Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 20 - Témoignages du 7 juin 2012
OTTAWA, le jeudi 7 juin 2012
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel ont été renvoyés le projet de loi C-26, Loi modifiant le Code criminel (arrestation par des citoyens et moyens de défense relativement aux biens et aux personnes); et le projet de loi C-310, Loi modifiant le Code criminel (traite des personnes), se réunit aujourd'hui à 10 h 30 pour examiner ces projets de loi.
Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour et bienvenue aux sénateurs ainsi qu'aux téléspectatrices et téléspectateurs qui suivent ces délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles sur la chaîne CPAC.
Nous achevons donc aujourd'hui notre examen du projet de loi C-26, Loi modifiant le Code criminel (arrestation par des citoyens et moyens de défense relativement aux biens et aux personnes).
Le projet de loi a été présenté pour la première fois à la Chambre des communes le 22 novembre dernier. Selon le sommaire du projet de loi :
Le texte modifie le Code criminel afin de permettre au propriétaire d'un bien ou à la personne en ayant la possession légitime, ainsi qu'à toute personne qu'il autorise, d'arrêter dans un délai raisonnable toute personne qu'il prouve en train de commettre une infraction criminelle sur le bien ou relativement à celui-ci. Il modifie aussi le Code criminel afin de simplifier les dispositions relatives à la défense des biens et des personnes.
Le projet de loi C-26 a été renvoyé à notre comité par le Sénat le 15 mai dernier, pour examen détaillé.
Ceci est notre dernière réunion sur ce projet de loi, et nous procéderons donc à son étude article par article ce matin.
Notre audience est ouverte au public et elle peut également être suivie sur notre site Web, www.parl.gc.ca. Notre site contient davantage d'informations sur notre horaire ainsi que la liste des témoins sous la rubrique « Comités du Sénat ».
Avant de passer à notre étude article par article, le sénateur Fraser désire attirer notre attention sur quelque chose.
Le sénateur Fraser : Merci beaucoup, monsieur le président.
Chers collègues, j'aimerais attirer votre attention sur une chronique de Tonda MacCharles, qui est une excellente journaliste — je n'ai rien à redire à son travail — qui est paru aujourd'hui dans le Toronto Star à la page A-17 sous le titre « Vigilante unsure about new law : Chinatown shopkeeper worries about costs of pursuing charges ».
Voici une traduction libre des paragraphes 3 et 4 :
... Lorsqu'un sénateur libéral lui a demandé s'il estimait que le projet de loi C-26 permettrait de faire une arrestation civile sans qu'il y ait inculpation par la police, comme ça lui était arrivé en mai 2009, Chen, qui était accompagné de son avocate, Chi-Kun Shi, a avoué en toute franchise qu'il n'en avait aucune idée.
Sa réponse toute simple en mandarin, « je ne sais pas », a été erronément traduite par « oui » face au comité.
Mme MacCharles est une excellente journaliste, je le répète. Or, ayant été journaliste moi-même pendant assez longtemps, j'ai appris à ne pas prendre pour parole d'évangile toutes les informations, simplement parce qu'elles paraissent dans un journal.
Le sénateur Angus : Surtout s'il s'agit du Toronto Star.
Le sénateur Fraser : Non, c'est un journal excellent — vraiment formidable.
Cependant, je demanderais à la greffière de veiller à ce qu'on fasse des vérifications. S'il s'agit en fait d'une erreur de traduction, je lui saurai gré de corriger la transcription et de nous le signaler. Quant au fond de la question, vous vous souviendrez peut-être que j'avais demandé à l'avocate, Me Shi, si ce projet de loi pouvait protéger la conduite de M. Chen, sur quoi elle m'avait répondu « non » — je mentionne cela en passant.
Je tenais tout simplement à ce que nos délibérations soient correctement transcrites.
Le président : Merci sénateur de nous avoir signalé la question.
Est-il convenu de procéder à l'étude article par article du projet de loi C-26, Loi modifiant le Code criminel (arrestation par des citoyens et moyens de défense relativement aux biens et aux personnes)?
Des voix : D'accord.
Le président : Êtes-vous d'accord pour reporter l'adoption du titre?
Des voix : Oui.
Le président : Êtes-vous d'accord pour reporter l'adoption de l'article 1 qui contient le titre abrégé?
Des voix : D'accord.
Le président : L'article 2 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le président : L'article 3 est-il adopté?
Des voix : Oui.
Le président : Adopté.
L'article 4 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le président : L'article 1, qui contient le titre abrégé, est-il adopté?
Des voix : Oui.
Le président : Le titre est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le président : Adopté.
Le projet de loi est-il adopté?
Des voix : Oui.
Le président : Adopté.
Plaît-il au comité de discuter des observations annexées au rapport?
Le sénateur Fraser : Je le voudrais bien, si vous le permettez, monsieur le président. Normalement nous devrions passer à huis clos à ce stade-ci.
Le président : On me dit qu'il faut que le comité soit d'accord pour avoir cet entretien. Souhaitez-vous passer à huis clos pour que nous discutions des observations jointes au rapport?
Il nous faut une minute pour vider la salle. Nous faut-il une motion? C'est convenu. Je crois que le personnel peut rester, également.
(La réunion se poursuit à huis clos.)
(Le comité reprend ses travaux en séance publique.)
Le président : Est-il convenu que je fasse rapport de ce projet de loi au Sénat?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Fraser : Un mémoire vient de nous parvenir aujourd'hui de l'Association canadienne des libertés civiles et j'aimerais attirer l'attention du comité sur ce texte.
Le président : Merci.
Chers collègues, nous allons maintenant commencer notre étude du projet de loi C-310, Loi modifiant le Code criminel (traite des personnes). Ce projet de loi a été présenté pour la première fois à la Chambre le 3 octobre dernier par Joy Smith, députée Kildonan—St. Paul, province du Manitoba. Selon le sommaire de ce projet de loi,
Le texte modifie le Code criminel afin d'ajouter la traite des personnes aux infractions commises à l'étranger pour lesquelles les citoyens canadiens et les résidents permanents peuvent être poursuivis au Canada.
Il modifie également la Loi afin de préciser certains facteurs que le tribunal peut prendre en compte lorsqu'il détermine ce qui constitue de l'exploitation.
Le projet de loi C-310 a été renvoyé au comité par le Sénat le 15 mai dernier pour examen détaillé.
C'est aujourd'hui notre première réunion sur le projet de loi C-310. Cette audience est ouverte au public et peut également être suivie par le biais de la webdiffusion sur notre site à www.parl.gc.ca. Les spectateurs trouveront davantage d'informations dans notre site sous la rubrique « Comités du Sénat ».
Notre premier témoin est également la marraine de ce projet de loi. J'ai le plaisir d'accueillir et de vous présenter Joy Smith, députée, Kildonan—St. Paul. Elle représente sa circonscription depuis juin 2004 et je sais qu'elle est ardemment dévouée à la cause depuis bien des années.
Madame Smith, bienvenue. Vous avez la parole.
Joy Smith, députée, Kildonan—St.Paul, marraine du projet de loi : Merci beaucoup, honorables sénateurs. Je suis absolument ravie d'avoir l'occasion de vous parler de mon projet de loi d'initiative parlementaire, le projet de loi C-310, Loi modifiant le Code criminel (traite des personnes).
Bien qu'il ne soit pas parmi les nôtres aujourd'hui, je tiens à remercier tout particulièrement le sénateur Boisvenu pour avoir parrainé mon projet de loi au Sénat. Il a prononcé une allocution extrêmement éloquente sur le projet de loi C-310 le 3 mai au Sénat et, comme vous le savez, je relis méticuleusement toutes les allocutions. Il se porte depuis longtemps à la défense des victimes de criminalité. Je me souviens avec émotion du jour où le sénateur s'est joint à moi à Montréal en 2009 pour participer à une manifestation exigeant qu'on mette fin à la traite de personnes. Il y avait plus d'un millier de personnes dans les rues avec nous ce jour-là. C'est ainsi que j'ai fait sa connaissance, et il n'était pas encore sénateur à l'époque.
J'aimerais également remercier le sénateur Jaffer pour son allocution sur le projet de loi C-310, le 15 mai. Comme elle l'a signalé dans ses propos, elle et moi avons eu l'honneur de travailler ensemble sur la question de la traite des personnes depuis quelques années. Le sénateur Jaffer s'est érigée en véritable championne au Canada et à l'étranger pour la protection des victimes de l'exploitation sexuelle et du travail forcé.
Honorables sénateurs, des cas de traite de personnes commencent à être relevés régulièrement dans les médias. Ainsi, l'automne dernier, un homme d'Ottawa a été arrêté pour l'exploitation d'une fille de Windsor âgée de 17 ans qu'il avait amenée à Ottawa pour ensuite user de coercition jusqu'à ce qu'elle consentît à fournir des services aux hommes. Cela se passait dans un hôtel à quelques pâtés de maisons d'ici.
Vous avez entendu parler du plus grand cas de traite de personnes au Canada où il était question de 20 Hongrois conduits à Hamilton pour y faire du travail forcé. Pour toute nourriture, ils recevaient des restes une fois par jour et étaient enfermés la nuit. Vous avez peut-être également entendu parler des 24 000 femmes et enfants qui ont été libérés à partir de l'année dernière en Chine. Ce n'est là que la partie visible de l'iceberg.
Depuis 2005, des chefs d'accusation relatifs à la traite de personnes et ayant abouti à la condamnation de 42 inculpés ont été portés dans 223 affaires au Canada. Ce chiffre ne comprend pas les nombreuses autres condamnations pour traite de personnes liées à d'autres infractions criminelles. La majorité de ces cas concernaient des citoyens canadiens ou des résidents permanents qui avaient été victimes de traite strictement dans les limites du territoire canadien.
Il y a également 59 causes qui sont toujours devant les tribunaux, pour un total de 98 accusés et 147 victimes.
Aujourd'hui, cette forme d'esclavage moderne subsiste dans tous les coins de la planète et nous nous devons de redoubler d'efforts pour l'abolir. Le projet de loi C-310 est un projet tout simple qui ne contient que deux articles, mais il jouera un rôle essentiel dans le cadre des efforts canadiens pour lutter contre la traite des personnes, chez nous et à l'étranger.
Le premier article du projet de loi C-310 modifiera le Code criminel de manière à ajouter les infractions courantes en matière de traite de personnes à la liste des infractions qui, si elles sont commises à l'étranger par un ressortissant canadien ou un résident permanent du Canada, pourraient faire l'objet de poursuites au Canada. Cet article a été modifié par le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes pour inclure deux autres infractions se rapportant concrètement à la traite de personnes : l'infraction liée à l'avantage matériel décrite dans l'article 279.02, qui interdit de recevoir un avantage matériel en sachant qu'il provient de la perpétration de la traite des personnes; et la rétention ou la destruction de documents de voyage d'une personne ou de tout document pouvant établir ou censé établir l'identité à des fins de trafic des personnes, comme le précise l'article 279.03. Ces dispositions établissent la compétence extraterritoriale en matière pénale à l'endroit des infractions relatives à la traite des personnes.
Il existe trois principales raisons pour revendiquer la compétence extraterritoriale à l'endroit des infractions relatives à la traite des personnes : premièrement, elle permettrait au Canada d'arrêter les ressortissants canadiens qui ont quitté le pays pour éviter les poursuites après avoir commis de telles infractions; deuxièmement, elle veillerait à ce que justice soit faite dans les cas où l'infraction est commise dans un pays dépourvu de lois ou de systèmes judiciaires bien établis pour la lutte contre la traite des personnes; et enfin, l'existence de cette disposition extraterritoriale montre clairement que le Canada n'est pas prêt à tolérer que ses propres ressortissants se livrent à des activités de traite des personnes, quel que soit le pays.
Monsieur le président, appliquer la compétence extraterritoriale aux infractions prévues au Code criminel est une mesure exceptionnelle habituellement réservée à des questions bénéficiant d'un consensus international. Or, cette forme d'esclavage moderne est assurément une question qui fait l'objet d'un consensus international.
Pour le Canada qui fait déjà preuve de leadership à l'échelle internationale avec ses lois sur le tourisme sexuel et l'exploitation sexuelle des enfants, le projet de loi C-310 est une nouvelle occasion de mettre en évidence sa détermination à lutter contre des actes aussi abjects. Nous nous joindrons ainsi à des pays comme les États-Unis, l'Allemagne, le Royaume-Uni, la Nouvelle-Zélande, l'Australie et le Cambodge — des pays qui ont tous déjà étendu la compétence extraterritoriale aux infractions relatives à la traite de personnes commises par leurs ressortissants.
Le second article du projet de loi C-310 reconnaît que les tribunaux et les autorités policières bénéficieraient d'une disposition interprétative leur servant d'orientation sur ce qui constitue l'exploitation. Des aides à l'interprétation sont déjà utilisées dans notre Code criminel; par exemple, celui que l'on retrouve à l'article 153(1.2) explique plus clairement aux tribunaux ce qu'on entend par exploitation sexuelle d'un mineur.
Je tiens à signaler que cet article a également été modifié par le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes, ce qui a permis de simplifier les types de conduite énumérés tout en rendant le libellé du projet de loi C-310 plus conforme à celui d'articles analogues paraissant dans le Code criminel. Dans sa version actuelle, cet article prescrit que déterminer si un accusé exploite une autre personne au titre du paragraphe (1) :
(2) ... le tribunal peut notamment prendre en compte les faits suivants :
a) l'accusé a utilisé ou menacé d'utiliser la force ou toute autre forme de contrainte;
b) il a recouru à la tromperie;
c) il a abusé de son pouvoir ou de la confiance d'une personne
Ce libellé fournit des exemples clairs de méthodes d'exploitation d'usage répandu chez les auteurs d'abus dans des cas d'exploitation sexuelle et de travail forcé, tout en laissant une certaine marge de manœuvre pour que les tribunaux puissent envisager d'autres possibilités. Il est également conforme à des articles analogues dans le Code criminel et aux protocoles internationaux portant sur la traite de personnes.
J'aimerais saisir l'occasion pour parler de certains aspects soulevés par le sénateur Jaffer lors de son allocution à l'occasion de la deuxième lecture du projet de loi C-310.
Elle a fait valoir que ce projet de loi ne serait utile que s'il y avait des ressources susceptibles de le renforcer. Je suis entièrement d'accord avec son affirmation et je tiens à assurer aux sénateurs que le gouvernement du Canada appuie ce projet de loi et veillera à l'appliquer. En effet, les Canadiens qui voyageront à l'étranger pour se livrer à la traite des personnes ne pourront plus venir se réfugier au Canada.
Le sénateur Jaffer avait également rappelé la nécessité de prévoir des ressources pour que les victimes puissent trouver refuge après avoir signalé une infraction de traite des personnes. Une fois de plus, je suis entièrement d'accord. Comme les sénateurs le savent, j'ai préconisé l'adoption d'un plan d'action national de lutte contre la traite des personnes justement pour pouvoir accomplir cela. J'ai été ravie, hier, d'annoncer, de concert avec le ministre de la Sécurité publique, le lancement du plan d'action du Canada pour la lutte contre la traite des personnes. Moi, je me suis occupée de lancer le plan à Vancouver et le ministre Toews à Ottawa, alors que les ministres Ambrose et Blaney le faisaient à Montréal, le tout dans un effort coordonné. J'en suis très heureuse.
Ce plan comporte d'importantes initiatives qui permettront de renforcer le projet de loi C-310, dont un soutien ciblé aux victimes de traite et aux organismes qui leur viennent en aide, à raison de 500 000 $ par an, qui seront puisés à même le Fonds d'aide aux victimes administré par Justice Canada.
Le plan prévoit également la création d'une équipe intégrée d'application de la loi aux soins de la GRC qui sera parrainée par l'Agence des services frontaliers du Canada et qui se concentrera sur des enquêtes proactives en vue d'intercepter et/ou d'interrompre toute forme de traite des personnes au pays et à l'échelle internationale. Nous avons fait beaucoup de chemin.
Honorables sénateurs, la traite de personnes est le crime qui connaît la plus forte progression en termes de profit et il incombe aux parlementaires que nous sommes de nous attaquer à l'esclavage sous toutes ses formes, au Canada et à l'étranger. Je suis heureuse de constater que nous pouvons nous rallier et parler d'une seule voix contre ces actes vils qui violent les droits fondamentaux de la personne.
À la Chambre des communes, ce projet de loi a obtenu le soutien unanime des cinq partis à toutes les étapes. C'est une déclaration saisissante que l'on fait aux Canadiens, afin qu'ils sachent que leurs représentants ne sont pas prêts à tolérer cette forme d'esclavage moderne.
J'attends avec impatience d'obtenir votre aide pour que le projet de loi C-310 devienne une loi le plus rapidement possible, et je vais vous dire pourquoi. Dans ce pays, nous connaissons les auteurs de ces crimes, leurs adresses, nous savons qu'ils se rendent dans d'autres pays et nous savons lesquels. Ils rassemblent tous leurs amis et font beaucoup d'argent en faisant travailler ces clients dans des bordels qu'ils établissent dans les pays étrangers. C'est en train d'arriver au Canada. Nous le savons. Or, il n'y a pas de projet de loi ni de lois de compétence extraterritoriale en ce moment permettant d'empêcher que ce genre de chose se produise.
J'ai hâte de voir ce projet de loi se transformer en loi le plus rapidement possible. Je tiens à vous remercier tous, de tous les côtés de la Chambre, de l'attention très poussée que vous accordez à ces actes abjects, car vous faites une différence dans ce pays. Voilà ce que nous devrions faire en tant que parlementaires et sénateurs.
Merci.
Le sénateur Fraser : Bienvenue au Sénat, madame Smith. J'admire très sincèrement vos travaux et le dévouement dont vous faites preuve depuis des années dans ce domaine. Nous savons tous à quel point la traite des personnes est un fléau.
C'est juste qu'en me penchant sur ce projet de loi, je le trouve bien, oui, mais croyez-vous qu'il va vraiment changer les choses? Je songe par exemple au précédent qu'a constitué le projet de loi sur le tourisme sexuel, que nous avons tous accueilli favorablement, sans qu'il n'y ait grand-chose de changer
J'aimerais vraiment avoir la conviction que ce projet de loi sera davantage qu'un simple énoncé de principes. Les énoncés de principes sont tout à fait louables mais, vraiment, comment allons-nous empêcher ces choses?
Mme Smith : Merci beaucoup pour vos propos et je décèle dans votre voix les mêmes frustrations que je connais moi-même quand nous ne réussissons pas à ce que les choses se fassent. Je peux vous affirmer que je me sens très optimiste et je vais vous expliquer pourquoi je pense que cela va fonctionner.
Vous vous souvenez quand Irwin Cotler a proposé le projet de loi C-49. C'est un de mes amis et son projet de loi était fabuleux. Nous soutenons nos travaux de manière réciproque depuis des années. Je dois dire que c'était un excellent projet de loi. Comme dans tout autre pays, nous devions faire des progrès à partir de ce projet de loi.
J'ai donc proposé le projet de loi C-268 sur les peines minimales obligatoires qui a été adopté à l'unanimité par la Chambre. Il est évoqué dans de nombreuses causes depuis.
Quand on constate le petit nombre de causes qu'il y a en ce moment, je trouve cela extrêmement frustrant. C'est frustrant, car il nous est impossible d'aller de l'avant sans les outils qu'il nous faut. Et voilà que le projet de loi C-310 nous donne un nouvel outil en nous rendant responsable de la conduite des Canadiens. Nous sommes responsables des Canadiens qui vont à l'étranger pour exploiter des enfants. C'est notre pays. Avec le projet de loi C-310, nous avons des dispositions sur la compétence extraterritoriale, et vous verrez que cela continuera à faire une différence.
Nous pouvons rester les bras croisés et ne rien faire ni ne rien dire, eh bien, nous n'y pouvons rien, mais mon choix a été de venir à Ottawa, presque exclusivement pour cela. La raison pour laquelle je l'ai fait c'est que j'ai un fils qui travaillait à l'unité intégrée de lutte contre l'exploitation des enfants et qui a failli y perdre la vie. Ses cheveux ont grisonné en moins de deux ans et il est tombé malade. Aujourd'hui il est superviseur de la GRC à Virden, au Manitoba. En plus de son travail, il donne des conférences et enseigne dans les universités et collèges à titre bénévole.
Oui, je crois que cela va faire une très grande différence. J'aimerais obtenir votre soutien afin que la loi entre en vigueur.
Le sénateur Fraser : Je n'ai pas dit que je n'allais pas soutenir le projet de loi. C'est la première partie de votre phrase qui me laissait un peu sceptique. Comme je disais, les énoncés de principes sont très louables, et ils sont nécessaires.
Le sénateur Angus : Madame Smith, j'aimerais vous féliciter à mon tour pour l'excellent travail que vous avez fait dans ce domaine. Je vous ai entendu parler à plusieurs reprises à ce sujet, et vous avez le don d'attirer notre attention par votre manière d'aborder la question. Cette initiative nationale que vous avez lancée hier est une excellente chose également, et j'espère que vous pourrez nous en dire davantage.
Mais avant cela, j'aurais une question préliminaire à vous poser, et c'est que vous faites habituellement allusion aux femmes quand vous parlez de traite de personnes et du problème, mais je crois qu'il y a aussi beaucoup d'hommes qui en sont victimes. Avez-vous des données à nous avancer sur le taux d'incidence chez les hommes?
Mme Smith : À ce que nous ayons pu constater, 97 ou 98 p. 100 des victimes sont des femmes, mais il y a des hommes également, des garçons. Il y a beaucoup de cas qui ne sont jamais signalés.
Je peux vous dire quelques mots à propos d'un jeune homme à Montréal. Son père était toxicomane, alors il a exploité son fils à l'âge de huit ans en offrant ses services sexuels dans tout le Canada. C'était un jeune homme amoindri, mais c'est ce même jeune homme qui est parvenu à s'extirper de ce qui était devenu un véritable réseau de traite des personnes, car beaucoup avaient fini par imiter le père. Une fois tiré d'affaire, c'est lui qui a signalé qu'on se livrait à un trafic de filles, rue Sainte-Catherine à raison de 2 500 $ par tête. Il a fait beaucoup de bonnes choses, mais nous ne devons pas oublié que des garçons sont à risque, notamment dans les collectivités autochtones. Nous sommes au courant de certains cas. Il y a un livre, Flowers on My Grave sur un adolescent qui a fait l'objet d'exploitation sexuelle; certains de ses camarades ont également subi ces traitements. Les auteurs de ces abus n'ont jamais été traduits en justice.
Quand on place un écran radar public et qu'on présente des projets de loi comme celui-ci — et la stratégie nationale du Canada a été formidable — le message qu'on transmet est extrêmement clair.
Le sénateur Angus : Pouvez-vous nous en dire davantage sur le plan d'action national?
Mme Smith : Je suis absolument emballée par le plan d'action national, car il contient des clauses pour les victimes qui recevront des fonds, et on y songe également à la sensibilisation des agents de police. Il y a tellement d'agents qui ont les meilleures intentions du monde mais qui ne savent pas comment s'y prendre lorsqu'ils sont aux prises avec des cas de traite de personnes. Pour la première fois, nous aurons une unité intégrée qui se concentrera exclusivement sur les victimes de traite de personnes. Il nous faut ces outils de diagnostic pour obtenir les statistiques correctes et établir des rapports en conséquence. Parmi les plus de 25 millions de dollars à consacrer sur quatre ans à la mise en œuvre des initiatives, le plan d'action national prévoit la collecte de données, ce qui n'a jamais été fait.
J'estime que la coordination entre les organisations non gouvernementales n'a pas été reconnue au même niveau que dans le plan d'action national et que la sensibilisation des autorités policières et des fonctionnaires — tout cela grâce à une collaboration intégrée — mettront fin à ces actes vils. Voilà quelques-uns des points saillants du plan d'action national.
Le sénateur Angus : Ce projet de loi fait-il partie intégrante du plan d'action national? Est-ce que son lancement a été programmé pour coïncider avec le stade actuel du projet de loi?
Mme Smith : C'est arrivé par hasard, mais j'ai quand même poussé un petit peu. C'est une bonne question car c'est moi qui ai rédigé le plan préliminaire intitulé « Connecting the Dots : The National Action Plan » et le premier ministre l'a vraiment apprécié. Il a fallu un an pour rallier tous les ministères. Je savais que le projet de loi C-310 irait de l'avant, surtout à cause des cas qui m'étaient connus.
Je vous parlerai, par exemple, de Wrenshall qui avait un bordel à l'étranger et exploitait des enfants depuis longtemps. Sa plus jeune victime avait quatre ans. Il s'agissait d'un Canadien qui faisait des allées et venues au pays. Wrenshall était plutôt futé pour venir directement de son pays d'origine au Canada. Nous n'avions pas de loi; nous ne pouvions pas l'atteindre. Néanmoins, il a commis l'erreur d'atterrir au mauvais aéroport. Les États-Unis ont mis le grappin dessus et il purge une peine de 25 ans de prison. Plus encore, son bordel a été démantelé, son argent confisqué, alors les choses ne vont pas si bien pour lui en ce moment. Voilà un exemple pratique du monde réel. Voilà pourquoi nous avons besoin du projet de loi C-310.
Le sénateur Jaffer : Merci, madame Smith, pour vos aimables propos. Vous avez tout un club de fans ici. J'aimerais également vous remercier pour vos inlassables efforts.
Hier, quand vous étiez dans ma province, vous avez indiqué à quel point le problème est énorme. C'est, selon vos propos, comme manger un éléphant à la fourchette.
Mme Smith : Vous m'écoutiez donc. C'était hier.
Le sénateur Jaffer : J'écoute tout ce que vous dites.
Manifestement, tout le monde pense que sa province a de grands besoins. Dans ma province, je vois des filles autochtones âgées de neuf ans qui sont exploitées sexuellement en pleine rue. C'est dur.
Hier, on vous a fait savoir que l'Armée du Salut venait de prévoir quelques lits — pas beaucoup; il n'y avait pas de lit avant pour les filles ou les femmes victimes de traite de personnes. Cela dit, c'est une installation qui se consacre exclusivement à la désintoxication. C'est triste à dire, mais comme nous savons, la plupart des victimes de traite de personnes ont des problèmes de toxicomanie.
Pour revenir au plan d'action national, je sais que vous y avez travaillé d'arrache-pied. Sachez que je l'apprécie et que nous sommes tous en faveur du projet de loi, mais nous voulons davantage encore.
Mme Smith : Bien.
Le sénateur Jaffer : Vous voulez davantage; je comprends.
Sur les 25 millions de dollars que le gouvernement s'est engagé à dépenser sur quatre ans, quel est le montant destiné aux victimes et comment l'argent est-il distribué aux victimes?
Mme Smith : Il y aura 500 000 $ qui iront directement à l'amélioration des services destinés aux victimes, plus concrètement les victimes de traite de personnes. C'est un premier pas et c'est un bon départ. Nous avons tous affirmé sans ambages que nous ne tolérerons pas l'achat et la vente de nos enfants dans ce pays, pas plus que le travail forcé ou la vente de toute autre personne.
Vous avez raison; j'ai effectivement dit cela. C'est comme manger un éléphant avec une fourchette. Il y a beaucoup à faire, mais ça c'est une autre étape. À mesure que nous avancerons, vous verrez de nombreuses améliorations, dont davantage de crimes et de prédateurs traduits en justice. Les médias signalent de plus en plus ces actes criminels. Vous aurez l'occasion un peu plus tard d'écouter les propos de Brian McConaghy qui a travaillé aux dossiers Bakker et Picton et également au Cambodge auprès de Ratanak International. Vous entendrez également Rob Hooper, qui a lui aussi beaucoup d'expérience dans ce domaine.
C'est en réunissant nos efforts que nous changerons les choses, mais je vois ce que vous voulez dire. Tout n'est pas écrit dans un seul document; tout ne peut pas être inscrit dans un projet de loi, quel qu'il soit. C'est une fois que le projet de loi est adopté qu'il faut l'enrichir. Ce n'est pas nécessairement à moi de m'en occuper. Je vous invite tous à faire la même chose. Nous en avons besoin. Nous avons besoin de lois et des ressources, mais ceci est déjà un excellent départ. C'est la première unité de police intégrée affectée exclusivement à la traite de personnes. Nous parlons d'une somme de plus de 25 millions de dollars pour toute l'initiative sur quatre ans. C'est beaucoup d'argent, surtout compte tenu de l'austérité économique actuelle. Il s'agit de 500 000 $ directement consacrés aux victimes, ce qui équivaut à reconnaître que les victimes ont besoin du soutien qui leur est offert par ces services.
Beaucoup de bonnes choses sont en train de se passer, mais je me range à votre avis, c'est-à-dire qu'il faut que nous fassions davantage.
Le sénateur Jaffer : Ma collègue, le sénateur Fraser, a soulevé la question du tourisme sexuel. Nous avons eu cinq cas dans les quelque 20 ans qui se sont écoulés depuis l'adoption du projet de loi. La plupart ont été fortuits; ils n'ont pas été attribuables à une enquête de la police ni rien dans ce genre-là, comme vous le savez. Je me suis souvent demandée pourquoi nous n'avons pas des agents chargés des enquêtes travaillant en Thaïlande, au Cambodge, au Laos et à Bali? Nous n'en avons toujours pas. Est-ce que ce nouveau plan d'action fera en sorte que de tels agents soient affectés à nos ambassades dans ces quatre pays?
Mme Smith : Comme je l'ai déjà dit, sénateur Jaffer, il s'agit d'un premier pas. Je ne peux pas répondre à la question, car nous en sommes encore au cadre de travail et il s'agira d'introduire les éléments logistiques un par un.
J'apprécie vos commentaires et ceux du sénateur Fraser. J'ai ressenti la frustration de voir que les choses ne se passent pas aussi rapidement qu'elles le devraient. Je dis continuellement à mes collaborateurs que je ne suis pas en train de faire assez, et ils hochent la tête en disant : « Non, de grâce! Ça suffit comme ça! »
Sur la question du tourisme sexuel, cela n'est jamais passé à l'écran radar public. Nous avons l'ouvrage Les chaînes invisibles de Benjamin Perrin. C'est le premier livre jamais écrit sur la traite des personnes au Canada. Nous sommes encore des débutants dans ce domaine. Le Canada doit grandir et réagir à toutes ces choses. On me demande constamment : « Pourquoi tous ces gens ne sont-ils pas traînés en justice? » C'est la raison pour laquelle j'ai proposé le projet de loi C-268.
Le sénateur Jaffer : Je sais que vous travaillez dur avec les Américains. Vous avez fait venir le chef de l'agence ici et je l'apprécie énormément. Je sais que ce ne sont là que de tout petits pas. Loin de moi de vous critiquer, mais dans leur législation, ils avaient des dispositions extraterritoriales et, dans la loi proprement dite, il y avait des dispositions pour les victimes.
Je suis persuadée que vous avez pensé à cela, mais ce qui m'inquiète à ce chapitre, comme à toute personne qui en serait le moindrement au courant, c'est que pour accuser quelqu'un, il faut que la victime se trouve dans le pays. Serons-nous en mesure d'amener les victimes de ces pays ici afin qu'elles puissent témoigner et ensuite, leur offrirons-nous les services nécessaires pour qu'elles ne redeviennent pas des victimes de nouveau?
Mme Smith : Dans le cadre du plan d'action national actuel, nous ciblons la formation des premiers intervenants et fournisseurs de services. Ils sont habituellement le premier point de contact. Les premiers intervenants suivent les auteurs d'abus et les victimes sont là, alors la collaboration entre les pays fait partie de ce que nous faisons.
Si vous parcourez le plan d'action national, et je suis sûre que vous l'avez fait, nous avons ce genre de collaboration entre les pays à présent et tout cela y est décrit. Je crois que nous allons assister à de grandes améliorations. Ce que vous dites est absolument vrai; ce sont là des questions que nous nous sommes tous posé et telles sont les solutions que nous voulons tous atteindre. Il y aura en fait un manuel des centres de victimes qui sera élaboré pour aider les autorités policières et les enquêteurs à résoudre ces crimes; on veillera également au perfectionnement professionnel des fournisseurs de services et des organisations non gouvernementales qui s'intéressent au sort des victimes de traite de personnes.
À mon arrivée au Parlement en 2004, il y avait des ONG qui cachaient les victimes. Elles ne pouvaient pas parler à la police. Je crois que cet obstacle est en train de disparaître. Cela dit, cette formation de tous les côtés de la Chambre est extrêmement importante et elle est prévue dans le plan d'action national.
[Français]
Le sénateur Fortin-Duplessis : Merci beaucoup, monsieur le président, en tout premier lieu, madame la députée Smith, je tiens à vous féliciter pour votre travail excellent. Je veux vous dire que je vous admire beaucoup pour votre ténacité et le fait que vous voulez changer la condition de personnes exploitées.
En premier lieu, combien d'enfants seraient, selon les statistiques, victimes du fléau de trafic de personnes au Canada et dans le monde?
Tout à l'heure, vous aviez des chiffres pour la Chine, vous nous avez mentionné 24 000 jeunes qui ont été exploités là-bas. J'aimerais vous entendre là-dessus. J'aurai une autre question à vous poser.
[Traduction]
Mme Smith : Merci pour la question. D'aucuns prétendent que nous en avons 15 000. Moi, j'affirme que nous l'ignorons et que c'est justement pour cela que nous avons besoin du plan d'action national, car la collecte de données fait partie du plan. Je ne crois pas que nous puissions parler d'un chiffre précis, mais je sais que l'achat et la vente d'enfants est l'activité criminelle la plus rentable après le trafic de stupéfiants dans ce pays, d'où les nombreux enfants qui en sont victimes.
Je sais qu'il y a beaucoup de victimes qui obtiennent des services d'ONG. Mais je me tromperais sûrement si je vous donnais un chiffre précis. J'ai entendu parler de ces chiffres, mais je ne crois pas que nous disposions des données brutes.
Ce que je sais, c'est ce que nous avons découvert. La traite des personnes est un crime clandestin, car l'auteur d'abus sympathise avec sa victime et obtient sa confiance. Ensuite, il écarte la victime de tous ses réseaux, qu'il s'agisse de la famille, de la collectivité ou de l'école, n'importe, et puis les choses prennent un tout autre cours.
J'ai connu une fille qui avait été violée et droguée. Elle était pratiquement morte quand la police l'a trouvée. Mais l'essentiel, c'est que nous l'ayons trouvée. Elle appartenait à une famille de classe moyenne. Son premier commentaire quand je suis allée la voir a été « Ne le dites pas à mes parents; je ne veux pas qu'ils le sachent ».
Il nous faut disposer de ces chiffres. Mais ce n'est que lorsque que nous aurons des forces intégrées, des agents de police formés sur la manière de travailler avec les victimes, les conseiller et leur faire sentir qu'elles sont en sécurité, ce n'est qu'alors que nous obtiendrons les données brutes. Le chiffre de 15 000 est en train de circuler, mais je ne sais pas si nous avons les données brutes, je vous le dis franchement. Voilà pourquoi le plan d'action national est tellement important.
[Français]
Le sénateur Fortin-Duplessis : Est-ce que vous avez de l'information sur le nombre de Canadiens qui se rendent à l'étranger pour y faire la traite des personnes?
[Traduction]
Mme Smith : Nous ne disposons pas des chiffres, mais il y en a beaucoup. Comme je l'ai dit, le monsieur dont je vous parlais en Ontario, j'aimerais bien lui mettre la main dessus. Vous devez songer à l'argent. Ce genre d'activités rapporte énormément d'argent. Les deux types de prédateurs sont tout d'abord, les pédophiles qui semblent sincèrement voués à faire de mauvaises choses aux enfants et deuxièmement, l'entrepreneur qui peut obtenir plus d'argent en vendant une jeune personne qu'en vendant des drogues parce que ces enfants peuvent être vendus et revendus à plusieurs reprises. Ceux-ci sont comme du bétail. Certains sont même tatoués. C'est ignoble. On leur dit : « Voilà ce que tu es ». On leur donne de nouveaux noms, on leur fait des tatouages et on leur dit : « Tu m'appartiens » et les autres gars ne peuvent pas les toucher et ils les exploitent pour de l'argent. Il y en a des centaines et des centaines.
En fait, une jeune fille est venue me voir dans mon bureau la semaine dernière. Elle voulait venir pour environ trois ans. Elle a appelé et elle a dit : « Je suis victime de traite de personnes ». Cela s'est avéré être le cas. Elle vit à Ottawa. Elle a été victime de traite de personnes en Californie. Elle a pu s'en sortir parce qu'elle est devenue tellement malade qu'on a décidé de s'en débarrasser. Cela dit, elle a fait des milliers de dollars. Nous l'avons confiée à la GRC et ils sont en train de s'occuper du cas.
Une autre femme est venue dans mon bureau — à Ottawa, la capitale nationale — et elle avait été victime de trafic de personnes à Toronto, à Montréal et à Ottawa. Mon personnel était présent lors de notre réunion et, pauvre Cory, il a dû apporter la boîte de Kleenex parce que nous étions tous les deux en larmes. Elle a dit qu'elle avait enfin pu s'échapper et appeler sa maman. Elle voyait sa maman tourner en rond dans le stationnement, car elle pensait que sa fille n'était pas au rendez-vous. Elle était en fait prisonnière dans un motel. On l'empêchait de sortir en la battant.
Il y a des centaines et des centaines d'histoires de la sorte. Nous ne pouvons le tolérer. Nous ne pouvons pas nous laisser ralentir par la logistique, par l'absence de données exactes, et je sais que ce n'est pas ce que vous êtes en train de dire, mais nous devons obtenir ces données. Le plan d'action national prévoit cette collecte de données. Pour la première fois, le Canada a cette occasion et je crois que c'est excellent.
[Français]
Le sénateur Fortin-Duplessis : Merci beaucoup, monsieur le président, j'aurai une question à poser s'il y a un deuxième tour.
[Traduction]
Le sénateur Raine : Merci. Nous apprécions tous votre travail sur ce dossier et nous espérons assister à des changements très positifs.
Je sais que vous êtes parfaitement au courant des admirables travaux qui ont été faits par Soroptimists, au Canada et à l'échelle internationale. Y a-t-il moyen d'utiliser une organisation comme celle-là pour aider l'unité intégrée de lutte contre la criminalité?
Mme Smith : Cette organisation est vraiment phénoménale. Je travaille avec elle tout le temps. C'est justement avec ce genre d'organisations non gouvernementales que nous voulons prendre contact. C'est ce que nous avons préconisé hier dans notre plan d'action national. Ces organisations feront partie de la solution. Eh oui, absolument, elles en ont déjà fait partie. En fait, elles pourraient nous apprendre certaines choses. Nous devons travailler dans un climat de collaboration dans cette initiative et nous assurer que toutes les composantes de ce qui se rapporte à la traite de femmes entre en ligne de compte.
Les ONG sont d'un concours précieux, car elles peuvent vraiment communiquer avec ces victimes et les protéger. Nous en sommes à un stade où les victimes commencent à parler à la police. Elles craignent néanmoins de le faire et ce sont ces ONG qui les aident à obtenir des conseils psychologiques et autres pour les préparer à dénoncer la situation.
S'il vous est arrivé de travailler avec une victime de traite de personnes, vous aurez sans doute été choqués de constater à quel point elles sont traumatisées. Songez à votre fille ou à votre petite-fille; pouvez-vous imaginer quelqu'un en train de toucher ces enfants précieux? Quand c'est le cas, ces enfants ont besoin de réadaptation, de récupérer leur équilibre et de comprendre que ce n'est pas de leur faute. Tout cela fait partie du plan d'action national et des groupes comme Soroptimists en feront partie.
Le sénateur Raine : Sur le plan extraterritorial, par le biais de ces ONG internationales, serez-vous en mesure de tendre la main et d'avoir des réseaux dans d'autres pays pour sensibiliser les gens et leur faire savoir qu'ils peuvent dénoncer des criminels canadiens à l'étranger?
Mme Smith : C'est un commentaire très adroit. Je vous en remercie, sénateur. Voilà qui fait partie de la raison pour laquelle ces prédateurs s'en tirent si bien. Je ne crois pas que tous les pays aient eu l'occasion de s'entretenir là-dessus, de collaborer et d'échanger les informations. Une partie du plan d'action national consiste à prévoir qu'il en soit ainsi. Cette prévision est faite parce que les pays ont beau être pauvres, démunis, les gens aiment tout autant leurs enfants et leurs adolescents. Ils ne veulent pas que leurs citoyens fassent l'objet de traite de personnes, et nous nous ne le voulons certainement pas ici au Canada.
Voilà que nous avons ce dialogue sur le monde en plus de celui qui nous intéresse ici au Canada. Je crois que nous avons encore de grands progrès à faire dans les deux ou trois années à venir par opposition à 2004 quand tout cela a démarré.
Le sénateur Raine : Merci beaucoup. Nous apprécions vraiment ce que vous faites.
Le sénateur Unger : Merci, madame Smith, pour tout ce que vous avez fait. Vous travaillez pour une cause on ne peut plus méritoire. Je conviens que le projet de loi est un bon début, surtout compte tenu du manque de données. En réalité, nous ne savons même pas quelle est l'envergure ou la portée du problème.
Ma question se rapporte à la compétence territoriale d'un pays. Si le Canada et un pays étranger désirent poursuivre les criminels, comment prendra-t-on la décision sur qui devra faire les poursuites?
Mme Smith : Cela sera déterminé une fois que le projet de loi sera adopté. Premièrement, il faut avoir une disposition le permettant. Ici, ce n'est pas le type de décision qui est prise autour des tables de négociation du gouvernement — les tables parlementaires et sénatoriales. Ces décisions sont prises par les autorités policières et les diverses administrations.
Lorsque l'on détient une compétence extraterritoriale, on veut parler de Canadiens. Grâce au projet de loi C-310, nous pouvons ramener nos ressortissants ici et les poursuivre en vertu des lois canadiennes.
Il nous faut davantage de collaboration entre les diverses autorités. Vous avez entendu parler des enfants Maryk, ces deux enfants qui ont été capturés et emmenés au Mexique. Ils ont été enlevés et emmenés au Mexique par leur père, un Hells Angel, quelqu'un de pas très bien, qui ne faisait pas des choses très jolies jolies à sa fille.
Nous savons que, lorsque les enfants sont à la merci de ce genre de personnes, ils ont un problème. Ils ont été confinés, ne pouvaient pas sortir avant 20 heures et ils retournaient à la maison à 2 heures du matin. Mon mari et moi nous avons six enfants et pour nous, c'est l'heure de faire dodo, et non pas l'heure de sortir. Je ne vois pas où se trouvaient ces pauvres enfants pendant ce temps.
Il y a eu une collaboration entre le gouvernement mexicain, nos forces de l'ordre, la police mexicaine et INTERPOL. Je sais que la chose a été difficile car j'étais une des personnes qui a aidé à établir cette collaboration. Je ne l'avais jamais fait auparavant. Ce genre de chose est clairement décrit dans le plan d'action national. Une fois que c'est organisé — avec les 36 mille choses que les forces de l'ordre doivent faire en une seule journée — nous savons qu'il s'agit d'une priorité.
Nous avons accordé une importance prioritaire à l'abolition de la traite des personnes non seulement ici au Canada, mais également à l'étranger lorsque les auteurs d'abus sont des ressortissants canadiens ou des résidents permanents au Canada. Nous ne sommes pas en train de nous introduire dans le territoire d'autrui pour poursuivre ses citoyens; nous allons chercher les nôtres et cela nous donne une bonne arme.
Le sénateur Unger : Merci. Je suis aussi tout à fait d'accord qu'il faut travailler avec les agences qui se trouvent déjà sur le terrain et qui ont de l'expérience dans d'autres pays, ainsi qu'au Canada. En Alberta, nous avons un organisme appelé Edmonton Catholic Social Services.
Mme Smith : Oui, ils sont excellents.
Le sénateur Unger : Ils le sont. Ils aident beaucoup de gens. Ils font preuve d'énormément de bonne volonté et ils sont très accueillants, tout comme les organismes mentionnés par le sénateur Raine. Merci beaucoup. J'ai hâte de constater vos progrès.
Mme Smith : Merci pour votre soutien, sénateur Unger.
Le président : J'aimerais poser une question sur la compétence extraterritoriale. Je ne suis pas sûr de savoir comment cela fonctionne. Avez-vous une entente avec d'autres pays? Dans votre déclaration préliminaire, vous avez parlé des pays qui avaient une telle compétence extraterritoriale. Y a-t-il eu un genre d'entente conjointe avec un autre pays pour que cela puisse vraiment porter?
Mme Smith : Les dialogues se poursuivent dans un sens et dans l'autre, mais la compétence extraterritoriale s'applique aux Canadiens dans mon projet de loi. Ce sont les Canadiens qui vont dans d'autres pays. La compétence nous appartient puisqu'il s'agit de ressortissants canadiens.
Le président : Est-ce que le pays ne doit pas reconnaître cette compétence? Vous ne pouvez pas simplement aller dans un autre pays...
Mme Smith : Oui, il existe une collaboration entre deux pays. J'explique. La chose est compliquée quand vous avez un mélange de Canadiens et d'autres citoyens dans d'autres pays. Cela dit la compétence extraterritoriale sur les infractions relatives à la traite d'enfants nous permettra d'arrêter les ressortissants canadiens qui ont quitté le pays quand ils se livraient à la traite de personnes. Nous aurons le pouvoir de faire cela. Nous pouvons le faire par l'entremise de notre Parlement, Nous aurons la compétence — la compétence extraterritoriale — car cela est prévu dans le Code criminel.
Le président : Je suppose que je suis toujours curieux. Par exemple, vous n'avez pas parlé de la Thaïlande, et je sais que ce pays a été une source de problèmes. Êtes-vous en train de dire qu'en vertu de cette loi, la GRC ou quiconque représente la compétence canadienne, peut aller en Thaïlande et arrêter quelqu'un?
Mme Smith : Un ressortissant canadien. Il faut que l'auteur d'abus soit un ressortissant canadien.
Le président : Ne faut-il pas une entente avec ce pays?
Mme Smith : On n'a pas besoin d'une entente officielle. On collabore, mais cela ne veut pas dire qu'on se contente d'y aller sans autre forme de procès. On collabore avec les forces de l'ordre. On ne peut pas juste se rendre dans un pays et arrêter quelqu'un. On prend le téléphone, ou on se déplace avec toute une unité pour expliquer que cela relève de notre compétence parce qu'il s'agit de ressortissants canadiens.
Cette disposition extraterritoriale est extrêmement importante parce que les Canadiens penseront qu'ils sont affranchis des obligations canadiennes, ils seront paralysés par la bureaucratie dans l'autre pays où le système judiciaire de cet autre pays est faible. Nous serons toutefois habilités à agir de la sorte une fois que ce sera prévu dans le Code criminel.
Le président : Je vous remercie.
Le sénateur Fraser : Ce projet de loi donne aux tribunaux canadiens le droit de poursuivre les ressortissants canadiens pour des crimes commis à l'étranger. J'aimerais vous entendre dire que nous pouvons envoyer nos propres agents de police dans ces pays. Je présume qu'il faudrait avoir des traités d'extradition avec les pays en cause car autrement, nous nous rendrions coupables d'enlèvement. Avons-nous des traités d'extradition avec les pays qui sont les principales sources de traite de personnes?
Mme Smith : C'est là que les négociations entrent en jeu. Il faudrait que je voie quels sont les pourparlers entre les pays. Il faudrait que je vérifie de quels pays il s'agit, mais nous avons certainement des négociations sur l'extradition. Peut-être que M. McConaghy peut répondre à la question.
Le président : J'aimerais donner une occasion au sénateur White, qui n'a pas participé à la première série de questions. Nous devons avancer rapidement.
Le sénateur White : Il y a pas mal de différence entre la capacité d'enquête de la police dans un autre pays et l'extradition. Il n'est pas toujours nécessaire d'avoir les deux. Nous avons mené des enquêtes en Thaïlande sans avoir réussi à obtenir l'extradition.
Je n'ai pas trouvé cette information ici et je m'excuse si je l'ai ratée, mais ma question est la suivante : peut on porter des accusations ex parte si les auteurs d'abus ne sont pas trouvés et ramenés au pays, lorsqu'il s'agit de ressortissants canadiens?
Mme Smith : La situation est étudiée au cas par cas. On ne peut pas donner une réponse toute faite à ces questions. Une fois que cela sera inclus dans le Code criminel, nous aurons le pouvoir de ramener nos ressortissants. Si on ne les trouve pas, il n'y a vraiment rien que nous puissions faire; il faut d'abord trouver l'auteur d'abus.
Le sénateur White : Dans certains cas, dans les tribunaux canadiens, il existe la possibilité de poursuivre quelqu'un ex parte. La présence matérielle de l'inculpé n'est pas nécessaire pour mener le procès. Savez-vous si vous en avez discuté dans le cas qui nous occupe?
Mme Smith : D'après ce qu'on m'a dit, et je ne suis pas avocate...
Le sénateur White : Moi non plus, alors c'est parfait.
Mme Smith : On m'a dit que les choses sont examinées au cas par cas et qu'il faut avant tout avoir une relation avec le pays. Cela s'applique essentiellement à l'auteur d'abus, quand nous connaissons son identité, à ce qu'il a fait avant de retourner au Canada où il aura été trainé en justice.
Le sénateur White : Félicitations pour le travail que vous avez fait.
Le président : Nous avons dépassé notre temps de cinq minutes, et nous avons d'autres témoins. Formulez votre question afin qu'elle soit consignée et passons à autre chose.
Le sénateur Jaffer : Que Mme Smith me corrige si je me trompe, mais je l'ai entendu dire que ce projet de loi ne visait pas le l'auteur d'abus s'il était à l'étranger.
Madame Smith, ce que vous craignez c'est que l'auteur d'abus pourrait vivre dans votre quartier.
Mme Smith : Oui.
Le sénateur Jaffer : Ce projet de loi cherche à couvrir une infraction qui se déroule à l'extérieur du territoire, mais la personne se trouve ici. La personne se trouve déjà dans notre pays, mais pour l'instant elle a pu échapper aux poursuites parce que nous n'avions pas ce projet de loi. Est-ce cela que vous essayez de faire?
Mme Smith : C'est cela, en partie. Je suppose que je n'ai pas fait cas du contexte de la question. Je vous ai donné cet exemple au début. Nous savons où ils vivent, quand ils reviennent au Canada et ce qu'ils ont fait. Nous avons des preuves que les agents de police d'autres pays ont obtenues et nous possédons les dossiers.
Néanmoins, au Canada, si les auteurs d'abus passent entre le Canada et un pays tiers, nous ne pouvons pas leur mettre la main dessus. S'ils atterrissent aux États-Unis, comme Wrenshall, les autorités américaines peuvent les arrêter. Il y a ce genre de collaboration entre les forces de l'ordre, mais cela devient extrêmement compliqué. On ne peut pas arrêter un ressortissant d'un autre pays; il doit s'agir d'un ressortissant canadien.
Le président : Je vous remercie de nouveau, madame Smith.
Avant de passer à notre prochaine série de témoins, l'examen du projet de loi C-46 a été distribué, mais je tiens seulement à m'assurer que vous êtes tous au courant. Comme vous le savez, nous nous sommes penchés sur cet examen du projet de loi et nous avons une ébauche de rapport. Néanmoins, et compte tenu des changements qui se sont produits parmi les membres du comité depuis l'an dernier à l'égard de cette étude plutôt approfondie, nous avons eu le sentiment qu'il serait peut-être utile pour tous de remettre notre décision à l'automne. À ce moment-là, espérons-le, il y aura une certaine homogénéité parmi les membres du comité et nous serons en mesure de nous concentrer sur cela et de nous en occuper rapidement, certainement dès le début de la session d'automne, quand nous aurons peut-être un peu moins de lois du gouvernement à examiner.
Je fais savoir ici aujourd'hui que nous avons l'intention de demander que l'on prolonge le délai fixé pour faire rapport au Sénat.
Le sénateur Angus : J'aurais juste une mise en garde. Je ne sais pas exactement — peut-être que le sénateur Fraser le sait — mais ce qui arrive souvent avec ces études de lois, c'est qu'il existe une disposition selon laquelle si on ne fait pas quelque chose d'ici une certaine date, on pense qu'on est en train de rien faire. Je ne sais pas ce que dit le renvoi dans ce cas précis — je ne m'en souviens pas, mais il ne faut pas perdre la chose de vue. Si vous repoussez la chose à dans six mois...
Le sénateur Fraser : Voilà des années que cela aurait dû être fait. Je suis tout à fait d'accord, par prudence, pour reporter la date limite, monsieur le président. Cela dit, à ce que j'ai compris nous pourrions passer un peu plus de temps à étudier ce rapport avant que nous nous quittions pour l'été.
Le président : Ma seule inquiétude réside dans l'homogénéité des membres. La plupart des membres siégeant à ce comité n'ont pas participé à ces discussions. Je ne suis pas certain d'accomplir grand-chose ce faisant. Ensuite nous avons la pause d'été et nous recommencerons à zéro. À ce stade-là, il pourrait y avoir de nouveaux changements parmi les membres.
Je crois que si nous nous concentrions vraiment sur cela au début de la session d'automne et que nous travaillions dur jusqu'à sa conclusion, nous pourrions le faire en temps opportun et éviter le genre d'interruptions qui se sont produites par le passé pendant les délibérations. Voilà qui explique la mesure. De mon point de vue, certes, je voulais avoir un engagement afin de vraiment me concentrer et faire le travail.
Le sénateur Fraser : Peut-être que nous pourrions parler de nouveau de la programmation au niveau du comité directeur. Quant à la motion, je suis tout à fait d'accord, comme vous le savez.
Le président : Il y a autre chose encore, et j'espère que ce sera rapide, car nous avons nos témoins ici. Compte tenu de la confusion qu'il y avait à l'égard des questions de notre dernier témoin sur les pouvoirs extraterritoriaux, Mme Shaw voudrait faire un commentaire.
Erin Shaw, analyste, Bibliothèque du Parlement : Je tenais uniquement à préciser qu'en droit, il y a une différence entre le pouvoir d'interdiction et le pouvoir d'application. Le Canada peut interdire des actes en vertu du Code criminel canadien sans nécessairement pouvoir appliquer la mesure. Autrement dit, nous pouvons interdire les choses extraterritorialement, mais l'application de la loi comme telle exigerait l'accord de l'État souverain correspondant.
Le président : J'ai présumé que c'était le cas, mais je vous remercie.
Pour notre deuxième série de témoins, nous accueillons Robert Hooper, président de l'organisme WalkWith Me. Cet organisme national a pour mission de fournir des services aux personnes libérées de cette forme d'esclavage moderne dite traite de personnes. WalkWith Me a été fondé par Timea E. Nagy, une survivante de la traite de personnes.
Brian McConaghy est le directeur de Ratanak International, organisation humanitaire qu'il a fondée lui-même pour venir en aide aux gens qui souffrent au Cambodge. L'organisme a élargi son mandat pour aider les enfants exploités à des fins sexuelles dans l'Asie du Sud-Est.
Jamie McIntosh est le fondateur et directeur général d'International Justice Mission Canada, organisme de droits de la personne qui a pour mission d'obtenir justice pour les victimes d'esclavage, d'exploitation sexuelle et d'autres formes d'oppression. L'organisme est constitué d'avocats, d'enquêteurs et de préposés à l'assistance postpénale qui travaillent avec des fonctionnaires locaux pour venir en aide aux victimes, poursuivre les auteurs d'abus et veiller à ce que les appareils de justice publique, la police, les tribunaux et les lois protègent efficacement les plus vulnérables.
Monsieur Hooper, vous avez la parole.
Robert Hooper, président du conseil d'administration, Walk With Me Canada : Merci, honorables sénateurs, de permettre à notre organisation de vous faire un exposé sur cet amendement très important du Code criminel que constitue le projet de loi C-310.
Comme le président vient de l'indiquer, Walk With Me Canada est un organisme pancanadien dont le mandat est d'offrir des services de première ligne aux rescapés de l'esclavage moderne.
Le projet de loi C-310 vise à apporter deux modifications au Code criminel du Canada, soit criminaliser la traite des personnes à laquelle se livrent des citoyens ou des résidents permanents du Canada à l'extérieur du territoire canadien et ajouter une disposition précisant les facteurs dont les tribunaux peuvent tenir compte pour déterminer ce qui constitue l'exploitation.
Walk With Me estime qu'il s'agit d'une modification absolument et désespérément nécessaire au Code criminel dans le cas de la traite extraterritoriale de personnes. Walk With Me a participé activement au projet OPAPA qui portait sur le réseau hongrois de traite de travailleurs migrants dans le sud-ouest de l'Ontario et qui s'est soldé par plusieurs condamnations ces derniers mois.
On peut imaginer que, compte tenu des dispositions actuelles du Code criminel, un citoyen canadien ou un résident permanent du Canada pourrait ouvrir un bureau dans un pays d'Europe de l'Est pour y faire la traite des personnes en sol canadien sans craindre ni risquer d'être poursuivi au Canada. Nous pensons que le projet OPAPA contraindra ceux qui se livrent à cette nouvelle forme d'esclavage à trouver des moyens plus subtils de poursuivre leurs activités. Il se pourrait bien, par exemple, que des citoyens ou des résidents permanents du Canada ouvrent des bureaux à l'étranger pour acheminer des victimes au Canada par l'intermédiaire d'un autre pays.
Étant donné notre mandat canadien, nous n'avons pas eu l'occasion de constater beaucoup d'activités de traite extraterritoriales, mais il est clair que les Roms impliqués dans le projet OPAPA avaient des agents en Hongrie qui envoyaient des personnes au Canada pour y faire du travail forcé. Certains de ces agents ont fini par venir au Canada où ils ont demandé le statut de résident permanent après avoir fait la traite de ces personnes. Ils sont donc devenus ou ont essayé de devenir résidents permanents du Canada après avoir joué les intermédiaires à l'étranger.
Nous pensons que le démantèlement de ce groupe de criminels organisés et les poursuites dont ils feront l'objet inciteront les parties intéressées à s'installer à l'étranger.
Tout comme cela a été nécessaire dans le cas des infractions sexuelles et pour les modifications apportées au paragraphe 7(4.1) du Code criminel, cette modification concernant la traite des personnes à l'extérieur du Canada est, selon nous, non seulement nécessaire, mais indispensable pour empêcher les intéressés de s'infiltrer au Canada, de devenir des résidents permanents ou des citoyens canadiens, puis de s'établir à l'étranger pour faire la traite de personnes contraintes de travailler ou d'être travailleurs sexuels exploitées sur le territoire canadien. Par exemple, les personnes condamnées dans le cadre du projet OPAPA sont toutes venues ici en tant que réfugiées et elles auraient pu obtenir leur résidence permanence. Certaines d'entre elles ont même accédé à la citoyenneté canadienne, sont retournées en Hongrie et ont commencé à acheminer des personnes vers notre pays. Elles auraient pu venir au Canada sans crainte d'être arrêtées ou condamnées pour quelque crime que ce soit ayant été commis dans un pays différent, et cela en vertu des dispositions actuelles du Code criminel.
S'agissant du projet de paragraphe 279.04, la disposition concernant les « facteurs », Walk With Me est entièrement d'accord avec l'idée de préciser les facteurs dont les tribunaux pourront tenir compte pour déterminer ce qui constitue l'exploitation. Ces précisions sont absolument nécessaires si l'on veut que cette loi soit efficace. Nous estimons que ces facteurs supplémentaires devraient être précisés pour aider les tribunaux à déterminer si des personnes ont été exploitées.
Walk With Me Canada estime que ces éléments seront extrêmement utiles pour juger la conduite des accusés traduits devant les tribunaux canadiens. Nos travailleurs de première ligne ont été les témoins directs de plusieurs exemples : isolement des victimes, vol de leurs passeports et d'autres documents officiels, perpétration sous la contrainte par les victimes d'actes frauduleux visant les régimes provinciaux ou municipaux d'aide sociale et privation de services essentiels comme les services de l'apprentissage de l'anglais langue seconde ou les services de santé. Les projet OPAPA a révélé que certaines des victimes n'étaient pas ouvertement menacées de violence ou de mort, mais qu'elles subissaient une forme de contrainte très subtile. Leur sécurité n'était jamais explicitement menacée, mais c'est l'isolement total, la privation de la dignité, de toute forme d'aide ou même de tout espoir qui servaient de tactique de coercition dirigée contre les victimes. Les victimes n'avaient aucun moyen de s'enfuir, si ce n'est de partir dans un monde inconnu dont elles ne connaissaient pas la langue, sans argent et sans protection. Cette coercition subtile et systématique s'accompagnait de la confiscation de tous les documents officiels, même des documents d'immigration et des passeports des victimes.
Les menaces directes sont donc souvent rares et elles laissent la place à une méthode d'isolement. Un policier, témoignant à l'occasion d'une demande de liberté sous caution, en a fait une excellente description :
Eh bien, monsieur, il faut se mettre dans leur peau. Ils arrivent dans un pays [...] dont ils ne parlent pas la langue. Ils ont perdu tout contact avec leurs familles. Quelqu'un leur a promis une vie meilleure. Ils ont sauté sur l'occasion. Ils espèrent trouver de meilleures conditions de vie ici [...] Et quelqu'un leur paie le voyage [...], mais ils s'aperçoivent à l'arrivée qu'ils vont être utilisés [...], qu'ils vont devoir commettre des actes plus ou moins répréhensibles [...] et qu'ils n'auront jamais l'argent promis. Ils arrivent d'un pays où les relations avec la police ne sont pas particulièrement bonnes et, en fait, ils ont très peur de la police en Hongrie. Et ils arrivent ici, ils ne parlent pas la langue du pays, et les voilà embarqués dans un terrible drame. Partout, tout leur fait peur. Comme on dit, mieux vaut un mal connu qu'un bien qui reste à connaître. Et ils ne connaissent personne qui puisse les aider à entrer chez eux.
Walk With Me est entièrement favorable à l'ajout des quatre facteurs énumérés dans l'amendement. C'est une mesure absolument nécessaire pour nos tribunaux.
Les travailleurs de première ligne de Walk With Me ont été témoins des activités suivantes chez les trafiquants de personnes : isolement de la victime, privation de services linguistiques, privation de services essentiels, notamment de soins de santé, obligation sous la contrainte de falsifier des demandes et des documents officiels, contrôle des comptes bancaires et de toutes les réserves d'argent des victimes, confiscation des passeports ou des documents d'immigration. Il ne s'agit là, selon nous, que de quelques exemples tirés de l'expérience directe de nos travailleurs de première ligne, mais ils attestent de l'absolue nécessité d'ajouter les facteurs privés dans les amendements proposés par le projet de loi C-310.
Au nom de tous les bénévoles et de tous les travailleurs de Walk With Me Canada, je remercie le comité de nous avoir permis de faire cet exposé aujourd'hui.
K. Brian McConaghy, fondateur, Ratanak International : Honorables sénateurs, mesdames et messieurs, merci de me donner l'occasion de vous parler du projet de loi C-310 et de la question de la traite des personnes. Comme vous l'avez indiqué, j'ai fondé Ratanak International afin de disposer d'un outil d'assistance, d'aide au développement et de lutte contre le commerce du sexe au Cambodge.
Je suis fort de 22 ans d'expérience à la GRC et de 23 ans d'activité dans des œuvres de bienfaisance au Cambodge. Dans mon double rôle de gendarme et d'administrateur d'une ONG, j'ai participé aux enquêtes sur des pédophiles canadiens qui vont à l'étranger pour s'en prendre à des enfants exploités.
La situation des enfants pris à ce piège est tellement grave et les actes commis contre eux sont tellement scandaleux que je me suis senti obligé de démissionner de la GRC pour me mettre à temps plein au service de ces enfants.
La personne qui comparaît aujourd'hui devant vous n'est ni naïve ni hypersensible, elle a simplement été conditionnée par des décennies d'exposition à la violence. Cela étant posé, je vous garantis que la question de la traite des personnes est l'une des plus monstrueuses et des plus pressantes auxquelles j'ai été confronté.
Dans le contexte international, le Canada applique, comme il le doit, les normes juridiques internationales, comme en atteste toute la diversité des ententes, conventions et accords internationaux que nous avons signés. Selon moi, l'adoption du projet de loi C-310 devrait nous permettre de renforcer notre position de même que notre engagement aux termes de ces ententes.
Au Canada, la constitutionnalité de la portée extraterritoriale prévue dans le projet de loi C-310 en ce qui a trait à la traite des personnes semble être plus judicieux que les pouvoirs actuellement établis au paragraphe 7(4.1) et tels qu'appliqués aux articles 151 et 152, soit les contacts sexuels et l'incitation aux contacts sexuels, qui ont tous deux été testés devant les tribunaux.
Le projet de loi C-310 pourrait-il s'appliquer à des Canadiens? Oui. Il est clair que de tels individus existent et qu'ils sévissent. Bien que je ne sois pas en mesure de vous citer de chiffres, il est malheureusement évident que des Canadiens sont impliqués dans ce genre de trafic.
Il est facile, en Asie, d'être le témoin du conditionnement des enfants destinés à être soumis à une agression. Il n'est pas rare que de jeunes garçons affamés se rendent « volontairement » à l'appartement d'un Occidental, attirés par la promesse de voir des vidéos de Disney et de manger des pizzas à volonté. Certains vont même jusqu'à affirmer que les enfants consentent à ces actes. Une chose est sûre, cependant, c'est qu'un enfant est prêt à accepter presque n'importe quoi s'il est poussé par la faim. Et quand la faim sert d'outil pour exercer un contrôle sur un enfant, il faut parler d'exploitation. Voilà les activités auxquelles se livrent des Canadiens que je connais.
Même ce genre d'exemple est loin de nous donner une idée des activités pornographiques dures auxquelles se livrent sans honte des pédophiles canadiens endurcis qui fréquentent des bordels où ils commandent le genre de « produit » qu'ils recherchent — âge, sexe et stature — et se font livrer leurs victimes impuissantes dans des cellules de viol où elles n'ont d'autre choix que d'attendre de subir leur sort. Il m'apparaît évident que ces activités, outre les agressions elles-mêmes, activités qui consistent notamment à recruter et à transporter les victimes, constituent du trafic d'êtres humains.
Des sociétés comme le Cambodge de l'après-génocide n'ont plus la capacité à protéger leurs propres enfants. Les actes des prédateurs canadiens n'en sont que plus abjectes parce qu'ils jouissent de tous les droits et privilèges que leur confère le passeport canadien. Ils vont à l'étranger pour échapper aux protections que confèrent le droit canadien, les services médicaux et les familles canadiennes soucieuses de protéger les enfants. Ils sillonnent la planète en quête d'enfants qui n'ont pas le luxe de telles protections.
À l'expérience, j'en suis venu à la conclusion que les prédateurs canadiens ont pratiqué et continuent de pratiquer des activités apparentées à la traite des personnes. Nous disposons actuellement des lois nécessaires pour poursuivre les prédateurs canadiens qui ont commis des agressions contre des enfants à l'étranger. Nous disposons de telles lois et nous avons établi qu'elles peuvent être efficacement invoquées. Nous ne disposons cependant pas du pouvoir d'agir extraterritorialement pour poursuivre ceux qui s'adonnent aux activités connexes du trafic des personnes, soit le recrutement, le transport, le transfert, et cetera.
Ces activités sont actuellement hors de notre portée, mais nous estimons que tel ne devrait pas être le cas. Je demande l'adoption rapide du projet de loi C-310.
Jamie McIntosh, fondateur et directeur exécutif, International Justice Mission Canada : Honorables sénateurs, je suis directeur exécutif de International Justice Mission Canada, organisme international de droits de la personne qui a pour mission d'obtenir justice pour les victimes d'esclavage, de traite des personnes et d'autres formes d'oppression violente, partout dans le monde. Je témoigne aujourd'hui pour appuyer le projet de loi C-310.
Comme nous ne disposons que de peu de temps, je ne vais pas vous citer la litanie des statistiques qui attestent de l'ampleur du phénomène de la traite des personnes dans le monde où nous vivons. Indiquons simplement que selon l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, pratiquement tous les pays sont touchés par la traite de personnes et qu'il y aurait, à un moment ou à un autre, 2,4 millions de victimes de ce phénomène.
Il s'agit de toute évidence d'une épidémie mondiale dont sont victimes des millions d'hommes, de femmes et d'enfants innocents. Bien que les statistiques soient elles-mêmes stupéfiantes, il ne faut pas oublier que, derrière chaque chiffre, se trouvent des personnes, des familles et des récits accablants. Des personnes dont les rêves sont semblables aux nôtres et dont la dignité a été volée par les trafiquants qui méprisent totalement les droits fondamentaux de leurs victimes.
Comme l'a si bien dit Irwin Cotler, dans sa déclaration à l'appui du projet de loi C-310, « la traite des personnes constitue une agression contre notre humanité collective [...] elle est tout le contraire de la Déclaration universelle des droits de l'homme ».
Nous savons par ailleurs que la traite des personnes ne se limite pas à nos frontières, que c'est un crime aux dimensions transnationales qu'on ne peut ignorer. Les trafiquants sont mobiles. Ils commettent facilement et régulièrement des crimes dans plusieurs pays.
En tant que pays appliquant les principes qu'il a établis en matière de protection et de promotion des droits de la personne, il est essentiel que le Canada élabore des lois et qu'il les applique pour punir les Canadiens qui commettent des infractions liées à la traite des personnes, peu importe où, comme on l'envisage dans le projet de loi C-310.
Nous savons qu'il est possible de tenir nos citoyens responsables des crimes qu'ils ont commis à l'étranger. Contrairement aux lois canadiennes en matière de traite de personnes, les lois relatives au tourisme sexuel ont une portée extraterritoriale. Lorsqu'elles sont appliquées, les lois territoriales peuvent tenir les criminels responsables de leurs gestes.
En 2005, Donald Bakker est devenu le premier Canadien à être condamné en vertu des lois relatives au tourisme sexuel. International Justice Mission a collaboré avec le Service de police de Vancouver et lui a fourni des preuves recueillies dans des pays d'Asie du Sud-Est, soit des bandes vidéo filmées par Bakker et sur lesquelles on pouvait voir de jeunes enfants subir des sévices.
Par la suite, Bakker a plaidé coupable et a été condamné à sept ans d'emprisonnement au Canada pour des agressions sexuelles commises ici et en Asie. Ensemble, nous avons prouvé qu'il est possible de tenir des individus responsables de leurs crimes, même si ces derniers ont été commis de l'autre côté de l'océan. Nous avons prouvé que des dispositions extraterritoriales comme celles contenues dans le projet de loi C-310 peuvent envoyer un message clair : nous ne tolérons pas l'exploitation de victimes innocentes et les criminels seront tenus responsables au pays, s'ils ne le sont pas à l'étranger.
La mise en œuvre de dispositions extraterritoriales aura également pour effet d'aligner nos lois sur différentes conventions internationales, notamment la Convention contre la criminalité organisée qui encourage particulièrement les pays à mettre en place des lois extraterritoriales dans le but de mettre fin à la traite des personnes.
Reconnaissant la nature transnationale de la traite de personnes, l'ONUDC et l'Union interparlementaire ont déclaré que des solutions transnationales sont nécessaires pour mettre fin à la traite de personnes. Ces deux organisations ont également déclaré :
Pour améliorer l'efficacité des mécanismes de coopération internationale, le législateur devrait porter son attention sur l'établissement de la compétence, notamment de la compétence extraterritoriale, l'extradition, l'entraide judiciaire et la coopération des services de détection et de répression, y compris par l'échange d'informations.
Grâce à ses 15 années d'expérience, notre organisme International Justice Mission peut affirmer que les trafiquants poursuivront leur commerce illicite s'ils savent que leurs crimes resteront impunis. À l'inverse, lorsque la législation est mise en application, les trafiquants sont condamnés et les victimes innocentes sont protégées. Au cours des quatre années que l'IJM a passées à combattre la traite de personnes à des fins sexuelles à Cebu, aux Philippines, des évaluateurs externes ont constaté une réduction de 79 p. 100 du nombre de mineurs exploités à des fins sexuelles. Le projet a permis de prouver que la mise en œuvre de lois fermes décourage les trafiquants et perturbe leurs activités illicites. Le projet a en outre permis d'établir que les lois protègent les jeunes filles sans méfiance et empêchent qu'elles soient vendues au plus offrant dans le cadre d'activités illicites et brutales consistant à les violer à des fins lucratives.
Il est évident que tous les pays n'ont pas un système judiciaire public fonctionnel; bon nombre d'entre eux ne sont dotés ni de lois contre la traite de personnes, ni d'organismes d'exécution et ils sont, par conséquent, incapables de tenir les criminels responsables de leurs actes.
Dans un récent rapport de l'ONUDC sur la traite de personnes, on a pu lire que 40 p. 100 des pays n'ont jamais inscrit une seule condamnation relative à la traite de personnes. Même quand la volonté politique est là, il faut du temps pour renforcer le système judiciaire pénal d'un pays, surtout dans les pays en voie de développement. Entre-temps, des vies d'innocents sont en jeu. C'est pour cela que nous vous exhortons à adopter les dispositions extraterritoriales prévues dans le projet de loi C-310. Cet amendement législatif découragera les Canadiens et les résidents permanents du Canada d'aller commettre des crimes de traite de la personne à l'étranger et privera les coupables de l'impunité accordée jusqu'ici.
Ce projet de loi est un pas important dans la bonne direction. Quand il sera devenu loi, nous devrons nous consacrer à en assurer l'application avec toute l'attention voulue. Il ne faut pas que les dispositions relatives à la traite de personnes soient de simples tigres de papier. Comme Hillary Clinton, secrétaire d'État américaine, l'a très justement fait remarquer dans son rapport de 2011 sur la traite des personnes :
Pour savoir si les efforts d'un pays pour lutter contre la traite de personnes ont porté fruit, il ne suffit pas de vérifier si son gouvernement a mis en place des lois fermes sur la question, mais plutôt qu'il les a mises en œuvre de manière générale et efficace. Bref, il faut vérifier si ces lois donnent des résultats.
Je suis intimement convaincu que le Canada sera au rendez-vous et qu'il se montrera à la hauteur. Je suis certain que notre pays va intensifier la lutte contre les Canadiens qui commettent ce genre de crimes, peu importe où. Ce pouvoir est entre nos mains. Nos concitoyens, de même que les innombrables victimes de la traite de personnes partout dans le monde, vous font confiance pour l'utiliser judicieusement.
Permettez-moi, en conclusion, de rappeler un moment glorieux de notre histoire, quand le Canada était un refuge pour les esclaves fuyant le Sud des États-Unis. Les historiens estiment que près de 40 000 anciens esclaves ont trouvé la liberté en sol canadien où les lois leur ont fourni la protection à laquelle tous les humains ont droit et qu'ils méritent.
Le projet de loi C-310 est l'occasion, pour le Canada, de prendre la tête du peloton international dans la protection de la dignité humaine et la défense des droits des plus vulnérables, peu importe où ils vivent. Cette fois-ci, il est question de défendre ceux et celles qui sont vulnérables à la traite des personnes attribuable à l'action de Canadiens.
Le président : Merci, messieurs.
Le sénateur Fraser : Je vous remercie d'être venus. Je tiens à vous féliciter pour tout le travail que vous faites, un travail terriblement difficile, mais combien important. Je vous en remercie. Avant de poser ma question, je dois ajouter que s'il est possible de sauver un seul enfant, c'est merveilleux.
Comme vous aurez pu le constater d'après les questions que j'ai posées à Mme Smith, je suis perplexe, faute d'un mot plus fort, à propos des répercussions véritables de ce projet de loi. Nous devons prendre très au sérieux le précédent instauré par la loi sur le tourisme sexuel. C'est un autre texte législatif à propos duquel je dis qu'il vaut la peine de chercher à sauver ne serait-ce qu'un seul enfant.
Par contre, si je me souviens bien de ce que j'ai pu lire dans la presse, l'affaire Bakker a exigé un énorme travail pour obtenir la condamnation d'une seule personne. L'individu a été jeté en prison pour sept ans, ce qui est merveilleux. Pensez aux enfants qu'il aurait pu agresser pendant ces sept années-là. Ça aussi c'est formidable. Soyons réalistes, nous n'avons pas eu beaucoup de condamnations depuis l'adoption de cette loi, alors je me demande si nous obtiendrons vraiment beaucoup de condamnations sous cette loi.
Le Canada devra effectivement se montrer vigilant, ce qui signifie, notamment, que les corps policiers devront déployer un énorme travail, même si l'on dispose d'un plan d'action national. D'après ce que je peux voir, la plus grosse partie de ce plan d'action national sera consacrée à la formation, à la collecte de données et à l'échange d'informations, mais pas nécessairement au travail ardu qu'il faut faire pour trouver les criminels et obtenir des preuves du pays étranger concerné sans lesquelles aucune poursuite en justice n'est envisageable au Canada. Pourquoi devrions-nous croire que cette loi sera plus efficace au bout du compte que celle du tourisme sexuel?
M. McConaghy : Je partage votre scepticisme sur l'effet apparent de cette loi, mais nous avons fait des pas de géant dans le dossier du tourisme sexuel infantile. Nous avons fait des enquêtes, bien que, comme vous l'avez dit, on ne nous en ait confié que très peu.
Pour vous dire bien franchement, la seule façon de résoudre ces problèmes à caractère international consiste à faire comme les Américains et à injecter d'énormes sommes d'argent. Les Américains obtiennent d'excellents résultats autant dans les dossiers de traite des personnes que dans ceux d'exploitation sexuelle des enfants. De manière générale, le Canada ne dispose pas des ressources pour s'attaquer à ce problème.
L'un des projets sur lesquels je travaille depuis quelque temps et qui donne d'excellents résultats consiste à nouer des partenariats entre les corps policiers et les ONG. Au Canada, nous devons nous montrer plus malins sur le plan de la gestion des budgets et des ressources, entre autres, et nous devons trouver des solutions. Plusieurs ONG veulent travailler en partenariat avec les forces de l'ordre au Canada et collaborer avec la GRC et d'autres parties prenantes pour leur faire comprendre que leurs meilleurs alliés pour disposer d'une certaine capacité à l'étranger sont justement les ONG.
Si j'attribue aux solides techniques d'enquête du Service de police de Vancouver le succès remporté dans l'affaire Bakker, il faut dire que tout est parti du soutien inébranlable des ONG. C'est là un mode de fonctionnement inhabituel pour les corps policiers canadiens et je veux que ça change. Je crois qu'ils sont ouverts à ce genre de changement comme jamais auparavant.
Comme j'ai passé 22 ans à la GRC et 23 ans au service d'organismes de bienfaisance, j'ai un pied dans chacun de ces deux mondes. L'émergence de ce nouveau dialogue est intéressante. Le partenariat qui est en train de se créer nous permet d'avoir un impact sur l'exploitation sexuelle des enfants et sur la traite des personnes. Je suis confiant que les deux volets de la loi gagneront en efficacité pour ce qui est de l'application de la loi et de l'obtention de condamnations.
Le sénateur Fraser : Avez-vous constaté une amélioration comparable des relations avec les services policiers ailleurs? Soyons francs : Je présume que, dans bon nombre de ces pays, la police accepte des pots de vin, à tout le moins, pour fermer les yeux ou agir de manière plus active dans ce domaine.
M. McConaghy : Je ne peux que vous parler de la situation du Cambodge où il est bien connu que la police est corrompue et ne coopère pas. Dans l'affaire Bakker comme dans n'importe quel autre dossier, il faut une certaine coopération pour exécuter un mandat ou récupérer des éléments de preuve dans la mesure acceptable aux tribunaux canadiens. C'est possible, mais ce sont les ONG qui ont établi la norme pour la preuve. Elles sont très habiles à cet égard. Les autorités policières devraient donc, je pense, travailler de concert avec les ONG. Surtout dans un pays comme le Cambodge, où nous avons fermé notre ambassade pour des raisons économiques et n'avons plus voix au chapitre, négocier avec le service de police national est beaucoup plus problématique qu'ailleurs.
Contrairement aux équipes d'enquêteurs qui sont sur place pour quelques semaines seulement, les ONG établissent des relations de longue date avec les gens sur le terrain. Elles ont noué des liens avec les services policiers et peuvent les maximiser ou les utiliser à bon escient. L'affaire Bakker est un exemple classique.
Le problème pour moi à bien des égards tient à la réticence des services policiers canadiens à être partenaires d'ONG. Cela commence à changer toutefois. Je sens plus d'ouverture de la part des gens, à tel point que je suis invité à prendre la parole à leurs conférences, ce qui est nouveau. Je suis optimiste tout en reconnaissant entièrement les faits historiques.
Le sénateur Fraser : J'aimerais devenir optimiste, vous comprenez.
M. Hooper : Permettez-moi de relater deux anecdotes qui vous aideront à passer du pessimisme au réalisme puis à l'optimisme. Il s'agit de l'expérience Walk With Me Canada. Nous parlons fréquemment des enjeux dans le commerce du sexe, mais le projet OPAPA est une affaire de main-d'œuvre. L'enquête a été une réussite non pas parce que des milliards de dollars ont été versés par les gouvernements fédéral, provincial et municipal. C'est plutôt grâce à ce que va nous apporter, je l'espère, un plan d'action national. À l'Agence des services frontaliers du Canada, quelqu'un a téléphoné à un agent de la GRC pour lui dire qu'il avait un pressentiment; ce dernier connaissait la fondatrice d'une ONG du nom de Walk With Me Canada, Timea Nagy, qui est hongroise et connaît les Roms de Hongrie. La démarche a peut-être été intuitive mais, finalement, ce que renferme le plan d'action national sur la recherche, la collecte d'informations et la collaboration a permis de condamner une vingtaine de personnes à des peines de quatre à neuf ans d'emprisonnement ou de les expulser de notre pays; et certains jeunes hommes ont maintenant la chance de se faire une vie au Canada.
Lorsque Mme Nagy forme les services policiers, le nombre de survivants ou de victimes qui frappent à notre porte augmente sans doute par milliers. Neuf nouvelles victimes ont été trouvées sur une période de sept jours grâce à la formation de plusieurs centaines de policiers et c'est l'exemple le plus frappant. Quant à la juridiction extraterritoriale, il faudra faire appel aux ONG. Il faudra établir des relations. N'allez pas penser que j'estime que c'est suffisant, mais c'est un point de départ, préférable à notre situation lorsque le tourisme sexuel est apparu, parce que nous avons maintenant des ressources. Mes collègues se sont retrouvés avec un amendement qu'on pourrait qualifier de colosse aux pieds d'argile.
M. McIntosh : En réalité, sans ces instruments, nous n'aurions absolument pas pu tenir M. Bakker responsable de ses crimes.
M. McConaghy et moi avons rencontré à l'occasion certaines de ces victimes, dont plusieurs s'épanouissent grâce à des soins attentionnés. Il est important pour elles de savoir qu'on les a écoutées, que leur exploiteur a dû répondre de ses actes — même juste ce rôle.
Il est vrai qu'il faut énormément de travail pour chacune de ces condamnations, mais ce sont les premières qui établissent un précédent. Selon les récits historiques sur la lutte contre l'esclavage transatlantique par exemple, tout a commencé par des lois et quelques causes judiciaires. Il s'agissait fréquemment de victoires partielles — en fait, il y avait souvent de plus grandes défaites que de victoires, mais on y trouvait souvent les premiers balbutiements de la prochaine victoire.
Le projet de loi C-310 ne résoudra pas à lui seul tous les problèmes de la traite de personnes. Or, le Plan d'action national a été annoncé hier, en plus d'une section policière intégrée. Dès 2007, nous revendiquions plus de pouvoirs pour les services policiers. Je suis d'accord avec ce qui a été dit précédemment, à savoir que nous avons besoin de déployer des agents de liaison et des enquêteurs canadiens dans les pays où sont concentrés le tourisme sexuel ou la traite de personnes. Si nous commençons à les renforcer, nous pourrons assurer une protection aux personnes vulnérables sur un plus grand périmètre.
Martin Luther King Jr. était parfois découragé sur ce qui était possible, un siècle après la proclamation d'émancipation, mais il a fini par l'invoquer ainsi que d'autres instruments adoptés par les législateurs; il affirmait que c'était en quelque sorte un billet à ordre et que les États-Unis avaient manqué à leur obligation, et que le moment était venu de s'affirmer et d'encaisser le chèque. La communauté d'ONG et nos partenaires policiers partout dans le monde sont prêts; si vous nous donnez les outils nécessaires notre travail n'aura pas été futile.
[Français]
Le sénateur Fortin-Duplessis : Je vous remercie, monsieur le président, en tout premier lieu, je veux vous remercier et vous dire que je vous admire beaucoup, parce que vous appuyez ce projet de loi, le C-310.
Ma première question va s'adresser à M. Robert Hooper. Vous avez mentionné que des gens provenant de pays d'Europe de l'Est qui sont rendus au Canada, qui ont fait la traite des personnes, qui ont exploité des personnes et puis sont devenus citoyens du Canada. À combien estimez-vous le nombre de ces gens qui ont fait la traite des personnes, qui n'ont pas été corrects avec les autres et qui sont devenus des citoyens canadiens permanents après avoir été des bandits?
[Traduction]
M. Hooper : Merci pour votre question. Je crois comprendre que la semaine prochaine, nous entendrons un procureur de la Couronne qui a travaillé dans ce dossier en particulier. Selon mon expérience des services de première ligne, il s'agissait d'une situation organisée où, avant de faire venir de jeunes hommes pour travailler dans l'industrie du stuc, l'émissaire était le premier à arriver au pays, y restait un an ou deux, puis demandait le statut de réfugié fondé sur le risque de persécution dans son pays et obtenait la résidence permanente. Par la suite, sachant qu'il risquait moins d'être expulsé du pays pour ces crimes, il commençait à recruter et à faire venir des gens ici. Le gros bonnet, un homme nommé Ferenc Domotor père, qui a été condamné il y a quelques années à Hamilton, avait obtenu la citoyenneté canadienne avant son arrestation.
Ce groupe comptait plus de 20 personnes. Plusieurs d'entre elles n'ont pas été retrouvées et plusieurs autres ont battu en retraite en Hongrie; et encore plusieurs autres sont sur la liste d'expulsion. Plus de 20 personnes seraient donc impliquées dans cette situation-là. Nous croyons qu'il existe un groupe plus nombreux en Ontario à tout le moins, et peut-être aussi en Colombie-Britannique, deux autres groupes dont nous ignorons l'ampleur pour le moment.
[Français]
Le sénateur Fortin-Duplessis : Mon autre question s'adresse à monsieur McConaghy. Vous nous avez dit que vous avez quitté votre carrière à la GRC. J'imagine que cela n'a pas dû être facile de quitter une carrière que vous deviez aimer énormément, mais puisque vous étiez incapable de régler certains problèmes, vous avez décidé d'aider les jeunes démunis et les jeunes qui ont été exploités.
Ma question est la suivante : est-ce que vous êtes satisfait par le fait que le Canada puisse s'éloigner d'une approche reposant sur le principe de territorialité pour se diriger vers une approche fondée davantage sur la nationalité de l'accusé?
[Traduction]
M. McConaghy : Veuillez m'excuser de répondre en anglais.
Le sénateur Fortin-Duplessis : D'accord.
M. McConaghy : Je pense que le rôle de la législation extraterritoriale ici ne pourrait pas être plus approprié. Je crois que la législation est conforme aux normes qui ont été adoptées de façon universelle dans les accords internationaux dont nous sommes signataires. Il y a beaucoup de questions sur la compétence, la souveraineté et ainsi de suite, concernant la législation extraterritoriale. Elle est appliquée dans très peu de circonstances d'ordre juridique.
Permettez-moi d'appeler votre attention sur les motifs de la décision du juge A. F. Cullen dans l'affaire R. c. Klassen, 2008 BCSC 1762 de la Cour suprême de la Colombie-Britannique; dans son jugement, il décrit clairement tous les aspects de la législation extraterritoriale au regard de la souveraineté nationale, des enjeux constitutionnels du Canada et des accords internationaux. L'affaire Klassen impliquait un Canadien qui agressait des enfants en Colombie et au Cambodge. C'est un document formidable qui peut servir à établir les enjeux. Il a tranché de façon tout à fait appropriée au regard des normes internationales. C'est ce que nous voulons faire non seulement individuellement mais avec d'autres nations pour protéger les personnes les plus vulnérables. Je le considère comme conforme aux normes juridiques et tout à fait adéquat. Nous serions absolument perdus sans ce jugement.
[Français]
Le sénateur Fortin-Duplessis : Merci beaucoup, monsieur le président, c'est tout, je donne la chance aux autres sénateurs.
[Traduction]
Le sénateur Jaffer : Merci à vous trois pour le travail que vous faites ainsi que pour vos exposés. J'ai beaucoup de questions. Je vais les poser toutes en même temps et vous répondrez selon le temps que vous accordera le président.
Ma première question s'adresse à M. Hooper. J'œuvre beaucoup dans le domaine du trafic de main-d'œuvre dans ma province, ce qui est regrettable. On fait venir des gens ici légalement avec un permis de travail temporaire, après quoi il y a beaucoup d'abus. J'aimerais savoir de votre part s'il y a augmentation de trafic et de migration de l'étranger.
Quant à vous, monsieur McConaghy, je suis au courant de ce que vous faites et j'apprécie votre travail formidable. Si vous pouviez participer au plan, quel genre d'enquête souhaiteriez-vous? Je suis agitée aujourd'hui parce que nous savons que notre ambassade au Cambodge a fermé ses portes. Nous avons ce projet de loi et nos mains sont liées — mais ce n'est pas le sujet de la réunion d'aujourd'hui. En quoi consisterait cette enquête? Que devrions-nous mettre en place, au minimum?
Monsieur McIntosh, vous avez demandé à mon collègue d'être optimiste et cité Martin Luther King. Pourtant, depuis 2005, il n'y a eu que 25 condamnations de traite de personnes à l'intérieur du pays. Les nombres sont énormes, mais il n'y a eu que 25 condamnations depuis 2005. Oui, nous pouvons être optimistes, mais il y a encore beaucoup de travail à faire.
À vous trois, je ne suis pas réconfortée par le fait que 25 millions de dollars ont été mis de côté pour ceci et seulement 500 000 $ pour les services aux victimes. Je travaille sur le terrain. Vous parlez de partenariat avec des ONG; vous savez qu'en Colombie-Britannique nous avions un partenariat entre une ONG et la police, mais les choses ont mal tourné quand les policiers ont menotté les victimes. Ce partenariat avec une ONG n'est pas allé plus loin depuis ce moment. Pour établir un partenariat avec une ONG, la police ne peut pas revenir sur sa parole. J'ai beaucoup de questions et j'aimerais que vous parliez aussi longtemps que le président le permettra.
Le président : Non, ne parlez pas aussi longtemps que vous voulez.
Le sénateur Jaffer : Non, ce n'est pas ce que j'ai dit, monsieur le président. J'ai dit : « aussi longtemps que le président le permettra ».
Le président : Veuillez donner des réponses assez brèves, si possible, parce que deux autres sénateurs aimeraient participer.
M. Hooper : Merci pour votre question au sujet de l'augmentation du trafic de main-d'œuvre. Il est difficile de répondre faute de données, mais je répondrais par l'affirmative. J'ai dit à votre collègue que je pense qu'il y a deux autres groupes assez importants que je ne peux quantifier, dont un dans votre province, la Colombie-Britannique. La situation à Hamilton est la première descente spectaculaire. Je pense que les médias, aussi affreux que ce soit, nous attirent lorsque nous entendons les mots « sexe » ou « esclavage », mais il y a moins de publicité sur la « main-d'œuvre masculine ». À l'heure actuelle, les statistiques indiquent 97 p. 100, soit 95 p. 100 de femmes et 5 p. 100 d'hommes. Si je comparaissais devant votre comité dans 10 ans, je pense que le nombre serait très différent.
M. McConaghy : Je serais d'accord avec vous pour dire que, selon mon expérience avec la GRC et le ministère de la Justice notamment, l'une des choses que je prône est une procédure de filtrage des partenariats, où les services policiers vérifient les ONG, donc un système leur permettant de déterminer lesquelles sont dignes de confiance. Il existe des ONG dans le monde qui sont vraiment des façades pour la traite de personnes. Ce sont des orphelinats qui font la traite des enfants. On ne voudrait pas bien sûr être leurs partenaires.
Je serais ravi de voir une nouvelle section policière dotée d'un agent chargé d'assurer la liaison entre les ONG et les policiers. Ce serait rentable. Une personne de l'équipe serait chargée d'entretenir la liaison avec les ONG, d'évaluer ces dernières et de déterminer quels devraient être leurs partenaires.
Il est clair que certaines ONG partenaires sont d'un grand apport et que d'autres n'ont pas été filtrées, dont on ne devrait jamais s'approcher. Ceci peut être fait par les services policiers. Ce sont des enquêteurs; ils savent quoi faire. C'est quelque chose qu'ils peuvent établir afin de pouvoir nouer les liens appropriés.
M. McIntosh : Je comprends vraiment votre frustration vu le peu de condamnations que nous avons obtenues. Cela montre que cette question vous intéresse vraiment et que le coût humain vous préoccupe.
Je suis moi-même engagé depuis un peu plus de 10 ans dans les dossiers sur la traite de personnes et d'autres questions d'exploitation violente, et le cheminement peut être long, ardu et parfois exténuant. Il fut une époque où l'esclavage était omniprésent dans le Commonwealth, voire dans le monde entier. Il est apparu quelque 50 ans avant que des lois ne soient proclamées, mais il faut bien commencer quelque part.
Il fut une époque aussi dans notre pays où les femmes n'avaient pas le droit d'être entendues ou de voter. C'est grâce à une cause, l'affaire « Personne » prise en charge par le Conseil privé, qu'il y a eu des répercussions dans tout le Commonwealth.
Cela commence quelque part, quand quelques personnes ont fini par vociférer en disant : « Nous en avons assez »; si vous vouliez élever la voix ici, ce serait au bénéfice des personnes vulnérables et opprimées. Nos équipes au sein d'International Justice Mission comptent environ 500 personnes qui œuvrent dans des dossiers de traite de personnes et d'autres cas d'exploitation violente dans différents milieux du monde entier. Nous avons à l'heure actuelle des enquêteurs qui s'infiltrent dans des bordels en Asie du Sud-Est et en Asie du Sud pour recueillir des preuves. Si un Canadien est pris en flagrant délit, nous avons besoin de votre aide pour nous assurer que lorsqu'il rentre au pays, ou si nous pouvions établir une liaison avec le gouvernement afin qu'il soit tenu responsable, il y ait des lois en place afin que nos efforts ne soient pas futiles.
Le sénateur Raine : On a répondu à la plupart de mes questions. Je serais très intéressée par la nouvelle équipe intégrée qui dresserait une liste d'ONG.
Il pourrait être utile à ce stade pour le comité sénatorial d'avoir une liste d'ONG canadiennes qui œuvrent dans ce domaine, comme document de référence. Le bureau de Mme Smith pourrait peut-être nous la fournir. Il serait bon que vous la versiez au Procès-verbal.
Le sénateur Unger : Merci messieurs. Nous sommes très reconnaissants de votre travail.
Je ne peux dire que je suis actuellement optimiste au sujet de ce projet de loi, mais je ne suis certainement pas pessimiste. Je crois vraiment qu'il faut commencer quelque part et c'est un début.
Je vais vous demander plus de précisions. Y a-t-il d'autres mesures que vous souhaiteriez voir dans le Plan d'action national ou dans ce projet de loi pour lutter contre la traite de personnes?
M. Hooper : Je serais négligent à titre de représentant de l'une des ONG si je ne disais pas que j'aimerais que le Plan d'action national fasse état de 5 millions de dollars par an pour les victimes. Je me dois de le dire évidemment, sinon on me réprimanderait à mon retour au bureau.
En général, y a-t-il d'autres mesures? C'est un bon début. Il n'y a rien dans le projet de loi C-310 à ce stade. Y a-t-il d'autres éléments qui pourraient le renforcer? Comme mon collègue le disait, certaines choses pourraient être faites. Comme l'ont demandé vos collègues, est-ce que ce devrait être 50 millions de dollars? Ce serait merveilleux, mais c'est un début.
Le président : J'adresse ma question à M. Hooper. Vous avez mentionné le cas d'une personne qui a demandé le statut de réfugiée et qui a par la suite exploité des gens de son pays d'origine. Êtes-vous en mesure de nous décrire le profil de ces gens? Est-ce quelque chose qui se produit souvent en ce qui concerne le type de personne impliquée dans cette activité? Si c'est le cas, devrions-nous envisager des modifications à la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, ou encore à la Loi sur la citoyenneté?
M. Hooper : Je prévois que si Me Skarica vient la semaine prochaine, il en aura long à dire sur ce qu'il aimerait changer dans la Loi sur l'immigration. Durant les poursuites dans le cadre du projet OPAPA, il a fait beaucoup de recherches et découvert que lorsqu'un amendement facilitait l'entrée de réfugiés, de la Hongrie surtout, il y avait une hausse d'environ 500 p. 100 sur une période de quatre ou cinq ans. Le message est passé je ne sais comment en Hongrie plus particulièrement dans ce cas, si bien qu'il est devenu très facile de venir s'installer ici et de créer un point de transit du pays d'origine. Nous sommes devenus une cible très facile. Je ne m'y connais pas assez toutefois pour vous donner plus de détails.
Le président : Est-ce que Me Skarica est procureur de la Couronne dans la région de Hamilton?
M. Hooper : Oui.
Le président : Merci messieurs. Votre comparution ici aujourd'hui est appréciée. Elle a été très utile pour les délibérations du comité.
Sénateurs, nous nous réunirons à nouveau mercredi prochain à 16 h 15 pour poursuivre l'examen du projet de loi C-310. Nous aurons des témoins représentant les victimes et, nous l'espérons, Me Skarica pour nous donner aussi le point de vue d'un procureur de la Couronne. Une fois les détails confirmés, le greffier vous en avisera.
(La séance est levée.)