genre. C'est un bon modèle à utiliser comme point de départ, et il offre aussi clairement au gouvernement l'occasion de faire preuve de transparence et de responsabilité.

La sénatrice McCoy : Le portail serait fondé sur ce qui s'est fait en Colombie-Britannique avec votre participation, et il présenterait la composition chimique des matériaux utilisés pour la fracturation dans le contexte de l'exploitation du gaz de schiste, par exemple, et il rendrait tout cela transparent.

M. Lemphers : Oui. À l'heure actuelle, il faut parfois avoir recours à la Loi sur l'accès à l'information pour obtenir les données, et, bien souvent, on reçoit encore des copies papier. Il est difficile de tenir des discussions fondées sur les faits au sujet de choses de ce genre ou pour les propriétaires fonciers de déterminer s'il y a quoi que ce soit qui devrait les préoccuper. C'est clairement une solution de facilité qui pourrait être améliorée.

La sénatrice McCoy : Pour les exemples que vous nous avez donnés, auriez-vous l'amabilité de transmettre à la greffière l'URL des divers portails numériques dont nous avons parlé?

M. Lemphers : Certainement.

Le sénateur Massicotte : Merci d'être parmi nous, et, merci du travail que vous faites à l'institut. Je pense que votre organisation joue un rôle important dans tout ce processus.

Puis-je vous demander quelques précisions au sujet de certains points de votre exposé? À la page 13, par exemple, vous parlez des effets de l'exploitation des sables bitumineux. Ce n'est pas écrit, mais vous avez dit que la figure concerne la période allant de 2010 à 2020.

M. Lemphers : C'est juste.

Le sénateur Massicotte : Il s'agit des 10 prochaines années. On part de zéro en 2010, et il y a une augmentation ou une diminution en pourcentage.

M. Lemphers : Il s'agit d'augmentation en chiffres absolus.

Le sénateur Massicotte : Dans chacun des secteurs?

M. Lemphers : Oui.

Le sénateur Massicotte : Vous n'êtes pas convaincu que le gouvernement du Canada va atteindre les objectifs qu'il s'est engagé à atteindre par rapport au point de référence qu'il a choisi.

M. Lemphers : Effectivement. Le gouvernement l'a précisé lui aussi.

Le sénateur Massicotte : Il dit aussi qu'il est rendu à mi-chemin. Vous ne le croyez pas?

M. Lemphers : Il sera rendu à mi-chemin en 2020. C'est une nuance dont on ne fait pas nécessairement part au public. Avoir atteint la moitié de l'objectif en 2020, cela demeure un échec, et ce ne sera pas suffisant pour nous permettre de remplir les engagements que nous avons pris sur la scène internationale.

Le sénateur Massicotte : Comparativement aux engagements pris par le gouvernement actuel ou à un autre point de référence?

M. Lemphers : Non. C'est ce qui a été convenu par le gouvernement conservateur actuel à Copenhague.

Le sénateur Massicotte : Pour ce qui est des sables bitumineux, quel est le pourcentage? Quel est le pourcentage des émissions totales de dioxyde de carbone compte tenu de cette tendance? Quel est le pourcentage actuel, celui de 2010, et quel sera le pourcentage en 2020?

M. Lemphers : Je ne veux vraiment pas vous donner le mauvais chiffre. Je crois que, à l'heure actuelle, c'est autour de 9 p. 100.

Le sénateur Massicotte : Des émissions de GES totales?

M. Lemphers : Du total des gaz à effet de serre. Ce n'est pas la principale source pour l'instant, mais ce sera la plus importante d'ici 2020, et elle va aussi éclipser des choses comme le transport de passagers.

Le sénateur Massicotte : Vous estimez que c'est 9 p. 100 à l'heure actuelle et que le chiffre va passer à combien?

M. Lemphers : À 13 ou 14 p. 100, je crois, mais, encore là, il va falloir que je vérifie ces chiffres pour vous. Ce qui est clair, c'est que c'est la source d'émission de gaz à effet de serre qui connaît la plus forte croissance au Canada. Il y a des secteurs qui vont connaître une faible augmentation ou une faible diminution des émissions de gaz à effet de serre, mais c'est l'exploitation des sables bitumineux qui va empêcher le Canada de remplir ses engagements dans le domaine de la lutte contre les changements climatiques.

Le sénateur Massicotte : Je passe à la page où vous parlez de l'intensité des émissions de gaz à effet de serre. Il y a eu des divergences d'opinions concernant le meilleur indicateur, l'intensité ou l'efficacité, par rapport à la production d'énergie et aux autres secteurs. Est-ce qu'il vaut mieux mesurer l'intensité plutôt que le volume absolu?

M. Lemphers : Le seul chiffre qui compte vraiment pour l'environnement, ce sont les émissions absolues. On peut apporter une amélioration de 10 p. 100 par baril, mais si on produit cinq fois plus de barils, cela n'a aucune importance.

Le sénateur Massicotte : N'est-il pas possible d'affirmer que le monde ou le Canada ont besoin d'une certaine quantité d'énergie et de producteurs de charbon, de pétrole et de gaz et que, s'il est plus efficace d'accroître l'intensité, nous ne devrions pas autant nous inquiéter du fait que l'importance d'un secteur augmente beaucoup s'il produit de l'énergie de façon plus efficace par rapport aux autres? Comme vous le savez, la Chine a utilisé le même argument. Il me semble que l'efficacité est un indicateur pertinent, et pas seulement la somme absolue, si on présume que la quantité d'énergie nécessaire est fixe.

M. Lemphers : Oui. Je ne dis pas que c'est un indicateur dénué de pertinence. C'est une possibilité. Vous pouvez voir sur la diapo intitulée Intensité des émissions de GES provenant de l'exploitation des sables bitumineux que les émissions ont diminué de 26 p. 100 depuis 1990. Toutefois, vous pouvez aussi constater qu'elles sont stagnantes ou ont augmenté modérément ces dernières années. Cette situation est attribuable au fait que toutes les solutions de facilité ont été épuisées par l'industrie des sables bitumineux. Elle a fait passer la température à laquelle elle lave le bitume de 80 à 40 degrés, et elles procèdent maintenant à la cogénération de gaz naturel dans ses usines de traitement, ce qui a beaucoup aidé. Vu la réglementation actuelle concernant les gaz à effet de serre à l'échelon provincial — il n'y en a pas à l'échelon fédéral —, il est difficile de justifier d'autres améliorations sur le plan commercial. Comme il est prévu que la production de pétrole à partir des sables bitumineux doublera au cours de la prochaine décennie, ces chiffres concernant l'intensité des émissions sont rapidement éclipsés par la croissance absolue des émissions de carbone.

Le sénateur Massicotte : Je suis d'accord. Le chiffre pour 1990 est de 136 ou 138, et la moyenne pour les dernières années tourne autour de 84 ou 85. Il s'agit d'une amélioration de 35 ou 40 p. 100 sur le plan de l'intensité. Cela dépend de l'énumérateur, du dénominateur, mais c'est une amélioration assez importante.

M. Lemphers : Le chiffre que j'ai, c'est 36 p. 100, et il se trouve que je suis d'accord.

Le sénateur Massicotte : À partir d'un chiffre différent, d'un point de départ différent.

Au sujet de l'intensité des émissions au Canada, nous sommes en train de remplacer certaines sources d'énergie. Le gouvernement — y compris le gouvernement américain — appuie fortement, et à juste titre, la réduction du nombre de centrales électriques au charbon. L'énergie de remplacement doit venir de quelque part. On peut affirmer qu'il est sensé d'accroître l'exploitation des sables bitumineux parce que nous devons produire plus d'énergie. Dans ce cas, l'effet sur l'environnement est beaucoup moins grand que dans le cas des centrales électriques au charbon. Est-ce que ce n'est pas là une chose dont vous tenez compte dans vos calculs? Oui, puisqu'il s'agit d'une source d'énergie beaucoup plus intense et efficace, et qui pollue moins que le charbon.

M. Lemphers : Les débouchés sont différents. Le charbon est utilisé en métallurgie, mais nous l'utilisons surtout pour produire l'électricité au Canada. Le pétrole issu des sables bitumineux sert surtout de combustible pour le transport et en pétrochimie. Nous comparons un peu des pommes avec des oranges, mais il est certain que d'autres secteurs offrent des possibilités, par exemple, celui du charbon. C'est le secteur où il est le plus facile de procéder à d'importantes réductions des émissions de gaz à effet de serre. Comme l'Ontario est en train de le constater, l'élimination graduelle du charbon et l'adoption du gaz naturel, de l'hydroélectricité et d'autres sources exemptes d'émissions permettent de réaliser des gains faciles.

Le sénateur Massicotte : Permettez-moi de passer à la page suivante de votre document. Vous parlez de la détérioration du profil des gaz à effet de serre in situ, dans les deux pages qui suivent. Vous dites que les émissions in situ vont dépasser celles de l'exploitation minière d'ici 2015. La figure met en évidence le fait que les émissions in situ augmentent de façon spectaculaire, mais c'est aussi parce que le volume a augmenté de façon spectaculaire. Est-ce que je me trompe? Pour un baril, par rapport à l'exploitation à ciel ouvert, est-ce que la production in situ de sables bitumineux n'est pas plus écologique et plus intensive?

M. Lemphers : Les représentants de l'industrie des sables bitumineux aiment bien dire que dans le cas de la production in situ, pour laquelle l'injection de vapeur se fait sur place, il n'y a pas de bassin de résidus ni de mine à ciel ouvert, ce qui fait que c'est une solution de rechange écologique à l'exploitation minière. C'est malhonnête. Les répercussions sur l'environnement sont différentes. Comme vous pouvez le voir dans la figure, les émissions de gaz à effet de serre sont deux fois et demie plus importantes. Pour ce qui est des émissions acidifiantes, elles sont trois fois et demie plus importantes pour un baril. Quant à la taille de l'exploitation, elle est beaucoup plus grande. La zone où se fait l'exploitation minière est relativement petite, par rapport à celle où se fait la production in situ. Celle-ci prend 30 fois plus de place dans le nord-est de l'Alberta. Pour ce qui est des répercussions sur les espèces menacées comme le caribou et d'autres choses qui préoccupent beaucoup les Canadiens, comme les changements climatiques, la production in situ offre un moins bon rendement que l'exploitation minière des sables bitumineux.

Le sénateur Massicotte : Vous n'adhérez pas à ce qu'on a dit au cours des dernières semaines. Le gouvernement a essentiellement décidé d'alléger les évaluations environnementales pour la production in situ, en disant que les répercussions de celles-ci sont moins importantes. Vous n'êtes évidemment pas d'accord avec cette affirmation. Vous estimez qu'il s'agit d'une grave erreur.

M. Lemphers : Oui, je pense que c'est une grave erreur. J'ai écrit certaines choses là-dessus. J'espère publier une lettre d'opinion sur le sujet dans l'Ottawa Citizen demain. Dans le cadre de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale de 1992, la production in situ n'était pas vraiment prise en compte non plus. Cette loi avait ses propres lacunes. Les projets de loi C-38 et C-45 ont constitué l'occasion de renforcer le régime d'évaluation environnementale du Canada et de tenir compte de choses comme les effets cumulatifs de la production in situ. Maintenant, nous apprenons que cela ne fait officiellement plus partie de la liste de ce qui peut être examiné dans le cadre d'une évaluation environnementale. C'est très troublant pour des organisations comme l'Institut Pembina et bien d'autres organismes qui s'occupent de l'environnement.

Le sénateur Wallace : Monsieur Lemphers, vous avez mis en lumière les différences de caractéristiques et de comportement du bitume par rapport au pétrole brut ordinaire ainsi que la façon dont ces caractéristiques viennent modifier l'intervention en cas de déversement et l'efficacité d'une intervention comparativement à celles touchant le pétrole brut ordinaire. Comme vous l'avez mentionné, beaucoup de l'information et des connaissances dont nous disposons à l'heure actuelle viennent d'expériences réalisées en laboratoire.

Je me demandais cependant si vous aviez pris connaissance d'études sur des incidents réels dans le cadre desquels c'est du bitume qui a été déversé. Quel a été le degré d'efficacité de l'intervention? A-t-il fallu une capacité supplémentaire ou différente dans le cas du bitume, par rapport au pétrole brut ordinaire? Avez-vous examiné des situations réelles et des études portant sur celles-ci?

M. Lemphers : Il y a des études sur le déversement de Marshall, au Michigan. Le National Transportation Safety Board a également examiné cet incident. La Pipeline and Hazardous Materials Safety Administration des États-Unis, la PHMSA, qui est l'équivalent de notre Office national de l'énergie, mène également une étude, laquelle devrait être publiée dans quelques mois, d'après ce que je sais. À ma connaissance, il n'y a pas beaucoup d'études portant sur des déversements dans l'environnement naturel. Ce que nous constatons, dans le cas de déversements comme celui de Marshall, c'est que c'est assez différent.

Le sénateur Wallace : Différent en ce sens que, d'après vous, il faudrait de l'équipement et des techniques d'intervention de type différent pour intervenir en cas de déversement de bitume plutôt que de pétrole brut ordinaire?

M. Lemphers : Précisément. Cela ne veut pas dire qu'on ne peut pas réaliser de meilleures expériences en laboratoire. On peut simuler le vent et les vagues ainsi que des températures plus froides dans le cadre d'expérience en laboratoire de façon à reproduire les conditions qui existeraient dans le chenal marin de Douglas, sur la côte nord de la Colombie- Britannique, quoique je n'ai pas vu d'étude là-dessus. Il est important, lorsqu'on définit la portée des études de ce genre, qu'elles reflètent le climat et les conditions météorologiques du Canada. Le gouvernement fédéral a un rôle à jouer à l'égard de l'établissement de la portée de ces activités, et il ne devrait pas nécessairement laisser l'industrie donner aux études de ce genre une portée très limitée. C'est ce qu'on a fait pour des choses comme l'intégrité des pipelines en se demandant si le bitume est plus corrosif que le pétrole brut ordinaire. Si l'étude se limite à la comparaison du bitume dilué, qui est lourd et sulfureux, avec des pétroles bruts lourds et sulfureux, on ne trouvera pas de grande différence entre les deux. Par contre, si on compare le bitume dilué avec des pétroles bruts légers et non corrosifs, c'est-à-dire avec les pétroles pour lesquels la majeure partie du réseau de pipelines nord-américains a été conçue et qui sont visés par la réglementation, on trouvera une différence importante. Cela dépend du contexte qu'on donne aux études et des personnes qui peuvent participer à la définition de leur cadre. Cela a posé problème pour les études sur l'intégrité des pipelines, ainsi que pour les études portant sur le devenir et les effets du bitume.

Le sénateur Wallace : Je veux en venir à la question du caractère adéquat de l'équipement et des techniques d'intervention en cas de déversement. Comme vous le savez peut-être, pendant des années, le Venezuela a produit de l'Orimulsion. Il s'agit d'un pétrole brut lourd. C'est du bitume. À bien des égards, c'est un produit qui est assez semblable au pétrole issu des sables bitumineux. L'Orimulsion a été importé et utilisé au Canada. Je me demandais si vous aviez connaissance de fait et de l'existence d'études qui auraient porté sur l'Orimulsion et sur tous ces enjeux dont nous sommes en train de parler concernant l'intervention en cas de déversement et qui pourraient s'appliquer au pétrole issu des sables bitumineux.

M. Lemphers : Je crois que l'Orimulsion en provenance du Venezuela a été importé dans l'Est du Canada. Je n'ai pas pris connaissance d'études concernant l'Orimulsion du Venezuela. Il se pourrait qu'il y en ait.

Le sénateur Wallace : Je sais qu'il y avait des préoccupations concernant précisément les problèmes dont nous sommes en train de parler.

J'ai une autre question à vous poser rapidement, si vous me le permettez. Vous avez fait état de préoccupations concernant le transport de bitume dans un wagon en particulier. Pouvez-vous me donner des détails? J'ai eu l'impression que vous renvoyiez à quelque chose de très technique. Il s'agissait d'un wagon particulier. Pouvez-vous simplement nous redonner la référence?

M. Lemphers : Il s'agit du wagon-citerne DOT-111, qui compte pour la majeure partie du parc de wagons-citernes. Ces wagons servent à transporter divers produits, et ils n'ont pas été adaptés aux besoins particuliers liés au transport du bitume, pas que ce soit nécessaire. Les organismes de réglementation des États-Unis et du Canada sont préoccupés depuis longtemps par la sûreté de ces wagons en cas de déraillement.

Le sénateur Wallace : Savez-vous s'il y a eu des cas où du bitume transporté dans le wagon DOT-111 a été déversé et où il y a eu des conséquences? S'agit-il d'une préoccupation théorique plutôt que pratique?

M. Lemphers : Non. Il y a eu des accidents touchant ce wagon-citerne.

Le sénateur Wallace : Et qui sont venus mettre en lumière ces préoccupations?

M. Lemphers : Assurément, et je pourrais vous communiquer les références, si cela peut vous être utile.

Le sénateur Wallace : Si vous pouviez le faire, je vous en serais très reconnaissant.

Le sénateur MacDonald : Il y a quelques questions que j'aimerais aborder, mais je vais essayer de les ramener à quelques éléments seulement. Pour ce qui est des sables bitumineux en tant que tels, quel est votre point de vue fondamental sur ceux-ci? Souhaitez-vous qu'ils soient exploités; ou préféreriez-vous que la production arrête? Est-ce que votre organisation souhaite que nous mettions fin à l'exploitation des sables bitumineux? J'aimerais le savoir. Est- ce l'objectif poursuivi?

M. Lemphers : Non, pas du tout. Comme je l'ai mentionné au début, nous ne cherchons pas à faire en sorte que l'exploitation des sables bitumineux cesse. Nous estimons qu'ils peuvent être exploités de façon responsable et que ce n'est pas le cas à l'heure actuelle. Toutefois, il y a des possibilités et des solutions qui pourraient permettre une amélioration de la façon dont les sables bitumineux sont extraits.

Le sénateur MacDonald : Très bien. C'est un point de départ. Nous avons une base pour travailler. Je ne connais pas les proportions exactes, mais je crois que c'est Edison qui a dit que toute découverte ou invention est le fruit de 10 p. 100 d'inspiration et de 90 p. 100 de transpiration. Si je peux me permettre d'utiliser une autre expression, on ne fait pas d'omelette sans casser des œufs. Si nous voulons exploiter les sables bitumineux, il faut nous pencher constamment sur la chose et améliorer les techniques et la méthode. Je pense que c'est ce qu'on a fait. Nous savons que le Canada émet environ 2 p. 100 du dioxyde de carbone qui est émis dans le monde. Nous vivons dans un pays où il fait froid. Nous avons besoin d'énergie. Nous avons aussi besoin d'énergie pour maintenir notre style de vie et combler les attentes que les Canadiens se sont créées au fil du temps. Pour ma part, je crois fermement qu'il faut exploiter les sables bitumineux. Pouvez-vous préciser vos préoccupations concernant la façon dont ils sont exploités et les lacunes à ce chapitre? Je suis certainement d'accord avec l'idée que, si nous devons exporter le produit partout dans le monde et en Amérique du Nord, il faut construire des pipelines très résistants à la corrosion et très sécuritaires. Pour ce qui est de l'exploitation des sables bitumineux en tant que tels, que proposeriez-vous?

M. Lemphers : Je suis content que vous me posiez la question. Dans un rapport que nous avons publié il y a deux ans, qui s'intitule Solving the Puzzle, nous formulons 19 recommandations concernant l'amélioration de la gestion environnementale dans le secteur des sables bitumineux. L'une de nos principales préoccupations touchant l'exploitation des sables bitumineux comme elle se fait à l'heure actuelle, c'est son rythme et son ampleur. En ce moment, la production est d'environ 1,9 million de barils par jour. Vu l'abondance de la ressource — il y a une réserve de 169 milliards de barils dans le sol —, nous en avons exploité moins de 4 p. 100. Il se pourrait que ce que nous avons fait jusqu'à maintenant ne soit que le début. Il est important de faire les choses correctement. Dans l'intervalle, même avant la simplification des évaluations environnementales effectuées par les gouvernements fédéral et provinciaux, la production est déjà de 5,2 millions de barils par jour, et il y a jusqu'à 9 millions de barils par jour qui attendent d'être extraits. Les problèmes que nous constatons — les préoccupations soulevées par les Canadiens et les marchés en aval concernant la façon dont les sables bitumineux sont gérés — ne vont que s'accroître à moins que nous ne dissipions certaines de ces préoccupations en amont dès maintenant. C'est l'une des raisons fondamentales pour lesquelles nous sommes préoccupés.

Il y a des possibilités, par exemple le fait de donner des indications claires aux entreprises pour leur permettre d'améliorer leur gestion. Elles ont besoin d'une analyse de rentabilisation claire pour prendre des décisions. L'Institut Pembina est situé en Alberta. J'ai grandi dans cette province, et j'ai mené beaucoup de consultations pour les sociétés pétrolières et gazières à Calgary. Les dirigeants de ces sociétés veulent eux aussi faire ce qui s'impose, mais ils doivent rendre des comptes à leurs actionnaires et prouver le bien-fondé économique des mesures prises. S'il n'est pas rentable d'ajouter un épurateur à leur cheminée ou d'améliorer l'efficacité de leur parc de véhicules miniers, ils ne vont pas le faire, à moins que leurs concurrents et eux-mêmes ne soient tenus de le faire par un règlement.

Il y a des possibilités d'amélioration dans le cadre d'un plan relatif au climat permettant au Canada d'atteindre ses objectifs en la matière. Un plan de gestion des caribous, par exemple, pourrait permettre l'exploitation des sables bitumineux tout en empêchant l'extinction locale du caribou des bois dans la région. Le gouvernement fédéral a la possibilité d'agir dans les deux domaines, c'est-à-dire dans celui des espèces en péril et celui de la pollution par le carbone, mais nous n'avons pas l'impression qu'il y a quelqu'un dans le siège du conducteur en ce moment.

Le sénateur MacDonald : Vous avez parlé des obligations qu'a le Canada sur la scène internationale par rapport à l'atteinte de certains objectifs. Les politiciens font de drôles de choses avec les objectifs. Le gouvernement néo- démocrate de la Nouvelle-Écosse a adopté un règlement il y a deux ou trois ans. Il souhaitait exploiter des sources d'énergie verte en Nouvelle-Écosse, et il voulait faire passer l'énergie renouvelable de 20 à 40 p. 100 d'ici 2020. Tout le monde trouve que c'est une excellente idée parce que c'est écologique, mais ce que le gouvernement ne dit pas, c'est que cela coûte cher. Il y a quatre centrales au charbon en Nouvelle-Écosse — trois au Cap-Breton, et une dans la partie continentale de la province. Le gouvernement de la Nouvelle-Écosse a demandé au gouvernement fédéral de prolonger le cycle de vie de ces centrales au charbon afin de pouvoir garder le prix de l'électricité bas. D'un côté, il dit qu'il devient plus vert, mais de l'autre, il prolonge artificiellement le cycle de vie des centrales au charbon pour maintenir les prix. Les apparences sont parfois trompeuses lorsqu'on se fixe des objectifs artificiels.

Connaissez-vous l'histoire des étangs de goudron du Cap-Breton, créés par l'aciérie?

M. Lemphers : Oui, j'ai publié des textes concernant les programmes de sécurité financière des mines en Alberta, et j'utilise certainement les étangs de goudron de Sydney comme exemple de ce qu'il ne faut pas faire.

Le sénateur MacDonald : Connaissez-vous aussi les champs pétrolifères du comté de Kern, dans le Sud de la Californie?

M. Lemphers : Je ne connais pas cet exemple.

Le sénateur MacDonald : Les champs pétrolifères du Sud de la Californie comptent parmi les plus vieux de l'Amérique du Nord, et ils sont en production depuis près d'un siècle. Il y a à peu près 1 500 bassins de résidus dans cette région. Ce sont les mêmes gens qui sont montés à Washington pour militer contre le pipeline Keystone XL et essayer de freiner l'exploitation au Canada. Ce sont des choses que j'ai de la difficulté à avaler — ce genre d'hypocrisie. Le pire désastre écologique en Amérique du Nord a eu lieu dans le Sud de la Californie. Je n'ai rien entendu dire au Canada à ce sujet et au sujet des gens qui essaient de bloquer ou d'interrompre la construction des pipelines ou la production des sables bitumineux ici.

Il me serait beaucoup plus facile d'être d'accord — et je suis en partie d'accord avec le travail que vous faites, parce qu'il est important —, si des instituts comme le vôtre jouaient un rôle davantage militant et faisaient des comparaisons de ce genre pour voir ce qui se passe dans le reste de l'Amérique du Nord.

La sénatrice Unger : Est-ce que l'Institut Pembina demande de l'aide financière afin de pouvoir participer aux audiences de l'ONE?

M. Lemphers : C'est une bonne question. Non, nous ne l'avons jamais fait. J'ai témoigné devant le groupe Gateway au nom d'une coalition de groupes environnementalistes ayant reçu de l'aide financière aux intervenants, aide qui avait été demandée avant les modifications apportées dans le cadre des projets de loi C-38 et C-45.

La sénatrice Unger : D'où vient la majeure partie de votre financement?

M. Lemphers : Comme je l'ai mentionné, la moitié de notre financement vient de notre travail de consultation rémunéré auprès de secteurs public et privé. Ensuite, il y a 10 p. 100 qui viennent de particuliers, et 40 p. 100, de fondations qui sont surtout canadiennes.

La sénatrice Unger : Surtout canadiennes, et non américaines?

M. Lemphers : Oui.

La sénatrice Unger : Je suis sûre que vous savez qu'une bonne partie du financement — je ne peux pas vous donner un pourcentage exact — de l'opposition environnementaliste aux sables bitumineux vient d'une fondation américaine. Qu'en pensez-vous?

M. Lemphers : Il y a de longues traditions d'investissement étranger direct américain au Canada dans le secteur public, dans le secteur privé et dans le secteur sans but lucratif. La situation n'est pas différente dans le cas des groupes environnementalistes. Beaucoup d'Américains sont préoccupés par la façon dont l'énergie est produite. Les sables bitumineux sont un cas particulier par rapport au reste de la production d'énergie dans le monde. Ils attirent beaucoup l'attention, et préoccupent beaucoup les gens. Ce sont là certaines des raisons pour lesquelles les gens fournissent du financement.

Beaucoup de fonds provenant d'une fondation américaine sont versés à des groupes conservateurs du Canada ou à d'autres organisations qui font la promotion de l'exploitation des sables bitumineux. L'ONG environnementaliste qui reçoit de loin le plus de fonds étrangers au Canada est Canards Illimités. La plupart des gens ne diraient pas que ce groupe subit l'influence de ses bailleurs de fonds américains.

La sénatrice Unger : Je trouve ce phénomène assez récent très bizarre. Beaucoup de fonds sont versés à des groupes canadiens qui sont principalement contre les sables bitumineux. Pour reprendre ce que le sénateur McDonald a dit, j'ai vécu toute ma vie en Alberta, et je suis curieuse de savoir pourquoi l'Institut Pembina n'envisage pas d'autres exemples de cas dont on fait évidemment fi des conséquences, mais qui mériteraient pourtant que vous y prêtiez attention.

M. Lemphers : L'Institut Pembina est un organisme environnementaliste canadien doté d'un mandat national. Nos travaux ne sont pas de nature internationale, mais nous citons les exemples de choses ayant lieu ailleurs dans le monde. Par exemple, nous venons tout juste de publier un rapport, en avril dernier, sur les méthodes d'établissement du prix du carbone à différents endroits, notamment en Californie, en Norvège et en Australie. Nous procédons par comparaison dans certains cas, mais ce n'est habituellement pas notre façon de faire.

Le président : J'ai deux ou trois questions à poser. Nous n'avons pas le temps d'écouter une réponse complète, mais vous pourriez peut-être transmettre l'information à la greffière du comité, qui pourra la communiquer à chacun des membres du comité.

C'est quelque chose qui complète un peu la question du sénateur Wallace concernant le problème de sécurité que pose le transport à l'aide de certains wagons. J'ai eu l'occasion dans ma vie de bien connaître les wagons. Nous avons rencontré des représentants du New Brunswick Southern Railroad, du CN, du CP, de Transports Canada et du Bureau de la sécurité des transports du Canada. Je ne me rappelle pas qu'on nous ait déjà parlé de cela de quelque manière que ce soit. Je me trompe peut-être, mais je vais revenir sur les questions que nous leur avons posées et sur les exposés qu'ils nous ont présentés. Je ne pense pas qu'ils nous aient jamais dit quoi que ce soit au sujet d'un problème posé par un de ces wagons particuliers, et il s'agit d'un type de wagon que je connais bien, en passant.

Par ailleurs, j'aimerais obtenir l'information concernant la diapo 13, qui vous permet de passer de zéro à des chiffres positifs et négatifs. Je ne conteste pas le contenu de votre figure, mais j'aimerais consulter les documents de travail que vous avez utilisés pour en arriver à cette information et à ces chiffres. C'est simplement pour comprendre d'où vous tirez votre information, si vous êtes disposé à nous fournir les documents en question.

M. Lemphers : Il s'agit d'un rapport d'Environnement Canada, alors je peux vous le transmettre.

Le président : Merci. C'était un bon exposé, et de bonnes questions ont été posées. Merci, monsieur Lemphers. La séance est levée.

(La séance est levée.)


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