Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 16 - Témoignages du 28 mars 2012
OTTAWA, le mercredi 28 mars 2012
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui, à 14 h 34, pour étudier le projet de loi C-19, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur les armes à feu.
Le sénateur John D. Wallace (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bon après-midi et bienvenue à tous mes collègues du Sénat, à nos invités et aux membres du grand public qui suivent la séance d'aujourd'hui sur le réseau de télévision CPAC. Je m'appelle John Wallace et je suis un sénateur du Nouveau-Brunswick ainsi que le président du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.
Avant de présenter le sujet qui nous réunit ici aujourd'hui, j'aimerais prendre un moment pour permettre à chacun des membres de notre comité de se présenter.
Nous allons commencer avec la vice-présidente, le sénateur Fraser.
Le sénateur Fraser : Merci beaucoup. Je m'appelle Joan Fraser et je suis un sénateur du Québec.
Le sénateur Baker : Je suis George Baker, de Terre-Neuve-et-Labrador.
Le sénateur Chaput : Maria Chaput. Je suis originaire du Manitoba.
Le sénateur Jaffer : Mobina Jaffer, de la Colombie-Britannique.
Le sénateur Watt : Charlie Watt, du Nunavik.
Le sénateur Lang : Le sénateur Dan Lang, du Yukon.
Le sénateur Frum : Linda Frum, Ontario.
Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec.
Le sénateur Boisvenu : Pierre-Hugues Boisvenu, du Québec.
Le sénateur White : Vern White, Ontario.
Le sénateur Runciman : Bob Runciman, Mille-Îles et lacs Rideau, en Ontario.
Le président : Merci, chers collègues.
Aujourd'hui, comme vous le savez, nous poursuivons notre étude du projet de loi C-19, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur les armes à feu. Ce projet de loi, qui est intitulé « Loi sur l'abolition du registre des armes d'épaule », a été présenté à la Chambre des communes par le ministre de la Sécurité publique le 25 octobre 2011.
Il modifie le Code criminel et la Loi sur les armes à feu en éliminant l'exigence relative à l'enregistrement des armes à feu autres que celles qui sont prohibées ou à autorisation restreinte, et, en particulier, des armes d'épaule dont l'autorisation n'est pas restreinte. Le projet de loi prévoit également la destruction des fichiers existants qui se trouvent dans le registre canadien des armes à feu et qui relèvent des contrôleurs des armes à feu chargés de l'enregistrement de ces armes.
Le 8 mars 2012, le Sénat a renvoyé le projet de loi C-19 à notre comité afin qu'il l'examine et l'étudie de manière plus approfondie. La présente est la troisième séance du comité portant sur le projet C-19. Nos audiences, comme vous le savez, sont publiques et peuvent être visionnées ou écoutées en direct sur le site web parl.gc.ca. La page « Comités du Sénat » de ce site contient également de l'information additionnelle sur le déroulement de la séance et les témoins.
Chers collègues, dans le cadre de notre première table ronde de la journée, je suis heureux d'accueillir le chef du Service de police de Calgary, Rick Hanson.
Le chef Hanson est arrivé au Service de police de Calgary en février 1975. Il a été membre de la Division K de la GRC d'octobre 2005 à octobre 2007, avant de retourner au Service de police de Calgary en tant que chef en 2007.
Bienvenue, chef Hanson. Je crois que vous avez une déclaration préliminaire. C'est avec beaucoup d'intérêt que nous vous écouterons.
Rick Hanson, chef, Service de police de Calgary : Merci de m'avoir donné l'occasion de venir vous parler du projet de loi C-19. On a dit beaucoup de choses au sujet de ce projet de loi et de l'abolition du registre des armes d'épaule. J'ai été attentif aux discussions qui fusent d'un bout à l'autre du Canada, et j'ai été étonné de l'émotivité entourant le débat et du manque de compréhension dont ont fait preuve les intervenants à l'égard de la loi elle-même — cette incompréhension porte non seulement sur la loi telle qu'elle sera après l'adoption du projet de loi C-19, mais également sur la loi telle qu'elle est maintenant, avant l'adoption de ce projet de loi.
Tout d'abord, permettez-moi de me présenter. Je suis agent de police depuis plus de 37 ans. Je suis actuellement le chef du Service de police de Calgary, qui arrive au troisième rang parmi les services de police municipaux les plus importants au Canada. Je suis né et j'ai grandi en Alberta. Je crois que la société est mieux protégée lorsque ses membres les plus dangereux, à savoir les prédateurs, les pédophiles et les membres d'organisations criminelles, sont incarcérés pendant de longues périodes, et je ne m'en excuse pas. Je crois également fermement que la police est un bras de la collectivité et non de l'État. Nous répondons aux besoins que sont la sécurité et la protection des citoyens que nous servons. Par conséquent, nous devons les écouter, refléter leurs croyances et répondre à leurs préoccupations.
C'est pourquoi je crois fermement que les personnes qui souffrent de dépendances et de maladies mentales doivent être traitées par le système de santé et non par le système judiciaire. Ces personnes doivent être placées dans des établissements de traitement, et non dans des prisons. Autrement dit, il ne faut pas criminaliser ceux qui ne sont pas des criminels.
Je ne suis pas de ceux qui croient que la police fait bien son travail lorsqu'elle consulte la rubrique nécrologique, puis effectue une recherche dans la base de données sur les armes à feu pour ensuite se rendre à toute vitesse chez le défunt pour enlever à sa veuve en deuil la collection d'armes à feu coûteuse de son mari trépassé parce qu'elle n'a pas de permis de possession et d'acquisition. Malheureusement, ce genre d'incident se produit réellement.
Je crois que le registre des armes d'épaule donnait aux personnes non informées et mal informées un faux sentiment de sécurité. Trop souvent, le registre des armes à feu a été présenté comme une panacée à tous les problèmes de la société liés aux armes à feu. En réalité, le registre a fait peu de choses pour protéger la société contre les actes de violence commis par des truands et des criminels armés dans la rue, dont aucun n'est titulaire d'un permis de possession et d'acquisition et dont aucun n'a enregistré l'arme en question dans la base de données nationale. La vraie solution magique consiste à empêcher les personnes dangereuses et les criminels d'obtenir des armes à feu, et c'est sur cela que portent mes recommandations.
Premièrement, il faut renforcer la loi qui porte sur les permis de possession et d'acquisition. Il faut absolument empêcher les personnes instables, les personnes dangereuses et les criminels de mettre la main sur les armes à feu. Sans permis de possession et d'acquisition, il est impossible de faire l'acquisition d'armes à feu légales. L'article 23 proposé dans le projet de loi dont nous sommes saisis aujourd'hui doit être beaucoup plus clair. Dans le cas d'une personne qui vend une arme à feu, le libellé doit préciser que le cessionnaire doit présenter un permis valide l'autorisant à acquérir et à posséder une telle arme à feu, et que le cédant doit demander au directeur de lui confirmer que le permis est valide.
En vue de maintenir le seuil actuel, le projet de loi C-19 prévoit ce qui suit :
b) le cédant n'a aucun motif de croire que le cessionnaire n'est pas autorisé à acquérir et à posséder une telle arme à feu.
Cela est tout à fait inadéquat. Autrement dit, pour ce qui est de l'achat ou de la vente d'armes à feu, il faut une preuve solide du fait que l'acquéreur ou l'acheteur de l'arme à feu a un permis approprié.
Deuxièmement, il faut rétablir l'enregistrement aux points de vente. Ce processus existait avant le registre des armes à feu et était utile pour deux raisons. Tout d'abord, il permettait la vérification appropriée des magasins d'armes à feu pour garantir le respect de la loi qui les empêche de vendre des armes aux personnes qui n'ont pas de permis appropriés. C'est un point de départ lorsque l'on détermine qu'une arme à feu a été utilisée pour commettre une infraction criminelle.
Troisièmement, chaque arme à feu prohibée ou à autorisation restreinte doit être enregistrée au nom du fournisseur aux points d'entrée canadiens. Il s'agit d'une lacune flagrante de la loi. Aux termes de la loi actuelle, il est possible de faire entrer 1 000 armes de poing au pays et de les faire livrer à un magasin d'armes à feu sans que ces armes soient enregistrées. Elles ne sont enregistrées qu'au point de vente. Nous l'avons découvert parce qu'un employé d'un magasin d'armes à feu vendait sous la table des armes de poing à des criminels dans la rue. Nous avons trouvé et saisi ces armes à feu, et constaté que leur entrée au Canada n'avait pas du tout été consignée. C'est grâce à un informateur que nous avons appris que l'un des employés du magasin d'armes à feu vendait certaines de ces armes par la porte arrière, sans consigner ces transactions.
Si l'enregistrement d'armes à feu est important, ce qui est, selon moi, particulièrement le cas au Canada, surtout en ce qui concerne les armes prohibées et à autorisation restreinte, ces armes à feu doivent être enregistrées au nom du fournisseur dès leur entrée au pays. Elles ne doivent pas être livrées dans une grosse caisse à un grossiste ou à un détaillant sans mécanismes de responsabilisation quelconque.
Quatrièmement, tout policier devrait pouvoir entrer dans un magasin d'armes à feu sans mandat pour comparer ces dossiers et les registres des ventes licites.
Cinquièmement, les lois qui portent sur les perquisitions et les saisies liées à des armes à feu doivent être renforcées. Il s'agit de l'une de mes bêtes noires. Actuellement, nous avons droit à un petit répit en ce qui concerne les luttes armées qui avaient lieu dans les grandes rues de toutes nos villes. Ces armes à feu ne sont pas aux pays légalement et elles ne sont pas, pour la plupart, enregistrées. Personne ne détient de permis pour leur acquisition ou leur possession. Les criminels n'enregistrent pas leurs armes à feu. Pourtant, les tribunaux ont déclaré, à maintes reprises, que les saisies d'armes de poing effectuées à l'occasion de fouilles de véhicules ou visant des trafiquants de drogues étaient illicites. Si nous voulons vraiment éliminer la présence d'armes à feu dangereuses qui sont utilisées pour tuer des gens dans la rue, nous devons modifier les lois sur les perquisitions et les saisies de manière à ce que nos agents de police aient l'autorisation d'enlever ces armes à feu aux tueurs. C'est aussi simple que cela.
Le libellé doit autoriser la police à fouiller une personne ou son véhicule si cette dernière a été déclarée coupable d'une infraction relative aux armes, d'un crime violent ou de trafic de stupéfiants, ou s'il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle pourrait avoir une arme en sa possession. Ces motifs peuvent comprendre la fréquentation d'un gang de rue ou d'autres criminels violents.
Le sixième élément est la formation. Comme je l'ai mentionné plus tôt, j'ai été très attentif au débat passionné et émotif sur le registre des armes à feu qui fait rage dans tout le pays. J'ai récemment entendu un policier haut gradé de l'une des grandes organisations policières affirmer de manière théâtrale que le sang allait couler dans les rues si le registre des armes d'épaule est aboli. Il a indiqué que les policiers canadiens consultent le registre des armes d'épaule des milliers de fois par jour. Cet agent ne savait pas que les exigences relatives aux permis continuent d'exister. Autrement dit, vous ne pouvez pas avoir d'armes à feu, qu'elles soient enregistrées ou non, si vous n'avez pas de permis. Il ne savait pas qu'un policier inquiet peut toujours consulter la base de données des permis pour vérifier si une personne à une adresse particulière est propriétaire d'armes à feu et s'il est probable qu'elle en ait une en sa possession.
Vous avez entendu dire que le registre rend les rues plus sécuritaires pour les agents de police parce que, lorsqu'ils répondent à un appel, ils peuvent vérifier si la personne a des armes à feu. Dans les faits, le régime de permis est toujours en place. Un policier pourra toujours consulter cette base de données chaque fois qu'il répond à un appel. Je suis de ceux qui croient que l'on doit toujours faire preuve de vigilance lorsque l'on répond à un appel parce qu'on ne sait pas ce qui se passe dans la résidence.
Dans le même ordre d'idées, les policiers ne savent pas que, aux termes de cette nouvelle loi, une personne qui a une arme à feu en sa possession devra toujours présenter son permis de possession sur demande. Sans permis, l'arme peut être saisie. Ils ne savent pas, non plus, qu'il y a un processus en place pour révoquer un permis de possession et d'acquisition existant, et saisir les armes à feu d'un titulaire d'un tel permis si ce dernier est déclaré coupable d'une infraction avec violence ou d'une infraction relative aux armes ou encore si le statut de la personne a changé de manière importante depuis qu'elle a reçu son permis.
Ce qui fait peur, c'est que ces croyances sont transmises aux agents dans la rue comme s'il s'agissait de faits. Les agents qui ne connaissent pas les dispositions de la loi sur les permis et la possession d'armes à feu, et qui ne sont pas au courant du fait que ces permis conservent une grande importance sont trop nombreux. Le gouvernement fédéral doit élaborer une série de formations obligatoires pour tous les policiers et tous les services de police du pays afin que tous comprennent que la loi leur permet de saisir des armes à feu lorsque leur propriétaire est devenu un danger pour les autres.
Ensuite, et c'est mon dernier point, il doit y avoir des annonces sur la sécurité publique pour expliquer les lois concernant les armes à feu. Il doit être indiqué clairement que les permis sont toujours une exigence et que des critères stricts sont toujours appliqués de manière rigoureuse. La loi qui s'applique à la vente d'armes à feu doit être expliquée clairement. Le vrai danger entourant le projet de loi C-19 est non pas l'élimination de la disposition relative à l'enregistrement des armes d'épaule, mais l'incompréhension profonde de ceux qui ne sont pas au courant des pouvoirs qui existent toujours et le manque de reconnaissance du besoin de donner à la police l'autorisation de gérer de manière plus efficace les criminels dangereux qui continuent à utiliser des armes non enregistrées, prohibées et à autorisation restreinte qui se trouvent au pays illégalement et qui sont utilisées uniquement à des fins criminelles.
Merci beaucoup de m'avoir donné l'occasion d'exprimer mon point de vue aujourd'hui.
Le président : Merci beaucoup de vos commentaires, chef Hanson.
Avant de passer aux questions des membres du comité, j'aimerais rappeler aux sénateurs que, en raison du nombre de témoins que nous entendrons aujourd'hui, nous devons rester dans les temps prévus. Veuillez tenir compte de cela et limiter la longueur de vos questions. Je vous rappelle, encore une fois, que nous sommes ici pour entendre les témoins davantage que nous-mêmes. Nous avons jusqu'à 15 h 25 pour nous entretenir avec le chef Hanson. Veuillez en tenir compte, je vous en prie.
Le sénateur Fraser : Merci beaucoup, chef Hanson. Vous avez réussi à dire beaucoup de choses dans le temps restreint qu'on vous a accordé. J'aimerais revenir sur votre recommandation relative aux exigences d'enregistrement aux points de vente. Pourriez-vous nous donner plus de détails sur la manière dont cela fonctionnerait? Vous avez dit être policier depuis 37 ans. Je ne sais pas si vous avez connu l'ancien système. Dites-nous comment cela devrait se faire, selon vous.
M. Hanson : Je m'étonne qu'un magasin d'armes à feu légitime... je vais retourner encore plus loin en arrière. Au Canada, nous procédons à l'enregistrement des armes de poing et des armes à autorisation restreinte depuis 1935. Ce qui me choque, c'est que les grossistes et les détaillants ne soient pas mis en face de leurs responsabilités relatives à l'achat dès le début. À mon avis, si des armes à feu sont commandées, qu'il s'agisse de 1 000 armes de poing, 9 mm ou Glock de calibre .45, pour leur vente dans un magasin d'armes à feu, à notre époque, rien ne justifie le fait que le numéro de série, la marque et le modèle de chacune de ces armes ne soient pas enregistrés avant que le propriétaire du magasin d'armes à feu se porte acquéreur de ces biens. Ces renseignements devraient être consignés avant qu'il ne les revende.
Nous trouvons un grand nombre d'armes de poing non enregistrées dans la rue. Pendant très longtemps, nous ne comprenions pas pourquoi. Puis, une enquête rigoureuse menée par la GRC en Colombie-Britannique et une autre enquête menée à Calgary nous ont permis de constater que, si ces armes à feu sont chapardées avant leur arrivée au comptoir ou au point de vente, elles pouvaient être vendues subrepticement sans que leur entrée ait été consignée. Leur entrée au Canada n'est consignée nulle part. C'est inacceptable.
Le sénateur Fraser : Ce que vous proposez, ce n'est pas simplement que le vendeur d'armes à feu enregistre ses transactions au point de vente : « J'ai vendu l'arme à feu avec ce numéro de série au titulaire du permis portant ce numéro. » Vous croyez que cela devrait être fait dès le début. Cela comprendrait, si j'ai bien compris ce qui se faisait auparavant, le numéro de série de l'arme à feu et les données permettant d'identifier la personne qui l'a achetée.
M. Hanson : Dans le cas des armes de poing, il doit toujours y avoir des certificats d'enregistrement et un permis, mais il devrait également y avoir une trace écrite rendant compte de toutes les transactions relatives à l'arme depuis le moment où elle entre au pays.
En outre, je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas faire la même chose pour les armes d'épaule, remettre en vigueur ce qui était en place il y a des années, et que mon ami le sénateur White appelle les feuilles vertes, le livre bleu ou le livre vert. Il y avait un livre qui était un registre...
Le sénateur Fraser : J'ai lu des choses à ce sujet.
M. Hanson : Il s'agissait de l'enregistrement des armes d'épaule aux points de vente. Cela ne posait de problèmes pour personne, et c'était un système sensé. Ce qui est frustrant, c'est qu'un grand nombre des armes que nous trouvons dans la rue sont liées à des meurtres, et qu'il y ait très peu de contrôles à la frontière. Des améliorations importantes sont possibles à cet égard.
Le sénateur Fraser : Vous êtes le premier à soulever ce point. J'aimerais clarifier vos propos. Au bout du compte, votre proposition relative aux armes d'épaule consisterait à transférer la responsabilité à l'égard de l'enregistrement du propriétaire ultime au vendeur.
M. Hanson : Même pour les armes d'épaule, il devrait y avoir un dossier au point de vente qui indique ce qu'il est advenu de l'arme.
Le sénateur Fraser : Merci beaucoup.
Le sénateur Lang : Je suis heureux de vous recevoir comme témoin aujourd'hui. Je sais que votre expertise dans ce domaine particulier est considérable.
J'aimerais tout d'abord mettre l'accent sur la question du registre lui-même et sur le fait que notre débat vise en tout premier lieu à déterminer si le registre en place fonctionne ou non. Dans les témoignages qui ont été présentés tant au comité qu'à l'autre endroit, on nous a expliqué encore et encore que le registre en place contient de 40 à 90 p. 100 d'erreurs, selon l'endroit. Le fait est que les gens ont abusé du système. Une personne peut avoir enregistré, par exemple, un pistolet à colle de marque Mastercraft avec son numéro de série, et l'erreur n'a pas été décelée. Peut-être pourriez-vous nous en dire davantage sur le registre actuel et ses lacunes parce que je crois que les gens ont la fausse impression que le registre en place fonctionne.
M. Hanson : Encore une fois, il s'agit du plus important référentiel de gens honnêtes au pays. Il n'y a aucun doute là- dessus. Les seules personnes qui choisissent d'enregistrer leurs armes d'épaule sont des gens honnêtes et méticuleux qui ne participent à aucune activité criminelle. C'est aussi simple que cela. Ce qui m'a toujours indigné, c'est qu'une personne qui a un long rifle non enregistré, par exemple un .22 ou un fusil de chasse dans son garage peut faire l'objet d'accusations au pénal même si elle a un permis de possession et d'acquisition. Cependant, le fait d'avoir une voiture non enregistrée en sa possession est également une infraction, mais provinciale. On criminalise des gens qui, pour la plupart, ne sont pas des criminels. L'anecdote que j'ai contée au sujet de la consultation des rubriques nécrologiques et de la vérification du registre des armes à feu est vraie. On a effectivement saisi les armes à feu d'une veuve en deuil. Les gens qui enregistrent ces armes à feu sont généralement des citoyens respectueux de la loi qui n'ont jamais eu de démêlés avec la justice.
Ce qui m'a véritablement frustré en tant que chef de police, c'est que, il y a environ trois ans, lorsque nous étions littéralement dans le feu de l'action en raison des luttes armées qui faisaient rage au centre-ville, nous avons engagé le combat pour des lois qui réussiraient à contrer le crime organisé et les meurtres, mais les gens disaient toujours que le registre des armes à feu était la panacée à tous ces problèmes. On a vendu cette idée à la population, et il s'agissait d'un placebo. Cela a donné aux gens un faux sentiment de sécurité et l'impression que l'on faisait quelque chose. En réalité, les effets étaient minimes. La plupart des armes à feu que nous avons saisies dans la rue n'étaient pas enregistrées et ne l'avaient jamais été. Les personnes à qui nous les avions confisquées n'avaient pas de permis. Ce sont ces personnes qui causaient le plus de problèmes à la police. Je comprends que certaines personnes croient que l'on fait du bon travail.
J'ai une autre anecdote vraie à vous conter. Dans une province comme l'Alberta, où il y a beaucoup d'activités de plein air, un pourvoyeur a accueilli deux Américains qui avaient payé une somme rondelette pour aller à la chasse aux canards. Ils pratiquaient leur loisir lorsque, tout à coup, deux agents de police sont arrivés et ont saisi les armes à feu malgré le fait que le guide avait les permis appropriés et tout le reste. Il leur a demandé : « Pourquoi saisissez-vous les armes? Tout est légitime. » L'un des agents a répondu : « Nous avons reçu une plainte d'une personne qui a entendu des coups de fusil. » Le guide a dit : « C'est la saison de la chasse aux canards. Il va y avoir des coups de fusil, c'est sûr. »
Il y avait un manque de compréhension à l'égard de ce que le registre des armes à feu était censé accomplir, qui il ciblait et le fait qu'il réduisait les ressources consacrées à la poursuite des criminels qui causent de vrais problèmes dans la société. Pourtant, les gens présumaient que, si la police passait son temps à chercher des .22 non enregistrés sur des fermes, cela contribuait d'une manière ou d'une autre à améliorer la sécurité. Si l'on examine les incidents qui ont fait dire aux gens : « Vous savez? Le registre des armes à feu aurait pu prévenir cela », on se rend compte qu'il y a des cas où le permis de possession de la personne avait été révoqué et elle avait toujours accès à des armes à feu illégales.
Le plus important, c'est de cibler les criminels. Le plus important, c'est de révoquer les permis de possession et d'acquisition des personnes dont le statut a changé de manière importante. Autrement dit, si une personne commet un crime ou un acte de violence conjugale, qu'elle détient un permis de possession et d'acquisition et que quelque chose donne à penser qu'elle pose un risque, il faut suspendre son permis de possession et d'acquisition et saisir ses armes à feu parce qu'elles ne sont plus légales. Le faux sentiment de sécurité que procurait le registre des armes à feu était fondé sur des suppositions inexactes et erronées.
Le sénateur Lang : Compte tenu de votre expérience, pourriez-vous nous éclairer sur ce que la loi exige d'une personne qui demande un permis d'arme d'épaule? Je pense qu'il est important que les gens comprennent que, même actuellement, ces personnes font l'objet d'un examen rigoureux.
M. Hanson : Il faut confirmer son identité. C'est la première chose. Puis, il y a une vérification exhaustive du casier judiciaire pour déterminer si la personne a commis des infractions. On appelle également le conjoint pour savoir s'il s'inquiète du fait que le demandeur souhaite faire l'acquisition d'une arme à feu.
Le sénateur Lang : Tout cela, c'est avant de pouvoir passer le test.
M. Hanson : Oui. La loi exige qu'une personne passe un test pour faire l'acquisition d'une arme à feu et pour la conserver.
Le sénateur Jaffer : Chef Hanson, vous m'avez appris beaucoup de choses aujourd'hui. L'article 23, tel que proposé, me préoccupe. Vous avez mentionné le permis d'acquisition et de possession au début de votre exposé. À l'égard de l'alinéa 23b), ce qui me préoccupe, c'est que l'on ne tient pas le vendeur davantage responsable. Il suffit qu'il croie l'acheteur. J'aimerais entendre vos commentaires là-dessus.
M. Hanson : Je suis entièrement d'accord avec vous. C'est pourquoi je l'ai mentionné. Le seuil est beaucoup trop bas :
[...] le cédant n'a aucun motif de croire que le cessionnaire n'est pas autorisé à acquérir et à posséder une telle arme à feu.
Je peux vous dire que les criminels et les tueurs sont des gens très sympathiques. On peut s'asseoir avec l'un d'eux et lui parler sans jamais se douter qu'il s'agit d'un tueur. Ils ne font tout simplement pas les choses comme nous : ils tuent des gens, et cela ne leur pose aucun problème. Personne ne peut dire : « C'est un bon gars. Il a probablement son permis. »
Je ne vois absolument pas pourquoi il n'y aurait pas d'exigences absolues obligeant une personne à présenter son permis de possession et d'acquisition et obligeant un vendeur de faire un appel téléphonique rapide pour confirmer que le permis est légitime.
Le sénateur Jaffer : Merci de partager ma préoccupation. Cette disposition proposée m'inquiète véritablement.
Lorsque vous avez répondu à la question de mon collègue, le sénateur Lang, vous avez parlé du fait que l'on téléphone au conjoint ou, je suppose, au conjoint de fait avant de délivrer un permis. Je sais que cela se fait parfois.
Je voudrais que vous nous fournissiez plus de détails à ce sujet. Quel genre de dossiers tient-on? Avant qu'un permis soit délivré, doit-on cocher une case pour confirmer qu'on a téléphoné au conjoint ou au conjoint de fait?
M. Hanson : Je ne sais pas ce que contiennent les dossiers parce que, de notre point de vue, cela ne relève pas de la police.
Je peux vous dire que la violence conjugale compte évidemment parmi nos préoccupations les plus importantes. Nous comprenons qu'il y a un seul moyen de gérer la violence conjugale, et c'est d'avoir des experts dans le domaine qui font tout leur possible pour empêcher que de tels actes de violence soient commis.
Lorsqu'on examine les cas de violence conjugale et les morts à Calgary et en Alberta, on constate que ces décès ne sont pas toujours liés à une arme à feu.
À mesure que les cas de violence conjugale s'aggravent, on peut généralement les surveiller et tenir un dossier, et il incombe aux services de police de communiquer cette information. Des administrations réussissent de mieux en mieux à communiquer cette information afin qu'elle puisse être prise en considération avant qu'un permis soit délivré.
Si une personne n'obtient pas le permis, elle ne fera pas l'acquisition d'une arme à feu. Si elle n'a pas d'armes à feu, cela éliminera la préoccupation à cet égard, mais non le risque.
Le sénateur Jaffer : Les personnes qui ont des troubles de santé mentale sont ma troisième préoccupation. Lorsque vous expliquiez les diverses étapes au sénateur Lang, vous n'avez pas dit s'il y a un processus en place pour vous aider à évaluer la personne. C'est difficile; je sais que ce n'est pas facile. Je voudrais un miracle, mais votre système comprend- il une composante qui vous permettrait d'évaluer cet aspect?
M. Hanson : Je crois que les policiers, et avec les systèmes d'information que nous avons, nous reconnaissons tous — et je pense que le sénateur White a été un chef de file à Ottawa à cet égard — que la maladie mentale est un problème important chez les personnes dans la rue. Nous avons beaucoup amélioré la surveillance de ces personnes. Lorsqu'une personne accède à nos systèmes d'information, nous faisons attention à la manière dont nous utilisons cette information parce que nous reconnaissons qu'il s'agit d'un problème de santé. Il ne s'agit pas nécessairement de criminalité, mais il y a des facteurs et des faits qui doivent être pris en considération lorsque l'on délivre des permis. Je pense qu'il s'agit simplement de s'assurer que ces dossiers sont utilisés et communiqués de manière adéquate et appropriée afin de réduire le risque lié à la délivrance de permis de possession et d'acquisition.
Le président : En ce qui concerne la violence conjugale, lorsqu'il s'agit d'affaires qui ont été portées devant les tribunaux, il me semble que ces derniers peuvent ordonner que les armes à feu, s'il y en a, soient retirées du domicile et le permis, révoqué. Est-ce exact?
M. Hanson : Il y a un processus qui permet cela. Si les agents de police croient qu'une personne ne devrait pas avoir d'armes à feu en sa possession et que cette personne a un permis de possession et d'acquisition, un processus peut être suivi afin que les tribunaux délivrent une ordonnance pour la saisie des armes à feu et la révocation du permis de possession.
Le président : Merci beaucoup.
Le sénateur White : Merci d'être venu de Calgary pour nous rencontrer aujourd'hui.
Nous avons entendu dire que le registre est consulté jusqu'à 17 000 fois par jour. Vous y avez fait allusion brièvement. Pouvez-vous expliquer aux personnes ici présentes ce qu'il en est vraiment?
M. Hanson : Nos systèmes peuvent être programmés de manière à effectuer des recherches automatiques de dossiers ou des vérifications d'adresses. Il y a tellement de systèmes d'information que l'on peut faire une vérification automatique de pratiquement toutes les adresses.
De nombreux systèmes sont programmés de manière à ce que toute adresse liée à un appel d'urgence soit vérifiée dans les bases de données existantes. On peut donc déterminer si la personne qui vit à cette adresse a des armes de poing enregistrées. Souvent, cela n'entre même pas en jeu lorsqu'il y a un appel. La personne peut téléphoner à la police parce qu'elle a été victime d'un vol de voiture ou d'une introduction par effraction, ou parce que quelqu'un est entré dans son garage et a pris sa tondeuse. Dans ces cas, il y a une vérification automatique de cette base de données. Cela ne veut pas dire que, en réponse à 17 000 appels par jour, les policiers consultent le registre parce que l'incident pose un tel risque qu'ils doivent vérifier si la personne a une arme de poing. Pour évaluer le risque, il est beaucoup plus important pour un service de police de vérifier sa propre base de données pour voir quel genre d'information il a sur l'occupant de cette maison.
De plus, si l'appel concerne une forme quelconque de violence, il y a des moyens de déterminer si la personne a un permis de possession ou d'acquisition, auquel cas il importe peu qu'elle ait des armes à feu enregistrées ou non, puisqu'elle a un permis pour en avoir.
En outre, s'il s'agit d'un appel à risque élevé, nos agents sont formés — à tout le moins, je crois que la plupart le sont — pour aborder la situation en tenant compte du fait qu'il pourrait y avoir des armes à feu. S'il s'agit d'une situation à risque élevé, la personne peut avoir une arme à feu, un couteau ou une autre arme, et il y a un risque que des armes à feu enregistrées se trouvent dans la maison ou non.
Un bon nombre de services de police effectuent maintenant des vérifications automatiques dans la base de données, y compris la base de données sur les armes à feu.
Le sénateur White : Est-il juste de dire que, dans la grande majorité des cas, lorsque cette information est recueillie, elle n'est pas communiquée à l'agent de police, d'une façon ou d'une autre? Lorsque des agents répondent à un appel concernant un cas d'introduction par effraction, par exemple.
M. Hanson : Cette information n'est pas pertinente dans la plupart des cas. Je vais prendre l'exemple du Service de police de Calgary. Lorsque nous recevons un appel, qu'il s'agisse d'un cas de violence dans un domicile, d'une plainte relative à une arme, d'une bagarre ou d'une situation où nous ne savons pas vraiment ce qui nous attend, nous vérifions la base de données, y compris la base de données sur les armes à feu, et il est certain que nous pouvons communiquer cette information aux agents.
Dans la plupart des cas, cette information n'est pas pertinente et elle n'est pas communiquée aux policiers.
Le sénateur Baker : Merci de votre mémoire très exhaustif. Je ne prétends pas avoir suivi toutes vos propositions, mais je suis certain qu'elles sont toutes légitimes et fondées sur des faits.
Je voulais vous poser une question sur ce que vous avez mentionné, et cela est important, concernant les armes à feu que l'on trouve dans les voitures ou les véhicules. Vous avez dit que cela arrive parfois lorsque l'on effectue des fouilles en vue de trouver des stupéfiants. Vous avez ensuite affirmé que le juge ne vous permettrait pas, pour une raison quelconque, de porter des accusations pour les infractions relatives aux armes.
Que préconisez-vous? Voudriez-vous que la police ait le droit de fouiller n'importe quel véhicule sans mandat de perquisition?
M. Hanson : Non. Pas n'importe quel véhicule.
Le sénateur Baker : Que préconisez-vous?
M. Hanson : Je vais vous l'expliquer au moyen d'une anecdote. Des agents de police de Toronto faisaient leur ronde dans une zone à risque élevé de la ville où la collectivité avait affirmé en avoir assez du trafic de stupéfiants. Elle voulait une plus grande présence policière. Les patrouilleurs ont observé une personne qui, selon eux, faisait du trafic de stupéfiants, et il est assez facile d'identifier les trafiquants.
Le sénateur Baker : S'agit-il de l'affaire de la boîte à chaussures?
M. Hanson : Non. Je ne pense pas.
Lorsqu'ils se sont approchés du lieu de la transaction, l'homme s'est retourné et a commencé à s'éloigner. Les agents ont procédé à son arrestation. Ils ont trouvé des stupéfiants et une arme de poing de calibre .45. L'arme n'était pas admissible en preuve parce qu'on a jugé qu'elle avait été obtenue à l'occasion d'une fouille illicite.
Les anecdotes de ce genre sont monnaie courante d'un bout à l'autre du pays. D'une part, nous voulons des rues plus sécuritaires et des lois plus sévères concernant les armes à feu, et, d'autre part, chaque service de police a vécu des histoires semblables à celles-là parce que nos lois concernant les perquisitions et les saisies sont devenues si restrictives qu'il est extrêmement difficile de faire admettre des articles saisis par les tribunaux.
Nous savons qui fait partie d'un gang. Nous savons qui commet des crimes. Nous savons que, généralement, ils portent un gilet pare-balles lorsqu'ils se promènent en voiture et qu'ils cachent probablement des armes à feu dans des compartiments secrets dans leur véhicule. Nous savons que certains d'entre eux ont été déclarés coupables d'infractions graves. Pourtant, si nous les arrêtons, fouillons leur véhicule et saisissons une arme de poing, nous savons que nous n'obtiendrons pas gain de cause et que les tribunaux nous réprimanderont en disant que la fouille était illicite.
Le sénateur Baker : Aux termes du droit canadien, pour lequel il y a un fondement, on ne peut pas fouiller des véhicules sans motif. À moins d'autorisations judiciaires et de motifs raisonnables, cela va à l'encontre de la loi. Il y a une attente raisonnable de respect de la vie privée dans un véhicule.
Autant que je m'en souvienne, l'affaire que vous venez de décrire en était une où la fouille était censée avoir été effectuée par suite d'une arrestation. Si l'arrestation n'est pas légale, la fouille ne l'est pas, elle non plus, bien sûr. Au bout du compte, la personne n'a pas récupéré l'arme à feu. Si un tribunal juge qu'une fouille est illicite, elle est illicite.
Êtes-vous sérieusement en train de préconiser le droit de fouiller quelqu'un automatiquement en raison de ses antécédents? L'article 495 du Code criminel est très clair. Il faut des motifs précis pour procéder à une arrestation sans mandat; lorsqu'une personne est en train de commettre une infraction criminelle ou lorsqu'elle est sur le point d'en commettre une. Cela est clairement indiqué à l'article 495 du Code criminel.
M. Hanson : Je vous rassure. Je connais très bien la loi. Vous ne m'apprenez rien.
Le sénateur Baker : Je sais. J'ai fait mes recherches, et on vous décrit souvent comme un excellent policier.
Je vous comprends. Sur quoi fondez-vous votre suggestion que nous modifiions l'article 495 du Code criminel pour permettre à un policier de fouiller un véhicule?
M. Hanson : Je sais. Ce qui est ironique, c'est que vous venez de renforcer le point de vue de tous les agents qui croient qu'il est beaucoup plus facile d'obtenir une déclaration de culpabilité par suite de la saisie d'un .22 chez un agriculteur que par la suite de la saisie d'une arme à feu trouvée dans la voiture des types qui tuent les gens dans la rue et se promènent en toute impunité parce que la loi les protège si bien. Il est beaucoup trop difficile d'obtenir une déclaration de culpabilité à leur égard. Nous devons attendre qu'ils tuent quelqu'un même si nous savons qu'ils ont des liens avec des gangs, qu'ils ont des antécédents de violence et qu'ils portent des gilets pare-balles. Si cela vous semble acceptable, ce qui est évidemment le cas...
Le sénateur Baker : Non, non.
M. Hanson : Non, non. Je ne fais que répondre à votre question. Cela peut vous sembler acceptable parce que vous défendez la règle de droit, qui l'emporte évidemment sur tout le reste. Eh bien, cela n'a pas toujours été la loi.
La loi a évolué et elle peut continuer de le faire. La question est de savoir si les gens veulent vraiment mettre fin au carnage dans la rue et réduire le tort causé par les armes à feu réelles ou s'ils veulent plutôt défendre les droits des criminels avérés qui se moquent de la loi et commettent des meurtres. Si c'est cela qui prime, soit. Je respecterai cela. Toutefois, si l'on veut mettre fin à ces meurtres et à cette violence, il faut prendre du recul et reconnaître que la loi n'a pas, jusqu'à maintenant, évolué de la manière prévue. Je me souviens des débats qu'il y a eus au sujet de la Charte en 1981 et 1982. On ne s'attendait pas à ce que les choses aillent si loin.
Il s'agit d'un choix que l'on a fait. C'est pourquoi les policiers s'attaquent aux cibles faciles et c'est pourquoi on a davantage abusé du registre des armes à feu qu'on ne l'a utilisé. Il est beaucoup plus facile d'obtenir de l'information lorsque l'on enlève un fusil de chasse à un chasseur de canard que lorsqu'on poursuit les méchants.
Le sénateur Frum : Monsieur Hanson, vous avez souligné de nombreux points excellents. Parmi ceux-ci, vous avez mentionné que, dans la plupart des crimes commis avec une arme à feu au Canada, ce sont des armes de poing qui ont été utilisées. Toutefois, dans l'incident extrêmement tragique qui a eu lieu au Collège Dawson, ce sont des armes à feu enregistrées qui ont été utilisées. Vous parliez des émotions et vous dites que les gens sont coupés de la réalité, mais j'ai du mal à comprendre comment, dans ce cas, l'enregistrement d'une arme à feu aurait empêché la violence. Lorsque des criminels ont des armes à feu enregistrées, le registre ne les empêche pas de commettre des crimes si c'est cela qu'ils veulent faire.
M. Hanson : C'est vrai. Rien n'empêche un propriétaire légitime d'une arme à feu de l'utiliser à des fins illicites. Ce sont des choses qui arrivent.
C'est ça, le problème concernant la prévention de la violence, surtout de la violence conjugale. Cela nous préoccupe, et la police fait des progrès à cet égard. Nous ne sommes probablement pas aussi bons que nous pourrions l'être, mais nous évoluons.
En réponse à votre question, le registre n'a rien changé dans ce cas.
Le sénateur Frum : À mon avis, cela reflète la nécessité de mettre l'accent sur les permis plutôt que sur le registre. Il faut s'assurer que les gens qui ne devraient pas avoir d'armes à feu n'en obtiennent pas au lieu de consigner les numéros de série des armes à feu qu'ils ont. Cela ne préviendra rien.
M. Hanson : Il n'y a pas de solution unique à ce problème. Il n'y a pas de dispositions de la loi qui puissent, à elles seules, régler tous les problèmes. Il faut corriger une centaine de petites choses pour renforcer au maximum la protection de la société, mais chacune contribue à rendre la société un peu plus sécuritaire.
Le sénateur Frum : Le registre n'empêchera pas une personne qui a une arme à feu enregistrée en sa possession de commettre un acte haineux comme celui qui a été accompli au Collège Dawson.
[Français]
Le sénateur Hervieux-Payette : Bienvenu, monsieur Hanson. J'aimerais savoir qui donne le permis, comment est-il émis et quelles sont les normes? Est-ce que toutes les personnes autour de cette table qui veulent apprendre à utiliser un fusil, donc les long guns, doivent suivre un cours et obtenir une reconnaissance du cours? Qui va faire l'enquête sur la bonne conduite ou le fait que la personne ne représente pas un danger, à part son épouse?
Dans le cas de Concordia, je vous dirai tout simplement qu'il y avait au Québec l'Université Concordia qui aurait pu s'opposer à ce que M. Fabrikant ait une arme et son épouse aussi, mais son épouse était terrorisée, donc elle ne s'est pas opposée.
Tout ça pour répondre à ma collègue que les armes obtenues légalement, ça ne veut pas dire que la personne n'avait pas de problèmes psychiatriques et que la personne n'a finalement pas été rapportée.
Qui a le fardeau de rapporter une personne qui a des troubles de comportement? Comment, lorsqu'on délivre un permis, sait-on si cette personne a des problèmes de comportement?
[Traduction]
M. Hanson : C'est une bonne question. Je sais que, lorsqu'une personne demande un permis de possession ou présente une demande pour renouveler son permis pour une arme à feu quelconque...
Le sénateur Hervieux-Payette : Où faut-il aller?
M. Hanson : Il s'agit d'un processus administré par le gouvernement fédéral. La personne responsable de vérifier les antécédents téléphone également au conjoint, et je sais qu'elle demande fréquemment : « Êtes-vous disponible pour me parler en ce moment même? » La violence conjugale est insidieuse. Je peux vous dire que de nombreuses personnes ont peur de dire ce qui passe vraiment chez eux ou sont réticentes à le faire, et nous comprenons cela. Nous comprenons tout à fait. C'est un problème compliqué.
Lorsqu'une personne vérifie les antécédents d'une personne en réponse à une plainte à de la violence conjugale à un domicile, elle a accès aux dossiers que la police a tenus à ce sujet. En l'absence de tels dossiers, il incombe au conjoint d'alerter la personne responsable de l'enquête aux fins de l'enregistrement qui lui téléphone au sujet de la demande et d'indiquer si elle est victime de violence conjugale. Cela serait suffisant pour que la personne qui délivre le permis de possession décide qu'une enquête plus poussée est nécessaire ou prenne une décision relative à la délivrance d'un permis de possession et d'acquisition.
Le président : Je suis désolé, sénateur. Je dois continuer.
Le sénateur Hervieux-Payette : Comment savez-vous que vous vous adressez bien au conjoint?
M. Hanson : C'est une bonne question.
Le président : Merci, sénateur.
Le sénateur Runciman : J'ai une question liée à celle que vous a posée le sénateur Baker. En ce qui concerne les perquisitions et les saisies, vous avez parlé de la Charte, mais vous avez également proposé un moyen législatif de régler les problèmes liés à la Charte. Que suggérez-vous exactement?
M. Hanson : À mon avis, rien ne réglerait les problèmes liés à la Charte. L'évolution de la chose a justement donné lieu à ce dont nous parlions. Sans mandat, il est pratiquement impossible de saisir des armes dangereuses à moins d'avoir des motifs considérables. Pourtant, lorsqu'on voit ces personnes ensemble, il est facile de voir qu'il s'agit de criminels connus qui ont un casier judiciaire. Nos renseignements indiquent qu'elles appartiennent à un gang. Il faudrait créer une nouvelle loi qui serait mise à l'essai par les tribunaux dans le but de déterminer si elle peut être appliquée à la lumière de la Charte. Actuellement, une telle loi n'existe pas. Ces pouvoirs n'existent pas.
Le sénateur Runciman : Nous savons qu'elle serait mise à l'essai.
Nous allons accueillir des témoins de l'Association canadienne des chefs de police. Vous avez parlé d'un agent haut placé et du sang qui allait couler dans les rues. Je ne sais pas s'il s'agissait d'un agent de police.
M. Hanson : Oui.
Le sénateur Runciman : Vous avez parlé du manque de compréhension dans la communauté policière. Votre témoignage d'aujourd'hui m'a beaucoup impressionné. Je sais qu'il y a quelques représentants des régions urbaines — comme vous- même, le sénateur White et Julian Fantino, à un moment donné — qui ont adopté la même position.
Si l'on prend l'exemple de l'association qui représente les chefs de police de tout le Canada, je me demandais si vous pouviez formuler des commentaires et nous aider à comprendre, lorsqu'ils comparaîtront devant nous, pourquoi ils ont adopté cette position et si vous avez des observations à cet égard. Ils sont des tenants de cette position depuis un certain nombre d'années. Cela ne fait aucun doute.
M. Hanson : Si j'ai appris quelque chose au cours des 37 années où j'ai travaillé au sein de la police, c'est que votre travail est difficile parce que vous devez créer des lois qui répondent aux besoins de la population diversifiée du Canada, où les différences régionales et les points de vue sont nombreux. Je peux avoir une discussion avec le sénateur White, et nous nous entendrons probablement sur 90 p. 100 des questions liées au travail de la police, mais nous ne trouverons pas de terrain d'entente sur 10 p. 100 de ces enjeux.
Je viens d'une province très rurale où les activités de plein air comme la chasse, la pêche, l'agriculture, l'élevage de bétail et ce genre de choses sont très répandues. Comprenons-nous et reconnaissons-nous qu'il faut des règlements relatifs aux armes à feu? Oui, mais nos points de vue diffèrent de ceux des gens qui ont principalement vécu en ville, où les armes à feu sont toujours vues d'un mauvais œil. Je ne pourrai jamais les convaincre de mon point de vue, et ils ne pourront jamais me convaincre du leur.
L'ACCP comprend des chefs de police aux points de vue variés. Comme c'est le cas dans toutes les organisations, si la majorité des membres, à savoir 51 p. 100 d'entre eux, affirment que c'est la position qu'ils veulent défendre, ce sera la position de l'association. Cela ne veut pas nécessairement dire qu'ils ont tort ou que ma position n'est pas la bonne. Nous sommes différents. C'est tout. Je comprends la difficulté que pose le projet de loi.
Le président : Nous allons devoir continuer, sénateur.
[Français]
Le sénateur Chaput : Vous avez dit, monsieur Hanson, en réponse à une question d'une de mes collègues, que le registre n'empêche pas le crime ou le meurtre. Je dis que le registre est un outil parmi tant d'autres pour prévenir le crime. Puisque vous dites qu'il n'empêche pas le crime, est-ce qu'il y a un outil qui l'empêche en soi ou est-ce que cela prend une série d'outils? Pouvez-vous me nommer un outil qui empêche le crime?
[Traduction]
M. Hanson : Il n'y a pas d'outil unique qui puisse prévenir la criminalité.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Dans votre présentation, vous disiez que le registre donnait un faux sentiment de sécurité. Est-ce que vous parliez d'un faux sentiment de sécurité pour les policiers ou pour la population en général?
[Traduction]
M. Hanson : Les deux, je crois. À mon avis, compte tenu de la manière dont le projet de loi et le registre ont été présentés, un trop grand nombre de personnes croyaient qu'il s'agissait littéralement d'une panacée pour le contrôle des armes à feu, et elles ne comprenaient pas qu'il ne s'agissait pas de la réponse à tous nos problèmes à cet égard.
Le fait même que certains policiers croient vraiment que leur approche devrait être différente s'ils savent qu'une personne a ou non des armes à feu enregistrées chez elle dépasse l'entendement, selon moi. S'ils croient être en sécurité, ils pénètrent dans le domicile à leurs risques et périls.
Trop de citoyens ordinaires qui sont marginalisés et qui ont prêté attention au débat ont présumé que le registre des armes à feu éliminerait tous les crimes commis avec ce type d'armes. À de nombreuses reprises, à l'époque des fusillades à Calgary, je me suis adressé à de nombreux groupes communautaires et ils me demandaient pourquoi le registre des armes à feu ne réglait pas tous ces problèmes. Il était clair qu'ils ne comprenaient pas de quoi il s'agissait. On a présenté le registre comme quelque chose de beaucoup plus complet qu'il ne l'était dans les faits. Par conséquent, on a pratiquement fait abstraction de certains autres problèmes, dont certains ont été soulevés dans la discussion d'aujourd'hui, parce qu'il y avait cette panacée. Nous avons négligé toutes ces autres choses qui se passaient et qui contribuaient au problème, comme l'entrée illicite de milliers d'armes de poing au Canada, qui ne sont consignées nulle part en raison de l'absence d'un processus d'enregistrement rigoureux à la frontière.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Corrigez-moi si je me trompe. Je vous ai entendu dire que certains policiers ne comprenaient pas comme tel le registre des armes à feu. Est-ce que je me trompe?
[Traduction]
M. Hanson : Bon nombre de policiers ne comprennent pas tous les aspects du régime de contrôle des armes à feu, d'enregistrement des armes à feu, et de permis de possession et d'acquisition. Les policiers qui croient que le projet de loi élimine la nécessité d'obtenir un permis sont nombreux. Il y en a qui pensent vraiment : « Eh bien, voilà. N'importe qui peut se promener dans la rue avec une carabine longue, et je ne peux rien faire ».
Ils ne comprennent pas que le registre se distingue du régime de permis. Ils sont nombreux à ne pas savoir que, si une personne détient légalement un permis, des carabines longues et des armes à feu, et qu'elle est déclarée coupable d'infractions criminelles graves, nous avons le pouvoir de révoquer son permis de possession et d'acquisition, et de saisir les armes à feu enregistrées même avant le projet de loi C-19.
Il y a beaucoup d'incompréhension à l'égard de la loi, et il faut mettre en œuvre un processus de formation élargi. Lorsque le projet de loi C-19 sera adopté, le cas échéant, il faudra déployer des efforts concertés pour informer les policiers.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Évidemment, monsieur le président, on parlait de la portion longue du registre des armes à feu, pas du registre comme tel, mais bien de la portion longue.
[Traduction]
Le président : Chers collègues, c'est tout le temps que nous avions avec le chef Hanson.
Merci beaucoup. Votre exposé était excellent; vous vous en êtes tenu au plus important et vous nous avez expliqué vos pensées clairement. Cela nous aide beaucoup, et nous l'apprécions.
Pour notre deuxième table ronde, nous sommes heureux d'accueillir le représentant de l'Association canadienne des chefs de police, le chef Mario Harel, directeur du Service de police de la Ville de Gatineau. Nous accueillons également le sergent Murray Grismer du Service de police de Saskatoon. Bienvenue.
Pour les membres du comité et les téléspectateurs, j'aimerais souligner que le sénateur Joyal s'est joint à nous. Il est un membre régulier de notre comité, et nous sommes heureux de l'avoir parmi nous aujourd'hui.
Monsieur Harel, je pense que vous avez une déclaration préliminaire.
Le sénateur Joyal : Monsieur le président, aux termes de l'article 2 du Code régissant les conflits d'intérêts des sénateurs, qui prévoit que tout sénateur doit éviter de se retrouver dans une situation où il pourrait y avoir un conflit d'intérêts, je déclare être dans une telle situation. Je me retire donc de la séance du comité et de tout débat sur le projet de loi C-19 à l'étape du rapport ou de la troisième lecture au Sénat.
Le président : Merci de porter cela à notre attention. Nous comprenons tout à fait.
Le sénateur Joyal : J'espère que cela sera mentionné dans le procès-verbal de la séance.
Le président : Nous nous en assurerons.
Le sénateur Joyal : Merci.
Le président : Monsieur Harel, la parole est à vous.
[Français]
Mario Harel, vice-président, directeur, Service de police de la Ville de Gatineau, Association canadienne des chefs de police : Je vous remercie, monsieur le président, de recevoir aujourd'hui l'Association canadienne des chefs de police dans le cadre de l'étude sur le projet de loi C-19.
Je suis Mario Harel, directeur du Service de police de la Ville de Gatineau et vice-président de l'ACCP. J'ai récemment lu un article qui résume bien où nous en sommes aujourd'hui. On y mentionnait qu'à ce qu'il semble, les responsables policiers ont accepté sereinement l'adoption du projet de loi même si la plupart des grandes organisations policières au pays étaient favorables au registre.
Je regretterai la fin du registre des armes d'épaule, a dit le chef de police de Shelburne, Kent Moore. Mais en tant qu'agent de police, nous continuerons de travailler en fonction du cadre en vigueur. Comme toujours, ma priorité sera la sécurité de notre communauté.
J'espère par ailleurs que les données recueillies jusqu'à présent ne seront pas détruites sans qu'il y ait des discussions approfondies à ce sujet. L'Association canadienne des chefs de police a affirmé son appui de longue date au registre des armes d'épaule. Permettez-moi d'en rappeler les raisons. Nous considérons qu'il s'agit d'une question de sécurité publique dans l'optique de notre devoir d'assurer la sécurité de nos collectivités, de nos agents et des plus vulnérables d'entre nous. Le registre des armes d'épaule est utile aux missions de prévention et d'enquête des organismes d'application des lois et aux communautés que nous desservons. Malgré ses coûts initiaux de mise en place, le registre est aujourd'hui très économique et efficace, comme l'indique une vérification interne de la GRC.
Enfin, nous croyons que le registre favorise un comportement responsable et la reddition de comptes des propriétaires d'armes à feu. Le registre des armes d'épaule offre aux organismes d'application de la loi des renseignements qui, de concert avec d'autres outils, nous aide à évaluer une situation à laquelle nous sommes confrontés et à mener nos enquêtes lorsque des armes à feu sont en jeu. Nous respectons le débat qui a eu lieu et l'opposition à nos points de vue de la part de ceux qui veulent simplement pratiquer la chasse ou le tir sportif.
Comme de nombreuses lois, les dispositions sur le registre des armes d'épaule exigeaient que la grande majorité des citoyens, qui est respectueuse de la loi, mettent en équilibre un privilège individuel et le droit de la société à la sécurité. Nous apprécions le fait que bon nombre des citoyens ont accepté ce principe et ont enregistré plus de sept millions d'armes d'épaule.
Nous reconnaissons aussi que face à ceux qui ne l'ont pas fait, la menace d'une criminalisation n'est pas une conséquence appropriée. Nous convenons qu'au sujet de l'élimination du registre des armes d'épaule, le gouvernement avait clairement indiqué à la population canadienne son intention d'adopter le présent projet de loi. Dans notre système parlementaire, nous devons respecter les souhaits des Canadiens qui ont élu ce gouvernement et l'ont habilité à agir ainsi. Il n'y a rien à gagner aujourd'hui à prolonger l'opposition à ce projet de loi.
Cela étant, nous demandons à ce comité d'aider à la cause de l'application de la loi en se penchant sur trois aspects qui suscitent des inquiétudes dans le cadre de l'adoption de ce projet de loi. Premièrement, assurer la présence de moyens de contrôle pour parer à l'accumulation de stocks d'armes à feu et à l'accès à des armes à feu par des organisations criminelles, veiller au rétablissement de la tenue de dossiers par les vendeurs d'armes à feu, comme cela se faisait avant la création du registre des armes d'épaule, le fameux green book.
Veiller à responsabiliser clairement les propriétaires d'armes à feu qui cèdent leurs armes d'épaule à d'autres personnes. À noter qu'entre 2006 et 2009, 1,85 millions d'armes d'épaule ont changé de main.
Ces préoccupations découlent du fait qu'il y aura plus d'exigences d'une documentation indiquant quelles armes à feu ont été vendues, à qui et en quelles quantités. L'heure est à la réconciliation.
Nous nous inquiétons tous, comme l'a indiqué le chef Hanson, de la problématique générale des armes à feu dans nos communautés, des problèmes liés au gang de rues et au crime organisé ainsi que du trafic transfrontalier d'armes à feu. Ces problèmes exigent une plus grande attention.
Il importe aussi à l'ACCP que nous reconnaissions la bonne foi des personnes et organisations qui ont comparu devant des comités pour exprimer leurs préoccupations. Ces personnes ont fait valoir les inquiétudes des membres les plus vulnérables de notre société, qu'il s'agisse de victimes de violence familiale, de groupes représentant des femmes, d'étudiants ou de diplômés de Polytechnique et du Collège Dawson.
En tant que responsable de l'application de la loi, il nous incombe de faire tout en notre pouvoir pour assurer leur sécurité. Nous voulons vous faire savoir que nous sommes toujours déterminés à le faire.
[Traduction]
Le président : Merci, chef Harel.
Sergent Grismer, je crois que vous avez une déclaration préliminaire.
Murray Grismer, à titre personnel : C'est un honneur et un privilège pour moi de comparaître devant vous aujourd'hui pour parler du projet de loi C-19. Je suis sergent de patrouille du Service de police de Saskatoon et je contribue, depuis 23 ans, à maintenir l'ordre dans la plus grande ville de la Saskatchewan. Je suis responsable de la main-d'œuvre, du déploiement et du service de réponse aux appels d'urgence de la deuxième zone géographique en importance de Saskatoon.
Les tribunaux de la Saskatchewan m'ont accrédité en tant que témoin expert pour que je livre des témoignages d'opinion sur les armes à feu. Je suis également maître instructeur pour les deux formations canadiennes sur la sécurité des armes à feu et vérificateur des armes à feu autorisé.
Comprenez que les commentaires que je vais formuler aujourd'hui reflètent mon point de vue personnel. Ils ne reflètent pas les opinions de mon employeur, du chef de police ni du service de police. Cela dit, je suis le porte-parole actuel de la Saskatoon Police Association dans le dossier de la Loi sur les armes à feu.
Le registre des armes à feu divise la communauté policière; ce sont les sergents de première ligne contre les chefs de police. Lorsque l'Association canadienne des policiers a appuyé le registre, elle a adopté sa position sans consulter les agents de première ligne. La Saskatchewan Federation of Police Officers a, pour sa part, interrogé ses membres et elle a constaté que, au sein de la Saskatoon Police Association, 99,46 p. 100 des membres étaient contre le registre des armes d'épaule, tandis que dans les services de police locaux, cette proportion atteignait parfois 100 p. 100.
Il y en a qui croient que ceux qui s'opposent au registre sont mal informés ou mal instruits. Rien ne saurait être plus loin de la vérité. Nous reconnaissons plutôt que la véritable pierre angulaire de la sécurité publique est la formation et l'évaluation des propriétaires d'armes à feu, et la délivrance de permis, et non l'enregistrement des armes à feu à autorisation non restreinte.
Avec le registre, on ne vise pas juste. On ne prend pas comme cible les armes à feu utilisées à des fins criminelles. Au lieu de cela, au nom de la lutte contre la criminalité, on s'en prend à des millions de propriétaires d'armes à feu légitimes et respectueux de la loi. Le fait est que le registre ne peut rien faire pour empêcher les criminels d'obtenir ou d'utiliser des armes à feu. L'École Polytechnique, Mayerthorpe, Spiritwood et le Collège Dawson sont des noms qui évoquent des événements tragiques liés à des armes à feu. Toutefois, le registre n'a pas pu ni su prévenir ces tragédies ni n'avait pu le faire. Le maintien en place du registre ou des dossiers ne saurait aucunement prévenir un autre incident de ce genre.
Ce qui est ridicule, c'est qu'un registre qui a coûté plus de deux milliards de dollars et une décennie d'efforts inutiles n'a pas pu prévenir un seul décès.
L'ACCP et d'autres tenteront de vous convaincre que le maintien en place du registre est important pour la sécurité des policiers. Ils recommanderont également que les dossiers soient conservés dans une base de données pour que les enquêteurs de police puissent y avoir accès si le registre est aboli. Pour les profanes, cela peut sembler raisonnable. Toutefois, lorsque l'on connaît et comprend les lacunes du registre, la question de la sécurité des policiers prend un tout autre sens; un sens beaucoup plus sinistre. Pour les policiers qui utilisent le registre et qui se fient à l'information inexacte et non vérifiée qu'il contient, une tragédie est imminente.
L'argument en faveur du maintien du registre aux fins d'enquêtes est trompeur, ou dans le meilleur des cas, spécieux. Dès l'abolition du registre, l'information qui y est contenue deviendra immédiatement périmée. La valeur probante limitée de telles données erronées diminue à mesure que des armes à feu partout au Canada sont acquises, vendues, altérées ou détruites.
À la lumière de ce que je sais au sujet du registre, je ne peux pas utiliser l'information qu'il contient pour obtenir un mandat de perquisition. Ce serait un acte criminel. Selon les projections faites à titre privé par le Centre des armes à feu au Canada, il faudra 70 ans pour que toutes les erreurs liées au registre soient éliminées et pour que toutes les armes à feu soient enregistrées. Ce niveau d'inexactitude n'est pas acceptable dans n'importe quel secteur de l'industrie, et encore moins pour le secteur de l'application de la loi. Les policiers méritent mieux. Le public et les tribunaux exigent mieux.
Si la Banque nationale des données génétiques ou le système informatisé de dactyloscopie avait le même taux d'erreur potentiel, le public et les tribunaux seraient, avec raison, outrés. Toutes les données entrées dans ces bases de données sont empiriques, ce qui n'est pas le cas du registre.
Honorables sénateurs, approuvez le projet de loi C-19 parce qu'il élimine un registre qui représente le gaspillage le plus controversé de l'argent des contribuables depuis des décennies, parce qu'il est criblé de données inexactes, parce que les agents de première ligne n'ont pas confiance en lui, parce qu'ils ne l'utilisent pas et ne l'appuient pas, et, fait le plus important, parce qu'il pose un risque inacceptable pour la sécurité des agents de police de première ligne de tout le Canada.
Le président : Merci, sergent Grismer. Nous passons maintenant aux questions.
Je demanderais aux témoins et aux sénateurs de s'exprimer avec le plus de concision possible.
Le sénateur Fraser : Monsieur Grismer, je crois que vous faites partie du Comité consultatif sur les armes à feu du ministre.
M. Grismer : Oui.
Le sénateur Fraser : En tant que membre de ce comité, comment voyez-vous votre responsabilité? S'agit-il simplement de préconiser l'abolition du registre d'armes d'épaule ou croyez-vous qu'il vous incombe également d'aborder d'autres problèmes comme ceux soulevés par le chef Hanson et M. Harel, par exemple, le registre des armes à feu importées pour le contrôle à la frontière ou le fait d'obliger le fournisseur à consigner les ventes d'armes à feu et les noms des acheteurs? Vous concentrez-vous uniquement sur le registre des armes d'épaule ou vous penchez-vous également sur ces autres enjeux?
M. Grismer : Non, sénateur Fraser. Nous ne nous concentrons pas sur un seul problème. Nous nous penchons sur un large éventail d'enjeux et conseillons le ministre sur ces questions.
Le sénateur Fraser : Cela comprend-il la question de savoir si les marchands devraient tenir des livres verts?
M. Grismer : Sans entrer dans les détails, cela comprend des choses comme la manière dont les ventes d'armes à feu sont réglées. Beaucoup de gens se préoccupent de ce que feront les marchands.
Il y a bien des années, avant de devenir policier, je travaillais dans un magasin d'articles de sport et dans le secteur de la vente au détail. Je connais très bien les registres qui étaient tenus à l'époque. Ce type de système n'était pas trop pénible à respecter, et je ne crois pas que les négociants d'aujourd'hui le trouveraient trop lourd à appliquer.
[Français]
Le sénateur Fraser : Monsieur Harel, merci beaucoup. Je constate que vous appuyez plusieurs des points soulevés par M. Hanson. Je ne voudrais pas revenir là-dessus, mais j'aimerais que vous donniez un peu plus de détails. Lorsque vous parlez du besoin d'assurer la présence de moyens de contrôle pour parer à l'accumulation de stocks d'armes à feu, que voulez-vous dire?
M. Harel : Du fait qu'il n'y ait plus aucun registre, que ce soit sur papier ou sur informatique, dans un endroit centralisé, où les armes à feu — on parle toujours des armes d'épaule — sont enregistrées. Il n'y a pas moyen de savoir si des personnes — on sait que ce n'est pas illégal, c'est parfaitement légal d'acheter des armes à feu, il y a des collectionneurs, mais il y a peut-être des gens mal intentionnés qui peuvent acheter de grandes quantités d'armes à feu illégalement et on n'a aucun moyen de suivre les traces de cela. C'est la préoccupation qu'on a des gens mal intentionnés qui pourraient acheter de grandes quantités d'armes à feu légalement sans avoir aucun moyen d'avoir un suivi là-dessus.
Le sénateur Fraser : Vous aimeriez une limite?
M. Harel : Non, notre préoccupation, c'est comment les gens seront en mesure de suivre les traces de gens qui achètent des grandes quantités d'armes à feu. On a des organisations criminelles qui pourront acheter plein d'armes à feu sans aucune reddition de comptes, sans aucune préoccupation que quelqu'un sera au courant de ça.
[Traduction]
Le sénateur Lang : J'aimerais revenir au registre lui-même. Son élimination est au cœur du projet de loi. J'aimerais adresser ma question à M. Grismer, si vous le permettez.
Dans votre déclaration préliminaire, vous avez dit :
Pour les policiers qui utilisent le registre et qui se fient à l'information inexacte et non vérifiée qu'il contient, une tragédie est imminente.
J'aimerais que vous nous donniez un peu plus de détails là-dessus aux fins du compte rendu si vous le pouvez.
De plus, j'aimerais que vous soyez plus précis à l'égard du registre et des erreurs qu'il contient et que vous nous en disiez un peu plus sur le fait que nous ne pouvons pas nous fier à un registre inexact. Pouvez-vous élaborer à ce sujet?
M. Grismer : En ce qui concerne la première partie de votre commentaire, ce qui est tragique, c'est le risque qui découle d'une situation où un agent effectue une recherche dans le registre, constate que les occupants du domicile n'ont pas d'armes à feu enregistrées et ne se tient donc pas sur ses gardes au moment de l'intervention. Cela met nos agents en danger.
L'envers de la médaille existe également. Le policier peut consulter le registre, constater que les occupants ont des armes à feu enregistrées et s'attendre à ce qu'il y ait des armes à feu dans la maison. Ce n'est pas nécessairement le cas, puisque les armes à feu ne sont pas toujours enregistrées au nom du propriétaire. C'est ça, les faits. Les armes à feu peuvent être enregistrées au nom d'un organisme indépendant, mais le propriétaire peut être une tout autre personne. C'est comme cela que fonctionne le Centre des armes à feu du Canada.
En ce qui concerne les erreurs et les inexactitudes, je peux vous dire que, en tant que témoin expert, on me demande régulièrement de comparaître devant les tribunaux. La dernière fois que je l'ai fait, il y avait toute une série d'armes à feu à examiner. J'avais accès à un document imprimé par un agent de l'ENSALA, qui était joint au dossier. J'ai examiné les numéros de série et toutes les autres données. Cela fait partie de mon travail. Je dois vérifier si tout est exact et en rendre compte dans mon témoignage devant le tribunal.
Dans le cas de l'une des armes à feu, la description de la marque et du modèle était exacte, mais le numéro de série n'était pas le bon. S'agissait-il d'une erreur monumentale? L'erreur ne portait que sur un seul chiffre. Cela a-t-il de l'importance? Peut-être. Il s'agit d'un seul exemple des erreurs que contient le registre. Il y en a de nombreux autres, monsieur.
Il y a des armes à feu, particulièrement des Browning — et il y en a des dizaines de milliers — pour lesquelles c'est le numéro du brevet au lieu du numéro de série qui a été enregistré. Il y a donc plusieurs milliers d'armes à feu qui ont été enregistrées avec le même numéro en tant que numéro de série, et il s'agit du numéro de brevet. Voilà donc deux exemples pour vous.
Le sénateur Lang : J'aimerais donner suite à cela. Plus loin dans votre déclaration, vous avez dit :
À la lumière de ce que je sais au sujet du registre, je ne peux pas utiliser l'information qu'il contient pour obtenir un mandat de perquisition.
M. Grismer : C'est exact.
Le sénateur Lang : Cela est lié à ma question initiale sur le registre et le fait qu'il ne fonctionne pas. Peut-être pourriez- vous étayer cette affirmation. C'est très important parce qu'un registre ne sert à rien si l'on ne peut pas obtenir de mandat de perquisition.
M. Grismer : J'ai fait cette affirmation parce que je connais les lacunes du registre. Je sais qu'il est inexact. Je ne peux pas inclure cette information dans un mandat de perquisition et jurer devant un juge que l'information dans ma dénonciation en vue d'obtenir un mandat de perquisition est exacte parce que je sais que ce n'est pas le cas et parce qu'il s'agirait d'une infraction criminelle. Je ne suis pas prêt à m'aventurer sur ce terrain-là.
Le sénateur Jaffer : J'ai une question pour le chef Harel, mais, tout d'abord, j'ai une déclaration à faire. Lorsque vos collègues ont comparu devant nous, ils ont beaucoup parlé des divers outils nécessaires à la prévention de la criminalité et à la protection de la collectivité.
Le registre est un outil qui vous manquera. Lorsque le registre sera aboli, vous disposerez d'un outil de moins pour assurer la protection du public; n'est-ce pas?
M. Harel : C'est l'un des outils que nous utilisons. Oui.
Le sénateur Jaffer : Vous avez mentionné trois choses qui m'intéressent beaucoup. La première est la nécessité de garantir que des contrôles sont en place pour mettre fin à l'accumulation de stocks, la deuxième est la réduction du livre vert et la troisième — j'ai posé la question au chef qui a témoigné avant vous — portait sur les contrôles relatifs à la cession d'armes à feu, à savoir l'article 23 de la nouvelle loi.
Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur les raisons pour lesquelles nous avons besoin de ces contrôles, surtout en ce qui concerne la cession d'armes à feu?
M. Harel : Tout d'abord, actuellement, aux termes du projet de loi, la personne qui est le propriétaire légitime d'une arme à feu « peut » vérifier si l'acheteur a un permis. Elle n'est pas tenue de le faire. Cela est très problématique pour nous parce qu'il existe des dispositions pour l'obtention d'un permis en vue d'acheter des armes à feu. Le cédant « peut » vérifier si le cessionnaire a un permis pour acheter une arme à feu, mais il n'est pas tenu de le faire.
Ainsi, une personne qui achète légalement une arme à feu peut la vendre ou la donner à une autre personne sans que nous sachions si cette dernière a le droit d'avoir une arme à feu en sa possession.
Le projet de loi ne contient aucune disposition obligeant le vendeur à tenir un registre ou ce fameux livre vert qui existait il y a longtemps. Allons-nous courir après le propriétaire légitime ou le propriétaire initial afin qu'il nous aide dans notre enquête? Cela nous fera prendre beaucoup de retard. Ces retards sont des heures pendant lesquelles les armes à feu demeurent dans la rue, et, parfois, cela peut menacer la sécurité de notre collectivité. Je ne parle pas des coûts de ces enquêtes. Si elles sont plus longues, la collectivité doit payer plus d'enquêteurs et dépenser plus d'argent pour des services de police.
Le sénateur Runciman : Sergent-détective Grismer, avez-vous vécu ce genre de situation? D'autres témoins ont également affirmé qu'il y avait eu un changement d'attitude et que le public ne voyait plus les policiers et les services de police de la même manière. Le projet de loi C-68 a eu des répercussions, et il y a un manque de respect grandissant.
Avez-vous été témoin de cela ou l'avez-vous vécu? Le cas échéant, comment cela a-t-il changé les relations entre la police et les collectivités?
M. Grismer : Le public a tout d'abord fait preuve de circonspection parce qu'il ne savait pas jusqu'où les choses iraient.
En toute franchise, cela repose beaucoup sur le service de police et sur sa manière d'aborder la loi. Cela ne veut pas dire que nous ne l'appliquerons pas; cela veut tout simplement dire que certaines choses l'emportent sur d'autres. Dans l'industrie policière, si nous voulons en avoir plus pour notre argent, nous devons nous attaquer aux problèmes les plus répandus. Dans notre région, les gangs ne sont pas un problème grave. Ils gagnent en importance, mais ce n'est pas comme à Montréal ou à Toronto. Le problème de gangs ne nous touche pas autant qu'il touche ces villes.
Dans notre application des lois sur les armes à feu, nous nous efforçons de régulariser la situation des personnes qui n'ont pas tous les permis nécessaires; et cela est le cas aussi bien du chef provincial des préposés aux armes à feu que des services de police eux-mêmes. Cela ne veut pas dire que nous ne nous en prenons pas aux éléments criminels et aux membres de gangs en essayant d'accumuler les chefs d'accusation. C'est pourquoi je pense que les permis constituent, comme je l'ai dit, la pierre angulaire.
Le sénateur Runciman : J'imagine qu'il est difficile de cerner la chose et de décrire les répercussions qu'il y a eu sur les relations entre les services de police et le public. Le chef Hanson nous a parlé d'incidents où l'on a consulté le registre après avoir lu la rubrique nécrologique dans le journal. Espérons que ce genre de chose ne s'est pas produite trop souvent.
Il a également parlé de la formation. Il a mentionné un représentant haut gradé qui a dit que le sang coulerait dans la rue si le projet de loi était abrogé. Il a également parlé d'une formation obligatoire et a laissé entendre que les membres de la communauté policière étaient nombreux à ne pas comprendre les lois canadiennes. Je me demandais si vous partagiez cette préoccupation. Il a parlé d'un programme de formation obligatoire qui informerait les agents de police de première ligne et les autres des lois qui sont à l'étude et qui le seront après que le projet de loi C-19 aura été adopté, idéalement.
M. Grismer : Je partage tout à fait les préoccupations du chef Hanson concernant la formation. J'ai personnellement pris connaissance d'incidents où des agents ont appliqué la loi incorrectement. Chaque fois qu'un tel incident se produit, c'est de mauvais augure pour le service de police. Bien des gens ne comprennent pas la loi et les exigences qui y sont liées dans toute leur ampleur. Ils ne savent pas en quoi consistent l'entreposage et le transport sécuritaires, ou encore la montre sécuritaire. S'ils ne comprennent pas ces notions — et il s'agit de personnes chargées d'appliquer la loi — vous pouvez vous imaginer la consternation des personnes ciblées ou visées par la loi.
Le sénateur Runciman : J'ai entendu le chef Hanson parler de l'enregistrement au point d'entrée au pays. Seriez-vous en faveur d'une telle initiative? Cela vous pose-t-il problème; croyez-vous qu'il s'agit d'une initiative que le gouvernement devrait envisager?
[Français]
M. Harel : Je suis certain que cette question intéresse le directeur du Centre canadien des armes à feu car il est directement concerné par cela, et il pourrait vous donner une réponse beaucoup plus détaillée et complète que la mienne. Toutefois, toutes les armes à feu entrant au Canada doivent, selon notre opinion, être enregistrées afin qu'on puisse, à partir du point d'entrée, suivre leur trace. Par contre, si ensuite un commerçant vend l'arme à feu et que nous ne disposons d'aucun registre, quel bien cela va-t-il faire? C'est la question qu'on se pose.
[Traduction]
M. Grismer : J'ai entendu la déclaration du chef Hanson au sujet du registre au point d'entrée. Elle m'a quelque peu déconcerté. À ma connaissance, toutes les armes à feu qui entrent au Canada doivent passer les douanes comme produits d'importation et sont, à cette étape, suivies par l'Agence des services frontaliers du Canada. Généralement, les armes à feu qui entrent au Canada sont importées par un importateur majeur, qui les vend à des négociants. C'est ce genre de choses. Si j'ai bien compris, il y a une trace écrite pour toutes ces transactions.
Si ce n'est pas le cas, je suggère que l'on mette un tel système en place.
Le président : J'ai un complément d'information lié au commentaire du sénateur Runciman. Le Programme canadien des armes à feu comprend le Centre national de dépistage des armes à feu. Je vais peut-être adresser ma question à M. Grismer. Quel rôle ce centre continuerait-il à jouer dans la détermination des sources des armes à feu utilisées pour commettre des actes criminels ou des armes à feu qui sont trouvées sur les lieux d'un crime? Le centre pourrait-il jouer un tel rôle à l'avenir et aider la police dans son travail?
M. Grismer : Je ne connais pas bien tous les aspects du Centre national de dépistage des armes à feu. Je ne peux donc pas vous répondre.
Le président : Ce n'est pas grave.
M. Harel : J'ai posé cette question au directeur, alors je vais vous donner un exemple. Si l'un de mes agents trouve sur une scène de crime une arme à feu en provenance de la République tchèque, ce centre de dépistage des armes à feu va prendre toutes les mesures possibles, notamment le fait de mener une enquête à l'étranger, pour essayer de découvrir où cette arme à feu a été fabriquée, où elle a été importée et quel a été le premier point d'entrée.
C'est un long processus qui s'enclenche, mais c'est un rôle que le centre pourrait jouer dans un cas du genre. C'est un outil.
M. Grismer : Ce n'est pas le nom que le centre portait lorsque j'y ai fait appel. J'ai demandé l'aide de cette organisation pour retracer des armes à feu en provenance des États-Unis, de l'endroit où elles avaient été fabriquées jusqu'au dernier point de vente. L'aide du centre a été très précieuse dans le cadre de l'enquête dont je vous parle.
Le président : Est-ce que cela s'appliquerait aux armes fabriquées au pays? Le chef a pris l'exemple d'une arme fabriquée à l'étranger. Cependant, est-ce que cela s'appliquerait aux armes fabriquées ici, ou s'agit-il seulement des armes provenant de l'étranger?
M. Grismer : On fabrique très peu d'armes à feu au Canada. Je ne pense qu'à deux sociétés; il y en a peut-être plus, mais il n'y en a que deux qui me viennent en tête. Ces fabricants sont très minutieux dans leur tenue de dossiers.
Le sénateur Hervieux-Payette : Monsieur Grismer, j'ai une remarque à faire concernant ce que vous avez dit : dans les Comptes publics du Canada figurent les chiffres concernant les dépenses engagées à l'égard du registre, et on ne parle nulle part de la somme de deux milliards de dollars. Je pense que c'est une bonne chose que vous corrigiez vos chiffres.
J'ai entendu dire que les pays où il y a beaucoup de suicides sont toujours ceux qui ont une politique laxiste concernant le contrôle des armes à feu. En Suisse, par exemple, où il y a une arme pour deux personnes, le taux de suicide se situe entre 24 et 28 p. 100. Aux États-Unis, le taux est encore plus élevé, parce qu'il y a plus d'une arme pour deux personnes. Par contre, lorsque je regarde les statistiques concernant l'Allemagne et l'Espagne, je constate que le taux de suicide est de 8 p. 100 en Allemagne et de 5 p. 100 en Espagne.
Votre expérience ne vous amène-t-elle pas à penser que l'existence d'un processus d'enregistrement adéquat — tout le processus, pas seulement une étape — constitue une bonne mesure de prévention d'incidents comme celui de l'École Polytechnique et d'autres incidents qui témoignent d'une faille du système? Cela ne veut cependant pas dire que d'autres incidents n'auraient pas eu lieu, évidemment, parce que des gens souffrant de maladies mentales ont probablement été repérés avant que le malheureux incident ne se produise.
Ne voyez-vous pas de corrélation entre le nombre de suicides dans un pays — entre la possibilité d'accéder facilement à une arme — où il n'y a pas beaucoup de règles, surtout en ce qui concerne l'enregistrement, et les pays qui sont dotés d'un régime très strict, comme l'Allemagne et l'Espagne?
M. Grismer : Comme je l'ai dit, l'enregistrement d'une arme à feu ne peut pas permettre de prévenir un suicide. Le permis est accordé à la personne. L'enregistrement concerne un objet inanimé. Si le processus d'évaluation des demandeurs et des détenteurs d'armes à feu est mené correctement, il peut permettre d'écarter dans la mesure du possible les gens qui ont des troubles de santé mentale.
Cela dit, par contre, il demeure impossible de déterminer comment la personne sera une semaine, un an ou même 10 minutes après avoir obtenu son permis. Personne n'a de boule de cristal.
Le sénateur Hervieux-Payette : Je vous ai donné le contre-exemple de ce qui se passe dans des pays où les politiques en matière d'enregistrement et de contrôle des armes à feu sont strictes et comportent de nombreuses étapes. Il y a une différence énorme sur le plan du nombre de suicides.
[Français]
Monsieur Harel, une des difficultés du système actuel est de criminaliser les personnes qui n'ont pas enregistré leur arme à feu selon les règles. Plutôt que d'être considéré un acte criminel, on pourrait recourir à la partie 24 du Code criminel et en faire une infraction pouvant entraîner soit une amende ou même un emprisonnement si l'infraction est répétée à plusieurs reprises, ou si la personne commet une deuxième fois une faute.
N'est-ce pas le point névralgique qui fait en sorte qu'à l'heure actuelle les propriétaires d'armes à feu abhorrent le registre alors que, à toutes fins pratiques, on pourrait disposer d'une sentence équilibrée, à savoir seulement une infraction sommaire, donc pas de casier judiciaire, pas de problème pour voyager et pas de condamnation criminelle? Selon votre expérience, pourrait-on aller dans cette direction et tout simplement amender le Code criminel et changer les pénalités pour les personnes qui ne se conformeraient pas au registre?
M. Harel : Je crois que c'est l'irritant majeur pour ceux qui pratiquent le tir ou qui ont une passion pour les armes à feu.
À l'Association canadienne des chefs de police, nous convenons que ce n'est pas la bonne voie que de criminaliser des gens qui sont en infraction « administrative » vis-à-vis du registre. Notre opinion est que cela ne devrait pas être criminalisé. Il y a d'autres alternatives, lorsqu'on considère l'administration d'un programme comme celui-ci; et effectivement des erreurs cléricales, des permis non renouvelés à temps, et cetera, ne devraient pas se retrouver dans le Code criminel ou être criminalisés.
Le sénateur Hervieux-Payette : Est-ce que je peux en conclure que vous êtes toujours favorable au registre, mais qu'il faudrait selon vous changer la nature des sanctions pour les personnes qui n'auraient pas respecté les règles?
M. Harel : L'ACCP n'a pas changé d'opinion. Nous continuons de penser que le registre un bon outil de travail pour les policiers et pour notre communauté.
[Traduction]
Le sénateur Frum : Concernant le suicide et le fait que le registre puisse contribuer à prévenir les suicides ou non, je voulais que vous commentiez le fait que le taux de suicide au Canada est demeuré constant au cours des 25 dernières années et que, même si le moyen employé a peut-être changé avec le temps, le nombre de suicides commis au pays est demeuré tout à fait inchangé malgré l'existence du registre. Pouvez-vous dire quelque chose là-dessus?
M. Grismer : Vous avez entièrement raison de dire que les chiffres sont demeurés très constants au Canada. Comme je le disais, le registre ne peut permettre de prévenir le suicide. Il faut espérer que le processus d'octroi de permis puisse permettre de repérer les gens qui ont des problèmes. J'ai eu connaissance d'un cas de suicide la semaine dernière. Est-ce que l'homme a utilisé une arme à feu? Il a réussi à mettre fin à ses jours tragiquement en prenant une importante quantité de médicaments qu'il avait amassée au fil du temps. Le registre n'aurait pu empêcher ce suicide, pas plus que la prescription de médicaments. Ce qui s'est passé, c'est que cet homme était au bout du rouleau. Il était arrivé au point où il ne pouvait plus maîtriser ses émotions, et il a malheureusement pris la décision de tragiquement mettre fin à ses jours. Pour moi, un événement du genre est très tragique. Le registre ne peut pas empêcher qu'il ne se produise.
Notre service de police consigne chacune de ses interventions à l'égard d'un suicide ou d'une tentative de suicide. Au sein de notre service, un rapport est généré lorsque nous nous rendons sur les lieux d'une tentative de suicide. Il faudrait peut-être apporter des modifications à la façon de présenter une demande de permis ou une demande au contrôleur des armes à feu, mais je pourrais proposer une solution partielle, et ce serait que toute personne qui présente une demande de permis ou de port d'armes l'envoie non pas à Miramichi, mais plutôt au poste de police de sa région. Qui serait mieux placé pour ajouter des commentaires concernant le passé de la personne ou ses tendances suicidaires? La demande pourrait ensuite être transmise aux fins de la poursuite du processus d'évaluation, mais, au moins, le service de police de la région aurait eu l'occasion d'y ajouter des commentaires, qu'il n'ait jamais eu de problème avec la personne ou qu'il en ait eu, en fait, que cette personne soit associée à un gang ou quoi que ce soit d'autre. Au moins, nous pourrions inscrire des commentaires sur la demande en fonction de l'information qui figure dans notre base de données.
Le sénateur Frum : Tout ce qu'on peut faire, c'est de changer les chiffres concernant le nombre de gens qui s'enlèvent la vie avec une arme à feu, et non le nombre de gens qui se suicident en général.
M. Grismer : Pardon?
Le sénateur Frum : On peut peut-être empêcher la personne d'utiliser une arme à feu, mais si elle a l'intention de s'enlever la vie, elle peut prendre des médicaments.
M. Grismer : Précisément. Des gens utilisent toutes sortes de moyens. On peut trouver d'autres façons de procéder dans Internet.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Monsieur Grismer, vous avez mentionné dans votre exposé que 1 800 armes avaient changé de mains. Évidemment, c'est énorme. Pour mieux relativiser les choses, peut-on établir dans quelle proportion certaines de ces armes on été reprises par des armuriers? J'imagine que, dans tous ces échanges, des armuriers ont repris des armes.
[Traduction]
M. Grismer : J'avais le texte d'un exposé que j'ai distribué. Je n'ai pas ce document devant moi. Si quelqu'un pouvait me le passer, je pourrais le consulter. Si ce que vous dites figure dans ma déclaration préliminaire, je pourrais le voir. J'essaie de comprendre à quoi votre question fait référence, monsieur.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Quand on parle de 1 800 armes qui changent de mains, est-ce qu'on doit comprendre qu'une partie de ces armes sont retourné chez l'armurier? Évidemment il y a eu des échanges d'armes, car certaines personnes ont remis leurs armes. Cela ne s'est pas fait de personne à personne, j'imagine.
[Traduction]
M. Grismer : Encore une fois, monsieur, je ne vois cela nulle part dans mon document. Si vous pouviez m'aider en me disant à quelle page cela figure, je vous en serais reconnaissant.
Le président : Nous allons peut-être passer à autre chose. Je ne suis pas sûr que vous puissiez dire quelque chose là- dessus, mis à part en ce qui concerne le chiffre exact.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Excusez-moi, c'est peut-être M. Harel qui l'a mentionné, mais il me semble l'avoir vraiment entendu.
M. Harel : Excusez-moi si je n'ai pas réagi, effectivement c'est 1 850 armes en quatre ans qui ont changé de main, selon le registre.
Le sénateur Dagenais : Est-ce que cela inclut des armes qui sont retournées chez l'armurier?
M. Harel : Je n'ai pas cette information, sénateur.
[Traduction]
Le sénateur Baker : J'aimerais remercier les témoins des excellents exposés qu'ils ont présentés. Le sergent Grismer a fait une déclaration qui me laisse un peu confus. Ce sont des propos que j'avais déjà entendus, et il faudrait vraiment que je comprenne pourquoi on les tient. Je pense citer correctement ce que vous avez répondu au sénateur Lang tout à l'heure si je dis que, selon vous, on ne peut utiliser l'information tirée du registre dans une dénonciation sous serment faite pour obtenir un mandat.
Nous savons tous qu'une dénonciation faite pour obtenir un mandat est un affidavit, et que le souscripteur de l'affidavit présente les motifs pour lesquels un juge ou un juge de paix devrait selon lui décerner un mandat visant à faire ce qu'il demande. Dans ces motifs, on peut citer d'autres agents de police. On peut citer l'annuaire téléphonique. On peut citer un appel qu'on a fait au bureau d'enregistrement des véhicules. On peut citer un informateur. Dans l'introduction d'une dénonciation sous serment, on établit normalement la fiabilité de l'informateur en question à la lumière d'enquêtes antérieures, et ainsi de suite, la fiabilité de l'information. L'information est parfois fiable à 10 p. 100, ou encore à 20 ou à 30 p. 100. À l'issue de ce processus qui fait partie de l'affidavit, la dénonciation sous serment, il y a toutes sortes de renseignements. Je ne comprends pas du tout pourquoi le comité entend toujours des gens dire qu'ils ne peuvent utiliser l'information qui figure dans le registre parce que, comme vous le dites, on n'est pas sûr qu'elle est vraie. Il n'existe aucune règle selon laquelle on ne peut utiliser cette information dans une dénonciation sous serment. Je ne comprends pas du tout pourquoi vous avez dit cela ni pourquoi d'autres agents de police l'ont dit eux aussi.
M. Grismer : J'imagine que mes critères et les leurs sont plus stricts que ceux des autres. Je ne peux pas affirmer l'existence d'une chose en toute bonne conscience. Je jure sur la Bible que l'information que contient le document est vraie.
Je ne peux pas parler au nom des autres agents de police, mais, pour ma part, lorsque je fais une dénonciation sous serment, je fais tout ce que je peux pour vérifier l'information qu'elle contient. L'annuaire téléphonique n'est que l'une des ressources. Je consulte plusieurs bases de données de la police.
Je ne peux pas fonder ma dénonciation sous serment sur le registre, parce que je sais qu'il contient des erreurs. Nous parlons d'un registre dans lequel figurent les renseignements concernant des pistolets à air chaud et des pistolets à calfeutrer, alors comment pouvons-nous le considérer comme étant fiable? Si le registre était comparable au SAID ou à la base de données génétiques, il n'y aurait absolument aucun problème.
Le sénateur Baker : Vous témoignez du fait que vous n'utiliseriez pas l'information tirée du registre dans une dénonciation sous serment, mais cela n'empêche évidemment pas d'autres agents de le faire, parce que, comme vous dites, il y a parfois des sous-déposants dans les affidavits visant à obtenir un mandat. Il s'agit de déclarations faites par d'autres agents ou d'autres personnes. Les bases de données incluent celles de l'Ontario et du Québec, qui contiennent de l'information provenant d'informateurs qui ne sont pas toujours fiables.
Vous dites que vous ne mettez pas quelque chose dans votre mandat à moins d'être absolument certain que c'est vrai et que le juge peut s'y fier, mais d'autres agents peuvent évidemment agir différemment.
M. Grismer : Le fait que d'autres agents puissent avoir des critères moins stricts ne me regarde pas.
Le sénateur Lang : Concernant l'utilisation du registre et le fait qu'il fonctionne ou non, nous avons entendu récemment un témoignage selon lequel les données inexactes et la mauvaise utilisation ou la mauvaise interprétation des données du registre des armes à feu et d'autres données du Centre canadien des armes à feu sont les éléments qui font échouer de nombreuses poursuites judiciaires. Avez-vous constaté que c'est le cas lorsque vous comparaissez devant les tribunaux?
M. Grismer : Je dois dire que je ne connais pas cette réalité, parce que, pour être franc, je ne me fie pas aux données du registre et je ne les utilise pas. J'utilise ce que j'ai devant moi. Beaucoup des armes à feu que je vois sont tronçonnées, et le numéro de série a été effacé par divers moyens. Je n'ai pas besoin d'expliquer comment cela se produit.
Ce que je veux dire, c'est que je ne fais pas de recherche dans cette base de données. J'ai vu qu'elle contient des erreurs. Pourquoi me donnerais-je la peine de la consulter?
Le sénateur White : Vous avez parlé tout à l'heure de confiance à l'égard du système. Lorsqu'on fait une dénonciation sous serment, on jure que l'information qu'elle contient est vraie. Le numéro de série, l'adresse et le nom ne concernent pas l'informateur. Il s'agit de savoir si vous êtes convaincu que l'information qui figure dans la banque de données est exacte, non?
M. Grismer : C'est vrai.
Le sénateur White : Si vous n'êtes pas convaincu, avez-vous suffisamment confiance, comme sergent patrouilleur, pour dire à un agent s'il y a une arme à feu ou non dans la maison où il se rend?
M. Grismer : La base de données en question ne me procure pas la confiance nécessaire. Nous partons du pire scénario possible et procédons à des rajustements par la suite.
Le sénateur White : Chaque fois qu'il y a une possibilité de préjudice ou de violence, vous présumez qu'il y a une arme dans la maison?
M. Grismer : Oui, il y en a une, quel qu'en soit le type.
[Français]
Le sénateur Chaput : Ma question s'adresse à M. Grismer. Donc, on abolit le registre des armes à feu. Le registre est aboli. Mais avant la mise en œuvre de C-19, le projet de loi que nous avons ici devant nous, est-ce qu'il y a lieu de dire qu'il y aura une reclassification des armes? Si c'est le cas, qui est chargé de cette reclassification et qu'est-ce que ça veut dire, que suppose le processus de reclassification des armes?
[Traduction]
M. Grismer : Je pense que le registre qu'on souhaite abolir n'est pas celui auquel vous pensez. On veut abolir un registre des armes à feu sans restrictions qui sont déjà classifiées. Le registre des armes à feu à autorisation restreinte et interdites demeurera en place, alors il n'est pas nécessaire de reclassifier ces armes. Elles sont déjà classées comme étant des armes à feu sans restrictions.
[Français]
Le sénateur Chaput : Quand je lis quelque part qu'il y aura une reclassification, à votre avis, ce n'est pas vrai, ce n'est pas nécessaire, pour les raisons que vous venez de me donner?
[Traduction]
M. Grismer : Je ne sais pas quelle serait la nouvelle classification. Il s'agit déjà d'armes classifiées.
Le sénateur Fraser : Il y avait pas mal d'armes à feu — l'exemple le plus connu étant le Ruger Mini-14 qui a été utilisé à la Polytechnique — qui étaient sans restrictions. Une fois que le projet de loi sera adopté, il sera impossible de les retracer. C'est un point que beaucoup de gens soulèvent, y compris le sénateur Chaput.
Devrait-on procéder à un réexamen du système de classification de façon à ce que les armes en question soient à autorisation restreinte à partir de maintenant et que la police et les autorités concernées disposent ainsi d'information sur celles-ci?
M. Grismer : Madame le sénateur, je ne vois pas la nécessité de reclassifier le Ruger Mini-14 ni aucune autre arme semi-automatique utilisée au Canada. Le Ruger Mini-14 n'est que l'une des armes de ce type. Les chasseurs utilisent aujourd'hui des armes semi-automatiques beaucoup plus puissantes que le Ruger Mini-14.
Le sénateur Fraser : Ces armes ne devraient-elles pas faire l'objet d'un suivi quelconque, d'un dossier tenu publiquement?
M. Grismer : Je ne crois pas.
Le sénateur Fraser : Je crois que vous avez dit que le permis sera au cœur ou au centre du système à partir de maintenant.
M. Grismer : C'est ce que j'ai dit, oui.
Le sénateur Fraser : Que se passera-t-il lorsqu'un permis sera révoqué ou suspendu? Lorsqu'un tribunal ordonne qu'on enlève son permis au titulaire, qu'advient-il de cette information? Est-elle versée dans le registre et communiquée au service de police de l'endroit, ou est-ce qu'elle ne figure que dans les dossiers du tribunal?
M. Grismer : Chez nous, l'information est transmise par le tribunal au service de police. Elle est placée dans la base de données du Centre d'information de la police canadienne, le système du CIPC. Une ordonnance d'interdiction prise par le tribunal contre la personne est enregistrée pour un certain temps, et il y a une date de début et une date d'expiration.
[Français]
Le sénateur Fraser : C'est la même chose ici, monsieur Harel?
M. Harel : Pour bien comprendre, la personne se voit révoquer son permis d'avoir en sa possession des armes?
Le sénateur Fraser : C'est ça.
M. Harel : Oui, la seule chose c'est qu'on ne saura pas combien il en a. C'est le même exemple, dans un cas de violence conjugale, quand un individu a l'ordre de la cour de rapporter ses armes à feu en attendant la procédure à la cour. La personne rapporte une arme à feu. Comment savoir que le client n'en a pas deux, trois ou dix autres dans un garde robe ou un coffre-fort à la maison? Le registre des armes à feu était un des outils qui nous permettait de faire un suivi là-dessus.
[Traduction]
Le sénateur Fraser : Une fois que le tribunal a rendu l'ordonnance, combien de temps faut-il pour que l'information soit transmise là où elle doit l'être?
M. Grismer : Habituellement, cela prend une journée ou deux.
Le sénateur Fraser : Le système est donc assez efficace?
M. Grismer : C'est un système qui est assez efficace, oui.
Le sénateur Fraser : Est-ce que l'information est également transmise au Centre canadien des armes à feu?
[Français]
M. Harel : Je sais qu'il y a beaucoup de questions sur le fonctionnement du Centre canadien des armes à feu, dont je ne suis pas le responsable, j'en suis l'usager.
Le sénateur Fraser : Malheureusement, nous ne pourrons pas les avoir comme témoins.
[Traduction]
Le sénateur Lang : Je pense que nous avons établi dans une certaine mesure que le registre est très lacunaire et qu'il pose des problèmes graves dans sa forme actuelle. Monsieur Grismer, vous avez également dit dans votre témoignage que vous reconnaissez le fait que le véritable fondement de la sécurité publique, c'est la formation et l'évaluation des détenteurs d'armes à feu ainsi que le processus de délivrance de permis, et non l'enregistrement des armes à feu sans restrictions.
J'aimerais que vous preniez quelques instants pour nous expliquer plus en détail votre façon de voir les exigences d'enregistrement et d'obtention de permis ainsi que les procédures qu'une personne doit suivre. Êtes-vous convaincu que nous sommes aussi stricts que nous pouvons l'être?
Le président : Veuillez répondre le plus brièvement possible.
M. Grismer : D'accord. Une personne qui demande un permis d'armes à feu doit réussir le cours canadien de sécurité dans le maniement des armes à feu. Je donne ce cours. En fait, je forme des instructeurs qui le donnent. Les gens doivent réussir ce cours et obtenir une note de plus de 80 p. 100. Il y a une partie pratique. On doit prouver qu'on est capable de manier une arme à feu. Il ne s'agit pas de tirer; il s'agit simplement du maniement des armes à feu.
Ensuite, la demande accompagnée des références et de tout le reste est transmise au Centre canadien des armes à feu, où le tout fait l'objet d'une évaluation. S'il faut procéder à une évaluation supplémentaire, le dossier est renvoyé au bureau du chef provincial des préposés aux armes à feu, qui s'occupe de l'évaluation secondaire et tertiaire de la personne. Le candidat obtient son permis une fois qu'il a subi ce processus d'évaluation.
Le sénateur Lang : Il y a une chose qui, je crois, est importante et sur laquelle on n'a pas suffisamment insisté. Lorsqu'on présente une demande, il faut donner un certain nombre de références. Des membres de la collectivité doivent confirmer que le candidat est apte à détenir un permis d'armes à feu, n'est-ce pas?
M. Grismer : Oui.
Le sénateur Lang : Je sais pour en avoir rempli un qu'il faut remplir un formulaire dans le cadre de la demande et qu'il y a dans celui-ci des questions personnelles dont on ne veut pas nécessairement que tous connaissent la réponse en raison de leur nature. Les questions sont de nature très personnelle, n'est-ce pas?
M. Grismer : Oui.
Le président : Merci, chers collègues, de vos questions.
Chef Harel, sergent Grismer, merci beaucoup de votre participation. Vous nous avez éclairés. Nous sommes conscients du fait que vous êtes venus d'assez loin pour nous aider. Votre témoignage a été très utile, et nous vous en remercions.
Chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir notre troisième groupe de témoins de la journée, dont Mme Hélène Larente, de la Fédération québécoise des chasseurs et pêcheurs. Nous recevons également M. Bernard Pelletier, porte- parole de la Fédération québécoise des chasseurs et pêcheurs. Monsieur Pelletier, bienvenue.
Madame Larente, je crois que vous avez une déclaration préliminaire à faire. Nous allons commencer par vous.
[Français]
Hélène Larente, à titre personnel : Merci de l'invitation. Je suis Hélène Larente, de Rapides-des-Joachims, au Québec. Je suis une femme chasseresse très impliquée depuis 25 ans avec les organismes de chasse, de pêche et la Fédération québécoise des chasseurs et pêcheurs. Depuis six ans, je suis coordonnatrice du programme québécois de la chasse au féminin. Depuis 13 ans, je suis monitrice pour le programme d'éducation en sécurité et conservation de la faune et ainsi que monitrice pour le cours fédéral du maniement sécuritaire des armes à feu.
En avril 2011, j'ai été la première femme à recevoir le titre de moniteur national de la Fédération québécoise des chasseurs et pêcheurs. Par mon implication, je connais beaucoup de femmes qui pratiquent la chasse. Comme je suis responsable du programme de la chasse au féminin, je peux vous dire que les chasseresses que nous initions sont l'exemple même que les chasseresses et les chasseurs sont conscients de l'importance et sont les défenseurs de la sécurité avec des armes à feu et du respect des lois.
Les femmes prennent davantage de place dans ce loisir. Plus de 25 p. 100 des participants pour les cours de chasse au Québec sont des filles et des femmes. Ce phénomène de la hausse d'intérêt chez les femmes pour la chasse fait que la chasse est de plus en plus un loisir pratiqué en famille. Le projet de loi C-19 est vraiment légitime.
Pourquoi? D'abord parce que, présentement, nous nous sentons visés comme des criminels et trouvons injuste que nous soyons traités comme et à la place des vrais criminels.
Deuxièmement, il y a la crainte aussi de pratiquer notre loisir avec la possibilité d'avoir un dossier criminel pour simplement avoir oublié l'enregistrement de notre arme à feu. Par exemple, j'ai vu l'an passé un barrage érigé par la Protection de la faune et la Sûreté du Québec à la sortie d'une zone de chasse durant la chasse à l'orignal. Des chasseurs se sont vus vérifiés et se sont vus saisir des armes en raison simplement de la notion de l'enregistrement de l'arme. Il faut se poser des questions. Est-ce que le registre a été conçu pour cela ou pour contrer la criminalité? Ou encore, simplement, pour un nouvel adepte, devoir annuler ou reporter un voyage de chasse en raison des délais trop longs pour l'enregistrement de son arme de chasse, autrement dit être brimé dans notre droit de pratiquer la chasse qui est un loisir comme n'importe quel autre. Pourtant, les autres loisirs ne sont pas assujettis à de telles embûches.
Troisièmement, nous ne croyons pas que le registre protégeait les femmes, ni la société. Cela donne un faux sentiment de sécurité, car le fait que l'arme soit enregistrée n'empêche pas l'utilisateur de cette dernière de faire l'irréversible.
Quatrièmement, les gens qui ne chassent pas ne savent pas à quel point les chasseurs sont très réglementés. Depuis 1994, tous les chasseurs doivent obligatoirement participer et réussir le cours canadien de sécurité dans le maniement des armes à feu d'une durée de huit à dix heures, ainsi que le cours québécois d'initiation à la chasse de six à huit heures.
Pour la suite, depuis 2011, avec la preuve de réussite du CCSMAF, ils doivent obligatoirement appliquer pour obtenir un permis de possession et d'acquisition d'arme à feu. Dans ce processus, une enquête est réalisée par la GRC pour s'assurer que chaque individu a la qualification et ne comporte aucun risque pour autrui. Il y a aussi la Loi sur l'entreposage et le transport sécuritaire des armes à feu qui responsabilise et oblige les utilisateurs et les propriétaires d'armes à feu à remiser de façon sécuritaire les armes et les munitions séparément ou rendre inopérante tout arme à feu.
Par ailleurs, toutes ces lois font que les resserrements sont déjà très stricts au niveau de la qualification et de l'utilisation des armes à feu. Tout de même, nous croyons et sommes en faveur du maintien de la qualification obligatoire des propriétaires d'armes à feu et de l'entreposage et le transport sécuritaire des armes à feu pour la sécurité de tous.
Les chasseuses et chasseurs sont d'honnêtes citoyens et déplorent des drames comme celui de la Polytechnique et les autres. Nous croyons qu'il faut trouver des vraies solutions pour combattre toute cette criminalité et cette violence gratuite. Les sommes auparavant dédiées au registre devraient être transférées et investies aux bons endroits pour protéger davantage les citoyens et les citoyennes, aider les gens en détresse et malades et offrir plus de ressources.
Le projet de loi C-19 et la fin du registre et de l'enregistrement obligatoire des armes de chasse va signifier pour les chasseurs l'élimination des délais qui étaient trop longs, stopper le sentiment d'être traités comme et à la place des vrais criminels, éliminer la crainte d'avoir un dossier criminel et avoir le sentiment que nos argents sont dépensés pour des bonnes choses. Merci.
Bernard Pelletier, porte-parole, dossier des armes à feu, Fédération québécoise des chasseurs et pêcheurs : Je représente la Fédération québécoise des chasseurs et pêcheurs. Je suis un chasseur depuis 1967; ça vous donne une idée de mon âge. J'ai été moniteur et instructeur en sécurité et pour le maniement des armes à feu pendant 30 ans. Je suis bénévole à la fédération depuis 1979. J'ai donc une certaine expérience du dossier. Je suis aussi vérificateur bénévole du Réseau des vérificateurs du programme canadien des armes à feu de la GRC.
La Fédération québécoise des chasseurs et pêcheurs est un organisme à but non lucratif qui existe depuis 1946 et qui regroupe, grosso modo, 200 associations et 125 000 membres partout au Québec. Une partie de son mandat est de faire de la formation dans l'utilisation sécuritaire des armes à feu, mais c'est seulement une partie. Il y aurait à ce jour un peu plus d'un million de détenteurs de certificats du chasseur au Québec présentement. Pour vous donner une idée, chaque année c'est environ 408 000 chasseurs selon les chiffres du ministère des Ressources naturelles et de la Faune; c'est 408 000 chasseurs qui s'exercent en forêt et qui dépensent autour de 308 millions de dollars, dont à peu près 40 millions de dollars reviennent au gouvernement fédéral et presque 50 millions de dollars au gouvernement provincial. Cela représente environ 3 320 emplois au Québec. C'est quand même quelque chose d'assez important.
D'année en année, on se rend compte qu'il y a une tendance à la hausse. Il y a de plus en plus de gens qui participent à nos formations, comme Mme Larente l'a indiqué. L'an passé, 16 500 personnes ont été formées par Sécurité nature.
Il faut comprendre que ce qui est particulier au Québec, c'est que pour obtenir un certificat de chasseur, le candidat doit absolument suivre au complet le cours canadien de sécurité dans le maniement des armes à feu.
Ailleurs au Canada, on peut passer un examen et c'est reconnu comme valide pour avoir suivi le cours canadien de sécurité. Pas au Québec. Au Québec, on exige que les gens se présentent, suivent le cours et ensuite passent les examens. S'ajoute à cela le cours d'initiation à la chasse avec les armes à feu. C'est quand même quelque chose d'assez encadré.
D'autre part, comme plusieurs des intervenants l'ont déjà dit, au Canada on doit détenir un permis d'armes à feu pour pouvoir en acquérir. Et dans ce cas-ci, c'est un permis renouvelable aux cinq ans. Donc tous les cinq ans, il y a une enquête policière qui est réalisée sur le détenteur de ce permis.
Je ne sais pas s'il y a beaucoup de Canadiens qui subissent ce type d'enquête aussi souvent. J'en doute. Je passe rapidement, car je sais que le temps nous est compté. Je rappellerai simplement que c'est la Fédération québécoise des chasseurs et pêcheurs qui a demandé, en 1969, de mettre en place un cours de sécurité pour les chasseurs au Québec. C'est nous qui avons obtenu en 1972 que ce cours devienne obligatoire. Nous nous soucions donc de la sécurité des chasseurs, mais aussi de la population en général.
Cela m'amène aux conséquences du registre des armes longues. Tous mes commentaires concerneront uniquement les armes longues, c'est-à-dire les armes permises pour la chasse au Canada. Les autres — les armes à autorisation restreinte et prohibées — sont interdites pour la chasse chez nous, donc je n'en parlerai pas.
Mme Larente en a parlé tout à l'heure; ça dénature la vision qu'on a des chasseurs. On les assimile à des criminels parce qu'ils vont faire usage d'armes à feu ou qu'ils posséderont des armes à feu. De façon générale, ce sont des gens qui respectent la loi. Vous n'aurez pas de permis d'armes à feu à tous les cinq ans si vous ne respectez pas la loi. Qu'on m'explique cela autrement sinon, à moins qu'il y ait des trous dans le système quelque part.
Je reviens sur ce qui a été dit aussi par plusieurs personnes; c'est extraordinaire et inadmissible de constater qu'un citoyen honnête puisse être considéré comme un criminel pour une omission administrative comme celle de ne pas avoir enregistré une arme à feu. C'est impensable selon nous.
D'autre part, on a eu plusieurs recherches, plusieurs travaux qui ont été faits par différents chercheurs. Je sais que vous recevrez le professeur Mauser au comité qui vous expliquera son point de vue. Mais une recherche particulièrement intéressante a été faite par Mmes Baker et Singh, des chercheuses australiennes, publiée dans le journal le 16 mars, qui dit que, par exemple, la Nouvelle-Zélande où il n'y a aucun registre d'armes à feu, qui est l'endroit le plus flexible par rapport aux armes à feu, c'est l'endroit où il y a le moins de problèmes, les moins d'homicides.
Je passe rapidement. Je ne reviendrai pas sur les coûts du registre, la discussion est inutile. Je vais plutôt insister sur le fait qu'on attribue des vertus à ce registre qu'il n'a pas. Entre autres, d'avoir un impact sur les homicides au Canada. Ceux-ci au Canada diminuent depuis 1980, de façon régulière, avant même de penser à l'existence du registre. J'ai ici l'étude de statistiques sur les homicides en 2010. On constate que les armes à feu sont encore impliquées pour à peu près le tiers des homicides au Canada et comme les armes blanches, les couteaux le sont encore. Cela se maintient au fil des années. La plupart des armes à feu utilisées dans ces cas sont des armes illégales, donc non enregistrées. Je laisse cela à votre considération.
En ce qui nous concerne, la solution repose davantage dans l'éducation, la mobilisation, la sensibilisation des utilisateurs et des gens qui gravitent autour d'eux. Par exemple, il faut financer des programmes qui soutiendront les jeunes en milieu défavorisé, les programmes sociaux qui viennent en aide aux victimes et assurer l'efficacité des contrôles aux postes frontaliers.
Le problème n'est pas avec les armes légales mais avec les armes illégales passées sous le manteau aux frontières ou ailleurs. Il faut se concentrer là-dessus. Au lieu de contrôler le marteau, il faut contrôler la personne qui utilise le marteau et le contrôle, le meilleur à long terme, c'est l'éducation.
[Traduction]
Le président : Merci, monsieur Pelletier. Je soupçonne que vous vouliez parler d'autres choses. Vous pourrez peut- être les aborder lorsqu'on vous posera des questions.
Vous avez cité une étude que vous aviez entre les mains. Est-ce que vous aviez prévu de nous la laisser? Souhaitez- vous nous laisser le document?
[Français]
M. Pelletier : Je l'ai sur une clé USB. Si les membres du comité veulent en prendre connaissance, je l'ai ici.
[Traduction]
Le président : Je vous laisse déterminer si l'information est pertinente par rapport à notre étude. Si vous voulez bien nous laisser un exemplaire, nous serions heureux de l'avoir.
M. Pelletier : Je pense que c'est quelque chose d'intéressant à lire.
Le président : C'est bien. Si vous pouviez nous laisser un exemplaire, nous vous en serions reconnaissants.
Nous allons entamer la période de questions, en commençant par la vice-présidente du comité, madame le sénateur Fraser.
[Français]
Le sénateur Fraser : Merci d'avoir accepté notre invitation, les délais étaient courts, donc on apprécie votre présence. Tout d'abord, tous les deux, vous avez parlé du sentiment qu'on a essayé de criminaliser les honnêtes gens. Je peux vous dire que ce n'est pas un secret, je suis pour le maintien du registre, mais ce n'est pas pour criminaliser les honnêtes citoyens. Mais c'est plutôt qu'il y a une proportion d'armes d'épaule, pas énormes, mais très dangereuses qui circulent dans l'illégalité. Mais pour vous, on sait que vous n'êtes pas des criminels et vous ne seriez pas des bénévoles dans une association comme la vôtre depuis le temps que vous l'êtes si vous n'étiez pas dévoués aux intérêts des citoyens.
Mais est-ce que cela vous semblerait utile, si on abolit le Registre pour les armes d'épaule et qu'on revenait à l'ancien système où le marchand qui vend l'arme doit tenir des dossiers sur les armes qu'il vend?
Mme Larente : Je crois que le registre ne changera rien. Par la suite, l'arme peut être transportée, un mois, un an ou deux ans, après le registre n'aura plus de valeur. Est-ce vraiment nécessaire de dépenser pour cela? Le marchand doit s'assurer que la personne qui achètera une arme ait un permis d'acquisition et de possession, c'est garanti.
Le sénateur Fraser : Cela devrait-il être obligatoire que le marchand vérifie?
Mme Larente : Il faut que la personne ait la qualification de possession d'armes, que ce soit une personne qui n'est pas dangereuse envers autrui.
Le sénateur Fraser : Un des témoins, qui a témoigné avant vous, a dit qu'à un moment donné, avant de devenir policier et lui il est contre le registre, il avait travaillé dans un magasin où on vendait des armes à feu. Selon lui, ce n'était pas du tout onéreux de tenir des dossiers sur lesquels je vous ai posé une question. C'est pour votre information. Auriez-vous des commentaires, monsieur Pelletier?
M. Pelletier : C'est une méthode qui est inefficace, comme madame Larente le disait, après qu'arrive-t-il avec l'arme? On n'en sait pas plus, on tourne en rond. Si je me fie à ce que j'ai lu de la version de l'article 23, la personne qui vend une arme à feu doit s'assurer que la personne qui achète détient bien un permis d'armes à feu en règle et valide.
Le sénateur Fraser : Où trouvez-vous cela?
M. Pelletier : Dans la révision du texte.
Le sénateur Fraser : Pas le permis, mais que le marchand doit s'assurer.
M. Pelletier : La cession d'une arme à feu autre qu'une arme à feu prohibée et cetera est permise, si au moment où elle s'opère, le cessionnaire est effectivement titulaire d'un permis l'autorisant à acquérir et à posséder une arme à feu. Le cédant n'a aucun motif de croire que le cessionnaire n'est pas autorisé à acquérir et à posséder une telle arme à feu.
Le sénateur Fraser : Le cédant n'est pas obligé de vérifier. Il incombe à l'acheteur d'avoir un permis, mais le vendeur n'est pas obligé.
M. Pelletier : Je ne suis pas juriste.
Le sénateur Fraser : C'est pour cela qu'on est là. Les sénateurs ont l'habitude d'examiner les virgules et les points virgules de chaque projet de loi. On parle de la même partie du projet de loi.
[Traduction]
Le président : J'ai une question complémentaire. Le lien est peut-être un peu mince, cependant.
Le sénateur Fraser : Peu importe. Vous êtes le président : vous en avez le droit.
Le président : Vous avez effleuré le sujet, alors je vais tenter une question.
Madame Larente, ma question touche à de nombreux égards au cœur d'un enjeu qui est pertinent aux yeux de beaucoup de gens lorsqu'on parle de l'abolition du registre des armes d'épaule. Vous avez déclaré que vous ne croyez pas que le registre protège les femmes et la société, vous avez abordé certains aspects de la chose dans votre réponse à la question posée par le sénateur Fraser. Que voulez-vous dire? Pourquoi dites-vous que vous ne croyez pas que le registre protège les femmes et la société?
[Français]
Mme Larente : J'ai dit les femmes et la société, en voulant dire que ce n'est pas seulement pour les femmes, car l'arme, qu'elle soit enregistrée ou non, le geste posé le sera quand même, cela ne changera rien. Le registre est là inutilement et ce sont des sous dépensés au mauvais endroit, car la personne, qu'elle soit avec une arme à feu ou une arme blanche, peu importe, si la personne doit être en danger, ce n'est pas l'arme qui fera en sorte qu'elle sera plus à l'aise ou qui fera en sorte qu'elle s'en sauvera. L'arme à feu ou un couteau, si l'acte doit se poser, ce qui va arriver arrivera de toute façon.
[Traduction]
Le président : Ainsi, le problème, pour vous, c'est que la blessure peut être causée par l'arme, mais c'est la personne et ses activités qui ont de l'importance.
[Français]
Mme Larente : Effectivement, c'est la personne. C'est une question d'éducation et d'offre de services. Il a justement été question de cela récemment, des gens qui ont besoin d'aide et qui ne peuvent accéder aux services parce qu'il n'y en a pas suffisamment. On a besoin de financement pour cela. Quand on n'obtient pas l'aide dont on a besoin, on s'enfonce, et c'est quand on touche le fond que souvent, les actes s'accomplissent.
[Traduction]
Le sénateur Lang : J'aimerais souhaiter la bienvenue à nos témoins d'aujourd'hui. Je viens d'une région du pays qui est située à trois fuseaux horaires — trois heures — d'ici. On dirait que vous présentez un exposé au Yukon au nom de la majorité des gens qui vivent là-bas, et je suis sûr que le sénateur Watt serait d'accord. Madame le sénateur Fraser, vous devriez savoir que nous avons l'impression que la loi en vigueur fait de nous des criminels, et je ne pense pas que nous allons nous sentir autrement avant de nous être débarrassés du registre.
Je veux en revenir encore une fois au registre et au fait qu'il est en place depuis une vingtaine d'années. Il pourrait avoir coûté jusqu'à deux milliards de dollars, d'après ce qu'on nous a dit. Nous savons qu'il coûte très cher de le tenir. On peut débattre des chiffres, mais le fait est que, au cours des derniers jours, dans le cadre de nos audiences et aussi à l'autre endroit, nous avons pu constater que le registre est plein d'erreurs, qu'il contient de l'information inexacte, et que par conséquent, il procure un faux sentiment de sécurité, comme Mme Larente l'a dit tout à l'heure.
Dans votre déclaration, vous avez décrit une situation où les policiers ont fait un barrage et arrêté tous les chasseurs qui passaient par là, puis ont enlevé leur carabine à des gens qui étaient là en toute légalité. Pour une raison quelconque, ils les ont confisquées. Je ne sais pas si les chasseurs ont pu les récupérer; vous pourrez peut-être nous le dire. Est-ce que cela ne nous ramène pas au fait que l'information que contient le registre est inexacte et qu'il y a donc des possibilités d'abus et de mauvaise interprétation? Ce sont les chasseurs et les pêcheurs respectueux des lois qui subissent les conséquences, et leurs activités deviennent une activité criminelle. Pouvez-vous dire quelque chose là- dessus?
[Français]
Mme Larente : L'objectif de base du registre, à ma connaissance, était vraiment de contrer la criminalité. Il peut maintenant être utilisé à d'autres fins, comme contrôler de simples citoyens, sans aucune raison. On décide un jour de faire un barrage et de contrôler tous les chasseurs qui sortent de cette zone, sans avoir de justification pour vérifier si l'arme est enregistrée ou pas. Nous sommes devenus des cibles pour des contrôles dont la seule raison d'être est de distribuer des constats d'infractions. C'est ainsi que nous le percevons. Nous nous sentons vraiment considérés comme des potentiels criminels. Nous nous demandons pourquoi c'est nous qui somme visés. Ce registre n'a pas été créé pour nous viser, alors comment se fait-il qu'on nous intercepte juste pour cela?
[Traduction]
Le sénateur Lang : Merci beaucoup. Je trouve qu'il s'agit d'une observation tout à fait valable et que c'est l'opinion des citoyens qui possèdent une arme d'épaule et qui connaissent les armes d'épaule.
J'aimerais aborder un autre sujet. Vous avez tous les deux mentionné le fait que vous participez, d'une façon ou d'une autre, à l'instruction des personnes qui veulent obtenir un permis. Monsieur Pelletier, vous pourriez peut-être nous en dire plus là-dessus. Le processus est-il suffisamment strict? Est-ce qu'il permet dans bien des cas de repérer les personnes qui ne devraient pas détenir de permis?
[Français]
M. Pelletier : À ma connaissance, oui. Quand j'étais instructeur — j'ai cessé mes activités l'année dernière —, on insistait beaucoup auprès des candidats moniteurs pour que les gens prennent conscience de cela et qu'ils y soient attentifs.
Personnellement, comme moniteur, quand j'avais un doute sur un candidat, par exemple, sur un étudiant qui voulait suivre le Cours canadien de sécurité de maniement des armes à feu, je faisais des vérifications, et c'est normal. Et même comme tireur, si j'ai connaissance que mon voisin a des problèmes, je vais essayer de l'aider d'une façon ou d'une autre pour justement éviter ce genre de situation.
Souvent, on regarde les gestes posés, les événements malheureux qui se sont produits au Québec, entre autres, et ce sont souvent des gens qui n'ont pas eu de support, de soutien de leur milieu, qui se sont retrouvés dans des situations de problèmes de santé mentale et dont personne ne s'est occupé.
Alors comme moniteur, il faut être attentif à ça. Nous ne sommes pas des policiers, nous ne sommes pas là pour dire qui peut l'avoir ou pas. Nous sommes là pour donner une formation de base et nous assurer que les gens qui vont terminer le cours, après une fin de semaine ou deux fins de semaine, cela dépend des gens, seront qualifiés pour faire une demande de permis de possession ou d'acquisition d'arme à feu.
[Traduction]
Le sénateur Fraser : Pour le compte rendu, je répéterai en réponse au sénateur Lang que je ne nie pas la réalité du sentiment en question. Je sais que beaucoup de gens qui possèdent des armes ont l'impression que la loi fait d'eux des criminels.
Tout ce que je disais, c'est que ce n'est pas ce qui motive ceux d'entre nous qui souhaitent conserver le registre. Bien au contraire, s'il y a des personnes qui ne sont pas des criminels, ce sont bien celles-là. Je ne nie pas la réalité de l'émotion qui est exprimée.
L'autre chose que je veux dire pour le compte rendu, c'est que, même si nous entendons beaucoup parler du coût du registre, la GRC a dit qu'elle va épargner quatre millions de dollars par année si le registre des armes d'épaule est aboli. Quatre millions de dollars, c'est de l'argent; si je gagnais cette somme à la loterie, j'en serais très, très heureuse, mais c'est bien loin de certains des chiffres que nous avons entendus.
Le président : Je comprends pourquoi vous avez fait ce commentaire, mais, si vous pouviez l'adresser à un témoin, ce pourrait être une question utile.
Le sénateur Fraser : C'était une précision.
Le président : Vous cherchez à obtenir une réaction de la part du sénateur Lang.
Le sénateur Fraser : Mais il s'en va.
Le président : En tout cas, pouvons-nous simplement garder cela à l'esprit pour la suite?
[Français]
Le sénateur Hervieux-Payette : Madame Larente, vous avez parlé plus tôt que des chasseurs ont été interceptés sur l'autoroute en période de chasse. J'ai aussi déjà été interceptée sur l'autoroute des Laurentides, un vendredi soir, alors que tout le monde va à la campagne. Je n'avais pas fait de vitesse ni conduit de façon dangereuse. On m'a demandé mon permis de conduire et mon certificat d'immatriculation, et je les ai donnés, mais je n'étais pas en état d'ébriété.
Est-ce que vous trouvez que le fait d'intercepter une personne sans raison apparente est une chose à laquelle on ne peut pas s'attendre lorsqu'on est propriétaire d'un véhicule? Je n'ai pas protesté contre le policier qui m'a arrêtée. Je lui ai simplement dit que je n'avais pas bu et que je m'en allais à la campagne.
Mme Larente : Je comprends très bien que l'agent faisait son travail sur son terrain à lui, mais je parle d'un agent de la Sûreté du Québec, qui est venu sur un terrain de chasse, c'est-à-dire en terrain boisé. Cet agent patrouille habituellement sur des chemins asphaltés, sur les routes provinciales ou municipales, pas dans des chemins forestiers. Pourquoi est-il venu se placer en bordure d'un chemin forestier pour vérifier les chasseurs? L'objectif était donc vraiment sur cela, pas seulement pour vérifier les gens qui sortent, comme il le ferait normalement lors de sa patrouille. Ce n'était pas vraiment sa place.
Le sénateur Hervieux-Payette : Je peux vous dire que nos policiers, généralement, sont cachés derrière les piliers des viaducs, et on ne les voit habituellement pas.
Mme Larente : Mais le travail des policiers est de vérifier les gens qui conduisent des voitures et non pas ceux qui reviennent de la chasse.
Le sénateur Hervieux-Payette : La question, ici, c'est l'enregistrement d'une arme ou d'une voiture afin d'être conforme aux lois. Ne serait-il pas mieux que vos membres enregistrent leurs armes, afin tout simplement de s'assurer que toutes les mesures de sécurité nécessaires sont prises, mesures que la plupart des chefs de police nous ont recommandées? Ne vaudrait-il pas mieux de recevoir une amende plutôt que de commettre un acte criminel? Ne serait-il pas plus simple de s'assurer que tout le monde possède un permis, ce qui permettrait également de savoir si la personne a obtenu légalement son arme plutôt que de commettre un acte criminel et d'encourir des peines et toute sorte d'ennuis?
Entre vous et moi, il y a des gens qui ont des armes illégales. On a dit ça devant nous. Est-ce que vous trouveriez abusif qu'on exige un enregistrement et le défaut ou le retard n'entraînerait qu'une amende? Est-ce que ce serait tellement pénalisant par rapport à ceux qui ne sont pas des chasseurs?
Mme Larente : Ce n'est pas nécessaire.
M. Pelletier : Pour nous, la question n'est pas là. C'est un outil inefficace. On se sert du mauvais outil pour arriver à augmenter la sécurité publique. Si j'étais en économie, je vous dirais qu'on vient de tomber dans la loi des rendements décroissants. Je peux augmenter la production de mon jardin en ajoutant de l'engrais, mais si je mets trop d'engrais, non seulement je n'atteindrai pas mes objectifs mais je vais détruire mon jardin. On en est là avec ce type de loi où, systématiquement, on vise l'honnête citoyen. Le criminel, pendant ce temps, peut bien se promener en forêt comme il veut, où il veut, avec les armes qu'il veut ou en pleine ville. On s'en fout et il s'en fout. Nous, on ne peut rien faire là- dessus.
Par exemple, au Québec on a en plus la loi 9, qui dit qu'une personne, un chasseur ne peut pas aller dans une cours d'école avec une arme à feu cachée dans sa voiture. D'accord. Et alors? Le criminel, ça va l'empêcher d'entrer dans une cours d'école avec une arme dans sa voiture? C'est inapproprié. Dans une période où on est en restriction budgétaire partout et où on cherche de l'argent partout, peu importe que ce soit aussi peu que quatre millions de dollars par année, je connais beaucoup d'organismes communautaires qui seraient heureux d'avoir ces quatre million de dollars. Ils pourraient faire des choses beaucoup plus positives pour la société que ce registre.
Le sénateur Hervieux-Payette : Donc, toutes les associations de police sont dans les patates, elles ne connaissent pas ça, la sécurité?
M. Pelletier : Je respecte infiniment leur point de vue.
Le sénateur Hervieux-Payette : Vous dites que c'est inutile. Je vous dis que plusieurs associations de policiers sont venues nous dire que c'est très utile dans la chaîne des outils pour exercer leur métier.
Vous êtes détenteur de permis et vous enseignez. Je ne vois pas en quoi je prendrais l'expertise de quelqu'un qui, à toutes fins pratiques, n'a pas à administrer le dit registre. Ce sont les policiers qui s'occupent de ça.
M. Pelletier : À ce moment-là, comment vous expliquez les événements de Kilam. Alors que des policiers vont saisir une arme à feu déjà identifiée et que deux policiers ont été blessés. Il y a un registre des armes à feu. Comment ça se fait? C'est miraculeux?
Le sénateur Hervieux-Payette : Je ne vois pas le lien.
M. Pelletier : Le lien est simple; c'était déjà une arme connue. Les policiers savaient qu'il y avait des armes sur place. Il y a quand même eu des policiers blessés. Le problème n'est pas l'arme, mais l'utilisateur de l'arme. C'est sur les gens qu'il faut travailler et d'une façon positive. C'est sûr que pour les criminels il n'y a pas de pitié, il faut les éliminer, point; les sortir du système de façon à ce qu'ils ne fassent plus de tort. Mais les honnêtes citoyens, s'il vous plaît, laissez les travailler, laissez les tranquilles.
[Traduction]
Le sénateur White : Monsieur Pelletier, avez-vous un permis de possession et d'acquisition?
M. Pelletier : Oui.
Le sénateur White : J'en ai un moi aussi. Vous possédez une carabine, et il est possible que je n'en aie pas. Je peux emprunter la vôtre et aller chasser, n'est-ce pas?
M. Pelletier : Oui.
Le sénateur White : La carabine n'est pas enregistrée à mon nom.
M. Pelletier : Non
Le sénateur White : Merci beaucoup.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Bravo, madame Larente. Vous occupez un champ d'activités principalement occupé par les hommes. J'ai travaillé 15 ans au ministère de la Faune. Je savais qu'à ce moment-là il y avait très peu de femmes qui pratiquaient cette activité très utile qu'est la chasse.
Monsieur Pelletier, c'est un plaisir de vous revoir; ancien voisin de l'Abitibi.
Madame Larente, considérez-vous que plus on est loin des régions, comme en Abitibi, au Lac Saint-Jean, sur la Côte-Nord, en Beauce, en Gaspésie, plus on est loin de la pratique d'une activité qu'on appelle la chasse et qui est une activité de gestion de la faune, et plus l'arme à feu devient dangereuse dans l'esprit des gens. Elle devient même un symbole de criminalité. Et plus on oblige dans le fond que c'est l'arme qui est dangereuse et non celui qui le possède?
Mme Larente : Non. L'arme en elle-même, c'est l'utilisateur. Que la personne habite en Abitibi-Témiscamingue ou à Gatineau ou Montréal, c'est la même chose.
Le sénateur Boisvenu : Plus on est loin des régions où se pratique l'activité comme la chasse et le trappage, plus on a une perception négative de l'arme à feu. Et ce n'est pas celui qui possède l'arme qu'on criminalise, c'est l'arme comme telle qui devient un outil de criminalité.
Mme Larente : Les gens ont tendance à penser ça.
Le sénateur Boisvenu : Dans votre association, il y a beaucoup de femmes. On sait que le registre est beaucoup lié à ce combat que les femmes ont mené, surtout après la tragédie de la Polytechnique. C'est quoi la perception des femmes dans votre association par rapport au registre? Et cette espèce de contradiction avec un discours où il faut protéger les femmes dans notre société?
Mme Larente : Ça revient à parler un peu de l'éducation et de la sensibilisation des gens parce je peux vous dire qu'il y a des femmes qui entrent dans le cours et qui disent avoir peur des armes. Elles veulent suivre le cours parce qu'elles veulent aller avec leur mari ou leurs fils à la chasse. Quand elles suivent le cours et qu'elles ont manipulé les armes, ça leur fait prendre conscience que l'arme en elle-même n'est pas dangereuse. Elles terminent en étant tellement fières et rassurées de dire que finalement ce n'est pas si dangereux que ça une arme. Il faut seulement que les gens soient prêts à les manipuler. C'est quelque chose qui ressort constamment des témoignages de femmes qui font les formations.
Le sénateur Boisvenu : Monsieur Pelletier, vous avez parlé tantôt d'une étude que j'ai en ma possession. Il s'agit d'une étude comparée Canada, Angleterre et Australie.
Le Canada a adopté son régime en 1995, mais l'a mis en place 2002; l'Angleterre en 1995, et la Nouvelle-Zélande l'a aboli en 2000.
Les statistiques disent qu'au Canada le taux de décroissance de la criminalité est constant à 1,7 depuis 1986; l'Australie à 6,6 et la Nouvelle-Zélande qui n'a pas de contrôle pour les armes de chasse est à 7,7. Ça vous dit quoi comme chasseur?
M. Pelletier : Ça démontre ce dont on discute depuis tout à l'heure, soit que ce type de registre ne sert à rien. Ce n'est pas ce qui va diminuer la criminalité. Par contre, ce que ça dit aussi, c'est qu'on devrait augmenter l'éducation auprès des chasseurs et de la population en général. Mettez-vous à la place d'un enfant de quatre ou cinq ans aujourd'hui qui commence à regarder la télévision, qu'est-ce qu'il va voir? Il va voir à peu près, dans une journée, plusieurs dizaines de meurtre à la télé commis avec des armes. Ils ne feront pas la différence avec le type d'arme. Au cinéma, c'est la même chose. Et ça, c'est l'éducation que notre société accepte de donner à ses citoyens sur les armes à feu. Ça, c'est quelque chose de scandaleux quant à nous. Donnons l'éducation aux gens pour leur faire comprendre ce qu'est une arme à feu. C'est la même chose quand vous formez des gens pour aller travailler en forêt. Vous leur montrez comment ça marche une scie à chaîne. Une scie à chaîne qu'on ne sait pas utiliser, c'est une jambe coupée. Les armes à feu — je le répète — pour nous, ce sont des outils. C'est la même chose qu'un marteau ou une scie à chaîne. Il faut apprendre à s'en servir dans le respect des autres. Il y a des éléments dans nos cours qu'on donnait même avant que la loi existe concernant l'entreposage sécuritaire. Maintenant, c'est régi par la loi, mais avant ce ne l'était pas de la même façon. On a toujours dit qu'il fallait entreposer les armes de façon sécuritaire. On donne des méthodes. Il y a une étude qui commence à dater aujourd'hui, mais de 1998, du professeur Jean Caron, de l'Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, qui a trouvé que le meilleur impact sur le taux de suicide pouvait être fait par l'entreposage. Rendre l'accès aux armes le plus difficile possible pour ne pas qu'on puisse agir sur un coup de tête.
Le sénateur Chaput : Ma question s'adresse à vous deux. Vous appuyez l'abolition du registre canadien des armes à feu. Vous êtes des gens et des chasseurs honnêtes et vous vous sentiez traités comme des criminels à cause de ce registre. Je respecte énormément ce que vous dites.
J'ai déjà entendu ce genre de commentaires chez moi au Manitoba. On met de côté le registre, il est aboli. Je veux traiter du permis pour acheter une arme à feu. Est-ce qu'à votre avis, c'est tout à fait normal d'être obligé d'avoir un permis avant pour aller acheter une arme à feu et, est-ce que ce serait aussi très normal que la personne qui vend l'arme à feu soit obligée de vérifier la légalité de votre permis lors de l'achat? Est-ce que ce serait aussi normal?
Mme Larente : Pour la question no un, c'est normal qu'on ait un permis de possession. C'est ce qui nous qualifie et nous dit qu'on n'est pas une personne dangereuse et qui peut manipuler une arme.
Pour votre deuxième question, le fait que la personne valide que l'autre ait son permis de possession ou non, ce n'est pas vraiment nécessaire. Par exemple, quand la personne va se faire intercepter parce qu'elle est en activité avec une arme, ça va être sa responsabilité à elle d'avoir son permis de possession ou d'autorisation. On va l'appeler permis d'autorisation maintenant, un permis d'armes à feu. C'est celui qui va se faire intercepter qui va être en infraction. Ce n'est pas celui qui va lui avoir cédé ou vendu.
Le sénateur Chaput : D'après vous, la responsabilité est celle de la personne qui achète et non la personne qui vend?
Mme Larente : La personne qui achète.
Le sénateur Chaput : Qu'est-ce qu'on fait avec le fait qu'un de nos témoins nous a dit et ce n'est pas le seul, que ce sont les personnes qui sont dangereuses et non les armes à feu? Ces personnes dangereuses, par exemple, pourraient aller acheter avec un permis non valide et non vérifié par le vendeur? Qu'est-ce qu'on fait avec ça?
Mme Larente : Si on parle d'une arme achetée pour la première fois, je pense que j'ai peut-être mal compris la question, pour la première fois, oui, ça peut être important. Sauf quand il y a cession par la suite, l'individu ne jouera pas à la police. Il peut lui demander mais s'il n'est pas valide son permis pour une raison x, ça ne deviendra pas la responsabilité du cédant.
Le sénateur Chaput : Le premier achat, ça va.
Mme Larente : Mais pour les autres, il n'y a pas de problème.
Le sénateur Chaput : Vouliez-vous ajouter quelque chose, monsieur Pelletier?
M. Pelletier : Non.
Le sénateur Dagenais : Alors on va retrouver la voix. Merci à nos deux invités, ma question est pour madame Larente. Je vous ai entendue parler des délais indus imputables au registre des armes à feu. Et ces délais auraient pu vous mettre dans une situation, il y a un temps pour la chasse et vous n'auriez pas pu aller chasser. J'aimerais vous entendre parler des délais. Évidemment les délais sont imputables au registre.
Mme Larente : Les délais ont beaucoup changé Ils ont raccourci un peu dans les dernières années. Il faut être honnête avec ça. Ça pouvait aller jusqu'à cinq et six mois avant de pouvoir et même neuf mois quand on parle des premières années, et il dit même neuf mois. Un nouvel adepte qui suit son cours au mois de juillet ou août et la saison de chasse est au mois d'octobre. Si on parle de six ou neuf mois, on oublie ça, il a déjà dépensé des sous pour aller à la chasse mais il ne pourra pas y aller. Il devra annuler s'il a déjà réservé ou reporter parce qu'il n'aura pas ses permis ou certificats à temps pour aller pratiquer son activité. De tels délais sont désagréables. S'il y a eu une perte de document, ça cause des délais. Il ne faut pas perdre ce document juste avant de partir pour la chasse parce que tu es fait.
Le sénateur Dagenais : Donc, les délais du registre vous causeraient un préjudice.
Mme Larente : Oui, effectivement.
[Traduction]
Le président : Madame le sénateur Fraser, avez-vous une question de second tour? Si vous n'en avez pas, ce n'est pas grave, mais vous en avez, parfois.
Le sénateur Fraser : J'ai une question complémentaire.
[Français]
Vous avez dit qu'au début c'était très long, mais maintenant, ça peut être quoi, un mois dites-vous?
M. Pelletier : Je n'en ai pas acheté récemment.
Mme Larente : C'est cinq ou six mois encore.
M. Pelletier : Ça se fait assez rapidement encore. C'est quelques jours.
[Traduction]
Le sénateur White : Il s'agit au minimum de 28 jours, mais c'est en moyenne de six à huit semaines.
Le sénateur Lang : Je me demandais si vous vouliez ajouter quelque chose. J'ai trouvé très intéressant que vous disiez, je crois, dans votre exposé que 25 p. 100 des participants ou des gens qui prennent part aux activités de l'organisation sont des femmes. Est-ce que le nombre a augmenté progressivement au fil des ans — disons au cours des 10 dernières années — pour atteindre 25 p. 100? C'est un chiffre assez étonnant.
[Français]
Mme Larente : Dans les dix dernières années, ça a augmenté considérablement, oui, dans les dix dernières années.
[Traduction]
Le président : Chers collègues, voilà qui conclut le temps que nous avions à passer avec le groupe de témoins. Je veux remercier Mme Larente et M. Pelletier, qui connaissent tous les deux très bien le sujet et qui sont assurément passionnés par celui-ci. Leur passion est ressortie très clairement. Vous nous avez éclairés, et nous vous remercions d'avoir pris le temps de venir ici aujourd'hui.
Mesdames et messieurs les sénateurs, nous avons le plaisir d'accueillir notre quatrième groupe de témoins d'aujourd'hui, qui est composé des représentants de deux organisations et d'une personne qui comparaît à titre personnel. Nous recevons M. Bruno Marchand, directeur général de l'Association québécoise de prévention du suicide, et M. Luc Massicotte, coordonnateur de la mobilisation. Nous recevons M. Mathieu Murphy-Perron, directeur général de la Dawson Student Union, et Mme Morgan Crockett, étudiante au Collège Dawson. Nous recevons également une personne qui milite en faveur du contrôle des armes à feu, Mme Francine Anna Dulong. Bienvenue.
Nous allons procéder aux déclarations préliminaires, sans ordre particulier, alors ne soyez pas offensés si je choisis qui commencera. Monsieur Marchand.
[Français]
Bruno Marchand, directeur général, Association québécoise de prévention du suicide : Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, merci de nous consacrer ce temps dans le cadre de l'étude du projet de loi que vous effectuez actuellement.
L'Institut national de santé publique du Québec évalue que les mesures concernant tout ce qui touche la réduction de l'accès aux moyens concernant les armes à feu a permis une réduction de 250 suicides par année pour l'ensemble du pays. Évidemment, on ne pourrait pas dire que ces 250 suicides sont uniquement sauvés à cause du registre. Cependant, l'Organisation mondiale de la santé prend cette position en disant que la réduction de l'accès au moyen est une des quelques mesures qui permettent de réduire significativement les suicides dans un endroit donné.
Pourquoi? Cela peut être assez compliqué pour l'entendement parce qu'on a l'impression que le suicide par arme à feu est une méthode parmi d'autres — et on sait qu'il en existe plusieurs. C'est une méthode parmi d'autres qui permet d'arriver à une fin, pas celle de vouloir mourir parce que la personne vulnérable ne veut pas mourir, mais celle d'arrêter de souffrir.
On pourrait donc penser que cette méthode pourrait être différente selon ce qui est disponible ou non. Or, les études nous démontrent que le choix du moyen n'est pas seulement comme on le ferait, nous, si on décidait d'œuvrer vers un objectif, de se diriger vers un endroit, de prendre l'autobus, l'auto ou d'y aller à pied. Pour la personne vulnérable, le choix du moyen est quelque chose qui lui appartient en propre, consciemment et inconsciemment, qui appartient à sa culture, qui appartient à la civilisation dans laquelle elle vit et qui fait que ce moyen est pour elle quelque chose — cela va vous paraître spécial — qui est précieux pour elle. On sait par les études qu'il n'y a pas de déplacement tactique vers un autre moyen lorsque le moyen n'est pas disponible, du moins à court et à moyen terme.
L'Organisation mondiale de la santé nous dit que la réduction de l'accès au moyen a une incidence sur les taux de suicide. Dans ce cas-ci, on parle des armes à feu, qui est le moyen le plus létal. Quatre-vingt-dix-huit pour cent des gens qui utilisent l'arme à feu pour tenter de se suicider en meurent.
Que fait-on? On éloigne le moyen que la personne pensait utiliser pour abréger ses souffrances et cela nous donne du temps pour intervenir. On pense ici aux policiers, mais aussi aux intervenants et aux gens autour de la personne. Cela donne du temps pour trouver une solution permanente aux problèmes temporaires de la personne qui est dans cette ambivalence de mort et de vie où elle souffre sans savoir comment arrêter de souffrir. Elle a parfois envie de vivre et parfois envie de mourir.
La réduction de l'accès au moyen est une mesure efficace pour prévenir le suicide. Cela dit, un seul registre n'arriverait pas à tout faire. Cependant, c'est une des mesures qui peut, combinée à d'autres — on pourrait en nommer plusieurs au Canada —, permettre d'avoir un impact sur les taux de suicide. Elle permet aussi à l'Institut national de la santé publique, et c'est ce qu'on a illustré dans notre mémoire, de dire qu'on a probablement sauvé 250 vies au Canada, qu'on a probablement prévenu 250 suicides et qu'on a enlevé 250 suicides de nos statistiques parce que le moyen n'était pas accessible et disponible.
Évidemment, on n'est pas utopique au point de penser que tout peut revenir en arrière. Nous sommes contre le projet de loi C-19, mais nous comprenons que le gouvernement canadien a décidé d'aller dans un autre sens et de faire fi des positions de santé publique, notamment en matière de prévention du suicide. Ce sera à vous d'en juger.
Cependant, pour nous il est important de dire — et vous retrouverez ces éléments dans le mémoire, je les résume ainsi, on prie les sénateurs d'évaluer de façon très méticuleuse l'impact que pourrait avoir l'adoption de ce projet de loi et en plus, l'impact que cela pourrait avoir si les amendements n'étaient pas proposés. On propose donc la question de l'imputabilité du marchand, celui qui vend l'arme, dans l'obligation de s'assurer de la validité du permis et de tenir trace de ce qu'il a vendu et acquis.
Nous sommes persuadés des bienfaits du fait, et si vous ne l'êtes pas, laissons les provinces en juger, qu'il faudrait permettre aux provinces de récupérer les données. Il faudra laisser aux provinces le choix de récupérer les données si vous allez dans le sens du projet de loi C-19.
Finalement, parce que mon temps se voit de plus en plus restreint, on travaille très fort — pas seulement sur la question de la réduction — sur des moyens et d'autres mesures pour réduire les suicides au Canada. Je ne vous apprends rien, les ressources dévolues à la prévention du suicide sont quasi inexistantes ou très faibles par rapport à l'importance de ce problème de santé publique qui enlève presque 4 000 Canadiens par année, dépendamment des années.
On pense que dans les amendements, dans ce projet de loi ou par d'autres moyens, qu'il faut travailler sur des mesures à venir qui compenseront les effets négatifs que pourrait avoir ce projet de loi, notamment par des campagnes où on valoriserait l'entreposage sécuritaire, notamment par la distribution de verrous de pontet par des façons de faire en sorte qu'on éloigne et rende moins disponible cette arme à feu qui peut être très létale pour une personne qui ne veut pas mourir et qui n'a rien d'un criminel. Cette situation peut arriver à n'importe lequel d'entre nous dans une période difficile, d'autant plus si le moyen nous est disponible.
On a besoin du gouvernement du Canada pour prévenir les suicides. On en a fait beaucoup, on l'a fait ensemble et on peut en faire encore plus et on pourrait faire en sorte qu'on ne perde plus de Canadiens par suicide, mais seul, le projet de loi C-19 ne permet pas d'avancer, il nous fait reculer. Comment peut-on faire pour le combiner à des mesures efficaces, c'est ce qu'on vous demande.
[Traduction]
Le président : Merci. C'est un gros groupe, et je sais que plusieurs d'entre vous souhaitent présenter une déclaration préliminaire. Encore une fois, dites ce que vous avez à dire, mais n'oubliez pas que le temps que vous prenez est du temps que n'aurons pas pour les questions.
Mathieu Murphy-Perron, directeur général, Dawson Student Union : Merci, monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité. Je m'appelle Mathieu Perron, et je suis membre du personnel de la Dawson Student Union.
Morgan Crockett, membre, étudiante, Collège Dawson, Dawson Student Union : Je m'appelle Morgan Crockett, et je suis étudiante au Collège Dawson. Mes études portent sur le droit, la société et la justice.
M. Murphy-Perron : Nous allons présenter un exposé ensemble, en espérant que cela ne soit pas trop déroutant. Nous allons procéder le plus rapidement possible.
Nous représentons les 10 500 étudiants du Collège Dawson, situé à Westmount, au Québec. Le 13 septembre dernier, nous avons commémoré le cinquième anniversaire de la fusillade qui a eu lieu dans notre école, qui a fait une victime, Anastasia De Sousa, et 19 blessés, avant que le tireur ne s'enlève la vie.
Mme Crockett : Nous sommes ici pour vous demander de faire ce qui s'impose. Le Sénat s'enorgueillit de ce qu'il a toujours écouté ce que les gens avaient à dire sur des questions qui pouvaient avoir été négligées par la Chambre des communes, débattu de ces questions et posé un second regard objectif sur celles-ci. Dans l'intérêt des Canadiens, prenez le temps d'examiner soigneusement le projet de loi C-19 et les répercussions qu'il aura sur la santé et la sécurité de la population. Les étudiants et les jeunes du pays vous regardent et espèrent que vous puissiez les guider.
M. Murphy-Perron : Des gens ont dit qu'on a suffisamment débattu de la question. Cependant, il n'y a pas eu beaucoup de débats sur certaines des dispositions radicales que contient le projet de loi qui est devant vous, c'est-à-dire celles qui supprimeraient la vérification obligatoire du permis des personnes qui font l'achat d'armes à feu sans restrictions et la tenue obligatoire de dossiers sur les armes à feu par les fournisseurs. Ces mesures ne faisaient pas partie des engagements pris par le Parti conservateur aux dernières élections. En fait, lorsque le projet de loi a été présenté à la Chambre des communes en ses moutures antérieures, le gouvernement a dit à l'époque que les dispositions en question aideraient à faire en sorte que les armes n'aboutissent pas dans les mains d'individus qui ne devraient pas y avoir accès, comme des criminels reconnus, et qu'elles aideraient également les enquêteurs à identifier les propriétaires d'armes volées ou à mener des enquêtes criminelles.
Mme Crockett : Nous sommes d'accord. Il s'agit là de mécanismes de protection logiques et rationnels. Le fait qu'on s'en débarrasse sommairement, sous le couvert d'un débat concernant le registre des armes d'épaule, est très inquiétant. Les effets de leur suppression n'ont pas été entièrement et soigneusement examinés. Un manque de diligence raisonnable à l'égard du projet de loi pourrait entraîner des pertes de vies humaines. Nous vous demandons d'examiner soigneusement toutes les conséquences de l'adoption des dispositions en question. S'il y a perte de vies humaines ou que des criminels ne sont pas traduits en justice à cause du contenu du projet de loi, l'ignorance de ce qui y était proposé exactement ne sera pas une excuse.
M. Murphy-Perron : À la Dawson Student Union, nous sommes habitués d'entendre le vieil argument selon lequel le registre n'a pas empêché la fusillade qui a eu lieu dans notre école. Nous répondons aux cyniques que c'est précisément ce que nous avons vécu qui nous a incités à étudier soigneusement tous les aspects de la question. C'est par amour et par empathie pour les victimes et les survivants d'actes de violence commis avec des armes à feu que nous sommes venus témoigner devant vous.
Mme Crockett : Le Beretta CX-4 est une arme à autorisation restreinte au Canada, et elle n'est pas visée par le projet de loi C-19. Cela dit, nous aimerions vous rappeler ce qu'a dit la Cour suprême du Canada : « On ne peut pas diviser clairement les armes à feu en deux catégories — celles qui sont dangereuses et celles qui ne le sont pas. Toutes les armes à feu sont susceptibles d'utilisation criminelle. Elles sont toutes susceptibles de tuer et de mutiler. »
Le registre des armes à feu n'a pas empêché la fusillade d'avoir lieu, mais les agents de police qui, les premiers, sont arrivés sur place ont dit par la suite que l'information qu'ils ont obtenue grâce au registre les a aidés à intervenir efficacement. Le registre leur a permis de savoir quel type d'armes le tireur possédait et combien il en possédait, ainsi que d'obtenir sa photo de permis.
M. Murphy-Perron : Dans les jours qui ont suivi, la Sûreté du Québec a utilisé le registre pour identifier, retracer et désarmer un éventuel imitateur du tireur de Dawson sur Internet. Un jeune de 15 ans qui possédait un permis d'armes à feu valide a affiché, sur un site web dans lequel le tireur de Dawson tenait un blogue, un message de menaces à l'intention des élèves d'une école secondaire de la petite ville de Hudson. Il s'est vanté d'être un meilleur tireur que lui et a déclaré vouloir mourir de la même façon. Il a accompagné son message d'une photo sur laquelle il portait un masque et tenait à la main une arme appartenant à son père. Le registre a été un outil essentiel — et nous reconnaissons le fait qu'il s'agit d'un outil — pour l'empêcher de détruire la vie de milliers de personnes.
Mme Crockett : Lorsque nos lois sont insuffisantes, nous ne pouvons pas simplement hausser les épaules et accepter l'échec. Notre responsabilité est de cerner les lacunes du système et de les combler. Nous pouvons témoigner du fait que les coûts engendrés par la violence liée aux armes à feu sont élevés et nous ne pouvons tout simplement pas nous permettre d'affaiblir les mesures de contrôle des armes à feu.
M. Murphy-Perron : Nous comprenons que les Canadiens aient des doutes concernant l'utilité du programme ou pensent que l'enregistrement de leurs armes à feu est difficile et complexe, mais nous leur tendons la main, l'esprit ouvert, dans le but de trouver un terrain d'entente.
Des idées intéressantes visant à faire en sorte que le registre fonctionne pour tout le monde ont été proposées. Des députés ont proposé l'idée brillante de réunir des militants qui sont pour le registre des armes à feu et des gens qui s'y opposent pour qu'ils puissent se parler et trouver une solution qui fera le bonheur de tous. Nous demandons le maintien du registre, de la vérification obligatoire du permis et de l'obligation pour les fournisseurs de tenir des dossiers sur les armes à feu qu'ils vendent, et nous demandons la poursuite du dialogue. Le débat n'a pas à être une source de divisions comme on le prétend. Tout ce que nous voulons, c'est de dialoguer et d'en arriver à un compromis.
Mme Crockett : Les Canadiens ont assumé tous ensemble les coûts liés au registre. Les Québécois en particulier voient le registre comme faisant partie intégrante de leurs valeurs. À trois reprises, l'Assemblée nationale du Québec a voté à l'unanimité pour le maintien du registre. Le gouvernement fédéral ne devrait pas refuser aux contribuables québécois l'accès à des données dont ils ont assumé le coût et pour lequel ils ont dépensé des millions en frais juridiques.
M. Murphy-Perron : Nous espérons que le comité s'acquittera de la tâche qui lui incombe, examinera tous les éléments du projet de loi et fera preuve de diligence raisonnable en s'assurant que toutes les facettes du projet de loi C- 19 sont examinées avec soin. Merci beaucoup de votre attention.
Le président : Merci beaucoup de votre exposé.
Madame Dulong, avez-vous une déclaration préliminaire à faire?
Francine Anna Dulong, à titre personnel : Oui.
Merci beaucoup, monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, de m'accorder du temps pour que je puisse vous parler de ce sujet important. Je suis ici à titre d'enseignante, de citoyenne canadienne et de fille en deuil, et parce que je vais être témoin du fait qu'une faille dans le régime de ventes des armes va devenir réalité au Canada en raison de l'adoption du projet de loi. C'est le genre de faille qui constitue l'un des deux membres de l'équation ayant présidé au décès de ma mère, Jocelyne Couture-Nowak, à l'Université Virginia Teck, aux États-Unis, il y a moins de cinq ans.
Toutes les armes à feu peuvent servir à tuer, et toute arme placée entre les mains de la mauvaise personne est dangereuse. Dans le domaine du contrôle des armes à feu, il y a une équation à deux membres : la facilité d'accès, ce qui représente l'offre, et les gens qui veulent se procurer une arme à feu pour une raison quelconque, ce qui représente la demande.
À l'heure actuelle, que la raison en soit la prévention des fusillades faisant de nombreuses victimes ou d'un seul meurtre, il y a des vérifications obligatoires de permis. Celles-ci garantissent que seules les personnes détenant un permis valide peuvent acheter une arme, avec la tenue de dossiers de vente et l'enregistrement qui permet de retracer les armes détenues légalement. Il s'agit de mécanismes qui fonctionnent ensemble. Le projet de loi C-19 va supprimer non seulement l'enregistrement des armes d'épaule, mais également l'obligation découlant de la loi de vérifier le permis et l'obligation pour le marchand et le fabricant d'armes à feu de garder une trace de la transaction. Nous sommes essentiellement en train de créer un espace ouvert et privé dans lequel les armes à feu pourront aboutir entre les mains des mauvaises personnes, ce qui est exactement ce qui a permis au meurtrier de ma mère de se procurer l'arme avec laquelle il a tué 32 personnes, en a blessé 25 et s'est enlevé la vie. Nous sommes en train de créer une version canadienne de l'exemption qui permet la tenue de foires aux armes à feu.
Les modifications contenues dans le projet de loi C-19 affaiblissent gravement les mécanismes de protection que comporte notre régime de délivrance des permis. En modifiant la loi pour que le critère devienne le fait qu'il n'y a aucune raison de croire qu'une personne ne peut détenir un type donné d'arme, le projet de loi offrira une carte de sortie de prison sans frais aux personnes qui enfreignent la loi lorsqu'elles essaient d'acheter des armes à feu. La vente d'armes à feu à une personne qui ne détient pas de permis demeurera illégale, mais la capacité des tribunaux de déclarer les gens responsables de leur crime sera grandement diminuée. Nous faisons en sorte qu'il incombe à la Couronne de prouver ce que quelqu'un aurait pu croire après la perpétration d'un acte de violence.
D'après l'enquête du coroner qui a suivi le meurtre par balle d'Arlene May en 1998, l'absence de vérification obligatoire du permis était une faille importante de l'ancien système. Son ex-petit ami a été en mesure de se procurer une arme, même si un juge lui avait interdit de détenir une arme à feu comme condition de sa liberté sous caution après qu'il l'a agressée.
Nous devons apprendre de ce qui s'est passé. Le critère selon lequel il n'y a « aucune raison de croire » ne sera tout simplement pas suffisant pour empêcher la vente d'armes à feu à des personnes qui détiennent un permis, mais pas un permis valide.
Le projet de loi C-19 supprime également l'obligation pour les marchands et les fabricants d'armes du Canada de tenir des dossiers concernant les transactions. Il s'agit d'une pratique qui a été adoptée il y a 35 ans, et qui aide la police à retracer les armes utilisées pour commettre un crime et à en supprimer la source.
Les critiques affirment également que le registre est une perte de temps et d'argent, et qu'il contient des lacunes intrinsèques. Cependant, dans de nombreux cas, le registre aide à combattre le commerce illégal d'armes à feu. Je vais vous en présenter deux.
En mars 2011, un marchand d'armes autorisé d'une région rurale du Québec a été accusé d'avoir vendu illégalement 63 armes, dont des armes d'épaule, à des gangs de rue de Montréal. La police a mené une enquête après que trois armes enregistrées au nom de la personne concernée ont été utilisées par les gangs pour commettre des crimes.
Plus récemment, en février 2012, un employé d'un magasin de fournitures de chasse de la Colombie-Britannique a été accusé d'avoir volé 159 armes à feu dans ce magasin et d'en avoir fait le trafic en affichant des annonces sur un site Web populaire auprès des amateurs d'armes à feu. La police a dit que le registre l'avait aidé à arrêter le suspect et à récupérer les armes à feu volées.
Le projet de loi C-19 va rendre les crimes du genre plus faciles à commettre et les cas plus difficiles à résoudre.
Les dispositions du projet de loi ressemblent étrangement à l'exemption qui permet la tenue de foires d'armes à feu aux États-Unis. Aux termes du projet de loi C-19, des carabines et des fusils de chasse peuvent être vendus à des personnes qui ne devraient pas posséder d'armes, comme le meurtrier d'Arlene May, et ces armes deviennent des instruments de crime, de violence et de mort, et elles engendrent un deuil et des traumatismes qui durent toute une vie.
Il y a des gens qui affirment que le projet de loi C-19 va mettre fin à la criminalisation de citoyens respectueux des lois qui possèdent des armes à feu. Il s'agit d'armes inoffensives utilisées seulement pour la chasse et à des fins sportives. J'ai grandi dans une région rurale de la Nouvelle-Écosse, au sein d'une famille de chasseurs, et je comprends leur point de vue. Ce que je demande ne criminalise en rien les gens qui utilisent des armes à feu en toute légalité. La possession d'armes à feu s'assortit de responsabilités, tout comme l'utilisation d'une automobile. Les détenteurs d'armes à feu qui respectent les lois le savent. Ils ont un permis, et ils font enregistrer leurs armes.
Il faut relativement peu de temps pour faire enregistrer une arme, créer un dossier de transactions ou téléphoner pour vérifier la validité d'un permis. Il faut beaucoup plus de temps pour mener une enquête sur un crime commis avec une arme à feu, pour traduire les criminels en justice et pour fournir du soutien à des victimes innocentes et aux membres de leur famille, et il faut toute une vie pour se remettre des actes de violence commis avec une arme à feu.
Ma mère m'a toujours dit qu'au Canada, nous prenons la possession d'armes au sérieux, et que, même si elle n'est pas parfaite, la législation actuelle appuie cette approche tout à fait canadienne. Elle n'est pas parfaite, mais nous pouvons y travailler. Ma mère était fière de travailler dans un pays où l'on œuvre à la prévention de la violence par les armes à feu en informant les gens, en jouant un rôle de chef de file à l'échelle internationale et en appliquant un système judiciaire qui protège les plus vulnérables.
Qu'il s'agisse d'une tragédie nationale ou d'une seule victime, si vous aviez la possibilité d'empêcher une mort provoquée par une arme à feu, ne le feriez-vous pas? Si vous disposiez d'outils pour faire appliquer la justice après une mort violente, les utiliseriez-vous ou est-ce que vous vous en débarrasseriez? Le registre des armes d'épaule fait partie de ces outils. Le projet de loi va permettre que d'autres familles connaissent le même destin que moi et que d'autres personnes trop nombreuses avons connu ce jour-là en Virginie. Je demande humblement au comité de réévaluer le projet de loi C-19 et les modifications qu'il contient dans leur ensemble. Merci.
Le président : Merci, madame Dulong. Nous allons maintenant passer aux questions des membres du comité, en commençant par la vice-présidente, madame le sénateur Fraser.
Le sénateur Fraser : Merci beaucoup d'être ici.
[Français]
Il est très important pour nous de vous entendre.
[Traduction]
Mes condoléances à vous en particulier, madame Dulong. Je sais qu'il n'est pas facile pour les gens qui ont vécu ce que vous avez vécu de venir témoigner devant un comité comme le nôtre, et nous vous en sommes très reconnaissants.
Je trouve que le fil conducteur dans tout ce que vous dites, c'est la question de savoir si les marchands devraient avoir à vérifier la validité du permis au point de vente, s'ils devraient avoir à déterminer non seulement si la personne possède une carte, mais aussi si le permis est valide.
Avez-vous une idée quelconque des répercussions qu'aurait le fait de ne pas exiger la vérification de la validité? Je tiens pour acquis que la vaste majorité des gens qui font l'acquisition d'armes à feu sont de bons citoyens qui veulent aller à la chasse aux canards ou quelque chose du genre. Il faut cependant tenir compte des autres.
Dans le cadre de vos travaux et de vos recherches, avez-vous été en mesure de vous faire une idée quelconque, à partir de telle ou de telle source, de la probabilité ou de la proportion d'acheteurs d'armes à feu qui ne font pas partie des citoyens respectueux des lois que les promoteurs du projet de loi souhaitent protéger, si vous voyez ce que je veux dire. Quelqu'un en a-t-il une idée?
Mme Dulong : Lorsque j'ai cité l'exemple de ce qui s'est passé en février 2012, il s'agissait effectivement d'un marchand d'armes qui utilisait le système pour voler des armes et utilisait le registre pour légitimer ce qu'il faisait. On peut voir aussi beaucoup d'exemples aux États-Unis. Oui, les lois sont différentes dans les deux pays. Toutefois, lorsqu'on assouplit la loi en question, c'est une porte qu'on ouvre.
Vous êtes déjà en train d'ouvrir la porte. Vous envisagez différentes interprétations de la loi en question en ne prescrivant pas d'obligation et en changeant le libellé pour « motif raisonnable de croire ». Il y a l'interprétation du ministre ou du gouvernement, il y a celle des tribunaux et il y a celle des agents de police sur le terrain. L'exemple parfait, dans ce domaine, c'est l'affaire qui est en instance en Floride et qui concerne Trayvon Martin, et la disposition de légitime défense que les Américains appellent stand your ground law. Cette disposition est libellée de façon semblable — « motif raisonnable de croire » qu'il est nécessaire de se défendre —, et il y a trois interprétations différentes d'une disposition législative.
Le sénateur Fraser : Si l'affaire est portée devant les tribunaux.
Mme Dulong : Oui, si elle est portée devant les tribunaux. Le procureur spécial qui a été chargé de l'affaire a dit que la procédure est encore plus exigeante qu'avant, parce que, maintenant, l'État doit établir une preuve hors de tout doute raisonnable même pour porter des accusations ou pour que l'affaire soit soumise à un tribunal.
Le sénateur Fraser : La question que je vais poser maintenant porte sur un sujet différent — ce n'est pas une question complémentaire, mais elle rejoint ma dernière question du premier tour.
Le chef Hanson, du Service de police de Calgary, nous a dit plus tôt aujourd'hui qu'il n'y a pas d'obligation d'enregistrement des armes à feu au point d'entrée au Canada : les marchands d'armes peuvent en importer, et il n'y a pas nécessairement d'enregistrement qui est fait ou qui soit nécessaire.
Le saviez-vous? Il y a d'autres témoins qui semblent penser qu'il y a en fait un enregistrement qui se fait à la frontière, mais le chef Hanson a dit très clairement que ce n'est pas le cas. Savez-vous quoi que ce soit à cet égard?
Mme Dulong : Les fabricants des États-Unis sont tenus de produire des dossiers concernant les transactions, mais les marchands d'armes ne sont que priés de le faire. Je parle de la fabrication.
Je ne sais pas exactement comment les choses fonctionnent au Canada. Ce qui me fait peur, cependant, c'est que nous envisageons de supprimer l'obligation de tenir des dossiers concernant des transactions pour les marchands et les fabricants. Je pense qu'il faudrait examiner cela attentivement.
Le sénateur Fraser : L'une des choses que beaucoup de gens ont suggérées, c'est que nous restaurions le régime dans le cadre duquel c'est le vendeur qui doit tenir les dossiers, comme c'était le cas avant l'instauration du registre.
Mme Dulong : Oui. C'était prévu par les projets de loi antérieurs, et je me demande pourquoi cela ne figure pas dans le projet de loi C-19.
[Français]
Le sénateur Fraser : Est-ce que quelqu'un voudrait ajouter quelque chose?
[Traduction]
Mes deux filles ont fréquenté le Collège Dawson, et je suis heureuse de vous voir ici.
M. Murphy-Perron : Merci de nous avoir invités.
Le sénateur Lang : Je tiens à vous remercier d'être venus ici cet après-midi. Je veux vous assurer à tous qu'aucun des membres du comité ici présents n'a l'intention de mettre les gens en danger. La question qu'on nous pose est sans équivoque : le registre en place ne fonctionne pas. La question qui, je crois, est adressée à tous les membres du comité ici présents, c'est celle de savoir si le registre accomplit ce que certaines personnes pensent qu'il accomplit.
Au cours des dernières semaines, nous avons entendu le témoignage d'agents de police qui travaillent sur le terrain, de gens qui prennent part au quotidien à des activités de chasse et de pêche et de détenteurs d'armes à feu qui ont déclaré que le registre des armes à feu n'accomplit pas ce que nous pensons qu'il devrait accomplir, principalement parce qu'il est conçu de telle manière qu'il est plein de lacunes. Ce qui se passe, au bout du compte, c'est qu'il procure un faux sentiment de sécurité à certains agents de police lorsqu'ils croient que, si le nom d'une personne qui fait l'objet d'une enquête ne figure pas dans l'ordinateur, cela signifie qu'elle ne possède pas d'armes. C'est un faux sentiment de sécurité. On nous le répète constamment. C'est une chose dont nous devons vraiment nous préoccuper en ce qui concerne l'application de la loi.
J'aimerais aborder un sujet qui est selon moi d'une importance capitale et écouter ce que certains d'entre vous ont à dire à cet égard, et il s'agit de la délivrance de permis et des exigences dont elle s'assortit, ainsi que du processus que les gens doivent suivre. Est-ce que quelqu'un ici possède un permis de possession d'armes d'épaule?
M. Murphy-Perron : Non.
Le sénateur Lang : Vous avez évidemment lu le texte de la loi et vous devriez savoir ce qu'une personne doit faire pour pouvoir détenir une arme d'épaule. Croyez-vous que le processus est suffisamment strict? Pour le décrire rapidement, disons qu'on commence par présenter une demande. Il faut subir un examen. L'un des éléments les plus importants, pour la collectivité, c'est qu'il faut donner plusieurs références de la collectivité. Il y a une vérification du casier judiciaire, et ensuite on subit un examen et on suit un cours de deux jours. Il s'agit non pas d'un cours d'une journée, mais bien d'un cours qui dure deux jours.
Pour ce qui est du processus de délivrance de permis et de la demande de permis, croyez-vous qu'il y ait quoi que ce soit d'autre qui puisse se faire? L'idée, c'est bien sûr de faire tout ce qu'il est humainement possible de faire pour empêcher les personnes qui présentent une demande d'enregistrement d'une arme d'épaule et qui n'ont pas les qualifications nécessaires d'obtenir le permis. Pouvez-vous nous dire si le régime est suffisamment strict, et s'il fait ce que nous souhaitons qu'il fasse?
[Français]
Luc Massicotte, coordonnateur de la mobilisation, Association québécoise de prévention du suicide : Probablement que pour avoir accès à une arme, les contrôles sont suffisants. Évidemment, notre point de vue est celui de la prévention de suicide. Le registre des armes permet aussi de protéger le propriétaire d'arme contre sa propre détresse.
Nous ne considérons pas les propriétaires d'arme comme des criminels. Pas du tout. Mais chacun d'entre nous ici pouvons être à un moment donné en grave détresse et l'arme peut devenir, pour soi-même, mais aussi pour les membres de sa famille, quelque chose de très dangereux et le Registre des armes d'épaule permet une meilleure intervention.
Les Canadiens et les Canadiennes sont sensibles à la question de la prévention du suicide — les législateurs aussi avec le projet de loi C-300 — et souhaitent avoir en place tout ce qui est possible pour prévenir les 10 suicides par jour au Canada. Le registre est un outil pertinent et très utile pour sauver des vies, de même que pour les gens qui vivent des situations de détresse, même si elles ont acquis leur arme d'épaule de façon tout à fait légitime et qu'elles remplissaient toutes les conditions pour l'obtenir.
[Traduction]
Le sénateur Lang : C'est très important. Je ne sais pas si vous le savez, mais il y a une autre exigence qui concerne l'entreposage sécuritaire des armes à feu et le fait qu'elles doivent être entreposées séparément des munitions. Les choses que nous pouvons faire dans le cadre de la législation pour prévenir du mieux que nous pouvons le genre de situation que vous venez de décrire ne sont pas infinies.
L'argument qui pourrait être avancé, c'est que l'une des raisons pour lesquelles nous avons été témoins d'une diminution aussi importante du taux de suicide à l'aide d'une arme d'épaule, c'est que le processus de délivrance de permis est strict. Il faut y être admissible. Il faut donner des références de la collectivité. Tous les cinq ans, il faut faire renouveler le permis. Dans les deux années suivant l'obtention du permis, on communique avec l'ex-époux lorsque les conjoints se séparent ou lorsque l'état matrimonial change pour déterminer si le permis devrait être renouvelé ou non et si le titulaire est toujours apte à détenir une arme à feu.
Est-ce que le fait que l'entreposage d'une arme d'épaule et des munitions doit se faire séparément ne constitue pas une autre mesure qui aide à tout le moins à prévenir le genre de situation d'ordre affectif que vous venez d'évoquer et qui est vraiment très malheureux?
[Français]
M. Marchand : Pour la prévention du suicide, vous avez raison. L'entreposage sécuritaire fait partie de l'ensemble des moyens. S'ils ne sont pas utilisés, un registre seul ne serait pas suffisant. Si, après avoir obtenu un permis, après avoir suivi le cours et l'avoir réussi, une personne dont la santé mentale varie parce qu'elle a vécu des difficultés se fait retirer ses armes, elle peut quand même s'en procurer en montrant une pièce qui pourrait ne pas être valide. On va être obligé de se fier sur ce que le vendeur va décider de faire ou ne pas faire, et donc on met la vie de Canadiens en danger; des gens qui pourraient peut-être être protégés autrement par des mesures plus strictes.
Est-ce que les mesures sont suffisantes? Je pense qu'il faut en ajouter. Mais est-ce que c'est l'ensemble des mesures qui fait une différence? Vous avez raison.
[Traduction]
M. Murphy-Perron : Je suis d'accord pour dire que les mesures en place concernant la délivrance de permis sont très strictes, ce qu'il faut applaudir. Toutefois, les mesures ne donnent rien si la vérification du permis n'est pas obligatoire au point de vente d'armes à feu sans restrictions. Cette vérification obligatoire n'est pas prévue par le projet de loi C-19. Tout le travail qui a été fait au cours des dernières décennies n'aura servi à rien si on n'exige pas du fournisseur qu'il vérifie le permis de son client lorsqu'il lui vend une arme à feu sans restrictions. C'est aussi simple que cela.
Le sénateur Jaffer : Je tiens à vous remercier tous d'être venus présenter votre point de vue. Je vais prendre à mon compte ce que le sénateur Fraser a dit, madame Dulong, au sujet du courage dont vous faites preuve en venant ici.
J'ai une question qui s'adresse à MM. Marchand et Massicotte. Vous avez entendu ce que mon collègue, le sénateur Lang, a dit au sujet de l'entreposage des armes à feu, et vous connaissez évidemment ce sujet. J'ai perçu dans ce que vous avez dit une réelle préoccupation à l'égard du fait que les armes à feu sont un moyen rapide de mettre fin à la souffrance. Pouvez-vous préciser votre pensée? Une chose que l'on entend dire par beaucoup de gens — et nous l'avons entendue ici aujourd'hui, c'est qu'il y a d'autres moyens de se suicider. Pourquoi êtes-vous si préoccupés par l'utilisation des armes à feu?
[Français]
M. Marchand : D'abord, l'arme à feu est le moyen le plus létal. Quatre-vingt-dix-huit pour cent des gens qui l'utilisent en décèdent. C'est le moyen qui donne le moins de temps possible pour l'intervention. Même les médicaments qui peuvent être létaux donnent quand même du temps d'intervention. On réussit à récupérer des gens qui auraient ingurgité des médicaments en quantité suffisante, mais dont l'effet n'est pas encore complètement présent. Cela nous permet d'intervenir si on est mis au courant.
Premièrement, l'arme à feu, par sa grande létalité, est une première préoccupation. Deuxièmement, cela concerne un pourcentage de gens qui est quand même important dans tous les suicides commis. Ce n'est pas le moyen le plus utilisé, mais c'est un des moyens les plus utilisés. Ce n'est pas quelque chose de mineur, c'est quelque chose qui enlève la vie de plusieurs Canadiens. Troisièmement, je dirais que c'est peut-être un des moyens, avec les médicaments, où on a le plus de capacité d'agir pour prévenir les suicides parce qu'on peut avoir des outils comme le registre, et d'autres comme l'entreposage, qui ont un effet sur la prévention du suicide. Quand on est capable d'agir de façon aussi efficace, c'est difficile de s'en départir, compte tenu de tous les effets que cela peut créer.
[Traduction]
Le sénateur Jaffer : Le sénateur Lang a décrit toutes les étapes qu'il faut franchir pour obtenir une arme à feu. Ce n'est pas facile. Ces étapes vont demeurer en place. Le processus d'obtention du permis, la formation et toutes les autres choses qu'il a décrites demeureront en place.
Je vous ai écouté attentivement, et j'ai eu l'impression que vous trouvez que nous nous rapprochons de plus en plus de nos voisins du Sud. Maintenant que vous avez entendu ce que le sénateur Lang a dit, êtes-vous convaincus que nous ne sommes pas en train de copier ce que font nos voisins du Sud?
Mme Dulong : Le processus d'obtention d'un permis au Canada est l'élément de notre régime que j'applaudis et la principale différence entre les deux pays sur le plan du contrôle des armes à feu. Le reste du monde, et surtout les États- Unis, attend avec une grande curiosité de voir ce que nous allons décider ici et de voir de quelle nature sera le projet de loi qui sera adopté. De nombreux groupes différents ont exprimé un intérêt.
S'il n'y a pas de vérification obligatoire, si cela ne fonctionne pas en parallèle avec l'enregistrement, de façon à favoriser la manipulation responsable des armes à feu et la responsabilité dans tous les sens du terme, et si ces choses ne sont pas en place avec un moyen quelconque de retracer les armes, si ces trois choses ne fonctionnent pas ensemble, on commence à laisser de plus en plus de trous. C'est ce qui m'inquiète.
Au cours des cinq dernières années, j'ai rencontré de nombreux survivants de plusieurs incidents qui se sont passés aux États-Unis, de grande et de petite envergure — ce qui s'est passé à Tucson, en Arizona, la fusillade de l'école secondaire Chardon, Virginia Tech —, et tous parlent de lacunes dans le système. L'un des éléments les plus importants à leurs yeux, c'est la vente privée d'armes. Nous avons déjà pu constater que le registre permettait de prévenir la vente en ligne, particulièrement. La vente privée, les foires d'armes à feu et l'amnistie constituent des exceptions dont les gens peuvent profiter, et ils le font. La chose s'est déjà produite. C'est ce que j'aimerais empêcher dans notre pays.
Je pense que nous ne devrions pas avoir à nous inquiéter. Personnellement, je ne voudrais pas avoir à m'inquiéter, et je veux aussi être capable de passer à autre chose. Il faut effectivement tenir compte du volet de la chasse. C'est un loisir qui est pratiqué au Canada comme aux États-Unis, alors comment faire pour concilier ces deux choses? Pourquoi reculons-nous et supprimons-nous la disposition concernant la délivrance de permis, les dispositions relatives aux dossiers concernant les transactions en même temps que le registre et mettons-nous tout cela au rancart? Pourquoi ne pas plutôt avancer en trouvant des manières autres que judiciaires de nous débarrasser des procédures administratives qui font des chasseurs des criminels tout en respectant les victimes et en assurant la sécurité publique? Les deux choses ne sont pas mutuellement exclusives.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Je vous remercie de votre témoignage. Dans le même sens que les sénateurs Fraser et Lang, j'ai beaucoup de sympathie pour le drame que vous avez vécu autant en tant qu'intervenant que proche.
Je défends les victimes d'acte criminel comme vous le savez depuis 10 ans suite au meurtre de ma fille. On est toujours chargé d'émotion lorsqu'on a à témoigner concernant un projet de loi qui peut, à la limite, réduire la protection des familles. En tant que proche des victimes, on veut avoir le maximum d'outils pour protéger nos familles et nos proches. En tant que législateur, il faut analyser avec le plus d'objectivité possible; même si c'est difficile parfois de prendre des décisions sur le plan administratif et légal.
Aucune étude ne nous a apporté la preuve qu'il y a un lien direct entre le fait d'enregistrer les armes et la baisse de la criminalité. La baisse des mortalités liées aux armes à feu est observée depuis 1979. Elle est constamment en décroissance au Canada de 1,4 p. 100 depuis 1979. Et même si on a adopté le projet de loi dans son entité en 2002, on n'a pas eu de chute précipitée. Ça s'est plutôt stabilisé pendant les 10 années qui ont suivi l'adoption du registre.
On a aussi observé une diminution de 60 p. 100, depuis 1979, du taux de suicide avec armes à feu, mais une augmentation de 45 p. 100 au moyen de suffocation ou de pendaison. On voit qu'il y a un transfert. On a vu la même chose dans les homicides. On a vu une espèce de transfert des fusils de chasse vers les armes blanches et les armes de poing. Il y a eu un transfert des moyens dont les gens se servent pour se suicider ou commettre des meurtres. Je pense qu'un suicide ou un meurtre, c'est toujours de trop.
J'écoutais cette semaine la publicité de l'Ordre des psychologues du Québec sur les suicides. Ils ne parlent pas de l'enregistrement des armes, mais du remisage sécuritaire des armes. J'aimerais que vous me disiez si j'ai raison ou non. L'enregistrement des armes n'a pas eu plus d'effets parce qu'on ne sait pas trop ce que ça a donné. Mais pour le remisage sécuritaire des armes à feu, la plupart des spécialistes nous disent que cette mesure a eu vraiment un impact sur l'utilisation des armes à feu parce que c'est la proximité des moyens qui fait qu'on l'utilise.
Est-ce que le remisage des armes à feu n'a pas eu plus d'impact que le fait d'enregistrer l'arme?
M. Marchand : Je ne peux pas vous dire si cela en a eu plus ou moins. Je serais bien mal habile de vous le dire. Cependant, ce que les experts nous disent, l'INSPQ a amené que l'ensemble des mesures — il y en a plusieurs, vous parlez de l'entreposage, vous avez raison, on peut parler du maniement d'armes, des cours — nous fait avancer vers la prévention et sauver des vies. L'enregistrement des armes d'épaule était une de ces mesures.
Vous décidez, en tant que gouvernement, d'enlever cette mesure en ne connaissant pas son impact par rapport aux autres et peut-être que d'autres mesures avaient plus d'impact. Mais on sait qu'on ne peut pas dire aujourd'hui qu'elle n'avait pas d'impact ni qu'on ne court pas de risque en l'enlevant. Et cela me fait craindre le pire. On connaît la létalité du moyen. On en a parlé tout à l'heure et c'est la vie de gens vulnérables et non pas de criminels, ce sont des gens vulnérables qu'on veut sauver. On avait là un ensemble de mesures et on en extrait plusieurs. Si j'étais sénateur, cela m'inquièterait.
Le sénateur Boisvenu : Comment expliquer qu'au moment de la mise en place de tous les mécanismes prévus dans le registre en 2002, il y a eu une stabilisation des homicides et des suicides? La décroissance était beaucoup moins rapide, alors qu'au moment où on n'avait pas de registre, ça descendait. Je veux essayer de comprendre pourquoi le registre n'a pas eu d'effet précipitant des suicides alors que de 1979 à 2002, ça descendait chaque année. On n'avait pas de registre. On adopte le registre, et on constate une stabilisation. N'est-ce pas contradictoire?
M. Marchand : Pas dans le cas des suicides. Peut-être dans le cas de la criminalité. Dans le cas des suicides, les statistiques n'ont pas fait ça. Les statistiques, notamment au Québec, ont grimpé jusqu'en 1999 pour décroître ensuite jusqu'en 2009. Nous avons des statistiques pour les dernières années. Elles ont continué à décroître à partir de 2002. La baisse de 32 p. 100, entre 1999 et 2009, est attribuable, selon nous, à l'ensemble des mesures sur la question des armes à feu, mais pas seulement ça. On ne peut pas juste faire cela pour prévenir le suicide.
Le sénateur Boisvenu : Il y a eu beaucoup de prévention.
M. Marchand : Vous avez raison. Et si on avait juste fait la réduction de l'accès au moyen, ce serait insuffisant. Si on n'avait pas fait le registre, on aurait eu un impact parce que les statistiques ont baissé et on le voit dans notre mémoire, on l'a prouvé. Il y a diminution du nombre de suicides par armes à feu de façon importante.
Le sénateur Hervieux-Payette : Plus tôt dans la journée, j'ai cité certaines données de relations de cause à effet entre la possession des armes en général dans une population, c'est-à-dire dans un pays, le pourcentage de personnes qui détiennent une arme à feu est évidemment, très souvent, relié à la libéralisation de la possession des armes à feu.
Là où des législations restreignent ou font la gestion des armes à feu, le taux d'actes criminels réduit de façon considérable. Je vous donne la statistique des Nations Unies. Trente-six pour cent des homicides ont été constatés au niveau mondial, en Afrique; 31 p. 100 aux États-Unis, incluant le Canada puisqu'on fait juste partie d'une statistique; 27 p. 100 en Asie, par contre 5 p. 100 en Europe et 1 p. 100 en Océanie. Quand je regarde au niveau mondial, c'est toujours les Nations Unies qui nous disent que 80 p. 100 des victimes et des auteurs d'homicides sont des hommes et l'autre statistique de 2008 dit que près de 80 p. 100 de toutes les personnes tuées par leur partenaire actuel ou ancien étaient des femmes. Il y a une corrélation directe entre la possession libéralisée des armes, c'est-à-dire comme en Suisse ou aux États-Unis, quand il y a une arme pour deux personnes au pays. Aux États-Unis, c'est même plus élevé que ça.
La question du fameux registre, c'est tout simplement un outil, comme vous dites. Mon père a été chasseur toute sa vie et j'ai mangé de la viande sauvage toute ma vie. Ce n'est pas de punir ces gens; c'est de s'assurer que les armes ne circulent pas comme n'importe quel objet qu'on achète comme une paire de souliers. Il y a une responsabilité parce que c'est un outil qui tue.
[Traduction]
Le président : Madame le sénateur, vous présentez bien des choses qui sont des faits et des opinions, ce qui est très bien si le but est de mettre une question en contexte. Pourriez-vous en arriver à la question?
[Français]
Le sénateur Hervieux-Payette : Madame Dulong, vous avez bien étudié la question. Voyez-vous une relation de cause à effet entre la distribution générale des armes à feu et l'accessibilité très libérale, et les incidents, les homicides, les meurtres et les suicides?
[Traduction]
Mme Dulong : Oui, assurément. Si l'accès est facile, il devient plus facile pour n'importe qui d'obtenir une arme à feu. La facilité d'accès est liée au régime de délivrance de permis. Nous avons un excellent régime de délivrance de permis au pays, mais si on commence à enlever ce qui soutient ce régime, il commence à s'effondrer.
Si vous regardez ce qui se passe aux États-Unis, vous allez constater que c'est le cas. Si vous examinez les chiffres aussi. Il y a de nombreux moyens d'y échapper. Si l'on prend le cas d'Arlene May, qui était un cas de violence conjugale, son partenaire avait un permis qui avait été révoqué, mais il en détenait toujours une copie physique. C'est cette copie physique qu'il a utilisée pour obtenir une arme à feu. Ce genre de choses peut se produire si le projet de loi C-19 est adopté, très facilement.
Le président : Mesdames et messieurs les sénateurs, il va falloir que nous poursuivions. Il reste encore plusieurs sénateurs pour le premier tour, et nous commençons à manquer de temps, ce qui n'est pas étonnant, vu la taille du groupe de témoins que nous sommes très heureux d'avoir devant nous.
Le sénateur White : Merci d'être ici. Mes condoléances.
J'ai écouté attentivement. On a cité le paragraphe 23(1), et je vais le lire :
La cession d'une arme à feu est permise si, au moment où elle s'opère :
a) le cessionnaire est effectivement titulaire d'un permis l'autorisant à acquérir et à posséder une telle arme à feu;
b) le cédant n'a aucun motif de croire que le cessionnaire n'est pas autorisé.
Il s'agit d'un extrait de la Loi sur les armes à feu, et non du projet de loi C-19. Il n'y a aucun changement.
Reconnaissez-vous le fait que la même disposition figure dans la Loi sur les armes à feu et dans le projet de loi C-19? Celle-ci dit en fait que le cessionnaire est titulaire d'un permis — elle ne parle pas du fait de le voir — et que la personne « n'a aucun motif de croire ». Aucun changement n'est apporté à cet égard, ce qu'il faut noter.
M. Murphy-Perron : J'ai devant moi autre chose qui figure aussi dans la Loi sur les armes à feu. Toutefois, je crois qu'un ajout qu'il serait adéquat de faire après cela ressemblerait à ce qui suit : « En cas de cession entre personnes, le cédant vérifie la validité du permis d'armes à feu du cessionnaire auprès du Centre national de dépistage des armes à feu et obtient un numéro de référence concernant cette vérification. » C'est ce qui aurait dû être inclus dans le projet de loi C-19, et je pense que cela aurait dissipé beaucoup de nos préoccupations.
Le sénateur White : Proposez-vous un ajout à la Loi sur les armes à feu dans sa version actuelle, et non seulement au projet de loi C-19?
M. Murphy-Perron : Il y avait dans la Loi sur les armes à feu des dispositions qui réglaient à nos yeux beaucoup des problèmes avec lesquels nous sommes aux prises à l'heure actuelle. Ce que j'ai dit est un ajout.
Le sénateur White : Il ne s'agit pas, néanmoins, de l'exigence de voir le permis.
M. Murphy-Perron : Il n'y a toujours pas d'exigence concernant le fait de voir le permis.
[Français]
Le sénateur Chaput : Ma question a été partiellement répondue, mais je vais la poser quand même. On fait face à la disparition du registre. Il part, il va être aboli. Et maintenant, nous avons le projet de loi C-19 dont nous discutons aujourd'hui, qui est une autre chose.
On s'entend sur le fait que le registre était un outil de plus pour combattre la criminalité. Certaines personnes ne seraient pas d'accord, mais je pense que vous seriez d'accord. On a perdu cet outil. Si j'ai bien compris, pour que le projet de loi C-19 devienne maintenant un outil pour combattre la criminalité, certains d'entre vous ont mentionné qu'il faudrait une obligation de la part du vendeur de vérifier la légalité du permis. Est-ce qu'il y a d'autres points dans le projet de loi C-19 qui auraient besoin d'être modifiés pour que ce projet de loi devienne vraiment un outil pour combattre la criminalité, à part celui-là?
[Traduction]
Mme Dulong : Le rétablissement des dossiers concernant la transaction chez le marchand et le fabricant d'armes.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Je remercie tous les témoins. J'ai eu la chance ce matin de rencontrer M. Marchand et M. Massicotte, je les en remercie d'ailleurs. Vous travaillez pour la prévention du suicide. Savez-vous que si un membre de votre famille est en état de dépression, vous pouvez demander un mandat de la cour pour permettre aux policiers de saisir toutes les armes à feu qui sont dans la maison afin d'éviter qu'un événement malheureux ne se produise?
M. Marchand : Oui.
[Traduction]
Le sénateur Runciman : Merci à tous d'être ici. Il est important pour nous d'entendre votre point de vue. J'ai quelques questions à poser pour obtenir des précisions.
Monsieur Marchand, je pense que vous avez dit dans votre exposé que le registre réduit l'accès aux armes à feu. En quoi réduit-il l'accès? Quel est votre point de vue là-dessus?
[Français]
M. Marchand : Prenons un exemple concret. Je contacte les policiers pour faire retirer les armes de quelqu'un qui serait dans un état non propice à posséder des armes et qui menacerait d'attenter à sa vie. Si cette personne est capable de se rendre chez un marchand et de s'en procurer une autre, parce qu'on n'a pas l'obligation de vérifier la validité de son permis, sa vie est à nouveau menacée et le travail des policiers est annulé. Rendre les armes facilement accessibles ou restreindre la responsabilité du marchand fait en sorte qu'il est beaucoup plus facile pour une personne vulnérable de s'en procurer une autre.
[Traduction]
Le sénateur Runciman : J'aimerais quand même voir le processus de délivrance de permis et de vérification des antécédents réduire l'accès, mais pas une base de données.
Vous dites, à la page 6 de votre mémoire, que le coût du registre est relativement faible, compte tenu des centaines de vies qu'il a permis de sauver. D'où tirez-vous cette information selon laquelle des centaines de vies ont été sauvées par le registre? Est-ce une chose que vous présumez? Nous avons entendu des témoignages selon lesquels rien n'indique que des vies aient été sauvées grâce au registre. Sur quoi vous fondez-vous pour faire cette affirmation?
[Français]
M. Marchand : C'est basé sur deux éléments. D'abord, sur le fait que le nombre de décès par suicide a diminué au Québec depuis l'apparition du registre. Également, sur le fait que l'Institut national de la santé publique, un institut crédible et sérieux, évalue à 250 décès par suicide évités par l'ensemble des mesures, dont la mise en place du registre des armes à feu.
[Traduction]
Le sénateur Runciman : En ce qui concerne les suicides, j'ai ici un document de l'Organisation mondiale de la santé qui indique le taux de suicide dans différents pays. Je présume que vous en avez pris connaissance. Ces chiffres permettent de constater qu'il n'y a aucune corrélation entre les lois concernant les armes à feu et le taux de suicide; en fait, le taux de suicide est plus faible aux États-Unis qu'au Canada, en France et en Finlande.
Comment expliquez-vous ce que vous affirmez à l'égard du registre des armes à feu alors qu'il y a un pays dont les lois sont moins strictes, comme nous le savons tous, et dont le taux de suicide est plus faible d'après l'Organisation mondiale de la santé?
[Français]
M. Marchand : Vous avez raison, on peut observer ces données. Cependant, le suicide est un problème complexe. On ne peut pas le réduire uniquement à la réduction de l'accès au moyen, dont les armes à feu. On pourrait parler, par exemple, de la religion pratiquée. Il est prouvé que dans les endroits où on est catholique, le taux de suicide est plus bas que dans les endroits où on est protestant. On pourrait amener d'autres éléments comme celui-là qui ont, additionnés les uns aux autres, un impact sur les taux de suicide d'un pays. Oui, ils permettent aux États-Unis d'avoir des taux de suicide inférieurs au Canada, mais on sait — et c'est l'Organisation mondiale de la santé qui le dit — que ce n'est pas un exemple banal que celui de réduire l'accès au moyen, notamment auprès des armes à feu, parce que cela a un effet. Il est difficile de comparer le Canada aux États-Unis en matière de suicide parce qu'il y a toute une question culturelle. Cependant, si on réduit l'accès au moyen, on sait qu'on réduit les chances qu'il y ait des suicides.
[Traduction]
Le sénateur Runciman : Je pense que cela a un effet à l'égard des lois concernant les armes à feu. Je crois que nous pouvons affirmer que ce sont les États-Unis qui ont les lois les moins strictes dans ce domaine.
Le sénateur Lang : J'aimerais dire quelque chose. Lorsque nous comparons les lois des États-Unis et celles du Canada dans le domaine des armes à feu, nous comparons des pommes et des oranges. J'ai moi-même vécu aux États-Unis, alors je partage vos préoccupations touchant les lois qui régissent la possession d'armes à feu dans ce pays. Nous sommes très chanceux de vivre ici.
Je veux parler de l'article 23 et rassurer les témoins en leur disant que la personne qui cède une arme d'épaule a la responsabilité de procéder à une vérification concernant le cessionnaire et de s'assurer que celui-ci possède un permis d'armes à feu en règle. Si ce n'est pas le cas — je veux que vous le sachiez —, le cédant commet un acte criminel aux termes de l'article 101 du Code criminel. La peine d'emprisonnement maximale est de cinq ans.
C'est très grave. Si je vous vends une carabine qui m'appartient, monsieur, que je ne vérifie pas que vous possédez un permis et qu'on découvre que je n'ai pas vérifié si vous étiez en règle, c'est moi qui porte la responsabilité. Je pense que cela peut vous rassurer dans une certaine mesure en ce qui concerne la cession d'armes d'épaule et d'armes à feu sans restrictions.
Le président : Merci de cette précision, sénateur. Nous allons écouter le sénateur Fraser, pour une dernière observation.
[Français]
Le sénateur Fraser : Monsieur Marchand, vous avez dit que le taux de suicide est plus élevé dans les régions où le taux de possession d'armes à feu est plus élevé que dans d'autres régions. Vous citez en exemples Montréal et la Côte- Nord du Québec.
Savez-vous combien de ces suicides, surtout sur la Côte-Nord où il y a un taux très élevé — 19,8 pour 100 000, c'est atroce — sont réalisés avec des armes à feu?
M. Marchand : On a ces données par régions, mais elles varient, selon la région, de 10 à 30, 35 p. 100.
Le sénateur Fraser : Selon la région. Donc dans les villes, c'est moins élevé?
M. Marchand : Oui.
Le sénateur Fraser : Donc, vous dites que ce n'est pas seulement que le suicide est plus courant, mais le suicide par arme à feu est plus courant dans ces régions?
M. Marchand : Tout à fait.
Le sénateur Fraser : Si vous pouviez nous fournir ces données, ce serait apprécié.
Je vous remercie beaucoup. Les notes à la fin de votre mémoire constituent une liste longue et précieuse d'études à ce sujet.
[Traduction]
Le sénateur White : Auriez-vous aussi les données concernant la proportion de ces suicides par arme à feu qui ont été commis par le propriétaire légitime de l'arme, s'il vous plaît? Merci.
Le président : Merci beaucoup. Voilà qui conclut la période que nous avions à consacrer à ce groupe de témoins. Je sais que nous avons été nombreux à le faire, mais je tiens à remercier chacun d'entre vous. Vous aviez des raisons très personnelles et très différentes de venir témoigner devant nous aujourd'hui, mais il y a une similitude entre celles-ci. C'est quelque chose de personnel pour vous; nous le savons. Ce n'est pas un sujet de discussion ni un sujet d'étude; c'est une affaire personnelle. Nous avons très bien compris les messages que vous nous avez transmis. Merci beaucoup.
Nous avons le plaisir d'accueillir les quatre personnes qui composent notre cinquième groupe de témoins d'aujourd'hui. Je vous présente M. Foote, qui est professeur à l'Université de l'Alberta et qui va participer à la séance par vidéoconférence depuis Calgary. Monsieur Foote, bienvenue.
A. Lee Foote, professeur adjoint, Université de l'Alberta, à titre personnel : Merci, monsieur le président. Je suis à Edmonton, en fait.
Le président : Les autres témoins qui se sont joints à nous sont M. Gary Mauser, de l'Université Simon Fraser, Mme Martha Jackman, de la Faculté de droit de l'Université d'Ottawa, et Mme Linda Silas, présidente de la Fédération canadienne des syndicats d'infirmières et d'infirmiers. Bienvenue.
Nous allons maintenant écouter vos déclarations préliminaires. Je vais commencer par M. Foote.
M. Foote : Merci. Je m'appelle Lee Foote. Je vis en ville, j'ai fréquenté le collège, j'appartiens à la classe moyenne aisée et je chasse pour vivre. Je sais que ce que je viens de dire est un peu bizarre. Pour que ce le soit encore plus, j'affirme que je suis tout à fait en faveur, comme beaucoup d'autres gens de la droite comme de la gauche, de la suppression du registre des armes d'épaule dans le cadre du projet de loi C-19.
Je ne suis pas non plus la seule personne à vivre en ville et à avoir ce point de vue. Il y a beaucoup de citoyens des grandes villes qui ont investi énormément d'argent pour pouvoir posséder des armes à feu en toute légalité et qui ont pris des engagements importants à cet égard. Les armes à feu sont un outil nécessaire pour exercer une activité qui fait partie d'un mode de vie fondamental. Je voulais venir vous parler pour vous présenter un point de vue sur le rôle légal, légitime et essentiel des carabines et des fusils de chasse lorsqu'ils sont entre les mains de citoyens responsables et au courant des règles de sécurité, qui les utilisent pour la chasse et des activités liées à la conservation.
À de nombreux égards, les armes d'épaule sont à la chasse ce que les bâtons sont au golf, les couteaux à pain sont à la boulangerie et les pelles sont aux parties de hockey improvisées. Ce ne sont que des outils. J'ai l'air de blaguer, mais ce n'est pas le cas. Les bâtons de golf, les couteaux à pain, les pelles et les armes à feu sont des objets inanimés mais essentiels en ce qu'ils permettent aux gens de se livrer à des activités significatives qui enrichissent leur vie. L'utilisation de chacun de ces outils comporte de faibles risques. Il est tentant de dire que l'humanité serait mieux servie si l'on en restreignait l'usage, mais une affirmation plus constructive, ce serait que les risques deviennent négligeables lorsque la formation adéquate et complète qui est prescrite au Canada est suivie.
Même si le golf, la boulangerie, le hockey et la chasse entraînent parfois des blessures, ce qui est très malheureux mais qui arrive, en chiffres absolus, le risque de blessures découlant de l'utilisation d'une arme à feu par un Canadien autorisé, c'est-à-dire une personne qui a suivi la formation en matière de sécurité et qui est titulaire d'un permis, n'est pas un risque important pour la population. Depuis 11 ans, je chasse le cerf et donne un cours à des étudiants de niveau universitaire sur la manipulation et la transformation d'une carcasse de cerf intacte en différentes coupes de viande délicieuses et distinctes. Je vais à la chasse chaque année depuis 48 ans, et je n'ai jamais été témoin d'un accident lié à l'utilisation d'une arme à feu. J'aimerais pouvoir dire la même chose de mes activités qui supposent l'utilisation d'un bâton de hockey et d'un couteau de cuisine, lesquels ont tous les deux donné lieu à au moins un petit accident.
Chaque année, j'offre aux membres de ma famille entre 100 et 300 kilogrammes d'une viande saine, maigre et biologique qui provient d'animaux ayant vécu en liberté et que j'ai tués dans la nature et en toute légalité. Les oies, les gélinottes, les cerfs de Virginie et, de temps à autre, un orignal sont d'importants substituts à la viande d'élevage que nous achèterions sans la chasse. En fait, ma fille de 15 ans ne mange que de la viande sauvage, sinon elle est végétarienne. Les milliers de dollars que j'ai dépensés pour obtenir des permis et des badges servent à soutenir l'Alberta Conservation Association, et celle-ci mène des activités de gestion de l'habitat, de maintien de la biodiversité, de séquestration du carbone, de protection des espèces en voie d'extinction et de recherche sur la faune parrainée par les universités.
J'aimerais que vous évitiez de tomber dans un piège simple, mais dont il faut quand même se méfier, celui de penser que les chasseurs ne réfléchissent pas et ne se soucient de rien. La plupart des chasseurs sont de fervents protecteurs de la nature, et ils sont très intéressés par la question de la qualité de l'environnement dans le milieu où ils exercent leurs activités de plein air. Nous prenons cela au sérieux. Nous avons pris l'engagement de mener des activités de loisir en plein air saines et sécuritaires. Il s'agit d'un mode de vie, d'une activité patrimoniale axée sur la famille dans le cadre de laquelle nous passons du temps dans la nature avec nos amis, nos enfants et d'autres membres de notre famille. Dans la chasse avec des armes d'épaule, nous mettons notre argent, notre poids politique, notre personne, notre temps et notre identité.
Je ne prétends pas me faire le porte-parole des Premières nations, mais j'ai constaté, dans les nombreuses discussions que j'ai eues avec des membres de celles-ci ainsi qu'avec des chasseurs et des trappeurs métis, l'existence d'une parenté sur le plan du sens, du lien avec la terre, de la portée de l'engagement à l'égard de la participation aux cycles naturels et de l'obtention de nourriture par ses propres moyens plutôt que d'acheter de la viande d'origine inconnue emballée dans du plastique et posée sur les tablettes de l'épicerie.
Il ne serait pas exagéré d'affirmer que de chasser des animaux sauvages dans la nature est une activité spirituelle et un don de vie. Il n'est pas étonnant que les gens partagent si souvent la viande du gibier à poil et à plume qu'ils ont chassée, alors qu'il est quand même assez rare de se voir offrir sur le pas de sa porte un filet de bœuf ou du poulet acheté à l'épicerie. Cette viande, cette nourriture, ce partage, cette réflexion sur la vie, cette communauté naturelle et cette passion sont mis en valeur chaque fois que nous partageons en famille un repas de viande sauvage. C'est un don de vie. Les armes d'épaule sont un outil essentiel et pertinent dans le cadre de ce processus lié à la qualité de la vie.
Au nom des millions de chasseurs de l'Amérique du Nord, et surtout des chasseurs du Canada qui sont concernés par le projet de loi C-19, je vous remercie de m'avoir permis de vous présenter un point de vue sur le sens de l'utilisation légitime des armes d'épaule. Merci beaucoup.
Martha Jackman, professeure, faculté de droit, Université d'Ottawa, à titre personnel : J'enseigne le droit constitutionnel à l'Université d'Ottawa depuis 1988. J'ai rédigé plus de 60 articles, chapitres de livre et monographies dans le domaine du droit constitutionnel, et je participe constamment à l'examen de causes types concernant des questions liées à la Charte, et en particulier des questions liées au droit à l'égalité. J'aimerais aborder deux points. D'abord, j'aimerais parler de l'incidence sur le plan constitutionnel du registre des armes d'épaule, et ensuite, je parlerai brièvement de l'incidence du projet de loi C-19 sur le même plan.
Dans une décision de 2000 concernant les armes à feu, la Cour suprême du Canada a rejeté la distinction que de nombreux témoins ont tenté d'établir devant le comité. Voici ce qu'a affirmé la cour :
[...] les opposants à la loi [...] sur le contrôle des armes à feu prétendent que les armes à feu ordinaires, comme les carabines et les fusils de chasse [...] ne sont pas des biens dangereux.
Ils soutiennent ce qui suit :
Les armes à feu ordinaires servent principalement aux fins légitimes de la chasse, du piégeage et de l'élevage.
La faiblesse de cet argument tient à ce que même si les armes à feu ordinaires sont souvent utilisées à des fins licites, elles le sont également pour le crime et le suicide, et elles causent des morts et des blessures accidentelles. On ne peut pas diviser clairement les armes à feu en deux catégorie — celles qui sont dangereuses et celles qui ne le sont pas. Toutes les armes à feu sont susceptibles d'utilisation criminelle. Elles sont toutes susceptibles de tuer et de mutiler. Toutes les armes à feu sont donc une menace pour la sécurité publique.
La Cour suprême a également rejeté l'argument qui a été présenté au comité selon lequel le registre des armes d'épaule ne fait pas partie intégrante du régime fédéral de contrôle des armes à feu, dont le but fondamental est la sécurité publique. La cour a approuvé le raisonnement de la Cour d'appel de l'Alberta à cet égard, laquelle a affirmé ce qui suit :
Les armes à feu permettent de sauver des vies et sont des outils utiles, mais elles blessent et tuent aussi. Ce dernier aspect des armes à feu — le danger inhérent à celles-ci — fait l'objet des dispositions contestées de la Loi. L'objectif du législateur était de réduire l'utilisation d'armes à feu à des fins criminelles, y compris la violence conjugale, ainsi que de réduire le taux de suicide et le nombre d'accidents causés par le mauvais usage des armes à feu. Les dispositions concernant la délivrance de permis, qui exigent des candidats qu'ils suivent un cours sur la sécurité et subissent une vérification du casier judiciaire et une enquête sur leurs antécédents, appuient cet objectif. Le régime d'enregistrement sert aussi à limiter les mauvaises utilisations en empêchant dans une certaine mesure la contrebande, le vol et la vente illégale. Les dispositions concernant la délivrance de permis et l'enregistrement sont inextricablement liées.
Quelle est donc l'incidence sur le plan constitutionnel de l'abrogation du registre d'armes d'épaule et du projet de loi C-19?
De nombreux témoins, y compris l'ombudsman des victimes d'actes criminels, les représentants de Polysesouvient et la Coalition pour le contrôle des armes à feu, ont souligné les éléments qui font que le projet de loi C-19 mine le régime fédéral de contrôle des armes à feu et ses objectifs en matière de sécurité publique. Ainsi, le projet de loi C-19 menace les droits des Canadiens qui découlent de l'article 7 de la Charte en général, et les droits à la vie, à la liberté et à la sécurité des femmes qui sont vulnérables à la violence conjugale en particulier. Comme il mine l'efficacité des objectifs en matière de sécurité publique du régime fédéral de contrôle des armes à feu, le projet de loi C-19 est arbitraire et enfreint les principes de justice fondamentale de l'article 7. Comme il mine l'efficacité du régime fédéral de contrôle des armes à feu, le projet de loi C-19 va avoir un effet particulièrement néfaste sur les femmes qui sont vulnérables à la violence conjugale et va donc aller à l'encontre des garanties d'égalité prévues à l'article 15 de la Charte à l'égard d'une chose qui ne peut être justifiée dans le cadre de l'article premier de la Charte.
Enfin, comme plusieurs témoins l'ont montré au comité, le projet de loi C-19 n'est pas conforme au droit international et aux obligations du Canada découlant de traités internationaux, et en particulier du protocole des Nations Unies sur les armes à feu que le Canada a signé en 2002.
Ironiquement, le ministre fédéral de la Justice semble le reconnaître lorsqu'il laisse entendre dans son témoignage devant le comité que, si le projet de loi C-19 est adopté, nous allons devoir adopter d'autres dispositions législatives concernant les armes d'épaule de façon à respecter les accords internationaux que nous avons signés.
En somme, le projet de loi C-19 n'est pas conforme aux obligations du gouvernement canadien aux termes de la Charte ni à ses obligations à l'échelle internationale. Il ne devrait pas être adopté. S'il l'est, il devrait être modifié de façon à rétablir l'exigence pour les entreprises de tenir des dossiers de vente, à maintenir l'obligation de vérifier la validité du permis au moment de la vente et de la cession d'armes d'épaule et à conserver les données qui figurent actuellement dans le registre.
Le président : Merci beaucoup, madame Jackman.
Madame Silas, veuillez nous présenter votre déclaration préliminaire.
Linda Silas, présidente, Fédération canadienne des syndicats d'infirmières et d'infirmiers : Au nom de la Fédération canadienne des syndicats d'infirmières et d'infirmiers, je vous remercie de m'avoir invitée. J'adresse un bonjour tout particulier à votre président, qui est fier de venir du Nouveau-Brunswick, comme moi, et je lui demanderai de ne pas être trop sévère parce que j'ai appris hier soir que j'allais venir présenter un exposé, et parce que je parle bien trop vite.
La promotion de la santé est un enjeu et un rôle essentiels pour les infirmières et les infirmiers. La législation relative au contrôle des armes à feu sert à prévenir des blessures et des décès et peut donc être mise en lien avec d'autres politiques de prévention des blessures et des décès comme celles qui concernent les ceintures de sécurité et les casques de hockey. Le contrôle des armes à feu est aussi un enjeu qui concerne les femmes, puisqu'il réduit le risque d'homicide, d'intimidation et de blessures dont le conjoint est à l'origine.
Environ 93 p. 100 de nos membres sont des femmes. Pour le personnel infirmier, le contrôle des armes à feu — y compris les instruments comme le registre des armes d'épaule — est une question de santé et de sécurité et une problématique homme-femme, et non pas une question relative à l'écart Nord-Sud ou rural-urbain.
En avril 2010, la FCSII a joint sa voix à celle de nombreuses autres organisations canadiennes du secteur des soins de santé — notamment l'Association canadienne pour la santé des adolescents, l'Association canadienne des médecins d'urgence, la Société canadienne de pédiatrie et l'Association canadienne de santé publique — pour afficher son soutien à l'égard du contrôle des armes à feu et du registre des armes d'épaule. Pourquoi? Parce que, au fil des ans, les intervenants du milieu de la santé ont milité en faveur d'un contrôle plus rigoureux des armes à feu. Et pourquoi cela? En raison du nombre ahurissant de décès et de blessures évitables attribuables aux armes à feu.
En tant que professionnels de la santé, nous connaissons l'importance que revêt le fait d'investir dans la prévention, que celle-ci vise la sécurité routière ou les maladies infectieuses. Certes, on ne peut pas aisément mesurer l'effet des activités de prévention, mais nous pouvons mesurer l'effet de leur absence.
D'aucuns vous diront que l'enregistrement des armes à feu n'a pas d'effet important. On connaît le vieil adage selon lequel ce ne sont pas les armes à feu qui tuent des gens, mais les personnes qui s'en servent. Eh bien, les mesures de contrôle des armes à feu — y compris l'enregistrement — réduisent le risque que des personnes puissent en tuer d'autres.
C'est la volonté de réduire les risques qui a amené l'Assemblée législative de l'Ontario à adopter le projet de loi C-168, qui est entré en vigueur en 2010. Ce projet de loi modifiait la Loi sur la santé et la sécurité au travail en ce qui concerne la violence et le harcèlement en milieu de travail. Après que deux femmes sont décédées en milieu de travail — l'un de ces décès était attribuable à l'utilisation d'une arme à feu —, on a imposé à tous les employeurs de l'Ontario l'exigence de prendre, eu égard aux circonstances, toutes les mesures de précaution raisonnables afin de mettre leurs employés à l'abri du risque de subir une blessure physique.
De nombreuses organisations ont fait campagne en faveur de ces modifications. L'opiniâtreté de la famille des deux femmes assassinées a été un facteur clé au moment de convaincre les gouvernements de la nécessité d'agir. L'une des femmes tuées en milieu de travail était membre de l'Association des infirmières et infirmiers de l'Ontario, notre organisation affiliée provinciale. Oui, il s'agissait d'une infirmière. L'adoption de ce projet de loi représente une victoire importante pour toutes les infirmières, lesquelles sont plus susceptibles qu'un policier d'être agressées dans l'exercice de leurs fonctions.
La FCSII estime que les mesures de contrôle des armes à feu — y compris l'enregistrement des armes à feu et les dispositions législatives en matière de santé et de sécurité au travail — représentent un élément important de politiques judicieuses en matière de santé publique.
Nous vous enjoignons de faire vôtre le raisonnement adopté par les législateurs en Ontario à la suite de deux incidents très médiatisés — un meurtre et un suicide — et de vous poser la question suivante : est-ce que l'adoption du projet de loi C-19 aidera les gens qui souhaitent prendre toutes les précautions raisonnables dans les circonstances afin de protéger une personne risquant de commettre un acte de violence à l'égard d'une autre personne ou d'elle-même, ou est-ce qu'il entravera leurs initiatives?
En tant que membres du personnel infirmier, nous croyons que nous avons un rôle à jouer au moment de sécuriser les collectivités. En outre, nous estimons que, à titre de législateurs, votre rôle consiste à adopter des lois qui contiennent des outils facilitant le travail des gens chargés de l'application de la loi, lequel consiste à réduire les risques de violence et à veiller à ce que les propriétaires d'armes à feu s'en servent de façon responsable. Cela comprend l'entreposage sécuritaire des armes à feu. Les propriétaires d'armes à feu sont responsables des armes qu'ils achètent. Il faut les obliger à déclarer toute arme à feu manquante ou volée. Il faut restreindre le commerce illégal. Il faut que les policiers et les premiers intervenants disposent des outils les plus modernes disponibles, et puissent retrouver le propriétaire légitime d'une arme à feu.
L'objectif fondamental des dispositions législatives canadiennes en matière de contrôle des armes à feu est de veiller à ce que les collectivités canadiennes soient plus sûres et plus saines. Si l'on veut interdire aux personnes à risque l'accès à des armes à feu, des normes doivent être instaurées. Les mesures proposées dans le cadre du projet de loi C-19 auront de graves conséquences. Nous demandons instamment aux membres du comité de ne pas appuyer ce texte législatif avant que d'autres évaluations relatives à la santé publique et d'autres analyses comparatives entre les sexes ne soient entreprises. Avant que le projet de loi C-68 ne soit adopté, il a fallu que 14 femmes meurent à Montréal; avant que le projet de loi C- 168 ne soit adopté, il a fallu que deux femmes — des infirmières — meurent en Ontario.
Je suis infirmière d'urgence. Je travaille à Moncton, au Nouveau-Brunswick. Dans le cadre de mes fonctions, j'ai vu des gens qui avaient subi une blessure par arme à feu durant une partie de chasse ou par suite d'une agression violente. En tant que femme, je me suis présentée ici pour tenter de convaincre les membres du comité de ne pas adopter le projet de loi C-19, pour le bien des collectivités sécuritaires du Canada.
Le président : Merci beaucoup, madame Silas.
Nous allons maintenant entendre la dernière déclaration préliminaire, celle de M. Mauser.
Gary Mauser, professeur émérite, Université Simon Fraser, à titre personnel : Bonjour, monsieur le président et membres du comité. Je suis très heureux de témoigner devant vous aujourd'hui. Je suis professeur émérite à l'Université Simon Fraser. Dans le cadre de mes fonctions, je publie des articles dans des revues de criminologie, et ce, depuis plus de 20 ans. Je m'adresse à vous aujourd'hui à titre de criminologue pour vous présenter des faits, et non des mythes.
J'aborderai quatre points : premièrement, les propriétaires d'armes à feu responsables sont moins enclins à commettre des meurtres que les autres Canadiens; deuxièmement, les policiers n'ont pas démontré l'utilité du registre des armes d'épaule; troisièmement, le registre des armes d'épaule n'a pas réussi à réduire le nombre d'homicides; quatrièmement, les données du registre des armes d'épaule sont de piètre qualité et doivent être détruites.
Il faut soutenir le projet de loi C-19 parce que les faits ont démontré que l'élimination du registre des armes d'épaule est une mesure modeste vers l'amélioration de la sécurité publique.
Les propriétaires d'armes à feu légitimes sont moins enclins à commettre des meurtres que les autres Canadiens. Ce fait ne devrait pas surprendre : les propriétaires d'armes à feu font l'objet d'une vérification des antécédents criminels depuis 1979 et, depuis 1992, il est illégal pour les personnes considérées comme violentes de posséder une arme à feu.
Les données de Statistique Canada montrent qu'entre 1997 et 2010, le taux d'homicides commis par des propriétaires d'armes à feu enregistrées était de 0,6 pour 100 000 propriétaires. Au cours de la même période, le taux moyen d'homicides au Canada était de 1,85 pour 100 000 personnes. Il s'agit d'un taux trois fois plus élevé. Par conséquent, les Canadiens qui possèdent un permis d'armes à feu sont moins enclins, dans une proportion de moins du tiers, à commettre un meurtre que les autres Canadiens.
En dépit de ces faits, la GRC dépense plus de 20 millions de dollars annuellement pour maintenir le registre des armes d'épaule.
Les policiers n'ont pas démontré l'utilité du registre des armes d'épaule. L'abolition du registre ne mettra pas en péril la capacité des policiers de retracer des armes à feu — cette abolition ne peut pas avoir un tel effet. Les statistiques montrent que les policiers retracent des armes d'épaule enregistrées dans seulement 2 p. 100 des cas d'homicides.
De 2003 à 2010, sur 4 811 homicides, 1 485 ont été commis avec une arme à feu. Selon Statistique Canada, seulement 135 de ces armes étaient enregistrées; dans 73 affaires seulement — soit 5 p. 100 des homicides commis avec une arme à feu —, l'arme appartenait à la personne accusée, laquelle est susceptible, bien entendu, d'être innocente.
Seulement 45 de ces 73 homicides ont été perpétrés avec une arme d'épaule. Moins de 1 p. 100 des homicides ont été commis avec une arme d'épaule enregistrée au nom de l'accusé.
Ni la GRC ni les chefs de police n'ont pu donner un seul exemple de cas où la reconstitution du parcours de l'arme à feu a été d'une importance plus que simplement accessoire dans la résolution d'une affaire, ce qui n'est guère surprenant. Ils n'ont pas non plus démontré que le registre des armes d'épaule s'était révélé utile pour résoudre des meurtres de policiers.
Le registre des armes d'épaule n'a pas réussi à réduire le nombre d'homicides. On n'a pas réussi à prouver hors de tout doute que le registre a permis de réduire la violence criminelle. Il n'existe pas une seule étude universitaire évaluée par des criminologues ou des économistes qui conclut à un bienfait notable des lois sur les armes. De simples statistiques le prouvent : le taux d'homicides avait chuté davantage avant l'arrivée du registre des armes d'épaule, en 2003. Ce taux a chuté de 31 p. 100 de 1991 à 2002, et de seulement 7 p. 100 de 2003 à 2010.
Les données du registre des armes d'épaule sont de piètre qualité et doivent être détruites.
Les armes enregistrées sont rarement en cause dans la perpétration d'actes criminels, et même lorsqu'elles le sont, les multiples erreurs et omissions présentes dans le registre minent son utilité. La vérificatrice générale a constaté que la GRC ne pouvait pas compter sur le registre devant un tribunal en raison des nombreuses erreurs et omissions qu'il contient.
Ces irrégularités ont de multiples causes inhérentes au système de consignation de données. Même si la GRC a amélioré son processus de traitement des données depuis la vérification, ces problèmes seront toujours là.
En conclusion, j'exhorte les honorables sénateurs à soutenir le projet de loi C-19 et la destruction des données du registre des armes d'épaule. Ces données n'auraient jamais dû être recueillies.
Le président : Merci, monsieur Mauser. Avant que nous ne passions à la période de questions, j'aimerais m'adresser à vous, monsieur. J'ai écouté votre exposé, et constaté que vous avez mentionné un certain nombre de statistiques. Pouvez-vous nous en indiquer la source? Y a-t-il des rapports que nous pourrions...
M. Mauser : Ces statistiques proviennent de Statistique Canada.
Le président : Elles proviennent toutes de Statistique Canada? D'accord.
M. Mauser : Par le truchement d'un membre de l'autre endroit, j'ai soumis une requête à la Bibliothèque du Parlement, qui a déniché ces statistiques de Statistique Canada.
Le président : Merci.
Le sénateur Fraser : Monsieur Mauser, vous êtes membre du comité consultatif du ministre sur les armes à feu. Vous avez été lié avec la National Firearms Association et l'American National Rifle Association. Dans le passé, vous avez déclaré, si je vous ai bien compris, que vous estimiez que le registre des armes de poing et les dispositions relatives à la délivrance de permis devraient être supprimés. Êtes-vous toujours de cet avis?
M. Mauser : Les arguments que j'ai présentés sont fondés sur des renseignements de Statistique Canada, que vous pouvez vérifier. Je ne suis membre d'aucune des deux associations que vous avez mentionnées. Je me suis présenté ici à titre personnel. Je ne représente personne hormis moi-même. Je crois que vous constaterez que les statistiques que j'ai citées sont rigoureuses, si vous êtes prêt à dépenser l'énergie intellectuelle qu'exige un tel exercice.
Le sénateur Fraser : Ma question était la suivante : croyez-vous que le Canada devrait disposer d'un régime de délivrance de permis aux propriétaires d'armes à feu?
M. Mauser : Je crois qu'il est très important de procéder à des vérifications de casier judiciaire, ce qui constitue l'élément clé de la délivrance de permis — je suis donc favorable à la délivrance de permis.
Le sénateur Fraser : Je comprends. Vous avez dit que ni la GRC ni les chefs de police n'avaient pu donner un seul exemple de cas où la reconstitution du parcours d'une arme à feu avait été d'une importance plus que simplement accessoire dans la résolution d'une affaire, et qu'ils n'avaient pas démontré que le registre des armes d'épaule s'était révélé utile pour résoudre des meurtres de policiers.
J'ai sous les yeux le compte rendu d'une décision rendue par la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta en 2009 relativement aux meurtres commis à Mayerthorpe. Comme vous le savez, à cet endroit, quatre membres de la GRC ont été tués au moyen d'une arme d'épaule enregistrée.
M. Mauser : Des armes d'épaule non enregistrées.
Le sénateur Fraser : En fait, on a trouvé une arme enregistrée au nom d'un homme qui l'avait remise à son petit-fils parce qu'il croyait que le gouvernement prévoyait supprimer les exigences découlant du registre des armes d'épaule — cela est mentionné expressément dans les motifs de décision du tribunal.
Par la suite, le petit-fils a prêté ou donné — je ne sais plus — le fusil à quelqu'un, et cette personne a ultérieurement participé aux meurtres de Mayerthorpe. C'est grâce au registre que l'on a été en mesure de remonter jusqu'à lui.
N'êtes-vous pas d'avis que cela constitue un exemple de l'utilité du registre?
M. Mauser : Non. Si vous lisez ma déclaration préliminaire, vous constaterez que j'ai fait valoir que le registre ne jouait pas un rôle important au moment d'identifier un meurtrier, et cela vaut pour l'affaire que vous avez mentionnée.
Le meurtrier s'est suicidé, et la GRC n'a pas contesté cela.
Le sénateur Fraser : Dans le cadre de cette affaire, le registre a été un élément important de l'enquête policière.
M. Mauser : Je n'ai pas dit qu'il n'avait jamais joué un rôle important. J'ai dit que son importance était simplement accessoire. Le meurtrier a été identifié avant l'entrée en vigueur du registre. Le registre a été utile à d'autres égards — il a aidé les policiers à repérer les complices, les amis et les collègues du meurtrier, mais non pas à mettre la main sur ce dernier.
Sénateur Fraser : Il me semble néanmoins que l'on a affaire ici à une intéressante succession d'événements.
Monsieur Jackman, pourriez-vous me fournir des éclaircissements en ce qui concerne la manière dont fonctionnent à présent les dispositions législatives? Je ne sais pas si vous possédez les connaissances requises pour le faire, mais je tente ma chance.
Un nombre passablement élevé de témoins ont évoqué le fait que le projet de loi C-19 n'imposait pas au cédant — habituellement le vendeur — d'une arme d'épaule l'exigence de vérifier la validité du permis du cessionnaire — celui qui acquiert l'arme. Ces témoins ont soulevé bon nombre de préoccupations à ce sujet. D'après ce que je crois comprendre, selon les dispositions législatives en vigueur, on ne peut pas transférer une arme à une autre personne avant d'avoir obtenu du directeur ou du contrôleur des armes à feu un certificat d'enregistrement, lequel sera refusé en l'absence d'un permis valide. Comprenez-vous les dispositions législatives de la même manière que moi?
Mme Jackman : Oui. J'estime que cette question met en évidence l'idée que j'ai tenté d'exposer, et que la Cour suprême a exposée dans le renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu, à savoir celle de la mesure dans laquelle ces deux éléments du régime législatif sont compatibles. À l'heure actuelle, la vérification vise à la fois la question de l'enregistrement de l'arme à feu et celle du fardeau incombant au vendeur.
Le projet de loi décharge le gouvernement du Canada de la responsabilité de s'assurer qu'il n'existe aucune raison de croire que la personne qui acquiert l'arme à feu ne devrait pas être en mesure d'en acquérir une — cette responsabilité est transférée au cédant.
Le sénateur Fraser : Le projet de loi ne comporte aucune obligation de vérifier la validité du permis.
Mme Jackman : C'est exact — il ne comporte aucune obligation de ce genre. Je suis avocate de droit constitutionnel, et non pas criminaliste, mais je peux vous dire que je n'aimerais pas être à la place d'un procureur de la Couronne dans le cadre d'une affaire où je devrais prouver hors de tout doute raisonnable qu'une personne ayant cédé une arme à feu n'avait pas raison de croire que le cessionnaire était autorisé à l'acquérir.
Le président : J'aimerais simplement poser une question complémentaire à celle du sénateur Fraser. Pour prouver que le cédant avait des raisons de croire cela, on devrait s'appuyer sur les faits, n'est-ce pas? Pour établir cela, on s'appuierait sur les faits.
Mme Jackman : Il s'agit là de l'actus reus. Pour l'essentiel, ce qu'énoncent à présent les dispositions législatives, c'est qu'une personne peut céder une arme à feu si, au moment de la cession, le cédant n'a aucun motif de croire que le cessionnaire n'est pas autorisé à acquérir une telle arme à feu. La norme applicable est donc celle du motif de croire.
Comme je l'ai mentionné, cela relève de l'actus reus, et doit être établi hors de tout doute raisonnable par la Couronne. Il s'agit d'un seuil très élevé. Comme les dispositions législatives ne prévoient même pas une obligation de conserver des dossiers, je suis certaine que le cédant sera tenté de faire valoir qu'il a procédé à la vérification requise, et il n'y aura absolument aucune façon de savoir si cela est vrai ou non.
Le projet de loi met en évidence l'observation formulée par la Cour suprême du Canada selon laquelle on a conçu les deux volets du projet de loi — celui concernant la délivrance de permis et celui touchant l'enregistrement — de manière à ce qu'ils fonctionnent l'un avec l'autre, et qu'ils soient liés l'un à l'autre de façon inextricable. On ne peut pas se débarrasser de l'un des volets sans compromettre les objectifs en matière de sécurité publique de l'autre.
Le sénateur Lang : Vous allez croire que je chante toujours le même refrain, mais j'aimerais revenir sur la question du registre en tant que tel. Dans le cadre de nombreux témoignages que nous avons entendus au cours des dernières semaines, on a clairement soulevé des questions à propos du registre et de sa validité.
Bien sûr, la question à laquelle doit répondre le comité, et à laquelle devra répondre le Sénat — un peu comme a dû le faire l'autre endroit — est la suivante : est-ce que le registre remplit la fonction pour laquelle il a été expressément conçu?
Je dois souligner que l'on nous a dit ici même qu'il y avait actuellement environ un million d'armes d'épaule non enregistrées au Canada. En outre, un témoin nous a dit que le registre était lui-même entaché d'erreurs d'un bout à l'autre. En d'autres termes, il comporte des renseignements erronés, et procure aux agents d'exécution de la loi un faux sentiment de sécurité. En d'innombrables occasions, on nous a dit que les policiers — surtout les plus jeunes — avaient un faux sentiment de sécurité lorsqu'ils consultaient le registre et constataient qu'il n'y avait rien d'enregistré — ils ont l'impression qu'aucune arme à feu n'est en cause. En soi, cela devrait préoccuper toutes les personnes présentes autour de la table.
Monsieur Mauser, vous n'y êtes pas allé par quatre chemins : vous avez affirmé que les données contenues dans le registre des armes d'épaule sont de piètre qualité et devaient être détruites. Par la suite, vous avez déclaré que les irrégularités au chapitre de l'enregistrement des armes à feu avaient de multiples causes, et que celles-ci étaient inhérentes au système de consignation des données.
J'aimerais que vous nous en disiez davantage à ce sujet, car je crois qu'il est très important que nous fassions la lumière sur le registre, et que nous comprenions les avantages et les inconvénients qu'il présente sous sa forme actuelle.
M. Mauser : Merci beaucoup de la question. Lorsque le registre a été instauré, de toute évidence, il servait à consigner des renseignements à propos d'armes à feu qui n'avaient pas été enregistrées auparavant. On avait fixé une date butoir pour la transmission de ces renseignements, et bon nombre de personnes se sont précipitées pour se conformer aux exigences. Ces personnes ne sont pas des spécialistes — elles possèdent peut-être une arme à feu, mais cela ne veut pas dire qu'elles n'ont pas commis de nombreuses erreurs difficiles à éviter. Ainsi, les données recueillies initialement comportaient de multiples erreurs. Les gens croyaient honnêtement que ces personnes décrivaient correctement leur arme à feu, mais ce n'était pas le cas. Le registre contient une kyrielle d'exemples de piètre description d'armes à feu.
De plus, la saisie des données dans le registre a été faite non seulement par des policiers, mais également par bon nombre de ministères. En 2001, les services de police ont déclaré à la vérificatrice générale que, devant un tribunal, ils ne pouvaient s'appuyer sur le registre parce qu'ils n'avaient pas vérifié les renseignements qu'il contenait, de sorte qu'ils n'étaient pas à l'aise à l'idée de présenter des renseignements qu'ils avaient extraits du registre. La GRC a signalé des taux d'erreur allant de 43 à 91 p. 100 en ce qui concerne les demandes que les gens ont soumises. Par suite d'une demande d'accès à l'information présentée en 2003, on a découvert que 4 438 armes à feu volées avaient été enregistrées de nouveau sans que cela n'éveille l'attention des autorités. Il y a eu d'autres histoires, par exemple celle du fusil ayant été enregistré à de multiples reprises.
En 2006, la vérificatrice générale a confirmé l'existence de ces taux d'erreur inadmissibles. La GRC estime que, vu ces taux d'erreur élevés, la vérification des renseignements pose de multiples difficultés sur le plan financier et, par conséquent, elle ne les a pas vérifiés. Les taux d'erreur demeurent les mêmes.
En outre, personne ne peut l'affirmer avec certitude, mais il est permis de croire qu'un certain nombre de personnes n'ont pas enregistré leur arme à feu ni obtenu un permis au moment où le système a été instauré. D'après les estimations, de 40 à 60 p. 100 des propriétaires d'armes à feu ont enregistré leurs armes et obtenu un permis. Cela signifie qu'il y a littéralement des millions d'armes appartenant à des personnes dites honnêtes qui ne sont pas consignées dans le système, et on ne parle même pas encore des armes obtenues criminellement, lesquelles sont, bien sûr, passées en contrebande, et que les propriétaires n'ont aucune intention d'enregistrer. C'est l'une des raisons qui expliquent l'existence de cette statistique que j'ai mentionnée à propos du nombre d'armes non enregistrées qui ont été utilisées pour commettre un homicide et qui ont été retracées par les policiers.
Il s'agit d'un taux d'erreurs élevé. Des policiers et des formateurs de policiers m'ont dit que les jeunes agents prêtaient véritablement foi aux données contenues dans le registre; ils se rendent sur les lieux d'un crime, consultent le registre, et si celui-ci indique qu'aucune arme à feu n'est enregistrée à cette adresse, c'est que cela est vrai, et que si le registre indique que trois armes à feu se trouvent à cet endroit, cela est également vrai. Cela me semble tout à fait déraisonnable. La personne habitant à cet endroit a très bien pu enregistrer trois armes, et omettre d'en enregistrer deux autres, ou bien n'en enregistrer aucune. À mes yeux, cela est parfaitement vraisemblable.
On ne devrait pas se fier au registre. Les agents de police ne devraient pas se fier au registre. Les juges qui veulent retirer des armes à feu des mains de personnes qui ne devraient pas avoir de telles armes en leur possession ne devraient pas se fier au registre. Les policiers devraient vérifier si d'autres armes se trouvent sur les lieux, si c'est là le but de leur présence. Le registre est tout simplement entaché d'erreurs. Par conséquent, en raison de sa piètre qualité, on devrait le détruire.
Le sénateur Lang : Il y a une observation qui, à mon avis, doit être répétée aux fins du compte rendu, à savoir le fait que la vaste majorité des policiers de première ligne sont de cet avis. C'est très intéressant, car ce sont eux qui sont censés appliquer la loi.
Il y a un autre sujet de préoccupation. Madame Silas, ma prochaine question s'adresse à vous, de même qu'à quiconque pourrait souhaiter y répondre. Cette question concerne l'enregistrement, la procédure de délivrance de permis qui est en place. Je suis certain que vous savez bien à quel point cette procédure est rigide, et qu'une personne qui présente une demande ne se voit pas automatiquement délivrer un permis. Il faut non seulement soumettre une demande, mais également suivre un cours et fournir au moins deux références. La note de passage de ce cours est de 80 p. 100. La personne doit prendre un certain nombre de mesures strictes afin d'obtenir un permis et, bien sûr, la disposition législative pertinente demeurera dans le texte législatif final.
Croyez-vous que ce processus est suffisamment rigide, et qu'il dissipe les préoccupations que vous avez formulées dans votre article à propos de la délivrance de permis et des exigences connexes?
Mme Silas : Oui. J'en connais un bout sur la délivrance de permis. Mon fils travaille dans le domaine de l'application de la loi, il est titulaire d'un permis, et est propriétaire d'un fusil enregistré. En tant que mère qui milite depuis 1995 en faveur de l'enregistrement des armes, je peux vous garantir que je me suis assurée de l'éduquer à fond sur la question.
L'enregistrement et la délivrance de permis ne sont que des processus — ce sont deux pièces du casse-tête que nous devons assembler pour faire en sorte que nos collectivités soient sécuritaires. En raison de l'éducation qu'il a reçue, mon fils ne considère pas que le registre est obsolète; à ses yeux, il s'agit d'un outil qui contribue à l'évaluation qu'il doit mener afin d'établir si la résidence ou la collectivité où il est appelé à se rendre est sécuritaire. Il s'agit simplement d'un élément du processus — en tant qu'infirmière, c'est de cette façon que je le considère.
Au moment de porter un jugement sur l'enregistrement et la délivrance de permis, je me fie à mon expérience, car je ne possède pas tous ces diplômes que possèdent mes collègues ici présents.
Songeons au principe de précaution. Rappelons-nous ce qui s'est passé en 2003, lorsque le SRAS a frappé Toronto : 44 personnes sont décédées, y compris deux infirmières et un médecin. Le juge Archie Campbell avait fait paraître un rapport, car les travailleurs du secteur des soins de santé se demandaient ce qui s'était passé, et pourquoi aucune mesure de sûreté n'avait été prise.
À titre de membres du comité, vous devez avoir la tête qui tourne à force d'entendre des chiffres. Pour ce qui est de ceux que M. Mauser a mentionnés, je n'en avais jamais entendu parler avant aujourd'hui. Ils sont impressionnants. Le juge Campbell a affirmé que l'on ne devait pas s'attendre à ce que toutes les recherches et toutes les données soient concordantes. Nous devons fonder notre décision sur le principe de précaution selon lequel dans le doute, on doit opter pour la sécurité.
Il s'agit là de l'argument que nous avons exposé à Santé Canada au moment de l'éclosion de la pandémie de H1N1. Santé Canada affirmait que nous n'avions pas besoin de prendre de mesures de protection, par exemple le port du masque N95. Pour notre part, nous faisions valoir que, si un pompier doit se protéger de la tête aux pieds, et qu'un policier doit porter un gilet pare-balles, les travailleurs du secteur des soins de santé doivent prendre des mesures découlant du principe de précaution. Nous demandons aux politiciens de veiller à ce que le pays soit doté de lois fondées sur le principe de précaution, et non pas sur le fait qu'il y a en Alberta ou au Nouveau-Brunswick un chasseur raisonnable qui respectera toutes les règles.
Il y en a qui ne les respecteront pas, et comme M. Mauser l'a mentionné, certaines personnes mentent. Il s'agissait de la loi, et il s'agit toujours de la loi. Il y a des gens qui mentent et qui ne disent pas combien de fusils ils cachent sous leur lit. Ces gens ne respectent pas la loi. La plupart le font, de la même manière que je le fais lorsque je conduis ma voiture et que je l'immatricule.
La seule chose que nous demandons est la suivante : laissez-nous respecter la loi, et optez pour la sécurité au moment de rédiger et de mettre en œuvre des lois. C'est tout.
Le président : J'aimerais rappeler à mes collègues que M. Foote, qui a formulé des observations utiles, participe toujours à la réunion.
Le sénateur Jaffer : Madame Jackman, vous êtes avocate de droit constitutionnel, et ce que vous dites à propos de la Charte m'intéresse donc beaucoup. Pouvez-vous nous en dire davantage à ce sujet? Croyez-vous que le projet de loi sera jugé compatible avec la Charte? Votre opinion m'intéresse. Vous avez parlé de sécurité publique et vous avez établi la comparaison, et j'apprécie votre réponse.
Mme Jackman : À mon avis, le projet de loi est anticonstitutionnel. J'estime que le projet de loi viole deux dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés. Comme je l'ai mentionné, l'article 7 de la Charte énonce que chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne, et qu'il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.
D'après les témoignages qui ont été présentés devant la Chambre des communes et devant le comité — et je préférerais m'en remettre à l'opinion des experts, à savoir les membres de l'Association canadienne des chefs de police, de l'Association canadienne des policiers et de l'Association canadienne des commissions de police plutôt qu'aux données empiriques présentées par des policiers de première ligne, qui selon moi, ne peuvent d'aucune façon être considérées comme des éléments de preuve au sens juridique du terme —, le projet de loi compromet les objectifs en matière de sécurité publique du régime de contrôle des armes, dont cela représente la moitié.
Cela vaut d'autant plus pour les femmes, qui sont susceptibles d'être victimes de violence familiale, y compris de violence familiale armée.
Comme je l'ai avancé, le projet de loi est de nature arbitraire. L'objectif du régime de contrôle des armes à feu est de protéger et de promouvoir la sécurité publique, y compris la sécurité des femmes vulnérables, et le projet de loi nuit à cet objectif.
J'estime que le projet de loi viole également les garanties fournies par la Charte en matière d'égalité, en raison des diverses répercussions qu'il aura sur les femmes. Les éléments du projet de loi liés aux droits de la personne à l'échelle internationale ont pour effet d'aggraver cela. Le Canada est tenu de respecter les obligations découlant des traités internationaux qu'il a ratifiés. La Charte doit être interprétée d'une manière qui concorde avec ces obligations, et le projet de loi est manifestement incompatible avec un certain nombre d'obligations issues de traités auxquels le Canada est partie et de principes internationaux en matière de droit de la personne à ce chapitre.
Le sénateur Jaffer : Cela m'amène à ma prochaine question, qui s'adresse à Mme Silas. Durant votre exposé, vous vous êtes exprimée avec passion et clarté. En réponse à une question de mon collègue, le sénateur Lang, vous avez dit une chose très profonde, à savoir que, en tant que femme, vous étiez contre le projet de loi. J'aimerais que vous nous donniez plus de précisions à ce sujet.
Mme Silas : C'est difficile à expliquer. Je dois remonter à l'époque où j'étais infirmière en salle d'urgence. En ce qui concerne la violence familiale, les femmes ont une crainte qui est inexplicable. Le projet de loi, du moins dans son esprit, transfère la responsabilité aux membres de la famille, comme Mme Jackman l'a mentionné. La peur et la honte sont présentes dans les situations de violence familiale ou de maladie mentale. On ne peut pas demander aux membres de la famille d'assumer une telle responsabilité. Je ne connais personne qui serait disposé à téléphoner aux autorités pour signaler le fait qu'il craint que son frère bien-aimé ne batte ou n'assassine son épouse, et qu'il possède un fusil. Je ne connais personne qui serait prêt à faire cet appel téléphonique, pour des raisons liées à la loyauté, à la honte et à la peur.
La violence familiale s'assortit d'une telle peur. La réalité, c'est que des accidents surviennent, surtout lorsque les gens n'ont pas suivi la formation appropriée. Cela nous ramène à la question des permis, et le sénateur Lang a fait allusion à la formation et à la délivrance de permis. Toutefois, cela renvoie également au fait que nous devons savoir qui possède quel fusil.
Lorsque vous enregistrez une arme, elle est enregistrée à votre nom, et vous agirez de façon bien plus prudente que si cette arme était entreposée sous votre lit ou cachée dans votre camion.
Le sénateur Jaffer : Vous avez également mentionné que le projet de loi devrait comporter un volet sexospécifique. Pouvez-vous nous en dire davantage à ce propos?
Mme Silas : J'ai assisté à New York à une réunion de la Commission de la condition de la femme des Nations Unies. La ministre Ambrose, qui faisait partie d'un groupe d'experts international, s'est vu demander si une analyse comparative entre les sexes avait été menée au Canada, car les autres pays considèrent que le nôtre pose des problèmes au chapitre de la sécurité des femmes. La ministre n'a fourni aucune réponse. En tant que membre d'une organisation représentant des travailleuses et des travailleurs, nous étions très fiers, car ce n'est pas nous qui avons posé cette question — elle a été posée par une femme issue d'un groupe minoritaire du Canada, et qui s'était rendue là de sa propre initiative pour poser cette question. Nous étions bien reconnus et il est triste de constater que cette reconnaissance pourrait être menacée.
Le sénateur Runciman : Madame Silas, le comité entendra après vous un médecin résident, un urgentologue qui a tenu les propos suivants, que je traduis librement :
Je crois que le registre des armes d'épaule a tué des gens, car sa création et sa tenue ont exigé des milliards de dollars qui auraient pu être affectés à un secteur sous-financé, à savoir celui du traitement des véritables problèmes de santé mentale.
Lorsque des personnes atteintes de dépression grave ou ayant des idées suicidaires me consultent pour obtenir de l'aide, je dois souvent leur dire qu'ils ne pourront pas consulter un psychiatre avant six mois — il s'agit d'une terrible disgrâce pour notre profession.
Cela vaut également pour les refuges pour femmes, qui manquent cruellement de financement.
Comment réagissez-vous à cela? Ces propos ont été formulés par une personne qui, comme vous, possède de l'expérience en salle d'urgence, mais dont l'opinion diverge de la vôtre.
Mme Silas : Lorsqu'on s'exprime à titre personnel, on exprime un point de vue personnel fondé sur l'expérience.
Comme je l'ai mentionné durant mon exposé — et j'ai répertorié et copié le mémoire ou l'extrait que vous avez cité —, en avril 2010, des professionnels de la santé, y compris des membres de l'Association canadienne des médecins d'urgence, ont participé avec nous à une conférence de presse durant laquelle ils ont affirmé qu'ils étaient favorables au contrôle des armes à feu.
Comprenez-moi bien : ce que dit cet homme à propos de la santé mentale est tout à fait exact. Nous souhaitons que, à la fin de juin, la Commission Kirby recommande fermement à tous les gouvernements que nous prenions des mesures en matière de traitement des maladies mentales. Il s'agit de deux questions distinctes, et le fait de les amalgamer n'est pas...
Le sénateur Runciman : On parle d'une somme de deux milliards de dollars. Si vous disposez d'éléments probants qui montrent que le registre a eu une incidence sur le plan de la prévention de...
Mme Silas : Nous pourrions aussi parler de l'itinérance et de la manière dont nous abordons ce problème.
Le sénateur Runciman : Nous parlons ici d'une somme de deux milliards de dollars, et je crois que l'on pourrait faire valoir que, pour l'essentiel, elle a été jetée par les fenêtres.
Monsieur Mauser, durant votre exposé, vous avez évoqué le fait que nous avions dépensé au moins deux milliards de dollars pour recueillir des informations sur quelques-uns des citoyens canadiens les moins dangereux, des personnes qui sont moins susceptibles que les autres — dans une proportion de 30 p. 100 — de commettre un meurtre. Là encore, comme le médecin que j'ai cité l'a mentionné, cette somme aurait pu être investie dans des mesures qui pourraient réellement avoir une incidence positive sur les taux de criminalité et de suicide.
Pouvez-vous nous en dire davantage à ce sujet? Vous avez présenté des renseignements provenant de Statistique Canada. Avez-vous mené des recherches pour déterminer si les personnes déclarées coupables d'homicide étaient propriétaires d'armes à feu enregistrées? Comment en êtes-vous arrivé à ces conclusions?
M. Mauser : Les chiffres que j'ai présentés proviennent de Statistique Canada. Il s'agit de renseignements transmis par les services de police canadiens à Statistique Canada, et ils concernent les personnes faisant l'objet d'accusations. Une personne accusée d'homicide n'a pas encore été déclarée coupable ni n'a comparu devant un tribunal. Ces chiffres concernent des personnes faisant l'objet d'accusations. Il est beaucoup plus difficile de mettre la main sur des renseignements provenant des tribunaux. C'est la raison pour laquelle seuls les chiffres que je vous ai fournis sont disponibles.
Le sénateur Runciman : D'accord, mais comment Statistique Canada s'y prend-elle pour ventiler ces chiffres? Votre ventilation est différente de la sienne.
M. Mauser : Statistique Canada recueille des renseignements sur les homicides. Dans notre société, l'homicide est l'un des crimes les mieux documentés. Statistique Canada exige que les policiers remplissent un questionnaire relatif à chaque homicide. Si une arme à feu est en cause, Statistique Canada veut savoir de quel type d'armes à feu il s'agit, si l'arme était enregistrée et si l'accusé était titulaire d'un permis. Tous ces renseignements sont recueillis.
Statistique Canada présente ces renseignements dans le cadre d'études publiées à intervalles irréguliers. Elle choisit divers termes, et présente les renseignements de la manière qu'elle le souhaite. Ces chiffres n'ont rien de bizarre. J'ai simplement demandé qu'on les recueille, et qu'on me les fournisse. Est-ce que cela répond à votre question?
Le président : Merci. Le temps file, et il y a encore trois sénateurs qui veulent poser des questions durant le premier tour.
Le sénateur Hervieux-Payette : Madame Jackman, merci de nous avoir informés sur toute cette question législative, car cela revêt de l'importance pour moi.
Je suis d'accord avec vous pour dire que le projet de loi est anticonstitutionnel, mais s'il est adopté, quel recours s'offrira à un parent ou à un époux qui perd un membre de sa famille? On ne pourra jamais retracer le fusil, et on n'aura aucune façon d'identifier l'auteur du crime. Est-ce que ces personnes pourraient intenter une poursuite contre le gouvernement fédéral?
[Français]
Mme Jackman : C'est une question assez complexe. La Cour suprême du Canada a reconnu que la relation entre un parent et son enfant est un intérêt protégé à l'article 7 de la Charte. Donc, lorsque l'État prend une décision qui menace cette relation, il faut que ce soit conforme aux principes de justice fondamentale; il ne faut pas que l'État se comporte de façon arbitraire.
Mais la complexité de cela, surtout au Québec, c'est qu'il y a eu une décision rendue dans les années 1990, à Montréal, alors que la mère d'un jeune homme abattu sans motif par la police a tenté d'invoquer le Code civil et la Charte canadienne des droits et libertés afin de poursuivre le gouvernement. Sous le Code civil, elle n'a pas eu gain de cause. L'analyse au niveau de la Charte était extrêmement mince et la cour n'a pas vraiment discuté de la question.
Mais il est certain que la Cour suprême reconnaît cet intérêt comme étant fondamentalement important. Surtout en vue du témoignage présenté à la Chambre des communes et ici, au Sénat, quant aux effets de la loi, je ne pense pas qu'on sera en mesure de dire que le gouvernement n'était pas au courant du risque encouru, comme Mme Silas vient de dire, en adoptant cette législation. Cela va à l'encontre des recommandations de tous les experts.
Le sénateur Hervieux-Payette : J'ai une dernière question juridique. Il y a un article dans la loi qui enlève la responsabilité opérationnelle des Archives du Canada de détruire toutes les données.
Lorsqu'on est le gouvernement, on a le droit de faire tout ce qu'on veut. L'exécutif peut enlever l'application de tous les droits. Mais il reste quand même la Charte, comme vous l'avez dit, la question des jugements de la Cour suprême, les ententes internationales.
Dans la balance, il y a le Québec qui veut protéger ces données, prétextant que les citoyens du Québec ont payé pour ce registre et qu'il leur appartient. Est-ce qu'un citoyen québécois ne pourrait pas dire que, puisqu'il a payé ce registre, il lui appartient, et menacer tout simplement de contester son application au Québec?
Mme Jackman : Il est certain que la Cour suprême a reconnu que le registre est une compétence partagée. Le gouvernement provincial a la compétence nécessaire en matière de prévention, il n'y a aucune question. Pour moi, le problème juridique le plus sérieux, c'est l'aspect international. Le Canada a entrepris des engagements clairs en droit international, il a signé des pactes pour maintenir cette documentation. Comme je l'ai mentionné, je trouve incroyable que le ministre de la Justice dise vouloir abroger le registre et détruire les données, puisque ce pacte exige de nous, en tant que pays, d'être capable de fournir ces données. Alors on détruit les données et ensuite, on les récupère pour satisfaire les exigences en droit international? Je ne comprends pas ce que le ministre avait à l'esprit lorsqu'il a dit cela.
[Traduction]
Le président : Madame le sénateur, nous devons passer à un autre intervenant — il y a deux autres sénateurs qui veulent poser des questions.
Le sénateur Frum : Un peu plus tôt, vous avez dit que le registre des armes à feu représentait la moitié de notre régime de contrôle des armes à feu. Je suis aussi favorable que vous au contrôle des armes à feu, mais j'ai de la difficulté à considérer une base de données comme une mesure de contrôle des armes à feu. Un régime de délivrance des permis est en place et, comme M. Mauser l'a dit, la vérification des casiers judiciaires constitue le principal élément de ce régime. Nous procédons à des vérifications relatives à la santé mentale et à la situation familiale, et des exigences en matière d'éducation et d'entreposage doivent être observées. Une fois qu'elle a franchi toutes ces étapes, une personne est autorisée à enregistrer une arme à feu.
Comme un témoin l'a dit, il s'agit de la plus importante banque de données tenue au Canada à propos de citoyens respectueux de la loi. Le registre n'est rien d'autre que cela. Comment peut-on dire qu'il représente la moitié de notre régime de contrôle des armes à feu?
Mme Jackman : J'aimerais citer un extrait d'un arrêt de la Cour suprême du Canada. Le voici :
Les dispositions relatives à l'enregistrement ne peuvent être retranchées de la Loi. Les dispositions relatives aux permis obligent quiconque possède une arme à feu à obtenir un permis; les dispositions relatives à l'enregistrement exigent l'enregistrement de toutes les armes à feu. Ces catégories de dispositions de la Loi sur les armes à feu sont étroitement liées au but visé par le Parlement, la promotion de la sécurité par la réduction de l'usage abusif de toutes les armes à feu. Ces deux catégories sont partie intégrante et nécessaire du régime.
Dans le cadre de cette affaire, la Cour suprême du Canada a entendu les témoignages qui lui ont été présentés, elle les a évalués, et elle en est arrivée à cette conclusion. Je ne peux pas ne pas être d'accord avec elle.
Le sénateur Frum : Certains d'entre nous le peuvent.
Monsieur Mauser, j'ai une question à vous poser. Vous avez affirmé que les données recueillies devaient être détruites. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous êtes de cet avis?
M. Mauser : Pour les deux raisons suivantes. Premièrement, les données sont d'une piètre qualité, à un point tel qu'elles sont inutiles. Cette piètre qualité met en danger la vie des policiers et provoque des accidents, car les policiers se rendront à de mauvais endroits pour de mauvaises raisons. La première raison tient à la qualité.
Deuxièmement, par définition, le registre contient des données concernant des citoyens respectueux des lois. Je ne suis pas certain que le fait de recueillir de tels renseignements sur de telles personnes soit une bonne idée. Si nous décidions de recueillir des renseignements sur des citoyens respectueux de la loi appartenant à un groupe ethnique ou religieux particulier, nous serions tous choqués, à juste titre, mais comme le groupe visé est un groupe de personnes s'adonnant à une certaine activité, ou même un groupe de personnes de race blanche vivant en milieu rural, cela ne nous choque pas. Après la Deuxième Guerre mondiale, nous avons détruit les données sur les Canadiens d'origine italienne, allemande ou japonaise. Nous avons bien fait de détruire ces données. Après la Deuxième Guerre mondiale, nous avons détruit les données du registre des armes d'épaule. Nous avons bien fait de les détruire. Ces données sont non seulement inutiles, mais également immorales.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Ma question s'adresse à Mme Silas. Vous avez dit que c'était votre devoir d'intervenir parce que, selon vous, le registre des armes longues doit rester pour protéger la vie des femmes. Vous avez sûrement travaillé dans des salles d'urgence comme infirmière; un travail éprouvant avec de dures réalités qui ne sont pas si souvent liées à des cas de mort par arme à feu. Vous avez sûrement constaté que, malgré des systèmes d'enregistrement infaillibles, entres autres pour les permis de conduire des motos et des autos, ces dernières peuvent aussi tuer des êtres humains, et peut-être plus qu'avec des armes de chasse. Évidemment, cela dépend de qui est au volant de la moto ou de l'auto.
J'aimerais comprendre pourquoi on ne retrouve pas cette même émotion lorsqu'on retrouve des victimes de la route? Le registre n'enlève pas la possibilité d'avoir des armes à domicile. Je dois vous dire que j'ai été policier. Quand des femmes sont victimes de violence familiale, elles peuvent arriver à l'hôpital, et on constate que ce n'est pas toujours avec des armes à feu qu'elles ont été agressées. Je ne sais pas si vous pouvez nuancer un peu votre position parce que vous semblez focaliser pas mal sur le registre.
Mme Silas : Oui, parce qu'on est ici pour parler du registre. Cependant, j'ai aussi mentionné que c'était une partie du casse-tête, un des moyens utilisés pour assurer la sécurité de nos communautés et de nos familles.
La passion que j'amène ici est la même que j'avais dans les années 1980 au Nouveau-Brunswick. Chez nous, ce sont les motoneiges et les véhicules tout-terrain. On a travaillé fort avec la communauté médicale pour s'assurer que ceux et celles qui sont sur des motoneiges, qui font du ski ou de la bicyclette, portent un casque de sécurité. Dans nos salles d'urgence, on voyait les dangers et les impacts de ne pas en porter. C'est la même passion qui m'habite.
C'est une partie du casse-tête de la prévention. Comme je le mentionnais, c'est un principe de précaution. Cela ne veut pas dire que ce sera la solution à tout, mais c'est une précaution.
[Traduction]
Le président : Avant de conclure, j'aimerais mentionner que M. Foote a subi les contrecoups du fait qu'il a participé à la réunion non pas en personne, mais par vidéoconférence. Je veux vous donner l'occasion de vous exprimer, monsieur Foote. J'ai remarqué que vous aviez pris des notes. Notre temps est limité, mais j'aimerais savoir si vous aimeriez formuler des observations à propos de un ou deux points clés que nous avons abordés. Dans la négative, cela ne pose aucun problème, mais je tiens à vous offrir cette possibilité, car vous avez en quelque sorte été désavantagé par le fait que vous n'étiez pas présent ici.
M. Foote : Je suis frappé par le caractère passionné des propos qui ont été tenus, et je suis très impressionné. Je vous félicite des observations très lucides que vous avez formulées.
Je vais revenir sur ma très vaste expérience d'amateur de plein air. Pris ensemble, les éléments du processus — les vérifications de police, les signatures des témoins, les exigences relatives à l'entreposage et à la formation, les vérifications de santé mentale, les exigences liées au transport, la formation en matière de sécurité, la délivrance périodique de permis, les restrictions liées aux caractéristiques des divers types d'armes à feu et l'enregistrement aux fins du transport — représentent un obstacle considérable et inopportun pour les personnes qui veulent utiliser leurs armes à feu à des fins bénéfiques, légales et honorables.
Tout au long des discussions qui ont été tenues, on semble s'être attaché à l'aspect négatif des choses. On a accordé une attention disproportionnée au petit nombre de cas exceptionnels et très regrettables. N'oublions pas que les armes à feu nous ont permis — et nous permettent toujours — de mener au Canada des activités utiles, merveilleuses, vivifiantes et culturellement significatives. À mes yeux, on n'insiste pas suffisamment là-dessus.
Le président : Merci, monsieur.
Collègues, cela met fin à la présente partie de la réunion. Nous avons entendu divers groupes de témoins et divers points de vue, et je crois que les quatre personnes compétentes et impressionnantes que nous avons entendues aujourd'hui constituent un excellent exemple de cela. Ils nous ont fourni énormément de matière à réflexion.
Je tiens à vous remercier. Vous ne vous êtes pas exprimés de manière irréfléchie et impulsive — vos propos portaient la marque de la réflexion. Nous vous en sommes reconnaissants.
Nous allons maintenant passer au sixième groupe de témoins — le dernier de la journée — que nous entendrons dans le cadre de notre examen du projet de loi C-19, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur les armes à feu. Ce projet de loi est désigné sous l'appellation de Loi sur l'abolition du registre des armes d'épaule.
Je suis heureux d'accueillir les trois témoins suivants : le Dr Langmann, médecin résident, Université McMaster; le Dr Jean-Pierre Trépanier, directeur régional, Directeurs de santé publique du Québec; et Claude Bégin, agent de planification, programmation et recherche. Bienvenue.
Nous allons passer aux déclarations préliminaires. Docteur Trépanier, je vous demanderais de prendre la parole en premier.
[Français]
Dr Jean-Pierre Trépanier, directeur régional, Directeurs de santé publique du Québec (Lanaudière) : Monsieur le président, madame la vice-présidente, distingués membres du comité sénatorial, bonjour. Permettez-moi de me présenter : je suis le docteur Dr Jean-Pierre Trépanier, directeur de santé publique à l'Agence de la santé et des services sociaux de Lanaudière. Aujourd'hui, j'agis à titre de porte-parole des Directeurs de santé publique du Québec.
Je suis accompagné du Dre Hélène Dupont, directrice de santé publique de l'Outaouais, présente dans la salle, et de M. Claude Bégin, professionnel responsable du dossier armes à feu à l'agence de Lanaudière, qui est à mes côtés.
Je tiens à remercier les membres du comité sénatorial de nous permettre de vous exprimer le point de vue des Directeurs de santé publique du Québec concernant le projet de loi C-19.
Les Directeurs de santé publique du Québec sont conscients des étapes franchies par le projet de loi C-19 en vue de son adoption finale par le Sénat. Nous avons tenté d'influencer ce processus au cours des derniers mois. En février dernier, nous avons adressé une lettre aux honorables sénateurs du Québec pour réaffirmer l'importance de maintenir intacte l'actuelle Loi sur les armes à feu, la loi C-68, adoptée en 1995. En novembre 2011, nous avons adressé une lettre aux chefs de partis siégeant à la Chambre des communes, et nous avons également déposé un mémoire au Comité permanent de la sécurité publique et nationale.
Aujourd'hui nous tenons à réitérer les trois principaux éléments de ce mémoire en insistant davantage sur la perspective de santé publique.
Comme premier élément, nous maintenons que la loi actuelle sur les armes à feu est une mesure efficace. L'adoption du projet de loi C-19 aura pour effet de démanteler un système efficace qui permet de sauver des vies et d'éviter des blessures graves. En plus d'abolir le registre des armes d'épaule, le projet vise à détruire les données sur les quelque sept millions d'armes son restreintes, notamment des carabines et fusils de chasse, pour lesquelles on exige actuellement un permis de possession et un enregistrement obligatoire. Cela pourrait entraîner une perte de traçabilité des armes à feu dans la chaîne de distribution, qui lie autant le titulaire d'un permis, le propriétaire, le marchand et les frabricants ou importateur d'armes.
Il convient de rappeler que, au Canada, contrairement aux États-Unis, la possession d'une arme à feu demeure un privilège et non un droit. Le permis de possession et l'enregistrement obligatoire des armes à feu sont des mesures qui visent à protéger la population, sans pour autant restreindre l'accès et l'usage légal comme la chasse ou le tir.
Tout comme pour le permis de conduire et le certificat d'immatriculation d'un véhicule à moteur, qui sont bien acceptés par la population, le permis de possession d'arme à feu sans restriction et l'obligation d'enregistrer chacune des armes possédées sont deux mesures indissociables. Elles permettent de lier chaque arme à son propriétaire, mais aussi de responsabiliser personnellement les propriétaires d'armes à feu en les incitant à respecter les règlements en vigueur, comme par exemple l'entreposage, la vente, le prêt ou le don d'une arme feu. Au même titre, au Canada, personne ne peut louer un véhicule automobile sans présenter au locateur une preuve de permis de conduire valide et une attestation d'assurance responsabilité matérielle ou corporelle. Pourquoi en serait-il autrement pour les détenteurs d'armes à feu non restreinte?
Dans ces cas, comme pour le registre des armes, les données collectées par cette traçabilité permettent d'avoir des renseignements sur les produits, de contrer la vente illégale ou le recel entre propriétaires, de suivre leur évolution dans le temps et de mettre en place d'autres mesures préventives.
Comme deuxième élément, nous voulons souligner que l'entrée en vigueur de la loi C-68 est associée à une réduction de 300 décès par année.
D'abord, rappelons qu'environ 70 p. 100 des décès liés aux armes à feu sont causés par des armes d'épaule, qui sont considérées comme des armes à feu sans restriction. Par ailleurs, les suicides représentent la majorité des décès liés aux armes à feu. Et plus précisément de 2004 à 2008, ils ont représenté 73 p. 100 de ces décès.
Bien que la loi C-68 ne peut prétendre à elle seule éliminer tous les suicides, homicides ou accidents liés aux armes à feu, l'Institut national de santé publique du Québec estime que son entrée en vigueur est associée, entre 1998 et 2004, à une diminution d'environ 250 suicides et 50 homicides par année en moyenne dans l'ensemble du Canada.
Ce nombre représente près d'un décès évité par jour, année après année.
Une étude récente a conclu que les contrôles plus stricts sur les armes à feu mis en place depuis 1977, ont été suivis de diminutions significatives des homicides par arme à feu de l'ordre de 5 à 10 p. 100 selon les provinces. Les auteurs attribuent l'efficacité des lois sur le contrôle des armes à une diminution de l'accessibilité et de la disponibilité des armes à feu plutôt qu'au durcissement des peines prévues par les lois.
Enfin, comme troisième élément, nous tenons à réaffirmer que les armes à feu sont dangereuses pour tout le monde. En effet, il est démontré que les décès liés aux armes à feu concernent surtout des individus aux prises avec des problèmes personnels, conjugaux ou de santé mentale, plutôt que le milieu criminel, et que dans la plupart des cas, ces décès surviennent au domicile des victimes. D'où l'importance de rendre ce type d'armes moins accessibles aux personnes susceptibles d'en faire une mauvaise utilisation.
En somme, la présence d'une arme à feu dans un domicile constitue davantage un danger de blessure qu'un moyen de protection pour les membres de la famille.
En conclusion, considérant que la loi actuelle sur le contrôle des armes à feu demeure toujours une mesure efficace et un levier essentiel pour prévenir des décès par suicide, par homicide ou par accident, et qu'elle permet de diminuer l'accès aux armes à feu qui sont dangereuses pour tout le monde, les directeurs de la santé publique du Québec considèrent crucial de la maintenir intacte, tout comme le registre des armes d'épaule, lequel est une composante indissociable de la loi actuelle.
Le tout assure une traçabilité des armes à feu dans la chaîne de distribution qui lie tant le titulaire d'un permis, le propriétaire, le marchand, et les fabricants ou importateurs d'armes.
En vous remerciant de l'attention que vous porterez à nos propos et dans une perspective de santé publique pour la population canadienne, nous souhaitons vivement que le présent comité recommande au Sénat d'abandonner le projet de loi C-19 en rappelant les mérites et l'utilité de la loi actuelle et du registre des armes d'épaule qui en découle.
Au nom de mes collègues, veuillez accepter, honorables sénateurs, l'expression de nos sentiments les meilleurs.
[Traduction]
Le président : Merci, docteur Trépanier.
Dr Caillin Langmann, médecin résident, Université McMaster, à titre personnel : Merci de me donner l'occasion d'être ici. Je demanderais à chacun d'entre vous de se reporter au mémoire que j'ai soumis — si vous ne l'avez pas sous la main, je vous le fournirai.
Je suis médecin d'urgence dans une ville populeuse du Canada. Tous les jours, j'ai affaire à des personnes ayant subi un traumatisme ou ayant tenté de se suicider.
Au cours des cinq prochaines minutes, je vous présenterai un résumé de la recherche que j'ai récemment fait paraître dans le Journal of Interpersonal Violence, revue avec comité de lecture. Il s'agit d'une recherche sur les lois canadiennes en matière d'armes à feu et de leurs effets sur le taux d'homicide de 1974 à 2008. Je porterai plus particulièrement mon attention sur le registre des armes d'épaule, vu qu'il s'agit du sujet de la réunion, et je donnerai brièvement le lien entre le registre et le taux de suicide au Canada.
Je souligne rapidement que j'ai utilisé trois méthodes statistiques pour tenter de trouver un lien entre les lois sur les armes à feu promulguées en 1977, en 1991 et en 1995. Il est particulièrement important de mentionner que le registre des armes d'épaule a été établi en 1998, et que l'enregistrement complet est devenu obligatoire en 2003.
Si vous consultez le rapport de la vérificatrice générale à ce sujet, vous constaterez que la plupart des armes d'épaule ont été enregistrées vers 2002 environ.
L'étude dont je vous parle est importante dans la mesure où il s'agit de la seule étude revue par un comité de lecture se penchant sur la période qui s'étale de 1974 à 2008, et que ses résultats ont été confirmés au moyen de trois méthodes.
Comme les lois examinées ont été promulguées au cours d'une période qui s'étale sur un certain nombre d'années, on a également tenté de déceler leurs effets graduels.
Pour résumer les résultats de l'étude, je mentionnerai que les recherches n'ont révélé l'existence d'aucun lien bénéfique statistiquement significatif entre les lois canadiennes sur les armes à feu et le nombre d'homicides commis au moyen d'une arme à feu — faisant partie de la sous-catégorie des armes d'épaule —, les homicides entre conjoints ou l'accusation pénale consistant à décharger intentionnellement une arme à feu.
Si vous le voulez bien, reportez-vous à la figure 1, qui se veut une illustration graphique et fictive d'une analyse de régression des homicides, analyse qui a été effectuée dans le cadre de cette étude.
Le taux d'homicide avant l'intervention est désigné par B1. Au moment de l'intervention — désigné par B2 —, dans cet exemple fictif, on constate un effet soudain, une diminution marquée du taux d'homicide.
La tendance au déclin du taux d'homicide après l'intervention — B3 — se maintient après l'intervention. Comme vous pouvez le voir, il y a une différence.
On procède ensuite à une analyse des effets statistiques.
La figure 2 montre le taux d'homicide commis avec des armes à feu, auquel on soustrait les effets de diverses variables comme le vieillissement de la population et la pauvreté, qui figurent dans le bas du graphique.
Comme vous pouvez le constater, contrairement à ce à quoi on pourrait s'attendre, les dispositions législatives n'ont pas provoqué une modification ou une diminution soudaine du taux d'homicides.
On a plutôt constaté que d'autres facteurs économiques avaient un lien statistique avec les homicides commis avec des armes à feu.
Par exemple, lorsque l'âge médian de la population augmente d'une année, le taux d'homicide diminue de 8 p. 100. Cela n'est guère surprenant, car des recherches criminologiques antérieures ont établi que, à mesure que la population vieillit, les criminels ont tendance à disparaître.
La figure 3 présente une interprétation bidimensionnelle de multiples facteurs de régression liés aux homicides commis avec des armes à feu. Il ne s'agit pas de la manière normale de procéder dans le domaine scientifique, mais j'ai fait cela pour que vous puissiez interpréter les chiffres.
Comme il est indiqué, en 1999, après la mise en place du registre des armes d'épaule, il n'y a aucune diminution immédiate importante au fil du temps ni de diminution immédiate en ce qui a trait au taux d'homicide commis avec une arme à feu.
La figure 4 montre la même chose pour ce qui est des homicides commis avec une arme d'épaule. Là encore, on ne décèle aucune diminution statistiquement significative.
La figure 5 illustre la même chose en ce qui concerne les homicides entre conjoints. Là non plus, aucune diminution statistiquement significative en ce qui a trait aux effets ou aux tendances.
Une analyse semblable est appliquée aux taux de suicide ultérieurs à 1991, au moyen de la méthode mise au point par Gagné et ses collaborateurs, de manière à tenir compte de l'incidence de tout élément, par exemple celle des dispositions législatives qui étaient en vigueur avant cela. Ainsi, 1991 est notre année de base, vu que le projet de loi C-17 est entré en vigueur cette année-là.
La figure 6 illustre le nombre total de suicides. En 1999, le registre des armes d'épaule n'avait eu aucune incidence immédiate ou graduelle significative sur ce nombre — du reste, cela vaut probablement aussi pour les PPA.
En ce qui a trait aux suicides commis avec une arme à feu, la figure 7 indique que la mise en place du registre des armes d'épaule en 1999 n'a eu aucun effet significatif immédiat, et que la tendance demeure la même. J'ai agrandi l'échelle de cette figure. À première vue, la ligne peut sembler assez droite, mais lorsqu'on y regarde de plus près, on constate que le taux de suicide commis avec une arme à feu diminue au fil du temps. Après l'entrée en vigueur du registre des armes d'épaule, cette diminution se poursuit, à un rythme moins rapide.
En conclusion, j'aimerais dire que, à mon humble avis, l'argent qui a été dépensé afin d'établir le registre des armes d'épaule est de l'argent qui a été malheureusement gaspillé. Toutefois, nous pouvons éviter d'autres gaspillages en consacrant l'argent que nous dépensons actuellement pour le registre des armes d'épaule à des initiatives concernant d'autres problèmes, par exemple le manque de refuges pour femmes et les lacunes en matière de prévention du suicide, problèmes dont je constate chaque jour l'existence.
En outre, les policiers doivent être mieux formés pour intervenir dans des cas de violence conjugale. De surcroît, le pays est aux prises avec des lacunes criantes au chapitre des soins psychiatriques. Chaque jour, je dois dire à des patients venus me consulter pour obtenir de l'aide que je ne peux rien faire pour eux. Il s'agit de simples citoyens qui paient leurs impôts et à qui je dois dire qu'ils ne pourront pas consulter de psychiatre parce qu'il n'y en a pas de disponibles.
Pour terminer, j'aimerais citer les paroles prononcées par le chef d'un service d'urgence : « Dans une ville où il a plus de 15 000 armes à feu enregistrées — et sans doute autant qui ne sont pas enregistrées — et où 22 trains passent chaque jour, il y a plus de gens qui commettent un suicide en se jetant devant un train qu'en retournant une arme à feu contre eux.
« D'après moi, nous devons affecter davantage de ressources au financement de l'accès aux services de santé mentale et au traitement de la maladie mentale, et non pas à l'enregistrement d'objets inanimés dans les collectivités rurales. Les psychiatres et les travailleurs de proximité obtiennent des résultats concrets. Ils sauvent la vie de Canadiens, ce qu'aucun registre des armes à feu ne peut faire. » C'est ce qu'a déclaré le Dr Oscar Ramirez, chef du service d'urgence du Stevenson Memorial Hospital.
Les résultats que j'ai obtenus ne sont guère étonnants. La National Academy of Sciences et les Centres for Disease Control ont mené une méta-analyse dans le cadre de laquelle ils ont examiné tous les articles publiés sur la question. Il ne s'agissait pas d'une analyse sélective ou suggestive. Ils en sont arrivés à la conclusion que les dispositions législatives touchant l'enregistrement et l'entreposage des armes à feu et la délivrance de permis n'avaient aucun effet bénéfique démontrable.
Le président : Merci. Je constate que les données que vous avez utilisées pour mener votre analyse statistique proviennent, du moins en partie, de Statistique Canada. Est-ce exact?
Dr Langmann : C'est exact. Toutes les données proviennent de Statistique Canada. Quelque 300 points de données ont été utilisés dans le cadre de cette étude.
Le président : Avez-vous eu recours à d'autres sources?
Dr Langmann : Non.
Le sénateur Fraser : Merci à tous d'être ici.
[Français]
Nous apprécions vraiment votre participation à nos travaux.
[Traduction]
Docteur Langmann, vous avez utilisé des données provenant de Statistique Canada, que vous avez ensuite soumises à diverses manipulations statistiques. Je suis quelque peu perplexe. J'ai sous les yeux le document que vous avez soumis — dans la première partie, il est indiqué qu'une entente de publication vous interdit de soumettre au comité votre étude initiale; la deuxième partie semble être l'article en tant que tel.
Dr Langmann : La deuxième partie a été déposée par Solomon Friedman. Je n'ai pas soumis l'article en tant que tel.
Le sénateur Fraser : Pourquoi ne pouvez-vous pas le faire?
Dr Langmann : Il s'agit là de la procédure qu'emploient les revues scientifiques. Durant la première année de publication, elles exigent que vous payiez pour obtenir des articles, ou que vous concluiez une entente avec l'un des fournisseurs, par exemple Sage, qui offre la publication. Cette procédure n'a rien d'inhabituel.
Le sénateur Fraser : Vous avez répondu à ma question. Je n'ai pas beaucoup de temps à ma disposition, et je vais donc vous en poser une autre. J'ai compris la procédure, que je ne connaissais pas.
D'après la conclusion de votre exposé, je crois comprendre que, selon vous, même la délivrance de permis et l'enregistrement ne présentent aucun intérêt. Est-ce que cela veut dire, par conséquent, que vous croyez que nous ne devrions même pas faire enregistrer les armes de poing, et qu'elles ne devraient pas figurer dans la liste des armes prohibées? Êtes-vous en train de dire que nous ne devrions même pas nous donner la peine de délivrer des permis aux propriétaires de fusils? Je ne suis pas certaine de la manière dont je dois interpréter vos propos.
Dr Langmann : Vous avez posé trois questions, auxquelles je répondrai à tour de rôle.
Tout d'abord, je vous ai présenté non pas mon opinion, mais des renseignements fondés sur des données scientifiques.
Le sénateur Fraser : Je vous ai demandé de nous donner votre opinion.
Dr Langmann : Mon opinion est fondée sur des données scientifiques. Ainsi, je me suis appuyé sur des méta-analyses menées par la National Academy of Sciences — il s'agit là d'une institution absolument impartiale, qui n'est pas financée par la NRA ou une autre organisation du genre — et par les Centers for Disease Control, et qui ont été publiées en 2004 et en 2005. D'après ces analyses, la délivrance des permis n'a aucun effet bénéfique mesurable — en ce qui concerne ces effets, les données probantes sont équivoques.
Ces mêmes organismes peuvent démontrer que le fait de fixer à 0,08 p. 100 le taux d'alcoolémie permis a des effets bénéfiques, de sorte que l'on ne peut pas affirmer qu'elles ne sont pas compétentes. On peut se demander pourquoi elles ont de la difficulté à conclure que les dispositions législatives ont des effets bénéfiques.
Sur ce point précis, je dois dire que j'ai moi aussi de la difficulté à comprendre pourquoi la délivrance de permis n'avait pas d'effets bénéfiques sur les chiffres que nous avons examinés.
Gary Mauser a été en mesure d'obtenir le même résultat. En 1977, lorsque la délivrance de permis — l'autorisation d'acquisition d'armes à feu — est entrée en vigueur, plusieurs autres publications en sont arrivées à la même conclusion.
Cela semble indiquer qu'il se produit un important effet de substitution — les criminels ou les personnes qui souhaitent mener des activités malintentionnées se procurent des armes à feu par d'autres voies.
Ce phénomène a été étudié au Canada. Au dos de la publication qui vous a été fournie non pas par moi, mais par Solomon Freedman, vous trouverez une étude concernant les moyens utilisés par les criminels afin d'obtenir des armes à feu à Toronto, et leurs fournisseurs.
D'après cette étude, les criminels ont tendance à échanger entre eux des armes à feu, à emprunter de telles armes à telle ou telle fin, et non pas à se rendre chez un détaillant pour s'en procurer.
Le sénateur Fraser : Je ne veux pas vous couper la parole — tous ces renseignements sont pertinents, mais si on veut les obtenir, on n'a qu'à consulter l'étude.
Je vous ai demandé de me donner votre opinion personnelle sur la délivrance de permis et sur l'enregistrement des armes de poing et des armes prohibées. Je sais que le président va bientôt me dire que mon temps est écoulé, et c'est la raison pour laquelle je vous ai interrompu.
Dr Langmann : Ce que je suis en train de vous dire, c'est que, dans le domaine scientifique, l'opinion personnelle ne compte pas. Elle pourrait revêtir une certaine importance lorsqu'il s'agit de traiter des données qualitatives ou d'analyser une expérience. Je travaille dans le domaine de la médecine d'urgence — si vous voulez me poser des questions là-dessus, je pourrai y répondre.
Dans le domaine scientifique, on doit examiner les faits et tirer des conclusions en se fondant sur les faits. C'est également de cette manière que je procède tout le temps dans le cadre de mes fonctions de médecin d'urgence.
D'après les faits, aucune étude n'a été menée au Canada en ce qui concerne l'enregistrement de pistolets. On enregistrait les pistolets en 1934, et je ne peux donc rien dire là-dessus. Toujours selon les méta-analyses menées par les CDC et la National Academy of Sciences, aucun effet bénéfique n'a pu être démontré en ce qui a trait aux États-Unis et à d'autres pays — en d'autres termes, les résultats obtenus à ce chapitre étaient équivoques.
Pour ce qui est de l'enregistrement des armes à feu prohibées — catégorie qui comprend les pistolets, les armes à feu à autorisation restreinte et, en raison de leur seule apparence, certaines autres armes à feu —, dont je crois qu'il est question dans ces analyses, la possession d'une arme à feu prohibée exige l'obtention d'un permis aux termes du paragraphe 12(6), que peu de gens détiennent; cependant, beaucoup d'armes à feu ont été probablement classées dans la catégorie des armes à feu à autorisation restreinte simplement en raison de leur apparence et de la longueur de leur canon, de sorte que, si l'on cessait d'assujettir leur possession à l'obtention d'un permis, cela n'aurait vraisemblablement aucune incidence.
L'enregistrement de ce type d'armes à feu est entré en vigueur en partie en 1977, puis en 1991. Comme le montre mon étude, les dispositions législatives liées à l'enregistrement n'ont eu aucun effet bénéfique.
Le président : Madame le sénateur, comme vous l'aviez prédit, nous devons passer à un autre intervenant.
Le sénateur Chaput : Ma question fait suite à celle du sénateur Fraser.
Quelle est la définition scientifique d'un « effet bénéfique »? Comme vous affirmez que vous vous appuyez sur des données scientifiques, j'aimerais connaître la définition scientifique de cette expression.
Dr Langmann : Dans le domaine des sciences médicales, économiques et socioéconomiques, on fixe une valeur statistique — à savoir 95 p. 100 — qui correspond au taux auquel un phénomène se produit, ou produit un effet différent de celui qui aurait dû survenir. Ce critère est généralement admis.
En termes simples, dans le cadre de l'étude que j'ai menée, les valeurs des différences statistiques étaient encore plus élevées que cela. C'est là-dessus que cela est fondé.
Le sénateur Chaput : Qu'entendez-vous par « différent »?
Dr Langmann : On peut appliquer cela à un phénomène comme celui de la consommation d'un médicament. Est-ce que l'aspirine a un effet bénéfique sur la prévention des maladies cardiovasculaires?
Le sénateur Chaput : Aux fins du compte rendu, pourriez-vous nous indiquer à quoi tient la différence lorsque vous affirmez qu'il n'y a aucun effet bénéfique significatif?
Dr Langmann : La valeur prédictive est inférieure à 0,05 p. 100. C'est ce que cela signifie. Si vous voulez que je vous fournisse des renseignements plus approfondis, je peux le faire.
Le sénateur Chaput : Ça va. Quant à savoir si je comprends ou non ce que vous voulez dire, c'est une autre paire de manches.
Dr Langmann : Il s'agit d'une chose qui est évaluée par les pairs. Ainsi, les scientifiques comprennent de quoi il s'agit.
Le sénateur Lang : Je vais mentionner une chose qui, à mes yeux, est importante aux fins du compte rendu. Aujourd'hui et, si je ne m'abuse, un certain nombre de fois dans le passé, des témoins ont affirmé que le taux de suicide avait augmenté. Je reconnais la valeur des travaux que vous avez menés. Je pense que, pour l'essentiel, je ne comprends pas comment vous en êtes arrivé à ces résultats, mais il est intéressant de constater l'intérêt que vous avez manifesté à l'égard de ces questions. De toute évidence, d'après ce que vous avez dit, votre étude a été évaluée très rigoureusement par des pairs en fonction des lignes directrices établies par la communauté scientifique. À mon avis, il est important de souligner cela.
J'aimerais que vous nous fournissiez des précisions concernant la figure 7, qui a trait au nombre de suicides commis avec une arme à feu par tranches de 100 000 habitants. La figure indique une diminution significative et très marquée. Cela concorde avec ceux contenus dans l'article concernant l'utilisation malhonnête que font les partisans du contrôle des armes à feu des statistiques relatives au suicide. En effet, on constate que le taux de suicide a diminué, et que le registre n'a eu aucun véritable effet à cet égard.
Pouvez-vous nous en dire davantage à ce sujet? Cela contribuerait à éclairer tous les membres du comité avant qu'ils ne prennent une décision.
Dr Langmann : Si vous jetez un coup d'œil au graphique, vous constaterez que j'ai tenté de le simplifier de manière à ce que tout le monde puisse le comprendre.
On observe une diminution du taux de suicide. Jusqu'à l'année 1999, on voit une ligne droite qui monte; par la suite, le taux de suicide commis avec une arme à feu diminue, en quelque sorte. Il ne s'agit pas d'une diminution marquée. S'il y avait eu une variation, une tendance significative ou une diminution croissante par la suite, cela aurait indiqué que le registre des armes d'épaule a eu un effet au chapitre de la prévention du suicide, car il aurait accru la diminution du taux de suicide.
De toute évidence, une analyse statistique a été effectuée — ce que vous voyez là n'est que l'illustration graphique de cette analyse.
Il convient de souligner que, en 1991, les ISRS — des médicaments antidépresseurs — ont été commercialisés au Canada et aux États-Unis. On a constaté, aux États-Unis également, une diminution notable du nombre de suicides, surtout chez les adolescents, diminution qui, à ma connaissance, n'est liée à aucune loi en vigueur à ce moment-là, ce qui correspond à ce que nous avons constaté en ce qui a trait au nombre de suicides commis avec une arme à feu au Canada.
En outre, on observe une variation, que l'on appelle « effet de substitution », et qui renvoie au fait que les gens emploient d'autres moyens pour se suicider, plus particulièrement la pendaison, du moins au Canada et aux États- Unis. D'après plusieurs études, le taux de réussite d'une tentative de suicide au moyen d'une arme à feu est de 83 ou 84 p. 100. Pour ce qui est des tentatives de suicide par pendaison, le taux de réussite s'élève à environ 82 p. 100. Il s'agit de taux assez importants. De toute évidence, on ne peut pas rendre illégale l'utilisation d'une corde.
Un nombre considérable d'études ont été menées. Les méta-analyses dont j'ai parlé les englobent.
Des études ont été menées au Canada également. J'aimerais vous parler de l'une d'entre elles, menée par un certain Dr Caron. L'étude porte sur les régions du Canada où le taux de suicide est le plus élevé, à savoir l'Abitibi et le Nord du Québec, dans les réserves autochtones. On s'est penché sur le taux de suicide commis au moyen d'une arme à feu après l'adoption du projet de loi C-17, au moment où la vérification des antécédents est entrée en vigueur. On a constaté, d'une part, une diminution du taux de possession d'une arme et du taux de suicide commis avec une arme à feu, et, d'autre part, un accroissement global — de 11 p. 100 environ — du taux de suicide commis par un moyen autre que celui d'une arme à feu. Le principal moyen utilisé était la pendaison, mais il y en avait d'autres, par exemple l'empoisonnement.
Ce qui nous préoccupe véritablement, c'est de déterminer si les lois que nous adoptons ont une quelconque incidence sur le taux de suicide global. Les études ont montré que ces lois ont une incidence sur le taux de suicide par arme à feu, mais ont-elles une incidence sur le taux de suicide global? L'analyse évaluée par les pairs semble indiquer l'existence d'un important effet de substitution. C'est ce qui me préoccupe principalement, car c'est ce que je veux tirer au clair.
Il n'y a personne à qui je peux adresser les gens qui viennent me consulter, et c'est un grand problème.
Le sénateur Lang : Monsieur le président, aux fins du compte rendu, je tiens à souligner que ce que le Dr Langmann vient juste de dire concorde, pour l'essentiel, avec les autres renseignements que j'ai sous la main, selon lesquels, en substance, le taux de suicide est demeuré stable, et que les moyens que les gens emploient pour se suicider ont changé.
Dr Langmann : Nous ne sommes pas certains de comprendre pourquoi les moyens ont changé.
Le sénateur Lang : J'aimerais m'adresser aux autres témoins afin de revenir sur un autre sujet, qui revêt de l'importance, selon moi, car beaucoup de témoignages que nous entendons à propos du registre sont inexacts. La plupart des policiers de première ligne ne sont pas favorables au registre des armes d'épaule parce qu'ils estiment qu'une bonne partie des renseignements qu'il contient sont erronés et leur donnent une fausse impression de sécurité.
J'aimerais m'adresser au Dr Trépanier en ce qui concerne la question de la délivrance des permis en tant que telle. Vous possédez une très bonne connaissance des dispositions législatives pertinentes. J'aimerais que vous nous donniez votre avis sur le fait que le régime de délivrance de permis aux particuliers demeure en place, c'est-à-dire sur le fait que les gens devront, aux fins de l'obtention d'un permis, continuer de soumettre une demande, de subir une évaluation, de fournir des références et d'obtenir une note de 80 p. 100 à l'examen pertinent. Un certain nombre de mesures rigoureuses et strictes sont prises pour faire en sorte que les personnes qui se voient délivrer un permis répondent aux critères. Il y a une chose que je ne peux pas passer sous silence — je veux que tout le monde comprenne bien que, pour obtenir un permis, on doit prouver que l'on est un demandeur digne de confiance en se soumettant à une vérification des références par la police, mais également en fournissant des références provenant de la collectivité.
À votre avis, est-ce que le régime de délivrance de permis fonctionne? Est-ce qu'il joue le rôle de filtre empêchant les personnes qui ne devraient pas obtenir un permis de s'en voir délivrer un? Est-ce que ce régime, qui est en place, fonctionne dans une certaine mesure? Vous pourriez peut-être nous dire quelques mots à ce propos.
[Français]
Dr Trépanier : En fait, je pense que ce qui est important et le message qu'on veut transmettre aujourd'hui, c'est que notre mandat en tant que directeur de santé publique c'est de regarder la problématique dans un aspect populationnel et non individuel. Et à ce titre, on a un mandat bien précis qui nous est conféré par la loi et qui consiste à protéger la santé de la population. Sur ce plan, si on veut mener à bien notre mandat, on doit s'assurer de faire une bonne analyse du problème pour trouver les solutions qui peuvent améliorer la santé de la population et la protéger. Et à ce titre bien entendu, il n'y a pas une seule mesure qui peut réussir à le faire si on parle de la prévention du suicide, mais c'est un ensemble de mesures qui concerne à la fois les individus, mais aussi les environnements.
Lorsqu'on parle d'agir sur les environnements, on ne parle pas seulement de l'environnement physique, mais aussi de l'environnement législatif donc l'ensemble des lois et des règlements qu'une société se donne pour vivre ensemble de façon harmonieuse et à ce titre, il nous paraît juste d'encadrer un certain nombre de biens de consommation et de faire en sorte que leur utilisation puisse être la plus juste possible.
Je vous ai donné l'exemple tantôt de la conduite automobile. C'est un exemple très près de celui des armes à feu dans la mesure où on exige à la fois l'enregistrement et la possession d'un permis. Également, lorsqu'on parle de l'ensemble de mesures pour ce qui est de la conduite automobile, on parle aussi de prendre des cours et plusieurs autres mesures.
Bien entendu, lorsqu'on parle d'une arme à feu, comme quand on parle d'un véhicule automobile, on comprend que la très grande majorité des utilisateurs vont en faire un usage licite et diligent sauf qu'il y a une dangerosité intrinsèque à ce bien de consommation tout comme une voiture peut devenir une arme en elle-même par les simples lois de la physique. Alors à ce titre-là, il nous apparaît tout à fait raisonnable d'exiger pour les armes à feu un contrôle similaire à celui exigé pour les véhicules automobiles.
Claude Bégin, agent de planification, programmation et recherche, Directeurs de santé publique du Québec (Lanaudière) : En fait, les lois subséquentes à un registre viennent renforcer des mesures mises de l'avant, par exemple le permis et l'enregistrement. Quand on a mis sur pied le système de permis au Canada et d'enregistrement des véhicules automobiles, ça a pris des années avant de le perfectionner. Je ne peux pas vous dire quels en ont été les coûts, mais il y en a eu qui ont été associés pour les gouvernements, même pour Transports Canada, pour enregistrer les véhicules importés ou vendus ici.
Au cours des années, ce registre a été amélioré ainsi que la qualité des données. Il en va de même pour le registre des armes à feu. On a entendu des choses en termes de qualité des données pour le registre. Sans nier ce fait, il est cependant possible pour des organisations publiques et gouvernementales d'améliorer le système de qualité des données. On le fait dans d'autres domaines comme la santé de la population ou de la sécurité. On peut faire le même parallèle avec les voitures aussi et les lois qui découlent de ces registres par la suite. Un registre ne permet pas seulement d'accumuler des renseignements sur les détenteurs de permis, sur les armes ou sur les véhicules. Il permet aussi pour les gens qui s'occupent de la recherche ou comme nous, de prévention de la santé de la population d'aller regarder ces fichiers, d'en extraire des données et de faire des comparaisons pour voir si des groupes de personnes sont plus affectés par ce produit par exemple, celui de l'automobile et de mettre sur pied d'autres recherches qui vont nous amener à proposer par la suite des politiques, des programmes et qui vont être d'autres lois. Par exemple, pour les voitures, on a eu l'alcool au volant, la conduite dangereuse, la vitesse, la sécurité des véhicules, tout notre réseau routier. Plusieurs lois ont été mises de l'avant pour s'assurer qu'on ait finalement un réseau routier.
[Traduction]
Le président : Je suis désolé de vous interrompre, mais j'aimerais vous demander d'abréger votre réponse : un certain nombre d'autres personnes souhaitent poser des questions.
[Français]
M. Bégin : Je m'arrête pour l'instant.
[Traduction]
Le président : Collègues, là encore, je dois vous demander d'abréger vos questions et vos réponses. Je suis conscient du fait qu'il y a beaucoup de choses à dire, et nous voulons entendre ce que vous avez à dire, mais nous devons nous efforcer d'être le plus concis possible.
[Français]
Le sénateur Hervieux-Payette : D'abord, je veux féliciter les 16 directeurs de la santé. Vous avez fait d'excellentes recherches avec référence aux experts. Avec qui avez-vous préparé ce document? Est-ce à l'intérieur de votre bureau ou vous êtes-vous associés à des chercheurs pour préparer ce document?
Dr Trépanier : Enfin, c'est, bien entendu, que nous nous sommes référés à des travaux qui avaient été menés principalement par l'Institut national de santé publique qui l'avait fait dans le cadre d'un mémoire déposé au Comité permanent de la Chambre des communes sur un projet de loi précédent, le projet de loi C-391.
L'Institut national de santé publique est un organisme qui conseille le ministre de la Santé du Québec et également les directeurs de santé publique. C'est donc un organisme indépendant qui a lui-même fait affaire avec un certain nombre de chercheurs. L'un d'entre eux, Étienne Blais, a eu l'occasion aussi de témoigner devant le SECU l'automne dernier. Cela fait partie des informations que nous avions à notre disposition. Nous avons donc basé notre mémoire principalement sur ces données et nous avons travaillé, avec M. Bégin, à sa rédaction.
Le sénateur Hervieux-Payette : Cela nous donne vraiment la source, à savoir que ce n'est pas une opinion personnelle, mais l'opinion d'une institution bien établie au Québec.
J'aimerais lire une petite note qui nous permet de déduire toute la question des statistiques. Une dame, Barbara Weil, de l'Initiative pour la prévention du suicide en Suisse, est convaincue qu'une restriction de l'accès aux armes à feu permettrait de réduire le nombre de suicides. Elle dit :
Nous sommes en mesure de prouver que les pays dotés d'une législation plus sévère ont vu leur taux de suicide se modifier considérablement, comme au Canada, en Finlande ou en Grande-Bretagne.
J'avais donné plus tôt cet après-midi le nombre d'armes à feu qui circulent aux États-Unis et qui circulent en Suisse. Dans les deux cas, c'est beaucoup plus élevé que dans d'autres pays et il semble y avoir une corrélation entre le taux de suicide, le taux d'utilisation pour commettre des meurtres et la disponibilité ou la libéralisation des armes à feu dans un pays.
Est-ce que cet aspect de savoir que lorsqu'on libéralise et qu'il n'y a plus de contrôle — parce qu'il n'y a à peu près pas de contrôle — met en danger la santé publique?
M. Bégin : Il est probable que oui. D'ailleurs, l'Institut national de santé publique a publié, en 2010, une étude qui concerne le Québec au niveau du suicide, dans la revue Injury Prevention, qui est une revue assez reconnue dans son domaine et qui conclut que chez les jeunes hommes, la baisse des taux de suicide était étroitement associée à l'entrée du projet de loi C-17. Il a apporté une note importante disant que l'effet des lois sur les armes feu au Canada a pris du temps. Vous le savez autant que nous; cela a pris plusieurs années avant que toutes les mesures de cette loi, à partir du projet de loi C-17, et du projet de loi C-68, prennent vraiment effet.
Par exemple, au niveau de la pendaison, pour ce qui est du Québec, chez les hommes, ce moyen a diminué à partir des années 2000 également. Il n'y a pas eu d'effets de substitution qui ont été constatés à partir des années 2000 avec la réduction des taux de suicide liés aux armes à feu au Québec.
[Traduction]
Dr Langmann : Tout d'abord, comme je l'ai mentionné, l'étude n'a révélé aucun effet en ce qui concerne le projet de loi C-19. Ce que vous dites est inexact.
Le sénateur Hervieux-Payette : Quelle étude?
Dr Langmann : L'étude montre qu'il y a eu un effet en 1995, effet lié au projet de loi C-68.
Le sénateur Hervieux-Payette : Nous ne savons pas de quoi vous parlez.
Le président : Vous avez fait allusion à une étude, et je crois que le sénateur vous a demandé d'indiquer de quelle étude vous parliez.
Dr Langmann : Il s'agit de l'étude menée par Gagné sur la prévention de la violence en général.
J'aimerais également souligner que cette étude ne comprend aucune autre variable dépendante. En d'autres termes, on n'a pas tenu compte de facteurs comme le revenu, le taux de pauvreté ou la commercialisation de nouveaux médicaments comme les ISRS, qui ont eu une incidence non négligeable sur la prévention du suicide et sur la diminution de l'impulsivité des personnes qui songent à attenter à leurs jours.
De plus, une kyrielle d'autres études ont montré que la restriction du nombre d'armes à feu a pour effet de réduire le nombre de suicides commis au moyen d'une arme à feu, mais que cela donnait lieu à un important effet de substitution. Plusieurs études menées au Canada montrent cela. En 2008, Caron et ses collaborateurs ont montré — comme Carrington et Moyer l'ont fait en 1994 — qu'il n'y avait aucune corrélation entre le nombre d'armes à feu et le taux de suicide par arme à feu dans les provinces canadiennes. En d'autres termes, le taux de suicide global n'a pas augmenté dans les provinces où le taux de possession d'une arme à feu est élevé.
J'aimerais également attirer votre attention sur une autre étude, menée par Sloan et coll. en 1990. Dans le cadre de cette étude, on a comparé deux villes, savoir Seattle et Vancouver. À Seattle, le taux de possession d'une arme à feu est plus élevé, et les lois en matière de possession d'une arme à feu sont beaucoup plus progressistes qu'elles ne le sont en Colombie-Britannique. Les auteurs ont montré que le taux de suicide commis avec une arme à feu était plus élevé à Seattle, mais que le taux de suicide global dans les deux villes était semblable. Cette ville canadienne et cette ville américaine sont assez semblables sur bien des points, et je les connais bien toutes deux.
Il est important d'examiner de vastes méta-analyses portant sur l'ensemble des études ayant été menées. Les CDC et la National Academy of Science font cela, et leurs analyses sont évaluées par les pairs.
J'aimerais également demander à mes collègues de m'indiquer d'où provient ce chiffre de 250 qu'ils ont mentionné — je ne l'ai jamais vu figurer dans une quelconque revue avec comité de lecture. D'où vient ce chiffre?
On a laissé entendre que, depuis l'instauration, en 1998, du registre des armes d'épaule et du PPA, quelque 250 suicides de moins étaient commis chaque année. Je vais vous citer des chiffres à ce sujet. Il s'agit de données provenant de Statistique Canada. En 1996, le nombre de suicides a diminué de 33; en 1997, de 65; en 1998, le nombre de suicides était semblable à celui de l'année précédente; en 1999, il y a eu 11 suicides de moins; en 2000, il y a eu 122 suicides de moins, mais cela doit être mis en corrélation avec le fait que, cette année-là, il y a eu 209 suicides de moins qui ont été commis par d'autres moyens. Je ne sais pas à quoi cela tient — quelque chose a dû se passer à ce moment-là.
Le sénateur Hervieux-Payette : Monsieur le président, s'ils veulent débattre de leurs statistiques, nous avons plusieurs autres études à leur opposer. Allons-nous y éplucher chaque étude? Je crois que j'en ai entendu assez.
Le président : Très bien. Je croyais que le témoin mentionnait cela en réponse à une question que vous aviez posée. Si vous en avez assez entendu, très bien. Merci.
Nous avons encore quatre sénateurs à entendre durant le premier tour.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup pour vos mémoires. C'est très instructif et c'est intéressant parce qu'on sort un peu du débat strictement subjectif et on a des données qui nous permettent d'avoir une vision un peu plus objective du registre.
Je travaillais au gouvernement du Québec, dans mon ancienne vie, dans le développement économique et social. On a vécu trois grandes crises économiques : 1982-83, 1988, 1993-95. Lorsque je regarde la courbe des suicides au Québec; elle a augmenté en 1983, elle a augmenté en 1988 et elle a augmenté en 1993. Est-ce que, d'après votre expérience en tant que médecin, la situation économique par rapport au suicide des hommes peut avoir davantage d'impact sur le nombre de suicides, comme par exemple lorsqu'un père de famille est 24 ou 30 mois sans travail, que le fait d'avoir une arme de chasse dans la maison?
Dr Trépanier : Par votre question, vous me demandez si cela peut avoir plus d'impact? Je ne me prononcerai pas à savoir si cela peut avoir plus d'impact. Cependant, est-ce que cela a un impact? Il y a pour les grands cycles économiques et les taux de suicide qui sont observés très certainement un impact. Il y a même une excellente corrélation entre les deux, ce qui ne signifie pas pour autant que les mesures qui visent à réduire le suicide, incluant des mesures au niveau de la restriction de l'accessibilité aux moyens ne sont pas efficaces.
Je l'ai mentionné dans mon allocution; il n'y a aucune mesure prise à elle seule qui peut prétendre enrayer le suicide et le suicide est bel et bien un problème important de santé publique qui est relié avec les cycles économiques. Si on prend des mesures pour contrer le suicide, on doit donc avoir un éventail important. On doit avoir bien entendu des mesures au niveau de l'individu, mais aussi des mesures au niveau de l'environnement. Très certainement, il faut agir sur un meilleur traitement et un meilleur dépistage des maladies mentales. Il faut toutefois également faire en sorte que les gens ne soient pas tentés d'utiliser des moyens pour passer à l'acte. Par les données dont nous disposons, le registre y a contribué.
Le sénateur Boisvenu : C'est évident.
[Traduction]
Le président : Je tiens à vous rappeler que nous discutons du projet de loi C-19, même si ce sujet ne peut pas être circonscrit de façon parfaitement précise.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : On a reçu deux documents, l'un de synthèse et l'autre plus élaboré et il a été signé par beaucoup de scientifiques, dont le Dr Réal Lacombe, avec qui j'ai fait mes études scientifiques.
Vous affirmez qu'il y a un lien direct entre le registre des armes à feu et la baisse des homicides et des suicides. Comment peut-on faire un lien aussi direct entre le registre et la baisse des homicides et des suicides lorsque dans la même période, alors que le registre n'existait pas, 1979-1995, le taux de réduction des homicides et des suicides était plus grand que lorsque le registre était présent dans les 15 autres années?
J'essaie de comprendre, en tant que scientifique, sur quoi propose votre analyse. Est-ce strictement sur des statistiques avec Statistique Canada ou est-ce une étude scientifique faite en laboratoire, avec des gens indépendants?
Dr Trépanier : On comprend que la tendance au niveau des suicides est à la baisse depuis de nombreuses années et même quelques décennies. C'est sûr qu'être capable de déterminer l'effet supplémentaire d'une mesure, et à plus forte raison d'une loi, n'est pas facile à faire alors que la tendance elle-même est à la baisse.
Cependant, il faut avoir une méthodologie qui nous permette de le démontrer et il faut le mesurer au bon moment. Il est certain que ce n'est pas facile de développer une méthodologie comme celle-là. D'ailleurs, cela a pris plusieurs années avant d'avoir des données sur l'effet des lois depuis 1977. Et les travaux qui ont été menés par l'Institut de santé publique et Étienne Blais nous ont permis, pour la première fois, de jeter un éclairage là-dessus.
Je ne sais pas si mon collègue aurait quelque chose à ajouter concernant des données plus précises sur le phénomène.
J'aimerais simplement dire qu'il y a une tendance depuis les années 1970. Cela n'enlève pas la validité des résultats de constater qu'il y a eu une diminution des décès sur cette tendance.
C'est une tendance générale au niveau des suicides et c'est la même chose pour les homicides. Il y a une tendance générale au Canada, mais par des méthodes utilisées par nos collègues, ils ont pu déterminer qu'à partir de la création de la loi C-68, il y a vraiment eu des effets qui ont été constatés, en tenant compte de certaines variables, liées à l'âge, à la consommation d'alcool et aux provinces, parce que cette étude a été basée sur l'ensemble des provinces au Canada. Donc, ce sont des données qui sont par province, cumulées pour l'ensemble du Canada.
Dr Trépanier : Incidemment, on a observé les mêmes tendances au niveau des décès sur la route, donc une baisse marquée depuis les années 1970. Ce qui ne veut pas dire pour autant que les mesures mises en place depuis ce temps n'ont eu aucun effet sur le bilan routier. Au contraire, on continue à voir une baisse qui est sûrement due à cet ensemble de mesures. Ce n'est pas une mesure en tant que telle mais plutôt l'ensemble de l'environnement des mesures législatives et d'autres mesures de prévention mises en place.
[Traduction]
Le sénateur Jaffer : Docteur Trépanier, j'ai une question à vous poser. Tout d'abord, je souligne que je ne connais pas le Québec aussi bien que je le devrais, et j'en suis désolée. Vous représentez les Directeurs de la santé publique du Québec — s'agit-il du ministère de la Santé du Québec, d'un organisme comme Santé Canada? En Colombie- Britannique, il y a le ministère de la Santé. Est-ce de cela qu'il s'agit?
[Français]
Dr Trépanier : La santé est de compétence provinciale. Au niveau de la santé publique, il y a l'Agence de santé publique du Canada qui chapeaute l'ensemble des activités. Au Québec, il y a le ministère de la Santé; et à l'intérieur du ministère de la Santé, il y a une direction générale de la santé publique. Mais il y a des mandats aussi au niveau des autorités régionales de santé publique à l'intérieur des agences de la santé.
[Traduction]
Le sénateur Jaffer : Ce que je voulais dire, c'est que votre recherche est fondée sur un échantillon d'une taille assez considérable, n'est-ce pas?
[Français]
Dr Trépanier : Nous n'avons pas fait la recherche nous-mêmes, elle a été faite par un chercheur, Étienne Blais, avec le concours de l'Institut national de santé publique. Les données utilisées, encore une fois, il s'agit de termes techniques dans lesquels je ne veux pas entrer, mais il y a eu une analyse qui a été faite par province, ce qui permet d'avoir un plus grand nombre d'observations que si on avait regardé les données pour le Canada dans son ensemble.
C'est ce qui fait la force de cette étude, à mon avis. Mais ce n'est pas moi qui l'ai menée, alors je ne peux pas vous dire dans les détails, mais nous avons confiance dans les travaux de l'institut.
[Traduction]
Le sénateur Jaffer : Je vous écoute tous les trois parler de différentes recherches, et cela me rappelle ce que Mme Silas a dit à propos du principe de précaution — on doit se fonder sur ce principe plutôt que sur le nombre de décès. J'aimerais vous entendre à ce sujet. Le maintien du registre est une mesure de précaution — une mesure servant à prévenir des décès. Qu'il s'agisse de prévenir un ou 100 décès importe peu — l'important est de prévenir des décès. N'est-ce pas de cela que nous parlons?
[Français]
Dr Trépanier : Il faut regarder de ce phénomène pour être capable d'évaluer l'impact de la mesure, mais ce n'est pas la première fois qu'on a des données scientifiques qui vont dans un sens alors que certaines études peuvent aller dans l'autre direction. Bien entendu, on ne peut pas attendre d'avoir toutes les données pour prendre des décisions, on doit agir pour protéger la santé de la population.
Dans le cas présent, on a des données que je considère fiables qui démontrent une efficacité pour le registre. Si les données sont contradictoires, à mon avis, ce n'est certainement pas une indication d'abolir le registre, mais c'est plutôt une indication de le maintenir et de continuer à colliger les données qui nous sont apportées par l'enregistrement des armes pour mieux évaluer le phénomène pour savoir si, effectivement, on a une efficacité reconnue. Est-ce que c'est pour toute la population? Y a-t-il des sous-groupes de la population qui en bénéficient davantage?
C'est essentiel d'avoir les données, sinon on n'est pas capable de se prononcer là-dessus. Malheureusement, lorsqu'on l'aura aboli, il sera trop tard.
[Traduction]
Dr Langmann : J'ai quelques brefs commentaires à formuler. Si j'exerçais la médecine en me fondant sur le principe de précaution, je ferais admettre à l'hôpital chaque personne qui me consulte, et le gouvernement ferait faillite.
Le sénateur Hervieux-Payette : Non, il ne s'agit pas de la même chose.
Dr Langmann : Nous devons prendre des décisions en nous fondant sur des données probantes. Il arrive que je renvoie une personne chez elle, et qu'elle décède. Selon les renseignements dont je disposais, ces personnes n'avaient pas à être admises à l'hôpital; pourtant, elles sont décédées.
En ce qui concerne le sujet qui nous occupe, nous devons agir de la même façon. Nous devons établir ce qui est bénéfique sur le plan financier et sur le plan de la sûreté. Beaucoup d'études montrent que le registre des armes d'épaule n'a eu aucun effet. Dans le cadre de l'étude qu'il a menée, Blais n'a utilisé que deux variables dépendantes; pour ma part, j'en ai utilisé sept ou huit, selon ce que j'étudiais. Si vous examinez les notes de bas de page de son étude, vous constaterez que la plupart d'entre elles ont été retirées.
Le président : Merci, sénateur. Nous avons deux autres sénateurs à entendre. Nous commençons à manquer de temps, mais comme il s'agit du dernier groupe de témoins, ils auront l'occasion de poser leurs questions.
Le sénateur Runciman : Je ne peux pas m'empêcher de réagir à une chose qu'a dite le Dr Trépanier, à savoir que nous devons en faire davantage à cet égard. Quelque 17 années ont passé, et plus de deux milliards de dollars de fonds publics ont été dépensés, et l'on ne voit toujours pas la lumière au bout du tunnel.
Je tiens à féliciter le Dr Langmann. J'imagine que la chaîne parlementaire CPAC pourrait intituler « La guerre des savants » la présente partie de la réunion. Je reconnais les mérites de l'étude que vous avez menée. Au sein de la communauté médicale, vous êtes en quelque sorte la voix qui crie dans le désert. Au fil des ans, des gens se sont présentés devant le comité et ont affirmé qu'il y avait des répercussions à cet égard, mais leurs affirmations n'étaient pas fondées sur des données comme celles que vous nous avez présentées au sujet de la question des effets significatifs. Vous avez déboulonné certains mythes — on peut constater que les gens deviennent contrariés lorsqu'on leur met les faits sous les yeux.
J'aimerais demander aux autres témoins de nous dire s'ils contestent les constatations et les conclusions de l'étude évaluée par les pairs que le Dr Langmann a menée. Est-ce que c'est ce qu'ils sont en train de nous dire ici aujourd'hui?
[Français]
Dr Trépanier : Je n'ai pas du tout la prétention de contredire les données d'une autre recherche. J'ai simplement mentionné que l'étude sur laquelle nous nous sommes basés est fiable. Le chercheur est crédible et ses données ont également été publiées dans des revues. Mais je n'ai pas l'intention de faire un débat d'experts ici.
Je représente les Directeurs de la santé publique du Québec. Notre mandat est de protéger la santé de la population et l'efficacité du registre en termes de prévention du suicide est l'un des éléments qu'on porte à votre attention aujourd'hui.
Il ne faut pas oublier l'importance d'avoir la traçabilité des données pour nous permettre de continuer d'appréhender le phénomène et d'être capable de prendre de bonnes décisions basées sur des faits.
[Traduction]
Le sénateur Runciman : J'ai une brève question à vous poser à propos de l'Organisation mondiale de la santé. D'après les statistiques les plus récentes disponibles, à savoir celles de 2011, les taux de suicide — selon le pays, l'année et le sexe — les plus faibles ont été relevés aux États-Unis. Comme nous le savons tous, les mesures de contrôle des armes à feu en vigueur là-bas sont beaucoup moins strictes, si l'on peut dire, que celles du Canada. Comment expliquez-vous un tel phénomène?
[Français]
Dr Trépanier : Comme je vous le mentionnais tantôt, le contrôle des armes est un des éléments qui fait partie de notre arsenal pour la prévention du suicide. Ce n'est toutefois pas le seul élément et on ne peut pas établir une corrélation comme celle-là pour voir si le registre est efficace ou non.
[Traduction]
Le sénateur Runciman : Nous sommes en train de discuter de lois relatives aux armes à feu, et de l'incidence qu'elles ont sur les taux de suicide. Les lois relatives au contrôle des armes à feu qui sont en vigueur aux États-Unis sont peut-être les moins strictes du monde, et les taux de suicide sont plus bas — ainsi, j'estime qu'il existe une corrélation à ce chapitre. Je ne pense pas que l'on puisse en faire abstraction — en tout cas, je ne crois pas que l'on devrait le faire.
M. Bégin : Puis-je formuler un commentaire?
Le président : Je crois que le sénateur s'adressait au Dr Trépanier.
Avez-vous des observations à formuler à ce sujet, docteur?
[Français]
Dr Trépanier : Il ne s'agit pas de l'ignorer, mais on pourrait penser que si on n'avait pas le registre ici, cet écart serait encore plus important. On ne nie pas que le suicide ne soit pas un problème de santé publique; nous l'admettons et croyons qu'il faut en tenir compte. C'est pourquoi on vous le présente aujourd'hui comme une problématique majeure, pour vous démontrer que le projet de loi C-19 va bien au-delà de la criminalité.
[Traduction]
Le président : Nous allons passer au dernier intervenant. La dernière question de la journée sera posée par le sénateur White.
Le sénateur White : Je serai bref. Docteur Trépanier, j'aimerais revenir sur une observation que vous avez formulée et que vous n'avez pas explicitée, à savoir que l'immatriculation des véhicules accroissait la sécurité des conducteurs et avait pour effet de diminuer le nombre de décès.
Je ne parviens pas à établir un lien entre le fait de connaître le numéro d'identification d'un véhicule et le numéro de série d'une arme; le premier renvoie au conducteur, et le second, à la personne qui possède l'arme. La délivrance d'un permis de conduire ou d'un permis de possession d'armes à feu est assujettie à des dispositions réglementaires relatives à la formation, à l'évaluation et à la santé psychologique du titulaire. Cependant, le fait de connaître le numéro d'identification du véhicule n'a pas pour effet de réduire le nombre d'accidents — en fait, ce numéro est enregistré à des fins de collecte des taxes de vente, à des fins d'assurance et à de multiples autres fins qui ne sont pas liées au fait de rendre le conducteur plus sécuritaire. J'imagine que je dois formuler une question, alors la voici : êtes-vous prêt à dire que vous n'aviez pas l'intention de laisser entendre que la connaissance du numéro d'identification du véhicule rendait les conducteurs plus sécuritaires, docteur Trépanier?
[Français]
Dr. Trépanier : Ce qu'on mentionnait tantôt, c'est qu'on peut établir un parallèle entre deux biens de consommation qui ne sont certainement pas des biens de consommation usuels, soit les armes à feu et la conduite automobile, qui font l'objet d'un encadrement législatif.
Dans ce cas, encore une fois, le fait d'enregistrer la voiture et d'avoir un permis de conduire fait en sorte de responsabiliser les conducteurs et c'est la même visée en ce qui concerne l'enregistrement et la possession d'un permis pour les armes à feu. Il y a une responsabilisation qui se fait.
Aussi, on envoie un message à l'ensemble de la communauté selon lequel ce n'est pas un bien de consommation habituel et qu'on se préoccupe de la sécurité de la population et des impacts que cela peut avoir au niveau de la santé publique. Tout cela fait en sorte qu'on a un environnement plus sécuritaire, que les gens respecteront les lois et que tout cela aura des effets sur le plan de la santé.
[Traduction]
Le président : Collègues, cela met fin à la présente réunion.
Comme l'ont mentionné bon nombre des témoins que nous avons entendus, et comme l'ont clairement montré les trois excellents témoins que nous venons d'entendre, les opinions et les points de vue divergent; il s'agit de points de vue très réfléchis, mais qui divergent néanmoins. C'est exactement pour cette raison que nous effectuons ce type d'exercice — de manière à ce que, au bout du compte, nous ayons pris en considération tous les éléments qui nous semblent pertinents.
Les observations très savantes que vous avez formulées tous les trois nous ont beaucoup éclairés. Nous vous sommes extrêmement reconnaissants de nous avoir accordé de votre temps et d'avoir fait preuve d'une si grande minutie. Merci infiniment.
Chers collègues, nous suspendons nos travaux jusqu'à 9 h 30.
(La séance est levée.)