Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 5 - Témoignages du 16 novembre 2011
OTTAWA, le mercredi 16 novembre 2011
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui, à 16 h 19, afin d'examiner, pour en faire rapport, les dispositions et l'application de la Loi modifiant le Code criminel (communication de dossiers dans les cas d'infraction d'ordre sexuel), L.C. 1997, ch. 30.
Le sénateur John D. Wallace (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour. Je souhaite la bienvenue à nos invités et aux membres du public qui regardent la séance d'aujourd'hui sur le réseau CPAC. Je suis le sénateur Wallace; du Nouveau-Brunswick, et je suis le président du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.
Nous sommes réunis pour la quatrième fois aujourd'hui afin d'examiner, pour en faire rapport, les dispositions et l'application de la Loi modifiant le Code criminel concernant la communication de dossiers dans les cas d'infraction d'ordre sexuel.
En réponse à l'arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l'affaire R. c. O'Connor, le Parlement a adopté en 1997 le projet de loi C-46, la Loi modifiant le Code criminel concernant la communication de dossiers dans les cas d'infraction d'ordre sexuel, créant ainsi le cadre législatif actuel prévu aux articles 278.1 à 278.91 du Code criminel.
Le projet de loi C-46 visait à renforcer la protection de la vie privée et les droits à l'égalité des plaignants dans des causes relatives à des infractions d'ordre sexuel en limitant la communication des dossiers privés détenus par des tiers à l'accusé. Le projet de loi a inscrit dans le code la liste des motifs jugés insuffisants pour obtenir l'accès à des dossiers personnels ou thérapeutiques, ainsi que les facteurs dont le juge devrait tenir compte au moment de déterminer si les dossiers devraient ou non être communiqués, y compris le droit du plaignant à la vie privée et à l'égalité, et le droit de l'accusé à une défense pleine et entière.
Dans le préambule du projet de loi, on insistait sur les préoccupations du Parlement au sujet de la violence sexuelle à l'endroit des femmes et des enfants et sur la nécessité d'encourager les victimes à signaler les infractions d'ordre sexuel. On y indiquait que la crainte que des informations personnelles soient rendues publiques avait un effet dissuasif sur les victimes qui auraient peut-être autrement signalé l'agression sexuelle aux autorités et se seraient prévalues des traitements nécessaires.
Le Sénat a autorisé le comité à étudier les dispositions et l'application de la loi le 4 octobre 2011. Le comité avait déjà tenu deux réunions sur ce sujet à la dernière session parlementaire. En février 2011, il avait entendu des représentants du ministère de la Justice, du Service des poursuites pénales du Canada et de Statistique Canada, ainsi que Mme Karen Busby, professeure à la Faculté de droit de l'Université du Manitoba.
Dernièrement, le comité a reçu Jennifer Stoddart, Commissaire à la protection de la vie privée du Canada, ainsi que des représentants de l'Association canadienne des centres contre les agressions à caractère sexuel, des Services aux Victimes d'Ottawa, de la Coalition d'Ottawa contre la violence faite aux femmes, du Centre d'aide aux victimes de viol d'Ottawa et du Conseil canadien des avocats de la défense.
Chers collègues, je suis extrêmement heureux d'accueillir aujourd'hui Donald Stuart, professeur à la Faculté de droit de l'Université Queen's. M. Stuart enseigne le droit pénal, et plus particulièrement la procédure pénale. Il est l'auteur de nombreux ouvrages et articles sur le droit pénal.
Nous sommes fort honorés que vous soyez avec nous aujourd'hui, même s'il faut recourir à la vidéoconférence. Nous sommes heureux que vous ayez accepté notre invitation et avons hâte d'entendre votre avis sur le projet de loi C- 46. Sans plus tarder, nous allons écouter votre déclaration préliminaire, puis je suis certain que chaque membre du comité aura des questions à vous poser.
Donald Stuart, professeur, Faculté de droit, Université Queen's, témoignage à titre personnel : Je vous remercie de l'invitation. De plus, la vidéoconférence m'a évité d'annuler des cours de droit, ce qui aurait perturbé la faculté. Veuillez m'excuser à l'avance de ne pas pouvoir m'exprimer en français.
J'ai lu les témoignages des séances précédentes, et j'aimerais que vous teniez compte de quatre éléments.
Pour commencer, toute modification du Code criminel qui compliquerait encore l'obtention de documents de tiers, dans les cas d'agression sexuelle, se traduirait inévitablement par le succès de contestations fondées sur la Charte. C'est pourquoi je suis d'avis que vous ne devriez rien changer.
En deuxième lieu, le Parlement a adopté le point de vue de la juge L'Heureux-Dubé selon laquelle les dossiers devraient rarement être admis en preuve. Je pense que cette vision s'est imposée et que les dossiers ne sont pas souvent accessibles. Dans ce contexte — et c'est mon principal argument d'aujourd'hui —, je crois qu'il est malheureux que le Parlement se soit appuyé sur l'interprétation faite dans Mills pour adopter les dispositions qui ont trait au critère de la pertinence vraisemblable et qui empêchent les juges de consulter un dossier avant de rendre leur décision. Ces dispositions pourraient être injustes envers certains accusés et sont bien trop complexes.
Troisièmement, les affirmations du Parlement et de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Mills sur les droits à l'égalité des plaignants dans les cas d'agression sexuelle ont manifestement donné lieu à des difficultés et des anomalies.
Pour terminer, à l'instar d'autres témoins, je crois moi aussi qu'il faut absolument étudier davantage la situation avant même d'envisager toute modification de la loi actuelle.
Puisque je n'ai que sept minutes, je pourrai vous donner des précisions en répondant à vos questions.
Avant tout, j'aimerais préciser que je reste toujours prudent lorsque je parle d'agressions sexuelles. Tout d'abord, nous savons tous que l'agression sexuelle est un crime qui passe très souvent sous silence. De plus, il ne faut pas oublier que nous avons les lois les plus sévères du monde occidental en matière d'agressions sexuelles.
Nous avons des textes législatifs sur la protection des victimes de viol qui s'appliquent aussi à leur comportement sexuel passé avec l'accusé. Nous nous sommes également débarrassés de nombreuses dispositions discriminatoires concernant la preuve. Nous définissons l'agression sexuelle de façon très générale; les infractions de première catégorie, celles qui font l'objet du plus grand nombre de procès, peuvent englober ce que nous appelions le viol, un baiser non désiré ou d'autres formes d'attouchements sexuels. Je sais que ce n'est pas à l'ordre du jour, mais je crois que nous avons considérablement banalisé le viol en le catégorisant ainsi.
De plus, malgré nos lois très sévères, je pense qu'il est évident que les plaignants hésitent encore à signaler ces crimes au système juridique. Par conséquent, je ne vois pas comment il pourrait être utile de durcir les lois, y compris celles dont il est question aujourd'hui. La sensibilisation est une bien meilleure solution.
L'an dernier, une étudiante m'a avoué avoir été agressée sexuellement — sous le sceau de la confidentialité, bien sûr. Je lui ai recommandé de s'adresser à un conseiller aux victimes d'agression sexuelle. Plus tard, elle m'a confié que cette personne lui avait conseillé de ne pas se donner la peine de signaler l'agression aux autorités puisqu'elle n'arriverait jamais à en faire la preuve.
J'étais scandalisé. J'ai alors voulu la persuader de s'adresser au service de police, mais elle avait déjà décidé de ne pas le faire. Je pense donc que les renseignements et les conseils qu'elle a reçus n'étaient pas appropriés.
En conclusion, je crois qu'au moment d'étudier la communication des dossiers, il faut absolument tenir compte d'une réalité indéniable : dans une affaire d'agression sexuelle, il arrive que le juge et même les jurés acquittent le prévenu. Il ne s'agit pas nécessairement de sexisme. Je pense plutôt que certaines affaires d'agression sexuelle portées devant les tribunaux sont difficiles à élucider si l'on tient compte de la présomption d'innocence et de la preuve hors de tout doute raisonnable.
Lorsqu'on envisage d'assouplir les mesures législatives entourant l'accès aux dossiers de tiers, il ne convient pas de fonder la décision sur le genre d'affaires dont le dénouement saute aux yeux, pour lesquelles aucune défense n'est possible et qui mèneront vraisemblablement à une déclaration de culpabilité. Il faut plutôt penser aux cas où, par exemple, il y a divergence au sujet de l'existence d'un consentement entre deux parties qui étaient auparavant manifestement consentantes.
Il faut également penser aux affaires impliquant plusieurs personnes et une grande consommation d'alcool, et pour lesquelles il convient de vérifier la crédibilité des témoins. C'est dans ce contexte qu'il faut envisager la question de l'accès aux dossiers.
J'ignore combien de temps il me reste. Je peux vous expliquer mes arguments maintenant ou bien en réponse aux questions.
Le président : Monsieur, on vous a dit que vous aviez sept minutes, mais prenez le temps qu'il vous faut. Ce que vous dites est très important à nos yeux. Ne vous pressez pas.
M. Stuart : Je vous ai fait parvenir des notes en anglais, mais elles n'ont sûrement pas été traduites puisque j'ai seulement eu un préavis de deux jours. Vous devriez les avoir.
J'aimerais aussi préciser que je ne cherche à réprimander personne. Le comité est passé maître dans l'art de comprendre ce type d'arsenal législatif très complexe. Seuls deux éléments me préoccupent. Je ne m'en fais vraiment pas pour le reste, que la Cour a déclaré constitutionnel dans l'arrêt Mills.
Mes quatre préoccupations touchent l'assertion du préambule de la loi sur les droits à l'égalité, d'une part, et d'autre part, le critère de pertinence vraisemblable, qui est vraiment complexe, comme vous le savez tous. Il s'agit du paragraphe 278.3(4) de la loi. Ce n'est que la première partie de l'étape initiale. L'article 278.5 me préoccupe aussi, car il complique la tâche au juge qui voudrait jeter un coup d'œil au dossier avant de décider s'il sera ensuite remis à l'accusé ou non.
Tout d'abord, je m'oppose à l'adoption d'amendements plus restrictifs. Je pense que certains témoins vous ont proposé de retourner au privilège absolu pour ce type de matériel. À mon avis, une telle décision se traduirait inévitablement par le succès de contestations fondées sur la Charte. J'aimerais rappeler à tout le monde que c'est la juge L'Heureux-Dubé qui, dans l'arrêt O'Connor, s'est opposée à l'octroi d'un privilège générique sous prétexte qu'on pourrait toujours le violer en invoquant le droit de présenter une défense pleine et entière. Elle a alors eu l'idée géniale d'établir un équilibre entre les droits garantis par la Charte, une solution pleine de créativité qui lui a demandé beaucoup de travail. Elle croit qu'il faut mettre sur un pied d'égalité le droit à la vie privée et les droits à l'égalité afin de contrebalancer la défense pleine et entière. Nous savons tous que, grâce à l'arrêt Mills, l'ensemble de ce processus est désormais légitime en vertu de la Charte. Puisque l'équilibre est atteint, apporter des modifications à ces dispositions ne ferait qu'alimenter les contestations fondées sur la Charte.
En deuxième lieu — et c'est le plus important —, je crois que la juge L'Heureux-Dubé voulait s'assurer que les avocats de la défense n'ont pas souvent accès aux dossiers. Elle a atteint son objectif sans l'ombre d'un doute. Selon les statistiques recueillies par le ministère de la Justice, entre autres, l'information est rarement communiquée dans ces affaires, qu'il s'agisse d'un dossier thérapeutique, de l'agenda ou du journal intime de l'accusé, d'un dossier médical ou de tout autre document. Toutefois, les dossiers ont parfois dû être communiqués.
Je pense que la juge a bel et bien atteint son objectif à cet égard, mais je me demande si les mesures entourant la pertinence vraisemblable sont équitables pour tous les accusés, surtout lorsqu'il y a matière à procès au sujet du consentement de la victime ou d'une croyance erronée.
J'aimerais vous présenter cinq arguments supplémentaires à ce sujet. Tout d'abord, la juge L'Heureux-Dubé a expliqué dans l'arrêt O'Connor qu'on devrait rarement avoir accès à ces documents parce que les dossiers thérapeutiques, comme ceux que produisent les centres d'aide aux victimes d'agression sexuelle, ne cherchent pas à établir la vérité. La plupart des conseillers aux victimes d'agression sexuelle ne demandent pas à la victime si ce qu'elle raconte est véritablement arrivé, ou si c'était aussi pénible qu'elle le prétend. Il s'agit plutôt d'un contexte d'aide et de soutien.
Je suis tout à fait d'accord avec elle, mais n'oublions pas que les cinq autres juges de l'affaire O'Connor n'ont eu aucun mal à imaginer des situations dans lesquelles l'accusé devrait avoir accès aux dossiers. Ils ont notamment mentionné la façon dont une plainte est formulée et les traitements visant à influencer la mémoire. En passant, je vous signale que, dans l'arrêt Trochym, la Cour suprême du Canada a effectivement déclaré que les témoignages posthypnotiques sont tellement peu fiables qu'ils ne devraient jamais être admis en cour. Si c'était le cas dans cette affaire, il aurait été justifié de divulguer le dossier thérapeutique.
On peut donc imaginer des situations dans lesquelles les dossiers devraient finalement être divulgués à l'avocat de la défense, et pas seulement les dossiers thérapeutiques.
Naturellement, le Parlement s'est rangé du côté de la juge L'Heureux-Dubé. Ce sont des avocats impressionnants et remarquables qui ont rédigé le projet de loi. Ils ont conçu ce système complexe pour qu'il soit encore plus difficile d'accéder aux dossiers. Ils vous diront qu'ils ont atteint leur objectif.
Plus particulièrement, le paragraphe 278.3(4) du Code criminel est l'une des raisons pour lesquelles les dossiers sont difficilement accessibles. On y trouve toute une liste de simples allégations qui ne suffisent pas à démontrer la pertinence d'un dossier. La liste est interminable. On aurait difficilement pu compliquer davantage la tâche des avocats de la défense. On ne peut obtenir un dossier en affirmant qu'il existe, qu'il contient une déclaration antérieure incompatible, qu'il se rapporte à la crédibilité du témoin, qu'il porte sur l'événement faisant l'objet du litige ou qu'il se rapporte à l'existence ou à l'absence d'une plainte récente. Je comprends ce dernier élément, mais il y en a d'autres.
Par exemple, on ne peut simplement alléguer qu'un dossier est pertinent parce qu'il porte sur l'événement en question ou qu'il contient une déclaration antérieure incompatible. Or, l'ensemble de notre système juridique repose sur le droit de contre-interroger et de relever les incohérences et les problèmes de crédibilité. Dans l'arrêt Mills, la Cour suprême du Canada a interprété la disposition de façon restrictive et a dit qu'elle n'est pas aussi terrible qu'une personne comme moi pourrait le prétendre, puisqu'on y lit uniquement que la simple allégation d'un avocat ne suffit pas à prouver la pertinence d'un document. Un avocat ne peut se contenter d'affirmer que le dossier thérapeutique pourrait être pertinent; ce n'est pas assez. Le document doit servir à établir la preuve. C'est dans cet esprit que la Cour a interprété la disposition lorsqu'elle l'a déclarée constitutionnelle.
Le problème, c'est que la Cour a dit que l'enquête préliminaire pourrait servir à établir le fondement probatoire du dossier. Or, aucune enquête préliminaire n'est réalisée dans la plupart des procès pour agression sexuelle, et c'est ainsi depuis longtemps. Même si j'ignore dans quelle mesure, je sais que bon nombre des procès ont lieu dans des tribunaux provinciaux sans aucune enquête préliminaire. Vous savez certainement que celles-ci ont été limitées, et qu'elles ne sont pas obligatoires dans les cas d'agression sexuelle, même lorsqu'une cour supérieure est saisie de l'affaire. Je me demande donc s'il est réaliste ou probable qu'un avocat de la défense trouve la preuve nécessaire.
Un avocat de la défense qui veut convaincre un juge de la pertinence vraisemblable d'un dossier doit aller au-delà des simples allégations. Il doit produire une preuve pour appuyer ses propos. Tel que le système a été conçu au Parlement, n'oubliez pas que ni l'avocat de la défense ni le juge ne peuvent habituellement consulter le dossier. Les deux en ignorent totalement le contenu.
Dans la deuxième et dernière étape du stade initial du processus établi par le Parlement, le juge doit tenir compte de toute une liste d'éléments en vertu de l'article 278.5. Lors de mes dernières comparutions, j'ai remarqué que les sénateurs Baker et Joyal s'indignaient de ce que les juges n'appliquent pas obligatoirement cette disposition, qui leur demande de prendre en considération le droit à une défense pleine, à la vie privée et à l'égalité, en plus de toute une liste de principes plutôt généraux, qui se trouvent aux alinéas a) à h) de l'article 278.5.
Nous savons tous pourquoi les juges ne vérifient pas les critères un à un et ne justifient pas leur décision pour chacun d'eux. En effet, dans l'arrêt Mills, la Cour suprême du Canada a interprété la disposition de façon restrictive en affirmant que les juges n'avaient pas à procéder à une évaluation probante et approfondie de chaque facteur à ce stade précoce.
La Cour était bien consciente de l'absence de repères dans l'ensemble du processus. Certains témoins précédents ont laissé entendre qu'en tant que parlementaires, vous pourriez rendre la disposition obligatoire et exiger que les juges tiennent compte de chaque facteur dans tous les cas, et qu'ils justifient leur décision pour chacun. Je partage plutôt l'avis de votre témoin Phil Downes, qui a indiqué que cette façon de faire sous-entend que vous ne croyez pas les juges capables de prendre la bonne décision, d'exercer leur jugement et de tenir compte des détails pertinents. Il a aussi mentionné que les juges qui ont dû traiter des demandes d'accès aux dossiers conformément au processus découlant de l'arrêt Mills trouvent certains de ces critères extrêmement difficiles à comprendre.
Par exemple, si un avocat essaie d'avoir accès au journal intime d'un plaignant dans une affaire d'agression sexuelle — un document très personnel pour le témoin —, comment est-il possible de tenir compte de la volonté du juge à voir cette preuve? Comment établir si la communication du document repose sur un préjugé discriminatoire? La plupart des juges privilégient le droit à la vie privée plutôt que le droit à une défense pleine et entière, et tiennent compte du caractère probant du document.
Les juges que je connais préfèrent majoritairement l'ancien régime résultant de l'arrêt O'Connor, car ils pouvaient alors jeter un coup d'œil rapide au document avant de se prononcer. Désormais, ils ne peuvent plus le faire puisqu'ils doivent prendre en considération tous ces critères. À mon avis, l'ancien régime favorise bien plus la justice. Sur la question de l'accès aux dossiers, bien des juges m'ont confié qu'il est bien plus simple de consulter le dossier, car ils peuvent ainsi le rejeter facilement s'il s'agit d'une allégation à l'aveuglette — prenez note que je n'exerce actuellement pas ma profession de façon active. Les juges ont plus de mal à se prononcer sans avoir vu le document.
Ce qui suit est probablement mon plus important message. Je crois qu'il faut reconsidérer le critère de pertinence vraisemblable et les dispositions qui empêchent le juge de consulter le document avant de décider si celui-ci peut être communiqué à l'avocat de la défense. Il faudrait adopter un amendement permettant au juge d'évaluer rapidement les dossiers, car il s'agit la plupart du temps d'allégations à l'aveuglette sans valeur probante dont on peut se débarrasser d'emblée.
J'aimerais terminer en disant que nous pouvons voir l'orientation qui se dégage des décisions de la Cour suprême à ce sujet. En 2009, la Cour a rendu une autre décision ayant trait à l'accès aux dossiers dans l'arrêt McNeil. Il ne s'agissait pas d'un cas d'agression sexuelle. Dans cet arrêt, la juge devait déterminer s'il convenait de divulguer à l'avocat de la défense le lourd dossier disciplinaire du témoin, un agent de police, dans une autre affaire. Elle a donc décidé que la procédure de type O'Connor s'imposait en l'espèce, et chaque fois qu'il ne s'agit pas d'une affaire d'agression sexuelle. Dans son jugement, elle affirme qu'il faut être réaliste. On ne peut s'attendre à grand-chose si personne n'a consulté le dossier, pas même l'avocat de la défense. Selon elle, une fois que le critère de pertinence vraisemblable est satisfait et que le juge a examiné le document, la décision ne se fait probablement pas attendre.
Je pense que les juges d'expérience en droit pénal croient qu'il est préférable de leur accorder une plus grande confiance et de ne pas leur imposer de critères — qui ne semblent pas toujours convenir — leur dictant comment décider si un document personnel devrait être communiqué ou non à un avocat de la défense.
Mon prochain argument est plus difficile à faire comprendre. Au départ, la juge L'Heureux-Dubé et le Parlement ont décidé qu'il fallait reconnaître aux plaignants des droits exécutoires ayant trait à l'égalité dans les affaires d'agression sexuelle. Or, je pense que c'est un problème.
Par exemple, il n'est jamais facile de répondre aux revendications portant sur l'article 15 de la Charte. Si une personne soutient qu'une loi est discriminatoire par rapport au sexe, et même si elle ne viole pas le droit à l'égalité, il faut alors en faire la vérification. La loi contient-elle des éléments discriminatoires envers les femmes, ou encore fondés sur l'âge? Si c'est le cas — les avocats se souviennent tous de l'affaire Kapp —, il faut alors se demander si l'article 1 peut venir à la rescousse de cette loi discriminatoire. Sinon, elle sera abrogée. Dans le cas qui nous intéresse, les droits à l'égalité sont utilisés autrement. Personne n'affirme que les lois sont inopérantes en vertu de l'article 15. Puisque les affaires d'agression sexuelle en particulier établissent une distinction en fonction du genre — c'est-à-dire que l'auteur du crime est souvent un homme, et la victime, une femme ou un enfant —, il faut reconnaître les droits à l'égalité et tenir compte du problème des mythes et des stéréotypes.
De plus, la juge L'Heureux-Dubé a laissé entendre qu'il faut nommer un procureur dans ces affaires. Où en sommes- nous à cet égard? Le comité a bien démontré que la nomination de procureurs indépendants visant à protéger les dossiers varie d'une province à l'autre. Par exemple, c'est en Ontario que cette pratique semble la mieux établie, et la province fournit aussi de l'aide juridique. D'ailleurs, Phil Downes agit également à titre de gardien des documents. Conformément à la procédure, la question des dossiers est traitée brièvement à huis clos, et un avocat comme Phil Downes peut alors venir représenter les droits du plaignant et des victimes.
Trois types d'avocats entrent en scène : le procureur de la Couronne, l'avocat responsable des droits des victimes et de la protection des dossiers, puis l'avocat de la défense. Après cette étape, le procureur indépendant quitte le tribunal. La Cour tient ensuite des audiences sur la protection des victimes de viol, au cours desquelles les plaignants dans les affaires d'agression sexuelle devraient encore avoir droit à l'égalité. Or, on leur refuse alors le droit à un avocat indépendant, ce qui est selon moi complètement aberrant.
D'autre part, l'agression sexuelle n'est pas la seule infraction fondée sur le sexe. Or, dans le cas de voies de fait contre un membre de la famille, par exemple, on ne peut absolument pas chercher à rétablir l'équilibre ou à appliquer le critère de pertinence vraisemblable. Si un individu est accusé de voies de fait contre sa femme, par exemple, c'est l'arrêt O'Connor qui prévaut. On n'essaiera pas d'établir l'équilibre entre les droits, même pour obtenir un dossier médical. Je crois que ce problème est assez anormal et que rien n'est fait pour y remédier.
Étant donné la crise de l'aide juridique qui touche le pays, la juge en chef Beverley McLachlin s'est élevée à maintes reprises contre le fait que des accusés n'ont pas accès aux services d'un avocat. C'est un obstacle supplémentaire là où les programmes d'aide juridique fournissent les services d'un avocat aux plaignants dans les affaires d'agression sexuelle. Il ne faudrait pas que ce soit retiré du budget d'aide juridique. Je parle en connaissance de cause, car je crois fermement qu'il faut se fier au jugement des procureurs de la Couronne. Ils sont là pour protéger les intérêts du pays, des ministres de la Justice, et pour représenter les victimes dans tous les cas, sauf dans celui-ci.
C'est en partie l'affaire Shearing qui me porte à croire que renforcer ces dispositions et compliquer l'accès aux documents se traduirait par le succès de contestations fondées sur la Charte. Il ne s'agit pas ici d'un litige entourant l'accès aux dossiers. Dans cette affaire d'agression sexuelle, l'avocat de la défense a pu consulter le journal intime de la plaignante. Ce jugement a été entériné par une majorité de 7 juges contre 2. Le juge Binnie a laissé entendre qu'il n'existe aucune hiérarchie entre le droit à la vie privée, le droit à l'égalité et le droit à une défense pleine. Il a même précisé que ce sont plutôt les droits de l'accusé qui sont bafoués. Au nom des sept juges majoritaires, il affirme que c'est injuste, même s'il s'agit de communiquer les dossiers d'un tiers. Je pense que dans cette affaire — qui donne matière à réflexion —, les juges se rendent déjà compte qu'il est assez difficile de contrôler l'allégation de droits exécutoires en matière d'égalité pour les plaignants dans les cas d'agression sexuelle. On n'a pas bien réfléchi aux enjeux politiques — j'en ai abordé quelques-uns. Il ne s'agit pas vraiment de droits, mais plutôt d'intérêts. Renforcer ces dispositions se traduirait donc par le succès de contestations fondées sur la Charte.
Enfin, je suis tout à fait d'accord avec ceux qui affirment qu'il faudrait obtenir des renseignements à jour avant de prendre quelque mesure que ce soit. Nous en savons si peu sur les agressions sexuelles. Comme je l'ai dit plus tôt, nous ignorons totalement le nombre d'accusations d'agression sexuelle qui sont finalement des viols, le nombre d'affaires dont les tribunaux provinciaux sont saisis, et même les taux d'acquittement. N'oublions pas que le Parlement vient tout juste de restreindre les enquêtes préliminaires, en 2004. Nous ignorons totalement le nombre d'enquêtes préliminaires réalisées dans les affaires d'agression sexuelle qui se rendent en cour supérieure. Comme d'autres témoins l'ont dit, nous n'avons aucune idée du nombre total de décisions prises à propos de l'accès aux dossiers.
Puisque je dirige la publication du Recueil de jurisprudence en droit criminel, une série de rapports à l'échelle nationale, j'ai l'occasion de lire tous les jugements dont l'explication a été rédigée en anglais. Nous avons un éditeur francophone au Québec. Je trouve peu de jugements dans ce domaine. Je crois que les juges préfèrent souvent expliquer verbalement leur décision en matière de preuve. C'est pourquoi il serait très difficile de mener des recherches détaillées sur l'ensemble des décisions prises d'un bout à l'autre du pays dans les cas d'agression sexuelle. Comme on vous l'a certainement déjà dit, le Nunavut et le Québec semblent procéder différemment pour une raison que nous ignorons, mais la différence se situe peut-être uniquement sur le plan des rapports.
Pour terminer, ce qui m'ennuie le plus, c'est qu'on n'est toujours pas venu à bout de certaines questions entourant les droits à l'égalité. L'essentiel, c'est qu'il est possible, selon moi, de simplifier le processus initial entourant la pertinence vraisemblable et la capacité des juges à consulter le dossier avant de se prononcer sur sa divulgation au procureur de la défense.
Je vous remercie de votre attention, et j'attends vos questions avec impatience.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Stuart. Votre exposé était tout à fait clair et complet, naturellement. Nous allons devoir prendre le temps d'examiner le tout et de faire des recherches sur certains de vos arguments et sur des arrêts dont vous avez parlé; je suis persuadé que mes collègues sont d'accord. Nous avons déjà beaucoup de matériel sur le sujet à l'étude, mais vous l'avez abordé sous un angle différent. Nous vous en remercions grandement.
Le sénateur Fraser : Vous m'avez enlevé les mots de la bouche, monsieur le président.
Monsieur Stuart, je tiens à vous remercier. Vous nous avez effectivement présenté un exposé très savant, sérieux et qui fait réfléchir, surtout. Nous devrons analyser très sérieusement vos propos.
J'aimerais vous poser deux questions à propos de la pertinence vraisemblable, sur laquelle j'ai trouvé vos idées des plus intéressantes. Tout le monde sait que nous n'avons pas toute l'information dont nous avons besoin. Toutefois, en tant que membre de la communauté juridique, avez-vous déjà eu vent, de façon officielle ou non, d'une affaire dans laquelle l'application actuelle de la pertinence vraisemblable aurait pu entraîner ce que les non-initiés appellent une erreur judiciaire?
M. Stuart : Je ne suis au courant de rien de tel, sénateur Fraser. Je crois que ce qui est difficile, c'est que l'accès aux dossiers n'est que la pointe de l'iceberg; ce n'est qu'un élément de preuve.
À titre d'exemple, j'ai lancé dernièrement un débat dans mes classes de droit sur l'accès aux journaux intimes. Les avis sur cette question semblent plutôt partagés en fonction du sexe, à tout le moins chez mes étudiants. En effet, les femmes possèdent plus souvent un journal intime que les hommes, et les enjeux entourant la vie privée leur tiennent vraiment à cœur. En faisant des recherches, j'ai constaté qu'il y a eu un certain nombre d'affaires mettant en cause un journal intime. Dans certains cas, l'accès au document a été accordé, et d'autres fois non. C'est une question très difficile à résoudre, et c'est encore pire lors d'un procès devant jury, bien entendu. Est-ce que le fait d'avoir eu accès ou non au journal intime a influencé le cours du procès? Les dispositions en place sur cet aspect particulier de la loi sont extrêmement complexes. Certains avocats ont indiqué dans leurs déclarations à quel point tout ceci peut être humiliant et décourageant pour certaines victimes. C'était un élément important.
Il ne faut pas oublier dans tout cela la présomption d'innocence. Nous avons des lois très sévères en matière d'agressions sexuelles. Celles-ci imposent des peines d'emprisonnement rigoureuses, dont certaines obligatoires, et exigent l'inscription du nom des coupables dans des registres de délinquants sexuels — il n'y a plus d'exemptions. Nous avons intérêt à nous assurer que notre système est juste.
J'ai éludé votre question, car je n'ai pas vraiment de réponse. Il n'y a qu'une règle de preuve.
Le sénateur Fraser : Je me suis dit qu'il valait la peine que je pose la question, au cas où.
Si vous deviez rédiger notre rapport, quelle serait votre recommandation? Serait-ce d'éliminer le paragraphe 278.3(4) ou d'ajouter à l'article 278.5 que le juge peut consulter le document avant de prendre sa décision? Selon vous, quelle devrait être notre recommandation?
M. Stuart : Il est clair que l'intention du Parlement était de faire en sorte qu'il soit plus difficile pour le juge de consulter un document lors de la première étape du processus. Je comprends. L'idée — et tout le monde semble se concentrer sur ce point, et avec raison —, c'est que nous avons des lois applicables en matière de protection de la vie privée pour les plaignants. Bien entendu, celles-ci ont entraîné des absurdités. Par exemple, dans l'affaire O'Connor, deux femmes autochtones accusaient un évêque de les avoir agressées sexuellement. La cour leur a ordonné de fournir leur dossier médical pour les 20 années précédentes. Je me demande combien d'entre nous seraient à l'aise avec cela.
Je comprends votre point de vue selon lequel même un juge ne peut enfreindre la vie privée de quelqu'un sans raison valable. Pourtant, on fait continuellement confiance aux juges pour prendre des décisions très difficiles. La plupart des juges avec qui j'en ai discuté aiment la vieille norme O'Connor. Par exemple, si un journal intime est présenté comme élément de preuve dans la première étape du processus, le juge pourrait le consulter avant la défense et établir si celui-ci concerne l'affaire en cause. Les juges n'aiment pas prendre une telle décision sans avoir au préalable consulté le document.
Sachant que je devais témoigner aujourd'hui sur le sujet, j'en ai discuté hier soir au téléphone avec une juge très respectée. Nous discutions d'un autre sujet lorsqu'elle m'a dit : « Au cours de ma longue carrière dans le droit criminel, j'ai consulté beaucoup de documents. Je pouvais rapidement déterminer qu'ils n'avaient rien à voir avec l'affaire. Mais, il arrive parfois qu'un document puisse être très pertinent. » Nous retirons aux juges la capacité de juger de la pertinence d'un document. Nous avons imposé tellement de critères, qu'ils ne peuvent même pas consulter un document dans la première étape d'un processus. Et on ne parle même pas de la décision de divulguer ou non un document à la défense. Ça, c'est la deuxième étape. Je n'ai rien contre la deuxième étape ou les critères qui l'entourent. Ce qui m'embête, c'est la première étape du processus. Je crois que l'on pourrait accélérer le processus judiciaire en réduisant de façon importante l'article 278.3. Je crois que c'est une mauvaise idée de parler des facteurs qui ne sont pas pertinents s'ils soulèvent des irrégularités ou s'ils attirent l'attention sur des preuves liées à l'affaire. La plupart des avocats que je connais diraient : « Mais de quoi parlez-vous? De la pertinence vraisemblable? Ce document me semble tout à fait pertinent. » Je crois que les avocats n'ont rien à voir avec cette décision. Il serait plus facile pour les juges, dans la première étape d'un processus, de consulter un document et de déterminer si celui-ci doit être présenté comme élément de preuve. Mon point de vue est fondé. Dans l'affaire McNeil, la juge Louise Charron, une juriste expérimentée et réputée en qui on a confiance, a dit que, dans toutes les autres affaires, la décision relative à la production d'un document devrait revenir au juge après que celui-ci aura eu l'occasion de consulter le document en question.
Le sénateur Fraser : Je crois que je comprends mieux maintenant. Merci beaucoup.
Le président : Si le juge peut consulter le document sans en établir la pertinence vraisemblable, celle-ci serait établie, comme vous le dites, lors de la production du document, si le juge a décidé que celui-ci doit être produit. Afin d'établir la pertinence vraisemblable du document, le juge y aurait accès. Si les choses se passaient ainsi, quelle serait la réaction des plaignants? Est-ce que cela les encouragerait ou les découragerait à déposer des accusations?
M. Stuart : C'est une bonne question. Certains témoins sont venus dire qu'un accès quelconque au dossier découragerait les plaignants. Malheureusement, je ne peux le confirmer ou l'infirmer. Comme je l'ai déjà dit, le Canada offre beaucoup de protection aux plaignants, probablement plus que dans la plupart des pays. Toutefois, les gens hésitent à déposer des accusations. Si l'on n'apporte aucune modification au système juridique, la plupart des plaignants devront témoigner et feront l'objet d'un contre-interrogatoire. C'est probablement la raison pour laquelle la plupart d'entre eux refusent d'aller en cour. Je ne crois pas que l'accès aux documents aurait un impact à ce chapitre. Dans la grande majorité des cas, si le juge avait accès aux rapports d'hôpitaux, aux journaux intimes, aux rapports de traitements thérapeutiques ou à tout autre document, cela accélérerait le processus. Il pourrait établir rapidement la pertinence des documents dans l'affaire, et cela réglerait la question.
Le sénateur Baker : Avant de poser ma principale question, j'aimerais vous poser une question préliminaire au sujet de votre allusion à l'affaire McNeil.
Je félicite le comité d'avoir invité Don Stuart à témoigner; c'est vraiment un honneur de l'avoir parmi nous. Si Arnold Schwarzenegger est le « terminateur », Don Stuart est le « commentateur ». Il a émis quelques excellents commentaires sur des décisions rendues depuis 1979 ou 1980, si je ne m'abuse.
Monsieur Stuart, vous avez mentionné l'affaire McNeil. Si je comprends bien, vous préféreriez la norme McNeil. Ce jugement a été rendu en février 2009 et concernait la norme Ferguson Five, si je ne m'abuse. Dans ce jugement, on établit que la décision relative à la divulgation des dossiers en vertu de la norme Stinchcombe serait prise en fonction de la sévérité des accusations, et que si le tribunal doit prendre une décision à ce chapitre, la norme O'Connor s'applique. J'imagine que c'est ce que vous voulez dire lorsque vous dites que la norme McNeil doit être observée, n'est-ce pas? Vous dites que le juge devrait pouvoir consulter les documents en vertu de la règle O'Connor.
M. Stuart : C'est exact.
Merci pour vos bons commentaires. Je savais que votre question serait difficile, comme d'habitude.
J'ai évité intentionnellement de parler en détail de cette affaire, car elle porte principalement sur la question de divulgation. Autrement dit, le procureur de la Couronne avait déjà le document entre les mains. Donc, la situation ne s'applique pas vraiment au sujet d'aujourd'hui. Toutefois, dans son jugement, la juge dit clairement que, dans toutes les affaires, sauf celles pour agression sexuelle pour lesquelles le Code criminel s'applique, comme le confirme l'affaire Mills, la défense veut avoir accès au dossier disciplinaire de l'agent de police. La défense pourrait dire, par exemple : « Je n'ai pas vu son dossier, mais je crois comprendre que cet agent a déjà fait l'objet de mesures disciplinaires. Est-ce que je pourrais voir son dossier? » Il s'agit donc d'une question de production de document. Dans ce cas, la juge dit clairement qu'il faut être réaliste. La juge dit clairement dans ses commentaires que la norme O'Connor s'applique dans tous les cas, sauf ceux d'agressions sexuelles. Comme je l'ai dit, cela inclut les voies de fait contre un membre de la famille, des accusations portées plus souvent contre les hommes. Par exemple, dans une affaire de voies de fait contre un membre de la famille, si la défense veut avoir accès au dossier d'hospitalisation de la victime, elle ferait sa demande en vertu de la norme O'Connor. La pertinence vraisemblable serait facile à établir. Dans un tel cas, le juge consulterait le document et déciderait rapidement de la pertinence de celui-ci dans l'affaire.
La juge Caron dit que, puisque nous sommes tous assujettis pour le moment au Code criminel, comme le confirme l'affaire Mills, des considérations différentes devraient s'appliquer dans les cas d'agression sexuelle.
Le sénateur Baker : Selon la plupart des juges des cours supérieures provinciales, la pertinence vraisemblable consiste à déterminer si le document « permet d'établir la crédibilité du témoin. »
Monsieur Stuart, j'aimerais vous parler principalement de votre déclaration en appui aux témoignages des témoins, déclaration qui aura une grande influence sur les recommandations du comité. Selon vous, on devrait en savoir davantage sur ce qui se passe réellement. Vous dites que nous avons besoin de plus d'information sur les jugements rendus en vertu de ces articles du Code criminel. Le comité ne peut pas demander aux juges de mettre par écrit, aux fins de publication, toutes les discussions qui ont lieu dans la phase précédant l'instruction ou les discussions en référé. Nous savons tous que les juges de première instance s'appuient sur les décisions rendues, décisions que vous commentez tous les jours et qui constituent la jurisprudence de chaque province. Que suggérez-vous? Nous ne pouvons obliger les juges à tout mettre par écrit.
M. Stuart : Ils sont tenus d'expliquer la raison de leurs décisions.
Le sénateur Baker : Oui, mais pas par écrit.
M. Stuart : Lors de son témoignage devant le comité, le directeur du Conseil canadien des avocats de la défense, Phil Downes, a dit qu'on alourdirait le processus si les juges de première instance devaient expliquer la raison de leurs décisions pour tous les éléments soulevés par le Parlement si on les y obligeait légalement. Je suis d'accord avec lui. Aussi, de façon générale, tous les juges ont un devoir constitutionnel de s'expliquer, mais cela se fait de moins en moins pour des raisons pratiques.
Ayant lu la documentation que vous avez en votre possession, je serais réticent à dire que nous savons déjà ce qui se passe. En tous les cas, moi, je l'ignore. Pour cette raison, il serait probablement préférable que le comité soit prudent dans ses recommandations. Le travail de la juge L'Heureux-Dubé dans l'affaire O'Connor, travail qui lui a valu un siège à la Cour suprême, est remarquable, car nous savons tous à quel point il est difficile d'avoir accès à ces dossiers.
Le sénateur Baker : Le comité doit faire des recommandations au sujet des avocats fournis aux organisations ou aux personnes qui veulent avoir accès aux dossiers d'une tierce partie. Tous ceux qui sont venus témoigner au nom d'organisations qui détiennent peut-être ce genre de dossiers ont dit que les avocats de la défense devraient être assujettis à des règles obligatoires. Vous dites que la majorité de ces affaires sont entendues dans les tribunaux provinciaux simplement parce que c'est la décision du plaignant.
Si l'on recommandait que les avocats soient fournis dans ce genre de situations, cela entraînerait des dépenses incroyables pour les provinces, ce qui serait peut-être inconstitutionnel. À mon avis, rien dans la loi ne précise que nous devons fournir les avocats, sauf dans les lois provinciales lorsqu'il s'agit d'enfants, par exemple. Cependant, dans certains cas, un juge de la cour supérieure aurait le pouvoir, au nom de la justice, de fournir un avocat aux tarifs du procureur général. Que pensez-vous de la proposition des autres témoins à ce sujet?
M. Stuart : Je suis d'accord avec vous, monsieur le sénateur. Je dirais que, bien souvent, lorsqu'il s'agit d'une infraction mixte dans un procès pour agression sexuelle, la Couronne décide de déposer des accusations en cour provinciale si elle cherche à obtenir une peine de moins de 18 mois ou une déclaration de culpabilité par procédure sommaire. Je suis d'accord avec vous. Même en Cour suprême, lorsqu'il est question d'établir des normes en vertu de la Charte, aucun jugement n'oblige les gouvernements provinciaux à ajuster leurs budgets en conséquence.
Je suis bouleversé et préoccupé de voir le nombre croissant d'accusés non représentés et de constater que l'aide juridique n'a presque plus de fonds. Je crois que le comité devrait faire preuve de prudence pour les raisons que vous avez évoquées, mais aussi, parce qu'il n'y a pas suffisamment d'argent.
On parle souvent de la politique de « la loi et l'ordre », et de la nécessité de rendre le droit criminel plus sévère, mais on ne parle pas souvent d'ajuster le financement en conséquence. Par exemple, lorsqu'un gouvernement provincial doit choisir combien investir dans l'aide juridique et la santé, le résultat est toujours le même : très peu d'argent est investi dans le système juridique.
Comme je l'ai dit, je trouve étrange qu'en Ontario l'aide juridique paie pour des services offerts par les Phil Downes de ce monde pour aider les victimes d'agression sexuelle à avoir accès à certains dossiers, mais qu'elle n'ait pas suffisamment de fonds pour représenter les victimes de viol. Certains diront peut-être qu'il faudrait fournir des avocats à ces victimes. Mais encore une fois, cela augmenterait les dépenses des provinces.
Le sénateur Angus : Je voulais essentiellement poser les mêmes questions que le sénateur Fraser au sujet de la règle actuelle qui empêche les juges d'avoir accès aux documents en question.
Je suis satisfait de votre réponse, mais simplement pour que tout soit bien clair, monsieur Stuart, pourriez-vous nous dire de nouveau ce que nous sommes tous censés savoir? La situation actuelle découle-t-elle de la jurisprudence? De l'affaire O'Connor? Je n'étais pas au Sénat lors de l'adoption du projet de loi C-46.
M. Stuart : C'est une histoire très intéressante. En 1991, le jugement a été rendu dans l'affaire R. c. Seaboyer, affaire à l'origine des lois sur la protection des victimes de viol. Ce jugement a été mal interprété, puisque le tribunal a mis en place une série de critères très rigoureux qui ont été intégrés aux lois actuelles sur la protection des victimes de viol.
À la même époque, le jugement dans l'affaire R. c. Stinchcombe affirmait pour la première fois au Canada que, en vertu de la Charte, la Couronne devait divulguer toute l'information qu'elle possédait. Cette décision a entraîné beaucoup de demandes de la part des avocats de la défense, c'est le moins que l'on puisse dire. Ils se sont mis à demander régulièrement tous les dossiers médicaux des plaignants dans les affaires d'agression sexuelle.
Si j'ai bien compris la chronologie des faits, le comité parlementaire, à l'instigation du ministère de la Justice, se penchait déjà sur la question lorsque le jugement a été rendu dans l'affaire O'Connor. Avec ce jugement, on avait le choix entre deux systèmes : un système plus ouvert, appuyé par cinq juges, et un système plus restreint, appuyé par quatre juges, dont la juge L'Heureux-Dubé. Le Parlement a choisi cette deuxième option.
La formule parlementaire était beaucoup plus détaillée. Sans vouloir dénigrer personne, celle-ci a été écrite par des activistes, des gens qui se souciaient vraiment des droits des victimes d'agression sexuelle. Je respecte beaucoup leur vigueur et les compétences des avocats. Ils ont écrit beaucoup de documents sur l'interprétation de la pertinence vraisemblable, car ils croyaient vraiment que l'accès à ces dossiers devrait être interdit.
Je crois qu'ils ont dépassé les bornes. La plupart des juges qui ont déjà vécu cette situation préféreraient un système plus ouvert, notamment en ce qui a trait à l'accès aux documents dans les premières étapes du processus.
Le sénateur Angus : Merci. Je crois que je comprends. Ce n'est certainement pas l'opinion publique qui a mené à la situation actuelle, mais plutôt l'intérêt — ou du moins, l'intérêt supposé — pour les droits des plaignants.
M. Stuart : Il est clair que tout cela est survenu à un moment de l'histoire canadienne où, pour la première fois, les femmes pouvaient faire entendre leur voix de façon convaincante concernant les lois relatives aux agressions sexuelles. J'ai eu suffisamment de courage au fil des ans pour dire occasionnellement que, dans certains cas, nous sommes allés trop loin.
Par exemple, et je sors complètement du sujet, je reste convaincu que nous avons banalisé le viol en n'en faisant pas un crime distinct. Dernièrement, le ministre Toews a exprimé le même point de vue, mais il s'est rapidement rétracté. Nous sommes l'un des très rares pays à avoir fait ce choix, mais c'est un sujet dont on devrait discuter une autre fois.
Chaque fois que j'exprime cette opinion, on tombe des nues. Je veux dire que nous devons réprimer plus sévèrement le viol. Je constate que, pour la plupart des gens, l'agression sexuelle évoque le viol. Mais c'est beaucoup plus que cela, par exemple l'expérimentation sexuelle des adolescents, les attouchements et les erreurs de communication. Cette confusion, ce fourre-tout où on trouve souvent des agressions sexuelles de niveau 1, ne devrait pas exister, à mon avis.
Le sénateur Angus : Loin de moi l'idée de paraphraser votre éloquent témoignage. Mais, si nous devions recommander des modifications précises à la suite de notre étude, ce serait de nous exhorter à plus de réalisme. Nos juges sont censément discrets, responsables et pondérés. Pas la presse ni la défense ni la foule. On veillerait davantage aux intérêts des plaignants par ce petit changement que vous aimeriez que nous recommandions. Est-ce que c'est juste?
M. Stuart : C'est juste.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup d'être avec nous. Vous m'avez donné un cours de droit 101 en matière d'agression sexuelle, j'apprécie beaucoup. J'aurais surtout des questions à vous poser sur des commentaires que vous avez faits. Vous dites qu'on ne sait pas combien de procès, en termes de nombre, sont pour agression sexuelle. Vous avez bien affirmé cela?
[Traduction]
M. Stuart : La plupart des statistiques concernent les agressions sexuelles signalées à la police. Cela pose inévitablement la question suivante : quel est le taux d'acquittements dans les affaires d'agression sexuelle et quelles sont les statistiques sur les peines? Au fil des ans, beaucoup de mes étudiants m'ont considéré comme un peu de droite sur cette question. Ils sont partis à la recherche de statistiques qui n'existent pas. Les Canadiens n'ont pas d'idée précise sur l'issue de nos procès sur les agressions sexuelles.
Si c'est le cas, et j'en suis persuadé, parce que je me suis intéressé à la question au cours des ans — chaque année, nous consultons les rapports spéciaux de Statistique Canada sur les agressions sexuelles. Si on lit bien, c'est écrit à la fin, que les chiffres tiennent compte des jugements des tribunaux provinciaux, mais non de ceux des cours supérieures ou vice versa. Les données ne sont donc pas complètes. On ne peut donc pas chiffrer avec précision le taux d'acquittement des personnes accusées d'agression sexuelle.
Ce changement dans la loi nous prive assurément de chiffres qui permettraient de connaître la fréquence des viols au Canada. Est-ce qu'elle augmente? Est-ce qu'elle baisse? Le taux de condamnation est-t-il élevé ou faible? Impossible de le savoir, à cause de la notion fourre-tout d'agression sexuelle.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Vous savez que depuis, je crois, une dizaine d'années, des types de crime ont été délégués aux cours municipales. Je pense à Montréal où, maintenant, la cour municipale peut entendre des causes d'agression sexuelle, d'agression matrimoniale. Est-ce que cela n'amplifie pas aussi le problème en termes de connaissance du nombre de crimes à caractère sexuel commis au Canada?
[Traduction]
M. Stuart : Je pense que vous avez raison. Bien sûr, je n'ai également pas été particulièrement convaincu par les statistiques publiées au fil des ans sur les agressions sexuelles — plus fréquentes, moins fréquentes, plus de dénonciations, moins de dénonciations. Toute agression sexuelle est grave et, pour la plupart d'entre nous, c'est suffisant, mais je dis simplement que les chiffres sont imprécis.
Je connais mieux le système ontarien que tous les autres. On a tenté des expériences, à Toronto, avec des tribunaux spécialisés dans les agressions domestiques. Pour autant que je sache, il n'y en a pas de spécialisés dans les agressions sexuelles, et je n'en recommande pas non plus la création, mais ces causes tendent à se retrouver dans le tourbillon des cours provinciales, qui s'occupent d'un tas d'affaires beaucoup moins graves.
Je n'ai pas chiffres, mais, d'après moi, beaucoup de causes d'agression sexuelle se retrouvent en cour provinciale, mêlées à toutes sortes d'autres infractions beaucoup moins graves. C'est en raison d'un pragmatisme qui veut régler les problèmes rapidement, en évitant les enquêtes préliminaires, du moment que la Couronne se contente de pas plus de 18 mois de prison.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Que diriez-vous d'un amendement visant à ce qu'on fasse appel à des procureurs indépendants pour mieux supporter les victimes d'agression sexuelle devant les tribunaux? Ce type d'amendement donnerait aux statistiques un visage plus clair. Il permettrait également un taux de dénonciation plus élevé qu'une victime sur dix?
[Traduction]
M. Stuart : Je trouve votre question difficile. Partout au pays, les ressources de notre système de poursuites, si j'ai bien compris, sont sollicitées au maximum de leurs possibilités. Je constate que tous nos substituts du procureur général ou presque, de toute façon, sont convaincus d'être des ministres de la Justice. Leur travail consiste à présenter des éléments de preuve qui apportent ou non de l'eau au moulin de la poursuite ou de les divulguer.
Je pense également que dans tous les cas d'agression sexuelle, la plupart des avocats de la Couronne que j'ai rencontrés — je l'ai moi-même été pendant un an — étaient très sensibles aux besoins des victimes. Au fil des ans, ils ont été de mieux en mieux formés à mieux les écouter. Personne n'oserait prétendre que, peu à peu, les victimes sont devenues les grands oubliés du système. Les choses se sont améliorées, mais la situation n'est pas rose. Cependant, toutes les fois que l'on offre plus de services, y compris la présence d'un avocat indépendant pour représenter la victime, les coûts s'envolent.
Le sénateur Meredith : Monsieur Stuart, dans votre exposé, qui était très intéressant et pour lequel je vous remercie, vous avez mentionné deux choses. Je tiens à ce que vous nous en disiez davantage sur les droits à l'égalité. Dans le système actuel, le droit de l'accusé à une défense et le droit de la victime à la protection de sa vie privée sont-ils égaux? Pourriez-vous en parler? Quelles recommandations feriez-vous, si, le cas échéant, ils n'étaient pas égaux?
M. Stuart : Il est tout à fait évident que, en cette matière, le meilleur guide est l'arrêt Mills, dans lequel notre Cour suprême préconise un juste équilibre entre la défense pleine et entière, la vie privée et l'égalité. Je pense que sa lecture est extrêmement édifiante. Il y est longuement question de la défense pleine et entière et des nuances qui s'imposent. Par défense pleine et entière, on ne veut pas dire la procédure la plus favorable pour l'accusé ni que l'avocat de la défense a le droit de déformer la vérité.
Ensuite, en ce qui concerne la vie privée, sujet qui occupe le plus de place dans la décision, l'arrêt s'étend sur la nécessité de trouver un juste milieu pour la protection de la vie privée du plaignant. D'après la Cour suprême, c'est la valeur prépondérante, quand les renseignements confidentiels d'un dossier concernent les aspects de l'identité d'une personne ou quand le maintien de la confidentialité est essentiel à une relation thérapeutique ou à une relation où il y a absence de confiance. D'après moi, c'est une analyse très complète de la nécessité de ne pas tenir compte uniquement des droits de l'accusé, mais, aussi, de la vie privée.
Je m'interroge, cependant. Parce que le Parlement en a décidé ainsi et que la juge L'Heureux-Dubé a confirmé cette décision, nous devons, comme le tribunal l'a dit, trouver l'équilibre entre les droits à l'égalité. Je recommande vivement aux sénateurs de lire l'arrêt Mills, dans lequel, sur ce point particulier, le tribunal semble qualifier son analyse d'exhaustive. Il est très difficile de s'en convaincre, quand il s'agit de décider si tel document sur le plaignant doit être divulgué à l'accusé et si en le faisant, d'une façon ou d'une autre, on ne se rend pas coupable de sexisme ou de discrimination. C'est pourquoi la plupart des juges s'abstiennent de prendre une décision. Ils ne peuvent pas le faire dans ce cas concret d'un journal intime.
C'est pourquoi je pense que, parfois, l'affirmation des droits à l'égalité a été une chose difficile pour les tribunaux. Comme je l'ai dit dans mes remarques préliminaires, la décision la plus récente à ce sujet est l'arrêt Shearing, dans lequel la Cour suprême du Canada semble ne plus tenir autant à l'équilibre. Je pense qu'elle réétalonne les droits et qu'elle affirme pouvoir accepter la défense pleine et entière et la vie privée, mais seulement du point de vue des intérêts pour l'égalité, parce qu'une multitude de points à considérer n'a aucun rapport avec les mythes et les stéréotypes sexuels.
Par exemple, à l'article 278.3(4), dont je vous ai lu une partie, la plupart des éléments qui ne sont pas censés être pris en considération en ce qui concerne la crédibilité, la pertinence probable, semblent n'avoir aucun rapport avec les mythes et les stéréotypes. Ils ont rapport avec les méthodes traditionnelles d'évaluation de la crédibilité. C'est pourquoi les juges, dans leurs décisions, ne s'étendent pas beaucoup sur l'égalité, parce que, dès qu'on décide d'en tenir compte dans ce genre d'affaire, il est difficile, en fait, de la rendre opérante. Ils affirment donc que le véritable équilibre, en l'occurrence, se situe entre la valeur probante de tel document, le fait qu'il prouve quelque chose de pertinent pour le procès, d'une part, et, d'autre part, le risque qu'il compromette la vie privée de la victime si on le porte à la connaissance de la défense. C'est ce que font la plupart des juges. Comme je dis, il serait préférable que le juge ait, en fait, l'occasion de prendre connaissance du dossier avant de prendre cette décision.
Le sénateur Meredith : En ce qui concerne les décisions, d'autres témoins nous ont dit, en ce qui concerne la recherche, pour revenir à ce que vous avez dit, dans votre dernière réponse sur les juges et leurs décisions, comment nous pourrions corriger cet aspect dans notre rapport. Quant à vous, que recommandez-vous en ce qui concerne la documentation sur laquelle s'appuieront désormais certaines décisions?
M. Stuart : J'ai consulté la base de données Quicklaw du ministère de la Justice, qui date maintenant beaucoup. C'est l'une des choses que l'on pourrait faire, sans, je pense, qu'il en coûte beaucoup : simplement actualiser le portrait de la situation. J'hésite cependant beaucoup. C'est facile à dire, ne rien faire sans d'abord s'assurer de l'actualité des statistiques, mais, pour des raisons que, par exemple, le sénateur Baker connaissait très bien, il y a un moment, tout comme l'un des autres sénateurs, il est très difficile d'obtenir des renseignements précis sur les décisions reposant sur la preuve que prennent les juges de première instance dans le tourbillon des cinq ou six affaires que chacun d'eux doit instruire quotidiennement.
Le président : J'ai une question supplémentaire à ce sujet. Comme c'est le cas de toutes les lois, il importe d'être aussi cohérent que possible. Dans l'application du test de la pertinence probable et de la nécessité de produire les documents dans l'intérêt de la justice, il faut être sûr d'appliquer également ces principes partout au pays et de façon cohérente.
Pour répondre à la question du sénateur Meredith, les juges sont tenus de motiver leurs décisions concernant le moment où il faut produire ou non les documents. Que pouvons-nous faire pour assurer davantage de cohérence? Pour assurer davantage une application plus cohérente du test par les juges? Actuellement, ils ne sont tenus d'examiner aucun des facteurs. Vous y avez fait allusion. Je ne dis pas qu'ils devraient le faire. Toutefois, le principe en cause n'est pas seulement l'apparence. Il faut que nos lois soient appliquées de façon aussi cohérente que possible. Comment nous, par nos efforts, pouvons-nous assurer davantage de cohérence dans l'application des tests concernant la production de documents?
M. Stuart : C'est une question très difficile. Nous faisons vraiment confiance aux juges pour prendre une décision définitive dans les procès criminels où la preuve dissipe tous les doutes raisonnables. Comme tous les criminalistes le savent, la Cour suprême du Canada a donné beaucoup de conseils aux juges sur la façon d'appliquer la doctrine du doute raisonnable et sur son interprétation pour les jurys. Au bout du compte, on ne peut pas garantir la cohérence.
Si vous êtes juriste, vous entendrez souvent des avocats de la défense dire que tel juge, en dépit de l'évidence, ne connaît pas le doute raisonnable; il n'acquitte jamais personne. Des confrères de la Couronne prétendront exactement le contraire.
Je ne pense pas que nous puissions garantir quoi que ce soit. Nous devons faire établir des critères, soit par les tribunaux, soit par le Parlement, et espérer faire confiance à nos juges. Je pense que la plupart d'entre nous respectent la magistrature. Cette question des dossiers est très difficile. Je me contenterai de dire que le critère énoncé dans les deux parties du début des articles 278.3(4) et 278.5 est excessivement complexe et qu'on peut le simplifier.
Le président : Une simple précision — et je pense bien que vous avez compris le sens de ma question —, je ne parlais pas de garantir la cohérence, mais je voulais savoir ce que nous pouvons-nous faire, pour l'améliorer? Vous avez bien répondu, mais, loin de moi l'idée de prétendre qu'il est possible de garantir cette cohérence de la part de la magistrature.
Le sénateur Runciman : J'ai une question très courte. Au sujet de l'arrêt Mills vous avez dit — je me suis préparé à votre venue — que le jugement sentait la politique à plein nez. Vous faisiez allusion à la pression appliquée par toute une gamme d'organismes concernant les modifications législatives en question. J'ai l'impression que l'un des premiers objectifs de la loi et des modifications qui ont été apportées était de favoriser davantage la dénonciation des agressions. D'après certains témoins que nous avons entendus, cela ne s'est pas matérialisé. L'existence ou l'inexistence de statistiques, ça c'est une autre histoire. Selon les témoignages et les mémoires reçus, le changement n'a pas été notable.
Dans vos remarques préliminaires, vous avez parlé d'une de vos étudiantes, à l'école de droit, qui a consulté un centre d'aide aux victimes d'agression sexuelle. Ce n'est pas rose quand une étudiante en droit, victime d'agression, craint de ne pas bénéficier d'un traitement équitable par le tribunal. Je me demande si le problème n'est pas plus étendu. Si d'autres éléments du système lui-même — que vous connaissez très bien — sont plutôt dissuasifs pour les victimes, cela pourrait expliquer une partie du problème, tout en étant un signe inquiétant. Nous parlons ici d'une étudiante en droit, par rapport à quelqu'un d'un niveau social moins élevé, si on peut dire. Cette hésitation de votre étudiante — et la raison n'est peut-être pas directement la loi — nous donne, je pense que, l'occasion d'ajouter également des observations à la fin de notre étude. Peut-être pouvez-vous nous donner des idées concernant le volet éducation auquel vous avez fait allusion et la façon de corriger le système pour inciter les victimes à lui faire désormais plus confiance.
M. Stuart : Voilà encore une question très difficile. On pourrait rendre plus difficile la communication du dossier, en proposant un amendement à la faveur du processus parlementaire. Le danger, comme je l'ai dit, serait de provoquer une autre contestation de la Charte des droits et libertés, qui risquerait d'aboutir. Il y a, en place, un processus d'équilibrage, et, d'accord avec Phil Downes, je pense qu'il fonctionne assez bien. On a mis en place le système de la juge L'Heureux-Dubé. Nous ne sommes pas susceptibles d'obtenir la communication de ces dossiers. Les modifications que je propose n'y changeront pas grand-chose, mais elles pourraient rendre le processus plus juste pour l'accusé et simplifier le système.
Pour expliquer l'absence de plainte de la part des victimes d'agressions sexuelles — nous constatons, à la faveur d'affaires récemment médiatisées, par exemple, la dénonciation d'un bon nombre de prédateurs sexuels masculins — il n'y a que le premier pas qui coûte, une fois l'exemple donné, d'autres victimes se manifestent. Au fond, ce qui joue, c'est la peur du processus judiciaire.
J'ignore quelle est l'autre option. Nous ne croyons pas dans les procès secrets. Nous croyons en la présomption d'innocence et dans la preuve au-delà du doute raisonnable. Si les témoins jurent de dire la vérité et que, en raison de leur témoignage, quelqu'un ira en prison et que son nom figurera sur la liste des délinquants sexuels, nous devons prendre le processus au sérieux, sinon on fout en l'air tout le système de justice.
Je n'aurais probablement pas dû faire allusion à mon étudiante. Mais j'étais tout à fait scandalisé. J'ai également été déçu de l'impuissance à laquelle me réduisait le conseil qu'elle avait reçu, selon lequel elle ne serait jamais capable de prouver quoi que ce soit. Je lui ai fait remarquer qu'elle n'avait rien à prouver, qu'elle était la victime. J'ai voulu l'accompagner au poste de police, mais elle a refusé. Ce n'était pas mon travail d'en faire davantage.
Il ne fait aucun doute que les infractions de cette nature sont souvent passées sous silence, et c'est problématique. Les victimes craignent de revivre les événements, particulièrement lorsqu'il est question d'un malentendu. Mais c'est aussi le cas même quand il n'y a aucune défense ni ambigüité possible. Même dans des situations comme celle-là, c'est une infraction qui n'est assez signalée. Je n'ai pas d'autre réponse à vous donner.
Le sénateur Joyal : Monsieur Stuart, j'aimerais revenir à vos notes. Au bas de la page 5 et en haut de la page 6, vous dites : « Dans un procès au criminel, qui porte sur le juste châtiment de l'accusé plutôt que sur l'indemnisation des plaignants, ce sont les droits de l'accusé qui l'emportent. On ne saurait « équilibrer » des droits d'importance différente. Dans Shearing, la majorité se permet d'aller à contre courant et de rappeler que même ceux qui sont accusés d'agression sexuelle doivent avoir droit à un procès équitable. La Cour délaisse implicitement l'idée qu'il n'y aurait pas de hiérarchie des droits. Certains droits sont plus importants que d'autres. »
Avez-vous l'impression que les articles 278.3(4) et 278.5 ont eu pour effet de déséquilibrer le système en introduisant au procès criminel la notion de « droits du plaignant »?
M. Stuart : Dans ce contexte, la nécessité de concilier les droits à l'égalité pose un problème en ce sens que les juges et autres décideurs ne savent pas quoi en faire — depuis l'arrêt O'Connor, qui renvoyait à la nécessité de concilier le droit au respect de la vie privée prévu par l'article 8, pour tous les types de victimes. La Cour suprême s'est en quelque sorte trouvée dans une impasse, car elle a statué qu'aucun droit ne pouvait l'emporter sur un autre. Comment cela pourrait fonctionner? Supposons qu'un document est en litige et que la décision consiste à concilier « défense pleine et entière » et respect de la vie privée. Si je choisis le respect de la vie privée, vous n'aurez pas ce document. Ce n'est pas concilier les deux; un droit l'emporte sur l'autre.
Ailleurs dans le monde, les tribunaux n'ont pas emprunté cette voie, statuant qu'il était impossible d'établir une hiérarchie des droits. Dans l'arrêt Shearing, le juge Binnie l'a reconnu; ce fut une affaire très controversée. Le juge devait décider si la défense pouvait contre-interroger la victime sur le contenu de son journal intime. L'avocat de la défense a obtenu ce droit. Le contexte est différent, mais l'avocat de la défense voulait demander à la plaignante pourquoi elle n'avait pas parlé de l'agression sexuelle dans son journal intime. Le juge Binnie et le tribunal ont ordonné la tenue d'un nouveau procès pour examiner la question. Bien des gens ont avancé qu'il s'agissait là d'un retour à la doctrine de la plainte immédiate, selon laquelle la victime aurait dû l'inscrire dans son journal intime, sans quoi on pourrait en tirer une inférence défavorable. C'est une décision controversée.
Le juge Binnie a poussé sept juges à se demander si on n'était pas allé trop loin en établissant ce modèle de rivalité des droits. Dans le cadre de procès criminels, les plaignants ne sont pas là pour réclamer de l'argent; il s'agit de savoir si le défendant devrait ou non être puni, envoyé en prison et inscrit au registre des délinquants sexuels. C'est pour cette raison que l'affaire est limite, et je pourrais vous lire les conclusions de la Cour suprême dans l'arrêt Shearing, qui indiquent que même lorsqu'il est question de la production de documents, les droits de l'accusé doivent avoir préséance. Ce n'est pas du tout ainsi que j'interprète l'arrêt Mills, alors je pense que c'est revenir en arrière. De nouveaux juges ont été nommés à la Cour suprême depuis. Qui sait quelle serait leur conclusion si on leur demandait de réexaminer la question aujourd'hui? J'ignore ce qui en découlerait.
J'aimerais ajouter une dernière chose. Depuis que j'enseigne à l'Université Queen's, j'ai vu bien de mes anciens étudiants devenir des spécialistes du droit criminel, des avocats de la défense et des procureurs de la Couronne; et j'en suis assez fier. Certains ont pensé que les poursuites au civil seraient la meilleure façon de résoudre les cas graves d'agression sexuelle; poursuivre et réclamer de l'argent. Bien des étudiants m'ont rapporté que ce n'était pas une solution efficace. L'argent ne peut pas à lui seul réparer les torts d'une agression sexuelle. Il faut que le crime soit puni de façon équitable. Ceux qui optent pour les poursuites civiles finissent bien souvent par abandonner ce véhicule.
Le mécanisme équilibré pour résoudre un cas d'agression sexuelle présumée est le processus criminel. Il faut toujours se rappeler qu'en définitive il faut prouver hors de tout doute la culpabilité d'une personne avant de l'envoyer en prison et de l'inscrire au registre des délinquants sexuels, qui ne fait pas de distinction entre les petits et grands délinquants. C'est très sérieux. Peut-être qu'il serait possible de simplifier quelque peu l'article visé pour simplifier la tâche aux juges, mais aussi aux avocats basant leurs arguments sur ces critères.
Le sénateur Joyal : Dans votre mémoire, vous citez la juge L'Heureux-Dubé si souvent qu'on a presque l'impression que le Parlement s'est rendu à ses arguments. J'ai remarqué que vous l'aviez citée au moins cinq fois, en disant par exemple « le Parlement s'est rangé du côté de la juge L'Heureux-Dubé » et « la position de la juge L'Heureux-Dubé dans l'arrêt O'Connor ». Vous donnez l'impression que nous avons cédé sous la pression pour introduire au système criminel une notion jusque-là inexistante, et que cette notion n'est pas la bienvenue, puisqu'elle pourrait empêcher la tenue d'un procès équitable pour l'accusé. Je ne crois pas qu'on ait omis le fait, quand la décision a été prise, que les femmes et les enfants qui doivent témoigner en cour sont placés dans une position difficile. Les infractions de nature sexuelle sont sui generis. Porter plainte pour une telle infraction est beaucoup plus risqué que de rapporter le vol d'une centaine de dollars. Le système doit reconnaître que les infractions de nature sexuelle sont des crimes uniques en leur genre. Il faut adapter le système de façon à protéger les femmes et les enfants qui se trouvent en position de vulnérabilité devant la personne accusée d'agression sexuelle. Vous ne sembliez pas être sensible à cela dans votre exposé, à moins que je n'aie pas du tout compris votre position à cet égard.
M. Stuart : Je pense globalement que les dossiers en question devraient rarement être rendus accessibles; et c'est le cas dans le cadre du régime actuel. J'appuie le droit à la vie privée des plaignants dans les cas d'agression sexuelle, de la même façon que tous les juges de la Cour suprême l'ont fait en pareil cas. Ce qui pose problème, à mon avis, c'est la définition exacte de « droits à l'égalité » dans ce contexte précis.
Par exemple, si un homme adulte est accusé d'agression sexuelle à l'endroit d'un autre homme adulte, est-ce que cette personne peut se prévaloir des droits à l'égalité qui ont été instaurés à l'intention des femmes et des enfants? Sinon, pourquoi pas? Je crois que la réponse est que nous ne connaissons pas la réponse, parce que maintenant que nous avons reconnu les droits à l'égalité, il suffit d'appliquer les critères; les juges ne font cependant pas allusion à l'égalité.
C'est évidemment une question extrêmement délicate. Je souligne par ailleurs que je ne préconise pas une approche universelle. Je crois, par exemple, que nous devrions revenir, dans certaines circonstances, à une définition distincte d'« infraction de viol ». Je crois aussi qu'il faudrait tenir compte des commentaires formulés par le juge Binnie et changer la définition de « doute raisonnable », et vous connaissez sans doute la « formule W.D. ». Je n'ai pas de position unilatérale face à la question.
Je comprends que vous vous inquiétiez du sort des victimes d'agression sexuelle, car c'est tout à fait justifié. Mais je tiens à souligner que le désarroi des victimes de violence conjugale, dans la grande majorité des femmes, est tout aussi grand. Et pourtant, ces règles spéciales ne s'appliquent pas à elles, et je ne suis pas certain de comprendre pourquoi.
Le sénateur Baker : Pour terminer, j'aurais une question à vous poser. Monsieur Stuart, vos nombreuses annotations qui accompagnent tous les jugements recensés dans le Carswell servent certainement à nos tribunaux depuis bien des années. Vous avez joué un rôle prépondérant dans le façonnement de la loi, de même que dans son enseignement. Je tiens à vous en féliciter.
Tout le monde a mentionné, et vous l'avez aussi souligné, que nous n'avions pas suffisamment de matériel en ce qui a trait aux décisions et aux motifs donnés pour les questions que nous étudions aujourd'hui. Je précise que lorsque la loi a été adoptée, le paragraphe 276.2(4) du Code criminel (forme) se lisait comme suit : « Les motifs de la décision sont à porter dans le procès-verbal des débats ou, à défaut... » — par exemple en chambre — « ... donnés par écrit. »
Au moment d'adopter la loi, nous pensions que cela réglerait le problème. Il y a très peu de circonstances dans lesquelles le Code criminel exige des juges de fournir les motifs de leurs décisions. Comme vous l'avez signalé, ils doivent fournir les motifs de toute décision rendue en appel. En vertu du Code criminel, les juges sont maintenant tenus de fournir leurs motifs, et c'est une exigence que l'on applique de plus en plus fréquemment.
Je pense que nous avons fait ce qu'il fallait quand nous avons adopté cette loi, mais vous, et tous les autres témoins, nous avez dit qu'il était impossible d'examiner les jugements, parce que les documents s'y rapportant ne sont pas disponibles. Selon vous, quelles recommandations pourrait formuler le comité afin que soit rendue disponible l'information qui est absolument nécessaire pour pouvoir se prononcer sur les effets des dispositions à l'étude?
M. Stuart : Monsieur le sénateur, je suis d'accord avec vous pour dire qu'il aurait dû suffire au Parlement d'exiger que les juges fournissent les motifs de leurs décisions. C'est simplement difficilement réalisable pour un juge d'une cour provinciale, et je crois que 95 p. 100 de toutes les audiences tenues au Canada le sont au niveau provincial. Les juges qui siègent aux tribunaux provinciaux sont de plus en plus expérimentés et, de par leur formation, semblent être des spécialistes du droit criminel, peut-être plus que les juges des cours supérieures. Ces juges sont donc appelés à rendre leurs décisions rapidement, au rythme de plusieurs par jour.
Supposons qu'un juge de la cour provinciale doive présider une audience en après-midi, mais qu'il a déjà cinq autres décisions à rendre cette même journée. Il est fort probable qu'il résume au plus court les motifs de toutes les décisions qu'il aura rendues cette journée-là. Il va suivre les directives du Parlement, mais il n'aura d'autre choix que de couper court.
Il faut aussi se demander si ces motifs sont diffusés de quelque manière que ce soit. Pour qu'ils soient consignés dans une base de données électronique, il faudrait que quelqu'un en commande la transcription. Ce n'est tout simplement pas ce qui se passe dans la réalité, car même si l'objectif d'entreprises comme Carswell ou Thomson Reuters, celle pour laquelle je travaille, est de publier ou de consigner électroniquement tout ce que disent les juges, il y a énormément de dossiers qui ne le sont pas.
Je vais vous donner un autre exemple. Le paragraphe 11(b) de la Charte, qui prévoit le droit d'être jugé dans un délai raisonnable, est une partie importante de la Charte. C'est une disposition qui a été appliquée maintes et maintes fois, et une foule de jugements ont été rendus à cet égard, mais ils n'ont pas tous été consignés quelque part.
Souvent, quand j'examine ces cas à titre d'éditeur, je me rends compte qu'il n'est pas pertinent de les consigner, car ils reposent sur des faits. On y applique des principes clairs pour déterminer que l'audience n'a pas eu lieu dans un délai raisonnable et ainsi suspendre la poursuite.
Il n'y a rien vraiment à signaler, autrement que le juge s'est fondé sur les critères établis par la Cour suprême pour déterminer qu'il ne s'agissait pas d'un délai raisonnable et qu'il convenait de suspendre la poursuite. C'est un élément très important, mais nous n'avons pas de données consignées à ce sujet non plus.
Monsieur le sénateur, je crois encore là que le Parlement a indiqué ses préférences. Selon moi, les juges se conforment probablement à leur devoir de fournir les motifs de leurs décisions. Mais ils ont aussi l'appui de la Cour suprême à cet égard, qui a statué dans l'arrêt Mills que les juges n'avaient pas à entreprendre une évaluation de chacun des facteurs énumérés, et ce n'est pas ce qu'ils font.
Le sénateur Baker : Autrement dit, cela revient au bien-fondé des motifs. Vous avez absolument raison.
M. Stuart : Oui.
Le président : Monsieur Stuart, c'est ce qui conclut la séance d'aujourd'hui. Au nom de tous mes collègues, je vous remercie sincèrement d'avoir examiné la question de près et de nous avoir transmis ces renseignements aujourd'hui.
Je dois avouer que ce sont, dans certains cas, de nouvelles idées et un nouvel éclairage à prendre en compte pour nous. Je peux vous assurer que nous allons étudier consciencieusement ce que vous nous avez présenté avant de conclure notre examen. Encore une fois, merci beaucoup. Peut-être que nous pourrons de nouveau faire appel à vous dans le cadre d'une autre étude.
M. Stuart : Merci beaucoup. J'ai toujours respecté le travail de votre comité au fil des ans.
Le président : Chers collègues, avant de lever la séance, je vous rappelle que nous poursuivrons notre étude du projet de loi C-46 demain à midi, dans la même salle. Nous nous revoyons donc demain midi.
Le sénateur Angus : Je crois avoir manqué quelque chose à propos du changement d'heure. Est-ce le nouvel horaire du comité?
Le président : C'est exact. Nous aurons un témoin en vidéoconférence demain.
Le sénateur Angus : Donc, ce n'est que pour demain?
Le président : Oui. L'horaire régulier reprendra pour les semaines suivantes.
(La séance est levée.)