Aller au contenu
LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 2 - Témoignages du 6 octobre 2011


OTTAWA, le jeudi 6 octobre 2011

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui, à 10 h 34, pour étudier la proposition relative aux frais d'utilisation de la Commission des libérations conditionnelles du Canada, conformément à la Loi sur les frais d'utilisation, L.C. 2004, ch. 6, par. 4(2).

Le sénateur John D. Wallace (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Collègues sénateurs, invités et membres du public qui regardent la séance d'aujourd'hui sur le réseau CPAC, bonjour et bienvenue. Je m'appelle John Wallace; je suis un sénateur du Nouveau-Brunswick et le président du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

Chers collègues, le comité étudie aujourd'hui la plus récente proposition de la Commission des libérations conditionnelles du Canada, qui vise à augmenter les frais de service qu'elle exige présentement pour le traitement des demandes de réhabilitation.

J'aimerais mettre brièvement les choses en contexte. Le 29 juin 2010, la Loi modifiant la Loi sur le casier judiciaire, qui était auparavant le projet de loi C-23A, est entrée en vigueur. Elle a modifié la Loi sur le casier judiciaire, et dans certains cas, elle a imposé des restrictions sur les demandes de réhabilitation.

Le projet de loi C-23A a également ajouté de nouveaux critères que la Commission des libérations conditionnelles doit prendre en compte lorsqu'elle décide d'octroyer ou non la réhabilitation à l'égard d'un acte criminel.

Avant que les modifications contenues dans le projet de loi C-23A entrent en vigueur, la Commission des libérations conditionnelles exigeait 50 $ pour chaque demande de réhabilitation. Le 22 juin 2010, au cours de notre étude sur le projet de loi C-23A, des fonctionnaires de la commission nous ont dit qu'après l'adoption du projet de loi C-23A, la commission prévoyait proposer une augmentation des frais exigés des demandeurs de réhabilitation, conformément à la Loi sur les frais d'utilisation.

Le 27 septembre 2010, une proposition de la Commission des libérations conditionnelles sur les frais de demande a été présentée au Sénat et a été renvoyée à notre comité. La proposition visait à augmenter provisoirement les frais de demande de réhabilitation de 50 $ à 150 $. Il y était indiqué qu'une nouvelle proposition sur les frais de service, qui tient compte du coût total du processus d'approbation de réhabilitation rendu plus complexe par le projet de loi C- 23A, serait présentée par la commission à une date ultérieure.

En octobre, notre comité a entendu des témoignages au sujet de la proposition de la commission visant une augmentation provisoire des frais de demande. Dans notre 12e rapport, nous avons recommandé que le Sénat approuve l'augmentation des frais de demande de réhabilitation proposée.

La proposition actuelle de la Commission des libérations conditionnelles est d'augmenter les frais de demande de réhabilitation. Elle a été renvoyée à notre comité le 27 septembre 2010. Selon la proposition, les frais de 150 $, qui sont entrés en vigueur en décembre 2010, ne couvrent pas les coûts indirects du traitement d'une demande et ne répondent pas aux exigences additionnelles du projet de loi C-23A. Ainsi, la proposition de la commission dont est maintenant saisi notre comité vise à augmenter les frais de service, qui passeraient de 150 $ à 631 $ pour chaque demande de réhabilitation.

Chers collègues, nous accueillons un certain nombre de témoins aujourd'hui, et nous sommes très heureux qu'ils aient pris le temps de venir nous communiquer leurs connaissances et nous parler de leur expérience sur cette question très importante.

J'aimerais présenter nos témoins. Nous accueillons M. Sheldon Kennedy, cofondateur de Respect Group Inc. Nous avons aussi parmi nous des représentants de la Canadian Crime Victim Foundation : M. Joseph Wamback, président et cofondateur, et Lozanne Wamback, présidente et cofondatrice. Enfin, nous sommes heureux de recevoir de nouveau Mme Sharon Rosenfeldt, présidente du Victims of Violence Canadian Centre for Missing Children.

Sheldon Kennedy, cofondateur, Respect Group Inc. : Merci. Je suis très heureux d'être ici aujourd'hui pour vous donner mon point de vue sur l'augmentation des frais pour la réhabilitation qui a été proposée.

En 1997, lorsqu'étant devenu adulte et joueur de hockey professionnel, j'ai enfin dénoncé mon entraîneur au niveau junior pour agression sexuelle, bien des gens des médias, du monde du hockey et de la ville où les événements se sont produits ne m'ont pas cru. En plus de devoir me battre contre la peur et la honte que causent les agressions sexuelles, j'ai dû affronter des gens incrédules. Les enfants qui en sont victimes passent des années à tenter de s'expliquer ce qui leur est arrivé et à rétablir leur bien-être émotif. Les victimes passent toute leur vie à se remettre de ce traumatisme. Les délinquants purgent leur peine et on leur octroie une réhabilitation subventionnée.

Souvent, les victimes sont aux prises avec des troubles émotionnels, l'abus d'alcool, la toxicomanie et ils songent au suicide. Elles doivent chercher elles-mêmes les ressources dont elles ont besoin pour s'en sortir. Les coûts des programmes de traitement varient entre 900 $ et plusieurs milliers de dollars. Et pourtant, nous nous préoccupons du fait que les agresseurs doivent payer 631 $ pour obtenir une réhabilitation?

Mon agresseur a été condamné à trois ans et demi de prison pour ses crimes et a été libéré après seulement 18 mois. Il a obtenu automatiquement sa réhabilitation pour 50 $, et il est parti au Mexique avec un dossier sans tache, un nouveau nom et la possibilité de commettre d'autres crimes. Il est aujourd'hui en prison.

Pour ma part, je lutte depuis 30 ans. J'ai perdu une carrière payante de joueur de hockey professionnel, je suis allé dans d'innombrables centres de traitement, je continue à consulter chaque semaine, et j'ai vécu de façon imprudente, ce qui a eu des répercussions sur moi, mes amis, ma famille et mon mariage. J'ai mis 30 ans à devenir un citoyen productif sur le marché du travail.

Pourtant, nous sommes préoccupés aujourd'hui par le fait que payer 631 $ pour obtenir la réhabilitation, qui est le coût actuel du traitement, sera pour une raison ou une autre, un fardeau financier pour l'agresseur. Cela n'assure-t-il pas la responsabilisation dans notre système? Je crois comprendre également qu'avec le projet de loi C-23A, il faut attendre plus longtemps avant l'octroi de la réhabilitation. À mon avis, cela donne plus de temps aux ex-délinquants pour se réinsérer et économiser.

Durant les 13 années où j'ai travaillé à ces questions, j'ai appris que les enfants victimes d'agression sexuelle sont marqués pour la vie. Ils ne s'en remettent pas en 18 mois. Les services de police, les services sociaux et les organismes d'aide aux victimes le constatent tous les jours. Ils doivent travailler avec les victimes et voient les effets atroces à court et à long terme. Je ne connais aucun professionnel qui travaille avec les victimes qui est d'avis qu'il est logique de subventionner le processus de réhabilitation ou l'augmentation des frais proposée.

Pour tenter de faire un lien entre tout ce débat et ma vie actuelle, je compare cela à mon rôle de père. Ma fille, qui est adolescente, apprend à conduire et elle veut obtenir son permis et avoir une voiture. Elle connaît le coût des assurances depuis le début. Cela coûte cher, mais c'est quelque chose qu'elle veut désespérément. Je lui ai dit d'économiser de l'argent pour l'assurance, et ce sera possible, mais ce n'est pas son père qui paiera. Si la réhabilitation est quelque chose de si fondamental dans la vie des ex-délinquants, ils devraient être capables, comme n'importe qui, d'économiser pour obtenir quelque chose qui compte autant pour eux. Soit dit en passant, 631 $ équivaut à 63 heures ou à une semaine et demie de travail à 10 $ l'heure.

Permettez-moi de vous dire que j'appuie entièrement l'augmentation à 631 $ pour l'octroi de la réhabilitation.

Joseph Wamback, président, cofondateur, Canadian Crime Victim Foundation : Bonjour, mesdames et messieurs les sénateurs. La Canadian Crime Victim Foundation est une fondation non parrainée par le gouvernement qui permet aux victimes de se faire entendre au Canada.

Je suis ici pour représenter les millions de Canadiens respectueux des lois qui ne peuvent pas se faire entendre et qui ont été effrayés par des criminels leur ont fait du mal. Bon nombre d'entre eux ont perdu confiance en nos systèmes qui ont été conçus pour les protéger des dangers, de la revictimisation secondaire et d'autres insultes.

En me préparant pour ma comparution, je me suis demandé ce qu'est exactement la réhabilitation. C'est simplement une possibilité de supprimer les comportements criminels du passé. Il s'agit d'une libération finale d'une structure sociétale qui a imposé des sanctions à des gens qui n'ont pas respecté ses règles et ses valeurs, quelque chose que les Canadiens compatissants tentent de comprendre tous les jours. Toutefois, ces mêmes Canadiens compatissants sont de plus en plus exaspérés devant le manque total de responsabilisation des délinquants et d'équilibre entre les droits des délinquants et ceux des victimes.

Pour la personne qui la demande, la réhabilitation est importante. Le coût ne devrait pas refléter seulement la valeur que le demandeur lui accorde, mais aussi au moins, les frais administratifs requis pour traiter la demande. Ce ne sont pas les victimes et les Canadiens respectueux des lois qui devraient subventionner le processus de demande de réhabilitation pour les gens qui choisissent de leur plein gré de commettre des crimes. Les gens qui ne respectent pas nos lois criminelles le font à leurs propres risques; ils le font de plein gré, en sachant très bien que s'ils se font prendre, ils en subiront de graves conséquences, et se verront imposer des sanctions.

Ce sont les règles canadiennes. Ce sont les règles de la société, que tous les Canadiens respectueux des lois suivent. Sans ces règles et sans ces Canadiens, nous sombrerions dans l'anarchie.

Des opposants à l'initiative ont avancé diverses statistiques. À mon avis, elles n'ont vraiment aucune valeur, car au mieux, elles sont peu rigoureuses et faussées.

Quel est le vrai enjeu de la proposition d'augmenter les frais de service pour les demandes de réhabilitation? Je ne crois pas que ce soit les 481 $. Les frais sont de 150 $ maintenant et s'élèveront à 631 $. Il est question de confiance, d'équilibre, de compassion, des coûts pour les citoyens respectueux des lois, et de la reconnaissance et de la réparation des torts causés. Cela n'a rien à voir avec ce que l'on fait dans d'autres pays et d'en d'autres lieux. Il est question du Canada, de son tissu social et de son droit de prendre ses propres décisions.

Il est question de confiance. Tous les gouvernements doivent répondre aux besoins de leurs citoyens, et non uniquement à ceux de groupes d'intérêt. La documentation que j'ai examinée avant de faire mon exposé met en évidence une grande majorité de réponses à une consultation en ligne qui n'appuient pas l'augmentation des frais de service.

C'est sur des sites web visités par des gens qui ont un intérêt personnel à cet égard, comme la Commission des libérations conditionnelles, les Services correctionnels du Canada, Sécurité publique Canada, les organismes d'aide aux délinquants et les entreprises dont le travail consiste à faire des demandes de réhabilitation, qu'on a demandé aux gens de participer à la consultation. On ne peut guère s'étonner des résultats que l'on voit dans la documentation. Les Canadiens ordinaires, surtout les victimes, n'ont pas été consultés. On n'a jamais demandé le point de vue de mon organisme, ni celui des gens avec qui j'interagis quotidiennement.

Récemment, pour ma propre édification, j'ai fait un sondage sur mon propre site web. Bien qu'il s'agisse de données fragmentaires, jusqu'à maintenant, les résultats indiquent que 100 p. 100 des gens qui ont participé au sondage sont en faveur de l'augmentation des frais de demande.

Il est question là aussi de confiance. Il faut que le système de justice et le système correctionnel du Canada répondent aux besoins de tous les Canadiens, et non seulement des criminels et des groupes d'intérêt. Ils doivent être transparents et justes et, surtout, ils doivent être perçus comme tels par tous les Canadiens. Ne pas y arriver nuit à l'efficacité de ces systèmes et diminue donc leur capacité de fonctionner. Lorsque ces systèmes cessent de fonctionner, ils cessent d'exister.

L'initiative fondée sur la justice réparatrice insiste sur les principes de reconnaissance de la part du délinquant des torts qu'il a causés et de participation dans la réparation des torts. Le fait que le demandeur paie les coûts réels de la réhabilitation renforcera la nature réparatrice du crime et, au bout du compte, favorisera l'indépendance et la réadaptation du délinquant. Cela servira également à montrer à tous les citoyens respectueux des lois que les objectifs de réadaptation peuvent avoir été atteints. Cela servira également à montrer aux victimes que leur revictimisation continue, par leur subvention fiscale pour les demandes de réhabilitation de leurs agresseurs, peut prendre fin.

Au début, j'ai parlé d'équilibre, et je veux expliquer mon point de vue sur le sujet. Il est extrêmement important de trouver un juste équilibre entre d'un côté, les droits des victimes et de la société, et d'un autre côté, ceux des criminels condamnés. Alors que les organisations non gouvernementales qui aident les délinquants reçoivent des dizaines de millions de dollars par année des gouvernements fédéral, provinciaux et municipaux, les organisations de défense des droits des victimes reçoivent peu ou ne reçoivent rien du tout.

Ma fondation n'a pas de subventions gouvernementales, ni de financement, et fonctionne sans salaires et sans frais. Sur leur site web, les organisations qui aident les délinquants avisent les demandeurs de réhabilitation qu'elles vont les aider à payer les coûts, et dans certains cas, elles paient pour tous les coûts de la demande de réhabilitation. Il n'y a pas encore un tel service ou une telle ONG au Canada pour les victimes.

Les délinquants, qui sont les demandeurs de réhabilitation potentiels, pendant qu'ils sont en garde fermée ou en garde ouverte dans la collectivité, et même après l'expiration du mandat, reçoivent des services de counseling, un logement subventionné, de la formation professionnelle, et cetera, tandis que leurs victimes ne reçoivent rien.

Lorsqu'on présente des mesures pénales pour soutenir les victimes ou renforcer les lois pénales existantes, les opposants aux mesures proposées crient sur tous les toits partout au Canada : « Qui paiera »? Et ils disent aussi : « Imaginez les coûts; nous n'en avons pas les moyens; comment peut-on imposer un tel fardeau aux contribuables canadiens »? Nous avons ici une proposition qui fera économiser aux contribuables plus de 10 millions de dollars par année; cet argent serait le bienvenu pour les victimes des demandeurs de réhabilitation; des victimes, qui ont désespérément besoin qu'on leur fournisse du counseling et qu'on les aide à payer leurs frais médicaux.

Les enquêteurs correctionnels ont le pouvoir et le mandat de traiter les demandes d'indemnisation présentées par les délinquants, par exemple, pour le vol de matériel pornographique personnel dans leur cellule, dans un délai de 60 jours.

L'ombudsman national des victimes n'a pas ce pouvoir ni ce mandat prescrit par la loi. Les programmes provinciaux d'indemnisation des victimes d'actes criminels sont limités, et il faut jusqu'à six ans — et non 60 jours — pour régler les réclamations, et souvent, elles ne sont jamais réglées. Certaines provinces n'ont tout simplement aucun programme d'indemnisation. Je parle par expérience.

Les auteurs d'un crime devraient payer pour ce crime, mais peu le font. Actuellement, les ordonnances de dédommagement, qui relèvent de la seule autorité des tribunaux canadiens, sont imposées dans seulement 3 p. 100 des cas. L'application de ces ordonnances n'est pas assurée par les tribunaux, et il revient toujours à la victime de tenter de faire appliquer le jugement rendu contre l'agresseur. Dans la plupart des cas, la victime n'a pas les moyens d'exercer un recours, mais si elle le fait, elle ne peut toujours pas recevoir le dédommagement. Or, certaines personnes voudraient que ces mêmes victimes financent à même leurs impôts les coûts de la réhabilitation de leurs agresseurs.

J'ai parlé de la compassion. La compassion, c'est reconnaître ce qui a été enlevé aux victimes et à la société. Lorsqu'on entend dire : « Ils ont payé leur dette à la société », ce n'est pas seulement faux, c'est aussi insultant. C'est envers les victimes que les contrevenants ont une dette, car ils ont inexorablement changé une grande partie de la vie des victimes par leur comportement criminel. Nous reconnaissons que les victimes d'actes criminels au Canada ne jouent pas un rôle actif dans le système juridique canadien. À tout le moins, permettez-leur de faire entendre leur voix ici aujourd'hui.

Pour terminer, j'aimerais vous parler des coûts. Il est faux de prétendre qu'une augmentation des frais de service de 480 $ est une mesure punitive. Je crois que c'est une exagération outrancière de la réalité. On peut demander la réhabilitation de trois à 10 ans après l'expiration du mandat. Trois ans sont suffisants pour économiser 431 $ — cela représente moins de trois dollars par semaine —, si le candidat à la réhabilitation y tient vraiment; pour 10 ans, c'est moins de quatre dollars par mois. Si la réhabilitation est vraiment importante pour le demandeur, alors quatre dollars par mois, c'est loin d'être une mesure punitive.

Des dizaines de cabinets d'avocats au Canada exigent entre 450 et 800 $ pour aider les gens à présenter leur demande de réhabilitation, et ce, sans garantie de succès. Tout va très bien pour eux.

Bien des gens qui demandent leur réhabilitation n'ont pas passé de temps en garde fermée et sont libres de continuer à travailler et à voir leur famille tout en respectant les sanctions imposées par le tribunal — leur peine. C'est le contraire pour beaucoup de victimes, qui sont vouées à un avenir rempli de traumatismes émotifs dévastateurs. Nombre d'entre elles sont incapables de travailler ou d'accomplir les tâches quotidiennes les plus simples.

Beaucoup de victimes d'agression et de viol souffrent d'un trouble de stress post-traumatique si grave qu'elles deviennent littéralement prisonnières de leur propre maison, ce qui se répercute sur leur qualité de vie, celle de leur famille et, dans certains cas, celle de leur communauté. Elles ne reçoivent aucun soutien, aucune thérapie et surtout, elles n'ont aucune possibilité d'être libérées du traumatisme causé par les crimes qui ont été commis contre elles.

Actuellement, ces personnes sont forcées de subventionner la réhabilitation de leur agresseur. Les frais de service sont une réalité au Canada. Ils sont partout, des demandes de résidence permanente aux services funéraires, et leur coût va de quelques dollars à plusieurs milliers de dollars. Ces frais de service doivent être payés par ceux qui veulent en retirer les avantages. Il faut souligner que l'augmentation dont nous parlons aujourd'hui créera une plus grande responsabilisation pour ceux qui demandent la réhabilitation. Le coût de ces frais accentue également les sanctions imposées, ainsi que la valeur de la réhabilitation. En écartant les frais de service, on écartera les facteurs de réadaptation associés à la réhabilitation.

Des frais de demande représentatifs des coûts réels serviront aussi à éliminer les demandes futiles et à montrer aux victimes et aux Canadiens respectueux des lois qu'ils n'ont pas à subventionner leurs agresseurs.

Ceux qui s'opposent avec véhémence à cette initiative devraient faire ce que je fais et ce que tant d'autres Canadiens font quotidiennement à la grandeur du pays. S'ils s'opposent tant aux augmentations des frais de réhabilitation, alors ils devraient prendre l'initiative et amasser les fonds eux-mêmes, de leur côté. Ils ne devraient pas insulter les victimes d'actes criminels et les contribuables canadiens en leur imposant cette subvention. Mesdames et messieurs, je vous remercie du temps que vous m'avez accordé.

Sharon Rosenfeldt, présidente, Victims of Violence Canadian Centre for Missing Children : Bonjour, mesdames et messieurs les membres du comité. Au nom de l'organisme Victims of Violence, je suis heureuse d'avoir l'occasion de présenter aujourd'hui notre point de vue au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Victims of Violence est un organisme national qui a été fondé en 1984 afin d'offrir du soutien et de l'aide aux victimes d'actes criminels. L'organisme cherche également à faire reconnaître les victimes d'actes criminels comme faisant partie intégrante du système de justice canadien. Nous sommes ici ce matin pour appuyer la proposition de la Commission des libérations conditionnelles du Canada d'augmenter les frais actuels de demande de réhabilitation.

Derrière chaque crime pour lequel une personne demande la réhabilitation, il y a généralement une victime ou des victimes. Je ne peux m'empêcher de vous mentionner que nous avons trouvé étrange de ne pas trouver, dans la longue liste des destinataires invités à participer à la consultation, des organismes d'aide aux victimes d'actes criminels. Nos membres auraient aimé avoir la possibilité de répondre plus tôt au document de consultation. Nous estimons que si on nous avait donné l'occasion d'y répondre en tant qu'organisme reconnu d'aide aux victimes, les résultats auraient été un peu plus équilibrés. Il est plutôt étrange que 1 047 personnes aient rejeté la proposition d'augmenter les frais de demande de réhabilitation et que 12 personnes l'aient approuvé. Je ne m'étendrai pas sur cette question. Puisque notre organisme est reconnu par la greffière du comité permanent comme étant un organisme qui aimerait présenter ses points de vue sur cette question, j'aimerais maintenant souligner, aux fins du compte rendu, que je serai la 15e personne à approuver la proposition.

En 2008, le ministère de la Justice a publié un rapport dans lequel on estimait les coûts de la criminalité. Le rapport indiquait que les coûts tangibles de la criminalité se chiffraient à environ 31,4 milliards de dollars, alors que les coûts intangibles atteignaient plus de deux fois ce montant, soit 68,2 milliards. Il me semble que les coûts tangibles des frais de demande de réhabilitation de 631 $ ne devraient pas être inclus dans les coûts de la criminalité pour le gouvernement à l'avenir.

Bon nombre de victimes d'actes criminels sont confrontées aux mêmes problèmes en ce qui concerne les dépenses tangibles, car elles aussi tentent de se réadapter. Certaines d'entre elles sont incapables de retourner au travail pendant une longue période et se retrouvent dans une situation financière difficile, mais le contribuable ne paie pas pour cela. Bien des victimes ont besoin de consulter un thérapeute, mais elles ne peuvent payer des honoraires de 125 $ l'heure. Le contribuable n'assume pas ces coûts. Beaucoup de victimes d'actes criminels doivent faire des réparations à leur maison ou à leur entreprise. Leur compagnie d'assurance paie, mais leur prime augmente considérablement. Le contribuable ne paie pas cela. Si elles n'ont pas d'assurance, c'est tant pis pour elles. Bien des victimes d'actes criminels doivent prendre une journée ou quelques jours de congé pour aller témoigner. Bon nombre doivent faire garder leurs enfants pendant qu'elles sont au tribunal. Le contribuable ne paie pas ces coûts. Je pourrais continuer ainsi, mais ce que je veux dire, c'est que pour chaque crime, il y a deux parties : le délinquant et la victime — et nous devons toujours faire en sorte qu'il y ait un équilibre quand nous décidons quels coûts devrait assumer le contribuable. Nous soutenons que le contribuable ne devrait pas assumer les frais d'une demande de réhabilitation.

La personne qui souhaite obtenir une réhabilitation n'est pas née avec un casier judiciaire. Elle a choisi d'enfreindre la loi, et notre société sait pardonner cela, mais c'est d'abord la responsabilité de la personne qui veut obtenir une réhabilitation d'aller de l'avant et d'en faire la demande.

Pour cela, le demandeur devra économiser, tout comme j'économiserais mon argent si je voulais m'acheter une chose à laquelle je tiens vraiment, car on ne doit pas s'attendre à ce que quelqu'un d'autre assume ces coûts. Cela s'appelle prendre ses responsabilités et cela fait partie du processus de réhabilitation, puisque la personne apprend à devenir responsable, tout comme les citoyens respectueux des lois. À notre avis, si cette personne a décidé de vivre sans commettre de crime pendant une période de trois, cinq ou dix ans, ce qui lui permet de faire une demande de réhabilitation, elle a déjà montré qu'elle est responsable. Par conséquent, elle pourrait prévoir et économiser de l'argent pour payer les frais de demande de réhabilitation. Je vous remercie beaucoup de votre invitation et de votre attention.

Le sénateur Fraser : Vous nous rappelez que les victimes n'ont pas été entendues dans ce processus. Nous vous sommes reconnaissants d'être ici et de ce que vous avez accompli au fil des ans. Monsieur Kennedy, grâce notamment au courage dont vous avez fait preuve en 1997, les Canadiens ont pu comprendre le terrible fléau qui existe dans ce pays. Nous vous remercions tous beaucoup pour cela. Ce qui s'est passé en ce qui concerne votre agresseur, en commençant par la peine qu'il a reçue, est un exemple classique de ce qui arrive quand les choses tournent très mal, parfois, dans ce pays. Nous vous remercions de ce que vous avez fait pour nous tous.

Vous avez vu la transcription de nos discussions antérieures; par conséquent, vous savez que parmi les sujets sur lesquels nous nous sommes penchés, il y a la structure de l'augmentation proposée des frais. Cette question a été soulevée de plusieurs façons. Par exemple, on a fait observer qu'il serait plus juste et plus utile si les frais variaient selon la gravité de l'infraction initiale. S'agissait-il d'une infraction mineure punissable par procédure sommaire? Lorsque quelqu'un dérobe un sac à main d'une valeur de 25 $ ou qu'un jeune de 19 ans fait passer un joint lors d'une fête, c'est très différent des terribles crimes dont vous avez été victimes. Il en coûte moins cher pour déterminer si les gens qui ont été condamnés pour ce genre d'infraction sont intègres. En ce qui concerne les infractions graves, comme nous le rappelle le cas de M. Kennedy, même des vérifications encore plus approfondies sont probablement souhaitables. Serait-il approprié d'imposer des frais différents en fonction de cela?

Par ailleurs, serait-il approprié d'imposer des frais différents en fonction d'une évaluation des ressources? Comme nous l'ont rappelé certains témoins, les personnes qui veulent obtenir une réhabilitation principalement pour avoir un meilleur emploi et ne plus dépendre de l'aide sociale ne peuvent pas économiser de l'argent, car les agents de l'aide sociale récupèrent cet argent. Si elles ont économisé 400 $, leurs prestations d'aide sociale seront réduites afin de récupérer ce montant.

Ces deux options vous semblent-elles justes? Valent-elles la peine d'être examinées?

M. Wamback : En ce qui a trait à l'aide sociale, nous dialoguons avec les victimes d'actes de violence extrême et les parents d'enfants assassinés. Bon nombre de ces personnes dépendent de l'aide sociale parce qu'elles sont incapables de retourner travailler. Dans notre cas, après l'agression contre notre fils, j'ai été incapable de tenir un stylo durant deux semaines. Pourtant, ces mêmes personnes sont capables d'économiser suffisamment d'argent pour acheter un monument funéraire pour mettre sur la tombe de leur fils, parce que c'est important, parce que cela a une signification pour eux. Cela fait partie de leur vie.

Si la personne qui présente la demande croit qu'une réhabilitation permettant d'annuler ses activités criminelles dans ce pays est essentielle et importante pour elle, alors le montant d'argent proposé pour cette période est complètement insignifiant. Il ne s'agit que de quelques dollars par semaine. Au risque de répéter ce qui a déjà été dit, c'est une extrême exagération que de laisser entendre qu'il s'agit d'une mesure punitive. Nous dialoguons, nous savons, nous comprenons, nous avons connu cette situation, nous l'avons vécu. Les coûts de réadaptation pour mon fils dépassent maintenant les 250 000 $. J'ai ma propre entreprise. Je n'ai pas d'assurance. Nous n'avons reçu aucun financement. Nous avons économisé sur tout. Nous avons fait le nécessaire pour pouvoir payer ce dont mon fils avait besoin. Je crois qu'une personne peut économiser dans le but d'obtenir une réhabilitation si c'est important pour elle. Cela lui enseignera aussi à être responsable.

Pour ce qui est des frais proportionnels, il y a des peines proportionnelles. Nous avons beaucoup de latitude dans le système de justice pénale canadien. Je ne crois pas que quiconque ayant un casier judiciaire, qu'il s'agisse d'une infraction mineure ou majeure, devrait être traité différemment. Je crois que cela porte un coup fatal à ce que devrait être le but de l'incarcération dans ce pays. L'objectif de la détermination de la peine et de la sanction n'est pas uniquement punitif. Il est aussi censé avoir un effet de réinsertion. Si nous n'en tenons pas compte parce qu'on a enfreint telle loi plutôt que telle autre, je pense que nous détruisons la valeur réelle du processus.

Mme Rosenfeldt : Sénateur, si je ne m'abuse, votre question concerne l'aide sociale.

Le sénateur Fraser : La deuxième partie de ma question.

Mme Rosenfeldt : En ce qui concerne l'aide sociale, je pense qu'on estime que le système ne permet pas à une personne qui est en mesure de recevoir des prestations d'aide sociale de 900 ou 1 000 $ par mois d'épargner 631 $. Si elle le fait, ce montant sera déduit de son prochain chèque. Vous ai-je bien compris?

Le sénateur Fraser : Oui, selon les propos des témoins précédents, c'est ce que j'ai compris.

Mme Rosenfeldt : Je n'approuve pas ce principe. Par l'entremise de ma famille, je connais des gens qui reçoivent de l'aide sociale. Pour une raison que j'ignore, le programme a mauvaise réputation. L'aide sociale existe pour protéger toute personne. Il n'est pas nécessaire d'être pauvre pour y avoir accès. Vous pouvez vous adresser à eux, peu importe le problème que vous rencontrez, et ils vous aideront.

La plupart des organismes qui offrent des services sociaux seraient très heureux qu'un de leurs clients se présente et déclare : « Écoutez, je n'ai pas enfreint la loi depuis trois ou cinq ans; je me suis conformé aux règles, mais le problème, c'est que je ne peux pas obtenir un emploi sans ma réhabilitation. Je désire travailler plus que tout au monde. Par conséquent, j'aimerais pouvoir mettre de côté tel ou tel pourcentage de ma prestation mensuelle afin d'obtenir ma réhabilitation. Ainsi, je pourrais cesser de dépendre des services sociaux. »

Personne ne me fera croire qu'il existe des organismes de services sociaux auxquels ce comportement déplairait. Ils seraient évidemment ravis que cette personne cesse de recevoir des prestations d'aide sociale et qu'elle leur permette d'aider d'autres personnes qui attendent en ligne. J'ai vu les renseignements qui ont été présentés auparavant. J'ai pris connaissance de nombreux documents. Il faut enquêter sur cette idée pour le compte des organismes de services sociaux qui respectent les Canadiens vivant des moments difficiles, y compris certaines personnes qui ont commis des crimes. Ces personnes ne nous posent pas de problèmes. Ces organismes existent pour une raison, mais ils cherchent également à aider les gens à ne plus dépendre de l'aide sociale.

M. Kennedy : Je vois cela comme un changement, une responsabilisation. Nous espérons que les criminels sont en mesure de changer. Pour que leur réinsertion dans la société soit réussie, ils doivent apprendre comment gérer leurs finances, comment épargner pour des choses importantes qui leur permettent de progresser dans la vie. Je pense que l'obtention de leur réhabilitation fait partie de ce processus. Même si nos jeunes ont du mal à trouver des emplois, on s'attend à ce qu'ils épargnent pour certaines choses. C'est pareil pour les criminels. Nous trouvons un moyen d'atteindre nos objectifs, et il en va de même pour eux. À mon sens, c'est une question de responsabilisation. Je pense que ce qui m'a perturbé et ce qui a perturbé la plupart des Canadiens l'année dernière, c'est de nous être rendu compte que Graham James avait été réhabilité. Les Canadiens ont été renversés d'apprendre qu'un tel criminel pouvait obtenir une réhabilitation, simplement à cause d'un malentendu. Lorsque nous en avons appris un peu plus sur les circonstances entourant cette réhabilitation et que nous avons compris qu'il suffisait plus ou moins de composer un numéro 1-800 pour l'obtenir, nous avons pensé que les criminels n'étaient pas tenus suffisamment responsables de leurs actes. Voilà où nous en sommes aujourd'hui. Lorsque quelqu'un fait quelque chose de mal, il doit en être tenu responsable.

Mme Rosenfeldt : Pour répondre à la première partie de votre question dans laquelle vous demandiez si nous devrions adopter une échelle mobile, je dirais que nous envisageons en ce moment d'imposer des frais de 631 $. Je pense que l'utilisation d'une échelle mobile accroîtrait énormément les coûts, ce qui pourrait entraîner beaucoup plus d'arriérés dans le traitement des demandes de réhabilitation. Je pense qu'on devrait fixer les frais à 631 $ exactement. Je connais des gens qui ont commis des crimes. Un de mes amis a envoyé une présentation au comité. Son épouse a commis un crime mineur, il y a de cela des années. Elle aimerait que sa condamnation soit rayée de son casier judiciaire uniquement pour pouvoir entrer aux États-Unis, parce qu'elle et son époux passent de très belles vacances là-bas. Voilà ce que dit mon ami : « Écoutez, 631 $ ne représentent rien comparativement à l'argent que j'ai déjà versé à une agence privée. » En trois ans, ils ont dépensé plus de 2 000 $, et ils n'ont toujours pas obtenu cette réhabilitation. Le délit de cette femme est mineur; elle a volé des biens estimés à moins de 200 $ dans son logement. Il affirme qu'il serait heureux de payer 631 $, mais qu'il est impératif de mettre en marche le système. Et, s'il faut débourser 631 $ pour amorcer le processus et pour être équitable envers tous, alors qu'il en soit ainsi.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : D'abord, merci beaucoup pour votre présence ce matin. Je sais que pour des victimes d'actes criminels, témoigner est toujours très émouvant et cela brasse le passé. Alors merci d'avoir le courage de le faire.

Hier, un de nos collègues a posé la question à savoir si le pardon était un droit ou un privilège et les gens présents hier nous ont dit que c'était un privilège. C'est un privilège que l'État fait en sorte d'effacer le dossier criminel de personnes qui ont commis dans le passé certains actes pour lesquels ils ont été condamnés.

C'est le type d'effacement qu'une victime ne pourra jamais avoir et dans votre témoignage, j'ai bien compris cela, monsieur Wamback. C'est vraiment un privilège que l'État donne à ces criminels. J'ai compris de vos propos que ce n'était pas une question d'enlever des privilèges ou des droits aux criminels pour en donner aux victimes. C'est une question d'équilibrer l'implication du gouvernement sur le plan financier, notamment d'avoir un équilibre dans le traitement des victimes et des criminels et de faire en sorte que les criminels assument leur responsabilité jusqu'au bout.

Est-ce que le fait d'avoir une tarification significative pour faire en sorte que l'État efface un dossier criminel, est-ce que le fait que les criminels paient la pleine valeur de cet acte administratif, est-ce que pour vous cela fait partie de la responsabilité que le criminel doit assumer par rapport à la société de l'acte criminel qu'il a commis?

[Traduction]

M. Wamback : J'aimerais répondre à cette question en premier. Je vous remercie beaucoup de votre question. Je crois que ce n'est pas uniquement une question de responsabilité. À mon sens, cela signifie que le criminel accepte d'être tenu responsable de son acte criminel. Cela prouve clairement, non seulement aux victimes, mais aussi à tous les Canadiens que les gens qui cherchent à obtenir une réhabilitation acceptent d'assumer leur responsabilité. En mettant en oeuvre le programme de justice réparatrice, le Canada cherche en partie à ce que les criminels reconnaissent le mal qu'ils ont causé et qu'ils en assument la responsabilité. Vous aviez parfaitement raison lorsque vous avez dit que la réhabilitation était un privilège que l'on accorde à ceux qui enfreignent les lois. Il ne s'agit pas d'un droit, mais d'un privilège accordé par un pays très compatissant. Toutefois, les Canadiens compatissants ne doivent pas être contraints de subventionner la dernière étape d'une peine ou d'un mandat par ceux qui les ont victimisés.

Mme Rosenfeldt : Je suis d'accord avec l'évaluation de M. Wamback. Autrefois, j'étais conseillère en toxicomanie et en alcoolisme. Voilà mes antécédents. Je suis Autochtone, et je travaillais dans un centre de traitement pour Autochtones. Certains de nos clients étaient des criminels qui bénéficiaient d'une permission de sortie ou qui purgeaient le reste de leur peine dans leur collectivité. J'étais conseillère lorsque Darren a été assassiné, et j'ai recommencé à exercer cette fonction sept ans plus tard. J'ai réintégré ce champ d'activités après sept ans. Pendant sept ans, je ne pouvais pas me conseiller moi- même, alors comment aurais-je pu conseiller quelqu'un d'autre? Poundmaker's Lodge situé à l'extérieur d'Edmonton, en Alberta, est un excellent centre de traitement. La démarche à cet endroit consistait à apprendre aux clients à assumer leurs responsabilités et à accepter d'être tenus responsables. Je pense que la société et peut-être vous, les sénateurs, devez résoudre cette situation dans vos coeurs. Une personne qui a commis un crime, mais qui n'a pas récidivé depuis un certain nombre d'années devrait-elle être chargée de payer ces frais? En tant que présidente d'une organisation et en tant que Canadienne qui paie des taxes, je pense que cela fait partie de leur réhabilitation. Je crois que les gens qui demandent une réhabilitation l'oublient souvent. C'est une étape clé de leur désir de réintégrer la société et de notre disposition à les y accueillir.

M. Kennedy : En tant que victime, je sais qu'il est important d'être obligé de faire des efforts pour changer. Si vous êtes un père, vous devez faire des efforts et consacrer du temps à votre rôle pour être le père que vous souhaitez être. Il est difficile de gérer les émotions, la dépression et les problèmes de santé mentale dont on souffre à la suite d'un traumatisme occasionné par un crime. Il n'y a pas que les victimes qui doivent changer. Les criminels doivent également le faire. Si nous, les victimes, ne changeons pas, nous ne pourrons pas être productifs au sein de nos collectivités ou de notre pays, et cela s'applique également aux victimes.

Cela a trait au processus de responsabilisation. Il faut être tenu responsable. Je savais ce que je devais faire et où je devais aller. Toutes ces étapes font partie du processus.

Le sénateur Runciman : D'entrée de jeu, monsieur Kennedy, nous avons entendu une représentante de la société Elizabeth Fry. J'ai conclu à partir de ses observations que toute cette indignation découlait d'un seul cas. Il y a une semaine ou deux, nous avons entendu le cas d'un enseignant de la Nouvelle-Écosse qui avait agressé sexuellement une adolescente de 12 ans, qui a reçu par la suite une réhabilitation et qui est maintenant accusé de nouveau d'une grave infraction sexuelle contre un mineur. Jusqu'à ce que vous ayez eu le courage d'attirer l'attention sur cette situation, le fait est que la Commission des libérations conditionnelles accordait la réhabilitation dans 98 à 99 p. 100 des cas qui lui étaient présentés. C'était un processus d'approbation automatique. Vous avez beaucoup de mérite. J'aimerais vous poser une question personnelle. Je sais que nous parlons aujourd'hui des coûts à recouvrir, mais je pense qu'il serait intéressant et important que nous entendions ce que vous avez à dire. Pensez-vous que le gouvernement est allé assez loin en ce qui concerne la façon dont il a réglé la question de l'octroi des réhabilitations? Croyez-vous que tout ce qui devait être fait a été fait, ou y a- t-il d'autres mesures que vous aimeriez que le gouvernement prenne?

M. Kennedy : Depuis un an, je sais que le projet de loi C-23A a augmenté le temps qu'une personne doit attendre avant d'obtenir sa réhabilitation.

Oui, la façon dont les frais sont structurés est importante mais, à mon avis, c'est une question de changement. J'ai eu l'occasion de visiter nos prisons et de parler à des criminels. Bon nombre d'entre eux ont été victimes d'actes criminels quand ils étaient jeunes. Il a fallu qu'on adopte une ligne dure avec moi pour me permettre de changer. Parfois, je suis obligé de jouer un rôle de parent et d'adopter une ligne dure pour opérer des changements. C'est une question de responsabilisation; il faut adopter une ligne dure et vérifier de nouveau. Nous avons appris qu'il y avait plus d'un cas. On parle en fait d'un homme sur six et d'une femme sur trois. Je pense que le processus de réhabilitation proposé dans les projets de loi est un excellent pas dans la bonne direction. Selon moi, le processus provoque la responsabilisation, et mon opinion à ce sujet est que cela entraîne un changement et une capacité de changer.

Le sénateur Runciman : Mme Rosenfeldt a mentionné les coûts intangibles. Je crois que personne n'incarne mieux ces coûts qu'elle et son époux qui, depuis de nombreuses années, assument la responsabilité écrasante de lutter au nom des victimes. Nous vous remercions de votre présence et de l'excellent travail que vous avez accompli depuis de nombreuses années.

M. Wamback a mentionné qu'on ne soutenait pas suffisamment les organisations qui défendent les droits des victimes, et vous avez parlé du soutien dont bénéficient les groupes de revendication des détenus ou des délinquants. Pourriez-vous vous étendre un peu sur ce sujet? Ce serait bon d'obtenir quelques détails. Vos organisations sont essentiellement composées de bénévoles. Aucune organisation nationale ne bénéficie d'un financement comme celui que reçoivent certaines des personnes qui ont comparu devant nous.

M. Wamback : Sénateur Runciman, je pourrais discourir à ce sujet pendant des heures. Il y a 12 ans, mon fils de 15 ans a été gravement blessé au cours d'une agression criminelle. Avant que cela se produise, nous étions comme les Canadiens typiques. Nous lisions des nouvelles dans les journaux, et nous disions : « C'est affreux. C'est terrible. » Puis nous refermions le journal, et nous poursuivions notre dîner et nos vies quotidiennes. Nous étions comme tous les Canadiens qui vivent d'un bout à l'autre du pays. Nous n'étions pas au courant. Ce n'est qu'après avoir été traînés à contrecoeur dans ce milieu que nous avons commencé à comprendre ce qui se passait.

Au Canada, il n'y avait pratiquement aucun groupe qui défendait les droits des victimes. De nos jours, ces groupes fonctionnent de manière bénévole. Nous ne sommes pas rémunérés. Nous n'imposons pas de frais d'adhésion. Nous collectons des fonds pour aider les frères et les soeurs des victimes d'homicides et les gens qui ont survécu à des actes de violence extrême. L'une de nos premières bourses d'études collégiales ou universitaires a été décernée à Ryan Mahaffy, le frère de Leslie Mahaffy. Lorsqu'il était âgé de 22 ans, il ne faisait que fixer ses pieds. Il ne regardait jamais les gens dans les yeux quand ils lui parlaient. Nous avons accordé à Ryan une bourse de 25 000 $. Il a décidé de devenir pilote d'hélicoptère. Aujourd'hui, il a une vie intéressante. Il pilote des hélicoptères. Il contribue à la société canadienne, au lieu d'être un fardeau. Ce qui nous frustre ce n'est pas seulement le fait que la société John Howard, la société Elizabeth Fry, la Société St. Leonard, Operation Springboard — et j'en passe — reçoivent annuellement des dizaines de millions de dollars en subvention à même l'argent des contribuables. Tout le monde peut trouver ces renseignements. Il suffit de consulter le site web de la Direction des organismes de bienfaisance et de constater d'où proviennent ces fonds. Il est tout à fait scandaleux de perpétuer l'iniquité et le déséquilibre qui existent entre les victimes, les Canadiens ordinaires et ceux qui ont été déclarés coupables de crimes avec violence. Nous ne recevons aucun fonds. Et pourtant, les salaires des gêneurs qui viennent ici pour témoigner sont payés par les contribuables. Ni Mme Rosenfeldt, ni mon épouse, ni moi ne sommes rémunérés. Nous avons des factures à payer, mais nous travaillons pour les acquitter, car nous croyons oeuvrer pour le bien-être du pays.

Il y a 12 ans, j'ai fait circuler dans tout le Canada une pétition pour faire modifier la Loi sur les jeunes contrevenants. Rien de machiavélique, de dur ou de difficile. C'était des changements qui s'attaquaient en amont aux problèmes. En tout, 1,3 million de Canadiens ont signé la pétition. C'est la populace, ceux que l'on a cessé d'entendre, qui sont fatigués, qui veulent du changement. Ils sont déçus. Le plus effrayant, c'est l'absence complète de confiance que le Canadien moyen éprouve non seulement à l'égard de la justice mais, aussi, des organismes de l'État, y compris Corrections Canada.

Nous voyons des auteurs d'homicide involontaire coupable qui ne passent pas une seule journée en garde fermée. Ce sont eux qui demandent la réhabilitation. Ils n'ont pas fumé de joints ni volé de magazines. Certains de ceux qui demandent la réhabilitation ont commis des crimes graves. Aujourd'hui, Statistique Canada, dans ses rapports, ne parle plus des crimes graves de la même façon qu'avant. Il se sert d'un indice de gravité de la criminalité qui repose, plutôt que sur la gravité intrinsèque, sur la longueur de la peine que le juge, dans sa sagesse indépendante, impose au criminel. Il y a des injustices. Je suis lancé. Désolé. Mais vous avez raison. Le déséquilibre est grave, et les enjeux dont nous sommes saisis aujourd'hui feront beaucoup pour restaurer la confiance dans nos systèmes judicaire et correctionnel au Canada.

Mme Rosenfeldt : Sénateur Runciman, les officines qui s'occupent de sécurité publique, de justice, et cetera, accordent des subventions à leurs connaissances et aux groupes qu'elles appuient. Ce sont des bureaucrates qui décident, et, dans le domaine de la sécurité publique, il est très difficile d'obtenir des subventions. Le Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes a réussi à décrocher 19 000 $, tandis que pour les groupes de défense des contrevenants tout est possible.

Les disparités sont énormes. Il y a des problèmes. Pour la question des pensions, le comité de la Chambre s'est demandé à quelle cause consacrer les éventuelles économies de l'État, peut-être 10 millions de dollars. Il a songé au ministère de la Justice pour les saupoudrer sur les victimes. Je m'y suis opposée. J'ai conseillé de les donner aux personnes âgées. Notre organisme est d'origine populaire. Il est la base qui se charge du travail ingrat.

Il y a des services qui s'occupent des victimes et qui sont payées. Ils ne comparaissent pas devant des comités tels que le vôtre; ils ne peuvent pas, parce qu'il s'agit de fonctionnaires. Nous faisons le travail ingrat. Mes propos semblent peut-être exprimer le dépit, mais c'est plus fort que moi. Je me retiens depuis si longtemps : il faut examiner le processus des subventions.

Le sénateur Angus : Bonjour à tous, mesdames et messieurs les témoins. Merci beaucoup de vous être présentés. Il est réconfortant d'entendre votre point de vue.

Je tiens d'abord à vous poser à tous cette question — elle pourra vous sembler étrange, mais je pense que, en toute objectivité, il faut la poser : croyez-vous vraiment que l'on doive accorder des réhabilitations?

Mme Rosenfeldt : Oui.

M. Kennedy : Je crois que oui, avec certaines exceptions.

M. Wamback : Oui, avec cette réserve qu'il faudrait les mériter; ce n'est pas gratuit. Il faut que ce soit, comme l'a dit M. Kennedy, une démonstration claire et consciente, pour nous, les Canadiens ordinaires, pour la société, qu'un changement est survenu. Il y a des crimes pour lesquels je crois qu'on ne devrait jamais accorder de réhabilitation.

Le sénateur Angus : Est-ce qu'on accorde des réhabilitations pour ces crimes?

M. Wamback : Je crois que cela arrive parfois, mais je parle, bien sûr, des cas d'extrême violence, de torture, de meurtre de jeunes enfants. Les auteurs ne devraient pas être réhabilités.

Le sénateur Angus : En principe, aux yeux de notre système de justice, c'est logique, si on s'y prend de la bonne façon.

Mme Rosenfeldt : Mais certainement!

Le sénateur Angus : Ma prochaine question a rapport avec un vieil adage. Certains estiment que 631 $, c'est prohibitif, et vous avez exprimé des propos intéressants à ce sujet, monsieur Wamback. D'autres ont dit que ce devrait être gratuit; ou que 50 $, c'est acceptable, mais pas 631 $. Une fois que l'on s'est entendu sur la nécessité de payer ce service, ma question est la suivante : s'est-on plaint à vous quand les frais s'élevaient à 50 $? Les frais de 631 $ arrachent de nombreux cris. À votre connaissance, y avait-il autant de plaintes quand c'était 50 $? Est-ce que c'était une inhibition?

M. Wamback : Pour tout dire, jusqu'à cette hausse, c'était la première fois que j'entendais parler du coût d'une réhabilitation au Canada, un point c'est tout.

Mme Rosenfeldt : Même chose pour moi.

M. Kennedy : En matière de réhabilitation, on a sciemment caché beaucoup de choses, jusqu'à l'affaire Graham James. Tout de suite après, chacun était un spécialiste de la réhabilitation.

Le sénateur Angus : Les frais ne faisaient pas problème, ni à 50 ni à 150 $. Maintenant qu'ils passent d'un coup à 600 $, le salaire d'une semaine à 10 $ l'heure, c'est faramineux, n'est —ce pas?

M. Wamback : La médiatisation de cette question a irrité des millions de Canadiens. C'est ce qui me hérisse. Voilà pourquoi je parle de crise de confiance envers nos systèmes. Cela fera beaucoup de dégâts.

Mme Rosenfeldt : Un ami à moi fait partie du conseil d'administration. Il a fait beaucoup de prison pour vols. Son plus grave a été aux dépens de la Société canadienne des postes. Cela fait 35 ans qu'il est sorti de prison. Il nous a appris beaucoup de choses sur le monde interlope, la criminalité, la loi, et cetera.

Pour le hold-up de Postes Canada, il a écopé de 10 ans, son dernier séjour en prison. Il était marié et avait deux enfants. C'est en prison que la révélation lui est venue et qu'il a décidé de changer de vie. Il a fait un vœu. En fait, il a dû se débattre pour refuser la réhabilitation. Si, d'après lui, l'État l'avait justement condamné à 10 années de prison, il les purgerait. C'est ce qu'il a fait, en dépit des autorités qui voulaient le libérer avant la fin.

Nous avons eu une conversation quand l'affaire qui nous occupe a éclaté. Il n'a jamais demandé sa réhabilitation. Il m'a dit qu'il avait payé sa dette envers la société, qu'il n'avait rien à cacher. La réhabilitation n'efface pas le dossier criminel. Il préfère que les gens sachent ce qu'il a fait, pour pouvoir l'assumer. Si on veut l'embaucher, c'est parfait; sinon, il comprend. C'est le fardeau qu'il devra probablement porter toute sa vie.

C'est ce qu'il pense. Il n'a jamais demandé d'être réhabilité et ne le fera jamais. Il est sorti de prison depuis 35 ou 40 ans. J'ai cru bon de vous en parler.

Le sénateur Angus : Merci. Je pense comprendre. J'ajouterai seulement, monsieur le président, parce que la question me taraude, que la réhabilitation ou le pardon ne sont probablement pas de bons termes. Il s'agit plutôt de radiation ou d'effacement d'un dossier pour débloquer une situation. Êtes-vous d'accord?

M. Wamback : Absolument.

Le sénateur Lang : Merci aux témoins d'avoir pris le temps de se présenter et d'avoir eu le courage d'entrer dans des détails personnels de leur vie. Vos épreuves sont pour moi inimaginables.

J'aimerais revenir au sondage sur l'acceptabilité du montant des frais de demande de réhabilitation. Quand j'ai pris connaissance de ses résultats, j'ai eu peine à croire que seulement 12 Canadiens ne partageaient pas l'opinion des mille pour c'était inacceptable. Je me suis demandé si j'étais le treizième et s'il y en avait d'autres qui pensaient comme moi.

La manipulation — je pense que je peux utiliser ce mot — du système m'inquiète. Je ne crois pas exagérer. Les gens comme vous ont mis du temps et de l'effort dans ce qu'ils faisaient et ils l'ont payé cher. On ne vous a pas contactés directement ni informés, ni demandé votre opinion. D'après vous, existe-t-il une liste secrète des gens que l'on veut consulter par sondage?

Vous tenez peut-être tous les trois à faire connaître votre opinion à ce sujet et à nous donner une idée des choses à changer pour assurer la réalisation de sondages non biaisés. Qu'avez-vous à dire?

Mme Rosenfeldt : Je serais tout à fait d'accord. Si la situation inverse se présentait, si on faisait quelque chose pour les victimes de crimes, j'espère que les défenseurs des contrevenants — leur rôle est utile —, j'espère que les sociétés John Howard, les sociétés Elizabeth Fry, l'Armée du Salut, Corrections Canada, St. Leonard's seraient tous prévenus, parce qu'ils travaillent tous ensemble. Ils sont tous financés et organisés. Beaucoup d'entre eux y vont de leur appui sur la question des frais de demande de réhabilitation. Ils sont probablement une quarantaine. Je n'y vois pas d'objections, mais le problème se ramène à ce que le sénateur Runciman a décrit au début : faute de financement, nous sommes dans l'impossibilité de nous organiser aussi bien qu'eux sur les dossiers incontournables.

Comment cela fonctionnerait-il? Je n'en suis pas si certaine. Je pense que c'est simple. Il faut mieux faire comprendre aux gens que les organismes qui représentent les victimes de crimes font partie intégrante, aujourd'hui, du paysage de la justice criminelle et que les bureaucrates qui sont à l'intérieur du système et qui décident qui sera financé reconnaissent que nous jouons un rôle très important, aussi important que celui de la société John Howard et la société Elizabeth Fry. Nous n'avons pas encore obtenu cette reconnaissance. Je vous demande de vérifier et de soulever la question. Nous allons nous réunir pour en discuter. Il faut mettre fin à cette situation, parce que, au Canada, il est gênant que, dans un sondage publié dans les journaux, 1 047 personnes contre 12 n'appuient pas la hausse des frais. C'est vraiment aberrant. Cela sent la manipulation à plein nez.

Le président : Y a-t-il d'autres observations?

M. Wamback : Mesdames et messieurs, merci beaucoup. Je vous remercie pour cela et pour votre observation. Elle est tellement juste. Je suis étonné qu'il n'y en ait eu que 1 047. Non seulement on compte 40 organismes, mais, dans toutes les villes importantes du pays où on trouve un palais de justice, on trouve également un bureau de la société John Howard ou de la Société Elizabeth Fry. Cela en fait des milliers dans tout le pays. Nous n'avons pas été prévenus. Cela me dépasse. En ce qui concerne les droits des victimes, je me fais entendre autant que quiconque dans ce pays. Je suis connu du ministère de la Justice et de la Sécurité publique. J'ignore pourquoi on ne nous a pas prévenus. En soi, c'est extrêmement injuste, et il faut que ça change.

Lozanne Wamback, directrice, cofondatrice, Canadian Crime Victim Foundation : Nous sommes faciles à rejoindre et nous recevons des courriels de tout le monde, pourtant, nous n'avons rien su de ce sondage.

M. Wamback : Nous recevons plus de 8 000 courriels par année des victimes. Nous sommes connus.

M. Kennedy : Je pense que l'opération a été camouflée.

Le sénateur Lang : Une raison de plus pour suivre l'affectation de ces millions de dollars à ces organismes à but non lucratif, qui offrent des services bien nécessaires, il faut le dire, aux contrevenants. Cependant, on m'a signalé un fait inquiétant, c'est-à-dire que certains de ces organismes deviennent de plus en plus actifs, avec l'argent des contribuables, directement ou indirectement, pour s'opposer au projet de loi actuellement étudié par la Chambre et qui finira par aboutir au Sénat.

Si ces organismes décident de devenir politiquement actifs et essaient de s'organiser dans un autre champ que celui qui est leur première raison d'être, pensez-vous que nous devrions continuer de les financer?

M. Wamback : Permettez-moi de répondre. Les règles de la Direction des organismes de bienfaisance sont très claires. Je voudrais en rester là.

Mme Rosenfeldt : Ce n'est pas facile de se prononcer, parce que beaucoup d'entre eux font du bon travail. Le mieux, pour nous, est de réclamer un traitement équitable. Personne ne peut me dire, au sujet du nouveau projet de loi, le projet de loi omnibus, que nous appuyons tous et pour lequel nous avons tous paru, aux côtés du ministre à... nous savons qu'il entraînera des coûts à cause de l'agrandissement des prisons. Nous sommes tout à fait d'accord. Cependant, personne ne peut nous dire que, uniquement à cause de ce qui arrive, le gouvernement ne sera pas tenté d'examiner ce phénomène, mais pas nécessairement aux dépens de tous les autres organismes qui veillent aux droits des contrevenants et qui font beaucoup de bon travail. J'en connais beaucoup, avec qui je m'entends très bien. Nous réclamons seulement une étude et d'être traités sur le même pied qu'eux, pas nécessairement pour leur couper les vives. Cela n'a jamais été l'intention de notre organisation ni, à mon avis, d'aucun organisme de défense des victimes, c'est-à- dire d'abaisser l'un aux dépens de l'autre.

Le sénateur Fraser : Je pense, madame Rosenfeldt, que les distinctions que vous faites sont utiles. Nous devons, sénateur Lang, être très prudents sur ce que nous considérons comme politique. Il est facile de penser que ceux qui ne partagent pas nos opinions adoptent une position politique tandis que ceux qui se disent d'accord avec nous formulent simplement un commentaire sur un sujet d'intérêt public.

D'après moi, les groupes de bénévoles ou ceux qui sont financés — et je suis d'avis que les organismes de défense des victimes devraient recevoir du financement, bien que, d'après ce que j'ai compris, vous, madame Rosenfeldt, vous n'en vouliez pas — tous ces groupes parlent d'expérience sur des questions qui sont d'un grand intérêt public. Les témoins d'aujourd'hui sont tous en faveur de la proposition dont nous sommes saisis. Ceux d'hier ne l'étaient pas. Je pense que tous ces points de vue sont légitimes et je ne les considère pas comme politiques.

Le sénateur Lang : À ma décharge, je me contenterai de dire que, d'après moi, tous ont le droit d'exprimer leur opinion et de comparaître devant un comité comme le nôtre. Mais j'ai des doutes quand un organisme entreprend une campagne dans un domaine qui n'est pas de son ressort, en essayant d'obtenir, avec l'argent des contribuables, de l'appui contre des projets de loi étudiés à la Chambre. D'après moi, tout le monde a le droit de participer à une campagne. C'est ce que je voulais dire.

Le président : Mes amis, nous sommes ici pour entendre les témoins. Pouvons-nous nous contenter de faire cela. Je sais que la question soulève beaucoup d'émotions, ce qui n'est pas nécessairement mauvais. Cependant, je vous saurais extrêmement gré de vous en tenir aux témoignages.

Ce sera bientôt le temps d'accueillir le prochain groupe de témoins.

Le sénateur Banks : Mesdames et messieurs, merci. Comme d'autres l'ont déjà dit, nous vous sommes redevables de vous être présentés ici. Nous vous en remercions.

Ma question s'adresse à M. Wamback, mais tous peuvent y répondre. Vous avez dit qu'on ne devait pas faire de distinction sur la gravité d'un crime qui est en train d'être jugé. Cette distinction existe déjà. Dans l'échelle de la gravité des crimes, il y a un barreau au-dessus duquel aucune réhabilitation ne peut être accordée. Vous avez mentionné l'homicide, par exemple. Je pense ne pas faire erreur en affirmant qu'il n'y a pas de réhabilitation possible dans ce cas.

Hier, M. Bérard nous a dit qu'il pensait — et je le comprends et je suis en quelque sorte d'accord avec lui — que le système actuel accorde le droit de demander la réhabilitation, mais que le fait de l'obtenir est un privilège. On a le droit de la demander, mais l'obtenir est un privilège. J'ai aimé la remarque de sémanticien qu'a faite le sénateur Angus sur le choix des termes. « Réhabilitation » n'égale « pardon » dans aucun des sens de ce terme. Ce n'est que la radiation ou l'effacement d'un dossier pour débloquer des choses.

Monsieur Wamback et peut-être monsieur Kennedy, pensez-vous qu'il faut abaisser le seuil de gravité des crimes au- delà duquel quelqu'un ne peut pas présenter une demande de pardon?

M. Kennedy : À mon avis, il est tout à fait nécessaire d'abaisser le seuil. Les délinquants sexuels peuvent actuellement présenter une demande de pardon. Il faut absolument abaisser le seuil pour protéger toutes les organisations de jeunes. Nous connaissons le pourcentage de récidive de ces délinquants : leur capacité de guérir est presque inexistante, voire nulle. Il faut assurément abaisser le seuil. Selon moi, ceux qui commettent des infractions sexuelles contre nos enfants ne devraient jamais être réhabilités; cela protégerait les organisations de jeunes.

Le mot « pardon » est un peu problématique. À mon avis, c'est une suspension du casier, qui est un privilège, pas un droit. Oui, tout le monde peut soumettre une demande, mais il semble que toutes les demandes étaient acceptées. Selon moi, il faut abaisser le seuil dans certains cas.

M. Wamback : Je suis d'accord avec M. Kennedy. À titre de clarification, l'homicide peut faire l'objet d'un pardon s'il s'agit d'un homicide involontaire coupable. De nos jours, les tribunaux imposent des peines minimales pour ce genre d'homicide. Dans les négociations de plaidoyer, l'homicide involontaire coupable peut être un plaidoyer acceptable, tandis que si le procès avait lieu, les opinions seraient peut-être quelque peu différentes. Mais, il faut assurément qu'il y ait un seuil.

Le sénateur Banks : Faut-il modifier le seuil?

M. Wamback : Oui, je suis d'accord avec M. Kennedy et je suis d'accord en ce qui concerne les actes d'extrême violence. La société doit s'occuper des psychopathes qui auraient commis un acte qui empêche une suspension du casier, mais la suspension du casier d'un psychopathe va lui permettre de profiter d'occasions qu'il ne faut peut-être pas lui offrir.

Le seuil doit être modifié. La suspension du casier est une option viable pour la société canadienne si ceux qui l'obtiennent rendent plus de comptes. Toutefois, je ne crois pas que ceux qui ont enlevé la vie à quelqu'un, qui ont commis le pire crime contre la société devraient avoir accès à la suspension du casier judiciaire.

[Français]

Le sénateur Chaput : Merci, monsieur le président. J'aimerais commencer mon intervention en disant que les discussions qui se passent au comité sénatorial sont actuellement une des grandes forces du Sénat du Canada où on reçoit des témoins qui nous expliquent et nous font comprendre leur côté de la médaille, parce qu'il y a toujours deux côtés à la médaille. Ce qui m'a frappée aujourd'hui, surtout parce que je suis ambivalente, je crois que le criminel est responsable de son acte et qu'il y a un prix à payer, toujours, pour son acte. J'y ai toujours cru. Ce qui m'a frappée ce matin, monsieur Kennedy, c'est lorsque vous avez dit :

[Traduction]

« Cela fait partie de leur réhabilitation. »

[Français]

Je suis d'accord avec vous, monsieur Kennedy. J'ai juste une idée. Que penseriez-vous si, dans le 630 $ que le criminel va payer et qui sera récupéré par le gouvernement fédéral, le gouvernement fédéral prenait, à titre d'exemple, 500 $, et que ce montant était utilisé pour une fondation canadienne pour les victimes?

[Traduction]

Le criminel paierait toujours 600 $ ou plus, mais le gouvernement fédéral pourrait décider, par exemple, que 100 $ seraient consacrés à l'établissement d'une fondation d'aide aux victimes. Qu'en pensez-vous?

M. Kennedy : Je suis tout à fait d'accord et, en ce qui a trait aux propos de M. Wamback et de Mme Rosenfeldt, je dirais qu'il faut établir un équilibre et accorder des fonds aux organisations pour les victimes. Quelle que soit la forme que cela prendra, je suis tout à fait d'accord. Si je pense aux 631 $, j'ai des frissons dans le dos et je me demande pourquoi je soutiens quelqu'un pour qu'il obtienne un pardon. Ce n'est pas le montant même qui me dérange, car il n'est pas énorme, et, où qu'on soit dans le système, cela ne change rien.

Je suis tout à fait d'accord pour dire que nous devons porter attention aux victimes. Je suis convaincu qu'il faut s'employer à sortir de la victimisation, mais je pense qu'au Canada, nous commençons à prendre conscience des dommages, des traumatismes et des coûts subis par les victimes et la société en raison des criminels. Nous le constatons tous les jours avec les jeunes. Nous devons prendre des mesures pour aider les jeunes lorsque quelque chose leur arrive ou lorsqu'ils ont des problèmes. D'ailleurs, nous sommes en train de mettre sur pied un centre d'appui aux enfants et j'en apprends beaucoup du chef de police de Calgary. Lorsque nous pourrons accueillir les enfants maltraités ou victimes d'un crime, nous occuper d'eux, faire les enquêtes correctement et commencer sans délai à améliorer leur vie, nous aiderons à réduire la population carcérale. Tout ce que nous pouvons faire pour nous occuper des victimes et les soutenir importe beaucoup. Je pense que les Canadiens comprennent mieux les dommages causés par la maltraitance et l'intimidation. Je pense qu'il nous reste beaucoup à faire, mais peu importe la forme que l'aide aux victimes prendra, je soutiendrai les mesures voulues.

Le sénateur Chaput : Ma question s'adresse à Mme Rosenfeldt.

[Français]

Ma seule préoccupation est en fonction des Autochtones, la clientèle des Autochtones. Vous avez mentionné que vous aviez déjà travaillé, si je comprends bien, dans un centre qui aidait à la réhabilitation, pour que justement ces criminels se prennent en main et reconnaissent qu'ils ont une responsabilité de travailler vers l'obtention d'un pardon, un emploi, et cetera. Pouvez-vous, madame, me rassurer sur cette clientèle qui, je crois, serait encore moins appuyée par ce projet de loi?

[Traduction]

J'aimerais obtenir des précisions sur ce que vous en pensez.

Mme Rosenfeldt : Tout d'abord, mon opinion diverge peut-être un peu de celles des autres Autochtones. Toute ma famille est autochtone et ma grand-mère habitait dans une réserve en Saskatchewan. Je pense qu'il est grand temps que la société, et cela comprend les Autochtones, cesse de nous voir d'abord et avant tout comme des Autochtones, comme des gens qui ont les pommettes saillantes, qui ne peuvent pas prendre de décisions ni s'occuper d'eux-mêmes.

Nous revenons de loin. Je ne veux pas raconter tout ce qui est arrivé, parce que les événements ont été traumatisants et tragiques pour bien des gens. Heureusement, il y a tellement plus d'Autochtones instruits, de nos jours. Des gens qui, comme moi, comprennent les problèmes des Autochtones. Bon nombre de mes clients venaient des pensionnats et ils étaient plus âgés, mais les dommages étaient énormes. Il y a tant à faire et je suis convaincue qu'il est grand temps que nous relevions la tête et que nous prenions certaines responsabilités.

J'ai été offusquée lorsque j'ai envisagé la possibilité de devenir avocate. C'était il y a un certain nombre d'années; mon projet ne s'est jamais concrétisé. Quelqu'un m'a demandé pourquoi je n'étudiais pas en droit et il m'a dit non seulement que tout était payé, même les livres, mais aussi que je n'avais besoin d'obtenir que 60 p. 100 de moyenne, tandis que les autres devaient obtenir 80 p. 100. Cela ne me convenait pas et j'étais étonnée de voir que la société ne me pensait pas assez brillante pour obtenir 80 p. 100.

Il y a toutes sortes de points de vue et la question est très complexe. Ce ne sont pas tous les Autochtones qui sont d'accord avec moi, mais ils sont nombreux à l'être. Je suis convaincue que les 631 $ ne constituent pas une difficulté pour les Autochtones.

Le président : Sénateur Runciman, avez-vous une question à poser durant cette deuxième série?

Le sénateur Runciman : J'ai simplement une question brève pour M. Wamback et Mme Rosenfeldt.

J'ai exprimé des inquiétudes sur le fait que tous les délinquants reçoivent le même traitement, mais j'imagine que cela ne vous dérange pas; c'est du moins ce que je comprends de vos commentaires d'aujourd'hui. Toutefois, je verrais bien une approche à deux vitesses pour les infractions punissables par voie de déclaration sommaire de culpabilité et les infractions punissables par mise en accusation. Les gens de la commission ont indiqué clairement que les infractions punissables par mise en accusation exigent beaucoup de temps et un examen minutieux, par rapport à une infraction de conduite avec facultés affaiblies, par exemple, ou à quelque chose de très modeste. Il me semble que nous pourrions établir une distinction entre les coûts moyens pour les infractions punissables par voie de déclaration sommaire de culpabilité et les coûts moyens pour les infractions punissables par mise en accusation. Je crois qu'il faut connaître les coûts réels et adopter une approche juste et équitable. Comme vous avez dit, nous ne voulons pas que les victimes subventionnent les délinquants. Je pense que nous devons être équitables.

Ma seule préoccupation concernant cette approche, c'est de connaître les coûts réels et de ne pas traiter tout le monde de la même façon.

M. Wamback : Je suis d'accord en principe pour dire que nous devons connaître les coûts du processus, qui ne doivent pas être assumés par les contribuables. Mais je ne pense pas qu'il faut une approche à deux vitesses.

Ma cousine est décédée la semaine dernière. Sa famille, qui vit de l'aide sociale, a dû payer des milliers de dollars en frais de service pour les funérailles, sans parler du coût des funérailles elles-mêmes.

Je crois que ceux qui demandent un pardon — une suspension du casier, pour employer les bons termes — doivent en assumer les coûts. La valeur du pardon ne change pas; qu'il s'agisse d'une condamnation pour acte criminel ou d'une déclaration de culpabilité par procédure sommaire, la valeur est la même et les Canadiens ne devraient pas avoir à subventionner le pardon, quel que soit le crime. Le Canada, et le gouvernement, va fixer les limites qui s'imposent. Le coût doit être le même dans tous les cas.

Si vous me permettez, je vais parler de la question du sénateur Chaput, du fonds pour les victimes et des 631 $ qu'il faudrait accorder aux victimes. Le Fonds de la justice pour les victimes est actuellement mis en œuvre, au Canada. Les juges partout au pays doivent imposer une suramende compensatoire, mais ils refusent de le faire, parce que les gouvernements provinciaux ajoutent les fonds aux recettes générales et ils ne les remettent jamais aux victimes. Nous devons corriger le système actuel et je ne crois pas qu'il faut alourdir le fardeau fiscal des Canadiens en investissant davantage dans ce système.

Le sénateur Fraser : Monsieur Kennedy, je crois que vous avez parlé de statistiques sur les délinquants sexuels récidivistes. Si vous avez ces statistiques, pourriez-vous les remettre à la greffière, s'il vous plaît? Je ne pense pas que je les ai.

M. Kennedy : Oui, je vais les remettrai à la greffière.

Le sénateur Banks : Monsieur Wamback, je vais revenir à ce que le sénateur Runciman disait et vous pourrez peut- être répondre plus tard, car le temps presse. Le sénateur Runciman ne disait pas qu'il ne faut pas récupérer tous les coûts, mais que les coûts de recherche pour quelqu'un qui a commis une infraction punissable par voie de déclaration sommaire de culpabilité en vue de la suspension de son casier sont en fait inférieurs aux coûts de recherche nécessaires pour celui ou celle qui a commis une infraction punissable par voie de mise en accusation. Le sénateur Runciman ne suggérait pas de ne pas récupérer tous les coûts, mais il disait que les coûts sont différents pour ces deux types de condamnation. Êtes-vous d'accord?

M. Wamback : Merci, monsieur le sénateur Banks. J'avais mal compris les propos du sénateur Runciman. Si on le voit ainsi, oui, je suis tout à fait d'accord. Merci.

Mme Rosenfeldt : Je suis d'accord, moi aussi. J'avais également mal compris.

Le président : C'est toujours une bonne chose quand le sénateur Banks clarifie les choses.

M. Wamback : C'est fou ce que quelques précisions peuvent accomplir.

Le président : Cela montre que tous les députés dans la salle travaillent en équipe.

Chers collègues, cela met fin aux questions et aux exposés de ce groupe de témoins. Le moins qu'on puisse dire, c'est que ce que vous aviez à dire était très personnel. Vos témoignages sont très instructifs et extrêmement utiles pour notre travail, merci beaucoup. Je présume que nous aurons le plaisir de vous réinviter et nous souhaitons vous revoir pour l'étude d'autres projets de loi qui seront soumis au comité.

Merci encore.

Nous accueillons le dernier témoin d'aujourd'hui, M. Gregory Thomas, directeur fédéral de la Fédération canadienne des contribuables. Nous sommes heureux de vous recevoir, monsieur Thomas. Si vous avez une déclaration à faire, nous sommes impatients de l'entendre.

Gregory Thomas, directeur fédéral, Fédération canadienne des contribuables : Merci, monsieur le président, et merci, honorables sénateurs. Je représente la Fédération canadienne des contribuables, le plus important groupe de défense des contribuables au Canada. Nous sommes une organisation à but non lucratif et apolitique qui compte 70 000 partisans et sept bureaux partout au pays.

Nous sommes ici aujourd'hui, car nous soutenons, en général, le principe des services payés par les utilisateurs qui en profitent directement. Même si nous reconnaissons que la société en général bénéficie de la réhabilitation des délinquants, nous croyons que la personne qui obtient le pardon doit assumer les coûts de l'enquête qu'il faut mener.

J'ai parcouru la documentation et écouté certains témoignages donnés devant votre comité, et je tiens tout d'abord à dire quelque chose au sujet des consultants privés qui semblent se faire un peu malmener durant les audiences. Certains trouvent inadmissible que ces consultants gagnent 1 000 $ pour aider les gens à obtenir un pardon. J'ai, moi aussi, téléchargé le guide pratique de 18 pages du gouvernement pour obtenir un pardon et je dois dire que je ne n'arriverais jamais à présenter une demande sans aide. J'en serais tout simplement incapable.

Le sénateur Fraser : C'est comme remplir sa déclaration de revenus.

M. Thomas : Oui. Le sénateur Baker se demandait pourquoi la moitié des demandes venant de Terre-Neuve étaient renvoyées. Je suis allé à Terre-Neuve deux ou trois fois et j'ai remarqué que les gens sont moins tolérants que nous pour ce qui est d'aller un peu partout et de recueillir des documents officiels. Le site Internet indique que le document doit avoir un sceau officiel de la cour et ce genre de choses. Le système de justice peut mettre une personne en prison pour un certain nombre d'années sans effectuer de suivi et la commission des libérations conditionnelles, pour sa part, ne peut pas interagir aisément avec ce système et trouver sans difficulté les crimes commis par la personne. Le demandeur, lui, doit aller d'un tribunal à l'autre et faire estampiller les documents à défaut de quoi, il essuiera un refus; pendant ce temps, il doit rebâtir sa vie, travailler et soutenir sa famille avec un casier judiciaire. Toutes ces choses constituent un fardeau inadmissible pour les gens. Il est juste et équitable d'exiger que les demandeurs paient les coûts de l'enquête, mais je pense qu'il est raisonnable de demander au système de justice de s'organiser et de fournir le dossier complet de la personne. C'est ce que tous les systèmes avancés sont censés faire. Le système entraîne des coûts, mais il ne faudrait pas demander aux gens d'aller un peu partout pour obtenir des documents et de les faire estampiller.

C'est un sujet qui présente deux ou trois questions complexes. C'est légitime de demander aux gens d'expliquer pourquoi ils méritent un pardon et de donner toutes les informations nécessaires. D'ailleurs, si le gouvernement s'organisait comme il faut, ces consultants seraient sans doute tous obligés de faire autre chose. Présentement, ces consultants sont comme des spécialistes en déclarations de revenus qui apprennent à connaître le système et la façon de recueillir les documents et de préparer le dossier. C'est un travail difficile et les consultants méritent d'être payés.

Je veux aussi parler de deux ou trois choses qui me posent un problème concernant les coûts dans la proposition du ministre de la Sécurité publique, datée de juin 2011. Mon document n'a pas de numéros de pages, mais un tableau indique tous les coûts. Cette année, les coûts de traitement des demandes s'élèvent à 6 millions de dollars et ceux de la prise de décision pour accorder un pardon représentent 1,1 million. De plus, il y a le soutien du programme, les autres ministères, et cetera. La GRC reçoit la maigre somme de 225 000 $ pour ce qui serait le principal élément du processus, le casier judiciaire.

Les frais passeraient de 50 à 150 à 631 $, parce que les responsables doivent effectuer un travail intellectuel difficile, évaluer des casiers judiciaires, produire des rapports détaillés et tout le reste. Cela ne paraît pas dans les coûts de la prise de décision et tout semble lié au traitement de la demande.

Selon mon étude du travail que le comité a fait jusqu'ici, personne n'a pressé les responsables du processus d'expliquer pourquoi le traitement des demandes coûte 6 millions de dollars, tandis que l'examen à mener pour déterminer si les demandeurs risquent de blesser d'autres personnes coûte seulement 1,1 million. À mon point de vue, ce n'est pas très sensé.

La note 4 porte sur les coûts non recouvrables, c'est-à-dire ceux que les frais ne couvriront pas.

Le sénateur Runciman : Je me demande si la greffière pourrait nous indiquer la page. J'ai le document entre les mains, mais je ne trouve pas la note en question.

Shaila Anwar, greffière du comité : Les coûts non recouvrables se trouvent à la page 7.

M. Thomas : Je pense que votre document est plus détaillé. La note 4 porte sur les coûts non recouvrables, qui ne sont pas couverts par les frais. À la dernière ligne du tableau se trouvent les éléments de recette, qui sont plus élevés que le sous-total des coûts recouvrables, au milieu du tableau. On a évidemment fait en sorte que le volume de demandes de pardon à 631 $, donne un montant qui dépasse les coûts recouvrables. Enfin, il reste 1,4 million de dollars en coûts non recouvrables, qui seront probablement puisés dans les poches des contribuables.

La note explique que les coûts non recouvrables comprennent les régimes d'avantages sociaux — les soins de santé, les soins dentaires, les prestations d'invalidité et les prestations de retraite — des employés qui traitent les demandes et les locaux de travaux publics où ils s'affairent à la tâche. Je suis médusé de constater que ces éléments ne font pas partie du calcul des frais. C'est à n'y rien comprendre. Les frais couvrent le salaire des employés qui traitent les demandes, mais pas leurs avantages sociaux. J'imagine que c'est ainsi que le gouvernement tient ses livres; il n'est donc pas étonnant que le pays souffre d'un déficit.

Le président : Nous avons compris.

M. Thomas : Quant à la structure de la proposition, nous ne sommes pas emballés non plus à l'idée que des frais fixes s'appliquent à toute une gamme de services différents. Il est insensé de payer le même prix pour un bilan de santé et pour une chirurgie à coeur ouvert, ou bien pour une voiture modeste comme une Toyota Corolla et pour une Mercedes ou une Cadillac. Le coût de 6 millions de dollars pour le traitement des demandes manque de clarté.

La Commission des libérations conditionnelles du Canada prendrait des risques si elle accordait le pardon à un individu qui a commis un crime grave et a blessé des gens, ou bien qui a posé des gestes extrêmement dommageables pour la société. Une enquête approfondie serait menée. Le responsable devrait y penser à deux fois et justifier dûment sa décision. Or, toute cette procédure est chère. Ceci ne s'appliquera pas à certaines des infractions que le sénateur Runciman a mentionnées. Nous ne pensons pas que les frais prévus dans la proposition représentent bien les coûts réels.

Le président : Monsieur Thomas, proposez-vous qu'une échelle graduée soit utilisée, comme le sénateur Runciman? Ainsi, le coût et les frais connexes d'une demande de pardon seraient établis en fonction de la gravité du crime.

M. Thomas : Oui. Ce ne serait certainement pas difficile à quantifier. À mon avis, aucun spécialiste de comptabilité analytique ne serait d'accord sur le calcul des coûts qui se trouvent dans le document. Nous pensons que vous devriez demander une évaluation réaliste du coût de traitement des différentes demandes de pardon proposées, puis établir les frais en conséquence.

En dernier lieu, le fait que 4 p. 100 des pardons accordés sont révoqués représente un risque pour la société. Il va sans dire qu'un citoyen honnête, respectueux des lois et repenti a tout intérêt à ne plus avoir de casier judiciaire. C'est aussi un avantage astronomique pour un criminel qui a hâte de sortir de prison afin de reprendre ses activités illicites et de commettre des infractions très graves. Nous avons tous des assurances automobile et savons que leur prix augmente en cas d'accident ou de blessures. Dans un monde idéal, il existerait des assurances contre les meurtres. Si un criminel sur 10 000 ou 50 000 commet un meurtre après sa sortie de prison, la victime ou sa famille recevrait ainsi une compensation à partir du fonds d'assurance. C'est ce qu'on appelle un risque non assurable; nous n'y pouvons rien. Si les criminels condamnés qui ont blessé des gens ou endommagé des biens payaient un supplément de 100 ou 200 $ pour demander pardon, nous nous retrouverions avec un fonds d'assurance assez intéressant. Ainsi, il y aurait de l'argent pour dédommager les victimes si jamais un des délinquants réhabilités était responsable de la paraplégie d'une personne ou enlevait à une famille avec un jeune enfant son unique source de revenus. Vous pourriez l'appeler le « fonds pour les bévues du système de libération conditionnelle ». On admettrait alors que chaque année, 50 contrevenants réhabilités sur 10 000 commettent des infractions, et leurs victimes pourraient recevoir une indemnité imputée sur le fonds constitué par tous ceux qui ont obtenu un pardon.

Comme tout autre fonds d'assurance ou fonds commun de placement, l'argent versé pourrait être remboursé si aucun problème ne survient. On enverrait alors un chèque à la personne réhabilitée, accompagné du mot suivant : « Étant donné que le programme a donné de bons résultats et qu'il n'y a pas eu de réclamation, nous sommes heureux de vous rembourser une somme de 138 $. »

Le président : C'est une idée très intéressante. Vous n'êtes pas le seul à avoir fait allusion à une telle solution, et c'est très utile.

Avez-vous quelque chose à ajouter au sujet de la proposition?

M. Thomas : Non, c'est tout ce que nous avions à dire.

Le président : Merci.

Le sénateur Fraser : Monsieur Thomas, votre organisation tient à ce que les contribuables en aient pour leur argent. Nous avons beaucoup discuté de ceux qui s'occupent de l'aide sociale et des avantages, tant pour la société que pour les individus en question, d'accorder le pardon aux contrevenants pour les aider à se trouver un emploi et pour qu'ils ne dépendent plus de l'aide sociale. En effet, l'aide sociale, ce n'est pas donné. Même si les provinces en sont responsables en grande partie, nous finissons par payer d'une façon ou d'une autre, et c'est bien plus que 631 $ par bénéficiaire.

Que pensez-vous d'un système semblable à celui des prêts étudiants, qui permettrait aux bénéficiaires de l'aide sociale ou aux personnes dont le revenu est très faible d'obtenir un prêt gouvernemental couvrant les frais de la demande de pardon? La personne réhabilitée aurait ensuite un an ou deux pour rembourser le prêt, car elle devrait désormais pouvoir se trouver un emploi. Cette voie mérite-t-elle d'être explorée?

M. Thomas : Oui, il vaut certainement la peine d'examiner cette avenue et d'en faire l'essai. Une telle mesure pourrait faire l'objet d'un projet pilote.

Le sénateur Runciman : Je vous suis reconnaissant d'être venu comparaître aujourd'hui. C'est très intéressant. Je n'ai pas eu la chance d'étudier la proposition, et je ne peux pas dire que je comprends comment tous ces coûts ont été calculés. Vous vous êtes demandé s'il s'agit des véritables coûts de la proposition et vous avez souligné certains faits.

De plus, un autre document — une sorte d'analyse coûts-avantages et pas un véritable calcul des coûts afférents au processus — semble aussi faire intervenir dans l'établissement des coûts la valeur estimative que cela représente pour les demandeurs de pardon.

Tout cela m'inquiète depuis le début. Je crois qu'il faut privilégier le recouvrement intégral des coûts, mais je ne suis pas certain que ceux de la proposition sont justes ou suffisamment justifiés.

Je trouve intéressante votre suggestion de renvoyer la proposition à la planche à dessin pour que quelqu'un en vérifie les calculs et établisse peut-être de nouveaux coûts. D'après votre organisation, en quoi consiste un véritable recouvrement des coûts? Faut-il vraiment tenir compte de la valeur du point de vue des demandeurs de pardon?

À mon sens, il s'agit des coûts que l'organisme assume pour décider s'il accordera ou non le pardon à l'individu qui en fait la demande. On ne devrait pas essayer d'estimer la valeur pour le demandeur, car c'est plutôt farfelu et subjectif. C'est ce que j'en pense, et vous?

M. Thomas : Nous sommes d'accord avec vous. Le coût estimatif du programme comporte même des décimales, mais qu'est-ce que ça change? Si aucun pardon n'était accordé et qu'aucune demande n'était traitée, combien le programme coûterait-il au gouvernement pendant un an? C'est ce qui détermine le véritable coût.

Le sénateur Runciman : Très bien. J'ai une autre question rapide. Hier, le représentant d'une des entreprises qui viennent en aide aux demandeurs a soulevé l'idée de partenariats public-privé. Il fera parvenir plus d'information au comité, mais il semble que ce soit possible ailleurs. Avez-vous quelque chose à dire à ce sujet?

M. Thomas : C'est toujours une idée emballante. Si le secteur privé arrive à remplacer le gouvernement dans un domaine et à faire le travail mieux que lui, nous n'y voyons aucun inconvénient. Dans le cas qui nous intéresse, tout dépend des détails pratiques entourant le fonctionnement du système.

Je crois que le véritable obstacle, ce sont les systèmes d'information du gouvernement ayant trait au crime — la Commission des libérations conditionnelles du Canada ne tient pas un registre exact des crimes commis par les contrevenants.

Le sénateur Runciman : Mon expérience m'a appris qu'il y a une zone grise. Nous avons voulu nous pencher sur le problème en Ontario, mais avons dû nous arrêter parce que, même si certains éléments du système juridique fonctionnent bien, tout semble s'embourber dans l'organisation judiciaire, et nous jetions l'argent par les fenêtres. Je partage votre avis là-dessus, mais c'est tout un obstacle.

Le président : Monsieur Thomas, j'aimerais ajouter un commentaire faisant suite aux propos du sénateur Runciman. Vous croyez que les frais devraient couvrir le véritable coût du système, ce qui semble logique. Or, je pense qu'il faut avancer des hypothèses pour arriver à déterminer ce coût. Si j'ai bien compris, c'est ce qu'a fait la Commission des libérations conditionnelles du Canada pour répartir les coûts dans le système et déterminer ce qui fait partie du processus de demande de pardon ou non. Je pense que n'importe qui procéderait ainsi, n'est-ce pas?

Comment peut-on répartir tous les coûts directs et indirects du système, comme les frais afférents aux employés ou les frais généraux, et surtout ceux qui ne sont pas liés exclusivement à l'examen des dossiers de demande de pardon? Je suis certain qu'il y a une grande part de frais généraux d'administration juridique.

Il faut évidemment émettre des hypothèses. Même s'il y a des divergences d'opinions à ce sujet, on ne peut demander que les frais des demandes de pardon couvrent uniquement les coûts réels. Ce n'est pas un processus simple, n'est-ce pas? Tout dépend des hypothèses.

M. Thomas : Oui. Je pense que le sénateur Runciman voulait dire qu'il faut remettre en question le fait qu'on met en parallèle les avantages généraux dont bénéficient les personnes réhabilitées et ce qu'il en coûte au contribuable — c'est- à-dire l'idée que ces avantages pourraient être soustraits de ce que paie le contribuable. Nous ne trouvons pas cette démarche acceptable.

Évidemment, il faut répartir les coûts pour déterminer les frais exigibles. Ce qui nous préoccupe, c'est que des frais uniques de 631 $ sont exigés pour tous les types de demandes, peu importe ce qu'il en coûte pour rendre la décision; nous trouvons que c'est insensé. Les coûts varient nécessairement d'un dossier à l'autre.

Le président : Sans vouloir argumenter, j'ai l'impression que le gouvernement procède souvent ainsi pour déterminer les frais de certains services offerts au grand public. Habituellement, il y a un seul prix pour tout le monde, notamment pour une demande de passeport. Il arrive que des demandes soient plus complexes que d'autres, nécessitent plus de travail et finissent par coûter plus cher. Des frais uniques s'inscrivent dans la logique de la démarche habituelle, mais nous y reviendrons peut-être une autre fois.

Le sénateur Meredith : Monsieur Thomas, vous dites que nous devrions utiliser une échelle mobile selon le type de condamnation, comme une déclaration sommaire de culpabilité. Comment appliqueriez-vous ce principe au coût des ressources humaines — le personnel, les locaux et les avantages sociaux, dont vous venez de parler — en fonction des frais qu'exige la Commission des libérations conditionnelles du Canada pour recouvrer complètement ses coûts?

Croyez-vous que la CLCC devrait faire appel à deux types d'employés pour traiter les demandes de pardon? En vue de respecter l'échelle mobile des coûts, elle pourrait assigner des débutants au traitement des demandes portant sur des condamnations moins graves, mais ce serait des employés chevronnés ou de grade supérieur qui prendraient le temps de traiter les demandes ayant trait aux condamnations graves.

Pourriez-vous m'en dire plus à ce sujet?

M. Thomas : Certainement. Examinons ce qui a mené à l'augmentation des frais. Depuis l'adoption du projet de loi C- 23A, le processus de décision relatif aux demandes de libération conditionnelle est plus complexe, car la loi oblige désormais la CLCC à mener une enquête approfondie, à tenir compte de plus d'éléments, à réfléchir davantage aux dossiers et à rédiger de longs rapports.

Si j'ai bien compris, la CLCC a présenté sa proposition parce que les nouvelles mesures législatives compliquent grandement la prise de décisions. Puisqu'il lui faut bien plus de ressources et de temps pour traiter chaque dossier, elle prend du retard. Cet arriéré important lui coûte cher, alors elle veut augmenter ses frais pour régler le problème. Et c'est maintenant vous qui en héritez.

Ce que je dis, c'est qu'il y a des dossiers plus longs à traiter que d'autres, selon le témoignage des fonctionnaires du ministère.

Le sénateur Meredith : On pourrait finir par dépasser les coûts par mégarde. Si certains dossiers sont moins longs à traiter, mais que d'autres prennent plus de temps, comme le sénateur Runciman le laisse entendre, la situation finit en quelque sorte par s'équilibrer. La CLCC soutient que des frais de 631 $ lui permettront un recouvrement complet des coûts. Même si certains dossiers coûtent plus cher que d'autres, nous devons essayer de résorber l'arriéré, et ainsi de suite.

M. Thomas : Oui. Dans le cas d'une personne ayant été condamnée pour homicide involontaire, il faudra presque refaire son procès, car la loi stipule qu'il faut tenir compte des répercussions sur les victimes et des détails entourant le crime. Une fois réhabilitée, cette personne tuera peut-être à nouveau, contrairement à un individu condamné pour conduite avec facultés affaiblies ou pour possession de marijuana.

Un des processus est bien plus cher que l'autre. Le coût de l'enquête, du procès et de la condamnation est bien plus élevé dans le cas de l'homicide involontaire que pour la possession de marijuana. Il s'agit de deux gâchis, mais ils sont accompagnés de coûts bien différents et de conséquences radicales — ces crimes n'ont pas le même genre de répercussions sur les victimes.

Je ne vois aucun mal à ce que la demande de réhabilitation d'un individu trouvé coupable d'homicide involontaire soit examinée moyennant des frais de 3 000 $ — il a peut-être encore des relations avec ceux qui le connaissaient lorsqu'il a commis l'homicide involontaire, et sa vie est peut-être loin d'être simple. C'est ce que notre expérience nous a appris. Ceux qui traitent le dossier auront besoin d'un nombre d'heures donné pour rendre une décision. Le procès a coûté 100 000 $, et le processus de réhabilitation coûtera 3 000 $, pas 600 $. De façon similaire, des frais de 600 $ semblent un peu élevés pour la demande de réhabilitation d'une personne qui a été condamnée en 1979 pour possession de marijuana.

Le président : Chers collègues, nous savons tous que le temps est écoulé depuis longtemps, mais le sujet est important, et nous avons la chance de recevoir M. Thomas. Il reste quatre sénateurs qui aimeraient poser des questions à M. Thomas, mais je devrai mettre fin à la séance à 13 heures, car nous devons nous préparer pour la Chambre cet après-midi. Je vous demanderais donc de gérer le temps en conséquence.

Le sénateur Banks : Hier, nous avons appris que les frais n'ont pas été calculés en fonction des coûts, mais plutôt de la capacité de payer, et aussi selon la valeur fictive que représente l'élimination d'un casier judiciaire, ce qui est discutable.

J'aime l'idée de M. Thomas, qui demande combien d'argent nous économiserions sans ce processus. Il s'agit là de son véritable coût. J'ignore si vous pouvez trouver la réponse ou non.

J'aimerais vous poser une question philosophique, ou une question de principe sur ce que vous avez dit — c'est-à-dire que les utilisateurs devraient payer directement les services dont ils bénéficient. Sous cet angle, la suppression des casiers judiciaires est considérée comme un service gouvernemental. Le gouvernement a annoncé il y a un moment qu'il réduirait considérablement le coût des demandes d'immigration au Canada, parce qu'il s'agit d'une valeur de la société. Si le coût a été déterminé suivant cette logique, les contribuables subventionnent désormais les demandes d'immigration au Canada.

Vous plaindrez-vous de cela au gouvernement, puisque vous le feriez si nous donnions à entendre que le public devrait subventionner le coût d'une demande de retrait du casier judiciaire? Ce n'est qu'une hypothèse.

M. Thomas : Je ne vais pas répondre à cette question, car nous aimons réfléchir sérieusement à ces choses, quand nous sommes invités à venir comparaître. Je crois que je connais la réponse, mais j'aimerais lire ce que le gouvernement propose et consulter mes collègues avant de vous donner une réponse bien pesée. Je préfère ne pas aborder la question de l'immigration, aujourd'hui.

Le sénateur Banks : Dans ce cas, le gouvernement propose de mettre fin à ce qui est encore, à ce jour, une subvention à quiconque demande que son dossier criminel soit effacé. Le gouvernement y met fin et dit non, nous ne subventionnerons plus cela. Nous recouvrerons les coûts. Êtes-vous en faveur du recouvrement complet des coûts?

M. Thomas : Oui. Nous croyons généralement que les gens doivent payer ce qu'ils achètent. Quand le gouvernement dispense un service comme l'émission d'un permis de conduire, la route 407 en Ontario ou une traversée plus rapide du fleuve Fraser à Vancouver — peu importe de quoi il s'agit —, les gens qui en profitent directement doivent payer.

Le sénateur Lang : Je reviens à l'information qui nous a été fournie : qu'on estime à 15 000 le nombre de personnes qui demandent le pardon chaque année. Cela donne 30 pardons par journée de travail de huit heures et, donc, trois pardons l'heure. Je me préoccupe de votre capacité de le faire.

Je me demande ce que vous diriez si le gouvernement souhaitait ultérieurement se pencher sérieusement sur la question en s'appuyant sur la prémisse que le sénateur Runciman a proposée, soit le pardon automatique aux personnes déclarées coupables par procédure sommaire, moyennant certaines modalités. Les autres demandes seraient alors traitées comme il se doit. Autrement dit, on aurait 5 000 demandes — car je crois que les accusations par poursuite sommaire représentent 30 p. 100 des accusations — qui seraient traitées automatiquement, à peu de frais. Les autres demandes seraient examinées individuellement. Nous réussirions peut-être alors à nous conformer aux obligations que la loi impose à la Commission nationale des libérations conditionnelles.

L'autre aspect qui me préoccupe — et vous aurez peut-être quelque chose à dire à ce sujet —, c'est que plus on crée de catégories distinctes, plus il faut y mettre temps et argent pour faire les distinctions nécessaires. En fin de compte, le programme qui doit vous permettre de recouvrer les coûts finit par vous coûter plus cher.

J'aimerais vous entendre à ce sujet. Compte tenu des chiffres que nous avons, je ne sais pas comment vous pouvez réaliser ce que vous voulez faire en un an.

M. Thomas : Avez-vous dit en un an?

Le sénateur Lang : Oui. Ils s'attendent à 15 000 demandes par année. Ce n'est pas rare. C'est du moins l'information dont nous disposons.

M. Thomas : Je ne possède ni l'expérience, ni les connaissances du sénateur Runciman, qui a géré les activités de sécurité publique de l'Ontario pendant des années. Cette expérience est irremplaçable. Collectivement, nous n'en saurons jamais autant que ce qu'il a pu oublier.

Cependant, en tant que simple citoyen, je trouve préoccupant qu'on décide de faire abstraction automatiquement de certains des crimes qui ont été commis.

Le président : Vous dites que ça vous préoccupe?

M. Thomas : Oui. C'est bien de crimes qu'il est question. Nous mettons des dispositions dans le Code criminel parce que sont des crimes, et je pense que la plupart des Canadiens trouveraient dérangeant qu'une personne commette un crime, puis qu'avec le temps, ce serait comme si rien ne s'était jamais produit.

Je n'ai pas assumé la direction de l'ensemble des activités du système d'application de la loi comme l'a fait le sénateur, mais j'ai de nombreux amis policiers. Quand ils sont à la recherche de personnes soupçonnées d'avoir commis des crimes graves, ils regardent généralement du côté des personnes qui mènent des vies désordonnées et qui sont trouvées coupables de crimes « mineurs ». Nous savons tous ce qu'est un crime. Très peu de personnes commettent des crimes par accident. Quand s'accumulent les petits crimes dérangeants, c'est généralement qu'il y a un problème plus grave. L'idée de voir ces choses disparaître automatiquement, avec toute l'information, est troublante.

Le président : Je vous remercie de votre réponse.

Le sénateur Lang : Je précise, pour le compte rendu, que l'Australie possède un système semblable pour ce genre de crimes qui revêtent une plus grande importance pour le public que d'autres. Je présume qu'il sert entre autres à faire avancer les dossiers.

M. Thomas : Il faudrait souligner que les fondateurs de l'Australie y sont arrivés dans des circonstances différentes de celles des fondateurs du Canada.

Le président : On peut dire que vous vous êtes exposé à cela.

Le sénateur Lang : Je n'irai pas plus loin.

Le président : Sage décision.

[Français]

Le sénateur Chaput : Monsieur Thomas, vous avez parlé de certaines étapes qui alourdissent le processus. Vous avez dit qu'il faudrait simplifier le processus, les documents, tout ce qui se fait. Il est présentement question de transférer le total des coûts aux citoyens qui demandent le pardon. Ne devrait-on pas plutôt faire la révision du processus et le simplifier avant de transférer les coûts?

[Traduction]

M. Thomas : C'est un processus qui devrait être simplifié et modernisé, et je crois fermement que le temps consacré à courir dans tous les sens pour étayer le dossier est inacceptable. Je pense comme les Terre-Neuviens. Cependant, nous sommes ici pour réagir à une proposition du gouvernement qui découle de la loi. Idéalement, on envisagerait aussi de simplifier ce processus pour tout le monde.

Notre organisme croit qu'en principe, l'utilisateur doit payer. Nous croyons que cela correspond à un service. Comme je l'ai dit, c'est le prix qui suscite notre opposition. Nous n'apprécions pas la comptabilisation, ou la façon d'en déterminer le prix. Nous ne trouvons pas que c'est juste et que le marché en établirait le prix de cette façon. Toutefois, en général, nous croyons que c'est une mesure positive, sans dire que de simplifier le processus ne serait pas positif aussi.

Le président : Monsieur Thomas, c'est tout pour les questions. Je vous remercie sincèrement de ce que vous avez apporté au comité. Vos commentaires professionnels à propos de la comptabilité analytique étaient très intéressants, comme en ont témoigné les questions posées. Vos opinions sur les aspects plus généraux des demandes de libération conditionnelle nous en ont aussi beaucoup appris. Nous espérons vous revoir.

Chers collègues, je vous précise, avant votre départ, que notre prochaine séance aura lieu le mercredi 19 octobre à 16 h 15, ou dès que le Sénat aura ajourné sa séance. La greffière vous enverra un avis de convocation. Merci encore. La séance est levée.

(La séance est levée.)


Haut de page