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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 11 - Témoignages du 15 février 2012


OTTAWA, le mercredi 15 février 2012

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui, à 16 h 18, pour étudier le projet de loi C-10, Loi édictant la Loi sur la justice pour les victimes d'actes de terrorisme et modifiant la Loi sur l'immunité des États, le Code criminel, la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et d'autres lois.

Le sénateur John D. Wallace (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour et bienvenue, chers collègues, messieurs les témoins, que je présenterai sous peu.

Je m'appelle John Wallace, sénateur du Nouveau-Brunswick, et je préside le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

Chers collègues, nous poursuivons aujourd'hui notre étude du projet de loi C-10 sur la sécurité des rues et des communautés. Cette mesure présente des modifications à un certain nombre de lois, dont celles que nous examinons aujourd'hui concernant notamment la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et le Code criminel.

Le projet de loi regroupe neuf projets de loi étudiés séparément durant la troisième session de la 40e législature.

Le projet de loi C-10 a été présenté à la Chambre des communes le 20 septembre 2011 par le ministre de la Justice, l'honorable Robert Nicholson. La Chambre l'a examiné plusieurs semaines avant de le renvoyer au Sénat le 6 décembre 2011 pour un autre examen approfondi.

Durant l'étude du projet de loi, notre comité tient des audiences supplémentaires et prolongées. Notre calendrier prévoit 11 jours d'audiences publiques, dont des journées complètes la semaine du 20 au 24 février 2012. Nous entreprenons notre cinquième audience sur le projet de loi C-10. Les audiences sont publiques et diffusées en direct sur le site parl.gc.ca.

En tout, nous avons invité environ 110 témoins. Les renseignements sur les convocations se trouvent sur le site parl.gc.ca, sous l'onglet des comités du Sénat.

L'audience d'aujourd'hui porte sur la partie 2 du projet de loi C-10, qui concerne la détermination de la peine et, surtout, qui propose d'apporter certaines modifications à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, ainsi qu'à d'autres lois.

Nous connaissons très bien la question, car nous avons étudié des mesures qui ressemblent beaucoup à la partie 2 du projet de loi C-10 durant les deux sessions précédentes.

En raison d'une motion adoptée par le Sénat, les documents et les témoignages que nous avons reçus pendant l'étude des mesures précédentes nous ont été renvoyés pour l'examen du projet de loi C-10.

En bref, les dispositions du projet de loi C-10 portent notamment sur : un, l'établissement de peines minimales obligatoires en cas d'infractions graves concernant le trafic de drogues, entre autres pour le crime organisé; deux, l'établissement de peines minimales obligatoires en cas d'infractions liées à l'importation, à l'exportation et à la production de certaines drogues, comme l'héroïne, la cocaïne, les méthamphétamines et la marijuana; trois, le soutien de la Stratégie nationale antidrogue pour lutter contre le trafic de drogues illicites en ciblant les fournisseurs; quatre, l'augmentation des peines maximales en cas d'activités illégales impliquant ce qu'on appelle la drogue du viol; cinq, la suspension ou l'élimination potentielle d'une peine minimale obligatoire par les tribunaux si le délinquant réussit un traitement pour toxicomanie.

Chers collègues, avant de présenter nos invités d'aujourd'hui, je demanderais à chacun de vous de donner son nom et la région qu'il représente, en commençant par la vice-présidente.

Le sénateur Fraser : Bonjour, je m'appelle Joan Fraser, du Québec.

[Français]

Le sénateur Joyal : Sénateur Joyal, je suis sénateur pour le district de Kennebec au Sénat.

[Traduction]

Le sénateur Baker : Sénateur George Baker, de Terre-Neuve-et-Labrador.

Le sénateur Jaffer : Sénateur Mobina Jaffer, de la Colombie-Britannique.

[Français]

Le sénateur Chaput : Maria Chaput, du Manitoba.

[Traduction]

Le sénateur Angus : David Angus, du Québec.

Le sénateur Lang : Dan Lang, du Yukon.

Le sénateur Frum : Linda Frum, de l'Ontario.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Pierre Hugues Boisvenu, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Runciman : Bob Runciman, de l'Ontario, Mille-îles et lacs Rideau.

Le sénateur Meredith : Sénateur Don Meredith, de l'Ontario.

Le président : Merci, chers collègues.

Notre premier groupe de témoins comprend un représentant de la Gendarmerie royale du Canada : surintendant Eric Slinn, directeur, Sous-direction des drogues.

Bienvenue, monsieur le surintendant.

Nous accueillons aussi Barry MacKnight, chef de police, Force policière de Fredericton. Je vous souhaite la bienvenue.

Monsieur le surintendant Slinn, je pense que vous souhaitez présenter un exposé.

Surintendant Eric Slinn, directeur, Sous-direction des drogues, Gendarmerie royale du Canada : Bonjour, monsieur le président, honorables sénateurs. Merci de l'invitation à témoigner aujourd'hui.

Je me présente, surintendant Eric Slinn, directeur de la sous-direction des drogues de la GRC. Je suis heureux de comparaître devant le comité et d'avoir la possibilité de prendre part à la discussion sur le projet de loi C-10 et de parler de son incidence sur notre travail.

[Français]

Permettez-moi de commencer mon discours par un survol de la situation actuelle des stupéfiants au Canada.

Au cours des cinq à 10 dernières années, le marché des drogues au Canada à connu des changements et s'est grandement complexifié. Même si le cannabis demeure la substance illicite la plus consommée au Canada, au point où les saisies de marijuana produite au Canada sont plus nombreuses que celles d'autres drogues illicites. Les drogues synthétiques constituent néanmoins un marché extrêmement viable pour le crime organisé tout comme le marché de la cocaïne qui demeure très fort. Le crime organisé de souche canadienne exploite maintenant un marché de drogue très diversifié destiné non seulement aux consommateurs canadiens, mais aussi à l'exportation, à l'importation et au transit.

[Traduction]

Le Canada demeure l'un des plus importants producteurs mondiaux de MDMA ou ecstasy et de méthamphétamine. Les groupes du crime organisé continuent de produire d'importantes quantités de MDMA et de méthamphétamine, dépassant de loin la demande du marché intérieur. Les surplus sont surtout exportés vers les États-Unis, mais aussi vers l'Asie et l'Océanie, consolidant ainsi le statut du Canada comme pays source de drogues synthétiques.

Il est clair que les groupes du crime organisé sont beaucoup plus astucieux qu'il y a dix ans. Nous constatons une collaboration sans précédent entre ces différents groupes, collaboration qui transcende les frontières traditionnelles que sont la culture, la géographie et les marchandises.

Pendant des dizaines d'années, l'application de la loi se limitait principalement à la répression de la drogue. Mais afin de répondre aux besoins des collectivités, les autorités policières ont dû évoluer à un rythme exponentiel.

Aujourd'hui, les enquêtes antidrogue comportent plusieurs facettes en ce sens que les policiers doivent comprendre les questions environnementales, manipuler des matières dangereuses, gérer les conséquences juridiques et politiques internationales, favoriser la conclusion de partenariats et s'adapter aux collectivités en constante évolution et à leurs attentes.

La façon dont interviennent les organismes d'application de la loi est un exemple tangible de la très grande complexité qui caractérise aujourd'hui le problème de la marijuana et des drogues synthétiques au Canada. Avec la mise sur pied de super laboratoires et de petits laboratoires clandestins dans les grands centres urbains comme Vancouver, Toronto, Montréal, Calgary ou Edmonton, ce n'est qu'une question de temps avant que les problèmes environnementaux causés par les matières dangereuses déversées dans les sols et les réseaux d'égout ne nuisent considérablement à nos infrastructures et ne compromettent la santé et la sécurité du public. Les groupes du crime organisé ne se soucient aucunement de l'environnement ou de la santé et de la sécurité publiques; ils sont déterminés et motivés par le gain.

[Français]

En réponse à ces problèmes de sécurité dans nos collectivités, la stratégie nationale antidrogue a été mise en œuvre à la fin de 2007. Cette stratégie cohésive et globale a assuré la santé et la sécurité des collectivités par des mesures coordonnées, qui visent à prévenir la consommation et à réduire la production et la distribution de drogues illicites ainsi qu'a traiter la dépendance de ces drogues.

[traduction]

Les fonds accordés dans le cadre de la Stratégie nationale antidrogue ont permis à la GRC de créer et de soutenir l'Initiative relative aux cultures de marijuana et l'Initiative visant les drogues synthétiques. Orientées par la Stratégie nationale antidrogue, ces initiatives regroupent des partenaires en une approche pangouvernementale, qui témoigne de l'avant-gardisme et du pragmatisme de la GRC dans la nécessité de relever les défis posés par la lutte antidrogue dans le contexte mondial d'aujourd'hui.

Pour ce qui est de la marijuana, la GRC a mis en œuvre l'Initiative en septembre 2011 afin de mieux contrer la culture de marijuana au Canada. Cette initiative repose sur la prévention, la dissuasion et la répression. Les premiers résultats de l'Initiative ont été accueillis favorablement par le public. Par exemple, le fait d'afficher l'emplacement des installations de culture de marijuana sur le site Web de la GRC a sans contredit favorisé l'engagement du public.

Par l'adoption de l'Initiative relative aux cultures de marijuana, la GRC ne prétend pas enrayer le problème, mais souhaite plutôt encourager les citoyens canadiens à agir pour que la lutte devienne une responsabilité partagée.

La marijuana est pour le crime organisé de souche canadienne une source de revenus qui lui permet de financer ses autres activités illicites non seulement au Canada, mais partout dans le monde.

La prévention et la sensibilisation sont des éléments importants de la stratégie antidrogue de la GRC et ne se limitent pas à l'Initiative relative aux cultures de marijuana. La GRC diffuse des messages aux segments de la population les plus vulnérables, surtout les jeunes, afin de les prévenir des dangers associés à la consommation de drogues et aux activités illégales connexes.

La prolifération de la culture de marijuana au pays par le crime organisé pousse les organismes d'application de la loi à remettre en question l'efficacité des activités de répression qui ne s'appuient pas sur d'autres mesures. Le crime organisé continue de contrôler la sous-culture jadis récréative de la marijuana pour en faire une industrie lucrative de l'ordre de plusieurs milliards de dollars. Pour les criminels, les risques liés à la santé et à la sécurité des Canadiens constituent les dommages collatéraux des guerres de territoire et de la violence qui minent sans distinction le bien-être des collectivités.

L'enjeu de la communication est la sensibilisation, c'est-à-dire de faire savoir qu'il y a un problème majeur et que le crime organisé et ses installations de culture de marijuana sont néfastes à la société. Le message est simple : le crime organisé nuit indifféremment et sans remords aux collectivités, de Victoria en Colombie-Britannique à St. John's à Terre-Neuve-et-Labrador, tant dans les quartiers huppés que les secteurs à revenus modestes.

Les organismes d'application de la loi doivent relever de nombreux défis qui l'amènent en terrain inconnu. Ce n'est que par la collaboration avec nos partenaires canadiens et étrangers que nous pourrons faire des gains dans la lutte contre le crime organisé. La législation adéquate est un outil important de la Stratégie nationale antidrogue, de l'Initiative relative aux cultures de marijuana et de l'Initiative visant les drogues synthétiques.

Qu'importe la législation ou la réglementation, le crime organisé cherche à tirer parti des failles. Il est donc important que les lois et règlements nouveaux visent à réduire ou à limiter non seulement la capacité du crime organisé d'exploiter le marché des drogues illicites, mais aussi sa capacité de contourner les lois et les règlements nouveaux.

L'imposition de peines minimales pour certaines infractions liées aux drogues, tel que le prévoit le projet de loi C-10, est un élément de dissuasion essentiel. Les individus au bas de la hiérarchie qui offrent un soutien crucial aux opérations des groupes criminels organisés y penseront à deux fois avant de faire de l'argent rapidement s'ils savent que l'emprisonnement est une conséquence inévitable.

[Français]

Il est clair que les intervenants canadiens de la lutte antidrogue collaborent et travaillent de concert comme jamais auparavant. La stratégie nationale antidrogue est efficace parce que la GRC et ses partenaires y souscrivent, et orientent ensemble leurs initiatives de manière à la soutenir.

Le projet de loi C-10 se veut un autre élément de cette stratégie qui aidera le Canada à mieux réduire l'incidence du crime organisé sur ces collectivités.

J'aimerais vous remercier, encore une fois, de m'avoir donné la possibilité de m'adresser à vous. Il me fera plaisir de répondre à vos questions.

[Traduction]

Le président : Merci beaucoup de votre exposé, monsieur le surintendant.

Chef MacKnight, souhaitez-vous présenter un exposé?

Barry D. MacKnight, chef de police, Service de police de Fredericton, Association canadienne des chefs de police : Oui, merci.

Honorables sénateurs, permettez-moi tout d'abord de tous vous remercier de l'invitation à témoigner aujourd'hui sur cet important projet de loi. Je m'appelle Barry MacKnight et, en plus de travailler à l'Association canadienne des chefs de police, l'ACCP, je suis le chef de police de Fredericton, au Nouveau-Brunswick.

En 2007, l'ACCP a adopté une politique sur les drogues élaborée par le comité sur la toxicomanie, que je préside. Cette politique établit la position de l'ACCP sur cette question très importante qui nuit tous les jours aux Canadiens. Sans parler de la souffrance que la consommation et l'abus de drogue causent aux Canadiens, il convient de mentionner que, selon la meilleure étude produite par le Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies, les drogues entraînent chaque année un coût social de 8,2 milliards de dollars au pays.

Permettez-moi de vous présenter un aperçu de la politique sur les drogues de l'ACCP. Nous croyons qu'il faut adopter une approche équilibrée sur la consommation et l'abus de drogues au Canada, axée sur la prévention, la sensibilisation, la thérapie, le traitement, la réadaptation et, si nécessaire, d'autres mesures comme la déjudiciarisation des délinquants.

Nous croyons qu'il faut s'occuper de tous ces thèmes de manière équilibrée. Ces thèmes doivent se fonder sur la loi et l'éthique, tenir compte des intérêts de tous et permettre d'établir un équilibre entre les intérêts de la société et ceux des particuliers. Nous croyons que les mesures doivent le plus possible s'appuyer sur les faits.

Nous sommes convaincus que le thème le plus important, c'est la prévention. Il est essentiel d'inclure la sensibilisation à la drogue et l'épanouissement des jeunes dans l'élaboration courante et soutenue des stratégies enseignées dans les écoles permettant de résister aux dangers de la toxicomanie.

Nous sommes déterminés à appliquer la loi contre les groupes organisés qui soutiennent et perpétuent la criminalité, la violence et le désordre public, et qui s'en prennent aux gens les plus vulnérables de nos communautés.

Nous préconisons que les services de police jouissent d'un pouvoir discrétionnaire dans les collectivités, mais nous croyons qu'il faut mettre l'accent sur l'application de la loi contre la possession de drogues et les consommateurs qui empêchent la communauté de profiter des biens publics et privés et qui favorisent le désordre dans les rues. Il faut accorder la priorité à l'application de la loi dans les parcs, les écoles et les environs ainsi que dans les lieux où les enfants et les jeunes sont vulnérables.

Concernant la santé des communautés et le traitement, nous appuyons une gamme de stratégies pour réduire les préjudices subis par la société. Par le passé, nous avons donné notre appui conditionnel à certaines mesures, comme les programmes d'échange de seringues.

Il faut réduire les préjudices causés aux collectivités pour soutenir les objectifs de santé publique, comme la diminution des taux de transmission du VIH et de l'hépatite de même que la prévention des surdoses. Toutefois, nous devons aussi prendre des mesures temporaires pour éviter que les toxicomanes contractent des maladies, se blessent ou décèdent avant de suivre un traitement et d'être guéris.

Certaines initiatives pour aider les toxicomanes peuvent entrer en conflit avec l'application de la loi pour assurer la sécurité publique. C'est pourquoi nous encourageons la communication entre les partenaires de la communauté pour gérer et réduire les conflits.

Le traitement réduit le nombre de toxicomanes et les habitudes de consommation qui nuisent à la société et pour lesquelles les policiers doivent consacrer des ressources importantes et limitées.

Nous soutenons les programmes prévus par la loi et disposant des ressources suffisantes, comme les tribunaux consacrés aux drogues et les autres mesures qui favorisent le traitement obligatoire et qui veillent à son application.

Les modifications que le projet de loi C-10 propose d'apporter à la partie 2 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances correspondent à la position de l'ACCP pour ce qui est de s'occuper des crimes les plus graves qui sont liés aux drogues et qui minent les collectivités. Ces modifications indiquent clairement aux Canadiens que les crimes graves liés aux drogues doivent être punis sévèrement.

Les circonstances aggravantes me paraissent claires : les infractions commises au profit d'une organisation criminelle; le recours ou la menace de recourir à la violence ou à des armes; les délinquants ayant purgé une peine d'emprisonnement liée aux drogues; les infractions commises dans une école ou aux alentours ou dans une prison; le recours à un mineur pour perpétrer l'infraction.

Ces modifications font partie de l'approche équilibrée qui, en fin de compte, oriente notre réaction collective face au crime lié aux drogues perpétré au Canada. La sécurité des policiers et des Canadiens dépend de la mise en œuvre efficace d'une telle approche.

Le président : Merci beaucoup de l'exposé, chef MacKnight.

Passons maintenant aux questions, en commençant par le sénateur Fraser.

Le sénateur Fraser : J'ai une question pour chacun de vous. Je vais d'abord m'adresser à M. Slinn, qui a présenté le premier exposé.

Vous avez dit que le projet de loi C-10 et l'imposition de peines minimales pour certaines infractions liées aux drogues jouaient un rôle essentiel dans la dissuasion. J'aimerais en savoir un peu plus sur les raisons qui vous amènent à penser que les peines minimales ont un effet dissuasif si important, parce qu'au fil des ans, les universitaires, les avocats et même une étude du ministère de la Justice nous ont montré que ce n'était pas le cas. Sur quoi vous fondez- vous pour affirmer que ces peines sont dissuasives?

M. Slinn : Je ne peux pas me prononcer sur les études. Je ne suis pas au courant de ce qui se fait dans le domaine. Mais certaines personnes qui ont participé par le passé à l'industrie de la marijuana m'ont dit qu'elles ne s'occupaient pas des plantations, parce qu'elles craignaient de purger une peine d'emprisonnement.

Certains groupes susceptibles de participer à la culture de marijuana subissent des pressions de la part des organisations criminelles. Dans les consultations tenues par la GRC dans les collectivités, certains ont affirmé qu'ils ne cultivaient pas de marijuana pour le crime organisé, parce qu'ils avaient peur d'aller en prison.

Cette crainte a un effet dissuasif jusqu'à un certain point. C'est difficile de dire dans quelle mesure le projet de loi C- 10 aura un effet dissuasif s'il est adopté. Je n'ai pas d'étude à vous présenter là-dessus, mais certaines personnes m'ont dit que les peines minimales avaient un effet dissuasif pour elles.

Le sénateur Fraser : Oui, c'est très difficile à dire. Je ne cherche pas à vous prendre en défaut. Vous nous faites part de ce que vous avez constaté. Nous devons comprendre les conséquences du projet de loi, et c'est parfois extrêmement difficile. Je vous remercie de votre réponse, car c'est une question importante.

Vous avez dit que les gens situés au bas de la hiérarchie dans les organisations criminelles étaient visés par le projet de loi. Je trouve que c'est très intéressant. Le ministre a parfois mis ça en doute.

M. Slinn : Je ne suis pas forcément prêt à dire que le projet de loi s'attaque aux exécutants. Les dirigeants de l'industrie de la marijuana ne s'occupent pas des plantations et ils désignent des responsables. Il faut prendre des mesures de dissuasion ou des sanctions contre ceux qui s'occupent des plantations ou d'autres activités clandestines. Même en raison des lois actuelles, certaines personnes nous ont dit qu'elles craignaient de purger une peine d'emprisonnement.

Le sénateur Fraser : Encore faut-il que les gens se fassent coincer. Nous pourrions en discuter longtemps, mais le président va bientôt m'indiquer que mon temps est écoulé.

Monsieur MacKnight, depuis que le projet de loi nous a été soumis il y a un certain temps — en fait, j'ai oublié quand —, j'ai toujours eu du mal à comprendre ce que signifiaient les infractions commises à l'intérieur ou sur le terrain d'une école, près de ce terrain ou dans tout autre lieu public normalement fréquenté par des personnes de moins de 18 ans ou près d'un tel lieu. Ce n'est pas banal, car si une personne offre un joint à un ami, elle peut écoper d'une peine d'emprisonnement de deux ans. C'est assez considérable. Pouvez-vous me dire comment vous interprétez ces dispositions et le fait d'être à proximité de tels lieux?

M. MacKnight : C'est une question intéressante. Je ne veux pas épiloguer, mais je pense que je peux aller au cœur de la question. Les tribunaux doivent souvent interpréter ce que signifie d'être à l'intérieur, aux alentours ou près d'un lieu. Je ne pense pas que ces dispositions poseraient des problèmes d'interprétation aux tribunaux ou aux policiers.

Concernant la personne qui offre un joint, un comprimé ou un autre stupéfiant et qui encourt une peine d'emprisonnement minimale pour trafic de drogue, c'est une bonne question. Je pense que certaines personnes craignent une telle peine.

Il importe de comprendre que, prises séparément, toutes les dispositions du Code criminel et, sans doute, des lois qui prévoient des sanctions peuvent entraîner une condamnation absurde. C'est le cas de l'infraction pour avoir offert un joint. Comment peut-il être juste qu'une personne soit passible d'une peine minimale et emprisonnée un certain temps si un juge ne peut pas exercer son pouvoir discrétionnaire?

En tant que policier, je peux vous affirmer que de telles arrestations ne se produisent pas. Nous ne nous concentrons pas là-dessus dans l'application de la loi. Les services de police et l'État ont des systèmes de freins et de contrepoids qui préviennent ce genre de situation. Dans ma région, l'accusation d'avoir offert un joint dans un dortoir d'université serait rejetée.

Le sénateur Fraser : Selon votre expérience, comment détermine-t-on qu'une personne se trouve près d'un lieu?

M. MacKnight : Je n'ai jamais constaté que les tribunaux avaient de la difficulté à interpréter ce que signifiait d'être dans un lieu ou près de celui-ci. Je ne peux pas vous répondre. J'imagine qu'on peut se reporter à la définition pure et simple de la proximité.

Le sénateur Fraser : Je présume qu'à 50 mètres, on est près d'un lieu. Selon vous, est-on près d'un lieu si on se trouve à 500 mètres?

M. MacKnight : C'est une question de contexte. Par expérience, les policiers, l'État et les tribunaux réussissent très bien à interpréter ce genre de choses. Bien des articles du Code criminel portent sur le fait d'être dans un lieu ou près de celui-ci.

Le sénateur Fraser : Mon temps est écoulé. Je ne sais pas toujours pas comment interpréter le fait d'être à proximité d'un lieu, mais je vous remercie beaucoup.

Le président : Ça montre sans doute qu'on ne peut pas tout établir avec une grande précision. Il faut examiner le contexte.

Le sénateur Runciman : Chef MacKnight, pour faire suite à votre réponse mais pas à propos des écoles, certains semblent penser à tort que le vieux hippie qui cultive quelques plants de pot pour sa propre consommation sera mis en prison à cause de ce projet de loi. Il est indiqué qu'il faut avoir participé au trafic de drogue. Les deux témoins peuvent- ils souligner le genre de preuve nécessaire à l'imposition de la peine minimale pour trafic? De plus, quels sont les facteurs aggravants?

M. MacKnight : J'ai un peu de mal à répondre, car je ne suis pas enquêteur en matière de drogues. Vos questions portent non seulement sur les circonstances de l'infraction, mais aussi sur la preuve présentée en cour par les procureurs.

Le sénateur Runciman : Il vous faut certaines preuves pour faire une recommandation aux procureurs.

M. MacKnight : En effet, et nos enquêteurs en matière de drogues savent quelles preuves ils doivent donner pour montrer qu'il y a eu trafic de drogue.

M. Slinn : Je peux peut-être apporter des précisions. Il faut un ensemble de preuves. Si nous saisissons six plants, nous examinons leur taille. J'ai vu des plants grands comme des sapins de Noël. Nous étudions ensuite le témoignage du cultivateur qui affirme qu'il consomme ce qu'il produit. Nos experts indiquent que les grands consommateurs fument de trois à cinq grammes par jour. Mais un plant de très grande taille donne plusieurs livres de marijuana. C'est un élément de preuve.

La maison peut contenir d'autres preuves, comme des registres comptables qui montrent que du trafic s'effectue. Nous pouvons examiner les comptes de téléphone. Il faut réunir beaucoup d'éléments pour prouver qu'il y a possession en vue de trafic ou qu'il y a trafic. Il n'est pas suffisant de trouver six plants, un bol de pilules d'ecstasy ou deux ou trois fioles de GHB. L'enquête doit amener un certain nombre de preuves que les procureurs vont examiner.

Le sénateur Runciman : Je me demande si vous pouvez tous les deux reparler de la détermination de la peine. Nous allons recevoir des universitaires. L'étude n'est pas très récente, car elle a été rendue publique en 2002. Étant donné qu'elle concerne la Colombie-Britannique, elle ne s'applique peut-être pas partout, mais certains sont préoccupés par la détermination de la peine en Ontario. Je parle des récidivistes coupables de plus de neuf accusations liées aux drogues, comme le trafic et la production. Moins de 50 p. 100 de ces individus ont reçu une peine d'emprisonnement, et la moyenne des peines est de moins de 60 jours, sans doute purgées dans une prison provinciale.

Je veux lier ma question à ce que le surintendant a dit sur la consolidation du statut du Canada en tant que source de drogues synthétiques, à l'approche qui tient compte des coûts et aux peines qui n'effraient pas les gens. Je me demande quelle est votre expérience partout au Canada. On constate que les peines imposées n'ont pas un effet très dissuasif en Colombie-Britannique.

M. Slinn : Je vais parler de mon expérience à Halifax, en Nouvelle-Écosse. Les cultivateurs purgeaient des peines dans les pénitenciers fédéraux, mais il y a une dizaine d'années, ils ont vite compris que les juges de la Colombie- Britannique donnaient des peines avec sursis. Il était troublant de constater que les gens arrêtés en Nouvelle-Écosse demandaient que les accusations contre eux soient transférées en Colombie-Britannique pour recevoir des peines moindres. Cela indique selon moi que les groupes du crime organisé et les individus impliqués savent comment s'en tirer à bon compte.

Ce n'est pas un hasard si les autorités aux États-Unis font état des énormes quantités de marijuana disponibles au Canada et de la variété cultivée en Colombie-Britannique. Il faut faire le lien entre les peines trop modestes pour la culture de marijuana et les quantités saisies aux États-Unis ou le fait que nos confrères d'application de la loi désignent le Canada en tant que pays source. C'est troublant de constater que la qualité de la marijuana augmente et que d'importantes quantités sont saisies aux États-Unis.

À mon avis, il y a une corrélation. Si on continue d'exporter de grandes quantités de marijuana aux États-Unis, c'est peut-être en partie parce que les peines d'emprisonnement ne sont pas assez sévères.

Le sénateur Runciman : Les modifications apportées par le projet de loi C-10 vous aideraient-elles à lutter contre la drogue?

M. Slinn : Tous les outils qui aident les organismes d'application de la loi sont bénéfiques. Bon nombre d'agents de police ou d'agents antidrogue sont frustrés de voir les mêmes personnes sortir de prison et recommencer à engranger des millions de dollars. Est-ce étonnant que plus de jeunes décident de cultiver de la marijuana, parce qu'il n'y a pas de conséquence? Il faut imposer des peines plus sévères.

Le sénateur Runciman : Chef MacKnight, voulez-vous ajouter des précisions?

M. MacKnight : Oui, si possible.

Des peines plus sévères ne constituent pas la solution magique. Le problème va demeurer, malgré les arrestations et les incarcérations. Nous devons adopter une approche équilibrée du début à la fin du processus.

Le projet de loi C-10 fait partie d'une approche équilibrée. Nous serons contents de bénéficier de certaines dispositions nécessaires à notre travail, si elles sont adoptées. Toutefois, ce projet de loi n'est pas une solution magique, et je crains qu'il ne change rien à lui seul. Il s'agit d'un des aspects de la lutte contre la drogue, comme le traitement et la prise en charge des toxicomanes avant qu'ils n'y laissent leur vie.

Le sénateur Runciman : L'éducation.

M. MacKnight : Certainement.

Le président : J'aurais une question complémentaire. Monsieur MacKnight, vous avez dit qu'il fallait adopter une approche équilibrée qui tient compte du traitement, de la prévention et de l'application. Le projet de loi C-10 semble être davantage axé sur l'application. Toutefois, vous avez fait référence à la Stratégie nationale antidrogue qui, si je ne m'abuse, tient compte de ces trois composantes. Auriez-vous un commentaire à formuler sur la façon dont la stratégie tient compte non seulement de l'application, mais également du traitement et de la prévention, deux composantes qui, selon vous, sont extrêmement importantes et font partie d'une approche globale équilibrée?

M. MacKnight : Je crois, monsieur le président, que la SNA nous a beaucoup aidés, car elle a permis de faire une chose qui n'avait pas été faite au Canada depuis plus de 20 ans, soit lancer un message clair aux Canadiens sur l'impact désastreux des drogues. C'est une des choses que la stratégie a permis d'accomplir. Je suis fier de voir des messages publicitaires à la télé sur l'impact désastreux des drogues, et ceux-ci ont été rendus possibles grâce à la SNA. Encore une fois, la stratégie a joué un rôle important à ce chapitre.

Je sais que le financement des programmes de traitement que l'on retrouve un peu partout au pays provient de la SNA. Mais est-ce suffisant? Je suis convaincu que non. Toutefois, c'est un pas dans la bonne direction, vers une approche équilibrée.

Le président : Encore une fois, il ne s'agit pas d'une stratégie unidimensionnelle. L'application fait partie de la SNA, mais ce n'est pas l'unique composante.

M. MacKnight : J'essaie de parler des thèmes.

M. Slinn : Comme l'a souligné M. MacKnight, nous ne réussirons pas à nous sortir de cette situation en multipliant les arrestations. Le pouvoir du gouvernement et des forces de l'ordre est limité avec l'Initiative relative aux cultures de marijuana adoptée par le gouvernement et l'Initiative visant les drogues synthétiques. Nous ne pouvons en faire plus.

Nous avons besoin de la participation de la communauté, dont les organisations non gouvernementales, les sociétés d'énergie qui perdent des millions de dollars et les compagnies d'assurances. Elles sont toutes touchées. Je crois que nous sommes en train de rétablir l'équilibre.

Le président : Merci.

Le sénateur Jaffer : J'ai beaucoup aimé vos déclarations. Je vais tenter de poser deux questions, et ma première s'adresse à vous, monsieur Slinn.

Nous avons entendu le témoignage de l'Association canadienne des policiers. Je suis originaire de la Colombie- Britannique, alors je ne suis pas fier de ce que vous avez dit. Je ne veux pas parler des membres de groupes criminalisés ou des pédophiles. Je crois que nous sommes tous d'accord qu'il faut les mettre au cachot.

J'ai beaucoup réfléchi aux propos du président de l'association. Je vais vous lire ce qu'il a dit afin que personne ne puisse contester ses propos. Il a dit : « Nous exerçons notre discrétion dans le cadre de nos activités d'application de la loi, par l'intermédiaire de nos agents de police de première ligne. Nous travaillons beaucoup avec la Couronne en matière de discrétion, de déjudiciarisation, par exemple, avant de déposer des accusations et d'aller en cour. »

Je lui ai posé une autre question, mais il a poursuivi sur sa lancée : « Les peines minimales obligatoires sont imposées une fois qu'une personne a été accusée. Ce que je dis, du point de vue de la perspective des policiers de première ligne, c'est que nous n'accusons que les délinquants chroniques qui prennent part à des crimes graves. »

Il a ajouté : « Nous n'arrêtons pas ces personnes et nous ne déposons pas d'accusations contre elles parce que ce n'est pas la bonne approche à adopter à leur égard. Il faut trouver des solutions de rechange. »

Ce qui me tracasse, c'est que les policiers ont un pouvoir discrétionnaire — et je suis absolument d'accord avec cela — pour ce qui est de décider qui inculper. Si je ne m'abuse, c'est ce que vous avez laissé entendre. Alors, pourquoi retirons-nous aux juges le pouvoir discrétionnaire qu'ils ont?

M. Slinn : Je ne crois pas que je puisse vous répondre.

Le sénateur Jaffer : Vous faites preuve de discrétion lorsque vient le moment de choisir qui inculper, n'est-ce pas? Vous avez ce pouvoir discrétionnaire.

M. Slinn : En effet.

Le sénateur Jaffer : Vous avez tous les deux parlé d'une approche équilibrée et de mesures de rechange. J'entends la passion dans votre voix. Plus particulièrement, monsieur MacKnight, vous avez parlé avec vigueur d'une approche équilibrée, un sujet qui semble vous toucher profondément.

Vous avez parlé de mesures de rechange. Vous dites que le gouvernement et les corps policiers ne peuvent tout faire, et on vous enlève les mesures de rechange qui existent. Les avocats de la Couronne sont venus nous dire qu'ils n'ont pas suffisamment de ressources. Comment allez-vous faire pour appliquer les dispositions du projet de loi C-10 avec les ressources que vous avez? Comment arriverez-vous à obtenir ce que vous voulez?

M. Slinn : L'impact qu'aura le projet de loi C-10, s'il est adopté, sur la GRC ou la police est encore inconnu. Pour vous répondre, il faudrait que je formule des hypothèses.

Vous avez tout à fait raison lorsque vous dites que les agents de la paix de première ligne ont un pouvoir discrétionnaire. S'ils n'utilisent pas ce pouvoir discrétionnaire correctement ou s'ils ne font pas preuve de bon sens dans leur décision, il revient à la Couronne de corriger le tir. C'est bien d'avoir ces deux options; ça leur permet d'être un peu plus indépendants.

En ce qui concerne les juges, je ne pourrais pas vous répondre. Ce serait inapproprié de ma part de le faire, et je ne saurais quoi dire. Les tribunaux de traitement de la toxicomanie semblent plus productifs. C'est ce genre d'options qui nous permet d'avoir une approche équilibrée.

Le sénateur Jaffer : Encore une fois, puisque je viens de Vancouver, je peux vous dire que ces tribunaux sont efficaces.

Ma prochaine question s'adresse à vous, monsieur MacKnight. Vous avez parlé avec éloquence d'une approche équilibrée en ce qui concerne l'abus d'alcool ou d'autres drogues et les mauvais traitements au Canada. Si je vous ai bien compris, vous appuyez les endroits comme la clinique Insite à Vancouver, c'est cela?

M. MacKnight : L'ACCP n'a pas adopté de position précise à l'égard des sites d'injections supervisés. Toutefois, l'extrait de notre politique sur les drogues que j'ai lu plus tôt est tiré de la même section qui parle de tout programme visant à réduire les préjudices dans la communauté. L'association est d'avis que c'est la communauté elle-même qui doit résoudre ce problème. Le fait qu'il y ait un site d'injections supervisé à Vancouver ne veut pas nécessairement dire que cette approche fonctionnerait à Toronto ou à Montréal.

J'ai amené les membres du comité sur l'abus de drogue visiter le quartier est du centre-ville de Vancouver. Nous savons que Vancouver est un endroit unique au pays en matière de drogues.

L'association appuie totalement la réduction des préjudices dans les communautés, car c'est également ce que nous faisons. Les communautés et nous avons le même objectif. Cependant, on remarque parfois que les initiatives visant à réduire les préjudices ne tiennent pas compte de la sécurité publique. L'ACCP est d'avis que la décision revient à la communauté.

Le sénateur Angus : Merci beaucoup, messieurs. Vous vous êtes bien exprimés et vos déclarations étaient claires, ce qui est très utile.

Est-il juste de dire que vous êtes tous les deux d'accord avec ce que l'autre a dit? Vous avez répondu différemment à la question.

M. Slinn : Nous sommes une fraternité.

M. MacKnight : Pardonnez-moi, monsieur le sénateur, mais il faudrait d'abord que je sache à quelle question vous faites référence. Nous nous appuyons l'un et l'autre et nous travaillons ensemble.

Le sénateur Angus : Vous êtes d'accord avec tout ce que M. Slinn a dit? C'est ce que je veux savoir.

M. MacKnight : Je tiens à préciser, sénateur, que l'ACCP n'a pas adapté de position officielle à l'égard des peines minimales obligatoires. Je sais que nos membres ont des opinions divergentes sur la question.

Je le répète, je crois que les peines minimales obligatoires sont une bonne chose dans la mesure où elles constituent une dénonciation vigoureuse d'une infraction. Une dénonciation vigoureuse à titre de mesure dissuasive générale pourrait être avantageuse. Les recherches ont démontré que les mesures dissuasives individuelles ne semblent pas fonctionner. C'est la raison pour laquelle l'ACCP n'a pas adopté de position officielle à l'égard des peines minimales obligatoires.

Le sénateur Angus : Auriez-vous quelque chose à ajouter, monsieur Slinn?

M. Slinn : La GRC accueille favorablement tous les outils.

Le sénateur Angus : Si j'ai bien compris, vous appuyez tous les deux le projet de loi C-10, à tout le moins la deuxième partie. Peut-on présumer que vous appuyez tous les deux le projet de loi en entier?

M. Slinn : Je répète que la GRC appuiera la décision finale quelle qu'elle soit. Nous sommes toujours satisfaits des outils que l'on nous donne.

Le sénateur Angus : D'accord. Je crois comprendre.

Monsieur Slinn, j'ai trouvé intéressants vos propos sur les drogues synthétiques et la raison pour laquelle elles sont si répandues. Vous avez parlé de production. Ces drogues sont-elles produites au Canada? Vous dites que le pays est en voie de devenir une plaque tournante importante pour la distribution de drogues synthétiques. Ces drogues sont-elles importées ou produites au Canada?

M. Slinn : Je dirais que la majorité des drogues synthétiques est fabriquée au Canada. Des précurseurs nécessaires à leur fabrication viennent de l'extérieur, mais il est possible aussi d'en obtenir ici.

Au cours des dernières années, nous avons constaté l'émergence de ce que nous appelons des « super labos », soit des laboratoires de production à grande échelle. Nous n'en avons pas découvert beaucoup, mais ils n'ont pas disparu pour autant. Nous en avons démantelé des plus petits. Nous avons collaboré avec des sociétés de produits chimiques et des gouvernements étrangers afin d'empêcher la circulation de ces précurseurs. Cependant, il faut comprendre que le crime organisé — et nous avons tenu un événement médiatique ce matin à ce sujet — qui fabrique ces drogues vont simplement utiliser d'autres produits chimiques toxiques. C'est tout qui entre dans la composition des méthamphétamines. Ce sont des solvants. Nous avons tous dans nos garages des produits nécessaires à la fabrication de ces drogues. Il est impossible de légiférer contre tous les précurseurs chimiques fabriqués sur le marché. La plupart des drogues synthétiques sont fabriquées ici.

Le sénateur Angus : Fabriquées au Canada en général, et non dans une région particulière. On nous a dit qu'elles sont produites en Colombie-Britannique.

M. Slinn : Nous ne voulons pas être trop durs à l'endroit de la Colombie-Britannique. Oui, la Colombie-Britannique a une réputation en ce qui concerne les installations de culture de marijuana, mais on retrouve de telles installations partout au pays. Je dirais que c'est la même chose dans le cas des laboratoires clandestins.

Le sénateur Angus : Dans votre mémoire, monsieur Slinn, vous utilisez l'expression « crime organisé » en lettres majuscules. Ma question peut paraître bizarre, mais de qui voulez-vous parler? Permettez-moi de préciser ma pensée. Il est bien question de groupes criminalisés. Vous avez dit que divers groupes travaillent ensemble. S'agit-il de groupes étrangers? De groupes américains? Sont-ils situés outre-mer ou s'agit-il de groupes locaux? Parlez-vous de groupes structurés?

M. Slinn : Il s'agit de groupes structurés établis au Canada et disposant de réseaux mondiaux. Les Hells Angels en sont un bon exemple. Ce groupe a des chapitres un peu partout dans le monde, et la technologie lui a permis d'établir un réseau. Certains groupes sont culturels — le crime organisé asiatique établi au Canada entretient des liens avec la Chine, ce qui lui permet d'obtenir des précurseurs. Ce sont des groupes établis au Canada, qui mènent leurs activités au Canada, mais qui disposent de réseaux mondiaux.

Le sénateur Angus : Mais vous savez qui ils sont?

M. Slinn : Nous en connaissons plusieurs, mais il y en a beaucoup que nous ne connaissons pas, malheureusement.

Le sénateur Angus : Il y a une chose qui m'intrigue. Bon nombre de témoins nous ont dit que l'intention des diverses lois n'était pas de mettre la main au collet d'un jeune qui se promène avec trois joints de marijuana dans les poches. C'est le crime organisé qui est visé.

Un des membres de ma famille est infirmière-chef dans un hôpital du Québec. Un jour, une femme est venue à l'hôpital pour donner naissance et s'est soudainement retrouvée entourée de policiers. Il s'agissait de la conjointe d'un membre important des Hells Angels. Alors que j'étais sur place, j'ai vu le fleuriste amener d'énormes bouquets de fleurs offerts par le chapitre local des Hells Angels, et ce, devant les yeux des policiers. Je me suis dit : « Mais pourquoi est-ce si difficile de mettre la main au collet de ces gens? Ils sont juste ici, à l'hôpital. »

M. Slinn : Je crois savoir où vous voulez en venir. Nous connaissons bon nombre des têtes dirigeantes du crime organisé. Nous savons qui est le président, le vice-président et le trésorier. Nous avons ces renseignements. Cependant, en vertu de la loi actuelle, ce n'est pas suffisant pour les inculper.

Les enquêtes sur le crime organisé demandent beaucoup d'efforts, de ressources et de temps. Je veux être clair à propos du mandat de la GRC : le crime organisé est dans notre mire. Nous ne visons pas les petits joueurs, mais bien le crime organisé. Cela prend du temps. Par l'entremise de la SNA, le gouvernement nous fournit les fonds nécessaires pour lutter contre le crime organisé, trouver les cultures de marijuana et démanteler les laboratoires clandestins. C'est ce que nous faisons.

Le sénateur Angus : J'aimerais apporter une précision à la suite des dernières questions. Le témoin vient une fois de plus de parler de la SNA. Dans sa déclaration, il a dit que la stratégie avait été mise en œuvre vers la fin de l'année 2007. Vous avez posé des questions au sujet de la stratégie, notamment sur son efficacité. Qui a mis en œuvre la SNA?

M. Slinn : C'est le gouvernement.

Le sénateur Angus : Le gouvernement fédéral?

M. Slinn : Oui.

Le sénateur Angus : La Stratégie nationale antidrogue.

M. Slinn : C'est exact.

Le président : Merci, monsieur le sénateur.

J'aimerais rappeler aux sénateurs que notre temps est limité. Donc, si vous pouviez poser des questions aussi brèves que possible, je vous en serais reconnaissant. Je demanderais aussi à nos témoins de garder leurs réponses le plus brèves possible sans pour autant laisser de côté des détails importants.

Le sénateur Baker : J'aurais deux questions à poser. J'aimerais d'abord dire à quel point nous sommes reconnaissants envers la GRC et les corps policiers du Canada pour le travail formidable qu'ils font, notamment les agents qui patrouillent dans les rues et les membres des équipes antidrogue. Je crois qu'il faudrait doubler leur salaire.

Je prévoyais poser une seule question, mais finalement, je vais en poser deux. En guise d'introduction à ma première question, que je n'avais pas prévu poser, j'aimerais citer des extraits de quelques affaires juridiques. Dans l'affaire R. c. Chu, numéro du greffe Vancouver 192265, on peut lire dans le premier paragraphe : « L'accusé fait l'objet d'un chef d'accusation de trafic d'ecstasy. Les aveux qui m'ont été soumis ont établi que l'accusé a commis le délit le 28 octobre lorsqu'il a donné un comprimé d'ecstasy à une agente banalisée, l'agente Haines, lors d'un party rave au Pacific Coliseum. »

Au paragraphe 51 du jugement, on peut lire :

La preuve établie que l'accusé s'est rendu coupable de trafic d'ecstasy en « donnant » de l'ecstasy à un agent banalisé. Cette condamnation doit être enregistrée.

Récemment, il y a eu l'affaire R. c. Austria, numéro du greffe Vancouver 236504. Au paragraphe 6, on peut lire que l'accusé a été inculpé pour possession en vue d'en faire le trafic après avoir vendu un comprimé à un agent banalisé.

Il y a également l'affaire R. c. Ye, numéro du greffe Vancouver 193535-1. Au paragraphe 1, on fait état des différents projets : le projet Twiggler, le projet Temporal, le projet Thirst et le projet Tirana au cours desquels des douzaines de personnes ont été arrêtées dans le cadre de descentes. Dans tous les cas, un comprimé a été donné, ce qui a mené à des accusations.

À Terre-Neuve, il y a eu l'affaire R. c. Millet, numéro du greffe 308APR188 — je crois que je connais cet accusé. Dans le sommaire de l'audience de détermination de la peine, le juge dit :

L'accusé a été reconnu coupable de possession de stupéfiant dans le but d'en faire le trafic. L'accusé a donné un joint de marijuana à un agent banalisé. Il a été condamné à une peine d'emprisonnement de trois mois pou trafic de drogues.

Dans la cour martiale canadienne, on retrouve une liste semblable d'affaires relativement à la possession d'un joint ou d'un comprimé. Ma question est la suivante : est-ce que vous dites que, en vertu de cette nouvelle loi sur les peines minimales, la police ne portera pas d'accusations dans ce genre de cas?

M. MacKnight : Premièrement, je ne suis pas au courant de ces affaires. Sans contexte, il m'est difficile de répondre.

Le sénateur Baker : C'est inhabituel de porter des accusations dans ce genre d'affaires, n'est-ce pas?

M. MacKnight : Tout ce que je peux dire pour le moment...

Le sénateur Baker : Vous avez dit que ça ne se fait jamais.

M. MacKnight : Y avait-il des agents banalisés d'impliqués?

Le sénateur Baker : Dans tous les cas, il s'agissait d'opérations d'infiltration menées par la GRC; il était question d'un comprimé ou d'un joint.

M. MacKnight : Je sais combien coûtent la formation des agents banalisés et la mise sur pied d'une opération d'infiltration. Je fais des hypothèses, car je ne suis pas au courant de ces affaires.

Le sénateur Baker : Il y a des douzaines de cas.

M. MacKnight : S'il s'agissait d'opérations d'infiltration dans un party rave, c'est une autre chose.

Le sénateur Baker : Je voulais simplement m'assurer que cela soit inscrit au compte rendu, car nous avons entendu de nombreux témoins dirent que, lorsqu'il s'agit d'un seul joint, il n'y a pas d'accusation. On parle ici d'étudiants d'universités. En vertu de ce projet de loi, s'ils se font prendre une seconde fois, ils vont en prison — une peine obligatoire de deux ans s'ils se font prendre avec un joint dans le cadre d'un party rave sur un campus universitaire. Il s'agirait d'une infraction en vertu de l'annexe I pour une possession d'ecstasy, de cocaïne ou d'un produit semblable.

Le sénateur Angus : Cela n'a aucun sens. J'ignore de quoi vous parlez.

Le sénateur Baker : Vous ignorez de quoi je parle? En vertu de ce projet de loi...

Le président : Vous soulevez un point très important, notamment l'incidence du projet de loi C-10 dans ce dossier. Si j'ai bien compris, en ce qui a trait au trafic d'un joint, le projet de loi C-10 exige...

Le sénateur Baker : J'ai dit un comprimé d'ecstasy. Je me suis corrigé.

Le président : Je croyais vous avoir entendu dire un joint.

Le sénateur Baker : C'est ce que j'ai dit, mais je voulais dire un comprimé. S'il s'agit d'une deuxième infraction, c'est une peine de deux ans si l'on se fait prendre sur un campus universitaire. Et vous êtes d'accord avec moi.

Mais ce n'était pas ma question; vous m'avez distrait. Ma question porte sur les mesures de dissuasion, le principal sujet de la déclaration de la GRC. Elle dit qu'elle vise la hiérarchie du crime organisé.

Si je ne m'abuse, la peine minimale proposée dans ce projet de loi pour les têtes dirigeantes du crime organisé est de trois ans. Toutes les peines minimales obligatoires proposées sont moins élevées que la moyenne actuelle. Elles ne cadrent pas avec ce qui serait imposé normalement.

Lorsqu'on regarde la jurisprudence des trois dernières années, on remarque que les peines lorsqu'il est question de crime organisé varient de huit à 12 ans. Si, normalement, les accusés se voient imposer une peine de huit à 12 ans, une peine minimale obligatoire de trois ans n'est pas vraiment dissuasive.

Le sénateur Frum : Il n'y a aucune peine minimale obligatoire pour le trafic d'un comprimé.

Le sénateur Baker : Vous m'avez mal compris. J'ai dit : « s'ils se font prendre une seconde fois. » En vertu de l'article 4.1 qui parle de la possession simple, si vous vous faites prendre une seconde fois pour le trafic d'un comprimé, vous allez automatiquement en prison. C'est dans ce projet de loi.

Le président : Monsieur le sénateur, vos commentaires sont intéressants. Les positions divergentes ouvrent la porte à des questions. Vous avez posé vos questions aux témoins. Quelqu'un voudrait y répondre?

M. Slinn : Je répète que le mandat de la GRC vise le crime organisé. En vertu du Code criminel et de ce projet de loi, avant de porter des accusations liées au crime organisé, vous devez avoir beaucoup d'éléments de preuve. Vous devez prouver que les accusés font partie de l'organisation criminelle et de sa hiérarchie. Je ne peux pas faire de commentaires sur les affaires que vous avez soulevées, car je ne les connais pas. Cependant, nous nous appuyons sur nos renseignements pour effectuer des descentes, peut-être dans un party rave. Une telle descente peut se traduire par une arrestation pour trafic mineur. Nous agissons avec les meilleures intentions pour enquêter sur le crime organisé.

Le sénateur Lang : Je ne suis pas d'accord avec mon collègue de Terre-Neuve-et-Labrador. Il peint un portrait trop simple à bien des égards.

Le sénateur Baker : Que voulez-vous dire?

Le sénateur Lang : Votre message est si simple, qu'on peut lui faire dire ce que l'on veut. Je viens du Nord canadien. Même dans les petites villes rurales canadiennes de 500 habitants, on retrouve des méthamphétamines et d'autres drogues chimiques, ainsi que de la marijuana. Il y a toujours trois ou quatre voyous dans ces communautés. On sait qui ils sont, on les croise tous les jours. Dans bien des cas, les gens ont peur, notamment au sein des communautés des Premières nations. Ce projet de loi envoie un message à tous ceux qui s'attaquent à leurs frères, à leurs sœurs ou à leurs amis pour des questions d'argent afin de nourrir leur dépendance aux drogues. J'aurais une question à vous poser, monsieur Slinn : que se passera-t-il si ce projet de loi est rejeté et que l'on maintient le statu quo? J'entends continuellement les membres du comité dire qu'ils s'inquiètent du sort de nos communautés, notamment celles des Premières nations. Si l'on maintient le statu quo, quel message enverra-t-on aux agents de première ligne qui tentent de débarrasser les communautés de ces voyous afin de rendre celles-ci plus sûres pour les jeunes hommes, les jeunes femmes et les enfants qui veulent se tenir loin de la drogue?

M. Slinn : La meilleure réponse que je puisse vous donner, c'est que ce matin, nous avons organisé un événement médiatique pour parler des décès liés aux drogues synthétiques survenus au cours des derniers mois dans l'Ouest du pays; il y en a eu environ 10. Nous avons invité la mère d'une fille décédée il y a trois ans après avoir consommé un comprimé d'ecstasy dans un party rave. Nous disons aux jeunes qu'ils ne savent pas ce qu'ils consomment. Cette jeune fille est morte pour 10 $. C'est aussi simple que cela. Un comprimé d'ecstasy à Iqaluit se vend 100 $. À Toronto ou Vancouver, vous pouvez en avoir un pour 10 $. Je ne saurais être plus clair : cette jeune fille a perdu la vie pour 10 $. C'était une belle fille qui aspirait à devenir mannequin. Le crime organisé se moque de nos enfants et de nos petits- enfants. Il exploite n'importe qui. Nous avons besoin de tous les outils possibles pour les en décourager et les obliger à rendre des comptes.

Le crime organisé doit être tenu responsable. Il y a environ 10 ans, le Canada n'était pas un producteur de drogues synthétiques. Pourquoi cela a-t-il changé? Je l'ignore, mais ça me dégoûte. En tant que policier, je me sens un peu responsable. Je veux faire quelque chose pour changer la situation. C'est la raison pour laquelle je crois qu'il faut adopter une approche équilibrée, qu'il faut éduquer. N'oubliez pas : les gens perdent la vie pour un comprimé d'ecstasy de 10 $.

Le sénateur Lang : J'aurais une question complémentaire. Lors de l'étude précédente sur ce projet de loi, nous avons entendu le témoignage d'une mère du Yukon qui avait perdu sa fille. C'était un témoignage sincère et touchant, semblable à celui dont vous venez de parler.

Mais, vous n'avez pas répondu à ma question concernant ce projet de loi. S'il est rejeté, quel message enverra-t-on aux agents de première ligne qui tentent de faire incarcérer ces voyous et quel sera l'impact de ce rejet sur leur moral?

M. Slinn : Je peux vous dire qu'ils sont déjà frustrés. J'ignore s'ils sont au courant de ce qui se fait sur le plan législatif. Ils sont découragés par la quantité de drogues qu'ils voient chaque jour. Pour répondre à votre question, nous avons besoin de tous les outils qui pourraient nous aider. S'ils avaient ce genre d'outil pour les aider à incarcérer ou tenir responsables les voyous bien connus dans la communauté, cela leur remontrait le moral.

Le sénateur Meredith : Merci d'avoir accepté notre invitation. Ayant été responsable, à Toronto, des services funèbres de victimes de drogues et de gangs, je comprends. Ceux que l'on vise, ce sont les membres du crime organisé : les gangs, les revendeurs de drogue et les têtes dirigeantes. Cependant, ce sont les jeunes — les marginaux, les Autochtones et les membres des minorités visibles — qui se font prendre. C'est là le problème. Que pensez-vous du projet de loi C-10 et de son impact sur ces jeunes? Que pensez-vous du fait que l'on tente de débarrasser nos rues de ces revendeurs de drogue, mais que nous nous attaquons — et c'est vous qui l'avez dit dans votre déclaration — au bas de la hiérarchie du crime organisé? Quelle est votre opinion au sujet d'une approche équilibrée? À mon avis, c'est le but ultime.

M. MacKnight : Je vais répéter ce que sera l'impact sur les jeunes à risque. Si tout ce que nous avons, c'est le projet de loi C-10, l'impact sera très minime. Ce projet de loi n'est qu'une partie de la réponse. Il y a des éléments du projet de loi C-10 qui vont nous aider. Toutefois, nous ne restons pas là à nous tourner les pouces et à attendre que le projet de loi C-10 soit adopté. Les policiers sont déjà au travail dans nos rues. Nous sommes à pied d'œuvre dans les communautés pour aider les jeunes à risque et nous utilisons toutes les ressources à notre disposition, car nous ne pouvons pas nous permettre d'attendre. Le gouvernement peut nous aider en adoptant des lois et en finançant des programmes, mais nous ne pouvons pas attendre. Une des choses positives que nous faisons, c'est de solliciter la participation de tous les groupes qui viennent en aide aux jeunes à risque et aux négligés. Quel sera l'impact de ce projet de loi sur ces jeunes? Si c'est le seul outil que nous avons, je crois qu'il n'aura aucun impact.

M. Slinn : Je suis d'accord avec M. MacKnight. Ce projet de loi, ce n'est pas la panacée. Il faut vraiment la mobilisation de tous. C'est ce que fait maintenant la GRC : elle met à contribution les communautés, notamment les jeunes, les jeunes marginaux et les parents. Nous devons solliciter leur participation, car la police ne peut pas résoudre ce problème. Il s'agit d'un problème communautaire et social. Nous continuons à véhiculer nos messages de dissuasion, de sensibilisation et de prévention.

[Français]

Le sénateur Chaput : Ma première question rejoint celle qui vient d'être posée par le sénateur Meredith. Messieurs, vous parlez beaucoup d'aller chercher l'engagement des communautés.

Comment aller chercher l'engagement des communautés? Est-ce que le projet de loi C-10 est un outil, un pas dans la bonne direction pour vous aider à aller chercher l'engagement des communautés?

[Traduction]

M. Slinn : J'ai parlé de l'Initiative relative aux cultures de marijuana. Nous sommes conscients que la police ne peut pas tout faire dans le dossier de la marijuana. Nous avons mobilisé les membres des communautés — dont les sociétés de l'électricité, les sociétés d'assurances et l'Association canadienne de l'immeuble — pour qu'ils demandent aux propriétaires de maison, par exemple, de rester aux aguets afin d'éviter les installations de culture de la marijuana dans leurs résidences. Cela aide les policiers, car il s'agit d'une mesure de dissuasion. Les sociétés d'assurances communiquent combien ces installations leur coûtent. Ces gens deviennent des messagers. Pour reprendre l'expression de nos collègues américains, nous formons une coalition de volontaires — la police et les organisations non gouvernementales — afin de lutter contre les installations de culture de la marijuana et les drogues synthétiques.

Le projet de loi C-10 porte davantage sur l'application. Je ne crois pas que les communautés puissent faire beaucoup à ce chapitre. Notre outil de prévention et de sensibilisation, c'est la mobilisation communautaire. Le projet de loi C-10 est peut-être plus utile aux policiers.

Le sénateur Chaput : Auriez-vous quelque chose à ajouter?

M. MacKnight : Oui. Il y a une tendance positive au sein des communautés canadiennes : les fournisseurs de services font fi des pratiques habituelles et s'unissent pour mettre en commun de l'information et aider les jeunes à risque, puisqu'il s'agit d'une question de développement social. On n'échange pas les renseignements sur les gens qui reçoivent de l'aide sociale et le réseau de l'éducation ne communique pas les renseignements qu'il a, et pourtant, leurs clients sont les mêmes. Les communautés canadiennes se tournent de plus en plus vers la collaboration. Dans ma ville, nous avons une équipe d'intervention communautaire auprès des jeunes, qui travaille avec les jeunes à risque. Nous les aidons avant qu'ils ne deviennent des délinquants prolifiques.

Le projet de loi C-10, et certains des outils que nous avons ici, prônent l'exemplarité de la peine. Toutefois, il s'agit seulement d'un élément de la réponse. Le projet de loi C-10 nous donne certains outils pour nous occuper en priorité des récidivistes et du crime organisé, mais encore une fois, ce n'est pas la solution à tous les problèmes. En effet, nous devons aussi engager les collectivités afin d'empêcher les jeunes qui sont à risque de devenir délinquants. C'est terrible pour la police et les collectivités, car il faut travailler avec les enfants. Nous les surveillons dès leur naissance et nous savons lesquels se dirigent tout droit vers l'emprisonnement; c'est déchirant.

Le sénateur Frum : J'ai une question pour le surintendant Slinn, car je pense que M. MacKnight a dit qu'il ne pouvait pas y répondre.

La peine minimale obligatoire imposée à ceux qui font pousser plus de 500 plants de marijuana est de deux ans, et d'un an pour ceux qui font pousser entre 201 et 500 plants. Pourriez-vous nous donner votre avis sur la proportionnalité de ces peines? Avez-vous des commentaires sur leur durée? Vous avez parlé des répercussions engendrées par le crime organisé. À mon avis, une personne qui cultive plus de 500 plants est très active dans le crime organisé. On lui imposera une peine minimale obligatoire de deux ans.

M. Slinn : Cinq cents plants?

Le sénateur Frum : Oui, la peine minimale obligatoire est de deux ans.

M. Slinn : Je dirais que si vous avez 500 plants, vous avez besoin d'un réseau de distribution. Personne, au Canada, ne peut cultiver 500 plants; je dirais même que c'est difficile d'en faire pousser une centaine. Selon nos experts, un plant moyen produit une livre. Toutefois, la quantité peut être beaucoup plus élevée. Tout d'abord, vous ne pouvez pas le fumer. Vous avez besoin d'un réseau de distribution afin de vous en débarrasser et de le mettre sur le marché. L'industrie de la marijuana est très bien organisée; on y trouve les producteurs, les gens qui coupent le produit, et celles qui le mettent sur le marché — que ce soit aux États-Unis ou ailleurs.

Ce que j'essaie de dire, c'est qu'il faut être organisé. Il faut avoir accès à un réseau afin de s'en débarrasser; c'est à ce moment-là que le crime organisé intervient. C'est la chose sur laquelle je veux insister; il faut disposer d'un réseau et être impliqué dans le crime organisé ou avoir des liens avec celui-ci si on cultive une telle quantité de marijuana.

Le sénateur Frum : Je sais que ma question reprend le contenu des autres questions, mais je dois la poser, car nous recevons énormément de lettres de gens qui nous disent qu'ils utilisent la marijuana à des fins thérapeutiques, qu'ils sont des étudiants universitaires ou qu'ils fument à l'occasion. Ils nous demandent pourquoi nous avons libellé le projet de loi de cette façon, car cela va les conduire tout droit en prison. J'aimerais vous demander une fois de plus, en ce qui concerne l'application de la loi, ce que vous pensez de ces gens qui cultivent des plants à la maison pour leurs vertus thérapeutiques, à des fins récréatives ou pour la vie étudiante. Compte tenu de vos ressources, de vos intérêts et de votre énergie, pouvez- vous décrire votre attitude à l'égard de ces gens?

M. Slinn : Nos méthodes sont axées sur le renseignement. Avec le crime organisé, c'est très facile. L'activité principale d'environ 72 p. 100 des groupes du crime organisé, selon l'évaluation des menaces effectuée en 2003, était le trafic de stupéfiants, et non la contrefaçon et les activités du même genre.

Nous visons les plus hauts échelons du crime organisé. Nous ne poursuivons pas les étudiants universitaires qui font pousser six ou huit plants, à moins qu'ils aient accès à un gros réseau et que l'évaluation des menaces nous indique qu'ils représentent un danger pour la sécurité publique. Notre but, c'est d'assurer la sécurité publique et d'arrêter les groupes du crime organisé qui la menacent. Les installations de culture de marijuana représentent un risque important pour la sécurité publique. Par exemple, les plants génèrent beaucoup de moisissures qui envahissent les foyers; il s'ensuit donc toutes sortes de problèmes relatifs à la sécurité de la population.

L'étudiant ou l'étudiante universitaire qui fait pousser six ou sept plants pour les fumer ou les offrir à ses amis n'apparaît pas sur notre radar. Cela ne veut pas dire que nous n'allons pas prendre ces renseignements au sérieux. Je ne veux pas nous acculer au mur et dire que nous allons prétendre que nous n'avons rien vu et laisser tomber l'affaire, car notre travail consiste à appliquer la loi. Toutefois, d'un point de vue stratégique, le mandat de la GRC est de s'attaquer aux plus hauts échelons du crime organisé.

Le sénateur Joyal : Monsieur MacKnight, j'aimerais revenir à votre exposé. À la page 3, la dernière phrase du paragraphe du milieu dit que — « Nous croyons que l'initiative devrait se fonder, autant que possible, sur des données probantes. » J'ai souligné « fonder sur des données probantes ». Cette déclaration et votre compréhension, c'est-à-dire la façon dont vous l'avez expliquée, m'ont ravi, car pour parler de la lutte contre les drogues de la façon la plus générale possible — nous ne voulons pas utiliser l'expression « faire la guerre aux drogues » —, cela n'a pas produit les résultats escomptés. En effet, les campagnes de sensibilisation du public menées par les forces policières, leurs interventions dans les écoles et les autres initiatives n'ont pas donné les résultats que nous aurions aimé atteindre après tant d'années. Notre méthode manque d'efficacité. En fonction des données probantes, nous avons conclu que nos actions n'avaient pas produit les résultats escomptés.

Il semble que d'autres gens se penchent sur une approche différente. J'ai lu dans le journal ce matin que quatre anciens procureurs généraux de la Colombie-Britannique — vous devez être sérieux si vous avez été procureur général dans une province qui a des problèmes de drogue comme la Colombie-Britannique, comme nous le savons — et quatre anciens maires de Vancouver — encore une fois, ce sont des citoyens ordinaires, et non des inconnus sortis d'on ne sait où — ont conclu que nous devions modifier notre approche, car elle n'a pas produit les résultats escomptés.

Il semble qu'en votre qualité de directeur de l'Association canadienne des chefs de police, vous — ou la GRC — devriez participer à l'effort de réflexion général en vue d'évaluer la façon dont nous — et lorsque je dis « nous », je parle de tous les niveaux de la société — avons lutté contre la commercialisation, la vente et la consommation de drogues. Si les drogues sont disponibles, c'est parce qu'il existe une demande; si elle n'existait pas, le marché s'effondrerait. Si la demande augmente, c'est qu'il existe des facteurs qui favorisent la consommation des drogues.

Encore une fois, si nous travaillons selon une approche fondée sur les données probantes, nous devrions envisager de diversifier nos outils, comme vous l'avez dit, et tenter de ne pas reproduire nos erreurs. Nous pouvons envoyer tout le monde en prison, mais cela ne semble pas résoudre le problème. Comme vous le dites, cela aurait un effet, en tout cas je l'espère. Toutefois, il s'agirait d'une goutte d'eau dans un océan qui semble s'agrandir, comme l'a dit le surintendant Slinn. Par exemple, le Canada ne participait pas à la fabrication de drogues synthétiques; pourtant, il compte maintenant parmi les pays producteurs. Il y a quelque chose qui cloche dans nos méthodes, car nous n'avions pas prévu cela.

Participeriez-vous à la réflexion pour savoir de quelle façon nous pourrions réexaminer notre politique en matière de drogues au Canada afin d'obtenir de meilleurs résultats, c'est-à-dire qui se fonderaient sur les données probantes plutôt que sur la perception? J'ai entendu dire que les Canadiens ne faisaient plus confiance au système judiciaire. C'est un bon discours, mais il n'a pas changé l'efficacité de nos méthodes passées. Nous essayons seulement de reproduire la même chose, comme si nous vivions dans un bulle, et nous ne voyons pas vraiment les problèmes, car ils prennent de l'ampleur au lieu de diminuer.

M. MacKnight : C'est une bonne question. Je pense que certaines choses que M. Slinn et moi-même avons dites devraient vous amener à croire que nos policiers sont frustrés; que nous sommes frustrés. Les policiers enfoncent les mêmes portes depuis 30 ou 40 ans. Au cours des années, des fragments d'innovation nous ont permis d'espérer que nous pourrions faire les choses correctement. À mon avis, c'est le moment de s'y mettre, car nous constatons que, plus que jamais, on innove dans la façon de s'occuper des aspects de nos collectivités qui sont à risque plus que jamais.

En ce qui concerne les gens qui sont pour la légalisation de la marijuana, je respecte leur opinion. Je suis tout à fait en désaccord avec eux, mais je le suis de façon respectueuse. Je souhaite de plus grands projets aux Canadiens que l'appui de la légalisation des drogues. Je pense que nous pouvons faire mieux. J'en ai souvent parlé avec des amis et des collègues de confiance, et je me range à l'avis du Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies, un important organisme qui fait partie du Comité sur l'abus de drogues, et qui nous rappelle l'importance de se fonder sur des données probantes. Lorsque nous envisageons la légalisation de certaines drogues, nous nous demandons simplement comment cela a fonctionné avec l'alcool. En effet, dans notre société, l'abus d'alcool entraîne des coûts énormes. Je pense que l'innovation est précisément ce dont nous avons besoin pour accomplir des progrès au sujet de ce terrible problème social.

J'aimerais revenir, encore une fois, à certaines choses que nous constatons dans les collectivités. La population ne veut pas tenir le gouvernement à l'écart, mais elle trouve des réponses uniques et innovatrices afin de s'occuper de ses enfants et de ses jeunes. Nous devrons cependant toujours emprisonner certaines personnes, car nous devons nous protéger contre ces individus qui nous font du mal.

Le sénateur Joyal : Cela ne fait aucun doute.

M. MacKnight : Toutefois, nous devons encourager l'innovation à tous les niveaux. Les tribunaux spécialisés en matière de drogues offrent quelques avantages, et nous devons en faire la promotion dans chaque collectivité.

M. Slinn : Je pense que M. MacKnight résume très bien la situation. Les agents de la paix ne sont pas des chercheurs. Nous ne sommes pas des criminologues. Nous appliquons vraisemblablement les lois selon la volonté des gens. En ce moment, les gens considèrent que ces drogues sont illégales et qu'on doit appliquer la loi, car elles nuisent à la sécurité et à la santé publiques; de plus, l'atmosphère de nos collectivités est constamment polluée par des trafiquants de drogue qui n'ont aucun respect pour le bien-être de nos enfants et de nos collectivités. Pour renforcer les paroles de M. MacKnight, une lame de fond se fait sentir dans les communautés, où l'on considère que c'est bien d'adopter des lois, mais qu'on peut faire davantage; on peut innover, et on ne veut plus de ces parasites dans les collectivités.

Je vais m'en tenir au fait que le rôle de l'application de la loi consiste à se fonder sur les données probantes. Notre rôle n'est pas d'analyser ces données; nous laissons cela aux chercheurs et nous les laissons présenter leurs conclusions aux parlementaires, car nous allons appliquer les lois selon la volonté des gens.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je remercie de votre témoignage. À vous écouter, on voit que trafic de drogues appartient surtout au crime organisé, et vous dites que le crime organisé s'internationalise.

La comparaison que je fais, et vous me direz si j'ai tort, lorsqu'on a vu dans les années 1980 la mondialisation de l'économie, on a constaté que les grandes compagnies aussi bien Canadiennes et Américaines se sont déplacées dans les pays où le risque était le plus faible possible, où les lois étaient moins sévères surtout en ce qui a trait à l'environnement et où les profits étaient les plus élevés.

Lorsqu'on regarde les groupes organisés qui sont d'ampleur mondiale, au Canada, on parle des Hells, de la mafia, ce sont des gens qui opèrent dans beaucoup de pays. Le fait que le Canada, et je parle du Code criminel, ait une des lois les moins sévères sur la plan de la production et de la vente, est-ce que cela ne crée pas un terreau fertile pour que l'industrie du crime organisé dans le trafic des drogues, entre autres, reste ici et continue à faire des profits et à fleurir?

[Traduction]

M. Slinn : Encore une fois, je ne suis pas un chercheur, mais les faits parlent peut-être d'eux-mêmes. Nous avons, au Canada, quelques puissants groupes liés au crime organisé qui font des millions de dollars, surtout grâce aux drogues. C'est peut-être l'une des raisons pour lesquelles nos lois ne sont pas aussi sévères que dans d'autres pays. Il pourrait aussi exister d'autres raisons.

Ce qui est encore plus important pour moi, c'est que ces trafiquants existent et qu'ils représentent un risque pour la population. Nous voyons des fusillades à Vancouver. À Montréal, comme vous le savez, la guerre qu'on livre aux motards criminalisés a entraîné l'adoption de mesures législatives contre le crime organisé. La violence s'installe, alors c'est l'aspect le plus important pour moi. Je laisse à quelqu'un d'autre le soin d'analyser ou d'évaluer si nos lois sont inadéquates ou doivent être plus sévères. Nous ne pouvons pas nier le fait que le crime organisé est bien installé au Canada, et que ces groupes ont accès à des réseaux mondiaux.

Le sénateur Meredith : Encore une fois, merci beaucoup d'être ici aujourd'hui. Le travail accompli chaque jour par les hommes et les femmes d'un peu partout au pays — de Surrey, en Colombie-Britannique, jusqu'à St. John's, à Terre- Neuve — m'impressionne beaucoup; vous en avez d'ailleurs parlé, monsieur MacKnight. Chaque jour, je lève mon chapeau à ces hommes et à ces femmes qui risquent leur vie pour nous.

Vous avez parlé d'un équilibre, d'un ensemble de pratiques réparties dans chaque élément. De plus, l'élément stratégique doit être fondamentalement juridique et éthique, mais il doit aussi tenir compte des intérêts de tous. En effet, nous devons nous efforcer d'atteindre un équilibre entre les intérêts de la société et ceux des personnes. Vous avez parlé de la prévention; nous croyons fermement qu'il s'agit de l'élément le plus important.

Je vous pose donc la question : comment avons-nous engagé nos écoles, nos professionnels de la santé et d'autres institutions? Encore une fois, je dois insister : les jeunes du pays ne sont pas seulement notre avenir, mais aussi notre présent. Ils font face à des défis. Le crime organisé est à leur porte, dans chaque collectivité, afin de les recruter dans des gangs et en faire des agents de distribution. À votre avis, comment allons-nous progresser à ce sujet? Nous savons qu'il faut adopter des lois sévères, et j'appuie la mesure législative qui débarrasse nos rues de ces criminels endurcis. Toutefois, je suis préoccupé par nos jeunes et par la façon de les engager positivement, afin de les éloigner des activités illégales.

M. MacKnight : Je ne connais pas la réponse parfaite. Une partie de la réponse, c'est que dans une collectivité, des gens sonnent l'alarme et veulent qu'on en discute. Je pense que c'est ce qui arrivera dans toutes les collectivités; le gouvernement perdra un peu de son importance au profit des collectivités. Toutefois, le gouvernement doit être présent afin de faciliter les choses. La police, comme vous pouvez le voir dans un grand nombre de collectivités, n'a pas la solution, mais comme elle en a assez de tous ces évènements déchirants, elle invite les gens à visiter ses bureaux et à en discuter, car il faut trouver une solution. Ce problème nous détruit tous. Je pense qu'il s'agit d'un rôle important que nous pouvons jouer.

J'aimerais parler de ma collectivité, Fredericton, pendant un moment. Dans chaque école secondaire, là-bas, on retrouve un policier à temps plein. C'est là qu'il se rend travailler chaque matin. Nos effectifs n'ont pas été augmentés en conséquence; nous l'avons fait simplement parce que nous savions que former une équipe d'intervention pour les jeunes de la collectivité était la bonne chose à faire. Nous devions envoyer un policier, car c'est ce que nous avons dans notre personnel; il devient le policier officiel des jeunes à risque. Ses fonctions consistent à communiquer avec les organismes pour repérer les jeunes à risque et leur faire ensuite profiter des services appropriés.

Les hauts dirigeants au niveau politique nous appuient comme jamais auparavant; ils nous disent que cela doit être fait. Des questions de confidentialité, comme je l'ai mentionné, ont été soulevées, mais nous les résolvons et poursuivons notre travail.

Le projet de loi C-10 nous aidera à lutter contre les délinquants endurcis et les récidivistes. Encore une fois, ce n'est qu'une partie de la réponse. Je pense que la police représente un élément essentiel de l'équation. Comme je l'ai dit, nous avons l'espace nécessaire pour rencontrer les gens. Nous pouvons offrir le café et instaurer le dialogue.

M. Slinn : Il faut un village pour élever un enfant. Je pense que ce que nous faisons de bien dans le domaine de l'application de la loi — car nous nous attaquons à tellement de problèmes —, c'est d'agir comme catalyseur du succès. Nous pouvons rassembler divers groupes communautaires et organiser une réunion, mais pas mener la discussion. Ces deux ou trois dernières années, la GRC a modifié son approche pour élaborer des programmes qui sont dirigés par la collectivité, et appuyés par la police, au lieu d'être dirigés par la police et appuyés par la collectivité, comme c'était le cas avant. Il revient ainsi aux membres de la collectivité de déterminer quels sont les problèmes importants, de décider auxquels ils vont s'attaquer et de rassembler tout le monde.

En Colombie-Britannique, notre service de sensibilisation aux drogues et au crime organisé a mis sur pied un programme communautaire dans le cadre duquel la police a rassemblé des intervenants en matière de santé publique et leur a dit que les trois problèmes dans leur collectivité étaient le trafic de stupéfiants, le flânage et les gens qui faisaient crisser leurs pneus. On leur a ensuite demandé de déterminer, en tant que membres de la collectivité, quel était le problème. Cela s'est passé à Cranbrook. Tout le monde avait un rôle à jouer. On a demandé aux gens ce qu'ils pouvaient faire en tant qu'intervenants dans le domaine de la santé publique, en tant que conseil scolaire, et cetera. Ce modèle a été très efficace et nous essayons de l'implanter ailleurs au pays. Nous pouvons ainsi repérer les enfants à risque et les aider.

Comme le dit M. MacKnight, l'application de la loi est un élément essentiel. Nous sommes l'élément catalyseur qui rassemble les gens et aide à résoudre les problèmes de la collectivité. Nous devons nous affirmer de façon plus énergique à cet égard, car nous pouvons faire mieux.

[Français]

Le sénateur Chaput : Suite à la question du sénateur Meredith, je vous remercie des efforts que vous faites pour rejoindre les jeunes, surtout avant qu'ils ne deviennent des criminels endurcis. Est-ce que le projet de loi ne nuit pas à vos efforts pour rejoindre les jeunes avant qu'ils ne deviennent des criminels endurcis? Je comprends que c'est un autre outil pour autre chose, mais est-ce que cela pourrait nuire à vos efforts?

[Traduction]

M. Slinn : Je ne pense pas. À mon avis, nous devons engager les enfants plus tôt en ce qui concerne l'application de la loi. Nous le faisons par l'entremise du programme DARE, c'est-à-dire le programme de sensibilisation aux dangers de la drogue, ce qui nous permet d'informer les jeunes plus tôt.

Si nous faisons mieux notre travail en partenariat avec la collectivité, je ne pense pas que ces enfants seront potentiellement visés par le projet de loi C-10. Est-ce que certains passeront entre les mailles du filet? Ne nous racontons pas d'histoires : oui, cela arrivera.

Le président : J'ai une question inspirée par quelque chose que le sénateur Baker a dit plus tôt. Vous vous en souvenez peut-être. Il est évident que je l'avais mal compris; je pensais qu'il sous-entendait que le projet de loi C-10 pourrait entraîner une peine minimale obligatoire pour une personne qui faisait le trafic d'un seul joint, mais il a clairement indiqué que ce n'est pas ce qu'il avait dit.

Ce que cette discussion m'a rappelé, c'est que dans le projet de loi C-10, la disposition concernant le trafic exige qu'on fasse le trafic de plus de trois kilogrammes de marijuana ou de cannabis avant de recevoir une peine minimale obligatoire, selon qu'il existe des circonstances aggravantes ou non, y compris la participation au crime organisé, la présence de violence ou d'armes, ou si l'événement s'est déroulé dans une école ou à proximité. Il faut donc se livrer au trafic de plus de trois kilogrammes de la substance. Pouvez-vous nous donner une idée de la valeur de revente de trois kilogrammes de marijuana ou de cannabis?

M. Slinn : Il faudrait faire un petit calcul.

Le président : Donnez-nous seulement une estimation. Je n'ai aucune idée de la réponse.

M. Slinn : Une livre se vend environ 2 500 $, mais cela dépend à quel niveau, c'est-à-dire si vous l'achetez dans la rue ou si vous achetez en gros. Nous disons donc 2 500 $ pour une livre, donc 454 grammes, donc 5 000 $ — trois kilogrammes se vendent donc 1 500 $.

Le président : Merci.

Honorables sénateurs, le temps qui nous avait été imparti est maintenant écoulé, et nous devons terminer la discussion avec ces témoins.

Surintendant Slinn, et monsieur MacKnight, j'aimerais vous remercier sincèrement; vos interventions ont été très informatives et nous vous sommes très reconnaissants de votre contribution.

Honorables sénateurs, voici les témoins de notre deuxième groupe concernant notre étude du projet de loi C-10; je suis heureux d'accueillir les conseillères en recherche et politiques Rebecca Jesseman et Heather Clark, du Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies. De plus, nous accueillons Gwendolyn Landolt, vice-présidente du Drug Prevention Network of Canada.

D'après ce que je comprends, madame Jesseman, vous avez un exposé.

Rebecca Jesseman, conseillère en recherche et politique, Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies : Honorables sénateurs, le Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies est heureux de l'occasion qui lui est offerte de comparaître devant le comité du Sénat au sujet du projet de loi C-10. Nous aimerions aussi remercier les témoins de l'Association canadienne des chefs de police et de la GRC, qui sont, depuis longtemps, de précieux partenaires du CCLAT.

Le CCLAT est un organisme autonome sans but lucratif dirigé par un conseil d'administration bénévole. Établi en 1988 par une loi du Parlement, il a pour mandat d'assurer un leadership à l'échelle nationale, de fournir des analyses et des conseils factuels et de proposer des solutions pour lutter contre les méfaits de l'alcool et des autres drogues.

Compte tenu de ce mandat, des domaines d'intérêt indiqués par le comité dans son invitation à comparaître, du contenu du projet de loi et des questions soulevées sur le sujet pendant les audiences du comité jusqu'à maintenant, nous ferons un survol des connaissances factuelles dans trois secteurs, c'est-à-dire, tout d'abord, les approches efficaces pour lutter contre la consommation de substances, ensuite les tribunaux de traitement de la toxicomanie, et enfin la prévention de la consommation de substances chez les jeunes.

Le comité sait déjà qu'on s'inquiète des répercussions du projet de loi C-10 sur les provinces et territoires en matière d'incarcération. Les options de traitement prévues dans le projet de loi C-10 dépendront aussi des services fournis à l'échelle provinciale et territoriale.

Le rapport Approche systémique de la toxicomanie au Canada : Recommandations pour une stratégie nationale sur le traitement a été remis aux membres du comité. Ce rapport fait ressortir les lacunes du système de traitement actuel, notamment en ce qui concerne les ressources, la coordination, ainsi que l'évaluation et la surveillance, en plus de décrire un continuum complet de services et de soutiens visant à combler ces lacunes.

Divers obstacles empêchent les Canadiens avec des problèmes de consommation de se faire traiter. Pour les personnes ayant des démêlés avec le système de justice pénale, certains obstacles, comme des besoins complexes et la stigmatisation, sont exacerbés.

Comme les membres du comité l'ont entendu, des tribunaux de traitement de la toxicomanie sont en place partout aux États-Unis et dans quelques centres urbains au Canada, et leurs indicateurs de succès sont variables. Le CCLAT favorise l'adoption et l'évaluation d'approches novatrices pour lutter contre la consommation de substances. Cela dit, nous tenons à souligner les points suivants par rapport aux tribunaux de traitement de la toxicomanie.

Tout d'abord, la plupart des Canadiens ayant des démêlés avec le système de justice pénale n'y ont pas accès. Ensuite, ils ne reposent pas sur des données probantes solides dans le cas de groupes comme les femmes, les Premières nations et les Inuits. Enfin, ils nécessitent des ressources judiciaires très dispendieuses.

L'objectif du paragraphe 43(2) du projet de loi est de s'assurer que les délinquants qui ont besoin de se faire traiter ont accès aux services appropriés. Le CCLAT croit qu'il faut évaluer, d'entrée de jeu, les effets du projet de loi C-10 sur les services de traitement et sur les taux d'accès au traitement ou à d'autres options de déjudiciarisation offertes aux délinquants ayant des problèmes de toxicomanie. Nous recommandons d'évaluer ses effets pendant la première année de mise en œuvre et d'en rendre compte régulièrement par la suite, de façon à orienter tout changement à apporter à la politique. Le CCLAT serait heureux d'offrir son aide dans la réalisation d'une telle évaluation des effets et dans l'examen des options de déjudiciarisation.

Enfin, c'est avec plaisir que je vous présente ma collègue, Heather Clark, qui parlera brièvement des pratiques exemplaires en vigueur dans la prévention de la consommation de substances chez les jeunes.

Heather Clark, conseillère en recherche et politique, Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies : Honorables sénateurs, plusieurs témoins ont souligné que l'un des buts du projet de loi C-10 est de prévenir la consommation de substances chez les jeunes. Les données montrent que des interventions sanitaires et sociales, comme renforcer les aptitudes et les compétences des parents et des jeunes, améliorer les relations familiales, utiliser des influences prosociales comme l'école et la collectivité pour nouer le dialogue avec les jeunes et choisir le bon programme convenant au caractère du jeune, influent fortement sur la consommation et sur les autres résultats sur le plan de la santé et du comportement, tant à court qu'à long terme. Le rapport coût-efficacité de ces interventions a aussi été démontré. Par contre, les mesures punitives, comme les tests de dépistage et la tolérance zéro, sont sans fondement.

À l'heure actuelle, la prévention de la consommation chez les jeunes au Canada présente des lacunes importantes. Pour le CCLAT, l'harmonisation des politiques et d'un financement stable sur des initiatives factuelles permettra de combler ces lacunes; le CCLAT a d'ailleurs récemment publié un ensemble de normes canadiennes qui facilitera cette harmonisation.

En terminant, le CCLAT tient à souligner le soutien à la prévention et au traitement fourni par le gouvernement fédéral par l'entremise des composantes Programme de financement du soutien au traitement des toxicomanies et Fonds des initiatives communautaires de la Stratégie nationale antidrogue. Nous espérons que toute loi ayant recours à la justice pénale et à la répression pour lutter contre la consommation de substances sera assortie d'investissements continus et factuels dans d'autres secteurs — en particulier dans les services sociaux et de santé — qui contribuent à une approche globale.

Le président : Merci beaucoup.

Gwendolyn Landolt, vice-présidente, Drug Prevention Network of Canada : Honorables sénateurs, nous savons que les drogues illicites engendrent des coûts énormes sur les plans économique et social dans notre société, sous la forme de soins de santé, d'application de la loi, de perte de productivité au travail et à la maison, d'invalidité et même de décès des toxicomanes.

Selon Antonio Mario Costa, directeur administratif de l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, les contraintes juridiques sur la consommation de drogue ont été très efficaces un peu partout dans le monde. Cela va à l'encontre de ce qu'on a affirmé récemment — par exemple, en Colombie-Britannique —, à savoir que la prohibition ne fonctionne pas. Il s'agit d'une supposition incorrecte. En effet, on n'a qu'à analyser les résultats de la prohibition aux États-Unis, entre 1920 et 1933; la consommation d'alcool a énormément diminué pendant cette période, ainsi que le nombre de décès attribuables aux cirrhoses du foie et les hospitalisations liées à l'abus d'alcool.

En ce qui concerne l'ensemble de la population, on estime que la consommation d'alcool a diminué de 30 à 50 p. 100 pendant la prohibition. En gros, la prohibition n'a pas mis fin à la consommation d'alcool, mais elle a réussi à réduire du tiers la consommation d'un produit qui avait été largement approuvé par la population au fil du temps. En comparaison, la consommation de la marijuana, de l'héroïne et d'autres drogues contrôlées n'a jamais été acceptée à grande échelle aux États-Unis ou au Canada.

Nous savons que l'interdiction dont les drogues font l'objet fonctionne et qu'elle est nécessaire. Si nous y mettons fin, un grand nombre de gens qui n'ont jamais consommé de drogue s'y adonneront.

Toutefois, il revient au Parlement de conseiller les tribunaux et les juges de partout au pays afin que les délinquants comprennent la gravité des infractions qu'ils ont commises lorsqu'elles sont liées aux drogues. On peut y arriver, entre autres, par les peines minimales obligatoires. Malheureusement, au Canada, l'application de la discrétion judiciaire lors de la détermination de la peine n'atteint pas toujours cet objectif. Se fonder uniquement sur la discrétion judiciaire pour la détermination de la peine concernant les crimes liés aux drogues nuit aux intérêts de la population canadienne, car cela peut entraîner une perte de confiance envers le système de justice pénale. C'est d'ailleurs ce qui est arrivé.

Il faut bien l'admettre, la discrétion judiciaire ne signifie pas nécessairement que les juges feront appel au bon sens lors de la détermination de la peine. En fait, les juges ont souvent négligé de maintenir l'équilibre entre les objectifs de l'exemplarité de la peine — c'est-à-dire la dissuasion en général — et leur désir d'offrir au délinquant la possibilité de se réadapter. Cela a provoqué, trop souvent, le chaos dans le régime de détermination de la peine, surtout en ce qui concerne les installations de culture et la possession de marijuana. En effet, les juges infligent trop souvent une simple amende minimale aux exploitants d'installations de culture de marijuana du Canada. De plus, les délinquants considèrent que l'approche de la petite tape sur les doigts fait partie des coûts d'exploitation et ne représente aucunement un moyen de dissuasion. C'est probablement pourquoi, en 2009, la Gendarmerie Royale du Canada a déclaré qu'en ce qui a trait aux drogues illicites, la marijuana produite au Canada continue de générer d'énormes profits. Si les producteurs savent qu'ils vont réaliser un profit, ce n'est pas une amende mineure qui va nuire à leurs activités.

De même, la possession de cannabis est considérée, par certains juges libéraux — pour des raisons idéologiques personnelles —, comme une infraction mineure. Par conséquent, en utilisant leur pouvoir de discrétion, ces juges ont surtout imposé des peines consistant en périodes de liberté surveillée.

Selon l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, le Canada a la plus haute proportion de consommateurs de marijuana dans le monde industrialisé, c'est-à-dire qu'elle atteint 16,8 p. 100 chez les gens âgés de 15 à 64 ans. Les infractions liées au cannabis ont augmenté de 13 p. 100, au Canada, entre 2009 et 2010. La peine de mise en liberté surveillée imposée pour la possession de cannabis, trop clémente, a formé dans l'esprit du public la perception que la consommation de marijuana est inoffensive. Toutefois, les personnes bien renseignées devraient comprendre que la marijuana n'est pas une drogue inoffensive. En fait, un grand nombre d'études démontrent le contraire. Je vous ai fourni quelques adresses de sites Web sur le sujet.

L'autre point que j'aimerais soulever concerne l'importance des tribunaux spécialisés en matière de drogue au Canada. Malheureusement, en ce moment, il n'en existe que six au pays, alors qu'on en trouve des milliers aux États- Unis.

Les tribunaux spécialisés en matière de drogue offrent aux consommateurs de drogue non violents la possibilité de se voir imposer un traitement au lieu d'une condamnation. Ces tribunaux offrent donc aux toxicomanes la possibilité de se faire traiter, une solution qu'ils n'auraient peut-être pas envisagée autrement. Il est important de remarquer que le taux de succès du traitement, qu'il soit entrepris volontairement ou suivant un ordre du tribunal, est le même.

Fait intéressant, aux États-Unis, 75 p. 100 des participants au programme judiciaire de traitement de la toxicomanie ne font l'objet d'aucune arrestation pendant au moins deux ans après avoir terminé le programme. Le Centre national de prévention du crime au Canada précise que ceux qui terminent le programme imposé par le tribunal diminuent de façon importante leur consommation de drogue et participent beaucoup moins à des crimes liés aux drogues. Toutefois, il est extrêmement troublant d'apprendre qu'apparemment, au Canada, seulement 14 p. 100 des participants au traitement ordonné par le tribunal terminent le programme, ce qui est tout à fait le contraire de ce qui se passe aux États-Unis.

Ainsi, nous avons absolument besoin de stratégies visant à encourager les participants à terminer leur programme de traitement, et nous devons augmenter significativement le nombre de tribunaux spécialisés en matière de drogue partout au pays, afin d'aider les toxicomanes.

Le sénateur Fraser : Merci à tous les témoins d'être ici. Vous avez livré des exposés très intéressants. J'aurai des questions pour chacun d'entre vous.

Madame Clark, ou madame Jesseman — je pense qu'il s'agissait en fait de la partie livrée par Mme Clark —, vous avez parlé des méthodes efficaces de prévention de l'abus de substances parmi les jeunes, et c'était très intéressant. Ensuite, vous avez dit que : « Par contre, les mesures punitives, comme les tests de dépistage et la tolérance zéro, sont sans fondement. » Je ne suis pas certaine de ce que vous vouliez dire par « la tolérance zéro ». Est-ce que cela comprend, par exemple, les peines minimales obligatoires?

Mme Clark : Non. Les politiques dont je parle sont surtout mises en œuvre dans les écoles. Par exemple, la tolérance zéro...

Le sénateur Fraser : Si on surprend un élève avec un joint, il est expulsé.

Mme Clark : Exactement.

Le sénateur Fraser : Qu'en est-il des peines minimales obligatoires? Avez-vous adopté une position à ce sujet?

Mme Clark : En tant que mesure préventive?

Le sénateur Fraser : Au bout du compte, l'objectif est, évidemment, de réduire au minimum la consommation de drogue, surtout parmi les jeunes. Pour y arriver, on cible entre autres les trafiquants. Il faut aussi tenir compte du fait que certains jeunes sont des trafiquants amateurs, si vous voulez, c'est-à-dire qu'ils en gardent une partie pour eux- mêmes et pour leurs amis, et qu'ils en vendent un peu plus afin de financer la partie qu'ils consomment.

J'aimerais avoir votre avis sur l'effet des peines minimales obligatoires sur cette population, c'est-à-dire ces jeunes qui ne sont pas ce qu'on appelle des criminels endurcis — du moins pas encore.

Mme Clark : D'après ce que nous savons des données probantes concernant les peines minimales obligatoires, nous n'avons aucune preuve qui les appuie en tant que mesure préventive. Il s'agit d'une approche plus universelle, sélective et indiquée pour les jeunes qui s'appuie sur différents niveaux de risque et une approche globale. C'est ce qu'appuient les données probantes, et l'approche globale est la méthode que nous préconisons.

Le sénateur Fraser : Évidemment, l'une des choses que nous essayons de faire lorsque nous examinons tous les éléments de ce projet de loi, et non seulement la réglementation de certaines drogues et autres substances, c'est d'étudier toutes les données probantes que nous pouvons trouver.

Madame Landolt, je me suis rappelée, cet après-midi, que vous avez comparu comme témoin à la toute première réunion du comité à laquelle j'ai assisté. Je ne préciserai pas en quelle année.

Mme Landolt : Non, s'il vous plaît, n'en faites rien.

Le sénateur Fraser : Je m'en souviens bien.

J'ai écouté attentivement votre conclusion sur le besoin urgent de stratégies pour encourager les participants à terminer le programme de traitement et sur la nécessité d'augmenter significativement le nombre de tribunaux spécialisés en matière de drogue. Nous en avons seulement six, et aucun d'entre eux n'est situé à l'est d'Ottawa. D'après ce que je comprends, les programmes de traitement de la toxicomanie, c'est-à-dire ceux qui sont reconnus et approuvés, ont des listes d'attente; les gens ne peuvent pas s'y inscrire, et c'est très difficile pour eux.

J'ai été aussi étonnée — et j'aimerais que vous commentiez à ce sujet, pour revenir encore une fois à la partie de l'exposé livrée par Mme Jesseman — par le fait que les tribunaux spécialisés en matière de drogue ne disposent pas de données probantes sur les femmes, les Premières nations et les Inuits. Ces tribunaux sont également très coûteux, mais si nous savions qu'ils fonctionnent bien pour tout le monde, je suis sûre que personne ne se plaindrait de leur coût.

Avez-vous étudié d'autres aspects des tribunaux spécialisés en matière de drogue, par exemple, à quel point ils sont efficaces en ce qui concerne les groupes minoritaires?

Mme Landolt : Nous les avons examinés. Tout d'abord, ce dont nous avons besoin plus que toute autre chose, au Canada, ce sont des centres de traitement supplémentaires. Les listes d'attente sont extrêmement longues, et nous savons que ces centres fonctionnent. Toutefois, nous devons adapter les centres de traitement aux besoins individuels, c'est-à-dire à ceux des Autochtones et des femmes. Nous ne pouvons pas nous contenter d'un modèle universel. Je ne pense pas qu'on a suffisamment étudié la question, ce qui pourrait expliquer pourquoi nous avons un taux de succès de seulement 16 p. 100, ce qui est très étrange.

Le Royaume-Uni et les États-Unis obtiennent de très bons résultats avec les tribunaux de traitement de la toxicomanie. Pourquoi accusons-nous un tel retard à ce chapitre? C'est peut-être attribuable à notre incapacité à élaborer des stratégies répondant aux besoins particuliers des Autochtones et des femmes, notamment. J'estime essentiel d'investir les sommes nécessaires pour déterminer comment nous pouvons adapter nos outils en fonction des besoins des différentes catégories de toxicomanes. La toxicomanie est un fléau qui affecte nos jeunes, nos familles et nos collectivités. Si nous pouvons articuler nos interventions autour de traitements qui fonctionnent, toute la dynamique du problème s'en trouvera transformée.

Le sénateur Fraser : Madame Clark et madame Jesseman, vous avez soulevé un point important, et Mme Landolt est du même avis, en faisant valoir que nous n'en savons pas autant que nous devrions au sujet des différentes clientèles visées et des meilleurs moyens à mettre en œuvre pour aider et traiter les personnes concernées.

Pourriez-vous nous donner un aperçu des mesures que vous jugeriez pertinentes, en dehors des investissements beaucoup plus considérables qui devraient être consentis?

Mme Jesseman : Certainement. Il faut absolument être à l'écoute des besoins des différentes clientèles. À la lumière des pratiques exemplaires relevées par les chercheurs canadiens et américains, il faut généralement miser pour ce faire sur des outils ayant fait leur preuve pour l'évaluation des nouveaux participants au programme; assurer une transition facile vers le traitement, c'est-à-dire commencer le programme le plus rapidement possible; déployer une approche de traitement globale et multisectorielle qui ne se limite pas à la seule toxicomanie et reconnaît que les contrevenants présentent un ensemble complexe de besoins dans différents secteurs.

Le sénateur Fraser : C'est lorsque les besoins des différentes clientèles commencent à diverger qu'une approche universelle perd toute son efficacité, n'est-ce pas?

Mme Jesseman : Oui et non. L'approche multisectorielle ne vise pas seulement à répondre à la diversité des besoins. Elle peut permettre aussi par exemple de s'attaquer aux difficultés liées au logement. Pour les tribunaux de traitement de la toxicomanie, les mesures de soutien au logement sont l'un des indicateurs de réussite. Il en va de même pour les besoins en matière d'emploi et d'éducation. Les solutions à ce chapitre et les soins adaptés au traumatisme pourraient certes, à titre d'exemple, constituer une excellente façon d'offrir des programmes répondant mieux aux besoins, surtout pour les contrevenantes. Cela fait partie des éléments qu'il nous faut considérer.

Le sénateur Fraser : Nous avons encore beaucoup de chemin à faire.

Mme Jesseman : Tout à fait.

Le sénateur Runciman : J'aimerais bien que nos trois témoins nous disent ce qu'elles pensent des données de mieux en mieux étayées sur les effets néfastes du cannabis à l'égard de différents aspects comme la santé mentale et physique, la mémoire et l'attention. Il y a de plus en plus de données probantes à cet égard. Comme le soulignait le sénateur Frum, nous sommes submergés par les révélations de consommateurs occasionnels de marijuana, entre autres. Les médias y font sans cesse allusion. Il y a une émission de télé intitulée Weeds portant, si je ne m'abuse, sur une femme au foyer qui s'assure un revenu d'appoint en vendant de la marijuana. Les enfants, tout particulièrement, peuvent en conclure que c'est une activité acceptable.

Je sais qu'il y a des dangers. Dans le British Medical Journal, j'ai pris connaissance d'une étude indiquant que les personnes ayant consommé de la marijuana trois heures avant de prendre le volant sont deux fois plus susceptibles de causer un accident que les conducteurs n'ayant aucune drogue dans leur système.

Pourriez-vous nous dire ce que vous pensez du message si largement diffusé voulant qu'il n'y ait pas de quoi s'inquiéter.

Mme Landolt : Nous ne cessons d'en apprendre sur les dangers de la marijuana. Nous savons qu'elle est plus nocive que la cigarette, car trois joints de marijuana par semaine équivalent à un paquet de cigarettes par jour. Le THC, principale composante de la marijuana, se loge sur les poumons, mais aussi sur les cellules grasses de l'organisme, ce qui cause des dommages terribles aux jeunes consommateurs. C'est pourquoi on ne peut pas dire qu'il est normal pour un collégien de fumer de la mari, que c'est tout à fait acceptable. Ça ne l'est pas. Sa mémoire en souffre, tout comme ses capacités de perception, sa vitesse de réaction et ses habiletés de conducteur.

Pourquoi ce message n'est il jamais transmis? C'est notamment parce que les tribunaux font montre d'une grande négligence en se contentant de peines probatoires sous prétexte que les fautifs sont encore bien jeunes. Ces décisions sont fondées sur des considérations idéologiques, plutôt que sur les éléments factuels indiquant à quel point ces choses sont néfastes. Ces jeunes croient que les drogues sont sans danger, mais c'est loin d'être le cas.

C'est la raison pour laquelle j'estime très importantes les peines minimales obligatoires. Ainsi, on ne s'en remettrait pas au seul pouvoir discrétionnaire de ces juges qui se laissent guider par leur idéologie, plutôt que par les données indiquant que les drogues sont dangereuses. Je me réjouis vraiment que l'on prévoie des mesures semblables, car les jeunes pourront comprendre que la consommation de drogues n'est pas recommandable en constatant que des peines aussi sévères y sont associées. En l'absence de peines rigoureuses, ils se disent qu'ils vont bien s'en tirer. C'est l'un de nos grands problèmes dans nos interventions auprès des jeunes. Ils croient qu'il n'y a aucun effet néfaste pour eux, mais ils se trompent. L'imposition stricte de peines minimales obligatoires suffisamment sévères leur enverra un message différent.

Mme Clark : Pour ce qui est de la consommation de cannabis, j'aimerais souligner que certaines des données concernant les effets néfastes, surtout pour les jeunes, sont plutôt récentes. Il n'était donc pas nécessairement toujours facile pour nous de transmettre un message fondé en ce sens.

Les jeunes ne voient que les conséquences à court terme. Certaines de ces conséquences à court terme ne sont pas toujours évidentes dans le cas de la consommation de cannabis. Nous devons adopter une approche efficace auprès des jeunes pour leur communiquer ces messages de telle sorte qu'ils soient bien au fait des risques et des méfaits associés à la consommation de cannabis.

Une approche globale ne se limite pas à simplement faire passer le message. Lorsqu'il est question de consommation et d'abus de drogues chez les jeunes, nous savons que les principaux facteurs de risque et de protection sont notamment reliés à l'appartenance sociale, aux relations familiales, à l'engagement communautaire et aux réseaux scolaires. Si nous pouvons déployer un continuum approprié de mesures de prévention tenant compte de ces questions d'appartenance et veillant à ce que les jeunes puissent acquérir les compétences qu'ils estiment utiles et participer à des activités significatives au sein de leur collectivité, nous constaterons une diminution de la consommation de drogues, comme l'indiquent les données disponibles.

Le sénateur Runciman : J'aimerais connaître votre avis sur la responsabilité que devrait assumer la société à l'égard des individus qui s'enrichissent en vendant ces drogues, en les rendant accessibles aux gens, aux jeunes surtout. Avez- vous un point de vue à ce sujet?

Mme Clark : Je crois que la question de la disponibilité est importante dans le contexte de la consommation de drogues chez les jeunes, mais il y a d'autres facteurs clés à considérer. Si vous parvenez à limiter la disponibilité d'une drogue en particulier, vous constaterez sans doute que les jeunes vont se tourner vers une autre drogue. Il y a effectivement des avantages à restreindre la disponibilité des différentes drogues, y compris le cannabis. Cependant, ce n'est qu'un des éléments d'une approche globale et cela n'empêchera pas les jeunes de consommer des drogues.

Le sénateur Runciman : Ce n'est toutefois pas ce que je vous demandais. Je voulais savoir comment la société devait réagir à l'égard des individus qui proposent et fournissent aux jeunes ces substances illégales. Avez-vous une opinion à cet égard?

Mme Clark : Je crois qu'il convient de mettre en place les mesures les plus efficaces possible pour prévenir et freiner la consommation de drogues.

Le sénateur Runciman : Les peines minimales obligatoires font donc partie de la solution à ce problème. C'est bien évidemment là où je veux en venir.

Mme Clark : Je ne veux pas me prononcer sur les mesures d'application des lois sur le trafic de stupéfiants. J'en ai toutefois beaucoup à dire au sujet de la prévention.

Le sénateur Runciman : Dans votre rapport sur les coûts pour l'économie, vous indiquez que les drogues illégales — et je crois qu'un autre témoin y a fait référence également — ont coûté 8,2 milliards de dollars aux Canadiens en 2002. S'agit-il bien d'une étude menée par votre organisation?

Mme Clark : Oui.

Le sénateur Runciman : Les coûts associés à l'application de la loi ne constituaient qu'une fraction de ce total. Est-il raisonnable de supposer qu'en réduisant la disponibilité des drogues illégales grâce à l'application de la loi, on pourra diminuer en partie les autres coûts associés à la consommation de drogues, notamment au chapitre des soins de santé, de la perte de productivité et des autres éléments qui ont été soulevés devant notre comité?

Mme Clark : L'application des lois est un élément important de toute approche globale visant à contrer la consommation de drogues.

Mme Jesseman : Relativement à ce rapport, j'aimerais insister sur les coûts des drogues illicites par rapport à ceux de l'alcool et du tabac, des substances légales, en faisant valoir que ces coûts sont beaucoup plus élevés pour la société dans toutes les catégories. Voilà qui nous indique que la solution doit aller plus loin que la seule application des lois et qu'il ne faut pas s'attendre à ce que les investissements en la matière produisent des résultats nécessairement proportionnels.

Le sénateur Runciman : Personne n'a prétendu une chose pareille. Cependant, si nous réussissons à limiter la disponibilité des drogues, il y aura un impact sur ces autres facteurs de coût.

Mme Jesseman : Effectivement.

Le président : Madame Landolt, aviez-vous des commentaires en réponse à cette question?

Mme Landolt : Non. Je crois qu'on y a bien répondu. L'application des lois permettra une réduction substantielle des coûts associés aux soins de santé et aux autres mesures sociales, si nous pouvons freiner la consommation de drogues.

Le sénateur Jaffer : Je me réjouis de vous revoir. J'ai pu constater sur votre site Web que vous êtes en faveur des peines minimales, et vous l'avez confirmé très clairement aujourd'hui.

Sur votre site, il est aussi question de prévention, d'éducation et de traitement. Vous avez parlé dans votre exposé de la contribution des tribunaux de traitement de la toxicomanie en indiquant, si je ne m'abuse, que 61 p. 100 des gens ne reprennent pas la consommation, mais j'aimerais en savoir davantage au sujet des types de mesures d'éducation et de prévention, surtout pour les jeunes, que vous envisagez dans le contexte des orientations données sur votre site Web.

Mme Landolt : Je vous dirai tout d'abord que nous collaborons étroitement avec les centres de traitement. Nous avons l'impression que les appuis sont plus sentis, tant du point de vue politique que social, à l'égard de ces centres qui sont vraiment désavantagés. Ils souffrent d'un manque de financement et on ne reconnaît pas les efforts qu'ils déploient au sein des collectivités. Nous essayons de rejoindre les jeunes pour les sensibiliser à ces questions. Nous préparons une tournée de conférences à la grandeur du pays. Cela pose certains problèmes financiers, mais nous souhaitons être davantage présents auprès des collectivités et des jeunes. Je crois que c'est une préoccupation partagée par toutes les personnes ici présentes.

Le sénateur Jaffer : Si j'interprète vos propos, faut-il comprendre que le projet de loi C-10 devrait être assorti des ressources suffisantes pour aider ces programmes de traitement dans leur œuvre de prévention?

Mme Landolt : C'est bien cela. Je ne pense pas que les besoins en traitement soient reconnus à leur juste valeur. Je sais que le gouvernement a versé il y a quelques années du financement à la Colombie-Britannique pour les fins du traitement, mais ce n'est pas suffisant. Chaque province connaît ses propres problèmes avec les drogues. La situation est certes plus critique à Vancouver, pour différentes raisons.

Nous devons mettre davantage l'accent sur le traitement, car c'est la seule chose qui puisse aider les toxicomanes. Aucune autre mesure ne pourra leur être utile.

Le sénateur Jaffer : Je suis tout à fait d'accord avec vous. D'après ce que j'ai pu observer, les juges peuvent provenir de tous les milieux. Vous avez dit à quelques reprises dans votre exposé que les juges se laissent guider par des considérations idéologiques. Pourriez-vous nous expliquer ce que vous vouliez dire par là?

Mme Landolt : Il faut bien admettre que les gens nommés à la magistrature sont des êtres humains qui ont leurs propres idées. Bon nombre d'entre eux considèrent la possession de marijuana comme une infraction mineure ne méritant qu'une peine probatoire. Je peux vous assurer que les juristes ayant fréquenté la faculté de droit en même temps que moi avant d'être nommés juges, des gens d'une autre génération, il faut bien l'avouer, sont plus enclins à faire montre de sévérité. Je vais presque jusqu'à dire que bon nombre des juges plus jeunes sont issus d'une culture différente. Ils sont extrêmement indulgents et ne voient pas la marijuana et les drogues comme un problème important. Je m'inquiète du fait qu'ils établissent les peines en s'appuyant sur leur interprétation personnelle, ce qui justifie amplement le recours à des peines minimales obligatoires. C'est au Parlement qu'il incombe de décider ce qui est important et ce qui ne l'est pas. Je trouve que certains juges sont plus libéraux. Ils ont chacun leur bagage différent, mais bon nombre d'entre eux sont libéraux. Les juges plus jeunes le sont bien davantage que ceux que j'ai côtoyés à la faculté de droit. Ils s'inspirent de leur propre idéologie sans comprendre la gravité du problème. Et c'est le message qui est transmis à nos jeunes : si je ne risque qu'une peine probatoire, il n'y a pas de quoi s'inquiéter et je peux continuer à fumer mon joint tranquille.

Le sénateur Jaffer : Je sais que vous avez été avocate pendant plusieurs années. Avez-vous des données scientifiques concrètes pour appuyer vos dires ou s'agit-il de simples observations?

Mme Landolt : En fait, il en est question dans la documentation que le gouvernement nous a fournie concernant le projet de loi C-10.

Le sénateur Jaffer : Il s'agit de documents du gouvernement, et non de vos propres recherches.

Mme Landolt : Cela ne vient pas de nous. C'est le gouvernement qui soutient que 52 p. 100 des dossiers judiciaires impliquant des drogues concernent le cannabis. Il souligne que les contrevenants, jeunes ou adultes, s'en tirent invariablement avec une simple peine probatoire. C'est une interprétation très désinvolte de la loi. Si vous savez que vous vous exposez à une peine sévère, vous serez moins enclin à fumer de la marijuana. Je fais référence à la documentation du gouvernement dont j'ai pris connaissance.

Le sénateur Fraser : Madame Landolt, ai-je raison de présumer que lorsque vous parlez de juges « libéraux », il est question de libéraux avec un « l » minuscule.

Mme Landolt : Oui. Je parlais d'idéologie libérale.

Le sénateur Angus : N'est-ce pas la même chose?

Le sénateur Lang : Je veux revenir à la question de la peine obligatoire. Madame Landolt, je me réjouis des commentaires que vous venez tout juste de faire, car j'estime qu'ils reflètent l'opinion d'un large segment de la population à l'égard du comportement actuel de nos tribunaux. On estime en effet à bien des égards qu'il n'y a aucune conséquence pour ceux qui décident de se livrer au trafic de drogue ou à des activités semblables. C'est une véritable profession. Ces gens-là choisissent sciemment de le faire. Vous ne pouvez pas être à moitié trafiquant de drogue; vous êtes chauffeur de taxi ou vous ne l'êtes pas.

J'aimerais parler des peines minimales prévues pour que les gens comprennent bien de quoi il est question. On laisse l'impression qu'il y a une peine minimale de huit ans pour certaines infractions et les gens se demandent pourquoi on est aussi sévère. En toute franchise, je me demande plutôt dans certains cas pourquoi on ne l'est pas davantage. Par exemple, pour l'importation et l'exportation de drogue, la peine minimale d'incarcération peut aller d'un an à deux ans. En vertu de l'article 40, la possession en vue de l'exportation entraîne également une peine d'un ou deux ans, selon la situation. Les peines minimales sont donc d'un an, voire deux dans certains cas, le tribunal pouvant se montrer plus sévère. Croyez-vous que les peines minimales prévues sont suffisantes ou devrait-on être plus incisif?

Mme Landolt : Je ne peux vous donner que mon point de vue personnel. À la lecture du projet de loi, j'ai eu la même réaction que vous : je trouvais que ça manquait de vigueur. Pourquoi être aussi indulgent à l'égard d'une infraction aussi grave que l'exportation de drogue? C'est ce que j'ai pensé moi aussi. Je ne crois pas que les peines prévues sont suffisamment sévères pour freiner les criminels. Nous avons entendu les témoins précédents nous dire à quel point il peut être payant de faire le trafic des drogues, d'en fabriquer et d'en distribuer. Sans compter que dans notre système de justice, une peine de deux ans se traduit par une incarcération beaucoup moins longue. Je ne crois pas que cela soit suffisamment sévère. Je ne parle pas au nom de mon organisation, car nous ne nous sommes pas penchés sur la question. Je suis personnellement d'avis que ces mesures sont beaucoup trop faibles.

Le sénateur Lang : Il est important de bien nous rendre compte des enjeux en cause. Les sénateurs d'en face ont fait valoir à maintes reprises que l'on allait priver les juges de tout pouvoir discrétionnaire, alors que ce n'est bien sûr pas du tout le cas. Il s'agit de transmettre le message qu'il y aura des conséquences et que les fautifs se retrouveront derrière les barreaux. Ce n'est pas une simple possibilité.

Madame Clark, j'ai beaucoup apprécié votre exposé. Je veux poursuivre dans le sens de la question que vous posait le sénateur Runciman. Vous avez indiqué que votre mandat consiste à assurer un leadership à l'échelle nationale, à fournir des analyses et des conseils factuels et à proposer des solutions pour lutter contre les méfaits de l'alcool et des autres drogues. Je suis persuadé que vous faites un excellent travail à ce chapitre. Lorsqu'on vous a demandé s'il devrait y avoir des conséquences pour ceux qui choisissent de se livrer au trafic des drogues, vous avez répondu que votre organisation n'avait pas de position à ce sujet. Je trouve cela bien difficile à croire, mais peut-être vous ai-je mal comprise. Je vous laisse l'occasion de préciser votre réponse.

Mme Jesseman : Notre organisation appuie certainement le rôle des services de police dans la lutte contre la toxicomanie au Canada. Madame Clark pourrait peut-être vous donner plus de précisions là-dessus, en tant qu'experte en prévention.

Mme Clark : Oui. Il est évident que les services de police ont un rôle à jouer. J'ai dit que je n'avais rien à dire au sujet des peines minimales obligatoires et de leur incidence.

Mme Jesseman : Est-ce plus clair?

Le sénateur Lang : Je devrais peut-être vous adresser cette question, madame Jesseman. Quelle est la position de votre organisation en ce qui a trait aux trafiquants de drogue? Pour devenir toxicomane, on achète forcément sa drogue à quelqu'un.

Mme Jesseman : Nous convenons que cette question concerne l'application de la loi.

Le sénateur Lang : Selon vous, l'imposition d'une peine minimale obligatoire aux trafiquants de drogue serait-elle un pas dans la bonne direction?

Mme Jesseman : J'ai quelques réserves quant à l'imposition de peines minimales obligatoires, étant donné le manque de données probantes. Le mandat de notre organisation consiste à étudier les faits et les preuves, et les études que nous avons examinées jusqu'à présent ne démontrent pas que les peines minimales obligatoires ont un quelconque effet dissuasif.

Le président : En ce qui a trait à l'imposition de peines minimales obligatoires, vous avez toutes parlé de la nécessité de créer des programmes de désintoxication et des tribunaux de traitement de la toxicomanie, en particulier, et d'affecter davantage de fonds et de ressources à ce chapitre. Comme vous le savez, en vertu du projet de loi C-10, une personne reconnue coupable d'une infraction liée à la drogue peut éviter une peine minimale obligatoire si elle suit avec succès un programme dans le cadre d'un tribunal de traitement de la toxicomanie ou un programme de désintoxication approuvé.

Est-ce que chacune d'entre vous pourrait nous dire s'il s'agit d'une approche raisonnable? Êtes-vous d'avis que cette disposition est pertinente?

Mme Jesseman : Nous sommes sans contredit favorables à une déjudiciarisation. Nous savons que la grande majorité des délinquants dans le système de justice pénale ont des antécédents de consommation de drogue. Plus il y a de possibilités d'offrir des services et du soutien à cet égard, mieux s'en porteront les principaux intéressés et la société en général. Nous savons qu'en nous attaquant au problème de la toxicomanie, nous contribuons à réduire le risque de récidive. Nous y sommes donc très favorables. C'est pourquoi nous avons également recommandé de surveiller de près les répercussions du projet de loi C-10 sur l'accès aux programmes de traitement. En tant que pays, nous pouvons vérifier si, en fait, nous appliquons cette disposition de façon adéquate et si nous avons la capacité de répondre à la demande qui en résultera.

À l'heure actuelle, nous savons que les services comportent beaucoup de lacunes, particulièrement dans le système de justice pénale. Tout d'abord, il faut s'assurer de ne pas créer d'ouverture ni de faire des promesses qu'on ne pourra tenir. Si on ne dispose pas des services ni de la capacité nécessaires pour venir en aide aux personnes qui en ont besoin, il faudrait prévoir des investissements à cet effet.

Mme Landolt : Je trouve que c'est une très bonne idée. Aux États-Unis, on a découvert que 75 p. 100 des délinquants ayant suivi un programme de traitement ne récidivent pas. Il est tout à fait remarquable que ces toxicomanes puissent éviter une peine minimale obligatoire et se faire soigner, étant donné qu'ils sont souvent incapables de prendre eux- mêmes la décision de s'en sortir. Pour la plupart d'entre eux, le fait de pouvoir échapper à une condamnation représente une occasion incroyable. Je trouve qu'il s'agit d'une excellente idée. Ce sont les Américains qui ont eu l'idée des tribunaux de traitement de la toxicomanie. Ils ont mis cette mesure en œuvre et elle s'est révélée très efficace. Nous devons donc évaluer leurs mesures et voir pourquoi nous ne réussissons pas aussi bien qu'eux. C'est un bon moyen de sauver la vie de ces toxicomanes.

Le président : Et, par le fait même, de protéger la société.

Mme Landolt : Absolument.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Mesdames, merci beaucoup pour votre exposé très intéressant.

Madame Landolt, Santé Canada a produit un rapport, il y a quelques années, sur la marijuana et on y lit que cette drogue qui est vendue aujourd'hui est entre 20 ou 30 fois plus puissante qu'en 1975, parce qu'on y ajoute maintenant toute sorte de substances chimiques. Une autre donnée inquiétante est que, en 1975, l'âge où l'on débutait l'expérimentation du pot, c'était à peu près 15 ans et on constate, en 2010, que c'est neuf ans. La partie qui m'interpelle le plus c'est l'abaissement de l'âge de consommation de la marijuana alors qu'elle est 30 fois plus puissante. Santé Canada dit que les séquelles sont permanentes sur le plan neurologique, entre autres, on constate qu'à l'âge de 18 ans les jeunes qui commencent à fumer à neuf ou 10 ans on aura 2,4 fois plus de cas de schizophrénie.

Donc, on voit que pour la société, ce sont des dépenses énormes dans lesquelles on s'engage s'il n'y a pas un contrôle. On voit que la vente de pot dans les polyvalentes c'est presque acquis par les vendeurs, et maintenant on s'attaque à une clientèle plus jeune au niveau primaire.

À l'émission JE il y avait un reportage où l'on disait qu'au Québec il y a environ 4 000 jeunes filles de 12 et 13 ans qui se prostituent à cause des dettes de drogues, notamment les dettes de pot.

Le fait qu'on resserre dans le projet de loi C-10 les sentences pour des adultes qui vendent du pot à des enfants — je n'appelle plus cela des adolescents, je les appelle des enfants —, comment voyez-vous cette approche plus sévère par rapport aux adultes qui vendent du pot à des enfants, qui vont garder des séquelles pour la vie? Selon vous, est-ce que le projet de loi C-10 aurait dû être plus sévère dans ces cas?

[Traduction]

Mme Landolt : Tout à fait. Selon les statistiques, la consommation de marijuana au Québec serait 12 p. 100 plus élevée que dans le reste du Canada. Évidemment, les statistiques du Québec sont différentes à tous les égards, mais il est tout de même troublant qu'il y ait autant de problèmes de drogue chez les jeunes dans cette province. Nous devons protéger les enfants du Québec, de Vancouver et de partout ailleurs au pays. La situation est plutôt inquiétante lorsqu'on se penche sur la consommation de marijuana au Québec. Je pense que de nous attaquer aux trafiquants en leur imposant des peines sévères et des peines d'emprisonnement est la meilleure chose que nous puissions faire pour l'instant. Toutefois, nous ne pouvons pas ignorer le fait que nous avons affaire à des jeunes. Et on ne peut plus les récupérer lorsqu'ils commencent à un jeune âge. Il est déjà trop tard. Ils ne pourront jamais fonctionner normalement, puisqu'ils ne se soucient de rien. Ils arrivent à un stade où ils perdent la mémoire, n'ont plus d'énergie ni de volonté et ne veulent plus étudier. Nous devons enrayer ce fléau. Chose certaine, l'imposition de peines sévères est une solution, mais je pense que les collectivités, les familles et les parents ont également un rôle à jouer. Pourquoi les enfants consomment-ils autant de marijuana? Je trouve la situation profondément troublante.

Le président : Honorables sénateurs, nous avons maintenant terminé avec ce groupe de témoins. Mesdames Jesseman, Clark et Landolt, je tiens à vous remercier. Votre participation nous sera très utile dans le cadre de notre étude.

Nous allons maintenant poursuivre notre étude du projet de loi C-10 et accueillir le troisième groupe de témoins. J'ai l'ordre du jour devant les yeux, mais je vais d'abord m'adresser à M. Plecas, qui s'est joint à nous par vidéoconférence. Je veux simplement m'assurer que nous avons une bonne communication.

Darryl Plecas, directeur, Centre de recherche de justice pénale, Université de Fraser Valley, à titre personnel : Bonsoir.

Le président : M. Plecas travaille à l'Université de Fraser Valley. Nous avons également avec nous la Dre Gabriella Gobbi, psychiatre et neuroscientifique, professeure agrégée, Université McGill. Je vous souhaite la bienvenue.

Du Manitoba Keewatinowi Okimakanak Inc., nous accueillons Michael Anderson, directeur de recherche, Secrétariat des ressources naturelles; et Ron Evans, chef, Norway House Cree Nation. Bienvenue à vous, messieurs.

Enfin, Scott Wheildon, avocat de droit pénal, de la Commission des services juridiques du Nunavut, a de nouveau accepté de témoigner. Soyez le bienvenu.

Nous allons commencer par vous, docteure Gobbi. Si vous avez une déclaration liminaire, nous aimerions beaucoup l'entendre.

Dre Gabriella Gobbi, psychiatre et neuroscientifique, professeure agrégée, Université McGill, à titre personnel : Mesdames et messieurs, honorables sénateurs, bonsoir. Je suis médecin spécialisée en psychiatrie et je mène également des travaux de recherche dans le domaine de la neurobiologie des troubles mentaux. Je pratique au Canada depuis maintenant 14 ans et j'ai aussi travaillé en Italie avant cela.

Il y a environ 10 ans, j'ai commencé à observer une augmentation de la consommation de cannabis chez mes patients et je me suis intéressée à de nombreuses études épidémiologiques sur les effets à long terme du cannabis et des amphétamines sur les jeunes. J'ai d'ailleurs été étonnée d'apprendre que le Canada est le pays qui affiche le taux de consommation de cannabis le plus élevé chez les adolescents.

J'ai donc commencé à étudier, dans mon laboratoire, les mécanismes sous-jacents des troubles mentaux et la consommation de cannabis ou d'amphétamines durant l'adolescence. L'adolescence, comme vous le savez, est la période de développement qui se situe entre l'enfance et l'âge adulte, soit de 12 à 17 ans. D'après des études neurologiques, le cerveau des adolescents serait encore à l'étape du développement, particulièrement la région limbique, qui contrôle les émotions, et le cortex préfrontal, qui contrôle la prise de décisions et la pensée.

Par conséquent, toute drogue consommée durant cette période nuirait fortement au développement normal du cerveau. Nous savons que, dans presque tous les cas, la consommation de drogues et la toxicomanie commencent à l'adolescence. Nous savons que la dépendance aux drogues est un problème fréquent chez les adolescents.

Je n'ai pas le temps d'entrer dans les détails du mécanisme neurobiologique complexe du cannabis, de la dépression et de la schizophrénie, mais j'aimerais souligner le nombre croissant d'études qui font état d'un lien entre la consommation de cannabis au début de l'adolescence et le risque de développer une psychose ou de faire une dépression.

Ces 10 dernières années, de nombreuses études ont démontré que la consommation de cannabis durant l'adolescence augmentait le risque de développer une psychose — trouble mental sévère caractérisé par des hallucinations et des délires — et pouvait entraîner un dysfonctionnement cognitif et social. En fait, les personnes ayant consommé du cannabis dès l'âge de 15 ans ou plus tôt sont quatre fois plus susceptibles de recevoir un diagnostic de psychose à l'âge de 26 ans que celles qui n'ont jamais consommé. Plusieurs études ont également établi un lien entre la consommation de cannabis chez les adolescents et le risque accru de dépression, de suicide, de comportement antisocial et de dépendance à d'autres drogues. C'est particulièrement vrai dans le cas des consommateurs excessifs.

Je reconnais l'objectif du projet de loi C-10, qui est de sévir contre les individus qui font le trafic et vendent de la drogue près des écoles et des endroits où vivent des adolescents et des enfants. Il n'en demeure pas moins qu'il faut absolument sensibiliser les adolescents et les familles aux risques du cannabis, et il est essentiel que le Canada évalue et mette en œuvre des programmes d'éducation fondés sur des preuves. C'est un impératif moral. Il est également nécessaire d'accroître l'accès aux programmes de traitement et de réhabilitation à long terme.

Les enjeux politiques relatifs à la protection de la santé mentale des enfants et des adolescents ne reposent pas sur des décisions de la gauche ou de la droite, c'est-à-dire des libéraux ou des conservateurs, mais plutôt sur la science et le savoir.

Nous devons adopter une approche globale en matière de santé publique, axée sur la prévention, l'intervention adéquate et la réhabilitation à long terme. Nous devons également identifier les personnes à risque élevé. Grâce aux études cliniques biologiques sur la dépendance et la santé mentale, nous sommes maintenant en mesure de formuler des politiques efficaces, fondées sur la science, au chapitre de la prévention de la consommation de drogues et de la désintoxication. Ces politiques doivent être orientées vers la protection de nos jeunes et le bien-être des Canadiens.

Le président : Merci, docteure Gobbi.

Chef Evans, si vous avez une déclaration liminaire à faire, allez-y, je vous prie.

Ron Evans, chef, Norway House Cree Nation, Manitoba Keewatinowi Okimakanak, Inc. : Merci à vous, honorables sénateurs et chers collègues. Je vous ai remis une copie de mon mémoire. Cependant, je ne vais qu'en exposer les grandes lignes pour ne pas prendre trop de temps.

Bonsoir. Au nom des 30 Premières nations du Manitoba et des 65 000 citoyens issus d'une Première nation représentée par le Manitoba Keewatinowi Okimakanak Inc. — ce qui signifie, en français, les chefs du Nord du Manitoba —, je tiens à vous remercier de me donner cette occasion de m'exprimer sur le projet de loi C-10, Loi sur la sécurité des rues et des communautés. MKO aimerait également parler de la signification de la relation scellée par traité, de l'honneur de la Couronne et de la nécessité de travailler en partenariat pour s'assurer que tous les citoyens des Premières nations puissent vivre dans un Canada sûr et jouir des mêmes possibilités que tous les autres Canadiens.

Les 30 Premières nations du MKO veulent faire de leur Première nation l'endroit le plus sûr où vivre. Les Premières nations du MKO sont, d'abord et avant tout, résolues à atteindre les normes les plus élevées en matière de sécurité publique et communautaire, fondées sur des approches de prévention et de réhabilitation, gérées par les collectivités et appuyées par les services de police communautaires. Ces initiatives visent à mettre l'accent sur la réconciliation entre la victime, la communauté et le délinquant ainsi que sur la réhabilitation et la réinsertion des délinquants en tant que membres productifs de la famille et de la communauté. Cette vision reflète également les lois inhérentes et coutumières de même que les valeurs communautaires et culturelles des Premières nations du MKO.

Des initiatives axées sur la justice réparatrice et alternative, comme les cercles de détermination de la peine et les conseils des anciens, se sont révélées fructueuses dans la région du MKO. Permettez-moi de vous donner un exemple de la façon dont les Premières nations du MKO ont concrétisé notre vision.

Entre 1998 et 2011, 6 770 personnes accusées se sont vues déjudiciarisées au moyen d'initiatives de justice réparatrice et alternative dans le cadre de la Stratégie de la justice applicable aux Premières nations du MKO. Parmi ces personnes, 2 667 ont été déjudiciarisées en 2010 et 2011.

Dans le cadre de la Stratégie de la justice applicable aux Autochtones, le ministère de la Justice s'est penché sur la Stratégie de la justice applicable aux Premières nations du MKO, dans son étude sur le récidivisme, pour la période de 2002 à 2007. À l'époque, la stratégie du MKO avait permis de fournir de l'information sur 500 cas de déjudiciarisation. Selon le rapport sommatif de Justice Canada, l'étude sur le récidivisme a révélé que les activités menées par le MKO dans le cadre de la Stratégie de la justice applicable aux Autochtones avaient eu un impact positif en réduisant les taux de récidive chez les participants. L'évaluation a démontré que les participants à la stratégie étaient deux fois moins susceptibles de récidiver que ceux qui n'y avaient pas participé, et que cet impact était durable. Les délinquants ont été suivis pendant au moins quatre ans à la suite de leur participation au programme de la SJA.

Pour vous donner un autre exemple des efforts déployés au chapitre de la pratique de la justice réparatrice, sachez que le MKO appuie l'élaboration et l'adoption de normes minimales uniformes pour la préparation et l'examen des rapports Gladue. Comme l'a établi l'arrêt de la Cour suprême du Canada R. c. Gladue [1999] 1 RCS 688, en ce qui a trait à l'application de l'alinéa 718.2 e) du Code criminel, le tribunal doit tenir compte des considérations culturelles particulières d'un délinquant autochtone pour déterminer si un processus de justice réparatrice peut s'avérer une bonne solution de rechange à l'incarcération.

L'étude systématique par le tribunal des rapports Gladue préparés conformément à des normes minimales uniformes constitue une option de justice réparatrice précieuse et une solution de rechange essentielle à l'incarcération, compte tenu des circonstances du délinquant autochtone. L'application systématique du processus établi dans le rapport Gladue permettra de remédier à la surreprésentation des Autochtones dans les prisons canadiennes.

Malgré les réussites du MKO et les progrès lents, mais stables, réalisés à l'égard de la sécurité des communautés, j'aimerais vous exposer des statistiques accablantes concernant le nombre démesuré d'Autochtones séparés de leur famille, détenus et incarcérés.

Au Canada, 20 p. 100 des détenus sous responsabilité fédérale sont des Autochtones. Au Manitoba, 70 p. 100 des détenus dans des établissements provinciaux et 50 p. 100 dans les deux établissements fédéraux sont des Autochtones.

Les Autochtones ne représentent que 15 p. 100 de la population du Manitoba et environ 4 p. 100 de la population canadienne.

Au Manitoba, les délinquants autochtones sont plus souvent envoyés en prison que les non-Autochtones. Toujours au Manitoba, les délinquants autochtones représentent plus des deux tiers des délinquants en détention, mais moins de la moitié de ceux purgeant une peine avec sursis.

Au Manitoba et au Yukon, les femmes autochtones représentent 83 p. 100 des femmes détenues. Quatre-vingt pour cent des quelque 10 000 enfants placés au Manitoba sont autochtones. Quatre-vingt huit pour cent des détenus de l'Établissement Stoney Mountain, un pénitencier à sécurité moyenne, ont été pris en charge par le système de protection de la jeunesse entre 13 et 17 ans.

En conclusion, je considère que le projet de loi C-10 va à l'encontre des valeurs familiales canadiennes puisqu'il fait en sorte d'envoyer en prison davantage de femmes et de jeunes et de placer un plus grand nombre d'enfants dans des familles d'accueil. Le gouvernement conservateur ne devrait pas adopter ce projet de loi. Les gouvernements provinciaux et les contribuables canadiens ne devraient pas en assumer les coûts, pas plus que les familles et les communautés canadiennes, y compris les Premières nations, devraient en subir les effets dévastateurs.

L'approche d'« emprisonnement » que vise le projet de loi C-10 est irresponsable, sur les plans moral et fiscal, et les Canadiens ne seront pas plus en sécurité. J'estime qu'il vaut mieux investir dans la lutte contre la pauvreté, qui est l'une des causes sous-jacentes de nombreuses infractions, plutôt que de dépenser des centaines de millions de dollars pour incarcérer davantage de Canadiens, particulièrement des Autochtones.

Les Premières nations du MKO n'essaient pas d'obtenir plus de prisons, mais plus d'emplois et des logements convenables. C'est de cette manière que nous pourrons contribuer à sécuriser les rues et les collectivités au Canada.

Le projet de loi C-10 contribuera à perpétuer le cercle vicieux qui débute souvent quand on sépare les enfants des Premières nations de leurs familles et de leurs mères pour les placer dans des familles d'accueil. Ils sont ensuite plus susceptibles de se retrouver en centre de détention pour les jeunes, puis, à l'âge adulte, en prison. La preuve, c'est que la majorité des détenus des Premières nations ont été placés en familles d'accueil quand ils étaient enfants.

Le projet de loi perpétuera les retombées des pensionnats indiens au Canada.

Comme principaux éléments de la stratégie du Canada pour assurer la sûreté, la sécurité et le mieux-être des collectivités, MKO recommande le retrait des dispositions du projet de loi interdisant les ordonnances de sursis et modifiant les conditions de l'étude des demandes de réhabilitation et de l'octroi de la réhabilitation ainsi que les modifications apportées aux peines minimales obligatoires. Il demande que le comité recommande que le Canada dévoile immédiatement son intention d'élaborer et de conclure un accord pour élargir le Programme des services de police des Premières nations à l'appui du maintien de l'ordre communautaire dans les régions relevant du MKO et d'autres Premières nations et qu'il collabore avec les Premières nations pour étoffer et élargir les programmes de justice alternative et réparatrice, qui, notamment, s'efforcent de favoriser la réconciliation entre la victime et le délinquant.

Ekosani, Mási-cho, Meegwetch.

Merci.

Le président : Merci beaucoup, chef Evans.

Scott Wheildon, avocat de droit pénal, Commission des services juridiques du Nunavut : Bonjour. Je me présente : je suis Scott Wheildon et je pratique le droit pénal à la Commission des services juridiques du Nunavut, à l'étude d'aide juridique Maliiganik Tukisiniakvik. Cette étude a été fondée par votre honorable collègue Dennis Patterson. Merci de l'occasion que vous me donnez d'apporter mon témoignage.

Le projet de loi C-10, par la suppression de nombreuses peines conditionnelles entraîne le prononcé de peines minimales obligatoires, facilite l'incarcération des jeunes et entrave le pouvoir discrétionnaire des juges, ce qui aura des effets négatifs considérables dans le Nunavut. Pour l'appliquer, il faudra beaucoup d'argent, et tous les organismes du secteur de la justice se préparent à ses conséquences.

Pour réduire la criminalité dans le Nunavut, il faut financer un établissement de désintoxication à l'interne et des stratégies de réduction de la pauvreté et de prestation de conseils pour la réadaptation. Se contenter d'incarcérer plus longtemps plus d'Inuits n'est pas la solution.

Pendant qu'au pays le taux de criminalité diminue, malheureusement, au Nunavut, c'est le contraire qui se passe. Il y est six fois plus élevé que la moyenne nationale. Il a plus que doublé depuis la création du territoire en 1999. Au Canada, il est de 6 969 pour 100 000 habitants, tandis qu'au Nunavut il est de 41 231.

En 2010, le taux des crimes de violence au Nunavut était huit fois plus élevé que la moyenne nationale. Celui des crimes lié à la drogue était cinq fois la moyenne nationale. Au Nunavut, 98 p. 100 des détenus sont Inuits, et l'immense majorité des citoyens traînés devant les tribunaux sont des Inuits.

Actuellement, le Centre correctionnel de Baffin peut officiellement accueillir 65 détenus. Malheureusement, on y trouve habituellement de 90 à 110 détenus, dont beaucoup doivent dormir sur le sol du gymnase. Des accords ont été conclus avec l'Ontario et les Territoires du Nord -Ouest pour en loger un certain nombre. Le centre n'a jamais été conçu pour accueillir les détenus actuels. C'est un établissement très vétuste. Cette année, on est censé inaugurer un établissement à Rankin Inlet, pour accueillir environ 45 détenus, mais il ne répond pas à la demande actuelle.

Les services correctionnels du Nunavut se préparent au choc. Les taux de détention provisoire augmentent : c'est le cas, en tout temps, d'une soixantaine de détenus en moyenne.

Pendant qu'on se concentre sur les problèmes d'accueil, on néglige la réadaptation. La probabilité de récidive augmente, faute, pour le contrevenant, de corriger la cause première de son comportement criminel.

Les services correctionnels du Nunavut prévoient une augmentation de 25 p. 100 à cause du projet de loi C-10, sans compter la croissance annuelle de 15 p. 100 par année. On manque tout simplement de place pour accueillir les détenus dans des conditions favorables à la réadaptation. Pour répondre aux besoins, il faudra des mesures draconiennes. On parle de construire des refuges d'urgence pour les détenus. On parle également d'envoyer plus d'Inuits dans le Sud. Ce sont deux solutions tout à fait insatisfaisantes à l'épidémie de criminalité qui sévit dans le Nord. Le coût d'un nouvel établissement correctionnel se situera dans les centaines de millions de dollars. Bref, le système correctionnel du Nunavut a atteint le point de rupture.

Dans le territoire, 33 p. 100 des postes de travailleurs sociaux sont à pourvoir. On manque de professionnels de la santé, y compris de la santé mentale. Actuellement, 25 communautés du Nunavut, à cause d'une pénurie d'agents correctionnels communautaires, ne possèdent pas d'agent correctionnel surveillant pour les citoyens en probation. La tâche incombe aux travailleurs sociaux, qui durent rarement plus d'un an dans une communauté. Habituellement frais émoulus d'un collège ou d'une université, ils ne sont pas formés pour ce travail. Dans beaucoup de communautés, les services de conseil sont réduits au strict minimum, tandis que les comités judiciaires n'existent pas ou ne fonctionnent pas, y compris dans la capitale, Iqaluit. Dans le territoire, on n'a déjudiciarisé que 300 dossiers

Au Nunavut, aucun établissement ne permet le diagnostic de l'ensemble des troubles causés par l'alcoolisation fœtale, et il n'existe aucun centre interne de désintoxication. Ces problèmes urgents et la pauvreté galopante contribuent, ensemble, à l'augmentation de la criminalité.

Dans le Nunavut, le taux de suicide est cinq fois plus élevé que la moyenne nationale. Les Inuits de 15 à 24 ans sont particulièrement touchés, puisque leur taux est sept fois la moyenne nationale. En 2011, sur les 34 citoyens du Nunavut qui se sont suicidés, 27 avaient de 20 à 25 ans. On ne sait pas trop quel est le rôle des systèmes judiciaire et correctionnel dans cette réalité désolante, mais il est manifeste. L'emprisonnement prolongé d'un plus grand nombre d'Inuits n'aidera pas à remédier à cette situation tragique et urgente.

L'édiction de peines minimales obligatoires entrave le pouvoir discrétionnaire des juges de tenir compte des particularités du dossier. Elle empêche le tribunal de tenir compte de l'alinéa 718.2e) du Code criminel et des principes exposés par la Cour suprême du Canada, dans l'arrêt de la R. v. Gladue. Le projet de loi C-10 empêche donc le juge d'envisager une peine appropriée, différente de la détention. Cela conduira à l'incarcération d'un plus grand nombre d'Autochtones déjà surreprésentés dans les prisons.

Dans un cas particulier, les antécédents particuliers du délinquant autochtone peuvent faire en sorte que la détention ne convienne pas. L'inconvénient des peines minimales obligatoires est de punir, en général, les délinquants qui méritaient davantage la réadaptation. On peut donc s'attendre à une augmentation du nombre de contestations judiciaires fondées sur l'article 12 de la Charte des droits et liberté.

Le fait de limiter le rôle du juge dans le prononcé de la sentence au Nunavut s'oppose à son rôle essentiel actuel, parmi les autres participants de la communauté, dans la détermination d'une peine appropriée. La Cour de justice du Nunavut entend continuellement les personnes âgées et les autres membres de la communauté. La participation de la communauté est indispensable, au Nunavut, pour assurer la confiance dans l'administration de la justice et le respect de la primauté du droit chez les Inuits.

Au Nunavut, le tribunal se déplace dans les communautés en moyenne trois fois l'an, en fonction de la météo. Il siège environ deux jours dans une communauté. Souvent, la communauté s'est réconciliée avec le délinquant avant que la peine ne soit prononcée. Le fait de sortir le délinquant de la communauté à cause d'une peine minimale obligatoire ne peut que consterner les Inuits et les faire se sentir aliénés par le système de justice.

L'incarcération, au Nunavut, retire automatiquement un citoyen de sa communauté et, parfois, du territoire. À cause de l'adoption du projet de loi C-10, de plus en plus de citoyens seront envoyés dans les prisons du Sud. Actuellement, la plupart des citoyens détenus sont surtout gardés à Iqualuit, mais on en envoie de plus en plus à l'extérieur du territoire. Les citoyens relevant des services correctionnels fédéraux sont transférés à l'extérieur du territoire, ce qui rend difficile la réadaptation et la réinsertion dans la communauté, particulièrement dans une communauté éloignée de moins de 500 habitants. Les peines minimales obligatoires n'aideront pas à la réadaptation et à la réinsertion. Elles pourraient même avoir l'effet contraire, en éloignant les individus de leur communauté.

Les frais de fonctionnement de la Commission des services juridiques, du système correctionnel et du système judiciaire augmenteront. Pour le moment, ils ne sont pas chiffrés, mais on pense qu'ils sont très importants. Le délinquant n'est presque pas incité à faire aboutir son dossier, quand il n'espère plus une ordonnance de sursis ou qu'une peine minimale obligatoire s'applique. Les contestations complexes en vertu de la Charte se multiplieront, et les retards dans les tribunaux persisteront. Cela conduira à une augmentation du nombre de litiges, qui occuperont davantage des tribunaux déjà engorgés. On aura besoin de plus d'avocats de la poursuite et de la défense. Il faudra plus de juges en sus des deux nouveaux dont on prévoit la nomination.

Chers sénateurs, bien respectueusement, je vous dis que le projet de loi C-10 n'aide pas à sécuriser les rues et les communautés du Nunavut. Ce qui arrivera plutôt, c'est le détournement à d'autres fins des ressources nécessaires à la réduction de la criminalité par la prévention et la réadaptation. Sauf votre respect, je dis que l'emprisonnement prolongé d'un plus grand nombre d'Inuits, probablement à l'extérieur du territoire, n'est pas la solution.

M. Plecas : Bonsoir encore, mesdames et messieurs les sénateurs et mesdames et messieurs les témoins. Merci de me donner l'occasion de faire part de mes observations sur le projet de loi C-10.

Comme vous savez, je suis originaire de la Colombie-Britannique et j'ai eu l'occasion de bien examiner le problème de la criminalité liée aux drogues et, en particulier, la production et le trafic de stupéfiants. De fait, depuis ma dernière comparution devant le comité, j'ai eu l'occasion d'approfondir mes études et d'examiner précisément l'évolution de la production de drogues ces 14 dernières années en Colombie-Britannique.

Je pourrai m'étendre sur le sujet plus tard, mais j'espérais concentrer mes observations sur deux points : d'abord la crainte, par certains témoins, de la condamnation à une peine minimale de personnes dont les caractéristiques ne conviennent pas à la prison; ensuite, les raisons pour lesquelles des peines minimales sont nécessaires.

Observons d'abord, au sujet des contrevenants que l'on pourrait attraper, que la police, évidemment, n'a pas le temps d'enquêter sur des crimes liés à des quantités minimes de drogues ni de s'y intéresser.

Pour relativiser les choses, dans la région de Cariboo, en Colombie-Britannique, ces cinq dernières années, la taille moyenne d'une culture de marijuana, en plein air ou à l'intérieur, était d'environ 1 000 plants. C'est énorme, et on me dit que c'est trois fois plus que dans les années 1990. Fait important encore, les rendements ont considérablement augmenté.

En général, ce qu'il importe de savoir, ici, c'est que pendant que survenait cette augmentation spectaculaire — et pas seulement dans la région de Cariboo —, la police, nous le savons, ne parvenait plus à mettre un terme à autant d'opérations que dans les années 1990 et au début des années 2000. En fait, dans la région de Cariboo, aujourd'hui, elle ne peut enquêter que sur 31 p. 100 de celles qui lui sont signalées, faute de ressources, principalement.

Fait tout aussi important, la police, dans 33 p. 100 des interventions dans une culture, se contente d'une saisie, sans intenter de poursuites. En outre, le nombre de plants saisis sans qu'il y ait ensuite de poursuite est la moitié du nombre de plants saisis quand cette saisie donne lieu à des poursuites.

Cela correspond avec d'autres de nos recherches qui montrent l'existence d'un rapport évident entre le nombre de plantes trouvées et les suites données par la police. Ce qui est troublant, c'est que, en fin de compte, seulement 11 p. 100 des cas signalés à la police se traduisent par des poursuites contre les contrevenants. Nous savons également que seulement 20 p. 100 environ de ces poursuites aboutissent à l'emprisonnement des contrevenants.

Malgré cette activité criminelle considérable, assez peu de gens, finalement, se retrouvent en prison. Il faut aussi se rappeler qu'une culture de plus de cinq plants, environ, ce qui est très petit, comme notre analyse a permis de le déterminer, est qualifiée à juste titre de rentable. Dans une enquête policière, ce n'est pas seulement la découverte de cinq plants qui détermine si des accusations seront portées. C'est la nature de l'installation, le cadre de l'opération et toutes les sortes d'indices trouvés sur place qui, collectivement, conduiront normalement à des accusations de production et de trafic.

Pour commencer, tous ces détails visent à préciser que nous ne parlons pas de gros criminels endurcis. Absolument pas. Bien sûr, il y a des cultures importantes et, comme je l'ai mentionné, il est indéniable que, dans leur immense majorité, presque toutes, elles sont manifestement reliées à une activité criminelle organisée.

Ensuite, il y a la question du trafic, à petite échelle, dans la rue, et la crainte que des personnes qui vendent quelques joints ou quelques pilules se fassent arrêter. Cette crainte ne tient pas compte de la réalité des enquêtes policières, quand il s'agit de déterminer qui doit être la cible de l'enquête. La police consacre énormément de temps à cibler les individus qui, manifestement, sont reliés à une bande, et cetera.

Il faut aussi se rappeler que le trafic, même dans la rue, est fortement hiérarchisé. Ce n'est pas un lieu ouvert aux indépendants; pour se livrer à cette occupation, il faut être accepté dans la sous-culture criminelle, avoir un certain degré d'expérience.

Je sais aussi, bien sûr, que la probabilité d'être arrêté pour trafic, quand on est en possession d'une très petite quantité de drogue, est extrêmement faible. Il faut également se rappeler, parfois, quand une accusation de possession est portée pour une quantité relativement minime, d'examiner la nature des accusations suspendues parce que, souvent, on se contente de cette accusation et on suspend les autres. Même dans les cas, par exemple, des cultures, les accusations de possession, en moyenne, concernent 93 plants.

En ce qui concerne la nécessité de peines minimales, je pense qu'il faut se rappeler le bilan des expériences menées au cours des 30 dernières années, sur ce que nous avons essayé de faire des personnes reconnues coupables. Il est manifeste que les peines imposées n'ont presque pas eu de vertu pour la réadaptation, aucune pour la dissuasion et absolument aucune pour la protection de la sécurité du public. La preuve, bien sûr, c'est le syndrome actuel de la récidive, de la porte tournante.

Une autre preuve, c'est que la durée moyenne d'une peine conduit de plus en plus de gens vers la multirécidive. Je pense avoir rappelé une fois au comité que, là d'où je viens, à Abbotsford, par exemple, l'auteur d'infractions contre les biens qui se fait arrêter a déjà été condamné 15 fois, en moyenne.

Je préconise donc, faute, manifestement, pour le système, d'assurer un minimum de peines efficaces, que nous prenions congé de ces individus. Pour cela, d'après moi, les peines minimales suffisent à peine à donner les résultats que nous réclamons d'une peine.

Bref, je dirais que le projet de loi C-10, en ce qui concerne les peines minimales, ne va pas suffisamment loin. Les peines devraient être plus longues. Pour conclure, je dirai que, au Canada, un seul type de peines a donné des résultats clairs et prouvés, les peines purgées dans un établissement fédéral. Si on comprend le fonctionnement du système, les raisons pour lesquelles on s'attend à ce qu'il ait tant de succès sautent aux yeux.

Évidemment, ce n'est pas parce que quelqu'un écope d'une peine minimale obligatoire qu'il va nécessairement la purger au complet. Cette personne aura toujours la possibilité d'être libérée plus tôt si elle démontre aux agents correctionnels et aux autres intervenants du système de justice pénale qu'elle est prête à réintégrer la société ou qu'elle ne constitue plus une menace pour le public.

Vu la situation actuelle, je suis heureux que ce projet de loi nous garantisse, en quelque sorte, une certaine mesure de sécurité publique, ce que nous n'avons absolument pas en ce moment.

Le sénateur Fraser : Merci beaucoup à vous tous. Nous avons entendu plusieurs intervenants, et toutes vos présentations étaient très intéressantes.

J'aurais d'abord une demande à formuler à Mme Gobbi et à M. Plecas. C'est très bien d'avoir le texte de votre présentation, mais je suis particulièrement intéressé de connaître les sources d'où sont tirées les statistiques que vous nous avez données. Vous nous avez tous les deux présenté beaucoup de renseignements qu'il serait vraiment utile d'étudier de plus près.

J'ai une question pour le chef Evans, si vous me le permettez, au sujet de la Stratégie relative à la justice applicable aux Autochtones. Je veux simplement m'assurer de bien comprendre comment cela fonctionne, ou du moins comment cela fonctionnait au moment où l'étude a été effectuée.

Quand vous parlez de 500 cas de déjudiciarisation, dois-je en conclure que la stratégie a permis, ou avait pour but, d'éviter la détention au profit de la justice réparatrice dans la collectivité?

M. Evans : Oui, c'est exact.

Le sénateur Fraser : Donc, ces résultats intéressants que vous avez obtenus se traduisent par l'application de la justice traditionnelle, si je peux m'exprimer ainsi, par rapport au système de justice pénale régulier du Canada, qui aurait plutôt préconisé la détention. Est-ce bien ce dont il s'agit?

M. Evans : C'est exact.

Le sénateur Fraser : Puis-je vous demander, chef Evans, dans le territoire du MKO, quel pourcentage des crimes commis sont liés aux drogues? Si vous n'avez pas de statistiques, vous en avez probablement une petite idée.

M. Evans : Je demanderais à M. Anderson de répondre à la question. Il connaît bien les statistiques.

Michael Anderson, directeur de recherche, Secrétariat des ressources naturelles, Manitoba Keewatinowi Okimakanak, Inc. : Merci beaucoup pour cette question.

Pour ce qui est des crimes qui intéressent les gouvernements des Premières nations et certainement les forces policières, ils sont très souvent liés aux drogues. Je pourrai fournir au comité quelques statistiques à cet égard.

Le président : Ce serait apprécié.

Le sénateur Fraser : Pour revenir à la Stratégie relative à la justice applicable aux Autochtones et à l'étude sur les 500 cas de déjudiciarisation, combien d'entre eux auraient pu se rapporter à des infractions liées aux drogues? Si vous avez des données là-dessus...

M. Anderson : Je vous fournirai ces statistiques avec plaisir.

Je dois dire que la nature des crimes liés aux drogues commis dans le territoire du MKO a évolué au fil du temps et que les choses se sont accélérées assez récemment.

Ce qui est préoccupant, c'est que beaucoup de jeunes de la collectivité n'en sont peut-être qu'à leurs premières expériences avec ce genre d'activités. Ce sont eux que nous ne voulons surtout pas voir engagés dans ce cycle qui les mènera au pénitencier de Stoney Mountain. Autrement, ces jeunes gens qui ne font que flirter avec des activités qui pourraient être définies légalement comme des « activités criminelles dans leur collectivité » deviendraient carrément des criminels en fréquentant dans ces établissements des personnes qui sont impliquées plus sérieusement et depuis plus longtemps dans des activités criminelles.

La justice réparatrice — l'autre approche qui est si importante pour nos collectivités — a pour but de déjudiciariser non seulement les personnes qui ont été accusées d'un crime, mais aussi celles qui s'adonnent à des activités qui pourraient les amener là. Le cercle de justice communautaire de notre collectivité préconise une approche concertée. De bien des façons, tous les membres de la collectivité sont liés les uns aux autres à différents degrés. Les membres de la collectivité s'engagent plus activement dans la prévention du crime et tentent de décourager les jeunes en particulier d'emprunter la voie de la criminalité, et se concentrent ainsi sur ceux qui s'adonnent à des activités criminelles dans la collectivité.

Le sénateur Fraser : Je me trompe peut-être, mais je présume que dans le territoire du MKO, comme partout au pays, mais particulièrement au sein des collectivités autochtones, le facteur stress du XXIe siècle est de plus en plus présent et les criminels font preuve de plus en plus d'ingéniosité. Je parle des fournisseurs, de ceux qui les approvisionnent. Je pense aussi que les attitudes culturelles évoluent très rapidement dans l'ensemble de la population canadienne, tout comme chez les collectivités autochtones.

C'est un long préambule pour situer ma question, qui est la suivante : est-ce que les programmes de déjudiciarisation fonctionnent aussi bien pour les jeunes d'aujourd'hui qu'il y a 15 ou 20 ans?

M. Anderson : Il faut aussi tenir compte du profil démographique de notre collectivité, que je pourrai aussi fournir au comité. Nos collectivités sont composées majoritairement de jeunes de moins 25 ans. C'est un aspect important à considérer pour les Premières nations et les gouvernements.

Le chef Evans a entre autres parlé de notre intérêt pour les politiques communautaires, et cela répond directement à votre question. Un sergent de la GRC basé à Thompson a récemment communiqué avec le secrétariat de ressources naturelles que je dirige. Il s'était souvenu d'une présentation que j'avais faite il y a plusieurs années à propos de l'utilisation des terres traditionnelles. Il se rappelait de la façon dont j'avais décrit le paysage lorsqu'il se couvre de neige et de glace. On peut alors parcourir l'ensemble du territoire; chaque rivière, chaque ruisseau et chaque esker se transforme en route. La notion habituelle de la répression du trafic de drogues aux points névralgiques du réseau de transport national perd tout son sens.

À l'été, pendant la saison des eaux libres, il y a les rivières, les ruisseaux, les criques, et caetera. Il est donc primordial que les initiatives de justice communautaire associées à des policiers communautaires pleinement qualifiés s'appuient sur leurs connaissances du territoire, de la collectivité, de son histoire culturelle, et des habitudes dans l'utilisation des terres, afin de tout combiner. À l'heure actuelle, il n'y a pas suffisamment de présence policière dans le sens habituel du terme. L'entente de services policiers sera bientôt renouvelée au Manitoba. Le MKO a plusieurs fois fait valoir sa position au ministre de la Justice afin d'inclure à l'entente des plans de rendement des détachements, qui nous permettraient d'établir des priorités en collaboration avec la Division D de la GRC, pour s'attaquer précisément à ce genre de problèmes en maximisant la présence des comités de justice et des policiers. Cela viendrait aussi appuyer nos efforts visant à former adéquatement les agents de police, soit au service de police de Winnipeg ou à la Division Dépôt. Nous avons proposé plus tôt cette année de former 30 agents afin de combler cette lacune. Il est intéressant de noter que nous tentons toujours de convaincre le ministre de la Justice d'aller de l'avant avec cette initiative. Il est évident qu'un membre des Premières nations qui est formé par le service de police de Brandon, celui de Winnipeg ou la Division Dépôt, sera embauché sur-le-champ comme agent de police, préférablement dans notre région.

Notre plan consiste notamment à mettre en place un service de police régional dans le territoire du MKO, qui couvre environ les trois quarts de la région politique du Manitoba aujourd'hui, et le service de police Nishnawbe-Aski, semblable au service de police de Winnipeg, couvre la majeure partie du nord de l'Ontario et le service de police du traité no 3. Nous combinons ces outils pour promouvoir la sécurité, et intégrons en une seule initiative nos connaissances du territoire, des habitudes de la population et des couloirs de transport.

Le président : Merci pour cette réponse très complète. Je rappelle aux membres du comité qui posent des questions d'être le plus concis possible. Comme vous le savez, le temps nous manque et nous avons cinq témoins devant nous. Je suis persuadé que nous voulons poser des questions à chacun d'eux.

Le sénateur Runciman : Monsieur Plecas, j'ai cité une étude empirique que votre faculté a publiée en 2002. Certaines données m'ont renversé. Il était question des peines imposées aux contrevenants qui avaient déjà été condamnés pour des infractions liées aux drogues, des contrevenants ayant des antécédents de trafic et/ou de production de drogues, au moins neuf condamnations, par exemple. Moins de la moitié d'entre eux avaient été condamnés à l'emprisonnement. La durée moyenne de la période d'emprisonnement imposée était de 1,6 mois. C'est renversant. Je me demandais si vous pouviez nous parler des liens de cause à effet, et du nombre, de la taille, de la sophistication et des dangers de la culture de la marijuana. Pouvez-vous établir des liens entre tout cela et le genre de condamnations que vous avez recensées?

M. Plecas : Je n'irais pas jusque-là. Les chiffres auxquels vous faites référence dans notre étude de 2002 se retrouvent aussi dans les études que nous avons menées plus tard. Qu'il s'agisse de la culture de la marijuana ou d'autres crimes, le modèle est toujours le même. Avec la situation actuelle, il est très improbable que les contrevenants écopent de peines d'emprisonnement, même s'ils ont déjà plusieurs condamnations à leur actif.

Chose inquiétante, souvent les contrevenants qui écopent d'une peine autre qu'une peine d'emprisonnement vont être condamnés pour une nouvelle infraction avant la fin de leur sentence. Ils ne se posent même pas la question. Il suffit de comparer la somme faramineuse qu'il y à faire avec une production moyenne — des centaines de milliers de dollars au moins — et les conséquences possibles. Je pense que le rapport de 2002 en fait état. On note qu'un producteur moyen à ce moment-là avait 13 ans d'antécédents criminels et sept condamnations à son actif. Compte tenu de la situation, nous avions prédit à l'époque que les producteurs allaient raffiner et étendre leurs opérations, et que le problème ne ferait qu'empirer et conduire de plus en plus au crime organisé. C'est exactement ce qui s'est passé.

Le sénateur Runciman : Monsieur Evans, vous avez parlé du nombre disproportionné d'Autochtones dans le système carcéral. Je me trompe peut-être, mais je présume que cela signifie aussi qu'il y a un nombre disproportionné de victimes dans vos collectivités. Est-ce exact?

M. Evans : Je suis d'accord avec vous. Pour ce qui est des commentaires formulés par M. Plecas, on parle de régler les problèmes liés aux drogues; c'est un défi de taille.

Le sénateur Runciman : Nous sommes très pressés par le temps. Je suis désolé, mais nous n'avons pas beaucoup eu l'occasion de parler des victimes, une question importante à mon sens. J'aimerais qu'on aborde le sujet, car je crois que les victimes autochtones doivent porter le poids des récidives criminelles, et ce sont justement les récidives que nous voulons limiter avec ce projet de loi. Les peines minimales obligatoires s'appliquent aux délinquants sexuels, et aux vendeurs et aux trafiquants de drogues. J'aimerais savoir ce que vous en pensez et ce qu'en pensent d'autres intervenants de la collectivité inuite.

Comment apaisez-vous les craintes des personnes qui sont victimisées encore et encore? Vous semblez être surtout préoccupés par les contrevenants. J'aimerais que l'un ou l'autre d'entre vous me dise ce qu'on fait pour les victimes.

M. Evans : Si on ne s'attaque pas aux causes profondes du problème, à ce qui fait qu'il y a tant de délinquants et tant de victimes, la situation ne fera qu'empirer. Les Premières nations ont fait savoir haut et fort qu'il fallait mettre davantage l'accent sur l'éducation. On fixe un plafond pour les études post-secondaires dans nos collectivités. Tant et aussi longtemps que la situation ne changera pas, les problèmes ne feront que s'envenimer.

Au Manitoba, notre système de justice est débordé. Il n'y a pas suffisamment de magistrats. Des affaires doivent être remises à une date ultérieure. Quand le projet de loi entrera en vigueur, s'il est adopté, le système ne fournira pas à la demande, parce qu'il y aura de plus en plus d'affaires à traiter.

En tant que leaders, notre position est la suivante : laissez-nous régler les autres problèmes aussi. Quand ce sera fait, on pourra retrouver un certain équilibre. En ce moment, nous sommes loin de l'équilibre.

Le sénateur Runciman : Je suis d'accord avec vous au sujet des initiatives parallèles, mais vous laissez entendre qu'il faudrait tout simplement tolérer la présence de récidivistes dans les collectivités. Mais j'ai peut-être mal interprété vos paroles. Personnellement, j'ai beaucoup de mal à endosser cela. Je ne voudrais pas être la place de ceux qui vont devoir mettre le nez dehors le lendemain.

Les peines minimales évoquées visent ceux qui agressent sexuellement des enfants et les trafiquants de drogue. Il me semble que n'importe quelle communauté serait inquiète de voir de tels individus continuer de hanter les rues.

M. Evans : Si je suis ici, ce n'est pas pour protéger les délinquants sexuels ou les trafiquants de drogue qui réduisent des vies à néant. Nous nous efforçons plutôt de protéger ceux que nous pouvons sauver présentement. Si un projet de loi non seulement ne nous y aidera pas, mais aura pour effet de faire augmenter le nombre de criminels, nous ne pouvons l'appuyer. C'est tout ce que nous voulons dire.

Le président : Monsieur Wheildon, j'ai l'impression que vous vouliez répondre également.

M. Wheildon : Merci, monsieur le président.

Les victimes sont au coeur de nos préoccupations : nous voulons donc rendre les rues et les collectivités plus sûres. Si nous nous contentons d'imposer aux coupables des peines minimales obligatoires sans leur offrir de mesures de réadaptation, nous les renverrons dans la communauté encore pire qu'avant.

Le sénateur Runciman : Pourquoi concluez-vous qu'il n'y a pas de mesures de réinsertion en place?

M. Wheildon : Si nous examinons les statistiques sur le nombre d'incarcérations imposées ces 10 dernières années au Nunavut...

Le sénateur Runciman : Les autorités envoient les délinquants pour qu'ils suivent des programmes de réadaptation, selon ce que nous a affirmé le ministre de la Justice. Ces mesures ne sont pas offertes à Iqaluit, alors les prisonniers sont envoyés dans d'autres provinces pour y suivre des programmes de traitement.

M. Wheildon : Il me semble que cette approche ne convient absolument pas au Nunavut. On envoie des gens en Ontario ou dans les Territoires du Nord-Ouest pour les confier aux moins pires établissements. Or, on n'y trouve pas de formation adaptée à leurs réalités culturelles, de personnes pouvant s'exprimer en inuktitut, d'hommes ayant la même mentalité ou d'intervenants sensibilités à leur culture.

Même si ces établissements offrent des programmes de réadaptation qui ont fait leurs preuves pour les jeunes vivant dans le Sud, ils ne fonctionnent pas pour les Inuits. Tout ce que l'on fait, c'est envoyer les délinquants dans ces établissements, où ils sont confiés aux moins pires individus avant de retourner, endurcis, dans leurs petites communautés.

Le sénateur Runciman : Il faudrait que nous entendions le point de vue d'une personne qui offre ces programmes en Ontario pour qu'elle nous indique s'il l'on applique des normes quelconques à cet égard.

Le président : Cela nous aiderait.

Le sénateur Baker : J'aimerais poser quelques questions à M. Wheildon en sa qualité de juriste. Pour commencer, je n'ai pas discuté de cette séance avant la rencontre, n'est-ce pas?

M. Wheildon : Non, monsieur.

Le sénateur Baker : Je n'ai pas abordé les questions que je suis sur le point de poser, n'est-ce pas?

M. Wheildon : Non, monsieur. Je pourrais le jurer.

Le sénateur Baker : Bien, car certains pourraient croire que nous sommes de connivence.

M. Wheildon : Vous présumez peut-être de mes réponses, sénateur.

Le sénateur Baker : Permettez-moi alors de vous poser la question suivante : vous êtes-vous déjà occupé d'une affaire en application de l'article 12?

M. Wheildon : Oui, monsieur.

Le sénateur Baker : Avez-vous déjà intenté des poursuites en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte?

M. Wheildon : Oui, monsieur.

Le sénateur Baker : Avez-vous eu grain de cause dans certains cas?

M. Wheildon : Oui.

Le sénateur Baker : Ces démarches ont-elles mené à l'allègement de certaines peines?

M. Wheildon : Oui, monsieur.

Le sénateur Baker : Pour appliquer le pouvoir discrétionnaire que le paragraphe 24(1) lui accorde, le juge s'appuie sur les dispositions 7, 8, 9, 10a), 10b) et 12, n'est-ce pas? Est-ce là le pouvoir discrétionnaire dont le juge dispose en cas de recours?

M. Wheildon : Le recours est prévu au paragraphe 24(1), monsieur.

Le sénateur Baker : Oui, pour ce qui a trait à la détermination de la preuve. Le paragraphe 24(2) concerne quant à lui l'irrecevabilité de la preuve.

M. Wheildon : En effet. Le paragraphe 24(1) accorde toutefois au juge bien d'autres solutions que la réduction de peine.

Le sénateur Baker : Exactement. Voilà pourquoi je vous pose la question, voyez-vous. Attaquons-nous à l'article 12, concernant les prisons dans le Nord. Les recours que vous dites avoir remporté aux termes de cet article dans des affaires de peines cruelles et inusitées concernent-ils parfois des prisonniers détenus dans de mauvaises conditions et dormant sans matelas, à même le plancher de béton?

M. Wheildon : Monsieur, je sais à quelle affaire vous faites référence. Je tiens toutefois à préciser qu'il s'agit d'un cas de traitement dans un détachement de la GRC.

Le sénateur Baker : Oui, dans une cellule de détention provisoire ou quelque chose de semblable?

M. Wheildon : En effet.

Le sénateur Baker : J'ignore de quelle affaire vous parlez.

Le président : Sénateur Baker, je vous demanderais de faire le lien avec le projet de loi C-10. C'est ce que vous tentez de faire, je crois.

Le sénateur Baker : Ma question est la suivante : compte tenu des peines minimales obligatoires et de l'acte reproché à l'accusé, le juge perdra un certain pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 24(1) en matière de détermination de la peine, n'est-ce pas?

M. Wheildon : Non. Le juge, pour appliquer le paragraphe 24(1), devra conclure qu'il y a eu violation de la Charte, ce qu'il est toujours libre de faire. Une fois qu'il en sera arrivé à cette conclusion, les recours figurant au paragraphe 24(1) seront toujours à sa disposition, sans égard aux lois du Parlement.

Je crois pouvoir répondre différemment à votre question : le fait de retirer à un juge son pouvoir discrétionnaire pour appliquer l'alinéa 718.2e) en cas de peines minimales obligatoires pourrait ou non dans certaines circonstances, équivaloir à une peine ou un traitement cruels ou inusités. Ainsi, il faut établir que l'article 12 a été violé pour intenter un recours afin d'éviter les peines minimales obligatoires et peut-être appliquer l'alinéa 718.2e).

Il me semble évident que de façon générale, l'alinéa 718.2e) ne s'appliquera pas quand une peine minimale obligatoire a été imposée. Ce n'est qu'en certaines situations qu'on pourra contourner la mesure en invoquant l'article 12.

Le sénateur Baker : Avez-vous déjà invoqué des conventions des Nations Unies concernant l'article 12 de la Charte?

M. Wheildon : Pas concernant cet article. La cour de justice du Nunavut fait toutefois référence à certaines de ces conventions dans l'une de ses décisions.

Le sénateur Baker : Vous voulez donc dire que l'imposition de peines minimales obligatoires n'empêchera nullement le juge de prendre les décisions qu'il prendrait normalement en vertu du paragraphe 24(1) dans des affaires de réduction de peine?

M. Wheildon : Je dirai ce qui suit, sénateur, en étant aussi clair que possible : si un juge considère d'une peine minimale obligatoire viole l'article 12 ou une autre disposition de la Charte, il a la possibilité de réduire cette peine ou de contourner la mesure en vertu du paragraphe 24(1), comme on a pu le voir dernièrement en Ontario dans l'étrange affaire de M. Smickle. C'est dans des cas semblables qu'on pourrait éviter les peines minimales obligatoires.

Le président : Sénateur Baker, vous avez posé deux questions et il se fait très tard.

Le sénateur Baker : Comme le sénateur Angus l'a indiqué discrètement à l'instant, c'est une affaire de violation. L'imposition de peines minimales obligatoires violait la Constitution et, aux termes du paragraphe 24(1), rendrait quelque chose inconstitutionnel. Ma question ne portait toutefois pas sur cet aspect, mais sur l'utilisation du paragraphe 24(1) pour réduire la peine. Le juge aura-t-il encore le loisir de décider qu'un délinquant passera une journée en prison en plus du temps déjà passé en détention, comme il le ferait normalement si on a porté gravement atteinte aux droits de l'intéressé?

M. Wheildon : Ce n'est qu'en cas de violation des droits prévus dans la Charte qu'on peut invoquer le paragraphe 24(1).

Le sénateur Baker : Êtes-vous en train de nous dire qu'on peut esquiver les peines minimales obligatoires?

Veuillez m'excuser, monsieur le président. Allez-y.

Le président : Je crois que la réponse se trouve dans la transcription de la séance. M. Wheildon a été très clair.

Le sénateur Baker : Il a fait un travail remarquable.

Le sénateur Lang : J'aimerais revenir sur les droits des victimes, un sujet qui ne semble pas toujours bien accueilli, même s'il s'agit d'une des raisons d'être du projet de loi C-10. Je voudrais m'adresser à la Dre Gobbi.

J'ai trouvé votre témoignage des plus intéressants. Je pense que bien plus de Canadiens devraient connaître les effets du cannabis chez les adolescentes, ainsi que ses répercussions à long terme sur leur santé et sur la société. Vous avez fait référence à plusieurs études auxquelles vous avez participé.

Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet? Combien de personnes prenaient part aux études qui vous ont permis de conclure que la consommation de cannabis est à l'origine de certains troubles mentaux?

Dre Gobbi : En fait, deux types d'études ont été réalisées. D'une part, j'ai participé à des essais précliniques ayant recours à des animaux de laboratoire, un type d'étude qui permet de décomposer avec exactitude le mécanisme d'action de la marijuana ou du cannabis sur le cerveau. D'autre part, nous avons mené plusieurs études épidémiologiques cliniques, et surtout des études longitudinales, qui sont les plus révélatrices en matière d'épidémiologie.

Nous avons lancé notre première étude épidémiologique sur le cannabis et la marijuana au début de l'an 2000 et, aujourd'hui, nous comptons plus de 25 études sur la consommation de cannabis chez les adolescents. De plus, au moins 15 études font le point sur la dépression chez les adolescents et la consommation de marijuana; c'est un nombre appréciable. Puisque ces études ont été réalisées en Europe, en Nouvelle-Zélande et en Amérique du Nord, la concurrence est féroce. Nous avons également mené deux ou trois études à résultat négatif, mais la plupart des études portaient sur de très importantes cohortes, c'est-à-dire sur des milliers d'adultes et d'adolescents âgés de 10 à 12 ans, qui ont été suivis jusqu'à 26 ans.

Le sénateur Lang : Je sais que la réunion tire à sa fin, mais j'aimerais poursuivre.

Je voudrais maintenant m'adresser à M. Plecas, qui utilise la vidéoconférence. J'aimerais revenir sur une de vos affirmations. Il est important de souligner que le projet de loi vise les individus qui se sont engagés sur la voie de la criminalité; autrement dit, il cible les individus ayant pris une décision consciente. Ce sont des récidivistes ou des délinquants prêts à récidiver. Dans votre témoignage, vous nous avez parlé d'individus qui, après 15 déclarations de culpabilité en très peu de temps, ont réussi à se sortir du système judiciaire sans jamais être incarcérés; c'est stupéfiant. Ai-je bien compris?

M. Plecas : Vous avez parfaitement compris. Et en plus, c'est la norme. Pour tous les types d'infractions confondus en Colombie-Britannique, la moyenne d'âge des suspects risquant d'être accusés et arrêtés est supérieure à 30 ans — à l'exception des voleurs d'automobiles, qui sont âgés de 28 ans, en moyenne. Il arrive régulièrement que des individus soient trouvés coupables 30, 40 ou même 50 fois. Le problème, c'est qu'ils écopent de peines incroyablement courtes, le cas échéant. Permettez-moi de vous rappeler qu'au Canada, 28 p. 100 des individus condamnés à une peine de prison sont incarcérés huit jours ou moins. De plus, la moyenne du total de mois qu'un individu passe en prison est extrêmement basse.

Nous sommes donc confrontés à un problème de récidive, et nous avons du mal à garder les individus en question au sein du système carcéral. Toutefois, c'est la première fois de l'histoire de la Colombie-Britannique que nous arrivons à réduire considérablement et rapidement la criminalité sous toutes ses formes, et nous en sommes ravis. Nous avons même devancé passablement le Canada en matière de réduction de la criminalité grâce à un taux deux fois plus élevé que celui de l'ensemble du pays. Je dirais que c'est largement attribuable au travail des policiers, qui ciblent les récidivistes notoires mêlés à des crimes comme le trafic de drogue. Il s'agit de la principale cause de la diminution, mais il y en a naturellement d'autres.

Je sais que le comité est bien au courant du programme de Prince Albert, en Saskatchewan. Le chef de police a très bien réussi à faire ce que d'autres témoins ont mentionné, c'est-à-dire à obtenir l'adhésion d'intervenants et de parties intéressées, comme les écoles et les services sociaux. La Colombie-Britannique essaie de faire de même. Or, il semble que les intervenants n'aient pas réussi ce tour de force au cours des trente dernières années, sans quoi nous ne serions pas en train de discuter du nombre incroyable de récidivistes que compte la province.

Le sénateur Lang : J'ai une dernière question; je pense que c'est important puisque personne n'en parle. Grâce au projet de loi, le système judiciaire considérera que ces crimes sont graves et lourds de conséquences, et leurs auteurs écoperont d'une peine de prison. Par conséquent, se pourrait-il qu'il y ait bien moins de récidivistes devant les tribunaux lorsque les mesures législatives seront en vigueur? Puisque ces individus seront incarcérés pendant un certain temps, le projet de loi permettra-t-il de faire économiser temps et argent au système judiciaire et de désengorger les tribunaux?

M. Plecas : Tout à fait. Les récidivistes me font penser au jour de la marmotte, car les mêmes individus reviennent constamment devant les tribunaux. Nous devons nous inspirer de la réussite du Service correctionnel du Canada. N'oublions pas que le pourcentage de délinquants sous responsabilité fédérale qui enfreignent leurs conditions de mise en liberté ne dépasse pas 3 p. 100, une proportion qui n'atteint que 10 p. 100 dans l'ensemble. De nombreuses bonnes raisons expliquent cette réussite spectaculaire. Naturellement, nous n'atteindrons jamais un résultat semblable sans imposer des peines plus longues. Qu'espérons-nous avec des peines d'emprisonnement de un jour, de huit jours ou même de deux semaines? C'est complètement absurde.

Comme vous l'avez dit, nous devrons tenir compte autant des victimes que des délinquants. Les peines de prison nous donnent cette occasion, mais il n'est pas toujours possible d'assurer en même temps la réadaptation de l'individu, qui est essentielle.

Le président : Docteure Gobbi, j'ai une petite question faisant suite à ce que le sénateur Lang vous a demandé. J'ai trouvé très intéressants vos propos sur les études des répercussions négatives du cannabis et de la marijuana sur l'état mental et la stabilité des gens, et surtout des adolescents.

Je me demandais si vous aimeriez ajouter quoi que ce soit en lien avec le projet de loi C-10. J'ignore si vous en avez parlé directement ou indirectement, mais vouliez-vous ajouter quelque chose?

Dre Gobbi : Je vous remercie de la question. J'aimerais souligner que je n'ai vu dans le projet de loi aucune disposition sur les programmes de réadaptation, la prévention et les traitements. Or, la dépendance chez les adolescents est un problème tous azimuts. On ne peut nier l'importance d'édicter des lois afin de punir les trafiquants, mais ce n'est pas le seul problème. Par exemple, le Canada ne fait pas beaucoup de prévention auprès des adolescents.

Puisque j'ai aussi travaillé en Europe, j'aimerais ajouter une chose. La réadaptation à long terme est un gros problème au Canada. Il existe peu de programmes communautaires à cet effet. La dépendance ne cause pas seulement des problèmes sur le plan pharmacologique; en plus, elle change les valeurs des individus et bouleverse leur vie au travail. L'expression « long terme » signifie cinq ou six ans, et même plus. Donnez la chance à ces malades de reprendre complètement le contrôle de leur vie. Les programmes de désintoxication d'un mois ou deux ne leur suffisent pas. C'est surtout vrai chez les Premières nations et les Inuits. Je tenais à le souligner, car je pense qu'il s'agit d'une lacune importante par rapport à la population qui court le plus grand risque.

Le sénateur Angus : À la suite de la question de la vice-présidente, je me demandais si la Dre Gobbi avait accepté de nous envoyer par écrit un résumé de ses remarques, qui feraient également référence aux études.

Le président : Je crois que oui. Pourriez-vous nous le confirmer?

Dre Gobbi : Oui, je vous l'enverrai avec plaisir.

Le président : C'est bien ce que je croyais. Merci beaucoup, madame la docteure.

Le sénateur Jaffer : Lorsque le ministre de la Justice du Nunavut est venu comparaître, il m'a fait réaliser brusquement que nous, les parlementaires d'Ottawa, cherchons à adopter des lois identiques pour tout le monde. Il a dit très clairement qu'une approche universelle ne convient pas à la diversité du Canada. Vous me donnez la même impression.

Monsieur Wheildon, les victimes nous préoccupent tous. Or, c'est leur rendre un bien mauvais service que de manquer de ressources au moment de traduire les coupables en justice. Nous avons tous entendu une litanie d'affaires qui n'ont été examinées par aucun tribunal en raison des délais déraisonnables. Puisque vous représentez les services juridiques, j'aimerais que vous fassiez le point sur les affaires qui tombent à l'eau et ne sont pas traduites en justice par manque de ressources. Lorsqu'il est déterminé que les délais sont déraisonnables en vertu de la Charte, l'affaire n'est pas traduite en justice. Qu'advient-il alors des victimes?

M. Wheildon : Je ne peux pas vraiment me prononcer sur les affaires qui n'ont pas été portées en justice ou pour lesquelles des citoyens ont obtenu réparation en vertu de la Charte en raison d'un délai déraisonnable, car je ne travaille pas auprès de ces victimes.

Je peux toutefois vous dire que dans le Nord, de nombreuses accusations sont abandonnées parce que les témoins refusent de comparaître, ce qui explique pourquoi certains citoyens ne sont pas traduits en justice. À mon avis, cela reflète surtout le sentiment d'aliénation des citoyens à l'égard du système juridique. De plus, les citoyens comprennent mal le système juridique en général et la façon dont ce dernier peut aider les victimes dans certaines situations.

De nombreuses collectivités doivent attendre six mois avant de recevoir la visite d'un tribunal. Or, puisque le délinquant et le plaignant vivent ensemble au sein d'une collectivité de 300 habitants, par exemple, ils ont bien souvent le temps de se réconcilier et d'accepter la situation. La peine imposée au délinquant par un tribunal pourrait donc aller à l'encontre de l'entente à laquelle le couple est parvenu. Le fait que le tribunal ne soit pas sur place et que les affaires ne soient pas traitées en temps voulu incite bien des victimes à refuser de se présenter au tribunal ou d'intenter des poursuites. Dans bien des cas, elles ne comprennent pas que la décision d'engager des poursuites ou non incombe à la Couronne, et non à la victime.

Cela dit, j'aimerais souligner qu'un citoyen du Nord qui commet une infraction envers un concitoyen, y compris une infraction contre les biens, puis qui se retrouve dans le système de justice pénale, est bien souvent une victime lui-même. Il a enduré la souffrance causée par les pensionnats indiens, que lui ou un membre de sa famille a fréquentés. Au sein de sa collectivité, il a été témoin d'abus d'alcool ou de drogues, de suicides et de meurtres. Bien souvent, il a connu la misère affreuse; parfois, 10 personnes habitent dans une maison n'ayant qu'une chambre, et chacun attend son tour pour dormir dans le lit. C'est donc une victime qui se présente au tribunal; d'ailleurs, le territoire ne cesse de faire des victimes.

Je demande au comité sénatorial de proposer une dérogation aux peines minimales obligatoires, à l'image de l'affaire Gladue. Je ne demande pas un système de justice à deux vitesses.

Le sénateur Jaffer : Est-ce prévu à l'article 718?

M. Wheildon : C'est à l'alinéa 718.2 e), non pas en ce qui a trait à tous les délinquants, mais plus particulièrement aux délinquants des Premières nations. C'est ce que prévoit la loi dans sa forme actuelle. Donnez la chance au tribunal d'imposer une peine qui est justifiée par les circonstances, en tenant compte de la situation particulière du délinquant autochtone. En même temps, vous serez surpris. Le tribunal n'est pas indulgent envers les délinquants autochtones. Il impose habituellement des peines d'emprisonnement. Le tribunal n'est pas indulgent à cet égard. Il condamne sévèrement la criminalité. Il tient compte des principes de Gladue. Donnez une chance à ce délinquant qui pourrait mériter une peine.

Le sénateur Jaffer : Chef, je cache mes cheveux blancs, mais je suis avocate depuis 40 ans et je travaille avec de nombreux Autochtones. Au fil de mes 40 ans d'expérience, j'ai pu observer avec fierté que nous avons adopté de nouvelles approches à l'égard des Autochtones; pensons, par exemple, au cercle de guérison et aux conseils des aînés. Nous avons mis en place des mesures qui permettront de guérir certaines choses dont M. Wheildon parlait.

Que fera cette loi? Vous l'avez mentionné dans votre exposé, mais j'aimerais que vous nous donniez plus d'explications et que vous nous disiez quel impact cette loi aura sur tout le travail que vous avez réalisé au fil des années.

M. Evans : Tout d'abord, je vous remercie de me donner la possibilité de m'exprimer à ce sujet. Je suis d'accord avec l'autre témoin, M. Wheildon. Il décrit exactement notre situation.

Vous dites que ce n'est pas une approche uniformisée, et j'aimerais féliciter le gouvernement conservateur d'abolir le registre des armes à feu. Voilà un exemple de son échec. Il faut comprendre le travail que les Premières nations et les chefs font dans nos collectivités.

Nous essayons de faire en sorte que notre population soit en santé. Nous voulons aussi qu'elle soit en sécurité. Enfin, nous voulons que nos jeunes aient la chance de s'améliorer. Sans la mise en œuvre des recommandations qui viennent d'être présentées, cette loi créera un plus grand nombre de criminels parce que les communautés sont tricotées serrées. Comme on l'a dit, personne ne veut se manifester et faire des déclarations, ce qui est nécessaire pour traduire les délinquants en justice. Conséquence pour les plus jeunes : ils deviennent les victimes. Mais ils deviennent non seulement les victimes, mais aussi les criminels par la suite. Vous en faites des criminels; puis ils deviennent des victimes. Vous avez plus de criminels et plus de victimes, et le cycle ne fait que prendre plus d'ampleur. C'est ce à quoi il faut songer, à la façon dont les choses fonctionnent dans nos communautés. Je comprends que ce soit différent dans une grande ville; ce n'est pas pareil dans une communauté des Premières nations. C'est pour cette raison que nous continuons d'exprimer nos inquiétudes lorsqu'on dépose des projets de loi qui auront un impact négatif sur nous.

Avec tout ce bon travail, nous réglons certes notre problème ici, mais la situation continue de s'aggraver parce que nous ne nous attaquons pas à la cause profonde du problème, qui est celle dont j'ai parlé. Après avoir entendu nos propos et nos préoccupations, n'adoptez pas un projet de loi qui fait fi de ce que nous venons de vous présenter.

Le sénateur Jaffer : J'ai une seule question à poser à Mme Gobbi.

Le président : Très brièvement. Nous avons largement dépassé notre temps.

Le sénateur Jaffer : J'ai tellement de questions à vous poser, mais revenons à la dernière question que le président vous a adressée au sujet de la réadaptation. Vous avez dit une chose fort intéressante. Il ne peut s'agir d'une affaire d'un mois ou deux. Si vous pouvez nous faire parvenir un document, je vous en saurais gré.

Dre Gobbi : Oui.

Le sénateur Frum : Docteure Gobbi, vous avez dit, je crois, que le Canada affichait le plus haut taux de consommation de cannabis au monde.

Dre Gobbi : Chez les adolescents.

Le sénateur Frum : Par rapport au reste du monde.

Dre Gobbi : Oui.

Le sénateur Frum : Monsieur Plecas, j'ai été captivée par votre témoignage. Nous comprenons tous que les drogues sont des substances mortelles, mais je crois que l'importance que vous leur accordez est largement méconnue. Qu'est-ce qui ne va pas dans notre société, dans notre culture? Monsieur Plecas, du point de vue judiciaire, la consommation de cannabis est bien sûr illégale, et pourtant nous affichons ces taux extrêmement élevés. Je ne crois pas que les Canadiens comprennent que nos enfants consomment plus de drogues que les enfants du reste du monde. Qu'est-ce qui cloche chez nous?

Dre Gobbi : C'est la question à un million de dollars. Je ne le sais pas. Je n'ai pas ces compétences voulues pour vous répondre. Il est vrai que le cannabis est très répandu dans les écoles, chez les adolescents. Les statistiques montrent qu'il est plus facile pour un adolescent de consommer du cannabis que de fumer une cigarette. Premièrement, le cannabis est très répandu. Il est vrai qu'au cours des dernières années, le Canada n'a pas fait de prévention. Un grand nombre d'adolescents croient que le cannabis n'est pas très dangereux et qu'il s'agit simplement d'une herbe.

Les Canadiens ont aussi une fausse idée de la consommation de marijuana à des fins médicales. J'aimerais apporter une précision à ce sujet. Il est vrai que la marijuana a des propriétés pharmacologiques qui permettent d'atténuer la douleur, la dépression et d'autres maladies, mais cela ne signifie pas qu'il faut en donner à tout le monde. En pharmacologie aujourd'hui, on utilise beaucoup de médicaments provenant des plantes — la digitale pour les maladies cardiovasculaires, par exemple, et d'autres pour le cancer — mais il ne faut pas pour autant en donner à tout le monde. Il y a de fausses perceptions culturelles au Canada au sujet de la marijuana qu'on utilise à des fins médicales et la marijuana que consomment les toxicomanes. Je crois qu'il faut revoir ces questions au Canada. Nous devons mettre en place un vaste programme fondé sur le savoir pour changer cette culture et transmettre aux gens ces données scientifiques. Je crois que c'est l'un des principaux problèmes que nous avons au pays.

Le sénateur Frum : Monsieur Plecas, vous pouvez ajouter des commentaires si vous le souhaitez.

M. Plecas : J'encourage tout le monde à prêter attention au travail de la Dre Gobbi. C'est vraiment un travail exceptionnel. Je dois ajouter qu'à l'Université de la vallée du Fraser, nous avons effectué des travaux de recherche sur les effets néfastes de la consommation de marijuana et nous avons publié des rapports à ce sujet. Je vais m'assurer que le comité du Sénat en obtienne des copies. La recherche menée par la Dre Gobbi est extrêmement importante puisqu'elle porte sur les conséquences connues de cette consommation, en particulier, chez les personnes qui en font un usage important.

Quant à savoir ce qui cloche, il y a une chose qui m'a toujours dérangé dans toute cette discussion et dans le malheureux débat sur la décriminalisation ou la légalisation de la marijuana. C'est que les gens semblent oublier pourquoi nous avons une loi. Ce n'est pas pour protéger tout le monde. Nous avons une loi parce que nous savons que, parmi un groupe de gens qui s'adonnent à une activité, il y aura toujours des personnes qui, pour une raison quelconque, à cause de leur milieu ou de leur situation personnelle, subiraient des torts alors que d'autres n'en subiraient pas. C'est tout particulièrement vrai pour les gens enclins à la schizophrénie, par exemple. Il faut montrer plus clairement à la population quels sont ces effets négatifs et mieux expliquer pourquoi nous avons la loi. Je dirais que l'appareil judiciaire n'a pas accordé toute l'importance qu'il aurait dû à ces effets négatifs, du moins selon moi. On rappelle sans cesse aux gens, à tort, qu'il s'agit d'une drogue relativement inoffensive, dont les effets sont relativement peu nuisibles, alors que rien ne saurait être plus faux.

Le sénateur Chaput : Certains aspects du projet de loi C-10 me préoccupent également. Je songe plus particulièrement à l'impact négatif qu'il peut avoir sur les Autochtones, que ce soit les jeunes familles, les femmes ou les enfants, mais aussi à l'effet négatif qu'il peut avoir sur le plan de la santé mentale. Comme vous l'avez si bien dit, nous mettons des gens en prison, des enfants en foyers d'accueil et le cycle se perpétue.

Chef Evans, je vous remercie de vos recommandations. Je crois, moi aussi, qu'une attention particulière doit être accordée aux Autochtones dans le projet de loi C-10. Des porte-parole de la GRC ont comparu devant notre comité aujourd'hui et ont parlé de l'importance et de la nécessité d'adopter des approches axées sur la communauté, et vous en avez parlé également. On voit que vous connaissez bien la situation et que vous savez ce qui doit être fait.

J'ai une très brève question. À mon avis, le projet de loi C-10 fait trop peu pour les victimes. Qu'en pensez-vous? Devrait-il répondre aux besoins des victimes?

M. Evans : J'ai fait partie de divers comités qui se sont penchés sur la traite des personnes. Je me suis entretenu avec le ministre de la Sécurité publique, Vic Toews, à ce sujet, dans le cadre des travaux d'un comité dont faisait partie notre députée, Joy Smith. Nous cherchions à savoir comment nous pouvions durcir le ton à l'égard des délinquants, mais aussi comment faire en sorte qu'il n'y ait pas de victimes. Comme tout le monde autour de la table, nous voulons éviter l'escalade de tous les types de crimes dans nos collectivités, faire en sorte que les gens se sentent en sécurité et voient que nous faisons quelque chose.

À titre de dirigeant, je veux que ma communauté ait le sentiment que j'essaie de faire quelque chose pour régler tous les problèmes qu'elle connaît, comme vous, sauf que vous le faites à l'échelle du pays. C'est pourquoi un dialogue s'impose et que la collectivité doit elle-même chercher les solutions que nous pourrons mettre en œuvre ensemble, avec de l'aide. Lorsque je dis « collectivité », je parle de la GRC, du réseau d'éducation et du réseau de soins de santé qui doivent réfléchir ensemble et se demander : « Quel est notre plan? » Le plan que ma collectivité choisira ne conviendra peut-être pas à la communauté voisine. Les choses doivent être faites d'une certaine façon, mais il faut s'assurer aussi d'avoir un soutien au moment opportun.

Permettez-moi de vous faire part d'une expérience. Il y a une douzaine d'années, lorsque j'étais chef, nous avons voulu adopter un règlement sur les trafiquants de drogue. Nous avons commencé à l'appliquer à Norway House. Un grand nombre de trafiquants se sont manifestés. C'était un genre d'amnistie. Puis il y a eu une contestation, qui a abouti devant les tribunaux, ce qui a entravé notre travail. Nous ne pouvions plus rien faire, parce que l'affaire était devant les tribunaux. L'appareil judiciaire a pris énormément de temps. Je crois qu'il a fallu attendre trois ans avant qu'une décision ne soit rendue. Au bout du compte, la décision a été rendue en notre faveur, mais entre-temps, durant ce laps de temps, tout le monde avait repris ses activités. Nous étions vaincus à ce moment-là. Nous avons essayé de prendre les choses en main en tant que dirigeants, mais le système de justice n'a pas appuyé notre travail.

Le sénateur Fraser : Je voulais poser une question à M. Wheildon au sujet de l'affaire Gladue, mais le sénateur Jaffer m'a devancée. Je me contenterai donc de préciser un peu ce que j'aimerais que la docteure Gobbi inclut dans les études qu'elle doit nous faire parvenir.

Avec les études épidémiologiques, pouvez-vous nous transmettre des données qui vont au-delà de la simple corrélation ou coïncidence et qui portent sur le lien de cause à effet? Autrement dit, si une personne de 25 ans est déprimée, est-ce parce qu'elle a consommé de la marijuana ou est-ce que cette personne était sujette à la dépression et à l'automédication lorsqu'elle a commencé à consommer de la marijuana?

Dre Gobbi : Il y a, en fait, quelques études qui portent sur ce sujet.

Le sénateur Fraser : Très bien. Si vous pouvez nous transmettre cette information, ce serait fantastique.

Dre Gobbi : Absolument.

Le président : Chers collègues, voilà qui met fin à notre séance. Je tiens sincèrement à remercier la Dre Gobbi, le chef Evans, M. Anderson, M. Wheildon et, bien sûr, M. Plecas, qui s'est joint à nous par vidéoconférence. Vous contribuez grandement à notre étude. Nous vous en sommes très reconnaissants. Notre séance a été longue. Vous êtes restés beaucoup plus longtemps que ce qu'on vous avait dit au départ, mais votre participation a été grandement appréciée.

Chers collègues, nous allons suspendre nos travaux jusqu'à 10 h 30 demain matin; nous allons poursuivre notre étude à ce moment-là.

(La séance est levée.)


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