Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 6 - Témoignages du 23 novembre 2011
OTTAWA, le mercredi 23 novembre 2011
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, à qui a été renvoyé le projet de loi C-16, Loi modifiant la Loi sur la défense nationale (juges militaires), se réunit aujourd'hui, à 16 h 16, pour étudier le projet de loi.
Le sénateur John D. Wallace (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour. Bienvenue à mes collègues sénateurs, à nos invités et aux membres du public.
Je suis le sénateur Wallace; je viens du Nouveau-Brunswick et je préside le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.
Chers collègues, nous allons tenir notre première réunion au sujet du projet de loi C-16, Loi modifiant la Loi sur la défense nationale (juges militaires). Ce projet de loi a été déposé au Sénat le 16 novembre 2011 et renvoyé au comité pour étude le 22 novembre 2011.
Le 2 juin 2011, la Cour d'appel de la cour martiale du Canada a rendu son jugement dans l'affaire R. c. Leblanc. Dans sa décision, la Cour d'appel a jugé que les dispositions de la Loi sur la défense nationale et les Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes concernant la nomination et la retraite des juges militaires ne respectaient pas suffisamment l'indépendance de la magistrature comme l'exige l'alinéa 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés.
Après avoir déclaré que certaines dispositions de la Loi sur la Défense nationale étaient invalides et inopérantes sur le plan constitutionnel, la Cour d'appel de la cour martiale du Canada a, dans R. c. Leblanc, suspendu la déclaration d'invalidité pendant six mois afin de permettre l'adoption de lois correctives. La déclaration entrera en vigueur le 2 décembre 2011.
Le projet de loi C-16 assure l'inamovibilité des juges militaires jusqu'à l'âge de la retraite fixé à 60 ans, sauf en cas de révocation motivée fondée sur la recommandation d'un comité d'enquête.
Le projet de loi abroge les dispositions actuelles de la Loi sur la défense nationale qui prévoient que les juges militaires sont nommés pour un mandat de cinq ans, renouvelable sur recommandation d'un comité jusqu'à ce qu'ils atteignent l'âge de la retraite fixé par un règlement pris aux termes de la loi.
J'ai le plaisir d'accueillir au comité, l'honorable Peter MacKay, C.P., député, ministre de la Défense nationale. Il est accompagné par le brigadier-général Blaise Cathcart, juge-avocat général des Forces canadiennes, et par le colonel Michael R. Gibson, avocat général adjoint, Justice militaire.
Monsieur MacKay, nous allons commencer aujourd'hui par entendre votre déclaration préliminaire qui sera suivie par les questions posées par les membres du comité.
Sénateurs, nous pensions au départ que le ministre devait rester avec nous une heure, mais il va bientôt y avoir un vote à la Chambre. Nous allons commencer immédiatement par entendre notre premier témoin ainsi que la déclaration d'ouverture que le ministre pourrait souhaiter faire.
L'honorable Peter MacKay, C.P., député, ministre de la Défense nationale : Merci sénateurs. Je suis toujours heureux d'être ici. Je vais essayer de vous présenter une brève déclaration d'ouverture pour que nous puissions ensuite passer aux questions.
Comme cela a été mentionné il y a un instant, le sujet à l'étude aujourd'hui est le projet de loi C-16, Loi modifiant la Loi sur la défense nationale (juges militaires). Comme vous le savez, ce projet de loi vise à assurer le bon fonctionnement de notre système de justice militaire, tout particulièrement celui des procès devant une cour martiale.
Avant de commencer, permettez-moi, honorables sénateurs, de vous remercier d'avoir accepté de considérer ce projet de loi dans un si bref délai. À mon avis, cela veut dire beaucoup de choses, mais du point de vue militaire, cela en dit beaucoup sur votre engagement à travailler avec les militaires, pour faire en sorte que les hommes et les femmes qui portent l'uniforme soient traités de façon cohérente. Je sais que vous comprenez l'urgence d'adopter ce projet de loi particulier, qui a une portée très étroite.
Le projet de loi C-15, qui vous sera présenté bientôt, traitera de questions plus vastes qui sont également apparues.
Il y a des membres du comité qui se souviennent de ma dernière comparution devant le comité en mars 2009. À l'époque, je comparaissais pour parler des questions touchant le projet de loi C-60, qui traitait des cours martiales et qui tentait également de moderniser la Loi. Tout comme le projet de loi C-60, le présent projet de loi, le C-16, propose des modifications simples, mais urgentes, à la Loi sur la défense nationale, qui sont exigées par la jurisprudence et par les contestations dont on fait l'objet de certains articles de la loi.
Le gouvernement a choisi de présenter ces modifications par le biais d'un projet de loi ciblé afin qu'elles soient adoptées d'ici le 2 décembre. La date du 2 décembre est importante à cause de la décision rendue par le juge. Je vous expliquerai dans un moment pourquoi cette date est importante.
Les modifications qu'introduit le projet de loi font toutefois partie d'un ensemble plus général de modifications qui visent à moderniser la loi, aspect que j'aimerais beaucoup aborder avec vous lorsque nous examinerons le projet de loi C-15.
[Français]
En juin dernier, la Cour d'appel de la cour martiale a rendu un jugement dans l'affaire R. c. Leblanc. Plus précisément, il a été déterminé que le processus de nomination des juges militaires actuellement, pour un mandat renouvelable de cinq ans, ne respecte pas suffisamment l'exigence constitutionnelle quant à l'indépendance judiciaire.
[Traduction]
La cour a accordé au Parlement six mois, ou jusqu'au 2 décembre, pour adopter des mesures correctives visant à mettre à jour la Loi sur la défense nationale. Si elles ne sont pas modifiées d'ici là, les dispositions portant sur la nomination et le mandat des juges militaires seront déclarées invalides parce qu'inconstitutionnelles. Je peux vous dire, honorables sénateurs, que cela causerait beaucoup de consternation, d'instabilité et, d'une façon générale, susciterait de nombreux litiges.
Dans le but d'éviter que cela se produise, le projet de loi C-16 propose de garantir l'inamovibilité des juges militaires jusqu'à ce qu'ils atteignent l'âge de 60 ans, sauf révocation motivée fondée sur la recommandation d'un comité d'enquête.
Monsieur le président, sénateurs, nous sommes conscients du fait que l'âge de la retraite proposé, soit 60 ans, est bien inférieur à celui de la retraite de la majorité des juges du système de justice civile, et encore plus à celui en vigueur ici; il faut toutefois tenir compte du fait que les juges militaires sont des officiers des Forces canadiennes qui ont obtenu une commission. Voilà pourquoi, il faut préserver un équilibre entre, d'un côté, le besoin de disposer de juges chevronnés et de l'autre, la « déployabilité » et la condition physique de tout le personnel militaire.
Je souligne une fois de plus que les membres de cette magistrature sont des membres actifs des Forces canadiennes; c'est-à-dire qu'ils sont assujettis aux mêmes règles et règlements que tous les membres des Forces canadiennes en service, qu'ils sont susceptibles d'être envoyés dans des endroits comme l'Afghanistan, Haïti ou à n'importe quel endroit où les Forces canadiennes peuvent être déployées. C'est pour cette raison que l'âge de la retraite prescrit pour les membres des Forces canadiennes est de 60 ans. Il est donc proposé que cet âge s'applique également aux juges militaires par souci d'uniformité.
[Français]
En garantissant la sécurité d'emploi des juges militaires jusqu'à l'âge de 60 ans, le projet de loi C-16 contribuera grandement à assurer leur indépendance continue au sein du système de justice militaire. Il permettra également de favoriser l'harmonisation du système de justice militaire avec les normes juridiques canadiennes et notre constitution.
Si le projet de loi C-16 n'est pas adopté rapidement, la capacité des juges militaires sera remise en question, ce qui causera une incertitude au sein du système de justice militaire.
[Traduction]
En conclusion, permettez-moi de vous remercier pour l'importante contribution que vous apportez à la santé et à la vitalité des Forces canadiennes, notamment en reconnaissant l'urgence du projet de loi C-16. De cette façon, l'armée canadienne, et plus particulièrement son système judiciaire, pourra continuer à fonctionner de façon efficace au service des Canadiens.
Je vous remercie, monsieur le président et honorables sénateurs. Je serai heureux de répondre à vos questions.
Le président : Lorsque le ministre devra se rendre à la Chambre, je crois que le brigadier-général et le colonel seront disposés à rester avec nous pour répondre aux questions supplémentaires que vous aimeriez leur poser. Notre première question est celle de la vice-présidente, le sénateur Fraser.
Le sénateur Fraser : Bienvenue monsieur le ministre; c'est toujours un plaisir de vous voir.
Je crois comprendre le raisonnement qui a débouché sur le choix de l'âge de 60 ans, même si je crois avoir lu que la déployabilité est moins problématique qu'auparavant parce qu'on peut utiliser les vidéoconférences, participer aux conférences préalables en utilisant des moyens électroniques et le téléphone.
Il me semble toutefois qu'un des avantages qu'offre un âge de la retraite des juges plus élevé est que ces derniers pourraient exercer leurs fonctions plus longtemps et accumuler la sagesse qui vient avec l'expérience. Je sais qu'ils sont tous compétents au moment de leur nomination, mais il est possible de penser qu'avec l'expérience, ils comprennent davantage le contexte et apprennent certaines choses. Avec un âge désormais fixé à 60 ans, quelle sera d'après vous la durée moyenne des fonctions des juges militaires? Avez-vous une idée là-dessus?
M. MacKay : Je pense que cet âge est conforme à ce qu'exigent les Ordonnances et règlements royaux, et que, s'il est fixé à 60 ans, il serait conforme à l'âge de la retraite actuelle au sein des Forces canadiennes. Il est inhabituel, pour ne pas dire plus, qu'un membre des Forces armées soit en activité après avoir atteint l'âge de 60 ans. Il y a bien sûr, des circonstances exceptionnelles, comme par exemple, en temps de guerre.
Le sénateur Fraser : Je comprends cela. Je vous demande à quel âge la plupart des juges seront nommés, d'après vous, avec le nouveau régime? Pendant combien d'années vont-ils exercer leurs fonctions de juge avant d'atteindre l'âge de 60 ans?
M. MacKay : Nous nommons en fait des juges de plus en plus jeunes. Cela dépend, comme pour la sélection des juges dans le système civil, des mérites et de la qualité du juge que nous recherchons. Il y a également des militaires qui, comme vous le savez, sénateur, s'engagent dans les Forces canadiennes dès l'âge de 17 ans. Bien souvent, ils font des études de droit tout en étant membres des Forces, mais je dirais que l'âge moyen des nominations à ce poste s'effectue en général dans la deuxième moitié de leur carrière, à la fin de la quarantaine ou au début de la cinquantaine.
Le sénateur Fraser : J'aimerais poser beaucoup d'autres questions, monsieur le président, mais je sais que le ministre ne dispose pas de beaucoup de temps. Si nous avons suffisamment de temps pour un deuxième tour de questions, vous pouvez inscrire mon nom.
Le président : Je le comprends, sénateur.
Le sénateur Baker : J'aimerais souhaiter la bienvenue au ministre et j'espère qu'il continuera de faire l'excellent travail qu'il accomplit dans l'Est pour tout le monde.
Les trois témoins sont tous d'anciens avocats plaidants et c'est le ministre qui a le plus d'expérience dans le domaine du contentieux. Des trois, c'est lui qui a passé le plus de temps devant les tribunaux. Ma principale préoccupation vient du fait que, depuis le milieu des années 1990, les tribunaux ont rendu toute une série de jugements qui disent que le rôle des juges militaires a été modifié profondément depuis que les tribunaux militaires entendent des affaires concernant le Code criminel et toutes les autres lois fédérales. Nous avons vu de nombreux jugements portant sur des contestations constitutionnelles, des contestations dans lesquelles les demandeurs obtenaient gain de cause, des décisions infirmées et ce genre de choses.
Pourquoi fixer l'âge de la retraite à 60 ans alors qu'un juge comparable, celui d'une cour supérieure, prend sa retraite à 75 ans? Pourquoi retenir l'âge de 60 ans puisque nous savons que conformément aux Ordonnances et règlements royaux, un militaire peut rester en activité après 60 ans s'il demande une prolongation de service au ministre ou au chef d'état-major? Pourquoi fixer l'âge à 60 ans, alors que vous auriez pu le fixer beaucoup plus tard?
M. MacKay : Permettez-moi de ne pas être d'accord avec vous, sénateur, pour ce qui est de la possibilité de fixer un âge plus élevé. Cela n'est pas prévu par les Ordonnances et règlements royaux. Cela s'explique par le service militaire, qui est un aspect tout à fait distinct des responsabilités qu'assume un juge civil.
Vous avez tout à fait raison de dire que les juges de notre système civil exercent leurs fonctions jusqu'à 75 ans et je crois également que, si on leur en donnait la possibilité, certains siègeraient encore plus longtemps. Votre argument, selon lequel les gens — et tous ceux qui sont ici en font partie — apportent une énorme contribution après 60 ans, me paraît tout à fait fondé. Par contre, le service militaire exige une certaine condition physique, même pour les juges, parce que les militaires doivent pouvoir être déployés et qu'ils doivent respecter la norme militaire en matière de condition physique.
Je vais vous raconter une anecdote au sujet de la réaction d'un jeune soldat par rapport à celle d'un soldat plus âgé et que m'a racontée un jour le général Hillier, ancien chef d'état-major. Il m'a dit que, lorsque vous demandez à un jeune de 19 ans de grimper une colline en courant, sous la pluie et sous un tir nourri, il le fait. Mais lorsqu'il arrive au sommet, il se dit qu'il a été stupide. Mais si vous dites à un soldat de 50 ans de courir jusqu'au sommet de la colline sous un tir nourri et sous la pluie, il va rester en bas de la colline et dire que cela est stupide.
L'âge, l'ancienneté et peut-être les points de vue modifient l'attitude d'un militaire. Cela ne s'applique pas aux juges, mais cela veut simplement illustrer que les attentes des jeunes soldats et de ceux qui restent dans l'armée jusqu'à l'âge de 60 ans sont toujours les mêmes. Même si cela est peu probable et si, comme le sénateur précédent l'a mentionné, il existe de nouvelles technologies qui permettent l'utilisation de la vidéoconférence, il y a des endroits comme Haïti, l'Afghanistan et certains théâtres d'opérations, où il faut être sur place pour agir en qualité de juge militaire; ils doivent donc respecter les normes de service applicables à tous les soldats. Cela a été confirmé par la Cour suprême du Canada et le projet de loi est conforme aux Ordonnances et règlements royaux, ainsi qu'à la jurisprudence.
Le sénateur Baker : Les Ordonnances et règlements royaux permettent à un militaire de demeurer en activité au-delà de l'âge obligatoire de la retraite.
M. MacKay : Habituellement, pour un an ou deux à la discrétion...
Le sénateur Baker : À votre discrétion.
M. MacKay : Oui, ils pourraient rester dans les FC, mais non pas en qualité de juge militaire. Ils pourraient rester comme colonel ou à un autre titre.
Le sénateur Baker : Mais avant de le faire, le juge doit prendre sa retraite. C'est une autre façon de le dire.
M. MacKay : Exact.
Le sénateur Baker : Vous avez mentionné que la Cour suprême du Canada avait déclaré que cela était légal. Par contre, lorsqu'on lit les résumés des cas entendus par le comité de grief on constate que, dans une décision du 12 janvier 2011, le chef d'état-major a eu une opinion différente de celle du comité de grief au sujet de l'âge de la retraite. Cela s'est passé après que vous ayez fixé l'âge obligatoire de la retraite à 60 ans; vous l'avez relevé.
Selon cette décision, le comité a admis que les changements de politique en découlant ne seraient pas applicables à cette personne. Ils ont toutefois déclaré que selon la jurisprudence, la discrimination fondée sur l'âge n'est plus justifiée à titre de limite raisonnable au sein d'une société libre et démocratique, selon l'article premier de la Charte.
Le président : Excusez-moi de vous interrompre. Il ne reste, je crois, que cinq minutes au ministre avant le vote. Si vous avez une question, pouvez-vous la poser rapidement?
Le sénateur Baker : Je vais libérer le ministre, mais j'aimerais demander, pour le compte rendu, aux deux autres témoins de répondre à cette question. Je remercie le ministre. Il connaît très bien ce sujet.
M. MacKay : Monsieur le président, je tiens à présenter mes excuses à tous les sénateurs. Je vais faire tout mon possible pour revenir, mais je vous laisse entre les mains, très capables, de ces messieurs. Encore une fois, je vous remercie de bien vouloir étudier ce projet de loi.
Le président : Nous comprenons cela, monsieur le ministre. Nous avons été très heureux de vous voir.
Le sénateur Baker : Puis-je poursuivre?
Le président : Oui, allez-y, sénateur.
Lorsque nous lisons ces résumés de cas du comité de grief et la réponse du chef d'état-major, nous constatons certaines choses. Par exemple, le ministre a mentionné la Cour suprême du Canada; on peut lire que le chef d'état- major a estimé que l'arrêt de la Cour suprême, McKinney, rendu en 1990, dans lequel elle a jugé que l'âge obligatoire de la retraite n'était pas discriminatoire, demeure la jurisprudence applicable, alors que la tendance contraire, plus récente, sur cette même question provient de tribunaux inférieurs, y compris de la Cour fédérale et de votre propre Cour d'appel.
D'après notre Charte, il n'est pas légal de fixer l'âge de la retraite à 60 ans, lorsque cela n'est pas approprié et là, je ne parle pas de catégories générales pour lesquelles il est possible de négocier ou de porter un jugement. J'estime que les fonctions de juge n'exigent pas que la personne qui les exerce prenne sa retraite avant de dépasser l'âge de 60 ans.
Brigadier-général Blaise Cathcart, juge-avocat général des Forces canadiennes, Cabinet du Juge-avocat général : Tout d'abord, monsieur le président, permettez-moi de vous remercier pour votre aimable invitation de comparaître devant ces sages sénateurs. J'étais ici la dernière fois à propos du projet de loi C-60 et j'ai eu un débat intéressant sur une question semblable. C'est un privilège d'être à nouveau devant vous.
Si vous permettez que j'en revienne aux principes fondamentaux, comme tous les avocats aiment le faire, l'essentiel de votre question, sénateur Baker — et peut-être celle du sénateur Fraser — porte sur l'âge et sur son lien avec la retraite. Je crois que c'est là une nuance, mais il me paraît important de faire remarquer que, selon le projet de loi, la nomination au poste de juge militaire prend fin à l'âge de 60 ans.
La retraite est un aspect distinct de cette mesure législative. La retraite est prévue par les Ordonnances et règlements royaux. Par conséquent, les dispositions que vous avez mentionnées et qui parlent de la possibilité de demeurer en activité s'appliquent à tous les officiers. L'âge de 60 ans concerne uniquement, à part ces officiers, les juges visés par le projet de loi. C'est peut-être une nuance, mais elle est importante.
Le sénateur Baker : Tout le monde peut dépasser cet âge, mais les juges ne peuvent pas le faire.
Bgén Cathcart : Ce n'est pas une retraite basée sur l'âge; c'est la fin de la nomination du juge lorsqu'il atteint l'âge de 60 ans.
Nous disons qu'après cet âge, il peut demeurer en activité, comme n'importe quel autre officier. Vous n'êtes pas nécessairement à la retraite à ce moment-là. Vous avez cessé de siéger comme juge, mais vous n'êtes pas à la retraite comme membre des Forces canadiennes si le ministre ou le chef d'état-major vous autorise à demeurer en activité, aux termes des Ordonnances et règlements royaux, si les circonstances s'y prêtent.
Pour en revenir à la question des droits de la personne, je pense que les arrêts de la Cour suprême indiquent clairement que l'âge de la retraite obligatoire est une mesure valide, et que cela touche tous les militaires, non pas les juges, mais tous les officiers et les sous-officiers. On retrouve cela également dans la Loi canadienne sur les droits de la personne qui prévoit une exception très précise pour les Forces canadiennes et pour qu'elles puissent imposer un âge de la retraite obligatoire.
Je ne pense pas que la tendance générale ou la jurisprudence permet ceci, alors que les décideurs estiment que nous sommes liés par un autre arrêt.
Le sénateur Baker : Il est toujours possible d'examiner les deux côtés d'une question; j'en conviens.
En conclusion, monsieur le président, nous avons tous lu le jugement qui a été rendu au sujet de vos soldes. Madame la juge L'Heureux-Dubé était membre de ce comité et elle a présenté des recommandations. Elle a formulé quelques commentaires à titre personnel; les avez-vous lus?
Bgén Cathcart : Je pense que vous faites référence au Comité sur la rémunération des juges militaires.
Le sénateur Baker : Oui, les juges soutenaient qu'ils étaient comme les juges des cours supérieures — que leurs fonctions n'étaient pas seulement militaires — de façon à obtenir une rémunération supérieure à celle d'un juge de la Cour provinciale, ce que le gouvernement a approuvé, une rémunération de plus de 200 000 $. Cet argument a été mis de l'avant au nom de l'indépendance de la magistrature. Pourtant, vous fixez cet âge à 60 ans pour aller à l'encontre, d'après certains, de l'indépendance des juges par rapport à celle d'autres juges.
Madame la juge L'Heureux-Dubé mentionne à la fin de ce rapport qu'il ne devrait pas y avoir de différence entre les juges fédéraux et les juges militaires. Pouvez-vous faire un commentaire sur l'observation générale que je viens de formuler?
Bgén Cathcart : Là encore, pour revenir aux principes fondamentaux, il faut partir du fait que dans R. c. Généreux, la Cour suprême a reconnu qu'il existait un système militaire séparé et distinct. Autrement, nous n'aurions pas ce genre de discussions; il fonctionnerait comme le régime civil.
Je crois que, comme la Cour l'a reconnu, cela doit vouloir dire quelque chose. Ce quelque chose est, je crois, toute une gamme d'orientations que peut choisir le gouvernement du Canada au moment où il l'estime nécessaire et pour préciser ce que cela veut dire.
Qu'est-ce qu'un système de justice militaire distinct? Que l'on parle de poursuivants, d'avocats de la défense, de juges et de tous les représentants que l'on retrouve dans le système civil, qu'est-ce que cela veut dire? Comment cela se présente-t-il dans un système de justice militaire? Pour ce qui est des juges, je crois que le choix qu'a fait le gouvernement — et que le Parlement a adopté — est de dire qu'il y a une différence entre un juge civil et un juge militaire.
La loi exige que le juge militaire soit un officier militaire qui a été membre d'un barreau pendant au moins 10 ans avant d'être nommé. Je pense que cela est conforme à une politique que de dire « un officier possède certaines qualités — une expérience, une compréhension de la culture militaire — qui lui permettent... ». Je ne dis pas nécessairement que je ne souscris pas au commentaire de madame la juge L'Heureux-Dubé, parce qu'elle examinait un cas particulier, celui de la rémunération. Par contre, si l'on relie tout cela à l'argument de l'inamovibilité — sur laquelle portait l'arrêt Leblanc et sur laquelle porte le projet de loi C-16 — alors c'est simplement une question de choix. Du point de vue de la Cour d'appel de la cour martiale du Canada, j'estime que fixer l'âge à 60 ans apporte une certitude plus grande que des mandats de cinq ans renouvelables. C'est la décision qui a été prise pour le moment.
Le sénateur Lang : Je crois pouvoir dire que tous ceux qui sont assis autour de la table admettent que le projet de loi respecte le principe de l'inamovibilité. La seule question qui fait réellement débat est celle du caractère approprié de l'âge qui a été retenu.
Ce qui ressort du projet de loi et de l'information qui m'a été fournie, c'est que l'âge de 60 ans découle du fait que vous êtes un officier militaire. Mais la question de la condition physique et la capacité de faire certaines choses qu'on ne demanderait peut-être pas à un juge civil est tout aussi importante.
Pourriez-vous nous en dire davantage sur la condition physique exigée? C'est un autre sujet de préoccupation. D'après ce que je comprends, le risque d'avoir une incapacité physique augmente avec l'âge. Cet aspect entre en jeu encore une fois pour ce qui est de votre capacité et de votre aptitude à vous rendre dans d'autres théâtres d'opérations où vous pourriez éventuellement être affecté. Pourriez-vous commenter cet aspect?
L'autre sujet a été soulevé au cours des débats d'hier par mon collègue, le sénateur Baker. Il s'inquiétait beaucoup de ce qui arriverait aux juges qui devraient cesser de siéger à l'âge de 60 ans, et de ce qu'ils feraient de leur temps. Il se demandait si les juges auraient les moyens de subvenir à leurs besoins jusqu'à la fin de leur vie.
Vous pourriez peut-être nous expliquer ce qui arrive, après l'âge de 60 ans, du point de vue des pensions de retraite, aux personnes qui acceptent les lourdes fonctions de juge.
J'ai une autre question. Les demandes de prolongation d'activité au-delà de l'âge obligatoire de 60 ans sont-elles fréquentes? Combien y a-t-il de membres des Forces canadiennes qui, à l'âge de 60 ans, souhaitent demeurer en activité pendant un ou trois ans à d'autre titre? Cela arrive-t-il?
Bgén Cathcart : Merci d'avoir posé ces questions. Je vais essayer d'y répondre. Je pourrais peut-être répondre aux deux premières — la condition physique et le risque d'invalidité — ensemble.
Encore une fois, ma phrase favorite est « Revenons aux principes de base ». Dans les Forces canadiennes, nous avons un principe que de nombreux sénateurs connaissent, je le sais, et qui est reconnu par la Loi canadienne sur les droits de la personne — c'est le principe de l'universalité du service. Ce principe veut dire essentiellement que tous ceux qui servent dans les Forces canadiennes sont d'abord des soldats. Pour être un soldat, il faut posséder au départ les aptitudes militaires fondamentales — comme la capacité de porter quelque chose, des brancards et un soldat blessé — et il faut une certaine condition physique pour pouvoir le faire.
Je suis juge-avocat général et je dois le faire aussi. Le chef d'état-major doit le faire aussi. Tous les militaires, y compris les juges, doivent le faire. Ce principe a été examiné par les tribunaux et ils l'ont approuvé. Cela reflète le fait que l'aspect essentiel est que chaque membre des FC doit pouvoir être déployé — très rapidement parfois — dans des endroits où il aura aussi à prendre soin d'autres personnes. Il pourra être appelé à s'occuper d'un camarade dans une tranchée.
Pour revenir à la remarque qu'a faite le sénateur Fraser au sujet de notre époque et des technologies de l'information, je dois dire qu'elle est exacte. Nous avons fait des progrès techniques. Dans les Forces canadiennes, nous nous trouvons souvent dans des pays où nous n'avons aucune capacité technique, en tout cas pas immédiatement. Lorsque nous en avons, ce sont les commandants qui l'utilisent parce qu'ils accordent bien sûr la priorité à la mission sur le terrain.
Par exemple, dans l'affaire récente bien connue, celle du capitaine Semrau — et la mort d'un taliban en Afghanistan il y a deux ans — il y a des juges de la cour martiale qui sont venus à Kandahar pour entendre les témoignages. Dans ce genre de situation, le juge militaire doit posséder les mêmes aptitudes que j'ai mentionnées, en plus de la capacité de se servir d'une arme. Lorsqu'on est à Kandahar, même dans les moments les plus calmes, on peut-être la cible d'attaques à la roquette. Le juge ne doit pas se réfugier dans un abri en disant « je suis un juge et c'est tout ce que je peux faire ». En tant qu'avocat, je dirais qu'il n'est pas souhaitable qu'on soit obligé de demander à un juge ou à un avocat de nous aider à nous sortir d'une situation. La réalité est que les FC s'attendent à ce que tout le monde le fasse.
C'est sur ce principe sur lequel repose l'idée que tous les militaires doivent être en bonne condition physique. C'est la raison pour laquelle si quelqu'un a une incapacité — perte d'un membre, problème médical ou diabète — nous intervenons de la même façon pour tous les soldats. Il faut décider s'il a la capacité de faire ce qu'il doit faire.
Tous ces éléments sont très importants. Les décisions du gouvernement qui sont finalement adoptées et édictées par le Parlement ont pour but de faire en sorte que tous les membres des Forces canadiennes, quels qu'ils soient, respectent ces normes.
La dernière question est celle de la prolongation — dans un sens large — des activités au-delà de l'âge de la retraite obligatoire. Premièrement, il y a un petit malentendu. Il ne s'agit pas simplement du fait que les militaires qui atteignent l'âge de 60 ans peuvent demander de rester en activité. Pour ce qui est de la cessation des fonctions du juge — parce qu'il est nommé jusqu'à 60 ans — n'importe quel autre officier ou sous-officier peut dire : « J'aimerais rester en activité ». Au départ, c'est la chaîne de commandement qui doit décider s'il existe un poste pour cette personne. Ce n'est pas parce qu'il atteint l'âge de 60 ans et que nous nous sentons obligés de prolonger son séjour dans l'armée, et cetera. Au départ, la chaîne de commandement a le pouvoir et le droit de dire : « Désolé, nous n'avons rien à vous offrir. »
Si la chaîne de commandement estime qu'il y a un poste pour cette personne, la demande est transmise — en suivant la chaîne de commandement — éventuellement jusqu'au chef d'état-major, qui prend alors une décision en fonction de certains critères. Habituellement, on se base sur les nécessités du service. S'il estime qu'il faut conserver ce soldat, ce marin, ce membre des Forces aériennes ou des Forces spéciales, alors les ORFC permettent de le faire.
Je n'ai pas de chiffres précis à vous donner. Je peux toutefois vous dire que, d'après mon expérience, le nombre des demandes qui sont transmises annuellement est très faible. Il y en a peut-être quelques-unes — une demi-douzaine peut- être — et je crois que c'est une évaluation généreuse. Personnellement, je n'ai jamais entendu parler qu'une de ces demandes ait été réellement approuvée par le chef d'état-major. Il décide qu'à son avis, il n'est pas nécessaire de maintenir ce militaire en activité au-delà de cet âge.
Je vais demander au colonel Gibson de vous parler de la question de la pension.
Colonel Michael R. Gibson, avocat général adjoint, Justice militaire, Cabinet du Juge-avocat général : Sénateurs, les juges militaires sont des membres des Forces canadiennes, et leur retraite est déterminée par la Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes. Autrement dit, ils ont le même régime de pension que les autres membres des Forces parce qu'ils sont membres des Forces canadiennes. Comme vous le savez probablement, aux termes de cette loi, les pensions sont calculées en fonction de la moyenne des cinq meilleures années de service du militaire. Étant donné que nos juges militaires sont très bien payés, il n'y a aucun risque qu'ils soient désavantagés par rapport aux autres militaires ni qu'ils ne puissent avoir une retraite confortable.
Le sénateur Meredith : Je vous remercie d'être venus cet après-midi. Nous étudions ce projet de loi en examinant comment il va modifier la Loi sur la défense nationale. Pourriez-vous nous en dire davantage sur la façon dont ce projet de loi peut avoir un effet sur vos opérations actuelles?
Bgén Cathcart : Comme vous le savez, la décision de la Cour d'appel de la cour mariale dans l'affaire R. c. Leblanc nous oblige à changer certaines choses. Cet article a été déclaré inconstitutionnel et la cour nous a donné six mois pour rectifier la situation; ce délai expire le 2 décembre. Si le projet de loi n'est pas adopté avant cette date, il y aura beaucoup de flottement dans le système de justice militaire. Les avocats de la défense pourront dire la prochaine fois qu'une cour martiale sera constituée que la CACM a déclaré que cette disposition était inconstitutionnelle et que le gouvernement n'a rien fait. Il y aurait de l'incertitude au sujet de ce que le juge pourrait décider.
Si ce projet de loi est adopté, il sera très clair pour tout le monde, tant parmi les militaires que ceux qui les observent de l'extérieur, que la nomination des juges prend fin à un certain âge. Comme le ministre l'a déclaré plus tôt, les juges doivent avoir été membres d'un barreau pendant 10 ans pour pouvoir être nommés, de sorte qu'ils sont habituellement nommés au début et au milieu de la quarantaine. Ils savent ainsi qu'ils pourront exercer leurs fonctions pendant 15 à 20 ans jusqu'à ce qu'ils atteignent l'âge de 60 ans, moment auquel leur nomination prend fin. Cela serait très utile parce que ce projet de loi apporterait la certitude dont a besoin n'importe quel système de justice.
Le sénateur Meredith : Le ministre a parlé dans son exposé de l'urgence d'adopter ce projet de loi. Vous pourriez peut-être nous parler de cet aspect. Pourriez-vous également comparer ce projet de loi avec le projet de loi C-15?
Bgén Cathcart : Merci d'avoir posé cette question. Comme la plupart des gens le savent, le plan initial du gouvernement, depuis les projets de loi C-7, C-45 et C-60, était d'introduire des changements législatifs importants à la suite du premier examen indépendant de la Loi sur la défense nationale qu'a effectué notre ancien juge en chef Antonio Lamer. À cause de diverses prorogations et élections, toutes ces tentatives sont mortes au Feuilleton. Nous ne pouvons pas tout contrôler. Les cours martiales ont continué leur travail et l'affaire Leblanc est arrivée au moment où le gouvernement voulait réintroduire le projet de loi pour mettre en œuvre les recommandations du rapport Lamer.
L'arrêt Leblanc portait précisément sur le principe de l'inamovibilité. La disposition en cause a été déclarée inconstitutionnelle et le gouvernement s'est vu accorder six mois pour trouver une solution. C'est la raison pour laquelle il est réellement urgent d'adopter ce projet de loi.
Initialement, le projet de loi devait faire partie du projet de loi C-15, qui est un projet de loi de portée plus vaste, et je suis sûr que les sénateurs seront intéressés à l'étudier lorsqu'il sera déposé. La plupart d'entre nous connaissent toutes les tentatives qui ont été faites pour mettre en œuvre les recommandations Lamer.
Le projet de loi C-15 tient compte du fait qu'il est possible que le projet de loi C-16 soit adopté avant lui, mais le projet de loi C-15 l'emporterait en cas de différence de formulation. Nous ne pensons pas qu'il y aura un conflit entre ces deux mesures.
Le sénateur Joyal : Je vous réfère au chapitre 4 du rapport Lamer, que vous connaissez certainement par cœur, et qui traite du sujet de ce projet de loi. Je crois que ce projet de loi met en œuvre la recommandation 5(1) du rapport Lamer, qui se lit ainsi :
Je recommande que les juges militaires soient nommés à titre inamovible jusqu'à leur retraite des Forces canadiennes, sous réserve uniquement de révocation motivée sur recommandation d'un comité d'enquête.
Le paragraphe 2(2) du projet de loi dit à peu près la même chose.
Je pense toutefois qu'il y a une différence d'opinion à la page suivante. Le projet de loi propose que le comité d'enquête soit constitué aux termes d'un décret en conseil.
La recommandation 6 du rapport Lamer, qui se trouve à la page 22, se lit :
Je recommande que la Loi sur la défense nationale soit modifiée afin de prévoir la composition du comité d'examen qui recommande la révocation motivée d'un juge militaire et les facteurs que ce comité doit prendre en compte à cette fin.
Lamer propose d'inclure dans la Loi sur la défense nationale le statut du comité d'enquête et les facteurs qu'il doit prendre en compte. Vous proposez de faire cela par le biais d'un décret en conseil.
Pourquoi n'avez-vous pas suivi la recommandation du rapport Lamer?
Col Gibson : Ce n'est pas ce que nous avons fait. Le juge en chef Lamer a recommandé, comme vous l'avez mentionné, que le comité d'enquête ne figure plus dans les règlements, dans les ORFC, ce qui est la situation actuelle, mais dans la loi, et cette disposition se retrouve dans les articles du projet de loi C-15. Ce projet de loi aurait pour effet d'inclure dans la loi les dispositions relatives au comité d'enquête et préciserait les critères qu'il doit prendre en considération pour formuler une recommandation.
Bref, je dirais que le gouvernement a accepté la recommandation et qu'elle est mise en œuvre par le projet de loi C-15. La raison pour laquelle elle ne figure pas dans le projet de loi C-16 est que celui-ci a été conçu pour être aussi simple et clair que possible pour qu'il soit adopté avant le 2 décembre. Le gouvernement a l'intention de mettre en œuvre la recommandation Lamer avec le projet de loi C-15.
Le sénateur Joyal : Autrement dit, lorsque le gouvernement présentera le projet de loi C-15, celui-ci modifiera le paragraphe 2(2)?
Col Gibson : Si vous m'accordez un instant, je vais vous dire quel est l'article du projet de loi C-15 qui traite de cette question.
Le sénateur Joyal : Le rapport Lamer se lit ainsi :
La composition du comité d'enquête et les facteurs qu'il doit prendre en compte sont décrits dans les ORFC. Or, des questions aussi importantes devraient être prévues clairement dans la législation principale pour éviter toute ingérence de l'exécutif, qu'elle soit réelle ou apparente. La LDN devrait donc être modifiée en conséquence.
Col Gibson : Le gouvernement a souscrit à cette recommandation. Les dispositions que l'on retrouve dans le projet de loi C-15, qui est à l'heure actuelle, soumis à la Chambre des communes, se retrouvaient dans le projet de loi C-7 présenté en 2006, dans le projet de loi C-45 présenté en 2008, et dans le projet de loi C-41 présenté en 2010.
Le sénateur Joyal : Pourquoi n'avez-vous pas ajouté un paragraphe (2) ou un paragraphe (3) pour rester sur la même question de la nomination des juges?
Col Gibson : Le gouvernement espère que le projet de loi C-15 progressera rapidement au Parlement et qu'il sera examiné dans un avenir proche. Nous avons estimé qu'il convenait de régler rapidement la question essentielle soulevée par la Cour d'appel de la cour martiale dans l'affaire Leblanc et c'est la raison pour laquelle le projet de loi C-16 est aussi concis.
Vous avez tout à fait raison de dire que les modifications apportées par le projet de loi C-16 sont extrêmement importantes et nous espérons qu'elles seront examinées dans un avenir proche.
Le sénateur Joyal : En lisant le jugement Leblanc, auquel le ministre a fait allusion dans son exposé, en particulier les paragraphes 61 et 62 de l'arrêt Leblanc de la Cour d'appel de la cour martiale du Canada, il est très clair que la cour voulait empêcher toute apparence d'ingérence de la part de l'exécutif.
Comme vous le savez, si vous pensez à la façon dont un juge de la Cour suprême ou de la Cour suprême peut être révoqué, vous savez qu'il ne peut l'être qu'après la tenue d'une enquête indépendante. Ce ne serait pas à l'exécutif de décider, et celui-ci ne pourrait intervenir ou modifier les règles pour cibler un juge particulier qui n'est pas favorable au point de vue de l'administration militaire ou du gouvernement en général.
Pour assurer l'inamovibilité des juges, il paraît tout à fait essentiel que l'on accorde une importance aussi grande à la révocation qu'à la nomination, pour que les juges sentent qu'ils jouissent d'une indépendance totale lorsqu'ils exercent leurs fonctions judiciaires.
Col Gibson : Nous pensons la même chose et le gouvernement a très clairement reconnu qu'il était important de modifier certains aspects de l'indépendance des juges. C'est la raison pour laquelle l'article 45 du projet de loi C-15 traite de la constitution du comité d'enquête. Ce projet de loi propose de modifier la Loi sur la défense nationale pour créer un nouvel article 165.31 qui traiterait du comité d'enquête. Les facteurs au sujet desquels vous posiez des questions seraient contenus dans le nouveau paragraphe 165.32(7).
Le président : Sénateur Joyal, j'aimerais terminer maintenant le premier tour de questions, et vous pourrez si vous le voulez intervenir pendant le second tour.
Le sénateur Joyal : Oui, bien sûr.
[Français]
Le sénateur Chaput : Sous le régime courant, les juges militaires ont des mandats de cinq ans renouvelables jusqu'à ce qu'ils atteignent l'âge de la retraite. Est-ce qu'on trouve des exemples de juges dont les mandats n'ont pas été renouvelés? Et si c'est le cas, quelles sont les raisons généralement invoquées pour un non-renouvellement?
[Traduction]
Col Gibson : Jusqu'ici, il n'est jamais arrivé qu'un juge fasse une demande en ce sens dans le cadre du régime actuel et que cette demande ne soit pas acceptée.
Le sénateur Chaput : Elles ont toutes été acceptées?
Col Gibson : Pour les juges qui ont présenté une demande.
[Français]
Le sénateur Chaput : Vous avez mentionné plus tôt qu'ils avaient 20 ans. Alors quel est le nombre d'années, en moyenne, durant lesquelles ont été juge? Combien d'années environ?
[Traduction]
Col Gibson : Il y a à l'heure actuelle quatre juges militaires, dont un a été nommé à l'âge de 50 ans et les trois autres ont été nommés au début de la quarantaine. Avec le régime proposé, s'ils cessent d'exercer leurs fonctions à l'âge de 60 ans, on peut estimer que l'un d'entre eux aurait occupé ce poste pendant 10 ans et les autres, s'ils atteignent cet âge, pendant environ 20 ans.
[Français]
Le sénateur Chaput : Pour les tribunaux de droit commun, les juges sont nommés suite à un processus de sélection assez rigoureux; c'est ce qu'on me dit, en tout cas. Avons-nous présentement un système comparable pour la nomination des juges militaires? Est-ce qu'on prévoit un autre processus ou on garde le même?
[Traduction]
Col Gibson : Le processus actuel de sélection et de nomination des juges militaires est très semblable à celui qui est utilisé pour les juges des cours supérieures civiles.
Il existe un organe appelé le comité de sélection des juges militaires, qui évalue les demandes des candidats qui souhaitent être nommés juges militaires. En fait, nous avons conclu une entente contractuelle avec le Commissaire à la magistrature fédérale, qui est le même organisme qui est chargé du processus d'évaluation des candidats à un poste de juge civil; il s'occupe de ce processus.
Les cinq membres du comité de sélection des juges militaires, qui comprend un juge d'une cour supérieure civile à la retraite, un représentant de l'Association du Barreau canadien, un représentant du juge-avocat général, l'officier qui occupe le poste de chef du personnel militaire et, pour veiller à ce que le point de vue des sous-officiers soit représenté, l'adjudant-chef des Forces canadiennes, constituent le comité qui est chargé d'examiner les dossiers des candidats à la magistrature militaire. Ils présentent des recommandations au sujet de l'aptitude des candidats selon un processus qui ressemble beaucoup à celui du système civil. Cette recommandation est transmise au ministre, qui, comme cela se fait de façon semblable dans le système civil, consulte ses collègues; c'est le gouverneur en conseil qui, finalement, procède aux nominations.
L'essentiel de la réponse à votre question est que le mécanisme militaire est très semblable à l'autre et fait appel à l'organe qui est chargé de l'évaluation des candidatures civiles.
[Français]
Le sénateur Chaput : En général, quel est le pourcentage de candidats qui sont recommandés si l'on compare aux candidats qui ont posé leur candidature?
[Traduction]
Col Gibson : Je crois que la recommandation que le Comité de sélection des juges militaires transmet au ministre et au gouvernement est de nature confidentielle. Je crois qu'il y a eu également, dans le passé, des cas où un des rapports du Comité sur la rémunération des juges militaires a fait référence à cette recommandation. Pour vous donner une réponse brève, je dirais que cette recommandation ne devrait pas être divulguée de façon à préserver l'intégrité du processus.
Le président : Si les modifications proposées par le projet de loi C-16 sont adoptées, cela entraînerait-il des coûts importants pour le système de justice militaire?
Col Gibson : La réponse est non, il n'y aurait pas de changements. Nous avons besoin de juges militaires. Il faut qu'il y ait des juges militaires de sorte que l'adoption du projet de loi n'entraînera aucune augmentation de coût.
Le sénateur Fraser : Brigadier-général Blaise, j'aimerais revenir sur le sujet des prolongations, « revenons aux fondamentaux », pour reprendre vos termes.
Un principe extrêmement important de l'inamovibilité des juges est qu'ils doivent être et paraître indépendants. Lorsque leur mandat était renouvelé tous les cinq ans, certaines personnes auraient pu entretenir une crainte raisonnable de partialité; le juge qui espérait que son mandat serait renouvelé, était, consciemment ou inconsciemment, influencé dans ses décisions, parce qu'il espérait que le ministre renouvèlerait son mandat.
Si les juges peuvent obtenir des prolongations, même si ce n'est pas à titre de juge, ils demeureront en activité, sans doute à un niveau assez élevé dans les forces armées. Cela ne va-t-il pas à l'encontre de ce principe fondamental? En quoi est-il différent de dire j'espère demeurer en activité ou j'espère continuer à siéger comme juge?
Bgén Cathcart : Encore une fois, comme vous l'avez souligné, la différence essentielle réside là. Premièrement, il est extrêmement rare, quelles que soient les circonstances, qu'une prolongation soit accordée à un membre des Forces canadiennes au-delà de l'âge de 60 ans, dans le cas présent, qui est celui de la retraite obligatoire. Si j'ai bien compris la question, le juge pourrait bien se dire, mon mandat se termine et je souhaite demeurer en activité. Je devrais peut-être agir d'une certaine façon pour convaincre le chef d'état-major ou le ministre que je veux continuer à servir dans les Forces canadiennes à un titre autre que celui de juge lorsque mon mandat se termine.
Bien évidemment, je ne prétends pas savoir ce que pense un autre membre des FC, un juge, par exemple, mais l'intention est de faire clairement savoir aux juges qu'entre leur nomination et l'âge de 60 ans, ils ne subiront aucune ingérence de la part du chef d'état-major, de l'exécutif — de la part du ministre ou d'un autre organe de l'exécutif — pendant cette période. Si, à la fin de son mandat, un juge veut continuer à être un membre des Forces canadiennes en activité, alors il doit évidemment démissionner. Il ne sera plus un juge militaire, il redeviendra un officier et il pourra faire son propre choix de carrière pour ce qui est de demander une prolongation pour occuper un autre poste au sein des FC.
Le sénateur Fraser : Il faudra tout de même que cette demande soit approuvée par la chaîne de commandement; ce ne serait pas automatique.
Bgén Cathcart : Tout à fait; mais c'est la même chose pour tous les membres des FC. À ce moment-là, le juge redevient un officier faisant partie des affaires juridiques, mais il ne serait plus juge.
Le sénateur Fraser : La raison d'être du principe de l'inamovibilité est que les juges ne sont pas comme les autres.
De toute façon, je comprends votre argument et vous comprenez le mien. Je ne pense pas que nous soyons d'accord sur ce point, mais permettez-moi de vous poser une question de suivi pour bien comprendre le système. J'ai été amenée à penser à cet aspect par quelque chose que le ministre a dite lorsqu'il parlait des raisons pour lesquelles l'âge de 60 ans avait été retenu. Il a déclaré que c'était ce que prévoyaient les Ordonnances et règlements royaux; il en va de même pour la possibilité d'une prolongation.
Cependant, si vous le souhaitiez, serait-il vraiment difficile de modifier les ORFC? Est-il plus difficile de les changer que d'adopter un projet de loi?
Col Gibson : Je me mords les lèvres, parce qu'en pratique il est difficile de changer les ORFC.
Pour répéter ce qu'a dit le JAG, le principe constitutionnel en jeu ici est celui de l'inamovibilité. Je pense affirmer que les dispositions des ORFC 15.17, la possibilité de demeurer en activité, est si ténue et si peu probable qu'il n'est pas vraiment possible de penser que cet aspect pourrait — dans l'esprit d'une personne raisonnable — être pris en compte dans l'évaluation de l'indépendance des juges.
Pouvez-vous donner une base plus factuelle, les juges militaires terminent à cet âge une longue carrière militaire. Lorsqu'ils atteignent l'âge de la retraite, ils ont le droit de recevoir leur pension immédiatement. Il est très peu probable qu'un juge dise : « Je peux recevoir ma pension demain, mais je vais rester un peu plus longtemps pour une rémunération sensiblement inférieure, celle d'un officier juridique du service général, à celle que je recevais comme juge militaire ». Sur un plan purement rationnel, il est très peu probable que quelqu'un ferait un tel calcul.
Le sénateur Fraser : J'ai une autre question à laquelle il devrait être facile de répondre.
L'essentiel de ce projet de loi est qu'un juge militaire cesse d'exercer ses fonctions lorsqu'il est libéré à sa demande ou s'il atteint l'âge de 60 ans. On retrouve ce passage dans le projet de loi C-15 à la page 18. Les deux projets de loi ont été déposés le même jour à la Chambre des communes. Pourquoi alors prendre la peine de placer cette disposition dans l'autre projet de loi et de l'insérer aussi dans celui-ci?
Col Gibson : Sénateur, pour répondre à votre question, je dirais que oui, les dispositions sont identiques. Cela est voulu. Le projet de loi C-15 contient un amendement de coordination qui prévoit que, si les deux projets de loi entrent en vigueur, ce sont les dispositions du projet de loi C-15 qui prendront effet. Cela a été fait de cette façon pour tenir compte du fait qu'en réalité, on ne peut jamais présumer de la volonté du Parlement ou de ce qui va arriver à un projet de loi particulier. Pour tenir compte de la possibilité que les deux projets de loi soient examinés par le Parlement rapidement et qu'ils soient adoptés en même temps, il fallait préciser clairement dans la modification de coordination que les dispositions du projet de loi C-15 l'emporteraient.
Elles sont symétriques et identiques. Le projet de loi a été rédigé pour tenir compte du fait que dans la réalité, un projet de loi de portée limitée est probablement adopté en premier.
Le sénateur Fraser : C'est ce que j'appelle une série d'amendements « Après vous, Alphonse ». Mes collègues savent peut-être que je ne les aime pas beaucoup, mais c'est la raison pour laquelle cela a été fait.
Le président : Je vais dire une évidence, mais au sujet de la question qu'a posée le sénateur Fraser — en fin de compte — vous deviez être absolument certain que cette modification serait adoptée avant la date butoir du 2 décembre. C'est tout. C'est une mesure de sécurité. Vous aviez la possibilités de le faire dans deux projets de loi, mais cet aspect était essentiel. Si j'ai bien compris, c'est pour cette raison qu'il y a ce double emploi entre le projet de loi C-15 et le projet de loi C-16. Vous deviez respecter ce délai. Est-ce bien exact?
Bgén Cathcart : C'est exact, monsieur le président.
Le sénateur Runciman : J'aimerais demander une précision au sujet de l'aspect que le sénateur Joyal a soulevé à propos des recommandations du juge Lamer. Vous avez mentionné que toutes les recommandations avaient été mises en œuvre avec le projet de loi C-15, si elles n'étaient pas incluses dans le présent projet de loi. Nous comprenons la nécessité d'un projet de loi succinct, mais je crois que vous avez déclaré que les autres recommandations formulées par le juge figuraient dans le projet de loi C-15?
Col Gibson : Sénateur, pour être clair sur ce point, je dirais que nous avons calculé que sur les 88 recommandations du rapport Lamer, 28 ont été mises en œuvre — soit en pratique, par le biais d'un règlement qui pouvait être adopté sans qu'il soit nécessaire de disposer d'un pouvoir légal explicite — et quatre d'entre elles figurent dans le projet de loi C-60. Trente-six des recommandations restantes figurent dans le projet de loi C -15 et un certain nombre d'autres recommandations seront adoptées par des règlements qui seront basés sur le pouvoir législatif accordé par le projet de loi C-15.
La réponse brève à votre question est que les mesures législatives que le gouvernement entend prendre au sujet des autres recommandations Lamer figurent dans le projet de loi C-15 et les règlements d'application.
Le sénateur Runciman : Je suis heureux de l'entendre. Vous avez mentionné qu'il y avait à l'heure actuelle quatre juges en fonction. Est-ce là le chiffre normal?
Col Gibson : Oui. Il n'y a pas de nombre fixe. Le nombre de juges nécessaires dépend du nombre des affaires à entendre. Il y a eu quatre juges pendant plusieurs années.
Le sénateur Runciman : Quel est le nombre des affaires en moyenne? Les juges sont-ils très occupés?
Col Gibson : Comme vous le savez, le système de justice militaire comprend deux niveaux; les procès sommaires et les cours martiales. L'immense majorité des affaires soumises au système de justice militaire font l'objet de procès sommaires. Cela représente habituellement près de 96 p. 100. Ce chiffre s'établit autour de 2 000 par an.
Il y a habituellement environ 75 cours martiales par an.
Le sénateur Runciman : Ces cours siègent-elles à Ottawa ou ailleurs au Canada?
Col Gibson : Un des éléments essentiels de notre système que nous estimons devoir respecter pour atteindre les deux objectifs fondamentaux du système de justice militaire — auxquels fait allusion le projet de loi C-15 — est la portabilité. Les FC opèrent dans le monde entier, y compris en Afghanistan. Il est nécessaire que le système de justice — si nous voulons atteindre les objectifs que constitue la promotion de l'efficacité opérationnelle et la justice — doit être en mesure de suivre nos forces militaires là où elles se trouvent. Les cours martiales siègent au Canada et dans les endroits où les militaires sont déployés.
Le sénateur Runciman : Vous avez parlé de la norme de la condition physique comme étant une des principales raisons à l'origine de l'imposition d'un âge de retraite obligatoire.
S'agit-il d'une évaluation annuelle que tous les militaires doivent subir chaque année? Pourriez-vous nous la décrire? Si quelqu'un échoue à cette évaluation, que peut-il faire?
Bgén Cathcart : J'ai fait allusion à cinq tâches fondamentales, notamment porter une civière et être en mesure de porter un objet lourd comme vos camarades.
Les FC consacrent beaucoup de temps et d'effort à déterminer comment procéder. Une des façons consiste simplement à le faire, concrètement, mais cela prend beaucoup de temps parce qu'il faut évaluer tous les ans la condition physique de près de 60 000 militaires.
Il y a deux types d'évaluation. La première est l'évaluation EXPRES FC, alors il y a donc deux types d'évaluations. Elle s'effectue dans un gymnase où tous les militaires doivent faire une course-navette, des abdominaux, des tractions et subir une évaluation de leur force.
Il est possible de réussir cette évaluation de deux façons. La première consiste à atteindre la norme de base. Le militaire qui dépasse la norme de capacité physique n'a pas à subir d'autre évaluation pendant un an parce qu'il a déjà atteint un niveau élevé au cours de la première évaluation.
En cas d'échec, il est possible de suivre une instruction de rattrapage. Cela arrive. Comme pour n'importe quelle évaluation, il y a des gens qui échouent de sorte qu'ils suivent une instruction de rattrapage — bien souvent cette instruction est donnée sur une base individuelle, comme avec un entraîneur personnel — et il subit ensuite une autre évaluation.
En cas de deuxième échec, la carrière du militaire est examinée, ce qui peut entraîner la libération des Forces canadiennes, parce que le militaire n'atteint pas la norme en matière de condition physique.
L'autre façon, dans l'armée en particulier — est ce que nous appelons le test d'aptitude physique au combat. Vous avez vu l'équipement. Vous portez un sac à dos chargé et faites une marche de 13 kilomètres avec une arme. Tous les militaires envoyés dans une mission comme l'Afghanistan — y compris les avocats — doivent passer ce test d'aptitude physique au combat s'ils n'ont pas passé l'évaluation EXPRES. En cas d'échec, on accorde un délai au militaire pour qu'il suive une instruction de rattrapage. S'il y a finalement un échec, le résultat immédiat est que le militaire n'est pas déployé et qu'il y aura probablement une révision de carrière qui pourrait entraîner la libération du militaire.
Le sénateur Runciman : Tous les juges militaires doivent mettre des vêtements de gymnastique et des souliers de course une fois par an.
Bgén Cathcart : C'est exact.
Le sénateur Baker : Je dirais que c'est une évaluation individualisée et je ne pense pas que cet argument soit très convaincant. Je connais des gens dans la soixantaine ou la soixante-dizaine qui sont bien plus en forme que des gens de 40 ans. Je pense que cet argument est faible.
Avant de poser ma dernière question, je tiens à vous féliciter tous les deux pour l'excellent travail que vous avez accompli à la suite des nombreux problèmes qui sont survenus récemment à cause des jugements prononcés par les cours martiales.
Par exemple, il n'est pas exact, à mon avis, de dire qu'à l'heure actuelle les juges ont un mandat de cinq ans. Je crois me souvenir qu'en 2004, avec les décisions R. c. Joseph et R. c. Nguyn, le mandat de cinq ans avait été annulé. Est-ce que je me trompe?
Col Gibson : Sénateur, les cours martiales de première instance ont rendu un certain nombre de jugements différents. Ils n'étaient pas uniformes et c'est une des raisons pour lesquelles les projets de loi C-7, C-45 et C-41 visaient à introduire le principe de l'inamovibilité jusqu'à la retraite. La Cour d'appel de la cour martiale a, dans l'arrêt Leblanc, définitivement résolu cette question en prononçant ce jugement.
Le sénateur Baker : Votre juge en chef n'a-t-il pas décidé dans trois ou quatre affaires qu'il supprimait ces mots, le mandat de cinq ans?
Col Gibson : Effectivement.
Le sénateur Baker : Effectivement. Exact. Cette disposition n'est donc pas en vigueur.
Col Gibson : Puis-je répondre?
Le sénateur Baker : Je vais poser ma question et vous aurez ensuite beaucoup de temps pour y répondre.
La Cour suprême du Canada n'a pas examiné le principe de l'inamovibilité en ce qui concerne les juges des cours militaires. Elle n'a encore rendu aucun jugement sur ce point.
Vous avez cité un jugement concernant un professeur d'université, McKinney, qui avait un litige avec l'Université de Guelph. C'est une autre question. Il s'agissait de l'application de l'article 9.2 du Code des droits de la personne de la province de l'Ontario. Cela n'a rien à voir avec la Charte canadienne des droits et libertés, alors que votre affaire la touchait directement.
Dans ces circonstances, il aurait été tout à fait logique d'interjeter appel de la décision de la Cour d'appel — vous aviez 30 jours pour le faire — devant la Cour suprême du Canada. Non, vous aviez 60 jours pour le faire. Il aurait fallu attendre un an environ pour que la cause soit entendue. Entre-temps, la restriction du mandat de cinq ans aurait été supprimée et vous auriez pu présenter toutes ces modifications en même temps. Si vous aviez attendu un jugement de la Cour suprême, nous aurions obtenu une réponse définitive sur toutes ces questions qui touchent les juges.
Je dois dire que le colonel Gibson a fort bien expliqué notre droit militaire. La dernière fois que je l'ai entendu parler était à l'Université Yale.
Col Gibson : Sénateur, j'aimerais faire plusieurs commentaires pour répondre à cette question.
Comme pour tout tribunal de première instance, la règle du stare decisis ne s'applique pas lorsque les décisions sont toutes rendues au niveau des juges de la Cour martiale. Divers juges militaires de première instance ont rendu des jugements différents.
La Cour d'appel de la cour martiale, qui est la cour d'appel qui exerce un rôle de surveillance, a examiné certains aspects de ces questions dans les affaires Parsons et Dunfy, mais elle s'est abstenue de saisir cette occasion de trancher définitivement ces questions. Dans un sens, l'arrêt Leblanc précise clairement le droit. La règle du stare decisis oblige les juges de première instance à respecter les décisions de la Cour d'appel de la cour martiale.
Si vous le permettez, sénateur, je mentionnerai que je ne suis pas tout à fait d'accord avec vous lorsque vous avez fait remarquer certaines choses au sujet des jugements de la Cour suprême du Canada. Dans Généreux, la Cour suprême a fait remarquer, en 1992, que l'obligation constitutionnelle d'assurer l'indépendance de la magistrature s'appliquait aux juges militaires, tout comme la Cour suprême du Canada l'avait déclaré sur un plan plus général dans l'arrêt Valente; d'après elle, il n'est toutefois pas nécessaire que ce principe soit respecté exactement de la même façon que dans le système civil. L'essentiel est qu'il est désormais clair que l'obligation constitutionnelle imposée par l'alinéa 11d) de la charte s'applique aux juges militaires.
Pour ce qui est de votre question au sujet des possibilités d'appel, j'aimerais revenir à un point fondamental. Dans son rapport de 2003, le juge en chef Lamer a fait une recommandation générale dans laquelle il disait que les juges militaires devaient être inamovibles jusqu'à leur retraite. Le gouvernement a accepté cette recommandation. Celle-ci se retrouve dans les dispositions du projet de loi C-7 de 2006, du projet de loi C-45 de 2008 et du projet de loi C-41 de 2010. Le gouvernement a essayé à plusieurs reprises de mettre en œuvre cette recommandation; c'est pourquoi je me demande à quoi aurait servi d'interjeter appel au sujet d'une recommandation que le gouvernement avait déjà acceptée.
Ce qui est différent au sujet du projet de loi C-16 après l'arrêt Leblanc par rapport aux projets de loi précédents est que ces derniers prévoyaient que l'inamovibilité des juges militaires jusqu'à l'âge de la retraite serait assurée par un règlement. Conformément à ce que la Cour d'appel de la cour martiale a déclaré dans l'arrêt Leblanc, le projet de loi prévoit un âge précis de façon à faire disparaître toute incertitude. Pour répondre brièvement à votre question, je dirais que cela fait longtemps que nous essayons de mettre en œuvre cette politique.
Le président : Je rappelle à tous les sénateurs qu'après ce panel, nous allons entendre M. Ian Holloway, doyen de la faculté de droit de l'Université de Calgary, qui va se joindre à nous par vidéoconférence. Nous pourrons entendre le doyen Holloway dès que nous aurons terminé avec ce panel.
Le sénateur Joyal : Je serai bref. Pour reprendre les mots que vous avez utilisés lorsque vous avez conclu votre réponse au sénateur Baker, le projet de loi reflète certaines politiques que vous avez essayé de mettre en œuvre avec d'autres projets de loi. Encore une fois, il ne faut pas présumer de la volonté du Parlement, pour citer ce que vous avez dit dans des réponses précédentes, mais vous n'êtes qu'à moitié chemin pour ce qui est de la mise en œuvre de la recommandation du rapport Lamer et vous nous demandez d'approuver un projet de loi qui, à première vue, n'y est pas conforme pour ce qui est du comité d'enquête qui doit être établi en cas de révocation d'un juge. Encore une fois, puisque cela figurait déjà dans un projet de loi qui avait été déposé, le projet de loi C-15, vous disposiez déjà d'une formulation. L'ajout d'un paragraphe 3 n'aurait pas grandement modifié le projet de loi que nous étudions et une telle disposition aurait réglé la question de façon définitive et achevé la réforme souhaitée. Je dois vous dire, parce que nous ne pouvons pas présumer de la volonté du Parlement ni du moment auquel le projet de loi C-15 sera adopté, qu'entre-temps, nous allons vivre avec un verre à moitié plein. Je ne doute pas de votre sincérité lorsque vous parlez des politiques que vous voulez garantir avec ces modifications, mais encore une fois vous aviez la possibilité de régler définitivement cette question.
Col Gibson : Le juge en chef Lamer a recommandé que les dispositions existantes touchant le comité d'enquête, qui figurent actuellement dans un règlement, soient placées dans la loi pour qu'elles soient plus visibles et renforcent la perception de l'indépendance de la magistrature. Nous sommes tout à fait d'accord avec vous et comme nous l'avons déjà mentionné, cette recommandation se retrouve dans les dispositions du projet de loi C-15.
Les critères et les aspects essentiels du fonctionnement du comité font déjà partie de notre droit. C'est une question de perception, il s'agit de faire passer ces dispositions au niveau légal, une opération tout à fait valide et utile, mais, je dois vous dire que je ne souscris pas à votre commentaire selon lequel la situation actuelle ne respecte pas tout à fait les règles constitutionnelles pour ce qui est de l'indépendance des juges. Le comité d'enquête est déjà prévu par un texte.
Le sénateur Joyal : Je ne veux pas me lancer dans un débat avec vous. Je le ferai devant une autre instance.
Il ressort des sections 61 et 62 de l'arrêt Leblanc que l'impression qu'il y a ingérence de la part de l'exécutif, ou plutôt le souci d'éviter toute perception de ce genre, fait partie de la neutralité qu'un système de justice neutre devrait offrir au public.
Ma dernière question, monsieur le président, porte sur la recommandation Lamer no 7, la suspension temporaire. Lamer recommandait que l'article 19.75 des ORFC soit modifié afin que les juges militaires ne puissent être retirés temporairement de leurs fonctions judiciaires. Dans la réponse que vous avez donnée au sénateur Runciman, selon laquelle vous avez mis en œuvre la plupart des recommandations en modifiant les règlements, pouvez-vous nous confirmer que la suspension temporaire a effectivement été supprimée de la disposition 19.75 des ORFC comme le recommandait le juge Lamer?
Col Gibson : Sénateur Joyal, si vous me donnez un instant, je pourrais vous répondre lorsqu'un de mes assistants aura confirmé que cela a effectivement été fait. Je ne voudrais pas induire le comité en erreur. Il est clair que nous avions l'intention de mettre en œuvre la recommandation Lamer.
Le président : Voilà qui termine cette partie de la séance d'aujourd'hui. Brigadier-général Cathcart et colonel Gibson, je vous remercie d'avoir comparu aujourd'hui. Nous avons vraiment approfondi cette question.
Chers collègues, nous allons poursuivre notre étude du projet de loi C-16, Loi modifiant la Loi sur la défense nationale, pour ce qui est de l'inamovibilité des juges militaires.
Notre témoin suivant est le doyen Ian Holloway, de la faculté de droit de l'Université de Calgary. Nous sommes très heureux de pouvoir entendre aujourd'hui par vidéoconférence le doyen Holloway.
Bienvenue, doyen Holloway, il est très agréable de vous voir ici.
Ian Holloway, doyen, faculté de droit, Université de Calgary : C'est un honneur d'être avec vous tous — et en particulier, avec vous monsieur le président. Je suis un peu votre voisin; je suis originaire de Saint John, au Nouveau- Brunswick.
Le président : Dans ce cas, je devrais probablement vous poser quelques questions supplémentaires. Je crois connaître votre famille, maintenant que vous le dites.
Doyen Holloway, encore une fois merci. Nous allons commencer par entendre votre déclaration d'ouverture si vous en faite une et nous passerons ensuite aux questions que les sénateurs voudront certainement vous poser.
M. Holloway : J'aimerais effectivement faire une brève déclaration. Comme vous le savez tous, je suis le doyen de la faculté de droit de l'Université de Calgary; j'ai été nommé à ce poste le 1er juillet de cette année. Auparavant, j'ai été doyen de la faculté de droit de l'Université de Western Ontario pendant 11 ans.
En plus de mon expérience universitaire, j'ai passé 21 ans dans la Marine royale canadienne. J'ai pris ma retraite comme premier maître. Par la suite, j'ai été pendant six ans officier de la Marine royale australienne. Je ne prétends pas être un expert du système de justice militaire mais, je peux quand même dire que c'est un sujet auquel j'ai consacré une bonne partie de ma vie.
Comme vous le savez tous, le projet de loi constitue une autre mesure visant à garantir le principe de l'indépendance de la magistrature au sein de la justice militaire. C'est un projet de loi très concis, mais j'estime qu'il est formulé de façon élégante. Il reproduit, le plus étroitement possible, le processus qui est utilisé pour la révocation et la retraite des juges civils; et il répond directement — d'après moi, en tout cas — aux préoccupations exprimées par le juge Létourneau dans l'affaire Leblanc. Dans la mesure où je le peux, je serai ravi de vous être utile dans l'étude de ce projet de loi.
Le président : Merci de ces commentaires.
Le sénateur Fraser : J'aimerais vous demander si, en pratique ou en droit, vous pensez que l'âge de 60 ans est un âge de la retraite obligatoire approprié pour les juges, pour le poste de juges.
M. Holloway : En droit, je dirais que c'est un âge neutre. On pourrait choisir 60, 50 ou 70 ans. L'élément essentiel qu'exige le principe de l'indépendance est qu'il ne faut rien avoir à craindre ou à espérer.
Sur le plan de la pratique, cela ne me paraît pas un mauvais choix, comme âge de la retraite, dans le sens que les juges militaires doivent être capables d'être déployés. Nous l'avons vu avec l'affaire Semrau, une affaire tragique dans laquelle un officier de l'Armée canadienne a été accusé de meurtre par compassion d'un Afghan. D'après ce que j'ai compris, la cour martiale a siégé en Afghanistan au moins pendant une partie du procès.
C'est la raison pour laquelle les juges militaires doivent être prêts à être déployés sur un terrain d'opération, à suivre la même instruction préalable au déploiement, ce qui exige une bonne condition physique et de l'énergie, ce qui a milité en faveur, à mon avis, du moins, de choisir un âge de la retraite plus jeune que 70 ou 75 ans, comme c'est la norme pour les juges de la cour supérieure dans la société civile.
Le sénateur Fraser : Tout comme mon collègue, le sénateur Baker, l'a fait remarquer il y a quelques minutes à nos témoins précédents, si la déployabilité — c'est-à-dire la condition physique — a été le critère pris en compte pour choisir l'âge de 60 ans, il y a de nombreuses personnes dans la soixantaine, de plus de 60 ans, qui sont en très bonne condition physique et qui décident de demeurer en forme. Ce choix n'est-il pas un peu trop arbitraire?
Je conçois que l'on pourrait fixer cet âge un peu plus tard, parce qu'il est évident que la condition physique se détériore avec l'âge, mais 60 ans me semble un peu jeune.
M. Holloway : En droit, la notion d'« arbitraire » indique une absence de motif. Je ne pense pas que l'on puisse dire qu'il s'agit là d'un âge arbitraire. J'ai terminé le marathon de New York, et je suis arrivé bien après des gens qui avaient plus de 70 ans. Il est vrai qu'il y a beaucoup de gens de plus de 60 ans qui sont en très bonne forme. Je dirais simplement que l'âge de 60 ans n'est pas un âge magique. Dans certaines provinces — en Nouvelle-Écosse, je crois, où j'ai été admis pour la première fois au Barreau — les juges de la cour provinciale, pour ne parler que d'eux, prenaient leur retraite auparavant à 65 ans, alors que l'âge était de 70 ans dans les autres provinces. Pouvons-nous dire que l'âge retenu en Nouvelle-Écosse est inconstitutionnel ou illégal et arbitraire parce qu'il est différent des autres provinces. Je n'en suis pas convaincu. Une décision a été mûrement prise, mais une évaluation a été faite d'après laquelle l'âge de 60 ans était le bon âge. Je ne dispose d'aucun élément m'indiquant que ce choix est arbitraire et inapproprié, en tant que terme juridique.
Le sénateur Fraser : J'aimerais vous poser une question qui n'a absolument rien à avoir avec le droit, mais qui m'intéresse. Comment êtes-vous entré dans la marine australienne? Comment cela est-il arrivé?
M. Holloway : Je me suis rendu en Australie pour faire un doctorat et je pensais que j'allais y rester à peu près un an; les années ont passé, deux, trois, quatre ans, et j'ai décidé de rester dans ce pays quelque temps. J'aime bien le service militaire, de sorte que j'ai donc démissionné de la marine canadienne et je me suis enrôlé dans la RAN.
Le sénateur Fraser : Ne faut-il pas avoir la citoyenneté pour le faire?
M. Holloway : Il fallait la citoyenneté, mais ça n'a pas été un problème. Comme de nombreux Canadiens, j'ai une double citoyenneté.
Le sénateur Fraser : Merci. C'est une question personnelle, mais je suis heureuse que vous ayez accepté d'y répondre.
M. Holloway : Je vous remercie, sénateur.
Le sénateur Meredith : Merci, monsieur, de comparaître cet après-midi. Pour revenir aux qualités requises des juges, et bien évidemment, nous avons parlé de leur condition physique; le brigadier-général nous a expliqué qu'il était très important que les juges, qui peuvent être déployés n'importe où au monde, soient capables de se déplacer rapidement et de porter également l'équipement nécessaire pour défendre leurs camarades.
On nous a dit qu'il était important que ces juges soient très compétents. J'aimerais connaître votre point de vue sur cet aspect pour ceux qui bénéficient maintenant, comme le sénateur Fraser l'a fait remarquer au sujet de l'âge, de l'inamovibilité après 60 ans? Quel est votre point de vue sur cet aspect par rapport aux juges et au projet de loi et au fait que le projet de loi prévoit qu'ils cessent leurs fonctions de juge à 60 ans, mais sans quitter l'armée?
M. Holloway : Je crois qu'ils doivent quitter l'armée aussi. Je ne suis pas très au courant de cette question, mais je pensais que 60 ans était l'âge de la retraite pour tous les militaires. Il est possible que je me trompe.
Le sénateur Meredith : D'après ce que j'ai compris, le brigadier-général Cathcart a déclaré que l'âge de la retraite des juges était de 60 ans selon ce projet de loi, mais qu'ils n'étaient pas obligés de quitter les Forces canadiennes à 60 ans.
M. Holloway : Alors vous en savez plus que moi, parce que je croyais que l'âge de la retraite pour tous les militaires était 60 ans. C'est pourquoi ce projet de loi a pour but d'assurer à tous les militaires le même traitement et de faire en sorte que les juges ne soient pas traités différemment, aux fins de la retraite, des autres membres des Forces canadiennes.
Le président : Sénateur Angus?
Le sénateur Angus : Je vais m'abstenir d'intervenir, si vous le permettez, monsieur le président. J'ai dû m'absenter un instant et je n'ai pas suivi la discussion. Je ne veux pas poser les mêmes questions qu'un autre intervenant.
Le président : Doyen Holloway, je suis certain que vous savez ceci, le projet de loi C-16 découle de l'arrêt de la Cour d'appel de la cour martiale, R. c. Leblanc. Le projet de loi C-16 apporte une réponse à cette décision. Je me demandais si vous aviez examiné l'arrêt R. c. Leblanc et si vous estimez que le projet de loi C-16 répond de façon appropriée aux aspects soulevés par la Cour dans cette affaire.
M. Holloway : J'ai lu le jugement à quelques reprises. Permettez-moi d'en dire quelques mots. Premièrement, je pense que vous savez tous que le juge Létourneau est un juriste éminent qui connaît depuis longtemps le système judiciaire, la magistrature judiciaire des cours martiales qui existent au Canada. Je serai enclin à m'en remettre à lui parce que j'ai beaucoup de respect pour ses capacités de juge.
Par ailleurs, je dirais que le projet de loi répond à ses préoccupations. Il parle dans son jugement des trois piliers de l'indépendance judiciaire : l'aspect financier, l'aspect administratif et la renomination. Ce projet de loi traite effectivement de l'aspect qui a été soulevé dans l'affaire Leblanc, à savoir la question de la validité d'un système dans lequel les juges ne savent pas combien de temps ils vont demeurer en fonction.
Comme vous le savez tous, nous étions dans une sorte de zone grise avant l'arrêt Leblanc. Une partie de la loi a été invalidée, mais nous ne savions pas si cette décision serait confirmée, avant que la Cour d'appel de la cour martiale ne se prononce sur cette question.
À mon avis, le projet de loi répond aux préoccupations exprimées par la cour.
Le président : Merci de votre réponse.
Le sénateur Baker : M. Holloway, avez-vous des commentaires à faire au sujet du paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés? Cette disposition interdit toute discrimination fondée sur l'âge. La Loi canadienne sur les droits de la personne énonce, à l'alinéa 15(1)c), que dans le cas de la retraite, il y a une exception à la « discrimination » pour la personne visée par la règle de l'âge à la retraite en vigueur pour ce genre d'emploi. Autrement dit, les juges militaires, comme vous le savez, assument à l'heure actuelle de lourdes responsabilités, plus lourdes que celles des autres juges, parce qu'ils doivent se prononcer sur les questions touchant la Loi sur la défense nationale et tous ces règlements. Ils doivent également appliquer le droit fédéral, notamment le Code criminel, avec quelques exceptions. Je pense que l'article 280 du Code criminel prévoit une exception pour les cas de meurtre et d'enlèvement d'enfant.
M. Holloway : Oui, au Canada, c'est exact.
Le sénateur Baker : Ils peuvent bien sûr exercer leurs pouvoirs à l'extérieur du Canada, ce que nos juges de la cour supérieure ne peuvent faire pour les affaires civiles.
Ils assument de lourdes responsabilités. Autrement dit, une personne raisonnable dirait que, si l'on veut comparer avec quelqu'un un juge militaire actuel, ce serait avec un juge de la cour supérieure ou avec un juge de la cour provincial qui sont eux inamovibles jusqu'à l'âge de 70 ans, dans le cas des juges de la cour provinciale, comme vous l'avez fait remarquer, et jusqu'à celui de 75 ans, pour les juges d'une cour supérieure fédérale. D'après certains jugements, une telle règle serait contraire à l'alinéa 15(1)c) de la Loi sur les droits de la personne parce que l'âge de la retraite doit être conforme à celui qui est équitable pour une personne qui fait un travail semblable, et elle porte également atteinte à la Charte canadienne des droits et libertés.
Avez-vous des commentaires à faire au sujet du choix de 60 ans comme âge de la retraite?
M. Holloway : C'est une excellente question, sénateur, et une question très subtile, si vous me permettez de le dire.
Je sais que ce n'est pas ce que vous voulez dire, mais si quelqu'un affirmait que le fait de fixer l'âge de la retraite à 60 ans pour les membres des Forces canadiennes est inconstitutionnel, alors il poserait une question beaucoup plus vaste que celle qui vous est soumise avec le projet de loi C-16. Il ne faut pas perdre de vue le fait que les juges militaires sont des officiers qui ont reçu une commission de la Reine. Ce sont des officiers militaires. Ils exercent un rôle particulier, tout comme celui des prêtres et des membres du clergé, des docteurs et des dentistes au sein des Forces canadiennes.
Si nous disons qu'il est inconstitutionnel d'obliger les juges à prendre leur retraite à 60 ans, cela veut-il dire que les médecins militaires peuvent travailler jusqu'à ce qu'ils meurent? En fait, dans de nombreux hôpitaux civils, il n'y a pas d'âge de la retraite à l'heure actuelle pour les médecins. Je ne pense pas qu'il soit possible de faire une comparaison en disant qu'un juge en uniforme est comparable à un juge de la société civile. La comparaison est un exercice un peu plus complexe.
Examinons, pour un instant, l'âge de la retraite des juges dans la société civile. À ma connaissance, la constitutionnalité des différents âges de la retraite applicable aux juges des cours provinciales dans les différentes provinces n'a jamais été contestée. Ainsi, les juges de la cour provinciale de la Nouvelle-Écosse n'ont pas le même âge de la retraite que ceux du Québec et ces deux provinces ont un âge de la retraite qui diffère de celui des juges au Manitoba. Si cela est constitutionnel, alors je ne vois pas très bien comment il est possible de dire qu'il est inconstitutionnel qu'une autre catégorie de juges soit obligé de prendre sa retraite à un autre âge.
Le sénateur Baker : Il faudrait porter cette question devant les tribunaux, mais qui aurait pensé que l'âge de la retraite des pilotes d'Air Canada qui est fixé à 60 ans aurait été contesté comme cela s'est produit? Tout récemment, il y a quatre mois, la Cour d'appel fédérale — ou était-ce bien la Cour fédérale — a déclaré dans l'affaire Valnier qu'il était inconstitutionnel de fixer l'âge de la retraite à 60 ans, même si 75 p. 100 des pilotes interrogés ont déclaré souhaiter que l'âge de la retraite soit fixé à 60 ans parce qu'ils avaient droit à très bonne retraite d'environ 130 000 $ par an. Il y a toutefois quelqu'un qui a contesté ce régime, et celui-ci a été déclaré inconstitutionnel.
Dans ce cas-ci, un juge pourrait fort bien contester cette règle.
M. Holloway : C'est possible; cela pourrait fort bien se produire. Je ne sais pas combien il y a de pilotes chez Air Canada, mais ils sont nombreux. Il y a, si j'ai bien compris, quatre juges militaires. Les Forces canadiennes viennent de connaître une longue période d'engagement extraordinaire et il faudra attendre peut-être un peu avant de voir à nouveau nos forces déployées à l'étranger. Il ne me paraît toutefois pas inconcevable d'envisager que nos quatre juges puissent être envoyés en mission et que, si l'un de ces juges a 74 ans et demi et ne possède pas les qualités requises, je me demande s'il ne serait pas un fardeau pour le système? Faut-il prendre en compte les aspects pratiques et les difficultés que cela pourrait causer?
Le sénateur Baker : Voilà une bonne réponse.
Avant de poser ma dernière question, parce que le président va m'interrompre bientôt, permettez-moi de vous dire que vous avez tout à fait raison. L'âge de la retraite est fixé à 60 ans. Vous aviez raison sur ce point, mais le sénateur Meredith faisait référence à ce qui se trouve dans les ORFC et l'article 15.17 autorise la prolongation du service d'un militaire, avec l'approbation du ministre de la Défense nationale ou du chef d'état-major. Par conséquent, il est possible d'accorder une prolongation et cela a été vérifié.
Voici ma dernière question. Connaissez-vous la juge L'Heureux-Dubé?
M. Holloway : Oui, j'ai comparu devant elle.
Le sénateur Baker : Oui, c'est exact, devant la Cour suprême du Canada. Elle a été très gentille avec vous. Elle vous a donné gain de cause.
M. Holloway : Effectivement.
Le sénateur Baker : Je vais vous demander maintenant si vous souscrivez à la façon dont elle a évalué la fonction des juges militaires. Elle faisait partie du comité et elle a comparé les juges militaires aux juges de la Cour canadienne de l'impôt dans la mesure où les juges militaires ne peuvent entendre les affaires civiles alors que la Cour canadienne de l'impôt, dans les affaires civiles, n'exerce aucune compétence dans le domaine pénal. Cependant, sous tous les autres aspects, ils sont itinérants et leurs fonctions sont semblables. Voici quelle a été sa conclusion :
À mon avis, ces critères sont les critères appropriés qui militent en faveur d'un système unifié pour la Cour fédérale [...]
Selon l'argument que l'on retrouve dans ce passage, les juges militaires exercent des fonctions tellement proches de celles des juges supérieurs qu'ils devraient recevoir la même rémunération et bénéficier de la même inamovibilité. Ils ont bien entendu le troisième pilier dont vous avez parlé au sujet de l'indépendance judiciaire, c'est-à-dire qu'ils ont les compétences — les pouvoirs.
Êtes-vous maintenant d'accord avec madame la juge L'Heureux-Dubé, puisqu'elle était d'accord avec vous, de façon si agréable, dans ce jugement de la Cour suprême du Canada?
M. Holloway : Je ne suis pas compétent pour parler de la rémunération des juges. Pour ce qui est de cette question plus large, non, je dirais qu'il y a une grande différence entre les juges militaires et les juges de la Cour de l'impôt. De la même façon, nous disons que les membres des commissions des relations de travail devraient apporter à leurs fonctions une expertise particulière qui reflète une très bonne compréhension du domaine et du milieu dans lesquels ils travaillent. C'est la raison pour laquelle à partir des années 1970, la Cour suprême du Canada a incité la fonction publique à professionnaliser le processus de prise des décisions administratives.
Il ne faut pas oublier que le travail qu'effectuent ces juges militaires peut concerner deux soldats qui se battus, mais qui l'ont fait dans un contexte particulier, dans un contexte social particulier qui est étranger à nous les civils.
Il me paraît essentiel que les juges connaissent bien ce genre de situation, qu'ils comprennent vraiment ce qui nous paraîtrait à nous, des civils, de la simple brutalité, mais également ce que cela veut dire, si cela se passe sur un navire de guerre qui se trouve à 1 000 kilomètres des côtes, au milieu de l'océan Atlantique, dans un blizzard, au mois de juin. Se disputer avec quelqu'un peut arriver dans un contexte fort différent, celui d'un ouragan en mer ou dans une université, là où je travaille, par exemple. C'est la raison pour laquelle je pense que la juge L'Heureux-Dubé, malgré la sagesse qu'elle apporte généralement à ces débats, a peut-être été un peu loin dans ce cas particulier.
Le président : M. Holloway, une dernière question qui nous ramène en particulier au projet de loi C-16. Comme vous le savez, dans R. c. Leblanc, la Cour d'appel de la cour martiale a déclaré que les dispositions relatives à la permanence des juges militaires étaient invalides et inopérantes parce qu'inconstitutionnelles. La cour a toutefois suspendu la déclaration d'invalidité pour une période de six mois, qui se termine le 2 décembre.
Je me demande si vous avez des commentaires à faire au sujet des conséquences qu'aurait pour le système de justice militaire, le fait que la sanction royale ne soit pas obtenue d'ici le 2 décembre. Cela vous paraît-il une mesure essentielle pour la justice militaire?
M. Holloway : Je pense que c'est un aspect tout à fait essentiel. Si nous admettons qu'il existe dans notre système judiciaire un principe et un axiome — en fait, je dirais dans les systèmes judiciaires — à savoir qu'au sommet se trouve la cour, si le fondement de l'existence de la cour disparaît, il est difficile de voir comment finalement les choses pourraient fonctionner.
Je dirais que les militaires, des deux sexes, avec qui j'ai servi sont des personnes loyales, nobles, disciplinées et travailleuses, de sorte que je ne pense pas que le monde s'écroulera du jour au lendemain. Cependant, en fin de compte, si nous voulons respecter la primauté de la loi, il nous faut une magistrature, parce que c'est elle qui est la pierre de touche de la primauté de la loi. Il serait, d'après moi, problématique que le fondement constitutionnel sur lequel repose l'existence de ces quatre juges qui assument toutes ces responsabilités disparaissait.
Le sénateur Meredith : C'étaient les questions que je voulais poser au doyen; elles portaient sur ce qui arriverait si le projet de loi ne recevait pas la sanction royale avant le 2 décembre, comme l'a déclaré le brigadier-général et aussi le ministre, ainsi que sur l'urgence d'adopter rapidement cette mesure législative. Vous avez en fait répondu à ma question.
Le président : Merci. Voilà qui termine nos questions et le temps que nous pouvons consacrer à M. Holloway.
Merci, monsieur Holloway. Nous avons apprécié votre comparution et vos commentaires nous ont été très utiles. J'ai trouvé important que vous me rappeliez d'où vous venez. Dès que j'ai appris cela, votre crédibilité s'en est trouvée immédiatement renforcée, même si elle n'a jamais réellement été mise en doute.
M. Holloway : Merci, monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs. C'était vraiment un honneur pour moi d'être avec vous cet après-midi.
Le président : Chers collègues, voilà qui termine la séance d'aujourd'hui. Nous reviendrons dans cette salle demain matin à 10 h 30 pour procéder à l'étude article par article du projet de loi C-16; nous poursuivrons ensuite notre étude du projet de loi C-46.
(La séance est levée.)