Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 19 - Témoignages du 30 mai 2012
OTTAWA, le mercredi 30 mai 2012
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C- 26, Loi modifiant le Code criminel (arrestation par des citoyens et moyens de défense relativement aux biens et aux personnes), se réunit ce jour, à 16 h 16, pour examiner le projet de loi.
Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : La séance est ouverte. Il y a encore quelques personnes qui doivent arriver, mais nous avons un horaire chargé ce soir; j'aimerais donc que nous commencions.
J'aimerais souhaiter la bienvenue à nos invités et aux membres du public qui regardent sur le réseau de télévision CPAC la séance d'aujourd'hui du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.
Nous poursuivons aujourd'hui notre étude du projet de loi C-26, Loi modifiant le Code criminel (arrestation par des citoyens et moyens de défense relativement aux biens et aux personnes). Ce projet de loi a été introduit une première fois devant la Chambre des communes le 22 novembre de l'année dernière. Le résumé du projet de loi énonce qu'il modifie le Code criminel afin de permettre au propriétaire d'un bien ou à la personne en ayant la possession légitime, ainsi qu'à toute personne qu'il autorise, d'arrêter dans un délai raisonnable toute personne qu'il trouve en train de commettre une infraction criminelle sur le bien ou relativement à celui-ci. Il modifie aussi le Code criminel afin de simplifier les dispositions relatives à la défense des biens et des personnes.
Le projet de loi C-26 a été renvoyé au comité par le Sénat le 15 mai pour étude. C'est la deuxième séance que nous consacrons au projet de loi et nous allons également tenir des audiences publiques au cours des prochaines semaines. Ces audiences seront ouvertes au public et également diffusées par web diffusion sur le site web parl.gc.ca. Vous pourrez trouver d'autres informations sur le calendrier des témoins sur le site web, sous la rubrique « Comités du Sénat ».
Pour commencer nos audiences d'aujourd'hui, j'aimerais vous présenter notre premier groupe de témoins : M. Tom Stamatakis, président de l'Association canadienne de la police et M. Greg Preston, commissaire, Service de police d'Edmonton, de l'Association canadienne des chefs de police.
Mesdames et messieurs les membres du comité, messieurs, nous disposons d'une heure et je vous invite tous à surveiller la pendule pour que tout le monde puisse, je l'espère, participer à notre discussion.
Je crois savoir, M. Preston, que vous allez commencer par présenter une déclaration préliminaire. Vous avez la parole.
Greg Preston, commissaire, Service de police d'Edmonton, Association canadienne des chefs de police : Comme cela vous a été dit, je représente l'Association canadienne des chefs de police. Je vous remercie beaucoup de nous avoir invités aujourd'hui.
Dès le départ, j'aimerais vous dire que l'ACCP appuie l'adoption du projet de loi C-26. Nous estimons que le projet de loi va améliorer les dispositions actuelles, de sorte qu'il sera plus facile aux membres des services de police d'intervenir en cas d'infraction, et elles seront rationalisées de sorte qu'elles seront plus faciles à comprendre pour nos policiers et à appliquer lorsqu'ils devront décider si la personne en question ne faisait que se défendre ou défendre son bien ou s'il y a lieu de porter des accusations.
En matière d'arrestation, nous préférons que les policiers aient priorité et assument cette responsabilité. C'est ce qui est prévu. Nous préférons que, chaque fois que cela est possible, ce soit les policiers qui procèdent à l'arrestation. Nous avons reçu une formation et sommes bien équipés. Nous reconnaissons toutefois qu'il y a des situations où des membres du public vont réagir et rechercher des personnes qui semblent être en train de commettre un crime et qui vont intervenir. C'est pourquoi nous appuyons les modifications apportées au pouvoir d'arrestation qui tiennent compte du fait que des particuliers vont intervenir, lorsque cela est approprié, et effectuer des arrestations. Je crois que la principale chose à reconnaître est que ces personnes doivent néanmoins agir de façon raisonnable.
Il y a un aspect du projet de loi qu'il serait peut-être bon d'examiner et qui n'est pas couvert à l'heure actuelle — c'est du moins la perception de l'ACCP. Cela concerne le paragraphe 494(2) qui traite des propriétaires de biens et des préposés à propos desquels le projet de loi parle toujours de trouver un individu « en train de commettre une infraction. » Le document d'information concernant le projet de loi précise que l'expression « trouver en train de commettre une infraction » veut dire est pris en flagrant délit. Nous avons remarqué que l'on avait de plus en plus souvent recours à la télévision en circuit fermé, en particulier dans les magasins. Les agents de prévention des pertes surveillent les magasins, en regardant des écrans de télévision en circuit fermé et s'ils remarquent ce qui semble être une activité criminelle, alors ils communiquent par téléphone avec un autre agent de prévention des pertes qui se trouve sur place, et lui font part de ce qu'ils ont observé. C'est alors l'agent de prévention des pertes sur place qui intervient en se fondant non pas sur ce qu'il a vu, mais sur ce qu'on lui a dit. Il s'éloigne un peu. S'il s'arrête pour surveiller ce qui se passe, la personne pourrait le remarquer et bien souvent la personne qui commet un crime n'aime pas beaucoup qu'il y ait du monde autour.
La personne qui intervient sur place doit en réalité se fier à ce que quelqu'un lui a dit. Je dirais qu'elle agit en se fondant sur des motifs raisonnables et probables, mais elle n'intervient pas parce qu'elle trouve quelqu'un « en train de commettre une infraction. » Cette situation se retrouve fréquemment parce que les agents de prévention des pertes agissent de cette façon. On pourrait soutenir que la perpétration du crime se poursuit et qu'en théorie, l'agent peut dire qu'il « trouve la personne en question en train de commettre une infraction. » J'estime que ce n'est pas le cas. Il s'agit en fait d'un cas où interviennent les motifs raisonnables. Je me guide sur l'arrêt Biron de la Cour suprême — la citation est là avec le numéro de page — selon lequel nous intervenons en nous fondant sur des motifs raisonnables et non pas parce que nous trouvons quelqu'un « en train de commettre une infraction. » Je ne soulève pas ce point parce que je veux défendre les agents de prévention des pertes. Cependant, étant donné que le paragraphe 494(3) du Code criminel exige que l'individu qui est arrêté par un citoyen doit être remis immédiatement à la police, nous avons le devoir de nous rendre sur les lieux, de poursuivre l'arrestation et de suivre le processus. Nous sommes également les agents qui sont chargés de faire enquête sur des allégations selon lesquelles une personne a agi sans autorité pour ce qui est de l'arrestation initiale, en fait, si quelqu'un allègue que l'agent de prévention des pertes n'avait pas le pouvoir d'agir comme il l'a fait. C'est un aspect que nous voulons soulever, pour signaler qu'il y a peut-être un problème ici. La société et la technologie ont beaucoup changé, et il serait peut-être bon que votre comité examine cet aspect.
À part cela, j'aimerais tout simplement répéter que l'ACCP appuie l'adoption du projet de loi C-26, et je répondrai aux questions que vous souhaitez me poser.
Le président : Je vous remercie.
Tom Stamatakis, président, Association canadienne de la police : Je suis heureux d'avoir la possibilité de prendre la parole devant votre comité aujourd'hui. Pour ceux qui ne connaissent pas bien l'Association canadienne de la police, je dirais que nous représentons environ 53 000 policiers dans l'ensemble du Canada. Nous sommes le porte-parole national des policiers de première ligne. Nos officiers, nos membres travaillent dans près de 160 services de police et on les retrouve dans les petites villes et villages, dans nos grands services de police municipaux et provinciaux, ainsi que dans la GRC, la police des chemins de fer et la police des Premières Nations.
Encore une fois, j'aimerais vous remercier de m'avoir demandé de venir vous parler du projet de loi C-26.
L'Association canadienne de la police appuie d'une façon générale le projet de loi C-26 parce qu'il précise certaines situations dans lesquelles il serait approprié que de simples citoyens agissent pour se défendre eux-mêmes ou pour défendre leurs biens. Évidemment, les citoyens n'ont pas de formation dans des domaines comme l'emploi de la force appropriée et les méthodes de détention, comme en possèdent les membres des services d'application de la loi. Il est extrêmement important que le public soit informé que, malgré les modifications introduites avec le projet de loi C-26 et les changements que ce projet de loi va apporter, la première réaction qu'un citoyen devrait avoir lorsqu'il est témoin d'un crime devrait être d'appeler la police, étant donné que c'est au personnel d'application de la loi à qui ont été confiées la tâche et la responsabilité de préserver l'ordre public.
Il est important de noter qu'avant que le projet de loi C-26 soit présenté initialement au cours de la dernière législature sous la forme de l'ancien projet de loi C-60, le ministre de la Justice et son ministère ont tenu de longues consultations avec notre association et d'autres acteurs du domaine de l'application de la loi pour tenir compte des préoccupations que suscitait ce projet de loi. Nous apprécions les efforts déployés pour nous consulter sur cette question. Comme toujours, nous serons heureux de collaborer avec le gouvernement, chaque fois que cela sera possible.
Les policiers ont une formation approfondie qui se poursuit bien longtemps après qu'ils aient été embauchés. La formation est axée sur la protection des citoyens pour qu'ils ne soient pas victimisés par ceux qui exercent des activités criminelles, ainsi que sur la protection des délinquants puisqu'il faut veiller à ce qu'ils soient détenus tout en respectant leurs libertés et leurs droits civils. Au cours de leur formation, les agents acquièrent les habiletés nécessaires pour traiter les pires scénarios.
Les policiers doivent également rendre des comptes devant des organismes de surveillance civils. C'est un élément essentiel de l'application de la loi que l'on ne retrouve pas dans les services de sécurité privés. La surveillance par un organisme civil a pour but de veiller à ce que les agents d'application de la loi utilisent leurs pouvoirs en respectant la loi ainsi que les droits et les libertés des citoyens. Grâce à cette surveillance des activités de la police, celle-ci doit rendre des comptes au sujet du comportement de ses agents, des services fournis et des politiques que doivent respecter les professionnels de l'application de la loi.
Nous devrions également éviter que les changements introduits par ce projet de loi aient pour conséquence imprévue d'élargir la mission actuelle des services de sécurité privée, en particulier pour ce qui est de la prévention des pertes dans les magasins. Je comprends très bien que les propriétaires de magasin et les entreprises souhaitent réduire le plus possible les pertes que leur cause le grave phénomène du vol à l'étalage, mais nous devons éviter d'aller trop loin sur le plan de la protection des biens. On pourrait être tenté de croire que tous les voleurs à l'étalage sont des adolescents qui commettent un crime pour la seule raison qu'ils ont l'occasion de le faire, mais des éléments comme la présence de complices, ou même dans les cas plus graves, l'appartenance à un gang, peuvent aggraver le danger personnel que courent les agents privés qui essaient de procéder à une arrestation. Nous ne voudrions pas nous retrouver dans une situation où, après l'arrestation d'un citoyen, on constate que l'un des complices ou amis du suspect revient pour se venger.
Avec la technologie dont disposent de nos jours les agents d'application de la loi, nous sommes en mesure d'identifier les personnes et de faire des enquêtes sur ceux qui ont participé à des crimes qui vont des infractions mineures contre les biens jusqu'aux infractions les plus graves qui causent des blessures corporelles à d'autres personnes. Il est aujourd'hui facile de surveiller les biens avec des appareils vidéo de qualité et cette technologie permet d'atténuer le risque que court le public et le personnel de sécurité et donne aux agents d'application de la loi les moyens de faire leur travail et d'arrêter ceux qui commettent des crimes.
En résumé, nous espérons qu'il sera clairement compris que les citoyens qui agissent pour se défendre ou défendre leurs biens ne sauraient remplacer le personnel professionnel d'application de la loi. Comme je l'ai déjà dit, nous appuyons le projet de loi C-26. Notre principale préoccupation est la sécurité de ceux qui sont chargés de protéger des biens et de ceux que nous avons fait le serment de protéger.
Je suis très heureux d'être ici et de prendre la parole devant vous; je serai heureux de répondre à vos questions.
Le président : Merci à vous deux. Nous allons commencer nos questions en donnant la parole à la vice-présidente du comité, le sénateur Fraser.
Le sénateur Fraser : Merci à tous les deux d'être venus et de nous avoir présenté des exposés intéressants. Vous avez tous les deux soulevé des questions sur lesquelles le comité a essayé de se pencher.
Puis-je vous demander, M. Preston, de nous en dire davantage sur les difficultés que pose la télévision en circuit fermé et l'observation de la situation par des tiers? Nous avons interrogé des représentants du ministère de la Justice au sujet de la télévision en circuit fermé et je crois que j'ai été la première à mentionner cet aspect. J'ai en fait posé des questions au sujet de l'observation directe par le biais de la télévision en circuit fermé, si vous voyez ce que je veux dire. Si je vois sur ma télévision en circuit fermé quelqu'un commettre une infraction, est-ce que cela équivaut à la trouver en train de la commettre, si je descends dans le magasin pour procéder à une arrestation à titre de simple citoyen? La réponse a été, pour l'essentiel, oui; il y a de la jurisprudence en ce sens. Vous soulevez un aspect qui me paraît plus pertinent, qui fait référence à la situation où c'est une autre personne qui voit ce qui se passe.
Que fait la police lorsqu'elle reçoit un appel téléphonique et qu'on lui dit que quelqu'un a procédé à une arrestation à titre de simple citoyen, peut-être un gardien de sécurité, sans doute à ce moment-là et que cette personne n'est pas celle qui a vu la perpétration de l'infraction? Que font ou que peuvent faire les policiers lorsqu'ils arrivent sur les lieux dans ces circonstances?
M. Preston : Nous pouvons quand même prendre en charge la personne arrêtée. Nous devons alors nous demander s'il y a lieu de maintenir l'arrestation, ce qui soulève la question dont j'ai parlé parce que si nous maintenons la personne en état d'arrestation, nous courrons le risque de poursuivre une arrestation qui pourrait être illégale.
Lorsque nous arrivons, si on nous décrit en détail ce qui est arrivé, à la différence d'un simple citoyen, nous possédons des pouvoirs plus étendus et nous pouvons nous baser sur des motifs raisonnables et probables. Ces motifs me permettent de procéder à l'arrestation.
Le sénateur Fraser : En vous fondant sur le fait qu'un témoin vous a décrit la situation?
M. Preston : Le témoin m'a dit ce qu'il avait vu et je peux maintenant agir en me fondant sur son témoignage.
Ce n'est pas vraiment que nous n'avons pas le pouvoir d'intervenir; c'est la façon dont nous le faisons qui risque de soulever quelques problèmes. Il y a aussi le fait sous-jacent que nous voulons savoir ce que font les agents de prévention des pertes. Ils agissent toujours de bonne foi. Mais bien sûr, ce n'est pas parce qu'ils sont de bonne foi qu'ils sont protégés si le droit précise qu'ils ne doivent pas agir dans ce genre de situation. C'est une question dont il faudra débattre devant une autre instance.
En bref, ce n'est pas que nous ne possédons pas de pouvoirs suffisants. Nous devons tout simplement les exercer différemment. Cela tient pour acquis que tous les policiers de première ligne comprennent les règles subtiles dont nous parlons aujourd'hui.
Le sénateur Fraser : Pensez-vous qu'ils les comprennent?
M. Preston : Non.
Le sénateur Fraser : Monsieur Stamatakis, sur la question des gardiens de sécurité, pensez-vous que le projet de loi aura pour effet d'augmenter le nombre des arrestations effectuées par des gardiens de sécurité?
M. Stamatakis : Oui.
Le sénateur Fraser : Pourquoi?
M. Stamatakis : Je pense qu'il attribue aux gardiens de sécurité le pouvoir d'aller plus loin qu'ils pouvaient le faire auparavant.
Le sénateur Fraser : Voilà qui me paraît être une interprétation raisonnable.
J'aimerais revenir à votre remarque au sujet de la formation et de la compréhension du droit. D'après l'expérience de vos membres, est-ce que les gardiens de sécurité, en général, sont bien formés? Est-ce que la formation qu'ils reçoivent varie considérablement d'un endroit à l'autre? Ce n'est pas un domaine que je connais bien et j'ai besoin de tous les renseignements que je peux obtenir pour le comprendre.
M. Stamatakis : Je dirais que cela varie énormément. Dans certains cas, les gardiens de sécurité reçoivent une formation approfondie et comprennent très bien quel est leur rôle et ils exercent leurs responsabilités de façon tout à fait appropriée. Dans d'autres cas, ils ne sont pas aussi bien formés et prennent souvent des décisions qui, d'après moi, ne sont pas conformes au droit pour ce qui est de détenir des citoyens dans certaines circonstances.
Le sénateur Fraser : Pouvez-vous me donner un exemple?
M. Stamatakis : Je vais vous donner un très bon exemple à partir de l'expérience que j'ai vécue à Vancouver avec ce qu'on a appelé le programme des ambassadeurs, qui est, pour l'essentiel, une initiative lancée par une association d'amélioration des affaires; ces personnes ont retenu les services d'une société de sécurité privée et de son personnel pour exercer certaines activités dans le secteur commercial du centre-ville de Vancouver. Cette initiative a été très controversée parce que, si ces personnes ont un rôle précis à jouer pour aider les membres de l'association d'amélioration des affaires pour ce qui est des personnes indésirables qui se trouvent dans leurs magasins ou qui exercent une activité illégale comme le vol à l'étalage, ces gardiens ont été plus loin et ont commencé à obliger les gens à quitter des lieux publics et dans certains cas, ils ont détenu des gens dans ces espaces publics pour leur poser des questions, les fouiller et leur demander leur identité. C'est la raison pour laquelle j'ai dit tout à l'heure que, si nous sommes en faveur de ce projet de loi, nous devons veiller à confier les activités policières aux services de police publics dont les membres ont été correctement formés et qui peuvent être amenés à rendre compte de leurs actes, tout en autorisant les propriétaires et les commerçants à prendre des mesures appropriées lorsque cela est justifié, avec le personnel de sécurité privée qu'ils embauchent pour les aider.
Le sénateur Fraser : Ai-je le temps de poser une brève question supplémentaire? Non. Je vois que le président s'efforce d'être patient. J'interviendrai au deuxième tour, si je le peux.
Le sénateur Di Nino : Messieurs, bienvenue. Il est bon de vous avoir ici pour que nous puissions mieux comprendre ces questions. Comme l'a déclaré mon estimée collègue, le sénateur Fraser, nous ne sommes pas des spécialistes de ces domaines et c'est pourquoi nous avons besoin que vous nous disiez si nous nous engageons dans la bonne direction.
Le premier commentaire que je ferai sous la forme d'une question est que je pense que vous seriez d'accord pour affirmer qu'il n'y a pas suffisamment d'agents de police pour s'occuper de tous les cas de petite criminalité que l'on retrouve particulièrement dans de grandes villes comme Toronto, Vancouver ou Montréal. Reconnaissez-vous cela?
M. Stamatakis : Oui. Les services de police connaissent tous un problème grave de personnel.
Le sénateur Di Nino : Le projet de loi vise, dans une certaine mesure, au moins, à pallier l'insuffisance du nombre des agents de police.
Les questions que vous avez soulevées — j'allais dire sergent Preston, mais ce n'est pas le cas. Commissaire Preston.
M. Preston : C'est la même chose.
Le sénateur Di Nino : Je suis sûr que vous avez déjà connu ça souvent.
Vous avez parlé des situations où l'on utilise des télévisions en circuit fermé et où il y a une différence entre « trouver en train de commettre une infraction » et « motifs raisonnables. » Lorsqu'un crime est en train d'être commis, dites-moi comment cela influence les mesures qu'un policier ou le propriétaire d'un bien, ou bien souvent quelqu'un qui est embauché par le propriétaire peut prendre? Qu'est-ce qui est différent? Si vous avez l'un ou l'autre ou les deux, n'avez- vous pas tout de même le droit d'intervenir?
M. Preston : Là encore, cela dépend de la situation dans le sens où il faut se demander si c'est une connaissance personnelle des faits ou si ce sont des renseignements qui ont été obtenus ailleurs. Lorsque nous parlons de « trouver en train de commettre une infraction » — et je ne suis pas un juriste — la Cour suprême nous a donné des directives importantes. Dans l'arrêt Biron, elle parle de « trouver en train de commettre une infraction ». Cet arrêt parle du pouvoir d'arrestation lorsqu'il est fondé sur la propre observation de la personne qui l'effectue. C'est l'élément « trouver en train de commettre une infraction ». Qu'il s'agisse d'un policier ou d'un agent de prévention des pertes, peu importe, s'il voit ce qui se passe, s'il utilise ses sens, s'il observe lui-même la situation, alors je dirais que c'est la même chose. Les deux peuvent intervenir. C'est lorsque vous n'agissez pas en fonction de ce que vous voyez, mais en vous fondant sur ce que vous disent d'autres personnes que vous devez décider si oui ou non vous avez des motifs raisonnables d'intervenir. À ce moment-là, vous n'agissez pas dans un cas de flagrant délit, mais en vous basant sur des motifs raisonnables. C'est là où il y a une différence sur le plan du droit. Aux termes de l'article 495, les agents de police ont des pouvoirs plus étendus que les citoyens aux termes de l'article 494. Je ne suis pas sûr d'avoir répondu à votre question, sénateur.
Le sénateur Di Nino : Oui. Prenons le cas où il n'y a pas de policier et où il y a un gardien de sécurité. Peut-il agir en vertu d'un de ces deux critères pour, en réalité, détenir quelqu'un?
M. Preston : Non, pas sur l'élément fondé sur des motifs raisonnables. Ils n'ont pas le même pouvoir d'agir pour des motifs raisonnables que celui que possède un policier. C'est là où se trouve la différence.
M. Stamatakis : Pour le dire en termes simples, le gardien de sécurité doit lui-même constater que la personne commet une infraction. Le policier peut arrêter et détenir quelqu'un si une autre personne lui a donné suffisamment de renseignements sur lesquels fonder des motifs raisonnables.
Le sénateur Di Nino : S'il y a un gardien de sécurité dans une bijouterie et que l'employé lui dit : « L'homme qui s'enfuit en courant là-bas vient de voler une montre », il ne peut rien faire?
M. Preston : Je dirais que non.
M. Stamatakis : Je dirais que non. C'est ce que dit le droit actuel.
M. Preston : La situation ne serait pas la même si la personne dont la montre a été volée pourchassait le voleur, ce qui déclenche la notion de poursuite immédiate, qui se trouve au premier paragraphe de l'article 494.
Le sénateur Di Nino : Merci. C'est une bonne explication.
Monsieur Stamatakis, vous avez parlé du fait que cette responsabilité appartient principalement et surtout à la police. Je pense que vous admettrez que le projet de loi tient compte de cet aspect et qu'il le souligne à plusieurs occasions. Ce n'est pas un point de désaccord. Je crois que nous disons tous en fait la même chose; ai-je raison?
M. Stamatakis : Oui.
Le sénateur Di Nino : Je vous en remercie. Vous avez également parlé d'informer la population et du fait que la police devrait intervenir le plus tôt possible. Avez-vous des idées que vous pourriez nous communiquer sur la façon de le faire?
M. Stamatakis : Il y a plusieurs façons de le faire. Le principal message est que nous ne devrions pas donner au public l'impression qu'avec ce projet de loi, il n'est plus nécessaire de demander à la police d'intervenir dans le genre de situation dont il s'occupe. De mon point de vue, l'idée serait celle-ci : « Écoutez, ce projet de loi vous offre quelques possibilités supplémentaires d'intervenir, mais dès que cela est faisable, vous devez quand même appeler le 911, faire venir un policier qui prendra en main la situation et fera un suivi approprié conformément à ce que prévoit notre droit. »
Le sénateur Di Nino : Je pense que cela serait assez facile à faire avec les organisations qui louent les services d'agents de sécurité — avec des individus. Cela sera toutefois plus difficile de faire comprendre au grand public qu'il a une responsabilité dans ce domaine. Vous dites néanmoins que le gouvernement devrait veiller, dans la mesure où cela est possible, à lancer une initiative pour informer la population.
Le président : Nous devons passer au suivant.
Le sénateur Baker : Je vais formuler cela directement : je pense que ce projet de loi accorde au simple citoyen un pouvoir en matière d'arrestation que ne possède pas le policier. L'article 495 vous donne le pouvoir d'arrêter une personne qui a commis un acte criminel ou qui est en train de commettre un acte criminel, qui pourrait être une infraction mixte ou sommaire. Cependant, vous n'avez pas le pouvoir, aux termes de l'article 495, d'arrêter quelqu'un pour une infraction punissable par déclaration sommaire de culpabilité ou une infraction mixte après le fait, à moins que vous ne preniez la personne en flagrant délit.
C'est ainsi que les tribunaux ont interprété l'article 495. En fait, cet article mentionne expressément dans ces mêmes termes que l'agent de police n'a pas le pouvoir d'arrêter quelqu'un qui a commis une infraction qui est une infraction mixte ou sommaire. C'est exactement ce qu'il dit.
Et pourtant, ce projet de loi accorde maintenant au simple citoyen le droit de procéder à une arrestation pendant que l'infraction est commise, mais également « dans un délai raisonnable après que l'infraction ait été commise. »
À moins d'inclure ce même pouvoir à l'article 495, nous accordons au simple citoyen un droit d'arrestation que les policiers ne possèdent pas.
M. Preston : J'ai peut-être mal compris, mais je pense que l'article 495 énonce :
(1) Un agent de la paix peut arrêter sans mandat
a) une personne qui a commis un acte criminel ou qui, d'après ce qu'il croit pour des motifs raisonnables, a commis [...]
Le sénateur Baker : Poursuivez. Vous n'avez pas le droit d'arrêter une personne qui a commis une infraction mixte.
M. Preston : Sommes-nous à l'alinéa 495(1)a) ou au paragraphe 495(2)? Le paragraphe 495(2) porte sur un autre aspect. Il concerne les critères en matière d'arrestation, que l'on appelle couramment les conditions RICD — récidive, identité, comparution, destruction des preuves. Le pouvoir d'arrestation est prévu à l'alinéa 495(1)a), mais il y a certaines restrictions.
Je vous prie de m'excuser d'avoir utilisé cet acronyme tout à l'heure, mais avec les conditions prévues au paragraphe 495(2), vous ne savez pas souvent tout cela, parce que si vous ne savez pas à qui vous avez affaire, vous avez le pouvoir d'intervenir. C'est seulement dans la situation où sont présents tous les facteurs énumérés au paragraphe 495(2) que vous vous trouvez dans une situation où vous ne pouvez procéder à l'arrestation aux termes de l'article 495. Mais les policiers peuvent néanmoins agir aux termes de l'article 494.
Le sénateur Baker : Commissaire, voici les termes et je vais citer l'alinéa 495(2)b) :
(2) Un agent de la paix ne peut arrêter une personne sans mandat :
b) soit pour une infraction pour laquelle la personne peut être poursuivie sur acte d'accusation ou punie sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire;
Cela veut dire une infraction mixte.
M. Preston : Exact.
Le sénateur Baker : Vous n'avez pas le droit d'arrêter une telle personne sans mandat. C'est ce qui est précisé clairement et c'est ainsi que de nombreux tribunaux se sont prononcés. Je vais vous citer l'arrêt Dobrotic, de la Cour d'appel du Nouveau-Brunswick. Vous connaissez sans doute très bien cette affaire. Elle traite expressément de cet aspect.
Avec le projet de loi que nous étudions, un simple citoyen peut effectuer une arrestation.
M. Preston : Excusez-moi, mais je dois vous dire que je ne suis pas sûr d'être tout à fait d'accord avec la situation.
Le sénateur Baker : Voyez-vous ce don je parle?
M. Preston : Oui, mais l'alinéa 495(2)b) est associé à la condition exposée à l'alinéa d). L'alinéa b) précise l'infraction et c'est ensuite l'alinéa d) qu'il convient d'appliquer. Vous devez donc dire par conséquent qu'un agent de la paix ne peut arrêter sans mandat une personne suivant b) « dans aucun cas où. » Et c'est maintenant l'alinéa d) qui précise les éléments que vous devez prendre en considération pour l'infraction décrite ci-dessus.
Les éléments énumérés à l'alinéa 495(2)d) sont ce que les policiers appellent couramment les critères RICP. Si tous ces critères sont remplis, je suis d'accord avec vous à 100 p. 100 : lorsqu'un policier se trouve dans une situation où tous ces critères sont remplis, le paragraphe 495(2) est applicable et il ne peut alors procéder à l'arrestation.
Cependant, concrètement, dans la plupart des cas, il est impossible de conclure que tous les critères sont respectés.
Le sénateur Baker : Pourquoi appuyez-vous un projet de loi qui accorde au simple citoyen un droit d'arrestation qui est supérieur au vôtre?
M. Stamatakis : Excusez-moi, sénateur, mais je ne suis pas certain que ce projet de loi ait cet effet. Comme policier de première ligne, et pour reprendre certains commentaires qu'a formulés le commissaire, nous ne connaissons pas tous ces éléments lorsque nous intervenons dans une situation donnée. Nous avons le pouvoir de procéder à une arrestation lorsque nous avons des motifs raisonnables de croire qu'une infraction a été commise. Ce n'est que par la suite que nous tenons compte de ces critères.
Je ne pense pas que le projet de loi accorde aux particuliers des pouvoirs d'arrestation supérieurs à ceux d'un policier.
Le sénateur Angus : J'aimerais poursuivre sur le sujet que le sénateur Fraser a soulevé avec vous, commissaire Preston. Vous nous avez invités à examiner le cas où un des agents de sécurité se trouve à l'étage avec la caméra de télévision et où il y en a un autre sur place. Vous avez dit la même chose à la Chambre des communes en février.
Que proposez-vous que nous fassions? Ce projet de loi a pour but de simplifier la loi, de supprimer les anomalies et d'expliquer clairement les règles. S'il y a une ambiguïté, j'imagine que vous nous invitez à introduire un amendement et c'est une excellente chose. Que pensez-vous que nous devrions dire?
M. Preston : Comme cela a été mentionné, il n'y a pas un policier à tous les coins de rue. Il y a des problèmes de ressource, de sorte que nous savons qu'à un moment donné, les citoyens seront amenés à intervenir. Où tracer la ligne? Au cours d'une réunion avec des représentants du ministère de la Justice, la Commission de réforme du droit, je crois que ça remonte à plusieurs années, proposait ceci : « toute personne peut arrêter sans mandat un individu qui, d'après ce qu'elle croit pour des motifs raisonnables, est en train de commettre ou vient juste de commettre une infraction pénale. »
Cela ressemble à la disposition qui vous est soumise. Il faut reconnaître que cette formulation a une portée plus large que celle qui vous est proposée. Je sais qu'il existe des réticences à élargir les pouvoirs accordés aux citoyens, et j'appuie les commentaires de l'ACP dans la mesure où il y a toujours un risque lorsque les citoyens interviennent. Il y a des risques dans toute intervention. La différence est que nous avons reçu une formation et que nous avons accès à des systèmes qui nous aident dans notre intervention alors que les citoyens n'en ont pas. La réalité est que les citoyens vont intervenir et c'est la raison pour laquelle nous sommes en faveur de ce projet de loi.
Nous considérons toutefois qu'il existe encore une certaine lacune. Nous avons fait remarquer que nous savons que la technologie évolue plus rapidement que le droit, de sorte que c'est un aspect que nous devrions examiner puisque nous parlons de ces questions. C'est la raison pour laquelle j'ai soulevé cet aspect. Ce serait une solution.
Le sénateur Angus : Le texte de la Commission de la réforme du droit que vous avez lu, quel est-il?
M. Preston : Je me trompe peut-être sur l'origine de ce texte, mais, d'après mon souvenir, à la fin de la discussion, c'était une formulation que la plupart des personnes qui se trouvaient dans la salle étaient prêtes à accepter. Si nous voulons essayer de trouver une solution à cette situation, une telle formulation éviterait de demander aux citoyens ordinaires de faire la différence entre une infraction punie sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et une infraction mixte ou un acte criminel. Par exemple, si j'entends quelque chose la nuit et que je regarde dans la cour de ma voisine et que je trouve quelqu'un qui rôde dans sa cour, puis-je faire quelque chose? Si nous appliquons strictement la loi, nous constatons que l'intrusion de nuit n'est qu'une infraction punie par procédure sommaire. Quels sont mes pouvoirs? Le citoyen moyen pense qu'il y a quelqu'un qui rôde dans la cour de la voisine et aurait peut-être tendance à aller voir ce qui se passe et à faire quelque chose. Instinctivement, cela semble acceptable. Juridiquement, je dirais qu'il y aurait du danger à le faire.
Le sénateur Angus : Pour résumer, vous appuyez le projet de loi tel que rédigé, mais vous estimez qu'il pourrait donner lieu à des arrestations illégales ou créer des situations non souhaitables si nous ne modifions pas cet article particulier.
M. Preston : C'est effectivement une préoccupation qui vient de la façon dont la plupart des grands magasins opèrent de nos jours. C'est une simple question de technologie. Soyons honnêtes. Il est beaucoup moins coûteux de placer une caméra de télévision en circuit fermé à chaque étage plutôt que d'avoir un agent de prévention des pertes posté à chaque étage. La réalité est que les choses se passent ainsi.
Le sénateur Angus : Pour être tout à fait clair, parce que je pense que vous êtes tellement polis, mais aucun de vous deux n'est d'accord, si je suis mes propres notes, avec le sénateur Baker pour dire que ce projet de loi accorde au citoyen davantage de pouvoirs que vous en possédez vous-mêmes.
M. Stamatakis : Je n'avais pas le Code criminel devant moi, mais non, je ne suis pas d'accord avec lui.
Le sénateur Angus : Commissaire Preston, même question?
M. Preston : Je suis d'accord.
Le sénateur Jaffer : Vous avez parlé de la formation que reçoivent les policiers et cela m'a intéressée. Une des choses qui m'inquiète au sujet de ce projet de loi, et vous ne serez peut-être pas non plus d'accord avec moi là-dessus, est que, d'après ce que j'ai compris, on vous enseigne au cours de votre formation à faire la différence entre une infraction sommaire, une infraction mixte et un acte criminel. Dans ce cas-ci, le citoyen peut uniquement arrêter un particulier s'il s'agit d'un acte criminel. Est-ce bien exact? N'est-ce pas ce que dit le projet d'article 494?
M. Preston : C'est ce que dit le paragraphe 494(1). Il dit que toute personne peut arrêter sans mandat un individu qu'elle trouve en train de commettre un acte criminel, mais lorsqu'on passe au paragraphe 494(2), il faut que la personne soit en train de commettre une infraction criminelle sur ou concernant ce bien, de sorte qu'il parle d'infraction criminelle. Le pouvoir d'arrestation est plus large dans cet article. La portée exacte du pouvoir d'arrestation dépend de la personne qui l'exerce et du lieu où elle le fait. Le simple citoyen peut arrêter un individu aux termes du paragraphe 494(1) s'il le trouve en train de commettre une infraction. La portée du pouvoir d'arrestation est plus large lorsqu'il s'agit de personnes et d'infractions relatives à un bien.
Le sénateur Jaffer : Je parle uniquement des personnes et non pas des biens.
M. Preston : Le simple citoyen peut uniquement arrêter un individu pour un acte criminel ou s'il le prend en flagrant délit.
Le sénateur Jaffer : C'est là le problème. Comment le citoyen moyen peut-il faire la différence entre une infraction sommaire et un acte criminel?
M. Preston : Oui. C'est une des questions que j'ai posées dans mon exemple précédent. Je suis d'accord avec vous.
Le sénateur Jaffer : Puis-je vous demander d'examiner le projet de loi C-26 et le projet de l'alinéa 34(2)e) qui parle de ce qui est raisonnable dans les circonstances compte tenu de la taille, de l'âge, du sexe, des capacités physiques des parties en cause. Si vous portez une accusation contre quelqu'un, avez-vous déjà tenu compte dans le passé du sexe? Je n'ai jamais vu — et je me trompe peut-être — que le sexe soit inclus. Comment feriez-vous? Si la personne est une femme, allez-vous porter une accusation différente? Pouvez-vous m'expliquer comment vous mettriez en œuvre cet alinéa e)?
M. Preston : Je vais vous dire très franchement que j'ai été très surpris de voir cela figurer dans la liste.
Le sénateur Jaffer : Cela me dérange.
M. Preston : Je pensais à la taille et à l'âge et on a ajouté les capacités physiques, mais ce sont tous des facteurs pertinents. En soi, je ne vois pas comment le sexe pourrait être un critère utile. Je me place du point de vue des agents de première ligne auxquels je donne des conseils, lorsque je travaillais à ce niveau. En réalité, le sexe seul ne devrait pas être pris en considération. Ce sont les autres aspects que l'on examine.
Le sénateur Jaffer : Merci.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Je salue nos deux témoins. Évidemment, je salue M. Stamatakis, avec qui j'ai eu le plaisir de travailler à l'Association canadienne des policiers, un ami et collègue.
Je vous ai entendu parler sur la sécurité privée et, évidemment, je comprends votre inquiétude concernant les pouvoirs d'arrestation qui concernent les agences de sécurité privée. Si j'ai bien compris votre point de vue, votre crainte c'est qu'à un moment donné, les agents de sécurité pourraient se substituer aux policiers et aller plus loin que les limites permises de leur travail.
Seriez-vous d'accord pour dire qu'il faudrait délimiter le pouvoir des agents de sécurité ou leur champ d'action, leur territoire?
[Traduction]
M. Stamatakis : Du point de vue de mon organisation et des membres que je représente, il me paraît très important non seulement de définir les pouvoirs et les attributions des gardiens de sécurité, mais également d'élaborer des normes appropriées pour ce qui est de leur formation et d'introduire des mécanismes de responsabilisation pour que tout le monde sache ce qui peut arriver lorsque les choses tournent mal.
Bien évidemment, les organismes de sécurité privés ont un rôle à jouer au Canada pour ce qui est de la protection des biens, en particulier, lorsque des intérêts privés sont en jeu. Cela fait déjà pas mal de temps que cela se fait ici. Cependant, à mesure que les agences de sécurité privée se multiplient, il devient de plus en plus nécessaire de définir avec précision leurs pouvoirs, leur rôle et d'élaborer des normes en matière de formation et des mécanismes pour les responsabiliser à un niveau approprié, toutes choses qui existent pour les agents de police publics, professionnels, qui ont reçu une formation poussée et qui travaillent en première ligne dans ce pays.
Le président : J'ai une question supplémentaire à ce sujet. L'Ontario a adopté une loi qui traite de ces questions.
M. Stamatakis : Il y a plusieurs provinces qui ont adopté maintenant de bonnes lois à ce sujet. Je ne sais pas si elles l'ont toutes fait. Il y en a une en Colombie-Britannique.
Le président : Vous n'êtes toujours pas rassuré. Vous avez parlé d'un problème particulier qui se posait à Vancouver.
M. Stamatakis : Ce qui manque peut-être est le volet responsabilisation. Nous parlons encore d'agences privées, pour la plupart. Elles sont là pour faire des bénéfices. Si nous ne définissons pas quel est le rôle approprié des agents de sécurité privé, pour ce qui est de la sécurité publique dans ce pays, alors il est très facile de perdre de vue le volet responsabilisation. Si quelque chose tourne mal, si les droits garantis au Canadien moyen ne sont pas respectés, alors il devrait exister une façon pour le citoyen de suivre l'affaire et de dire « Cela n'aurait pas dû m'arriver » et nous devons veiller à ce que cela ne se reproduise pas.
Le sénateur Johal : J'aimerais revenir au mémoire que M. Stamatakis a fait circuler. Vous avez également mentionné le même point dans votre mémoire, monsieur Preston.
À la page 2, je vais lire le paragraphe du milieu pour être sûr que nous l'ayons tous à l'esprit :
La formation est axée sur la protection des citoyens pour qu'il ne soit pas victimisé par ceux qui exercent des activités criminelles ainsi que sur la protection des délinquants puisqu'il faut veiller à ce qu'ils soient détenus tout en respectant leurs libertés et leurs droits civils.
Je crois que vous avez fait allusion à ce même aspect dans votre mémoire, monsieur Preston.
Étant donné que vous avez parlé de la multiplication des agences de sécurité et des gardiens de sécurité, lorsqu'une personne est arrêtée par un « simple citoyen », qu'il s'agisse d'un particulier ou d'un gardien de sécurité privé, qui va s'occuper des droits du présumé délinquant que lui garantit l'article 10 de la Charte? L'article 10 énonce :
Chacun a le droit, en cas d'arrestation ou de détention :
a) d'être informé dans les plus brefs délais des motifs de son arrestation ou de sa détention; [...]
Si vous attrapez quelqu'un qui est en train de commettre une infraction, vous n'avez pas le temps de lui dire, « Je vous arrête, parce que vous avez fait ceci ou cela. » Vous essayez simplement de contenir la personne physiquement. Lorsque vous arrivez sur la scène du crime, que faites-vous? Partez-vous du principe que c'est vous qui effectuez la première arrestation parce qu'en vérité vous intervenez en deuxième lieu? Il y a déjà eu une intervention. Que faites- vous pour protéger les droits de la personne qui a été arrêtée contre l'auto-incrimination, qui est un droit garanti par la Charte? Cela est très justement mentionné dans notre mémoire.
M. Stamatakis : C'est la raison pour laquelle nous en parlons dans le mémoire. Nous avons reçu la formation nécessaire et nous avons l'obligation de protéger ces droits. Pour répondre à la deuxième partie de votre question, lorsque nous arrivons sur les lieux et prenons en charge la personne qui a été détenue par un citoyen ou par un agent de sécurité, nous agissons comme si la personne n'avait pas été informée des droits que lui accorde l'article 10 et prenons la situation comme si nous commencions à zéro à partir de ce moment-là.
Pour être juste à l'égard des simples particuliers, je dirais que, pour la plupart d'entre eux, lorsqu'ils détiennent quelqu'un ou l'empêchent de quitter les lieux après qu'il a commis une infraction, habituellement, ils ne commencent pas à faire une enquête sur les circonstances entourant l'infraction. Normalement, c'est à la police qu'il appartient de le faire.
Je ne sais pas si l'on peut parler de ce genre d'incrimination pour le délinquant qui est détenu par un simple citoyen ou un agent de sécurité privé par rapport au cas où il est arrêté ou détenu par un policier qui va ensuite faire enquête pour savoir quels sont les éléments à réunir pour décider si une infraction a été commise.
Le sénateur Joyal : Savez-vous si les agences de sécurité privées donnent à leur personnel une formation pour ce qui est d'arrêter une personne sur « les lieux du crime » ou qui est en train de commettre un crime lorsque les agents l'ont vu sur un circuit de télévision ou sur place dans un grand magasin, par exemple, et même dans n'importe quel magasin? Ont-ils reçu une formation pour pouvoir informer la personne qu'ils arrêtent des droits que lui accorde l'article 10 de la Charte? Cela pourrait susciter des contestations constitutionnelles. Si la personne s'auto-incrimine, elle pourrait alors contester l'accusation pour cette raison, en disant qu'elle n'a pas bénéficié de la protection de la Charte.
M. Stamatakis : D'après ce que j'ai vu quand j'étais agent de première ligne, encore une fois, cela dépend de beaucoup de choses. Dans certains cas, les agents de sécurité vont informer la personne qu'ils arrêtent ou détiennent qu'elle possède les droits dont vous parlez. Dans d'autres cas, ils ne le font pas. Quant à savoir si cela pose un risque en cas d'accusation, d'une façon générale — et j'inviterais le commissaire Preston à intervenir également — notre enquête commence au moment où nous arrivons sur les lieux et prenons en main la situation. Nous nous basons sur les renseignements qu'une autre personne peut nous donner pour savoir s'il existe des motifs raisonnables de déclencher une enquête, mais nous le faisons en sachant que le délinquant a des droits et qu'il faut que nous les respections.
Le sénateur Joyal : Quel temps peut-il s'écouler entre le moment où vous arrivez sur les lieux et le moment où la personne a été « arrêtée »?
M. Stamatakis : Oui, si nous voulons nous baser sur des déclarations incriminantes qui ont été faites avant notre arrivée sur les lieux, nous devons suivre un certain nombre d'étapes. Essentiellement, il faudrait presque demander au délinquant de répéter ses commentaires devant vous, une fois que vous l'avez informé des droits que lui accorde l'article 10. C'est une façon simple de décrire ce genre de situation.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup de partager votre expertise, j'aurais deux sujets à traiter avec vous.
Premièrement, le Québec a adopté, en 2008-2009, la loi 84, qui vient encadrer le travail des entreprises qui œuvrent dans le domaine de la sécurité privée — installation d'équipement de surveillance — les entreprises qui embauchent des gardiens. Vous disiez tantôt que la problématique est la formation qui est très aléatoire sur le plan de la qualité. Selon vous, le projet de loi 84, adopté au Québec, qui vient encadrer la formation des agents de sécurité et oblige à faire enquête sur leur passé, est-ce que cela peut faire en sorte que ce projet de loi va être utilisé de façon un peu plus intelligente?
[Traduction]
M. Stamatakis : Une partie du problème, si j'ai bien compris votre question, vient du fait qu'il y a parfois un conflit lorsqu'on applique une loi fédérale alors que la compétence en matière d'administration d'un domaine particulier relève des provinces. Un des conflits potentiels est qu'il y a le projet de loi C-26, mais que la responsabilité de réglementer ce domaine incombe aux provinces. S'il n'y a pas de consensus ou d'entente sur ce que veut dire la loi fédérale ni sur la façon dont elle devrait être appliquée par les gouvernements fédéral et provinciaux, alors cela pourrait poser un problème.
Le sénateur Boisvenu : Cela veut-il dire qu'il faudrait normaliser la façon dont les agences et les agents de sécurité agissent?
[Français]
Deuxièmement, on a assisté au Québec depuis 20 ans à l'abolition de beaucoup de corps policiers municipaux. C'est la SQ qui maintenant fait des opérations de nature provinciale et qui est sur le terrain, en campagne. Ce sont les municipalités qui sous contractent dans le fond la SQ, alors que c'était fait avant par les policiers municipaux. Une des critiques qu'on entend le plus dans ces municipalités, c'est le temps d'intervention de la Sûreté du Québec pour des petits délits. Soit qu'on va discriminer le délit, parce qu'on est souvent face à des violences conjugales, tentatives de meurtre, intrusions de domicile, on va tirer la ligne, une intrusion, on devra mettre une heure pour intervenir alors qu'une tentative de meurtre, en va mettre dix minutes. Des citoyens ne voient pas une intervention policière rapide lorsqu'ils vivent en campagne et subissent une intrusion de domicile.
Est-ce que cela peut être un outil pour sécuriser les citoyens, pour faire en sorte qu'ils puissent intervenir pour protéger leurs biens, tout en ne venant pas après l'agresseur ou sur le criminel qu'on a souvent vu. Un citoyen se défend et ensuite, c'est le criminel qui poursuit la victime parce que bon, il l'a trop serré dans ses bras ou il l'a immobilisé au sol. Est-ce que le projet de loi vient sécuriser les citoyens qui souvent n'ont pas une qualité de services des corps policiers?
[Traduction]
M. Stamatakis : Tous les services de police, que l'on parle de service de police provincial ou municipal, manquent de ressources et n'ont pas toujours les moyens de répondre aux demandes de la population. Je dois avouer que nous devons établir des priorités pour ce qui est de répondre à certains appels. La priorité la plus forte est attribuée aux appels qui concernent une personne en danger. Je dirais que dans le pays tout entier, qu'il s'agisse de service de police fédéral ou de services de police municipaux ou provinciaux, nous répondons tous aussi rapidement que nous le pouvons aux appels qui concernent une personne qui risque personnellement des blessures graves, des lésions ou même la mort. Je sais que c'est là la priorité de tous les services de police du Canada.
Pour le reste, tous les services de police sont dans le même bateau. C'est la raison pour laquelle une partie de ce que nous demandons devant d'autres instances est d'avoir une discussion dynamique sur la façon de conserver un financement approprié pour les services à tous les niveaux, pour que nous soyons en mesure de réagir au crime, en particulier au crime qui met en danger les gens, conformément aux attentes des Canadiens à l'égard de tous les services de police.
Au-delà de tout cela, c'est une question de ressources. Qu'il s'agisse de municipalités qui ont conclu des contrats de service de police avec la police provinciale ou de municipalités qui financent leur propre service de police, elles doivent toutes prendre des décisions au sujet de la répartition des revenus que leur fournissent les contribuables. C'est à cela qu'on en arrive.
Le président : Une façon d'améliorer la situation, au moins pour ce qui est de la confiance de la population, serait que les agents de police ne restent pas dans leurs voitures. Les patrouilles dans les rues sont presque une chose du passé dans de nombreuses collectivités, alors que garder des contacts avec la population, savoir qu'il y a des policiers qui font la ronde, éviterait, je crois, la plupart des situations délicates, en particulier celle qui est à l'origine de ce projet de loi. En tout cas, c'est ce que j'ai connu dans ce domaine.
Le sénateur White : Merci d'être ici, les gars.
Pour ce qui est de la surveillance à exercer, j'aimerais bien comprendre les préoccupations que vous avez soulevées plus tôt au sujet de la sécurité privée. Dans ces circonstances, le policier qui intervient a toujours la possibilité d'effectuer une enquête sur l'arrestation illégale qui a débouché sur des voies de fait, une séquestration ou d'autres choses. Vous faites en réalité référence à la surveillance du genre de celle qu'exerce l'organisme de surveillance des plaintes contre la police de la Colombie-Britannique, ou quel qu'en est le titre. En Ontario, c'est l'UES ou d'autres. Vous n'êtes pas en train de dire que le policier qui intervient ne peut prendre aucune mesure.
M. Stamatakis : C'est exact. Nous faisons effectivement ce genre d'enquêtes lorsque cela est approprié.
Le sénateur White : En fait, cela se fait déjà de sorte qu'il n'y aurait rien là de nouveau.
M. Stamatakis : Non.
Le sénateur White : Merci.
[Français]
Le sénateur Chaput : Ma question est la suivante : le citoyen qui, sans mandat, peut arrêter une personne qu'il trouve en train de commettre une infraction est-il vraiment protégé s'il y avait un cas de poursuite? Est-ce que ce projet de loi protège la personne qui doit faire l'acte d'honnêteté, mais qui pourrait être poursuivie par la suite?
[Traduction]
M. Preston : Je veux être sûr d'avoir bien compris la question. Je vous prie de m'excuser si ce n'est pas le cas.
Si au départ le citoyen a respecté toutes les conditions exigées par la loi — il a des motifs raisonnables de croire qu'un acte criminel a été commis — et si par la suite, il apparaît qu'il a commis une erreur de fait, il est protégé. C'est lorsque le citoyen n'avait pas le pouvoir au départ — lorsque la loi ne lui accorde pas ce pouvoir — qu'il court un risque.
[Français]
Le sénateur Chaput : Qui va les informer de ce qu'il y a dans la loi? Comment vont-ils vraiment connaître ce qui est dans la loi pour pouvoir se protéger?
[Traduction]
M. Stamatakis : À l'heure actuelle, les citoyens interviennent. Si les gens sont chez eux ou s'occupent de leur commerce et que quelqu'un vient leur voler quelque chose ou pénètrent dans leur maison pour les menacer, les citoyens se défendent; ils se sont toujours défendus.
Le sénateur Chaput : Je comprends.
M. Stamatakis : Comme l'a dit M. Preston, pourvu qu'ils agissent de façon raisonnable et que ce qu'ils font après avoir confronté l'individu en question est raisonnable, alors ils sont protégés. Même s'ils commettent une erreur, pourvu qu'ils agissent de bonne foi et que leurs actions semblent raisonnables dans le contexte de notre droit, alors ils sont protégés. C'est lorsqu'ils n'agissent pas de façon raisonnable, lorsqu'ils emploient une force excessive ou lorsque leurs actions sont arbitraires et non justifiées par les circonstances qu'ils courent un risque.
[Français]
Le sénateur Chaput : Alors il y a des cas où les citoyens le font déjà. Ce que vous dites, c'est que ce projet de loi leur offre une certaine sécurité dans le geste qu'ils auront à poser?
[Traduction]
M. Stamatakis : Non.
Le sénateur Chaput : Quelle est la différence?
M. Stamatakis : Il faudrait que j'examine le projet de loi encore une fois plus soigneusement. Ce n'est pas tant le projet de loi. Pour ce qui est du droit, chacun a le droit de se défendre et de défendre ses biens, pourvu que cela soit fait en respectant les conditions qu'impose la loi.
Le président : Je pense que nous allons devoir mettre un terme à cette discussion.
Le sénateur Chaput : Très bien. Merci.
Le président : Nous pourrions effectivement poursuivre assez longtemps cette discussion. Merci messieurs.
Notre deuxième panel de ce soir comprend Paul Calarco, membre de l'Association du Barreau canadien, Rick Woodburn, président de l'Association canadienne des juristes de l'État et Marilou Reeve, Législation et réforme du droit, également de l'Association du Barreau canadien.
Bienvenue à tous. Je crois que Mme Reeve va commencer. Vous avez la parole.
Marilou Reeve, avocate-conseil, Législation et réforme du droit, Association du Barreau canadien : Bonjour. Au nom de l'Association du Barreau canadien, je vous remercie de nous avoir invités à comparaître devant le comité aujourd'hui pour parler de notre mémoire au sujet du projet de loi C-26.
L'Association du Barreau canadien est une association nationale qui regroupe plus de 37 000 juristes dans l'ensemble du Canada. Les principaux objectifs de l'Association comprennent l'amélioration du droit et de l'administration de la justice. C'est en pensant à cet objectif que nous nous adressons à vous aujourd'hui.
Le mémoire de l'ABC, que vous avez reçu, a été préparé par des membres de la Section nationale du droit pénal. Les membres de cette section sont des spécialistes du droit pénal, qui travaillent aussi bien comme poursuivants que comme avocats de la défense.
Je vais maintenant vous présenter notre porte-parole, M. Calarco. M. Calarco apporte un point de vue personnel à la séance d'aujourd'hui, parce qu'il a travaillé à la fois comme avocat de la défense et comme poursuivant. C'est un pénaliste de la pratique privée à Toronto, mais il a également travaillé comme procureur de la Couronne adjoint à temps partiel pour l'Ontario, comme agent permanent du procureur général du Canada pendant six ans; il était chargé des affaires de drogue devant les cours provinciales et supérieures.
Je vais maintenant demander à M. Calarco de commencer.
Paul J. Calarco, membre, Association du Barreau canadien : Mesdames et messieurs les sénateurs, la légitime défense et la défense des biens sont un domaine du droit qui attendait depuis longtemps d'être réformé. L'Association du Barreau canadien accueille très favorablement l'initiative consistant à clarifier le droit dans ce domaine. Ce projet de loi comporte toutefois, d'après nous, des lacunes fondamentales à cause desquelles il ne convient pas de l'adopter.
Un des principes vraiment fondamentaux de notre droit pénal est qu'une personne doit commettre un acte prohibé et avoir une intention coupable lorsqu'il commet l'acte en question. La personne qui commet l'acte matériel contraire à la loi, mais n'a pas l'intention criminelle qui doit y être associée ne peut être déclarée coupable d'une infraction. Ce principe a pour but de protéger les personnes qui sont moralement innocentes.
Le projet de loi ne tient pas suffisamment compte de ce principe vraiment fondamental. En exigeant que l'accusé qui défend sa personne, une autre personne ou ses biens agisse pour ce qu'il croit être des motifs raisonnables et que les actes qu'il pose soient raisonnables compte tenu des circonstances, ce projet de loi risque de faire condamner pénalement des personnes moralement innocentes. Pour corriger cette lacune, le projet de loi devrait plutôt exiger que la personne croie honnêtement dans l'existence d'un ensemble de circonstances qui justifient l'emploi de la force et que la force utilisée soit raisonnable dans les circonstances, telles que l'accusé les perçoit.
Cette proposition n'aurait aucunement pour effet de permettre à ceux qui ne le méritent pas d'invoquer cette défense, parce que le caractère raisonnable de la croyance de l'accusé concerne toujours l'honnêteté de ce dernier et que l'honnêteté de la croyance peut être vérifiée au cours du procès. L'administration de la justice et la protection des innocents exigent que le projet de loi soit amendé.
La disposition relative à l'arrestation par des citoyens que contient ce projet de loi est également insuffisante. Il a été affirmé que cette modification avait pour effet d'autoriser les propriétaires de biens, comme les commerçants, à protéger leurs biens. Le projet de loi va au-delà de ce scénario, et ce faisant, risque d'inciter des citoyens n'ayant reçu aucune formation à effectuer des arrestations illégales; il met ainsi en danger les propriétaires de biens et les autres et rend le droit très incertain.
Le projet de loi autorise des personnes n'ayant reçu aucune formation à arrêter d'autres individus dans un délai raisonnable après la perpétration d'une infraction pénale commise à l'égard de biens. C'est un pouvoir très large et peut-être supérieur à celui qui est accordé aux policiers.
L'expression « concernant », que l'on trouve dans la loi actuelle et qui est conservée, ne vise pas uniquement une arrestation reliée à une infraction commise dans les locaux d'un magasin, par exemple, mais comprendrait probablement une infraction qui a des répercussions sur le bien en question ou même sur sa valeur. Le délai déraisonnable n'est pas défini et risque d'être mal interprété. Il n'est donc pas souhaitable de combiner ces deux propositions. On ne voudrait pas mettre en danger la sécurité des commerçants ou de n'importe quel Canadien et personne ne veut créer de l'incertitude dans l'administration de la loi. La disposition du projet de loi qui touche l'arrestation par des citoyens à ces effets.
Les notions de légitime défense et de défense des biens doivent être précisées, mais les dispositions du projet de loi n'ont pas cet effet et les dispositions relatives à l'arrestation par des citoyens vont à l'encontre du but recherché. Nous estimons que le projet de loi ne devrait pas être adopté sous sa forme actuelle.
Rick Woodburn, président, Association canadienne des juristes de l'État : Honorables sénateurs, je suis membre de l'Association canadienne des juristes de l'État, l'association qui représente les procureurs de la Couronne et les avocats de la Couronne dans l'ensemble du pays, y compris les procureurs de la Couronne fédéraux qui s'occupent d'affaires civiles. Elle regroupe plus de 6 000 membres, des procureurs de la Couronne de première ligne, des avocats de droit privé de première ligne qui travaillent pour le gouvernement, notamment.
Je remplace Jamie Chaffe, dont certains d'entre vous se souviennent peut-être parce qu'il était là il y a quelques semaines. Il m'a amené ici et m'a abandonné à cette table.
Si vous regardez la séance, sachez que je vous remercie beaucoup, M. Chaffe.
J'aimerais exprimer ma reconnaissance au comité de me permettre de prendre la parole aujourd'hui et de vous présenter notre point de vue sur le projet de loi C-10. Le sénateur White m'a dit que ma cravate était drôle — « audacieuse » est l'adjectif qu'il a utilisé. J'ai pensé la porter parce qu'au risque de faire rire certaines personnes, je réussirais peut-être, grâce à elle, à ce que personne ne s'endorme. Si vous avez envie de dormir, il vous suffira de regarder ma cravate. Cela vous évitera de penser à ce que je dis.
Il est important de noter que notre mandat ne consiste pas à faire des commentaires sur la validité du projet de loi lui-même. Tout comme les personnes qui sont assises autour de cette table, chacun de nos membres a un point de vue différent sur la validité du projet de loi lui-même. Il est préférable de laisser à d'autres le soin de faire des commentaires sur sa validité. Nous sommes ici pour parler des effets qu'il pourrait avoir sur les poursuivants et sur les avocats du domaine civil de l'ensemble du pays.
En tant que poursuivant de première ligne, je peux dire que les règles en matière de légitime défense sont très difficiles à comprendre. Je les ai appliquées dans toutes sortes de situations, depuis les voies de fait jusqu'à l'homicide, et à toutes les infractions entre ces deux extrêmes et elles ont été appliquées dans diverses situations par de nombreux poursuivants. Cela est très difficile. Elles ont été interprétées, comme l'a dit l'honorable M. Nicholson l'autre jour, pendant près de 170 ans sous leur forme actuelle. Nous pensons qu'il a fallu tout ce temps pour pouvoir finalement les comprendre. Elles ont été interprétées dans plusieurs affaires, notamment l'affaire Lavallee et les affaires de ce genre, des affaires où les tribunaux ont examiné des arguments touchant très accessoirement la légitime défense jusqu'aux affaires les plus importantes dont nous avons parlé. Lorsque nous examinons ces règles, nous constatons qu'elles ont été appliquées et interprétées par les tribunaux.
Vous envisagez d'adopter de nouvelles règles. C'est là quelque chose de légèrement différent de l'avis des procureurs de la Couronne. Lorsque le projet de loi C-10 a été présenté, il s'agissait de changer les peines minimales obligatoires, de sorte que nous avions des dispositions qui étaient en vigueur. Les voies de fait causant des lésions corporelles : passibles d'une peine minimale obligatoire. Infractions relatives aux drogues, passibles d'une peine minimale obligatoire.
Dans ce cas particulier, vous modifiez tout le contexte d'un moyen de défense qui est régulièrement utilisé. C'est une mesure qui va complètement modifier le paysage juridique. Ces règles seront appliquées et interprétées par les juges, les poursuivants et les avocats de la défense.
J'ai écouté un débat assez animé. J'ai non seulement écouté les débats d'aujourd'hui, mais également les témoignages du 17 mai. J'ai eu la possibilité de les étudier. J'ai remarqué que le sénateur Jaffer posait certaines questions au sujet de la constitutionnalité et de la proportionnalité et le sénateur Baker sur la constitutionnalité. Bien entendu, il y a eu un débat animé aujourd'hui sur ces sujets.
Sans faire de commentaire, ce sont là les genres de choses qui seront débattues dans les salles d'audience. Je ne suis pas ici pour dire que le sénateur Baker a raison ou tort. Ce sont là des arguments qui peuvent être présentés et qui seront débattus parce qu'ils ne sont pas clairs. Ils ne sont pas clairs pour des personnes comme vous qui connaissez le droit et qui ont eu la possibilité de l'étudier.
Le sénateur Di Nino a fait des commentaires sur l'effet des règles sur les policiers et sur d'autres questions pertinentes. Nous avons parlé de légitime défense et de chauffeurs de taxi. Je me suis occupé plus tôt cette semaine du cas d'un conducteur de taxi dont les clients s'étaient enfuis sans payer. Que peut-il faire? Quels sont ses droits? Il a décidé de sortir de son véhicule. Qu'est-il arrivé lorsqu'il a quitté son véhicule? Il a été agressé et laissé inconscient. Heureusement qu'il y avait une caméra de télévision en circuit fermé qui a enregistré la scène et les deux agresseurs ont finalement été arrêtés.
Ce sont là des aspects que nous prenons en compte au sujet de la légitime défense et de ce que pourront faire les citoyens après avoir lu ce projet de loi.
Encore une fois, il ne nous appartient pas d'approuver ou de désapprouver cette mesure. Je peux toutefois dire qu'il y a une question qui, d'après nous, n'a pas été posée; c'est celle de savoir d'où viendront les ressources qui permettront de mettre en œuvre ces dispositions. La réalité est qu'actuellement notre système de justice est surchargé. On a beaucoup parlé ce matin des voleurs à l'étalage. Je peux vous dire que je consacre environ une minute aux voleurs à l'étalage parce que c'est tout le temps dont je dispose. Lundi matin, j'avais 15 témoins pour deux agressions ayant causé des lésions corporelles. J'avais une demi-heure pour leur parler. Tout le reste fait l'objet d'un tri; les accusations sont retirées. Nous parlons de vol à l'étalage, mais lorsque les voleurs sont devant nos tribunaux, nous n'avons pas le temps, ni le personnel pour nous en occuper.
Je ne dis pas que nous ne sommes pas suffisamment rémunérés. Je dis que nous n'avons pas suffisamment de personnel pour faire fonctionner le système. Il faudrait avoir suffisamment de policiers; nous avons parlé de la police. Nous avons parlé de tribunaux, de juges et de magistrats. Ils sont partout surchargés de travail.
Cela est intéressant parce que nous écartons ce que nous considérons comme étant les dossiers peu importants. Et ce n'est pas parce que nous sommes endurcis. C'est parce que nous sommes obligés de le faire. Nous nous occupons des dossiers plus graves et plus médiatisés. Lorsque je dis « plus grave », je mets des guillemets.
L'expression « justice pour tous » veut dire « justice pour les victimes de meurtre, de viol et de vol qualifié », parce que ce sont les seules infractions dont nous avons le temps de nous occuper.
Nous constatons même à l'heure actuelle une nouvelle tendance — et nous en avons parlé — à savoir que les poursuivants doivent renoncer à passer trop de temps sur les gros dossiers pour pouvoir se présenter devant les tribunaux, parce qu'il n'y a pas suffisamment de personnel.
Un poursuivant d'expérience qui travaille dans une région très peuplée et dont je tairai le nom, a déclaré ceci : « S'il n'y a pas de lésions corporelles, le dossier est déjudiciarisé. Cela veut dire les crimes financiers, les crimes contre les biens et les conduites avec facultés affaiblies. La violence grave, mais qui ne va pas jusqu'à envoyer la victime à l'hôpital, a des conséquences tout à fait minimes. » Autrement dit, il faut que la victime soit amenée à l'hôpital pour que nous puissions prendre le dossier. « Le Code criminel est réduit à un point tel que les ressources sont uniquement réservées aux crimes les plus graves. »
Il est également important de mentionner que, pendant que les ministères de la Justice fédéral et provinciaux essaient de contenir la situation, le système perd de l'argent dans d'autres secteurs; par exemple, dans le volet civil. Pour les poursuivants fédéraux du côté civil, on a envoyé des avis de congédiement à 100 avocats de ce secteur. Ce sont les avocats qui s'occupent des poursuites contre la Couronne, les avocats qui donnent des avis sur les questions touchant les Autochtones, les avocats qui rédigent ces projets de loi, et certains d'entre eux s'occupent de les traduire correctement en français, ce qui n'est pas une tâche facile.
À notre avis, cela instaure un changement dans l'infrastructure existante que nous ne pouvons pas gérer. Nous ne connaissons pas encore quelles seront les répercussions du projet de loi C-10 pour nous. Je vois les choses se profiler. Et cela vient tout juste après — un aspect que nous changeons complètement — un moyen de défense que l'on utilise tous les jours partout au Canada.
C'est comme le jeu Jenga auquel les enfants jouent avec des blocs, il faut retirer le bloc d'en dessous pour le mettre au-dessus. On le fait plusieurs fois et finalement, la tour s'écroule. À notre avis, c'est ce qui arrive ici. Nous n'avons pas les ressources pour mettre en application ce projet de loi.
Merci. Je vous remercie de votre attention.
Le sénateur Fraser : Puis-je vous demander, monsieur Woodburn, dans quelle partie du pays vous travaillez?
M. Woodburn : À Halifax, en Nouvelle-Écosse.
Le sénateur Fraser : Je me demandais si vous ne veniez pas de la Colombie-Britannique, parce que nous avons entendu des juges de cette province parler en termes très durs du fait que le système judiciaire était surchargé. Je ne peux qu'en déduire que ce n'est pas la seule province où l'on retrouve ce problème.
J'aimerais que vous nous en disiez davantage sur la mesure dans laquelle ce projet de loi, s'il est adopté tel que rédigé, va modifier le paysage juridique autant que vous le dites. Comment est-ce que vos fonctions vont changer, devenir plus complexes, prendre plus de temps, par exemple? Je veux dire en plus de l'argument que vous avez présenté — à savoir que, chaque fois que l'on adopte une nouvelle loi, il s'ensuit, comme la nuit suit le jour, une série de contestations présentées par les avocats de la défense — quel sera l'effet de ce projet de loi?
M. Woodburn : Il y a toujours des contestations à la suite d'un changement. C'est la réponse la plus simple. Je peux vous dire, sénateur, que je connais pas mal la légitime défense, tout comme mes collègues, les avocats de la défense et les juges. C'est une question fort complexe.
Lorsqu'on modifie ces règles, cela introduit de l'incertitude. Par exemple, au début de la semaine, quelqu'un m'a dit : « Je vais poursuivre : ces affaires à cause de la légitime défense. » J'ai répondu « Cela ne marchera pas. Je sais pourquoi et voici la jurisprudence. » Je ne pourrai plus faire d'affirmations de ce genre.
Je ne suis pas sûr de ce qui arrivera. Je n'essaie pas d'être pessimiste. Je peux vous dire franchement que j'ai étudié ce projet de loi et que je ne sais pas très bien comment certaines dispositions vont s'appliquer.
Le sénateur Fraser : Pouvez-vous me donner un exemple d'un élément qui est changé et qui aura pour effet, d'après vous, de créer de l'incertitude sur la façon dont les tribunaux vont l'appliquer?
M. Woodburn : On parle d'un manque de prévisibilité. Je peux vous donner un exemple, bien que je ne veuille pas sembler dire que nous sommes en faveur ou contre quoi que ce soit.
Le sénateur Fraser : Non, non.
M. Woodburn : Par exemple, prenons les facteurs énumérés, lorsqu'ils sont interprétés, il semble que nous faisons une liste. Le sénateur Jaffer a demandé : « Pourquoi avoir placé le sexe dans cet article? » Lorsqu'on introduit une liste dans le Code criminel, cette liste est utilisée. Et lorsque la disposition dit « et les choses de ce genre », qu'est-ce qui se passe? Cela veut dire qu'on introduit beaucoup d'autres éléments; tout ce que l'on peut imaginer. Croyez-moi, nous avons dans notre pays des esprits juridiques brillants qui peuvent imaginer à peu près n'importe quoi. Mes collègues et moi nous sommes réunis pour examiner ce projet de loi, le comprendre et penser à toutes les possibilités. Nous n'avons pas réussi à le faire et cela nous a inquiétés.
Le sénateur Fraser : On nous a dit que ce projet de loi allait simplifier, préciser et faciliter l'application des règles de la légitime défense, mais ce n'est pas ce que vous pensez.
M. Woodburn : Je peux vous dire que si vous réunissez un groupe d'avocats et que vous retirez une virgule d'une disposition pour la placer ailleurs, cela constitue un problème.
Lorsque vous changez complètement un moyen de défense qui est utilisé tous les jours dans l'ensemble du pays, il est facile de prédire ce qui va arriver. Je pourrais vous donner d'autres exemples, mais je ne suis pas sûr que le président nous accorde le temps de le faire.
Le sénateur Fraser : Le président ne va pas me laisser utiliser plus de temps.
M. Woodburn : J'ai effectivement d'autres exemples.
Le sénateur Fraser : Vous pourrez les présenter par écrit à la greffière.
M. Woodburn : Je vous demande de m'excuser de ne pas vous les avoir présentés avant par écrit.
Le sénateur Di Nino : Puis-je poursuivre brièvement? Vos témoignages sont très importants pour nous.
Un des commentaires que nous avons entendus fréquemment et de sources très diverses est que les dispositions antérieures étaient très complexes et que parfois elles créaient de la confusion. Êtes-vous en train de contester ce qui ressort de cet ensemble d'opinions?
M. Woodburn : Je ne conteste pas et n'accepte pas toutes ces opinions. Je ne peux pas contester ou accepter ce que des personnes comme M. Calarco déclarent parce que ce n'est pas notre rôle.
Les dispositions en matière de légitime défense sont complexes. Cela est incontestable. En les lisant, vous constatez qu'elles sont complexes, mais elles ont été expliquées. Il a fallu 170 ans pour le faire, mais cela a été fait. Nous avons des décisions comme les arrêts Cinous, Lavallee et d'autres qui nous aident à les appliquer. Je les ai appliqués tout récemment dans une affaire d'homicide. Je savais exactement ce que je faisais et l'avocat de la défense savait très bien ce qui se passait. Nous avons présenté nos arguments qui étaient fondés sur les motifs énumérés dans l'arrêt Cinous.
Cette décision est-elle toujours valide? Je n'en sais rien. Va-t-il y avoir d'autres litiges à ce sujet? Certainement. Tout cela donnera lieu à d'autres litiges, qui vont prendre du temps et du temps judiciaire, parce que c'est là que cela se passe. Avant, nous savions très bien ce que disait le droit, mais ce ne sera plus le cas désormais. C'est pourquoi il faudra que toutes ces dispositions soient examinées par les tribunaux. Cela va surcharger les tribunaux et les avocats de la défense diront à leurs clients qu'ils ne sont pas sûrs de la façon dont ces questions seront réglées. Comment peuvent-ils dire à leurs clients qu'ils ne savent pas, et leur demander ensuite de plaider coupable? Ils ne le savent pas.
Le sénateur Di Nino : Bien évidemment, vous n'appuyez pas cette mesure, mais c'est là une autre question.
Monsieur Calarco, nous avons entendu d'autres témoins, l'ACP et l'ACCP. Un des commentaires que nous avons entendus est que ce genre de choses allait se passer. Elles se passent maintenant, puisque, selon les lois canadiennes, les citoyens qui ont été victimes d'un acte commis contre eux-mêmes ou contre leurs biens peuvent dans certains cas procéder à une arrestation. Ce projet de loi leur donne un peu plus de latitude dans la mesure où il les autorise à agir de cette façon, et tout en les protégeant mieux.
Pensez-vous que cette interprétation soit erronée?
M. Calarco : Je ne pense pas qu'il soit nécessaire de changer l'article 494 actuel. Je pense que la mesure proposée va non seulement créer de l'incertitude sur le plan du droit, mais également mettre en danger la sécurité, par exemple, des commerçants. Le projet de loi crée une situation où la personne peut procéder à une arrestation dans un délai raisonnable, délai qui n'est pas défini.
Pour prendre un exemple évident, supposons qu'un commerçant, qui a été manifestement victime d'une infraction, pense que la personne qui revient dans son magasin deux jours plus tard est l'auteur de l'infraction. Il tente ensuite d'arrêter la personne. Le commerçant s'est trompé. Il agit donc de façon illégale lorsqu'il tente de procéder à l'arrestation, mais il a mal utilisé le projet de loi en se disant : « Je peux le faire dans un délai raisonnable. »
Plus le délai s'allonge, plus le risque est grand que le commerçant commette une erreur, même s'il est bien intentionné, et effectue ainsi une arrestation illégale. Cela augmente également le danger que court le commerçant.
Il est beaucoup plus fréquent qu'une personne résiste à l'arrestation par un commerçant que par un policier en uniforme. Le policier en uniforme, comme l'ont déclaré les témoins précédents, a reçu une formation. Il sait comment calmer les situations et l'uniforme impressionne les gens. Les policiers devraient être les intervenants de première ligne et les commerçants devraient s'en remettre à eux chaque fois qu'ils le peuvent.
Le sénateur Di Nino : Le projet de loi C-26 souligne clairement que chaque fois que cela est possible et dès que cela est possible, c'est à la police de faire ce travail. C'est ce qu'il prévoit. Pour citer un commentaire que je crois vous avez fait : sous réserve d'une interprétation. Bien évidemment, toutes les lois peuvent être interprétées. Je ne suis pas certain que ce « délai raisonnable » ou les autres questions qu'ils pourraient se poser ne devrait pas être confiée aux tribunaux dans le sens qu'ils sont autorisés à examiner l'ensemble des circonstances et à décider que, dans ce cas, c'était la chose à faire.
M. Calarco : Il faut être très prudent, sénateur. Dans le cas du premier acte posé par le commerçant — et je vais reprendre encore une fois l'exemple d'un commerçant — cette personne pense immédiatement « délai raisonnable ». Les tribunaux devront interpréter cette expression, mais il n'est pas souhaitable que le commerçant risque, lui, de commettre une erreur. Lorsqu'on adopte un projet de loi, il est bon qu'il soit aussi clair que possible. Ce n'est tout simplement pas le cas ici parce que nous avons des expressions mal définies.
Avec la modification proposée par l'alinéa 495(2)b), le commerçant doit croire, pour des motifs raisonnables, que l'arrestation par un agent de la paix n'est pas possible dans les circonstances. Là encore, c'est une expression qui est très mal définie.
Je sais que le projet de loi essaie d'être précis, mais malheureusement, ce n'est pas le résultat obtenu.
Le président : Nous allons devoir passer à un autre intervenant.
Le sénateur Jaffer : Il y a tant de questions à poser. Je vais commencer par vous, monsieur Woodburn.
Comme vous pouvez le constater, je ne comprends pas très bien tout cela. Je ne sais pas comment se font les choses en Nouvelle-Écosse, mais dans ma province, avant de porter une accusation, le poursuivant doit l'approuver. Par conséquent, si vous prenez le sexe, lorsque vous avez quelqu'un devant vous qui fait l'objet d'une accusation reliée à la légitime défense, il faut vous demander : « Oh, c'est une femme, l'accusation devra donc être différente. » Vous êtes- vous déjà trouvé dans ce genre de situation?
M. Woodburn : Notre rôle ne consiste pas à parler du projet de loi lui-même. Si vous voulez que je vous parle de mon expérience personnelle, je peux le faire.
En réalité, pour ce qui est des accusations, en particulier lorsqu'il y a des accusations et des contre-accusations dans les situations familiales — je sais que les gens chez moi n'aiment pas du tout entendre ce genre de chose — il arrive que l'homme soit considéré comme dominant, simplement en raison de son sexe, et c'est une réalité.
Quant aux motifs pour lesquels cela figure dans le projet de loi, je laisserai à d'autres, plus savants, le soin de l'expliquer.
Le sénateur Jaffer : Vous avez parlé de l'arrêt Lavallee, une décision que je connais bien. Pensez-vous que l'alinéa 34(2)f) va changer cela? Est-ce bien ce que vous vouliez laisser entendre?
M. Woodburn : Je vais m'abstenir de répondre. Je n'ai pas ce choix, mais j'ai décidé de le faire de toute façon.
Le sénateur Jaffer : Monsieur Calarco, la première chose que l'on apprend en droit est l'élément matériel et l'élément moral. Affirmez-vous que ce projet de loi va modifier l'élément matériel? Lorsque vous essayez de savoir si une infraction a été commise, vous devez vous demander l'élément matériel et l'élément moral sont réunis. Est-ce bien ce que vous dites?
M. Calarco : L'élément matériel n'est pas touché, l'élément moral est certainement modifié parce que ce projet de loi donne un rôle prédominant aux motifs raisonnables, de sorte que l'aspect objectif est privilégié aux dépens de l'aspect subjectif. Les moyens de défense que l'on devrait pouvoir invoquer sont réduits par ce projet de loi.
Le sénateur Jaffer : Il y a un autre aspect qui me préoccupe, c'est que les policiers reçoivent bien sûr une formation. Ils connaissent la différence qu'il y a entre un acte criminel, une infraction sommaire et une infraction mixte. Ce projet de loi, l'article 494 du Code, énonce qu'un simple citoyen ne peut effectuer une arrestation que s'il s'agit d'un acte criminel. Comment le simple citoyen va-t-il savoir de quel genre d'infraction il s'agit?
M. Woodburn : Bien souvent, je n'en suis pas certain moi-même. C'est peut-être drôle à dire, mais lorsqu'il s'agit d'une infraction mixte ou d'un acte criminel simple, il nous arrive de vérifier dans le code. Cela dépend de l'infraction qui est en train d'être commise, c'est parfois difficile.
Le sénateur Jaffer : J'ai compris ce que disait le ministre — et mes collègues peuvent me corriger si je me trompe — que ce projet de loi a essayé de simplifier et de préciser les règles pour le citoyen et pour les gens qui appliquent la loi.
Il n'est pas facile pour un citoyen de décider s'il s'agit d'un acte criminel, d'une infraction mixte ou sommaire et cela m'inquiète vraiment.
M. Calarco : C'est effectivement préoccupant. Je crois qu'il est impossible qu'un citoyen sache ce genre de chose et il faut également établir une différence entre le paragraphe 494(1) et le paragraphe 494(2). Le paragraphe 2 autorise l'arrestation sans mandat d'une personne qui est trouvée en train de commettre une infraction criminelle sur le bien ou concernant celui-ci. La notion d'infraction criminelle est plus large que celle d'acte criminel ou d'infraction mixte, selon le cas.
Cela risque d'entraîner beaucoup de confusion; j'en suis vraiment convaincu.
Le sénateur Jaffer : Lorsque le ministre a comparu devant le comité et nous a parlé de la liste qui figure dans la loi, il a dit que c'était une liste non limitative, de sorte qu'il est possible d'ajouter d'autres éléments.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Je remercie les témoins. Ma question s'adresse à M. Woodburn.
Je vous ai écouté attentivement. Ne pensez-vous pas que le projet de loi comme tel pourrait faciliter notre système de justice? Cela permettrait d'avoir un droit moins vague qui permettrait d'intercepter un criminel pris sur le fait et, bien entendu, cela pourrait aider la police à résoudre plus rapidement le crime. Cela éviterait peut-être de se lancer dans une enquête beaucoup plus longue qui permettrait de retrouver l'auteur du crime.
[Traduction]
M. Woodburn : C'est une bonne question. Je peux vous donner un exemple; il y a quelques années, nous avons changé les lois sur la conduite en état d'ébriété pour supprimer un moyen de défense que l'on appelait souvent la défense Carter. Cette modification devait accélérer le travail des tribunaux et supprimer une défense ou une échappatoire reliée aux accusations de conduite en état d'ébriété.
Lorsque la défense Carter a été supprimée, les esprits juridiques brillants du Canada — et je suis sérieux; ce sont des gens très intelligents — ont imaginé un autre moyen de défense qui consiste à attaquer directement l'appareil. Nous sommes donc passés de la défense Carter qui peut prendre une demi-journée dans un procès aux témoignages des experts au sujet de l'appareil lui-même, de son fonctionnement et de son utilisation, ce qui peut prendre plusieurs jours. Je me suis occupé de ce genre d'affaires.
Lorsqu'un projet de loi modifie quelque chose comme la légitime défense, qui fait partie de notre système judiciaire tout comme la peau fait partie de notre corps, cela a de graves répercussions. Il y aura des procès. Je ne peux pas passer en revue le projet de loi lui-même, ligne par ligne, et vous expliquer pourquoi, mais ce n'est pas parce qu'il est plus court qu'il est plus simple. Je vous prie de m'excuser de n'avoir pas répondu complètement à votre question, mais je peux vous donner au moins un bon exemple des raisons pour lesquelles la situation va s'aggraver.
Le sénateur Baker : J'aimerais féliciter les trois témoins pour leurs excellents exposés. Si vous lisez Westlaw ou Carswell, vous constaterez que M. Calarco et M. Woodburn sont très souvent mentionnés. M. Calarco s'est occupé de près de 200 décisions rapportées de sorte qu'il est intervenu dans pratiquement tous les genres d'affaires auxquelles vous pouvez penser.
Je ne vais pas demander à ces messieurs de dire si j'avais raison ou si les policiers avaient raison. Ce qui me gêne, c'est que je crois, après avoir simplement examiné cette mesure et avoir siégé sur des comités juridiques pendant les 43 dernières années sur la Colline du Parlement, que l'on accorde au citoyen le pouvoir de procéder à une arrestation, comme vous le faites remarquer, M. Calarco, dans un délai raisonnable après la perpétration d'une infraction ou après que le citoyen ait constaté cette infraction. Un policier ne peut effectuer une arrestation sans mandat. Il ne peut pénétrer dans le logement de quelqu'un si une infraction punissable sur déclaration sommaire de responsabilité a été commise et arrêter sans mandat son auteur parce que l'article 495 du Code criminel dit qu'il ne peut le faire. Le citoyen pourra désormais le faire aux termes de l'article 494.
L'autre aspect qui me frappe vraiment — et j'y ai pensé lorsque vous en avez parlé vous-même — est l'expression « dans un délai raisonnable », d'après la version des faits d'un témoin oculaire ou sa mémoire. D'après ce dont je me souviens, la Commission de réforme du droit au Canada a conclu, il y a de nombreuses années — cela remonte à 1982 ou à 1983 —, à partir de jugements postérieurs, que les témoins oculaires n'étaient pas fiables. Nous allons maintenant introduire dans une mesure législative, le pouvoir d'arrêter quelqu'un en se fondant sur quelque chose qui s'est produit il y a quelque temps, en se fondant sur les affirmations d'un témoin oculaire.
Je me demande si vous pouvez nous expliquer pourquoi cela est ajouté. Normalement, lorsqu'on introduit une modification dans une loi, c'est habituellement à cause d'une décision judiciaire, le plus souvent un arrêt de la Cour suprême du Canada. Quelle est l'affaire qui a poussé le gouvernement à présenter cette mesure particulière? Si c'est l'arrêt Chen, il a été déclaré innocent.
M. Calarco : Je ne vais pas, bien sûr, tenter de parler au nom du ministère des raisons qui les ont poussés ainsi que les députés à appuyer ce projet de loi. Il est exact que l'affaire Chen provient de Toronto, et que je connais assez bien cette affaire. Comme vous l'avez fait remarquer, sénateur, M. Chen a été acquitté selon les règles actuelles.
C'est une partie des motifs pour lesquels j'estime qu'il n'est pas nécessaire de modifier le droit actuel.
Quant à la deuxième remarque que vous faisiez au sujet des infractions sommaires, si nous prenons un exemple, peut-être le fait de « troubler la paix » aux termes de l'article 175 du code, avec le projet de loi, le simple citoyen pourrait procéder à l'arrestation d'un individu qui troublerait la paix concernant un bien, parce que son voisin faisait trop de bruit ou parce que les enfants faisaient jouer leur radio trop fort à l'extérieur, un, deux ou plusieurs jours après le fait. Cela entraîne une grande incertitude et n'encourage pas le genre de comportement respectueux qui est important. C'est un aspect qu'il est bien préférable de laisser aux policiers.
Le sénateur Baker : Les mots « délai raisonnable » ont fait l'objet de nombreux litiges aux termes de l'alinéa 11b) de la Charte. Le droit « d'être jugé dans un délai raisonnable »; ce sont les mots exacts que l'on trouve dans ce document. Il a été jugé que c'était une procédure très complexe qui soulevait des problèmes inhérents au système judiciaire — absence d'un nombre suffisant de procureurs de la Couronne, par exemple. D'après l'Association des juristes de l'État, la situation va encore s'aggraver.
Est-ce que cela nous aide vraiment à définir ce qu'est un délai raisonnable? Je ne le pense pas si je me base sur toutes les dispositions qui ont fait l'objet de nombreux litiges.
M. Calarco : Je ne pense pas que le droit d'être jugé dans un délai raisonnable garanti par l'alinéa 11b) serait utile parce qu'il s'agit d'une situation différente. On parle de mois après le fait, selon la complexité de l'affaire, et même d'années après le fait.
Le sénateur Baker : Les affaires de drogue sont jugées des années plus tard.
M. Calarco : Oui, cela arrive effectivement. Je crois qu'il s'agira ici d'un délai beaucoup plus court, mais tout de même d'un délai très imprécis.
Permettez-moi de répondre à l'autre partie de votre question, monsieur, au sujet de la fiabilité de l'identification faite par un témoin oculaire. Cette identification est, par nature, peu fiable. Les tribunaux l'ont déclaré à de nombreuses reprises. Les erreurs judiciaires commises parce que des témoins oculaires bien intentionnés ont identifié à tort l'accusé, sont malheureusement bien trop fréquentes dans notre pays.
Le sénateur Joyal : Je suis heureux de poursuivre sur la question du sénateur Baker parce que je voulais soulever la question qu'il a soulevée avec les témoins précédents et à laquelle M. Calarco a fait allusion dans sa déclaration préliminaire. Le sénateur Baker a déclaré que ce projet de loi accordait aux simples citoyens des pouvoirs en matière d'arrestation que les policiers ne possèdent pas.
Avez-vous entendu les témoins précédents?
M. Calarco : Oui, sénateur.
Le sénateur Joyal : C'étaient des représentants de services de police. Pouvez-vous nous en dire davantage au sujet de votre opinion qui va à l'encontre de celle des témoins précédents et qui correspond davantage à ce que soutenait le sénateur Baker sur cette question?
M. Calarco : Certainement, monsieur. La principale différence est l'interprétation que nous faisons des articles 494 et 495. Aux termes de l'article 495, le pouvoir d'arrestation des policiers est assorti de restrictions précises. Elles figurent au paragraphe 495(2). Par exemple, un policier ne doit pas arrêter une personne sans mandat pour un acte criminel aux termes de l'article 553, qui attribue une compétence absolue d'un juge de la cour provinciale à l'égard des infractions mixtes, punissables sur déclaration sommaire de culpabilité et autres, dans certains cas. Le simple citoyen n'est pas assujetti selon l'article 494 aux restrictions du paragraphe 495(2), de sorte que je ne souscris pas aux affirmations des témoins précédents.
Je sais que le sénateur Baker ne me demandait pas si j'appuyais son opinion, mais l'interprétation que je fais du droit correspond à celle du sénateur Baker.
Le sénateur Joyal : À la page 4 du projet de loi, on peut lire :
(2) L'article 494 de la même Loi est modifié par adjonction, après le paragraphe (3), de ce qui suit :
(4) Il est entendu que toute personne autorisée à procéder à une arrestation en vertu du présent article est une personne autorisée par la Loi à le faire pour l'application de l'article 25.
C'est pour l'essentiel la disposition qui, d'après vous, élargit le pouvoir accordé aux simples citoyens et que ne possèdent pas les policiers aux termes du Code criminel.
M. Calarco : L'article 25, monsieur, traite de la protection des personnes autorisées à agir. Cette disposition énonce que les actes de ces personnes sont réputés autorisés par la loi. Elle accorde donc une certaine protection à ces personnes. On peut se demander s'il est approprié d'étendre cette protection et si cela ne va pas limiter la capacité de la victime d'une fausse arrestation à saisir les tribunaux. C'est un domaine complexe. Je ne prétends pas avoir la réponse à toutes ces questions pour le moment.
Néanmoins, lorsqu'il s'agit de ce qu'on appelle l'arrestation par un simple citoyen, d'arrestation par un policier et de divers types d'infraction, il n'y a pas de réponse simple, ni de solution définitive.
Le sénateur Joyal : Cela est un élément qui vient s'ajouter à votre propre mémoire et à votre recommandation d'après laquelle il conviendrait, en réalité, d'éviter autant que possible d'élargir le pouvoir des agents de sécurité privés et des simples citoyens de procéder à des arrestations aux termes du Code criminel?
M. Calarco : Oui, monsieur. Comme les témoins précédents l'ont indiqué, il est bien préférable de laisser un policier s'occuper de ce genre de situation. Il est incontestable que les policiers sont bien mieux formés dans ce domaine. En tant que citoyen, je préférerais de beaucoup qu'un policier ayant reçu une bonne formation s'occupe de ces questions plutôt que de les confier à un simple citoyen, sans formation.
Le sénateur Joyal : J'aimerais toutefois connaître votre position à l'égard du gardien de sécurité. Les témoins précédents nous ont également parlé du recours accru aux agents de sécurité pour procéder à des arrestations sur ce qu'on appelle les lieux du crime alors qu'ils n'ont pas vu ce qui s'est passé, mais qui ont entendu quelqu'un d'autre qui regardait un écran de télévision leur dire qu'il y avait quelqu'un avec un chapeau rouge, une veste bleue et des jeans qui avait commis un vol à l'étalage dans un secteur du magasin. L'agent de sécurité qui devait être sur place ne l'était pas, n'a rien vu et ils doivent alors essayer de trouver parmi tous les clients quelle est la personne qu'ils devraient « arrêter ».
M. Calarco : Cela me paraît un domaine très dangereux. Je ne pense pas que l'agent qui observe la situation à partir d'un écran de télévision en circuit fermé, par exemple, a le pouvoir de dire à quelqu'un par radio qu'il doit procéder à une arrestation. Cela ne veut pas dire que cela arrive régulièrement, en particulier dans les grands centres et dans les grands magasins, dans ma ville, par exemple, à Toronto.
Le sénateur Joyal : Vous soutenez donc qu'il serait possible de contester cette arrestation, parce qu'elle est illégale?
M. Calarco : Absolument.
Le sénateur Joyal : Pour quel motif la contesteriez-vous, pour ainsi nous en dire davantage au sujet de votre position?
M. Calarco : Eh bien, l'arrestation serait par nature illégale, parce qu'elle n'est pas autorisée par l'article 494. Quant à savoir si, toutefois, un recours pourrait être envisagé, il faut se demander, par exemple, si la personne avait sur elle des objets interdits et si ces objets pouvaient être exclus. Il est évident qu'une arrestation illégale aurait des répercussions. Ces répercussions sur le plan des accusations sont un aspect de la situation lorsque l'arrestation est effectuée par un simple citoyen. Dans la mesure où elle est effectuée par un agent de l'État, cela change la situation. Dans un cas ou dans l'autre, ces arrestations vont donner lieu à de nombreux litiges et cela pourrait également avoir des conséquences sur le plan civil.
Le sénateur White : J'allais vous dire que je pensais que ce projet de loi était raisonnable avant de vous entendre, M. Calarco. Toutefois, je vous dirais que le mot « raisonnable » se retrouve en fait 279 fois dans le Code criminel pour une raison précise, c'est que le Canada aime à penser que ses lois sont raisonnables.
J'essaie ainsi de penser à ce que vous pourriez proposer pour remplacer l'expression « délai raisonnable », en sachant que notre Code criminel utilise régulièrement cette expression de sorte que les tribunaux peuvent se prononcer, en se fondant sur le caractère raisonnable de certaines choses.
M. Calarco : Ce qui est raisonnable dépend de la situation, sénateur.
Le sénateur White : Très bien.
M. Calarco : Dans cette situation, nous estimons que la disposition relative à l'arrestation par un simple citoyen ne devrait pas comprendre l'expression « délai raisonnable » parce qu'elle met en danger certaines personnes ou ouvre la porte à des arrestations illégales. Elle pourrait en fait compromettre la sécurité des commerçants et il est préférable de laisser les agents de la paix s'occuper de ce genre de choses.
Le sénateur White : Cependant, si vous le permettez, il faut normalement présumer que le pouvoir légal d'un simple particulier d'effectuer une arrestation de nos jours est raisonnable. On s'attend également à un certain niveau de raisonnabilité de la part des citoyens, de façon à ce qu'ils n'emploient pas une force plus grande que ce qui est nécessaire, par exemple.
M. Calarco : Je suis d'accord avec vous, monsieur, mais l'emploi d'une force raisonnable pour effectuer une arrestation est une question différente de, par exemple, ce qu'est un délai raisonnable. Comme nous l'avons dit plutôt, le caractère raisonnable d'une action dépend des circonstances.
Le sénateur White : L'élément suivant est sans doute l'élément moral qui doit être apprécié par les tribunaux et non pas par la police. Lorsque les policiers effectuent une arrestation, ils ne décident pas si le délinquant avait l'intention criminelle exigée au moment où ils effectuent l'arrestation. Il peut arriver qu'ils prennent cette décision au moment de porter une accusation ou qu'ils le fassent devant le tribunal pour faire condamner quelqu'un, mais le policier qui effectue l'arrestation se base rarement, voire jamais, sur l'élément moral de l'infraction pour décider s'il y a lieu de procéder à l'arrestation, c'est du moins ce que je pense, alors pourquoi affirmez-vous que l'élément moral aurait un impact sur l'arrestation par un simple citoyen?
M. Calarco : Ce n'est pas tant la question de l'appréciation de l'élément moral par le citoyen qui effectue l'arrestation. C'est la question de savoir si le citoyen a le pouvoir légal d'y procéder.
Le sénateur White : Il faut d'abord qu'il ait le pouvoir de le faire.
M. Calarco : À mon avis, il s'agit là d'aspects différents.
Le sénateur Angus : Merci à tous pour vos commentaires. Je ne comprends pas très bien tout cela. Je veux être sûr de bien comprendre.
Comme le ministre Nicholson l'a déclaré, les dispositions actuelles sont là depuis une éternité. Je ne sais pas d'où viennent ces 170 années. Cela nous ramène à 1842. Vous dites qu'il a fallu tout ce temps pour élaborer une jurisprudence et des lignes directrices pour que tous les acteurs comprennent bien ce qu'elles veulent dire et pour qu'elles soient appliquées de façon uniforme lorsque se produit une situation où un simple citoyen procède à une arrestation. Vous dites essentiellement qu'il ne faut pas toucher à ces règles parce que le mieux est l'ennemi du bien et que ces règles fonctionnent bien.
S'il est exact que cette mesure tire directement son origine de l'affaire Chen dans laquelle un simple citoyen a été victimisé, et où toutes les stations de télévision ont décrit ce cas en utilisant des termes horribles, et qu'il se retrouve finalement dans la position d'une victime non seulement du crime, mais dans celle d'accusé dans le cadre d'une poursuite, que s'est-il vraiment passé? Si les règles étaient bonnes avant, comment se fait-il que ce gars-là ait été accusé? Je tiens pour acquis qu'il n'a pas pris cet homme en flagrant délit. Celui-ci est revenu le lendemain, et le reste. Que pouvons-nous faire pour remédier à cette injustice? Le public a estimé qu'il y avait là une injustice. Il n'aurait pas dû être arrêté, ni voir son magasin vandalisé, notamment. Comment pouvons-nous corriger cela?
M. Woodburn : Je peux vous parler du point de vue des ressources. Je serai bref parce que je ne veux pas que l'on pense que je suis quelqu'un qui ne fait que se répéter.
Le sénateur Angus : Je ne veux pas parler des ressources. Sommes-nous en train d'essayer de régler un problème subtil? J'ai compris que c'était le cas. Nous avons dû modifier les règles en matière d'arrestation par un simple citoyen, cette partie du projet de loi C-26, pour éviter ce genre d'injustice. Si c'est bien le cas, n'y a-t-il pas une autre façon de le faire? Arrêtez-vous de vous demander si nous avons suffisamment de juges et de poursuivants. On nous rebat les oreilles de cette question. Nous n'en avons pas suffisamment et nous devons trouver une solution.
M. Calarco : M. Chen a réagi le lendemain. Il y avait des motifs de croire qu'il n'avait pas pris la personne en question en flagrant délit. Il a toutefois été acquitté, comme nous le savons tous, et une des raisons en est que le juge du procès a estimé qu'il s'agissait là d'une infraction continue.
Si j'ai bien compris, M. Chen a pris des mesures énergiques pour séquestrer cette personne, qui a été détenue pendant plusieurs heures. D'après certains rapports, M. Chen aurait ligoté cet homme. Je peux comprendre d'un côté que M. Chen était vraiment en colère, mais nous devons tous respecter la loi et il n'est pas acceptable d'employer une force excessive.
Le sénateur Angus : Mais l'autre gars n'a pas été arrêté.
M. Calarco : Il a sans doute été accusé de vol, mais si M. Chen ou le commerçant X disait, « Oh, c'est la personne qui a cassé ma vitrine hier » et allait le battre avec une barre de fer, cela n'est pas acceptable. Nous ne voulons pas que les gens se fassent justice eux-mêmes, utilisent une force excessive ou se mettent en danger.
Le sénateur Angus : Pensez-vous que la solution que propose le projet de loi C-26 risque de multiplier ce genre de situation? Je crois que c'est bien ce que vous dites.
M. Calarco : Malheureusement, je pense que cela est très probable.
Le sénateur Angus : J'ai relu l'excellent mémoire de l'ABC, dont je suis membre. Je ne fais pas partie de la section pénale, mais c'est un document très convaincant. Merci.
Le sénateur Baker : Une très brève remarque, une question que le sénateur Joyal a posée au ministre : le sénateur Joyal lui a demandé s'il pensait que la Charte canadienne des droits et libertés s'appliquait dans le cas d'une arrestation effectuée par un citoyen, c'est-à-dire, les alinéas 10a) et 10b), le droit à l'assistance d'un avocat, au sens des alinéas 10a) et b). Le ministre a déclaré que, d'après lui, cela ne s'appliquait pas à l'arrestation effectuée par un simple citoyen. Je me demande si vous avez une opinion sur la question de savoir si les alinéas 10a;) et 10 b) s'appliquent dans le cas d'une arrestation par un particulier.
M. Woodburn : Cela dépend du temps pendant lequel vous le gardez.
M. Calarco : À mon avis, non. Dans l'arrêt Buhay qui portait sur un argument fondé sur l'article 8, la Cour suprême a jugé que l'enquête effectuée par des agents de sécurité privée dans une gare d'autobus ne déclenchait pas l'application de l'article 8. C'est l'intervention de la police qui a déclenché l'application de l'article 8. Je pense que ce raisonnement serait appliqué à toutes ces dispositions et qu'aux termes de l'article 32 de la Charte, cela ne s'appliquerait pas aux agents de sécurité privés.
Le sénateur Baker : Avez-vous lu l'arrêt Lerke, de la Cour d'appel de l'Alberta?
M. Calarco : Je connais bien l'arrêt Lerke. Je ne pense pas qu'il puisse survivre à l'arrêt Buhay.
Le président : Je remercie les sénateurs et les témoins. Je suis heureux que vous ayez pu venir ce soir.
(La séance est levée.)