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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 1 - Témoignages du 23 juin 2011


OTTAWA, le jeudi 23 juin 2011

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel ont été renvoyés le projet de loi C-2, Loi modifiant le Code criminel (mégaprocès) et le projet de loi S-1001, Loi concernant l'Université Queen's à Kingston, se réunit aujourd'hui, à 10 h 34, pour examiner les projets de loi.

Le sénateur John D. Wallace (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, soyez les bienvenus. Honorables sénateurs, distingués invités, mesdames et messieurs du public, je m'appelle John Wallace, je suis un sénateur du Nouveau-Brunswick et je suis le président du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. J'ai vous souhaite la bienvenue à la séance d'aujourd'hui. Nous poursuivons notre étude du projet de loi C-2, Loi modifiant le Code criminel (mégaprocès), dont le titre abrégé est Loi sur la tenue de procès criminels équitables et efficaces.

Le projet de loi C-2 a été présenté à la Chambre des communes le 13 juin 2011. Le 14 juin 2011, le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles a été autorisé à examiner le projet de loi avant son renvoi au Sénat. L'intention du projet de loi est de régler les problèmes de retards qui sont courants lorsqu'on a affaire à des actions en justice complexes qui deviennent ce qu'on appelle des « mégaprocès ». C'est dans le cadre des mégaprocès qu'on traite des infractions graves telles que le crime organisé, les activités liées aux gangs de rue et le terrorisme.

Honorables sénateurs, nous poursuivons nos séances publiques et je suis heureux d'accueillir, au sein de notre premier groupe d'experts, M. Jacques Dupuis. Il a été admis au Barreau du Québec en 1974. Après une longue carrière à titre d'avocat plaidant et de professeur de droit, il a été, au Québec, un procureur de la Couronne permanent affecté à la lutte contre le crime organisé.

En 1998, M. Dupuis a entrepris une carrière politique et il a occupé — au Québec — plusieurs postes prestigieux tant au Parlement qu'au sein du gouvernement, notamment ceux de ministre de la Justice, procureur général et ministre de la Sécurité publique.

Monsieur Dupuis, soyez le bienvenu. Je crois que vous avez une déclaration préliminaire.

[Français]

Jacques Dupuis, à titre personnel : Monsieur le président, je vous remercie infiniment de me recevoir.

[Traduction]

C'est certainement un honneur d'avoir été invité à témoigner, dans une certaine mesure, devant le comité.

En aucun temps ne devrait-on considérer mes commentaires comme étant l'opinion du gouvernement du Québec.

[Français]

Je ne représente pas le gouvernement du Québec. Je suis devant vous à titre de citoyen intéressé à la question de la lutte au crime organisé. J'ai d'abord pris la peine, avec la permission de Mme Anwar, de vous faire distribuer un plan de ma courte allocution. J'ai entendu les commentaires du président et je vais tenter d'être le plus bref possible pour l'allocution qui commence ces débats. Il s'agit donc là d'un plan de la présentation. J'aurai ensuite une suggestion à formuler concernant un amendement possible au projet de loi C-2. Je n'ai pas d'illusion, mais je souhaitais vous faire part de cet amendement possible et dont je discuterai un peu plus tard.

Je pense que vous serez d'accord avec moi sur le fait que la pertinence pour le gouvernement d'avoir déposé puis d'adopté le projet de loi C-2 ne fait plus de doute. D'ailleurs, il y a pour preuve le concours de tous les partis représentés à la Chambre des communes, à l'exception de Mme May qui a voulu entendre un certain nombre de témoins. Le consensus à la Chambre des communes est donc que le projet de loi C-2 est non seulement pertinent, mais qu'il doit être adopté le plus rapidement possible. Et à cet égard, le concours de tous les partis à la Chambre des communes le prouve.

Il est important de dire que le projet de loi C-2 est l'aboutissement d'une longue réflexion qui a débuté en 2003 sur la tenue des mégaprocès. Pourquoi? Parce que les organisations policières ont, avec le temps, spécialisé leurs enquêtes. Les enquêtes sont devenues de plus en plus complexes. Pourquoi? Parce que le crime, les criminels se sont organisés de plus en plus. Ils ont bâti des organisations qu'ils ont voulues être secrètes; et pour les percer, cela prend de nouveaux moyens d'enquête. Les enquêtes de police sont donc devenues plus complexes parce que les criminels sont devenus plus organisés et plus secrets.

Les procureurs de la Couronne se sont adaptés à ces enquêtes puisqu'on a créé au sein de la Couronne provinciale, particulièrement à Québec, mais je sais que c'est le cas ailleurs au Canada, des escouades de procureurs de la Couronne spécialisées en matière de produits de la criminalité ou de crime organisé. On a même ajouté, au moment où les enquêtes de police commencent sur des organisations criminelles bien structurées, des procureurs de la Couronne qui suivent, à mesure que l'enquête progresse, les policiers de sorte que leurs agissements soient toujours vérifiés par un procureur de la Couronne afin de s'assurer qu'elle reste légale.

Le projet de loi C-2 s'imbrique donc dans cette nouvelle façon d'enquêter sur le crime organisé afin de pouvoir amener les individus devant les tribunaux. On a découvert que ces organisations étant tellement bien organisées au moment où on porte des accusations qu'on le fait sur des agissements criminels qui ont duré pendant plusieurs années et qui ont eu plusieurs ramifications, d'où évidemment le vocable de mégaprocès.

L'autre aspect important est que le projet de loi C-2 introduit cette notion d'un juge qui serait désigné pour gérer l'instance, donc la gestion de l'instance. Les gens qui nous écoutent doivent savoir que cette tendance, particulièrement de la cour supérieure mais pas de façon exclusive, à ce que les juges soient habilités à gérer l'instance, à s'introduire dans un certain nombre de domaines pour bien contrôler l'instance qui est devant eux est une tendance qui a commencé à avoir cours déjà, entre autres, au Québec depuis un certain temps.

Par exemple, il y a au Québec une velléité de faire une réforme du Code de procédure civile. Il y a beaucoup de suggestions de dispositions qui vont permettre que le juge qui entend un procès ou que le juge en chef puisse désigner un juge pour gérer l'instance avant que la preuve au fond ne soit entendue par un juge puîné. Ce n'est pas surprenant qu'on introduise cette question de la gestion de l'instance dans le projet de loi C-2.

Trois choses avant de terminer. Premièrement, il m'apparaît, et je vous le soumets respectueusement, et vous l'avez entendu par d'autres témoins, qu'il est urgent d'adopter le projet de loi C-2. Urgent d'abord, parce que pour être dans un souci d'efficacité; urgent parce qu'en ce qui concerne la province de Québec, des procès devront commencer et auront lieu dès le mois de septembre, de groupes criminalisés que je ne veux pas identifier ici parce que ces dossiers sont pendants devant la cour, mais aussi pour rétablir la confiance du public, que le public sache que ses gouvernants, la Chambre des communes et la Chambre haute du Canada, ont intérêt à ce que des gens qui commettent des crimes, dont on peut faire la preuve tout en respectant la présomption d'innocence, soient poursuivis de façon la plus efficace possible. Il y a donc urgence d'adopter le projet de loi. Vous êtes le dernier rempart à l'adoption de ce projet de loi, alors je vous encourage à l'adopter et le faire sanctionner le plus rapidement possible par le gouverneur général.

Deuxièmement, il m'apparaît, et on pourra en discuter durant la période des questions, que c'est un projet de loi que d'aucuns pourraient qualifier de projet de loi procédural, de telle sorte qu'en vertu de la loi d'interprétation de la législation fédérale, un projet de loi procédural entre en vigueur au moment de sa sanction, donc pourrait s'appliquer déjà, s'il devait être adopté maintenant, à des dossiers qui sont pendants au Québec, par exemple, devant la Cour supérieure, et qui doivent débuter en septembre. Cependant, j'ai une crainte.

[Traduction]

À une certaine époque de ma vie, il y a très longtemps, j'ai été avocat de la défense, mais je n'ai pas oublié quelques trucs du métier. Ce que je crains, c'est qu'un avocat de la défense plutôt créatif pourrait présenter un argument selon lequel le projet de loi C-2 n'est pas, à strictement parler, un projet de loi procédural.

[Français]

Loi C-2 est un projet de loi de fond de telle sorte que les avocats de la défense...

[Traduction]

... pourraient faire valoir que la loi ne devrait pas s'appliquer immédiatement et ne devrait pas s'appliquer aux procès qui doivent, par exemple, commencer en septembre au Québec.

[Français]

Dans cet ordre d'idées, je me suis permis respectueusement, comme citoyen, de déposer devant vous un projet, une réflexion que je me suis faite sur un amendement possible au projet de loi qui confirmerait qu'il s'agit bel et bien d'un projet de loi de nature procédurale de telle sorte qu'il n'y aurait pas de doutes dans l'esprit des juges qui auraient à interpréter des requêtes qui seraient présentées, que ce projet de loi doit recevoir application au moment de son adoption. On pourra peut-être en parler au moment de la période de questions. C'est ma première remarque : faire en sorte qu'il soit absolument connu que le projet de loi est un projet de loi de nature procédurale pour qu'il ait effet au moment de son adoption.

Finalement, et je terminerai là-dessus, pas pour les travaux de votre comité, mais je pense qu'il va falloir rapidement que le Parlement fédéral se pose la question de la pertinence d'amender le Code criminel pour légaliser, non pas légitimer, mais légaliser le mode de divulgation électronique de la preuve.

Par exemple, dans le dossier SharQC, procès qui devrait commencer en septembre, s'il fallait traduire en termes papier la preuve que les policiers ont reconnue, on en aurait pour 145 kilomètres de long de feuilles de papier. Donc, il y a toutes sortes de problèmes à la divulgation de la preuve électronique, la non-connaissance par les avocats de ces questions. Moi-même, au vénérable âge où je suis rendu, je suis un dinosaure en matière électronique. Vous êtes peut-être bien meilleurs que moi, particulièrement madame le sénateur Fraser à cause de son ancienne vie. J'ai de la difficulté avec ces moyens électroniques, mais les avocats de plus en plus apprennent ces choses. Il faudrait donc se poser cette question.

Quant à la lutte au crime organisé, particulièrement au Québec, depuis 2001, le Bureau de lutte au crime organisé a été créé à l'intérieur de la Couronne provinciale, 558 personnes ont été trouvées coupables d'actes de gangstérisme. Donc, il ne faut pas baisser les bras. Oui, la lutte au crime organisé se fait. Il y a des obstacles. Bien sûr qu'il y a des obstacles, des obstacles qui sont mis sur notre route par les criminels d'abord. Comme pouvoir public, je vous encourage à ne pas ajouter à ces obstacles, mais à permettre que ces obstacles soient défaits. Le projet de loi C-2 m'apparaît être, dans cet échafaudage de moyens que la société prend pour combattre le crime organisé et les criminels, être un instrument extraordinaire. Je vous remercie de prendre votre temps pour l'étudier.

Le sénateur Fraser : Bonjour, monsieur Dupuis, et bienvenue au Sénat. Hier, nous avons reçu, entre autres, beaucoup de témoins intéressants, dont un représentant des procureurs du Québec, qui trouvait que le projet de loi en soi était bon, mais qui nous disait que cela n'allait pas avoir toute l'utilité espérée à cause d'autres facteurs, notamment le manque de ressources au Québec.

Je ne vous demande pas de commenter la politique budgétaire.

M. J. Dupuis : Malgré tous les efforts méritoires que vous faites, je vais essayer de me tenir loin de la politique.

Le sénateur Fraser : Je vous demande, quand vous regardez la situation telle qu'elle est, sans faire de critique ni d'éloge politique, mais telle qu'elle est, selon le juge — manque de salles, manque de juges, manque de tout, c'est comme ça sans doute partout au pays —, est-ce que vous pensez que cette loi, si elle est adoptée, améliorerait vraiment les choses ou est-ce que monsieur le procureur qui a témoigné hier a raison quand il dit que les autres choses vont plutôt bloquer l'efficacité?

M. J. Dupuis : Je dirais qu'il n'y a pas de doute dans mon esprit que le projet de loi C-2 va améliorer la situation. Je vous donne un exemple qui est celui que vous avez probablement entendu le plus, mais qui est le plus pertinent. Les dispositions qui sont prévues dans le projet de loi C-2 permettent qu'on puisse, lorsqu'il y a plusieurs accusés, qui sont accusés dans quelques dossiers des mêmes accusations qui proviennent des mêmes faits, plusieurs requêtes préliminaires peuvent être présentées, qui ont trait, par exemple, à l'autorisation d'écoute électronique. Est-ce qu'on va admettre l'écoute électronique et est-ce que l'autorisation serait légale? Donc on va être en mesure de réunir tous ces accusés, de tous ces procès, pour faire une fois — une seule fois — la présentation des requêtes préliminaires et ne pas être obligé de recommencer, dans chacun des procès, les mêmes requêtes préliminaires puisqu'une disposition du projet de loi C-2 prévoit que lorsque le juge qui gère l'instance aura entendu une requête préliminaire, aura statué sur cette requête préliminaire, si les intérêts de la justice ne sont pas contraires, cette décision vaudra pour tous les accusés. C'est la première partie de ma réponse.

La deuxième est la suivante : comme je l'ai mentionné, les criminels se sont de plus en plus organisés, ils sont devenus de plus en plus secrets, ont eu des ramifications importantes de leurs activités criminelles. Comme vous l'avez constaté, les policiers se sont adaptés à cela en développant de nouveaux moyens d'enquête, les témoins délateurs, l'écoute électronique, la surveillance vidéo et ces enquêtes prennent beaucoup de temps. La Couronne s'est adaptée en donnant des équipes spécialisées, en faisant travailler des procureurs de la Couronne avec les policiers.

Le Québec a bâti pour Printemps 2001, qui est une opération précédente à celle de SharQC, un palais de justice pour recevoir ces longs procès. Après Printemps 2001, ayant constaté des difficultés, le gouvernement du Québec a ajouté 3,9 millions de dollars pour revoir l'organisation.

J'ai lu dans les journaux, récemment, que le ministre québécois de la Justice avait indiqué qu'il donnerait des ressources financières additionnelles pour revoir des salles. J'ai lu dans les journaux que le ministre québécois de la Justice avait indiqué qu'il ajouterait 96 postes de procureurs de la Couronne, et j'ai aussi lu dans les journaux qu'il y a actuellement une négociation avec les substituts du procureur général. Est-ce que tout est parfait? Non. Si tout était parfait, nous ne serions pas ici. Donc tout n'est pas parfait.

Toutefois, j'ai aussi entendu le directeur des poursuites criminelles et pénales dire, après le fameux jugement de l'honorable juge Brunton récemment : « Nous serons capables de tenir les procès. »

Je suis conscient des difficultés que l'Association des procureurs de la Couronne rencontre dans leurs négociations avec le gouvernement. Étant un optimiste de nature et sachant que les procureurs de la Couronne sont avant tout des gens qui ont une vocation, je pense que cette affaire va se régler et qu'on pourra faire avancer les choses.

Mais oui, c'est une maison qui est en train de se bâtir. Et cet édifice est extraordinairement important. Je m'excuse d'avoir été si long. J'espère avoir répondu à votre question.

Le sénateur Fraser : Je vous remercie infiniment.

Le sénateur Boisvenu : Bonjour, monsieur Dupuis.

M. J. Dupuis : Monsieur le président, permettez-moi de saluer particulièrement le sénateur Joyal, ainsi que le sénateur Boisvenu, que j'ai eu l'occasion de rencontrer dans une ancienne vie. Vous noterez que je les salue par leur ordre d'entrée au Sénat, parce que je ne veux pas être partisan.

Le sénateur Boisvenu : Pour avoir participé à des commissions parlementaires sur des projets de loi alors que j'étais président de l'association, qui aurait pensé un jour qu'on serait dans un rôle inversé?

M. J. Dupuis : Exact. Mais je vais être plus gentil que vous l'aviez été à l'époque. Je vous taquine.

Le sénateur Boisvenu : Je vais l'être, plus gentil. Je vais vous poser une question sur les coûts.

Un sujet qui me tracasse vraiment, c'est le soutien financier que l'État accorde aux présumés criminels qui se présentent, entre autres, les motards. J'ai une interrogation morale, quand on voit que de simples citoyens n'ont pas accès à l'aide juridique, que lorsqu'ils ont accès à l'aide juridique, on ne leur donne que le minimum, et que pour ces présumés criminels, on paiera jusqu'à trois fois le seuil.

Je regardais dans les articles de journaux, dans les 31 accusés qu'on a libérés dernièrement au Québec, un des présumés criminels a coûté 240 000 $ à l'État. Lorsqu'on a de la difficulté à se payer des procureurs de la Couronne, lorsqu'on regarde les délais qu'on a au Québec par rapport à l'Ontario, c'est presque le double. Et le juge Brunton le disait : « Si je libère ces 31 criminels, c'est à cause des délais. Les procès auraient été jusqu'en 2020. »

N'y a-t-il pas lieu que le Québec ou les provinces fassent un examen de conscience, à savoir, ces présumés criminels qui ont blanchi de l'argent toute leur vie, qui ont pollué nos polyvalentes avec les produits de la drogue, qui ont contaminé nos jeunes filles de 12, 13 ans dans la prostitution, que l'État ne paie pas pour ces gens et qu'on prenne ces sommes et pour les injecter dans nos corps policiers, dans nos outils, pour mieux supporter l'appareil judiciaire?

M. J. Dupuis : Le problème que vous soulevez m'a préoccupé alors que j'étais moi-même procureur de la Couronne à l'équipe des produits de la criminalité, puisqu'on saisissait à ce moment-là, entre les mains des criminels, les biens qu'ils s'étaient procurés suite à la commission de leurs forfaits. Il m'a aussi préoccupé alors que j'occupais le poste de ministre de la Sécurité publique et ministre de la Justice.

Je pense qu'il faut d'abord dire que ces honoraires qui sont payés à des avocats le sont à la suite d'un jugement du tribunal. C'est évidemment le tribunal qui prend la décision et ce n'est pas une décision gouvernementale, c'est une décision de la cour.

Je vous dirai franchement qu'après avoir réfléchi à cette question, la réponse que j'y apporte est la suivante : il m'apparaît — et je ne veux pas mettre le blâme sur personne — mais il m'apparaît que les enquêtes qui sont faites par les policiers au moment où une requête est formulée devant le juge pour que les honoraires soient payés, devraient être des enquêtes aussi importantes que celles qui sont menées sur la preuve au fond, et je m'explique. Devant le tribunal, le présumé criminel — vous avez raison de le qualifier de cette façon — doit prouver qu'il n'a pas les moyens de se payer un avocat pour un procès aussi long et aussi complexe. La Couronne est donc admise à faire une preuve que cette personne ne dit pas toute la vérité sur des biens qu'elle pourrait posséder. Et donc j'ai beaucoup insisté, à l'époque, pour que les policiers prennent ces enquêtes très au sérieux pour être capable, devant le tribunal, de venir faire une preuve contraire à la prétention des accusés, qu'ils ont le droit d'avoir un avocat.

Ceci étant dit, sénateur, bien sûr je ne peux pas commenter la décision des tribunaux puisque ce sont les tribunaux qui prennent cette décision.

Et je comprends votre préoccupation parce que pour des accusés qui font face à la justice au Québec et qui font l'objet d'une telle décision, le gouvernement fédéral paye 50 p. 100 de la facture parce que maintenant, c'est à travers le budget de l'aide juridique que sont payées ces sommes.

J'insisterais auprès des corps policiers car je crois qu'en faisant des enquêtes sérieuses, il y a moyen de démontrer, par la façon de vivre de ces gens, qu'ils ont des moyens plus importants que ceux qu'ils viennent prétendre devant le tribunal. Je sais que c'est une réponse partielle, mais c'est la seule que je puisse vous donner après réflexion.

[Traduction]

Le président : Sénateur Boisvenu, si cela ne vous dérange pas, si vous avez une autre question, pourriez-vous attendre au prochain tour pour la poser? Le temps file, et nous allons manquer de temps. Je sais qu'il y a des questions qui sont accessoires au projet de loi, et je demande aux sénateurs de limiter leurs commentaires aux questions liées au projet de loi C-2.

M. J. Dupuis : Il est possible aussi que mes réponses soient trop longues. Je vous prie de ne pas hésiter à me le dire si je prends trop de temps pour répondre.

Le président : Par ailleurs, nous voulons entendre ce que vous avez à dire. Cependant, si vous pouviez garder cela à l'esprit, nous vous en serions reconnaissants.

Le sénateur Baker : D'entrée de jeu, je pourrais dire que le sénateur Boisvenu parlait des honoraires du procureur général et non de ceux des avocats de l'aide juridique. D'après ce que j'ai compris de la question qu'il a posée, il ne parlait pas des motions présentées par la défense qui visent à libérer les produits de la criminalité, comme vous le savez. Vous avez parlé de cette demande, mais c'est une autre question.

Il y a les honoraires de l'aide juridique, puis il y a la libération, qui doit être demandée par la défense et c'est le juge qui rend une décision.

Ce dont le sénateur Boisvenu a parlé est un sujet préoccupant, et c'est que les procureurs généraux des provinces ont établi des honoraires plus élevés, habituellement de l'ordre de 15 p. 100.

M. J. Dupuis : Je suis très conscient du fait qu'il y a eu une négociation, particulièrement au Québec, entre les avocats de la défense et le procureur général.

Le sénateur Baker : Nous savons tous ce que vous voulez dire lorsque vous dites que vous aimez avoir une copie papier de la preuve. Cependant, comme vous le savez, cette époque est révolue et vous n'avez plus le droit, au Québec, d'avoir une copie papier de toutes les preuves. Vous devez accepter le CD-ROM, puis vous devez prouver qu'il est défectueux.

M. J. Dupuis : C'est exact.

Le sénateur Baker : Nous sommes dans une nouvelle ère. Toutes ces choses ont causé la prolifération des retards, des arguments et des motions. Dans la récente affaire de R. c. Auclair, le juge a été très clair. Il a dit que le problème découlait principalement de problèmes institutionnels. Dans l'ensemble de la province, seulement deux salles d'audience peuvent être utilisées pour entendre la cause et ce sera ainsi jusqu'en 2021. Vous n'avez pas abordé cette question. De plus, le juge a dit qu'il nous faut plus de juges à la Cour supérieure. C'est le gouvernement fédéral — et non la province — qui est chargé de nommer ces personnes. Ces juges sont payés par le fédéral, et dans le projet de loi, on ne dit pas qu'on va nommer plus de juges.

Que répondriez-vous au juge de l'affaire Auclair, qui a dit que le problème est institutionnel, ce qui, comme vous le savez, empêche la Couronne de présenter un argument en vertu de l'alinéa 11b)? Le manque de salles d'audience joue contre la Couronne à cet égard. Ce n'est pas systémique. Que répondriez-vous au juge et que pensez-vous du fait que le gouvernement fédéral ne nous a pas dit s'il allait augmenter le nombre de juges?

M. J. Dupuis : Quoi que vous fassiez pour que je prenne position sur le plan politique, je vais refuser cette invitation. Avec tout le respect que je vous dois, je refuse de m'engager sur cette voie.

Il y a quelques instants, j'ai mentionné que toute cette affaire est un problème. Le fait même que la loi ne traite pas des mégaprocès est une chose que vous avez réglée aujourd'hui, du moins je l'espère.

Quant à la question sur la logistique de la tenue des procès, je dirais d'abord qu'en 1999-2000, un tribunal a été construit au Québec à cette fin précise. Après l'opération Printemps 2001, comme on devrait l'appeler — qui a été le premier mégaprocès au Québec —, le gouvernement a découvert qu'il y avait des problèmes et il a injecté 2,9 millions de dollars pour les corriger.

Il ne m'a pas parlé, bien entendu, mais j'ai récemment lu dans le journal que le ministre de la Justice du Québec a prévu des fonds pour rénover quelques-unes des salles d'audience qui pourraient être utilisées pour les mégaprocès. La Couronne provinciale compte maintenant 96 procureurs de la Couronne de plus. Le ministre a négocié avec les procureurs de la Couronne par rapport aux questions salariales.

Voilà ce qu'on a fait pour satisfaire aux exigences du juge dans l'affaire Auclair. Cependant, il n'y a pas que le juge qui demande au gouvernement d'agir ainsi; c'est aussi ce qu'exige la population.

Comme je l'ai dit un peu plus tôt, nous ne vivons pas dans un monde parfait, mais nous nous adaptons à la situation le plus possible et le plus rapidement possible. Cela, je peux vous l'affirmer.

Encore une fois, avec tout le respect que je vous dois, je n'en dirai pas plus.

Le sénateur Baker : C'est très avisé de votre part.

Le président : Sénateur Baker, cela répond-il à votre question?

Le sénateur Baker : Oui, je suppose.

Le président : C'était une question, mais j'ai bien aimé la réponse. C'était très bien.

[Français]

Le sénateur Joyal : Bienvenue, monsieur Dupuis. C'est agréable de vous revoir ce matin. Dans une autre vie, nous avons partagé des tribunes en faveur du Canada et comme vous le savez, l'engagement à l'égard du Canada est un engagement quotidien au Québec. Malgré le fait que vous ayez quitté la scène politique, j'espère que vous maintiendrez cet engagement.

M. J. Dupuis : Si vous me permettez, sénateur Joyal, c'est exactement la raison pour laquelle j'ai indiqué ce matin que c'était un honneur d'avoir été invité à témoigner devant le Sénat pour donner mon opinion sur le projet de loi C-2.

Le sénateur Joyal : J'aimerais revenir sur votre deuxième point qui concerne la mise en application du projet de loi.

M. J. Dupuis : Oui.

Le sénateur Joyal : Si vous prenez le projet de loi à l'article 17, intitulé « L'entrée en vigueur », au bas de la page 11 et en haut de la page 12, vous constaterez qu'il y a deux dispositions d'entrée en vigueur qui font une distinction entre un certain nombre d'articles, soit les articles 1 à 6, et 10, 11, 14 et 16 dans le premier cas.

M. J. Dupuis : Oui.

Le sénateur Joyal : Dans le second cas, ce sont les articles 1, 3, 7, 8, 9, 12 et 13. Par définition même du projet de loi, il semble que l'entrée en vigueur se fera en deux temps. À mon avis, cela va à l'encontre de la proposition que vous nous faites aujourd'hui, d'adopter un amendement qui aurait pour effet de retourner le projet de loi à la Chambre des communes.

La Chambre des communes est sur le point de s'ajourner. La question est de savoir s'il y aurait un consentement pour que le projet de loi soit adopté tel qu'amendé par le Sénat. Cela pourrait occasionner le report du projet de loi à l'automne. Et vous-même, l'objectif de votre amendement est de s'assurer que le projet de loi puisse avoir son impact immédiat.

M. J. Dupuis : Oui, exactement.

Le sénateur Joyal : Est-ce que nous devrions pas se satisfaire du projet de loi tel quel et demander au gouvernement un engagement plus ferme quant à l'adoption des deux décrets qui séparent la mise en application du projet de loi en deux temps, plutôt que de courir le risque de reporter le tout à l'automne prochain?

M. J. Dupuis : Je vous remercie de votre question. Tout d'abord, je ne me faisais aucune illusion quant à l'adoption sur-le-champ de ma proposition d'amendement parce que je suis conscient que les juristes doivent la revoir et l'étudier.

Cependant, j'ai déposé ces amendements parce qu'il m'apparaissait important de signaler qu'il doit être clair dans l'esprit des gens, qui voudront contester le projet de loi C-2 que ce projet de loi en est un de nature procédurale, donc devant entrer en vigueur et pouvant être utilisé au moment où les procès débutent en septembre.

Je ne me faisais pas d'illusions, mais c'est là; je l'ai déposé. S'il devait y avoir dans le futur des questions devant les tribunaux sur le fait que ce projet de loi n'est pas un projet de loi procédural et qu'il ne pourrait donc pas avoir d'application dans les procès qui commencent en septembre, il y aura ce petit témoignage bien modeste que j'ai déposé devant le comité sénatorial.

Deuxièmement, c'est une chose que le décret qui permet l'entrée en vigueur du projet de loi, mais c'est une autre chose que les requêtes qui peuvent être présentées devant le tribunal. Malgré l'entrée en vigueur du projet de loi, les avocats de la défense pourraient ne pas être forclos de procéder à savoir qu'il ne s'agit pas d'un projet de loi procédural, mais d'un projet de loi qui s'attaque, par exemple, à la compétence du tribunal et qui ne devrait donc pas recevoir d'application dès septembre.

C'est pourquoi j'ai déposé l'amendement, mais je vous suis parfaitement, sénateur Joyal. Je ne me fais aucune illusion et je ne plaide pas. Je ne demande pas que le Sénat suggère à la Chambre des communes d'amender le projet de loi. Mais c'est là et ce sera un témoignage de mon opinion personnelle.

[Traduction]

Le président : Sénateur Joyal, votre autre question devra attendre au deuxième tour, si nous en avons le temps. Je suis désolé.

M. J. Dupuis : J'aurais été surpris s'il n'avait pas eu une autre question.

Le sénateur Runciman : Monsieur Dupuis, ai-je bien compris que vous êtes un ancien procureur de la Couronne?

M. J. Dupuis : Oui.

Le sénateur Runciman : Vous êtes un ancien ministre de la Sécurité publique, un ancien ministre de la Justice et, à un certain point pendant votre carrière, vous avez été avocat de la défense.

M. J. Dupuis : Oui. J'ai amorcé ma carrière à titre d'avocat de la défense. Puis, j'ai découvert que ce serait mieux d'être procureur de la Couronne. C'est une blague.

Le sénateur Runciman : C'est formidable d'avoir quelqu'un de votre expérience comme témoin. Nous entendons tous les points de vue, sauf celui de l'accusé. Je présume que vous ne témoignez pas de ce point de vue.

M. J. Dupuis : Non, du moins je l'espère.

Le sénateur Runciman : J'aimerais avoir votre point de vue, étant donné votre vaste expérience. Hier, nous avons eu d'excellents exposés par rapport à plusieurs questions qui ont été soulevées par l'Association du Barreau canadien et par le juge LeSage, qui a aussi témoigné devant le comité. Une de ces questions portait sur la nécessité d'une définition stricte de ce qu'est un mégaprocès. De toute évidence, l'ancien juge en chef croit que cela limiterait le nombre de termes descriptifs. À titre d'ancien juge en chef, il avait le sentiment qu'on suivrait le processus et qu'on ne nommerait pas un juge responsable de la gestion de l'instance à moins qu'il ne s'agisse d'un cas complexe et difficile. Qu'en pensez-vous?

Certaines de ces personnes pensaient qu'un seul juge devrait cumuler les fonctions de juge responsable de la gestion de l'instance et de juge du procès. La mesure législative ne prévoit pas cette possibilité. Cependant, les témoins ont aussi mentionné que les recommandations du juge responsable de la gestion de l'instance ne devraient pas être exécutoires, ce qui, à mon avis, neutralise la mesure législative. Ils ont parlé de l'augmentation du nombre de jurés à 14 et ont dit que cela pourrait causer des problèmes. J'aimerais avoir votre avis sur ces questions.

M. J. Dupuis : Je vais d'abord parler de la question des décisions liant les parties.

J'ai eu l'occasion de lire le mémoire de l'Association du Barreau canadien. J'ai été très surpris.

[Français]

Si on acceptait ce que l'Association du Barreau canadien prétend dans son mémoire, le projet de loi serait inutile.

[Traduction]

Le projet de loi C-2 acceptait complètement inutile. Ce qu'on propose est exactement le contraire de l'intention du projet de loi C-2. Ne pas lier les parties est exactement ce qui se produit en ce moment. Ne pas conférer aux décisions un caractère exécutoire est exactement ce que nous vivons en ce moment.

Je rappelle au comité l'exemple du juge Jean-Guy Boilard, un juge fort respecté de la Cour supérieure du Québec qui a décidé, après quatre mois de procès, qu'il ne pourrait plus présider le mégaprocès des accusés de l'Opération printemps. On a dû reprendre le procès du début avec le juge Pierre Béliveau, de la Cour supérieure du Québec.

Si le projet de loi C-2 avait déjà été adopté à ce moment-là, toutes les décisions qui ont été prises par le juge Boilard auraient été maintenues. Les motions préliminaires ont de nouveau été présentées, devant le juge Béliveau, cette fois. Il a fallu quatre mois. Je pense que les décisions devraient être exécutoires. Les parties le savent et elles devront l'accepter.

Parlons maintenant de la définition de ce qu'est un mégaprocès. Lorsque j'ai lu le projet de loi C-2 pour la première fois — après l'avoir reçu à mon bureau —, j'ai été surpris de voir qu'il n'y en avait pas. Cependant, après y avoir bien réfléchi, j'ai pensé que c'était toute une décision. Savez-vous pourquoi? Si la loi contenait une définition de ce qu'est un mégaprocès, tous les avocats de la défense pourraient plaider que le procès ne devrait pas être considéré comme un mégaprocès pour telle ou telle raison, et cette requête pourrait s'étirer pendant des semaines.

Le sénateur Runciman : C'est un excellent point.

M. J. Dupuis : Ce serait à la discrétion du juge de première instance. Les parties pourraient faire des propositions selon lesquelles les dispositions du projet de loi C-2 devraient s'appliquer à un procès en particulier. C'est une décision qui sera prise à ce moment-là. Cependant, cela devrait demeurer inchangé. Je vous remercie de la question.

Le sénateur Meredith : Monsieur Dupuis, merci de votre exposé à la fois franc et passionné d'aujourd'hui.

Nous parlons du degré de sophistication des groupes criminalisés bien organisés et des moyens qu'ils utilisent pour se soustraire à ces accusations. Étant donné que vous étiez autrefois un avocat de la défense, pouvez-vous nous parler de certains de ces moyens de défense? Pouvez-vous nous expliquer en quoi le projet de loi C-2 permet de les contrer?

M. J. Dupuis : Lorsqu'on est un accusé bien représenté par des avocats de la défense très compétents, on comprend que le temps revêt une importance capitale. Autrement dit, plus le délai entre le moment où les accusations sont déposées et le début du procès est long, plus c'est profitable parce que les témoins ont tendance à oublier. Tout autre incident qui peut se produire pendant le procès sera profitable à l'accusé.

Pour un avocat de la défense ou pour un accusé, le temps est d'une importance primordiale. Tous les moyens sont bons pour retarder la tenue d'un procès. En théorie, ce sera profitable.

En l'occurrence, sans le projet de loi C-2, on peut déposer plusieurs requêtes pour lesquelles le plaidoyer peut durer des semaines. Il faudra aussi peut-être quelques semaines avant que le juge qui les a entendues ne rende sa décision. Grâce au projet de loi C-2, on empêche les avocats de la défense et les accusés de profiter des délais. Cependant, il faut toujours se rappeler que l'accusé a le droit à une défense pleine et entière. On ne peut pas aller à la rencontre de ses droits en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés; nous respectons cela. Le projet de loi C-2 permet au procès de se dérouler sans interruption si les audiences préliminaires sont faites au préalable. Si un problème survient durant le procès et qu'il faut recommencer, quelques-unes des décisions qui avaient été rendues s'appliqueront toujours, ce qui est une amélioration importante.

Le président : Monsieur Dupuis, d'autres personnes auraient désiré vous poser des questions, mais malheureusement, nous avons dépassé le temps accordé à cette partie de la séance.

Au nom du comité, je vous remercie. Votre expérience à titre d'avocat plaidant, de procureur de la Couronne et de Procureur général du Québec ressort de votre témoignage. Votre point de vue très pratique des questions étudiées au comité nous est très utile. Nous vous remercions d'avoir pris le temps de venir ici.

Nous passons à notre deuxième groupe d'experts d'aujourd'hui. Je suis heureux de vous présenter, de la GRC, Bob Paulson, sous-commissaire, Police fédérale. Nous accueillons aussi M. Richard Dupuis, qui a passé plus de 30 ans au sein du Service de police de la ville de Montréal où, parmi ses nombreuses responsabilités, il a occupé le poste de commandant de la Division des crimes majeurs.

Nous entendrons d'abord la déclaration préliminaire du sous-commissaire Paulson, qui sera suivi de M. Richard Dupuis.

[Français]

Bob Paulson, sous-commissaire, Police fédérale, Gendarmerie royale du Canada : Je vous remercie de m'avoir invité à comparaître devant votre comité ce matin.

[Traduction]

Je n'ai pas préparé de déclaration écrite; j'ai donc pensé me présenter et vous présenter ceux qui m'accompagnent et qui sont venus ici pour discuter de cet important projet de loi.

Je suis actuellement le sous-commissaire, Police fédérale au sein de la GRC. Cela comprend la lutte contre le crime organisé, la police des marchés financiers, l'intégrité des frontières ainsi que d'autres enquêtes d'envergure que nous entreprenons. Avant de venir à Ottawa, j'ai été gestionnaire des crimes graves liés au crime organisé en Colombie-Britannique pendant plusieurs années. Avant cela, j'ai enquêté sur des crimes graves et sur des homicides. J'ai travaillé sur des crimes graves pendant la majeure partie de mon service. Je pense qu'il s'agit d'une occasion importante qui nous permettra de rendre le processus plus efficace.

Je suis heureux d'être ici avec vous aujourd'hui afin de répondre à vos questions.

Le président : Monsieur Dupuis, allez-y, je vous prie.

[Français]

Richard Dupuis, à titre personnel : Monsieur le président, je me présente aujourd'hui devant vous à titre de citoyens canadien ayant une expertise en enquêtes criminelles. J'ai oeuvré pendant 30 ans comme policier au Service de police de la Ville de Montréal, dont les 20 dernières années dans le domaine des enquêtes. J'ai occupé, entre autres, la fonction d'inspecteur à la division du renseignement, ayant pour responsabilité tout ce qui concerne l'unité de protection des témoins, à savoir les témoins spéciaux, les délateurs ainsi que les témoins à protéger.

Mes responsabilités englobaient tout l'aspect des témoins experts ainsi que le plan de lutte contre l'intimidation, un volet du Service de police de la Ville Montréal. J'ai aussi commandé la section des crimes majeurs. Je veillais à la gestion administrative et opérationnelle des dossiers d'homicides, d'enlèvements, de prises d'otages, de vols qualifiés et de négociateurs. Pour terminer, j'ai assuré le commandement de l'Escouade régionale mixte de Montréal, qui avait pour double mandat de lutter contre les motards criminalisés et de mener à termes les mégaprocès qui ont suivi l'opération Printemps 2001.

Cela dit, je tiens à remercier les membres du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles de me permettre d'échanger et de commenter le projet de loi C-2, et de promouvoir à ma façon l'avancement du droit criminel au Canada. À la suite de la lecture du projet de loi C-2, j'aimerais attirer l'attention du comité sur deux points qui m'interpellent particulièrement compte tenu de mon champ d'expertise.

Le premier point se retrouve à la partie 18.1, à l'article 551.3(1)g). Il aborde la question des témoins experts. Cet article fait référence à la responsabilité dévolue aux témoins experts policiers dans le cadre des mégaprocès visant des accusations de gangstérisme qui est tout d'abord d'établir le profil de l'organisation criminelle dont feraient partie les accusés. Plusieurs jours voire plusieurs semaines sont nécessaires pour établir ce profil et ce pour toute une équipe d'enquêteurs. Le principe est assez compliqué. Il faut prendre chacun des rapports d'événements policiers, arrestations, interpellations, observations, rapports de filatures, résumés d'écoute électronique, rassemblements et toute l'information sur les « party » mettant en cause ces gens-là, les gens reliés au crime organisé ou à l'organisation criminelle visée par notre enquête, et les analyser, et les verbaliser pour pouvoir fournir un rapport. Ce document devra fournir la preuve que le groupe ciblé est une organisation qui pratique des activités criminelles. Par la suite, le même cheminement d'enquête doit être répété, et ce pour chacun des individus impliqués dans les événements préalablement cités.

Ce processus permettra d'établir le portrait de la carrière criminelle d'un accusé à l'intérieur de l'organisation criminelle ainsi que sa participation aux crimes substantifs qui lui sont reprochés.

Il existe peu de policiers reconnus à titre de témoins experts. Et, de plus, chacun de ceux-ci a développé une spécialité pour un groupe donné de la souche criminelle qui lui incombe. Donc, vous comprendrez que le spécialiste du crime organisé asiatique ne pourrait rendre un témoignage dans un procès impliquant le crime organisé italien.

Prenons à titre d'exemple le projet SharQC, qui a permis l'arrestation de plus de 150 individus reliés au groupe organisé des Hells Angels. Mis à part le travail colossal que devront fournir les organisations policières, des délais fort importants sont à prévoir dans le cadre des procédures judiciaires puisque seulement un nombre restreint de policiers seront reconnus experts en la matière et autorisés à témoigner à ce titre.

Recommandations ou suggestions : je soumets respectueusement au comité que lorsqu'une organisation a déjà, au sens de la loi, été déclarée criminelle, elle devrait continuer d'être reconnue comme telle par tous les tribunaux pour éviter les duplicatas et le travail inutile.

Je soumets aussi respectueusement au comité que dans les cas où un accusé déjà reconnu coupable de gangstérisme, et qui ferait de nouveau face aux mêmes accusations dans le futur, ce dernier verrait le fardeau de la preuve être renversé. Il incomberait donc au prévenu de démontrer que depuis la dernière accusation, il s'est dissocié du gang et n'y participe d'aucune façon.

Le deuxième et dernier point que j'aimerais commenter est le renforcement de la protection de l'identité des jurés, tel que précisé à l'article 631(6). Il s'agit ici d'un pas dans la bonne direction certes. Mais comme chacun d'entre nous le savons, les organisations criminelles visées par les mégaprocès ont des pouvoirs et des ramifications fort bien organisés et aussi fort puissantes, leur permettant malheureusement de mettre une pression indue sur les gens appelés à juger de leurs actes. Non seulement faut-il penser à cacher leur identité, soit le nom tel qu'il est inclus dans le projet de loi C-2, mais il faudrait aussi éviter tout contact physique et visuel avec les accusés et leurs représentants, non seulement pendant le choix du jury mais aussi lors de l'audition de la cause.

D'ailleurs pour garantir une protection complète aux jurés, il faudrait repenser aux modes de déplacement du jury à l'intérieur ainsi qu'à l'extérieur des cours de justice. De plus, pour s'assurer que chaque membre composant le jury ait toute l'attention nécessaire à l'accomplissement de son devoir, il est impératif, selon moi, de revoir le système de rémunération octroyée aux personnes recrutées à titre de juré.

Je me souviens d'un cas, dont j'ai été personnellement témoin, de deux jurés qui avaient demandé d'être exclus après quatre semaines de procès, prétextant leur précarité financière, compte tenu qu'ils étaient des travailleurs autonomes et donc la seule source de revenu familial. Ayant exposé leur situation au vu et au su de toutes les parties, et ayant vu leur requête refusée, ces deux jurés se sont placés dans un état de vulnérabilité qui a ou aurait pu être exploité par les accusés. Je ne crois pas que le simple fait d'augmenter le nombre de jurés, tel que spécifié dans le projet de loi C-2, disponibles à entendre une cause de l'envergure de celle entendue dans le cadre des mégaprocès, soit le remède idéal. Au contraire, selon moi, il ne fait que léser plus de personnes. La protection des jurés passe par l'intégrité physique, morale et financière, ce qui évitera toute forme de tentative de corruption.

Trois brèves suggestions ou recommandations : la première, garantir l'anonymat des jurés; deuxièmement, mettre en place des dispositifs de sécurité adéquats — et je fais référence ici à la vidéoretransmission ou à des paravents, pour ne pas que les gens appelés comme jurés soient placés en face des accusés. Mettons-nous dans une cause comme celle qu'on a vue où, à titre de juré, vous faites face à 25, 30 ou 40 personnes accusées de 15 ou 20 meurtres. Imaginez l'impact psychologique sur ces gens et la pression qu'ils doivent supporter.

En conclusion, j'ai bon espoir que les lois qui découleront du projet de loi C-2 pourront faciliter l'administration de la justice et augmenter l'efficacité de ceux qui se sont donné comme mission de faire régner la quiétude dans nos rues. Il faut souvent adopter des mesures extraordinaires pour faire face à des situations qui sortent de l'ordinaire. Les mégaprocès en sont un bel exemple. Par contre, il appert que certaines modifications s'imposent pour éviter d'autres dérapages. Merci de m'avoir écouté.

[Traduction]

Le président : Merci beaucoup, monsieur Dupuis. Nous passons maintenant aux questions des membres du comité, et nous commençons par le sénateur Boisvenu.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Merci de votre mémoire, monsieur Dupuis. C'est un grand plaisir de vous retrouver. Nous avons eu l'occasion de travailler ensemble pour assurer un meilleur service aux familles dont un proche est assassiné, surtout dans la région de Montréal. Je tiens à vous féliciter pour le travail que vous avez fait. Vous avez été à cette époque un partenaire des plus motivés et motivants.

Je trouve votre mémoire très intéressant. Je pense, entre autres, à la proposition relativement au passé de ces criminels, alors qu'on sait que ces gens appartiennent à des gangs, au monde criminalisé et que, dans la majorité des cas, ils y retournent. Lorsque ces gens doivent à nouveau faire l'objet de mégaenquêtes, qui coûtent une fortune à l'État, le fardeau de la preuve appartient toujours, toujours à l'État, comme si la Charte canadienne des droits et libertés défend plus les droits des criminels que ceux de nos institutions ou des honnêtes citoyens.

Je voudrais que vous vous mettiez dans la peau d'un policier ou d'un enquêteur qui a à travailler sur ces enquêtes — qui ne sont pas toujours faciles, qui sont souvent démotivantes quand on voit que les 31 criminels qui viennent d'être libérés dans votre région —, ces policiers et enquêteurs ont mis des années dans des enquêtes qui tombent à zéro. Je comprends que ces gens doivent être carrément démolis, démotivés à reprendre le boulot.

Comment le projet de loi C-2 va mieux armer nos enquêteurs et faciliter leur travail d'enquête dans ce domaine?

M. R. Dupuis : Je vous dirais que dans le projet de loi C-2, le simple fait qu'on puisse transférer d'un dossier à un autre les décisions qui auront été prises vont dès lors diminuer énormément le travail et favoriser, en fait, une prise de décision unanime à travers l'ensemble des dossiers.

Comme vous le savez et comme l'honorable juge Brunton l'a précisé dans son jugement dernièrement, on prévoyait des procédures à la cour peut-être jusqu'en 2015, 2016. Lors d'une décision, compte tenu de l'appartenance et du groupe criminalisé, le projet de loi C-2 viendrait faire en sorte que toutes les procédures qui suivront ce jugement seront nécessairement liées. Pour moi, en partant, cela coupe plein de duplicatas d'interventions policières.

Vous comprendrez que le policier expert, qui doit se rendre d'une cour à une autre et rendre souvent le même témoignage, a toutes les chances de commettre la petite erreur qui sera utilisée par la défense. S'il a simplement à rendre un témoignage une fois et que ce soit versé dans les autres dossiers, les policiers avec lesquels j'ai encore beaucoup de contacts me disent que déjà, cela allégerait le fardeau de leur travail.

[Traduction]

Le président : Monsieur le sous-commissaire, avez-vous des commentaires par rapport à la question du sénateur?

M. Paulson : Je suis d'accord avec mon collègue. À mon avis, dépendamment de sa capacité de gérer les requêtes et de faire preuve de persuasion afin d'amener les parties à s'entendre sur les faits, la désignation d'un juge responsable de la gestion de l'instance permettra de rationaliser le nombre de fois et le temps que les agents doivent passer en cour. Pour ce qui est de la séparation d'accusés, notamment, l'idée selon laquelle les motions préliminaires seraient exécutoires et les requêtes constitutionnelles seraient réglées permettra aussi de réduire le temps que les agents consacrent à se préparer et à défendre leur travail.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Monsieur le président, je voudrais juste m'excuser auprès de M. Paulson de ne pas l'avoir salué.

M. Paulson : Merci, sénateur.

[Traduction]

Le sénateur Baker : Avant de poser ma question, je veux souligner au comité qu'au fil du temps, M. Paulson a souvent été cité dans des décisions des tribunaux en Colombie-Britannique et a été reconnu par plusieurs juges de la Cour supérieure comme le spécialiste exceptionnel des techniques d'entrevue des personnes impliquées dans des crimes graves. Il est pour le moins remarquable que le juge fasse un tel commentaire; dans un cas, les éloges du juge se sont poursuivis sur 59 pages. Je pense que le tribunal a tranché en faveur de la défense par rapport à une requête liée à la Charte mais, ce faisant, le tribunal s'est montré fort élogieux à votre égard. Si je me souviens bien, la plupart des cas étaient des cas de meurtre. Il est malheureux que vous ayez été promu à un échelon supérieur.

M. Paulson : En effet.

Le sénateur Baker : Vous ne pouvez plus nous faire profiter de l'expertise dont nous avons besoin dans la salle d'interrogation.

Monsieur le sous-commissaire Paulson, plusieurs avocats de la défense nous ont dit que cette mesure législative les satisfait. Des procureurs de la Couronne se sont dits satisfaits par cette mesure législative. Dans son témoignage, un ancien juge de la Cour supérieure s'est dit satisfait de la mesure législative. Il n'y a qu'un seul autre groupe de personnes qui participe à ce processus. Le fardeau de l'ensemble du processus repose sur les épaules d'un seul groupe, et je pense qu'il s'agit de la police.

Vous devez maintenant présenter les éléments de preuve entre le moment de l'arrestation et celui où on nommera un juge pour étudier ces questions et rendre ces décisions. Ce sont des procès très complexes. Dans votre exposé, vous avez dit que vous essayez d'éviter les mégaprocès lorsque c'est possible. Ils sont très complexes. Après avoir inculpé des gens, la police n'a-t-elle pas un incroyable travail à faire en préparation au procès, un travail qu'il faudra accélérer afin de pouvoir régler ces requêtes préliminaires?

M. Paulson : Merci de vos bons mots, sénateur.

Si nous examinons comment on aborde le problème au fil de toutes les étapes — l'enquête préliminaire, l'enquête, l'accusation et la période qui suit la mise en accusation —, on constate que la police a beaucoup d'occasions d'influer sur la façon dont le procès se déroulera ou, autrement dit, d'éviter le mégaprocès.

À la GRC, ce que nous essayons de faire actuellement, c'est de modifier nos stratégies et de nous concentrer davantage sur les grandes organisations criminelles. Nous travaillons en étroite collaboration avec nos partenaires de la poursuite tant à l'échelle provinciale qu'à l'échelle fédérale. Puis, nous entrons dans la période inconfortable pendant laquelle nous commençons à prendre des décisions stratégiques par rapport aux personnes que nous allons inculper et nous étudions les difficultés qui se présenteront à nous lorsque nous aurons procédé aux arrestations. Certains de mes collègues de la Couronne se moquent souvent de la police ou nous taquinent en disant que le travail commence véritablement après les arrestations, ce qui est au coeur de votre question, je pense.

Le sénateur Baker : Oui.

M. Paulson : Pour appuyer la poursuite, il est essentiel de lui fournir des données sur les enquêtes qui sont faciles à consulter, accessibles et fiables. Ainsi, on permettra aux procureurs de progresser lentement et de connaître du succès pendant le procès.

Une des choses sur lesquelles insistent les procureurs, c'est qu'une fois que les informations sont sous serment et que l'acte d'accusation est déposé, le processus judiciaire se déroule de façon distincte. Si le procureur se trouve dans une situation où les difficultés logistiques et administratives n'ont pas été prévues et réglées, c'est à ce moment-là qu'on se trouve en difficulté.

Nous nous concentrons à mettre de l'ordre dans les communications interceptées, les transcriptions et tous les documents que nous produisons relativement à ces importants dossiers — il y en a pour des heures et des jours — afin de nous assurer que tout est ordonné, divulgué de façon appropriée et que la Couronne peut plus facilement s'y retrouver.

Le sénateur Meredith : Premièrement, au nom du comité et en mon nom personnel, je tiens à vous remercier et à remercier vos hommes du travail constant sur le terrain qui est fait jour après jour dans l'intérêt de la sécurité publique. Étant donné que j'ai travaillé avec plusieurs chefs de police dans la région du Grand Toronto sur les questions liées à la violence chez les jeunes et les gangs de rue, je sais que ces jeunes gens ne sont pas nés avec un fusil dans les mains. La violence des gangs de rue résulte du crime organisé et du fait qu'on fournit des armes aux gangs afin de protéger le territoire et de s'assurer que les ventes sont faites. Cela a causé la perte de nombreuses vies.

C'est une question qui me tient à cœur parce que nous la voyons se reproduire sans cesse dans nos centres. Je vous remercie du travail que vous faites. À titre de détective honoraire, je comprends la complexité associée à l'envoi de personnel derrière les lignes ennemies pour assurer la sécurité publique au pays. Je vous en suis reconnaissant.

Par rapport au projet de loi et aux obstacles ou aux difficultés qui se présentent à la police lorsque la GRC, la Police provinciale de l'Ontario ou les unités de la police locale sont appelées à intervenir sur le terrain, y a-t-il des problèmes liés à l'obtention de preuves dont on ne traite pas actuellement dans le projet de loi? Si oui, quel genre de recommandation ou de modification le comité peut-il faire pour s'assurer que ces problèmes sont réglés?

M. Paulson : Je vais tenter de répondre brièvement à cette question.

Je pense que par rapport à ces importantes affaires, le projet de loi rationalise les procès criminels et en augmente l'efficacité. L'incidence que ces modifications auront sur l'obtention de preuves est minime parce que je crois que l'exigence d'obtenir des renseignements complets et détaillés est maintenue en toutes circonstances. La Charte a grandement modifié la façon dont on assure le maintien de l'ordre et ce seront toujours des aspects dont nous devrons tenir compte dans le cadre de nos enquêtes.

En réalité, cela ne fait que renforcer ce que j'ai dit plus tôt, c'est-à-dire que nous devons faire preuve de minutie dans la façon dont nous organisons nos enquêtes. Dans certains cas, on ne pourra pas empêcher la tenue de mégaprocès tandis que dans d'autres, ce sera possible, ce qui ne fait que renforcer l'idée selon laquelle les services de police devront, dans ces causes importantes, réfléchir à la façon dont on démantèle ces groupes criminels organisés.

[Français]

M. R. Dupuis : J'aimerais faire un parallèle avec ce qui se passe présentement dans les mégaprocès au Québec. On se rappellera le jugement du juge Brunton qui ne remet pas en doute ni en cause le travail policier. Ce qu'il remet en cause, c'est la stratégie employée par les procureurs de la Couronne pour procéder dans les différents dossiers.

Et ce qui ressort de cela, en fait, c'est que lorsqu'on s'attaque au crime organisé tel qu'on le connaît, il y a deux façons de le faire. On peut s'attaquer à la base et si on persiste dans notre travail et qu'on vient à s'attaquer aux têtes dirigeantes, la problématique c'est de tracer une ligne entre les gens que j'accuse et ceux que je n'accuse pas.

Au Québec, lorsque l'enquête est terminée, on établit un tableau de preuve. On dit qu'on a telle preuve pour tel individu, qu'il a commis tel délit, tel jour. On fournit l'ensemble de cette preuve au procureur qui est chargé du dossier.

À ce moment-là, la cause lui appartient. Cela devient sa stratégie à lui ou à elle pour le déterminer. La personne qui a vendu un quart de gramme dans la rue et la personne qui est accusée de 15 meurtres, est-ce que je les fais toutes deux arrêter? Si la décision du procureur de la Couronne est oui, à ce moment-là, nous, les policiers, procéderons aux arrestations parce que la preuve est complète pour l'ensemble des individus.

La où le bât blesse, je vous dirais, c'est lorsque, pour procéder à l'établissement de cette preuve, on se doit d'utiliser des délateurs, l'écoute électronique et toutes les techniques. On divulgue l'ensemble du dossier. Est-ce que le procureur va préconiser l'utilisation des délateurs pour quelqu'un qui a trafiqué de la drogue ou il va préconiser l'utilisation de ce délateur, sachant très bien qu'après quelques témoignages, il va nécessairement venir mélanger le nombre de journées où il aura eu à témoigner?

Donc, on va préconiser les dossiers de meurtre, tout en gardant à l'esprit que les trafiquants de stupéfiants ont été arrêtés à la même date. Voyez-vous les délais si on préconise ces blocs de procès avant d'arriver à la personne qui a le moins d'accusations ou les accusations les moins graves?

Le juge Brunton, ce qu'il dit, c'est que lorsqu'on sera rendu là, cet individu aura passé six ou sept ans en prison, pour une peine qui aurait peut-être valu quatre ans de prison. Le poids dans la balance, c'est là où le bât blesse.

En fait, dans l'ensemble de toutes les enquêtes policières, il y aura rarement eu des reproches sur le travail policier — que ce soit la GRC, la Sûreté du Québec ou les policiers de Montréal — et sur la façon de produire cette preuve-là. C'est souvent dans la stratégie employée par la Couronne pour procéder à travers les tribunaux.

[Traduction]

Le président : Je suis désolé, sénateur Meredith. J'aurais aimé pouvoir le faire, mais nous sommes à court de temps. Nous devons poursuivre.

Le sénateur Chaput : J'ai une petite question complémentaire. Ce sera ma seule question.

Le président : D'accord.

Le sénateur Chaput : Monsieur Paulson, je crois vous avoir entendu dire qu'un mégaprocès pourrait être évitable. Pourriez-vous simplement nous expliquer ce que vous voulez dire?

M. Paulson : Je poursuivais dans la même voie que mon collègue au sujet des personnes que nous allons arrêter et inculper. Si nous infiltrons l'organisation criminelle A, qui compte 100 criminels potentiels et que nous obtenons des preuves pour chacun d'entre eux, tous les inculper est-il vraiment dans l'intérêt du public, étant donné qu'ils n'auront pas tous la même responsabilité criminelle? Autrement dit, certains des trafiquants sont peut-être moins habiles et jouent un rôle moins grand au sein de l'organisation que les dirigeants de l'organisation, par exemple.

Dans les cas dont je me suis occupé auparavant, nous avons attaqué les dirigeants des organisations, limité le nombre d'accusés et essayé d'avoir une stratégie ciblée. Ainsi, on ne se retrouve pas avec plusieurs accusés dans la salle d'audience, avec plusieurs avocats de la défense qui présentent une multitude de motions liées à toutes les choses dont traite la mesure législative.

Le sénateur Lang : Je n'ai qu'une remarque, parce qu'on a dit plusieurs fois qu'on essaie de faire adopter le projet de loi à toute vapeur. Je trouve qu'il est intéressant de noter que les discussions initiales sur l'intention du projet de loi ont eu lieu en 2003 et que nous sommes maintenant en 2011. Beaucoup d'eau est passée sous les ponts depuis ce temps.

Monsieur le sous-commissaire, manifestement, ces mégaprocès n'ont pas seulement lieu au Canada, qui n'est pas une île. Nous avons des liens avec les États-Unis — et peut-être même au Royaume-Uni et à d'autres endroits —, tout comme les gangs dont nous parlons. Nous avons la mesure législative qui est conçue pour permettre d'entendre plusieurs motions en même temps afin de gagner du temps, c'est-à-dire le temps des tribunaux, votre temps et celui du système judiciaire.

Je ne sais pas si vous avez cette information, mais les États-Unis ou d'autres ordres juridiques ont-ils mis en place ce genre de procédure afin de pouvoir recevoir ces motions et d'aller de l'avant par rapport à ces procès plutôt que de se trouver dans une situation où on s'enlise dans un bourbier?

M. Paulson : La seule façon dont je peux répondre à cette question est de me limiter à mes observations et à mes expériences personnelles. Nos pays partenaires ne sont pas à l'abri de ce phénomène. Aux États-Unis, dans certaines des importantes affaires qui concernent le crime organisé ou peut-être les cas liés au terrorisme, on peut voir de longs procès qui s'accompagnent des mêmes problèmes que nous avons ici.

Pour ce qui est d'une comparaison, je ne pense pas que je serais bien placé pour en parler, sauf pour vous dire que je garde des liens étroits avec des collègues du Royaume-Uni, de l'Australie, des États-Unis et de la Nouvelle-Zélande. C'est un phénomène que nous vivons tous en cette ère de l'information. Tous les renseignements que nous recueillons dans le cadre de nos enquêtes doivent être gérés en conformité avec nos traditions juridiques. Cela représente un problème logistique pour tous nos partenaires.

Le sénateur Runciman : Monsieur Dupuis, dans votre déclaration préliminaire, vous avez parlé de la reconnaissance qu'une organisation a été déclarée criminelle. Je m'interroge à ce sujet, étant donné la façon dont on établit la liste des entités terroristes. Je me demande si vous pourriez en parler davantage et nous dire précisément ce qui distingue ces deux groupes. Le sous-commissaire voudra peut-être répondre à cette question aussi.

[Français]

M. R. Dupuis : Prenons, à titre d'exemple, les Hells Angels. Ils ont été reconnus, en Colombie-Britannique, comme une organisation criminelle. À partir du moment où quelqu'un s'identifie, fait partie et utilise l'ensemble des ramifications de ce groupe, et à partir du moment où une cour de justice à travers le Canada, que ce soit en Nouvelle-Écosse ou au Québec, procède dans un dossier de mégaprocès contre une organisation qui s'appelle les Hells Angels, est-ce qu'on a nécessairement besoin de refaire le profil de cette organisation, de reprendre toutes les procédures pour faire déclarer cette organisation comme étant criminelle? C'est le point sur lequel je me questionne.

À moins que j'aie mal saisi, le projet de loi C-2 veut nous amener à sauver du temps, donc, je pense que cela pourrait faire partie d'une solution pour sauver de l'énergie et être plus efficient.

[Traduction]

Le sénateur Runciman : Essentiellement, ce serait semblable à ce que nous faisons dans le cas des entités terroristes. Pourquoi ne faisons-nous pas de même dans le cas des organisations criminelles?

M. Paulson : Je ne sais pas pourquoi nous ne le faisons pas pour les organisations criminelles.

Cependant, j'ajouterai que les organisations criminelles se manifestent de beaucoup de façons. Nous avons les Hells Angels. À première vue, il ne semble pas trop difficile de les trouver et de savoir qui ils sont parce qu'ils montrent leur couleur. Il y a d'autres groupes du crime organisé qui ne se démarquent pas autant et qui ne sont pas aussi facilement identifiables, mais je suis d'accord avec mon collègue sur ce point.

Le sénateur Runciman : Cela simplifierait certainement la façon dont vous traitez beaucoup de ces cas.

M. Paulson : Oui, pour ce qui est des Hells Angels, mais qu'en est-il des autres?

Le sénateur Joyal : J'aimerais attirer l'attention du sénateur Lang sur la loi du Royaume-Uni concernant les mégaprocès, la Criminal Procedure and Investigations Act 1996. Le Royaume-Uni a déjà son propre système pour traiter de la question des mégaprocès. Les responsables doivent le mettre en oeuvre.

[Français]

Monsieur Dupuis, je voulais revenir à cette recommandation que vous faites sur l'identification des organisations criminelles.

L'article 467 du Code criminel définit ce qu'est une organisation criminelle, mais elle ne fait pas un crime de l'appartenance à une organisation criminelle. Comme le disait le sénateur Runciman, contrairement aux activités terroristes, le Code criminel prévoit très bien de quelle manière une organisation terroriste devient une organisation criminelle; elle fait l'objet d'une déclaration du gouverneur général en conseil qui reconnaît et qui donne ce statut dans le Code criminel. Et dès que vous appartenez à une organisation qui a été reconnue criminelle, vous êtes automatiquement en défaut de la loi.

Je crois qu'il y a un parallèle à faire entre l'appartenance à une organisation terroriste et l'appartenance à une organisation criminelle du type crime organisé. Avez-vous tenu compte des critères desquels le gouvernement tient compte lorsqu'il définit une organisation terroriste?

M. R. Dupuis : Le point que je soulève n'est pas la création d'une infraction d'appartenance à une organisation criminelle. Dans le cadre d'un procès antérieur, lorsqu'on aura statué, est-ce qu'il serait possible de dire, de façon jurisprudentielle, que si l'organisation criminelle X a été déclarée criminelle au lieu de recommencer ce profil dans un autre procès? Est-ce qu'on ne pourrait pas utiliser la décision d'un tribunal antérieur? Il ne s'agit pas de créer une infraction du fait d'appartenir à l'organisation criminelle. Il s'agit plutôt, dans un but d'efficacité, de ne pas avoir à toujours recommencer le travail.

Si un tribunal bien informé rend une décision selon laquelle l'organisation X est une organisation criminelle, est-ce qu'on ne pourrait pas transposer la décision du tribunal? Par exemple, si le tribunal de la Nouvelle-Écosse a déclaré cela, est-ce que le Québec ne pourrait pas se servir de la même décision puisqu'il s'agit de la même organisation? Cela éviterait de toujours recommencer les mêmes procédures et cela éviterait ces débats qui prennent des semaines et des semaines.

Je vous fais grâce du travail qui doit supporter cela, mais ce serait le simple fait d'amener la prérogative disant qu'au Canada, lorsqu'une organisation a été déclarée par un tribunal comme étant une organisation criminelle, il soit possible d'appliquer cette décision de façon jurisprudentielle et en faire une admission.

C'est le point que je voulais soulever. Je m'excuse si j'ai mal formulé mon commentaire.

Le sénateur Joyal : Non, pas du tout.

M. R. Dupuis : Je ne voulais pas qu'on cible les organisations ou les gens qui en font partie au même titre que des organisations terroristes. Je ne voulais pas qu'on en fasse une infraction, mais bien qu'on puisse prendre un jugement antérieur et l'appliquer dans les causes dans le simple but d'être efficient.

Le sénateur Joyal : Cela peut poser des problèmes légaux. Parce que si vous vous basez sur une décision qui fait force de précédent, un avocat de la défense pourrait être amené à argumenter que les circonstances sont différentes. Dans un tel cas, il y aurait réouverture de tout le débat sur la preuve de la nature criminelle de l'organisation, alors que si le fait d'appartenir à une association qui a été déclarée criminelle, le seul fait d'appartenir à l'association vous rend passible d'une responsabilité pénale. Ce n'est pas ce que vous demandez?

M. R. Dupuis : Ce serait le meilleur des mondes.

Le sénateur Joyal : Pourquoi ne demandez-vous pas le meilleur des mondes, alors?

M. R. Dupuis : Je ne sais pas.

Le sénateur Joyal : On l'a fait dans le cas de l'organisation terroriste par le biais de l'article 83.05 du Code criminel. C'est d'ailleurs le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles qui l'a adopté il y a plus d'une dizaine d'années. Et en essayant de comprendre votre raisonnement, j'essaie de voir quels seraient les arguments qui iraient à l'encontre de reconnaître comme criminelles un certain nombre d'organisations dont l'activité principale est le crime.

M. R. Dupuis : J'abonde dans votre sens, sénateur Joyal. Idéalement ce serait ça. J'ai davantage abordé la question dans l'esprit du projet de loi C-2, qui cherche à minimiser les interventions, à raccourcir la durée de l'audience et à faciliter la présentation de la preuve.

[Traduction]

Le président : Merci, sénateur. C'est tout pour le temps accordé aux questions.

Monsieur le commissaire adjoint, monsieur Dupuis, je tiens à vous remercier, car je sais que vous êtes venus ici suivant un préavis relativement court. Toutefois, grâce à votre expérience, vous n'avez eu besoin que de très peu de préparation pour parler du sujet de manière compétente; vous nous avez communiqué l'information sans ambiguïté et de façon claire. Vous nous avez ainsi grandement aidés et nous vous en sommes très reconnaissants.

Afin de poursuivre l'examen du projet de loi C-2, nous sommes heureux d'accueillir deux nouveaux témoins. Je vous présente d'abord James Stribopoulos, professeur à l'Osgoode Hall Law School, où il enseigne le droit criminel, ainsi que la procédure et la preuve en matière pénale dans le programme de doctorat de l'école. Le professeur Stribopoulos mène des recherches et publie des articles dans les domaines liés au droit criminel, à la procédure criminelle, à la preuve et au processus judiciaire. Ses recherches et son enseignement sont enrichis par sa vaste expérience pratique en tant qu'avocat plaidant à la cour d'appel et aux procès criminels. En sa qualité d'avocat à la cour d'appel, il a régulièrement plaidé devant la Cour d'appel de l'Ontario et devant la Cour suprême du Canada.

Bienvenue, monsieur.

De plus, j'aimerais aussi souhaiter la bienvenue à Bruce A. MacFarlane, c.r., qui a été admis au Barreau du Manitoba en 1974. Il a ensuite été admis au Barreau de la Saskatchewan en 1979 et au Barreau de l'Alberta en 1987. Il a beaucoup plaidé devant les tribunaux criminels de chacune de ces trois provinces, ainsi que devant la Cour suprême du Canada. Avant, il était sous-procureur général adjoint en matière de droit criminel du Canada. Présentement, il occupe un poste d'expert affilié à la Faculté de droit de l'Université du Manitoba, où il enseigne le droit criminel.

Bienvenue, monsieur MacFarlane.

Si je comprends bien, vous avez chacun un exposé. Nous allons commencer avec vous, monsieur MacFarlane.

Bruce A. MacFarlane, c.r., à titre personnel : Merci. Il y a 30 ans, lorsque j'ai commencé à pratiquer le droit criminel, surtout du côté des poursuites, on n'avait pratiquement jamais entendu parler des mégaprocès. À l'époque, un procès typique au Canada durait de trois à six jours. Il était donc facile de les gérer, et les répercussions sur les jurés et sur les autres participants du système judiciaire étaient raisonnables.

Les choses ont commencé à changer à la fin des années 1990 et jusqu'à aujourd'hui, au point où nous sommes maintenant aux prises avec le spectre de procès qui sont tout simplement impossibles à gérer; par exemple, certains procès durent 10, 12 ou 15 mois.

En ce moment, nous faisons face à de graves problèmes d'ordre pratique. Dans mon exposé, j'aimerais aborder quelques points et transmettre quelques messages.

Le premier message que j'aimerais faire passer est que les solutions à la question des mégaprocès font intervenir différents acteurs. On doit entendre, à ce sujet, le ministère public, la défense et la magistrature. On doit également obtenir une réponse législative sous une forme législative.

À mon avis, il s'agit d'une mesure législative très progressiste, et je vais bientôt vous faire part de mes commentaires à ce sujet. Le premier point sur lequel je vais insister est que nous aurons besoin d'une réponse de la part de tous les acteurs du système si nous voulons que des changements se produisent. Il s'agit d'une partie importante de la réponse.

Le deuxième message que j'aimerais transmettre au comité est que le projet de loi à l'étude fournit à la magistrature plusieurs outils très importants.

À mon humble avis, si le projet de loi est adopté, la façon dont la magistrature va le mettre en oeuvre sera surveillée de très près. Elle devra comprendre que nous devons faire table rase des précédents et des pratiques antérieures, afin d'utiliser de façon innovatrice les outils proposés par le projet de loi.

Ces trois dernières années, j'ai eu l'occasion de participer et de plaider à la Cour pénale internationale à La Haye. Si vous le jugez approprié, je peux établir certains parallèles entre les pratiques en vigueur à La Haye et certaines des dispositions du projet de loi; mais il incombera à la magistrature de veiller à ce qu'on fasse table rase et qu'on adopte de nouvelles approches. Autrement, le projet de loi pourrait bien ne pas atteindre ses objectifs.

Le troisième message est qu'à mon avis, le projet de loi renferme des objectifs stratégiques solides. En effet, il est bien pensé et il touche à plusieurs problèmes d'ordre pratique. On peut toujours apporter des améliorations à n'importe quel projet de loi, mais les objectifs stratégiques sont solides et on pourra s'en servir de façon pratique.

J'aimerais toutefois faire une petite recommandation. Elle ne change aucun des objectifs stratégiques. Il ne s'agit pas d'un grand changement, mais il aura un effet pratique positif sur les jurés exposés aux mégaprocès, si nous devons nous rendre jusque-là. Je peux la résumer ainsi : l'article 13 du projet de loi renfermant les dispositions à l'intention des jurés et leur sélection se fonde en grande partie sur un modèle en vigueur dans l'État de Victoria, en Australie, ce qui représente, à mon avis, un bon choix de modèle. Lorsqu'il y a plus de 12 jurés, ils croient qu'ils sont tous des jurés à part entière, ce qui fait qu'ils ne passeront pas leur temps au procès pour ensuite être éliminés juste avant les délibérations s'il y en a plus de 12. Il s'agit d'une très bonne approche. Lorsque j'ai témoigné au cours de l'enquête sur l'affaire Air India, j'ai présenté ce modèle.

Il manque une caractéristique importante pour les jurés. En effet, traditionnellement, les jurés choisissent un président. En général, il s'agit d'une personne en qui les autres membres du jury ont confiance et elle devient leur porte-parole. Ils doivent suivre un processus pour le choisir. Imaginez que vous deviez participer à un mégaprocès pendant 8 à 12 mois; le président que vous avez élu est resté en fonction pendant tout ce temps et vous le connaissez bien maintenant et vous le respectez. Toutefois, le projet de loi permettrait d'éliminer le président que le jury a choisi.

Dans le modèle australien, le numéro et le nom du président ne sont pas ajoutés dans la boîte de laquelle on pige un membre du jury à éliminer. En gros, le président est à l'abri de l'élimination. À mon humble avis, il s'agit d'un choix stratégique, car éliminer le meneur d'un jury après 12 mois peut occasionner des problèmes. Nous n'en sommes pas certains, car nous ne pouvons pas étudier les jurys, mais c'est une autre histoire. Je n'irai pas jusqu'à dire que le jury est déstabilisé, mais cela pourrait causer une certaine tension initiale, ce dont on pourrait se passer, surtout lorsque les jurés ont choisi leur président.

Il s'agirait d'un amendement relativement simple; il suffirait d'ajouter, dans le projet de loi, que pendant le processus d'élimination, le numéro du président choisi par le jury ne sera pas déposé dans la boîte. Ce serait aussi simple que cela. J'en fais la proposition, parce que nous demandons à un très grand nombre de jurés de laisser leur vie en plan pour une période de 8 à 12 mois. Nous pourrions ainsi respecter leur choix — la première et la seule décision, en fait, qu'ils ont prise au cours du processus. L'amendement, s'il est jugé approprié, respecterait leur décision et représenterait une forme de respect envers le processus du jury.

C'est ma seule recommandation. À cette exception près, j'estime que le projet de loi est complet. Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de m'exprimer et d'avoir été attentifs pendant mon exposé.

James Stribopoulos, professeur, Osgoode Hall Law School, à titre personnel : Je remercie les membres du comité de l'occasion unique qui m'est offerte de participer à un projet de loi aussi important. Je vais commencer par quelques commentaires généraux qui reprendront la plus grande partie des éloges de M. MacFarlane envers le projet de loi.

Je suis aussi d'avis qu'il est bien construit, bien rédigé et qu'on aurait dû le présenter il y a longtemps. Lorsqu'il sera adopté, il sera accueilli avec soulagement par les différents participants au système de justice pénale. Je félicite le gouvernement de l'avoir développé d'après le modèle que, à mon avis, et en ma qualité de professeur de droit criminel, nous devrions tenter de suivre lors d'une réforme du droit criminel. Il émerge d'un problème existant qu'avaient soulevé les intervenants du système qui oeuvrent sur le terrain. Toutes les parties intéressées, c'est-à-dire les juges, les procureurs, les avocats de la défense, les policiers et, j'ose affirmer, les victimes, ont exprimé leurs préoccupations à ce sujet. En effet, si vous êtes une victime dans l'une de ces affaires qui s'éternisent, votre vie, comme celle des jurés et des autres intervenants, est aussi laissée en plan pour la durée du procès, qui peut durer de 12 à 18 mois. Tout le monde tirera parti du projet de loi, dans la mesure où nous pourrons faire avancer ces cas plus efficacement dans le système.

En plus de profiter aux acteurs des procédures judiciaires, le projet de loi C-2 profitera également à tous les Canadiens, en tant que contribuables. Un grand nombre des mégaprocès ont été entachés par un gaspillage tragique des ressources en raison de certaines inefficacités du système. Je suis convaincu que le projet de loi contribuera grandement à régler certains de ces problèmes. Je suis toutefois d'accord avec M. MacFarlane; il ne représente certainement pas la solution miracle.

Il me reste à offrir quelques commentaires généraux, avant de faire certaines suggestions précises. Je serai ensuite heureux, comme M. MacFarlane, de répondre à vos questions.

Les mégaprocès confirment ce qu'on dit : ce n'est pas parce que c'est plus gros que c'est mieux. Nous en avons récemment fait l'expérience. Comme l'a dit M. MacFarlane, et comme je m'en suis rendu compte en discutant avec certains de mes collègues plus expérimentés du Barreau, les choses n'ont pas toujours été ainsi dans le système de justice pénale. D'ailleurs, le rapport Lesage-Code explique comment nous nous sommes retrouvés avec ces cas dans le système. Les causes sont nombreuses. Il ne s'agit pas de blâmer qui que ce soit, mais de nous rendre compte que c'est la réalité de l'évolution du droit constitutionnel, du droit de la preuve et de la nature de certaines des modifications législatives apportées par le Parlement. Des gens soutiennent que certaines infractions sont plus compliquées qu'elles ne le devraient et que d'autres, qui sont nouvelles, n'auraient pas leur raison d'être. Je ne blâme personne — ce n'est qu'une observation.

Nous avons appris, ces 15 dernières années, que ces cas ont souvent tendance à s'effondrer sous leur propre complexité, et que c'est souvent inévitable. Laissez-moi m'expliquer. Comme l'a dit plus tôt un des témoins, les mégaprocès ne disparaîtront pas, pour les raisons déjà invoquées. Nous ne nous en débarrasserons pas. Dans un grand nombre de cas, on ne peut pas les éviter, pour toutes les raisons qui ont été avancées. Dans certaines circonstances, le très grand nombre d'éléments de preuve et la complexité des questions législatives soulevées font d'un soi-disant mégaprocès un inévitable procès prolongé. L'affaire Air India, qui s'est déroulée en Colombie-Britannique, me vient à l'esprit. Je ne vois pas comment ce litige aurait pu être réglé de façon plus efficace, étant donné la quantité de matériel qu'on a dû examiner.

Des témoins ont dit plus tôt, et je suis d'accord avec eux, qu'une bonne planification pourrait éviter d'autres mégaprocès. Le fait que nous puissions prouver que 150 personnes sont associées à une organisation criminelle et que nous soyons donc en mesure de porter des accusations contre elles ne signifie pas que nous devrions les accuser ensemble et les juger dans la même salle d'audience. Il en va de même pour les cas qui ne visent que 10 ou 15 personnes; dès qu'on a affaire à plus de deux ou trois accusés, les choses se compliquent. Pour chaque accusé de plus, il faut ajouter un ou deux avocats.

Je suis avocat spécialisé en droit criminel, et je pense qu'un grand nombre de mes collègues admettront que certains de nos confrères peuvent se montrer un peu excentriques à leur façon. Par exemple, s'il y a 12 avocats de la défense dans une pièce, il n'en faut qu'un seul qui soit mal formé et qui manque de jugement pour empêcher la résolution efficace d'une affaire criminelle. Il ne faut qu'une seule personne qui manque de jugement ou qui ne sait pas comment aborder l'affaire ou comment reconnaître les bonnes questions et tout à coup tout le monde se laisse entraîner, non seulement un accusé, son avocat, le procureur et le juge, mais aussi 15 avocats de la défense. La discipline disparaît et l'affaire devient impossible à gérer. Habituellement, ces cas débouchent sur un procès nul.

Il est possible de traiter des affaires ou des accusés ensemble de façon beaucoup plus efficace. Pour y arriver, il suffit de réunir les individus au sommet de l'organisation, c'est-à-dire les gros bonnets, et de poursuivre trois ou quatre d'entre eux à la fois pour conspiration, meurtre, ou peu importe l'infraction dont on les accuse. On pourrait les accuser d'appartenir à une organisation criminelle, mais certaines personnes soutiendraient qu'il n'est pas nécessaire de suivre cette voie. En effet, il s'agit d'une infraction difficile à prouver, car il faut démontrer que l'organisation en question est bel et bien une organisation criminelle. Je sais qu'on a posé quelques questions à ce sujet. Il existe sans doute des raisons d'ordre constitutionnel. On ne peut pas appliquer une décision rendue dans le cadre d'une instance à une autre, car l'accusé du second procès n'a pas eu la chance de se défendre de l'allégation dans le premier, ce qui crée certaines difficultés.

Je suis conscient qu'il faut prendre l'efficacité en compte; pourquoi ne pouvons-nous pas appliquer une décision à une autre instance? C'est la raison pour laquelle nous ne pouvons pas le faire. Je sais que nous l'avons fait dans le cadre de la loi qui a été adoptée contre le terrorisme, mais pour cette raison précise, il reste à voir si cela sera déclaré anticonstitutionnel en cas de contestation.

Ce que j'essaie de dire, c'est que nous devrions éviter les mégaprocès autant que nous le pouvons. Je crois que la police est d'accord et que les procureurs le sont de plus en plus. Le Barreau et les juges aussi, mais certains sont inévitables. Toutefois, dans ce cas, je crois vraiment que le projet de loi contribuera grandement à les faire avancer plus efficacement dans le système de justice pénale.

J'ai dit plus tôt que le projet de loi était bien construit et bien rédigé. J'ai seulement trois simples amendements à suggérer.

Le premier porte sur le paragraphe 551.3(4). Il s'agit de la disposition selon laquelle les décisions découlant de l'alinéa (1)g) lors de l'avortement d'un procès, de la séparation des accusés, et cetera, lient les parties qui continuent. Cette disposition est tout à fait sensée; il n'est pas nécessaire de réinventer la roue et de retourner à la case départ seulement parce qu'un procès est avorté. La seule chose qui me préoccupe, c'est la façon dont on a rédigé la partie qui laisse au juge une marge de manoeuvre pour agir en tenant compte des nouveaux éléments qui s'ajouteront à l'affaire.

La dernière disposition du paragraphe est ainsi rédigée :

[...] même si le juge qui entend la preuve sur le fond n'est pas celui nommé à titre de juge responsable de la gestion de l'instance — sauf si le tribunal est convaincu que cela ne sert pas l'intérêt de la justice notamment parce qu'une preuve nouvelle a été fournie.

La disposition introductive me plaît, car elle reste ouverte. En effet, elle n'est pas normative; on ne dit pas qu'il s'agit de la seule situation. On envisage un éventail de situations où il pourrait être nécessaire de revoir des décisions qui ont déjà été rendues. La seule chose qui m'inquiète, c'est lorsqu'on précise qu'une « preuve nouvelle a été fournie ». Je suis certain que cela fera l'objet de litiges qui n'auraient pas lieu de se produire. Il est clair que l'intention n'est pas de privilégier des situations où on apporte de nouvelles preuves, mais de permettre une certaine souplesse dans le cas d'un changement dans les circonstances.

Pourquoi ne pas simplement dire que cela ne servirait pas l'intérêt de la justice, car, entre autres, les circonstances ont changé sur le plan matériel, au lieu de privilégier la « preuve nouvelle »? Parfois, ce n'est pas seulement la preuve qui change. Par exemple, la preuve peut rester la même, et ce sont les tactiques qui changent. Le juge peut avoir pris une décision concernant la demande de procès distinct déposée par un accusé au début du procès, mais plus tard au cours de celui-ci, les accusés ont soudainement recours à une défense très agressive qui provoque une révision de la demande de procès distinct. Dans ce cas, la preuve n'a pas changé du tout; ce sont les tactiques employées par les parties qui ont changé.

Dans ces circonstances, un juge doit être en mesure de réexaminer une demande de procès distinct déposée plus tôt, par exemple, car s'il ne le peut pas, il pourrait s'ensuivre un procès qui ne serait pas juste à l'égard de l'un des participants, ce qui entraînerait une erreur justifiant l'infirmation au cours de l'appel. Pourquoi laisser cela ouvert au débat? C'est ma première suggestion.

La deuxième concerne le paragraphe 551.7(3). Il s'agit de la disposition qui permet au juge en chef du tribunal de décider qu'il sert l'intérêt de la justice de rassembler des questions soulevées dans différentes affaires parce qu'elles sont rattachées, même si elles font partie de procès différents, et de permettre à un seul juge de les trancher toutes au cours de la même instance, de façon à ce qu'une décision rendue dans un cas n'entre pas en conflit avec celle rendue dans un autre. Nous réalisons ainsi des économies importantes, car tout le monde est rassemblé dans le même tribunal et la motion n'est débattue qu'une seule fois, ce qui évite de répéter la même chose au cours de cinq audiences différentes. C'est logique.

La disposition prévoit la possibilité pour le juge de dicter sous quelle compétence territoriale une cause sera entendue. Par exemple, supposons un processus en cours à Toronto où l'on retrouve le plus grand palais de justice. D'autres membres de la même organisation font peut-être l'objet de poursuites distinctes à Kitchener pendant qu'un autre groupe subit son procès à Sudbury. Ces individus sont présumés faire partie de la même organisation criminelle et ont tous logé une contestation constitutionnelle pour des motifs similaires. Pourquoi tenir ces procès simultanément? Regroupons tous les inculpés. En vertu de cette disposition, le juge pourra ordonner qu'ils viennent tous à Toronto parce qu'on y trouve la salle d'audience la plus grande et les ressources nécessaires pour recevoir tous ces gens sous un même toit. C'est tout à fait logique.

Je trouve toutefois dommage que la même disposition n'accorde pas au juge le pouvoir de rendre une ordonnance quant aux coûts à assumer lorsqu'un inculpé, un avocat de la défense ou des témoins sont forcés de venir à Toronto à partir de Sudbury ou de Thunder Bay. J'utilise l'Ontario comme exemple, mais la situation pourrait être la même dans n'importe quelle province. Il y a un coût associé à de telles mesures et il faut déterminer qui va l'assumer. Ce coût ne découle pas d'une décision qu'aurait prise l'inculpé en choisissant un procès regroupé avec ses congénères pour pouvoir présenter une argumentation conjointe avec eux à Toronto.

Le juge devrait avoir la possibilité de rendre une ordonnance autorisant le remboursement des coûts lorsque les circonstances le justifient. Sinon, il y aura vide juridique et vous pouvez être assurés que des contestations s'ensuivront. Il faut s'attendre à de longues argumentations quant à savoir si le juge a l'autorité d'agir de la sorte. Pourquoi permettre que tout ce temps soit perdu? Il serait préférable de régler le tout de façon proactive et prospective.

J'aimerais faire une dernière observation au sujet d'une question qui n'est sans doute pas de la compétence du Parlement, tout au moins à certains égards. Il s'agit de l'indemnisation des jurés qui est nettement insuffisante partout au pays. Cela relève des compétences provinciales en matière d'administration de la justice. Le dédommagement versé aux jurés est prescrit par des lois et des règlements provinciaux.

On demande à des gens de s'absenter du travail pendant une année complète pour faire partie d'un jury et on leur verse une très mince indemnisation, qui varie d'un endroit à un autre. Vous avez d'ailleurs entendu précédemment des témoignages tout à fait légitimes à propos des difficultés financières éprouvées par certains jurés. Tous les autres intervenants dans une salle d'audience sont rémunérés. Nous savons que ces procès sont coûteux, mais les jurés ne devraient pas souffrir de difficultés économiques simplement parce qu'ils accomplissent leur devoir civique.

Je sais que cette question n'est pas de votre ressort, mais peut-être que si, à la réflexion, car ce projet de loi pourrait inclure des dispositions accordant aux juges le pouvoir de bonifier la rémunération des jurés. Je ferais valoir à ce titre que la procédure pénale relève directement de la compétence du Parlement en vertu du partage des pouvoirs. C'est exclusivement au Parlement qu'il incombe de discuter de procédure pénale. J'estime que c'est un élément à considérer.

Le système actuel est inéquitable envers les jurés, mais c'est tout le mécanisme qui en souffre. Au sein de notre système de justice pénale, nous préconisons notamment le recours à un jury représentatif, mais lorsqu'il devient impossible pour certains citoyens de faire partie d'un jury en raison des difficultés financières qui en résulteraient, le jury cesse d'être représentatif de l'ensemble de la communauté. Il devient uniquement un reflet d'un très petit segment de la population.

Ce ne sont pas là les principes qui devraient guider notre société dans le maintien d'une institution dont nous tirons une grande fierté. Nous faisons valoir partout dans le monde que le système de justice pénale canadien est un modèle d'équité. Il est malheureux de le laisser devenir inéquitable parce qu'il n'est plus représentatif de la société. Il y a donc cette grande préoccupation systémique qui transcende le traitement injuste des jurés eux-mêmes.

Il est intéressant d'entendre M. MacFarlane parler de la sélection du président du jury. Dans le cadre d'un programme de deuxième cycle à temps partiel, j'enseigne la procédure pénale à des étudiants suivant leur formation à distance. Les avocats des différentes régions du pays participent donc aux cours via le web. Je suis toujours étonné de constater la variété des pratiques qui sont adoptées sur le terrain dans les différentes provinces lorsque le Code est silencieux au sujet d'une question donnée.

Il est intéressant de noter qu'en Ontario, le président du jury n'est choisi qu'une fois que les jurés ont entamé leurs délibérations. Cela fait partie des directives données par le juge : l'élection d'un président est la première chose qu'ils doivent faire à l'amorce de leurs délibérations. C'est l'une des façons de procéder qui existent. Je ne vois pas de problème avec ce qu'il propose; j'estime que c'est tout à fait logique dans les régions où l'on fonctionne de cette manière.

Je serai heureux de répondre à vos questions.

Le président : Merci, messieurs. Vos observations préliminaires ont été fort intéressantes et nous ont beaucoup appris. Nous passons maintenant aux questions des sénateurs.

Le sénateur Fraser : C'est formidable pour nous de pouvoir entendre des témoins experts aussi compétents que vous l'êtes. J'ai une question au sujet d'un point que vous n'avez pas soulevé ni l'un ni l'autre. Je suppose qu'il faut en conclure que ce n'est pas problématique, mais j'aimerais tout de même savoir ce que vous en pensez.

À au moins deux endroits dans ce projet de loi, au paragraphe 591(4.2) puis à l'article 653.1 — aux pages 7 et 11 —, il est question du caractère exécutoire pour les procédures ultérieures des décisions qui ont été rendues « ou auraient pu l'être » avant le stade de la présentation de la preuve sur le fond.

L'un de nos témoins d'hier a porté à notre attention cette précision qui m'apparaît plutôt inhabituelle. Pourriez-vous tous les deux nous dire, ne serait-ce que brièvement, si vous jugez cette précision utile ou si vous avez d'autres opinions à ce sujet?

M. Stribopoulos : Ce processus a notamment pour avantage de permettre que plusieurs personnes examinent le même texte. Cet élément m'a échappé lors de ma lecture initiale. En toute franchise, je ne sais pas à quoi peut servir ce libellé.

Avez-vous une idée, monsieur MacFarlane?

M. MacFarlane : Non, je ne sais pas. C'est plutôt curieux. Je n'ai jamais eu connaissance d'une inclusion semblable. Je ne sais pas trop quel est le but visé.

Le sénateur Fraser : Permettez-moi de proposer une hypothèse, même si je ne suis pas moi-même avocate. Je me demandais si on avait pu insérer cette précision à titre de facteur limitatif. Comme notre collègue le sénateur Baker ne cesse de nous le signaler, une quantité importante de décisions fondées sur la Charte ne peuvent être rendues avant que la preuve ait été entendue. Je présume que c'est possible pour certaines, alors est-ce que cet ajout aurait pour effet de limiter le nombre de décisions fondées sur la Charte qui suivraient leur cours? Je ne sais pas.

M. Stribopoulos : Je ne saurais vous dire, sénateur.

Le sénateur Fraser : Nous allons recevoir à nouveau les fonctionnaires du ministère de la Justice et je leur poserai la question.

M. Stribopoulos : J'aime à croire que je suis plutôt doué pour l'interprétation des textes juridiques, mais je ne pourrais même pas vous proposer une hypothèse dans ce cas-ci.

Le sénateur Fraser : Je me sens un peu mieux.

Le président : Il fallait une non-avocate pour mettre le doigt là-dessus.

Le sénateur Fraser : En fait, c'est un avocat qui l'a porté à notre attention.

Le président : En tout cas, c'est très intéressant. Merci, sénateur Fraser.

Le sénateur Angus : Monsieur MacFarlane, vous avez utilisé à maintes reprises l'expression anglaise « balloting out ». Je ne comprends pas ce que cela signifie. Je croyais que l'on tirait au sort les jurés qui ne vont pas poursuivre le processus. Est-ce bien cela? Est-ce ce que vous vouliez dire?

M. MacFarlane : Oui. C'est ainsi que l'on désigne ce processus dans les textes australiens dans lesquels j'ai puisé cette expression. Il s'agit toutefois en fait de tirer au sort des cartes dans une boîte.

Le sénateur Angus : Si vous tirez le numéro 6 et le numéro 8, ce sont ceux-là qui doivent partir.

M. MacFarlane : Tout à fait.

Le sénateur Meredith : Monsieur MacFarlane, vous avez parlé des jurés et du tirage au sort. Concernant ce que disait le sénateur Angus, j'ai soulevé la question hier en demandant si la loi accordait une protection suffisante aux jurés, à ceux qui sont éliminés. Puis M. Stribopoulos a fait valoir que l'indemnisation des jurés est problématique partout au pays. Des témoins que nous avons reçus précédemment ont traité du risque que des jurés soient tentés d'accepter des sommes d'argent offertes par des groupes criminels pour qu'ils influencent le résultat du procès.

Parlez-moi un peu de la protection des jurés. Estimez-vous que nous en avons fait suffisamment à cet égard? Pourriez-vous aussi nous dire ce que vous pensez de la rémunération des jurés?

M. MacFarlane : Pour ce qui est de la protection, nous n'avons jamais vraiment eu de problèmes à ce chapitre. Il ne faut toutefois pas en conclure que cela ne pourrait pas arriver.

Le sénateur Meredith : Quant à la complexité de ces mégaprocès et au niveau d'organisation actuel de ces individus, vous êtes allés au front pour les mettre au fait des nouvelles règles du jeu. La police a fait son travail d'enquête, mais il pourrait y avoir des représailles.

M. MacFarlane : J'aimerais d'abord apporter une précision. Ce n'est pas une réponse à votre question, mais j'y reviendrai dans un instant.

C'est un phénomène qui ne s'est pas manifesté au Canada avec la même ampleur qu'aux États-Unis, par exemple. Ceci dit, le projet de loi prévoit certaines mesures de protection. Il y a d'abord la possibilité de procéder de manière anonyme en assignant des numéros aux jurés. C'est sans doute la meilleure façon de les protéger. Il y a également le fait qu'un juré se rend coupable d'une infraction en divulguant ce qui s'est passé dans la salle de délibération du jury. On indique bien aux jurés qu'ils ne peuvent parler à personne du déroulement des délibérations.

Quant au risque que des membres du crime organisé pressentent un ancien juré, le plus qu'ils pourraient en tirer, c'est le contenu des discussions et les points de vue exprimés. Cependant, à cette étape, le jury est en pleines délibérations; ses membres sont séquestrés, ce qui les rend intouchables.

Il existe déjà certaines mesures de protection et il y en a également dans ce projet de loi. Je suppose que l'on peut toujours se demander si elles sont suffisantes, mais il y en a effectivement.

Quant à la question de l'indemnisation des jurés, je conviens avec M. Stribopoulos que de graves problèmes financiers peuvent en résulter dans le cas d'un long procès. À mes débuts, les candidats jurés voulaient être sélectionnés. Ils y voyaient un grand honneur, d'autant plus que cela n'allait leur demander que trois, quatre ou cinq jours. C'était pour eux une nouvelle expérience à vivre.

La tendance est désormais différente. Lorsqu'un candidat juré apprend qu'il y aura mégaprocès, il se défile, ce qui donne des jurys déséquilibrés. On y retrouve souvent des étudiants et des retraités, ce qui fait que la représentation de ce segment de la société si important pour nous devient davantage illusoire que réelle.

Je conviens que nous devons songer à de nouvelles formules d'indemnisation. Je trouve intéressante la solution proposée par M. Stribopoulos qui voudrait que le Parlement autorise le juge à bonifier la rémunération des jurés. Cela m'apparaît viable à première vue, mais je crois qu'il faudrait procéder à une analyse approfondie des aspects constitutionnels.

M. Stribopoulos : Je comprends que l'on puisse s'inquiéter au sujet de la sécurité des jurés. Il s'agit là de préoccupations tout à fait légitimes. Je suis persuadé que des gens peuvent se sentir menacés du simple fait qu'ils sont impliqués dans ces causes criminelles. Dieu merci, il y a eu seulement des exemples isolés de problèmes à ce chapitre au Canada. Je me rappelle qu'il y a bien des années en Colombie-Britannique, il y avait eu une histoire de relation amoureuse entre un inculpé et un juré. Dans l'ensemble, nous n'avons toutefois pas eu beaucoup de cas où l'on a tenté d'influencer ou d'intimider des membres du jury.

Je comprends votre question : Est-ce que la rémunération insuffisante fait en sorte que des jurés participant à un long procès et ne sachant plus à quel saint se vouer du point de vue financier risquent davantage de se laisser soudoyer? Les systèmes judiciaires les plus corrompus de la planète ont notamment comme élément commun une indemnisation inadéquate des officiers de justice qui incite ceux-ci à se débrouiller par leurs propres moyens. Quant à savoir si c'est ce qui se produira au Canada, cela tient de la spéculation. Nous n'avons pas d'antécédents en la matière, mais cela demeure une lointaine possibilité.

J'aimerais revenir à certains des témoignages que nous avons entendus aujourd'hui. Je ne suis pas convaincu que j'endosserais l'idée de placer un écran entre le jury et l'inculpé, ou de placer le jury dans une autre salle. Je pense que cela serait très risqué. On irait à l'encontre de bon nombre de nos bases judiciaires qui veulent que l'on place le jury dans la même salle et que l'on accorde la présomption d'innocence, ce qui vaut également pour ces mégaprocès.

Si l'on dit dès le départ aux membres du jury : « Ce procès va durer 18 mois, vous devrez demeurer unanimes et, soit dit en passant, vous allez siéger dans une Chambre forte dans cet autre édifice, en regardant le procès sur vidéo », quelles sont les chances qu'ils accordent aux inculpés, quels qu'ils soient, le bénéfice du doute comme ils se sont engagés à le faire en prêtant serment? C'est ce qui m'inquiéterait beaucoup. Vous pouvez me croire; je comprends bien les préoccupations exprimées.

Le sénateur Meredith : C'est ce qui nous amène à la protection des jurés. Si les inculpés peuvent identifier les jurés, la situation peut devenir fort délicate. Qu'advient-il de ces individus et de leurs familles lorsqu'ils ont terminé leur mandat de juré?

M. Stribopoulos : L'anonymat est essentiel. Si on ne connaît pas le nom d'une personne, il faudrait avoir recours à un logiciel de reconnaissance faciale pour la retrouver. C'est faisable. On peut aussi suivre une personne jusque chez elle depuis le palais de justice; on peut imaginer toutes sortes de scénarios. Nous devons toutefois tenir compte des réalités concrètes découlant de notre expérience. Dieu merci, nous avons pu éviter des activités semblables au Canada jusqu'à maintenant. Je croise les doigts.

Le sénateur Baker : Je me souviens avoir approuvé un amendement au Code criminel il y a bien des années. Je crois que cela concernait l'article 482, « Règles de cour ». Il s'agissait de permettre la nomination d'un juge responsable de la gestion de l'instance. Tous les tribunaux canadiens ont donné suite à cette suggestion. Il y a maintenant une procédure établie à cet effet tant pour les cours provinciales que supérieures. Dans des circonstances normales pour les procès très complexes, c'est un juge qui est chargé de faire les arrangements nécessaires et de fixer une date pour l'audition des requêtes préalables au procès. Cela se fait habituellement 15 ou 20 jours après la rencontre entre la Couronne, la défense et le juge. Les avis de requête en vertu de la Charte sont émis, après quoi une nouvelle rencontre est tenue pour déterminer les dates d'audience.

C'est la façon actuelle de procéder, mais il faut dire que c'est la personne qui soutient qu'il y a violation de la Charte qui est tenue d'en fournir la preuve. La Couronne fait valoir que c'est aux avocats de la défense de le faire, et le juge rappelle à la Couronne qu'il faut d'abord entendre la preuve. En entendant cette preuve, qui s'appliquera également au procès, on entame un voir-dire relativement à ces présumées violations de la Charte.

Les décisions rendues en vertu de la Charte s'appliquent à la personne en cause. Elles ne touchent pas le processus. Dans le cas d'un mandat prévu à l'article 11 de la LRCDAS — au sujet duquel M. MacFarlane a beaucoup écrit — ou de tout autre mandat similaire, la plupart de ces personnes n'auraient pas qualité ne serait-ce que pour participer à une telle argumentation avant le procès ou même durant le procès. Ne croyez-vous pas que l'on risque ainsi de permettre à un inculpé de s'en tirer? Si ces personnes n'ont pas qualité pour le faire elles-mêmes, peut-être quelqu'un d'autre pourrait-il s'en charger.

Le système ne fonctionne pas actuellement. Cela se fait à l'étape du procès. Il faut pouvoir s'appuyer sur une preuve suffisante. Comment les choses vont-elles se dérouler si toute la preuve est présentée avant le procès? Est-ce possible?

M. Stribopoulos : Il y aura une sélection à faire quant aux types de questions dont on pourra débattre. Ce n'est pas nécessairement très logique. Si l'on veut regrouper différents inculpés au même endroit, ce serait pour débattre d'une motion contestant la constitutionnalité de la loi, plutôt que d'une motion sur l'admissibilité de la preuve. Ces dernières motions devraient être réglées dans le tribunal même avec l'inculpé en cause. Vous avez raison. Il s'agit de requêtes d'ordre personnel où chacun demande un recours qui s'appliquera à son cas particulier. Je ne crois pas que ces dispositions vont contribuer de quelque manière que ce soit à élargir la notion de qualité juridique.

Les choses vont devenir intéressantes. Supposons un procès où il y a des coinculpés. À l'issue d'une perquisition avec mandat, le juge fait droit à une contestation. Il déclare que la preuve n'est pas admissible contre l'inculpé A, mais demeure admissible contre l'inculpé B. La solution consiste à séparer les deux procès. Ce n'est pas une chose qui se produit très souvent. Dans certains cas, l'inculpé B peut avoir qualité pour intervenir. On peut obtenir ce statut en déclarant devant la Cour suprême : « La drogue trouvée dans le sous-sol était à moi également. » Il ne vous serait plus possible de défendre votre cause lors du procès, mais une option s'ouvrirait du côté de la Charte. C'est de cette manière que les causes semblables seront traitées sur le terrain.

Je suis d'accord avec vous. En prenant connaissance des règles de cour, on pourrait trouver que c'est un système magnifiquement bien conçu. Malheureusement, il ne fonctionne pas toujours de la manière prévue. Il arrive que des avocats se présentent pour les procédures préalables au procès sans même avoir lu le dossier. Et je ne parle pas uniquement des avocats de la défense, mais aussi des procureurs qui sont surchargés de travail. Habituellement, ce sont ceux qui ont la chance de bien examiner la preuve que vont faire les plaidoyers. Ils vont souvent le faire dans les jours ou les heures précédant l'audience. Je ne sais pas comment nous pourrions changer les choses. C'est un problème de culture au sein de la profession juridique. C'est aussi une conséquence de la surcharge de travail. Il y a d'ailleurs eu débrayage des procureurs du Québec. Leurs revendications découlent des expériences vécues à titre de procureurs. Il y a également des préoccupations du côté des avocats de la défense et de l'aide juridique. Le système est déficient.

En raison des contraintes économiques désormais associées à la pratique pénale, il n'y a plus autant de mentorat qu'auparavant. Très peu d'avocats en droit pénal compétents et expérimentés estiment judicieux du point de vue des affaires d'embaucher un stagiaire. C'était la formule utilisée pour le mentorat dans le domaine du droit pénal. De plus en plus, les possibilités de trouver un emploi intéressant s'amenuisent. Je vois des étudiants qui souhaitent devenir criminalistes, mais qui sont incapables d'obtenir un stage et de recevoir la formation requise pour être en mesure d'agir comme des professionnels, de peaufiner leur préparation et de prendre de bonnes décisions.

Le manque de financement à cet égard se répercute sur tout le système. À l'heure actuelle, on ne réembauche plus de jeunes avocats qui ont fait un stage dans un bureau où ils ont conclu des ententes immobilières. Ils déclarent : « Je veux devenir criminaliste; j'en ai vu plusieurs à la télé. » Ils se retrouvent devant le tribunal et reproduisent les modèles qui leur ont été présentés dans Police judiciaire. Ce n'est pas l'idéal. Il y a bien des problèmes de plus large portée qui se manifestent ainsi. Aucun projet de loi ne peut régler tous les problèmes, mais c'est un petit pas dans la bonne direction.

Le président : Voulez-vous répondre, monsieur MacFarlane?

M. MacFarlane : Comme nous avons très peu de temps, je vais me limiter à quelques brèves observations qui vont largement dans le sens de celles de M. Stribopoulos.

Premièrement, je ne suis pas sûr que cela va faire grimper le nombre de procès qui seront séparés. Les juges feront le nécessaire pour s'assurer que les jurés comprennent bien que la preuve présentée ne s'applique qu'à l'inculpé en cause, et pas à un autre. Je crois qu'ils s'efforceront de garder ces procès intacts dans toute la mesure du possible.

Je voulais surtout souligner que certains juges de la Cour d'appel dans différentes régions du pays, et surtout en Ontario, ont précisé qu'il n'était pas toujours nécessaire d'avoir une preuve de vive voix lors d'un voir-dire. Dans certains cas, on peut plutôt rendre une décision à partir des arguments présentés par les avocats et accélérer ainsi les choses.

Il sera intéressant de voir si cette pratique va prendre de l'ampleur. J'ai l'impression qu'il nous faut repartir à zéro; nous avons besoin d'une nouvelle approche.

Le sénateur Baker : Il n'y aurait alors pas de contre-interrogatoire?

M. MacFarlane : C'est exact. Je conviens qu'il s'agirait d'un changement radical par rapport aux pratiques antérieures, mais c'est la direction qui est empruntée dans le reste du monde où l'on n'exige plus qu'une preuve de vive voix soit présentée dans tous les cas. Je me demande si notre système judiciaire va commencer à pencher dans le même sens en permettant de ramener de trois mois à une seule journée la durée de certaines audiences.

Le sénateur Runciman : Je comprends bien vos préoccupations au sujet de l'indemnisation des jurés. Si des mesures semblables devaient passer le test constitutionnel, je m'attendrais toutefois à ce que les provinces qui appuient le présent projet de loi demandent où est l'argent nécessaire, compte tenu de leur responsabilité en matière d'administration de la justice.

J'ai une brève question concernant le choix du président du jury. Vous êtes au fait de la pratique en usage en Ontario où la sélection se fait au moment du jugement. D'après votre interprétation de ce changement, est-ce qu'une option semblable deviendrait impossible?

M. MacFarlane : Vous parlez du changement que j'ai proposé?

Le sénateur Runciman : Oui.

M. MacFarlane : Non. L'amendement pourrait plutôt simplement indiquer « lorsqu'il y a... »

Le sénateur Runciman : À l'étape où nous en sommes rendus, nous n'allons probablement plus modifier ce projet de loi. Je parle de ce qui est devant nous. Est-ce que cela va empêcher l'Ontario de maintenir cette pratique à l'avenir, car on devra simplement se conformer à ce qui est prévu ici?

M. MacFarlane : Je ne crois pas que cela empêche quoi que ce soit.

Le sénateur Runciman : Cela pourrait relever de la gouvernance administrative du juge en chef responsable, peut-être?

M. MacFarlane : Ce serait une option, si les juges en chef sont d'accord. La pratique pourrait varier d'une province à l'autre.

Le président : Monsieur Stribopoulos, vous avez parlé du paragraphe 551.3(4) qui est proposé. On y indique que les décisions du juge responsable de la gestion de l'instance lient les parties « sauf si le tribunal est convaincu que cela ne sert pas l'intérêt de la justice notamment parce qu'une nouvelle preuve a été fournie. » C'est cette notion de nouvelle preuve qui semble vous inquiéter.

Si j'ai bien compris vos observations, vous semblez croire que cette disposition pourrait être trop restrictive et imposer une limitation indue quant à savoir ce qui sert effectivement les intérêts de la justice. Ne croyez-vous pas que la précision « notamment » suffit à atténuer ces préoccupations?

M. Stribopoulos : Peut-être n'ai-je pas présenté mes observations aussi clairement que je l'aurais dû. Je suis conscient que cette disposition est permissive. En indiquant « parce qu'une preuve nouvelle a été fournie », vous ne faites qu'offrir un exemple. Cependant, toutes les fois que l'on cite ainsi un simple exemple, on peut être assuré que ceux qui sont chargés d'interpréter la loi vont s'empresser d'en faire un modèle ou une illustration parfaite de ce qui est attendu.

Si vous voulez proposer quelque chose de concret, ce qui est fort louable, il serait plus efficace de parler d'une modification importante de la situation. Le passage se lirait ainsi comme suit : « sauf si le tribunal est convaincu que cela ne sert pas l'intérêt de la justice notamment parce qu'il y a eu modification importante de la situation. » Je pense qu'il s'agirait d'une solution simple pour éviter d'engendrer ce genre de débat que les utilisateurs de la loi ne vont pas manquer d'entreprendre, soyez-en assurés.

Le président : Merci.

Messieurs, ce fut un véritable plaisir pour nous d'accueillir deux spécialistes de votre calibre dont les propos sont éclairés par une expérience concrète, tant comme avocats que dans l'arène politique. Votre aide nous a été très précieuse et nous vous remercions d'avoir pris le temps de venir nous rencontrer.

Pour terminer les témoignages d'aujourd'hui, j'ai le plaisir de vous présenter Jamie Chaffe, président de l'Association canadienne des juristes de l'État. Il a déjà comparu à maintes reprises devant notre comité et nous sommes heureux de l'accueillir à nouveau.

L'Association canadienne des juristes de l'État est le regroupement national représentant les intérêts collectifs des procureurs et des avocats de la Couronne. Nous allons maintenant écouter votre déclaration préliminaire.

Jamie Chaffe, président, Association canadienne des juristes de l'État : Je tiens à remercier le comité pour avoir trouvé le temps nécessaire afin d'entendre le point de vue de notre association. Nous vous sommes reconnaissants pour la souplesse dont vous avez fait montre pour nous permettre de comparaître.

Je veux souligner d'entrée de jeu que lorsque l'Association canadienne des juristes de l'État vient présenter ses observations au sujet d'un projet de loi, ce n'est pas pour prendre position quant à son efficacité ou à sa pertinence en tant que politique de droit pénal. Nous espérons plutôt pouvoir éclairer le comité quant aux impacts systémiques de ce projet de loi et à la manière dont il pourra être appliqué sur le terrain.

Comme vous le savez, les représentants de certaines de nos organisations membres ont déjà pris la parole devant les parlementaires à ce sujet. À la fin de la semaine dernière, Marco Mendicino, président de l'Association des juristes de justice, a comparu devant le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes, alors que vous avez entendu hier le témoignage de Thomas Jacques de l'APPCP, l'association regroupant les procureurs du Québec. Dans le temps à notre disposition, nous avons tenté de mener des consultations aussi vastes que possible afin de vous présenter une perspective nationale quant aux impacts systémiques de ce projet de loi.

L'Ontario est une des provinces qui fait beaucoup de mégaprocès, et j'ai reçu un message de l'Ontario Crown Attorney's Association. Étant donné qu'elle représente l'une des provinces de prédilection pour la tenue de mégaprocès, je tiens à lire ce message que m'a remis Scott Rogers, son président.

Au nom de l'OCAA, j'appuie sans aucune réserve les déclarations faites devant le comité par l'Association canadienne des juristes de l'État. Les difficultés extrêmes, voire les « défaillances », que nous voyons dans le système de justice pénale découlent rarement de problèmes liés aux règles de procédure criminelle. Elles tiennent au refus du gouvernement fédéral et des gouvernements provinciaux (surtout du Québec) de faire de la justice une priorité financière. Sans l'appui financier dont devrait bénéficier le système, la plupart des nouvelles lois en matière criminelle ne seront rien de plus que de la « poudre aux yeux ».

Après les victimes d'actes criminels, il n'y a personne de plus ébranlé que les procureurs lorsqu'on coupe court à une affaire et que celle-ci n'est pas jugée sur le fond. C'est ce qui est arrivé dans le cas des « Hells Angels ».

Ce comité en a déjà entendu parler un peu.

Si le projet de loi C-2 est la seule réponse du Parlement face à cette situation regrettable, alors, il ne se passera rien. Les présidents vont se réorganiser. C'est signé Scott Rogers, président de l'Ontario Crown Attorney's Association.

L'ACJE s'est efforcée d'examiner la situation dans le plus de provinces possible. Nous sommes ici pour présenter un point de vue national sur les conséquences du projet de loi C-2. Le voici : les provinces qui réalisent un nombre significatif de mégaprocès chaque année sont unanimes pour dire qu'une meilleure gestion de ces cas permettrait d'améliorer l'efficacité et l'équité des procédures. De plus, de façon générale, on s'entend pour dire que certaines questions juridiques distinctes doivent être tranchées avant la tenue de procès — des questions ayant trait au dossier en la possession de tiers, à l'admissibilité de la preuve d'écoute électronique en général, à la qualification des experts, et cetera. On gagnerait en efficacité si un jugement pouvait s'appliquer à des procédures multiples.

Bien sûr, certaines requêtes préliminaires ne peuvent être entendues en vertu du système actuel ni même dans le cadre de ce qui est envisagé dans le projet de loi C-2 — l'Association des juristes de justice en a parlé brièvement —, notamment la divulgation de requêtes qui fait intervenir la Loi sur la sécurité nationale et la Loi sur la preuve au Canada.

Enfin, l'ACJE approuve pleinement la modification d'ordre administratif proposée par l'AJJ dans son mémoire au Comité de la justice de la Chambre des communes. Cela concerne le respect des droits d'appel fixés à l'article 673 du Code criminel. Il convient de les préciser afin d'inclure les décisions du juge responsable de la gestion de l'instance, si le projet de loi C-2 devait être adopté.

Par ailleurs, les provinces où se tiennent de vastes mégaprocès prévoient également la possibilité d'un chevauchement des tâches entre le juge responsable de la gestion de l'instance et le juge de première instance dans les cas où la décision originale du juge responsable de la gestion de l'instance ferait l'objet d'un nouvel examen. Selon nous, ce genre de situation n'est pas rare dans les mégaprocès.

En outre, il est fort possible que certains types de demandes, particulièrement ceux consistant à entendre des témoignages de vive voix, des témoignages livrés pendant le procès, soient réexaminés au cours du procès en question. Nous parlons de « possibilité » parce qu'il semblerait que le projet de loi C-2 confère au juge responsable de la gestion de l'instance le pouvoir discrétionnaire de se pencher sur de telles questions ou de laisser cela entre les mains du juge de première instance. Cela se trouve au paragraphe 551.3(1).

D'autres provinces, où il y a moins de mégaprocès, croient fermement que c'est au juge de première instance d'entendre toutes les requêtes préliminaires et considèrent que si le projet de loi C-2 est adopté, cela pourrait donner lieu à un chevauchement important des tâches et à des jugements contradictoires; cela pourrait même avoir pour effet d'allonger la durée des procès et de faire peser un fardeau supplémentaire sur le système de justice pénale.

Toutes les provinces conviennent que pour tenir des mégaprocès justes et efficaces, il faut engager de très importantes ressources judiciaires, tant du côté de la poursuite que de la magistrature et de la défense. Ces procès donnent lieu à des enquêtes à grande échelle qui impliquent des obligations de divulgation de preuve particulièrement volumineuses, des questions légales complexes, d'intéressantes questions de sécurité, des questions de capacité des cours de justice pour toutes les parties concernées. Le SPPC a déjà abordé ces questions devant vous. Il traite approximativement 75 000 affaires par année dont 1 p. 100 sont des mégaprocès qui monopolisent environ 20 p. 100 de ses ressources. En Colombie-Britannique, les mégaprocès retiennent 52 des 500 procureurs de la province. Si le système de justice doit s'occuper de ces grandes affaires complexes, il faut y injecter massivement des ressources supplémentaires, comme le préconisent tous les partenaires du système de justice.

À quelques très rares exceptions près au Canada, les ressources supplémentaires, quand il y en a, sont insuffisantes, et les procureurs ainsi que tous ceux qui travaillent dans le système de justice pénale doivent détourner une part importante des ressources qu'ils consacrent à leurs tâches habituelles pour s'occuper des mégaprocès. Nous déshabillons régulièrement Pierre pour habiller Paul, avec les lourdes conséquences que cela implique.

Dans la plupart de nos provinces où les ressources sont insuffisantes, il n'y a tout simplement personne à déshabiller. Vous avez entendu Thomas Jacques, hier, faire sa description de l'état pitoyable et franchement dangereux dans lequel se trouve le système de justice pénale au Québec. Les postes destinés à la lutte contre la corruption ne peuvent être comblés par des procureurs d'expérience, si tant est qu'ils puissent être comblés. Les ressources drainées par un mégaprocès au Québec ont pour effet de paralyser le reste du système.

J'espère que vous avez été sensibles, en entendant le témoignage de M. Jacques, à la passion et à la frustration extrême des procureurs qui sont demeurés dans le système pour se battre en faveur de la justice dans cette province, tout en sachant que l'exercice normal de la justice y est devenu matériellement impossible. D'après le juge qui a suspendu la poursuite de 31 accusés dans le mégaprocès SharQC, le Québec ne disposait tout simplement pas des ressources nécessaires pour poursuivre cette affaire.

Le projet de loi C-2 n'aidera pas le système de justice criminelle au Québec à réaliser des mégaprocès. Du point de vue de l'ACJE, le projet de loi C-2, malgré toutes ses bonnes intentions, ne s'attaque qu'aux symptômes du mal qui afflige le système de justice pénale — le vrai mal qui le ronge, c'est le sous-financement chronique. Toutes les provinces accueillent favorablement la décision de nommer, très tôt dans le processus, un juge de première instance pour les grandes affaires criminelles et complexes. Si le système de justice pénale était adéquatement financé, on disposerait des ressources judiciaires suffisantes pour nommer un juge de première instance dès le début de l'instruction. Il y aurait des procureurs en nombre suffisant, jouissant de l'expérience et de la formation nécessaires pour préparer et tenir ces procès d'envergure avec toute la rigueur qui soit, sans drainer les ressources du reste du système. Ce n'est pas la situation qui prévaut dans le système actuel, qui souffre de sous-financement chronique.

Ceci conclut ma déclaration liminaire.

Le président : Je vous remercie, monsieur Chaffe. Nous allons maintenant passer aux questions.

Le sénateur Fraser : Si nous avions une baguette magique à cette table, nous ferions apparaître tout l'argent et les centaines de procureurs, de juges et de salles d'audience nécessaires; mais nous ne pouvons espérer aucun miracle. Nous devons nous limiter à l'examen de ce projet de loi.

J'aimerais revenir sur le point que vous avez soulevé concernant le droit d'appel, point qu'a soulevé aussi M. Mendicino à l'autre endroit. Je ne voudrais pas parler à sa place, mais d'après ce que j'ai compris de son argumentaire, tout comme du vôtre, ce projet de loi devrait indiquer de manière plus explicite que les décisions émanant du juge responsable de la gestion de l'instance peuvent être portées en appel. Nous avons entendu le ministre et, je crois, des fonctionnaires, dire que de telles décisions peuvent être portées en appel en vertu des dispositions de ce projet de loi. L'expression « juge responsable de la gestion de l'instance, comme juge de première instance » le garantirait. Je sais qu'il y a un article, dans le projet de loi, qui parle précisément de cela. Je n'arrive pas à le retrouver maintenant, mais je sais qu'il y est.

Êtes-vous en train de nous dire que si ce projet de loi n'est pas modifié, on ne pourra faire appel de ces décisions, ou bien qu'il vaudrait mieux expliquer cela de manière plus claire pour éviter des problèmes?

M. Chaffe : Nous considérons qu'il s'agit essentiellement d'une question de rédaction administrative. L'Association des juristes de justice a soulevé cette question, et nous partageons son point de vue. C'est une modification simple. Nous comprenons l'objectif du Parlement qui, si ce projet de loi est adopté, conférera le droit d'en appeler des décisions des juges responsables de la gestion de l'instance. Il serait extrêmement simple de corriger ce manque de précision. Pourra-t-on faire appel de ces décisions? Bien sûr que oui, mais le manque de clarté pourrait compliquer les procédures.

Le sénateur Fraser : Rien n'est simple en droit criminel, comme vous le savez; rien n'est simple au Parlement non plus. Nous l'avons tous appris à nos dépens.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Monsieur Chaffe, vous avez abordé la question du financement, un sujet qui me préoccupe beaucoup. Les mégaprocès nécessitent beaucoup de ressources et même si on veut en accélérer le processus, je suis très pessimiste à l'effet que les provinces rajoutent des ressources judiciaires, surtout lorsqu'elles sont en période de déficit budgétaire.

Quand le système de santé craque et que le système d'éducation ne va pas trop bien, la justice risque certainement d'être la cinquième et même la sixième priorité du gouvernement. Il faut donc trouver d'autres ressources de financement.

La saisie des biens de la criminalité peut être une solution, mais il s'agit souvent d'argent blanchi ou perdu parce qu'il se retrouve dans les paradis fiscaux. Ce qui me préoccupe, c'est l'aide financière accordée aux groupes criminalisés. Les Hells Angels ne sont pas des présumés criminels, ce sont des criminels.

Au Québec, un procès a avorté et sans apporter aucune conclusion, a coûté aux contribuables Québécois près de trois millions en aide juridique. Est-ce qu'on ne devrait pas imiter les Américains et exclure toute aide juridique aux groupes reconnus comme étant criminalisés?

Les Américains ne font pas toujours de mauvaises choses parce qu'on verrait mal, de nos jours, dans le cas où Al Capone serait encore en vie, que l'État finance sa défense. En excluant les groupes criminalisés de l'aide juridique, on pourrait bénéficier consacrer ces millions de dollars à l'embauche de procureurs de la Couronne qui pourraient gérer les mégaprocès,

[Traduction]

M. Chaffe : Il existe des initiatives provinciales et fédérales en matière de confiscation des produits de la criminalité. Ce qu'on fait avec l'argent ne dépend pas des procureurs de la Couronne. Cet argent sert-il à financer directement les mégaprocès? Je ne le crois pas.

S'attaquer de manière énergique aux produits de la criminalité est une entreprise nécessaire et efficace, mais nous parlons ici de ce qui devrait être un service essentiel du gouvernement — appliquer le droit criminel tel qu'il a été adopté. L'origine des mégaprocès ne tient pas simplement à la promulgation de la Charte et au développement du droit de la preuve en matière criminelle. Dans une perspective nationale, cela relève d'une stratégie nouvelle et, dans la plupart des cas, extraordinairement efficace de la police consistant à neutraliser de présumées — et c'est à la Couronne d'en faire la preuve — organisations criminelles ou des gangs. En théorie, les lois visant les organisations criminelles, la conspiration et d'autres infractions nous permettent de regrouper les poursuites engagées pour ce type d'infractions.

C'est au gouvernement qu'il appartient d'accorder les fonds nécessaires pour appliquer la loi. Nous pouvons nous attaquer aux produits de la criminalité, et c'est ce que nous devrions faire.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Dans les mégaprocès, on se trouve devant des avocats de la Couronne qui sont payés à même les impôts des contribuables et des avocats de la défense qui sont rémunérés par l'État.

Est-ce que dans un mégaprocès on sera toujours à armes égales lorsqu'on va payer l'avocat de la défense trois fois le prix qu'on paie l'avocat de la Couronne? L'adoption de projet de loi C-2 est évidemment une bonne chose, mais si on veut avoir un succès dans nos procès, comment peut-on être à armes égales devant des groupes criminalisés dont les avocats sont payés trois fois plus que les avocats de la Couronne? Il y a comme une absurdité.

[Traduction]

Le président : Monsieur Chaffe, avez-vous entendu la question?

M. Chaffe : Oui, je crois que je l'ai entendue.

D'après ce que je comprends, le sénateur se préoccupe de l'équilibre des forces dans le système. L'avis de la Couronne, partout au pays, est que chaque aspect du système doit être bien financé. Cela inclut les avocats de la défense, l'équipe de la poursuite ainsi que la magistrature et la police. Si tous ceux qui entrent dans le système ne sont pas financés de manière égale, cela donnera lieu à des résultats aberrants. Nous en avons quelques exemples, actuellement, dans les tribunaux un peu partout au pays. Par le passé, nous avons beaucoup appris des mégaprocès. Par ailleurs, les policiers sont capables de mener des enquêtes très pointues et complexes. Ils peuvent tendre leurs filets autour de ceux qu'ils croient être, et ils ont des motifs raisonnables de le penser, des organisations criminelles.

Souvent, tout tombe quand c'est le moment, pour la poursuite, d'intervenir. Existe-t-il des tribunaux capables de gérer le nombre d'accusés? Y a-t-il suffisamment de procureurs de la Couronne pour examiner l'ensemble de la divulgation de la preuve afin de s'assurer, une fois la divulgation faite, qu'on ne donne pas, par erreur, les adresses de témoins éventuels, et qu'on ne les expose pas à des risques importants? Y a-t-il suffisamment de fonds pour les avocats de la défense et pour ceux qui satisfont aux critères d'obtention de l'aide juridique pour qu'il n'y ait pas continuellement d'ajournement de procès parce qu'on n'a pas été en mesure de trouver un avocat pour ces gens? Disposons-nous des ressources judiciaires adéquates pour gérer ces affaires correctement depuis le début?

Actuellement, il y a des déséquilibres dans le système. Il faut injecter massivement des fonds pour pouvoir mener correctement les poursuites partout dans le pays.

Le sénateur Lang : J'aimerais que le témoin nous fasse part de son point de vue à propos du témoignage de l'ancien juge en chef Patrick LeSage, qui s'est penché sur la question. Il a fourni un rapport qui constitue, en quelque sorte, ou du moins en partie, la pierre angulaire de cette mesure législative. Il a clairement établi que dans ces affaires on obtiendrait de meilleurs résultats si on rendait les tribunaux plus efficaces. Cela permettrait, en grande partie, de faire des économies d'argent. Il a également déclaré qu'on pourrait s'occuper plus rapidement des accusés si l'administration de ce projet de loi était faite correctement. Si tel est le cas, on pourrait donner à votre organisation et à d'autres davantage de ressources pour remplir leurs obligations au sein du système de justice. J'aimerais savoir ce que vous en pensez, parce que c'est la raison pour laquelle nous revoyons cette mesure législative.

M. Chaffe : On ne pourrait pas trouver de meilleur témoin que le juge en chef LeSage dans ce domaine. J'admire sa grande intelligence et son engagement à l'égard de la justice pénale.

Ce qui pose problème, dans ce pays, c'est l'absence chronique de ressources relativement aux questions de justice pénale. Le projet de loi C-2 ferait des merveilles dans un système bien financé. Permettez-moi de vous donner un exemple extrême.

Dans son témoignage, Thomas Jacques a expliqué hier comment le projet de loi C-2 permettra de cerner plus rapidement les problèmes qui existent dans le système de justice du Québec. Supposons qu'un juge responsable de la gestion de l'instance obtienne un important mégaprocès au Québec et qu'à la première réunion des avocats, on décide d'imposer un délai relativement à la divulgation de la preuve. Le Québec ne possède pas assez de procureurs pour respecter ce délai. On constatera rapidement que la Couronne manque cruellement de ressources et qu'elle est incapable de respecter les délais nécessaires à la tenue d'un mégaprocès rapide, équitable et efficace.

En théorie, il n'y a rien de mal à donner plus de pouvoirs à un juge responsable de la gestion de l'instance ou à imposer des conditions en ce qui concerne le déroulement d'un procès, pour déterminer si les demandes seront présentées longtemps avant la présentation de la preuve ou si elles le seront durant le procès. Tout cela est logique en théorie. Cependant, sur le terrain, si les ressources sont insuffisantes, cela ne peut avoir l'effet souhaité. Cette loi ne peut pas entrer en application.

Ce projet de loi n'aura aucune incidence sur le fait que la province de Québec est la région qui manque le plus cruellement de ressources au pays. Il ne permettra pas d'améliorer la gestion des poursuites dans les mégaprocès.

J'espère que j'ai été clair en ce qui concerne cette question.

Le sénateur Lang : Vous représentez une organisation qui connaît très bien le système judiciaire. Votre organisation a-t-elle déjà envisagé de présenter des propositions qui permettraient de simplifier le système afin de réduire les coûts et de réduire les responsabilités des avocats de la Couronne, plutôt que de venir simplement demander des fonds?

M. Chaffe : Nous demandons que l'on fasse des dépenses relatives à la justice une priorité. Nous n'arrivons pas à suivre le rythme pour ce qui est des lois qui sont mises en place actuellement. Il doit y avoir une certaine forme de coopération à l'échelle nationale entre les auteurs des lois criminelles et les gens qui doivent les appuyer par des ressources. Il doit y avoir un lien entre eux.

À l'heure actuelle, nous sommes aux prises avec un système de justice pénale qui n'a pas évolué au même rythme que la croissance démographique dans ce pays. Nous ne disposons pas de l'infrastructure requise pour soutenir de nouvelles lois et de nouvelles techniques policières sans déshabiller Pierre pour habiller Paul. C'est un véritable problème.

Le président : Je pensais que la question du sénateur Lang était la suivante : Votre association a-t-elle déjà proposé des changements, sur le plan de la procédure ou autre, qui permettraient de simplifier le système et donc de réduire les coûts? Il est vrai qu'on a toujours besoin de plus de fonds. Toutefois, je crois que le sénateur Lang vous demandait si nous pouvions simplifier le système actuel afin d'en réduire les coûts. Nous avons certainement entendu des témoignages selon lesquels le projet de loi C-2 le permettrait. Ce n'est pas votre avis. Néanmoins, votre association a-t-elle déjà formulé des suggestions pour simplifier le système et réaliser des économies?

M. Chaffe : Je crois que nous l'avons fait et nous avons collaboré avec des comités comme celui-ci en ce qui concerne les lois.

Nous reconnaissons que des économies pourraient être réalisées dans certaines parties du projet de loi C-2. La mesure législative elle-même permet au juge responsable de la gestion de l'instance d'éviter les zones troubles où il peut y avoir un chef d'accusation double ou un réexamen.

Je ne suis pas certain d'être tout à fait clair. Nous sommes des procureurs de première ligne. Nous devons faire appliquer la loi telle qu'elle est rédigée par le Parlement. Actuellement, on nous demande de décider chaque jour en vertu de quelle disposition du Code criminel nous allons intenter des poursuites. La couverture ne couvre pas tout. Voilà notre problème. Nous sommes là sur le terrain.

Je comprends votre frustration, mais vous devriez vous mettre à notre place.

Le président : Je vais clarifier mes propos. Il ne s'agissait pas d'un commentaire de ma part visant à accuser qui que ce soit ni à laisser entendre que votre association ne fait pas cela. J'ai entendu ce que vous avez dit à cette table. Toutefois, je n'ai pas eu l'impression que vous aviez répondu directement à la question du sénateur Lang. Mais je pense que nous en avons assez discuté.

M. Chaffe : Cela m'arrive très souvent de mal comprendre les questions; je m'en excuse.

Le président : Ce n'est pas si souvent.

Le sénateur Banks : Pour l'application de la loi, vous arrive-t-il d'intenter des poursuites pour une accusation moindre afin d'accroître l'efficacité au lieu d'aller de l'avant avec ce qui aurait autrement constitué une accusation plus appropriée, mais qui serait plus complexe et moins efficace?

M. Chaffe : Si vous supprimez le mot « approprié » de cette question, avec lequel je ne suis pas à l'aise, ma réponse serait oui. Dans le système de justice pénale, nous devons faire un tri dans la série d'accusations que nous présente la police afin de conserver les précieuses ressources limitées du système judiciaire pour poursuivre les auteurs des crimes les plus graves. Les accusations que nous choisissons sont celles pour lesquelles nous mettons en oeuvre de telles stratégies.

Le sénateur Baker : Il n'y a pas seulement les lois que nous adoptons qui compliquent vos tâches; il y a aussi la requête de type McNeil de divulgation de la preuve, que vous devez maintenant présenter. Nous n'avons pas créé cette loi, mais elle a imposé un fardeau énorme à tous les procureurs de la Couronne du pays sur le plan de la charge de travail. Sur papier, tout cela paraît bien.

Sept des onze pages du projet de loi portent directement et indirectement sur la divulgation, la Charte et la preuve. Comme un procès pourrait se dérouler dans une autre province, vous avez maintenant la responsabilité, comme l'a souligné le témoin précédent, si le procès concerne votre client et que vous êtes avocat de la défense, de vous rendre dans cette province. Nos provinces et régions ont établi leurs propres règles au fil des ans. Par exemple, il n'existe pas de norme nationale en ce qui concerne la divulgation sur CD-ROM.

Comment cela fonctionnera-t-il? Croyez-vous que ce projet de loi pourrait forcer l'adoption d'une norme nationale pour la divulgation de la preuve et qu'un seul programme ayant une capacité de recherche sera accepté aux fins du procès? On doit fournir au juge la copie papier de toute façon, mais on n'est pas obligé maintenant de la fournir aux avocats des 40 ou 50 personnes qui seront accusées.

Qu'arrivera-t-il s'il est question de divulgation et que les règles sont tout à fait différentes ailleurs au pays sur le plan de la méthode et de la forme de divulgation dans le cadre d'un mégaprocès?

M. Chaffe : Je l'ignore. Je peux vous dire que bien des procureurs généraux accordent une très grande importance à la question des mégaprocès. On offre d'excellentes formations sur les pratiques exemplaires, la divulgation dans la structure des instances et l'utilisation d'avocats de la Couronne intégrés pour élaborer les accusations avant qu'elles ne soient déposées. Sur le plan des poursuites, on accomplit un travail considérable afin que les pratiques exemplaires soient utilisées partout au pays.

Je ne sais pas si une norme nationale de divulgation pour les mégaprocès en découlera. Cependant, je peux vous assurer que ces instances sont extrêmement médiatisées. Là où les ressources sont disponibles, elles sont souvent présentées au détriment du reste du système.

On met beaucoup l'accent sur l'importance de bien faire les choses, rapidement et systématiquement dans toutes les provinces. Il n'y aura jamais de modèle unique dans l'ensemble du pays en ce qui concerne les politiques liées à la divulgation. Il y a d'innombrables forces policières et d'innombrables niveaux de technologie. Toutefois, pour les mégaprocès, je sais que chaque province essaie au moins d'adopter des pratiques exemplaires.

Le président : Dans votre exposé, vous avez fait référence à un pourcentage relatif au nombre d'instances qui constituent des mégaprocès. Parmi tous les témoignages que nous avons entendus, je crois que personne n'a indiqué combien de mégaprocès se déroulent au pays en tout temps. Pourriez-vous nous en donner une idée?

M. Chaffe : Leur nombre n'est pas tellement élevé, mais il est intéressant de savoir combien il en coûte pour les mener. C'est la seule raison pour laquelle j'en ai parlé dans ma déclaration d'ouverture. Le SPPC indique que les mégaprocès représentent 1 p. 100 ou moins du nombre total de procès, mais qu'on leur consacre 20 p. 100 des ressources. Cela nous montre à quel point les mégaprocès représentent une charge considérable pour les ressources du système de justice pénale.

Cependant, il n'y a pas tellement de mégaprocès au pays comparativement au nombre d'accusations. C'est une petite partie de notre travail, mais cela demande beaucoup de ressources.

Le président : Pourriez-vous nous donner un chiffre approximatif?

M. Chaffe : Non, mais je peux vous dire que nous en avons environ deux par année dans la région de Toronto.

Le sénateur Fraser : Monsieur Chaffe, je ne peux trouver les chiffres, mais les documents les plus récents sur le projet de loi budgétaire parlent de trouver des façons d'accroître l'efficience au Service des poursuites pénales du Canada. Le terme « efficience » est souvent utilisé pour parler, d'une façon délicate, de « coupes ». Savez-vous ce qu'il en est? Selon vous, y a-t-il du superflu ou une mauvaise utilisation des ressources qu'il sera facile de corriger? Cette question est subjective et je m'attends à ce que la réponse aille dans l'autre sens, mais j'essaie de comprendre la situation.

M. Chaffe : Je sais qu'on procède actuellement à un examen. J'ignore quels sont les résultats prévus ou quels seront les résultats réels, mais je peux dire qu'il n'y a pas de superflu au SPPC. Il n'y a que des procureurs. Près de 90 p. 100 du budget leur est consacré. Il n'y a rien à couper, sauf les procureurs fédéraux, si vous cherchez à réaliser des gains d'efficience dans cette organisation. Ils sont surchargés. Y a-t-il du gras actuellement? Non, il n'y a que la peau et les os.

Le président : Merci, monsieur Chaffe. Cela met fin à cette partie de notre étude du projet de loi C-2. Nous sommes heureux que vous ayez pu comparaître à cette heure aujourd'hui. Nous savons qu'il vous était impossible de vous libérer aux heures que nous vous avions suggérées auparavant en raison d'engagements liés à un procès. Je sais que vous avez dû vous dépêcher pour être ici cet après-midi. Nous vous remercions de votre présence. Nous sommes toujours heureux de vous entendre et de pouvoir profiter de votre expérience pratique. Cela nous est très utile.

Chers collègues, nous allons procéder à l'étude article par article du projet de loi. Est-il convenu que le comité procède à l'étude article par article du projet de loi C-2, Loi modifiant le Code criminel (mégaprocès)?

Des voix : D'accord.

Le sénateur Fraser : J'aimerais savoir si les représentants du ministère de la Justice pourraient s'installer à la table. J'ai une question à poser avant que nous commencions.

Le président : Certainement, sénateur Fraser.

Le sénateur Fraser : Je ne crois pas que nous les ayons tous avec nous. Nous avons Mme Desaulniers.

Le président : Merci encore d'être parmi nous.

Le sénateur Fraser : Madame Desaulniers, j'aimerais comprendre ce qu'on mentionne au paragraphe 591(4.2) proposé, ainsi qu'à l'article 653.1 proposé, aux pages 7 et 11. On indique que les décisions des procédures ultérieures « continuent de lier les parties si elles ont été rendue — ou auraient pu l'être ». C'est le langage inhabituel que j'aimerais comprendre. Pourriez-vous m'expliquer pourquoi on dit cela?

[Français]

Anouk Desaulniers, avocate-conseil, section de la politique en matière de droit pénal, Ministère de la Justice Canada : Il n'y a rien dans le Code criminel en ce moment qui parle spécifiquement des requêtes préliminaires, qui définit ce qu'est une requête préliminaire. Les gens du milieu savent tous qu'il s'agit d'une requête qui peut être traitée avant la présentation de la preuve sur le fond. Lorsqu'on parle d'une requête qui pourrait être traitée avant la preuve sur le fond, on fait référence à une requête préliminaire.

La difficulté que nous avions ici était que nous voulions que les décisions préliminaires — je regardais l'article 591 — continuent de s'appliquer aux parties après la division des chefs. Si nous avions simplement parlé des requêtes préliminaires présentées pendant la présentation de la preuve sur le fond, nous craignions que ce soit une invitation aux procureurs de n'importe quelle partie d'attendre jusqu'à la présentation de la preuve sur le fond pour amener leur requête préliminaire, de façon à ne pas être lié par cette disposition.

Le moyen que nous avons trouvé pour ne pas créer cette invitation à retarder la présentation des requêtes préliminaires était de dire que les requêtes visées sont celles qui sont soit présentées avant la présentation de la preuve sur le fond soit retardées, qui auraient pu être traitées avant, mais qui de toute façon auraient pu l'être, de façon à ne pas inviter les procureurs à retarder d'annoncer leur requête préliminaire pendant la preuve sur le fond. Je ne sais pas si je m'exprime clairement.

Le sénateur Fraser : Oui, mais il me semble que cela va sans doute mener à pas mal de discussions, parce que quand on dit « qui aurait pu être », cet « aurait pu » est-il au plan purement procédural ou au plan du fond ou les deux? Par exemple, si les circonstances ont changé, va-t-on continuer à dire que telle décision aurait pu être rendue avant? Parce qu'il s'agit de procédure sur le genre de décision qui aurait pu être rendue avant, ou on va dire non parce que les faits sont tels que cela n'aurait pas pu être.

Mme Desaulniers : Le mécanisme prévoit un peu des deux, c'est-à-dire que le mécanisme fait en sorte que les décisions qui de par leur nature sont des requêtes préliminaires continueraient à lier les parties. Mais le mécanisme prévoit aussi — d'autres témoins en ont parlé — qu'il peut y avoir des requêtes préliminaires qui dans certains cas peuvent être traitées de façon totalement indépendante de la preuve sur le fond, mais dans d'autres dossiers sont tellement liés à la preuve sur le fond, qu'on devrait les réserver pour cette étape. Nous voulons faire en sorte que ce genre de requête, qui devrait être réservée à la preuve sur le fond, si jamais il arrive une rupture dans le procès, ce ne sont pas des requêtes préliminaires, alors elles ne devraient pas lier les parties par la suite. C'est la distinction qu'on a essayé de faire.

Nous convenons qu'il y a des questions préliminaires qui peuvent effectivement être traitées bien avant le procès devant jury, par exemple, la preuve sur le fond, mais il y a aussi des questions préliminaires qui, de part leur nature ou les faits du dossier, devraient être réservées à la preuve sur le fond. Et ces décisions, parce qu'elles sont tellement intimement liées à la preuve sur le fond, ne sont plus, par la force des choses, des questions préliminaires.

Le sénateur Fraser : Merci beaucoup.

[Traduction]

J'anticipe des années de discussions à ce sujet en cour.

Le sénateur Baker : Je tente de comprendre. Voici ce que dit l'article 653.1 :

En cas d'avortement de procès, sauf si le tribunal est convaincu que cela ne sert pas l'intérêt de la justice, les décisions relatives à la communication ou recevabilité de la preuve ou à la Charte canadienne des droits et libertés qui ont été rendues dans le cadre de ce procès [...]

C'est dans le cadre du procès précédent pour lequel le juge s'est récusé, ou dans le cas d'un avortement de procès; nous avons un nouveau juge et nous en arrivons à un nouveau procès. L'article dit ensuite ce qui suit :

[...] lient les parties dans le cadre de tout nouveau procès si elles ont été rendues — ou auraient pu l'être — avant le stade de la présentation de la preuve sur le fond.

Le sénateur Angus : C'est lié au moment choisi.

Mme Desaulniers : C'est vraiment pour dire que ces décisions préliminaires sont tellement distinctes de la preuve sur le fond qu'elles auraient pu, ou aurait dû, être présentées avant la présentation de la preuve sur le fond.

Le sénateur Baker : Les décisions ont été rendues durant la présentation de la preuve lors du procès qui a avorté, c'est ce que vous êtes en train de dire? Est-ce que c'est ce que cela signifie?

Mme Desaulniers : Oui.

Le sénateur Baker : Je comprends maintenant.

Monsieur le président, comprenez-vous également?

Le président : Oui.

Mme Desaulniers : C'est pour ne pas inviter les parties, par exemple, à retarder la présentation d'une requête préliminaire relative à la Charte pour des raisons stratégiques, ou de retarder la présentation de cette requête préliminaire jusqu'au début de la présentation de la preuve sur le fond, car cette partie pourrait dire plus tard qu'elle n'est pas liée par l'article 651 sur les avortements de procès.

Le sénateur Baker : Si la décision n'a pas pu être rendue avant la présentation de la preuve sur le fond, alors elle ne s'applique pas?

Mme Desaulniers : C'est exact. Elle est trop intimement liée à la preuve sur le fond.

Le sénateur Baker : Ainsi, les décisions ne s'appliquent pas toutes au nouveau procès.

Mme Desaulniers : Elles ne s'appliquent pas toutes.

Le sénateur Baker : C'est très important.

[Français]

Mme Desaulniers : Je vais le dire en français, pour être très claire. Nous convenons que lorsqu'il y aura un nouveau procès à la suite d'un avortement de procès, il y aura un nouveau juge des faits qui va devoir statuer sur la preuve sur le fond, et cette preuve devra effectivement être recommencée, nous en convenons. Ce que nous essayons d'éviter, c'est tout ce qui est distinct de la preuve sur le fond qui survie même si la preuve sur le fond doit être recommencée, et ce sont les requêtes préliminaires. Elles sont préliminaires parce qu'elles sont totalement distinctes de la preuve sur le fond et elles ont pu être traitées avant ou elles auraient dû l'être.

[Traduction]

Le sénateur Baker : Nous sommes présentement dans une situation où chaque province a sa façon de faire, conformément aux décisions de sa cour d'appel. Dans certaines provinces, toutes les décisions s'appliquent au nouveau procès.

Selon le projet de loi que nous tentons de mettre en vigueur, ce ne sont pas toutes les décisions qui s'appliqueront, seulement celles qui auraient pu être rendues avant la présentation de la preuve sur le fond.

Mme Desaulniers : Oui. Cet exemple est particulièrement clair dans le cas d'un procès devant jury. S'il y a un avortement de procès, on ne peut pas éviter de présenter de nouveau la preuve sur le fond au jury. Cependant, il n'y a aucune raison de revenir sur toutes les décisions préliminaires qui ont été rendues par le juge, qui sont distinctes de la preuve présentée au jury. C'est ce que propose le projet de loi.

Le sénateur Baker : Toutefois, s'il n'y a qu'un seul juge et que les décisions ont été rendues sur la preuve, les arguments fondés sur la Charte, qui avaient déjà été déterminés au procès précédent, ne s'appliquent pas au nouveau procès. Si c'est fait au cours du procès qui a été avorté et pour lequel le juge a dû se récuser, alors les décisions qu'il a rendues sur la preuve ne s'appliquent pas au nouveau procès.

Mme Desaulniers : Elles s'appliquent seulement si elles avaient pu être, ou ont été, rendues avant la présentation de la preuve sur le fond. C'est seulement dans ce scénario qu'elles sont des requêtes préliminaires.

Le sénateur Baker : Chaque argument fondé sur la Charte a un fondement probatoire, la preuve sur le fond. C'est la question. Je croyais que toutes les décisions rendues au procès précédent s'appliquaient au nouveau procès, mais ce n'est pas le cas.

Le sénateur Angus : Mme Desaulniers a dit que c'était pour éviter qu'une partie retarde la présentation de nouvelles requêtes qui auraient pu être traitées avant, mais qui ne l'ont pas été. C'est ce que je comprends des propos de Mme Desaulniers.

Je crois que c'est clair et bien expliqué. Je vous lève mon chapeau, madame Desaulniers.

Le sénateur Baker : Cela envoie un message tout à fait différent.

Le sénateur Angus : Sénateur Baker, avec tout le respect que je vous dois, vous comparez des pommes et des oranges.

Le sénateur Baker : Il était nécessaire d'obtenir une précision, et j'en suis ravi.

Le président : S'agit-il d'un message différent ou d'une autre conception des choses? Ce sont des interprétations différentes.

Le sénateur Baker : Eh bien, c'était grandement nécessaire. Dans le cadre de ce procès, ce sera grandement nécessaire.

Le président : Merci, sénateur Baker.

Le sénateur Banks : Je m'excuse de ma naïveté, mais supposons, par exemple, qu'un nouveau procès a lieu après celui qui a été avorté. Le nouvel avocat de la défense est d'avis qu'une requête doit être exclue ou prise en considération. Supposons qu'il présente cela lors d'un nouveau procès, devant un nouveau jury. Est-ce que le juge lui dit alors, en raison de l'expression « ou auraient pu l'être » du projet de loi, que son prédécesseur qui représentait le client ou la Couronne aurait dû l'avoir soulevé, mais qu'il ne l'a pas fait, et que donc, il ne peut pas le faire maintenant »?

[Français]

Mme Desaulniers : Non, absolument pas. Le « could have been made », c'est seulement une mention pour faire référence — je vais le dire en anglais — au « timing », non pas au fait que la requête, n'ayant pas été présentée dans le premier procès, ne pourrait pas effectivement être plaidée dans le deuxième. Le « could have been made », c'est seulement au niveau du moment où la requête aurait pu être présentée ou a de fait été présentée.

[Traduction]

Le président : Je pense que nous avons examiné la question à fond.

Honorables sénateurs, je reprends où nous en étions avant l'intervention du sénateur Fraser.

Est-il convenu de procéder à l'étude article par article du projet de loi C-2, Loi modifiant le Code criminel (mégaprocès)?

Des voix : D'accord.

Le président : L'étude du titre est-elle reportée?

Des voix : D'accord.

Le président : Adopté.

L'étude de l'article 1, qui contient le titre abrégé, est-elle reportée?

Des voix : D'accord.

Le président : Adopté.

L'article 2 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : Adopté.

L'article 3 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : Adopté.

L'article 4 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : Adopté.

L'article 5 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : Adopté.

L'article 6 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : Adopté.

L'article 7 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : Adopté.

L'article 8 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : Adopté.

L'article 9 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : Adopté.

L'article 10 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : Adopté.

L'article 11 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : Adopté.

L'article 12 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : Adopté.

L'article 13 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : Adopté.

L'article 14 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : Adopté.

L'article 15 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : Adopté.

L'article 16 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : Adopté.

L'article 17 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : Adopté.

L'article 1, qui contient le titre abrégé, est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : Adopté.

Le titre est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : Adopté.

Le projet de loi est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : Adopté.

Est-ce que le comité veut annexer des observations au rapport?

Le sénateur Angus : Monsieur le président, je ne suis pas inflexible là-dessus, mais je crois que M. Jacques Dupuis nous a dit qu'il serait très utile que les législateurs disent très clairement qu'il s'agit de dispositions procédurales, et que cela éviterait des conflits qui ralentiraient les choses. Je ne connais pas le point de vue de Mme Desaulniers, mais j'ai pensé que si c'est utile, nous pourrions ajouter une observation qui dirait qu'un ancien ministre de la Justice nous a conseillé de le faire, et cetera. Je ne sais pas si c'est vraiment ce qu'il disait, et je lance donc l'idée.

Le sénateur Baker : Par souci de clarté, il serait souhaitable qu'un représentant du ministère explique maintenant l'intention du gouvernement en ce qui concerne la mesure législative. Le sénateur Angus a tout à fait raison. Je propose que nous posions la question au témoin.

Le président : Est-ce que nous allons poser la question dans le sens qu'il s'agit d'un projet de loi de nature procédurale?

Le sénateur Baker : Oui.

Le président : L'objet de la mesure législative est plutôt global.

Le sénateur Baker : Le problème, c'est que le juge devra se pencher là-dessus.

Le sénateur Angus : C'est la nature même des projets de loi. Je ne sais pas si c'est utile. On ajoute des observations pour rendre le projet de loi plus clair, mais sera-t-il plus clair? Je crois que le président est d'avis que cela pourrait causer de la confusion.

Le président : Madame Desaulniers, voulez-vous répondre?

[Français]

Mme Desaulniers : Ma compréhension du projet de loi est qu'il apporte des modifications strictement procédurales au Code criminel et ne modifie en rien les droits substantifs prévus au Code criminel.

[Traduction]

Le sénateur Fraser : Je suis ravie d'entendre Mme Desaulniers donner la même réponse qu'elle m'a donnée hier lorsque j'ai posé cette question. Nous l'aurons deux fois dans le compte rendu.

Le sénateur Baker : Excellent.

Le sénateur Fraser : En fait, ajouter des observations prendra un certain temps. Sur le plan purement pratique, je crois qu'il y a des raisons pour lesquelles nous ne voulons pas prendre plus de temps que nous le devrions. Pouvons-nous demander au parrain du projet de loi et au porte-parole qu'à l'étape de la troisième lecture, ils mentionnent explicitement qu'on nous l'a confirmé? Pouvons-nous le leur demander? Le demander est un peu inhabituel.

Le sénateur Angus : Cela entre dans la catégorie des observations qui « auraient pu être » faites.

Le sénateur Fraser : Tous les membres du comité étaient d'accord.

Le sénateur Runciman : Je ne sais pas quand la troisième lecture aura lieu.

Le sénateur Fraser : Aujourd'hui, je crois; ou de toute façon, ce sera bientôt.

Le sénateur Runciman : Aujourd'hui, oui, mais j'ai un horaire chargé ce soir. Dans le passé, je crois que plutôt que de le faire durant le débat à l'étape de la troisième lecture — une façon de procéder que je n'exclus pas —, nous envoyions une lettre signée par le président, et peut-être par le vice-président, qui indiquait les questions qu'on avait soulevées au cours des délibérations desquelles le ministre devait être au courant. Je crois que c'est une autre option. Je n'exclus pas la possibilité que le sénateur Baker et moi en parlions, mais je crois que ce pourrait être une autre façon de procéder.

Le sénateur Fraser : Pour plus de certitude.

Le président : Nous l'avons fait dans le passé. Pour les raisons que le sénateur Fraser a données, nous devons bien faire les choses, mais je crois qu'il y a une grande volonté d'envoyer le projet de loi à la Chambre aujourd'hui. Pour les raisons qu'elle a données, l'ajout d'une observation causerait des problèmes.

Cela ne me pose aucun problème. Si le sénateur Fraser le veut bien, je serais prêt à signer une lettre qui sera envoyée au ministre.

Le sénateur Fraser : De plus, si le sénateur Runciman est là, mentionnez-le, s'il vous plaît.

Le sénateur Runciman : Mon leader provincial est en ville aujourd'hui.

Une voix : Mais vous faites la troisième lecture.

Le sénateur Runciman : Nous verrons.

Le sénateur Fraser : Quelqu'un la fera.

Le président : Je vais répéter la question : est-ce que le comité veut annexer des observations au rapport? Non; très bien.

Enfin, est-il convenu qu'il soit fait rapport de ce projet de loi sans amendement ni observations au Sénat?

Des voix : D'accord.

Le président : Adopté.

Je vous remercie de votre temps et de vos efforts. Nous avons réussi à faire un travail très productif en peu de temps. Nous avons eu d'excellents témoignages. Merci.

Le sénateur Joan Fraser (vice-présidente) occupe le fauteuil.

La vice-présidente : Honorables sénateurs et sénateur Wallace, le président doit se rendre à la Chambre du Sénat et m'a donc demandé de présider ce volet de nos travaux.

Nous commencerons par notre étude du projet de loi S-1001, Loi concernant l'Université Queen's à Kingston. J'aimerais préciser qu'il s'agit d'un projet de loi d'intérêt privé, qui, comme nous le savons tous, est différent d'un projet de loi sénatorial d'intérêt public d'initiative privée. C'est un projet de loi privé, c'est-à-dire un projet de loi conçu pour conférer à une ou plusieurs personnes, ou à un groupe de personnes, des pouvoirs ou avantages spéciaux, ou d'exclure de telles personnes de l'application générale d'un texte de loi. Un projet de loi privé se rapportera directement aux affaires d'un particulier ou d'un groupe, notamment d'une société. Il visera un but qui ne saurait être atteint au moyen d'une loi générale. Il sera fondé sur une pétition présentée par un particulier ou un groupe au Parlement.

Le projet de loi concerne l'Université Queen's. Nous sommes ravis d'accueillir comme témoins le parrain du projet de loi, le sénateur Lowell Murray, le très respecté et, oserais-je dire, le bien-aimé doyen du Sénat, et Robert A. Little, c.r., le conseiller juridique de l'Université Queen's.

Merci à vous deux d'être ici. Nous sommes désolés d'avoir dû vous faire attendre quelques minutes le temps que nous terminions d'autres travaux. Nous sommes maintenant prêts à aborder votre projet de loi. Je crois que vous prendrez tous les deux la parole.

L'honorable Lowell Murray, C.P., parrain du projet de loi : Madame la présidente, je vais prendre la parole seulement pour remercier les membres du comité de ce compromis grandement apprécié, d'autant plus que vous avez un ordre du jour chargé et que vous êtes pressés par le temps.

Comme vous le savez, le projet de loi a franchi l'étape de la deuxième lecture et a été renvoyé au comité hier. Je suis accompagné aujourd'hui par M. Robert A. Little. Comme vous l'avez souligné, il est le conseiller juridique de l'Université Queen's. Il est déjà venu ici à ce titre il y a 15 ans, et je crois à une autre occasion également lorsque l'Université Queen's a dû se présenter au Parlement pour faire modifier sa charte. Il fera un bref exposé. Après coup, nous répondrons — lui ou moi, mais lui de préférence — aux questions précises que vous aurez peut-être concernant la légalité et la constitutionnalité de cette mesure législative.

Robert A. Little, c.r., conseiller juridique, Université Queen's : Merci d'avoir fait ce compromis et d'avoir l'amabilité de nous entendre si rapidement. Je tiens aussi à remercier le sénateur Murray, qui avait été notre parrain en 1996 et qui l'est encore une fois aujourd'hui, le légiste du Sénat et le personnel de nous avoir aidés à rédiger le projet de loi.

Vous vous demandez peut-être pourquoi un établissement d'enseignement se présente devant le Sénat. La raison est que l'Université Queen's a en fait été constituée par charte royale en 1841. Après la Confédération, les gens se sont vraiment interrogés à savoir si le Parlement ou l'Assemblée législative de l'Ontario avaient le droit de modifier cette charte. Il y a eu des litiges avec l'Église presbytérienne au Canada. Par conséquent, en 1882, le député de Kingston, M. Macdonald, a déposé un projet de loi qui modifiait la régie interne de l'Université Queen's, particulièrement en ce qui a trait au conseil de l'université.

L'Université Queen's est revenue à sept autres reprises pour demander diverses modifications entourant sa régie interne; aujourd'hui, c'est la huitième fois. La plus importante a eu lieu en 1912. Une loi du Parlement a supprimé le caractère confessionnel de l'Université Queen's — elle était de confession presbytérienne. C'est cette même loi que nous demandons aujourd'hui au Sénat de modifier.

Il y a deux points principaux. Premièrement, il faut modifier le nombre de gens qui siègent au conseil d'administration. L'Université Queen's essaie d'être plus efficace et de ressembler davantage à une entreprise, en plus d'être sensible aux demandes de ses diverses composantes, mais elle doit composer avec un conseil d'administration de 44 personnes. La modification proposée ici aura pour effet de diminuer ce nombre à 25. Voilà l'élément important en lien avec le conseil d'administration. Ce conseil est l'entité qui s'occupe des questions qui ne sont pas en lien avec l'enseignement, et c'est important qu'il fonctionne efficacement.

De plus, le projet de loi précise les règlements administratifs que le conseil d'administration peut adopter en ce qui concerne sa gestion interne et sa régie interne. Voilà les deux principales modifications proposées en lien avec le conseil d'administration.

Ensuite, le projet de loi propose de modifier le conseil de l'université. Actuellement, il s'agit d'un imposant conseil consultatif qui comprend les principaux dirigeants de l'université, le chancelier, le recteur, tous les sénateurs et tous les membres du conseil d'administration; ce conseil consultatif compte plus de 100 membres. Le projet de loi maintient ce conseil en place et ne modifie pas ses pouvoirs. Cependant, le projet de loi lui donne le pouvoir de modifier sa composition pour le rendre un peu plus efficace. Cela se fait par l'entremise du pouvoir d'adopter des règlements administratifs concernant sa gestion interne et sa régie interne.

Les modifications contenues dans le projet de loi ont reçu l'appui unanime du conseil d'administration, du corps professoral, des étudiants et des membres du conseil de l'université; toutes les composantes de l'université l'appuient. Le projet de loi est le fruit d'une longue période de débats et de consultations auprès des diverses composantes.

Pour autant que je sache, ce projet de loi ne fait l'objet d'aucune objection au sein de l'université. Nous espérons que vous jugerez bon d'en discuter et, si possible, de demander au Sénat de l'adopter à l'étape de la troisième lecture.

La vice-présidente : Le M. Macdonald qui était député de Kingston en 1882, était-ce John A. Macdonald?

M. Little : Oui.

La vice-présidente : Quelle histoire prestigieuse vous avez! À cette époque, il s'appelait déjà sir John A., n'est-ce pas?

Ai-je raison de croire que si le projet de loi est adopté vous n'aurez plus besoin de vous présenter au Parlement?

M. Little : Pas exactement. Par contre, cela ne se reproduira pas aussi fréquemment. Nous étions ici en 1961, en 1996, et nous sommes de retour aujourd'hui.

La vice-présidente : Une fois par génération.

M. Little : Trois fois en 50 ans. À mon avis, j'aurai disparu depuis longtemps avant que l'Université Queen's ne revienne vous voir.

La vice-présidente : Je comprends que ces modifications feront en sorte que votre administration ressemblera davantage à celle des autres établissements d'éducation — aux autres universités, n'est-ce pas?

M. Little : Certainement. Certains pouvoirs qui se trouvaient dans la loi sont maintenant en fait délégués au conseil d'administration et au conseil de l'université par l'entremise des règlements administratifs que j'ai mentionnés il y a une minute. Le sénateur Murray a résumé avec justesse la situation en disant qu'il s'agissait d'une forme de rapatriement et un bon rapatriement.

La vice-présidente : Honorables sénateurs, avez-vous des questions à poser à nos illustres témoins?

Voyez-vous à quel point vous avez été persuasifs?

Le sénateur Lang : Merci d'être venus témoigner devant le comité. J'aimerais féliciter le sénateur Murray, qui n'est évidemment pas étranger au comité.

Je m'intéresse à l'article 10 proposé qui concerne le conseil d'administration, la nomination précise des membres et les composantes que ces gens représentent. Pourriez-vous nous expliquer pourquoi vous avez précisé très clairement la provenance des membres du conseil d'administration alors que, dans l'article 17 proposé, vous avez laissé le conseil de l'université déterminer par règlement administratif sa composition?

M. Little : La raison est que le conseil de l'université est seulement un conseil consultatif. Il n'est pas aussi impératif d'en déterminer les composantes qui doivent être représentées comme c'est le cas pour le conseil d'administration.

Le sénateur Lang : Je vous posais la question, parce que cela aurait pu vous éviter de revenir ici si vous voulez un jour modifier la composition du conseil d'administration.

M. Little : Le conseil de l'université est composé des membres du Sénat de l'université et du conseil d'administration.

Le sénateur Lang : Je comprends. Je voulais seulement savoir pourquoi l'autre article n'était pas rédigé de manière plus générale, mais c'est correct.

La vice-présidente : Messieurs, je vous félicite. Vous avez été le groupe de témoins le plus persuasif et le plus efficace que j'ai vu dans un comité depuis belle lurette. Merci beaucoup.

Est-il convenu de procéder à l'étude article par article du projet de loi S-1001, Loi concernant l'Université Queen's à Kinston?

Des voix : D'accord.

La vice-présidente : Adopté.

Êtes-vous d'accord de reporter l'étude du titre?

Des voix : D'accord.

La vice-présidente : Adopté.

Êtes-vous d'accord de reporter l'étude du préambule?

Des voix : D'accord.

La vice-présidente : L'article 1 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

La vice-présidente : Adopté.

L'article 2 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

La vice-présidente : Adopté.

L'article 3 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

La vice-présidente : Adopté.

L'article 4 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

La vice-présidente : Adopté.

L'article 5 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

La vice-présidente : Adopté.

L'article 6 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

La vice-présidente : Adopté.

Le préambule est-il adopté?

Des voix : D'accord.

La vice-présidente : Adopté.

Le titre est-il adopté?

Des voix : D'accord.

La vice-présidente : Adopté.

Le projet de loi est-il adopté?

Des voix : D'accord.

La vice-présidente : Adopté.

Est-ce que le comité veut annexer des observations?

Des voix : Non.

La vice-présidente : Puis-je faire rapport de ce projet de loi sans amendements et sans observations au Sénat?

Des voix : D'accord.

La vice-présidente : Merci beaucoup, honorables sénateurs.

Je sais que le sénateur Wallace aimerait que nous remerciions notre personnel et tous les gens qui nous aident, y compris les interprètes et les pages, et que nous leur souhaitions une merveilleuse pause estivale fort bien méritée.

(La séance est levée.)


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