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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 3 - Témoignages du 20 octobre 2011


OTTAWA, le jeudi 20 octobre 2011

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui, à 10 h 36, dans le but d'examiner, pour en faire rapport, les dispositions et l'application de la Loi modifiant le Code criminel (communication de dossiers dans les cas d'infraction d'ordre sexuel), L.C. 1997, ch. 30.

Le sénateur John D. Wallace (le président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : La séance est ouverte.

Bonjour et bienvenue, chers collègues sénateurs, invités et membres du public qui regardent la réunion d'aujourd'hui sur le réseau de télévision du CPAC. Je m'appelle John Wallace; je suis un sénateur du Nouveau-Brunswick et je préside le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

Honorables sénateurs, nous allons commencer aujourd'hui notre première réunion de cette législature et nous allons examiner, pour en faire rapport, les dispositions et l'application de la Loi modifiant le Code criminel pour ce qui est de la production de dossiers dans les cas d'infraction d'ordre sexuel.

En 1997, le Parlement a adopté le projet de loi C-46, Loi modifiant le Code criminel en matière de communication de dossiers dans les cas d'infraction d'ordre sexuel, en réponse à l'arrêt de la Cour suprême du Canada R. c. O'Connor. Il a ainsi créé le cadre légal actuel que l'on retrouve aux articles 278.1 à 278.91 du Code criminel.

Le projet de loi C-46 visait à renforcer la protection de la vie privée et les droits à l'égalité des plaignantes dans les causes relatives aux infractions d'ordre sexuel, en limitant la communication à l'accusé des dossiers privés détenus par des tiers. Le projet de loi a inscrit dans le Code la liste des motifs jugés insuffisants pour accorder l'accès à des dossiers personnels ou thérapeutiques ainsi que les facteurs dont le juge doit tenir compte au moment de déterminer si les dossiers doivent être communiqués, y compris le droit de la plaignante à la vie privée et à l'égalité et celui de l'accusé à une défense pleine et entière.

Le préambule du projet de loi soulignait les préoccupations du Parlement au sujet de la violence sexuelle à l'endroit des femmes et des enfants et la nécessité d'encourager les victimes à signaler les infractions d'ordre sexuel. Il indiquait que la crainte que des informations personnelles soient rendues publiques avait un effet dissuasif sur les victimes qui auraient peut-être autrement signalé les agressions sexuelles aux autorités et se seraient prévalues des services de traitement nécessaires.

Le comité a reçu un ordre de renvoi du Sénat le 4 octobre 2011, qui l'invitait à étudier les dispositions et l'application de la loi. Au cours de la dernière législature, le comité a tenu deux réunions sur cette question en février 2011, au cours desquelles il a entendu des représentants du ministère de la Justice, du Service des poursuites pénales du Canada, de Statistique Canada ainsi que Mme Karen Busby, professeure à la faculté de droit de l'Université du Manitoba.

Nous allons poursuivre notre étude aujourd'hui, honorables sénateurs, et j'ai le grand plaisir de souhaiter encore une fois la bienvenue à Mme Jennifer Stoddart, commissaire à la protection de la vie privée du Canada.

Madame Stoddart, nous allons commencer par entendre votre exposé préliminaire.

Jennifer Stoddart, commissaire à la protection de la vie privée du Canada, Commissariat à la protection de la vie privée du Canada : Honorables sénateurs, je vous remercie de m'avoir invitée à prendre la parole dans le cadre de votre examen, prévu par la loi, de cette mesure législative qui est en vigueur depuis 1997, et qui porte sur la communication de dossiers dans les cas d'infraction d'ordre sexuel, couramment appelé le projet de loi C-46.

Je suis accompagnée aujourd'hui par l'avocat de mon bureau, Regan Morris, qui pourra répondre à vos questions qui auraient, disons, un contenu juridique précis.

Comme vous le savez, honorables sénateurs, l'agression sexuelle constitue l'un des actes criminels les moins — sinon le moins — signalés, principalement en raison de la volonté des victimes de préserver leur vie privée. Les cibles de l'agression sexuelle sont le plus souvent des femmes, mais pas exclusivement. Les cas récents d'hommes venant faire un signalement des années, et même des décennies après une agression, indiquent que les personnes réagissent de la même manière dans de telles circonstances, peu importe leur sexe; elles préfèrent ne pas lever le voile sur un événement aussi horrible par peur d'être l'objet de représailles ou d'humiliations.

C'est pourquoi le Commissariat à la protection de la vie privée appuie sans réserve l'esprit de cette loi, qui est en entrée en vigueur en 1997. Comme le mentionne le préambule, la violence, surtout d'ordre sexuel, porte atteinte aux droits fondamentaux des femmes et des enfants en vertu de la Charte, tels que la sécurité de la personne, la vie privée ou même le bénéfice de la loi.

Nous savons également qu'il est difficile pour les tribunaux d'atteindre un juste équilibre entre les droits des victimes et ceux des accusés. Cependant, ce défi doit absolument être relevé.

J'aimerais maintenant replacer le projet de loi dans son contexte, si vous le permettez. Je tiens à souligner l'importance des intérêts en jeu en matière de protection de la vie privée dans les cas d'infraction d'ordre sexuel. Nous parlons de personnes extrêmement vulnérables qui voient leurs dossiers les plus personnels et sensibles recherchés, généralement aux fins d'un contre-interrogatoire mené par l'avocat de la défense devant les tribunaux.

Nous approuvons donc le processus judiciaire officiel créé par le projet de loi C-46 pour guider la communication ordonnée et appropriée des dossiers dans les cas de poursuites concernant des infractions d'ordre sexuel. Ce processus crée un mécanisme permettant d'examiner minutieusement les répercussions sur la vie privée que comporte la communication de dossiers comprenant les renseignements personnels des plaignantes et des témoins.

[Français]

Je passe maintenant à la question de l'efficacité de la loi. Une des principales questions que l'on se pose dans le cadre de votre examen est de savoir si cette mesure législative atteint ses objectifs. Pour en juger, on peut notamment vérifier si elle fait tomber les barrières empêchant les victimes de signaler les infractions sexuelles. Toutefois, ce type de mesures n'est pas suffisant. Il faut aussi évaluer si la loi réussit à protéger la vie privée des victimes qui dénoncent le crime.

Les témoignages entendus par ce comité en février dernier ont permis, à mon avis, de soulever divers enjeux relatifs à l'efficacité de la loi relativement à la protection de la vie privée : l'application du paragraphe 278.5(2); l'attente raisonnable en matière de protection de la vie privée; et la nécessité d'un avocat indépendant. J'aborderai, avec votre permission, successivement chacun de ces points.

Mais j'aimerais signaler auparavant un domaine où plus de recherches juridiques devraient être effectuées sur les divulgations devant les tribunaux dans ce contexte. Les recherches effectuées jusqu'à maintenant semblent être axées sur le nombre de fois où les juges ont ordonné la communication des dossiers et sur les critères sur lesquels ils fondaient leurs décisions. Cependant, il est également essentiel de savoir si les juges qui ordonnent la communication des dossiers établissent des conditions visant à protéger le droit à la vie privée des plaignantes et des témoins, par exemple au moyen d'une ordonnance de non-publication. La façon dont les dossiers sont protégés une fois qu'ils ont été communiqués à l'accusé est un élément important permettant d'évaluer l'efficacité de la loi.

Je parle maintenant du paragraphe 278.(5)2) de la loi. Ce paragraphe de la loi établit les facteurs que les juges sont tenus de considérer pour décider s'il faut ordonner la communication des dossiers concernant une plaignante ou un témoin.

La recherche qui vous a été présentée montre qu'il est difficile de savoir si les dossiers ont été communiqués à l'accusé ou non, et pourquoi. Les études laissent également croire que, parfois, les juges ne considèrent pas tous les facteurs prévus au paragraphe 278.5(2).

Par exemple, des examens de la jurisprudence menés par le ministère de la Justice et par d'autres organisations montrent que les juges invoquent souvent la protection de la vie privée dans le cadre d'une décision relative à l'ordonnance de communication, mais pas toujours.

Le commissariat ne peut pas faire de recommandations aux juges concernant l'interprétation de la loi, mais nous invitons le comité à recommander que la question de la protection de la vie privée soit prise en considération et documentée dans toutes les affaires.

[Traduction]

J'aimerais parler maintenant de l'attente raisonnable en matière de vie privée. Je crois que le régime d'examen judiciaire établi par le projet de loi C-46 devait s'appliquer exclusivement aux documents que possédait l'État ou un tiers, par exemple, les dossiers des thérapeutes, des médecins et des avocats.

Par conséquent, la Cour suprême du Canada a conclu que le projet de loi C-46 ne s'applique pas aux dossiers que l'accusé a en sa possession. Même si les règles d'admissibilité des éléments de preuve s'appliquent à de tels dossiers, celles-ci n'offrent pas le même niveau de protection en ce qui a trait au droit des victimes à la vie privée que ce qui était prévu dans le projet de loi C-46. Selon les règles d'admissibilité, le préjudice causé par l'admission de la preuve doit l'emporter largement sur la valeur probante de la preuve. En d'autres termes, les dossiers que l'accusé a en sa possession et qui ont une valeur probante sont, par défaut, admissibles. Aux termes de ce projet de loi, les intérêts relatifs à la vie privée sont pris en compte alors qu'il n'existe aucune garantie à cet égard dans le cas d'un accusé déjà en possession de dossiers personnels appartenant à la victime.

Nous croyons que cette situation mérite d'être examinée par le comité. À notre avis, une plaignante ou un témoin dans un cas d'infraction d'ordre sexuel pourrait avoir des attentes en matière de vie privée, même si ses renseignements personnels sont déjà entre les mains de l'accusé. Ainsi, il faudrait peut-être modifier l'article 278.2 relativement à la portée de l'application de ce régime.

Dans de tels cas, les dossiers devraient quand même faire l'objet d'un processus de contrôle judiciaire avant de pouvoir être utilisés par l'accusé dans le cadre d'une instance pénale.

Nous appuierions des modifications visant à corriger ce qui semble être une omission; voici donc la première des recommandations que je vais vous présenter aujourd'hui honorables sénateurs.

J'aimerais maintenant dire quelques mots au sujet de l'avocat indépendant.

Un autre aspect qui nous préoccupe n'est pas directement lié à la loi que vous étudiez aujourd'hui, mais à la façon dont le régime de contrôle judiciaire en matière de divulgation s'applique en pratique dans le contexte de la préparation d'un procès.

Selon ce que nous avons appris, les plaignantes et les témoins ne peuvent compter sur un avocat indépendant que dans la moitié des cas environ, soit parce que les services d'un avocat-conseil sont trop dispendieux, soit parce qu'ils ne savent pas qu'ils ont besoin d'un avocat pour protéger leurs droits adéquatement. Cette situation a une incidence directe sur la connaissance qu'ont les victimes de leur droit à la vie privée, et de leurs droits en général.

Dans le cas particulier où les victimes ne sont pas représentées par un avocat-conseil, leurs dossiers sont plus susceptibles d'être transmis à l'accusé.

Il est donc crucial de garantir la présence d'avocats-conseils indépendants pour protéger le droit à la vie privée des plaignantes et des témoins. Nous encourageons donc le comité à étudier des mesures visant à s'assurer que les plaignantes et les témoins soient informés de leur droit à être représentés par un avocat indépendant et que l'accès à cette personne soit possible en tout temps. Parmi les mesures que les parlementaires pourraient prendre en considération, notons les suivantes : si un plaignant ou un témoin doit être informé en termes simples et clairs de son droit à être représenté par son propre avocat au cours de toute audience portant sur la communication de ses documents personnels. C'est là notre deuxième recommandation.

La troisième porte sur la question de savoir si la formation et les centres de soutien aux victimes actuels sont suffisants, puisqu'ils peuvent aussi contribuer à informer les victimes de leurs droits et les aider à trouver un avocat indépendant.

Quatrièmement, la question de savoir si chaque province et territoire dispose de l'aide juridique suffisante pour assurer la présence d'un avocat indépendant et si les juges doivent être tenus, en vertu du Code criminel, d'en désigner un si le plaignant ou l'accusé ne peut être représenté, est une autre question que les honorables sénateurs pourraient, à mon avis, examiner.

J'ajouterais une cinquième recommandation, à savoir que les études du ministère de la Justice soient non seulement mises à jour, mais également publiées. L'information à laquelle nous avons eu accès pour préparer à l'intention du comité un mémoire détaillé était, je regrette de le dire, très insuffisante et je crois qu'il serait très souhaitable de pouvoir disposer d'une information à jour qui tienne compte des tendances les plus récentes dans l'application de cette loi.

Sixièmement, j'inviterais le comité à peut-être faire enquête sur les mesures appropriées que l'on pourrait prendre pour encourager les juges qui interprètent cette partie du Code criminel à consigner par écrit leurs motifs ou pour donner accès aux chercheurs à une transcription des motifs prononcés oralement. En tant que membre du Barreau du Québec, j'ai été amenée à constater dans les études que j'ai pu examiner avant de comparaître devant vous que la province du Québec, et je crois, le Nunavut et les Territoires du Nord-Ouest, ne publient aucune information sur cet aspect. Il semble qu'aucuns motifs écrits n'existent au sujet de l'application de cette partie du Code criminel.

Je ne pense pas que nous puissions considérer ce large secteur de la population canadienne et nous contenter de dire que nous n'avons pas d'information sur cet aspect et que cela constitue une étude intéressante, en particulier, parce que, si j'ai bien compris, les difficultés que pose le signalement des infractions d'ordre sexuel semblent augmenter au Nunavut et dans les Territoires du Nord-Ouest, à la différence du reste du Canada. Je pense que l'on pourrait peut-être faire quelque chose sur ce point.

Enfin, j'aimerais m'éloigner un peu de la question étroite que vous avez posée aujourd'hui pour attirer votre attention sur la nécessité de procéder à des études et d'envisager l'impact du principe de la publicité des débats sur l'accès à la justice en général.

Le travail qu'effectue mon commissariat nous a amenés à constater que de nombreux Canadiens estiment que leur vie privée subit une atteinte par le seul fait de s'adresser à un tribunal administratif. Nous ne parlons pas ici de cas d'allégations de violence sexuelle. Je peux vous dire que, lorsque j'étais la commissaire à la protection de la vie privée et à l'information du Québec, j'ai connu la même chose. Les gens étaient consternés d'apprendre que des détails très personnels étaient rendus publics, conséquence renforcée par l'arrivée d'Internet et la pratique adoptée par de nombreux tribunaux consistant à publier intégralement leurs débats, sans aucune omission, sans aucune révision, sans dissimuler les noms, ni même tenter de supprimer certains renseignements. Ils s'adressent en toute bonne foi aux tribunaux administratifs fédéraux pour obtenir réparation et ils sont très surpris de constater que tous ces renseignements sont rendus publics sur Internet, sont accessibles aux moteurs de recherche de sorte que, lorsque vous inscrivez leur nom, vous pouvez trouver tous les renseignements qui les concernent ainsi que les éléments qu'ils ont présentés à l'appui de leur demande. Il ne s'agit pas là d'instances pénales. Ce ne sont pas des gens qui ont été déclarés coupables d'une infraction ou de quoi que ce soit. Il s'agit bien souvent d'interpréter la notion de prestation prévue par une loi fédérale ou provinciale, selon le cas.

C'est là une expérience personnelle directe que j'ai eue dans le cadre de mes fonctions. Elle pose la question plus large de savoir quel est l'effet actuel de cette publication mondiale, totale et extraordinaire de l'information, à l'époque des WikiLeaks, de la transparence des gouvernements, de la liberté des sources, des renseignements personnels très privés sur la décision des citoyens d'avoir recours à notre système de justice. Je recommande à l'honorable comité d'étudier comment cette tendance générale s'applique aux affaires d'allégations de violence sexuelle et influence le désir des victimes de se faire connaître.

Je vais terminer en relatant aux honorables sénateurs un cas que j'ai entendu ce matin dans une émission de la CBC que la plupart d'entre vous connaissez certainement, The Current. Je ne sais pas si quelqu'un d'entre vous écoute cette émission. J'ai été vraiment étonnée. Je vais vous donner les noms tels que je les ai entendus à la radio. Cela concernait une femme appelée Shannon Moroney, qui semblait avoir été interviewée au cours de cette émission auparavant, et qui parlait des tentatives de réinsertion sociale qu'avait faites son ex-mari qui avait été déclaré coupable d'avoir agressé deux femmes avec violence. Il semble qu'elle avait relaté en détail l'agression commise en mentionnant des faits précis. Son avocat, appelé Jeffrey Lanctôt, a écrit au responsable du programme, The Current, et Anna Maria Tremonti, l'animatrice de l'émission, a lu certaines parties de sa lettre, qui disait que sa cliente, une des victimes, avait été atterrée de constater que l'ex-femme de l'accusé avait rapporté en détail à plusieurs reprises ce qu'elle avait vécu et que cela ne facilitait pas sa réinsertion sociale. Cela a peut-être été utile au délinquant et à son ex-femme, mais cela ne l'a pas été pour elle.

Je venais vous parler de cette question et je me disais qu'il était temps qu'une société comme la nôtre s'interroge sur la façon de respecter la vie privée au sein du système judiciaire et comment deux principes importants, la liberté d'expression et la publicité des débats, qui sont au cœur de notre démocratie, doivent peut-être être repensés dans cet âge des communications de masse instantanées, à une époque où l'on est beaucoup plus sensible aux souffrances des victimes, à la mesure dans laquelle les personnes vulnérables sont victimisées, et au peu d'attention que notre système de justice leur accorde traditionnellement.

J'ai hâte de répondre à vos questions.

Le président : Merci madame Stoddart. Voilà des commentaires fort utiles. Je suis sûr que les membres du comité voudront vous poser de nombreuses questions.

Le sénateur Fraser : Bienvenue, madame Stoddart. Je fais miens les commentaires du président lorsqu'il dit que vos remarques ont été extrêmement utiles.

J'ai entendu la toute fin de cette émission de radio. Je crois que le nom de la victime qui s'est plainte de la situation par l'intermédiaire de M. Lanctôt n'avait pas été diffusé, il s'agissait uniquement d'une description de ce qu'il lui était arrivé. Est-ce bien cela?

Mme Stoddart : C'est ce que j'ai compris en écoutant cette émission. Son nom n'a pas été mentionné.

Le sénateur Fraser : De sorte que les dispositions habituelles qui protègent l'identité des victimes ne s'appliquent pas.

Mme Stoddart : Non.

Le sénateur Fraser : Avez-vous eu le temps de réfléchir à la façon dont on pourrait concilier ces principes? Je ne vous demande pas de me présenter une thèse juridique sur-le-champ; l'émission vient de se terminer, il y a quelques minutes. Vous pourriez peut-être par contre nous transmettre vos réflexions au sujet des mécanismes que nous pourrions envisager. Il ne sera pas facile de concilier ces principes.

Mme Stoddart : Comme vous venez de le dire, je viens d'entendre cette émission. Deuxièmement, je ne suis pas une spécialiste de la procédure pénale, ni même de la jurisprudence relative aux infractions violentes d'ordre sexuel.

J'apprécie votre question, mais je veux simplement attirer votre attention sur cet aspect parce que nous devrions nous y intéresser davantage que nous l'avons fait jusqu'ici. Nous pensions que le seul fait de protéger le nom des victimes suffirait. En fait, la situation a certainement été grandement améliorée. Cependant, cette victime a déclaré à la radio ce matin, par l'intermédiaire de son avocat, que le fait d'entendre répéter constamment ce qu'elle avait subi nuisait énormément aux efforts personnels qu'elle déployait pour guérir de ce traumatisme et se réadapter. On pourrait également se demander combien de gens seraient en mesure de reconnaître cette personne, après avoir pris connaissance d'éléments qui n'étaient pas visés par une interdiction de publication.

Je n'en sais rien; je me pose simplement des questions. Je me suis tout simplement permise de vous les mentionner, honorables sénateurs. Elles vont un peu au-delà de la portée de cette disposition, mais il est également possible que nous sachions mieux aujourd'hui ce qu'est la souffrance des victimes, maintenant que 10 à 12 ans se sont écoulés depuis que nous avons examiné cette question. Deuxièmement, il serait peut-être utile que le comité examine cet aspect, compte tenu des moyens de communication qu'offre la technologie actuelle et qui n'étaient pas aussi largement accessibles à l'époque où cette loi a été adoptée.

M. Morris, voulez-vous ajouter quelque chose pour répondre à la question du sénateur Fraser?

Regan Morris, conseiller juridique, Commissariat à la protection de la vie privée du Canada : Je n'ai rien de particulier à ajouter. Il est possible que les dispositions du Code criminel en matière d'interdiction de publication puissent protéger, outre l'identité de la victime, une partie des renseignements les plus sensibles. Je ne pense pas que nous soyons en mesure de vous fournir une réponse définitive à ce sujet.

Le sénateur Fraser : Il est difficile d'imaginer une disposition légale générale qui réglerait cet aspect.

Le sénateur Baker : J'aimerais aussi poser deux questions, une pour la Commissaire à la protection de la vie privée et une autre pour M. Regan Morris, que je suis surpris de voir ici aujourd'hui. Il est le coauteur du traité fondamental intitulé The Law of Bilingual Interpretation, qui a été publié il y a deux ans. Son coauteur était le juge Bastarache.

M. Morris travaillait pour le CRTC. Monsieur le président, je suis convaincu qu'il va constater qu'il existe une différence entre travailler pour le CRTC et travailler pour la Commissaire à la protection de la vie privée; dans le premier cas, il faut essayer de se soustraire à la compétence des tribunaux et dans le deuxième, il faut la rechercher.

Ma première question s'adresse à la Commissaire à la protection de la vie privée et je voudrais replacer le sujet que lui a suggéré une émission radio de la CBC ce matin, The Current, dans le contexte de sa législation et de ce projet de loi particulier.

Dans la LPRPDE, loi que vous êtes chargée d'appliquer, et dans la Loi sur la protection des renseignements personnels, il existe des dispositions qui prévoient des exceptions en matière de divulgation de renseignements personnels privés. En fait, dans la Loi sur la protection des renseignements personnels, un sénateur est visé par une de ses exclusions, comme le fait de demander des renseignements personnels aux termes de l'alinéa 8(2)g), qui énonce :

g) communication à un parlementaire fédéral en vue d'aider l'individu concerné par les renseignements à résoudre un problème;

C'est une des exceptions touchant les renseignements personnels. Je veux faire remarquer que votre projet de loi, que l'on retrouve à l'article 278.1 du Code criminel parce qu'il est de compétence fédérale, contient la même exception dans le sens que la dernière phrase énonce :

n'est pas visé... le dossier qui est produit par un responsable de l'enquête ou de la poursuite relativement à l'infraction qui fait l'objet de la procédure.

On retrouve dans votre législation des exceptions semblables à celles que l'on retrouve dans l'amendement proposé que nous examinons aujourd'hui. Commissaire, vos lois sont muettes, tout comme cette loi l'est aussi, au sujet de l'utilisation qui peut être faite par la suite de ces renseignements. Je sais que cette question va vous surprendre et vous allez peut-être avoir besoin de faire un peu de recherche; mais que pensez-vous que le comité puisse suggérer pour, comme je pense vous l'avez mentionné dans votre exposé, viser également l'utilisation qui peut être faite plus tard de ces renseignements?

Mme Stoddart : Merci d'avoir posé cette question, sénateur. Si vous le permettez, je vais demander à M. Morris d'y répondre. Il a étudié en effet cette législation de façon beaucoup plus détaillée que moi. J'insisterais sur l'importance de votre question parce que vous faites essentiellement référence aux renseignements dont disposent les procureurs de la Couronne et les policiers.

Le sénateur Baker : Oui.

Mme Stoddart : D'une façon générale, honorable sénateur, c'est une question qui suscite un vif intérêt au commissariat, en particulier parce que nous pensons qu'un projet de loi sur l'accès légitime et des modifications à la LPRPDE vont bientôt être présentés pour permettre aux policiers d'obtenir beaucoup plus de renseignements personnels concernant les Canadiens — que nous qualifions de renseignements personnels — sans mandat, ce qui va à l'encontre des principes traditionnels de notre droit. Si vous le permettez, monsieur le sénateur, je vais demander à M. Morris de répondre à votre question.

M. Morris : Voilà qui est très intéressant et difficile, parce que cela soulève l'application conjointe de trois lois. Il y a quelques idées qui me viennent à l'esprit immédiatement. La première est que le projet de loi C-46 s'applique aux dossiers en possession de la Couronne. Si la Couronne obtient les dossiers médicaux ou de counselling de la plaignante, ces dossiers sont protégés par ce projet de loi. En particulier, l'utilisation ultérieure qui en est faite serait également protégée. J'attire votre attention sur le paragraphe 278.7(5), qui énonce :

Les dossiers — ou partie de dossiers — communiqués à l'accusé dans le cadre du paragraphe (1) ne peuvent être utilisés dans une autre procédure.

Je pense que cette disposition protège l'utilisation ultérieure qui est faite de ces renseignements. Pour ce qui est des renseignements personnels que les procureurs de la Couronne obtiennent eux-mêmes, j'aurais pensé qu'en général, ils seraient protégés par les dispositions générales de l'article 8 de la Charte des droits et libertés, en particulier par l'obligation générale d'obtenir au préalable un mandat. C'est ce genre de protection générale touchant les renseignements que les procureurs de la Couronne peuvent obtenir qui aiderait à protéger les plaignantes.

Le sénateur Baker : Vous assimilez cela à une perquisition.

M. Morris : Oui.

Le sénateur Baker : Monsieur Morris, vous avez été cité dans de nombreux jugements — votre traité sur le droit au Canada et l'interprétation bilingue. Pour ce qui est du projet de loi, nous savons tous que l'article 13 de la Loi sur les langues officielles affirme, je crois, que toutes les lois du Parlement et tous les documents doivent être publiés simultanément dans les deux langues officielles. La dernière phrase précise que les deux versions ont également force de loi ou même valeur.

J'ai examiné les affaires récentes d'agression sexuelle, plus particulièrement celles de 2011. Il y a un moment, lorsque j'ai appris que vous étiez ici, je vous ai fait parvenir une copie d'une décision qui remonte à deux mois environ qui vient de la province de l'Ontario où a eu lieu le procès. L'article 278.1 a été appliqué au procès ainsi qu'au moment de la détermination de la peine pour ce qui est de la divulgation des renseignements personnels. La personne a été déclarée coupable. Le tribunal a toutefois décidé, pour diverses raisons, que cette personne avait besoin de traitement et il lui a accordé une absolution sous conditions, ce qui veut dire sur le plan juridique que l'accusé n'est pas déclaré coupable, même s'il y a eu prononcé de la peine.

L'affaire que je viens de vous communiquer ressemble à une affaire du Québec dans laquelle il était expliqué que les versions française et anglaise différaient. Le paragraphe 8 du jugement — 2011, Carswell, Ontario, 539 — mentionne qu'il existe une différence entre les versions française et anglaise. La version française s'applique lorsqu'il y a eu à la fois déclaration de culpabilité et prononcé de la peine, alors que la version anglaise exige uniquement le prononcé de la peine.

Après avoir fait référence à votre traité fondamental, The Law of Bilingual Interpretation, et après avoir appliqué l'approche qui y est décrite, la Cour d'appel du Québec a déclaré, ce qui est intéressant, qu'elle retenait la version anglaise. Jusque-là, tous les tribunaux québécois utilisaient la version française des lois. Il y a toutefois un juge de la Cour de l'Ontario qui a déclaré : « J'estime que la Cour d'appel du Québec a peut-être commis une erreur en choisissant la version anglaise. »

Aujourd'hui, la version française est appliquée par les tribunaux anglais et la version anglaise appliquée par les tribunaux français. La différence que l'on trouve ici, et dans divers autres articles de ce régime particulier applicable aux agressions sexuelles, est qu'il faut avoir fait l'objet d'une déclaration de culpabilité et d'une peine pour être inscrit sur la liste des contrevenants, alors que si vous avez seulement fait l'objet d'une peine, vous ne pouvez pas être inscrit sur la liste. C'est une des interprétations possibles.

Le président : Sénateur Baker, je comprends que vous voulez faire une remarque importante.

Le sénateur Baker : J'aimerais poser une question.

Le président : Je suis sûr que vous allez en arriver à poser une question.

Le sénateur Baker : J'y arrive.

Monsieur Morris, voulez-vous un peu de temps pour pouvoir répondre au comité par écrit? Il y a une divergence ici, et pas seulement sur le plan du droit, entre les versions française et anglaise. Les sénateurs veulent que les accusés soient punis de façon appropriée, quelle que soit la version qui est appliquée. La divergence porte sur l'interprétation du traité fondamental dont vous êtes le coauteur avec monsieur le juge Bastarache. Voulez-vous faire un commentaire?

M. Morris : Il serait bon que je lise ces jugements et que nous répondions ensuite par écrit à cette question.

Le président : Merci de cette réponse.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Bienvenue à vous, madame Stoddart, et merci de votre présentation, et à vous, monsieur Morris.

Je voudrais aborder le dossier de l'autre côté du miroir, du côté des victimes d'agression. Vous avez raison, vous avez dévoilé des chiffres, des statistiques qui sont inquiétantes dans le domaine de la dénonciation. On dit qu'une personne sur dix va dénoncer son agresseur, ce qui est énorme, et ce pour différentes raisons : la peur de représailles, la peur d'être étiqueté

Souvent aussi la victime craint que ce soit sa parole contre celle de l'agresseur. Malheureusement aussi, souvent, les policiers n'ont pas le temps de s'occuper de ce type de crimes. On commence par les homicides, les tentatives de meurtre, les viols; quand on arrive aux agressions, souvent ce sont des enfants face à des adultes, on ne le dénonce pas, surtout aussi quand c'est dans la famille.

Ma première question est celle-ci : lorsqu'on parle de statistiques sur la criminalité et quand on dit que ce type de crimes baisse, malgré le fait qu'on observe pour l'an dernier 5 p. 100 de plus d'agressions sexuelles au Canada — au Québec en 2002 et 2006 c'est 40 p. 100 de plus de crimes à caractère sexuel, surtout après l'affaire de Mme Simard, qui a amené beaucoup de victimes à dénoncer —, quand vous entendez ce discours public de beaucoup de défenseurs de lois plus douces, disant que la criminalité baisse dans ce domaine, comment réagissez-vous?

Mme Stoddart : Je vous remercie de votre question, sénateur. J'ai fait référence aux seules statistiques, dans le temps qui nous a été imparti pour préparer la comparution d'aujourd'hui, qui ont été disponibles. Je pense qu'il est de la première importance d'avoir des statistiques à jour, pertinentes et de toutes les parties du Canada. On n'a pas une information de cette qualité, c'est ce que j'ai remarqué.

Cependant, les statistiques que vous citez, et que je n'ai pas pu voir personnellement, ne me surprennent pas. Je pense que tout ce qu'on a pu voir au cours des dernières 40 années, depuis qu'on commence à soulever la question des victimes de criminalité en général comme enjeu majeur de notre société et de notre système de justice, nous laisse croire que nous n'avons pas fini de découvrir, comme vous le dites, l'autre côté de la médaille. Notre système, je pense, pour des raisons liées aux inégalités sociales, inégalités de richesse, l'imposition d'une loi pour les plus nantis sur les gens des classes dépossédées, a eu une préoccupation historique avec les droits de l'accusé. C'est très bien quand on voit ce qui se passe ailleurs dans le monde, ce droit démocratique est très important. Mais nous n'avons pas fini d'explorer un autre aspect que nous avons, je pense, historiquement négligé, qui est celui des droits des victimes d'actes criminels, pas nécessairement juste ceux commis par l'État, ce qui était une préoccupation historique, mais nous avons la chance ici au Canada de vivre dans un pays où l'État est un État démocratique. La violence qui peut venir d'ailleurs dans la communauté, qui a été historiquement sous-estimée, est toujours un sujet de préoccupation. Donc, ces statistiques ne me surprennent pas du tout.

Le sénateur Boisvenu : Dans votre mémoire, vous abordez un thème qui est très intéressant, celui de l'avocat conseil pour la victime. Lorsqu'un criminel est devant un tribunal, l'État lui accorde le droit d'être représenté. Le criminel est représenté par un avocat. La victime n'est pas représentée dans les procédures judiciaires. L'avocat de la Couronne représente l'État. Le Code criminel, d'ailleurs, est très faible sur le droit des victimes. C'est le principe du droit au procès juste et équitable, c'est la preuve hors de tout doute raisonnable.

L'élément que vous apportez, d'avoir un avocat conseil pour les victimes, selon vous, est-ce que cela devrait s'appliquer dans toutes les procédures judiciaires comme cela se fait en France? En France, les victimes sont soutenues par un avocat qui représente leurs intérêts, en plus de l'avocat qui représente les intérêts de l'État. Votre idée d'avoir un avocat conseil pour les victimes dans les cas d'agression sexuelle, est-ce qu'elle ne devrait pas s'appliquer à toutes les victimes dans nos procès?

Mme Stoddart : C'est une excellente question, monsieur le sénateur. Je crains de dépasser mes compétences actuelles qui sont de s'occuper des questions de vie privée si je me hasarde à donner une réponse là-dessus; je n'ai pas d'expertise sur ce sujet. Je vais m'en tenir aux questions de la vie privée. Ce que j'ai essayé de vous dire tout à l'heure, ce n'est pas juste pour les questions de violence sexuelle où les gens craignent pour leur vie privée. Le groupe qui est le plus victime, on le sait maintenant et c'est ce qui a probablement beaucoup changé depuis que cette portion de la loi a été adoptée, ce sont des hommes qui se manifestent de plus en plus pour dire : « Il y a 20 ans, telle chose m'est arrivée » ou « Il y a 30 ans » et « Je n'ai pas osé en parler ». C'est nouveau depuis une décennie, je pense. Mais la majorité des victimes demeurent les femmes et les enfants en position de dépendance.

Justement, ces personnes sont par culture habituées à protéger les détails de leurs activités sexuelles et intimes comme taboues dans la société. Comme vous le dites, elles hésitent à se manifester, encore plus à venir devant un tribunal, sous quelque forme que ce soit, pour raconter les détails de leur agression devant un juge. C'est un processus qui en soi s'inscrit, je pense, en contradiction avec l'éducation qu'on continue à donner aux gens, et, historiquement, aux femmes et encore aux jeunes.

Donc, l'idée qu'il y ait toujours un avocat pour encourager, pour soutenir, pour parler, pour faire valoir les droits des victimes dans ces circonstances me semble une excellente façon de protéger leur vie privée.

Le sénateur Boisvenu : Une dernière question, très courte. On a adopté au Parlement une nouvelle loi sur les mégaprocès. Est-ce que cette loi ne devrait pas s'étendre également à la protection des victimes de groupes criminalisés qui, souvent aussi, vont peut-être hésiter à dénoncer ces groupes, et pour faire en sorte que leur information personnelle ne soit pas divulguée? Est-ce que le projet de loi ne devrait pas s'étendre aux victimes de groupes du crime organisé?

Mme Stoddart : C'est une excellente question, sénateur. Je ne connais pas ce projet de loi, je n'en ai pas pris connaissance et je n'hésiterais pas à vous répondre là-dessus autrement.

[Traduction]

Le président : Merci, sénateur.

Pour ce qui est des autres sénateurs, dont cinq souhaitent poser des questions, j'aimerais vous inviter à les formuler aussi brièvement que possible. Je sais qu'il existe des questions connexes qui sont très importantes et le fait d'avoir Mme Stoddard avec nous aujourd'hui nous donne l'occasion de les aborder, mais j'aimerais que vous essayiez de vous limiter à poser des questions sur le projet de loi que nous sommes en train d'examiner.

Le sénateur Angus : Bonjour, merci à tous les deux d'être venus. Nous essayons de procéder à l'examen de ce projet de loi — nous sommes un peu en retard, en 2011, mais nous avons quand même commencé en février dernier — et vous avez signalé certaines insuffisances auxquelles il pourrait être remédié et je vais vous poser des questions à ce sujet.

Dans son préambule, le projet de loi a mentionné que la crainte que des renseignements personnels soient publiés avait un effet dissuasif sur les victimes qui hésitaient, par conséquent, à rapporter des infractions. En gros, ce projet de loi a-t-il été utile sur ce point? À votre avis, a-t-il atteint ses objectifs ou a-t-il été un échec pour les raisons que vous avez mentionnées, à savoir, l'arrivée d'Internet et la prolifération des programmes comme celui d'Anna Maria Tremonti et le reste?

Mme Stoddart : J'estime que c'est une amélioration, cela est certain. Cependant, comme d'autres honorables sénateurs l'ont mentionné, je ne pense pas que nous disposions de données factuelles suffisamment solides pour savoir si, en réalité, il y a maintenant davantage de personnes qui sont prêtes à signaler des crimes. D'après ce que j'ai compris, il est difficile de savoir si les victimes possèdent, pour les raisons dont nous avons parlé — manque d'avocats, manque d'information, et le reste — suffisamment de connaissances pour prendre une décision objective au sujet de l'importance de signaler un crime. C'est peut-être une question sur laquelle votre comité pourrait insister, une question essentielle.

Le sénateur Angus : Je n'ai pas besoin d'obtenir une longue réponse, mais vous avez mentionné trois grandes catégories générales, si j'ai bien compris vos remarques préliminaires, qui pourraient être améliorées.

Est-ce que vous ou vos collaborateurs êtes en mesure de proposer un libellé pour les modifications qui pourraient être apportées à ce projet de loi ou avez-vous plutôt des idées générales au sujet de ces lacunes?

Mme Stoddart : Ce sont des idées générales. Je ne pense pas que nous ayons envisagé un libellé particulier.

Nous nous occupons de la protection de la vie privée dans les domaines civil et commercial. C'est peut-être là une question de spécialistes, de sorte que nous ne l'avons pas examinée. Nous sommes toutefois toujours disposés à vous aider si vous le souhaitez.

Le sénateur Angus : Vous avez parlé de l'habitude ou de la tendance des juges québécois — dans ce genre d'affaires, sans parler des autres — à formuler verbalement des décisions ou des commentaires qui ne sont pas toujours transcrits. On nous a parlé de ce genre de choses ailleurs. Cela se produit-il uniquement dans la province de Québec.

[Français]

Est-ce que cela se produit ailleurs dans d'autres provinces, d'après vous?

[Traduction]

Mme Stoddart : Je vais demander à M. Morris de vous répondre.

M. Morris : Je ne suis pas sûr que nous le sachions. D'après ce que j'ai compris des autres témoignages, c'est un problème particulier au Québec, mais que l'on retrouve également dans d'autres provinces. Il semble que toutes les décisions ne soient pas publiées. Elles sont difficiles à trouver.

Le sénateur Angus : Monsieur le président et chers collègues, n'avons-nous pas entendu des témoins déclarer que cela était en fait obligatoire ou s'agissait-il d'un nouveau projet de loi au sujet duquel nous recommandions de rendre la transcription obligatoire?

[Français]

Alors on s'occupe de ce problème-là.

[Traduction]

Le sénateur Lang : J'aimerais revenir sur un aspect que vous avez mentionné à la fin de votre exposé. C'était la question de l'Internet et de l'idée qu'il fallait au moins examiner la décision du tribunal de rendre publiques certaines choses et pas d'autres. Autrement dit, c'était le droit des citoyens d'avoir accès à certains renseignements.

J'aimerais savoir si vous pouvez nous en dire davantage sur ce sujet. Je crois que cela touche un certain nombre d'aspects. Bien évidemment, nous sommes très préoccupés par les victimes, par les témoins, chaque fois qu'ils comparaissent devant un tribunal, parce que nous voulons assurer la protection de leur vie privée.

Parallèlement, il y a de l'autre côté la question de l'accusé, qui est bien sûr innocent, tant qu'il n'a pas été déclaré coupable. Il semble toutefois que, lorsque ces renseignements sont rendus publics devant le tribunal, tout est rendu public. Si l'accusé est déclaré innocent, il demeure coupable devant le tribunal de l'opinion publique.

Je me demande si vous avez un commentaire à faire au sujet d'Internet et de la façon dont le monde évolue. Quelles sont les responsabilités que les législateurs doivent assumer pour concilier les droits de tous les intéressés qui se trouvent dans ce genre de situations?

Mme Stoddart : Merci d'avoir posé cette question. Je n'ai pas les réponses, mais à cause de nos activités, nous avons constaté que des personnes étaient vraiment choquées et venaient nous voir parce qu'on avait publié leurs renseignements personnels sur Internet, alors que tout ce qu'elles demandaient était d'obtenir justice devant des tribunaux administratifs. C'est de cette façon que nous nous sommes intéressés à ces aspects.

Il arrive que dans les débats, ceux qui défendent la position opposée disent que vous êtes contre la liberté d'expression et contre le principe de la publicité des débats. Je ne suis contre aucun de ces principes.

Je pense qu'il faut revoir et repenser le principe de la publicité des débats pour savoir si, dans un certain contexte, il était approprié pour la collectivité, pour les valeurs, peut-être, de l'époque — cela peut être contesté, mais c'était là les valeurs — et pour les moyens de communication qui existaient à l'époque.

C'est la raison pour laquelle il me paraît opportun que les honorables sénateurs examinent toute cette question — je sais que nos tribunaux en sont saisis, nos tribunaux administratifs également, et que cela dépasse les frontières du Canada — c'est la question de l'ampleur de la publicité dont peut faire l'objet notre processus judiciaire : qui, pourquoi, quoi et que devons-nous faire de ces renseignements.

Cela est relié à une autre question que nous nous posons de plus en plus souvent, à savoir ce que les Français appellent le droit à l'oubli. Dans le cas où quelqu'un est accusé de quelque chose, cela figure sur Internet, cela est public, les gens voient tout cela à la télévision et ensuite, l'accusé est déclaré innocent. Tout cela reste actuellement sur Internet, et de façon permanente.

Le sénateur Angus : Comme si vous étiez coupable.

Mme Stoddart : Oui. En France, il semble qu'il y ait une procédure — dont le nom m'échappe — qui permet d'obliger le fournisseur de services Internet à retirer tous ces renseignements d'Internet. Il n'existe rien de ce genre au Canada ou en Amérique du Nord, mais j'estime que ce sont là des questions importantes. L'arrivée de ces nouveaux moyens technologiques, notamment la télédiffusion des procès et l'affichage d'images sur Internet ont radicalement modifié l'administration de la justice. J'estime qu'il faudrait examiner davantage cet aspect.

[Français]

Le sénateur Joyal : Je voudrais revenir au texte de loi lui-même que nous avons à l'étude. À l'article 278.5(2), dans la liste des facteurs à considérer, vous l'abordez dans votre présentation, est-ce que, d'après vous, nous devrions réviser cette liste de facteurs pour en ajouter ou en préciser certains, je pense en particulier au sous-paragraphe e) de l'article qui dit : « Le préjudice possible à la dignité ou à la vie privée de toute personne à laquelle il se rapporte. »

[Traduction]

Le risque d'atteinte à la dignité du plaignant et à son droit à la vie privée si son dossier était public.

[Français]

Est-ce que, selon vous, dans la loi, les critères de détermination du juge sont suffisants ou devrions-nous recommander de les réviser? C'est ma première question.

Mme Stoddart : Merci, sénateur. D'après ce que j'ai pu étudier, n'étant pas moi-même spécialiste en droit criminel, avec cette limitation, je ne comprends pas que la liste présente des omissions notables. Ce que je comprends, c'est qu'il serait souhaitable, du point de vue de la protection de la vie privée pour laquelle je suis ici, que les juges incluent toujours un commentaire sur la protection de la vie privée. Donc, s'il y avait un possible changement, ce serait pour encourager les juges — je ne sais pas s'il faut changer la loi — à toujours être sûr de regarder les faits concernant la protection de la vie privée.

Le sénateur Joyal : En d'autres mots, ce que vous suggéreriez c'est que, dans l'ordonnance à rendre, le juge devrait préciser les motifs retenus parmi les facteurs à considérer. Car selon le libellé de l'article, et M. Morris, pourra le confirmer, on dit que « le juge doit prendre tous les facteurs ci-après en considération ». Le texte dit bien : « et en particulier tient compte des facteurs suivant ».

[Traduction]

En anglais : « the judge shall take the following factors into account ».

[Français]

En d'autres mots, un juge qui a devant lui une requête doit considérer les facteurs a) et h), soit environ sept facteurs; et ce que vous souhaitez, c'est que le juge qui rend une décision, une ordonnance, devrait justifier auquel des facteurs il accorde un poids et pour quelle raison. En d'autres mots, vous voulez une décision justifiée.

Mme Stoddart : Une décision, d'abord, qui est notée, qui est plus explicite et qui est toujours motivée. Je pense que cela nous aiderait.

Le sénateur Joyal : Et, comme le dit le sénateur Angus, nous avons déjà adopté un projet de loi, récemment, qui contient une disposition semblable à celle-là.

Ma deuxième question concerne l'article suivant, 278.7(3), les conditions de publication. Dans les circonstances qui pourraient amener un juge à limiter la publicité du dossier de la victime, est-ce que ces motifs sont suffisants ou devrions-nous en considérer d'autres selon votre évaluation? En particulier, je pense au cas d'Internet, évidemment, qui est un facteur maintenant incontournable dans la décision d'un juge sur la publicisation du dossier. Auparavant, c'était dans les journaux et c'était plus facile de contrôler la publication. Maintenant, la publication est incontrôlable, ou à peu près, tant qu'on n'a pas une obligation précise, comme vous le mentionniez tantôt en rappelant qu'il y a dans la législation française un droit à l'oubli, c'est-à-dire qu'il y ait spécifiquement dans l'ordonnance du juge la prohibition de l'utilisation sur Internet des informations relatives à la victime.

En d'autres mots, je répète ma question, est-ce que dans ces conditions, elles sont suffisantes, eu égard au contexte de communication électronique actuelle ou devrions-nous considérer un amendement pour ajouter ou préciser l'un de ces motifs de communication?

Mme Stoddart : Je vous remercie de la question. Avec votre permission, je vais la référer à M. Morris, qui a fait une étude plus détaillée que moi de la loi.

M. Morris : Je dirais que la liste des conditions qui se trouvent dans l'alinéa 3, c'est seulement une liste non exhaustive. Il y a toujours la discrétion du juge d'ajouter d'autres conditions qui ne se trouvent pas dans la liste. C'est comment je lis l'article. Cela parle notamment des conditions suivantes, « notamment ». Il y a une flexibilité dans la loi qui est une bonne chose.

De plus, pour l'utilisation subséquente, je vous référerais au paragraphe 5 qui parle aussi de l'utilisation subséquente des données qui se trouvent dans le dossier. Je pense que cela peut aider.

Il y aurait peut-être d'autres facteurs qui pourraient aider afin de guider le juge dans l'exercice de sa discrétion mais il faudrait peut-être une étude plus approfondie de cette question.

Le sénateur Joyal : La loi remonte à 1996, Internet n'était pas ce qu'il est aujourd'hui. Il est évident que lorsqu'on dit aux juges « notamment », les juges d'après l'interprétation traditionnelle et le sénateur Baker confirmera ma perception, les juges se limitent normalement aux motifs énumérés et ils hésitent généralement d'aller au-delà à moins d'un cas patent tellement extraordinaire ou excessif, que cela devient une chose inacceptable pour la réputation du système judiciaire.

Mais il me semblerait que dans les conditions, on devrait tenir compte de la diffusion électronique qui existe et qui fait beaucoup plus de ravages que tout ce qu'on peut considérer être les motifs, qui pouvaient auparavant justifier la limitation de la circulation. En d'autres mots, la technologie a complètement rendu presque obsolète l'interprétation traditionnelle qu'on donnait à la portée des conditions. C'est la façon dont je la vois.

Ceci m'amène à conclure qu'on devrait considérer dans les conditions dont les juges devraient prendre en compte, en particulier celui de la diffusion sur Internet pour protéger davantage les droits de la victime à la vie privée.

[Traduction]

Le président : Sénateur Joyal, je pense que le témoin a répondu à votre question, n'est-ce pas? Je crois savoir ce que vous pensez sur ce sujet.

Le sénateur Joyal : Ils semblent hocher la tête, mais la transcription ne montrera pas qu'ils sont d'accord.

Le président : Je pensais que ce qu'ils avaient dit constituait une réponse à votre question. Cependant, très brièvement, si vous voulez ajouter quelque chose, n'hésitez pas.

Mme Stoddart : Le sénateur Joyal a posé une question importante. Il n'a pas que l'Internet, il y a aussi le phénomène du tweeting. Tout le monde peut tweeter une audience publique, sur les marches du palais de justice, par exemple. Nous pourrions peut-être prendre le temps d'examiner cette question et vous répondre par écrit.

[Français]

Le sénateur Joyal : C'est « toute diffusion électronique », pas seulement Internet.

[Traduction]

Le sénateur Angus : Un tribunal peut toujours décider de siéger à huis clos. Si je comprends bien, cela est rendu public, même lorsque le tribunal siège à huis clos. Cependant, le sténographe judiciaire enregistre les débats et l'on retrouve une version non censurée sur Internet, parce que les gens peuvent naviguer sur Internet et obtenir la transcription des débats. Par conséquent, si nous recommandons des modifications, il se pourrait qu'il faille prévoir certains contrôles même pour les audiences à huis clos.

Le président : Nous pourrions revenir sur ce point à un moment approprié. C'est une bonne remarque.

Le sénateur Frum : Pour ce qui est des avocats indépendants — vous recommandez que l'accès à ces avocats soit facilité parce qu'ils n'interviennent que dans la moitié des dossiers, vous avez parlé des plaignantes, mais également pour les témoins — je me demande si vous pouvez aborder cette question du point de vue des préoccupations des témoins en matière de protection de la vie privée. Y a-t-il des cas où leurs dossiers personnels sont également demandés? Y a-t-il des préoccupations particulières du point de vue des témoins?

Mme Stoddart : Merci d'avoir posé cette question. Je ne connais pas suffisamment la jurisprudence sur ce point pour vous répondre. Je me demande si mon collègue a eu la possibilité d'examiner ces affaires concrètes et quelle est la situation.

M. Morris : Je n'ai pas trouvé d'affaire — et je suis sûr qu'il en existe un certain nombre — concernant uniquement des témoins. Bien évidemment, il y a les affaires où le plaignant témoigne et où l'on cherche à obtenir des renseignements personnels le concernant. Je dirais — et ce n'est qu'une simple hypothèse — que c'est sans doute la situation la plus fréquente. L'accusé essaie probablement de réfuter la version des événements fournis par la plaignante, et c'est à ce moment-là que l'accusé pourrait demander les dossiers personnels de cette dernière.

Le sénateur Frum : Je pense que l'intention de cette loi est de permettre aux plaignantes et aux victimes de se faire connaître, mais il y a bien évidemment le fait que les témoins sont parfois obligés de témoigner. Je dirais donc qu'ils se trouvent dans une situation qui dépend moins de leur volonté et je ne sais donc pas s'ils ont un intérêt spécial dans ce domaine.

Vous avez également mentionné l'augmentation des cas d'agression sexuelle au Nunavut et dans les Territoires du Nord-Ouest. Sur le plan des demandes de renseignements personnels dans une région donnée du pays, ou dans ce territoire particulier, existe-t-il une corrélation entre le nombre des affaires d'agression sexuelle et celui des demandes de renseignements personnels? Avez-vous cette information?

Mme Stoddart : Je n'ai pas pu déterminer si l'étude permettait vraiment de savoir ce qui se passait, et c'est la raison pour laquelle j'ai dit au comité que je pense que nous devrions disposer de statistiques à jour. J'ai été très surprise de constater que les seules statistiques dont j'ai pu prendre connaissance remontaient à 2000 et 2004, et qu'elles étaient fondées sur des données publiées quelques années auparavant.

Pour cette question de la corrélation, qui est au cœur de l'effet positif que doit avoir cette loi, je dirais que nous ne disposons pas de suffisamment d'information sur la façon dont elle fonctionne. Je crois que nous sommes tous les deux un peu dans le noir sur ce sujet.

Le sénateur Meredith : Dans votre déclaration, Mme Stoddart, vous avez affirmé que l'agression sexuelle était un des crimes les moins rapportés, sinon le moins rapporté, principalement en raison du fait que les victimes souhaitent protéger leur vie privée. C'est un grave problème, quand je pense au grand nombre de jeunes qui résident sur les campus universitaires. Nous savons que de plus en plus d'étudiantes sont agressées, et qu'elles estiment que bien souvent, les institutions qu'elles fréquentent ne les protègent pas.

Quelles sont les recommandations que vous présenteriez au comité pour que ces victimes signalent davantage ces agressions? Si elles ne les rapportent pas, les auteurs de ces agressions vont continuer à en commettre. C'est là pour moi la question fondamentale que soulèvent les lois que nous adoptons pour protéger ces personnes.

Pourriez-vous nous en dire davantage sur ce que vous recommanderiez pour augmenter le nombre des signalements de ces infractions et pour que les victimes aient l'assurance que la loi et les tribunaux les protégeront pendant qu'elles se réadaptent à la société et essaient de poursuivre leur vie de façon à peu près normale?

Mme Stoddart : Merci, honorable sénateur. Nous recommandons d'aider d'une façon générale les organisations et les centres de défense des droits des victimes. Ces organisations jouent un rôle clé, en particulier dans le monde informel des campus universitaires; ce sont des organisations qui peuvent donner des renseignements exacts, assurer un accompagnement et fournir des conseils, ensuite, peut-être de façon un peu plus coûteuse — et là je crois que cela touche les compétences provinciales — faciliter l'exercice du droit aux services d'un avocat. Si vous n'avez pas les moyens d'avoir un avocat, un des honorables sénateurs a mentionné le fait que le gouvernement ne vous le fournit pas. Il est paradoxal de savoir que l'accusé peut lui obtenir de l'aide juridique, mais que les victimes ne le peuvent pas. C'est peut-être une différence fondamentale qu'il serait temps de revoir.

Je pense qu'il est essentiel de prendre des mesures concrètes comme celles-ci, qui assurent un accompagnement, et la garantie d'obtenir de l'information et la protection d'un professionnel.

Le sénateur Meredith : Monsieur Morris, voulez-vous faire un commentaire?

M. Morris : Non, je n'ai rien à ajouter.

Le sénateur Jaffer : Commissaire, j'ai trouvé que votre exposé était intéressant, en particulier sur la question des avocats indépendants et sur celle des défenseurs de la victime; également votre dernière remarque. Le principal rôle du procureur de la Couronne est, bien sûr, de diriger les poursuites, l'avocat de la défense a son rôle et il arrive que la victime soit laissée de côté.

Je pense que cela est particulièrement vrai pour les affaires d'agression sexuelle, je sais que vous serez d'accord avec moi, lorsque je dis que ces affaires touchent un aspect essentiel de la personne, à la différence de toutes les autres affaires. Le fait d'avoir à fournir des dossiers psychologiques, des dossiers médicaux, notamment s'il y a une sorte de recherche à l'aveuglette, peut complètement détruire une personne.

D'après les documents qui nous ont été transmis, les responsables des poursuites pénales de la Nouvelle-Écosse affirment fournir les services d'un avocat indépendant, ou du moins, ils le font à l'heure actuelle. Je ne sais pas si cela vaut à l'échelle du pays. Je sais que dans ma province, la Colombie-Britannique, l'aide juridique est un grave problème.

J'aimerais préciser une chose. Nous demandez-vous de recommander de modifier le Code criminel pour qu'il soit obligatoire de fournir les services d'un avocat à la victime d'une agression sexuelle lorsque l'on demande la communication des dossiers de la victime? Est-ce bien ce que vous proposez?

Mme Stoddart : Merci pour cette question. Je dois dire, honorable sénateur, que nous n'avons pas eu la possibilité d'examiner cet aspect en détail. Je ne pense pas que nous possédions l'expertise qui nous permettrait de vous fournir des observations détaillées sur la procédure pénale ni sur des questions qui risquent de toucher les compétences provinciales. Je ne pourrai vous donner une opinion sur le palier de gouvernement qui est le mieux placé pour garantir, par une disposition légale, le droit des victimes aux services d'un avocat.

Le comité pourrait étudier ou faire faire des études sur cette question par des personnes qui en connaissent davantage que nous. C'est notre idée. Nous disons que si la victime ne veut pas qu'il soit porté atteinte à sa vie privée, si elle a été victime d'une agression sexuelle, une des meilleures façons de la protéger est de lui donner le droit aux services d'un avocat qui va la représenter, qui connaît le droit, qui peut l'informer et la protéger.

Je ne suis toutefois pas en mesure de vous dire quelle est la meilleure façon d'y parvenir.

Le sénateur Jaffer : À la quatrième page de votre exposé, la dernière puce, j'ai compris que vous disiez qu'il faudrait obliger les juges, aux termes du Code criminel, à nommer un avocat indépendant. Il faudrait alors modifier le Code criminel, si je vous ai bien comprise.

Mme Stoddart : Oui, c'est ce que j'ai affirmé. Cela pourrait être ajouté. Je parlais sans doute des questions plus fondamentales concernant le pouvoir des juges de nommer un tel avocat, mais il faut alors que quelqu'un rémunère ces services. Je fais très attention de ne pas aller plus loin sur cet aspect pour cette raison.

Le sénateur Runciman : Il est toujours très difficile actuellement de financer les programmes d'aide juridique, non seulement en Colombie-Britannique, mais dans les autres provinces et territoires. C'est l'obstacle auquel nous nous heurtons.

Je pense que tout le monde est d'accord avec ce que vous dites. Vous n'êtes pas chargée de réunir des données dans ce domaine. J'aimerais tout simplement savoir s'il existe d'après vous, des données concernant les ordonnances qui sont refusées plus fréquemment, par exemple, si la plaignante est représentée par un avocat. Avez-vous des renseignements là-dessus? Je sais que d'une façon générale, les renseignements sont insuffisants dans ce domaine.

Mme Stoddart : Je vais demander à M. Morris de vous répondre. Je crois avoir vu une étude qui portait sur la corrélation entre la présence d'un avocat et l'accès aux dossiers personnels de la victime. Est-ce bien exact?

M. Morris : Oui, je crois que cela a été mentionné par Mme Busby au cours de son témoignage. La recherche portait sur l'incidence de la présence d'un avocat indépendant. Les auteurs ont constaté qu'un avocat avait un effet sur le type de divulgation ou du moins, qu'il jouait un rôle important pour ce qui est de faire ressortir l'importance de ce qui était en jeu pour la plaignante.

Il y a également eu une étude ponctuelle effectuée par le ministère de la Justice ou pour le ministère de la Justice, au début des années 2000, qui est également mentionnée dans ce témoignage, et qui fait état de diverses entrevues avec des avocats et des juges.

Le sénateur Runciman : Pour revenir à ce qu'a dit le sénateur Meredith au sujet du nombre d'agressions qui ne sont pas rapportées et vous avez parlé des centres de lutte contre les agressions sexuelles et le reste, qui est responsable de tout cela? Vous occupez-vous de ce genre de diffusion de l'information?

Mme Stoddart : Non, pas du tout. Ce sujet ne fait pas partie — je ne dirais pas totalement — de ceux dont nous sommes en mesure de parler, mais il touche les extrêmes limites de la mission que le Parlement nous a attribuée, à savoir administrer la Loi sur la protection des renseignements personnels et la LPRPDE. La LPRPDE régit les renseignements personnels dans un contexte commercial et la Loi sur la protection des renseignements personnels dans un contexte gouvernemental civil. Notre mission n'englobe aucunement le monde de l'administration du droit pénal. C'est la raison pour laquelle je suis très réticente à aborder ce domaine. Nous n'avons pas l'expertise nécessaire, ni même un mandat dans ce domaine.

Le sénateur Runciman : Le droit à un avocat, cette information est envoyée dans les bureaux de défense des victimes, j'imagine, par la justice. Est-ce bien cela? Qui fournit cette information? Qui sensibilise ces personnes? Je suis curieux : est-ce que ce genre d'information est envoyée aux psychiatres ou aux organismes professionnels, aux thérapeutes?

Mme Stoddart : Le droit aux services d'un avocat?

Le sénateur Runciman : Nous pouvons parler de la personne qui a subi une agression et qui n'a pas été dans un centre de défense des victimes. Supposons qu'elle aille voir un psychiatre ou un thérapeute. Il me semble que les organismes professionnels devraient être eux aussi au courant de ce droit.

Mme Stoddart : Je crois que les questions d'administration de la justice sont principalement provinciales, de sorte que le financement de l'aide juridique, comme les sénateurs l'ont mentionné, est provincial. Il se peut que les ministères de la Justice des provinces et des territoires diffusent cette information. Je pense toutefois que le gouvernement fédéral accorde un financement aux groupes d'aide aux victimes et aux groupes de défense des droits des victimes. Je peux dire que le gouvernement fédéral s'intéresse davantage à cette question depuis quelque temps. Il se peut que cette source transmette également cette information.

Le sénateur Runciman : Je pense que vous avez recommandé et fait observer, au sujet des décisions des juges, que la plupart de ces décisions étaient rendues oralement, de sorte que nous n'avons pas de transcription à laquelle nous référer ou que d'autres juges peuvent examiner. Vous recommandez qu'il soit obligatoire que ces décisions soient rendues par écrit?

Mme Stoddart : J'hésiterais à dire que toutes les décisions doivent être rendues par écrit parce que nous savons que les juges, comme tout le monde, sont surchargés de travail et qu'ils ont peut-être d'excellentes raisons pour fournir leurs motifs uniquement oralement. Ces motifs devraient normalement être enregistrés et transcrits, mais on peut se demander pourquoi les chercheurs qui essaient de savoir si cette loi donne de bons résultats, si elle a des effets positifs, n'ont pas accès à cette transcription. Ce serait la nuance que j'apporterais, sénateur.

Le sénateur Fraser : Je me demandais pourquoi vous limitiez votre remarque aux recherchistes.

Mme Stoddart : Ce sont des audiences à huis clos. Je parle de cette partie particulière du Code criminel. La transcription devrait être — il faudrait que —

Le sénateur Fraser : Je comprends. Merci.

Le président : Voilà qui conclut notre séance d'aujourd'hui. Au nom de tous les honorables sénateurs, je tiens à remercier Mme Stoddart et M. Morris. Comme d'habitude, vous nous avez présenté un exposé très utile, d'excellentes suggestions qui seront examinées très sérieusement par notre comité, je peux vous l'assurer.

(La séance est levée.)


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