Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 21 - Témoignages du 13 juin 2012
OTTAWA, le mercredi 13 juin 2012
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été déféré le projet de loi C-310, Loi modifiant le Code criminel (traite des personnes), se réunit aujourd'hui à 16 h 18 pour examiner le projet de loi.
Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour et bienvenue à tous, y compris aux gens qui regardent la séance d'aujourd'hui du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles sur le réseau de télévision CPAC.
Aujourd'hui, nous poursuivons notre examen du projet de loi C-310, Loi modifiant le Code criminel (traite des personnes). Le projet de loi a été déposé à la Chambre des communes le 3 octobre dernier par Mme Joy Smith, députée de Kildonan—St. Paul, au Manitoba.
Selon son sommaire, le projet de loi vise à modifier le Code criminel afin d'ajouter la traite des personnes aux infractions commises à l'étranger pour lesquelles les citoyens canadiens et les résidents permanents peuvent être poursuivis au Canada. Il modifie également la loi afin de préciser certains facteurs que le tribunal peut prendre en compte lorsqu'il détermine ce qui constitue de l'exploitation.
Le projet de loi C-310 a été déféré au comité par le Sénat le 15 mai 2012 pour qu'il l'examine. Il s'agit de notre deuxième réunion à ce sujet.
Ces audiences sont ouvertes au public et sont également diffusées sur le web à l'adresse parl.gc.ca. Vous pourrez trouver d'autres renseignements sur le calendrier des témoins sur le site web, sous la rubrique Comités du Sénat.
J'aimerais accueillir et présenter les témoins de notre premier groupe. Nous accueillons Mark Erik Hecht, conseiller juridique principal d'Au-delà des frontières. Il s'agit d'un organisme national, bilingue et composé de bénévoles qui défendent le droit de tous les enfants de vivre à l'abri de l'exploitation et des agressions sexuelles.
Julia Beazley est analyste politique à l'Alliance évangélique du Canada, une association nationale de chrétiens évangéliques.
D'après ce que je comprends, vous avez tous les deux un exposé. Nous allons commencer par M. Hecht.
Allez-y, monsieur Hecht.
Mark Erik Hecht, conseiller juridique principal, Au-delà des frontières : Comme on l'a mentionné, Au-delà des frontières est un organisme national, bilingue et non gouvernemental qui vient en aide aux enfants victimes d'exploitation sexuelle. Je suis le conseiller juridique principal de l'organisme, et aussi son cofondateur. En effet, j'ai fondé Au-delà des frontières avec ma collègue, Rosalind Prober, du Manitoba, en 1996. Notre organisme constitue aussi la branche canadienne d'un organisme plus grand dont le siège social se situe à Bangkok et qui s'appelle ECPAT; cet organisme vise à mettre fin à la prostitution, à la pornographie et à l'exploitation sexuelle des enfants. Nos deux organismes se sont donné le mandat de combattre, entre autres, les infractions commises à l'égard des enfants à l'extérieur de nos frontières, ce qui comprend aussi la traite des enfants à des fins sexuelles. C'est d'ailleurs la raison de ma présence ici.
Le projet de loi C-310 propose que la traite des personnes soit ajoutée à la liste des infractions commises à l'étranger qu'on retrouve dans le Code criminel, ce qui nous permettrait de poursuivre en justice les Canadiens qui commettent ces infractions à l'étranger. Au-delà des frontières appuie le projet de loi depuis qu'il a été présenté.
Le sujet des infractions commises contre des enfants par des Canadiens à l'étranger est extrêmement important pour Au-delà des frontières, et nous suivons ce dossier depuis 1996, l'année du congrès mondial de l'ONU contre l'exploitation sexuelle commerciale des enfants qui s'est tenu à Stockholm, en Suède.
Un peu avant le congrès mondial de l'ONU, le ministre des Affaires étrangères du Canada à l'époque, Lloyd Axworthy, a proposé le projet de loi C-27. Ce projet de loi visait une série de crimes commis contre les enfants, afin que nous soyons en mesure de poursuivre en justice les Canadiens qui commettaient ces crimes contre les enfants canadiens ou les enfants étrangers à l'extérieur du pays.
Maintenant que nous avons le nouveau projet de loi, qui ajoute essentiellement une autre infraction, il est intéressant de revenir sur ce qui a été accompli par le projet de loi C-27 et de vérifier si nous pouvons en tirer des leçons. Étant donné que le temps est limité, je mentionnerai seulement deux ou trois leçons.
La première, c'est que lorsque le projet de loi C-27 a été présenté, on s'est demandé si la Constitution permettait au Canada de poursuivre en justice des Canadiens qui commettaient des crimes à l'extérieur de ses frontières. Je pense qu'on a maintenant réglé la question. Sans entrer dans les détails, dans l'affaire Klassen, qui concernait le tourisme sexuel et qui a été portée en Cour d'appel dans l'Ouest, le tribunal a décidé que la Constitution permettait de juger des infractions commises à l'étranger. Ainsi, à mon avis, la question est réglée.
Deuxièmement, nous avons appris qu'il était très dispendieux d'enquêter sur les infractions commises à l'étranger et de poursuivre les délinquants en justice. Il faut se rappeler que si nous voulons que le projet de loi C-310 produise le résultat escompté, nous devons vraiment réfléchir au type de ressources qui seront nécessaires à l'échelle locale et à l'échelle internationale — dans nos ambassades — pour enquêter sur les infractions liées à la traite des personnes qui sont commises par des Canadiens à l'extérieur du pays. Nous devons aussi prévoir comment nous allons poursuivre ces individus en justice.
Troisièmement, une fois que les auteurs de ces infractions sont appréhendés et poursuivis en justice et, nous l'espérons, reconnus coupables, il y a la question de leur libération. En effet, un grand nombre de ces personnes qui commettent des infractions sexuelles contre des enfants sont libérées rapidement ou parfois, on ne leur inflige aucune peine. De plus, ces personnes récupèrent leur passeport aussitôt qu'elles sortent de prison. Nous pensons que lorsque les personnes qui ont été reconnues coupables d'infractions sexuelles contre les enfants — par exemple, la traite transfrontalière — sont libérées, on ne devrait pas nécessairement leur remettre leur passeport, car cela pourrait leur permettre de récidiver hors de portée du système de justice canadien.
Enfin, nous en sommes à ma dernière recommandation. Le projet de loi C-310, dans le contexte des obligations internationales du Canada, appuie les engagements du pays à l'égard de la Convention relative aux droits de l'enfant des Nations Unies, d'autres protocoles facultatifs et d'autres traités relatifs aux droits de la personne. Il est important de reconnaître que la Convention relative aux droits de l'enfant a maintenant un nouveau protocole facultatif qui permettrait aux gens de formuler des plaintes directement à un comité sur les droits des enfants. En ce moment, le Canada ne s'est pas encore engagé à l'égard de ce protocole facultatif, et nous recommandons qu'il le fasse, car cela ferait progresser le projet de loi et ses objectifs.
Le président : Merci, monsieur Hecht.
Madame Beazley, allez-y.
Julia Beazley, analyste politique, Alliance évangélique du Canada : Bonjour. Comme on l'a mentionné, je suis analyste politique à l'Alliance évangélique du Canada, au Centre for Faith and Public Life d'Ottawa. Mon rôle est d'effectuer des recherches, d'écrire et de mener des discussions sur des préoccupations liées à la pauvreté, à l'itinérance, à la prostitution et à la traite des personnes. Ces préoccupations sont étroitement liées les unes aux autres.
L'Alliance évangélique du Canada est l'association nationale des chrétiens évangéliques qui ont pour objectif commun d'influencer et de transformer la communauté par le ministère et les témoignages publics. Fondée en 1964, l'association constitue une tribune nationale pour les évangéliques et contribue de façon constructive à l'application des principes bibliques à la vie et à la société. En plus de 40 confessions religieuses, nos membres affiliés comptent 65 ministères, 33 établissements d'enseignement et 750 congrégations religieuses réunies sous la même déclaration de foi.
Nous collaborons avec le gouvernement et les tribunaux sur des questions qui concernent notre communauté. Nous avons donc comparu devant des comités et des tribunaux de tous les échelons du système judiciaire, y compris la Cour suprême du Canada. Nous avons aussi rédigé trois rapports sur la traite des personnes et la prostitution; ils ont été présentés aux députés et à la population.
Nous aimerions féliciter la députée Joy Smith de ses efforts soutenus dans la lutte contre la traite des personnes et de veiller à ce que justice soit rendue et qu'on prenne soin des victimes. Nous sommes reconnaissants d'avoir l'occasion de parler en faveur de ce projet de loi important.
Nous croyons que Dieu a créé toutes les personnes à son image et qu'il aime chacun d'entre nous, ce qui nous pousse à professer et à préserver la dignité de chacun. Nous comprenons que toutes les personnes devraient être traitées comme des créatures qui possèdent une valeur interne, et non comme des objets ou des jouets dont les autres peuvent profiter. Dans la Bible, Dieu se révèle comme un Dieu de justice, qui voit et entend les souffrances des opprimés. Il ordonne à son peuple de se porter au secours des opprimés, et de défendre la veuve et l'orphelin.
La traite des personnes représente une violation grave des droits de la personne et, selon l'ONU, il s'agit de la forme de crime organisé qui croît le plus rapidement à l'échelle internationale. Le rapport de 2011 du département d'État sur la traite des personnes des États-Unis mentionne le Canada comme étant à la fois un pays source et une destination pour les hommes, les femmes et les enfants qui sont victimes du trafic sexuel et du travail forcé. De plus en plus, des femmes et des filles canadiennes sont exploitées sexuellement un peu partout au pays.
Le Canada est aussi une source importante de touristes sexuels à l'égard des enfants; ces Canadiens se rendent à l'étranger — par exemple, au Cambodge — pour participer à des actes sexuels avec des enfants. Au Canada et aux États-Unis, l'âge moyen auquel on force des enfants à se prostituer est d'environ 12 ans; dans des pays tel le Cambodge, il est de cinq ou six ans. Il faut mettre fin à tout cela. Les enfants ne devraient pas être à vendre, ici ou à l'étranger.
Le projet de loi C-310 veillerait à ce que les Canadiens qui participent à la traite des personnes soient tenus responsables en vertu des lois canadiennes, peu importe où les infractions ont été commises. Il donne au Canada compétence à l'étranger en ce qui concerne les infractions liées à la traite des personnes, de façon à ce que les citoyens canadiens ou les résidents permanents du Canada qui commettent ces infractions à l'étranger puissent être poursuivis en justice au Canada. Le projet de loi améliore aussi la définition de l'exploitation sexuelle en précisant certains facteurs que le tribunal peut prendre en compte lorsqu'il détermine ce qui constitue de l'exploitation.
Un grand nombre des victimes de la traite des personnes vivent dans la pauvreté, l'isolation et la marginalisation, ce qui les rend vulnérables aux prédateurs. Lorsque les prédateurs sont Canadiens, nous avons le devoir de mettre tout en œuvre pour qu'ils soient arrêtés; il en va de la réputation de notre nation, et de notre devoir envers nos frères et sœurs partout dans le monde. Les Canadiens ne doivent pas croire qu'ils peuvent faire ce qu'ils veulent à l'extérieur de nos frontières, dans des pays qui n'ont peut-être pas de système de justice criminelle pour condamner leurs infractions, et en profiter pour faire le trafic des personnes vulnérables ou de les exploiter sans craindre d'être poursuivis en justice lorsqu'ils reviennent au Canada. Le projet de loi aide à faire en sorte que les prédateurs ne peuvent plus être à l'abri de la loi au Canada.
La définition de l'exploitation qu'on retrouve dans le Code criminel n'est pas suffisante, et de nombreux groupes qui travaillent avec les victimes ont dit que le fait que ces dernières craignaient pour leur sécurité rendait les déclarations de culpabilité plus difficiles à obtenir. Même s'il arrive souvent que les victimes aient souffert de violence physique brutale, ce n'est pas toujours le cas. Parfois, la coercition et le contrôle sont exercés de façon beaucoup plus subtile, mais ils n'en demeurent pas moins très efficaces. Ces formes d'exploitation peuvent être plus difficiles à poursuivre en justice en vertu de la définition actuelle. Les précisions apportées permettront de mieux comprendre et d'évaluer l'exploitation, sans être limité par les craintes liées à la sécurité. C'est surtout important pour obtenir des déclarations de culpabilité dans les cas d'exploitation sexuelle.
Nous appuyons le projet de loi C-310 tel qu'il a été adopté à l'unanimité par la Chambre des communes, et nous sommes d'avis qu'il est essentiel qu'il devienne une loi, afin que les protections supplémentaires qu'il offre soient réelles pour les victimes. Il s'agit d'un moment important pour le Canada. Comme vous le savez, la semaine dernière, le gouvernement a présenté le Plan d'action national de lutte contre la traite des personnes. Il s'agit d'un geste important, car jusqu'ici, les efforts pour lutter contre la traite des personnes ont été soutenus, mais ils manquaient de coordination. L'Alliance évangélique du Canada et d'autres parties intéressées ont participé à la consultation au sujet de l'élaboration du plan, et on les a manifestement écoutées.
J'aimerais insister sur l'importance d'adopter le projet de loi C-310, afin qu'on puisse l'utiliser en collaboration avec le Plan d'action national. Le plan ne propose aucune modification législative et je pense que c'est en partie parce que le projet de loi comprend les modifications législatives les plus urgentes, celles qu'un grand nombre de parties intéressées souhaitaient justement ajouter au plan.
Devrons-nous apporter d'autres modifications? Oui, certainement. Je pense que plus nous en apprendrons, plus il faudra être flexible en ce qui concerne le problème de la traite des personnes, et qu'on devra se doter d'une capacité de réagir sur le plan juridique et dans d'autres domaines. Toutefois, aujourd'hui, nous sommes responsables des modifications importantes qui sont à l'étude.
L'Alliance évangélique du Canada aimerait encourager vivement les honorables sénateurs à appuyer sans réserve le projet de loi C-310. Il s'agit d'un projet de loi non partisan, comme il se doit, car la lutte contre la traite des personnes nécessite les efforts de tout le monde.
Le président : Nous allons passer à la première série de questions; nous allons commencer par la vice-présidente du comité, le sénateur Fraser.
Le sénateur Fraser : Merci d'être ici aujourd'hui. Vous connaissez bien vos sujets et c'est très important pour nous.
Je poserai une question à chaque témoin pendant la première série de questions, et j'en poserai d'autres lors de la deuxième série; pour le moment, je vais m'en tenir à une seule question par témoin.
Monsieur Hecht, votre commentaire concernant la libération des délinquants m'a particulièrement étonnée, car vous avez dit qu'on leur redonnait leur passeport. Il est très inquiétant de penser qu'ils pourraient tout simplement récidiver. Toutefois, avez-vous un avis juridique sur la question de savoir comment, lorsqu'ils ont payé leur dette officielle à la société, des citoyens canadiens pourraient être privés de leur passeport et ainsi de leur droit de voyager? Comment pourrions-nous faire cela sans déroger à la Charte?
M. Hecht : Je ne suis pas certain que nous pourrions leur enlever leur passeport; toutefois, nous restreignons les mouvements des gens qui ont commis des crimes contre les enfants une fois qu'ils ont purgé leur peine. Par exemple, nous ajoutons leur nom au registre des délinquants sexuels; la question est donc de savoir qui a accès à ce registre. D'autres pays devraient-ils y avoir accès? De cette façon, si les délinquants obtiennent leur passeport et se rendent dans un pays où ils ont été connus, ou dans lequel les autorités canadiennes savent qu'ils pourraient trouver certaines de leurs victimes, ils ne seront pas bien accueillis là-bas. Il y a des façons de contrôler leurs déplacements sans nécessairement leur enlever le droit d'avoir un passeport.
Je viens tout juste de mentionner l'exemple du passeport, mais encore une fois, ceux dont le nom figure actuellement dans le registre des délinquants sexuels pourraient le changer. Ils ont le droit de le faire. Des personnes qui ont été condamnées pour des crimes commis contre les enfants, peut-être même plusieurs de ces crimes, peuvent changer leur nom lorsqu'elles sont remises en liberté, obtenir un passeport sous le nom de quelqu'un d'autre, voyager partout dans le monde sans que nous puissions exercer un contrôle. Nous, les membres d'Au-delà des frontières, pensons qu'il s'agit d'une lacune.
Nous donnons souvent l'exemple de l'affaire Ernest Fenwick MacIntosh, que vous connaissez peut-être. Cet homme, qui faisait l'objet d'un mandat d'arrêt au Canada, vivait à l'étranger et renouvelait régulièrement son passeport à l'ambassade canadienne. Nos ambassades, qui sont situées à l'étranger mais qui relèvent de notre compétence, n'ont même pas accès au registre des délinquants sexuels canadiens. En corrigeant ces lacunes, nous pouvons limiter la possibilité que les trafiquants de personnes à des fins sexuelles ou les gens qui pratiquent le tourisme sexuel continuent de sévir après avoir obtenu leur libération.
Le sénateur Fraser : C'est très intéressant. Puisque je n'ai pas assez de temps, je vais passer à Mme Beazley, mais nous pourrions en discuter pendant les deux prochaines heures.
Madame Beazley, vous avez laissé entendre qu'il fallait apporter d'autres modifications législatives. Quelles autres mesures envisagez-vous?
Mme Beazley : Par exemple, Irwin Cotler a présenté un projet de loi, puis la députée Smith a soumis le projet de loi C-268 sur les peines minimales pour les infractions de traite d'enfants. On discute de plus en plus de ce problème. Nous sommes plus conscients des diverses méthodes employées par les trafiquants d'enfants et de différentes questions. Nous pouvons en apprendre à ce sujet grâce aux jugements ou à divers éléments de procédure dans les affaires entendues en cour. Je pense que la question évolue.
Le sénateur Fraser : Énonciez-vous simplement un fait?
Mme Beazley : Oui.
Le sénateur Fraser : Allons-nous toujours faire des progrès, au lieu de cibler des aspects très précis que nous pourrions ajouter tout de suite au programme?
Mme Beazley : Je n'ai peut-être pas été assez claire. Je pense que le projet de loi règle des problèmes et qu'il faut l'adopter, parce que ces changements doivent entrer en vigueur. Ça n'empêche pas que d'autres mesures devront sans doute être prises à l'avenir.
Le sénateur White : Monsieur Hecht, je pense que, dans l'affaire dont vous avez parlé, la personne n'avait pas été condamnée et qu'elle ne figurait probablement pas dans le registre de toute façon, ce qui m'amène à poser ma prochaine question. Graham James et Karla Homolka sont sans doute un bon exemple de personnes qui faisaient partie du registre et qui ont quand même obtenu des passeports et voyagé dans des pays où le risque est peut-être élevé.
Tout d'abord, pensez-vous que nous devons examiner la possibilité d'intenter des procès unilatéraux contre les personnes qui refusent de revenir au pays pour les accuser et les inscrire au registre? Le Canada peut faire venir les gens condamnés pour un tel crime, mais pas s'ils sont seulement accusés.
Ensuite, avez-vous songé aux mesures législatives qui existent dans d'autres pays et à celles que la Suisse a proposées en 2010? Ces mesures exigent que les personnes qui résident au pays ou qui sont citoyens soient renvoyées sur-le-champ dans leur pays d'origine.
M. Hecht : Nous n'avons trouvé que très peu de preuves qui indiquent que les procès unilatéraux ont du succès au Canada. Même si la personne est accusée d'une infraction moins grave commise à l'étranger, c'est difficile d'atteindre le seuil nécessaire pour la déclarer coupable d'un crime. Ça pose un problème pour bien des juges. Mais nous continuons d'examiner cette option.
Concernant l'expulsion immédiate, non, nous n'avons pas effectué de recherche là-dessus. Merci de soulever cette question sur laquelle nous allons nous pencher.
Le sénateur Baker : Un procès unilatéral, c'est un procès secret dont personne n'est avisé. Vous avez bien sûr répondu qu'il est très difficile d'organiser des procès autres qu'inter partes en vertu du droit criminel.
Je ne m'étais pas vraiment posé la question, désolé, mais vos commentaires sont plutôt intéressants. Je me souviens d'un jugement rendu par la Cour suprême du Canada dans lequel vous êtes intervenu ces dernières années. Félicitations pour cette intervention.
M. Hecht : Merci.
Le sénateur Baker : Vous avez parlé d'appliquer la loi à l'étranger. Vous avez dit que la mesure faisait partie d'une modification apportée au Code criminel concernant les enfants, étant donné que la convention de l'ONU avait été adoptée.
Je comprends que les dispositions sur les crimes contre l'humanité et sur les crimes de guerre s'appliquent, mais à mon humble avis, le fait de reprendre les termes de ces dispositions pour la traite de personnes et de souligner que des jugements et des conventions indiquaient que la loi s'appliquait à l'étranger a été très utile pour garantir la constitutionnalité des jugements.
Ne pensez-vous pas que c'est un peu plus difficile à prouver pour l'article 279.01 modifié?
M. Hecht : C'est possible, mais je pense que de nombreux précédents montrent que cette modification va résister aux contestations fondées sur la charte. En effet, l'ajout de bon nombre de crimes contre les enfants aux infractions extraterritoriales s'appuyait peut-être sur la Convention de l'ONU relative aux droits de l'enfant, le protocole optionnel et les pressions exercées sur le Canada pour que sa législation nationale soit conforme à ses obligations internationales.
Au bout du compte, au moins dans l'affaire Klassen, la Cour supérieure de la Colombie-Britannique a dû examiner la disposition du Code criminel pour établir si elle répondait aux exigences de la charte. Elle a conclu que la disposition était conforme. C'est assez intéressant de savoir que personne n'a contesté cette décision. La Cour suprême du Canada n'a toujours pas rendu de décision sur les infractions extraterritoriales. La décision Klassen est celle qui s'en rapproche le plus.
Je pense qu'en général, la communauté internationale est sur une lancée et que de plus en plus de pays prévoient des infractions extraterritoriales pour protéger les enfants.
Le sénateur Baker : L'article 279.01 concerne les enfants, mais aussi les adultes.
M. Hecht : C'est exact. Je pense qu'il vaut peut-être mieux en discuter avec l'autre témoin. Au-delà des frontières s'occupe uniquement des enfants. Je dirais que cet article offre de la sécurité à cet égard.
Vous avez raison de dire que peu d'infractions contre d'autres personnes sont mentionnées dans le Code criminel en tant que crimes extraterritoriaux. L'autre témoin peut peut-être en parler.
Le sénateur Baker : Si je me souviens bien, le fait qu'un État permette à un autre d'enquêter et de déposer des accusations sur son territoire est très problématique. La Cour suprême du Canada l'a souligné au paragraphe 66 de l'affaire Hape et a indiqué que le Canada n'avait pas ce pouvoir.
Que faut-il faire dans ce genre d'affaire si la défense plaide autrefois acquit ou autrefois convict? À mon avis, cette disposition soulève de nombreuses questions, simplement concernant les adultes, et non les enfants.
M. Hecht : Je dirais que, même si on doit tenir compte de questions de souveraineté, c'est acceptable d'enquêter sur un crime à l'étranger si les autorités locales nous invitent à le faire.
Lorsque le projet de loi C-27 a été proposé en 1996, une exigence nous empêchait de poursuivre une personne qui aurait commis un crime contre un enfant à l'étranger sans le consentement de l'autre pays. Nous nous sommes rapidement aperçus que cette exigence posait des problèmes, parce que dans bien des cas, les autres pays ne voulaient pas que nous lancions des poursuites, surtout en raison de l'âge de consentement. Ces États affirmaient qu'il ne s'agissait pas d'un crime pour eux et se demandaient pourquoi ce l'était au Canada. Nous avons surmonté ce problème et réussi à maintenir la constitutionnalité de la disposition.
Je pense que nous sommes en mesure d'entamer des poursuites. Toutefois, je répète que la Cour suprême n'a pas établi si les infractions extraterritoriales respectaient la charte, sauf pour ce qui est des crimes contre l'humanité.
Le sénateur Baker : Ce sont d'excellentes réponses. J'aimerais poser une autre question durant la deuxième série, s'il vous plaît.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Je vous remercie de votre présence au comité. Un des points qui m'ont beaucoup intéressé est celui du contrôle des criminels après sentence. Ces criminels qui reviennent au pays sont capturés et jugés puis obligés de purger leur peine. Lorsqu'ils sortent de prisons, s'ils font d'autres victimes, nous n'aurons pas rempli notre rôle de protéger les enfants. Ce qui m'interpelle dans ce genre de crime, c'est que nous nous retrouvons devant des gens qui ont des problèmes de comportement permanents sur le plan des déviances.
Les spécialistes en général s'entendent pour dire, dans le cas de la pédophilie notamment, que ces comportements ne se traitent pas mais plutôt qu'ils se contrôlent. Sur ce point du contrôle des criminels qui ont des problématiques permanentes, notre Code criminel est très timide. Il n'encadre que sur une base temporaire les criminels, aussi bien durant la sentence qu'après s'ils sont déclarés criminels dangereux ou à contrôler.
On sait à quel point les juges sont timides à définir les gens de cette nature, à peine 1 p. 100 des criminels sont définis de cette nature, et en plus cela prend de la récidive à répétitions avant que le juge décide de le déclarer. Ce n'est qu'à ce moment qu'il sera contrôlé sur une plus longue période de cinq, 10, 15 ou 20 ans.
Nous en avons eu 110, ce qui est très archaïque quant à moi, parce qu'on ne contrôlera ce criminel que sur période d'environ un an. On est donc devant une situation pour laquelle le Code criminel reste muet quant au fait de contrôler des gens qui ont une problématique permanente. Si on ne peut les contrôler de façon permanente, donc ils vont récidiver.
On vient d'interdire le pardon pour les pédophiles qui ont commis des agressions sexuelles. Les policiers auront plus d'informations dans leur véhicule lorsqu'ils intercepteront ces individus près des écoles. Quelle serait votre proposition à tous les deux en ce qui concerne le contrôle de ces personnes aux prises avec des problèmes permanents pour faire en sorte que moins d'enfants se fassent agresser sur la base de la récidive?
[Traduction]
M. Hecht : Je ne connais pas la solution. Comme vous l'avez dit, le mécanisme de contrôle à long terme, c'est les dispositions sur les criminels dangereux. En effet, les juges sont en général très réticents à utiliser ces dispositions.
Je pense qu'il faut offrir aux parents davantage de façons de protéger leurs enfants. Il faut permettre aux gens de consulter le registre des délinquants sexuels, ce dont nous devrons peut-être discuter un autre jour. Nous y avons beaucoup réfléchi.
Le sénateur Boisvenu : Que pensez-vous de la possibilité de permettre à la population de consulter le registre des délinquants sexuels?
M. Hecht : Notre position, c'est qu'il ne faut pas permettre aux gens d'entrer une adresse sur leurs ordinateurs personnels pour obtenir celle du délinquant sexuel le plus près dans la collectivité, comme c'est le cas dans certains États américains. Mais il faut faciliter l'accès, parce qu'au fond, personne ne peut obtenir de l'information à l'heure actuelle, sauf les organismes d'application de la loi.
Il existe un entre-deux. Par exemple, certains États permettent aux gens de consulter le registre dans un poste de police s'ils ont une bonne raison. Les gens qui déménagent avec de jeunes enfants dans un nouveau quartier peuvent demander à la police si des délinquants sexuels ont le même indicatif régional. Il faut payer des frais ou ce genre de choses. D'autres outils sont mis en œuvre.
Si on ne peut pas contrôler la personne, et il peut être justifié de ne pas imposer une peine de prison d'une durée indéterminée, il faut donner des outils et une plus grande variété de ressources à ceux qui doivent protéger les enfants.
Mme Beazley : La plupart des données indiquent que 80 p. 100 des victimes de traite à des fins sexuelles sont des femmes et des enfants. On ne parle pas seulement de mineurs.
Il faut peut-être appliquer des mécanismes différents pour les infractions contre les enfants et celles contre les adultes. Comme vous l'avez dit, nous devons recourir à des outils différents pour changer les comportements de ceux qui commettent des infractions contre les enfants et qui sont plus profondément déséquilibrés. Les infractions contre les adultes relèvent surtout du système de justice pénale.
C'est ce dont je parlais en réponse à la question du sénateur Fraser. Les affaires entendues en cour nous en apprennent beaucoup. Il faut adapter les peines et la procédure aux intéressés. Je pense que ça fait partie du processus d'apprentissage. Il convient d'établir si la thérapie est obligatoire et ce que les peines doivent inclure. Dans une certaine mesure, ces questions ne concernent pas ce projet de loi. Donc, je pense que je n'ai rien à ajouter là-dessus.
Le président : Concernant votre suggestion de permettre aux gens de consulter le registre, je me rappelle qu'on m'a montré la liste des délinquants sexuels dans la région de Toronto, où Holly Jones a été enlevée et tuée. J'étais très étonné du nombre de délinquants sexuels qui habitaient là. Je pense que, si les parents étaient au courant, ils prendraient peut-être des précautions supplémentaires pour protéger leurs enfants. Il faudrait peut-être envisager de révéler le nombre de délinquants sexuels, plutôt que de donner leurs noms et adresses, une mesure qui crée d'autres problèmes.
Le sénateur Jaffer : Merci. J'ai lu vos commentaires, et j'ai une question qui s'adresse à vous deux et qui concerne surtout Bangkok et le peu de ressources dont disposent nos ambassades pour s'occuper de ces problèmes. Ça m'attriste que nous n'ayons déposé que cinq accusations de tourisme sexuel. Je pense qu'elles sont le fruit du hasard, car on n'a pas mené d'enquêtes approfondies sur place.
Ce projet de loi est très important. Je pense que personne ne s'y oppose. Compte tenu de votre expérience, savez-vous comment on peut faire venir la victime de la personne qui réside et qui est accusée au Canada? Comment peut-on offrir des services à la victime? Les juges ne vont pas condamner la personne d'après une hérésie. La victime doit être présente ici. On peut peut-être tenir une vidéoconférence; je ne sais pas. Y avez-vous songé, ou savez-vous comment d'autres pays procèdent?
M. Hecht : Comme vous l'avez dit, d'autres pays utilisent la vidéoconférence pour entendre les enfants. On peut aussi fournir des services de soutien aux victimes ou travailler avec les ONG locales afin que les victimes soient assez à l'aise pour témoigner. Ce qui ne fonctionne pas, c'est de faire venir les victimes par avion. Les faits portent à croire que les victimes sont si déroutées par l'expérience que, souvent, elles ne donnent pas les informations fiables ou crédibles dont la poursuite a besoin.
Nous pourrions apprendre des méthodes qui sont employées dans d'autres pays et qui pourraient fonctionner au Canada. Je suis d'accord avec vous pour dire que les quelques condamnations qui reposaient sur le projet de loi C-27 étaient avant tout un coup de chance. Je ne dis pas que les policiers n'ont pas effectué un excellent travail, mais je pense que ces condamnations sont survenues après que la personne a été arrêtée.
Comme vous l'avez mentionné, les ressources disponibles dans nos ambassades sont limitées, mais, chose intéressante que j'ai découverte lorsque j'ai fait des recherches sur le sujet, nous avons beaucoup d'agents de liaison dans ces mêmes ambassades. Le problème, c'est que la grande majorité d'entre eux se consacrent presque entièrement aux infractions en matière de drogue. Les crimes commis contre les enfants ou les crimes contre les droits de la personne ne figurent même pas sur leur liste. Encore une fois, ce n'est pas une critique, parce qu'ils ont évidemment beaucoup de travail, mais il semble que les crimes en matière de drogue, les infractions liées aux armes, le trafic de drogues et d'armes ont souvent préséance sur la traite des personnes.
Lorsque ce projet de loi sera adopté, les organisations comme la mienne pourront peut-être exercer des pressions sur le gouvernement pour qu'il affecte plus de ressources dans les ambassades pour faire ce genre de travail.
Le sénateur Jaffer : Si vous exercez des pressions pour obtenir des ressources lorsque ce projet de loi entrera en vigueur, quel type de ressources allez-vous demander?
M. Hecht : Nous aimerions que les agents de liaison, qui sont presque tous des agents de la GRC, reçoivent une formation sur la traite des personnes. Ils apprendraient entre autres comment identifier une victime du trafic ou comment enquêter sur un cas de trafic en appliquant nos propres normes. Ainsi, lorsque les délinquants subiraient leur procès au Canada, ce seraient nos seuils constitutionnels qui s'appliqueraient si bien que, s'il y avait une omission ou si des preuves étaient fournies, tout serait fait en conformité avec les mesures de protection qu'ils ont, comme le droit à l'assistance d'un avocat, et cetera.
Nous sommes en faveur de la formation des agents de liaison depuis longtemps et je crois que l'adoption de ce projet de loi peut nous donner une autre occasion d'agir dans ce sens.
Mme Beazley : Si vous me le permettez, d'après ce que je comprends, certaines de ces mesures sont déjà intégrées dans le plan d'action national. On a davantage l'intention de travailler avec d'autres États, d'établir des liens avec d'autres gouvernements, d'équiper nos ambassades et de former nos agents, peu importe où ils trouvent, pour qu'ils sachent ce qu'ils doivent surveiller et ce qu'ils doivent faire lorsqu'un cas survient.
Le sénateur Jaffer : Pouvez-vous nous donner un exemple? J'essaie d'en trouver un, mais en vain. Ce serait utile, tant pour ce qui est du tourisme sexuel que de la traite des personnes. Dans le plan d'action national, vise-t-on les agents de liaison? Vise-t-on à aider les victimes à l'étranger?
Mme Beazley : Je crois que oui. Il faudrait que je vous revienne là-dessus parce que je n'ai pas le plan ici, mais je peux trouver cette information pour vous.
Le sénateur Jaffer : Je vous remercie de votre aide.
Le sénateur Di Nino : Tout d'abord, je dois affirmer que le projet de loi C-310 est un très bon projet de loi et que nous devons l'adopter, mais vous conviendrez tous les deux, sans doute, que c'est une mesure très modeste pour contrer un énorme problème. C'est ahurissant de penser qu'au XXIe siècle, nous en sommes à parler d'esclavage, puisque c'est bien ce dont il s'agit, en particulier en ce qui a trait aux enfants. Je suis sensible à ce que vous dites, mais il me semble que nous n'abordons pas vraiment la question de savoir comment traiter de ce crime horrible qui a augmenté énormément — l'un de vous pourrait peut-être nous donner quelques statistiques — au cours des dernières années, alors que nous apprenons aujourd'hui, dans notre société moderne, ce que cela signifie vraiment et tous les torts qui sont causés.
Monsieur Hecht, permettez-moi de m'adresser d'abord à vous. Vous avez la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant. Ce document a-t-il assez de mordant pour traiter de ce crime particulièrement horrible?
M. Hecht : Je crois que oui, si la convention est mise en œuvre. Le problème qui se pose avec toutes les lois internationales, c'est qu'il est très difficile de comprendre comment elles se traduisent dans les lois de chaque pays. Si nous pouvions faire en sorte que l'esprit de la convention est inclus dans notre Code criminel, nous ferions un grand pas, mais nous devons surmonter de nombreux obstacles. Il y a des questions de compétence en jeu ainsi que des problèmes sur le plan des ressources.
Je crois que la convention établit une bonne norme nationale que nous devons respecter. Ce projet de loi est l'une des mesures qui nous permettent de faire un pas dans cette direction.
Vous avez dit qu'on ne s'attaquait pas vraiment au cœur du problème et vous vous demandez si cette mesure fera vraiment une différence. Il ne faut pas oublier que le trafic des personnes, du moins celui des enfants — et je soupçonne que ce soit la même chose pour le trafic des personnes en général — est en grande majorité le fait du crime organisé. Or, il est très difficile de sévir contre le crime organisé.
Ce projet de loi permettra-t-il d'enrayer les syndicats du crime organisé qui sont responsables de la traite des personnes? Probablement pas. Toutefois, lorsque nous attraperons les individus impliqués, nous aurons au moins la possibilité ou un moyen de les poursuivre en justice. Grâce à la sensibilisation de l'appareil judiciaire, il est à espérer qu'on leur imposera des peines assez sévères pour dissuader d'autres personnes qui peuvent graviter autour du crime organisé ou qui ont été impliquées dans le crime organisé par le passé de se livrer à ce genre d'activité.
Mme Beazley : Je vais essayer très fort de me concentrer sur la question, mais vous demandez comment on arrivera à s'attaquer à la source du problème. Quand on sait que plus de 80 p. 100 des cas de trafic sont à des fins d'exploitation sexuelle, il faut cibler ceux qui achètent les relations sexuelles si on veut vraiment aller au fond des choses. C'est un tout autre problème, mais nous devons faire en sorte que cette activité ne soit plus rentable pour le crime organisé. La seule façon d'y arriver, c'est de s'attaquer à ceux qui en font la demande. S'il n'y a pas de demande pour ce qui est offert, alors cette activité n'est plus rentable.
Le sénateur Di Nino : Bien dit.
Évidemment, nous savons que ces choses se produisent. Ce n'est pas un secret. Nous savons à quels endroits, et nous savons même qui sont ces gens, probablement. Avons-nous la volonté politique de nous attaquer à ce problème? Nous savons, en fait, que nous pouvons le faire si nous le voulons.
M. Hecht : Je crois que c'est le cas maintenant.
Le sénateur Di Nino : Je ne parle pas seulement du Canada. Le Canada seul ne peut pas régler ce problème.
M. Hecht : Je crois que la volonté politique est là. Comme toute autre chose dans l'arène internationale, nous jonglons constamment avec nos priorités. Un dossier peut facilement reculer dans la liste des priorités lorsqu'une crise éclate dans les médias. Je crois qu'on parle de ce problème depuis assez longtemps et qu'un mouvement est en train de prendre forme au sein de la communauté internationale et de l'administration publique canadienne. Je crois que le temps est venu de conjuguer nos efforts non seulement pour améliorer la loi, mais aussi pour la mettre en œuvre. Je crois que c'est le bon moment.
Le sénateur Di Nino : Je n'ai pas beaucoup d'espoir, mais je vous remercie.
Le sénateur Unger : Ma question s'adresse à Mme Beazley. Vous dites que la définition actuelle du mot « exploitation » dans le Code criminel n'est pas suffisante et qu'il est difficile d'obtenir des déclarations de culpabilité du fait que les victimes craignent pour leur sécurité. Croyez-vous que le Code criminel doit être modifié pour faire précisément référence à la sécurité physique, psychologique ou émotionnelle ou toute autre définition qui engloberait le fait de craindre pour sa sécurité?
Mme Beazley : Je crois, en fait, que le libellé du projet de loi C-310, qui ajoute d'autres facteurs à considérer, permet d'atteindre cet objectif. Beaucoup d'intervenants ont participé à l'élaboration du Plan d'action national. On a longtemps débattu de la définition qu'il fallait mettre dans le Code criminel; devait-on reprendre le texte exact de la convention de Palerme? D'où l'idée d'intégrer la notion de « craindre pour sa sécurité ». Le libellé du projet de loi C-310 me paraît satisfaisant. Je crois que toutes sortes d'éléments et de facteurs différents seront pris en compte dans ces cas. Je crois que c'est suffisant.
Le sénateur Unger : Comme c'est écrit présentement?
Mme Beazley : Oui.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Merci à nos deux invités. Ma question s'adresse à Mme Beazley. Premièrement, merci beaucoup pour votre appui à ce projet de loi. Évidemment, avec ce projet de loi, on va se doter de mesures plus dissuasives et sûrement plus punitives, ce qui est très bien.
Croyez-vous que nous pourrions éventuellement ajouter des mesures préventives pour qu'on puisse davantage intervenir à la source?
[Traduction]
Mme Beazley : Oui. Encore une fois, je n'aime pas revenir au Plan d'action national, mais on y a intégré d'excellents éléments sur la sensibilisation du public, la façon de cibler des groupes précis qui seraient susceptibles d'être victimes de la traite des personnes, et la façon de les éduquer et de les informer. Dans le cas qui est survenu à Ottawa récemment, c'étaient de jeunes filles qui ciblaient de jeunes filles. Une importante stratégie de sensibilisation du public doit être mise en œuvre. Il y a une foule d'excellents éléments qui ont été intégrés au Plan d'action national et, lorsqu'il sera mis en œuvre, il jouera un rôle important à cet égard.
Comme je l'ai dit, nos lois en matière de prostitution sont maintenant remises en question. C'est aussi l'occasion de nous demander comment nous pouvons toucher au cœur du problème et commencer à faire en sorte que cette activité ne soit plus rentable. Au bout du compte, s'il n'y a plus de profit à faire, s'il n'y a plus d'argent — et les femmes et les enfants peuvent être vendus à très gros prix —, si cette activité n'est plus rentable, alors je crois que ce sera plus facile de toucher au cœur du problème.
Le sénateur Chaput : Ma question s'adresse à Mme Beazley. Dans votre exposé, vous avez dit que le projet de loi C-310 offrira plus de protection. Pouvez-vous m'expliquer ce que vous entendez par là? C'est sans nul doute un bon projet de loi, mais j'aimerais que vous répondiez à cette question.
Mme Beazley : Je parlais des autres facteurs à considérer, parce que je crois qu'ils seront utiles pour obtenir des déclarations de culpabilité. Dans bien des cas, les accusations de trafic ne sont pas retenues parce qu'il est parfois difficile de prouver l'exploitation. Je crois que ces autres considérations, cet ajout à la définition du mot « exploitation » aideront à obtenir plus de déclarations de culpabilité.
Bien souvent, les délinquants sont reconnus coupables de moindres chefs d'accusation et purgent une peine légère. Ils retrouvent ensuite leur liberté et les victimes ne se sentent pas en sécurité pour entreprendre les démarches nécessaires pour recouvrer la santé et le bien-être.
Le sénateur Chaput : Est-ce un bon pas dans la bonne direction, comme certains sénateurs l'ont dit ici?
Mme Beazley : Oui.
Le sénateur Chaput : Si un autre projet de loi devait être parrainé, que pourrions-nous faire de plus?
Mme Beazley : Bon nombre des questions qui ont été soulevées ici sous-tendent certaines choses. Nous pouvons envisager différentes mesures. Par exemple, concernant le prononcé de la sentence, que faisons-nous des délinquants lorsqu'ils sont libérés? Il y a ce genre de questions. J'ai l'impression que Mme Smith nous réserve bien des choses. Elle proposera sans doute d'autres mesures. Beaucoup de personnes réfléchissent à ce dossier et, d'après les questions que vous avez posées, vous semblez contribuer aussi à cette réflexion. Ce sera un processus en évolution.
Le sénateur Fraser : Encore une fois, j'ai une question pour chacun des témoins.
Monsieur Hecht, vous avez parlé de façon très convaincante de la nécessité d'affecter beaucoup plus de ressources si nous voulons que la compétence extraterritoriale soit utile. Nous avons reçu un témoin la semaine dernière qui a laissé entendre qu'en période d'austérité, il est peu probable que les gouvernements canadiens consacrent une grande part des fonds publics à de nouvelles initiatives et qu'il pourrait être réaliste de s'en remettre, dans une large mesure, à la coopération des ONG internationales qui sont déjà sur le terrain. Vous faites partie d'une telle organisation. Croyez-vous que cela peut fonctionner?
Vous voulez sans doute utiliser toutes les ressources qui sont déjà en place et vous êtes des experts, mais jusqu'où peut-on aller?
M. Hecht : Je crois que bon nombre des organisations qui font du travail de première ligne partout dans le monde dans ce domaine sont bien placées pour travailler avec les forces de l'ordre locales, que ce soit les autorités du pays en cause ou les nôtres. Pour ce qui est de la formation et de l'information, soyons clairs. Bien des groupes qui font du travail de première ligne — par exemple, Au-delà des frontières a fait beaucoup de travail en Asie du Sud-Est et en Afrique occidentale — savent exactement qui sont les individus qui commettent ces infractions, où ils trouvent les victimes et où ils trouvent ceux qui veulent exploiter les victimes. Ces groupes sont bien placés pour travailler avec les autorités locales ou, dans certains cas, avec le soutien ou du moins avec l'approbation des autorités locales pour travailler avec nos ambassades et les personnes qui s'y trouvent. Toutefois, Au-delà des frontières ne serait pas d'accord pour que ces organisations fassent le travail de la police. De bonnes organisations finissent par être entachées du fait que certains individus se font policiers, et leurs motivations ne sont pas toujours authentiques. Nous ne recommanderions pas qu'elles assument ce rôle, mais qu'elles travaillent en collaboration avec les forces de l'ordre. Ce serait plus efficace par rapport au coût.
Si le gouvernement n'injecte pas d'argent dans ce projet de loi, nous appuierons quand même son adoption, parce que c'est un autre outil qu'on pourra utiliser pour faire appliquer la loi. Même si cette mesure est réactive et non proactive, même si on finit par l'utiliser pour accuser un individu qui nous tombe entre les mains par magie, il est préférable d'avoir cette loi en place que de ne pas l'avoir.
Le sénateur Fraser : Comme je l'ai dit la semaine dernière, il vaut la peine de sauver ne serait-ce qu'une seule personne.
M. Hecht : Je suis d'accord avec vous.
Le sénateur Fraser : Je crois que personne parmi nous ne contesterait cela.
Madame Beazley, vous nous avez rappelé ces affreuses statistiques : 80 p. 100 des victimes de la traite sont des femmes et des enfants qui servent à des fins sexuelles. Je crois que, pour la plupart des gens, c'est cette image qui nous choque et qui nous pousse à mobiliser notre société pour qu'elle fasse quelque chose. Toutefois, un témoin nous a dit la semaine dernière qu'au cours des 10 ou 20 prochaines années, il prévoyait que la traite des hommes allait augmenter. Il n'a pas dit, je crois, qu'il y aurait moins de femmes et d'enfants, mais qu'il y aurait plus d'hommes, qui serviraient essentiellement à des fins d'esclavage. Croyez-vous que ce soit vrai et, le cas échéant, ce projet de loi est-il bien conçu pour faire face à ce problème?
Mme Beazley : Je crois que c'est fort possible. À moins que d'autres pays dans le monde ne s'attaquent à la demande pour les services sexuels, je pense que ce nombre ne diminuera pas nécessairement. Toutefois, je m'attends aussi à ce que les cas d'esclavage augmentent. Je crois qu'ils augmentent en partie parce que les gens sont plus au courant de ce dont il s'agit et ce à quoi ça ressemble, alors plus de cas sont dévoilés. Je m'attends à ce que cette tendance se poursuive. Pour répondre à la deuxième partie de votre question, je dirais oui, parce que les organisations criminelles ont parfois une base dans deux pays, ou des citoyens canadiens travaillent ici en collaboration avec elles. L'avocat de la Couronne pourra vous parler d'un cas semblable. J'ai insisté sur l'importance de la définition d'exploitation pour les cas d'exploitation sexuelle, mais le libellé n'est d'aucune façon limité à ces cas. Il élargit les éléments à considérer pour déterminer s'il y a eu exploitation et il peut s'appliquer à la fois aux cas d'exploitation sexuelle et au trafic de travailleurs.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Je vais être très bref. Le projet de loi va élargir la définition d' « exploitation ». On sait que c'est un des crimes qui est le plus en augmentation.
Dans le Code criminel, on a quand même un outil, la magistrature a un outil pour contrôler ces gens. Je reviens toujours à mon problème. Donnez-moi les sentences les plus sévères au Canada, si ces gens récidivent, on a manqué à notre mission de protéger les femmes et les enfants, comme vous le disiez, madame Beazley.
Est-ce qu'il y aurait lieu de donner aux juges ou d'utiliser plus fréquemment la notion de criminel à contrôler ou dangereux par rapport à ce type de crime si on compare à d'autres types de criminalité? Par exemple, lorsqu'on s'attaque à des enfants, actuellement, on va attendre deux ou trois récidives avant de le déclarer dangereux.
Est-ce qu'on ne devrait pas le déclarer dangereux dès le premier crime contre un enfant, sachant que le taux de récidive de ces gens est un des plus élevés dans la criminalité?
[Traduction]
M. Hecht : Pour ce qui est des taux de récidive, des recherches démontrent qu'il y a différents niveaux de récidive parmi les personnes qui commettent des crimes à l'endroit d'un enfant. Notre organisme reconnaît, données à l'appui, que les taux de récidive sont très élevés. Toutefois, la vaste majorité de ceux qui commettent à répétition des infractions de nature sexuelle à l'endroit d'enfants ne sont pas des pédophiles. Le terme « pédophile » appartient à la terminologie psychiatrique, et nous ne voudrions pas que cela devienne le critère pour déterminer si une personne mérite ou non le statut de délinquant dangereux. Nous sommes certainement en faveur de l'idée d'utiliser certains outils, comme le statut de délinquant dangereux ou autre, quand une personne commet plusieurs crimes contre des enfants à plus d'une occasion. Nous demeurons convaincus que la façon la plus simple de protéger les enfants des délinquants sexuels connus est de garder ces derniers loin du public, mais nous reconnaissons que c'est un principe très difficile à appliquer. Au-delà des frontières appuie l'imposition de peines minimales obligatoires à ceux qui commettent des crimes à l'endroit d'enfants. Nous savons cependant que les juges font souvent fi des peines minimales obligatoires de toute façon, ou que les délinquants finissent par plaider coupable à une infraction moindre pour éviter d'être assujettis à une peine minimale obligatoire. La solution n'est pas de vouer une confiance aveugle au système judiciaire pour protéger nos enfants. C'est pourquoi nous devons nous assurer, comme je le disais plus tôt, d'offrir plus de ressources aux personnes qui tentent de protéger les enfants qu'aux délinquants qui sortent de prison, à qui on donne les moyens de changer de nom, d'obtenir un passeport et de refaire leur vie.
Le président : Je dois vous interrompre. J'ai demandé que les questions et les réponses soient concises.
Le sénateur Baker : J'ai une seule chose à vous demander. Il n'est pas seulement question de la prostitution des femmes et des enfants, mais aussi d'autres types de trafic. On peut comprendre ce qui a été dit pour les personnes qui ont effectivement commis une infraction. Toutefois, selon l'article 6(2) du Code criminel, nul ne doit être déclaré coupable d'une infraction commise à l'étranger. C'est pour cette raison qu'il est si difficile de constitutionnaliser ces lois.
Seriez-vous prêt à dire, compte tenu que la Charte va s'appliquer une fois les accusations déposées, qu'il sera très important que le gouvernement du Canada et la police agissent très rapidement en raison de l'alinéa 11b) de la Charte? D'après la jurisprudence, cet alinéa est entré en ligne de compte récemment dans une affaire entendue par la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse. Des personnes ayant véritablement commis des infractions, initialement au Canada, ont été déclarées innocentes à cause de la jurisprudence. Êtes-vous d'accord pour dire que la police et le gouvernement devront consacrer des ressources à cela, si on juge que c'est valide sur le plan constitutionnel, afin de remplir les fonctions que leur confère ce projet de loi?
M. Hecht : Je suis d'accord avec vous. Il faudrait effectivement agir rapidement vu les considérations internationales. On risquerait de perdre la trace des victimes faites en dehors du Canada. Il faudra en tenir compte pour les prochaines étapes, mais je crois sincèrement que c'est faisable.
Le sénateur Angus : Bon après-midi. Madame Beazley, vous nous avez dit qu'une des principales solutions serait de réduire la demande pour ce que vous appelez les « services sexuels ». J'aimerais savoir quelles mesures vous auriez à nous proposer. Pensez-vous, entre autres, à légaliser la prostitution?
Mme Beazley : Non, au contraire. Si on pense par exemple aux Pays-Bas, où la prostitution est légale, on a constaté une augmentation fulgurante de la traite des personnes. Victor Malarek indique qu'il y a 85 000 femmes qui se prostituent aux Pays-Bas, et la grande majorité d'entre elles ne sont pas originaires de là-bas.
Le sénateur Angus : Le problème est donc de savoir d'où viennent les prostituées si la prostitution est légalisée?
Mme Beazley : C'est logique. La femme moyenne ne voudra pas travailler dans un bordel, et il faut satisfaire à la demande. Quand les portes sont grandes ouvertes, il ne faut pas se surprendre que la traite de personnes augmente. La Suède a adopté une approche différente à l'égard de la légalisation. Elle applique ce qu'on appelle une politique asymétrique de décriminalisation. Le travail des femmes est décriminalisé, mais la sollicitation, le trafic et le proxénétisme demeurent des actes criminels. On cible ces actes, et on évite de criminaliser les femmes, reconnaissant qu'elles sont pour la plupart des victimes. Elles n'écopent pas d'un dossier criminel; elles peuvent demander des services et repartir à zéro une fois qu'elles ont recouvré leur liberté. Nous recommandons ce modèle pour le Canada.
Le sénateur Angus : Et cela permettrait de réduire la demande?
Mme Beazley : Oui.
Le président : Merci à nos témoins. Ce fut très intéressant. Nous vous remercions de votre présence.
J'aimerais maintenant souhaiter la bienvenue à notre prochain témoin, qui est aussi un ancien collègue, Toni Skarica, procureur adjoint de la Couronne dans la région d'Hamilton. M. Skarica a récemment eu à travailler sur une affaire de traite de personnes dans cette région, et il est ici aujourd'hui à titre personnel.
Bienvenue, monsieur Skarica. Avez-vous des observations préliminaires?
Toni Skarica, procureur adjoint de la Couronne, à titre personnel : J'aimerais procéder un peu différemment. Je ne vous donnerai pas mon opinion; je vais d'abord vous présenter trois documents qui prouvent hors de tout doute les pièces déposées et le bien-fondé de notre poursuite.
Je suis procureur en chef dans la plus importante affaire de traite de personnes jamais entendue au Canada. À ce jour, 17 personnes ont été déclarées coupables de traite de personnes, de gangstérisme et de diverses autres infractions. Elles ont plaidé coupable aux accusations, reconnaissant l'exactitude du tableau que je vais vous présenter dans un instant. Elles ont toutes convenues de ces faits et articles prouvables, et je vous ai remis les trois premières pages. Les documents originaux comptent 17 ou 18 pages. Je vais vous parler plus tard de la pièce 87, lorsqu'il sera question de territorialité.
J'aimerais faire comprendre au comité que le problème de la traite de personnes exige maintenant une intervention d'urgence, et ce, à différents égards. Les victimes ne sont pas isolées dans une contrée lointaine, et il n'est pas seulement question de femmes et d'enfants. J'espère vous démontrer, et c'est ce que j'ai compris dans cette affaire, que tous les Canadiens sont en réalité victimes de la traite de personnes, un fait que nous avons établi dans notre poursuite.
Allons-y d'abord avec le tableau. Vous voyez en haut tous les accusés qui appartenaient et qui appartiennent encore à une organisation criminelle en activité en Hongrie. Ils sont tous arrivés ici sans se faire poser de questions. À leur entrée au Canada, ils possédaient presque tous un dossier criminel et des mandats d'arrêt avaient été émis contre eux. Certains étaient en fait des criminels condamnés qui devaient entreprendre un long séjour derrière les barreaux. Des accusations ont été déposées contre quelques-uns d'entre eux, et c'est là qu'on a eu connaissance des mandats d'arrêt.
Au final, il s'agissait de membres d'une vaste et puissante organisation criminelle hongroise. Ils sont arrivés ici et ont réussi à déjouer nos contrôles frontaliers et notre système d'immigration, puis ils ont ouvert boutique chez nous. L'organisation menait des activités là-bas et ici.
Ils sont arrivés en deux vagues. Les premiers arrivés sont ceux que vous voyez dans l'encadré jaune. Le chef et son bras droit dans cette affaire sont dans cet encadré. Vous voyez que Ferenc Domotor est à la tête du réseau; il est dans l'encadré de gauche. Gyula Domotor est son bras droit; il se trouve dans la partie droite du document.
Ils sont arrivés au Canada à peu près de la même façon que tous les autres. Un mandat d'arrêt avait été émis contre eux avant leur entrée au pays. Ils étaient accusés d'extorsion sous de graves menaces. Qu'est-ce que la traite de personnes? C'est essentiellement de l'extorsion sous la menace.
Il y avait un acte d'accusation en vigueur en 1997. Il y avait une mise en accusation contre eux. Ils n'ont pas apprécié, alors ils ont décidé de s'installer au Canada. Ils sont arrivés le 21 septembre 1998. Ils ont demandé le statut de réfugié. Il y a un formulaire à remplir pour faire cette demande : Êtes-vous un criminel? Y a-t-il des accusations en instance contre vous? Et ainsi de suite. Tous ces gens ont répondu « non », mais ce n'était que des mensonges. Ces personnes sont arrivées ici en affirmant qu'elles n'étaient accusées de rien. C'était loin d'être la vérité.
Que leur est-il arrivé? Quelqu'un s'en est-il aperçu? Non, ils ont obtenu le statut de réfugié au sens de la Convention. Ils ont été admis comme immigrants.
Gyula Domotor, à droite du document, a obtenu la citoyenneté canadienne en 2004. À ce moment-là, toutes ces demandes avaient été déposées : demande de statut de réfugié, demande de statut d'immigrant admis et demande de citoyenneté canadienne. On parle de quatre ou cinq ans — des mandats d'arrêt émis en Hongrie pour des infractions très graves n'avaient toujours pas été exécutés, et pour une raison quelconque, on l'ignorait. Ferenc Domotor se cachait au grand jour au Canada quand nous avons finalement eu vent de ses antécédents. La première occurrence documentée remonte à 2005. Qu'avons-nous fait? Rien.
La Hongrie a un bien drôle de système judiciaire, si je puis dire. Une loi de prescription s'applique aux fugitifs qui réussissent à disparaître juste assez longtemps. Cette prescription est entrée en vigueur en 2006. Et devinez quoi? Ces personnes ont réussi à éviter la condamnation en s'enfuyant au Canada, où ils ont bénéficié de l'aide sociale en mentant aux autorités, sans jamais se faire prendre. Ils ont obtenu le statut d'immigrant admis. L'un d'eux a même obtenu la citoyenneté canadienne. En 2007, ils étaient absouts de toute accusation en Hongrie.
Comment nous ont-ils remerciés de leur avoir donné tout cela? Depuis 2001, on exigeait un visa de visiteur pour les citoyens de la Hongrie, parce qu'il y avait un nombre effarant de fausses demandes d'asile. Cette exigence a été levée le 1er mars 2008.
Quelle a été la réaction des criminels dans l'encadré jaune? Ils ont fait venir le reste des membres de l'organisation criminelle en 2008 et en 2009. C'était encore le même scénario : accusations en instance et dossiers criminels.
En fait, Ferenc Karadi, qui se trouve juste à l'extérieur de l'encadré à gauche, est un criminel tout ce qui a de plus crapuleux. Il avait été accusé, déclaré coupable et condamné à cinq ans de détention. Pourquoi? Chantage et fraude. Qu'est-ce que la traite de personnes? Chantage et fraude. Il devait purger une peine d'emprisonnement de cinq ans. Une autre innovation du système judiciaire hongrois veut qu'on ne mette pas immédiatement en détention les accusés trouvés coupables. On leur dit plutôt de se présenter le mois suivant. Vous l'aurez deviné, ils ne se présentent pas le mois suivant, ils décident plutôt d'aller s'installer au Canada et de récolter de l'aide sociale. Qu'est-ce qu'a fait Ferenc Karadi aussitôt arrivé ici? En passant, ce fut la même chose pour sa femme. Accusée, trouvée coupable et condamnée à deux ans et demi de prison. Qu'a-t-elle fait? Ils sont tous les deux venus s'installer ici, et pour nous remercier de les avoir aidés, ils n'ont pas hésité une minute à frauder notre régime d'aide sociale. C'est essentiellement de cette façon que cette organisation criminelle s'est établie au Canada. Quand tout le monde était arrivé, la troisième étape consistait à récolter de l'aide sociale.
Ils ont tous menti à propos de leurs antécédents, des accusations portées contre eux et de leur dossier criminel. Ils ont tous rempli ces formulaires en donnant de faux renseignements. En réalité, il n'y a pas qu'Immigration Canada à blâmer. Nous avons demandé aux autorités hongroises si Ferenc Karadi avait un dossier criminel ou s'il y avait des accusations en instance contre lui. Il est arrivé ici en 1998. La poursuite a été entreprise en février 2010. J'ai demandé à la GRC de faire des vérifications en octobre 2010, et les autorités hongroises ont répondu qu'il n'avait aucun dossier criminel. Pendant ce temps, le type est en cavale depuis cinq ans, condamné à une peine d'emprisonnement.
En troisième lieu, quand tout le monde fut installé, ils ont tous récolté de l'aide sociale, et Karadi s'en est même vanté. Il n'a jamais travaillé de sa vie. Il a raconté que tout ce qu'il avait touché de ses mains, c'était de l'argent et des femmes, mais il ne l'a pas dit aussi poliment.
Une fois bien installés, sachant que nous ignorions tout des mandats d'arrêt émis contre eux en Hongrie et en Europe — nous l'ignorions dans certains cas, et pour d'autres, nous l'avons appris bien plus tard —, ils ont fait venir leurs victimes. Même histoire. Ils les ont fait venir ici. Ils leur ont dit de mentir sur leur demande de statut de réfugié. C'était essentiellement de fausses demandes. De plus, tous leurs esclaves ont été inscrits au régime d'aide sociale, mais ceux-ci n'ont reçu que leur carte. L'argent, lui, allait aux têtes dirigeantes.
C'est pour cela que je dis que tout le monde ici en paie le prix. Les accusés comme leurs victimes ont reçu de l'aide sociale, sauf que tout l'argent est allé aux accusés, et c'est l'argent des contribuables qui paie pour cela.
Les faits présentés dans le deuxième document ont été prouvés hors de tout doute et admis par 17 personnes, qui ont plaidé coupable. À la page 3, le juge Cavarzan, à l'examen des demandes de liberté sous caution, a résumé la situation au point 9. Les infractions reprochées... page 3, point 9, au premier paragraphe. Les infractions reprochées concernent des activités criminelles menées par un réseau qui s'étend jusqu'en Hongrie, responsable en l'occurrence d'une machination complexe pour frauder le système d'immigration et le régime d'aide sociale du Canada.
Et les choses ne s'arrêtent pas là; j'espère que vous me poserez des questions à ce sujet. Nous dépensons une fortune pour permettre à tous ces faux réfugiés d'Europe de l'Est de vivre chez nous, alors que nous n'avons pas d'argent à consacrer aux hôpitaux, aux médecins, et cetera.
Est-ce que cela nous rapporte quelque chose? Voici les estimations que j'ai faites. Il y avait au moins 19 victimes, et probablement plus, qui ont travaillé pour eux gratuitement pendant des années. Je présume qu'ils ont ainsi récolté entre 1 et 2 millions de dollars. Fraude de l'aide sociale. En ce moment, nous avons des ordonnances de dédommagement de l'ordre de 250 000 $. Fraude postale, crime organisé. Ils ne donnent pas seulement dans la traite de personnes. Ils ont diversifié leurs activités. Après avoir été arrêtés en vertu de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés pour des infractions relatives à la traite de personnes, ces gens ont changé de cible pour faire plus d'argent. Ils ont falsifié une clé et fait la tournée des boîtes aux lettres dans le sud de l'Ontario, et ont même volé des boîtes aux lettres entières. Ils triaient le courrier à la recherche de chèques qu'ils encaissaient frauduleusement, jetant les lettres aux ordures au passage. Nous sommes à 2 millions de dollars. Ce petit groupe — pas si petit, mais globalement, c'est bien peu de choses — nous a volé 5 millions de dollars.
Je vous ai remis des copies des pièces déposées à la cour. Voici une photo de la maison. Vous pouvez la voir à la page 1. C'est la demeure du chef du réseau, une maison de 500 000 $, à Ancaster. En passant, après sa mise en accusation pour toutes ces fraudes par chèque, il a vendu sa maison et a emménagé dans une résidence de 700 000 $. Ils menaient une vie des plus somptueuses. Vous pouvez voir leur ameublement luxueux à la page 2. À la page 3, ce sont les luxueux quartiers des esclaves. C'est là qu'habitaient les esclaves, dans le sous-sol de la maison d'Ancaster. C'est la maison du bras-droit, une résidence de 500 000 $, et devant une Mercedes et un camion de l'année. C'est beaucoup d'argent.
Le sénateur Angus : Ce sont les gens dont le nom apparaît dans la boîte jaune?
M. Skarica : Effectivement. Ils font partie de la première vague. Le numéro un, c'est Frank Domotor, et le numéro deux, Gyula Domotor.
Pour vous montrer à quel point ces amendements sont importants, je vais maintenant parler de l'aspect extraterritorial. Qu'a fait le Canada pour réagir à ce que j'appelle l'invasion du mal, soit l'immigration de toute une organisation criminelle? Comme on pourrait s'y attendre, nous les avons poursuivis en justice. Dix-sept ont été accusés et bon nombre purgent leur peine dans un pénitencier. Nous avons obtenu les peines les plus lourdes de l'histoire du pays pour ce genre de crime, soit neuf ans pour Frank Domotor et sept ans et demi ans pour Gyula Domotor. Nous avons détruit cette organisation criminelle de Hongrie.
Qu'a fait la Hongrie? C'est là que se trouvent les recruteurs. La réponse est simple : rien. Pour vous montrer à quel point les Hongrois sont restés inactifs dans ce dossier, je vais vous donner un seul exemple, car je n'aurai pas le temps de tous vous les présenter. Vous voyez, sur le tableau, le nom d'une des victimes, Tamas Miko, un beau garçon très doux. Rendu à mon âge, je trouve que tous ceux qui ont moins de 40 ans sont des garçons. Tamas est dans le début de la vingtaine, un garçon très doux et bourré de talent. Une fois cette affaire gagnée, il m'a remis un très bon portrait de moi. Il faut du talent pour me rendre beau en image.
Directement au-dessus de la boîte où figure le nom de Tamas, vous verrez celui de Veronika Kolompar, entre les lignes jaunes. C'est elle qui fait le recrutement en Hongrie. Soit dit en passant, si vous voulez voir à quoi ressemble Tamas, vous verrez sa photo dans The Globe and Mail, édition du 3 avril. Je vous le dis, c'est un bon garçon. Il aurait pu choisir de vivre de l'aide sociale, comme une victime, mais il a refusé. Il travaille plutôt à des tâches domestiques dans un hôtel, parce qu'il veut travailler. À mon avis, cela représente bien les valeurs canadiennes. Je suis, moi aussi, issu d'une famille d'immigrants. Nous ne vivions pas de l'aide sociale, car mes parents voulaient travailler afin de profiter des possibilités qui existaient. Les choses ont plutôt bien tourné; je suis ici, aujourd'hui, devant vous. Je suis originaire, moi aussi, de cette partie du monde.
Peu importe. Afin de vous montrer à quel point les Hongrois n'ont rien fait dans ce dossier, je vais vous parler de Veronika Kolompar. Elle est en Hongrie et c'est elle qui a recruté Tamas Miko. En février 2010, lorsque Frank Domator a été accusé en vertu de la LIPR, Veronika Kolompar a contacté la famille de Tamas, en Hongrie, essentiellement pour leur offrir des pots-de-vin. Je peux vous dire sans l'ombre d'un doute que c'est ce qui s'est produit, car, comme les autorités hongroises, nous en avons la preuve irréfutable : la famille de Tamas a enregistré la conversation sur un cellulaire. C'est en anglais. Il s'agit clairement d'une entrave à la justice. A-t-on porté des accusations en ce sens en Hongrie? Non. Y a-t-il eu une enquête? Pas à ce que je sache. Les autorités hongroises ont une preuve irréfutable et la personne qui a commis cette entrave se trouve sur leur territoire. Que faut-il de plus? Je peux vous assurer que nous avons réussi à faire condamner les Domator avec beaucoup moins.
Peu importe, rien n'a été fait. Nous avons donc porté des accusations contre Frank Domator. Il y a eu une enquête sur la mise en liberté sous caution et il a été libéré. Mais, à l'approche de cette enquête, Veronika Kolompar et son conjoint se sont mis à terroriser et à menacer la famille Miko, en Hongrie. Plus la date de l'enquête approchait, plus ils les menaçaient. La pièce 87, la dernière que j'ai pour vous, c'est la déclaration de la famille Miko. Je vous dirai plus tard comment nous avons réussi à l'obtenir.
À la page 5, ils nous expliquent comment la police hongroise traite les cas d'extorsion et de traite de personnes. J'ai surligné en jaune la section concernée.
Dans le deuxième paragraphe surligné, on peut lire : « Ils [les policiers fédéraux] sont venus nous chercher, comme promis, et nous ont amenés à Budapest. » On parle ici de toute la famille : le père, la mère et les enfants. Je les ai rencontrés.
Le sénateur Angus : La famille Miko?
M. Skarica : Oui. La famille de Tamas, en Hongrie. Ce jeune homme courageux était ici pour nous aider dans cette affaire, alors que sa famille faisait l'objet de menaces et se faisait offrir des pots-de-vin. De tous nos témoins, il était blanc comme neige, et c'est lui que les criminels voulaient atteindre. Dès qu'on lui parle, on sait que Tamas est ce genre de personne qui dit la vérité, et c'était lui que les criminels ciblaient. Je vous le dis, c'est un jeune homme extrêmement courageux.
Voici le témoignage de la famille, en Hongrie :
Ils sont venus nous chercher, comme promis, et nous ont amenés à Budapest. Ils nous ont laissés dans la maison de refuge d'un organisme de bienfaisance dirigé par des baptistes. La police fédérale nous a tout simplement laissés là et n'a fait aucun suivi. Nous ne les avons jamais revus. Il n'y avait pas vraiment de chauffage et nous avions très froid. Nous n'avions aucune nourriture, alors nous avons mangé ce qui restait dans le frigo. Mais, ce n'était pas suffisant, et nous avions faim. Tamas a demandé à une de ses connaissances en Hongrie de venir nous porter de la nourriture et de l'argent. Nous ne savions plus quoi faire. La police fédérale nous avait dit qu'elle ne pouvait pas intervenir dans le dossier, car c'était la responsabilité de la police locale. Cette dernière était corrompue. La police fédérale nous avait prévenus de ne pas communiquer avec la police locale avant de partir de Papa. Nous craignions d'être trouvés à Budapest. Nous avions très peur qu'ils nous fassent du mal pour forcer Tamas à ne pas témoigner. Nous n'avions pas d'argent, aucun meuble, aucun contact à Budapest. Nous étions sans protection. Nous n'avions rien. Nous nous sentions abandonnés et nous étions terrifiés. Nous n'avions pas prévu quitter subitement notre maison. Nous ne savions pas où aller ou quoi faire.
Ça, c'était une semaine avant l'enquête sur mise en liberté sous caution de Frank Domator, celui qui a reçu une peine de 9 ans de prison. Il avait été libéré et nous tentions de le faire incarcérer, et nous avons réussi.
J'ignorais que tout cela se déroulait avant l'enquête. C'est une ONG qui a amené ces gens au Canada, à ses propres frais. C'est la raison pour laquelle nous avons pu recueillir ce témoignage. Sans cette ONG, qui sait comment cette affaire se serait terminée et ce qui serait arrivé à la famille Miko.
Est-ce que c'est tout? Non. Comme je l'ai dit — j'ai presque terminé —, Frank Karadi, à gauche sur le tableau, a été accusé, reconnu coupable et condamné à cinq ans de prison, mais il est venu au Canada pour échapper à cette peine. Il a finalement été reconnu coupable, au Canada, de traite de personnes et condamné à six ans de prison. Lui et sa conjointe étaient des fraudeurs en Hongrie. Au Canada, ils ont été reconnus coupables de fraudes totalisant 50 000 $. Les autorités hongroises ont dit qu'elles allaient demander l'extradition de criminels endurcis comme Frank Karadi, mais jusqu'à maintenant, nous n'avons reçu aucune demande.
J'aimerais terminer en dressant trois conclusions. À mon avis, la Hongrie n'a rien fait pour empêcher cette organisation criminelle d'immigrer au Canada. Il a fallu dix ans pour détruire cette organisation. Les autorités hongroises n'ont pris aucune mesure pour rapatrier ces criminels. Mais le plus important, c'est qu'elles n'ont rien fait pour stopper les recruteurs hongrois, comme Veronika Kolompar, ou même les recruteurs canadiens. Selon moi, ils ne feront rien. Je peux vous assurer que ceux qui ont reçu le statut de réfugié au Canada retournent régulièrement en Hongrie pour y faire du recrutement. Cette loi pourrait vraiment nous aider à mettre un terme à ces activités.
Le message que je veux vous transmettre, c'est que ce n'est qu'une partie d'un problème plus vaste. C'est aussi ce que j'ai dit à David Sweet il y a environ un an et demi. La plupart des réfugiés hongrois — 98 p. 100 d'entre eux — ne sont pas de vrais réfugiés. Depuis que l'on a retiré l'exigence d'obtenir un visa, en 2008, ces réfugiés ont coûté 500 millions de dollars aux contribuables canadiens, et ce, uniquement en prestations d'aide sociale. Et on ne tient pas compte, entre autres, des coûts liés aux crimes dont ils sont responsables. Tous ces gens... Une centaine de réfugiés hongrois arrivent ici chaque semaine. Selon ce que me disent les policiers, depuis que l'organisation des Domator a été détruite à Hamilton, d'autres groupes ont pris la relève dans le secteur de la construction et ça se poursuit.
J'essaie de vous faire voir l'urgence de la situation, à vous et aux responsables de l'immigration et de l'aide sociale. Comme je l'ai dit au début de mon exposé, nous sommes tous victimes. Combien d'hôpitaux pourrait-on bâtir avec 500 millions de dollars? Probablement deux, mais cet argent est perdu. C'est ce que j'avais à dire. Je suis désolé, j'ai parlé trop longtemps.
Le président : C'est un récit fascinant. L'inconvénient, c'est qu'il ne nous reste qu'un peu plus de 30 minutes. Je ne crois pas vous avoir entendu commenter le projet de loi C-310. Brièvement, pourriez-vous...
M. Skarica : L'aspect extraterritorial est très important. On ne parle pas seulement ici de la Hongrie, mais aussi des pays de l'Afrique, de l'Amérique latine, de l'Asie. Que font ces pays? Je peux vous dire qu'en ce moment, il y a des Hongrois — qui ont le statut de réfugié canadien — qui voyagent régulièrement en Hongrie. Ce projet de loi nous aiderait beaucoup à faire cesser ces activités. Je ne veux pas entrer dans les détails, car nous avons porté des accusations contre une personne ayant fait principalement du recrutement en Hongrie. Cette mesure législative pourrait nous aider dans cette affaire.
Le sénateur Fraser : Je vais tenter d'être brève, et je sais que le président voudra que vous soyez bref également, mais il est important d'aller au fond des choses.
Je ne vois toujours pas comment ce projet de loi peut vous aider en Hongrie où, comme vous l'avez si bien dit, ni le gouvernement, ni la police ne veulent intervenir. Comment cette mesure peut-elle vous aider si le pays visé ne coopère pas?
M. Skarica : Il y a des gens qui se rendent en Hongrie régulièrement. Nous avons la preuve que, en ce moment, une de ces personnes se cache au Canada. Nous avons des témoins, comme la famille Miko. Nous avons la preuve que ces gens se rendent régulièrement en Hongrie pour y faire du recrutement. Avec ce projet de loi, nous pourrons les arrêter lorsqu'ils seront sur notre territoire. Nous avons déjà des témoins. Cette mesure est l'outil qu'il nous manque.
Le sénateur Fraser : Que faisaient ces gens comme travail? Ils touchaient des prestations d'aide sociale, mais ils travaillaient aussi, non? Que faisaient-ils?
M. Skarica : Essentiellement, ils travaillaient 16 heures par jour dans la construction avec un seul repas dans la journée — des restants, habituellement. Le secteur de la construction est parfait dans ce cas, car ils n'ont pas à côtoyer le public. Ils ne parlaient que le hongrois; des victimes parfaites.
Le sénateur Fraser : J'ai utilisé la même phrase plus tôt. Merci beaucoup, monsieur Skarica. Ce fut très intéressant.
Le sénateur Jaffer : Merci pour votre exposé. Il est question ici de la traite de personnes à des fins de travail, n'est-ce pas?
M. Skarica : C'est exact.
Le sénateur Jaffer : Cette loi permettrait d'intenter des poursuites contre les citoyens canadiens ou ceux ayant le statut de résident permanent qui vont en Hongrie pour y faire du recrutement, c'est bien cela?
M. Skarica : C'est cela.
Le sénateur Jaffer : Ce que je n'arrive pas à comprendre, c'est que vous avez amené Miko ici de Hongrie.
M. Skarica : Il a été recruté en Hongrie par Veronika Kolompar. Il était ici comme esclave dans la pièce que je vous ai montrée. En février 2010, la GRC a effectué une descente et il était là. Il était au Canada, mais sa famille était toujours en Hongrie et elle se faisait menacer.
Le sénateur Jaffer : Avez-vous été en mesure de lui fournir des services d'aide aux victimes?
M. Skarica : Non. C'est une ONG qui s'en est chargé. Sans elle, j'ignore ce que l'on aurait fait. S'il avait fallu que l'on passe par la GRC ou d'autres canaux, on n'aurait pas encore terminé. C'est une ONG inconnue qui nous a aidés. Nous devons attaquer ce problème de tous les angles. Le financement des ONG est essentiel, car elles n'ont pas à se soumettre, comme nous, à tous les processus administratifs. Elles peuvent tout simplement fournir des fonds et faire venir les témoins.
Le sénateur Jaffer : Ce n'est pas la première fois que je pose cette question. Vous êtes procureur de la Couronne — et je sais que vous avez travaillé en étroite collaboration avec Mme Smith. Donc, vous avez eu beaucoup de temps pour analyser ce projet de loi.
Les procureurs de la Couronne ont-ils les ressources nécessaires pour amener des victimes de traite de personnes au Canada, disons, à partir de la Hongrie?
M. Skarica : Je serai catégorique : non.
Le sénateur Jaffer : Nous avons encore du travail à faire à ce chapitre.
M. Skarica : Oui.
Le sénateur Angus : Comme l'a souligné le président, votre témoignage fut très intéressant. C'est un peu difficile pour nous de faire le lien avec ce projet de loi, mais la question des réfugiés m'intéresse. Vous dites que ces gens viennent ici et demandent le statut de réfugié. La loi actuelle est une vraie passoire.
J'ai fait une blague plus tôt en parlant de saumon fumé et de caviar. On dit, à Montréal, que ces gens viennent ici demander le statut de réfugié et qu'on les voit ensuite au bar du Ritz en train de déguster du saumon fumé et du caviar, alors qu'ils touchent des prestations d'aide sociale. Que se passe-t-il? Leur demande s'appuie sur quoi?
M. Skarica : La plupart sont des Roms, et c'est la raison pour laquelle ils se font persécuter.
Le sénateur Angus : Les Roms sont des Tziganes en Europe, c'est cela?
M. Skarica : Oui. Ils racontent tous la même histoire. Il y a déjà eu des incidents où des skinheads ont battu des Roms. Les demandes de statut de réfugié que j'ai vues, tant celles des victimes que des accusés, sont presque toutes identiques. Les demandeurs disent : « Je n'allais pas à l'école. Je n'avais pas d'avenir. Je me suis fait tabasser par des skinheads. » C'est essentiellement ce qu'ils prétendent.
Le sénateur Angus : Vous les croyez?
M. Skarica : Non. Ce sont de fausses déclarations. Dans 98 p. 100 des cas, la demande est rejetée.
Le sénateur Angus : Que faites-vous alors?
M. Skarica : Ils finissent par être expulsés, mais pas avant d'avoir touché, en moyenne, 50 000 $ en prestations d'aide sociale. L'expulsion peut prendre plusieurs années.
Le sénateur Angus : Faut-il attendre plusieurs années avant qu'une affaire soit entendue en Cour fédérale?
M. Skarica : Oui, notamment en raison des appels. Ces gens ne sont pas idiots. Ils viennent ici en grand nombre. J'ai les statistiques ici. En 2007, 25 ont présenté une demande. En 2008, lorsque l'on a retiré l'obligation d'obtenir un visa, 307 ont présenté une demande. Ils ont découvert un pays où coulent le lait et le miel, où l'on vous donne immédiatement des prestations d'aide sociale plus élevées que partout ailleurs. En 2009, 2 500 personnes ont présenté une demande. En 2010, ils étaient 2 300. En 2011, ils étaient 5 000. Les chiffres augmentent de manière exponentielle. C'est la raison pour laquelle il faut adopter ce projet de loi.
Le sénateur Angus : Parlez-vous de divers pays?
M. Skarica : Non, il ne s'agit que de la Hongrie — 500 millions de dollars pour ce pays. On voit la croissance exponentielle, qui risque de mettre notre pays en faillite.
Le sénateur Angus : Vous êtes un officier de justice, un procureur de la Couronne. Vous êtes en mesure de savoir tout cela. Ce n'est pas une critique que je fais. Vous vous videz le cœur devant nous et les téléspectateurs.
M. Skarica : Nous avons un plaidoyer de culpabilité.
Le sénateur Angus : Que pouvons-nous faire? C'est une arme à deux tranchants. La Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés ne semble pas fonctionner.
M. Skarica : Le ministre Kenney s'en occupe. On peut soit exiger un visa des pays qui abusent de la situation comme la Hongrie, soit établir le nouveau système. Cela ne vaut pas la peine. Rappelez-vous que c'est 50 000 $ parce qu'ils sont au pays pour trois ou quatre ans. Le processus sera accéléré de sorte qu'on règle le dossier en trois mois; ensuite, c'est inutile. À l'heure actuelle, ils le savent. Une centaine entrent au pays toutes les semaines.
Le sénateur White : Je vous remercie de votre excellent exposé. J'ai posé la même question à quelques autres personnes. Vous avez parlé des gens qui sont condamnés et du moment où on les libère et vous avez dit à quel point il est difficile, voire impossible, pour nous de les faire sortir du pays. Avez-vous réfléchi à la possibilité qu'il nous faille envisager d'adopter des mesures d'expulsion, comme la Suisse l'a fait, et comme les États-Unis l'ont fait après le 11 septembre et comme d'autres pays?
M. Skarica : J'imagine. La plupart de ces gens n'ont pas de statut. Ce sont de faux réfugiés. Nous leur accordons leurs six années, et ensuite nous les expulsons.
Le sénateur Baker : Ma question est très brève et n'est probablement aucunement liée au contenu de votre exposé, qui était très détaillé.
C'est au sujet du document que vous nous avez fourni. On y indique qu'il ne doit pas être distribué ni reproduit. Il est écrit ensuite « seulement avec la permission du sergent assistant, Tom Hughes ». Est-il illégal de nous le donner?
M. Skarica : J'espère que non. Pour l'essentiel, nous sommes d'avis qu'il s'agit d'un document judiciaire qui a été consulté maintes fois. Il est maintenant public. Cela a été fait plus tôt au cours des enquêtes sur le cautionnement.
Le sénateur Baker : J'ai une dernière question générale qui m'est venue en tête pendant votre exposé. Deux ou trois sénateurs ici étaient des policiers d'expérience dans leur ancienne vie. Nous avons examiné à maintes reprises le rôle du policier d'enquêter et de porter des accusations, et du procureur de la Couronne de déterminer si les accusations doivent être portées. Pendant votre exposé, j'avais l'impression que vous faisiez une enquête — que vous participiez à l'enquête avec la GRC. Est-ce le cas?
M. Skarica : Lorsque j'ai repris le dossier, il n'y avait que des accusations de traite de personnes. Après l'avoir examiné, nous avons ajouté des accusations de complot. Mon rôle est en quelque sorte multiple. Des accusations ont été portées, mais après avoir étudié le dossier, nous en avons ajouté. L'enquête s'est poursuivie durant tout le processus jusqu'au plaidoyer de culpabilité.
Le sénateur Baker : Merci.
Le président : Vous n'en avez pas parlé, mais vous avez reçu des menaces de mort. Avez-vous réussi à trouver d'où elles venaient?
M. Skarica : Je ne savais pas qui était Joy Smith. Elle a communiqué avec moi. Nous les avons tous fait incarcérer, sauf un homme, qui s'appelle Ferenc Domotor Jr. Nous ne pouvions pas l'amener à l'examen de la caution. Son avocat bloquait les choses constamment, et disait « je suis de la Cour suprême du Canada et j'ai des divulgations tardives », et cetera. Nous avons finalement obtenu notre troisième ou quatrième date en juin. Au cours de cette période, nous avons entendu dire que, parce qu'il était le dernier, un tueur à gages allait venir de la Hongrie pour assassiner les deux policiers, tous les témoins et moi-même. Comme je l'ai dit, il s'agit du crime organisé. Ces gens-là sont puissants, riches et font peur à la population là-bas. Aller en prison était quelque chose d'étranger pour eux, surtout compte tenu de ce qui s'est passé en Hongrie. Ils ont pris cette voie. Joy Smith l'a découvert, tout comme l'ASFC, mais d'une source différente. Il a été arrêté en Angleterre et était accompagné de six filles; cela indique donc qu'il se passait probablement autre chose.
Le sénateur Di Nino : Monsieur Skarica, vous avez expliqué que ces gens amenaient des esclaves au Canada pour travailler dans la construction. À qui appartenait l'entreprise de construction?
M. Skarica : Ce sont essentiellement les gens qui sont indiqués en jaune. On voit le nom de Ferenc Domotor dans les documents, mais dans la liste, il y a Ferenc Domotor Sr., Ferenc Domotor, à gauche, et Ferenc Domotor Jr.; et il a appelé son fils Ferenc Domotor. C'était difficile de savoir qui c'était, mais heureusement pour nous, Ferenc Domoto Jr. a témoigné et a dit qu'il était le propriétaire de l'entreprise, en partenariat avec Gyula Domotor et Attila Kolompar.
Le sénateur Di Nino : Ils n'ont pas été placés dans des entreprises de construction possiblement complices?
M. Skarica : Non.
Le sénateur D Nino : Ces gens ont-ils fait face à des accusations? Ils ne payaient probablement pas d'impôt et de cotisation à l'assurance-emploi, et cetera.
M. Skarica : Non.
Le sénateur Di Nino : Ne pouvions-nous pas faire quelque chose à cet égard également?
M. Skarica : Ce n'était pas nécessaire. Avec la traite de personnes, nous avions une preuve solide. Lorsque nous avons commencé, la durée des peines d'emprisonnement pour la traite de personnes au Canada variait de deux à cinq ans; c'est maintenant de six à neuf ans.
Le sénateur Di Nino : Je crois comprendre qu'à votre avis, l'adoption du projet de loi, que j'ai décrit comme étant modeste, mais important, vous serait utile pour ce genre d'affaires dans l'avenir.
M. Skarica : Il serait utile dès maintenant, car des affaires vont et viennent.
Le sénateur Di Nino : Cela vous aiderait à les attraper et à porter des accusations contre eux?
M. Skarica : Oui.
Le sénateur Unger : C'est une histoire très intéressante. Ma question est simple : qu'arrivera-t-il à ces gens lorsqu'ils sortiront de prison?
M. Skarica : Ils seront pratiquement tous déportés. Ceux qui ont un statut de réfugié et un statut d'immigrant admis ont donné de faux renseignements lorsqu'ils ont rempli les formulaires. On leur demande toujours s'ils ont déjà été accusés de quoi que ce soit dans le passé; ils ont menti. C'est l'ASFC et Emploi et Immigration Canada qui décident de leur sort. Ils ont le pouvoir de les poursuivre et de révoquer leur statut. La décision leur appartient.
Le sénateur Unger : Vous attendez-vous à un processus rapide?
M. Skarica : Je n'en ai aucune idée.
Le président : En ce qui concerne les photos de maisons que vous nous avez montrées, celle de Frank Domotor était sur la première diapositive?
M. Skarica : Oui.
Le président : La maison de son frère était sur la deuxième diapositive?
M. Skarica : C'est la dernière maison qui est celle de son frère.
Le président : Avez-vous dit un peu plus tôt qu'ils recevaient tous les deux de l'aide sociale?
M. Skarica : Tous les gens qui venaient ici recevaient d'abord de l'aide sociale. Soit dit en passant, dans un de ses plaidoyers, Gyongyi Kolompar a été reconnue coupable d'une fraude en matière d'aide sociale de 25 000 $, et elle habitait dans cette maison.
Le président : Lorsque les photos ont été prises et que toutes les accusations ont été portées, ils ne recevaient pas d'aide sociale?
M. Skarica : Non. Ils étaient l'exception à la règle, bien que, comme je l'ai dit, Gyongyi Kolompar devait 25 000 $ pour fraude et n'a jamais rien remboursé.
Le président : Il y a des règles qui s'appliquent en Ontario pour l'aide sociale. Sont-elles uniformes au Canada? Je sais que le domaine relève de la province. L'Ontario est-il, si on peut dire, un endroit où il est plus facile d'avoir accès à ce genre d'aide?
M. Skarica : Je ne le sais pas, mais je crois comprendre que chaque province a ses règles. Ce qui m'a choqué, c'est de découvrir qu'une fois que ces personnes, qui ont été reconnues coupables de fraude en matière d'aide sociale et qui ont un statut, sortent de prison, elles font une autre demande d'aide sociale. Même si elles ont été reconnues coupables de fraude en matière d'aide sociale, qu'elles doivent 25 000 $ et qu'elles vivent dans le luxe, elles peuvent redemander de l'aide sociale immédiatement.
Le président : La Couronne a-t-elle recours à des dispositions sur les produits de la criminalité pour saisir les biens?
M. Skarica : Ils étaient très malins. Pour l'essentiel, les maisons que vous voyez étaient hypothéquées au maximum. La valeur nette était de 100 000 $, et donc lorsque nous avons pu agir, il n'y avait plus rien. Ils ont perdu les maisons; ils les ont vendues essentiellement pour la valeur de l'hypothèque.
Concernant les 5 millions de dollars, nous avions des problèmes de ressources; encore une fois, nous n'avions que deux agents pour une enquête aussi énorme. Nous n'avons donc pas rencontré une bonne partie des employés et nous ignorons où est l'argent. Nous pensons que tout est retourné dans des bars et des restaurants en Hongrie. Que fait-on là-bas? On trouve des filles et des danseuses nues et cela continue. On m'a dit que c'est là que l'argent se trouve.
Le président : On n'a rien récupéré du tout?
M. Skarica : Non, rien. Nous ne savons même pas où est l'argent. C'est le meilleur renseignement que nous avons.
Le président : Merci, monsieur Skarica.
M. Skarica : C'est un honneur. Comme je l'ai dit, je suis un immigrant, et c'est un honneur pour moi d'être ici.
Le président : Votre témoignage a été très instructif pour nous tous. Je vous remercie beaucoup de votre présence.
(La séance est levée.)