Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 22 - Témoignages du 21 juin 2012
OTTAWA, le jeudi 21 juin 2012
Le Comité permanent sénatorial des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui, à 10 h 32, pour étudier la proposition de Règlement sur les renseignements relatifs aux armes à feu (armes à feu sans restrictions), déposée au Sénat le 13 juin 2012, conformément au paragraphe 118(3) de la Loi sur les armes à feu (L.C. 1995, ch. 39).
Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bienvenue à tous et à toutes, y compris aux membres du public qui suivent la réunion du Comité permanent sénatorial des affaires juridiques et constitutionnelles sur la chaîne CPAC. Aujourd'hui, nous poursuivons notre étude d'une proposition concernant la réglementation sur les renseignements relatifs aux armes à feu. La proposition a été déposée tant au Sénat qu'à la Chambre des communes le 13 juin par le ministre de la Sécurité publique, conformément au paragraphe 118(3) de la Loi sur les armes à feu. Le Sénat a renvoyé la proposition au comité le lendemain.
Le projet de loi C-19, Loi sur l'abolition du registre des armes d'épaule, a aboli le registre, qui contenait des détails concernant la cession d'armes à feu sans restrictions. Depuis ce temps, certains détaillants d'armes à feu ont été tenus, aux termes d'une condition dont est assorti leur permis, d'enregistrer les détails des cessions d'armes à feu sans restrictions. Le règlement proposé précise qu'une personne ne peut être tenue, aux termes d'une condition dont est assorti un permis délivré en vertu de la Loi sur les armes à feu : a) de recueillir des renseignements relatifs à la cession d'une arme à feu sans restrictions; b) si elle en recueille, de tenir un registre ou fichier de ces renseignements; ou c) si elle tient un tel registre ou fichier, de le tenir de manière à relier les renseignements identifiant le cessionnaire à ceux identifiant une arme à feu particulière ou à combiner ces renseignements, ou de manière à permettre qu'ils puissent être reliés ou combinés.
C'est la deuxième réunion que nous consacrons à l'étude de cette proposition. Nous allons donner la parole à notre premier groupe de témoins. Je suis ravi d'accueillir de nouveau M. Steve Torino, président de l'Association des sports de tir du Canada; M. Solomon Friedman, avocat dans la région d'Ottawa; et M. Greg Farrant, directeur des affaires gouvernementales et des politiques publiques de la Fédération des pêcheurs et chasseurs de l'Ontario.
Greg Farrant, directeur des affaires gouvernementales et des politiques publiques, Fédération des pêcheurs et chasseurs de l'Ontario : Bonjour à vous, monsieur le président, et bonjour aussi aux membres du comité et aux autres témoins. Au nom de la Fédération des pêcheurs et chasseurs de l'Ontario, et des 100 000 personnes membres de 675 clubs dans toute la province de l'Ontario, je me réjouis d'être ici aujourd'hui pour vous parler de la proposition de règlement. La FPCO a fortement appuyé le gouvernement dans son projet d'abolir le très lacunaire registre des armes d'épaule par le biais du projet de loi C-19. Nous l'appuyons également pour ce qui est de cette modification réglementaire. Je voulais le dire clairement dès le départ compte tenu du témoignage qu'a fait hier, devant le comité, le contrôleur des armes à feu de l'Ontario, Chris Wyatt. Il a dit, et je cite :
La... FPCO... reconnaît l'importance de tenir un registre des transactions d'armes à feu pour protéger ses membres.
Il a aussi fait remarquer que la FPCO avait affiché un formulaire sur son site Web que ses membres ou quiconque peuvent utiliser pour noter la cession d'armes à feu sans restrictions. Dans les faits, M. Wyatt avait raison sur le dernier point. Après l'adoption du projet de loi C-19, nous avons reçu quelques appels, moins d'une douzaine, de certains de nos membres qui cherchaient à obtenir des éclaircissements concernant ce qu'ils doivent faire lorsqu'ils cèdent une arme à feu sans restrictions à un autre particulier. Pour les aider, la FPCO a créé un simple formulaire qu'ils peuvent utiliser, s'ils le souhaitent, même s'ils ne sont pas tenus par la loi de le faire, et c'est très clairement indiqué sur le formulaire. Tout ce que cela montre, c'est que les propriétaires d'armes à feu sont, en réalité, des personnes consciencieuses et respectueuses des lois.
Notre priorité depuis l'adoption du projet de loi est de conseiller nos membres pour veiller à ce qu'ils vérifient que la personne à qui ils veulent céder une arme à feu sans restrictions détient un permis d'armes à feu en règle. Libre à eux de recueillir toute autre information pour leur propre compte. Il est un peu exagéré de laisser entendre que cela signifie que nous sommes en faveur de la collecte d'informations, et M. Wyatt n'aurait pas dû le faire étant donné que, au cours d'une réunion avec lui il y a quelques semaines à peine, nous avons mis un terme à la discussion prolongée à ce sujet en reconnaissant que nous étions en désaccord, comme l'ont fait les représentants de l'Association des sports de tir du Canada, qui étaient aussi présents. M. Wyatt connaît fort bien notre position là-dessus, et c'est dommage qu'il se serve des renseignements que nous donnons à certains de nos membres comme d'une approbation générale à la politique qu'il défend en Ontario, car c'est contraire aux faits.
Il a été dit plusieurs fois aux réunions du présent comité que les détaillants d'armes à feu tiennent des registres depuis des années. C'est exact. Cependant, j'aimerais corriger une idée fausse qui a été soulevée, peut-être involontairement, dans le cadre des questions posées au ministre au cours de la réunion d'un comité de la Chambre. À cette occasion, M. Randall Garrison a déclaré que le registre en question n'était pas en format électronique, si bien qu'il ne pouvait être consulté que par le biais d'un mandat. Je ne suis pas certain que le fait qu'il soit en format papier et non électronique fasse de différence si les renseignements servent à créer une base de données pour faire le suivi des propriétaires d'armes à feu en règle et respectueux des lois.
S'agissant du mandat, il a raison lorsqu'il affirme qu'un policier qui veut examiner les registres d'un détaillant dans le cadre d'une enquête doit obtenir un mandat. Par contre, le contrôleur des armes à feu n'est pas tenu de le faire, car le registre papier en question est considéré comme étant la propriété du CAF et non celle du détaillant, et il doit lui être remis à lui ou à son représentant sur demande — sans qu'un mandat soit nécessaire. Au cours de la même réunion, M. Norlock l'a confirmé lorsqu'il a fait remarquer que les détaillants lui avaient signalé que le CAF leur avait dit qu'il leur demanderait de temps à autres de lui transmettre leurs registres pour des raisons qui lui appartiennent. Je n'arrive pas à comprendre comment il est possible que cela n'alarme personne.
Il y a un autre point qui me préoccupe en ce qui concerne le libre accès du CAF à l'information et qui se rapporte directement à la question d'un registre de rechange. Il est fondé sur une réponse qu'a donnée M. Wyatt au présent comité lorsqu'on lui a demandé ce qu'il ferait si le projet de loi était adopté. Il a dit, et c'est une paraphrase, qu'il se tournerait vers le gouvernement de l'Ontario pour demander l'autorisation légale ou autre de créer un autre système de conservation des dossiers.
Il n'est pas tiré par les cheveux de suggérer que si la province de l'Ontario avait souhaité créer un registre provincial des armes d'épaule, malgré les coûts exorbitants que cela représente, elle pourrait se servir des données qui se trouvent dans le registre papier en question, qui appartient au CAF, qui relève du commissaire de la PPO qui, lui-même, relève du ministre de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels, pour créer un système de ce type. Étant donné que certains conseillers de la Ville de Toronto ont demandé la création de pareil registre et que divers groupes qui s'opposaient à l'abolition du registre des armes d'épaule dès le départ ont exercé des pressions, il n'est pas déraisonnable de laisser entendre que cela pourrait se produire.
Rappelez-vous que le premier ministre qui a déclaré à maintes reprises qu'il ne créera pas de registre provincial des armes d'épaule est la même personne qui a promis de ne pas hausser les impôts et qui l'a fait aussitôt qu'il est entré en fonctions.
Il a été suggéré ici et ailleurs que les détaillants, comme les autres témoins, verront cela comme une occasion de créer un système qui favorise la vente clandestine des armes à feu, et cela remet en question l'intégrité de ces détaillants et, en fait, celle des propriétaires d'armes à feu respectueux des lois.
Pendant son témoignage devant le comité de la Chambre, le ministre a présenté un bon argument lorsqu'il a fait remarquer que les criminels sont loin de faire la file devant les détaillants légitimes d'armes à feu pour essayer d'obtenir une arme en douce. Ces personnes n'ont pas été touchées par le registre des armes à feu au départ, elles n'ont pas acheté leurs armes légalement et elles ne les ont certainement pas enregistrées. Il leur importe peu d'acheter une arme en toute légalité. Elles achètent plutôt des fusils illégaux dans les rues de nos collectivités, et il s'agit dans la plupart des cas de pistolets passés en contrebande au Canada et utilisés expressément pour commettre un crime.
Le projet de loi déposé par le gouvernement au nom du premier ministre Harper veille à ce que l'intention du projet de loi C-19 soit respectée. Elle garantit que les informations que le CAF exige des détaillants comme condition pour la délivrance d'un permis ne seront pas recueillies. Elles ne peuvent donc pas être utilisées pour créer un autre type de registre des armes d'épaule.
Le premier ministre de l'Ontario a déclaré officiellement que si le gouvernement fédéral avait l'intention d'arrêter de recueillir les registres d'armes à feu sans restrictions, il devrait trouver un moyen de le faire. Son ministre de la Sécurité publique a abondé dans le même sens. En déposant ce projet de loi, le gouvernement Harper a relevé directement ce défi, et nous l'applaudissons. Je vous remercie encore, monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité, d'avoir eu l'amabilité de nous inviter à la réunion de ce matin.
Solomon Friedman, avocat, à titre personnel : Mesdames et messieurs les sénateurs, monsieur le président, je vous remercie de m'avoir invité à témoigner devant vous aujourd'hui. Je dois admettre que ma présence ici me donne une impression de déjà vu et je ne vous blâme pas d'en penser autant. En fait, cela fait à peine trois mois que le Parlement a adopté le projet de loi C-19, qui portait le simple titre de Loi sur l'abolition du registre des armes d'épaule. Il se trouve que ce projet de loi n'avait rien de simple, que ce soit du point de vue de son application ou de son interprétation.
Le 10 avril 2012, cinq jours après que le projet de loi C-19 a obtenu la sanction royale, les entreprises d'armes à feu ont reçu une lettre du contrôleur des armes à feu de l'Ontario. J'ai reçu des copies de cette lettre de diverses sources, dont de nombreux propriétaires d'entreprises en quête d'avis juridiques. J'en ai remis une copie au greffier du comité pour que vous puissiez l'examiner.
Dans sa lettre, le CAF, le surintendant de la Police provinciale de l'Ontario, Chris Wyatt, a informé les entreprises que malgré l'adoption du projet de loi C-19, son bureau exigerait que les entreprises tiennent un registre gouvernemental contenant toutes les informations concernant la cession d'armes d'épaule sans restrictions, dont la marque, le modèle, le numéro de série, les renseignements personnels de l'acheteur et le numéro de son permis d'armes à feu. Il a expliqué que ces registres demeureraient la propriété du CAF et qu'ils devaient être présentés pour inspection sans mandat en tous temps. Le défaut de maintenir les registres donnerait lieu à la suspension ou à révocation du permis d'armes à feu que le CAF leur avait délivré.
Le CAF a déclaré qu'à son avis :
Pour le contrôleur des armes à feu, l'inscription d'un enregistrement consiste en un numéro d'enregistrement ou un numéro d'immatriculation de l'arme, seulement.
Autrement dit, M. Wyatt croit que le projet de loi C-19 n'empêche pas son bureau, mis sur pied en application de la Loi sur les armes à feu, de maintenir un registre papier des armes à feu du moment qu'il n'y a pas de « numéro d'enregistrement » dans cette base de données. Cette annonce, coordonnée avec des avis semblables des CAF dans tout le pays, a déclenché un tollé parmi les organismes de défense des détenteurs d'armes à feu, les entreprises d'armes à feu, les chasseurs, les tireurs sur cible et les collectionneurs, et à juste titre.
Premièrement, les registres ne permettent de faire le suivi que des armes achetées dans des entreprises détentrices de permis. Par définition, la cession entre particuliers sera exemptée. En conséquence, on peut très bien concevoir que lorsqu'elle tentera de retracer une arme à feu en se servant du registre papier, la police concentrera, à tort, ses efforts sur la personne qui a acheté l'arme au détail à l'origine. On pourrait demander des mandats de perquisition pour ce faire; les particuliers pourraient être détenus et interrogés malgré le fait que l'arme à feu pourrait avoir changé de propriétaire d'innombrables fois, de façon entièrement légitime. Les policiers perdront du temps et gaspilleront des ressources inutilement. Un innocent sera pris au piège à cause d'un registre qui ne vaut rien. C'est dangereux au plan de la sécurité publique; c'est dangereux au plan des libertés civiles.
Deuxièmement, même si le CAF fait valoir que ces registres papier ne sont pas de vrais registres, M. Wyatt a quand même déclaré qu'ils seront utiles dans le cadre d'enquêtes policières. Sur ce point, il ne peut pas tout avoir. Soit il croit qu'ils sont utiles et qu'ils constituent une sorte de registre, soit il croit qu'ils sont inutiles et qu'ils ne devraient pas être maintenus.
Enfin, le Parlement, les législateurs de notre pays, a déclaré sans équivoque dans le projet de loi C-19 qu'il n'est pas souhaitable de maintenir un registre des achats d'armes à feu sans restrictions par les citoyens respectueux des lois. Cela n'est pas souhaitable et maintenant, après l'adoption du projet de loi C-19, c'est illégal, point final. Contrairement à la position du CAF, cela ne prête pas à l'interprétation.
En effet, des contrôleurs d'armes à feu comme M. Wyatt contrent la volonté de notre Parlement démocratiquement élu. Il revient aux policiers d'appliquer la loi telle qu'elle est écrite, pas comme ils souhaiteraient qu'elle le soit. Un État dans lequel la police fait les lois est un État policier, rien d'autre. Dans notre démocratie, nous ne pouvons pas tolérer des forces de l'ordre qui font un pied de nez aux législateurs et qui remplacent les décisions du Parlement en matière de politiques publiques par leurs propres vues et idéologies.
Le projet de loi qui a été déposé devant le Sénat cherche à corriger cette situation et il ne laisse aucune place à d'autres malentendus ou mauvaises applications du contrôleur des armes à feu. Je vous demanderais donc de recommander que le projet de loi soit adopté rapidement et sans modification. Merci beaucoup de votre aimable attention.
Steve Torino, président, Association des sports de tir du Canada : Merci aux membres du comité permanent d'avoir invité un représentant de l'Association des sports de tir du Canada à participer et à vous faire connaître les vues de ses membres ainsi que celles d'autres propriétaires et utilisateurs d'armes à feu canadiens.
Je m'appelle Steve Torino et je suis le président de l'Association des sports de tir du Canada. Je suis aussi coprésident du Comité consultatif sur les armes à feu qui relève du ministre de la Sécurité publique, Vic Toews. J'occupe ce poste depuis six ans. De 1996 à 2003, j'ai présidé le Groupe consultatif des utilisateurs d'armes à feu pendant les mandats des ministres de la Justice Allan Rock, Anne McLellan et Martin Cauchon, et j'ai ensuite participé au Comité consultatif du Programme du commissaire aux armes à feu William Baker, dans le cadre duquel j'ai présidé le Sous-comité des armes à feu.
L'Association des sports de tir du Canada représente les tireurs sur cible, les chasseurs et les collectionneurs canadiens. Le nombre de communications que nous recevons concernant l'abolition du registre des armes d'épaule et sa mise en œuvre montre que cela importe beaucoup à nos membres et qu'ils se préoccupent grandement de ce sujet. La question de l'affaire portée devant les tribunaux au Québec et celle des entreprises qui doivent continuer à tenir les mêmes registres qu'avant l'adoption du projet de loi C-19 suscitent de vives inquiétudes.
L'ASTC salue le règlement proposé par le gouvernement, qui renforce et clarifie son engagement à faire preuve d'équité pour les millions de Canadiens qui possèdent des armes à feu. Les gens qui ne comprennent pas la nature du commerce légitime d'armes à feu et qui présument qu'il n'y aura pas de registres ont exprimé des préoccupations. C'est très peu probable. Les armes à feu sont des biens qui coûtent cher. Les renseignements liés à la vente sont conservés pour des questions de garanties et d'assurances. Je dois préciser qu'il s'agit de renseignements sur les ventes, de registres de ventes. De plus, les gens qui ont des armes à feu ont des responsabilités semblables à celles liées à la possession d'autres biens dans notre société, comme les véhicules. Notre communauté a toujours pris cette responsabilité très au sérieux et il y a très peu d'échecs.
Comme on le montre depuis très longtemps, les propriétaires d'armes à feu et les entreprises détenant un permis n'ont rien à voir avec le problème de la criminalité. Ils ont toujours fait partie de la solution. Toutefois, les dispositions législatives actuelles, plus précisément, le registre, criminalisent la possession légitime et la circulation des armes d'épaule sans documents autorisés, et n'ont aucun effet sur la réelle utilisation d'armes à feu à des fins criminelles. Il a été démontré que de façon malavisée, on n'a pas ciblé le bon public. En n'étant pas axé sur la réelle utilisation d'armes à feu à des fins criminelles, le programme était prédestiné, au mieux, à décevoir, ce que bon nombre de Canadiens reconnaissent depuis. Le gouvernement actuel le reconnaît également et, en abolissant le registre des armes d'épaule, il a agi au nom des propriétaires d'armes à feu responsables.
J'aimerais maintenant présenter des faits qui peuvent être pertinents dans le cadre de toutes les délibérations du comité qui auront lieu sur le règlement présenté. Les Canadiens possèdent de 15 à 20 millions d'armes légères, et il s'en ajoute environ 250 000 par année. Cependant, le taux d'homicides commis avec une arme à feu est de 0,5 p. 100 ou représente environ 175 personnes par année. Le nombre d'homicides commis avec des armes à feu enregistrées au nom du meurtrier représente moins de 3 p. 100 de ce chiffre.
Selon Juristat, en ce qui concerne les homicides commis en 2010 au Canada, la diminution du nombre d'homicides commis avec une arme à feu depuis le début des années 1980 est en grande partie liée à la diminution du nombre d'homicides commis avec une carabine ou un fusil de chasse. Le programme a débuté en décembre 1998 et on avait jusqu'en janvier 2003 pour enregistrer toutes les armes, soit bien après que le nombre d'homicides a commencé à diminuer.
Le nombre de propriétaires honnêtes d'armes à feu et le nombre d'armes à feu légales au Canada augmente chaque année, et le Canada renforce sa ligne défensive contre les marchés illégaux avec l'aide des gens qui possèdent des armes légales. Il est essentiel de comprendre que si la circulation légale d'armes à feu n'existait pas, il n'y aurait que des marchés illégaux.
En mars dernier, plus de 1.9 million de personnes détenaient un permis d'armes à feu. Les renouvellements ont augmenté d'environ 40 p. 100 par rapport à la même période l'an dernier, et plus de 80 p. 100 des permis délivrés concernaient l'acquisition. Pour nos membres, cela signifie que le débat sur l'abolition du registre a eu des effets positifs et que le Canada renforce sa ligne défensive contre les marchés illégaux avec l'aide des gens qui possèdent des armes légales.
La ligne de défense majeure contre les marchés noir et gris des armes à feu, ce sont les gens qui possèdent des armes légales, tant les individus que les entreprises qui ont un permis. Après l'individu, l'entreprise est la principale ligne de défense parce qu'elle est ouverte à tout le monde presque tous les jours de la semaine.
On l'a répété, en général, les entreprises qui ont un permis sont toujours tenues garder les mêmes registres pour la cession d'armes à feu. Beaucoup de gens ont contesté le fait que cette pratique soit conservée compte tenu de l'adoption du projet de loi C-19; il semble qu'on recrée discrètement un registre. Je pense que mes collègues ont déjà fait des commentaires à ce sujet.
Nos membres croient que la volonté du Parlement a été exprimée par l'adoption du projet de loi C-19. C'est simple : ils sont d'avis que la proposition de Règlement sur les renseignements relatifs aux armes à feu précise davantage les intentions et la volonté du Parlement concernant le registre, et c'est maintenant la loi du pays. La volonté ne semblera pas être acceptée par tous tant que le règlement ne sera pas adopté.
En terminant, l'Association de sports de tir au Canada et les propriétaires d'armes à feu à des fins récréatives sont encouragés par l'attention immédiate que le gouvernement a accordée à la question, et demande respectueusement au gouvernement de maintenir le cap et de continuer à présenter des mesures législatives équitables et efficaces.
Le sénateur Fraser : Bonjour messieurs. Je vous remercie tous de votre présence. Permettez-moi de remonter aux années précédant la création du registre des armes d'épaule, à l'époque où les marchands étaient obligés de conserver les registres, les livres verts.
Savez-vous si des citoyens honnêtes et respectueux des lois qui possédaient des armes ont eu des problèmes en raison de ces registres? N'importe qui peut commencer, mais ma question s'adresse à tout le monde.
M. Friedman : Avant que mes collègues répondent à la question d'un point de vue historique, je signalerai simplement une différence entre la situation de l'époque et la situation actuelle.
À l'heure actuelle, c'est-à-dire depuis l'abolition du registre des armes d'épaule, il y a une base de données fédérale centralisée de propriétaires d'armes titulaires de permis. À une autre époque, lorsque nous discutions du système avant la création du registre, il n'y avait pas de système de permis d'armes à feu. Il y avait des systèmes d'autorisation d'acquisition d'armes à feu, mais il n'y avait aucun moyen de déterminer sur-le-champ et avec certitude, comme c'est le cas aujourd'hui, qu'une personne qui achète une arme à feu a un permis, n'est pas soumise à une interdiction et que le permis n'est pas expiré ou suspendu.
En fait, sénateur, vous vous souviendrez sans doute que dans le cadre du projet de loi C-19, le Programme canadien des armes à feu offre maintenant une ligne spéciale à laquelle les entreprises et les gens peuvent téléphoner pour déterminer si une personne a un permis. Si l'un des objectifs des anciens registres était de conserver un dossier pour s'assurer que la police peut vérifier si ces personnes avaient l'autorisation, cette exigence est maintenant altérée par le fait qu'il y a une base de données centrale.
Lorsqu'on revient sur la situation, c'est vraiment comme si l'on comparait des pommes et des oranges. C'était peut- être nécessaire à l'époque; on n'a plus à faire de commentaires là-dessus maintenant. Toutefois, puisqu'il y a une ligne téléphonique spéciale pour déterminer la légitimité d'un permis, la logique n'est plus la même.
Le sénateur Fraser : En fait, je voulais savoir si vos membres ont eu des problèmes à cause des registres. M. Torino s'en souvient peut-être.
M. Torino : Les registres ne s'appliquaient qu'aux marchands. La grande majorité des armes à feu étaient cédées, et le sont aujourd'hui, d'une personne à l'autre. On importe environ 250 000 armes à feu par année actuellement. Puisque la GRC a enregistré 800 000 cessions en 2011, la grande majorité des transactions se fait entre individus.
Je pense qu'on peut aller plus loin dans la logique pour tenir compte du fait qu'à l'époque, l'exigence s'appliquait seulement à l'acquisition et non à la possession. Lorsqu'on faisait la cession d'armes à feu lors d'expositions, dans les clubs d'armes à feu, peu importe l'endroit, il ne suffisait que de montrer son permis et d'accepter l'arme à feu. Il n'y avait pas de dossier, et donc il n'y en avait pas pour la grande majorité des armes à feu au Canada.
Le sénateur Fraser : Ne serait-ce pas toujours vrai si nous maintenions le système de registres?
M. Torino : Non, car deux choses s'appliquent ici, à mon avis. Premièrement, le taux d'erreurs dans le registre des armes d'épaule touchait 50 p. 100 — disons 45 p. 100. Deuxièmement, environ la moitié des armes à feu au Canada étaient dans le système pour un certain nombre de raisons dont on a discuté dans le passé. Il y avait un registre sur peut-être 25 p. 100 des armes à feu au Canada, et il n'était pas obligatoire de conserver les armes d'épaule à un endroit particulier, comme c'est le cas pour les armes à feu à autorisation restreinte ou prohibée.
Une arme d'épaule peut être transportée n'importe où sans permis et peut être conservée n'importe où; on ignore donc vraiment où se trouve l'arme et qui l'a en sa possession. Par exemple, je pourrais vous en prêter une, que vous pourriez prêter au sénateur à côté de vous, et je ne saurais jamais où elle se trouve. Tout ce que je sais, c'est que je vous l'ai prêtée, que vous aviez un permis et que je ne sais plus où elle se trouve.
Cela ne donne donc vraiment rien. Les registres de l'époque ne s'appliquaient qu'aux marchands, et ils n'étaient accessibles que localement.
Les sénateur Fraser : Je crois comprendre que s'il n'y a aucun changement, ce sera toujours le cas.
Monsieur Farrant, avant la création du registre d'armes d'épaule, est-ce que l'existence des registres causait des problèmes à vos membres et trouvaient-ils que c'était un fardeau et un processus complexe?
M. Farrant : Je pense que généralement, nos membres vous diraient qu'ils ont toujours été d'avis, avant et après l'abolition du registre des armes d'épaule, que des détaillants leur demandaient de fournir beaucoup plus de renseignements que l'exigeait la loi. Bon nombre le font encore aujourd'hui. Le CAF le sait très bien parce qu'il doit continuellement dire à des détaillants qu'ils demandent trop de renseignements, qu'ils le font depuis un certain temps, et que ce n'est pas nécessaire. Nous avons toujours eu un problème concernant ce que les marchands pensent devoir recueillir pour respecter les exigences du CAF, et certains d'entre eux ont fait du zèle au fil des ans simplement parce qu'ils craignaient de perdre leur permis s'ils « ne jouaient pas le jeu ».
C'est un problème pour nos membres. C'en était un à l'époque du système d'AAAF, et c'est certainement le cas également depuis la création du registre des armes d'épaule, oui.
Le sénateur Fraser : Cela leur posait problème parce que les marchands d'armes allaient plus loin que ce qui était exigé?
M. Farrant : De plus, ils leur demandaient des renseignements qui n'étaient pas nécessaires.
Le sénateur Fraser : Les marchands?
M. Farrant : N'importe qui. La variabilité du système est un problème de longue date et existait même à l'époque de l'AAAF, car rien n'a jamais été clair. Certains demandent des renseignements, d'autres non; certains en demandent plus ou moins que d'autres. C'est la réalité : les marchands ne cessaient de dire à nos membres et à n'importe quel propriétaire d'armes à feu raisonnable du pays qu'ils devaient le faire parce qu'ils craignaient d'être poursuivis s'ils ne recueillaient les renseignements.
Le sénateur Fraser : C'est très intéressant, car hier soir, nous avons eu l'occasion d'examiner l'un des registres, et c'était très clair; il y avait des colonnes avec des titres précis dans lesquelles il fallait inscrire des renseignements précis, et il n'y avait pas d'espaces vides pour ajouter quoi que ce soit. Comme nous l'a rappelé le sénateur Baker hier soir, les garanties des fabricants nécessitaient beaucoup plus de renseignements que ce qui était exigé pour les registres. Je me demande si cela n'a pas entraîné en partie la confusion.
Le sénateur White : Si le règlement est adopté — et dites-le-moi si je me trompe —, les propriétaires d'entreprises devront encore convaincre le contrôleur des armes à feu que leur système de vérification interne et leur inventaire sont maintenus convenablement. La différence, c'est qu'il s'agira de leurs dossiers, et que peu importe de quelle façon qu'ils devront s'y prendre, ce ne sera pas un registre du CAF.
M. Friedman : Je crois que c'est vrai. Pour l'essentiel, les entreprises d'armes à feu relèveront de deux régimes de réglementation. Elles seront tenues de respecter la même obligation que les citoyens ordinaires doivent respecter lorsqu'ils cèdent des armes à feu de façon légitime, c'est-à-dire qu'ils doivent être convaincus que le cessionnaire est titulaire d'un permis qui n'est pas expiré ou suspendu pour une raison ou une autre.
Le contrôleur des armes à feu a l'autorité de réglementer les permis des entreprises, et bien entendu, c'est le pouvoir qu'il utilise pour conserver les registres. Le CAF peut imposer beaucoup de choses raisonnables aux entreprises pour s'assurer qu'elles vendent leurs armes de façon légitime. Toutefois, à mon avis, le registre des armes à feu contrevient au projet de loi C-19, et c'est la seule partie qui est touchée par le règlement dont le comité est saisi.
Le sénateur White : En fait, nous avons examiné le registre. On nous en a présenté un hier soir. On pouvait voir l'insigne du CAF sur la couverture. Ce n'est pas du tout le dossier de l'entreprise, mais bien celui du contrôleur, et le but, c'est que le propriétaire d'entreprise conserve ses propres dossiers, bien entendu, s'il veut continuer à vendre des armes à feu. Par contre, d'une façon réaliste, un contrôleur des armes à feu d'une province ne devrait pas avoir à conserver un dossier pour elle, puisque le registre a été aboli.
M. Friedman : C'est tout à fait vrai. Comme vous l'avez dit, sénateur, tout ce qu'il faut faire, c'est regarder la couverture, et vous savez que ce n'est pas un document privé pour lequel on exigera, par exemple, l'obtention d'un mandat pour l'inspection. C'est la propriété du contrôleur des armes à feu, et le Parlement a dit que le gouvernement n'exige plus la tenue de registres sur l'enregistrement ou la cession d'armes d'épaule.
Le sénateur Angus : Bonjour à tous, et merci de votre présence.
Monsieur Torino, les chiffres sont stupéfiants : 250 000 nouvelles armes chaque année. À un moment donné, vous avez parlé d'« importation ». Toutes ces armes viennent-elles de l'étranger?
M. Torino : Oui, sénateur. Le Canada est une nation d'importateurs, du moins pour ce qui est des armes à feu. Nous avons un fabricant, Savage, et ses armes sont surtout expédiées aux États-Unis.
Le seul autre fabricant important, c'était Para Ordnance, une entreprise de Toronto, qui fabriquait des armes de poing, mais elle est déménagée aux États-Unis. Environ 60 p. 100 de nos importations viennent de notre voisin du Sud, et le reste vient de l'Europe, de l'Asie et d'ailleurs. Toutes les armes importées passent par les contrôles à l'exportation et à l'importation du ministère des Affaires étrangères.
Le sénateur Angus : Il y a donc une surveillance; cela ne se fait pas en catimini.
M. Torino : Pour toutes les armes à feu importées qui sont expédiées à des entreprises, mais aussi à des personnes, il faut obtenir un permis d'importation qui précise la marque, le modèle, le numéro de série, et cetera. Bien entendu, toute nouvelle marchandise est examinée dans le laboratoire de la GRC.
On contrôle les exportations de la même façon. Il faut demander un permis d'exportation. Si en tant que marchand, je souhaite exporter une arme à feu aux États-Unis ou ailleurs, je dois obtenir un permis d'exportation et prouver que l'arme à feu a été légitimement acquise au Canada, indiquer d'où elle vient, et cetera. On m'accorde un permis d'exportation seulement une fois que le pays importateur a accordé son permis d'importation. Par exemple, Affaires étrangères fait concorder le permis d'importation des États-Unis avec le permis qu'il est sur le point d'accorder. Lorsqu'en tant que marchand, je reçois le tout, je peux alors expédier l'arme à feu selon les méthodes approuvées.
Le sénateur Angus : Vous les avez appelées des armes légères. Elles sont toutes des armes de poing, n'est-ce pas?
M. Torino : Non, monsieur; la grande majorité sont des armes d'épaule.
Le sénateur Angus : Les armes légères comprennent-elles les armes d'épaule?
M. Torino : Il n'existe pas vraiment de définition d'armes légères. Les armes légères comprennent toutes les armes qu'une personne peut tenir à une ou deux mains. Cela comprend les armes de poing, les armes d'épaule, les carabines, les fusils de chasse, et cetera.
Le sénateur Angus : Il y a une autre chose que je n'ai pas comprise, et je pense que c'était aussi le cas de certains de mes collègues. Vous avez parlé de gérer les armes en passant par les marchands, mais ensuite, vous avez dit que plus de 50 p. 100 des cessions — ce qui signifie, si j'ai bien compris, le changement de propriétaire de ces armes — s'opèrent directement entre les personnes concernées. Je pense que vous avez dit que certaines de ces cessions s'opéraient pendant des expositions d'armes à feu ou d'autres expositions. Pouvez-vous nous en dire plus? Il est évident que ces cessions ne sont pas réglementées.
M. Torino : Elles sont tout à fait réglementées. Lorsqu'on dit qu'elles sont réglementées, il faut savoir que jusqu'à l'adoption du projet de loi C-19, toutes les cessions devaient être approuvées. Toutes les armes à feu ont été cédées légalement. On vous donnait un numéro de référence et l'acheteur obtenait un nouveau numéro de certificat et l'arme ne pouvait pas être cédée sans cela. C'est le cas depuis décembre 1998. Je ne suis pas au courant de problèmes dans ce domaine. Toutes les armes ont été cédées légalement.
En ce moment, le projet de loi C-19 exige que l'acheteur possède un permis et que le vendeur s'assure que le permis est valide à ce moment-là.
Le sénateur Angus : Êtes-vous en train de dire que les cessions qui s'opèrent entre deux particuliers ne sont tout simplement pas enregistrées?
M. Torino : Non, elles sont toutes enregistrées. Les 800 000 cessions comprenaient le nombre approximatif d'importations. L'équilibre était entre les personnes ou, par exemple, lorsqu'un importateur enregistre une arme, la vend à un distributeur qui la vend ensuite à un détaillant, qui la vend à un particulier. Il y a donc série de cessions, mais le nombre d'importations ne change pas. L'équilibre est déjà déterminé dans le pays, que ce soit entre un marchand et un particulier ou entre un particulier et un autre, et ces gens déclarent ensuite par téléphone qu'on procédera à une cession de l'arme. On procède à une vérification avant que l'acheteur montre son permis, que le vendeur montre le sien et qu'on fournisse une description de l'arme.
Le sénateur Angus : J'ai aussi été stupéfait par les erreurs que vous avez mentionnées lorsque vous critiquiez le registre. Quel type d'erreurs? S'agit-il seulement d'erreurs administratives?
M. Torino : Les erreurs que j'ai mentionnées proviennent du rapport de 2009 de la GRC, qui a signalé les cas de 3,4 millions d'armes qui présentaient des erreurs. Elles étaient désignées inconnues ou leur numéro de série était incorrect.
Nous ne devons pas oublier qu'un grand nombre d'armes importées ont d'abord été utilisées par des militaires au cours de la Première Guerre mondiale, de la guerre des Boers, et cetera, et qu'elles ont été transformées en armes à feu pour la chasse ou le sport. À peu près toutes les armes militaires n'ont aucune inscription, car le pays qui les livre à ses soldats leur donne simplement une carabine et leur dit d'aller faire ce qu'ils ont à faire.
Une personne qui achète une telle arme légalement ne sera probablement pas en mesure de l'identifier. S'agit-il d'une Mauser ou d'une Lee-Enfield? Elle cherchera des traces et utilisera les indices qu'elle peut trouver pour déterminer la marque et le modèle. Les gens devaient enregistrer leurs armes à feu avant janvier 2003. La plupart d'entre eux n'avaient aucune idée de ce qu'ils enregistraient et aucune vérification n'a été effectuée.
Des erreurs se produisent. Dans un grand nombre de cas, on a donné le numéro de brevet au lieu du numéro de série. On s'en rend compte seulement pendant la cession. Le programme n'avait pas les ressources nécessaires pour vérifier toutes les armes à feu. Environ 7 millions ont été enregistrées. C'est pourquoi on se retrouve dans cette situation.
Le sénateur Angus : Je comprends. Merci.
Le sénateur Peterson : Monsieur Friedman, j'ai peut-être mal compris, mais je pense que vous avez dit qu'après l'adoption du projet de loi C-19, le fait de tenir un registre était en quelque sorte antidémocratique. Ainsi, si une province ou une municipalité adoptait une loi qui permettait de tenir un registre, cela serait-il toujours antidémocratique en vertu du projet de loi C-19?
M. Friedman : Oui. Permettez-moi de faire la distinction entre deux démarches législatives.
Le contrôleur des armes à feu, même s'il porte un uniforme de la Police provinciale de l'Ontario et en est un officier supérieur, est une création du Parlement. Il est régi par la Loi sur les armes à feu. Cette loi contient une disposition qui offre un choix, ce qui signifie qu'une province — par exemple, l'Ontario — qui souhaite participer peut nommer son propre contrôleur des armes à feu parmi ses policiers; toutefois, ses tâches relèvent de la Loi sur les armes à feu.
La Loi sur les armes à feu a été modifiée par des dispositions transitoires dans le projet de loi C-19. J'aimerais attirer votre attention sur les paragraphes 29(1) et 29(2), où le paragraphe 29(2) est ainsi libellé :
Le commissaire aux armes à feu veille à ce que, dès que possible, tous les registres et fichiers relatifs à l'enregistrement des armes à feu autres que les armes à feu prohibées ou les armes à feu à autorisation restreinte...
Si une province, qui n'est pas assujettie à la Loi sur les armes à feu ou au projet de loi C-19, souhaitait tenir un registre des armes à feu, de la même façon qu'elle a les pouvoirs et les compétences nécessaires pour enregistrer les automobiles et les permis de pêche, cela serait acceptable. Le contrôleur des armes à feu ne peut pas utiliser la Loi sur les armes à feu, la même loi qui l'oblige à détruire tous les registres et fichiers relatifs à l'enregistrement.
À mon avis, tous les registres tenus entre 1995 et aujourd'hui constituent des registres et fichiers relatifs à l'enregistrement des armes à feu qui doivent être détruits par le contrôleur des armes à feu.
J'aimerais seulement souligner que dans sa lettre, que j'ai remise au comité, il a écrit : « Le projet de loi C-19 ne définit pas dossier d'enregistrement ». Il dit qu'à son avis, ce n'est qu'un chiffre.
Je ne sais pas s'il a reçu de mauvais conseils juridiques ou s'il a tout simplement mal lu la loi, mais les mots « dossier d'enregistrement » ne sont jamais utilisés dans le projet de loi C-19.
On dit plutôt « ... tous les registres et fichiers... qui relèvent de lui... » — c'est-à-dire Chris Wyatt — « relatifs à l'enregistrement des armes à feu... » Si un cahier qui contient la marque, le modèle, le numéro de série, des renseignements concernant le permis de l'acheteur, son adresse, et cetera, n'est pas un registre relatif à l'enregistrement des armes à feu, je ne sais pas ce qui constitue un tel registre.
À mon avis, l'entorse à la démocratie, dans ce cas-ci, l'empêche de remplir ses obligations en vertu du projet de loi C-19.
Le sénateur Peterson : Si la province adoptait une loi qui permettait de tenir un registre, il pourrait le faire.
M. Friedman : Je ne sais pas s'il pouvait le faire en tant que contrôleur des armes à feu. Les provinces pourraient payer et le faire. En ce moment, évidemment, la Loi sur les armes à feu les finance aussi. Je ne vois pas de problème constitutionnel majeur avec le fait que les provinces le fassent de leur propre chef.
Il utilise l'autorité législative que lui confère la Loi sur les armes à feu pour le faire et, à mon avis, on ne peut pas autoriser cela.
Le président : Avant le projet de loi C-68, existait-il un régime réglementaire provincial?
M. Friedman : Oui, et c'est pourquoi j'ai précisé les enregistrements de 1995 à aujourd'hui. Le système de registre actuel est mis en œuvre par une mesure subséquente au projet de loi C-68. Je ne crois pas que les registres qui datent d'avant le projet de loi C-68 seraient des registres relatifs à l'enregistrement des armes à feu. Je pense qu'il s'agit d'un problème grave qui n'est pas directement visé par ces règlements, mais qui existe toujours relativement au comportement du CAF.
Le sénateur Campbell : Merci beaucoup d'être ici aujourd'hui.
Ne serait-il pas plus logique d'attendre simplement que l'affaire soit réglée devant les tribunaux du Québec pour connaître l'avis de la Cour suprême à ce sujet, au lieu de prendre de nouveaux règlements? Cela pourrait être jugé invalide — et je soupçonne que ce sera le cas —, ce qui nous ramènerait à la case départ dans notre démarche pour déterminer l'approche à adopter en ce qui concerne le registre des armes à feu, l'enregistrement et tout ce qui s'ensuit.
M. Friedman : La question m'est-elle adressée?
Le sénateur Campbell : Tout le monde peut y répondre.
M. Farrant : Je ne sais pas comment répondre à cette question. L'affaire qui oppose le Québec au gouvernement fédéral sur la question de savoir si on devrait avoir accès aux registres ou l'administration de ces registres est fondée sur l'opposition de la province au projet de loi C-19.
Si nous arrêtons tout dans l'attente de cette décision, et que le processus juridique s'éternise, entre-temps, nous serons toujours aux prises avec cette question qui, à notre avis, représente un problème. Laissons-nous ce problème persister en attendant le dénouement d'une affaire judiciaire, ce qui pourrait prendre encore quelques années si l'affaire se rend à la Cour suprême — ce qui, comme vous l'avez dit, risque fort d'arriver? Ce qui n'est pas bien n'est pas bien, et savoir que quelque chose n'est pas bien et ne pas s'en occuper, c'est pire que s'asseoir et tenter de prévoir ce qui va arriver. La Cour suprême pourrait être de cet avis, et dans ce cas, tout ceci n'est qu'une perte de temps.
Nous ne partageons pas cet avis.
Le sénateur Campbell : Vous dites que ce n'est pas bien et j'affirme le contraire. C'est simple.
M. Friedman : Il peut être utile, dans ce cas, d'opposer la position du Québec avec celle du contrôleur des armes à feu qui nous amène devant le comité aujourd'hui. Le Québec est prêt à avancer les fonds nécessaires. La province dit qu'elle est prête à payer pour conserver le registre. Elle veut seulement avoir les anciennes données. C'est la façon démocratique de contester le projet de loi C-19.
Le contrôleur des armes à feu dit qu'on ne veut pas payer pour avoir un registre. Dalton McGuinty a dit publiquement que l'Ontario n'a pas l'intention de créer un registre des armes à feu distinct. Toutefois, il veut avoir tous les avantages que présente un registre des armes à feu sans avoir à faire la chose appropriée, c'est-à-dire le contester devant les tribunaux.
En ce qui concerne le cas du Québec, il s'agit de la seule province qui a exprimé un intérêt en ce sens. Je joue peut-être à la diseuse de bonne aventure, mais la Cour suprême devra peut-être rendre une décision sur la question distincte du Québec et son intention de conserver un registre des armes à feu, et pas nécessairement sur ce que cela signifie pour l'ensemble du Canada.
Le président : J'ai peut-être trop interprété ce que le ministre a dit hier lorsqu'il a comparu, mais il a parlé de retirer les données du Québec des renseignements, ce qui indiquerait encore une fois que seules les données du Québec seraient conservées, en attendant la décision du tribunal.
M. Friedman : En ce moment, même aujourd'hui, trois mois plus tard, les données du reste du pays sont tellement dépassées qu'il faudrait essentiellement ouvrir un nouveau registre pour chaque province, étant donné le nombre de cessions qui s'opèrent chaque année. Il s'agit d'une question qui ne concerne que le Québec.
Le sénateur Di Nino : Monsieur Farrant et monsieur Torino, on a dit que les provinces avaient la capacité de créer leur propre registre à l'aide de certains mécanismes qui existent dans la loi. Aimeriez-vous que cela se produise?
M. Torino : Je pense que c'est la loi fédérale qui s'applique aux armes à feu. Je crois que le gouvernement fédéral a la compétence nécessaire pour prendre cette décision, et si une province souhaite le faire, elle doit d'abord en discuter avec le gouvernement fédéral; les deux gouvernements doivent ensuite s'entendre.
Je ne pense pas que mon avis — ou celui de M. Farrant — pourrait avoir une influence quelconque sur la question; c'est aux deux gouvernements de s'entendre.
Le sénateur Di Nino : Le ministre a dit hier que, si les provinces le souhaitaient, les mécanismes nécessaires existaient. J'aimerais savoir si vos membres voient cela d'un bon œil.
M. Farrant : Je suis heureux de répondre à cette question. Non, ils n'accueilleraient pas cela à bras ouverts. La création d'un registre provincial présenterait les mêmes problèmes que le registre fédéral à ses débuts : les erreurs, les défauts et le fait qu'il n'a pas rempli le mandat que son créateur, M. Rock, lui avait donné, c'est-à-dire améliorer la sécurité publique et sauver des vies. Un registre provincial n'y arriverait pas non plus.
Tout d'abord, cela serait trop dispendieux. Deuxièmement, M. Friedman a mentionné le point essentiel qu'en raison des données dépassées, il serait extrêmement compliqué d'effectuer la mise à jour, et peut-être impossible. Plus important encore, ce registre ne serait pas mieux que celui du fédéral, qui n'a pas atteint son objectif. Non, nous n'appuierions pas un registre provincial.
M. Torino : Je pense qu'au bout du compte, il a été prouvé qu'aucun registre n'empêchera la perpétration d'un crime. Au mieux, il pourra aider, un jour, à résoudre certains crimes.
En ce qui concerne les armes à feu retracées, dans environ 5 p. 100 des cas, on peut remonter à l'enregistrement, et dans possiblement 2 p. 100 des cas, au premier propriétaire. C'est la preuve que le registre n'a pas été très utile et qu'il n'a certainement pas empêché des crimes d'être commis.
Si une province souhaite le faire, nos membres ne seraient certainement pas d'accord, mais je pense, comme je l'ai dit, qu'il revient au gouvernement fédéral et aux provinces de s'entendre là-dessus.
Le sénateur Fraser : Merci beaucoup.
Je pense qu'il est très important de se rappeler que nous ne parlons plus du registre des armes à feu. Nous parlons de registres particuliers, par exemple, des registres des ventes tenus par des entreprises.
Je ne vois aucune disposition qui indique que ces registres des ventes se transformeraient en un registre des armes à feu du type visé par le projet de loi C-19.
Votre argument juridique m'intéresse, monsieur Friedman. Je vous fais cependant remarquer que le projet de loi C- 19 ne modifiait pas l'article 58 de la Loi sur les armes à feu, lequel permet aux contrôleurs des armes à feu de fixer pour les entreprises les conditions qu'ils jugent raisonnables.
Nous avons entendu des agents de police hier et au cours de nos audiences très détaillées au sujet du projet de loi C-19. Même ceux qui étaient en faveur de l'abolition du registre des armes d'épaule considéraient que la tenue de registres de ventes par les entreprises constituait pour eux un outil important. Ces registres ne sont — de toute évidence — pas une panacée, mais ils demeurent des outils qui ne seraient utilisés qu'une fois le crime commis.
La tenue de registres de ventes n'aurait aucun effet sur qui que ce soit tant qu'un crime n'aurait pas été commis. Quand un crime a été commis, le processus en place est assez lourd, comme on a pu le constater, et si l'arme a été cédée, les registres de ventes peuvent seulement fournir à la police un point de départ pour la conduite de leur enquête.
Il y a cependant quelque chose que je ne saisis pas tout à fait. J'aimerais que vous m'expliquiez pourquoi un groupe qui, comme le vôtre, proclame avec tant d'insistance qu'il respecte la loi — et je sais que vous le faites — s'opposerait au maintien de cet outil dont la police dit avoir besoin.
M. Farrant : Je serai très heureux de répondre à cette question, sénateur, et je vous en remercie.
Je dois d'abord préciser que vous avez entièrement raison : la police doit obtenir un mandat pour examiner ces registres. C'est tout à fait exact.
Malheureusement, en Ontario en particulier — je vais parler de l'Ontario parce que c'est là que nous sommes établis —, il n'en est pas ainsi pour le contrôleur des armes à feu. Quand nous l'avons rencontré, il y a quelques semaines, Chris Wyatt nous a dit : « Je ne sais pas pourquoi vous vous opposez au maintien de ces registres parce que les policiers doivent obtenir un mandat pour les consulter. » Je lui ai répondu que lui, il n'en avait pas besoin. Il a rétorqué : « Non, je n'en ai pas besoin, mais les policiers, si. »
Les registres de ventes portent le sceau du contrôleur des armes à feu et celui-ci peut exiger n'importe quand qu'ils soient remis à son bureau. Je sais que c'est de la spéculation et je le reconnais, mais si le contrôleur des armes à feu se faisait donner, par ses maîtres politiques, l'ordre de recueillir tous les registres des marchands d'armes de l'Ontario, on aurait là les bases voulues pour établir un registre des armes d'épaule.
Le sénateur Fraser : C'est un bien gros « si ».
M. Farrant : Peut-être, mais nous savons que le contrôleur des armes à feu a le pouvoir de prendre ces registres n'importe quand. Nous savons qu'il lui est arrivé, de temps en temps, de se présenter à des entreprises et de leur dire : « Envoyez-nous vos registres, pour nos propre fins » — Dieu sait ce que cela veut dire.
Il n'est donc pas impossible que cela se produise.
Si le contrôleur des armes à feu devait, lui aussi, obtenir un mandat pour consulter ces registres, ou si ces derniers étaient tenus par les marchands à des fins d'inventaire et de garantie — autrement dit, à des fins commerciales — sans être soumis aux diktats et aux caprices du contrôleur des armes à feu, qui impose les conditions de l'obtention des permis de vente, nous ne serions pas ici et nous parlerions d'autre chose, mais ce n'est pas le cas. Je sais que c'est un lieu commun, mais c'est pour cette raison que nous croyons qu'il serait possible de ressusciter le registre par des voies détournées. Le registre pourrait exister, il pourrait être créé, et ce ne serait pas si difficile.
Le sénateur Fraser : Il est possible que je sorte en courant demain matin et que j'essaie de voler 1 million de dollars, mais nous essayons de demeurer dans le domaine du probable.
M. Farrant : Monsieur le sénateur, le contrôleur des armes à feu a légalement le droit de réclamer les registres. Vous, vous n'avez pas le droit de voler 1 million de dollars, mais lui, il peut, en toute légalité, exiger que ces registres lui soient remis.
Le sénateur Fraser : Je pourrais me présenter à des élections demain. C'est tout aussi improbable.
M. Friedman : Sénateur Fraser, deux choses doivent être dites en réponse à cette question, et c'est la bonne question à poser ici.
D'abord, vous dites que ces registres ne sont utiles pour la police que si un crime a été commis. Ils servent aux enquêtes après infraction. Vous avez aussi demandé si des gens avaient protesté contre ces registres par le passé. La réponse est la même. Ces registres de ventes ont déjà été utilisés — je puis l'affirmer avec certitude — pour confisquer des armes à feu désignées comme interdites par le Parlement. Autrement dit, quelqu'un se procurait une arme qui ne faisait l'objet d'aucune restriction au moment de l'achat, mais que le Parlement changeait arbitrairement de catégorie par la suite. Les registres de ventes ont été utilisés avant l'adoption du projet de loi C-68 pour retrouver les armes en question et les confisquer, même si elles appartenaient à des personnes respectueuses de la loi et qu'aucun crime n'avait été commis.
Nous parlons de registres verts reliés. Je ne crois pas prophétiser si j'affirme que, bientôt, les contrôleurs des armes à feu diront aux marchands : « Qui se sert encore de registres verts reliés? Il existe un programme informatique. Il existe un tableur Excel. Saisissez les données. » Tout d'un coup, nous passons d'un système papier à une base de données informatisée qui peut être facilement manipulée et transformée en registre des armes d'épaule. On n'a pas besoin de s'interroger longuement pour en arriver à cette conclusion. C'est une simple question de bon sens.
Si j'étais le contrôleur des armes à feu, je me demanderais pourquoi diable, en 2012, on se sert encore de registres verts reliés dans lesquels on inscrit les données à la main.
Enfin, je dirai que certains policiers, certains chefs de police et peut-être même certains agents de première ligne ont signalé qu'ils aimeraient avoir ces pouvoirs. Je parle sans gêne en tant qu'avocat de la défense en droit criminel. Dans une démocratie libérale, il faut établir un juste équilibre entre, d'une part, les pouvoirs que les policiers demandent et ceux qui, disent-ils, les aideraient dans leurs enquêtes — et je suis certain qu'ils aimeraient avoir tout un tas de pouvoirs — et, d'autre part, le droit des gens de vivre sans l'ingérence du gouvernement et d'utiliser tranquillement un bien qu'ils ont acheté en tout légalité. Établir cet équilibre, c'est évidemment ce que veulent le Parlement et les tribunaux.
À mon humble avis, le fait que la police a demandé le maintien de ces registres n'est pas une raison suffisante pour l'entériner.
Le sénateur Fraser : Je comprends votre point de vue. Je ferai remarquer que si le Parlement déclare illégale la possession d'un objet donné, elle est illégale. Merci.
Le président : Voilà qui conclut cette partie de la séance. Messieurs, je vous remercie d'être venus comparaître devant le comité. Ce fut fort apprécié.
Nous allons maintenant entendre le deuxième groupe de témoins. Nous accueillons, par vidéoconférence, Tom Stamatakis, président de l'Association canadienne de la police, Kenneth Epps, agent principal de programme à Project Ploughshares, et Heidi Rathjen, porte-parole du Groupe des étudiants et diplômés de Polytechnique pour le contrôle des armes (Polysesouvient).
Bienvenue à vous tous.
[Français]
Heidi Rathjen, porte-parole, Groupe des étudiants et diplômés de Polytechnique pour le contrôle des armes (Polysesouvient) : Monsieur le président, honorables sénateurs, je vous remercie au nom du Groupe des étudiants et diplômés de Polytechnique pour le contrôle des armes (Polysesouvient).
De nombreux autres groupes représentant des victimes auraient aimé témoigner aujourd'hui devant vous. Permettez-moi de souligner l'intérêt en ce sens de Sue O'Sullivan, l'ombudsman fédéral des victimes d'acte criminel dont vous avez reçu la soumission, je crois, Steve Sullivan, du service aux victimes d'Ottawa et Priscilla de Villier, qui a également soumis une déclaration. Tous partagent la position de notre groupe.
À quelques jours de la pause d'été du Parlement, le gouvernement fédéral a déposé un projet de modification réglementaire spécifiant qu'en vertu de la Loi sur les armes à feu, les marchands d'armes ne pourront plus se faire imposer de recueillir et de conserver des données sur les ventes d'armes d'épaule, une exigence qui existe pourtant depuis 1977.
Ces registres permettent de surveiller les ventes d'armes dans les commerces et constituent un simple et rentable moyen d'empêcher les ventes d'armes à des acheteurs non autorisés.
En 35 ans d'expérience, ces registres d'entreprises n'ont jamais fait l'objet de plaintes sérieuses. Le débat concernant ces livrets est une controverse créée de toutes pièces qui s'est matérialisée seulement après l'adoption du projet de loi C- 19, en avril dernier, avec certains groupes des armes qui ont décidé que la destruction du registre d'armes à feu n'était pas suffisante.
En tant que témoins des dommages que peut causer une seule arme en de mauvaises mains, nous sommes stupéfaits et scandalisés devant ce nouveau cadeau au lobby des armes à feu. Ces règlements représentent une nouvelle insulte aux témoins et victimes de tragédies commises par arme à feu, aux forces policières qui risquent leur vie à tous les jours, de même qu'au public qui s'attend à un minimum de précaution contre la vente illégale des armes à feu.
Il est faux et malhonnête de prétendre que les registres d'entreprises contournent l'esprit du projet de loi C-19 en recréant un registre d'armes d'épaule par des moyens détournés. En effet, les informations contenues dans ces registres n'existent pas sous la forme d'une base de données informatisée centralisée, ne sont pas efficacement accessibles, ne suivent pas les ventes subséquentes entre citoyens privés, donc ne suivent pas la possession d'arme à feu et engendrent des coûts négligeables. Elles n'ont même pas été utilisées pour créer le registre centralisé des armes d'épaule qui s'apprête à être détruit.
Les registres d'entreprises consistent en des formulaires détaillés sur les armes, comme la marque, le modèle, le numéro de série, et cetera, et leur statut, c'est-à-dire la vente, l'acheteur et la raison pour laquelle elles sont en magasin, soit pour réparation, entreposage ou autre. Les policiers comparent ces registres à l'inventaire d'un magasin afin de s'assurer que tout soit en règle. Toute arme qui manque sonne une alarme. En d'autres mots, ces registres permettent aux forces policières de réduire les risques de détournement d'armes légales vers les marchés illégaux.
Malheureusement, avec la réglementation proposée, les probabilités d'arrêter les marchands qui vendent des armes illégalement à des acheteurs sans permis seront nettement réduites.
Les associations policières ont également affirmé que les registres de vente sont essentiels afin de résoudre des crimes commis par arme à feu. Retracer le vendeur et l'acheteur initiaux d'une arme trouvée sur le lieu d'un crime représente en toute logique un important point de départ pour une enquête policière. Par ailleurs, c'est grâce aux registres de vente si la police de Montréal a pu rapidement identifier l'auteur du massacre à l'École Polytechnique en 1989.
On a affirmé récemment que ces modifications sont nécessaires pour éviter de causer des difficultés pour des centaines de milliers de personnes. Mais quelles sont-elles vraiment ces difficultés? Fournir un minimum d'information lors de l'achat d'une arme à feu, comme cela se fait depuis 35 ans sans problème, comme on le requiert à chaque fois qu'on achète un gadget électronique avec une garantie, un véhicule automobile, des services téléphoniques ou Internet.
Il est presque obscène de parler de ce genre de difficulté si banale et superficielle alors que les conséquences du détournement plus facile d'armes à feu vers les marchés illégaux risquent de coûter des vies.
Les registres d'entreprises servent à surveiller l'activité des marchands, pas la possession des propriétaires individuels. Les seules personnes que ces registres risquent de déranger véritablement sont les marchands et les acheteurs qui souhaitent effectuer des transactions illégales. Ces individus sont sans doute très reconnaissants aujourd'hui pour ces nouvelles circonstances favorables à ce genre de trafic et ce, venant d'un gouvernement qui prône sans cesse la ligne dure contre le crime.
Comme avec le projet de loi C-19, le gouvernement laisse au lobby des armes la tâche de dicter nos lois et de ce fait, le type de société dans laquelle nous vivons; une société qui régresse de manière irréversible vers un accès facile aux armes à feu. Donc, en plus d'abolir le registre des armes d'épaule, le projet de loi a éliminé aussi l'obligation de vérifier les permis d'un acheteur lors de la vente d'un fusil ou d'une carabine de chasse, et bientôt, les armes seront moins faciles à retracer au Canada qu'elles ne le sont aux États-Unis, où tous les marchands d'armes doivent tenir des registres de vente.
Comme avec le projet de loi C-19, ces règlements résulteront assurément à plus de vies et de familles détruites par le simple appui d'une gâchette. À la lumière de tout ce qui précède, nous réclamons par conséquent le rejet de cette réglementation.
[Traduction]
Kenneth Epps, agent principal de program, Project Ploughshares : Je vous remercie, monsieur le président et membres du comité, de m'avoir invité à vous entretenir aujourd'hui de la proposition de règlement sur les renseignements relatifs aux armes à feu. Mon court exposé s'attarera sur les conséquences de ce règlement sur les engagements internationaux du Canada liés à la réduction et à l'élimination du traffic des armes à feu.
Tous les États membres de l'ONU reconnaissent que le commerce illicite d'armes légères et de petit calibre est un problème répandu et persistant. C'est que nous savons que le trafic international d'armes alimente dans le monde entier la violence causant la mort. Malgré un déclin général du nombre de conflits armés entraînant la mort, les conséquences dévastatrices de la violence armée, qu'elle soit perpétrée par des criminels, dans les villes, au sein des familles ou autrement, continuent de se faire sentir et augmentent même dans certains États.
Depuis 15 ans, le Canada soutient activement l'élaboration de plusieurs ententes régionales et mondiales visant à établir des lois et des normes internationales pour mettre un frein au commerce illicite d'armes légères. Or, il est incapable de respecter les engagements fondamentaux prévus dans le cadre de quatre des plus importantes de ces ententes; le règlement proposé ne fera qu'empirer les choses.
Le Canada a signé en 1997 la Convention de l'Organisation des États américains sur les armes à feu, ou CIFTA. Il s'agit d'un accord panaméricain ayant force obligatoire qui a pour but d'enrayer la fabrication et le commerce illicites d'armes à feu et de matériel connexe. Le Canada n'a pas encore ratifié le traité, et c'est essentiellement parce qu'il ne respecte pas les exigences relatives au marquage des armes à feu importées. L'élimination proposée des registres de ventes réduira sa capacité à se conformer aux dispositions fondamentales de la convention concernant la tenue de registres et la communication de renseignements, surtout celles qui ont trait aux demandes de repérage provenant de l'étranger. C'est donc dire que le Canada n'adhérera pas de sitôt à l'entente la plus importante des Amériques sur la lutte contre le trafic des armes à feu.
Le Canada a également signé, mais non ratifié, le protocole sur les armes à feu de la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, qui est entré en vigueur en 2005; comme le protocole renferme des dispositions semblables à celles de la CIFTA, il semble bien que le Canada n'y sera pas partie non plus avant un certain temps.
La troisième entente internationale, le Programme d'action de 2001 des Nations Unies relatif aux armes légères et de petit calibre, est sans doute le principal accord international visant à mettre fin au trafic d'armes de ce type. Elle a été adoptée par consensus aux Nations Unies, et le Canada, comme tous les autres États membres de l'ONU, est politiquement obligé d'en appliquer les dispositions. Au niveau national, le programme d'action invite chaque État à « veiller à ce que des registres complets et exacts soient gardés le plus longtemps possible concernant la fabrication, la possession et le transfert d'armes légères et de petit calibre dans les zones relevant de sa compétence ». L'élimination des registres de ventes fera en sorte que le Canada ne pourra respecter ni cet engagement, ni d'autres prévus dans le programme d'action.
Enfin, l'Assemblée générale des Nations Unies a convenu en 2005 d'un instrument de repérage international qui s'ajoute au processus prévu dans le Programme d'action. Les dispositions que cet instrument renferme mettent l'accent sur la tenue de registres et la collaboration en ce qui concerne le repérage des armes légères et de petit calibre sur le territoire de chaque État. Le règlement proposé nuira à la capacité du Canada de collaborer avec les autres pays en cette matière.
La suppression des registres de ventes empêchera le Canada de mettre en œuvre les dispositions fondamentales de ces quatre ententes internationales sur les armes à feu. Elle peut aussi avoir une incidence sur les importations d'armes à feu au Canada. Ainsi, aux termes d'un règlement adopté récemment par l'Union européenne, une évaluation précise doit être faite des obligations internationales, de l'usage final prévu et du risque de détournement d'armes exportés par les États membres de l'Union européenne.
Tout cela soulève des questions importantes pour le Canada. En particulier, le gouvernement du Canada a-t-il consulté l'Union européenne au sujet de ce règlement et sait-il comment l'élimination des registres de ventes sera évaluée par les exportateurs de l'Union européenne?
Je vous remercie de votre attention.
Tom Stamatakis, président, Association canadienne de la police : Bonjour, honorables sénateurs. Je vous remercie de me donner l'occasion de m'adresser à vous aujourd'hui au nom des agents de police de première ligne du Canada au sujet du règlement proposé en application de la Loi sur les armes à feu. Je m'excuse de ne pas être présent en personne à la réunion du comité.
Avant d'entrer dans le vif du sujet, je veux reprendre certaines observations formulées hier par le ministre de la Sécurité publique, l'honorable Vic Toews, et par mon collègue Mario Harel, qui représente l'Association canadienne des chefs de police. Nous ne sommes pas ici pour débattre du bien-fondé relatif du registre des armes d'épaule, mais pour réfléchir aux conséquences que les modifications envisagées pourraient avoir sur les services de police au Canada et à l'incidence qu'elles auront sur la communication de renseignements à nos membres dans l'exercice de leurs fonctions.
Je tiens par ailleurs à souligner que, même si je comprends l'inquiétude exprimée par le ministre au sujet d'un rétablissement du registre, le règlement que nous étudions aujourd'hui ne constitue par une sorte de résurrection du registre par des voies détournées, comme les médias l'ont laissé entendre dernièrement. Les données contenues dans les registres tenus aux points de vente ne sont pas centralisées, faciles d'accès ou interrogeables par les policiers dans le cadre de leurs enquêtes. Cela dit, l'information que renferment ces registres peut constituer un outil d'analyse fort utile au cours d'une enquête. Cependant, je ne crois pas non plus que ces modifications entraîneront la disparition de ces renseignements du jour au lendemain.
Même si la délivrance d'un permis de vente d'armes ne sera plus conditionnelle à la tenue d'un registre de ventes, les propriétaires de magasins d'armes devront continuer à respecter certaines exigences et s'assurer, notamment, de ne vendre des armes qu'à des personnes dûment autorisées à en posséder.
Je pense que de nombreux vendeurs continueront à tenir les registres voulus, ne serait-ce que pour protéger leur responsabilité à l'égard de la vente d'armes à feu. Les données contenues dans ces dossiers demeureront accessibles à la police, mais il deviendra plus difficile pour nos membres de les acquérir, ce qui surchargera encore davantage nos ressources déjà insuffisantes. Notre capacité d'analyser les renseignements que nous recevons, qui est essentielle à la résolution des crimes sur lesquels nous enquêtons, pourrait en être amoindrie.
Les modifications que nous étudions aujourd'hui s'ajoutent aux innombrables autres difficultés auxquelles les forces de l'ordre se heurtent régulièrement. Nos membres font preuve chaque jour de professionnalisme face au changement constant, tant sur le plan technologique que sur les plans législatif et juridique, des conditions dans lesquelles ils travaillent. D'après moi, prendre des mesures pour régler ces graves questions serait nettement plus utile pour les services policiers de première ligne au Canada que de se concentrer sur une question comme le registre des armes à feu ou les efforts pour le ressusciter. Cela me fera plaisir de répondre à vos questions.
Le sénateur Fraser : Bonjour. C'est encore le matin à Ottawa et c'est certainement le matin à Vancouver. Merci à tous de votre présence.
J'ai quelques questions. D'abord, madame Rathjen, vous avez dit — je veux que cela soit répété en anglais pour m'assurer que tout le monde ait bien compris — que même aux États-Unis, le paradis des propriétaires d'armes, les marchands d'armes doivent tenir un registre de ventes?
Mme Rathjen : Oui, les magasins d'armes doivent tenir des registres. Les expositions d'armes à feu permettent peut- être de contourner la réglementation, ce qui constitue un sérieux problème, mais les magasins d'armes légitimes doivent bel et bien tenir des registres.
Le sénateur Fraser : Les renseignements contenus dans les registres de ventes seraient-ils comparables à l'information figurant dans le registre des armes à feu?
Mme Rathjen : Je ne le sais pas.
Le sénateur Fraser : Nous savons que des registres doivent être tenus, et c'est en partie pour que les forces de l'ordre puissent les consulter au besoin, n'est-ce pas?
Mme Rathjen : Oui, et je pense qu'à l'époque, la GRC a dit que la disparition du registre l'obligerait à s'en remettre davantage à l'information venant des États-Unis pour remonter à la provenance d'origine des armes à feu. Les registres de renseignements seront mieux tenus aux États-Unis qu'au Canada.
Le sénateur Fraser : Les fabricants sauraient quand même à qui ils ont expédié les armes, non?
Mme Rathjen : C'est juste.
Le sénateur Fraser : Ce ne serait peut-être que le début de la chaîne. Cela m'amène à poser une question à MM. Epps et Stamatakis.
Monsieur Epps, je vous remercie de nous avoir rappelé le contexte international dans lequel nous fonctionnons. Le ministre nous a dit hier que ce règlement était conforme à nos obligations internationales.
Je pense toutefois qu'il a voulu dire, bien qu'il ne l'ait pas fait, que nous ne sommes pas encore totalement liés par ces traités, puisque nous ne les avons pas encore ratifiés. Il existe cependant un principe selon lequel on est politiquement censé respecter l'esprit et l'orientation générale d'un traité qu'on a signé tant qu'on ne l'a pas ratifié. Je m'interroge sur les effets qu'aura ce règlement, non pas tant sur nos obligations en vertu de traités que sur nos relations de travail avec les autorités chargées de l'application de la loi dans d'autres pays, en particulier Interpol.
Je crois qu'il existe des ententes entre de nombreux pays au sujet de l'échange de renseignements, y compris sur les armes à feu. Si nous n'avons pas d'information à communiquer, allons-nous être pénalisés en ce sens que nous n'obtiendrons pas les renseignements voulus de la part d'autres pays?
M. Epps : Je pense que M. Stamatakis pourra parler davantage des aspects opérationnels de la question, mais pour ce qui est de l'aspect politique, il semble que le Canada pourrait être considéré par les autres pays comme un pays qui ne remplit pas ses obligations en matière de lutte contre le trafic d'armes à feu.
Si les autres États estiment que le règlement actuel nuit à la capacité du Canada de repérer les armes à feu, celui-ci sera certainement considéré comme un maillon faible du système. Comme le Canada a participé à l'élaboration des quatre ententes dont j'ai parlé, une telle situation sera vue comme une fuite devant ses responsabilités. C'est certain.
Le sénateur Fraser : Monsieur Stamatakis, avez-vous des observations à formuler?
M. Stamatakis : Sur le plan opérationnel, les forces de l'ordre collaborent régulièrement entre elles, que ce soit à l'échelle locale, nationale ou internationale, avec nos voisins du Sud ou avec d'autres autorités. Du point de vue pratique, je ne vois franchement rien dans tout cela qui pourrait nuire à notre capacité d'échanger des renseignements avec d'autres services de police.
Toujours sur le plan opérationnel, je rappelle que toutes les armes fabriquées légalement ont des caractéristiques propres et portent un numéro de série. Normalement, quand on trouve une arme au cours d'une enquête, on commence par en vérifier le numéro de série, qui conduit au fabricant. De là, on peut suivre le cheminement de l'arme grâce aux renseignements qu'on pourra obtenir de différentes façons.
Cela représente un surcroît de travail, et il faudra souvent demander une autorisation judiciaire pour obtenir les registres ou fouiller différents endroits, mais nous continuerons de faire ce que nous faisons toujours : recueillir des données et suivre les pistes sur lesquelles elles nous conduisent.
Le sénateur Fraser : Si la piste aboutit à un cul-de-sac parce qu'il n'existe pas de registre, que faites-vous alors?
M. Stamatakis : On se rend au cul-de-sac et on cherche d'autres pistes d'enquête. C'est alors que les registres de ventes sont utiles pour les corps policiers. Nous nous en servons au cours de nos enquêtes. Tout mécanisme nécessitant la création et l'existence de registres est utile aux enquêtes policières.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Merci, monsieur le président, merci à nos témoins. Ma question s'adresse à M. Stamatakis, un ancien collègue de travail. Vous êtes un policier, moi aussi je l'ai été longtemps. Vous savez que les crimes qui sont commis par une arme à feu sont plus faciles à enquêter car ils laissent une scène de crime et celle-ci parle par elle-même. Souvent, avant d'arriver au registre, on a beaucoup de preuves sur la scène de crime.
Si la scène ne nous parle pas, c'est parce que le crime a été commandé par une organisation criminelle structurée qui utilise des armes non enregistrées. Par ailleurs, on se rappellera que lorsque M. Basil Parasiris a tué le policier Daniel Tessier, il l'a fait avec une arme enregistrée.
La tenue d'un registre de données, comme le souhaite la province de Québec, va occasionner des coûts indirects. Êtes-vous d'accord avec moi pour dire que ces sommes d'argent devraient plutôt servir aux corps policiers afin qu'ils demeurent sur le terrain pour assurer la sécurité publique?
[Traduction]
M. Stamatakis : S'il est question de fonds aujourd'hui, je dirai non seulement qu'il faut en attribuer aux corps policiers afin qu'ils puissent maintenir la présence d'agents de première ligne sur le terrain et disposer de personnel pour mener des enquêtes, mais qu'il existe également bien d'autres difficultés. Je parlais l'autre soir avec un agent chargé d'enquêter sur un homicide commis à Winnipeg. Il m'a exposé certaines difficultés auxquelles il se heurtait simplement pour faire analyser des pièces à conviction. Pour une enquête donnée, il en avait apporté 28 au laboratoire judiciaire national afin de les faire analyser et il s'est fait répondre de choisir les quatre plus importantes et plus intéressantes et d'oublier les autres.
Nous avons du mal à avoir les ressources voulues, et un peu partout au pays, on me dit que les services policiers coûtent cher et qu'ils ne sont pas viables. S'il est question d'affectation d'argent aujourd'hui, je dirais probablement que ce n'est pas là que les fonds engagés par un ordre de gouvernement, quel qu'il soit, rapporteraient le plus.
Le sénateur Fraser : Monsieur Stamatakis, sur le plan des ressources, je pense que nous comprenons tous très bien que les budgets de la police sont limités, comme ceux de tout le monde, et nous sommes très sensibles à votre situation. Je crois cependant que le coût du maintien de ces registres est assumé par les marchands et n'a aucune incidence sur les budgets de la police.
M. Stamatakis : Pour revenir à ce que j'ai dit, vous avez entièrement raison. C'est pourquoi j'ai parlé de l'idée selon laquelle la tenue de ces registres de ventes permettrait en quelque sorte de rétablir le registre des armes d'épaule par des voies détournées. Les registres de ventes sont tenus de manière tout à fait indépendante par les marchands. Ils constituent une source d'information pour la police au cours de ses enquêtes, et je ne crois pas qu'ils pourraient être utilisés pour rétablir le registre des armes d'épaule, du moins pour l'instant.
Le sénateur Fraser : Merci beaucoup.
Madame Rathjen, je sais que vous suivez le dossier depuis des années, non seulement en tant que survivante, mais également à titre de membre d'un très important groupe organisé œuvrant en collaboration avec d'autres groupes. En fait, vous avez eu l'occasion d'étudier la question plus longuement que la plupart d'entre nous souhaiteraient le faire. Croyiez-vous, jusqu'à tout récemment, que ces registres de ventes allaient être maintenus?
Mme Rathjen : C'est une très bonne question. Selon moi, c'est à dessein que le gouvernement n'a pas expressément mentionné les registres de ventes dans le projet de loi, comme dans les projets de loi C-21 et, je crois, C-24, présentés en 2006 et en 2007.
Le sénateur Fraser : Ces projets de loi mentionnaient les registres de vente?
Mme Rathjen : Oui. Le projet de loi C-19 ne les mentionnait pas, mais les deux autres indiquaient explicitement que les registres de ventes seraient maintenus parce qu'ils aident la police à retrouver les propriétaires d'armes à feu volées ou utilisées pour la perpétration d'un crime.
Dans le projet de loi C-19, ce n'était pas mentionné, du moins pas clairement. Nous craignions que les registres de ventes disparaissent avec le registre des armes à feu parce que cela faisait partie du système, que la mise en place du registre les rendait superflus et qu'ils existaient depuis longtemps.
Le projet de loi C-19 ne les a pas clairement rétablis, mais les contrôleurs des armes à feu avaient tout de même encore le pouvoir de le faire. Il est vrai qu'en vertu des pouvoirs qui leur sont conférés par la Loi sur les armes à feu, les contrôleurs des armes à feu peuvent continuer d'imposer la tenue de registres de ventes. C'est ce qu'ils ont fait, et nous nous en réjouissons. Je ne crois pas que les registres de ventes aient causé quelque difficulté jusqu'ici. Je suis ce dossier depuis plus de 22 ans. Les registres de ventes existaient bien avant que je m'intéresse à la question, et je n'ai jamais entendu de plainte à leur sujet.
La première plainte entendue au sujet des registres de ventes remonte à six semaines environ, quand, après l'adoption du projet de loi C-19 au Sénat, les contrôleurs des armes à feu ont annoncé qu'ils allaient continuer d'exiger la tenue de registres de ventes en vertu des pouvoirs qui leur sont conférés et que deux ou trois groupes du lobby des armes à feu qui avaient appuyé la tenue de registres au cours des audiences ont décidé qu'ils n'en voulaient plus, probablement à cause de l'attitude du Québec. Je ne dirai pas qu'il s'agit de paranoïa, mais même si les renseignements contenus dans ces registres ne servaient pas au registre des armes à feu, ils ont décidé qu'ils devraient disparaître, eux aussi. C'est nouveau, et le gouvernement a réagi rapidement en présentant ce règlement.
Le sénateur Fraser : Avez-vous été consultés?
Mme Rathjen : Non.
Le sénateur Fraser : Savez-vous si des organismes représentant des victimes l'ont été?
Mme Rathjen : Non, ce fut une surprise pour tout le monde.
Le président : Les marchands d'armes peuvent tenir leurs propres registres. Ils n'y sont plus obligés et le font s'ils le veulent. M. Stamatakis et d'autres témoins ont dit avoir l'impression qu'ils continueront, du moins pour la plupart, à tenir de tels registres s'ils sont responsables. Je ne sais pas ce que vous en pensez.
Il est également possible que les provinces prennent des mesures pour rendre obligatoire la tenue de ces registres. Peut-être aimeriez-vous nous faire part de votre point de vue à ce sujet.
Mme Rathjen : C'est vrai que les commerçants peuvent tenir un registre s'ils le désirent. Cependant, sans cadre, ils peuvent le faire comme ils veulent. Ils peuvent conserver des piles de papier, dresser des listes et procéder de n'importe quelle manière, de sorte qu'il est très difficile, pour les contrôleurs des armes à feu, de vérifier si l'inventaire rend bien compte de ce qui entre au magasin et de ce qui en sort.
Pour ce qui est des provinces, il est vrai que le droit civil leur permettrait d'adopter une loi exigeant la tenue de registres de ventes, mais pourquoi faut-il que ce soit si compliqué? Pourquoi faut-il une mosaïque de mesures disparates? Certaines provinces imposeraient la tenue de registres, d'autres, non. Il y aurait un décalage entre le moment où les registres cesseraient d'être tenus et celui où ils recommenceraient à l'être dans certaines provinces. C'est une question de droit criminel. Les registres existent pour empêcher la vente illégale d'armes. Le gouvernement devrait les rendre obligatoires à l'échelle du pays. Vous créez pour la police des tas de difficultés qui l'empêchent de mieux faire son travail de protection du public.
Il n'y a absolument aucune raison de déléguer cette responsabilité aux provinces, et le fait d'établir un rapport entre les registres de ventes et le registre des armes d'épaule, ce qui, selon moi, est tout à fait faux, nuit à certaines provinces où le lobby des armes à feu est très fort. La question deviendra politique au lieu de demeurer du domaine de la sécurité publique. C'est pourquoi je ne suis pas du tout certaine que les provinces imposeront la tenue de ces registres.
Le sénateur Unger : On nous a dit que les seuls dossiers qui seront détruits sont ceux qui font partie du registre des armes d'épaule et que les provinces, comme vous venez de le signaler, pourront décider de créer leur propre registre.
On nous a dit plus tôt que, selon un rapport présenté par la GRC en 2009, le taux d'erreur du registre des armes d'épaule s'établissait à près de 50 p. 100 et qu'en fait, seulement 25 p. 100 des armes d'épaule étaient réellement enregistrées.
Comment pouvez-vous prôner le rétablissement d'un tel registre, qui faisait partie du projet de loi C-19 et que les Canadiens ont appuyé quand ils ont élu le gouvernement actuel? Je me demande pourquoi vous y tenez tant, puisqu'on peut dire qu'il ne valait pas grand-chose, en réalité. J'ai entendu dire que des gens y enregistraient leurs animaux de compagnie et leurs outils Black & Decker. Alors, avait-il vraiment une si grande valeur?
Mme Rathjen : Je ne suis pas policière, mais vous avez entendu les témoignages des chefs de police, de l'association des policiers, des contrôleurs des armes à feu et de nombreuses autres organisations policières, qui affirment que les registres sont des outils importants lorsqu'il faut faire enquête sur des crimes.
Rien n'est jamais exact à 100 p. 100. Je n'ai jamais entendu les chiffres que vous avez mentionnés. Ils n'ont jamais été aussi élevés. Cela dit, il y a sans aucun doute des incohérences dans toutes les bases de données d'envergure.
La règle d'or, c'est qu'il vaut mieux que les policiers aient trop de renseignements que pas assez. Or, voilà maintenant que le gouvernement veut éliminer des renseignements qui peuvent être utilisés — pas tout le temps, et pas dans tous les cas — pour attraper des criminels et identifier des tueurs, et qui empêchent aussi les ventes illégales aux criminels, qui n'ont pas de permis, et selon le gouvernement dit, les permis sont la chose la plus importante en ce qui concerne le contrôle des armes à feu.
Le sénateur Unger : Je crois que dès que le projet de loi C-68 a été présenté pour la première fois, il était généralement accepté que les criminels n'enregistreront jamais leurs armes à feu. Les seules personnes qui les enregistrent, ce sont les citoyens respectueux de la loi, et l'enregistrement de leurs armes portait grandement atteinte à leur vie privée. Les renseignements étaient très détaillés, et ce sont ces renseignements qu'on élimine maintenant. Vous avez dit que oui, il y a bel et bien certaines erreurs. Qu'en est-il des citoyens dont les droits ont été bafoués parce que certains renseignements étaient erronés, et que pour cette raison, on a défoncé leur porte et fouillé leur domicile, en s'excusant par la suite d'avoir ciblé la mauvaise maison?
Mme Rathjen : Je crois que vous parlez du registre des armes d'épaule, un sujet que j'adore aborder lors des débats. Cependant, aujourd'hui, nous parlons des autres registres. Quant aux plaintes concernant les atteintes à la vie privée, entre autres, il s'agit d'un tout autre débat.
Les registres ne sont pas liés à la possession d'une arme à feu; ils sont uniquement liés à la vente, à ce qui est vendu par un magasin à une personne. Après cela, les registres ne suivent pas le parcours des armes à feu et les ventes subséquentes. Il ne s'agit pas de contrôler la possession, mais bien d'exercer un contrôle sur une entreprise qui possède un vaste inventaire d'armes à feu et qui les vend à des particuliers. Ces registres aident les policiers à s'assurer que les armes ne sont vendues qu'à des gens qui possèdent un permis.
Les permis d'entreprise existent pour une raison; il ne s'agit pas seulement d'un bout de papier. Ils sont assortis de conditions et de responsabilités. L'une de ces responsabilités consiste à bien s'occuper de son inventaire, plus particulièrement lorsqu'il est question d'armes qui permettent de tuer quelqu'un rapidement et aisément.
Je ne sais pas comme les contrôleurs des armes à feu pourront maintenant s'assurer que tout est en règle et que toutes les armes à feu ont été comptabilisées si aucun document ne rend compte des inventaires. C'est ce que nous enlevons aujourd'hui aux policiers. Il ne s'agit pas d'exercer un contrôle sur la possession des armes à feu, et il n'est pas non plus question du registre des armes d'épaule. Nous parlons des magasins.
Le sénateur Unger : Je comprends qu'il est question des registres. Cela dit, même ces registres — je n'ai pas lu le rapport de la GRC. Il en a été question ce matin. Cependant, ce que je voulais souligner, c'est ceci : comment pouvez- vous défendre ce point de vue, alors que le taux d'erreur en ce qui concerne le registre des armes d'épaule était aussi élevé?
Le président : Encore une fois, nous sommes revenus au projet de loi C-19.
Est-il question des registres, monsieur Epps?
M. Epps : Il s'agit de la question initiale.
Le président : Je crois qu'une réponse des plus adéquates a déjà été donnée.
Le sénateur Campbell : À mon avis, il est assez incroyable que l'on compare l'enregistrement d'outils Black & Decker à l'enregistrement d'armes de poing.
Je suis d'accord avec vous, nous ne discutons pas du projet de loi C-19. Cette discussion est terminée.
J'aimerais poser une question à M. Stamatakis. Du point de vue des policiers — ce que je vais dire est tiré du rapport intitulé Les policiers tués dans l'exercice de leurs fonctions, 1961 à 2009, produit par Statistique Canada —, entre 1961 et 2009, 92 p. 100 des homicides visant des policiers ont été commis à l'aide d'une arme à feu. Par mi ces armes à feu, les carabines et les fusils de chasse ont été à l'origine de 56 p. 100 des décès, alors que les armes de poing ont été utilisées dans 44 p. 100 des meurtres.
Si vous n'avez pas la possibilité d'avoir accès à un registre, quelles seront les répercussions sur vos enquêtes qui portent non seulement sur le décès de policiers, mais aussi sur le décès de simples citoyens?
M. Stamatakis : Cela compliquera davantage l'enquête du point de vue des sources qu'il faudra consulter pour obtenir des renseignements liés à une arme à feu utilisée pour commettre une infraction, que cette infraction ait causé le décès d'un policier ou d'un autre citoyen. Cela complique davantage les choses. Ce que je veux dire par là, ce n'est pas qu'il faudra probablement consulter plus de sources ou des sources différentes pour obtenir les renseignements, mais que selon l'endroit où on se rendra et l'empressement du marchand ou d'une autre personne à fournir ces renseignements, il faudra obtenir, entre autres, une autorisation judiciaire.
Le sénateur Campbell : Est-il très important d'obtenir rapidement des renseignements dans le cadre d'une enquête pour homicide?
M. Stamatakis : C'est essentiel. C'est au cours des 24 à 48 la majorité des preuves qui permettront de mettre un point final à l'enquête. On recueille d'abord les renseignements, puis on consacre le reste du temps à assurer un suivi en ce qui concerne l'ensemble des preuves qui ont été rassemblées et les indices qui ont été découverts.
Le sénateur Campbell : Je suppose donc que vous avez pris part à des enquêtes pour homicide?
M. Stamatakis : Pas en tant qu'enquêteur principal, mais j'ai participé à de telles enquêtes.
Le sénateur Campbell : Est-il très important pour les victimes, leur famille, leurs amis et leurs proches, que cette question soit réglée le plus rapidement possible?
M. Stamatakis : Ce sont les victimes qui sont les plus touchées par une infraction criminelle, et c'est pour elles qu'il est très important de mettre un point final à l'enquête. Par là, j'entends que nous devons être en mesure d'identifier la personne qui a commis le crime, de la poursuivre en justice et, nous l'espérons, d'obtenir sa condamnation. Règle générale, ce processus, de même que sa conclusion, est ce qui permet à la victime de passer à autre chose et d'apprendre à vivre avec le traumatisme causé par un tel événement.
Le sénateur Campbell : Merci beaucoup. Je suis ravi de vous revoir.
Le président : Il n'y a plus de sénateurs sur la liste, et je ne vois pas non plus de mains levées dans la salle.
Je remercie les témoins de leur présence ici aujourd'hui. Nous vous sommes très reconnaissants d'avoir contribué à nos discussions.
Nous discuterons maintenant de l'ébauche de rapport.
(La séance se poursuit à huis clos.)
(La séance publique reprend.)
Le président : Je propose une motion — je crois qu'il faut une motion. Je propose que le comité adopte son quinzième rapport et que le président le dépose au Sénat.
Le sénateur White : J'en fais la proposition.
Le président : La motion est proposée par le sénateur White. Êtes-vous d'accord?
Des voix : D'accord.
Le président : La motion est adoptée. Puisqu'il s'agit de la dernière réunion du Comité des affaires juridiques avant le congé estival, je tiens à souligner que c'est la dernière réunion à laquelle le sénateur Angus participe en tant que membre du comité. Il en est membre depuis longtemps. Il l'a été de 1994 à 1996, puis de 2009 à 2012, soit pendant six ans. Pendant cette période, il a énormément contribué aux travaux du comité.
Je fais partie du comité depuis deux ans et demi, et il ne fait aucun doute que pendant cette période, vous avez été l'un des membres les plus estimés du comité. Hier, dans cette enceinte, de nombreuses personnes ont formulé des commentaires élogieux à votre égard et souligné à quel point elles vous apprécient. Je crois que tous ceux qui ont eu la chance de siéger au comité en même temps sont d'avis que votre présence et votre contribution nous manqueront, d'autant plus qu'elles ont grandement contribué à ce que notre comité puisse s'acquitter comme il se doit de la tâche qui lui a été confiée. Nous nous ennuierons aussi de l'esprit de collaboration dont nous avons fait preuve au sein du comité, entre autres lorsqu'il était question de mesures comme le projet de loi C-10. Vous avez joué un rôle important à cet égard. Vous nous manquerez, et nous vous souhaitons le meilleur succès possible pour l'avenir.
Le sénateur Angus : Monsieur le président, je vous remercie très sincèrement. Au sein de ce comité plus que de tout autre — je parle des 18 comités permanents du Sénat — il est important d'assurer la continuité. C'est ce que j'ai pu constater à maintes reprises. La mémoire institutionnelle est très importante lorsqu'il est question d'une loi en particulier, en l'occurrence le Code criminel du Canada. Il est important que le sénateur Fraser, le sénateur Joyal et le sénateur Baker siègent au comité. Il en va de même de ce côté-ci, bien que dans une moindre mesure, mais je crois que nous savons à quel point la continuité est importante. Je n'ai pas été ici aussi longtemps qu'on pourrait le croire, car après tout, il ne s'agit que de six ans sur une période 19 ans, mais la continuité est essentielle. Je recommande que l'on prenne les mesures nécessaires pour poursuivre cette tradition et la renforcer, car elle est très importante. Les gens avec qui je discute me disent justement que c'est le comité qu'ils suivent le plus sur CPAC, bien plus que les autres types de comités. Les sujets dont nous sommes saisis ont des répercussions sur la vie quotidienne des Canadiens, à tous les niveaux, et ils s'intéressent à ce que nous faisons. Beaucoup de gens m'ont dit que le sénateur Fraser et le sénateur Wallace sont des présidents très stricts, mais qu'ils excellent dans cette tâche et savent de quoi ils parlent. Je sais que vous trouvez cela exigeant, mais vous accomplissez de l'excellent travail, et j'espère que vous continuerez. Je vous remercie de votre discours.
Le président : Avant de lever la séance, j'aimerais remercier tout le personnel qui a contribué au bon fonctionnement du comité, et j'espère que vous profiterez tous du congé estival.
(La séance est levée.)