Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles
Fascicule 48 - Témoignages du 11 juin 2013
OTTAWA, le mardi 11 juin 2013
Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd'hui, à 19 h 2, pour étudier l'état actuel de la sécurité du transport en vrac des hydrocarbures au Canada et examiner l'ébauche d'un budget.
Le sénateur Richard Neufeld (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Je vous souhaite la bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles. Je m'appelle Richard Neufeld. Je représente la province de la Colombie- Britannique au Sénat et je suis le président du comité. J'aimerais souhaiter la bienvenue à tous les honorables sénateurs, aux membres du public ici présents ainsi qu'aux téléspectateurs de partout au pays.
J'inviterais tout d'abord les sénateurs à se présenter à tour de rôle. Je vais commencer par présenter notre vice- président, Grant Mitchell, de l'Alberta.
La sénatrice Unger : Betty Unger, d'Edmonton, en Alberta.
[Français]
La sénatrice Ringuette : Pierrette Ringuette, Nouveau-Brunswick.
[Traduction]
La sénatrice McCoy : Elaine McCoy, de l'Alberta.
Le président : J'aimerais aussi vous présenter les membres de notre équipe, Lynn Gordon, notre greffière, ainsi que Sam Banks et Marc LeBlanc, nos deux analystes de la Bibliothèque du Parlement.
Le 28 novembre 2012, le Sénat a autorisé notre comité à entreprendre une étude sur la sécurité du transport des hydrocarbures au Canada. Dans le cadre de cette étude, nous examinons et comparons les régimes réglementaires au pays et à l'étranger, les normes et les meilleures pratiques liées au transport sécuritaire des hydrocarbures par pipeline, par pétrolier et par train.
Jusqu'à maintenant, notre comité a consacré 15 séances à cette étude. Nous nous sommes également rendus à Calgary, à Sarnia, à Hamilton, à Saint John, ainsi qu'à Halifax et à Point Tupper, en Nouvelle-Écosse, pour participer à des missions d'information et visiter des sites.
Je suis heureux d'accueillir aujourd'hui, par vidéoconférence, Mark Flint, ingénieur et président-directeur général de l'Association of Professional Engineers and Geoscientists of Alberta; de même qu'Al Schuld, ingénieur et registrateur.
Messieurs, nous sommes désolés de vous avoir fait attendre aussi longtemps. Nous vous sommes très reconnaissants de bien vouloir rester avec nous pour discuter des questions qui nous intéressent. Je sais que nous avons une heure de retard, mais il y certaines situations hors de notre contrôle, et sachez que nous ne pouvons pas siéger tant que le Sénat siège. C'est ce qui explique notre retard. Merci beaucoup.
Je vous invite maintenant à faire votre déclaration, après quoi nous vous poserons quelques questions. D'autres sénateurs se joindront à nous plus tard et nous vous les présenterons afin que vous sachiez qui siège au comité. La parole est à vous, monsieur.
[Français]
Mark Flint, ingénieur et président-directeur général, Association of Professional Engineers and Geoscientists of Alberta : Honorables sénateurs, j'aimerais tout d'abord vous remercier pour cette opportunité aujourd'hui de contribuer à votre travail important au sein du Sénat du Canada.
[Traduction]
Je serais d'autant plus heureux si, grâce à mon témoignage, je pouvais aider nos membres aujourd'hui et dans l'avenir. Comme vous le savez, l'Association of Professional Engineers and Geoscientists of Alberta, ou l'APEGA, réglemente l'exercice des professions d'ingénieur et de géoscientifique en Alberta. Notre mission consiste à servir l'intérêt public en réglementant l'exercice de ces professions, en assurant un leadership et en encadrant nos membres dans l'exercice de leurs fonctions.
Les pouvoirs de l'association lui sont conférés par la Engineering and Geoscience Professions Act, et notre champ de compétence se limite à l'Alberta. Cependant, nous travaillons de concert avec nos associations homologues pour assurer l'intégrité de nos professions partout au pays.
Nous comptons environ 69 500 membres, dont des professionnels, des membres en formation et des étudiants. Il y a aussi près de 4 500 organisations qui détiennent un permis d'exercice. Nous avons une situation unique en Alberta, puisque nos organisations qui travaillent dans les domaines du génie ou des sciences de la terre doivent avoir un plan de gestion de la pratique professionnelle. C'est le mécanisme dont se servent les organisations pour gérer l'exercice de la profession à l'interne.
Nous sommes tenus d'aller au-delà de la réglementation et nous travaillons avec les enseignants, dans les écoles à tous les niveaux, et dans les établissements postsecondaires, afin d'encourager la relève dans ces professions et de favoriser la diversité.
C'est ce qui met fin à ma déclaration. Je répondrai volontiers à vos questions.
Le président : Merci. Deux autres sénateurs se sont joints à nous : le sénateur Wallace, du Nouveau-Brunswick, et le sénateur Patterson, du Nunavut.
Je vais maintenant céder la parole au vice-président du comité, le sénateur Mitchell, de l'Alberta.
Le sénateur Mitchell : Je vous remercie beaucoup de votre présence, de votre patience et de la qualité de votre français. Nous vous sommes très reconnaissants.
Tout d'abord, j'aimerais connaître le rôle d'une association comme l'APEGA dans l'élaboration des normes CSA. Vous n'êtes probablement pas sans savoir que la norme CSA Z662 est une norme de sécurité de premier ordre relativement aux pipelines.
Entretenez-vous une relation structurée avec l'entité et les groupes qui établissent ces normes? Est-ce qu'on vous consulte de temps à autre?
M. Flint : Merci, monsieur le sénateur. L'établissement des normes ne relève pas de notre association professionnelle. Nous ne régissons pas ces normes. Évidemment, nos membres participent à leur élaboration, mais cela n'a rien à voir avec notre association professionnelle.
Le sénateur Mitchell : Si un problème survenait, vos membres seraient-ils tenus de le signaler à votre organisation? Je me suis peut-être mal exprimé, mais votre organisation aurait-elle un quelconque intérêt à être informée d'un problème d'ingénierie? Prendriez-vous des mesures? Comment vos membres réagiraient-ils à cette situation?
M. Flint : Puisque vous parlez d'obligation, je dirais que chaque membre est tenu d'exercer sa profession selon le code d'éthique que nous adoptons. Si une personne se trouve devant un dilemme éthique dans son milieu de travail ou si quelque chose la préoccupe, il existe un mécanisme lui permettant de déposer une plainte auprès de notre association. Toutefois, je considère que ce n'est pas la première option à envisager pour régler le problème. Les membres vont d'abord se tourner vers l'organisation qui régit le code ou la norme avant de s'adresser à nous.
Le sénateur Mitchell : Je pense au malheureux déversement qui s'est produit dans la rivière Kalamazoo, au Michigan, il y a quelques années. Je suppose que c'est la même chose pour l'un de vos ingénieurs, et que cela ne relevait même pas de votre compétence. Imaginez qu'un déversement survient en Alberta et qu'un de vos ingénieurs avait détecté une défaillance à l'origine de ce déversement. Si un groupe d'ingénieurs avaient décelé un problème d'ingénierie particulier, dans ce cas, j'imagine qu'ils l'auraient signalé au gouvernement provincial, à l'ONE ou à toute autre entité concernée.
M. Flint : En effet. Je pense qu'ils s'adresseraient en premier lieu à l'Office national de l'énergie. Par contre, selon moi, rien ne les empêche d'entreprendre d'autres démarches auprès de la province ou même de signaler un problème lié à la profession à notre association. Puisque cela concerne particulièrement les pipelines, je dirais qu'il serait plutôt inhabituel pour nous de traiter ce type de plainte.
Le sénateur Mitchell : Vous avez dit avoir l'obligation d'élaborer un plan de gestion de la pratique professionnelle. Pourriez-vous nous expliquer en quoi cela consiste? S'agit-il entre autres d'un code de déontologie? Comment le plan vous permet-il de surveiller le comportement de vos ingénieurs professionnels?
M. Flint : C'est un plan propre à l'Alberta, comme je l'ai indiqué. Toute organisation ou entreprise qui exerce une profession doit disposer d'un plan qui définit de quelle façon elle gèrera la profession. Je dis « organisation » car les municipalités ont également un plan en place. La ville de Calgary, par exemple, est un important détenteur de permis. Puisqu'elle gère l'exercice de la profession d'ingénieur, elle dispose aussi d'un plan de gestion de la pratique professionnelle.
Il s'agit d'un ensemble de politiques et de procédures qui s'appliquent à l'entreprise et qui ont été établies pour assurer la surveillance de la profession à l'interne. Le nom du membre responsable apparaît sur le permis, et cette personne est ainsi habilitée à exercer la profession.
Le sénateur Mitchell : Les organisations vous soumettent-elles leur plan pour approbation ou aux fins d'un quelconque examen?
M. Flint : Pour répondre à la première partie de votre question, non, elles ne nous présentent pas nécessairement leur plan pour que nous les approuvions. N'empêche que nous aidons fréquemment les entreprises et les organisations à élaborer leur plan de gestion de la pratique professionnelle. Il arrive aussi que nous procédions à la vérification des plans des organisations. Nous tentons de déterminer ce dont elles ont besoin pour appliquer efficacement ce plan à l'interne. Il y a un système de suivi.
Ce n'est pas une vérification que nous effectuons obligatoirement chaque année. Nous sélectionnons quelques organisations tous les ans en fonction des ressources disponibles.
La sénatrice McCoy : Merci messieurs d'être parmi nous aujourd'hui et de vous être montrés aussi patients.
En Alberta, nous sommes très fiers de notre capacité technique depuis bon nombre d'années. Depuis 1947 et même avant, nous évoluons au même rythme que l'industrie pétrolière et gazière, tout comme notre expertise. Nous sommes réputés dans ce domaine. En même temps, nous nous heurtons à certains obstacles lorsque la construction dans l'industrie pétrolière et gazière est à son sommet. Êtes-vous d'accord pour dire qu'il y a eu une pénurie d'ingénieurs et d'autres lacunes en matière de capacité technique en Alberta?
M. Flint : Oui, et je dirais que c'est encore le cas. La province connaît une importante pénurie d'ingénieurs et de géoscientifiques d'ONG.
La sénatrice McCoy : Nous avons tenté de pallier ce problème et nous nous sommes tournés vers les autres provinces et les autres pays pour combler les besoins de nos entreprises. Est-ce exact?
M. Flint : Oui. Je dirais que près de 35 à 40 p. 100 des transferts dans notre province sont des travailleurs étrangers — des nouveaux Canadiens.
La sénatrice McCoy : L'APEGA veille donc à ce que leurs compétences soient à la hauteur de nos normes, n'est-ce pas?
M. Flint : Absolument. Nous vérifions leurs diplômes universitaires et nous nous assurons qu'ils ont l'expérience requise et qu'ils répondent à tous les critères avant de leur délivrer un permis leur permettant d'exercer de façon indépendante.
La sénatrice McCoy : D'après votre expérience, le recours aux travailleurs étrangers s'est-il avéré efficace? Avez-vous été confrontés à des problèmes d'ordre linguistique? Est-ce que cela s'est fait sans heurts? Ont-ils assimilé rapidement les connaissances techniques et professionnelles ou ont-ils éprouvé des difficultés?
M. Flint : Vous avez abordé plusieurs facteurs clés. Chose certaine, la langue est un problème, et c'est d'ailleurs un critère sur lequel on se fonde pour délivrer un permis. Il est extrêmement difficile de comprendre les titres scolaires des travailleurs qui arrivent de l'étranger. Nous avons un processus rigoureux de reconnaissance professionnelle pour les établissements du Canada. Nous arrivons à comprendre le processus de quelques universités et établissements postsecondaires en dehors du Canada. Toutefois, dans certains cas, c'est un véritable défi. En fait, quand nous ne sommes pas sûrs, nous évaluons les titres scolaires cours par cours en nous attardant au syllabus du cours pour comprendre réellement de quoi il s'agit. Nous nous assurons ainsi que les gens possèdent les compétences requises.
Vous avez aussi parlé de culture. Ce qui s'est passé récemment chez SNC-Lavalin nous permet de comprendre que les choses ne se font pas nécessairement de la même façon au Canada et à l'étranger. Puisque nous ne changerons pas le monde, nous devons simplement être conscients de la période d'assimilation et d'adaptation nécessaire. C'est une tout autre question.
L'an dernier, l'Association of Professional Engineers and Geoscientists of Alberta, ou APEGA, a reçu près de 8 400 demandes. Par conséquent, près de 10 p. 100 des 95 000 personnes arrivées en Alberta l'an dernier nous ont demandé un permis. C'est tout un défi. En contrepartie, nous devons outiller l'industrie et les nouveaux Canadiens pour que ces derniers puissent travailler dans le secteur, sans toutefois perdre de vue l'intérêt public.
Le président : Quelques sénateurs se sont joints à nous : le sénateur Lang, du Yukon; le sénateur MacDonald, de la Nouvelle-Écosse; et le sénateur Massicotte, du Québec.
Le sénateur Lang : Je souhaite la bienvenue à nos invités. Nous vous sommes reconnaissants d'être ici malgré notre retard.
J'aimerais faire suite à la question du sénateur Mitchell, qui portait sur votre organisation professionnelle et les titres de compétences.
La semaine dernière, nous avons reçu un témoin qui est considéré comme étant un dénonciateur. Grâce à son travail, l'Office national de l'énergie, ou ONE, aurait apparemment modifié sa procédure d'inspection des pipelines pour veiller à ce que les soudures respectent les normes. Ce que je comprends mal, c'est qu'une personne ne puisse pas faire son travail alors qu'elle détient un titre de compétences et que son gagne-pain dépend de la crédibilité de celui-ci.
Permettez-moi de vous paraphraser. En réponse à la question du sénateur Mitchell, vous avez dit tout à l'heure que les ingénieurs se plaignent très rarement auprès de votre association qu'une société ou une industrie leur demande de faire des choses qui vont à l'encontre de leur titre de compétences en ingénierie.
Tout d'abord, est-il déjà arrivé qu'un ingénieur se plaigne auprès de vous d'être placé dans une position compromettante en milieu de travail qui mettrait en cause son titre de compétences en ingénierie? Votre association a-t- elle déjà eu affaire à des cas semblables?
M. Flint : Je vous remercie de votre question, monsieur le sénateur. Je m'en remets à M. Schuld, notre registrateur, qui travaille au sein de l'APEGA depuis pas mal de temps, et qui est probablement mieux placé que moi pour vous répondre.
Al Schuld, ingénieur et registrateur, Association of Professional Engineers and Geoscientists of Alberta : Merci, monsieur le sénateur. Une des tâches courantes de mon personnel est de prodiguer des conseils pratiques. Souvent, ceux qui se trouvent dans une situation semblable à celle que vous avez décrite se demandent quoi faire lorsque quelqu'un tente de les contredire alors qu'ils ont l'impression que les normes ne sont pas respectées. Nous donnons beaucoup de conseils pratiques sur la façon de régler les différends autrement. La personne doit commencer par en discuter avec son patron. Je ne vais pas vous exposer la discussion au complet, mais ce genre de conseils est fréquent. Il est possible que la situation se soit envenimée au point où le professionnel risque de perdre son emploi s'il ne se plie pas à la demande. Bien que ce soit rare, il pourrait alors demeurer convaincu qu'on lui demande de faire des choses ou d'approuver des travaux qui ne devraient pas l'être puisqu'ils ne respectent pas les normes. Ces personnes risquent bel et bien de perdre leur emploi s'ils vont jusqu'à dénoncer la situation. Il y a des étapes à suivre de façon professionnelle pour faire comprendre ses craintes quant au non-respect d'un avis professionnel.
Le sénateur Lang : J'aimerais poursuivre sur le même sujet. Notre étude porte sur la sécurité des pipelines, comme vous le savez, et j'aimerais revenir sur la question initiale du sénateur Mitchell.
J'ai une question générale concernant les ingénieurs qui s'adressent à votre association. Est-ce que plusieurs ingénieurs du secteur des pipelines ont consulté votre association pour tenir ce genre de petites discussions ou pour demander des conseils afin d'éviter de compromettre leur titre de compétences en milieu de travail? S'agit-il plutôt de cas anecdotiques?
M. Flint : Je dirais qu'il n'y a rien de majeur à signaler. À vrai dire, le cas de M. Vokes est le seul dont j'ai eu vent dans ce secteur.
Le sénateur Wallace : Mes questions porteront sur le même sujet que celles du sénateur Lang, monsieur Flint. Disons qu'une personne craint qu'un problème de conception technique ou de normes de construction en ingénierie touchant les oléoducs puisse représenter une menace pour le public et l'environnement, ce genre de préoccupation pourrait-elle être portée à l'attention de votre association? Est-ce fréquent? S'attend-on à ce que vous interveniez puisque vous représentez les normes en ingénierie? Est-ce que ce genre de situation survient ou pourrait survenir?
M. Flint : Oui, une telle situation pourrait se produire, mais permettez-moi d'abord de vous expliquer un peu le contexte. En fait, nous n'avons aucune emprise sur les entreprises ou les détenteurs de permis dont les infrastructures ou les activités dépassent nos frontières, comme les sociétés ayant des pipelines qui traversent les frontières de la province et qui ont des activités d'un bout à l'autre de notre territoire. Ces sociétés ne sont pas tenues d'avoir un permis pour exercer leurs activités. Cela dit, TransCanada applique un plan de gestion de la pratique professionnelle depuis longtemps, par exemple. La société collabore et fait preuve de bonne volonté à cet égard. Mais nous n'avons pas souvent affaire aux sociétés de pipeline. Je dirais que nous interagissons plus souvent avec les membres d'autres organisations, et même de grandes sociétés pétrolières.
Le sénateur Wallace : Puisque les activités qui ont été portées à votre attention se limitaient à l'Alberta plutôt qu'à l'ensemble du Canada, pourrait-il arriver qu'un de vos membres ou un citoyen vous dise croire que les normes en ingénierie, les normes de construction ou la conception technique ne sont pas acceptables? Pourrait-on s'attendre à ce que vous preniez des mesures à ce sujet, ou à ce que vous preniez position? Cela arrive-t-il?
M. Flint : Quelqu'un pourrait logiquement nous demander d'examiner une telle situation, mais on peut dire que cela n'a jamais été le rôle ni le mandat d'une organisation professionnelle comme l'APEGA. Nous avons préféré veiller à ce que les professionnels aient les titres de compétences et l'expérience nécessaires, et qu'ils soient aptes à pratiquer. Mais je pense que ce dont vous parlez s'est déjà produit, même si ce n'est probablement pas arrivé aussi souvent qu'on pourrait le croire.
Le sénateur Wallace : C'est la réponse à laquelle je m'attendais, mais M. Vokes s'est montré très dur quant aux activités de l'ONE, de TransCanada et de votre association d'ingénieurs lorsqu'il a témoigné la semaine dernière. Voici ce qu'il nous a dit en personne : « Cette entreprise n'avait pas respecté les procédures [...]; mon organisation professionnelle n'est pas intervenue, et c'était difficile à accepter. »
Il parlait de quelque chose qui s'était apparemment produit à Deer Creek Energy, à Fort McMurray. Il nous a affirmé haut et fort que votre association n'avait pas assumé ses responsabilités, et je me demande ce qu'il voulait dire. Pour reprendre ses mots, de quelle façon s'attendait-on à ce que vous interveniez?
M. Flint : J'ignore ce qui s'est passé à Deer Creek Energy de Fort McMurray. Je ne connais pas bien le problème, mais permettez-moi de vous parler un instant de ses craintes à propos de TransCanada. Lorsque l'histoire a fait les manchettes à l'automne dernier, nous échangions avec M. Vokes depuis le mois de mai précédent, environ. Nous connaissions déjà ses craintes. Il a déposé une plainte écrite, après quoi il nous a demandé de la suspendre jusqu'à ce qu'il soit satisfait de la procédure puisqu'il ne voulait pas que nous divulguions plus d'information.
C'est ce que nous avons fait. Dans le même témoignage, M. Vokes dit qu'il est presque prêt à la déposer de nouveau. Nous savons qu'il a des préoccupations. Lorsque l'histoire a fait les manchettes à l'automne dernier, j'ai même communiqué avec l'ingénieur en chef de l'ONE pour lui dire ceci :
Il s'agirait là d'une excellente occasion de partenariat entre l'APEGA et l'ONE. Tandis que vous vérifiez les activités de TransCanada, que diriez-vous de collaborer avec nous et de nous permettre de vous conseiller sur ce qui relève de notre compétence quant à la marche à suivre?
Nous reconnaissons que cet organisme de réglementation fédéral a préséance. Nous lui avons offert notre aide et aurions été ravis de participer au processus.
Le sénateur Wallace : Que vous a répondu l'ONE?
M. Flint : L'office tient à demeurer un vérificateur indépendant. Il possède une très grande capacité en ingénierie et préfère que le dossier reste à l'interne. J'ai respecté sa décision, et nous n'avons pas insisté davantage.
Le sénateur Patterson : Merci d'être avec nous, messieurs. Puisque vous avez probablement eu la chance de lire le témoignage de M. Vokes, vous comprendrez pourquoi nous voulions convoquer l'APEGA. Avez-vous bel et bien pris connaissance de son exposé?
M. Flint : Je dirais que oui; à vrai dire, je l'ai lu rapidement aujourd'hui par manque de temps, mais je l'ai fait.
Le sénateur Patterson : Merci. Je sais que nous vous avons convoqués à la dernière minute. J'aimerais toutefois porter à votre attention une remarque que M. Vokes a formulée à plusieurs reprises. Dans son témoignage, il a parlé d'erreurs commises entourant un pipeline en particulier. Je suis à la page 9 de la transcription non révisée de la séance du 6 juin dernier. Ce n'est qu'une petite remarque. Voici ce qu'il a dit :
C'est malheureux, parce qu'en vertu de la Loi sur les ingénieurs — le code de déontologie —, un ingénieur est tenu de connaître les codes et règlements qui régissent son travail.
Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet? La Loi sur les ingénieurs comporte-t-elle un code de déontologie? La profession est-elle réglementée par un tel code en Alberta?
M. Flint : Oui, il y a bel et bien un code de déontologie dans la Loi sur les ingénieurs, et voici ce que dit la 4e règle du code :
Les ingénieurs et les géoscientifiques sont tenus de se conformer aux lois, aux règles et aux règlements s'appliquant à leur pratique professionnelle.
Je crois que c'est l'article du code de déontologie auquel il fait référence.
Le sénateur Patterson : Pourriez-vous s'il vous plaît nous expliquer comment la profession entend surveiller et appliquer son code de déontologie? Celui-ci est-il bel et bien surveillé et mis en application?
M. Flint : Puisque la profession est autoréglementée, comme vous le savez, une bonne partie de notre travail consiste à inculquer le code de déontologie et à encourager les professionnels à le suivre sans trop leur dire comment s'y prendre. Il s'agit naturellement de décisions professionnelles. Je n'ai pas de réponse précise à vous donner.
Le sénateur Patterson : M. Vokes pourra tout de même porter plainte. Vous avez dit qu'il a probablement l'intention de le faire, et que vous êtes prêts à donner suite à sa plainte. Ai-je bien compris?
M. Flint : Nous avons bel et bien un mécanisme de réception et de traitement des plaintes. Nous savons parfaitement qu'il va terminer de formuler sa plainte, et nous serons prêts à passer à l'action dès qu'il nous permettra de le faire.
Le sénateur Patterson : S'agira-t-il d'un processus confidentiel au sein de l'organisation? Sinon, comment procéderez-vous?
M. Flint : Nous préférons mener toutes nos enquêtes en privé plutôt que sur la place publique. Nous en avons un certain nombre en cours, dont une porte sur un autre détenteur de permis très important. Nous n'avons rien divulgué publiquement à ce sujet. Si l'enquête n'aboutit à rien, nous ne voudrions naturellement pas causer de problème à qui que ce soit sans raison.
M. Schuld : Cela dit, si l'enquête permet de porter des accusations contre une personne ou une société, un comité disciplinaire tiendra des audiences qui, elles, sont normalement publiques.
Le sénateur Patterson : Pourriez-vous s'il vous plaît nous expliquer comment des accusations pourraient être portées à la suite d'une plainte déposée auprès de l'association?
M. Schuld : Bien sûr. Nous nous basons souvent sur une plainte écrite qu'un citoyen ou un de nos membres nous adresse. Un comité d'enquête étudie la plainte et recueille de l'information. Dans le cadre de la procédure, si une plainte est formulée à l'endroit d'un ingénieur, celui-ci a naturellement le droit de consulter le document portant sur sa conduite et d'y répondre. Après avoir pris connaissance de la plainte, des preuves et de la réponse, le comité d'enquête détermine s'il y a lieu de porter des accusations. Il devra ensuite présenter le dossier au comité disciplinaire afin de prouver le bien-fondé des accusations. Je viens de vous décrire très brièvement un processus qui peut prendre pas mal de temps. Quoi qu'il en soit, nous menons des enquêtes, engageons des poursuites et rendons un jugement sur les plaintes concernant les compétences et la conduite de nos membres.
Le sénateur Massicotte : Merci d'être avec nous. Je poursuivrai sur le même sujet, mais je me ferai un peu l'avocat du diable. Comme vous le savez, certaines professions sont censées s'autoréglementer à l'échelle fédérale et provinciale. Cette autonomie est essentielle et est la façon la plus efficace de gérer ce genre de problèmes. Mais comme vous le savez, de nombreux Canadiens se plaignent que la plupart des professions arrivent très bien à élargir leurs rangs sans toutefois être en mesure de discipliner leurs membres ou de garantir la qualité et le respect des normes. Comme vous l'avez dit plus tôt, le Québec est actuellement aux prises avec un problème particulier, où l'on remet en question l'intégrité de nombreux ingénieurs et même leur compétence, compte tenu des viaducs qui se sont écroulés. De plus, nombreux sont ceux qui constatent que les professionnels n'hésitent pas à se protéger entre eux et qu'ils s'intéressent davantage à leurs intérêts qu'à la sécurité du public. Qu'avez-vous à dire à ce sujet? Ont-ils un certain mérite?
M. Flint : J'ai déjà entendu des commentaires et des critiques de ce genre, et je comprends pourquoi on pourrait penser cela. J'aimerais revenir sur les questions de la sénatrice McCoy : elle a fait allusion aux problèmes que nous rencontrons quand nous faisons venir des gens d'autres pays étant donné qu'il est difficile de vérifier leurs titres de compétences et de les aider à assimiler notre façon de travailler au Canada. Par ailleurs, nous devons surmonter des obstacles linguistiques. Votre question porte sur l'une de nos principales façons de règlementer la profession, à savoir en exigeant des compétences élevées de la part de ceux qui y entrent. Par ailleurs, nous faisons tout ce que nous pouvons en aval pour vérifier comment les gens font respecter la règlementation. En général, les ordres professionnels du Canada — certainement celui des ingénieurs en géosciences — s'assurent que leurs recrues possèdent les titres de compétences voulues de même que toute l'expérience et toute autre habileté requises avant de leur accorder le permis, qui leur donne une assez grande latitude pour être indépendants. Cela représente un grand défi.
Le sénateur Massicotte : Une fois que vos membres obtiennent le permis, que faites-vous pour veiller à ce qu'ils respectent les normes et qu'ils mettent à jour leurs connaissances? Avez-vous des exigences en matière de formation continue en vertu desquelles ils doivent subir des examens tous les deux ou trois ans? Sont-ils également tenus de suivre des cours d'éthique? Pourriez-vous m'expliquer ce que vous faites?
M. Flint : Une des conditions préalables à l'obtention du permis, c'est de réussir un examen sur l'exercice de la profession, qui est surtout axé sur l'éthique. Nous avons un programme de formation professionnelle continue, qui est obligatoire en Alberta, mais les normes ne sont pas les mêmes d'un bout à l'autre du pays. Nous exigeons que, chaque année, tous les membres suivent certains cours de perfectionnement professionnel, et qu'ils nous en fournissent la preuve. Nous vérifions cela et, chaque année, nous examinons le plan de gestion de la pratique professionnelle d'un certain nombre d'entreprises dans la province. Voilà certains de nos mécanismes de contrôle, mais nous n'évaluons pas tout le monde chaque année.
M. Schuld : De temps en temps, nous rayons de notre liste des gens qui n'ont pas suivi les cours de perfectionnement professionnel obligatoires. Ils peuvent perdre leur permis s'ils ne font pas ce qu'on attend d'eux.
Le sénateur Massicotte : Est-ce que certains membres de votre association ont perdu leur permis au cours des 10 dernières années pour avoir fait un travail de mauvaise qualité?
M. Schuld : Oui.
Le sénateur Massicotte : Combien?
M. Schuld : Je sais qu'au moins trois personnes ont perdu leur permis.
Le sénateur Massicotte : Était-ce parce qu'ils n'avaient pas satisfaisait aux exigences sur le plan de la formation ou parce qu'ils avaient manqué de rigueur au travail?
M. Schuld : C'est à cause de la qualité du travail qu'ils ont effectué en tant que titulaires du permis d'ingénieur professionnel.
Le sénateur Massicotte : Faites-vous comme les associations de CA ou de CPA? Celles-ci effectuent des vérifications itinérantes. Quand on fait la vérification d'une entreprise, les rapports d'ingénierie sont aussi importants que les états financiers. Une équipe de vérificateurs itinérants visitent les entreprises et s'assurent de la qualité de leur travail. Est-ce que l'association des ingénieurs a mis en place un mécanisme semblable, en vertu duquel 10 ou 20 personnes se penchent à temps plein sur les réalisations d'une entreprise, notamment ses études et ses travaux?
M. Flint : Je ne sais pas exactement comment le système des CA fonctionne, mais, d'après ce que je comprends, leur processus réglementaire compte probablement parmi les plus rigoureux au pays. Tous les membres sont vérifiés sur un certain nombre d'années. Je pense qu'il s'agit de cinq ans, mais ne me citez pas. Notre système n'est pas aussi rigoureux. Nous avons une équipe qui vérifie un échantillon chaque année, mais, à mon avis, il s'agit d'un échantillon assez retreint. Nous ne ciblons pas tout le monde, mais nous essayons de veiller à ce qu'il s'agisse d'un nombre représentatif. Par ailleurs, nous examinons à la fois les ingénieurs qui travaillent au sein d'un cabinet et ceux qui sont indépendants.
M. Schuld : Chaque année, nous examinons, au hasard, les pratiques d'une centaine des 3 000 ou 4 000 sociétés titulaires d'un permis. Les sociétés ne sont pas choisies; leurs noms sont plutôt tirés au hasard. Il nous arrive de faire une inspection ciblée, mais la grande majorité du travail du comité d'examen consiste à vérifier la pratique de l'ingénierie ou des géosciences d'une entreprise au hasard.
Le sénateur Massicotte : Qui fait la vérification ou l'examen? S'agit-il de gens de votre institut, de votre profession ou d'autres membres de la profession?
M. Schuld : Ceux qui font les vérifications sont tous des membres de la profession, oui.
Le sénateur Massicotte : Merci.
Le président : On dirait qu'il n'y a plus d'autres questions. J'aimerais donc vous en poser une.
M. Vokes nous a dit que les raccords et les valves qui sont utilisés dans le secteur des pipelines ne répondent pas aux normes, et que cela est vrai tant au Canada qu'aux États-Unis. D'après ce que j'ai compris, ces raccords et ces valves se trouvent dans le commerce. Des entreprises les auraient fabriqués dans le respect de certaines normes d'ingénierie. Serait-il exact de dire qu'un ingénieur doit avoir participé à la conception d'une telle valve et l'avoir approuvée?
M. Flint : Je pense qu'il s'agit là d'une généralisation puisque, selon l'endroit où les valves sont fabriquées, il n'est pas certain qu'un ingénieur ait participé à sa conception. Si elles ont été fabriquées à l'extérieur du Canada, un ingénieur canadien n'y a pas nécessairement participé, alors elles pourraient arriver au Canada avec un certain nombre de stipulations et être vendues en magasin.
À mon avis, un des problèmes auquel notre industrie est confrontée, c'est que, lorsque les ingénieurs conçoivent des plans, il n'est pas toujours possible de trouver les bonnes pièces. M. Vokes et d'autres membres de la profession vous diront que le problème, c'est que ce qui est fabriqué ne correspond pas nécessairement à ce que l'ingénieur avait conçu. Le plan peut indiquer qu'une certaine pièce doit être utilisée, mais quand on regarde le produit final, ce n'est pas toujours cette pièce que l'on voit, et cela, pour diverses raisons. Il se peut qu'un ingénieur ait changé le plan sans que nous en ayons été informés. Selon le pays où l'on se trouve, les ingénieurs n'ont pas forcément les mêmes compétences techniques qu'au Canada. Toutefois, les autorités de ces pays considèrent que ce sont des ingénieurs. À mon avis, il serait exagéré d'affirmer qu'un ingénieur ait participé à la conception de chaque valve.
Le président : D'accord. C'est intéressant. Merci beaucoup, messieurs. Je vous suis reconnaissant d'avoir pris le temps de comparaître ce soir. Encore une fois, je vous présente des excuses en notre nom à tous pour vous avoir gardés plus longtemps que prévu. Bonne continuation et merci.
(La séance se poursuit à huis clos.)
(La séance publique reprend.)
Le président : Bienvenue au comité. J'ai une motion qui se lit comme suit :
Sommes-nous d'accord pour que la demande supplémentaire d'autorisation de budget aux fins de l'étude spéciale (le transport des hydrocarbures), pour l'exercice se terminant le 31 mars 2014, soit approuvée et que le président soit autorisé à la présenter au Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration?
Des voix : D'accord.
Le président : Merci.
(La séance est levée.)